{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-juillet-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-juillet-2025.html", "title": "30 juillet 2025", "date_published": "2025-07-30T11:26:08Z", "date_modified": "2025-07-30T11:26:08Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
J\u2019avais dit « table rase », pas pour rien. SPIP et MySQL m\u2019ont r\u00e9pondu en ch\u0153ur. Tout ce que j\u2019avais construit sur mon site local a \u00e9t\u00e9 mis par terre par l\u2019importation de ma base de donn\u00e9es distante vers mon PhpMyAdmin local. Au d\u00e9but, j\u2019ai temp\u00eat\u00e9. Des heures et des heures de boulot qui s\u2019envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident \u00e9tait plut\u00f4t une chance, que \u00e7a allait m\u2019aider. SPIP a connu pas mal de mises \u00e0 jour, et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019il faut \u00eatre vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre \u00e0 jour la distribution. Il faut aussi aller voir du c\u00f4t\u00e9 de la base de donn\u00e9es et v\u00e9rifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis \u00e0 jour peuvent \u00e9galement s\u2019accumuler et cr\u00e9er des distorsions. C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s tout cela qui m\u2019est tomb\u00e9 sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou n\u00e9gligence : le d\u00e9bat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilit\u00e9 (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de m\u00e9moire et d\u2019attention. La gravit\u00e9 du probl\u00e8me rencontr\u00e9 n\u2019est pas immense. J\u2019avais bien s\u00fbr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand m\u00eame, devoir tout refaire ne m\u2019amuse pas. Cela m\u2019oblige donc \u00e0 repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os pr\u00e8s os — mais sans doute avec un peu plus d\u2019exp\u00e9rience, ce qui se paie d\u2019\u00e9checs, comme il se doit. En attendant, je continue \u00e0 \u00e9crire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 quelques trouvailles dans la bo\u00eete — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d\u2019une imprimerie de poche pour cr\u00e9er des livres num\u00e9riques. Reste \u00e0 savoir ce que j\u2019y mets, dans ces livres. Ce n\u2019est pas l\u2019embarras du choix qui manque.<\/p>", "content_text": "J\u2019avais dit \"table rase\", pas pour rien. SPIP et MySQL m\u2019ont r\u00e9pondu en ch\u0153ur. Tout ce que j\u2019avais construit sur mon site local a \u00e9t\u00e9 mis par terre par l\u2019importation de ma base de donn\u00e9es distante vers mon PhpMyAdmin local. Au d\u00e9but, j\u2019ai temp\u00eat\u00e9. Des heures et des heures de boulot qui s\u2019envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident \u00e9tait plut\u00f4t une chance, que \u00e7a allait m\u2019aider. 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Contr\u00f4ler l’acc\u00e8s \u00e0 la nourriture, c’est contr\u00f4ler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organis\u00e9es, aux embargos, aux politiques agricoles. En m\u00eame temps qu’\u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision on aper\u00e7oit ces parachutages de denr\u00e9es sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du r\u00e9alisateur Tr\u1ea7n Anh H\u00f9ng. Il s\u2019est produit quelque chose d\u2019\u00e9trange \u00e0 cet instant. Une attirance et une r\u00e9pulsion dans un m\u00eame mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgr\u00e9 la qualit\u00e9 visuelle et sonore — surtout sonore — du film. \u00c7a m\u2019est rest\u00e9 en travers de la gorge. Soudain, cette surrepr\u00e9sentation de la bouffe m\u2019est apparue profond\u00e9ment obsc\u00e8ne. Mais pas plus, au fond, que ce qu\u2019on nous fait avaler sur papier glac\u00e9, dans les affiches publicitaires, sur les r\u00e9seaux sociaux. L\u2019importance que la nourriture a prise ces derni\u00e8res ann\u00e9es est consid\u00e9rable. Peut-\u00eatre que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les r\u00e9seaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait l\u00e0 d\u00e9j\u00e0 quelque chose d\u2019abject, mais j\u2019y accordais sans doute moins d\u2019importance. Peut-\u00eatre m\u00eame en ai-je profit\u00e9, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En \u00e9coutant le fr\u00e9missement du bouillon clair, les rissolements des foies, les r\u00f4tis en train de suer, j\u2019avais plut\u00f4t envie de d\u00e9gueuler qu\u2019autre