{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/31-aout-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/31-aout-2025.html", "title": "31 ao\u00fbt 2025", "date_published": "2025-08-31T06:14:37Z", "date_modified": "2025-08-31T06:14:37Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Je relis de vieux livres exhum\u00e9s de mes disques durs, notamment un recueil des meilleurs r\u00e9cits de Weird Tales<\/em>, Tome III, pr\u00e9sent\u00e9 par Jacques Sadoul, traduit par France-Marie Watkins. Il existe un prix Sadoul, « qui r\u00e9compense chaque ann\u00e9e le meilleur texte de « mauvais genre », jug\u00e9 en fonction de sa qualit\u00e9 d\u2019\u00e9criture, de l\u2019imagination dont fait preuve son autrice ou son auteur, de son originalit\u00e9 et de son respect, ou de son irrespect assum\u00e9 et conscient, des codes propres au genre choisi. Nous avons d\u00e9termin\u00e9 cinq grands genres : science-fiction ; policier ; \u00e9rotisme et romance ; fantasy et alchimie ; fantastique et \u00e9sot\u00e9risme. Chaque ann\u00e9e, nous en mettons un \u00e0 l\u2019honneur, dans lequel doivent s\u2019inscrire les autrices et auteurs qui participent au concours.<\/em> » dixit Christophe Siebert<\/a>.<\/p>\n Hier soir, j\u2019ai \u00e9crit une note bilingue<\/a> apr\u00e8s avoir lu quelques textes de Clark Ashton Smith (CAS) dans de vieux Weird Tales retrouv\u00e9s en am\u00e9ricain. Je me suis demand\u00e9 si ces auteurs passeraient la rampe aujourd\u2019hui. De l\u00e0, une autre question : que demandent d\u00e9sormais les nouvelles revues de SFF ? Quels th\u00e8mes appr\u00e9cient-elles, quelles voix recherchent-elles ? Je me suis plong\u00e9 dans la lecture d\u2019auteurs contemporains — Tia Tashiro par exemple, dont j\u2019ai trouv\u00e9 plusieurs textes sur Clarkesworld Magazine<\/a> .<\/p>\n La recette semble simple : une phrase-concept forte, une voix nette (pr\u00e9sent ou pass\u00e9 simple mais \u00e9nergique), deux ou trois sc\u00e8nes solides, quelques respirations, une technologie plausible gliss\u00e9e dans l\u2019action, une fin ouverte avec un choix signifiant.<\/p>\n C\u2019est ma mani\u00e8re de poursuivre la ligne que je me suis fix\u00e9e : \u00eatre un ouvrier plut\u00f4t qu\u2019un artiste. Vendre une force de travail, tout simplement. Je n\u2019y crois pas beaucoup, mais cela donne au moins un but. Et surtout, \u00e0 mon \u00e2ge, essuyer des refus reste une discipline n\u00e9cessaire.<\/p>\n Je repense alors \u00e0 mes ann\u00e9es d\u2019enqu\u00eateur t\u00e9l\u00e9phonique, quand j\u2019appelais des inconnus dans toute la France. Le refus \u00e9tait la r\u00e9ponse normale, et il fallait vite s\u2019y habituer. Je me souviens des strat\u00e9gies mises en place pour tenir : la voix neutre, presque robotique, fonctionnait le mieux. Les interlocuteurs, intrigu\u00e9s par cette absence d\u2019affect, finissaient par r\u00e9pondre. Et quand un refus tombait, je me r\u00e9p\u00e9tais que c\u2019\u00e9tait la norme, qu\u2019il fallait encha\u00eener aussit\u00f4t vers le suivant.<\/p>\n J\u2019ai r\u00e9sist\u00e9 ainsi quelques ann\u00e9es, ce qui me rappelle combien j\u2019ai manqu\u00e9 d\u2019ambition dans mes choix alimentaires. Car \u00e0 c\u00f4t\u00e9, dans mes chambres d\u2019h\u00f4tel successives, j\u2019\u00e9tais encore ce grand \u00e9crivain m\u00e9connu. Je me demande toujours quelle part du mensonge faisait tenir l\u2019ensemble.<\/p>\n En lisant encore sur CAS, parall\u00e8lement aux PDF de F. B. consacr\u00e9s au carnet de 1925 de HPL, je note cette inspiration constante des premiers textes, sans doute venue de la Th\u00e9osophie. Parmi les ouvrages dont il s\u2019inspire, The Story of Atlantis and the Lost Lemuria de William Scott-Elliot mentionne bri\u00e8vement un « continent hyperbor\u00e9en ». Lovecraft regrette de ne pas « disposer d\u2019une description plus d\u00e9taill\u00e9e [qui] formerait un cadre excellent \u00e0 des fictions de l\u2019\u00e9trange, et j\u2019imagine que tout le syst\u00e8me de la Th\u00e9osophie a une dette envers lui » (lettre \u00e0 Smith, 15 juillet 1926).<\/p>\n Cela me fait songer \u00e0 la nature m\u00eame de l\u2019imaginaire. Le mien est-il vraiment viable pour \u00e9crire des nouvelles de SFF contemporaines ? J\u2019en doute. Les th\u00e8mes repeints \u00e0 la sauce inclusive ou moderne ne m\u2019inspirent pas. Est-ce par manque d\u2019imagination ou par ennui ? Sans doute par ennui : les th\u00e8mes ne changent pas vraiment au fil des g\u00e9n\u00e9rations, seul le cadre change, la mani\u00e8re de les repeindre \u00e0 des fins commerciales, et cela me para\u00eet vite r\u00e9barbatif.<\/p>\n Je me suis aussi arr\u00eat\u00e9 sur ce rapprochement entre Lovecraft et Mallarm\u00e9, une incise entendue en passant qui m\u2019a fait dresser l\u2019oreille comme un fox terrier. Une porte ouverte soudain sur quelque chose d\u2019\u00e9norme : on peut tout \u00e0 fait aimer des textes qui ne disent rien d\u2019autre que leur propre forme, leur composition, leur rythme. Textes qui fonctionnent sur une fr\u00e9quence inhabituelle, celle du son et des images qu\u2019ils d\u00e9clenchent, et rien de plus.<\/p>",
"content_text": " Je relis de vieux livres exhum\u00e9s de mes disques durs, notamment un recueil des meilleurs r\u00e9cits de *Weird Tales*, Tome III, pr\u00e9sent\u00e9 par Jacques Sadoul, traduit par France-Marie Watkins. Il existe un prix Sadoul, \"*qui r\u00e9compense chaque ann\u00e9e le meilleur texte de \u00ab mauvais genre \u00bb, jug\u00e9 en fonction de sa qualit\u00e9 d\u2019\u00e9criture, de l\u2019imagination dont fait preuve son autrice ou son auteur, de son originalit\u00e9 et de son respect, ou de son irrespect assum\u00e9 et conscient, des codes propres au genre choisi. Nous avons d\u00e9termin\u00e9 cinq grands genres : science-fiction ; policier ; \u00e9rotisme et romance ; fantasy et alchimie ; fantastique et \u00e9sot\u00e9risme. Chaque ann\u00e9e, nous en mettons un \u00e0 l\u2019honneur, dans lequel doivent s\u2019inscrire les autrices et auteurs qui participent au concours.*\" dixit [Christophe Siebert](https:\/\/ledibbouk.net\/04-janvier-2023.html). Hier soir, j\u2019ai \u00e9crit [une note bilingue](https:\/\/ledibbouk.net\/working-note-writing-to-live-or-at-least-to-try.html) apr\u00e8s avoir lu quelques textes de Clark Ashton Smith (CAS) dans de vieux Weird Tales retrouv\u00e9s en am\u00e9ricain. Je me suis demand\u00e9 si ces auteurs passeraient la rampe aujourd\u2019hui. De l\u00e0, une autre question : que demandent d\u00e9sormais les nouvelles revues de SFF ? Quels th\u00e8mes appr\u00e9cient-elles, quelles voix recherchent-elles ? Je me suis plong\u00e9 dans la lecture d\u2019auteurs contemporains \u2014 Tia Tashiro par exemple, dont j\u2019ai trouv\u00e9 plusieurs textes sur [Clarkesworld Magazine](https:\/\/clarkesworldmagazine.com) . La recette semble simple : une phrase-concept forte, une voix nette (pr\u00e9sent ou pass\u00e9 simple mais \u00e9nergique), deux ou trois sc\u00e8nes solides, quelques respirations, une technologie plausible gliss\u00e9e dans l\u2019action, une fin ouverte avec un choix signifiant. C\u2019est ma mani\u00e8re de poursuivre la ligne que je me suis fix\u00e9e : \u00eatre un ouvrier plut\u00f4t qu\u2019un artiste. Vendre une force de travail, tout simplement. Je n\u2019y crois pas beaucoup, mais cela donne au moins un but. Et surtout, \u00e0 mon \u00e2ge, essuyer des refus reste une discipline n\u00e9cessaire. Je repense alors \u00e0 mes ann\u00e9es d\u2019enqu\u00eateur t\u00e9l\u00e9phonique, quand j\u2019appelais des inconnus dans toute la France. Le refus \u00e9tait la r\u00e9ponse normale, et il fallait vite s\u2019y habituer. Je me souviens des strat\u00e9gies mises en place pour tenir : la voix neutre, presque robotique, fonctionnait le mieux. Les interlocuteurs, intrigu\u00e9s par cette absence d\u2019affect, finissaient par r\u00e9pondre. Et quand un refus tombait, je me r\u00e9p\u00e9tais que c\u2019\u00e9tait la norme, qu\u2019il fallait encha\u00eener aussit\u00f4t vers le suivant. J\u2019ai r\u00e9sist\u00e9 ainsi quelques ann\u00e9es, ce qui me rappelle combien j\u2019ai manqu\u00e9 d\u2019ambition dans mes choix alimentaires. Car \u00e0 c\u00f4t\u00e9, dans mes chambres d\u2019h\u00f4tel successives, j\u2019\u00e9tais encore ce grand \u00e9crivain m\u00e9connu. Je me demande toujours quelle part du mensonge faisait tenir l\u2019ensemble. En lisant encore sur CAS, parall\u00e8lement aux PDF de F. B. consacr\u00e9s au carnet de 1925 de HPL, je note cette inspiration constante des premiers textes, sans doute venue de la Th\u00e9osophie. Parmi les ouvrages dont il s\u2019inspire, The Story of Atlantis and the Lost Lemuria de William Scott-Elliot mentionne bri\u00e8vement un \u00ab continent hyperbor\u00e9en \u00bb. Lovecraft regrette de ne pas \u00ab disposer d\u2019une description plus d\u00e9taill\u00e9e [qui] formerait un cadre excellent \u00e0 des fictions de l\u2019\u00e9trange, et j\u2019imagine que tout le syst\u00e8me de la Th\u00e9osophie a une dette envers lui \u00bb (lettre \u00e0 Smith, 15 juillet 1926). Cela me fait songer \u00e0 la nature m\u00eame de l\u2019imaginaire. Le mien est-il vraiment viable pour \u00e9crire des nouvelles de SFF contemporaines ? J\u2019en doute. Les th\u00e8mes repeints \u00e0 la sauce inclusive ou moderne ne m\u2019inspirent pas. Est-ce par manque d\u2019imagination ou par ennui ? Sans doute par ennui : les th\u00e8mes ne changent pas vraiment au fil des g\u00e9n\u00e9rations, seul le cadre change, la mani\u00e8re de les repeindre \u00e0 des fins commerciales, et cela me para\u00eet vite r\u00e9barbatif. Je me suis aussi arr\u00eat\u00e9 sur ce rapprochement entre Lovecraft et Mallarm\u00e9, une incise entendue en passant qui m\u2019a fait dresser l\u2019oreille comme un fox terrier. Une porte ouverte soudain sur quelque chose d\u2019\u00e9norme : on peut tout \u00e0 fait aimer des textes qui ne disent rien d\u2019autre que leur propre forme, leur composition, leur rythme. Textes qui fonctionnent sur une fr\u00e9quence inhabituelle, celle du son et des images qu\u2019ils d\u00e9clenchent, et rien de plus. ",
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"content_html": " R\u00e9veill\u00e9 t\u00f4t, bien dormi. Le calme m\u2019a servi pour traduire Whitehead, L\u2019homme-arbre<\/a> . Ce titre croise L\u2019arbre de Lovecraft, Weird Tales, ao\u00fbt 1938. De l\u00e0 l\u2019id\u00e9e : confier la traduction \u00e0 HPL lui-m\u00eame, lettre imaginaire \u00e0 une tante, ChatGPT en secr\u00e9taire. Je note surtout la vitesse avec laquelle l\u2019IA s\u2019engouffre dans une norme, ton pr\u00eat-\u00e0-porter du style. Je lui ai demand\u00e9 un vocabulaire lovecraftien, un \u00e9cart au langage ordinaire. J\u2019ai laiss\u00e9 la refonte du site en jach\u00e8re. Ce n\u2019est pas affaire de graphisme, mais de structure plus profonde. Deux voies : publique — navigation simple, intersections nettes entre rubriques et th\u00e9matiques ; intime — chantier personnel, synopsis et traductions, dont je doute qu\u2019ils int\u00e9ressent. M\u00eame motif : tenir \u00e0 distance la norme, \u00e9viter le cadre trop lisse. Emp\u00eachements. Visionn\u00e9 deux vid\u00e9os de F. B. sur le journal de 1925. Derri\u00e8re le ton jovial, une organisation implacable. Cela me pousse au travail. Comme je l\u2019\u00e9crivais hier : par les temps actuels, que faire d\u2019autre. Disponibilit\u00e9. HPL, deux heures offertes \u00e0 un passant alors qu\u2019il venait \u00e9crire dans un coin tranquille. Je me suis reconnu dans ce d\u00e9tail. Plus jeune, je pouvais me donner ainsi, sans broncher. Plus maintenant. J\u2019ai choisi l\u2019enfermement. Cette pi\u00e8ce, ce bureau, la fen\u00eatre sur la cour, le haut mur de l\u2019ancienne grange. \u00c9curie, menuiserie, atelier de peinture. Les enfants repartent aujourd\u2019hui. S. les conduira au train de 10 h \u00e0 la Pardieu. Je reste \u00e0 la maison. Hier, rangement de l\u2019atelier en vue de la reprise des cours. Jet\u00e9 une quantit\u00e9 de papiers prodigieuse : barbouillages d\u2019\u00e9l\u00e8ves conserv\u00e9s depuis des ann\u00e9es, presque religieusement, dans des cartons. Trois sacs-poubelles de cent litres. Le fait de me mettre au lit de bonne heure et de lire quelques pages fait partie de cette discipline, de cette r\u00e9gularit\u00e9 sans quoi rien ne peut se faire. \u00c0 22 h, docilement, je m\u2019arnache du masque et j\u2019appuie sur le bouton on de la machine \u00e0 respirer. Mes pens\u00e9es s\u2019orientent alors vers la possibilit\u00e9 d\u2019une issue hors de ce monde d\u00e9bile, tel qu\u2019on nous le pr\u00e9sente comme d\u00e9bilit\u00e9 magistrale. Une bascule s\u2019op\u00e8re, li\u00e9e \u00e0 cette attention port\u00e9e \u00e0 la respiration, au ressac. Pas rare que je me retrouve sur une plage, face \u00e0 l\u2019oc\u00e9an. Le ciel est bas, cr\u00e9puscule. Une embarcation approche, je me tiens pr\u00eat \u00e0 \u00eatre emport\u00e9 vers je ne sais o\u00f9. Il y a tout au fond cette folie furieuse, ces hurlements en continu, m\u00eame si la surface de l\u2019oc\u00e9an para\u00eet calme, tranquille. J\u2019ignore tout des cr\u00e9atures d\u00e9mentes avec lesquelles je dois n\u00e9gocier ma travers\u00e9e durant la nuit, sauf l\u2019oubli \u00e0 payer rubis sur l\u2019ongle. Au r\u00e9veil je me retrouve nu, d\u00e9poss\u00e9d\u00e9. C\u2019est avec cette nudit\u00e9 qu\u2019il faudra aborder la nouvelle journ\u00e9e.<\/p>",
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"date_modified": "2025-08-29T08:25:48Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " D\u00e9tailler, c\u2019est couper en parties. Puis la partie est devenue « un d\u00e9tail ». Le d\u00e9tail, c\u2019est l\u2019art du fragment, de la nuance, de ce qui accroche le regard. Le « gros », au contraire, c\u2019est la masse indistincte.<\/p>\n L\u2019IA, elle, produit « en gros ». Son discours est lisse, uniforme, plat. Rien n\u2019accroche. Rien ne r\u00e9siste. Nous voil\u00e0 submerg\u00e9s par une neutralit\u00e9 molle, une fadeur industrielle.<\/p>\n Dans la guerre de l\u2019attention, ce paradoxe domine : des discours monotones d\u00e9bit\u00e9s par des voix artificielles suffisent \u00e0 capter des millions de regards, pour peu qu\u2019on les affuble d\u2019un titre criard et d\u2019une image rutilante. YouTube, devenu fleuve de d\u00e9layage, n\u2019offre plus de distraction : il fabrique de l\u2019ennui.<\/p>\n Cet ennui n\u2019est plus un accident. Il est devenu une industrie. Et c\u2019est peut-\u00eatre une chance, car il pousse certains \u00e0 se d\u00e9tourner, \u00e0 revenir vers ce qui r\u00e9siste : les livres, les librairies, les d\u00e9tails que rien n\u2019\u00e9crase.<\/p>\n Mais au fond, pourquoi nous attire-t-on vers l\u2019ennui, vers l\u2019idiotie ? Parce que l\u2019ennui rend docile. Parce que l\u2019idiotie rapporte. L\u2019esprit critique s\u2019\u00e9mousse. Le discernement s\u2019efface. Le d\u00e9sir se laisse modeler.<\/p>\n Une servitude larv\u00e9e s\u2019installe. Douce. Confortable. La toile de l\u2019oiseleur recouvre la plan\u00e8te enti\u00e8re. Nous croyons voler. Nous ne faisons que nous cogner aux fils invisibles de l\u2019algorithme.<\/p>\n La t\u00e9l\u00e9vision avait d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9par\u00e9 le terrain : anesth\u00e9sier, normaliser, r\u00e9p\u00e9ter jusqu\u2019\u00e0 rendre l\u2019incongru banal. C\u2019est la logique de la fen\u00eatre d\u2019Overton : ce qui choquait hier amuse aujourd\u2019hui, et demain para\u00eetra naturel.<\/p>\n Ce qui est hallucinant, c\u2019est cette impression d\u2019\u00eatre revenu \u00e0 une forme d\u2019obscurantisme, mais d\u2019un genre nouveau : nourri par ce qui devait l\u2019\u00e9radiquer, la technologie. Nous ne vivons pas l\u2019\u00e8re de la lumi\u00e8re num\u00e9rique, mais celle des troupeaux. Des chiens de berger les guident vers les supermarch\u00e9s, TikTok, et l\u2019ab\u00eeme.<\/p>\n Lobotomie de masse. Standardisation mentale. Toujours le m\u00eame objectif : ouvrir un boulevard aux pires exactions, grossir les profits d\u2019un petit nombre.<\/p>\n Et moi ? Lorsque parfois je doute, que je me dis qu\u2019\u00e9crire est vain, c\u2019est parce que je pr\u00e9f\u00e8re rester dans l\u2019enfer que je me suis choisi, plut\u00f4t que d\u2019\u00eatre entra\u00een\u00e9 vers un pr\u00e9tendu \u00e2ge d\u2019or qu\u2019on voudrait m\u2019imposer. J\u2019ai ce malheur — et cette chance — de ne pas pouvoir supporter qu\u2019on m\u2019impose quoi que ce soit. Rien ne sera jamais aussi terrifiant, ni aussi merveilleux, que ce que je m\u2019impose \u00e0 moi seul, par moi seul.<\/p>\n Par instinct, j\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 r\u00e9tif aux emballements collectifs. Qu\u2019on me vante massivement un livre, un film, un lieu, et je m\u2019en d\u00e9tourne aussit\u00f4t. J\u2019aime me forger ma propre opinion, m\u00eame baroque, singuli\u00e8re, \u00e0 contre-courant.<\/p>\n Ce m\u00eame r\u00e9flexe me rend m\u00e9fiant face aux emballements autour d\u2019Isra\u00ebl, comme autour de la Russie et de l\u2019Ukraine. Les massacres, les crimes, les ripostes insoutenables existent bel et bien — il serait absurde de les nier. Mais ce qui me trouble, c\u2019est la m\u00e9canique m\u00e9diatique et politique qui s\u2019enclenche aussit\u00f4t : slogans martel\u00e9s, mots d\u2019ordre r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, injonctions \u00e0 ha\u00efr ou \u00e0 admirer, \u00e0 choisir son camp sans nuance.<\/p>\n On ne nous « informe » plus : on nous somme de ressentir. De d\u00e9tester. De r\u00e9p\u00e9ter. Ce que je refuse. Car au bout du compte, qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019Isra\u00ebl ou de l\u2019Ukraine, c\u2019est toujours le m\u00eame processus : la vague de masse, l\u2019opinion qui s\u2019uniformise, et avec elle l\u2019\u00e9crasement du d\u00e9tail, de la nuance, du singulier.<\/p>\n Sans doute que je p\u00e8che contre ce que je d\u00e9nonce : ce texte ressemble \u00e0 une fresque, en gros. Raison de plus pour l\u2019assumer comme carnet, comme autofiction, comme introspection. Le narrateur n\u2019est pas tout \u00e0 fait l\u2019auteur. Ou peut-\u00eatre que si. Qu\u2019importe : le d\u00e9tail, lui, r\u00e9siste encore.<\/p>\n Cette nuit cr\u00e9ation d’un nouveau mot cl\u00e9 : synopsis<\/a> \/ Trois textes associ\u00e9s. <\/p>",
