--> --> - Le Dibbouk

6 janvier 2025


Peinture : Gérard Garouste

Le savoir, c’est très bien. Mais désormais, il semble accessible à profusion, partout, tout le temps. Ce qui ne change pas, ce sont les rivalités qu’il suscite. Les vénérations absurdes. Les jalousies. C’est aussi pour ça que je recule devant des expressions comme : "Tu sais", "Moi, je sais", "Comment ? Mais tu ne sais pas ça ?". Elles m’agacent. Elles me fatiguent.

F.B., lui, avance. Il s’est lancé dans une entreprise folle : décrypter les carnets de Lovecraft, ces deux lignes quotidiennes, sèches et laconiques autour de quoi il recrée toute une vie et toute une époque en parallèle de la notre 1925-2025. Je regarde ses vidéos, hypnotisé. Lovecraft écrivait peu à chaque fois, mais chaque jour dans ces commonplace books. Deux lignes par jour la plupart du temps. Moi, j’écris beaucoup, souvent pour rien. Je ne dispose pas de la faculté de concision, qui nécessite celle du tri, du rangement, propre à une certaine rigidité d’esprit. Ce qui n’empèche pas le "vouloir écrire" l’aspect obsessif ( j’ai vu qu’on pouvait désormais remplacer obsessionnel par obsessif )

Je repense à ce que disait Daniel Oster, à propos de la façon dont Apollinaire a inventé son nom. Un nom comme un Non. Un refus craché au monde. Combien de fois ai-je rêvé de m’allonger sous un chêne, attendre que les choses invisibles m’appellent par mon vrai nom ? Mais rien n’est venu. Juste quelques cacas d’oiseau. Alors je me fabrique un couvre-chef de brindilles, la tête haute. Lefol, Lepitre tu portes bien ton nom ! crient encore les gamins en riant. Mais moi, je continue d’avancer je suis César, Jésus, ou Saint Jean-Baptiste transpercé de flèches. PORC-ÉPIQUE ensanglanté.

Peut-être que c’est ça, écrire : une navigation entre les brindilles et les livres, les épines , la candeur, la lucidité, le silence et le trop-plein. Peut-être que c’est dire non, à chaque fois, tout en cherchant dans ce chaos la vérité d’une seule ligne. Quelque chose qui tienne, donne l’illusion de l’unité, jusqu’au lendemain.

À la fin de la journée, au début d’une autre, j’ai toujours l’impression de sortir d’un rêve. Comme d’une vidéo, d’une lecture, d’une séance d’écriture. Un tout petit moment de lucidité, extrêmement douloureux. Comme une agrafe plantée dans le pouce. Ça ne dure pas. Presque aussitôt, après être remonté à la surface, je m’enfonce à nouveau : un somnambulisme obligé pour supporter la déliquescence générale de l’époque.

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Mots-clés :

Introspection personnelle H.P. Lovecraft obsessions et hantises Daniel Oster François Bon

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