{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-difficulte-de-s-enraciner.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-difficulte-de-s-enraciner.html", "title": "La difficult\u00e9 de s'enraciner.", "date_published": "2021-08-18T00:38:28Z", "date_modified": "2025-09-18T15:44:20Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Il parait qu’il faut parler de soi en tant qu’artiste, parce que les gens sont curieux d’en savoir plus. Du coup je cherche une fa\u00e7on de r\u00e9\u00e9crire encore ma biographie pour la placer sur mon site, et syst\u00e9matiquement toutes les tentatives se soldent par un \u00e9chec. Cette r\u00e9p\u00e9tition de l’\u00e9chec ressemble \u00e0 une volont\u00e9 de ne pas vouloir s’enraciner. La question alors est de savoir dans quels buts ? les buts conscients mais surtout ceux qu’on a du mal \u00e0 s’avouer.<\/p>\n
L’id\u00e9e m\u00eame d’ennuyer l’autre autant que je peux m’ennuyer tout seul \u00e0 soliloquer est terrifiante. Cependant je vais prendre \u00e7a comme une sorte d’exercice et on verra bien o\u00f9 cela me m\u00e8nera comme d’habitude.<\/p>\n
_______________________________________________________________________________________________________________________<\/p>\n
Ma m\u00e8re est n\u00e9e sur le sol fran\u00e7ais en 1936 de parents estoniens. Durant toute sa vie elle n\u2019a jamais cess\u00e9 de souffrir d\u2019un d\u00e9racinement dont elle n\u2019\u00e9tait pas l\u2019actrice principale.<\/p>\n
Je me souviens qu\u2019elle m\u2019a souvent parl\u00e9 de la fa\u00e7on dont elle avait aussi souffert de l\u2019image peu reluisante que les petites fran\u00e7aises et fran\u00e7ais qu\u2019elle fr\u00e9quentait lui renvoyaient.<\/p>\n
D\u2019abord on l\u2019avait trait\u00e9e de russe, ce qui \u00e0 l\u2019\u00e9poque valait encore moins que d\u2019\u00eatre italien, espagnol, portugais ou arabe.<\/p>\n
Les griefs dont on l\u2019accusait alors c\u2019\u00e9tait d\u2019\u00eatre \u00e9trang\u00e8re tout simplement et pour bien marquer le coup on l\u2019accusait d\u2019\u00eatre pauvre, d\u2019\u00eatre sale, d\u2019\u00eatre voleuse ou menteuse, c\u2019est-\u00e0-dire d\u2019incarner les d\u00e9fauts dont personne ne voulait ouvertement s\u2019affubler et surtout de ne pas \u00eatre tout \u00e0 fait semblable \u00e0 tous ces enfants qui l\u2019entouraient alors.<\/p>\n
Sans aucun doute il lui aura fallu batailler beaucoup pour se fabriquer une estime d\u2019elle-m\u00eame afin de parvenir \u00e0 camoufler cette faille que l\u2019on n\u2019avait pas cess\u00e9 de lui indiquer.<\/p>\n
Au bout du compte une fois la cour d\u2019\u00e9cole vide, il ne reste que des fant\u00f4mes et toutes ces voix que l\u2019on int\u00e9riorise et qui n\u2019ont de cesse de nous ramener \u00e0 notre propre \u00e9tranget\u00e9.<\/p>\n
Son d\u00e9sir \u00e9tait d\u2019avoir une fille mais ma naissance contraria ses projets. Ainsi j\u2019allais devenir ce petit fran\u00e7ais qui presque naturellement allait s\u2019int\u00e9grer sans trop d\u2019effort en suivant le cursus « normal » c’est-\u00e0-dire une scolarit\u00e9 sans probl\u00e8me, des \u00e9tudes et \u00e0 la clef un travail une famille.<\/p>\n
Cette sensation d\u2019\u00eatre un pansement sur une blessure je crois qu\u2019elle est venue tr\u00e8s t\u00f4t dans ma vie.<\/p>\n
Un jour j\u2019ai entendu quelqu\u2019un me raconter une histoire d\u2019oiseaux. Il parait qu\u2019il y a toujours un oiseau qui ne mange pas en m\u00eame temps que les autres. Qui se tient \u00e0 la p\u00e9riph\u00e9rie des festins pour surveiller les alentours et pr\u00e9venir le groupe d\u2019un danger \u00e9ventuel.<\/p>\n
Le genre d\u2019histoire que l\u2019on retient parce qu\u2019elle touche une partie profonde de qui l\u2019on est.<\/p>\n