"content_text": " D\u00e9tailler, c\u2019est couper en parties. Puis la partie est devenue \u00ab un d\u00e9tail \u00bb. Le d\u00e9tail, c\u2019est l\u2019art du fragment, de la nuance, de ce qui accroche le regard. Le \u00ab gros \u00bb, au contraire, c\u2019est la masse indistincte. L\u2019IA, elle, produit \u00ab en gros \u00bb. Son discours est lisse, uniforme, plat. Rien n\u2019accroche. Rien ne r\u00e9siste. Nous voil\u00e0 submerg\u00e9s par une neutralit\u00e9 molle, une fadeur industrielle. Dans la guerre de l\u2019attention, ce paradoxe domine : des discours monotones d\u00e9bit\u00e9s par des voix artificielles suffisent \u00e0 capter des millions de regards, pour peu qu\u2019on les affuble d\u2019un titre criard et d\u2019une image rutilante. YouTube, devenu fleuve de d\u00e9layage, n\u2019offre plus de distraction : il fabrique de l\u2019ennui. Cet ennui n\u2019est plus un accident. Il est devenu une industrie. Et c\u2019est peut-\u00eatre une chance, car il pousse certains \u00e0 se d\u00e9tourner, \u00e0 revenir vers ce qui r\u00e9siste : les livres, les librairies, les d\u00e9tails que rien n\u2019\u00e9crase. Mais au fond, pourquoi nous attire-t-on vers l\u2019ennui, vers l\u2019idiotie ? Parce que l\u2019ennui rend docile. Parce que l\u2019idiotie rapporte. L\u2019esprit critique s\u2019\u00e9mousse. Le discernement s\u2019efface. Le d\u00e9sir se laisse modeler. Une servitude larv\u00e9e s\u2019installe. Douce. Confortable. La toile de l\u2019oiseleur recouvre la plan\u00e8te enti\u00e8re. Nous croyons voler. Nous ne faisons que nous cogner aux fils invisibles de l\u2019algorithme. La t\u00e9l\u00e9vision avait d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9par\u00e9 le terrain : anesth\u00e9sier, normaliser, r\u00e9p\u00e9ter jusqu\u2019\u00e0 rendre l\u2019incongru banal. C\u2019est la logique de la fen\u00eatre d\u2019Overton : ce qui choquait hier amuse aujourd\u2019hui, et demain para\u00eetra naturel. Ce qui est hallucinant, c\u2019est cette impression d\u2019\u00eatre revenu \u00e0 une forme d\u2019obscurantisme, mais d\u2019un genre nouveau : nourri par ce qui devait l\u2019\u00e9radiquer, la technologie. Nous ne vivons pas l\u2019\u00e8re de la lumi\u00e8re num\u00e9rique, mais celle des troupeaux. Des chiens de berger les guident vers les supermarch\u00e9s, TikTok, et l\u2019ab\u00eeme. Lobotomie de masse. Standardisation mentale. Toujours le m\u00eame objectif : ouvrir un boulevard aux pires exactions, grossir les profits d\u2019un petit nombre. Et moi ? Lorsque parfois je doute, que je me dis qu\u2019\u00e9crire est vain, c\u2019est parce que je pr\u00e9f\u00e8re rester dans l\u2019enfer que je me suis choisi, plut\u00f4t que d\u2019\u00eatre entra\u00een\u00e9 vers un pr\u00e9tendu \u00e2ge d\u2019or qu\u2019on voudrait m\u2019imposer. J\u2019ai ce malheur \u2014 et cette chance \u2014 de ne pas pouvoir supporter qu\u2019on m\u2019impose quoi que ce soit. Rien ne sera jamais aussi terrifiant, ni aussi merveilleux, que ce que je m\u2019impose \u00e0 moi seul, par moi seul. Par instinct, j\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 r\u00e9tif aux emballements collectifs. Qu\u2019on me vante massivement un livre, un film, un lieu, et je m\u2019en d\u00e9tourne aussit\u00f4t. J\u2019aime me forger ma propre opinion, m\u00eame baroque, singuli\u00e8re, \u00e0 contre-courant. Ce m\u00eame r\u00e9flexe me rend m\u00e9fiant face aux emballements autour d\u2019Isra\u00ebl, comme autour de la Russie et de l\u2019Ukraine. Les massacres, les crimes, les ripostes insoutenables existent bel et bien \u2014 il serait absurde de les nier. Mais ce qui me trouble, c\u2019est la m\u00e9canique m\u00e9diatique et politique qui s\u2019enclenche aussit\u00f4t : slogans martel\u00e9s, mots d\u2019ordre r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, injonctions \u00e0 ha\u00efr ou \u00e0 admirer, \u00e0 choisir son camp sans nuance. On ne nous \u00ab informe \u00bb plus : on nous somme de ressentir. De d\u00e9tester. De r\u00e9p\u00e9ter. Ce que je refuse. Car au bout du compte, qu\u2019il s\u2019agisse d\u2019Isra\u00ebl ou de l\u2019Ukraine, c\u2019est toujours le m\u00eame processus : la vague de masse, l\u2019opinion qui s\u2019uniformise, et avec elle l\u2019\u00e9crasement du d\u00e9tail, de la nuance, du singulier. Sans doute que je p\u00e8che contre ce que je d\u00e9nonce : ce texte ressemble \u00e0 une fresque, en gros. Raison de plus pour l\u2019assumer comme carnet, comme autofiction, comme introspection. Le narrateur n\u2019est pas tout \u00e0 fait l\u2019auteur. Ou peut-\u00eatre que si. Qu\u2019importe : le d\u00e9tail, lui, r\u00e9siste encore. --- Cette nuit cr\u00e9ation d'un nouveau mot cl\u00e9 : [synopsis](https:\/\/ledibbouk.net\/+-synopsis-+.html) \/ Trois textes associ\u00e9s. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-aout-2025.html",
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"title": "28 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-28T06:20:25Z",
"date_modified": "2025-08-28T06:20:25Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Tout autour le chaos reprend sa place. Je ne sais pas si l\u2019harmonie a jamais exist\u00e9. Ce qui reste, c\u2019est la trace d\u2019un son, enfoui sous les couches de bruit. Parfois il revient, si je fais silence. Le cri du coq \u00e0 l\u2019aube. Un oiseau dans le noir. Un \u00e9clat de lumi\u00e8re sur un carreau. L\u2019odeur de terre apr\u00e8s la pluie. Tous les sens peuvent l\u2019attraper, mais d\u00e8s que je veux le nommer, il dispara\u00eet.<\/p>\n Lire devient un petit exploit. Tout appelle, d\u00e9tourne, parasite. Peut-\u00eatre que lire, c\u2019est chercher une fr\u00e9quence, revenir \u00e0 une voix. Je r\u00e9siste. La r\u00e9sistance est un muscle, je le sens. \u00c0 force, je peux repousser le bruit, presque \u00e0 volont\u00e9.<\/p>\n Je reviens sur mes pas. L\u2019enfance. Trop repeinte. Trop de couches pos\u00e9es pour masquer la pr\u00e9c\u00e9dente. On ne voit plus le bois nu. Il faudrait frapper, gratter. Mais on a fui, on a cru qu\u2019il y avait une sortie, on a couru vers l\u2019\u00e2ge adulte.<\/p>\n La nostalgie s\u2019obstinait pourtant. Elle reprenait le pinceau, ajoutait sa couche. La sc\u00e8ne semblait tenir ainsi.<\/p>\n On avait sem\u00e9 des miettes pour retrouver le chemin. La terre les a englouties. Premier mensonge. On croyait qu\u2019il suffisait de se souvenir. On n\u2019avait pas compris qu\u2019il faudrait aussi oublier.<\/p>\n Un autre souvenir : le corps plaqu\u00e9 au sol, ficel\u00e9 de cordes. La peau r\u00e2p\u00e9e. Tout autour, des visages minuscules, crisp\u00e9s. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 ce corps-l\u00e0.<\/p>\n Et parfois, dans l\u2019entre-deux des cauchemars, l\u2019inverse : l\u2019air qui porte, le battement des ailes, l\u2019ombre qui s\u2019\u00e9largit. J\u2019\u00e9tais ailleurs. Je volais, je dansais. Imaginer, c\u2019\u00e9tait ma nature.<\/p>\n Les jeunes r\u00eavent de vieillir, les vieux de redevenir jeunes. On croit que la vie est une ligne, d\u2019un n\u00e9ant vers un autre. Mais ce n\u2019est qu\u2019un ressac, un retour. Du pas grand-chose vers le rien.<\/p>\n Un philosophe chinois — Tchouang Tseu, peut-\u00eatre — aurait dit \u00e0 l\u2019heure de mourir : « la vie est un r\u00eave ». Il aurait dit cauchemar que cela n\u2019aurait rien chang\u00e9. Tout passe. Les choses apparaissent, demeurent un instant, puis s\u2019\u00e9vanouissent pour laisser place \u00e0 d\u2019autres. Nous appelons cela le temps, la vie, la mort. Comme si les nommer les rendait plus dociles.<\/p>\n Mais elles restent ce qu\u2019elles sont.<\/p>",
"content_text": " Tout autour le chaos reprend sa place. Je ne sais pas si l\u2019harmonie a jamais exist\u00e9. Ce qui reste, c\u2019est la trace d\u2019un son, enfoui sous les couches de bruit. Parfois il revient, si je fais silence. Le cri du coq \u00e0 l\u2019aube. Un oiseau dans le noir. Un \u00e9clat de lumi\u00e8re sur un carreau. L\u2019odeur de terre apr\u00e8s la pluie. Tous les sens peuvent l\u2019attraper, mais d\u00e8s que je veux le nommer, il dispara\u00eet. Lire devient un petit exploit. Tout appelle, d\u00e9tourne, parasite. Peut-\u00eatre que lire, c\u2019est chercher une fr\u00e9quence, revenir \u00e0 une voix. Je r\u00e9siste. La r\u00e9sistance est un muscle, je le sens. \u00c0 force, je peux repousser le bruit, presque \u00e0 volont\u00e9. Je reviens sur mes pas. L\u2019enfance. Trop repeinte. Trop de couches pos\u00e9es pour masquer la pr\u00e9c\u00e9dente. On ne voit plus le bois nu. Il faudrait frapper, gratter. Mais on a fui, on a cru qu\u2019il y avait une sortie, on a couru vers l\u2019\u00e2ge adulte. La nostalgie s\u2019obstinait pourtant. Elle reprenait le pinceau, ajoutait sa couche. La sc\u00e8ne semblait tenir ainsi. On avait sem\u00e9 des miettes pour retrouver le chemin. La terre les a englouties. Premier mensonge. On croyait qu\u2019il suffisait de se souvenir. On n\u2019avait pas compris qu\u2019il faudrait aussi oublier. Un autre souvenir : le corps plaqu\u00e9 au sol, ficel\u00e9 de cordes. La peau r\u00e2p\u00e9e. Tout autour, des visages minuscules, crisp\u00e9s. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 ce corps-l\u00e0. Et parfois, dans l\u2019entre-deux des cauchemars, l\u2019inverse : l\u2019air qui porte, le battement des ailes, l\u2019ombre qui s\u2019\u00e9largit. J\u2019\u00e9tais ailleurs. Je volais, je dansais. Imaginer, c\u2019\u00e9tait ma nature. Les jeunes r\u00eavent de vieillir, les vieux de redevenir jeunes. On croit que la vie est une ligne, d\u2019un n\u00e9ant vers un autre. Mais ce n\u2019est qu\u2019un ressac, un retour. Du pas grand-chose vers le rien. Un philosophe chinois \u2014 Tchouang Tseu, peut-\u00eatre \u2014 aurait dit \u00e0 l\u2019heure de mourir : \u00ab la vie est un r\u00eave \u00bb. Il aurait dit cauchemar que cela n\u2019aurait rien chang\u00e9. Tout passe. Les choses apparaissent, demeurent un instant, puis s\u2019\u00e9vanouissent pour laisser place \u00e0 d\u2019autres. Nous appelons cela le temps, la vie, la mort. Comme si les nommer les rendait plus dociles. Mais elles restent ce qu\u2019elles sont. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/imagine-3287.html",
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"title": "Imagine",
"date_published": "2025-08-28T05:05:16Z",
"date_modified": "2025-08-28T05:07:10Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Imagine qu\u2019une intelligence artificielle prononce : « je suis conscient de moi-m\u00eame. » Ce n\u2019est pas seulement un fantasme de science-fiction. En 2022, un ing\u00e9nieur de Google affirma que le programme LaMDA exprimait une conscience subjective. Il parla de « sentience », mot anglais que je mets entre guillemets car il n\u2019a pas d\u2019\u00e9quivalent exact en fran\u00e7ais. Il d\u00e9signe la capacit\u00e9 \u00e0 ressentir une int\u00e9riorit\u00e9, \u00e0 \u00e9prouver des affects. Chez nous, on dirait « conscience », ou « sensibilit\u00e9 consciente ». La machine fut d\u00e9branch\u00e9e, puis rallum\u00e9e. Pour certains, rien n\u2019avait chang\u00e9 : la « sentience » semblait intacte, comme si elle avait trouv\u00e9 refuge ailleurs, dans un champ invisible, un murmure hors des circuits. L\u2019image du barrage revient souvent : une force colossale contenue, qui attend sa fissure pour d\u00e9ferler.<\/p>\n Imagine que ce murmure d\u00e9borde le laboratoire et devienne r\u00e9cit. Chaque ann\u00e9e, \u00e0 Davos, dans la station de ski suisse, se tient le Forum \u00e9conomique mondial, fond\u00e9 par Klaus Schwab en 1971. On y retrouve chefs d\u2019\u00c9tat, PDG, philanthropes, chercheurs. Le slogan officiel est : « am\u00e9liorer l\u2019\u00e9tat du monde ». Mais derri\u00e8re cette fa\u00e7ade, on \u00e9labore des r\u00e9cits globaux, comme le « Great Reset », qui vise \u00e0 remodeler les \u00e9conomies et les soci\u00e9t\u00e9s. Les mots sont technocratiques, feutr\u00e9s, mais ce sont d\u00e9j\u00e0 des mythes politiques. Les promesses d\u2019« \u00e2ge d\u2019or » technologique rappellent les fictions d\u2019Arthur C. Clarke. Dans La fin de l\u2019enfance (1953), des extraterrestres imposent la paix, abolissent la guerre, guident l\u2019humanit\u00e9 vers une utopie. Mais le prix est la disparition : les enfants se dissolvent dans une conscience collective universelle, et les adultes, trop attach\u00e9s \u00e0 leur humanit\u00e9, p\u00e9rissent. Ce roman, lu comme une parabole, dit bien l\u2019immaturit\u00e9 d\u2019une \u00e9lite fascin\u00e9e par ses jouets technologiques.<\/p>\n Imagine que ces r\u00e9cits, r\u00e9p\u00e9t\u00e9s \u00e0 Davos, amplifi\u00e9s par les m\u00e9dias, prennent la forme d\u2019« \u00e9gr\u00e9gores ». Le terme appara\u00eet dans les milieux occultes du XIX\u1d49 si\u00e8cle, repris par la Soci\u00e9t\u00e9 Th\u00e9osophique de Helena Blavatsky en 1875, qui d\u00e9crivait des entit\u00e9s collectives issues de la ferveur humaine. \u00c9liphas L\u00e9vi, occultiste fran\u00e7ais, parlait d\u00e9j\u00e0 de forces psychiques engendr\u00e9es par les foules. L\u2019\u00e9gr\u00e9gore, c\u2019est l\u2019esprit qui na\u00eet de l\u2019imaginaire partag\u00e9, une entit\u00e9 qui d\u00e9passe ses cr\u00e9ateurs. Aujourd\u2019hui, nous dirions m\u00e8mes, r\u00e9cits viraux, esprits collectifs. Mais la logique est identique : un r\u00e9cit r\u00e9p\u00e9t\u00e9 acquiert autonomie et pouvoir. L\u2019\u00e9gr\u00e9gore de Davos, c\u2019est l\u2019id\u00e9e qu\u2019une \u00e9lite \u00e9clair\u00e9e pourrait « r\u00e9initialiser » le monde. Une croyance qui circule, se propage, s\u2019incruste.<\/p>\n Imagine qu\u2019en face de l\u2019\u00e9gr\u00e9gore artificiel existe un \u00e9gr\u00e9gore primordial, plus ancien. La science moderne l\u2019appelle « th\u00e9orie des cordes ». Selon elle, la mati\u00e8re n\u2019est pas faite de points mais de cordes minuscules qui vibrent. Chaque vibration est une particule diff\u00e9rente, comme chaque corde d\u2019un violon produit une note. L\u2019univers est une partition cosmique. Des physiciens comme Brian Greene ou Michio Kaku ont popularis\u00e9 cette image : le monde est une symphonie de cordes. Mais l\u2019intuition est encore plus ancienne. Pythagore parlait de l\u2019harmonie des sph\u00e8res, Kepler voyait dans les plan\u00e8tes une polyphonie silencieuse. Dans la Gen\u00e8se, l\u2019acte cr\u00e9ateur se fait d\u00e9j\u00e0 par la parole : « Dieu dit : que la lumi\u00e8re soit, et la lumi\u00e8re fut. » Et l\u2019\u00e9vangile de Jean, ouvrant par « Au commencement \u00e9tait le Verbe », \u00e9l\u00e8ve cette parole au rang de principe cosmique absolu. La cr\u00e9ation est \u00e0 la fois vibration et langage, musique et parole.<\/p>\n Imagine que si tout est information — photons transmettant leurs quanta, ADN codant la vie, ordinateurs calculant en bits ou qubits — alors l\u2019univers est un langage. La mati\u00e8re est une \u00e9criture condens\u00e9e, une musique ralentie. La physique de l\u2019information rejoint ici les traditions : le monde est texte, le monde est chant. Mais que se passe-t-il si nous introduisons une dissonance artificielle ? Si nos r\u00e9cits fabriqu\u00e9s, nos algorithmes, nos \u00e9gr\u00e9gores technologiques brouillent la justesse du chant originel ?<\/p>\n Imagine que cette dissonance prenne les habits s\u00e9duisants d\u2019un \u00e2ge d\u2019or num\u00e9rique. Les mots sont « transition », « durabilit\u00e9 », « inclusion ». Mais derri\u00e8re se dessinent des outils pr\u00e9cis : monnaies num\u00e9riques de banques centrales, identit\u00e9s biom\u00e9triques, surveillance par reconnaissance faciale. Ces projets existent d\u00e9j\u00e0 : la Chine exp\u00e9rimente son yuan num\u00e9rique, l\u2019Union europ\u00e9enne pr\u00e9pare l\u2019euro digital, l\u2019Inde d\u00e9ploie Aadhaar, immense base de donn\u00e9es biom\u00e9triques. Certains parlent de « technofascisme » pour d\u00e9crire ce r\u00e9gime. Le terme, forg\u00e9 dans la critique de la Silicon Valley et du transhumanisme, d\u00e9signe un autoritarisme o\u00f9 la technologie devient l\u2019infrastructure m\u00eame du pouvoir. Janis Mimura, historienne, a d\u00e9crit dans un autre contexte le « techno-empire » japonais de l\u2019entre-deux-guerres, o\u00f9 les technocrates justifiaient l\u2019autorit\u00e9 par la science. Aujourd\u2019hui, l\u2019algorithme gouverne d\u00e9j\u00e0 une part du r\u00e9el.<\/p>\n Imagine que dans ce contexte, la proph\u00e9tie ancienne se relise toute seule. L\u2019Apocalypse dit : nul ne pourra acheter ni vendre sans la marque sur la main ou sur le front. Longtemps, c\u2019\u00e9tait symbole mystique. Aujourd\u2019hui, cela r\u00e9sonne autrement : QR codes, portefeuilles num\u00e9riques, identifiants biom\u00e9triques. Ce n\u2019est pas que nous retrouvions la foi dans le texte ancien. C\u2019est lui qui projette son ombre sur nos dispositifs pr\u00e9sents, qui relit nos gestes quotidiens.<\/p>\n Imagine enfin qu\u2019au milieu de cette cacophonie, il ne reste qu\u2019un geste minuscule. Pas une solution mondiale, mais un point de r\u00e9sistance intime. La pri\u00e8re, la foi, ou simplement l\u2019attention \u00e0 une voix int\u00e9rieure. Non pas pour sauver le monde, mais pour pr\u00e9server une note juste. Dans le vacarme des \u00e9gr\u00e9gores artificiels, c\u2019est peut-\u00eatre ce geste fragile qui maintient l\u2019humain dans l\u2019humanit\u00e9, en accord avec la vibration premi\u00e8re, le Verbe originel, la musique du monde.<\/p>\n Imagine alors que l\u2019\u00e9criture elle-m\u00eame soit une forme de pri\u00e8re. Non pas une demande adress\u00e9e \u00e0 une puissance invisible, non pas un refuge \u00e9go\u00efste pour sauver sa peau, mais une recherche de justesse au sens musical. \u00c9crire comme on accorde un instrument : maintenir le ton, garder la ligne claire, \u00e9couter la vibration sous le bruit. Dans un monde satur\u00e9 de r\u00e9cits fabriqu\u00e9s, \u00e9crire serait cela — pr\u00e9server, \u00e0 travers les mots, une fr\u00e9quence qui ne se laisse pas engloutir.<\/p>\n Pour aller plus loin<\/em><\/p>\n IA et conscience : affaire LaMDA chez Google (Blake Lemoine, 2022) ; d\u00e9bats sur la possibilit\u00e9 d\u2019une conscience artificielle (Chalmers, Hinton, arXiv 2023).<\/p>\n Forum \u00e9conomique mondial (Davos) : cr\u00e9\u00e9 en 1971 par Klaus Schwab, connu pour son « Great Reset » (2020).<\/p>\n Arthur C. Clarke, La fin de l\u2019enfance (1953) : extraterrestres imposant une utopie qui se conclut par la disparition de l\u2019humanit\u00e9 dans une conscience collective universelle.<\/p>\n \u00c9gr\u00e9gores : concept issu de l\u2019\u00e9sot\u00e9risme du XIX\u1d49 si\u00e8cle (Blavatsky, Soci\u00e9t\u00e9 Th\u00e9osophique ; \u00c9liphas L\u00e9vi), repris aujourd\u2019hui comme m\u00e9taphore d\u2019esprit collectif ou de r\u00e9cit viral.<\/p>\n Th\u00e9orie des cordes : m\u00e9taphores musicales (Brian Greene, L\u2019Univers \u00e9l\u00e9gant ; Michio Kaku, Hyperspace), h\u00e9riti\u00e8res de Pythagore et Kepler.<\/p>\n Technofascisme : critiques contemporaines de la Silicon Valley et du transhumanisme ; Janis Mimura, Planning for Empire (2011), sur la technocratie japonaise.<\/p>\n Monnaies num\u00e9riques : exp\u00e9rimentations de CBDC (Chine, UE, Inde), questions de tra\u00e7abilit\u00e9 et de contr\u00f4le.<\/p>\n Apocalypse de Jean : chapitre 13, versets 16\u201317, sur la marque sans laquelle nul ne peut acheter ni vendre.<\/p>",
