{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/decoration-ou-oeuvre-d-art.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/decoration-ou-oeuvre-d-art.html", "title": "D\u00e9coration ou oeuvre d'art ?", "date_published": "2020-08-20T04:35:53Z", "date_modified": "2025-07-18T07:20:58Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Tu aimes l\u2019art. Peut-\u00eatre sans trop te poser de questions. Acheter un tableau chez Ik\u00e9a t\u2019a donn\u00e9 l\u2019impression d\u2019acqu\u00e9rir une \u0153uvre. Elle s\u2019accordait \u00e0 ton int\u00e9rieur, \u00e9voquait un souvenir, une \u00e9motion. Tu l\u2019as choisie. C\u2019\u00e9tait un acte, un plaisir bref, comme acheter une brosse \u00e0 dents. Rien \u00e0 juger : c\u2019est devenu normal. Acheter remplit nos besoins, r\u00e9els ou imaginaires. C\u2019est le monde tel qu\u2019il tourne. Mais si l\u2019on faisait vraiment le point sur nos besoins, une crise de fond \u00e9claterait. Nous n\u2019avons pas besoin de grand-chose. Le vide int\u00e9rieur pousse \u00e0 consommer. Et la peur d\u2019\u00eatre \u00e0 part. D\u2019o\u00f9 l\u2019efficacit\u00e9 des slogans : “tout le monde r\u00eave de cette montre, de cette maison.” Rassurant. Le collectionneur, lui, pense \u00e0 l\u2019inverse. Il veut l\u2019unique. Une \u0153uvre d\u2019art devient un signe de r\u00e9ussite sociale. Plus elle est ch\u00e8re, plus elle affirme une position. C\u2019est tout le r\u00f4le des galeries, des ench\u00e8res, des cotes. Le march\u00e9 de l\u2019art fonctionne comme une banque. L\u2019\u0153uvre devient placement. Mais toi, tu n\u2019en es pas l\u00e0. Tu n\u2019as pas cette obsession. Un tableau Ik\u00e9a te suffit. Tu n\u2019es pas frustr\u00e9. Pourtant, si tu veux autre chose, que reste-t-il hors des galeries ? Internet. Les plateformes de vente. Justement, j\u2019en ai vu une ce matin. Des \u0153uvres \u00e0 l\u2019huile, originales, plusieurs formats, moins de 300 euros. Niveau tout \u00e0 fait correct. Comment est-ce possible ? Sans doute production en Asie, \u00e0 la cha\u00eene. Peut-\u00eatre m\u00eame que ce n\u2019est plus une affaire de salaires. Je me suis demand\u00e9 si un tel mod\u00e8le serait viable en France. Peu probable : charges, imp\u00f4ts, fiert\u00e9. Chez nous, l\u2019artiste ne se voit pas ouvrier. L\u2019id\u00e9e m\u00eame choque. Pourtant, pourquoi pas ? Le statut d\u2019artiste reste un refuge. Il place l\u2019\u0153uvre dans un \u00e9crin. Fabriquer \u00e0 la cha\u00eene revient \u00e0 renoncer \u00e0 ce cadre. Autant aller bosser \u00e0 l\u2019usine. Beaucoup pensent ainsi. Et moi aussi, parfois. Mais j\u2019ai des doutes sur ce genre de certitudes. Imaginons un \u00e9tudiant en art. Fabriquer des toiles pas ch\u00e8res, \u00e7a lui permettrait de manger. Ce n\u2019est pas rien. L\u2019art abordable, c\u2019est bien. Mais cela efface la raret\u00e9, l\u2019unicit\u00e9. Une \u0153uvre produite en plusieurs formats, sous dix jours, tue cette id\u00e9e. On n\u2019ach\u00e8te plus une \u0153uvre. On ach\u00e8te de la d\u00e9co. Toi, cette confusion ne te d\u00e9range peut-\u00eatre pas. C\u2019est un souci de peintre, d\u2019intello. Peut-\u00eatre que c\u2019est nous, artistes, qui devons revoir notre rapport \u00e0 l\u2019orgueil. Et cesser de croire que les classes ont disparu. La banalisation de l\u2019art sert cette illusion. Ce qui m\u2019effraie, c\u2019est l\u2019indigence qui menace ceux qui cherchent dans l\u2019art un mode d\u2019\u00eatre, pas un revenu. Internet offre un levier \u00e9norme, mais aussi le risque d\u2019une ali\u00e9nation, d\u2019une uniformit\u00e9. Produire \u00e0 la cha\u00eene, perdre son nom. Redevenir ouvrier.