chose. J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 vu ce film en 2023, je crois, et je n\u2019avais pas \u00e9prouv\u00e9 la naus\u00e9e \u00e0 un tel point. Cette c\u00e9l\u00e9bration m\u2019avait m\u00eame laiss\u00e9 admiratif, et en m\u00eame temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent \u00e0 l\u2019enfance, aux grandes tabl\u00e9es, aux aurores embaum\u00e9es par l\u2019odeur de br\u00fblure de pattes de volaille, par l\u2019oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l\u2019on se passe comme un relais dans les familles fran\u00e7aises de classe moyenne depuis des g\u00e9n\u00e9rations. Ce go\u00fbt de la bouffe, de la “bonne chair”, je le transporte encore dans mes g\u00e8nes. Ce n\u2019est pas faute d\u2019avoir essay\u00e9, \u00e0 tant de reprises, de m\u2019en s\u00e9parer. De traverser des p\u00e9riodes d\u2019aust\u00e9rit\u00e9, peut-\u00eatre dans l\u2019unique but de m\u2019en d\u00e9barrasser. Mais \u00e7a revient. Par le nez, par les papilles. C\u2019est plus fort que moi, comme on dit. Un r\u00e9flexe pavlovien de chien qui revient vers le ma\u00eetre, celui qui, \u00e0 la fois, le bat et le caresse. Une voix, tout au fond de moi, voudrait me ramener \u00e0 je ne sais quelle “raison”. Tu confonds tout, me dit-elle. Tu ne peux pas mettre sur un m\u00eame plan les exactions, les guerres, l’effroi des images que ces \u00e9v\u00e9nements charrient, avec l’atmosph\u00e8re tellement chaleureuse d’un film c\u00e9l\u00e9brant la gastronomie fran\u00e7aise. Tu ne peux pas, tu n\u2019en as pas le droit, continue-t-elle. Je l\u2019\u00e9coute, je la respecte. Mais pourtant, si je mets cela en parall\u00e8le, si je les place sur un m\u00eame plan, c\u2019est que le plan du d\u00e9go\u00fbt est devenu si vaste, une fois les apparences travers\u00e9es — les apparences tellement claires — ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas.<\/p>", "content_text": " Contr\u00f4ler l'acc\u00e8s \u00e0 la nourriture, c'est contr\u00f4ler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organis\u00e9es, aux embargos, aux politiques agricoles. En m\u00eame temps qu'\u00e0 la t\u00e9l\u00e9vision on aper\u00e7oit ces parachutages de denr\u00e9es sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du r\u00e9alisateur Tr\u1ea7n Anh H\u00f9ng. Il s\u2019est produit quelque chose d\u2019\u00e9trange \u00e0 cet instant. Une attirance et une r\u00e9pulsion dans un m\u00eame mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgr\u00e9 la qualit\u00e9 visuelle et sonore \u2014 surtout sonore \u2014 du film. \u00c7a m\u2019est rest\u00e9 en travers de la gorge. Soudain, cette surrepr\u00e9sentation de la bouffe m\u2019est apparue profond\u00e9ment obsc\u00e8ne. Mais pas plus, au fond, que ce qu\u2019on nous fait avaler sur papier glac\u00e9, dans les affiches publicitaires, sur les r\u00e9seaux sociaux. L\u2019importance que la nourriture a prise ces derni\u00e8res ann\u00e9es est consid\u00e9rable. Peut-\u00eatre que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les r\u00e9seaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait l\u00e0 d\u00e9j\u00e0 quelque chose d\u2019abject, mais j\u2019y accordais sans doute moins d\u2019importance. Peut-\u00eatre m\u00eame en ai-je profit\u00e9, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En \u00e9coutant le fr\u00e9missement du bouillon clair, les rissolements des foies, les r\u00f4tis en train de suer, j\u2019avais plut\u00f4t envie de d\u00e9gueuler qu\u2019autre chose. J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 vu ce film en 2023, je crois, et je n\u2019avais pas \u00e9prouv\u00e9 la naus\u00e9e \u00e0 un tel point. Cette c\u00e9l\u00e9bration m\u2019avait m\u00eame laiss\u00e9 admiratif, et en m\u00eame temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent \u00e0 l\u2019enfance, aux grandes tabl\u00e9es, aux aurores embaum\u00e9es par l\u2019odeur de br\u00fblure de pattes de volaille, par l\u2019oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l\u2019on se passe comme un relais dans les familles fran\u00e7aises de classe moyenne depuis des g\u00e9n\u00e9rations. Ce go\u00fbt de la bouffe, de la \u201cbonne chair\u201d, je le transporte encore dans mes g\u00e8nes. 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Mais pourtant, si je mets cela en parall\u00e8le, si je les place sur un m\u00eame plan, c\u2019est que le plan du d\u00e9go\u00fbt est devenu si vaste, une fois les apparences travers\u00e9es \u2014 les apparences tellement claires \u2014 ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3652.jpg?1753768925", "tags": ["hors-lieu"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/paupiere-tombante.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/paupiere-tombante.html", "title": "paupi\u00e8re tombante", "date_published": "2025-07-28T15:25:56Z", "date_modified": "2025-07-28T15:28:57Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