Mon p\u00e8re est n\u00e9 fran\u00e7ais, en 1935, \u00e0 Paris. En retrouvant des photos de lui adolescent puis jeune homme je me suis dit que je n\u2019aurais pas aim\u00e9 le fr\u00e9quenter. Belle gueule avec cette morgue dont je ne savais pas \u00e9videmment gamin qu\u2019elle lui \u00e9tait n\u00e9cessaire afin de d\u00e9passer de nombreux complexes qu\u2019il s\u2019\u00e9tait invent\u00e9s.<\/p>\n
On ne choisit pas ses parents, mais on peut essayer de les comprendre avec le temps car cet effort n\u2019est pas vain, il permet de s\u2019expliquer les choses, m\u00eame si de nombreux doutes persistent.<\/p>\n
Ma nature de buvard s\u2019est impr\u00e9gn\u00e9e du sang des blessures parentales et certainement que la source de celles-ci provient de milles lieux et \u00eatres que j\u2019ignore et continuerai d\u2019ignorer.<\/p>\n
Il s\u2019agit d\u2019une transmission, d\u2019un h\u00e9ritage qui s\u2019effectue sans papier, sans preuve, sans trace v\u00e9ritable et qui ne r\u00e9side dans cette atmosph\u00e8re dont on se trouve entour\u00e9 peu \u00e0 peu. Avec le temps on finit par savoir que c\u2019est dans la lumi\u00e8re d\u2019\u00e9t\u00e9 ou la pluie d\u2019automne que notre vrai patrimoine se cache.<\/p>\n
Chose totalement incompr\u00e9hensible pour quiconque aura acquis la certitude d\u2019\u00eatre aim\u00e9, d\u2019\u00eatre l\u00e9gitime.<\/p>\n
Cette notion de l\u00e9gitimit\u00e9 ou bien comme on dit aujourd\u2019hui ce complexe de l\u2019imposteur ne r\u00e9side donc pas uniquement dans la peinture mais dans une vie tout enti\u00e8re.<\/p>\n
Je l\u2019ai rencontr\u00e9e \u00e0 chacune des \u00e9tapes de ma vie d\u2019homme et j\u2019en ai aussi certainement beaucoup souffert avant d\u2019apprendre \u00e0 en tirer parti.<\/p>\n
Je ne voulais cependant pas continuer \u00e0 perp\u00e9trer cette injustice. Je me suis rebell\u00e9 tr\u00e8s t\u00f4t contre les circonstances.<\/p>\n
Sans doute la force m\u2019est -elle venue du fait que je n\u2019avais pas \u00e0 souffrir d\u2019\u00eatre \u00e9tranger d\u2019une part, pas plus qu\u2019issu d\u2019un milieu modeste puisque mon p\u00e8re s\u2019\u00e9tait donn\u00e9 quelques moyens tout de m\u00eame pour s\u2019\u00e9lever dans l\u2019\u00e9chelle sociale. C\u2019\u00e9tait sa seule priorit\u00e9 v\u00e9ritable d\u2019ailleurs. Un faisceau d\u2019actions diriger vers le seul but qu\u2019il se sera fix\u00e9 \u00e0 savoir devenir un homme qui compte parmi les autres au travers d\u2019une image calqu\u00e9e sur les ca\u00efds du cin\u00e9matographe.<\/p>\n
Il y avait \u00e0 la fois du Gabin, du Blier chez lui, c\u2019est ce qu\u2019il d\u00e9sirait afficher. Mais moi qui vivait \u00e0 ses cot\u00e9s je sentais bien qu\u2019au fond il \u00e9tait tout le contraire.<\/p>\n
Un soir d\u2019hiver il \u00e9tait venu me trouver alors que je faisais mes devoirs \u00e0 mon petit bureau et comme j\u2019avais \u00e0 faire des dessins d\u2019indiens il attrapa le crayon et m\u2019\u00e9pata. Un Indien plus vrai que nature surgit d\u2019entre ses doigts sur la page \u00e0 grands carreaux de mon cahier.<\/p>\n
Quelques ann\u00e9es plus tard un vendredi soir il revint \u00e0 la maison avec une boite de couleurs \u00e0 l\u2019huile, un chevalet gigantesque et de grandes toiles. Le samedi il esquissa au fusain directement sur la toile un immense bouquet de roses, puis pla\u00e7a quelques couches de couleurs \u00e9paisses et s\u2019arr\u00eata l\u00e0.<\/p>\n
Le tableau resta longtemps sur le chevalet dans un recoin de la cuisine, puis un jour on monta le tout au grenier et il passa \u00e0 d\u2019autres lubies comme par exemple bricoler, o\u00f9 aller p\u00e9cher le brochet.<\/p>\n
Mon p\u00e8re voyait toujours les choses en grand, en tr\u00e8s grand. Aussi se lan\u00e7ait il dans la moindre activit\u00e9, il ne souffrait aucun retard, aucune h\u00e9sitation, aucun obstacle.<\/p>\n
