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01 février 2025

Avant-hier, M. m’a tendu un bout de papier à la fin du cours. Deux adresses, des numéros de téléphone, et ce mot en capitales : POSSEDÉE.

J’ai replié le papier, je l’ai glissé dans ma poche. Ce matin, il a disparu. Peut-être jeté avec les tickets de caisse, peut-être oublié quelque part, entre deux pages, au fond d’un livre que je ne rouvrirai jamais.

J’aurais pu le noter ailleurs.

Je ne l’ai pas fait.

J’ai bien peur que ce soit volontaire.

Je dors par morceaux, par tranches courtes, deux heures tout au plus. Puis je reste allongé, à l’écoute d’un silence compact, inentamable. Cette nuit, j’étais graphiste pour un groupe de jazz en banlieue parisienne. On m’avait commandé une affiche. Je me souviens de la peinture que j’ai réalisée : des formes nettes, des couleurs profondes, un bleu qui vibrait encore dans mes yeux au réveil. Une affiche parfaite.

Disparue.

Comme si quelque chose, à l’intérieur, décidait que rien ne devait rester.

Hier soir, avec les R., nous avons compté les Alzheimer autour de nous. Un bon paquet. Des précoces. Un type de 55 ans, une femme de 66. À chaque nouveau nom, je me suis retenu de me toucher le front, la mâchoire.

On parle. On meuble. On sort des phrases en kit :
Mais tout à fait. Mais bien sûr. Assurément. Et comment.

Et puis cette pensée, soudaine : Alzheimer a peut-être aussi ses bons côtés.

J’ai gardé ça pour moi.

Hier, c’était initiation à l’aquarelle pour le groupe du jeudi. Je peignais et en même temps, je ne peignais pas. Quelqu’un d’autre tenait le pinceau. Un mouvement sûr, un tracé qui ne m’appartenait pas. Quand j’ai levé la tête, ils étaient là, autour, à regarder. Il y a eu des oh !, des ah !, des exclamations contenues.

J’ai souri.
Mais jaune.

Les conversations tournent en boucle. Les petits-enfants. Les maladies. Les mots de vieux, les peurs de vieux.

Alors je pense à partir. Prendre un sac tube. Ne rien dire. Suivre une ligne droite, ventre à terre.

Mais pas aujourd’hui.

Aujourd’hui, une part de tarte aux pommes. Une gorgée de thé. Quelques pages de Léviathan, même si c’est laborieux vers la fin.

Ne pas disparaître tout de suite.

Attendre encore un peu. Ecrire un nouvel édito pour février

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Mots-clés :

Essai sur la fatigue

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