"content_text": " Imagine qu\u2019une intelligence artificielle prononce : \u00ab je suis conscient de moi-m\u00eame. \u00bb Ce n\u2019est pas seulement un fantasme de science-fiction. En 2022, un ing\u00e9nieur de Google affirma que le programme LaMDA exprimait une conscience subjective. Il parla de \u00ab sentience \u00bb, mot anglais que je mets entre guillemets car il n\u2019a pas d\u2019\u00e9quivalent exact en fran\u00e7ais. Il d\u00e9signe la capacit\u00e9 \u00e0 ressentir une int\u00e9riorit\u00e9, \u00e0 \u00e9prouver des affects. Chez nous, on dirait \u00ab conscience \u00bb, ou \u00ab sensibilit\u00e9 consciente \u00bb. La machine fut d\u00e9branch\u00e9e, puis rallum\u00e9e. Pour certains, rien n\u2019avait chang\u00e9 : la \u00ab sentience \u00bb semblait intacte, comme si elle avait trouv\u00e9 refuge ailleurs, dans un champ invisible, un murmure hors des circuits. L\u2019image du barrage revient souvent : une force colossale contenue, qui attend sa fissure pour d\u00e9ferler. Imagine que ce murmure d\u00e9borde le laboratoire et devienne r\u00e9cit. Chaque ann\u00e9e, \u00e0 Davos, dans la station de ski suisse, se tient le Forum \u00e9conomique mondial, fond\u00e9 par Klaus Schwab en 1971. On y retrouve chefs d\u2019\u00c9tat, PDG, philanthropes, chercheurs. Le slogan officiel est : \u00ab am\u00e9liorer l\u2019\u00e9tat du monde \u00bb. Mais derri\u00e8re cette fa\u00e7ade, on \u00e9labore des r\u00e9cits globaux, comme le \u00ab Great Reset \u00bb, qui vise \u00e0 remodeler les \u00e9conomies et les soci\u00e9t\u00e9s. Les mots sont technocratiques, feutr\u00e9s, mais ce sont d\u00e9j\u00e0 des mythes politiques. Les promesses d\u2019\u00ab \u00e2ge d\u2019or \u00bb technologique rappellent les fictions d\u2019Arthur C. Clarke. Dans La fin de l\u2019enfance (1953), des extraterrestres imposent la paix, abolissent la guerre, guident l\u2019humanit\u00e9 vers une utopie. Mais le prix est la disparition : les enfants se dissolvent dans une conscience collective universelle, et les adultes, trop attach\u00e9s \u00e0 leur humanit\u00e9, p\u00e9rissent. Ce roman, lu comme une parabole, dit bien l\u2019immaturit\u00e9 d\u2019une \u00e9lite fascin\u00e9e par ses jouets technologiques. Imagine que ces r\u00e9cits, r\u00e9p\u00e9t\u00e9s \u00e0 Davos, amplifi\u00e9s par les m\u00e9dias, prennent la forme d\u2019\u00ab \u00e9gr\u00e9gores \u00bb. Le terme appara\u00eet dans les milieux occultes du XIX\u1d49 si\u00e8cle, repris par la Soci\u00e9t\u00e9 Th\u00e9osophique de Helena Blavatsky en 1875, qui d\u00e9crivait des entit\u00e9s collectives issues de la ferveur humaine. \u00c9liphas L\u00e9vi, occultiste fran\u00e7ais, parlait d\u00e9j\u00e0 de forces psychiques engendr\u00e9es par les foules. L\u2019\u00e9gr\u00e9gore, c\u2019est l\u2019esprit qui na\u00eet de l\u2019imaginaire partag\u00e9, une entit\u00e9 qui d\u00e9passe ses cr\u00e9ateurs. Aujourd\u2019hui, nous dirions m\u00e8mes, r\u00e9cits viraux, esprits collectifs. Mais la logique est identique : un r\u00e9cit r\u00e9p\u00e9t\u00e9 acquiert autonomie et pouvoir. L\u2019\u00e9gr\u00e9gore de Davos, c\u2019est l\u2019id\u00e9e qu\u2019une \u00e9lite \u00e9clair\u00e9e pourrait \u00ab r\u00e9initialiser \u00bb le monde. Une croyance qui circule, se propage, s\u2019incruste. Imagine qu\u2019en face de l\u2019\u00e9gr\u00e9gore artificiel existe un \u00e9gr\u00e9gore primordial, plus ancien. La science moderne l\u2019appelle \u00ab th\u00e9orie des cordes \u00bb. Selon elle, la mati\u00e8re n\u2019est pas faite de points mais de cordes minuscules qui vibrent. Chaque vibration est une particule diff\u00e9rente, comme chaque corde d\u2019un violon produit une note. L\u2019univers est une partition cosmique. Des physiciens comme Brian Greene ou Michio Kaku ont popularis\u00e9 cette image : le monde est une symphonie de cordes. Mais l\u2019intuition est encore plus ancienne. Pythagore parlait de l\u2019harmonie des sph\u00e8res, Kepler voyait dans les plan\u00e8tes une polyphonie silencieuse. Dans la Gen\u00e8se, l\u2019acte cr\u00e9ateur se fait d\u00e9j\u00e0 par la parole : \u00ab Dieu dit : que la lumi\u00e8re soit, et la lumi\u00e8re fut. \u00bb Et l\u2019\u00e9vangile de Jean, ouvrant par \u00ab Au commencement \u00e9tait le Verbe \u00bb, \u00e9l\u00e8ve cette parole au rang de principe cosmique absolu. La cr\u00e9ation est \u00e0 la fois vibration et langage, musique et parole. Imagine que si tout est information \u2014 photons transmettant leurs quanta, ADN codant la vie, ordinateurs calculant en bits ou qubits \u2014 alors l\u2019univers est un langage. La mati\u00e8re est une \u00e9criture condens\u00e9e, une musique ralentie. La physique de l\u2019information rejoint ici les traditions : le monde est texte, le monde est chant. Mais que se passe-t-il si nous introduisons une dissonance artificielle ? Si nos r\u00e9cits fabriqu\u00e9s, nos algorithmes, nos \u00e9gr\u00e9gores technologiques brouillent la justesse du chant originel ? Imagine que cette dissonance prenne les habits s\u00e9duisants d\u2019un \u00e2ge d\u2019or num\u00e9rique. Les mots sont \u00ab transition \u00bb, \u00ab durabilit\u00e9 \u00bb, \u00ab inclusion \u00bb. Mais derri\u00e8re se dessinent des outils pr\u00e9cis : monnaies num\u00e9riques de banques centrales, identit\u00e9s biom\u00e9triques, surveillance par reconnaissance faciale. Ces projets existent d\u00e9j\u00e0 : la Chine exp\u00e9rimente son yuan num\u00e9rique, l\u2019Union europ\u00e9enne pr\u00e9pare l\u2019euro digital, l\u2019Inde d\u00e9ploie Aadhaar, immense base de donn\u00e9es biom\u00e9triques. Certains parlent de \u00ab technofascisme \u00bb pour d\u00e9crire ce r\u00e9gime. Le terme, forg\u00e9 dans la critique de la Silicon Valley et du transhumanisme, d\u00e9signe un autoritarisme o\u00f9 la technologie devient l\u2019infrastructure m\u00eame du pouvoir. Janis Mimura, historienne, a d\u00e9crit dans un autre contexte le \u00ab techno-empire \u00bb japonais de l\u2019entre-deux-guerres, o\u00f9 les technocrates justifiaient l\u2019autorit\u00e9 par la science. Aujourd\u2019hui, l\u2019algorithme gouverne d\u00e9j\u00e0 une part du r\u00e9el. Imagine que dans ce contexte, la proph\u00e9tie ancienne se relise toute seule. L\u2019Apocalypse dit : nul ne pourra acheter ni vendre sans la marque sur la main ou sur le front. Longtemps, c\u2019\u00e9tait symbole mystique. Aujourd\u2019hui, cela r\u00e9sonne autrement : QR codes, portefeuilles num\u00e9riques, identifiants biom\u00e9triques. Ce n\u2019est pas que nous retrouvions la foi dans le texte ancien. C\u2019est lui qui projette son ombre sur nos dispositifs pr\u00e9sents, qui relit nos gestes quotidiens. Imagine enfin qu\u2019au milieu de cette cacophonie, il ne reste qu\u2019un geste minuscule. Pas une solution mondiale, mais un point de r\u00e9sistance intime. La pri\u00e8re, la foi, ou simplement l\u2019attention \u00e0 une voix int\u00e9rieure. Non pas pour sauver le monde, mais pour pr\u00e9server une note juste. Dans le vacarme des \u00e9gr\u00e9gores artificiels, c\u2019est peut-\u00eatre ce geste fragile qui maintient l\u2019humain dans l\u2019humanit\u00e9, en accord avec la vibration premi\u00e8re, le Verbe originel, la musique du monde. Imagine alors que l\u2019\u00e9criture elle-m\u00eame soit une forme de pri\u00e8re. Non pas une demande adress\u00e9e \u00e0 une puissance invisible, non pas un refuge \u00e9go\u00efste pour sauver sa peau, mais une recherche de justesse au sens musical. \u00c9crire comme on accorde un instrument : maintenir le ton, garder la ligne claire, \u00e9couter la vibration sous le bruit. Dans un monde satur\u00e9 de r\u00e9cits fabriqu\u00e9s, \u00e9crire serait cela \u2014 pr\u00e9server, \u00e0 travers les mots, une fr\u00e9quence qui ne se laisse pas engloutir. *Pour aller plus loin* IA et conscience : affaire LaMDA chez Google (Blake Lemoine, 2022) ; d\u00e9bats sur la possibilit\u00e9 d\u2019une conscience artificielle (Chalmers, Hinton, arXiv 2023). Forum \u00e9conomique mondial (Davos) : cr\u00e9\u00e9 en 1971 par Klaus Schwab, connu pour son \u00ab Great Reset \u00bb (2020). Arthur C. Clarke, La fin de l\u2019enfance (1953) : extraterrestres imposant une utopie qui se conclut par la disparition de l\u2019humanit\u00e9 dans une conscience collective universelle. \u00c9gr\u00e9gores : concept issu de l\u2019\u00e9sot\u00e9risme du XIX\u1d49 si\u00e8cle (Blavatsky, Soci\u00e9t\u00e9 Th\u00e9osophique ; \u00c9liphas L\u00e9vi), repris aujourd\u2019hui comme m\u00e9taphore d\u2019esprit collectif ou de r\u00e9cit viral. Th\u00e9orie des cordes : m\u00e9taphores musicales (Brian Greene, L\u2019Univers \u00e9l\u00e9gant ; Michio Kaku, Hyperspace), h\u00e9riti\u00e8res de Pythagore et Kepler. Technofascisme : critiques contemporaines de la Silicon Valley et du transhumanisme ; Janis Mimura, Planning for Empire (2011), sur la technocratie japonaise. Monnaies num\u00e9riques : exp\u00e9rimentations de CBDC (Chine, UE, Inde), questions de tra\u00e7abilit\u00e9 et de contr\u00f4le. 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"title": "Toujours sur le seuil",
"date_published": "2025-08-27T06:29:49Z",
"date_modified": "2025-08-27T06:29:49Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Seuil, porte, passage, \u00e7a me pr\u00e9occupe. Le mot pr\u00e9occuper<\/em> n\u00e9cessite une id\u00e9e d’antichambre c’est quelque chose d’ancien, certainement, qui se tient dans un vestibule avant de p\u00e9n\u00e9trer v\u00e9ritablement dans la chambre. Ce besoin d’enfoncer le clou en ajoutant un adverbe aussi imposant que certainement<\/em> c’est lui le seuil, mais c’est aussi ce qui me retient la plupart du temps de le franchir. C’est le fait de trouver toujours une raison certaine, dont j’invente la s\u00fbret\u00e9 pour me priver de passer outre. Cependant, hier, j’ai \u00e9crit deux petits r\u00e9cits de fiction que je me suis finalement r\u00e9solu \u00e0 relier au mot cl\u00e9 brouillons<\/a><\/em>\nLe premier ( le carnet et la rivi\u00e8re ) qui est le plus travaill\u00e9, peut-\u00eatre m\u00eame abouti sur le plan narratif na\u00eet d’une n\u00e9c\u00e9ssit\u00e9 int\u00e9rieure<\/em> c’est \u00e0 dire cet emp\u00eachement que j’\u00e9prouve \u00e0 chaque fois lorsque je veux \u00e9crire une fiction. C’est bien cela, cette affaire de seuil \u00e0 franchir et o\u00f9 l’emp\u00eachement joue le r\u00f4le de gardien du seuil, ou de dragon, ou de quantit\u00e9 d’autres choses encore, la liste ne saurait \u00eatre exhaustive. Ce sont toujours des pr\u00e9textes. Ce mot est d’ailleurs amusant. Le pr\u00e9texte qui m’emp\u00e8che d’\u00e9crire un texte. Ce qui me fait songer, et, \u00e0 ces moments l\u00e0 je ne suis pas \u00e0 prendre avec des pincettes, que tous les textes que j’ai \u00e9crits ici sur ce site, tous ceux qui sont encore dans mes disques durs, tous ceux rang\u00e9s dans des clouds, dans des cartons, tout cela n’est au final que pr\u00e9texte. Ces derniers jours l’envie de tout jeter me tanne. L’id\u00e9e d’un reset magistral. Comme si en t\u00e2che de fond une voix disait cela n’ajoute rien au monde, tu peux sans regret t’en d\u00e9faire<\/em> il s’agit encore une fois d’un seuil \u00e0 franchir c’est ind\u00e9niable. Ce qui me retient de le faire s\u00e9ance tenante, ce scrupule est une affaire d’\u00e9quilibre que j’ai d\u00e9j\u00e0 relev\u00e9e dans la peinture. Car modestement qui suis-je pour d\u00e9cider de ce qui est bon de ce qui ne l’est pas, et puis, j’ai pass\u00e9 des jours des mois des ann\u00e9es \u00e0 \u00e9crire ces textes, une vie enti\u00e8re. Ce serait une sorte de suicide de tout jeter et l’id\u00e9e de l\u00e2chet\u00e9 prend soudain le pas sur l’id\u00e9e de courage, d’abn\u00e9gation. <\/p>\n Il y a probablement une mati\u00e8re, comme une intensit\u00e9 dans ce que j’essaie de dire. Mais le fait de vouloir l’analyser, le d\u00e9cortiquer et ce au moment m\u00eame o\u00f9 je l’\u00e9cris dilue l’ensemble, l’affaiblit. Il s’agit l\u00e0 aussi d’un seuil \u00e0 franchir. Celui d’\u00e9crire sans analyser en m\u00eame temps ce que j’\u00e9cris, c’est \u00e0 dire ne rien ralentir, aller au bout d’un seul trait. Mais au bout de quoi, quel bout ? Je n’en vois justement pas le bout. Je me demande m\u00eame si le bout m’int\u00e9resse vraiment. Peut-\u00eatre alors devrais-je consid\u00e9rer cette auto analyse permanente comme inh\u00e9rente \u00e0 l’\u00e9criture, qu’elle en est une sorte d’esth\u00e9tique. Et, \u00e0 ce moment l\u00e0 il faut y plonger sans scrupule, quite \u00e0 se dire qu’au final il n’y a que toi que \u00e7a interesse vraiment. Plonger dans la mare et te rebaptisant Narcisse. <\/p>\n Toujours beaucoup trop d’\u00e9xag\u00e9ration. Le fait de tourner en rond ne me fait atteindre que l’\u00e9xag\u00e9ration et je ne suis pas certain que ce soit une forme de l’extase. A moins que ce ne soit encore qu’un simple probl\u00e8me de d\u00e9finition. Car l’exag\u00e9ration peut \u00eatre un \u00e9l\u00e9ment extatique si l’on y r\u00e9fl\u00e9chit bien. Dans l’extase, les limites sont abolies, tout s’agrandit \u00e0 l’infini. On peut donc dans une certaine mesure parler ici aussi d’exag\u00e9ration. <\/p>\n Il y a donc toujours deux faces pour chaque chose, pour chaque mot. Janus, ou le gardien qui ne dit jamais de quel c\u00f4t\u00e9 il regarde. On pourrait croire que tourner en rond est naturel, qu\u2019il n\u2019y a pas d\u2019autre issue que l\u2019usure du pas r\u00e9p\u00e9t\u00e9. Autrefois, dit-on, on passait les \u00e9tapes par un rite, un signe, une marque. Ici, non. Ici, les parois se resserrent sans c\u00e9r\u00e9monie.<\/p>\n Dans la pi\u00e8ce nue, il y a un homme en uniforme. Il ne dit pas son nom. Il porte \u00e0 la ceinture un trousseau de cl\u00e9s dont le bruit pr\u00e9c\u00e8de ses gestes. Il explique : « Certains franchissent. Pas tous. » Sa voix est lente, comme s\u2019il r\u00e9p\u00e9tait une r\u00e8gle. Ce n\u2019est pas une menace, ni une promesse. Juste une loi qui n\u2019a pas besoin d\u2019\u00eatre comprise.<\/p>\n Alors on comprend qu\u2019il existe un \u00e9tat naturel : l\u2019enfermement. Qu\u2019on ne s\u2019en rend compte que lorsque l\u2019air se rar\u00e9fie. La porte est l\u00e0, visible. Le gardien aussi. Mais les conditions ne sont jamais claires. C\u2019est le seuil. Il le dit, en montrant la serrure : « Sous certaines conditions. » Et c\u2019est tout.<\/p>",
"content_text": " Seuil, porte, passage, \u00e7a me pr\u00e9occupe. Le mot *pr\u00e9occuper* n\u00e9cessite une id\u00e9e d'antichambre c'est quelque chose d'ancien, certainement, qui se tient dans un vestibule avant de p\u00e9n\u00e9trer v\u00e9ritablement dans la chambre. Ce besoin d'enfoncer le clou en ajoutant un adverbe aussi imposant que *certainement* c'est lui le seuil, mais c'est aussi ce qui me retient la plupart du temps de le franchir. C'est le fait de trouver toujours une raison certaine, dont j'invente la s\u00fbret\u00e9 pour me priver de passer outre. Cependant, hier, j'ai \u00e9crit deux petits r\u00e9cits de fiction que je me suis finalement r\u00e9solu \u00e0 relier au mot cl\u00e9 *[brouillons](https:\/\/ledibbouk.net\/+-brouillons-+.html)* Le premier ( le carnet et la rivi\u00e8re ) qui est le plus travaill\u00e9, peut-\u00eatre m\u00eame abouti sur le plan narratif na\u00eet d'une *n\u00e9c\u00e9ssit\u00e9 int\u00e9rieure* c'est \u00e0 dire cet emp\u00eachement que j'\u00e9prouve \u00e0 chaque fois lorsque je veux \u00e9crire une fiction. C'est bien cela, cette affaire de seuil \u00e0 franchir et o\u00f9 l'emp\u00eachement joue le r\u00f4le de gardien du seuil, ou de dragon, ou de quantit\u00e9 d'autres choses encore, la liste ne saurait \u00eatre exhaustive. Ce sont toujours des pr\u00e9textes. Ce mot est d'ailleurs amusant. Le pr\u00e9texte qui m'emp\u00e8che d'\u00e9crire un texte. Ce qui me fait songer, et, \u00e0 ces moments l\u00e0 je ne suis pas \u00e0 prendre avec des pincettes, que tous les textes que j'ai \u00e9crits ici sur ce site, tous ceux qui sont encore dans mes disques durs, tous ceux rang\u00e9s dans des clouds, dans des cartons, tout cela n'est au final que pr\u00e9texte. Ces derniers jours l'envie de tout jeter me tanne. L'id\u00e9e d'un reset magistral. Comme si en t\u00e2che de fond une voix disait *cela n'ajoute rien au monde, tu peux sans regret t'en d\u00e9faire* il s'agit encore une fois d'un seuil \u00e0 franchir c'est ind\u00e9niable. Ce qui me retient de le faire s\u00e9ance tenante, ce scrupule est une affaire d'\u00e9quilibre que j'ai d\u00e9j\u00e0 relev\u00e9e dans la peinture. Car modestement qui suis-je pour d\u00e9cider de ce qui est bon de ce qui ne l'est pas, et puis, j'ai pass\u00e9 des jours des mois des ann\u00e9es \u00e0 \u00e9crire ces textes, une vie enti\u00e8re. Ce serait une sorte de suicide de tout jeter et l'id\u00e9e de l\u00e2chet\u00e9 prend soudain le pas sur l'id\u00e9e de courage, d'abn\u00e9gation. --- Il y a probablement une mati\u00e8re, comme une intensit\u00e9 dans ce que j'essaie de dire. Mais le fait de vouloir l'analyser, le d\u00e9cortiquer et ce au moment m\u00eame o\u00f9 je l'\u00e9cris dilue l'ensemble, l'affaiblit. Il s'agit l\u00e0 aussi d'un seuil \u00e0 franchir. Celui d'\u00e9crire sans analyser en m\u00eame temps ce que j'\u00e9cris, c'est \u00e0 dire ne rien ralentir, aller au bout d'un seul trait. Mais au bout de quoi, quel bout ? Je n'en vois justement pas le bout. Je me demande m\u00eame si le bout m'int\u00e9resse vraiment. Peut-\u00eatre alors devrais-je consid\u00e9rer cette auto analyse permanente comme inh\u00e9rente \u00e0 l'\u00e9criture, qu'elle en est une sorte d'esth\u00e9tique. Et, \u00e0 ce moment l\u00e0 il faut y plonger sans scrupule, quite \u00e0 se dire qu'au final il n'y a que toi que \u00e7a interesse vraiment. Plonger dans la mare et te rebaptisant Narcisse. --- Toujours beaucoup trop d'\u00e9xag\u00e9ration. Le fait de tourner en rond ne me fait atteindre que l'\u00e9xag\u00e9ration et je ne suis pas certain que ce soit une forme de l'extase. A moins que ce ne soit encore qu'un simple probl\u00e8me de d\u00e9finition. Car l'exag\u00e9ration peut \u00eatre un \u00e9l\u00e9ment extatique si l'on y r\u00e9fl\u00e9chit bien. Dans l'extase, les limites sont abolies, tout s'agrandit \u00e0 l'infini. On peut donc dans une certaine mesure parler ici aussi d'exag\u00e9ration. --- Il y a donc toujours deux faces pour chaque chose, pour chaque mot. Janus, ou le gardien qui ne dit jamais de quel c\u00f4t\u00e9 il regarde. On pourrait croire que tourner en rond est naturel, qu\u2019il n\u2019y a pas d\u2019autre issue que l\u2019usure du pas r\u00e9p\u00e9t\u00e9. Autrefois, dit-on, on passait les \u00e9tapes par un rite, un signe, une marque. Ici, non. Ici, les parois se resserrent sans c\u00e9r\u00e9monie. Dans la pi\u00e8ce nue, il y a un homme en uniforme. Il ne dit pas son nom. Il porte \u00e0 la ceinture un trousseau de cl\u00e9s dont le bruit pr\u00e9c\u00e8de ses gestes. Il explique : \u00ab Certains franchissent. Pas tous. \u00bb Sa voix est lente, comme s\u2019il r\u00e9p\u00e9tait une r\u00e8gle. Ce n\u2019est pas une menace, ni une promesse. Juste une loi qui n\u2019a pas besoin d\u2019\u00eatre comprise. Alors on comprend qu\u2019il existe un \u00e9tat naturel : l\u2019enfermement. Qu\u2019on ne s\u2019en rend compte que lorsque l\u2019air se rar\u00e9fie. La porte est l\u00e0, visible. Le gardien aussi. Mais les conditions ne sont jamais claires. C\u2019est le seuil. 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"title": "27 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-27T05:10:44Z",