Impatient et col\u00e9rique il envoyait tout promener \u00e0 un moment ou un autre ce qui ne m\u2019arrangea pas la vie \u00e9videmment tant que je me basais sur son exemple.<\/p>\n
Ce fut quelques ann\u00e9es plus tard que ma m\u00e8re redescendit la boite de couleurs, le chevalet et quelle se mit \u00e0 peindre.<\/p>\n
Toute sa m\u00e9lancolie, elle la d\u00e9versait dans la peinture en reproduisant des tableaux de maitres flamands avec un habilet\u00e9 proche de la perfection. Comme si cette perfection \u00e9tait pour elle une sorte de baume, de rem\u00e8de.<\/p>\n
J\u2019ignorais alors l\u2019erreur dans laquelle elle allait sombrer de plus en plus. Car tout le monde sait que la perfection n\u2019est pas de ce monde. Ne parvenant pas \u00e0 l\u2019atteindre elle se renferma de plus en plus sur elle, devint aigrie contre l\u2019existence tout enti\u00e8re et termina son processus d\u2019auto-destruction par un cancer du colon qui l\u2019emporta en 2003.<\/p>\n
Ce que j\u2019en ai compris intuitivement c\u2019est que j\u2019avais une sorte de mission qui m\u2019\u00e9tait confi\u00e9e silencieusement de la part de mes parents et de tous les \u00eatres qui font partie de cette chaine inou\u00efe d\u2019existences pour parvenir jusqu\u2019\u00e0 moi.<\/p>\n
J\u2019ai \u00e9norm\u00e9ment cru \u00e0 cette histoire de mission.<\/p>\n
Le seul probl\u00e8me est que je ne savais pas du tout comment j\u2019allais m\u2019y prendre, au travers de quelle activit\u00e9 humaine ? Sit\u00f4t que j\u2019imaginais une voie, j\u2019arrivais presque imm\u00e9diatement au bout et ce bout me paraissait \u00eatre une impasse.<\/p>\n
Je n\u2019avais pas le discernement suffisant pour comprendre que je ne faisais que reproduire le m\u00eame mod\u00e8le chim\u00e9rique de mon p\u00e8re et de ma m\u00e8re c’est-\u00e0-dire atteindre \u00e0 la r\u00e9ussite quelle qu\u2019elle fut afin d\u2019obtenir une sorte de r\u00e9tribution cosmique.<\/p>\n
Ma seule chance fut je crois de faire confiance au hasard. De n\u2019avoir \u00e0 un moment de mon existence plus aucune id\u00e9e de but qui ne soit pas volatile presque aussit\u00f4t fabriqu\u00e9e.<\/p>\n
Que ce soit la r\u00e9p\u00e9tition des postures n\u00e9cessaires pour fonder une famille, une carri\u00e8re, j\u2019\u00e9chouais lamentablement \u00e0 chaque \u00e9tape, j\u2019en \u00e9prouvais un d\u00e9pit authentique toutefois puis, le temps passant je comprenais aussi peu \u00e0 peu que j\u2019en \u00e9tais comme soulag\u00e9 de ces \u00e9checs.<\/p>\n
Comme si quelque chose en moi avait tout mis en \u0153uvre pour acc\u00e9l\u00e9rer le temps, bruler les \u00e9tapes afin de voir ce qu\u2019il pouvait y avoir au-del\u00e0.<\/p>\n
Au-del\u00e0 il y avait le vide, le rien.<\/p>\n
C\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 griffonner des textes comme pour meubler ce vide.<\/p>\n
A l\u2019\u00e9cole depuis les plus petites classes autant que je puisse me souvenir j\u2019ai toujours dessin\u00e9, et d\u2019apr\u00e8s l\u2019admiration que me portaient mes camarades je crois que je dessinais plut\u00f4t bien. Mais j\u2019aimais aussi attirer l\u2019attention et pour ce faire je m\u2019\u00e9tais lanc\u00e9 dans la caricature ; Faire rire me permettait de passer pour un pitre, statut que je privil\u00e9giais car il m\u2019\u00e9vitait de partager mes d\u00e9boires familiaux.<\/p>\n
Mon p\u00e8re dans ses col\u00e8res ne se contr\u00f4lait pas plus que ma m\u00e8re lorsqu\u2019elle plongeait dans sa m\u00e9lancolie. Leur fa\u00e7on de s\u2019aimer \u00e9tait brod\u00e9e d\u2019insultes d\u2019humiliations et de coups. C\u2019\u00e9tait \u00e0 la fois affreux pour mon fr\u00e8re cadet et moi-m\u00eame autant que digne d\u2019un spectacle de guignol. Nous nous en sortions ainsi en nous moquant pour ne pas hurler.<\/p>\n
