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Le vertige paisible de Laura Vazquez

"Ce que doit ressentir une araignée qui fait bien son travail... "

La phrase me hante depuis que je l’ai entendue sur ce plateau de télévision. Laura Vazquez est là, presque transparente dans son pull gris, assise sur le fauteuil de La Grande Librairie, et sa voix douce laisse échapper ces mots qui, depuis, ne me quittent plus. L’araignée et son travail. La toile et le silence. L’effacement et la précision. Et je reste hypnotisé par les mouvements du livre qu’elle tient comme au bord de la mer les voiliers prennent peu à peu le vent du large, sous nos yeux elle disparaît et quelque chose d’incroyable appararaît.

Je résiste.

Je l’observe qui lit un extrait de son "Livre du large et du long". Ses mains tremblent légèrement, mais sa voix est ferme : "Je vous raconterai ce que j’ai vu et deviné du monde et des signaux qui nous entourent". Le plateau de télévision disparaît de plus belle. Ne reste que cette voix, ce fil tendu entre elle et nous, cette présence paradoxale qui s’efface pour mieux laisser surgir les mots.

L’enfant de Perpignan

Comment dire Laura Vazquez ? Par où commencer ? Peut-être par cette grand-mère analphabète qui l’a élevée, cette femme qui ne savait ni lire ni écrire mais qui lui a transmis quelque chose de plus précieux encore : une façon d’être au monde, une attention aux signes, aux présages, aux "signaux qui nous entourent". Je pense à cette phrase du livre : "Ma tête était super pauvre. Je voulais mesurer l’esprit de la personne humaine". N’est-ce pas déjà, dans ces mots si simples, toute la trajectoire d’une vie ?

L’exil espagnol

Six années en Espagne, entre Barcelone et Séville. Six années à chanter avant d’écrire. Je l’imagine dans ces rues anciennes, absorbant les rythmes, les sons, les silences. Préparant sans le savoir ce qui allait venir. "J’avance comme un rubis", écrit-elle. Et c’est exactement ça : une progression lente, précieuse, qui transforme la matière brute de l’existence en quelque chose qui scintille.

Marseille, le port d’attache

Et puis Marseille. La ville comme un nouveau départ, comme un laboratoire à ciel ouvert. La création de la revue Muscle avec Arno Calleja. Les premiers textes publiés. Cette façon unique de faire trembler le réel par petites touches, de créer des secousses dans la langue elle-même.

"Je serai obscure pour que vous ne me compreniez pas / Je serai obscure pour que vous compreniez"

Ces vers résument peut-être toute sa démarche : non pas chercher l’hermétisme pour lui-même, mais accepter l’opacité du monde, sa résistance, et en faire une force.

Le tissage patient

"Quand j’écris, ce n’est pas la personne limitée habituelle, avec mes goûts, mes envies, mes répulsions. Je tente de me débarrasser de toute forme de volonté."

Voilà l’araignée à l’œuvre. Voilà le secret de cette écriture qui ne cesse de me bouleverser. Laura Vazquez disparaît pour laisser place à quelque chose de plus grand qu’elle. Son dernier livre en est la preuve éclatante. Cinq chants qui explorent le corps, l’esprit, le monde, dans un mouvement continu qui nous emporte.

"Tout dit son propre nom", écrit-elle. Et sous sa plume, effectivement, chaque chose retrouve sa vérité première. Un insecte n’est plus seulement un insecte, une goutte d’eau contient tout l’océan, une miette de pain devient un monde en soi.

La reconnaissance, enfin

Le Prix Goncourt de la poésie 2023 est venu couronner ce travail obstiné, patient, nécessaire. Mais ce qui me frappe, c’est que cette reconnaissance ne change rien à sa posture. Elle reste cette présence effacée, cette voix qui murmure plutôt qu’elle ne crie, cette araignée qui fait bien son travail.

Dans "Le livre du large et du long", elle écrit : "Je vous raconterai ce que j’ai vu". Et c’est exactement ce qu’elle fait, avec une précision clinique et une tendresse infinie. Elle nous fait redécouvrir le monde, nous fait sentir le vertige d’être vivant, nous rappelle que la poésie n’est pas un exercice de style mais une façon d’habiter le réel.

Je repense à cette jeune femme sur le plateau de télévision, à sa façon de disparaître presque physiquement pendant qu’elle lisait. Je repense à l’araignée et son travail. Et je me dis que nous avons la chance immense d’avoir parmi nous une écrivaine qui comprend que la plus grande force réside parfois dans l’effacement, que la plus grande présence peut naître de l’absence.

Laura Vazquez tisse ses textes comme l’araignée sa toile, avec cette même précision mathématique, cette même nécessité vitale. Et nous, lecteurs, nous nous prenons dans ces fils invisibles qui nous transforment, presque à notre insu. C’est rare, c’est précieux, c’est nécessaire. C’est devenu plus clair désormais c’est ce que doit ressentir une araignée qui fait bien son travail, rien de plus, rien de moins.
Voilà l’exact lieu où l’on peut aimer naturellement et les gens et Laura Vazquez"

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Mots-clés :

chronique littéraire Le livre du large et du long

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