La tondeuse
Je me suis réveillé ce matin avec cette envie de parler à n’importe qui. La caissière du supermarché, le type qui promène son chien, même le gamin sur son vélo. N’importe quoi pourvu que ça sorte. Ma femme m’avait prévenu la veille : "Tu parles trop aux gens, ça devient gênant." Elle a raison, comme toujours.
Dans la cuisine, j’ai fixé la bouteille de gin presque vide sur la table. Les mots cognaient dans ma tête comme des tambours. J’ai allumé une cigarette, regardé par la fenêtre. Le voisin tondait sa pelouse. J’ai serré les dents pour ne pas sortir lui raconter l’histoire de ma première tondeuse, celle que mon père m’avait donnée en 1982.
Les objets autour de moi me narguent - la cuillère dans l’évier, le paquet de cigarettes presque vide, la télé éteinte. Chacun porte sa petite histoire que je m’oblige à vouloir retenir, comme on retient sa respiration sous l’eau.
J’ai pris une gorgée de café froid. Les mots s’entassent derrière mes lèvres, prêts à débouler comme une avalanche de souvenirs inutiles. Je me suis concentré sur le bruit de la tondeuse, sur son rythme régulier. C’est ça ou devenir le vieux fou du quartier qui raconte sa vie à des gens qui n’en ont rien à faire.