Dans le fond des choses les parents servent aussi \u00e0 cela, \u00e0 montrer une figure de l\u2019humanit\u00e9 \u00e0 laquelle on ne veut pas ressembler car on se croit au-del\u00e0 de \u00e7a. On se croit autrement, voire mieux ou meilleur.<\/p>\n
Encore une fois il n\u2019y a que le temps qui permet d\u2019obtenir suffisamment de discernement afin de remettre les pendules \u00e0 l\u2019heure et surtout de se lib\u00e9rer par le pardon, par cette part insupportable \u00e0 supporter que l\u2019on finit par d\u00e9l\u00e9guer \u00e0 la Providence.<\/p>\n
La Providence, le hasard, l\u2019inconscient, le soi, appelons cela comme on le voudra on se trompera toujours par le seul fait de vouloir la nommer cette invisibilit\u00e9 omnipr\u00e9sente, omnipotente, c’est-\u00e0-dire tenter de le contr\u00f4ler.<\/p>\n
C\u2019est par la peinture que j\u2019ai fait mon \u00e9ducation v\u00e9ritable. C\u2019est la peinture qui m\u2019aura tout appris de ce que je comprends de la vie. Elle aura \u00e9t\u00e9 le catalyseur tout autant sans doute que l\u2019\u00e9criture, avec un avantage sur cette derni\u00e8re : le bavardage n\u2019est pas obligatoire.<\/p>\n
Pourtant j\u2019ai bavard\u00e9 de tout mon saoul en peinture comme si le fait de me rendre compte de ce talent que je poss\u00e8de pouvait lui aussi r\u00e9tribuer quelque chose de toile en toile comme dans une urgence. Me permettant aussi de rater \u00e0 chaque fois cette cible imaginaire, la r\u00e9ussite, le chef d\u2019\u0153uvre comme il se doit.<\/p>\n
Pour enfin d\u00e9couvrir qu\u2019aucun chef d\u2019\u0153uvre ne peut exister tant qu\u2019on le cherche d\u2019un point de vue ext\u00e9rieur. Au travers du regard des autres.<\/p>\n
Il faut fermer profond\u00e9ment les yeux pour voir. Avec obstination. S\u2019enfoncer dans l\u2019erreur compl\u00e8tement, ce que l\u2019on a toujours cru \u00eatre une erreur, une maladresse, un manque afin d\u2019en d\u00e9couvrir tout \u00e0 coup par hasard toute la richesse<\/p>\n
Il y a une phrase de Samuel Beckett qui m\u2019a toujours hant\u00e9 depuis que j\u2019ai vu adolescent « En attendant Godot ». C\u2019est le fameux quand est-ce qu\u2019on va naitre ?<\/em><\/p>\n Je crois que je consid\u00e8re la peinture un peu \u00e0 la fa\u00e7on de ces clochards c\u00e9lestes se posant chaque jour cette question tout en r\u00e9futant syst\u00e9matiquement le confort d\u2019une confortable pens\u00e9e.<\/p>\n Cette question c\u2019est la m\u00eame que Cervantes se pose au travers de Don Quichotte, que Van Gogh fait murmurer \u00e0 ses tournesols et \u00e0 ses cieux \u00e9toil\u00e9s.<\/p>\n Quand est ce qu\u2019on va naitre ?<\/em><\/p>\n La peinture et la vie n\u2019ont besoin sans doute d\u2019aucune autre question que celle-ci pour continuer \u00e0 avancer. C\u2019est peut-\u00eatre une question que se pose l\u2019univers tout entier \u00e0 chaque instant, une question que se pose Dieu pour ceux qui y croient et surtout pour ceux qui n\u2019y croient pas.<\/p>\n Quand est ce qu\u2019on va naitre, c\u2019est aussi : quand est ce qu\u2019on va enfin s\u2019enraciner, r\u00e9aliser enfin ce passage entre les \u00e9nergies tectoniques et a\u00e9riennes, devenir arbre, produire du fruit.<\/p>\n Certains le peuvent facilement c\u2019est comme si la simplicit\u00e9 leur \u00e9tait donn\u00e9e de fa\u00e7on cong\u00e9nitale, d\u2019autres rament une vie enti\u00e8re sans jamais pouvoir l\u2019atteindre.<\/p>\n Ce qui r\u00e9unit les oppos\u00e9s c\u2019est cette question de l\u2019enracinement qu\u2019importe l\u2019arbre qu\u2019importe le fruit. Le miracle est d\u00e9j\u00e0 dans la question.<\/p>\n Parler de soi, se montrer j’ai toujours cette r\u00e9ticence \u00e0 montrer ma figure sur les r\u00e9seaux sociaux. Un crainte de l’obsc\u00e8ne \u00e0 d\u00e9passer aussi probablement. Du coup voil\u00e0 ma photo !<\/p>\n