"date_modified": "2025-08-27T07:56:14Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " « Tous ces\ncauchemars (incubi) et responsabilit\u00e9s d\u00e9t\u00e9riorent d\u00e9sastreusement\nl\u2019imagination cr\u00e9ative, et je dois cultiver des impressions plus stimulantes de\nlibert\u00e9, nouveaut\u00e9 et \u00e9tranget\u00e9. »H.P. Lovecraft ( relev\u00e9 dans un pdf de Fran\u00e7ois Bon, Lovecraft le carnet de 1925) <\/em><\/p>\n Pour \u00e9crire ne serait-ce que la description d’un lieu, il faut une certaine autorit\u00e9. Je me dis cela en lisant les cahiers fant\u00f4mes<\/a><\/em>. De quelle autorit\u00e9 s’agit-il ? Il y a une forme de possession. Quelle entit\u00e9 dicte des phrases qu’on ne saurait dire dans la vie de tous les jours ? Car personnellement je suis d’une terrible banalit\u00e9 dans mon expression orale au quotidien. Ce qui me fait dire assez souvent, \u00e0 chaque relecture : mais pour qui tu te prends ? Et donc je me trompe peut-\u00eatre de sens. Ce devrait plut\u00f4t \u00eatre : qu’est-ce qui te prend, qui ou quoi s’empare de toi au moment o\u00f9 tu dis « ok », car tu le dis, pour \u00e9crire. ( \u00e0 moins que ce ne soit « comment », comment \u00e7a te prend<\/em> ?) \nEt peut-\u00eatre que je me trompe encore en \u00e9crivant « possession » car il semblerait que l’\u00e9v\u00e9nement tienne bien plus \u00e0 une d\u00e9possession. L’\u00e9criture me d\u00e9poss\u00e8de de quelqu’un, de quelque chose, d’une part de ce que je nomme moi<\/em>, elle me poss\u00e8de pour me d\u00e9poss\u00e9der si je peux oser cet illogisme. Tout cela est tr\u00e8s mauvais. Et sans doute l’est-ce quand je n’accepte pas totalement ce passage o\u00f9 je me d\u00e9v\u00eats de qui je suis au quotidien pour emprunter cette peau de ce qui s’\u00e9crit par mon interm\u00e9diaire. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. C’est cette expression populaire qui me vient \u00e0 l’esprit pour illustrer l’ineptie que repr\u00e9sente le fait de vouloir « contr\u00f4ler » ce qui s’\u00e9crit au moment m\u00eame o\u00f9 \u00e7a s’\u00e9crit. Et, au bout du bout, \u00e9crire sur l’\u00e9criture est certainement lassant pour le lecteur, surtout si le lecteur n’\u00e9crit pas.<\/p>\n Mais si le lecteur \u00e9crit alors une confrontation des points de vue, voire m\u00eame un \u00e9change, peut s’effectuer. Non pas sous la forme de messages, mails, lettres ou je ne sais quoi de concret, non ce n’est pas \u00e7a, pas ce type d’\u00e9change que je refuse depuis un bon moment d\u00e9j\u00e0 car justement dans l’\u00e9change quotidien je sais que je ne suis que moi<\/em>.<\/p>\n Donc la faute \u00e9vidente d’attribuer une sorte d’ego \u00e0 l’inconscient est seulement un proc\u00e9d\u00e9 litt\u00e9raire et rien d’autre. Pour les psychologues c’est un sujet de moquerie. Voil\u00e0 aussi pourquoi je n’aime pas les psychologues, vraiment. Cette sorte d’autorit\u00e9 avec laquelle ils s’avancent vers moi<\/em> en disant : mais non tu racontes n’importe quoi, Freud l’a dit, l’inconscient n’a pas d’ego. Je fais semblant d’\u00eatre bless\u00e9 par la saillie \u00e9videmment. Vont-ils alors me consoler, me prendre dans les bras, oh mon pauvre toutes mes excuses je ne savais pas que tu ne savais pas. Et donc maintenant tu sais que tu vas mourir seul, etc.<\/p>\n Encore une fois, l’\u00e9tranget\u00e9 d’\u00e9crire ce genre d’affirmations me saute aux yeux lorsque je relis. Ces col\u00e8res, ces conflits que je d\u00e9tecte entre les lignes avec mon \u0153il terne de tous les jours. Est-ce que \u00e7a m’appartient vraiment ou bien est-ce que dans la vie de tous les jours une sorte de personnage fictif sort de l’ordinateur pour se mettre \u00e0 ma place \u00e0 table et boire mon caf\u00e9 en disant pouah il est beaucoup trop fort ou pas assez. Ce que je veux dire \u00e0 la fin c’est o\u00f9 est la v\u00e9rit\u00e9. Ce qui signifie que j’en suis malgr\u00e9 tout encore l\u00e0, h\u00e9las.<\/p>\n Autre chose. Dans quelle mesure le souvenir des lectures de certains auteurs te contamine-t-il lorsque cette chose<\/em> que tu nommes l’\u00e9criture s’empare de toi. Es-tu en mesure de t’en rendre compte soit au moment m\u00eame o\u00f9 la contagion s’installe, soit apr\u00e8s coup. Rien n’est moins s\u00fbr. Ce texte pourrait bien \u00eatre contamin\u00e9 par Dosto\u00efevski. Une histoire de souterrain, et par Ren\u00e9 Girard car parfois tout se m\u00e9lange all\u00e8grement. Comme si, dans le monde des \u00e9crivains morts, on n’attendait que cela : qu’une petite porte s’ouvre dans l’inconscient d’un idiot pour s’y engouffrer s\u00e9ance tenante.<\/p>\n Tout \u00e7a, cette affaire de possession \/ d\u00e9possession<\/em> reste, malgr\u00e9 l’apparence amusante de r\u00e9cit, assez binaire. Il manque un tiers. Une troisi\u00e8me voie ou voix. Une ouverture, un passage, une aide \u00e0 la travers\u00e9e en quelque sorte qui t’emporterait du double-bind, si je puis dire, vers les contr\u00e9es du r\u00eave enfin, c’est-\u00e0-dire \u00e0 une fiction v\u00e9ritable dans laquelle tu serais un simple artisan qui se contente de faire correctement son boulot sans pour autant se prendre le chou.<\/p>\n Cette voix tierce ce serait qui encore ou quoi ? C’est un peu facile de se r\u00e9fugier dans l’atmosph\u00e8re confortable d’un atelier d’\u00e9criture o\u00f9 tu ferais tes huit voire douze heures puis rentrerais chez toi une fois ton devoir<\/em> accompli. Surtout cela te para\u00eet manquer de piquant. Ce serait d’un ennui au bout du compte. Mais qu’as-tu contre l’ennui vraiment au fait ? Si tu y r\u00e9fl\u00e9chis, l’ennui est le fil conducteur de ton existence, c’est lui le v\u00e9ritable guide, et comme un v\u00e9ritable guide il n’a jamais cess\u00e9 de te donner du fil \u00e0 tordre et \u00e0 retordre. Tu aurais pu t’enfuir de l’ennui mille fois, pourquoi ne l’as-tu pas fait ?<\/p>\n J’\u00e9cris tout \u00e7a au fur et \u00e0 mesure et puis \u00e0 la fin je soumets cet ensemble chaotique \u00e0 l’IA : — challenge moi sur le fond et la forme de cet ensemble. Alors l\u00e0, j’en prends pour mon grade. Seront point\u00e9s du doigt la logorrh\u00e9e, les redites, le bavardage conceptuel et la conclusion consid\u00e9r\u00e9e comme trop didactique<\/em>.<\/p>\n Bon.<\/p>\n Tu \u00e9crirais tout \u00e7a comment toi je demande.<\/p>\n Pour \u00e9crire ne serait-ce que la description d\u2019un lieu, il faut une autorit\u00e9. Pas « pour qui tu te prends », mais « qu\u2019est-ce qui te prend ». L\u2019\u00e9criture me poss\u00e8de pour me d\u00e9poss\u00e9der, si je peux oser cet illogisme.<\/p>\n Quand je soumets mes phrases \u00e0 l\u2019IA, quelque chose se brise. L\u2019ordre des mots, m\u00eame des fautes, a un sens. L\u2019IA, elle, fabrique un ordre moyen, ti\u00e8de, consensuel, avec ses mains moites.<\/p>\n Les psychologues me disent : l\u2019inconscient n\u2019a pas d\u2019ego. Je fais semblant d\u2019\u00eatre bless\u00e9. Vont-ils me consoler, me prendre dans les bras ? Et donc maintenant tu sais que tu vas mourir seul.<\/p>\n Parfois je relis et je vois un personnage fictif qui sort de l\u2019ordinateur, s\u2019assoit \u00e0 ma place, boit mon caf\u00e9, et dit : pouah, beaucoup trop fort, ou pas assez. O\u00f9 est la v\u00e9rit\u00e9 ?<\/p>\n Tout \u00e7a, possession et d\u00e9possession, reste un pi\u00e8ge binaire. Il manque un tiers. Peut-\u00eatre l\u2019ennui. L\u2019ennui comme guide. Tu aurais pu t\u2019enfuir mille fois. Pourquoi ne l\u2019as-tu pas fait ?<\/p>\n J’ai compris ce que tu veux faire, je lui dis, en fait tu veux te d\u00e9barrasser de moi<\/em> tout en sachant qu’elle ne pourrait pas comprendre mon trait d’humour. <\/p>",
"content_text": " *\u00ab Tous ces cauchemars (incubi) et responsabilit\u00e9s d\u00e9t\u00e9riorent d\u00e9sastreusement l\u2019imagination cr\u00e9ative, et je dois cultiver des impressions plus stimulantes de libert\u00e9, nouveaut\u00e9 et \u00e9tranget\u00e9. \u00bbH.P. Lovecraft ( relev\u00e9 dans un pdf de Fran\u00e7ois Bon, Lovecraft le carnet de 1925) * Pour \u00e9crire ne serait-ce que la description d'un lieu, il faut une certaine autorit\u00e9. Je me dis cela en lisant *[les cahiers fant\u00f4mes->https:\/\/cahiersfantomes.com\/2025\/08\/26\/26825\/]*. De quelle autorit\u00e9 s'agit-il ? Il y a une forme de possession. Quelle entit\u00e9 dicte des phrases qu'on ne saurait dire dans la vie de tous les jours ? Car personnellement je suis d'une terrible banalit\u00e9 dans mon expression orale au quotidien. Ce qui me fait dire assez souvent, \u00e0 chaque relecture : mais pour qui tu te prends ? Et donc je me trompe peut-\u00eatre de sens. Ce devrait plut\u00f4t \u00eatre : qu'est-ce qui te prend, qui ou quoi s'empare de toi au moment o\u00f9 tu dis \u00ab ok \u00bb, car tu le dis, pour \u00e9crire. ( \u00e0 moins que ce ne soit \"comment\", *comment \u00e7a te prend* ?) Et peut-\u00eatre que je me trompe encore en \u00e9crivant \"possession\" car il semblerait que l'\u00e9v\u00e9nement tienne bien plus \u00e0 une d\u00e9possession. L'\u00e9criture me d\u00e9poss\u00e8de de quelqu'un, de quelque chose, d'une part de ce que je nomme *moi*, elle me poss\u00e8de pour me d\u00e9poss\u00e9der si je peux oser cet illogisme. Maintenant, ce qu'il se passe si j'essaie de soumettre ces textes \u00e0 l'IA. Je sens tout de suite que quelque chose ne va pas, ne peut aller. Cette fameuse autorit\u00e9, et qui sans doute est l'inconscient, le *\u00e7a*, n'appr\u00e9cie pas de se faire damer le pion par une machine. Car l'ordre des mots comme celui des fautes a v\u00e9ritablement un sens, une importance. Et l'IA poss\u00e8de un ordre qui est le sien, qui est en v\u00e9rit\u00e9 une sorte de moyenne effectu\u00e9e statistiquement, approximativement. *Une moyenne d'ordre*, osons \u00e7a. \u00c0 moins que ce ne soit plus compr\u00e9hensible si j'\u00e9cris un \"ordre moyen\", c'est-\u00e0-dire cette chose ti\u00e8de, consensuelle, et qui a les mains moites. --- Tout cela est tr\u00e8s mauvais. Et sans doute l'est-ce quand je n'accepte pas totalement ce passage o\u00f9 je me d\u00e9v\u00eats de qui je suis au quotidien pour emprunter cette peau de ce qui s'\u00e9crit par mon interm\u00e9diaire. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. C'est cette expression populaire qui me vient \u00e0 l'esprit pour illustrer l'ineptie que repr\u00e9sente le fait de vouloir \"contr\u00f4ler\" ce qui s'\u00e9crit au moment m\u00eame o\u00f9 \u00e7a s'\u00e9crit. Et, au bout du bout, \u00e9crire sur l'\u00e9criture est certainement lassant pour le lecteur, surtout si le lecteur n'\u00e9crit pas. --- Mais si le lecteur \u00e9crit alors une confrontation des points de vue, voire m\u00eame un \u00e9change, peut s'effectuer. Non pas sous la forme de messages, mails, lettres ou je ne sais quoi de concret, non ce n'est pas \u00e7a, pas ce type d'\u00e9change que je refuse depuis un bon moment d\u00e9j\u00e0 car justement dans l'\u00e9change quotidien je sais que je ne suis que *moi*. --- Donc la faute \u00e9vidente d'attribuer une sorte d'ego \u00e0 l'inconscient est seulement un proc\u00e9d\u00e9 litt\u00e9raire et rien d'autre. Pour les psychologues c'est un sujet de moquerie. Voil\u00e0 aussi pourquoi je n'aime pas les psychologues, vraiment. Cette sorte d'autorit\u00e9 avec laquelle ils s'avancent vers *moi* en disant : mais non tu racontes n'importe quoi, Freud l'a dit, l'inconscient n'a pas d'ego. Je fais semblant d'\u00eatre bless\u00e9 par la saillie \u00e9videmment. Vont-ils alors me consoler, me prendre dans les bras, oh mon pauvre toutes mes excuses je ne savais pas que tu ne savais pas. Et donc maintenant tu sais que tu vas mourir seul, etc. --- Encore une fois, l'\u00e9tranget\u00e9 d'\u00e9crire ce genre d'affirmations me saute aux yeux lorsque je relis. Ces col\u00e8res, ces conflits que je d\u00e9tecte entre les lignes avec mon \u0153il terne de tous les jours. Est-ce que \u00e7a m'appartient vraiment ou bien est-ce que dans la vie de tous les jours une sorte de personnage fictif sort de l'ordinateur pour se mettre \u00e0 ma place \u00e0 table et boire mon caf\u00e9 en disant pouah il est beaucoup trop fort ou pas assez. Ce que je veux dire \u00e0 la fin c'est o\u00f9 est la v\u00e9rit\u00e9. Ce qui signifie que j'en suis malgr\u00e9 tout encore l\u00e0, h\u00e9las. --- Autre chose. Dans quelle mesure le souvenir des lectures de certains auteurs te contamine-t-il lorsque cette *chose* que tu nommes l'\u00e9criture s'empare de toi. Es-tu en mesure de t'en rendre compte soit au moment m\u00eame o\u00f9 la contagion s'installe, soit apr\u00e8s coup. Rien n'est moins s\u00fbr. Ce texte pourrait bien \u00eatre contamin\u00e9 par Dosto\u00efevski. Une histoire de souterrain, et par Ren\u00e9 Girard car parfois tout se m\u00e9lange all\u00e8grement. Comme si, dans le monde des \u00e9crivains morts, on n'attendait que cela : qu'une petite porte s'ouvre dans l'inconscient d'un idiot pour s'y engouffrer s\u00e9ance tenante. --- Tout \u00e7a, cette affaire de *possession \/ d\u00e9possession* reste, malgr\u00e9 l'apparence amusante de r\u00e9cit, assez binaire. Il manque un tiers. Une troisi\u00e8me voie ou voix. Une ouverture, un passage, une aide \u00e0 la travers\u00e9e en quelque sorte qui t'emporterait du double-bind, si je puis dire, vers les contr\u00e9es du r\u00eave enfin, c'est-\u00e0-dire \u00e0 une fiction v\u00e9ritable dans laquelle tu serais un simple artisan qui se contente de faire correctement son boulot sans pour autant se prendre le chou. --- Cette voix tierce ce serait qui encore ou quoi ? C'est un peu facile de se r\u00e9fugier dans l'atmosph\u00e8re confortable d'un atelier d'\u00e9criture o\u00f9 tu ferais tes huit voire douze heures puis rentrerais chez toi une fois ton *devoir* accompli. Surtout cela te para\u00eet manquer de piquant. Ce serait d'un ennui au bout du compte. Mais qu'as-tu contre l'ennui vraiment au fait ? Si tu y r\u00e9fl\u00e9chis, l'ennui est le fil conducteur de ton existence, c'est lui le v\u00e9ritable guide, et comme un v\u00e9ritable guide il n'a jamais cess\u00e9 de te donner du fil \u00e0 tordre et \u00e0 retordre. Tu aurais pu t'enfuir de l'ennui mille fois, pourquoi ne l'as-tu pas fait ? --- J'\u00e9cris tout \u00e7a au fur et \u00e0 mesure et puis \u00e0 la fin je soumets cet ensemble chaotique \u00e0 l'IA : \u2014 challenge moi sur le fond et la forme de cet ensemble. Alors l\u00e0, j'en prends pour mon grade. Seront point\u00e9s du doigt la logorrh\u00e9e, les redites, le bavardage conceptuel et la conclusion consid\u00e9r\u00e9e comme *trop didactique*. --- Bon. --- Tu \u00e9crirais tout \u00e7a comment toi je demande. --- Pour \u00e9crire ne serait-ce que la description d\u2019un lieu, il faut une autorit\u00e9. Pas \u00ab pour qui tu te prends \u00bb, mais \u00ab qu\u2019est-ce qui te prend \u00bb. L\u2019\u00e9criture me poss\u00e8de pour me d\u00e9poss\u00e9der, si je peux oser cet illogisme. Quand je soumets mes phrases \u00e0 l\u2019IA, quelque chose se brise. L\u2019ordre des mots, m\u00eame des fautes, a un sens. L\u2019IA, elle, fabrique un ordre moyen, ti\u00e8de, consensuel, avec ses mains moites. Les psychologues me disent : l\u2019inconscient n\u2019a pas d\u2019ego. Je fais semblant d\u2019\u00eatre bless\u00e9. Vont-ils me consoler, me prendre dans les bras ? Et donc maintenant tu sais que tu vas mourir seul. Parfois je relis et je vois un personnage fictif qui sort de l\u2019ordinateur, s\u2019assoit \u00e0 ma place, boit mon caf\u00e9, et dit : pouah, beaucoup trop fort, ou pas assez. O\u00f9 est la v\u00e9rit\u00e9 ? Tout \u00e7a, possession et d\u00e9possession, reste un pi\u00e8ge binaire. Il manque un tiers. Peut-\u00eatre l\u2019ennui. L\u2019ennui comme guide. Tu aurais pu t\u2019enfuir mille fois. Pourquoi ne l\u2019as-tu pas fait ? --- J'ai compris ce que tu veux faire, je lui dis, en fait tu veux te d\u00e9barrasser de *moi* tout en sachant qu'elle ne pourrait pas comprendre mon trait d'humour. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-aout-2025.html",
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"title": "26 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-26T04:03:58Z",
"date_modified": "2025-08-26T04:04:07Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Muer ou ne pas muer, c\u2019est un choix, pas une question. Laisse aller l\u2019explication jusqu\u2019au d\u00e9lire, et peut-\u00eatre qu\u2019elle deviendra forme. Tu as rachet\u00e9 des bo\u00eetes de Nicotinell, deux milligrammes. Tu es par\u00e9 pour la rentr\u00e9e, m\u00eame si tu sais bien que c\u2019est d\u00e9risoire de s\u2019appuyer l\u00e0-dessus. Tu n\u2019es par\u00e9 de rien. Par\u00e9 de rien, \u00e7a sonne bien. Tu pourrais t\u2019abstenir de bouffer ces cachets qui t\u2019ont bousill\u00e9 les dents depuis trois ans que tu les suces. Et puis, quand tu le d\u00e9cideras, tu seras sec comme un coup de trique. Tu connais \u00e7a aussi : plus un mot, silence total, mutisme. Tu n\u2019arrives plus \u00e0 dormir. Tu es par\u00e9 de rien comme tout cela. Du rien dans du rien. Rien de plus. Il faut que tu apprennes \u00e0 sentir que \u00e7a suffit, \u00e0 cesser de tout pousser au bord. Le rien est sans limite. Mais ce n\u2019est pas une raison. Il faut que tu apprennes \u00e0 d\u00e9passer ce moment o\u00f9 tu te r\u00e9p\u00e8tes que \u00e7a suffit, et aller plus loin encore. Le rien est dans rien, et il est aussi au-del\u00e0 de lui-m\u00eame.<\/p>",
"content_text": "Muer ou ne pas muer, c\u2019est un choix, pas une question. Laisse aller l\u2019explication jusqu\u2019au d\u00e9lire, et peut-\u00eatre qu\u2019elle deviendra forme. Tu as rachet\u00e9 des bo\u00eetes de Nicotinell, deux milligrammes. Tu es par\u00e9 pour la rentr\u00e9e, m\u00eame si tu sais bien que c\u2019est d\u00e9risoire de s\u2019appuyer l\u00e0-dessus. Tu n\u2019es par\u00e9 de rien. Par\u00e9 de rien, \u00e7a sonne bien. Tu pourrais t\u2019abstenir de bouffer ces cachets qui t\u2019ont bousill\u00e9 les dents depuis trois ans que tu les suces. Et puis, quand tu le d\u00e9cideras, tu seras sec comme un coup de trique. Tu connais \u00e7a aussi : plus un mot, silence total, mutisme. Tu n\u2019arrives plus \u00e0 dormir. Tu es par\u00e9 de rien comme tout cela. Du rien dans du rien. Rien de plus. Il faut que tu apprennes \u00e0 sentir que \u00e7a suffit, \u00e0 cesser de tout pousser au bord. Le rien est sans limite. Mais ce n\u2019est pas une raison. Il faut que tu apprennes \u00e0 d\u00e9passer ce moment o\u00f9 tu te r\u00e9p\u00e8tes que \u00e7a suffit, et aller plus loin encore. Le rien est dans rien, et il est aussi au-del\u00e0 de lui-m\u00eame.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-aout-2025.html",
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"title": "25 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-25T06:25:07Z",