<\/p>", "content_text": " Tu aimes l\u2019art. Peut-\u00eatre sans trop te poser de questions. Acheter un tableau chez Ik\u00e9a t\u2019a donn\u00e9 l\u2019impression d\u2019acqu\u00e9rir une \u0153uvre. Elle s\u2019accordait \u00e0 ton int\u00e9rieur, \u00e9voquait un souvenir, une \u00e9motion. Tu l\u2019as choisie. C\u2019\u00e9tait un acte, un plaisir bref, comme acheter une brosse \u00e0 dents. Rien \u00e0 juger : c\u2019est devenu normal. Acheter remplit nos besoins, r\u00e9els ou imaginaires. C\u2019est le monde tel qu\u2019il tourne. Mais si l\u2019on faisait vraiment le point sur nos besoins, une crise de fond \u00e9claterait. Nous n\u2019avons pas besoin de grand-chose. Le vide int\u00e9rieur pousse \u00e0 consommer. Et la peur d\u2019\u00eatre \u00e0 part. D\u2019o\u00f9 l\u2019efficacit\u00e9 des slogans : \u201ctout le monde r\u00eave de cette montre, de cette maison.\u201d Rassurant. Le collectionneur, lui, pense \u00e0 l\u2019inverse. Il veut l\u2019unique. Une \u0153uvre d\u2019art devient un signe de r\u00e9ussite sociale. Plus elle est ch\u00e8re, plus elle affirme une position. C\u2019est tout le r\u00f4le des galeries, des ench\u00e8res, des cotes. Le march\u00e9 de l\u2019art fonctionne comme une banque. L\u2019\u0153uvre devient placement. Mais toi, tu n\u2019en es pas l\u00e0. Tu n\u2019as pas cette obsession. Un tableau Ik\u00e9a te suffit. Tu n\u2019es pas frustr\u00e9. Pourtant, si tu veux autre chose, que reste-t-il hors des galeries ? Internet. Les plateformes de vente. Justement, j\u2019en ai vu une ce matin. Des \u0153uvres \u00e0 l\u2019huile, originales, plusieurs formats, moins de 300 euros. Niveau tout \u00e0 fait correct. Comment est-ce possible ? Sans doute production en Asie, \u00e0 la cha\u00eene. Peut-\u00eatre m\u00eame que ce n\u2019est plus une affaire de salaires. Je me suis demand\u00e9 si un tel mod\u00e8le serait viable en France. Peu probable : charges, imp\u00f4ts, fiert\u00e9. Chez nous, l\u2019artiste ne se voit pas ouvrier. L\u2019id\u00e9e m\u00eame choque. Pourtant, pourquoi pas ? Le statut d\u2019artiste reste un refuge. Il place l\u2019\u0153uvre dans un \u00e9crin. Fabriquer \u00e0 la cha\u00eene revient \u00e0 renoncer \u00e0 ce cadre. Autant aller bosser \u00e0 l\u2019usine. Beaucoup pensent ainsi. Et moi aussi, parfois. Mais j\u2019ai des doutes sur ce genre de certitudes. Imaginons un \u00e9tudiant en art. Fabriquer des toiles pas ch\u00e8res, \u00e7a lui permettrait de manger. Ce n\u2019est pas rien. L\u2019art abordable, c\u2019est bien. Mais cela efface la raret\u00e9, l\u2019unicit\u00e9. Une \u0153uvre produite en plusieurs formats, sous dix jours, tue cette id\u00e9e. On n\u2019ach\u00e8te plus une \u0153uvre. On ach\u00e8te de la d\u00e9co. Toi, cette confusion ne te d\u00e9range peut-\u00eatre pas. C\u2019est un souci de peintre, d\u2019intello. Peut-\u00eatre que c\u2019est nous, artistes, qui devons revoir notre rapport \u00e0 l\u2019orgueil. Et cesser de croire que les classes ont disparu. La banalisation de l\u2019art sert cette illusion. Ce qui m\u2019effraie, c\u2019est l\u2019indigence qui menace ceux qui cherchent dans l\u2019art un mode d\u2019\u00eatre, pas un revenu. Internet offre un levier \u00e9norme, mais aussi le risque d\u2019une ali\u00e9nation, d\u2019une uniformit\u00e9. Produire \u00e0 la cha\u00eene, perdre son nom. Redevenir ouvrier. ", "image": "", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ] }