<\/p>",
"content_text": "Il parait qu'il faut parler de soi en tant qu'artiste, parce que les gens sont curieux d'en savoir plus. Du coup je cherche une fa\u00e7on de r\u00e9\u00e9crire encore ma biographie pour la placer sur mon site, et syst\u00e9matiquement toutes les tentatives se soldent par un \u00e9chec. Cette r\u00e9p\u00e9tition de l'\u00e9chec ressemble \u00e0 une volont\u00e9 de ne pas vouloir s'enraciner. La question alors est de savoir dans quels buts ? les buts conscients mais surtout ceux qu'on a du mal \u00e0 s'avouer.\n\nL'id\u00e9e m\u00eame d'ennuyer l'autre autant que je peux m'ennuyer tout seul \u00e0 soliloquer est terrifiante. Cependant je vais prendre \u00e7a comme une sorte d'exercice et on verra bien o\u00f9 cela me m\u00e8nera comme d'habitude.\n\n_______________________________________________________________________________________________________________________\n\nMa m\u00e8re est n\u00e9e sur le sol fran\u00e7ais en 1936 de parents estoniens. Durant toute sa vie elle n\u2019a jamais cess\u00e9 de souffrir d\u2019un d\u00e9racinement dont elle n\u2019\u00e9tait pas l\u2019actrice principale. \n\nJe me souviens qu\u2019elle m\u2019a souvent parl\u00e9 de la fa\u00e7on dont elle avait aussi souffert de l\u2019image peu reluisante que les petites fran\u00e7aises et fran\u00e7ais qu\u2019elle fr\u00e9quentait lui renvoyaient. \n\nD\u2019abord on l\u2019avait trait\u00e9e de russe, ce qui \u00e0 l\u2019\u00e9poque valait encore moins que d\u2019\u00eatre italien, espagnol, portugais ou arabe.\n\nLes griefs dont on l\u2019accusait alors c\u2019\u00e9tait d\u2019\u00eatre \u00e9trang\u00e8re tout simplement et pour bien marquer le coup on l\u2019accusait d\u2019\u00eatre pauvre, d\u2019\u00eatre sale, d\u2019\u00eatre voleuse ou menteuse, c\u2019est-\u00e0-dire d\u2019incarner les d\u00e9fauts dont personne ne voulait ouvertement s\u2019affubler et surtout de ne pas \u00eatre tout \u00e0 fait semblable \u00e0 tous ces enfants qui l\u2019entouraient alors. \n\nSans aucun doute il lui aura fallu batailler beaucoup pour se fabriquer une estime d\u2019elle-m\u00eame afin de parvenir \u00e0 camoufler cette faille que l\u2019on n\u2019avait pas cess\u00e9 de lui indiquer.\n\nAu bout du compte une fois la cour d\u2019\u00e9cole vide, il ne reste que des fant\u00f4mes et toutes ces voix que l\u2019on int\u00e9riorise et qui n\u2019ont de cesse de nous ramener \u00e0 notre propre \u00e9tranget\u00e9.\n\nSon d\u00e9sir \u00e9tait d\u2019avoir une fille mais ma naissance contraria ses projets. Ainsi j\u2019allais devenir ce petit fran\u00e7ais qui presque naturellement allait s\u2019int\u00e9grer sans trop d\u2019effort en suivant le cursus \u00ab normal \u00bb c'est-\u00e0-dire une scolarit\u00e9 sans probl\u00e8me, des \u00e9tudes et \u00e0 la clef un travail une famille.\n\nCette sensation d\u2019\u00eatre un pansement sur une blessure je crois qu\u2019elle est venue tr\u00e8s t\u00f4t dans ma vie.\n\nUn jour j\u2019ai entendu quelqu\u2019un me raconter une histoire d\u2019oiseaux. Il parait qu\u2019il y a toujours un oiseau qui ne mange pas en m\u00eame temps que les autres. Qui se tient \u00e0 la p\u00e9riph\u00e9rie des festins pour surveiller les alentours et pr\u00e9venir le groupe d\u2019un danger \u00e9ventuel.\n\nLe genre d\u2019histoire que l\u2019on retient parce qu\u2019elle touche une partie profonde de qui l\u2019on est.