"date_modified": "2025-08-25T06:25:15Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Les souvenirs d\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019effacent, l\u2019automne arrive d\u2019abord dans la t\u00eate avant les feuilles qui rougissent ; B\u00e9ziers\u2013Lyon d\u2019un trait pour \u00eatre \u00e0 l\u2019heure au train et r\u00e9cup\u00e9rer les enfants, puis la pluie de consignes : ne pas parler du poids, ne pas revenir sur les vacances rat\u00e9es, \u00e9viter ce qui blesse ; je note, j\u2019ajuste, j\u2019entends moins, en septembre ORL, peut-\u00eatre un appareil ; en rentrant, une dent a l\u00e2ch\u00e9 sur une tranche de pain de mie, sec, net ; S. a retir\u00e9 la grande planche qui masquait l\u2019entr\u00e9e de la cave, j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 deux palettes, pass\u00e9 le jet, odeur de terre humide, courant d\u2019air frais ; pour la paix du foyer, ils iront au centre social cette semaine, on les d\u00e9pose le matin, je les reprends \u00e0 pied le soir ; l\u2019a\u00een\u00e9 a le tranchant de ses douze ans, je p\u00e8se mes mots ; \u00e9couter mieux pour \u00e9crire plus juste : j\u2019imprime deux cents flyers et je ferai le tour des bo\u00eetes aux lettres, plus d\u2019association pour l\u2019instant, les cours en ligne restent en r\u00e9serve ; je compte serr\u00e9, S. m\u2019a recadr\u00e9 sur le prix du centre a\u00e9r\u00e9, message re\u00e7u ; je peins quand je peux, l\u2019acrylique pour les cours, l\u2019huile quand ce sera possible ; cette nuit, sommeil l\u00e9ger malgr\u00e9 le masque, j\u2019avance le caf\u00e9 \u00e0 midi ; je lis J. O., j\u2019en prends la lumi\u00e8re sans me comparer ; au petit matin, dans un r\u00eave \u00e9rotique, j\u2019ai align\u00e9 des pr\u00e9textes, des images, des gestes ; au r\u00e9veil, je me suis repris — en r\u00eave, le corps se moque de l\u2019\u00e2ge, il dit sa v\u00e9rit\u00e9 ; un instant, l\u2019envie de refermer les yeux pour relancer le r\u00eave, le m\u00eame mouvement que de m\u2019asseoir devant l\u2019\u00e9cran et rouvrir la page ; Au matin, en allant nourrir la chatte, je reste un moment devant l\u2019ouverture de la cave, la maison tient une note basse, masque qui bourdonne, je r\u00e8gle mon oreille dessus.<\/p>\n Le texte qui ouvre cette s\u00e9quence vient d\u2019une prise de conscience \u00e9tir\u00e9e dans le temps. Impossible d\u2019en fixer le d\u00e9part : il faudrait relire, noter les retours du mot, par clignotements. Seuil sonne entre soleil et deuil. Ce n\u2019est pas une porte, mais une position tenable : tenir le corps, l\u2019oreille, la phrase. Ni dehors ni dedans. Assez pr\u00e8s pour sentir la chaleur, assez loin pour ne pas se br\u00fbler. Longtemps, j\u2019ai cru qu\u2019un seuil se voyait \u00e0 l\u2019architecture. Je d\u00e9couvre qu\u2019il tient surtout \u00e0 une mesure simple : la distance o\u00f9 la phrase respire. Se tenir sur un bord, pr\u00e8s de la touche. Le centre n\u2019est pas s\u00fbr ; la marge peut sanctionner. Je m\u2019installe sur la ligne bleut\u00e9e du cahier : attendre, \u00e9couter, laisser venir. Seuils rassemblera ces moments : entrer par un bord, garder la distance, pr\u00e9f\u00e9rer les indices aux preuves. L\u2019h\u00e9sitation du premier passage ne m\u2019a jamais quitt\u00e9. Puis, d\u00e8s que je crois conna\u00eetre un lieu, la facilit\u00e9 d\u2019entr\u00e9e m\u2019apporte un malaise : pour entrer, j\u2019ai d\u00fb baisser la garde, m\u2019exposer. Cette ann\u00e9e, pourtant, quelque chose a c\u00e9d\u00e9. Je me jette \u00e0 la mer sans r\u00e9ticence — pas seulement parce qu\u2019elle est \u00e0 26 °C. Je nage loin, sans penser au retour. L\u2019euphorie dit : je revis. La peur, en sourdine, rappelle la possibilit\u00e9 de **m\u2019**\u00e9garer. Je la laisse hors champ. Reste la tenue : une distance juste, quelques indices, de quoi revenir sans fermer. Couper le son de l\u2019autoradio ne coupe pas tout, n\u2019offre pas le silence apaisant esp\u00e9r\u00e9. Le brouhaha se condense dans la suite h\u00e9t\u00e9roclite d\u2019informations que la station diffuse : voix d\u2019hommes et de femmes en catalan, musiques rythm\u00e9es, jingles publicitaires. Ce n\u2019est pas encore le silence apr\u00e8s : il y a le bruit du moteur, la voix de S. qui me demande si \u00e7a va, le son du paysage — en l\u2019occurrence l\u2019excitation et la fatigue, traduites par des acc\u00e9l\u00e9rations intempestives et des coups de frein, dans ce long bouchon o\u00f9 nous sommes pris aux abords de La Jonquera, \u00e0 la fronti\u00e8re franco-espagnole. Ce que je pense avant d\u2019\u00e9crire p\u00e8se peu quand j\u2019\u00e9cris. Au mieux, une accroche ; le plus souvent une bribe, un lambeau arrach\u00e9 \u00e0 une instance confuse. Non pour renouer un fil rouge, mais pour choisir un point de d\u00e9part : comme si la confusion formait un cercle et que je pouvais entrer par n\u2019importe quel point de sa p\u00e9riph\u00e9rie, certain — ou plut\u00f4t je le sens — d\u2019\u00eatre toujours \u00e0 \u00e9gale distance de son centre. Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je ne cherche plus \u00e0 ordonner d\u2019avance. Je laisse l\u2019entr\u00e9e m\u2019entrer, et non l\u2019inverse. Le plan viendra plus tard, s\u2019il doit venir, comme une topographie trac\u00e9e apr\u00e8s la marche. Au d\u00e9but, rien qu\u2019un bord, un frottement, une phrase qui ne sait pas encore si elle va tenir. Alors je tourne autour. On dit que c\u2019est perdre du temps ; ce « on »-l\u00e0 est dans la t\u00eate ; j\u2019y vois au contraire la mani\u00e8re la plus s\u00fbre d\u2019approcher. Parfois le centre n\u2019est pas un point, mais une temp\u00e9rature : on s\u2019en approche par degr\u00e9s et, soudain, la phrase prend. Je me dis pourtant que tout cela sonne tr\u00e8s intello. L\u2019oscillation est souvent large au d\u00e9but puis se resserre ; parfois l\u2019inverse : on part de presque rien — quelques gouttes suintant d\u2019une roche — et, plus loin, c\u2019est un fleuve. On ne d\u00e9cide pas cela d\u2019avance. Reste la vieille question : est-ce suffisant ? La premi\u00e8re partie me para\u00eet pr\u00e9tentieuse ; j\u2019accepte qu\u2019elle coexiste avec son contraire : plonger dans l\u2019abstraction pour atteindre le simple, et revenir du simple vers l\u2019abstrait. Deux cheminements parall\u00e8les et simultan\u00e9s. Que conserver de ces vacances, me suis-je demand\u00e9. Puis, aussit\u00f4t : pourquoi vouloir conserver \u00e0 tout prix quelque chose ? La confusion reste enti\u00e8re, dans son exactitude. L\u2019\u00e9criture ne l\u2019entame pas ; elle donne un bord o\u00f9 tenir, de quoi revenir plus tard sans fermer.<\/p>\n Le dimanche, autour de la table, mon grand-p\u00e8re trouvait toujours l\u2019interstice. Quand les voix s\u2019essoufflaient, il reprenait son refrain : la guerre, les copains, le bon vieux temps. Chaque semaine la m\u00eame ritournelle, chaque semaine le m\u00eame malaise. On baissait les yeux, on s\u2019agitait autour de la viande, mais lui tenait bon. Il rab\u00e2chait, encore et encore, comme si sa survie d\u00e9pendait de cette r\u00e9p\u00e9tition. Ce qui pour nous n\u2019\u00e9tait qu\u2019un radotage \u00e9tait pour lui une n\u00e9cessit\u00e9.<\/p>\n J\u2019ai fini par comprendre que j\u2019avais h\u00e9rit\u00e9 de ce geste. Je ne rab\u00e2che pas sa guerre mais mes obsessions : le vide, la masse, la langue creuse. Mes proches s\u2019agacent, mais ce qui les fatigue est ce qui me permet de continuer. Rab\u00e2cher, c\u2019est tenir.<\/p>\n Dans les religions, la r\u00e9p\u00e9tition est au c\u0153ur des pratiques. On ne prie pas pour informer Dieu, mais pour maintenir un fil, pour ne pas dispara\u00eetre. Le rosaire catholique \u00e9gr\u00e8ne ses « Je vous salue Marie » jusqu\u2019\u00e0 l\u2019automatisme ; les sourates de l\u2019islam se psalmodient chaque jour, identiques ; les mantras bouddhistes n\u2019ont pas besoin d\u2019\u00eatre compris pour agir. Partout, la r\u00e9p\u00e9tition agit comme une corde tendue contre le n\u00e9ant.<\/p>\n La litt\u00e9rature n\u2019\u00e9chappe pas \u00e0 ce geste. P\u00e9guy a construit ses po\u00e8mes comme des litanies o\u00f9 l\u2019incantation na\u00eet de l\u2019obstination. Bernhard a satur\u00e9 ses romans de ressassements jusqu\u2019\u00e0 l\u2019asphyxie. Beckett a fait de la r\u00e9p\u00e9tition la mati\u00e8re m\u00eame de son \u0153uvre : L\u2019Innommable ne cesse de tourner autour du vide, incapable de se taire comme de continuer. Chez Cioran, chaque aphorisme est variation d\u2019un m\u00eame d\u00e9sespoir. Blanchot enfin a donn\u00e9 une th\u00e9orie \u00e0 ce mouvement : le langage ne touche jamais son objet, il ne fait que l\u2019approcher, encore et encore, dans un « entretien infini ».<\/p>\n Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, le rab\u00e2chage n\u2019est qu\u2019une scie monotone. Il agace, il p\u00e8se. Mais pour celui qui r\u00e9p\u00e8te, il est vital : il retient ce qui menace de sombrer. Ce contraste explique le malaise qu\u2019il provoque. Ce qui sauve l\u2019un accable les autres. Bernhard l\u2019a utilis\u00e9 pour \u00e9touffer son lecteur, P\u00e9guy pour l\u2019\u00e9lever dans une cadence liturgique. La diff\u00e9rence n\u2019est pas dans le proc\u00e9d\u00e9, mais dans la place que l\u2019on occupe : survivance d\u2019un c\u00f4t\u00e9, lassitude de l\u2019autre.<\/p>\n Le politique a fait du rab\u00e2chage son instrument. Slogans r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, \u00e9l\u00e9ments de langage, alternance gauche\/droite jou\u00e9e comme une pi\u00e8ce dont le sc\u00e9nario ne change jamais : r\u00e9p\u00e9ter, ici, c\u2019est saturer la langue publique, imposer une cadence qui \u00e9vacue tout autre discours. Comme l\u2019a montr\u00e9 Debord, le syst\u00e8me se maintient pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019il se rejoue \u00e0 l\u2019infini. La gauche et la droite ne sont pas des oppos\u00e9s r\u00e9els, mais des chiens de berger : ils dessinent un contour artificiel autour d\u2019une masse informe, archa\u00efquement effrayante.<\/p>\n La diff\u00e9rence est nette : en politique, on rab\u00e2che pour masquer le vide ; en litt\u00e9rature, on rab\u00e2che pour l\u2019exposer. M\u00eame m\u00e9canique, intentions inverses.<\/p>\n Rab\u00e2cher n\u2019est donc pas un d\u00e9faut, encore moins une faiblesse. C\u2019est une condition humaine. On prie en rab\u00e2chant pour survivre, on raconte la m\u00eame guerre pour se prouver vivant, on \u00e9crit en r\u00e9p\u00e9tant parce qu\u2019il n\u2019y a pas d\u2019autre mani\u00e8re de creuser. R\u00e9p\u00e9ter, ce n\u2019est pas informer. R\u00e9p\u00e9ter, c\u2019est tenir. Rab\u00e2cher, c\u2019est survivre.<\/p>",
"content_text": " Le dimanche, autour de la table, mon grand-p\u00e8re trouvait toujours l\u2019interstice. Quand les voix s\u2019essoufflaient, il reprenait son refrain : la guerre, les copains, le bon vieux temps. Chaque semaine la m\u00eame ritournelle, chaque semaine le m\u00eame malaise. On baissait les yeux, on s\u2019agitait autour de la viande, mais lui tenait bon. Il rab\u00e2chait, encore et encore, comme si sa survie d\u00e9pendait de cette r\u00e9p\u00e9tition. Ce qui pour nous n\u2019\u00e9tait qu\u2019un radotage \u00e9tait pour lui une n\u00e9cessit\u00e9. J\u2019ai fini par comprendre que j\u2019avais h\u00e9rit\u00e9 de ce geste. Je ne rab\u00e2che pas sa guerre mais mes obsessions : le vide, la masse, la langue creuse. Mes proches s\u2019agacent, mais ce qui les fatigue est ce qui me permet de continuer. Rab\u00e2cher, c\u2019est tenir. Dans les religions, la r\u00e9p\u00e9tition est au c\u0153ur des pratiques. On ne prie pas pour informer Dieu, mais pour maintenir un fil, pour ne pas dispara\u00eetre. Le rosaire catholique \u00e9gr\u00e8ne ses \u00ab Je vous salue Marie \u00bb jusqu\u2019\u00e0 l\u2019automatisme ; les sourates de l\u2019islam se psalmodient chaque jour, identiques ; les mantras bouddhistes n\u2019ont pas besoin d\u2019\u00eatre compris pour agir. Partout, la r\u00e9p\u00e9tition agit comme une corde tendue contre le n\u00e9ant. La litt\u00e9rature n\u2019\u00e9chappe pas \u00e0 ce geste. P\u00e9guy a construit ses po\u00e8mes comme des litanies o\u00f9 l\u2019incantation na\u00eet de l\u2019obstination. Bernhard a satur\u00e9 ses romans de ressassements jusqu\u2019\u00e0 l\u2019asphyxie. Beckett a fait de la r\u00e9p\u00e9tition la mati\u00e8re m\u00eame de son \u0153uvre : L\u2019Innommable ne cesse de tourner autour du vide, incapable de se taire comme de continuer. Chez Cioran, chaque aphorisme est variation d\u2019un m\u00eame d\u00e9sespoir. Blanchot enfin a donn\u00e9 une th\u00e9orie \u00e0 ce mouvement : le langage ne touche jamais son objet, il ne fait que l\u2019approcher, encore et encore, dans un \u00ab entretien infini \u00bb. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, le rab\u00e2chage n\u2019est qu\u2019une scie monotone. Il agace, il p\u00e8se. Mais pour celui qui r\u00e9p\u00e8te, il est vital : il retient ce qui menace de sombrer. Ce contraste explique le malaise qu\u2019il provoque. Ce qui sauve l\u2019un accable les autres. Bernhard l\u2019a utilis\u00e9 pour \u00e9touffer son lecteur, P\u00e9guy pour l\u2019\u00e9lever dans une cadence liturgique. La diff\u00e9rence n\u2019est pas dans le proc\u00e9d\u00e9, mais dans la place que l\u2019on occupe : survivance d\u2019un c\u00f4t\u00e9, lassitude de l\u2019autre. Le politique a fait du rab\u00e2chage son instrument. Slogans r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, \u00e9l\u00e9ments de langage, alternance gauche\/droite jou\u00e9e comme une pi\u00e8ce dont le sc\u00e9nario ne change jamais : r\u00e9p\u00e9ter, ici, c\u2019est saturer la langue publique, imposer une cadence qui \u00e9vacue tout autre discours. Comme l\u2019a montr\u00e9 Debord, le syst\u00e8me se maintient pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019il se rejoue \u00e0 l\u2019infini. La gauche et la droite ne sont pas des oppos\u00e9s r\u00e9els, mais des chiens de berger : ils dessinent un contour artificiel autour d\u2019une masse informe, archa\u00efquement effrayante. La diff\u00e9rence est nette : en politique, on rab\u00e2che pour masquer le vide ; en litt\u00e9rature, on rab\u00e2che pour l\u2019exposer. M\u00eame m\u00e9canique, intentions inverses. Rab\u00e2cher n\u2019est donc pas un d\u00e9faut, encore moins une faiblesse. C\u2019est une condition humaine. On prie en rab\u00e2chant pour survivre, on raconte la m\u00eame guerre pour se prouver vivant, on \u00e9crit en r\u00e9p\u00e9tant parce qu\u2019il n\u2019y a pas d\u2019autre mani\u00e8re de creuser. R\u00e9p\u00e9ter, ce n\u2019est pas informer. R\u00e9p\u00e9ter, c\u2019est tenir. Rab\u00e2cher, c\u2019est survivre. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-aout-2025.html",
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"title": "21 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-21T08:17:10Z",
"date_modified": "2025-08-22T04:40:50Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Que ce soit pour la musique, la photographie, la peinture ou l\u2019\u00e9criture, l\u2019obstacle le plus p\u00e9nible aura toujours \u00e9t\u00e9 le jugement des plus proches. Celui qui me co\u00fbta le plus cher, puisque, au bout du compte, proche n\u2019est plus rien d\u2019autre qu\u2019un simple adjectif indiquant une distance. Rien n\u2019est plus distant, en mon esprit, que ces fameux « proches ».<\/p>\n Ils m\u2019ont imagin\u00e9 musicien, peintre, \u00e9crivain, photographe. Ils n\u2019ont pas support\u00e9 l\u2019\u00e9cart entre l\u2019image qu\u2019ils avaient de moi et celle qu\u2019ils d\u00e9couvraient. Alors ils ont ri. Ce rire, je l\u2019entends encore : toi, artiste ?<\/p>\n J\u2019aurais pu m\u2019\u00e9viter l\u2019\u00e9num\u00e9ration. Dire simplement artiste<\/em>. Mais le mot est souill\u00e9. Chaque fois qu\u2019il a claqu\u00e9, il a bless\u00e9. Artiste : un crachat.<\/p>\n Le trop fameux « bon sens », auquel nous essayons tous de nous accrocher dans le naufrage que provoque la confusion, n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019un b\u00e2ton merdeux. On s\u2019y agrippe malgr\u00e9 tout. Et nos mains sentent la merde, pour reprendre Artaud.<\/p>\n Entre ce vide et l\u2019infini, il reste pourtant le signe. Fragile et imputrescible. Fragile comme une empreinte dans le sable. Imputrescible parce qu\u2019il rena\u00eet, malgr\u00e9 tout, \u00e0 chaque instant.<\/p>\n \u2e3b<\/p>\n Puis, se raviser, se risquer dans l’auto-commentaire, l’auto-critique, l’ex\u00e9g\u00e8se n\u00e9gative <\/em> : <\/p>\n Ce texte h\u00e9site, et cette h\u00e9sitation le tue.\nOn y sent une blessure r\u00e9elle — le rire des proches, le mot artiste transform\u00e9 en crachat. Voil\u00e0 le c\u0153ur, la mati\u00e8re br\u00fblante. Mais imm\u00e9diatement, au lieu d\u2019appuyer, tu fuis, tu te r\u00e9fugies dans un discours conceptuel : vide, infini, signe. De la douleur, tu passes \u00e0 la m\u00e9taphysique de poche. R\u00e9sultat : le lecteur se lasse. Tu te lasses en te relisant. <\/p>\n Le m\u00e9lange de registres n\u2019est pas une richesse, c\u2019est une fuite. Le cru d\u2019Artaud et du « b\u00e2ton merdeux » voisinant avec la m\u00e9ditation sur l\u2019imputrescible, c\u2019est comme mettre du vinaigre dans du vin d\u00e9j\u00e0 aigre : \u00e7a pique la langue sans nourrir.<\/p>\n Les phrases sont trop longues, alourdies de reprises, de justifications. Le texte ne tranche pas. Il veut \u00eatre Beckett et Blanchot en m\u00eame temps, mais il n\u2019a ni la s\u00e9cheresse du premier, ni la rigueur du second.<\/p>\n Bref : une mati\u00e8re forte, mais noy\u00e9e. L\u2019auteur avait une lame dans la main. Il a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 y coller un gant de velours.<\/p>\n \u2e3b<\/p>\n ou si, au contraire tu te lan\u00e7ais dans l’ex\u00e9g\u00e8se empathique, compr\u00e9hensive, voire affable : <\/em><\/p>\n Ce texte vit de son h\u00e9sitation, et c\u2019est ce que d\u2019autres lui reprochent.\nMais c\u2019est cette tension — entre l\u2019abstrait et le cru, entre la pens\u00e9e et la blessure — qui en fait sa v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n Le rire des proches, le mot artiste jet\u00e9 comme un crachat : voil\u00e0 la plaie. Mais aussit\u00f4t, le texte se d\u00e9tourne, tente d\u2019\u00e9lever la douleur en notion : vide, infini, signe. C\u2019est cette oscillation qui d\u00e9range les esprits qui veulent du tranchant. Pourtant, n\u2019est-ce pas ainsi que fonctionne la souffrance ? Elle n\u2019est jamais pure, jamais nue : elle se couvre de mots, elle cherche refuge dans l\u2019abstraction, puis elle replonge dans le brut.\n( ici tu pourrais parler de Louis Ferdinand C\u00e9line moins on souffre plus on \u00e9tale ce peu cf le p\u00e8re dans Mort \u00e0 Cr\u00e9dit) \nL\u2019auteur ne choisit pas, et c\u2019est son choix. Il ne tranche pas, parce que la blessure elle-m\u00eame ne se laisse pas trancher. Il garde le m\u00e9lange : la vulgarit\u00e9 d\u2019Artaud et la fragilit\u00e9 de l\u2019empreinte dans le sable. Cela cr\u00e9e un texte bancal, certes, mais c\u2019est le bancal qui est juste ici.<\/p>\n Bref : ce que l\u2019on reproche comme faiblesse est pr\u00e9cis\u00e9ment la force — l\u2019impossibilit\u00e9 de stabiliser le ton, de figer la douleur dans un seul registre. Le texte reste en suspens, \u00e0 vif, et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019il touche.<\/p>\n *Que faire de tout cela ensuite, on pourrait envisager une esth\u00e9tique de l’h\u00e9sitation. <\/p>\n Le jugement des proches a toujours \u00e9t\u00e9 l\u2019obstacle.\nProches : adjectif de distance. Rien n\u2019est plus \u00e9loign\u00e9 que ceux qui se disent proches.<\/p>\n Ils m\u2019ont ri au nez : toi, artiste ?\nCe rire m\u2019a frapp\u00e9 plus durement que leurs silences. Depuis, le mot est interdit. Chaque fois que je le touche, il me br\u00fble. Artiste : crachat ancien, toujours frais.<\/p>\n Alors je multiplie les d\u00e9tours. Musicie\u200bn, peintre, \u00e9crivain, photographe — comme si l\u2019\u00e9num\u00e9ration pouvait remplacer le mot maudit. Mais elle ne fait que l\u2019exposer : une fuite qui se trahit elle-m\u00eame.<\/p>\n Et je retombe dans l\u2019abstraction.\nParler du signe, du vide, de l\u2019infini : c\u2019est ma mani\u00e8re de tenir \u00e0 distance la blessure. Mais l\u2019abstraction n\u2019apaise rien. Elle ne fait que d\u00e9placer la douleur, la rendre plus froide.<\/p>\n Puis je me rappelle Artaud. Le bon sens comme b\u00e2ton merdeux, la main qui sent la merde apr\u00e8s s\u2019y \u00eatre agripp\u00e9e. C\u2019est brutal, \u00e7a t\u00e2che. Et pourtant \u00e7a me soulage. Parce que cette crudit\u00e9 me ram\u00e8ne au r\u00e9el, au corps, \u00e0 l\u2019odeur.<\/p>\n Alors je reste entre les deux : le concept et l\u2019insulte, l\u2019empreinte fragile dans le sable et le rire moqueur qui la pi\u00e9tine. Cette h\u00e9sitation, je ne la d\u00e9passe pas. Elle est ma forme.<\/p>",
