{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-silence.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-silence.html", "title": "Le silence", "date_published": "2020-03-26T03:33:54Z", "date_modified": "2025-07-09T15:12:50Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
\n

Le Silence<\/h2>\n

Texte initial<\/h3>\n
\n

Mon grand-p\u00e8re, le p\u00e8re de mon p\u00e8re, pouvait rester dans le silence durant des jours entiers.<\/p>\n

Lorsque je me rendais chez lui en vacances, il venait me chercher sur le quai de la petite gare de Vallon-en-Sully, me saluait d\u2019un bon sourire en m\u2019\u00e9bouriffant les cheveux, puis nous prenions la route vers Chazemais dans la vieille Ami 8 toussotante, tirant un peu \u00e0 gauche.<\/p>\n

Une nuit, alors que mon train \u00e9tait arriv\u00e9 tard, nous heurt\u00e2mes la 2CV de la coiffeuse de Chazemais qui se rendait au bal.<\/p>\n

J\u2019avais 12 ans.\nPremier accident.\nLe choc fut lent, comme ralenti.<\/p>\n

Grand-p\u00e8re ne dit rien.\nLa coiffeuse, elle, hurlait : jambe bris\u00e9e.<\/p>\n

Les phares de l\u2019Ami 8 rest\u00e8rent allum\u00e9s.\nPuis les gendarmes. Puis l\u2019ambulance. Puis la d\u00e9panneuse.\nPuis la maison.<\/p>\n

Grand-m\u00e8re nous attendait, furieuse.\nNous mange\u00e2mes peu, puis dorm\u00eemes.\nGrand-p\u00e8re ronfla.<\/p>\n

Les vacances commenc\u00e8rent.\nJe marchais.\nJe fuyais l\u2019ennui, les vieux silencieux, le tic-tac glacial de l\u2019horloge.<\/p>\n

Parfois, sans pr\u00e9venir, il racontait. Toujours les m\u00eames histoires, peut-\u00eatre dans un autre ordre.\nJe restais, j\u2019\u00e9coutais.\nGrand-m\u00e8re passait en marmonnant : « tu radotes, le vieux. »<\/p>\n

Puis je grandis.\nJe vagabondais loin, jusqu\u2019\u00e0 Saint-Amand, jusqu\u2019\u00e0 la for\u00eat.<\/p>\n

Je portais des plaques de m\u00e9tal pour les forains.\nJe jouais de la guitare dans des bals.\nJe chantais “Bebop-a-lula”.<\/p>\n

J\u2019aurais voulu lui parler des filles.\nMais il ne r\u00e9pondait jamais.\nSeulement des “oui, oui, oui” pour clore l\u2019\u00e9change.<\/p>\n

Il racontait, je l\u2019interrompais, il se taisait, laissait passer le silence comme un train. Puis reprenait, sans r\u00e9pondre.<\/p>\n

Alors je fuyais.\nJe me rassurais.\nD\u2019autres sauraient peut-\u00eatre r\u00e9pondre.<\/p>\n

Les nuits avec les forains \u00e9taient vives.\nLes jours \u00e0 la ferme, fig\u00e9s.<\/p>\n

Plus je grandissais, plus il se taisait.\nIl murmurait pour lui, yeux perdus, l\u00e8vres anim\u00e9es.\nIl savait.\nIl savait que \u00e7a n\u2019int\u00e9ressait plus personne.<\/p>\n

J\u2019ai voulu fuir aussi.\nIstanbul, en bus depuis la Villette.<\/p>\n

Six mois de r\u00eave.\n\u00c0 mon retour, elle m\u2019a quitt\u00e9.\nJ\u2019ai err\u00e9.<\/p>\n

J\u2019ai voulu raconter, moi aussi.\nMais les autres s\u2019en fichaient.\nLeurs regards partaient ailleurs.<\/p>\n

Alors j\u2019ai appris \u00e0 me taire.\nPendant longtemps.<\/p>\n

Avant trente ans, j\u2019\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 vieux.\nPlus d\u2019illusions.<\/p>\n

Alors j\u2019ai fait autrement.\nJe me suis assis, seul.\nEt j\u2019ai \u00e9crit.<\/p>\n<\/blockquote>\n


\n

R\u00e9duction 1<\/h3>\n

Gare vide. Vieil homme. Voiture. Toux du moteur. Pas de mots. Route. Nuit.<\/p>\n

Choc.<\/p>\n

Femme cass\u00e9e. Lumi\u00e8re blanche. Rien \u00e0 dire.<\/p>\n

Maison. Horloge. Silence lourd.<\/p>\n

Il parlait parfois. Toujours les m\u00eames histoires. Pas pour moi. Pour lui.<\/p>\n