\n\nMon p\u00e8re est n\u00e9 fran\u00e7ais, en 1935, \u00e0 Paris. En retrouvant des photos de lui adolescent puis jeune homme je me suis dit que je n\u2019aurais pas aim\u00e9 le fr\u00e9quenter. Belle gueule avec cette morgue dont je ne savais pas \u00e9videmment gamin qu\u2019elle lui \u00e9tait n\u00e9cessaire afin de d\u00e9passer de nombreux complexes qu\u2019il s\u2019\u00e9tait invent\u00e9s.\n\nOn ne choisit pas ses parents, mais on peut essayer de les comprendre avec le temps car cet effort n\u2019est pas vain, il permet de s\u2019expliquer les choses, m\u00eame si de nombreux doutes persistent.\n\nMa nature de buvard s\u2019est impr\u00e9gn\u00e9e du sang des blessures parentales et certainement que la source de celles-ci provient de milles lieux et \u00eatres que j\u2019ignore et continuerai d\u2019ignorer.\n\nIl s\u2019agit d\u2019une transmission, d\u2019un h\u00e9ritage qui s\u2019effectue sans papier, sans preuve, sans trace v\u00e9ritable et qui ne r\u00e9side dans cette atmosph\u00e8re dont on se trouve entour\u00e9 peu \u00e0 peu. Avec le temps on finit par savoir que c\u2019est dans la lumi\u00e8re d\u2019\u00e9t\u00e9 ou la pluie d\u2019automne que notre vrai patrimoine se cache.\n\nChose totalement incompr\u00e9hensible pour quiconque aura acquis la certitude d\u2019\u00eatre aim\u00e9, d\u2019\u00eatre l\u00e9gitime.\n\nCette notion de l\u00e9gitimit\u00e9 ou bien comme on dit aujourd\u2019hui ce complexe de l\u2019imposteur ne r\u00e9side donc pas uniquement dans la peinture mais dans une vie tout enti\u00e8re.\n\nJe l\u2019ai rencontr\u00e9e \u00e0 chacune des \u00e9tapes de ma vie d\u2019homme et j\u2019en ai aussi certainement beaucoup souffert avant d\u2019apprendre \u00e0 en tirer parti.\n\nJe ne voulais cependant pas continuer \u00e0 perp\u00e9trer cette injustice. Je me suis rebell\u00e9 tr\u00e8s t\u00f4t contre les circonstances. \n\nSans doute la force m\u2019est -elle venue du fait que je n\u2019avais pas \u00e0 souffrir d\u2019\u00eatre \u00e9tranger d\u2019une part, pas plus qu\u2019issu d\u2019un milieu modeste puisque mon p\u00e8re s\u2019\u00e9tait donn\u00e9 quelques moyens tout de m\u00eame pour s\u2019\u00e9lever dans l\u2019\u00e9chelle sociale. C\u2019\u00e9tait sa seule priorit\u00e9 v\u00e9ritable d\u2019ailleurs. Un faisceau d\u2019actions diriger vers le seul but qu\u2019il se sera fix\u00e9 \u00e0 savoir devenir un homme qui compte parmi les autres au travers d\u2019une image calqu\u00e9e sur les ca\u00efds du cin\u00e9matographe.\n\nIl y avait \u00e0 la fois du Gabin, du Blier chez lui, c\u2019est ce qu\u2019il d\u00e9sirait afficher. Mais moi qui vivait \u00e0 ses cot\u00e9s je sentais bien qu\u2019au fond il \u00e9tait tout le contraire.\n\nUn soir d\u2019hiver il \u00e9tait venu me trouver alors que je faisais mes devoirs \u00e0 mon petit bureau et comme j\u2019avais \u00e0 faire des dessins d\u2019indiens il attrapa le crayon et m\u2019\u00e9pata. Un Indien plus vrai que nature surgit d\u2019entre ses doigts sur la page \u00e0 grands carreaux de mon cahier.\n\nQuelques ann\u00e9es plus tard un vendredi soir il revint \u00e0 la maison avec une boite de couleurs \u00e0 l\u2019huile, un chevalet gigantesque et de grandes toiles. Le samedi il esquissa au fusain directement sur la toile un immense bouquet de roses, puis pla\u00e7a quelques couches de couleurs \u00e9paisses et s\u2019arr\u00eata l\u00e0.\n\nLe tableau resta longtemps sur le chevalet dans un recoin de la cuisine, puis un jour on monta le tout au grenier et il passa \u00e0 d\u2019autres lubies comme par exemple bricoler, o\u00f9 aller p\u00e9cher le brochet. \n\nMon p\u00e8re voyait toujours les choses en grand, en tr\u00e8s grand. Aussi se lan\u00e7ait il dans la moindre activit\u00e9, il ne souffrait aucun retard, aucune h\u00e9sitation, aucun obstacle. \n\nImpatient et col\u00e9rique il envoyait tout promener \u00e0 un moment ou un autre ce qui ne m\u2019arrangea pas la vie \u00e9videmment tant que je me basais sur son exemple.