| \n Voir la honte au moment m\u00eame o\u00f9 elle vous prend, c\u2019est voir par en-dessous. Par d\u00e9faut. \u00c0 rebours. Ce n\u2019est plus une image, c\u2019est un voile. La honte n\u2019arrive pas de l\u2019ext\u00e9rieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un \u00e9cran bistre, opaque, fig\u00e9. Honte d\u2019\u00eatre l\u00e0. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu\u2019elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. | \n la honte au centre du paysage n\u2019arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion fig\u00e9. Autour, les all\u00e9es blanches dessinent une spirale h\u00e9sitante, Peu \u00e0 peu, il s\u2019enfonce dans ce que l\u2019on peut nommer une certaine morbidit\u00e9. Les nuits sont agit\u00e9es. Malgr\u00e9 l\u2019appareil respiratoire, elles restent morcel\u00e9es, agit\u00e9es, ces nuits. Et surtout, il n\u2019en loupe pas une pour prendre \u00e0 partie le ou la premi\u00e8re qui entre dans sa p\u00e9riph\u00e9rie.\n-- Vous avez vu ce scandale ? Ce mensonge ? Mais c\u2019est l\u2019apoth\u00e9ose, l\u2019apocalypse, ne le voyez-vous pas ?<\/p>\n Le technicien Free, cette fois, ne sait pas. Il a fait trois fois le tour du p\u00e2t\u00e9 de maisons, soulev\u00e9 une plaque de bronze dans la rue, sorti de l\u2019eau des paquets de c\u00e2bles. Puis il a tout referm\u00e9 en secouant la t\u00eate. Il ne sait pas. Il le dit, le r\u00e9p\u00e8te. Puis, soudain, il te demande o\u00f9 est le n°\u202f3 de la rue. C\u2019est l\u2019\u00e9picerie turque, ferm\u00e9e depuis des mois. Le probl\u00e8me est s\u00fbrement l\u00e0. M\u00eame si tout fonctionnait encore il y a deux semaines. Bref. Nous restons encore en connexion partag\u00e9e quelques jours. On a l\u2019habitude. Tellement qu\u2019on se demande pourquoi on garderait cet abonnement fibre, au bout du compte.<\/p>\n Ce qu\u2019il y a de rigolo, quand vous prenez \u00e0 partie les gens, c\u2019est que chacun va parler pour son propre parti. Ainsi, la pharmacienne me fait-elle signer une p\u00e9tition pour les pharmacies.\n-- Les petites pharmacies sont en train d\u2019\u00eatre d\u00e9vast\u00e9es, vous savez. Et tout \u00e7a pour maintenir le niveau de vie de nos d\u00e9put\u00e9s \u00e0 presque 8000 euros par mois. Les pauvres.\nEux, ils n\u2019ont pas, eux, de p\u00e9tition qu\u2019on pourrait aussi signer en passant. Apr\u00e8s tout.<\/p>\n Bref, tout \u00e7a cr\u00e9e une ambiance\u2026 Comment dit-on d\u00e9j\u00e0 ? D\u00e9l\u00e9t\u00e8re ? Nuisible, donc, qui vient du grec. On peut trouver aussi des synonymes comme \u00e9touffante, n\u00e9gative, pesante.<\/p>\n Ensuite, tout \u00e7a ne vient sans doute que de moi, me dis-je soudain. Ce sur quoi ma moiti\u00e9 rench\u00e9rit, trop contente :\n-- De toute fa\u00e7on, tout vient de toi. Il n\u2019y a pas \u00e0 tortiller.<\/p>\n Mais quelle vie, se dit-il en se frappant le front, sans que le moindre eur\u00eaka ne sorte de sa bouche.<\/p>\n Calme-toi.\nLe recours au mot d\u2019ordre comme le recours au rituel. Comme si l\u2019espoir qu\u2019il puisse encore r\u00e9sider un espoir dans ces recours convoquait quoi, dans le fond ? Le collectif ? Un sentiment d\u2019appartenance \u00e0 un collectif ?<\/p>\n Presque aussit\u00f4t, une bouff\u00e9e de d\u00e9sesp\u00e9rance face \u00e0 l\u2019esp\u00e9rance. Toujours ces \u00e9tranges ph\u00e9nom\u00e8nes binaires qui t\u2019assaillent. Tu n\u2019en veux pas, mais ils te collent aux basques. Cela fait partie du « c\u2019est plus fort que toi ». Merde. Qu\u2019attends-tu du collectif encore ? Tu dois bien en attendre quelque chose, encore, pour t\u2019enfoncer syst\u00e9matiquement dans cette image en noir et blanc. Les autres et moi, moi et les autres.<\/p>\n Tu peux aussi botter en touche. Tu en as parfaitement le droit. Te dire que tu t\u2019en fous. Ce qui, en g\u00e9n\u00e9ral, ne r\u00e9sout rien mais cr\u00e9e une sorte de « temps mort ». Quarante ans de temps morts. C\u2019est presque une vie enti\u00e8re. Merde.