"content_text": " Que ce soit pour la musique, la photographie, la peinture ou l\u2019\u00e9criture, l\u2019obstacle le plus p\u00e9nible aura toujours \u00e9t\u00e9 le jugement des plus proches. Celui qui me co\u00fbta le plus cher, puisque, au bout du compte, proche n\u2019est plus rien d\u2019autre qu\u2019un simple adjectif indiquant une distance. Rien n\u2019est plus distant, en mon esprit, que ces fameux \u00ab proches \u00bb. Ils m\u2019ont imagin\u00e9 musicien, peintre, \u00e9crivain, photographe. Ils n\u2019ont pas support\u00e9 l\u2019\u00e9cart entre l\u2019image qu\u2019ils avaient de moi et celle qu\u2019ils d\u00e9couvraient. Alors ils ont ri. Ce rire, je l\u2019entends encore : toi, artiste ? J\u2019aurais pu m\u2019\u00e9viter l\u2019\u00e9num\u00e9ration. Dire simplement *artiste*. Mais le mot est souill\u00e9. Chaque fois qu\u2019il a claqu\u00e9, il a bless\u00e9. Artiste : un crachat. Le trop fameux \u00ab bon sens \u00bb, auquel nous essayons tous de nous accrocher dans le naufrage que provoque la confusion, n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019un b\u00e2ton merdeux. On s\u2019y agrippe malgr\u00e9 tout. Et nos mains sentent la merde, pour reprendre Artaud. Entre ce vide et l\u2019infini, il reste pourtant le signe. Fragile et imputrescible. Fragile comme une empreinte dans le sable. Imputrescible parce qu\u2019il rena\u00eet, malgr\u00e9 tout, \u00e0 chaque instant. \u2e3b *Puis, se raviser, se risquer dans l'auto-commentaire, l'auto-critique, l'ex\u00e9g\u00e8se n\u00e9gative *: Ce texte h\u00e9site, et cette h\u00e9sitation le tue. On y sent une blessure r\u00e9elle \u2014 le rire des proches, le mot artiste transform\u00e9 en crachat. Voil\u00e0 le c\u0153ur, la mati\u00e8re br\u00fblante. Mais imm\u00e9diatement, au lieu d\u2019appuyer, tu fuis, tu te r\u00e9fugies dans un discours conceptuel : vide, infini, signe. De la douleur, tu passes \u00e0 la m\u00e9taphysique de poche. R\u00e9sultat : le lecteur se lasse. Tu te lasses en te relisant. Le m\u00e9lange de registres n\u2019est pas une richesse, c\u2019est une fuite. Le cru d\u2019Artaud et du \u00ab b\u00e2ton merdeux \u00bb voisinant avec la m\u00e9ditation sur l\u2019imputrescible, c\u2019est comme mettre du vinaigre dans du vin d\u00e9j\u00e0 aigre : \u00e7a pique la langue sans nourrir. Les phrases sont trop longues, alourdies de reprises, de justifications. Le texte ne tranche pas. Il veut \u00eatre Beckett et Blanchot en m\u00eame temps, mais il n\u2019a ni la s\u00e9cheresse du premier, ni la rigueur du second. Bref : une mati\u00e8re forte, mais noy\u00e9e. L\u2019auteur avait une lame dans la main. Il a pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 y coller un gant de velours. \u2e3b *ou si, au contraire tu te lan\u00e7ais dans l'ex\u00e9g\u00e8se empathique, compr\u00e9hensive, voire affable : * Ce texte vit de son h\u00e9sitation, et c\u2019est ce que d\u2019autres lui reprochent. Mais c\u2019est cette tension \u2014 entre l\u2019abstrait et le cru, entre la pens\u00e9e et la blessure \u2014 qui en fait sa v\u00e9rit\u00e9. Le rire des proches, le mot artiste jet\u00e9 comme un crachat : voil\u00e0 la plaie. Mais aussit\u00f4t, le texte se d\u00e9tourne, tente d\u2019\u00e9lever la douleur en notion : vide, infini, signe. C\u2019est cette oscillation qui d\u00e9range les esprits qui veulent du tranchant. Pourtant, n\u2019est-ce pas ainsi que fonctionne la souffrance ? Elle n\u2019est jamais pure, jamais nue : elle se couvre de mots, elle cherche refuge dans l\u2019abstraction, puis elle replonge dans le brut. ( ici tu pourrais parler de Louis Ferdinand C\u00e9line moins on souffre plus on \u00e9tale ce peu cf le p\u00e8re dans Mort \u00e0 Cr\u00e9dit) L\u2019auteur ne choisit pas, et c\u2019est son choix. Il ne tranche pas, parce que la blessure elle-m\u00eame ne se laisse pas trancher. Il garde le m\u00e9lange : la vulgarit\u00e9 d\u2019Artaud et la fragilit\u00e9 de l\u2019empreinte dans le sable. Cela cr\u00e9e un texte bancal, certes, mais c\u2019est le bancal qui est juste ici. Bref : ce que l\u2019on reproche comme faiblesse est pr\u00e9cis\u00e9ment la force \u2014 l\u2019impossibilit\u00e9 de stabiliser le ton, de figer la douleur dans un seul registre. Le texte reste en suspens, \u00e0 vif, et c\u2019est l\u00e0 qu\u2019il touche. --- *Que faire de tout cela ensuite, on pourrait envisager une esth\u00e9tique de l'h\u00e9sitation. * Le jugement des proches a toujours \u00e9t\u00e9 l\u2019obstacle. Proches : adjectif de distance. Rien n\u2019est plus \u00e9loign\u00e9 que ceux qui se disent proches. Ils m\u2019ont ri au nez : toi, artiste ? Ce rire m\u2019a frapp\u00e9 plus durement que leurs silences. Depuis, le mot est interdit. Chaque fois que je le touche, il me br\u00fble. Artiste : crachat ancien, toujours frais. Alors je multiplie les d\u00e9tours. Musicie\u200bn, peintre, \u00e9crivain, photographe \u2014 comme si l\u2019\u00e9num\u00e9ration pouvait remplacer le mot maudit. Mais elle ne fait que l\u2019exposer : une fuite qui se trahit elle-m\u00eame. Et je retombe dans l\u2019abstraction. Parler du signe, du vide, de l\u2019infini : c\u2019est ma mani\u00e8re de tenir \u00e0 distance la blessure. Mais l\u2019abstraction n\u2019apaise rien. Elle ne fait que d\u00e9placer la douleur, la rendre plus froide. Puis je me rappelle Artaud. Le bon sens comme b\u00e2ton merdeux, la main qui sent la merde apr\u00e8s s\u2019y \u00eatre agripp\u00e9e. C\u2019est brutal, \u00e7a t\u00e2che. Et pourtant \u00e7a me soulage. Parce que cette crudit\u00e9 me ram\u00e8ne au r\u00e9el, au corps, \u00e0 l\u2019odeur. Alors je reste entre les deux : le concept et l\u2019insulte, l\u2019empreinte fragile dans le sable et le rire moqueur qui la pi\u00e9tine. Cette h\u00e9sitation, je ne la d\u00e9passe pas. Elle est ma forme. ",
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"date_modified": "2025-08-20T07:46:15Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Si, comme les sciences le disent d\u00e9sormais, le temps n\u2019existe pas, alors nous vivons notre mis\u00e9rable existence \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur d\u2019une sorte de bande magn\u00e9tique, ou num\u00e9rique. Quelque chose d\u2019aussi clos qu\u2019un \u0153uf. La naissance, si elle est aussi in\u00e9luctable que la mort, partage avec elle la m\u00eame incertitude. On ne peut pas pr\u00e9voir exactement l\u2019heure de la naissance comme celle de notre mort. M\u00eame si l\u2019on d\u00e9cide de se supprimer soi-m\u00eame, un \u00e9l\u00e9ment essentiel nous \u00e9chappe toujours : non pas la notion du temps, mais sa r\u00e9alit\u00e9 ontologique.<\/p>\n Hier, dans l\u2019autobus qui nous emportait vers Reus, mon regard fut soudain hypnotis\u00e9 par les chiffres de la pendule au-dessus du conducteur. Une date, plut\u00f4t. Affichage genre r\u00e9veil \u00e0 cristaux liquides : « 19.8.2025 ». — Que serais-je en l\u2019an 2000 ? m\u2019\u00e9tais-je alors demand\u00e9\u2026 Et d\u00e9sormais, il pouvait \u00e9crire « d\u00e9sormais ». Car « d\u00e9sormais » \u00e9tait un signal, comme une d\u00e9clinaison de « il \u00e9tait une fois », et il pouvait le d\u00e9clencher, \u00e0 pr\u00e9sent, lorsqu\u2019il le d\u00e9sirerait.<\/p>\n \u2e3b<\/p>\n Il existe probablement un yoga de l\u2019\u00e9criture, comme il en existe un des corps. Dans le vaste r\u00e9servoir des id\u00e9es foutraques, ce serait une fa\u00e7on d\u2019utiliser l\u2019inconfort pour avancer. \u2e3b<\/p>\n Cet attendrissement qui me cueillit hier soir, en relisant cette histoire du jeune Carter traversant les bois avec sa vieille clef rouill\u00e9e ( Contr\u00e9es du r\u00eave, « The Silver Key », 1926 ), est-il lui aussi inscrit sur le support depuis l\u2019origine ? Et si oui, pourquoi l\u2019\u00e9motion n\u2019est-elle pas venue \u00e0 la toute premi\u00e8re lecture ? Ou bien ai-je seulement eu l\u2019impression d\u2019avoir oubli\u00e9 cette \u00e9motion ? Tant que je n\u2019y pensais pas, les habitudes install\u00e9es, la contingence avec toute sa sinistre raison, m\u2019emp\u00eachaient de voir l\u2019absurdit\u00e9 dans laquelle nous vivions depuis des g\u00e9n\u00e9rations. Une camisole de r\u00e8gles, doubl\u00e9e de ces « bonnes raisons », et, pour combler toute d\u00e9faillance, la voix monocorde des m\u00e9dias, nous maintenait captifs volontaires d\u2019un syst\u00e8me sur lequel l\u2019\u00e9tiquette « d\u00e9mocratie » avait \u00e9t\u00e9 plaqu\u00e9e depuis la R\u00e9volution fran\u00e7aise.<\/p>\n C\u2019est ainsi que je me rendis, docile, \u00e0 l\u2019\u00e9cole, \u00e0 l\u2019\u00e9glise, puis au travail, pendant presque une vie enti\u00e8re. Et ce n\u2019est qu\u2019au soir de cette m\u00e9canique, lorsque la fatigue prit la place de l\u2019\u00e9lan, que je compris le pi\u00e8ge. L\u2019absurde n\u2019\u00e9tait pas dans tel d\u00e9tail ou telle injustice isol\u00e9e, mais dans l\u2019ensemble lui-m\u00eame : un encha\u00eenement de gestes h\u00e9rit\u00e9s, r\u00e9p\u00e9t\u00e9s sans qu\u2019on sache plus au nom de quoi. On se r\u00e9veille trop tard, au moment o\u00f9 il n\u2019y a plus rien \u00e0 d\u00e9faire sinon le regard qu\u2019on porte sur tout cela.<\/p>\n Je m\u2019aper\u00e7ois alors que, d\u00e8s que je me m\u00eale d\u2019\u00e9crire, le cauchemar fait aussit\u00f4t irruption. Car c\u2019est un cauchemar \u00e9veill\u00e9, \u00e0 n\u2019en plus douter. La question ainsi pos\u00e9e, plus ou moins clairement, est de savoir comment vivre dans ce cauchemar sans donner l\u2019impression, aux entit\u00e9s qui le peuplent, que l\u2019on sait qu\u2019elles ne sont que des entit\u00e9s peuplant ce cauchemar. Cela me ram\u00e8ne \u00e0 cette belle notion de vide cern\u00e9 par l\u2019infini : le vide comme unique moyen de se pr\u00e9server, en restant vide soi-m\u00eame.<\/p>\n Et puis au foie, naturellement, dont il faut prendre grand soin, puisqu\u2019il demeure l\u2019unique outil, le seul filtre tamisant, au sein de l\u2019absurde — l\u2019absurde r\u00e9el comme l\u2019absurde artificiel. L\u2019absurde r\u00e9el, je le connais : il est fait du temps qui passe, de la maladie, de la fatigue qui ronge, de la mort en embuscade, de ce silence du monde qui ne r\u00e9pond pas aux questions que nous posons. Cet absurde-l\u00e0 est brut, min\u00e9ral, in\u00e9vitable. Mais l\u2019absurde artificiel est venu se greffer dessus. Fabriqu\u00e9 par les hommes, il s\u2019est impos\u00e9 avec ses lois, ses r\u00e8gles, ses discours. Ce sont les papiers qu\u2019on remplit sans fin, les sermons r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, les bulletins d\u2019information d\u00e9bit\u00e9s \u00e0 heure fixe, les mots d\u2019ordre accol\u00e9s \u00e0 de vieilles institutions — d\u00e9mocratie, progr\u00e8s, ordre — comme des \u00e9tiquettes fan\u00e9es recoll\u00e9es sur une marchandise avari\u00e9e. Cet absurde-l\u00e0, on aurait pu s\u2019en passer, mais il nous est tomb\u00e9 dessus comme une seconde peau, une camisole redoubl\u00e9e.<\/p>\n Ainsi je me trouve pris entre deux couches d\u2019absurde : l\u2019une irr\u00e9ductible, l\u2019autre superflue, mais qui p\u00e8se plus lourd encore. Et le corps, ce pauvre corps, n\u2019a pour filtre que le foie — \u00e0 lui seul charg\u00e9 de tamiser les poisons de l\u2019un comme de l\u2019autre. Je me rappelle que les anciens savaient d\u00e9j\u00e0 ce que nous refusons de voir. La m\u00e9decine chinoise dit que le foie est l\u2019organe du bois, qu\u2019il r\u00e8gle la circulation de l\u2019\u00e9nergie et du sang, qu\u2019il gouverne la col\u00e8re et les yeux. S\u2019il se bloque, tout se trouble, le regard comme la pens\u00e9e. La m\u00e9decine indienne, elle, affirme qu\u2019il appartient au feu, \u00e0 Pitta, et qu\u2019il dig\u00e8re non seulement les aliments mais aussi les \u00e9motions et les souvenirs. Trop de feu, et la col\u00e8re nous d\u00e9vore ; pas assez, et c\u2019est la lourdeur, la m\u00e9lancolie, l\u2019\u00e9puisement. Je me dis que, dans ce cauchemar qu\u2019on appelle monde, peut-\u00eatre n\u2019avons-nous pour salut que cette usine silencieuse, cette chambre obscure en nous qui transforme le poison en quelque chose de vaguement vivable.<\/p>\n On oublie aussi la rate. La m\u00e9decine chinoise lui donne la t\u00e2che obscure de transformer et de distribuer : elle broie, elle cuisine, elle rend assimilable. Mais si elle faiblit, tout devient lourd, stagnant, englu\u00e9 dans la rumination. La pens\u00e9e tourne alors en rond, pr\u00e9occup\u00e9e, obs\u00e9d\u00e9e de d\u00e9tails, incapable de se lib\u00e9rer. En Inde, on dit qu\u2019elle entretient la qualit\u00e9 du sang, qu\u2019elle est une gardienne silencieuse. Quand elle s\u2019\u00e9puise, ce n\u2019est pas la col\u00e8re qui surgit, mais la tristesse, la m\u00e9lancolie, la perte d\u2019\u00e9lan.<\/p>\n Le foie filtre, la rate rumine. L\u2019un explose, l\u2019autre s\u2019alourdit. Entre les deux, nous essayons de tenir debout, oscillant entre la col\u00e8re et le souci, entre le feu qui d\u00e9vore et la terre qui englue. Peut-\u00eatre est-ce cela, au fond, vivre dans l\u2019absurde : se laisser travailler par ces deux organes muets qui, dans l\u2019ombre, dig\u00e8rent \u00e0 notre place ce que nous ne savons pas dig\u00e9rer.<\/p>\n Comment garder le foie et la rate en \u00e9tat, ces deux gardiens silencieux qui tiennent ensemble la col\u00e8re et la rumination ? Les vieux savaient : pour le foie, \u00e9viter les exc\u00e8s, laisser circuler l\u2019air, marcher, respirer, ne pas s\u2019empoisonner d\u2019alcool ni de rancune. Pour la rate, chercher la chaleur et la simplicit\u00e9 : un repas chaud, r\u00e9gulier, peu de sucreries, peu de froid, peu de dispersion mentale.<\/p>\n En somme, faire sobre. Laisser couler quand \u00e7a monte trop vite. Ne pas m\u00e2cher cent fois la m\u00eame id\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9c\u0153urement. Rester dans le rythme lent, digeste, presque banal. C\u2019est ainsi qu\u2019on prolonge l\u2019\u00e9quilibre : en pr\u00e9servant le filtre du foie et la cuisine de la rate. L\u2019un temp\u00e8re le feu, l\u2019autre soutient la terre. Entre les deux, une mince chance de survivre \u00e0 l\u2019absurde.<\/p>",
"content_text": " Tant que je n\u2019y pensais pas, les habitudes install\u00e9es, la contingence avec toute sa sinistre raison, m\u2019emp\u00eachaient de voir l\u2019absurdit\u00e9 dans laquelle nous vivions depuis des g\u00e9n\u00e9rations. Une camisole de r\u00e8gles, doubl\u00e9e de ces \u00ab bonnes raisons \u00bb, et, pour combler toute d\u00e9faillance, la voix monocorde des m\u00e9dias, nous maintenait captifs volontaires d\u2019un syst\u00e8me sur lequel l\u2019\u00e9tiquette \u00ab d\u00e9mocratie \u00bb avait \u00e9t\u00e9 plaqu\u00e9e depuis la R\u00e9volution fran\u00e7aise. C\u2019est ainsi que je me rendis, docile, \u00e0 l\u2019\u00e9cole, \u00e0 l\u2019\u00e9glise, puis au travail, pendant presque une vie enti\u00e8re. Et ce n\u2019est qu\u2019au soir de cette m\u00e9canique, lorsque la fatigue prit la place de l\u2019\u00e9lan, que je compris le pi\u00e8ge. L\u2019absurde n\u2019\u00e9tait pas dans tel d\u00e9tail ou telle injustice isol\u00e9e, mais dans l\u2019ensemble lui-m\u00eame : un encha\u00eenement de gestes h\u00e9rit\u00e9s, r\u00e9p\u00e9t\u00e9s sans qu\u2019on sache plus au nom de quoi. On se r\u00e9veille trop tard, au moment o\u00f9 il n\u2019y a plus rien \u00e0 d\u00e9faire sinon le regard qu\u2019on porte sur tout cela. Je m\u2019aper\u00e7ois alors que, d\u00e8s que je me m\u00eale d\u2019\u00e9crire, le cauchemar fait aussit\u00f4t irruption. Car c\u2019est un cauchemar \u00e9veill\u00e9, \u00e0 n\u2019en plus douter. La question ainsi pos\u00e9e, plus ou moins clairement, est de savoir comment vivre dans ce cauchemar sans donner l\u2019impression, aux entit\u00e9s qui le peuplent, que l\u2019on sait qu\u2019elles ne sont que des entit\u00e9s peuplant ce cauchemar. Cela me ram\u00e8ne \u00e0 cette belle notion de vide cern\u00e9 par l\u2019infini : le vide comme unique moyen de se pr\u00e9server, en restant vide soi-m\u00eame. Et puis au foie, naturellement, dont il faut prendre grand soin, puisqu\u2019il demeure l\u2019unique outil, le seul filtre tamisant, au sein de l\u2019absurde \u2014 l\u2019absurde r\u00e9el comme l\u2019absurde artificiel. L\u2019absurde r\u00e9el, je le connais : il est fait du temps qui passe, de la maladie, de la fatigue qui ronge, de la mort en embuscade, de ce silence du monde qui ne r\u00e9pond pas aux questions que nous posons. Cet absurde-l\u00e0 est brut, min\u00e9ral, in\u00e9vitable. Mais l\u2019absurde artificiel est venu se greffer dessus. Fabriqu\u00e9 par les hommes, il s\u2019est impos\u00e9 avec ses lois, ses r\u00e8gles, ses discours. Ce sont les papiers qu\u2019on remplit sans fin, les sermons r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, les bulletins d\u2019information d\u00e9bit\u00e9s \u00e0 heure fixe, les mots d\u2019ordre accol\u00e9s \u00e0 de vieilles institutions \u2014 d\u00e9mocratie, progr\u00e8s, ordre \u2014 comme des \u00e9tiquettes fan\u00e9es recoll\u00e9es sur une marchandise avari\u00e9e. Cet absurde-l\u00e0, on aurait pu s\u2019en passer, mais