\n\nCe fut quelques ann\u00e9es plus tard que ma m\u00e8re redescendit la boite de couleurs, le chevalet et quelle se mit \u00e0 peindre.\n\nToute sa m\u00e9lancolie, elle la d\u00e9versait dans la peinture en reproduisant des tableaux de maitres flamands avec un habilet\u00e9 proche de la perfection. Comme si cette perfection \u00e9tait pour elle une sorte de baume, de rem\u00e8de.\n\nJ\u2019ignorais alors l\u2019erreur dans laquelle elle allait sombrer de plus en plus. Car tout le monde sait que la perfection n\u2019est pas de ce monde. Ne parvenant pas \u00e0 l\u2019atteindre elle se renferma de plus en plus sur elle, devint aigrie contre l\u2019existence tout enti\u00e8re et termina son processus d\u2019auto-destruction par un cancer du colon qui l\u2019emporta en 2003.\n\nCe que j\u2019en ai compris intuitivement c\u2019est que j\u2019avais une sorte de mission qui m\u2019\u00e9tait confi\u00e9e silencieusement de la part de mes parents et de tous les \u00eatres qui font partie de cette chaine inou\u00efe d\u2019existences pour parvenir jusqu\u2019\u00e0 moi.\n\nJ\u2019ai \u00e9norm\u00e9ment cru \u00e0 cette histoire de mission. \n\nLe seul probl\u00e8me est que je ne savais pas du tout comment j\u2019allais m\u2019y prendre, au travers de quelle activit\u00e9 humaine ? Sit\u00f4t que j\u2019imaginais une voie, j\u2019arrivais presque imm\u00e9diatement au bout et ce bout me paraissait \u00eatre une impasse.\n\nJe n\u2019avais pas le discernement suffisant pour comprendre que je ne faisais que reproduire le m\u00eame mod\u00e8le chim\u00e9rique de mon p\u00e8re et de ma m\u00e8re c'est-\u00e0-dire atteindre \u00e0 la r\u00e9ussite quelle qu\u2019elle fut afin d\u2019obtenir une sorte de r\u00e9tribution cosmique.\n\nMa seule chance fut je crois de faire confiance au hasard. De n\u2019avoir \u00e0 un moment de mon existence plus aucune id\u00e9e de but qui ne soit pas volatile presque aussit\u00f4t fabriqu\u00e9e.\n\nQue ce soit la r\u00e9p\u00e9tition des postures n\u00e9cessaires pour fonder une famille, une carri\u00e8re, j\u2019\u00e9chouais lamentablement \u00e0 chaque \u00e9tape, j\u2019en \u00e9prouvais un d\u00e9pit authentique toutefois puis, le temps passant je comprenais aussi peu \u00e0 peu que j\u2019en \u00e9tais comme soulag\u00e9 de ces \u00e9checs.\n\nComme si quelque chose en moi avait tout mis en \u0153uvre pour acc\u00e9l\u00e9rer le temps, bruler les \u00e9tapes afin de voir ce qu\u2019il pouvait y avoir au-del\u00e0.\n\nAu-del\u00e0 il y avait le vide, le rien.\n\nC\u2019est \u00e0 partir de l\u00e0 que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 griffonner des textes comme pour meubler ce vide.\n\nA l\u2019\u00e9cole depuis les plus petites classes autant que je puisse me souvenir j\u2019ai toujours dessin\u00e9, et d\u2019apr\u00e8s l\u2019admiration que me portaient mes camarades je crois que je dessinais plut\u00f4t bien. Mais j\u2019aimais aussi attirer l\u2019attention et pour ce faire je m\u2019\u00e9tais lanc\u00e9 dans la caricature ; Faire rire me permettait de passer pour un pitre, statut que je privil\u00e9giais car il m\u2019\u00e9vitait de partager mes d\u00e9boires familiaux.\n\nMon p\u00e8re dans ses col\u00e8res ne se contr\u00f4lait pas plus que ma m\u00e8re lorsqu\u2019elle plongeait dans sa m\u00e9lancolie. Leur fa\u00e7on de s\u2019aimer \u00e9tait brod\u00e9e d\u2019insultes d\u2019humiliations et de coups. C\u2019\u00e9tait \u00e0 la fois affreux pour mon fr\u00e8re cadet et moi-m\u00eame autant que digne d\u2019un spectacle de guignol. Nous nous en sortions ainsi en nous moquant pour ne pas hurler.