<\/p>\n Est-ce que le fait de dire simplement que tu n\u2019en attends rien te d\u00e9douane v\u00e9ritablement ? Il y a une sorte de politesse glac\u00e9e qui existe pour marquer le fait que tu es bel et bien l\u00e0, mais pas coll\u00e9 \u00e0 tous. Pas du tout coll\u00e9. C\u2019est-\u00e0-dire que tu adh\u00e8res poliment \u00e0 un certain nombre de r\u00e8gles de biens\u00e9ance. Sauf quand tu n\u2019y adh\u00e8res plus. Quand ces r\u00e8gles te paraissent si d\u00e9biles — surtout la violence qu\u2019elles recouvrent en g\u00e9n\u00e9ral — qu\u2019elles te font p\u00e9ter un plomb.<\/p>\n \u00c0 cet instant, plus rien ne peut sortir de ta bouche. Tu restes r\u00e9solument muet. Comme t\u00e9tanis\u00e9 par l\u2019absurdit\u00e9 ou l\u2019injustice. Et si l\u2019injustice est cit\u00e9e, c\u2019est parce que tu trouves v\u00e9ritablement injuste que l\u2019on te prenne pour un imb\u00e9cile \u00e0 ce point. Tu veux bien passer pour un imb\u00e9cile, pas de probl\u00e8me pour \u00e7a. Mais en \u00eatre un v\u00e9ritablement, non. \u00c7a, c\u2019est injuste.<\/p>\n Observation en passant.\nJ\u2019ai re\u00e7u environ une douzaine de commentaires pour l\u2019atelier Rectoverso. Auxquels j\u2019ai r\u00e9pondu par mail, en m\u2019appliquant \u00e0 lire les textes de chacun et m\u00eame en y faisant r\u00e9f\u00e9rence. Une seule personne m\u2019a r\u00e9pondu par mail en retour. Ce qui conforte mon intuition premi\u00e8re : que ces commentaires qui s\u2019\u00e9changent ne sont que de l\u2019esbroufe, du para\u00eetre, et pas grand-chose d\u2019autre. Je prends un malin plaisir \u00e0 r\u00e9gresser ainsi, parfois. J\u2019observe que le commentaire est un bon d\u00e9clencheur pour r\u00e9gresser rapidement.\nEnsuite, est-ce que je m\u2019int\u00e9resse \u00e0 la fa\u00e7on dont je suis per\u00e7u par ce collectif ? Non, je m\u2019en fiche. \u00c9videmment que je m\u2019en fiche. Le d\u00e9calage est tellement \u00e9norme entre ces textes qu\u2019on se partage et ces commentaires, souvent ridicules, que je m\u2019\u00e9tonne que nul n\u2019en parle jamais.<\/p>\n Cela me rappelle mon p\u00e8re. Tiens. Des trempes magistrales, puis quelques minutes plus tard le fameux « c\u2019\u00e9tait pour rire », « viens me faire un c\u00e2lin »\u2026 Ce mod\u00e8le de double bind appliqu\u00e9 aux ateliers d\u2019\u00e9criture.\nMais je suis peut-\u00eatre v\u00e9ritablement cingl\u00e9. La plupart des gens sont \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de mes raisonnements. Il ne faut pas oublier \u00e7a aussi.\nMais quand m\u00eame, si on \u00e9crit et qu\u2019on ignore \u00e7a\u2026 merde.<\/p>", "content_text": " Peu \u00e0 peu, il s\u2019enfonce dans ce que l\u2019on peut nommer une certaine morbidit\u00e9. Les nuits sont agit\u00e9es. Malgr\u00e9 l\u2019appareil respiratoire, elles restent morcel\u00e9es, agit\u00e9es, ces nuits. Et surtout, il n\u2019en loupe pas une pour prendre \u00e0 partie le ou la premi\u00e8re qui entre dans sa p\u00e9riph\u00e9rie. \u2014 Vous avez vu ce scandale ? Ce mensonge ? Mais c\u2019est l\u2019apoth\u00e9ose, l\u2019apocalypse, ne le voyez-vous pas ? Le technicien Free, cette fois, ne sait pas. Il a fait trois fois le tour du p\u00e2t\u00e9 de maisons, soulev\u00e9 une plaque de bronze dans la rue, sorti de l\u2019eau des paquets de c\u00e2bles. Puis il a tout referm\u00e9 en secouant la t\u00eate. Il ne sait pas. Il le dit, le r\u00e9p\u00e8te. Puis, soudain, il te demande o\u00f9 est le n\u00b0 3 de la rue. C\u2019est l\u2019\u00e9picerie turque, ferm\u00e9e depuis des mois. Le probl\u00e8me est s\u00fbrement l\u00e0. M\u00eame si tout fonctionnait encore il y a deux semaines. Bref. Nous restons encore en connexion partag\u00e9e quelques jours. On a l\u2019habitude. Tellement qu\u2019on se demande pourquoi on garderait cet abonnement fibre, au bout du compte. Ce qu\u2019il y a de rigolo, quand vous prenez \u00e0 partie les gens, c\u2019est que chacun va parler pour son propre parti. Ainsi, la pharmacienne me fait-elle signer une p\u00e9tition pour les pharmacies. \u2014 Les petites pharmacies sont en train d\u2019\u00eatre d\u00e9vast\u00e9es, vous savez. Et tout \u00e7a pour maintenir le niveau de vie de nos d\u00e9put\u00e9s \u00e0 presque 8000 euros par mois. Les pauvres. Eux, ils n\u2019ont pas, eux, de p\u00e9tition qu\u2019on pourrait aussi signer en passant. Apr\u00e8s tout. Bref, tout \u00e7a cr\u00e9e une ambiance\u2026 Comment dit-on d\u00e9j\u00e0 ? D\u00e9l\u00e9t\u00e8re ? Nuisible, donc, qui vient du grec. On peut trouver aussi des synonymes comme \u00e9touffante, n\u00e9gative, pesante. Ensuite, tout \u00e7a ne vient