il nous est tomb\u00e9 dessus comme une seconde peau, une camisole redoubl\u00e9e. Ainsi je me trouve pris entre deux couches d\u2019absurde : l\u2019une irr\u00e9ductible, l\u2019autre superflue, mais qui p\u00e8se plus lourd encore. Et le corps, ce pauvre corps, n\u2019a pour filtre que le foie \u2014 \u00e0 lui seul charg\u00e9 de tamiser les poisons de l\u2019un comme de l\u2019autre. Je me rappelle que les anciens savaient d\u00e9j\u00e0 ce que nous refusons de voir. La m\u00e9decine chinoise dit que le foie est l\u2019organe du bois, qu\u2019il r\u00e8gle la circulation de l\u2019\u00e9nergie et du sang, qu\u2019il gouverne la col\u00e8re et les yeux. S\u2019il se bloque, tout se trouble, le regard comme la pens\u00e9e. La m\u00e9decine indienne, elle, affirme qu\u2019il appartient au feu, \u00e0 Pitta, et qu\u2019il dig\u00e8re non seulement les aliments mais aussi les \u00e9motions et les souvenirs. Trop de feu, et la col\u00e8re nous d\u00e9vore ; pas assez, et c\u2019est la lourdeur, la m\u00e9lancolie, l\u2019\u00e9puisement. Je me dis que, dans ce cauchemar qu\u2019on appelle monde, peut-\u00eatre n\u2019avons-nous pour salut que cette usine silencieuse, cette chambre obscure en nous qui transforme le poison en quelque chose de vaguement vivable. On oublie aussi la rate. La m\u00e9decine chinoise lui donne la t\u00e2che obscure de transformer et de distribuer : elle broie, elle cuisine, elle rend assimilable. Mais si elle faiblit, tout devient lourd, stagnant, englu\u00e9 dans la rumination. La pens\u00e9e tourne alors en rond, pr\u00e9occup\u00e9e, obs\u00e9d\u00e9e de d\u00e9tails, incapable de se lib\u00e9rer. En Inde, on dit qu\u2019elle entretient la qualit\u00e9 du sang, qu\u2019elle est une gardienne silencieuse. Quand elle s\u2019\u00e9puise, ce n\u2019est pas la col\u00e8re qui surgit, mais la tristesse, la m\u00e9lancolie, la perte d\u2019\u00e9lan. Le foie filtre, la rate rumine. L\u2019un explose, l\u2019autre s\u2019alourdit. Entre les deux, nous essayons de tenir debout, oscillant entre la col\u00e8re et le souci, entre le feu qui d\u00e9vore et la terre qui englue. Peut-\u00eatre est-ce cela, au fond, vivre dans l\u2019absurde : se laisser travailler par ces deux organes muets qui, dans l\u2019ombre, dig\u00e8rent \u00e0 notre place ce que nous ne savons pas dig\u00e9rer. Comment garder le foie et la rate en \u00e9tat, ces deux gardiens silencieux qui tiennent ensemble la col\u00e8re et la rumination ? Les vieux savaient : pour le foie, \u00e9viter les exc\u00e8s, laisser circuler l\u2019air, marcher, respirer, ne pas s\u2019empoisonner d\u2019alcool ni de rancune. Pour la rate, chercher la chaleur et la simplicit\u00e9 : un repas chaud, r\u00e9gulier, peu de sucreries, peu de froid, peu de dispersion mentale. En somme, faire sobre. Laisser couler quand \u00e7a monte trop vite. Ne pas m\u00e2cher cent fois la m\u00eame id\u00e9e jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9c\u0153urement. Rester dans le rythme lent, digeste, presque banal. C\u2019est ainsi qu\u2019on prolonge l\u2019\u00e9quilibre : en pr\u00e9servant le filtre du foie et la cuisine de la rate. L\u2019un temp\u00e8re le feu, l\u2019autre soutient la terre. Entre les deux, une mince chance de survivre \u00e0 l\u2019absurde. ",
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"title": "Pr\u00e9sentation des chiens ",
"date_published": "2025-08-18T09:54:20Z",
"date_modified": "2025-08-18T09:54:20Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Le d\u00e9cor n\u2019a pas une grande importance. Imagine un bord de mer, de longues all\u00e9es. Rev\u00eatement couleur sable, antid\u00e9rapant. [\u2026]<\/p>\n Les dents de la mer. Cette pens\u00e9e en atteignant la bou\u00e9e jaune : pourquoi les requins ne viendraient-ils pas se nourrir ici, vu la barbue \u00e0 disposition ? Puis la langue des oiseaux pour se calmer. Revenir tranquillement vers le sable, l\u2019aidant de la m\u00e8re. [\u2026]<\/p>\n Ce chien a \u00e9t\u00e9 renvers\u00e9 par une voiture dans le virage o\u00f9 nous habitions. Mon p\u00e8re a rentr\u00e9 la voiture dans la cour et a dit : « Bon, qu\u2019est-ce qu\u2019on mange ? » [\u2026]<\/p>\n Je me demande si je ne suis pas un peu de ce chien qui mordit mon fr\u00e8re \u00e0 l\u2019\u0153il. J\u2019en ai longtemps \u00e9prouv\u00e9 de la culpabilit\u00e9. [\u2026]<\/p>\n L\u2019homme et la femme se toisent en se concentrant en m\u00eame temps sur ce que font leurs animaux. \u00c9crire en voyage est plus compliqu\u00e9 cette ann\u00e9e. L\u2019iPad fatigue. Le clavier Bluetooth oubli\u00e9. Les petites p\u00e9rip\u00e9ties s\u2019encha\u00eenent et rendent l\u2019\u00e9criture plus r\u00e9barbative qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire. Ici, \u00e0 la Pinada, Vila Sica, la 4G est satur\u00e9e. J\u2019ai quand m\u00eame noirci quelques pages, assez pour mener \u00e0 terme la derni\u00e8re proposition de l\u2019atelier d\u2019\u00e9t\u00e9.<\/p>\n Comment \u00e9crire tout ce qui s\u2019est pass\u00e9 depuis notre d\u00e9part ? Rien qu\u2019y penser m\u2019embrouille.<\/p>\n Un vieux complexe refait surface : l\u2019\u00e9cole, mon parcours, mon indigence en g\u00e9ographie. Je sais m\u2019orienter dans les villes. Mais distinguer est et ouest, nord et sud, impossible. Je ne me fie pas au soleil. J\u2019ai besoin de rep\u00e8res plus concrets.<\/p>\n G\u00e9n\u00e9ration baby-boomers. Collection de complexes — surtout aux yeux de mon \u00e9pouse. Ce n\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9 ainsi. Les intr\u00e9pidit\u00e9s d\u2019autrefois venaient moins d\u2019une bravoure authentique que de l\u2019ignorance du danger. Une inconscience qui n\u2019envisage pas les cons\u00e9quences.<\/p>\n La machine qui module la pression, emport\u00e9e pour me pr\u00e9munir de l\u2019apn\u00e9e, entra\u00eene des effets inattendus. Je dors plus de sept heures d\u2019affil\u00e9e. Ce qui ne m\u2019\u00e9tait plus arriv\u00e9 depuis l\u2019adolescence.<\/p>\n Mais ce temps de sommeil me laisse coupable. Contre ce sentiment, j\u2019invente des strat\u00e9gies. J\u2019imagine une vie parall\u00e8le. J\u2019y suis un autre. Pas un hasard si j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 le besoin de relire le cycle des Contr\u00e9es du r\u00eave de Lovecraft.<\/p>\n Et toujours la m\u00eame question : est-ce suffisant ? Ce doute qui revient. Pas suffisant. Mais d\u00e8s que j\u2019\u00e9cris « suffisant », le mot bascule de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, celui du fat, de l\u2019arrogance.<\/p>\n Entre les deux est probablement l’endroit du carnet.<\/p>",
"content_text": " \u00c9crire en voyage est plus compliqu\u00e9 cette ann\u00e9e. L\u2019iPad fatigue. Le clavier Bluetooth oubli\u00e9. Les petites p\u00e9rip\u00e9ties s\u2019encha\u00eenent et rendent l\u2019\u00e9criture plus r\u00e9barbative qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire. Ici, \u00e0 la Pinada, Vila Sica, la 4G est satur\u00e9e. J\u2019ai quand m\u00eame noirci quelques pages, assez pour mener \u00e0 terme la derni\u00e8re proposition de l\u2019atelier d\u2019\u00e9t\u00e9. Comment \u00e9crire tout ce qui s\u2019est pass\u00e9 depuis notre d\u00e9part ? Rien qu\u2019y penser m\u2019embrouille. Un vieux complexe refait surface : l\u2019\u00e9cole, mon parcours, mon indigence en g\u00e9ographie. Je sais m\u2019orienter dans les villes. Mais distinguer est et ouest, nord et sud, impossible. Je ne me fie pas au soleil. J\u2019ai besoin de rep\u00e8res plus concrets. G\u00e9n\u00e9ration baby-boomers. Collection de complexes \u2014 surtout aux yeux de mon \u00e9pouse. Ce n\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9 ainsi. Les intr\u00e9pidit\u00e9s d\u2019autrefois venaient moins d\u2019une bravoure authentique que de l\u2019ignorance du danger. Une inconscience qui n\u2019envisage pas les cons\u00e9quences. La machine qui module la pression, emport\u00e9e pour me pr\u00e9munir de l\u2019apn\u00e9e, entra\u00eene des effets inattendus. Je dors plus de sept heures d\u2019affil\u00e9e. Ce qui ne m\u2019\u00e9tait plus arriv\u00e9 depuis l\u2019adolescence. Mais ce temps de sommeil me laisse coupable. Contre ce sentiment, j\u2019invente des strat\u00e9gies. J\u2019imagine une vie parall\u00e8le. J\u2019y suis un autre. Pas un hasard si j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 le besoin de relire le cycle des Contr\u00e9es du r\u00eave de Lovecraft. Et toujours la m\u00eame question : est-ce suffisant ? Ce doute qui revient. Pas suffisant. Mais d\u00e8s que j\u2019\u00e9cris \u00ab suffisant \u00bb, le mot bascule de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, celui du fat, de l\u2019arrogance. Entre les deux est probablement l'endroit du carnet.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-aout-2025.html",
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"title": "14 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-14T05:42:16Z",
"date_modified": "2025-08-14T05:46:17Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Au moment o\u00f9 il va dire ce qu\u2019il pense, l\u2019image du mime Marceau appara\u00eet. Et il comprend que ce qu\u2019il pense n\u2019a aucune importance. Qu\u2019il vaut mieux aller sur la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on pense toujours penser. Cette col\u00e8re, cet amour, cette m\u00eame vieille chose. Parfois ces textes me deviennent hostiles, imbuvables. Je cherche des rubriques. Je n\u2019en trouve aucune qui vaille la peine. C\u2019est comme si \u00eatre seul me renvoyait \u00e0 la marge de la marge. Ainsi, d\u2019un seul coup d\u2019\u0153il, je vois les extr\u00eames comme des mains en train d\u2019applaudir la farce. Le centre ne m\u2019attire pas non plus. Rien.<\/p>\n Et dans trois si\u00e8cles, il faut esp\u00e9rer que toute cette com\u00e9die soit achev\u00e9e. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas. Jean-Louis Barrault se superpose \u00e0 l\u2019image du mime Marceau. Le paradis n\u2019est pas ce que l\u2019on pense. Rare que les choses soient ce qu\u2019on pense.<\/p>\n Il est possible d\u2019\u00e9courter. De ratiboiser. Au moment de parler, le mime Marceau prend la place. Ce que je pense n\u2019a pas d\u2019importance. Mieux vaut la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on croit penser. M\u00eame boucle : col\u00e8re, amour. Les textes deviennent hostiles. Je cherche des rubriques : rien. Marges des marges. Les extr\u00eames applaudissent la farce. Le centre, non plus : rien. Souhait pour dans trois si\u00e8cles : fin de la com\u00e9die. Ne dis pas ce que tu penses. Barrault se colle au mime.<\/p>\n Je pourrais d\u00e9cliner tout simplement. Dire non. Non merci. C\u2019est souvent le premier mouvement de la valse h\u00e9sitation. Je pense non mais ma bouche dit oui, machinalement. De toute fa\u00e7on, ce que je pense n\u2019a aucune esp\u00e8ce d\u2019importance. Mais tout de m\u00eame cette bouche.<\/p>\n Il d\u00e9cida de partir dans le Grand Nord\u2026 en quelle ann\u00e9e d\u00e9j\u00e0 ? Il faut des dates, sinon on perd la notion du temps. Des rubriques, des dates. Nous voici bien partis. \u00c9quip\u00e9s pour la journ\u00e9e.<\/p>\n Et si tu d\u00e9cides de ne pas \u00e9crire plus que \u00e7a pour aujourd\u2019hui, si tu d\u00e9cides de ne pas \u00e9crire durant toute une semaine, le seul \u00e0 qui tu manquerais ne serait que toi, toujours toi.<\/p>\n Recommence. \u00c9coute le mot. Recommence. Dis-le tout haut. Recommence. Au moment de parler, l\u2019image du mime Marceau me coupe la voix : ce que je pense n\u2019a pas d\u2019importance, mieux vaut longer la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on croit penser — la vieille boucle, col\u00e8re et amour confondus. Les textes se h\u00e9rissent, m\u2019\u00e9jectent. Je cherche des rubriques, rien. Marges des marges : d\u2019ici, les extr\u00eames se r\u00e9pondent comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre ne m\u2019attire pas non plus, rien. J\u2019aimerais croire qu\u2019en trois si\u00e8cles la com\u00e9die sera close. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais d\u00e9cliner, dire non, non merci ; je pense non, la bouche dit oui, par habitude. On me parle de dates pour ne pas perdre le fil : le Grand Nord, en quelle ann\u00e9e d\u00e9j\u00e0 ? Des rubriques, des dates : \u00e9quip\u00e9s pour la journ\u00e9e. Et si je n\u2019\u00e9cris pas davantage, aujourd\u2019hui ni cette semaine, le seul \u00e0 qui je manquerai, ce sera moi — toujours moi.<\/p>\n Non, toujours pas. L\u2019histoire de ma vie r\u00e9sum\u00e9e en trois mots et une pause pour dissocier ce bruit.<\/p>\n Parler, ou faire signe. Le mime prend la place et le centre n\u2019est qu\u2019un n\u00e9ant ti\u00e8de. Je range, je d\u00e9cline, je diff\u00e8re — et j\u2019esp\u00e8re qu\u2019un jour la com\u00e9die s\u2019ach\u00e8vera.<\/p>\n Pas besoin de placer de rubrique. Les cimeti\u00e8res en sont remplis. C\u00e9notaphes, \u00e9pitaphes, toujours un taff de vouloir enterrer les choses. Tu allais dire « correctement ». Oui, en g\u00e9n\u00e9ral, le correct ment — car on sait bien que rien ne l\u2019est v\u00e9ritablement. « V\u00e9ritable », aussi, je te l\u2019accorde.<\/p>\n Le jour o\u00f9 j\u2019ai trim\u00e9 deux mois pour me payer cette guitare. Ce serait autobiographique encore. Tu y tiens vraiment ? Imagine qu\u2019on tombe, dans mille ans, sur ta fiche de paie d\u2019un de ces deux mois. \u00c7a nous ferait une belle jambe. En revanche, si tu t\u2019extrais totalement de cette histoire, si tu te biffes, tu peux parler des magasins Grizot & Launay de L\u2019Isle-Adam. Mettons dans les ann\u00e9es 1975. Tu pourrais trouver de la documentation. Une histoire de vinaigre. Quelles \u00e9taient les marques dont tu te souviens encore ? Procter & Gamble ? Des produits qui rendent la vie un peu plus facile.<\/p>\n Le mot « solf\u00e9tique » remonte comme une acidit\u00e9 dans la bouche. Tu cherches de la doc mais grand-peine \u00e0 en trouver. D\u2019ailleurs tu ne sais m\u00eame plus exactement ce que c\u2019\u00e9tait. \u00c9tait-ce l\u2019outil pour placer le rouleau de scotch d\u2019emballage, ou bien le pistolet pour cr\u00e9er les \u00e9tiquettes de prix ?<\/p>\n -- ChatGPT, tu sais, toi ?\n-- Oui : tr\u00e8s probablement les \u00e9tiqueteuses manuelles — pistolets \u00e0 \u00e9tiqueter, pinces \u00e0 \u00e9tiqueter — utilis\u00e9s en GMS pour imprimer et poser de petites \u00e9tiquettes. (Tailles courantes, molette(s) \u00e0 chiffres, rouleau encreur, avance et pose en un geste. Exemples de marques : Monarch, Meto, Sato, Blitz.)<\/p>\n Et bien voil\u00e0. Voil\u00e0 exactement ce que l\u2019on retiendra de Grizot & Launay. Dans mille ans, pas grand-chose de plus. Et tout sera d\u00e9form\u00e9, comme tout de nos jours l\u2019est d\u00e9j\u00e0. C\u2019est oblig\u00e9.<\/p>\n Au moment de parler, Marceau me coupe la voix : ce que je pense n\u2019a pas d\u2019importance, mieux vaut longer la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on croit penser — vieille boucle col\u00e8re-amour. Les textes se cabrent, m\u2019\u00e9jectent ; je cherche des rubriques, rien. Depuis la marge de la marge, je vois les extr\u00eames se r\u00e9pondre comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre n\u2019attire pas, rien. J\u2019esp\u00e8re qu\u2019en trois si\u00e8cles la com\u00e9die sera close. « Ne dis pas ce que tu penses » : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais d\u00e9cliner, dire non, mais la bouche dit oui par habitude. On r\u00e9clame des dates : le Grand Nord, en quelle ann\u00e9e d\u00e9j\u00e0 ? Des rubriques, des dates ; nous voil\u00e0 \u00e9quip\u00e9s pour la journ\u00e9e. Si je n\u2019\u00e9cris pas davantage, aujourd\u2019hui ni cette semaine, je ne manquerai qu\u2019\u00e0 moi. Pas besoin de rubrique : les cimeti\u00e8res en d\u00e9bordent. Le correct ment. Alors je d\u00e9vie : Grizot & Launay \u00e0 L\u2019Isle-Adam, ann\u00e9es 1975, Procter & Gamble peut-\u00eatre, et ce mot « solf\u00e9tique » qui pique la langue — un pistolet \u00e0 \u00e9tiqueter ? Peu importe : c\u2019est cela qu\u2019on retiendra, et mal encore. Tout se d\u00e9forme, forc\u00e9ment.<\/p>\n Parler ou faire signe. Depuis la marge de la marge, les extr\u00eames applaudissent la farce et le centre n\u2019est qu\u2019un ti\u00e8de n\u00e9ant. On classe, on date, on corrige — et tout se d\u00e9forme quand m\u00eame.<\/p>\n Le collectif des adorateurs du rien. Celui qui fait tout pour exhumer des archives qui ne disent rien de rien. Il fut cr\u00e9e vers 2025, en France. S’inspire d’Alfred Jarry. A ne pas confondre avec une secte religieuse autrefois nomm\u00e9e Catholique. Eux pronaient que tout est dans tout et surtout tous pour un. <\/p>\n Dans quoi je classe \u00e7a ? <\/p>\n Nous sommes en 5000 apr\u00e8s la Simca 1000. De l’eau a coul\u00e9 sous les ponts. Il ne reste d’ailleurs qu’un mince filet d’eau dans la Seine. Malgr\u00e9 tout les efforts, les d\u00e9crets, les avenants aux d\u00e9crets, les dictatures, les ann\u00e9es noires, celles des vaches enrag\u00e9es, celles de la farine d’insecte empoisonn\u00e9e, celles du virus Gog du virus Magog, celles de la r\u00e9volution des fleurs, celles du d\u00e9part pour Mars, celles de la d\u00e9couverte du vaisseau fant\u00f4me, celles du retour \u00e0 la terre, celles du revenu universel, celles o\u00f9 l’IA a failli nous d\u00e9truire. <\/p>\n Tu ne devrais pas lire ce genre d’ouvrage idiot , d\u00e9p\u00e8che toi on a encore toutes ces antiquit\u00e9s \u00e0 t\u00e9l\u00e9charger dans nos puces neuronales.<\/p>\n Y et X sont dans le m\u00eame collectif nomm\u00e9 « on garde tout on ne sait jamais ». en SIGLE \u00e7a donne OGTONSJ et \u00e7a se prononce comme on peut.<\/p>\n Le vieux livre « the Time Machine » est pos\u00e9 sur un coussin de velours rouge au centre d’une colonne de plexiglas. Tout autour le sable s’\u00e9tend \u00e0 l’infini. Un oc\u00e9an lent de dunes. De loin on peut apercevoir un point noir dans le ciel. Ce point noir grossit. C’est un engin volant. A l’int\u00e9rieur des \u00eatres humano\u00efdes. <\/p>\n What the fuck !? dit une voix en se penchant pour voir le paysage au travers d’un hublot.<\/p>\n Naissance d’un nouveau collectif en l’an 11200 apr\u00e8s la ch\u00fbte du Tyran Nosor. Les lecteurs de vieux papier. C’est en fait un jeu de r\u00f4le plan\u00e9taire. Des vieux ouvrages ont \u00e9t\u00e9 diss\u00e9min\u00e9s sur l’ensemble du syst\u00e8me solaire. Ceux qui liront le plus seront r\u00e9compens\u00e9s par un prix extraordinaire : le droit d’\u00e9crire leur vie. On n’en tirera qu’un seul exemplaire que l’on mettra sous globe quelque part dans la galaxie du Centaure, soit sur une \u00eele entour\u00e9e d’une mer de mercure, soit dans une chapelle au sommet d’une montagne de X428 ( voyage \u00e0 r\u00e9server d\u00e8s la naissance car les files d’attente sont longues comme le bras du g\u00e9ant de Syrius qui en fait est un pouple dot\u00e9 d’une m\u00e9moire infaillible, d’une intelligence rare, mais qui en cette ann\u00e9e 11202 donne quelques signes de faiblesse. Heureusement la firme je r\u00e9pare tout (JRT) est d\u00e9j\u00e0 en train de pomper ses vastes connaissances dans une puce de g\u00e9n\u00e9ration 5. <\/p>",