Il parlait. J\u2019\u00e9coutais. Puis j\u2019attendais que \u00e7a finisse.<\/p>\n

Il se taisait de plus en plus. Moi je partais.<\/p>\n

Forains. Bal. Guitare. Filles. Retours tardifs. Odeur d\u2019essence.<\/p>\n

J\u2019aurais voulu parler. Je n\u2019ai pas su. Il n\u2019\u00e9coutait pas. Je me suis tu.<\/p>\n

Il disait “oui, oui, oui”. Puis plus rien.<\/p>\n

Plus tard, moi aussi. Histoires. Istanbul. Personne n\u2019\u00e9coutait.<\/p>\n

Alors silence.<\/p>\n

Plus de mots. Plus d\u2019oreilles.<\/p>\n

Table. Papier. T\u00eate baiss\u00e9e.<\/p>\n

J\u2019\u00e9cris. Parce que je ne parle plus.<\/p>\n

R\u00e9duction 2<\/h3>\n

Il ne parlait pas.\nJamais.\nJe l\u2019\u00e9coutais ne rien dire.\n\u00c7a tenait lieu d\u2019histoire.<\/p>\n

Un accident.\nUn choc lent.\nUn cri de femme.\nLui, muet.<\/p>\n

Des vacances.\nDu silence.\nL\u2019horloge, la peur.<\/p>\n

Parfois, il parlait.\nToujours les m\u00eames.\nToujours autrement.<\/p>\n

Je grandissais.\nJe fuyais.\nJe portais.\nJe chantais.<\/p>\n

J\u2019aurais voulu lui dire.\nMais il disait “oui, oui, oui.”\nSans entendre.<\/p>\n

Alors j\u2019ai fui.\nLoin.\nIstanbul.\nPuis la perte.\nPuis le silence.<\/p>\n

J\u2019ai voulu raconter.\nOn ne m\u2019\u00e9coutait pas.\nJe me suis tu.<\/p>\n

Je me suis assis.\nJ\u2019ai \u00e9crit.<\/p>\n


\n

English<\/h3>\n

He didn\u2019t speak.\nNot a word.\nI listened to his silence.\nThat was the story.<\/p>\n

