{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/n-importe-quoi.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/n-importe-quoi.html", "title": "N'importe quoi", "date_published": "2020-10-16T04:22:02Z", "date_modified": "2025-07-18T07:24:16Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Tu as s\u00fbrement d\u00e9j\u00e0 fait n\u2019importe quoi. Une r\u00e9action brute face \u00e0 quelque chose d\u2019incompr\u00e9hensible ou d\u2019inacceptable. Les enfants font \u00e7a quand aucune r\u00e9ponse ne vient, ou quand celle de l\u2019adulte trahit le d\u00e9sint\u00e9r\u00eat. Ce “n\u2019importe quoi” est parfois l\u2019ultime r\u00e9ponse apr\u00e8s avoir tout essay\u00e9. Il peut surgir sans lien apparent avec la situation. Je me souviens d\u2019une matin\u00e9e glac\u00e9e dans le Bourbonnais. Mon p\u00e8re ouvre la fen\u00eatre, vise des merles avec une carabine, les abat. “\u00c7a, c\u2019est fait”, dit-il en refermant. Je reste fig\u00e9, horrifi\u00e9. Rien ne justifie pour moi cette violence. M\u00eame aujourd\u2019hui, quelque chose en moi refuse d\u2019y adh\u00e9rer. Ce jour-l\u00e0, mon p\u00e8re a fait ce que je nommais “n\u2019importe quoi”. Mais ce m\u00eame terme \u00e9tait souvent utilis\u00e9 pour qualifier mes propres gestes, mes \u00e9carts. Je d\u00e9couvrais qu\u2019il y avait un “n\u2019importe quoi” tol\u00e9rable, et un autre non. Peut-\u00eatre une \u00e9chelle invisible. Un autre souvenir me revient. J\u2019ai sept ans, \u00e2ge de raison. Le march\u00e9 se termine, je ramasse une pomme pourrie et la lance sans r\u00e9fl\u00e9chir. Elle s\u2019\u00e9crase sur la t\u00eate d\u2019un gamin au loin. Gifle imm\u00e9diate de ma grand-m\u00e8re, cris de la m\u00e8re : “C\u2019est vraiment n\u2019importe quoi, sale petit merdeux !” Pas de sang cette fois. Juste la honte. Et cette sc\u00e8ne, longtemps oubli\u00e9e, r\u00e9sonne soudain avec celle du matin d\u2019hiver. Deux gestes gratuits. Deux absences de raison. Deux “n\u2019importe quoi” qui se rejoignent. Peut-\u00eatre que mon p\u00e8re aussi, enfant, avait re\u00e7u une pomme sur la t\u00eate. Peut-\u00eatre que tuer des merles \u00e9tait sa fa\u00e7on obscure de retrouver un souvenir, une blessure enfouie. Alors le “n\u2019importe quoi” ne serait pas l\u2019absence de sens, mais une invitation \u00e0 en cr\u00e9er un. \u00c0 d\u00e9faut d\u2019en recevoir un tout fait. C\u2019est ce qu\u2019on reproche parfois \u00e0 une toile : “c\u2019est n\u2019importe quoi”. Peut-\u00eatre qu\u2019elle renvoie \u00e0 nos propres gestes inexpliqu\u00e9s, \u00e0 nos manques jamais combl\u00e9s.\nPeut-\u00eatre faut-il, \u00e0 la fin, parler au “n\u2019importe quoi” comme \u00e0 un Sphinx. Et poser ses propres questions.<\/p>", "content_text": " Tu as s\u00fbrement d\u00e9j\u00e0 fait n\u2019importe quoi. Une r\u00e9action brute face \u00e0 quelque chose d\u2019incompr\u00e9hensible ou d\u2019inacceptable. Les enfants font \u00e7a quand aucune r\u00e9ponse ne vient, ou quand celle de l\u2019adulte trahit le d\u00e9sint\u00e9r\u00eat. Ce \u201cn\u2019importe quoi\u201d est parfois l\u2019ultime r\u00e9ponse apr\u00e8s avoir tout essay\u00e9. Il peut surgir sans lien apparent avec la situation. 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