\n\nDans le fond des choses les parents servent aussi \u00e0 cela, \u00e0 montrer une figure de l\u2019humanit\u00e9 \u00e0 laquelle on ne veut pas ressembler car on se croit au-del\u00e0 de \u00e7a. On se croit autrement, voire mieux ou meilleur.\n\nEncore une fois il n\u2019y a que le temps qui permet d\u2019obtenir suffisamment de discernement afin de remettre les pendules \u00e0 l\u2019heure et surtout de se lib\u00e9rer par le pardon, par cette part insupportable \u00e0 supporter que l\u2019on finit par d\u00e9l\u00e9guer \u00e0 la Providence.\n\nLa Providence, le hasard, l\u2019inconscient, le soi, appelons cela comme on le voudra on se trompera toujours par le seul fait de vouloir la nommer cette invisibilit\u00e9 omnipr\u00e9sente, omnipotente, c'est-\u00e0-dire tenter de le contr\u00f4ler.\n\nC\u2019est par la peinture que j\u2019ai fait mon \u00e9ducation v\u00e9ritable. C\u2019est la peinture qui m\u2019aura tout appris de ce que je comprends de la vie. Elle aura \u00e9t\u00e9 le catalyseur tout autant sans doute que l\u2019\u00e9criture, avec un avantage sur cette derni\u00e8re : le bavardage n\u2019est pas obligatoire.\n\nPourtant j\u2019ai bavard\u00e9 de tout mon saoul en peinture comme si le fait de me rendre compte de ce talent que je poss\u00e8de pouvait lui aussi r\u00e9tribuer quelque chose de toile en toile comme dans une urgence. Me permettant aussi de rater \u00e0 chaque fois cette cible imaginaire, la r\u00e9ussite, le chef d\u2019\u0153uvre comme il se doit.\n\nPour enfin d\u00e9couvrir qu\u2019aucun chef d\u2019\u0153uvre ne peut exister tant qu\u2019on le cherche d\u2019un point de vue ext\u00e9rieur. Au travers du regard des autres.\n\nIl faut fermer profond\u00e9ment les yeux pour voir. Avec obstination. S\u2019enfoncer dans l\u2019erreur compl\u00e8tement, ce que l\u2019on a toujours cru \u00eatre une erreur, une maladresse, un manque afin d\u2019en d\u00e9couvrir tout \u00e0 coup par hasard toute la richesse \n\nIl y a une phrase de Samuel Beckett qui m\u2019a toujours hant\u00e9 depuis que j\u2019ai vu adolescent \u00ab En attendant Godot \u00bb. C\u2019est le fameux quand est-ce qu\u2019on va naitre ?\n\nJe crois que je consid\u00e8re la peinture un peu \u00e0 la fa\u00e7on de ces clochards c\u00e9lestes se posant chaque jour cette question tout en r\u00e9futant syst\u00e9matiquement le confort d\u2019une confortable pens\u00e9e.\n\nCette question c\u2019est la m\u00eame que Cervantes se pose au travers de Don Quichotte, que Van Gogh fait murmurer \u00e0 ses tournesols et \u00e0 ses cieux \u00e9toil\u00e9s.\n\nQuand est ce qu\u2019on va naitre ?\n\nLa peinture et la vie n\u2019ont besoin sans doute d\u2019aucune autre question que celle-ci pour continuer \u00e0 avancer. C\u2019est peut-\u00eatre une question que se pose l\u2019univers tout entier \u00e0 chaque instant, une question que se pose Dieu pour ceux qui y croient et surtout pour ceux qui n\u2019y croient pas.\n\nQuand est ce qu\u2019on va naitre, c\u2019est aussi : quand est ce qu\u2019on va enfin s\u2019enraciner, r\u00e9aliser enfin ce passage entre les \u00e9nergies tectoniques et a\u00e9riennes, devenir arbre, produire du fruit.\n\nCertains le peuvent facilement c\u2019est comme si la simplicit\u00e9 leur \u00e9tait donn\u00e9e de fa\u00e7on cong\u00e9nitale, d\u2019autres rament une vie enti\u00e8re sans jamais pouvoir l\u2019atteindre.\n\nCe qui r\u00e9unit les oppos\u00e9s c\u2019est cette question de l\u2019enracinement qu\u2019importe l\u2019arbre qu\u2019importe le fruit. Le miracle est d\u00e9j\u00e0 dans la question.\n\nParler de soi, se montrer j'ai toujours cette r\u00e9ticence \u00e0 montrer ma figure sur les r\u00e9seaux sociaux. Un crainte de l'obsc\u00e8ne \u00e0 d\u00e9passer aussi probablement. Du coup voil\u00e0 ma photo ! ",
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