An accident.\nSlow crash.\nA woman screamed.\nHe said nothing.<\/p>\n

Holidays.\nSilence.\nThe clock, the dread.<\/p>\n

Sometimes, he spoke.\nSame stories.\nDifferent order.<\/p>\n

I grew.\nI wandered.\nI carried.\nI sang.<\/p>\n

I wanted to tell him.\nHe said “yes, yes, yes.”\nTo nothing.<\/p>\n

So I left.\nFar.\nIstanbul.\nThen loss.\nThen quiet.<\/p>\n

I tried to tell.\nThey looked away.\nI shut up.<\/p>\n

I sat.\nAlone.\nAnd wrote.<\/p>", "content_text": " --- ## Le Silence ### Texte initial > Mon grand-p\u00e8re, le p\u00e8re de mon p\u00e8re, pouvait rester dans le silence durant des jours entiers. > > Lorsque je me rendais chez lui en vacances, il venait me chercher sur le quai de la petite gare de Vallon-en-Sully, me saluait d\u2019un bon sourire en m\u2019\u00e9bouriffant les cheveux, puis nous prenions la route vers Chazemais dans la vieille Ami 8 toussotante, tirant un peu \u00e0 gauche. > > Une nuit, alors que mon train \u00e9tait arriv\u00e9 tard, nous heurt\u00e2mes la 2CV de la coiffeuse de Chazemais qui se rendait au bal. > > J\u2019avais 12 ans. > Premier accident. > Le choc fut lent, comme ralenti. > > Grand-p\u00e8re ne dit rien. > La coiffeuse, elle, hurlait : jambe bris\u00e9e. > > Les phares de l\u2019Ami 8 rest\u00e8rent allum\u00e9s. > Puis les gendarmes. Puis l\u2019ambulance. Puis la d\u00e9panneuse. > Puis la maison. > > Grand-m\u00e8re nous attendait, furieuse. > Nous mange\u00e2mes peu, puis dorm\u00eemes. > Grand-p\u00e8re ronfla. > > Les vacances commenc\u00e8rent. > Je marchais. > Je fuyais l\u2019ennui, les vieux silencieux, le tic-tac glacial de l\u2019horloge. > > Parfois, sans pr\u00e9venir, il racontait. Toujours les m\u00eames histoires, peut-\u00eatre dans un autre ordre. > Je restais, j\u2019\u00e9coutais. > Grand-m\u00e8re passait en marmonnant : \u00ab tu radotes, le vieux. \u00bb > > Puis je grandis. > Je vagabondais loin, jusqu\u2019\u00e0 Saint-Amand, jusqu\u2019\u00e0 la for\u00eat. > > Je portais des plaques de m\u00e9tal pour les forains. > Je jouais de la guitare dans des bals. > Je chantais \u201cBebop-a-lula\u201d. > > J\u2019aurais voulu lui parler des filles. > Mais il ne r\u00e9pondait jamais. > Seulement des \u201coui, oui, oui\u201d pour clore l\u2019\u00e9change. > > Il racontait, je l\u2019interrompais, il se taisait, laissait passer le silence comme un train. Puis reprenait, sans r\u00e9pondre. > > Alors je fuyais. > Je me rassurais. > D\u2019autres sauraient peut-\u00eatre r\u00e9pondre. > > Les nuits avec les forains \u00e9taient vives. > Les jours \u00e0 la ferme, fig\u00e9s. > > Plus je grandissais, plus il se taisait. > Il murmurait pour lui, yeux perdus, l\u00e8vres anim\u00e9es. > Il savait. > Il savait que \u00e7a n\u2019int\u00e9ressait plus personne. > > J\u2019ai voulu fuir aussi. > Istanbul, en bus depuis la Villette. > > Six mois de r\u00eave. > \u00c0 mon retour, elle m\u2019a quitt\u00e9. > J\u2019ai err\u00e9. > > J\u2019ai voulu raconter, moi aussi. > Mais les autres s\u2019en fichaient. > Leurs regards partaient ailleurs. > > Alors j\u2019ai appris \u00e0 me taire. > Pendant longtemps. > > Avant trente ans, j\u2019\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 vieux. > Plus d\u2019illusions. > > Alors j\u2019ai fait autrement. > Je me suis assis, seul. > Et j\u2019ai \u00e9crit. --- ### R\u00e9duction 1 Gare vide. Vieil homme. Voiture. Toux du moteur. Pas de mots. Route. Nuit. Choc. Femme cass\u00e9e. Lumi\u00e8re blanche. Rien \u00e0 dire. Maison. Horloge. Silence lourd. Il parlait parfois. Toujours les m\u00eames histoires. Pas pour moi. Pour lui. Il parlait. J\u2019\u00e9coutais. Puis j\u2019attendais que \u00e7a finisse. Il se taisait de plus en plus. Moi je partais. Forains. Bal. Guitare. Filles. Retours tardifs. Odeur d\u2019essence. J\u2019aurais voulu parler. Je n\u2019ai pas su. Il n\u2019\u00e9coutait pas. Je me suis tu. Il disait \u201coui, oui, oui\u201d. Puis plus rien. Plus tard, moi aussi. Histoires. Istanbul. Personne n\u2019\u00e9coutait. Alors silence. Plus de mots. Plus d\u2019oreilles. Table. Papier. T\u00eate baiss\u00e9e. J\u2019\u00e9cris. Parce que je ne parle plus. ### R\u00e9duction 2 Il ne parlait pas. Jamais. Je l\u2019\u00e9coutais ne rien dire. \u00c7a tenait lieu d\u2019histoire. Un accident. Un choc lent. Un cri de femme. Lui, muet. Des vacances. Du silence. L\u2019horloge, la peur. Parfois, il parlait. Toujours les m\u00eames. Toujours autrement. Je grandissais. Je fuyais. Je portais. Je chantais. J\u2019aurais voulu lui dire. Mais il disait \u201coui, oui, oui.\u201d Sans entendre. Alors j\u2019ai fui. Loin. Istanbul. Puis la perte. Puis le silence. J\u2019ai voulu raconter. On ne m\u2019\u00e9coutait pas. Je me suis tu. Je me suis assis. J\u2019ai \u00e9crit. --- ### English He didn\u2019t speak. Not a word. I listened to his silence. That was the story. An accident. Slow crash. A woman screamed. He said nothing. Holidays. Silence. The clock, the dread. Sometimes, he spoke. Same stories. Different order. I grew. I wandered. I carried. I sang. I wanted to tell him. He said \u201cyes, yes, yes.\u201d To nothing. So I left. Far. Istanbul. Then loss. Then quiet. I tried to tell. They looked away. I shut up. I sat. Alone. And wrote. ", "image": "", "tags": [] } ] }