sans doute que de moi, me dis-je soudain. Ce sur quoi ma moiti\u00e9 rench\u00e9rit, trop contente : \u2014 De toute fa\u00e7on, tout vient de toi. Il n\u2019y a pas \u00e0 tortiller. Mais quelle vie, se dit-il en se frappant le front, sans que le moindre eur\u00eaka ne sorte de sa bouche. Calme-toi. Le recours au mot d\u2019ordre comme le recours au rituel. Comme si l\u2019espoir qu\u2019il puisse encore r\u00e9sider un espoir dans ces recours convoquait quoi, dans le fond ? Le collectif ? Un sentiment d\u2019appartenance \u00e0 un collectif ? Presque aussit\u00f4t, une bouff\u00e9e de d\u00e9sesp\u00e9rance face \u00e0 l\u2019esp\u00e9rance. Toujours ces \u00e9tranges ph\u00e9nom\u00e8nes binaires qui t\u2019assaillent. Tu n\u2019en veux pas, mais ils te collent aux basques. Cela fait partie du \"c\u2019est plus fort que toi\". Merde. Qu\u2019attends-tu du collectif encore ? Tu dois bien en attendre quelque chose, encore, pour t\u2019enfoncer syst\u00e9matiquement dans cette image en noir et blanc. Les autres et moi, moi et les autres. Tu peux aussi botter en touche. Tu en as parfaitement le droit. Te dire que tu t\u2019en fous. Ce qui, en g\u00e9n\u00e9ral, ne r\u00e9sout rien mais cr\u00e9e une sorte de \"temps mort\". Quarante ans de temps morts. C\u2019est presque une vie enti\u00e8re. Merde. Est-ce que le fait de dire simplement que tu n\u2019en attends rien te d\u00e9douane v\u00e9ritablement ? Il y a une sorte de politesse glac\u00e9e qui existe pour marquer le fait que tu es bel et bien l\u00e0, mais pas coll\u00e9 \u00e0 tous. Pas du tout coll\u00e9. C\u2019est-\u00e0-dire que tu adh\u00e8res poliment \u00e0 un certain nombre de r\u00e8gles de biens\u00e9ance. Sauf quand tu n\u2019y adh\u00e8res plus. Quand ces r\u00e8gles te paraissent si d\u00e9biles \u2014 surtout la violence qu\u2019elles recouvrent en g\u00e9n\u00e9ral \u2014 qu\u2019elles te font p\u00e9ter un plomb. \u00c0 cet instant, plus rien ne peut sortir de ta bouche. Tu restes r\u00e9solument muet. Comme t\u00e9tanis\u00e9 par l\u2019absurdit\u00e9 ou l\u2019injustice. Et si l\u2019injustice est cit\u00e9e, c\u2019est parce que tu trouves v\u00e9ritablement injuste que l\u2019on te prenne pour un imb\u00e9cile \u00e0 ce point. Tu veux bien passer pour un imb\u00e9cile, pas de probl\u00e8me pour \u00e7a. Mais en \u00eatre un v\u00e9ritablement, non. \u00c7a, c\u2019est injuste. Observation en passant. J\u2019ai re\u00e7u environ une douzaine de commentaires pour l\u2019atelier Rectoverso. Auxquels j\u2019ai r\u00e9pondu par mail, en m\u2019appliquant \u00e0 lire les textes de chacun et m\u00eame en y faisant r\u00e9f\u00e9rence. Une seule personne m\u2019a r\u00e9pondu par mail en retour. Ce qui conforte mon intuition premi\u00e8re : que ces commentaires qui s\u2019\u00e9changent ne sont que de l\u2019esbroufe, du para\u00eetre, et pas grand-chose d\u2019autre. Je prends un malin plaisir \u00e0 r\u00e9gresser ainsi, parfois. J\u2019observe que le commentaire est un bon d\u00e9clencheur pour r\u00e9gresser rapidement. Ensuite, est-ce que je m\u2019int\u00e9resse \u00e0 la fa\u00e7on dont je suis per\u00e7u par ce collectif ? Non, je m\u2019en fiche. \u00c9videmment que je m\u2019en fiche. Le d\u00e9calage est tellement \u00e9norme entre ces textes qu\u2019on se partage et ces commentaires, souvent ridicules, que je m\u2019\u00e9tonne que nul n\u2019en parle jamais. Cela me rappelle mon p\u00e8re. Tiens. Des trempes magistrales, puis quelques minutes plus tard le fameux \"c\u2019\u00e9tait pour rire\", \"viens me faire un c\u00e2lin\"\u2026 Ce mod\u00e8le de double bind appliqu\u00e9 aux ateliers d\u2019\u00e9criture. Mais je suis peut-\u00eatre v\u00e9ritablement cingl\u00e9. La plupart des gens sont \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de mes raisonnements. Il ne faut pas oublier \u00e7a aussi. Mais quand m\u00eame, si on \u00e9crit et qu\u2019on ignore \u00e7a\u2026 merde. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3645.jpg?1753691013", "tags": ["hors-lieu"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/tension-silencieuse.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/tension-silencieuse.html", "title": "Tension silencieuse", "date_published": "2025-07-25T14:36:57Z", "date_modified": "2025-07-25T14:36:57Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": " recto<\/strong><\/p>\n Le bleu de travail. Le plus souvent caf\u00e9, selon ce que dit Talleyrand. Fort. Enfer. Les yeux poch\u00e9s, jamais de bacon. Raide comme la justice derri\u00e8re le genou, ce qui n\u2019aide pas \u00e0 plier.<\/p>\n Le pain. Il remplit un trou, temporairement. Un go\u00fbt de sueur, \u00e9videmment. Pas de croix au dos avec un couteau, pas de b\u00e9n\u00e9dicit\u00e9. Le pain nous m\u00e8ne \u00e0 la baguette.<\/p>\n La cuisine. Petit coin \u00e9troit, confortable. Il faut rentrer son ventre pour s\u2019asseoir en bout de table. Un peu de dignit\u00e9 : se laver les mains des propos diffus\u00e9s par le poste. Apercevoir des pigeons, fr\u00e8res et s\u0153urs, \u00e0 la fen\u00eatre.<\/p>\n verso<\/strong><\/p>\n La Clark. Rebelle, elle baille aux corneilles. D\u00e9marche souple, un peu trop. Comme une danse auguste, une clownerie r\u00e9sistante. Elle lutte, sans pancarte, contre le cirage de pompes g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9. L\u2019odeur devient suffocante, sur le tard.<\/p>\n La soupe au lait. Elle indique le soir mieux que la pendule. Sa forme d\u00e9pend de l\u2019humeur, du fond du placard. \u00c0 boire et \u00e0 manger. Un tout-en-un qui s\u2019avale chaud, ti\u00e8de, rarement froid.<\/p>\n L\u2019appentis. Il sent la peau de poisson s\u00e9ch\u00e9, la vieille ficelle, le caoutchouc des bottes. Bard\u00e9 de bois \u00e0 n\u0153uds, bon march\u00e9. Couvert de t\u00f4le ondul\u00e9e. Une accumulation de choses, qui semble du d\u00e9sordre, mais qui ne l\u2019est pas.<\/p>",
"content_text": " **recto** Le bleu de travail. Le plus souvent caf\u00e9, selon ce que dit Talleyrand. Fort. Enfer. Les yeux poch\u00e9s, jamais de bacon. Raide comme la justice derri\u00e8re le genou, ce qui n\u2019aide pas \u00e0 plier. Le pain. Il remplit un trou, temporairement. Un go\u00fbt de sueur, \u00e9videmment. Pas de croix au dos avec un couteau, pas de b\u00e9n\u00e9dicit\u00e9. Le pain nous m\u00e8ne \u00e0 la baguette. La cuisine. Petit coin \u00e9troit, confortable. Il faut rentrer son ventre pour s\u2019asseoir en bout de table. Un peu de dignit\u00e9 : se laver les mains des propos diffus\u00e9s par le poste. Apercevoir des pigeons, fr\u00e8res et s\u0153urs, \u00e0 la fen\u00eatre. **verso** La Clark. Rebelle, elle baille aux corneilles. D\u00e9marche souple, un peu trop. Comme une danse auguste, une clownerie r\u00e9sistante. Elle lutte, sans pancarte, contre le cirage de pompes g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9. L\u2019odeur devient suffocante, sur le tard. La soupe au lait. Elle indique le soir mieux que la pendule. Sa forme d\u00e9pend de l\u2019humeur, du fond du placard. \u00c0 boire et \u00e0 manger. Un tout-en-un qui s\u2019avale chaud, ti\u00e8de, rarement froid. L\u2019appentis. Il sent la peau de poisson s\u00e9ch\u00e9, la vieille ficelle, le caoutchouc des bottes. Bard\u00e9 de bois \u00e0 n\u0153uds, bon march\u00e9. Couvert de t\u00f4le ondul\u00e9e. Une accumulation de choses, qui semble du d\u00e9sordre, mais qui ne l\u2019est pas. ",
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"title": "Amer Ca\u00efn",
"date_published": "2025-07-25T06:26:43Z",
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"content_html": " recto<\/strong><\/p>\n Il m\u2019est soudain devenu difficile d\u2019\u00e9crire comme de parler. Impression que tout ce que je peux dire ou \u00e9crire sera de toute fa\u00e7on faux, inint\u00e9ressant, ridicule. J\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00eatre revenu des ann\u00e9es en arri\u00e8re. Peut-\u00eatre 79 ou 80. C\u2019est si loin. Je ne me souviens que de cette difficult\u00e9 \u00e0 dire que j\u2019avais retrouv\u00e9e dans l\u2019envie d\u2019\u00e9crire. La difficult\u00e9 de dire, en y r\u00e9fl\u00e9chissant, remonte \u00e0 bien plus loin. Elle est associ\u00e9e \u00e0 l\u2019enfance. C\u2019est qu\u2019on ne prenait pas la parole si facilement. Ou peut-\u00eatre que la parole des enfants \u00e9tait du pipi de chat. Tiens. C\u2019est venu comme \u00e7a. Du pipi de chat. C\u2019est-\u00e0-dire rien, ou presque.\nC\u2019est difficile de ne pas inventer. De dire les choses telles qu\u2019elles sont. Ce que l\u2019on appelle « dire la v\u00e9rit\u00e9 ». Comme ils disent. Une fois j\u2019ai voulu tuer tout le monde \u00e0 cause de \u00e7a. Quelle v\u00e9rit\u00e9. C\u2019est au m\u00eame moment que je cesse de parler de toi. Je crois qu\u2019il y a un lien avec cette histoire de v\u00e9rit\u00e9. De toute fa\u00e7on, on ne me croit pas. On dit que j\u2019invente, quand on ne dit pas que je mens.\nJe me vois entrer dans une librairie pr\u00e8s de la gare de l\u2019Est, acheter ce premier carnet de la marque Clairefontaine, couverture verte \u00e0 motif \u00e9cossais, petits carreaux. Et un feutre le plus fin possible, le plus fin cela devait \u00eatre du 0,5. Et cette envie d\u2019\u00e9crire, d\u2019o\u00f9 vient-elle sinon de cette impossibilit\u00e9 de dire qui remonte. Une acidit\u00e9. Et je crois que tu es associ\u00e9 \u00e0 tout cela. Je ne m\u2019en rends pas compte encore. Pour l\u2019instant j\u2019ouvre le carnet, est-ce que je dois \u00e9crire tout de suite sur la premi\u00e8re page ? Ou bien peut-\u00eatre laisser une page libre, \u00e9crire sur celle d\u2019apr\u00e8s. C\u2019est une question. C\u2019est un pr\u00e9texte. Il faut que je mette la date pour ne pas oublier. Quoi. Je n\u2019en sais rien. C\u2019est sans doute une habitude qui revient avec la difficult\u00e9. Qui l\u2019accompagne. Inscrire la date du jour, en marge sur un cahier. Je te vois ricaner. Tu te moques de mes vell\u00e9it\u00e9s d\u2019application. Tu essaies de me dire quelque chose que je ne d\u00e9sire pas entendre. Que je repousse. L\u2019exact contraire de ce que tout le monde autour me dit. Applique-toi et\u2026 tu obtiendras, tu auras, tu pourras. Cette fois tu ris franchement. Je le retrouve, ce rire. Non, je ne dis pas que tu ris de bon c\u0153ur. Ce ne serait pas la bonne expression.\nTu ris tristement. C\u2019est une chose que je n\u2019avais encore jamais relev\u00e9e. Et maintenant je peux accoler ces deux mots, rire et tristement. Et c\u2019est toi. C\u2019est tellement toi. Cela je ne peux pas l\u2019exprimer la premi\u00e8re fois. J\u2019\u00e9prouve une peur inou\u00efe en entendant ce rire. Il y a quelque chose qui ne va pas. C\u2019est \u00e9vident. Cela saute aux yeux — ou \u00e0 l\u2019oreille plut\u00f4t. Cette fausset\u00e9 apparente qui vient briser l\u2019id\u00e9e de justesse apprise.<\/p>\n verso<\/strong><\/p>\n Tu m\u2019as laiss\u00e9 tomber l\u2019\u00e9t\u00e9 1967, pour \u00eatre pr\u00e9cis. \u00c7a s\u2019est pass\u00e9 en fin de journ\u00e9e, vers 18 heures, je m\u2019en souviens comme si c\u2019\u00e9tait hier. Tu \u00e9tais en train de tailler des fl\u00e8ches en vue de tuer le plus de monde possible. J\u2019arrangeais les plumes des empennages, nous \u00e9tions l\u00e0 tous les deux juch\u00e9s sur la tonnelle, concentr\u00e9s sur notre col\u00e8re. Cette col\u00e8re qui, le croyais-je, nous soudait. Et puis tu as d\u00e9tourn\u00e9 le regard, il y a eu ce bruit dans l\u2019escalier de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 du grillage, chez Muguette, la voisine. Des gens arrivent. Ce sont des \u00e9trangers. Des Am\u00e9ricains. Tu te souviens de ce mot. Am\u00e9ricains. Je n\u2019arrive toujours pas \u00e0 comprendre l\u2019effet que ce mot a pu avoir sur toi. Est-ce que c\u2019est parce qu\u2019il contient \u00e2me, ce mot. Amer. Ca\u00efn. Est-ce que c\u2019est parce qu\u2019on vient d\u2019enterrer l\u2019arri\u00e8re-grand-p\u00e8re. L\u2019\u0153il dans la tombe. L\u2019Hypnose de vouloir croire en quelque chose. Ces choses \u00e9tranges que tu apprends au cat\u00e9chisme. Je te rappelle les choses telles que je les ai vues et entendues. Rien de moins, rien de plus. D\u2019ailleurs, Jennifer, si tu veux le savoir, je nie faire est beaucoup moins fort qu\u2019Amer Ca\u00efn J\u2019esp\u00e8re que tu t\u2019en rends compte toi aussi \u00e0 pr\u00e9sent. Mon pauvre vieux, tu es tomb\u00e9 dans tous les panneaux. Heureusement que j\u2019\u00e9tais l\u00e0, sinon je n\u2019aurais pas donn\u00e9 cher de tes os. Il fallait que j\u2019en aie, de la patience. Pourquoi ai-je eu tant de patience. Tu pourrais trouver \u00e7a suspect un jour. Une patience suspecte, c\u2019est aussi bizarre qu\u2019un rire triste, tu ne trouves pas.<\/p>",
"content_text": " **recto** Il m\u2019est soudain devenu difficile d\u2019\u00e9crire comme de parler. Impression que tout ce que je peux dire ou \u00e9crire sera de toute fa\u00e7on faux, inint\u00e9ressant, ridicule. J\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00eatre revenu des ann\u00e9es en arri\u00e8re. Peut-\u00eatre 79 ou 80. C\u2019est si loin. Je ne me souviens que de cette difficult\u00e9 \u00e0 dire que j\u2019avais retrouv\u00e9e dans l\u2019envie d\u2019\u00e9crire. La difficult\u00e9 de dire, en y r\u00e9fl\u00e9chissant, remonte \u00e0 bien plus loin. Elle est associ\u00e9e \u00e0 l\u2019enfance. C\u2019est qu\u2019on ne prenait pas la parole si facilement. Ou peut-\u00eatre que la parole des enfants \u00e9tait du pipi de chat. Tiens. C\u2019est venu comme \u00e7a. Du pipi de chat. C\u2019est-\u00e0-dire rien, ou presque. C\u2019est difficile de ne pas inventer. De dire les choses telles qu\u2019elles sont. Ce que l\u2019on appelle \u00ab dire la v\u00e9rit\u00e9 \u00bb. Comme ils disent. Une fois j\u2019ai voulu tuer tout le monde \u00e0 cause de \u00e7a. Quelle v\u00e9rit\u00e9. C\u2019est au m\u00eame moment que je cesse de parler de toi. Je crois qu\u2019il y a un lien avec cette histoire de v\u00e9rit\u00e9. De toute fa\u00e7on, on ne me croit pas. On dit que j\u2019invente, quand on ne dit pas que je mens. Je me vois entrer dans une librairie pr\u00e8s de la gare de l\u2019Est, acheter ce premier carnet de la marque Clairefontaine, couverture verte \u00e0 motif \u00e9cossais, petits carreaux. Et un feutre le plus fin possible, le plus fin cela devait \u00eatre du 0,5. Et cette envie d\u2019\u00e9crire, d\u2019o\u00f9 vient-elle sinon de cette impossibilit\u00e9 de dire qui remonte. Une acidit\u00e9. Et je crois que tu es associ\u00e9 \u00e0 tout cela. Je ne m\u2019en rends pas compte encore. Pour l\u2019instant j\u2019ouvre le carnet, est-ce que je dois \u00e9crire tout de suite sur la premi\u00e8re page ? Ou bien peut-\u00eatre laisser une page libre, \u00e9crire sur celle d\u2019apr\u00e8s. C\u2019est une question. C\u2019est un pr\u00e9texte. Il faut que je mette la date pour ne pas oublier. Quoi. Je n\u2019en sais rien. C\u2019est sans doute une habitude qui revient avec la difficult\u00e9. Qui l\u2019accompagne. Inscrire la date du jour, en marge sur un cahier. Je te vois ricaner. Tu te moques de mes vell\u00e9it\u00e9s d\u2019application. Tu essaies de me dire quelque chose que je ne d\u00e9sire pas entendre. Que je repousse. L\u2019exact contraire de ce que tout le monde autour me dit. Applique-toi et\u2026 tu obtiendras, tu auras, tu pourras. Cette fois tu ris franchement. Je le retrouve, ce rire. Non, je ne dis pas que tu ris de bon c\u0153ur. Ce ne serait pas la bonne expression. Tu ris tristement. C\u2019est une chose que je n\u2019avais encore jamais relev\u00e9e. Et maintenant je peux accoler ces deux mots, rire et tristement. Et c\u2019est toi. C\u2019est tellement toi. Cela je ne peux pas l\u2019exprimer la premi\u00e8re fois. J\u2019\u00e9prouve une peur inou\u00efe en entendant ce rire. Il y a quelque chose qui ne va pas. C\u2019est \u00e9vident. Cela saute aux yeux \u2014 ou \u00e0 l\u2019oreille plut\u00f4t. Cette fausset\u00e9 apparente qui vient briser l\u2019id\u00e9e de justesse apprise. **verso** Tu m\u2019as laiss\u00e9 tomber l\u2019\u00e9t\u00e9 1967, pour \u00eatre pr\u00e9cis. \u00c7a s\u2019est pass\u00e9 en fin de journ\u00e9e, vers 18 heures, je m\u2019en souviens comme si c\u2019\u00e9tait hier. Tu \u00e9tais en train de tailler des fl\u00e8ches en vue de tuer le plus de monde possible. J\u2019arrangeais les plumes des empennages, nous \u00e9tions l\u00e0 tous les deux juch\u00e9s sur la tonnelle, concentr\u00e9s sur notre col\u00e8re. Cette col\u00e8re qui, le croyais-je, nous soudait. Et puis tu as d\u00e9tourn\u00e9 le regard, il y a eu ce bruit dans l\u2019escalier de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 du grillage, chez Muguette, la voisine. Des gens arrivent. Ce sont des \u00e9trangers. Des Am\u00e9ricains. Tu te souviens de ce mot. Am\u00e9ricains. Je n\u2019arrive toujours pas \u00e0 comprendre l\u2019effet que ce mot a pu avoir sur toi. Est-ce que c\u2019est parce qu\u2019il contient \u00e2me, ce mot. Amer. Ca\u00efn. Est-ce que c\u2019est parce qu\u2019on vient d\u2019enterrer l\u2019arri\u00e8re-grand-p\u00e8re. L\u2019\u0153il dans la tombe. L\u2019Hypnose de vouloir croire en quelque chose. Ces choses \u00e9tranges que tu apprends au cat\u00e9chisme. Je te rappelle les choses telles que je les ai vues et entendues. Rien de moins, rien de plus. D\u2019ailleurs, Jennifer, si tu veux le savoir, je nie faire est beaucoup moins fort qu\u2019Amer Ca\u00efn J\u2019esp\u00e8re que tu t\u2019en rends compte toi aussi \u00e0 pr\u00e9sent. Mon pauvre vieux, tu es tomb\u00e9 dans tous les panneaux. Heureusement que j\u2019\u00e9tais l\u00e0, sinon je n\u2019aurais pas donn\u00e9 cher de tes os. Il fallait que j\u2019en aie, de la patience. Pourquoi ai-je eu tant de patience. Tu pourrais trouver \u00e7a suspect un jour. Une patience suspecte, c\u2019est aussi bizarre qu\u2019un rire triste, tu ne trouves pas. ",
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"date_modified": "2025-07-25T06:38:09Z",
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