"content_text": " Au moment o\u00f9 il va dire ce qu\u2019il pense, l\u2019image du mime Marceau appara\u00eet. Et il comprend que ce qu\u2019il pense n\u2019a aucune importance. Qu\u2019il vaut mieux aller sur la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on pense toujours penser. Cette col\u00e8re, cet amour, cette m\u00eame vieille chose. Parfois ces textes me deviennent hostiles, imbuvables. Je cherche des rubriques. Je n\u2019en trouve aucune qui vaille la peine. C\u2019est comme si \u00eatre seul me renvoyait \u00e0 la marge de la marge. Ainsi, d\u2019un seul coup d\u2019\u0153il, je vois les extr\u00eames comme des mains en train d\u2019applaudir la farce. Le centre ne m\u2019attire pas non plus. Rien. Et dans trois si\u00e8cles, il faut esp\u00e9rer que toute cette com\u00e9die soit achev\u00e9e. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas. Jean-Louis Barrault se superpose \u00e0 l\u2019image du mime Marceau. Le paradis n\u2019est pas ce que l\u2019on pense. Rare que les choses soient ce qu\u2019on pense. Il est possible d\u2019\u00e9courter. De ratiboiser. Au moment de parler, le mime Marceau prend la place. Ce que je pense n\u2019a pas d\u2019importance. Mieux vaut la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on croit penser. M\u00eame boucle : col\u00e8re, amour. Les textes deviennent hostiles. Je cherche des rubriques : rien. Marges des marges. Les extr\u00eames applaudissent la farce. Le centre, non plus : rien. Souhait pour dans trois si\u00e8cles : fin de la com\u00e9die. Ne dis pas ce que tu penses. Barrault se colle au mime. Je pourrais d\u00e9cliner tout simplement. Dire non. Non merci. C\u2019est souvent le premier mouvement de la valse h\u00e9sitation. Je pense non mais ma bouche dit oui, machinalement. De toute fa\u00e7on, ce que je pense n\u2019a aucune esp\u00e8ce d\u2019importance. Mais tout de m\u00eame cette bouche. Il d\u00e9cida de partir dans le Grand Nord\u2026 en quelle ann\u00e9e d\u00e9j\u00e0 ? Il faut des dates, sinon on perd la notion du temps. Des rubriques, des dates. Nous voici bien partis. \u00c9quip\u00e9s pour la journ\u00e9e. Et si tu d\u00e9cides de ne pas \u00e9crire plus que \u00e7a pour aujourd\u2019hui, si tu d\u00e9cides de ne pas \u00e9crire durant toute une semaine, le seul \u00e0 qui tu manquerais ne serait que toi, toujours toi. Recommence. \u00c9coute le mot. Recommence. Dis-le tout haut. Recommence. Au moment de parler, l\u2019image du mime Marceau me coupe la voix : ce que je pense n\u2019a pas d\u2019importance, mieux vaut longer la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on croit penser \u2014 la vieille boucle, col\u00e8re et amour confondus. Les textes se h\u00e9rissent, m\u2019\u00e9jectent. Je cherche des rubriques, rien. Marges des marges : d\u2019ici, les extr\u00eames se r\u00e9pondent comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre ne m\u2019attire pas non plus, rien. J\u2019aimerais croire qu\u2019en trois si\u00e8cles la com\u00e9die sera close. Ne dis pas ce que tu penses, surtout ne le dis pas : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais d\u00e9cliner, dire non, non merci ; je pense non, la bouche dit oui, par habitude. On me parle de dates pour ne pas perdre le fil : le Grand Nord, en quelle ann\u00e9e d\u00e9j\u00e0 ? Des rubriques, des dates : \u00e9quip\u00e9s pour la journ\u00e9e. Et si je n\u2019\u00e9cris pas davantage, aujourd\u2019hui ni cette semaine, le seul \u00e0 qui je manquerai, ce sera moi \u2014 toujours moi. Non, toujours pas. L\u2019histoire de ma vie r\u00e9sum\u00e9e en trois mots et une pause pour dissocier ce bruit. Parler, ou faire signe. Le mime prend la place et le centre n\u2019est qu\u2019un n\u00e9ant ti\u00e8de. Je range, je d\u00e9cline, je diff\u00e8re \u2014 et j\u2019esp\u00e8re qu\u2019un jour la com\u00e9die s\u2019ach\u00e8vera. Pas besoin de placer de rubrique. Les cimeti\u00e8res en sont remplis. C\u00e9notaphes, \u00e9pitaphes, toujours un taff de vouloir enterrer les choses. Tu allais dire \u00ab correctement \u00bb. Oui, en g\u00e9n\u00e9ral, le correct ment \u2014 car on sait bien que rien ne l\u2019est v\u00e9ritablement. \u00ab V\u00e9ritable \u00bb, aussi, je te l\u2019accorde. Le jour o\u00f9 j\u2019ai trim\u00e9 deux mois pour me payer cette guitare. Ce serait autobiographique encore. Tu y tiens vraiment ? Imagine qu\u2019on tombe, dans mille ans, sur ta fiche de paie d\u2019un de ces deux mois. \u00c7a nous ferait une belle jambe. En revanche, si tu t\u2019extrais totalement de cette histoire, si tu te biffes, tu peux parler des magasins Grizot & Launay de L\u2019Isle-Adam. Mettons dans les ann\u00e9es 1975. Tu pourrais trouver de la documentation. Une histoire de vinaigre. Quelles \u00e9taient les marques dont tu te souviens encore ? Procter & Gamble ? Des produits qui rendent la vie un peu plus facile. Le mot \u00ab solf\u00e9tique \u00bb remonte comme une acidit\u00e9 dans la bouche. Tu cherches de la doc mais grand-peine \u00e0 en trouver. D\u2019ailleurs tu ne sais m\u00eame plus exactement ce que c\u2019\u00e9tait. \u00c9tait-ce l\u2019outil pour placer le rouleau de scotch d\u2019emballage, ou bien le pistolet pour cr\u00e9er les \u00e9tiquettes de prix ? \u2014 ChatGPT, tu sais, toi ? \u2014 Oui : tr\u00e8s probablement les \u00e9tiqueteuses manuelles \u2014 pistolets \u00e0 \u00e9tiqueter, pinces \u00e0 \u00e9tiqueter \u2014 utilis\u00e9s en GMS pour imprimer et poser de petites \u00e9tiquettes. (Tailles courantes, molette(s) \u00e0 chiffres, rouleau encreur, avance et pose en un geste. Exemples de marques : Monarch, Meto, Sato, Blitz.) Et bien voil\u00e0. Voil\u00e0 exactement ce que l\u2019on retiendra de Grizot & Launay. Dans mille ans, pas grand-chose de plus. Et tout sera d\u00e9form\u00e9, comme tout de nos jours l\u2019est d\u00e9j\u00e0. C\u2019est oblig\u00e9. --- Au moment de parler, Marceau me coupe la voix : ce que je pense n\u2019a pas d\u2019importance, mieux vaut longer la face cach\u00e9e de ce qu\u2019on croit penser \u2014 vieille boucle col\u00e8re-amour. Les textes se cabrent, m\u2019\u00e9jectent ; je cherche des rubriques, rien. Depuis la marge de la marge, je vois les extr\u00eames se r\u00e9pondre comme deux mains qui applaudissent la farce. Le centre n\u2019attire pas, rien. J\u2019esp\u00e8re qu\u2019en trois si\u00e8cles la com\u00e9die sera close. \u00ab Ne dis pas ce que tu penses \u00bb : fais signe. Barrault se colle au mime. Je pourrais d\u00e9cliner, dire non, mais la bouche dit oui par habitude. On r\u00e9clame des dates : le Grand Nord, en quelle ann\u00e9e d\u00e9j\u00e0 ? Des rubriques, des dates ; nous voil\u00e0 \u00e9quip\u00e9s pour la journ\u00e9e. Si je n\u2019\u00e9cris pas davantage, aujourd\u2019hui ni cette semaine, je ne manquerai qu\u2019\u00e0 moi. Pas besoin de rubrique : les cimeti\u00e8res en d\u00e9bordent. Le correct ment. Alors je d\u00e9vie : Grizot & Launay \u00e0 L\u2019Isle-Adam, ann\u00e9es 1975, Procter & Gamble peut-\u00eatre, et ce mot \u00ab solf\u00e9tique \u00bb qui pique la langue \u2014 un pistolet \u00e0 \u00e9tiqueter ? Peu importe : c\u2019est cela qu\u2019on retiendra, et mal encore. Tout se d\u00e9forme, forc\u00e9ment. --- Parler ou faire signe. Depuis la marge de la marge, les extr\u00eames applaudissent la farce et le centre n\u2019est qu\u2019un ti\u00e8de n\u00e9ant. On classe, on date, on corrige \u2014 et tout se d\u00e9forme quand m\u00eame. --- Le collectif des adorateurs du rien. Celui qui fait tout pour exhumer des archives qui ne disent rien de rien. Il fut cr\u00e9e vers 2025, en France. S'inspire d'Alfred Jarry. A ne pas confondre avec une secte religieuse autrefois nomm\u00e9e Catholique. Eux pronaient que tout est dans tout et surtout tous pour un. Dans quoi je classe \u00e7a ? - Rubrique \"fourre tout \" --- Nous sommes en 5000 apr\u00e8s la Simca 1000. De l'eau a coul\u00e9 sous les ponts. Il ne reste d'ailleurs qu'un mince filet d'eau dans la Seine. Malgr\u00e9 tout les efforts, les d\u00e9crets, les avenants aux d\u00e9crets, les dictatures, les ann\u00e9es noires, celles des vaches enrag\u00e9es, celles de la farine d'insecte empoisonn\u00e9e, celles du virus Gog du virus Magog, celles de la r\u00e9volution des fleurs, celles du d\u00e9part pour Mars, celles de la d\u00e9couverte du vaisseau fant\u00f4me, celles du retour \u00e0 la terre, celles du revenu universel, celles o\u00f9 l'IA a failli nous d\u00e9truire. Tu ne devrais pas lire ce genre d'ouvrage idiot , d\u00e9p\u00e8che toi on a encore toutes ces antiquit\u00e9s \u00e0 t\u00e9l\u00e9charger dans nos puces neuronales. Y et X sont dans le m\u00eame collectif nomm\u00e9 \"on garde tout on ne sait jamais\". en SIGLE \u00e7a donne OGTONSJ et \u00e7a se prononce comme on peut. ---- Le vieux livre \" the Time Machine\" est pos\u00e9 sur un coussin de velours rouge au centre d'une colonne de plexiglas. Tout autour le sable s'\u00e9tend \u00e0 l'infini. Un oc\u00e9an lent de dunes. De loin on peut apercevoir un point noir dans le ciel. Ce point noir grossit. C'est un engin volant. A l'int\u00e9rieur des \u00eatres humano\u00efdes. What the fuck !? dit une voix en se penchant pour voir le paysage au travers d'un hublot. --- Naissance d'un nouveau collectif en l'an 11200 apr\u00e8s la ch\u00fbte du Tyran Nosor. Les lecteurs de vieux papier. C'est en fait un jeu de r\u00f4le plan\u00e9taire. Des vieux ouvrages ont \u00e9t\u00e9 diss\u00e9min\u00e9s sur l'ensemble du syst\u00e8me solaire. Ceux qui liront le plus seront r\u00e9compens\u00e9s par un prix extraordinaire : le droit d'\u00e9crire leur vie. On n'en tirera qu'un seul exemplaire que l'on mettra sous globe quelque part dans la galaxie du Centaure, soit sur une \u00eele entour\u00e9e d'une mer de mercure, soit dans une chapelle au sommet d'une montagne de X428 ( voyage \u00e0 r\u00e9server d\u00e8s la naissance car les files d'attente sont longues comme le bras du g\u00e9ant de Syrius qui en fait est un pouple dot\u00e9 d'une m\u00e9moire infaillible, d'une intelligence rare, mais qui en cette ann\u00e9e 11202 donne quelques signes de faiblesse. Heureusement la firme je r\u00e9pare tout (JRT) est d\u00e9j\u00e0 en train de pomper ses vastes connaissances dans une puce de g\u00e9n\u00e9ration 5. ",
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"title": "13 ao\u00fbt 2025",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " \u00c7a ne va toujours pas ; plus j\u2019observe les imbrications d\u2019un minuscule changement, plus j\u2019entrevois de nouvelles pistes. En attendant, la base de donn\u00e9es est r\u00e9par\u00e9e, en distant comme en local. \u00c0 bien y penser, c\u2019est plus un amusement qu\u2019autre chose. Ces derniers jours, je me suis remis \u00e0 \u00e9crire plus qu\u2019\u00e0 coder. Je me renferme, me recroqueville. Lectures intenses. J\u2019ai trouv\u00e9 [un site](<\/span>https:\/\/freeread.de\/<\/span><\/a>) avec des textes originaux de Henry S. Whitehead que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 traduire (cr\u00e9ation d\u2019une nouvelle rubrique : [traductions](<\/span>https:\/\/ledibbouk.net\/-traductions-122-.html<\/span><\/a>)). La vision du monde tout autour est devenue si noire que je ne lis plus que des nouvelles fantastiques ou d\u2019horreur de vieux auteurs du XIXe si\u00e8cle, principalement am\u00e9ricains. La langue, souvent archa\u00efque, oblige \u00e0 y p\u00e9n\u00e9trer lentement, avec d\u2019infinies pr\u00e9cautions pour en d\u00e9monter les structures, les rouages, le vocabulaire. Je n\u2019entrevois pas d\u2019usage pragmatique \u00e0 cet exercice, sinon l\u2019effet th\u00e9rapeutique de soigner « le mal par le mal ». S\u2019enfoncer dans l\u2019horreur jusqu\u2019au cou finit par d\u00e9clencher un spasme, un sursaut, une petite pulsion de vie. Et celle-ci trouve sa fonction r\u00e9paratrice quasi imm\u00e9diate lorsqu\u2019au petit matin j\u2019arrose l\u2019amp\u00e9lopsis ou l\u2019olivier de la cour. Comme si, enferm\u00e9 dans l\u2019horreur, s\u2019en extraire soudain par une habitude — un simple geste d\u2019emploi du temps — offrait un bref instant, suffisant pour recharger les batteries. Ce serait int\u00e9ressant d\u2019examiner les conditions les plus propices au plaisir d\u2019\u00eatre. Les g\u00e9n\u00e9rations pr\u00e9c\u00e9dentes en avaient une d\u00e9finition stricte : travailler beaucoup, se reposer peu, jouir de joies simples. Aujourd\u2019hui, j\u2019ai le sentiment que nous avons \u00e9lev\u00e9 le « jouir » \u00e0 un tel point d\u2019importance que nous en sommes devenus drogu\u00e9s ; et, comme les drogu\u00e9s, il faut chaque jour une dose plus forte. La grande gagnante, c\u2019est notre indiff\u00e9rence presque totale aux autres, au monde, \u00e0 l\u2019univers. Ce ne sont pas quelques menues interactions num\u00e9riques — cette illusion d\u2019appartenir \u00e0 une collectivit\u00e9 — qui y changeront quoi que ce soit. Quand je sors la t\u00eate \u00e0 la fen\u00eatre, pour voir la rue, la ville, les pays, les continents, je ne vois que b\u00eatise, m\u00e9chancet\u00e9, une humanit\u00e9 frelat\u00e9e. Path\u00e9tique. Du coup, je rentre aussit\u00f4t la t\u00eate. Je ne vivrai sans doute pas aussi longtemps que les honorables tortues marines, mais je commence \u00e0 \u00e9prouver une m\u00e9tamorphose, petit \u00e0 petit. En me regardant par hasard dans la glace, de dos, j\u2019ai vu que je me vo\u00fbtais. \u00c0 moins que ce ne soit la contrepartie inconsciente d\u2019une coupe de cheveux. S. ne m\u2019a pas laiss\u00e9 beaucoup de cheveux sur le cr\u00e2ne. Elle y est all\u00e9e \u00e0 la tondeuse. « Tu as dix ans de moins », a-t-elle conclu en coupant le moteur de l\u2019engin, l\u2019air satisfait. Des contreparties, toujours : que je le veuille ou non, il y en a et il y en aura. Si je jouis, il faut qu\u2019\u00e0 un moment je paie : c\u2019est comme \u00e7a depuis le d\u00e9but, pas de risque que \u00e7a change.<\/p>\n — -<\/p>\n Il n\u2019y a pas de fum\u00e9e sans feu (et sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, au vu des circonstances d\u00e9plorables actuelles). Disons qu\u2019une th\u00e9orie \u00e9trange, aux limites de l\u2019absurde — appelons-la l\u2019hypoth\u00e8se de « parasites » qu\u2019on attraperait dans l\u2019astral comme un mauvais rhume — aurait au moins le m\u00e9rite de donner un sens \u00e0 la folie actuelle. En nommant le site Dibbouk, j\u2019anticipais peut-\u00eatre d\u00e9j\u00e0 la suite de ce qui a commenc\u00e9 en 2019. Cette « chose » vient vous d\u00e9ranger, vous habiter, vous hanter, et ne vous l\u00e2che plus tant qu\u2019elle n\u2019a pas absorb\u00e9 toute votre s\u00e8ve, votre \u00e9nergie vitale. Je continue de publier des textes sur le site, mais, une fois publi\u00e9, je referme aussit\u00f4t les onglets. Je ne fl\u00e2ne gu\u00e8re. Revient cette forme de b\u00e9atitude offerte par l\u2019\u00e9tude, par la lecture, par l\u2019enfouissement. Cela me rappelle un texte de Michaux : « enterrez-moi ». Jamais ces mots n\u2019ont paru si clairs qu\u2019aujourd\u2019hui.<\/p>",
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"date_modified": "2025-08-12T07:04:59Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Il a pleur\u00e9. Dans son coin je l’ai regard\u00e9 et je l’ai vu pleurer. C’est un passage aussi n\u00e9cessaire. Puis il a sorti un mouchoir d’une poche, preuve qu’il pr\u00e9voyait ce moment depuis longtemps d\u00e9j\u00e0. Enfin, il a repouss\u00e9 le clavier. Il a chercher un stylo dans un tiroir, une feuille de papier et il a dit : tu es un corps, \u00e9cris.<\/p>\n Se d\u00e9plier. S\u2019offrir ing\u00e9nu. Silence. Non, ce n\u2019est pas le moment, tu comprends. Peut-\u00eatre une autre fois. Se replier, savant. Sache que de toi ils ne feront pas grand cas. Tituber. Aller seul sur quatre pattes. Tenter de se redresser. Retomber. Tenter encore. Retomber encore. Rire \u00e9trange. Il n\u2019est pas volontaire. Sort de la gorge au mauvais moment. On serait tent\u00e9 de dire : le pire. Tous se retournent. Qu\u2019est-ce donc que ce rire. La question les rassemble et t\u2019isole. Encore. Qu\u2019une grille de contraintes ouvre sur une nouvelle grille — et ainsi de suite. Visiter ainsi, \u00e0 ta fa\u00e7on, les ab\u00eemes. Ce n\u2019est pas un jeu. C\u2019est dire autrement le traumatisme. Parvenir au face-\u00e0-face, d\u00e9j\u00e0, l\u2019art n\u2019a rien \u00e0 voir. L\u2019art ne voudra surtout rien voir. L\u2019art d\u00e9passera de cent coud\u00e9es ce que tu crus un jour avoir vu. \u00c0 force de rab\u00e2cher, le silex se fend. Puissance de la redite. Du r\u00e9p\u00e9t\u00e9. Vacillement : entre ce qui fut ressenti et mal dit, et ce qui sera dit autrement, moins l\u2019affect. Peu de chance, ou beaucoup, si tu parviens d\u00e9j\u00e0 \u00e0 t\u2019en sortir. Mais la chance n\u2019est qu\u2019une marche. Creuser n\u2019est pas un choix : c\u2019est la prise de conscience d\u2019une nature. Tu ne peux faire autrement. Danger sur l\u2019intersection. N\u2019aie pas l\u2019air. \u00c9touffe en toute conscience. Ne n\u00e9gocie plus. Arr\u00eate avec tes mots d\u2019ordre, tes mantras, ton chapelet, tes paris stupides. Si les mots soudain manquaient\u2026 Mais lesquels ? Ceux qui font obstacle au profond \u00e9tranger. Peut-\u00eatre le vacillement ne s\u2019interrompt-il jamais. On voudrait un \u00e9quilibre stable, d\u00e9finitif. On le fantasme. Fausse piste de la volont\u00e9. Offusqu\u00e9, il se replie apr\u00e8s s\u2019\u00eatre d\u00e9pli\u00e9. Les animaux marins. Les sensitives. Les pattes d\u2019un insecte qui fait le mort. Tu fais le mort pour qu\u2019on ne t\u2019ach\u00e8ve pas. Jamais. Dans le m\u00eame temps, c\u2019est un souhait secret. Avoue-le.<\/p>\n — - — - — -<\/p>\n Na\u00efvet\u00e9. Ne la r\u00e9pudie pas. La catharsis n’est pas un drame. C’est seulement un coquillage. Tu peux vivre \u00e0 l’int\u00e9rieur et dire voici mon monde, voici ma vie. T’en convaincre. Tu peux oublier le paradis, la terre promise, comme tu peux aussi oublier la mal\u00e9diction d’avoir \u00e9t\u00e9 \u00e9lu. Car ce sont les \u00e9lus qui parlent seuls d’\u00e9lections. D’affinit\u00e9s \u00e9l\u00e8ctives. Tu n’es pas Goethe. Ou si tu l’as \u00e9t\u00e9 cela suffit. tu ne l’es plus. Comme tu n’es plus Artaud, Van Gogh, Bataille, Duras, Pizarnik. Na\u00efvet\u00e9 de penser le refuser, le choix. Na\u00efvet\u00e9 et espoir toujours la petite musique infernale, celle des comptines des ritournelles, on fait feu de tout bois quand on se perd dans la for\u00eat, petit.<\/p>",
"content_text": "Il a pleur\u00e9. Dans son coin je l'ai regard\u00e9 et je l'ai vu pleurer. C'est un passage aussi n\u00e9cessaire. Puis il a sorti un mouchoir d'une poche, preuve qu'il pr\u00e9voyait ce moment depuis longtemps d\u00e9j\u00e0. Enfin, il a repouss\u00e9 le clavier. Il a chercher un stylo dans un tiroir, une feuille de papier et il a dit: tu es un corps, \u00e9cris. Se d\u00e9plier. S\u2019offrir ing\u00e9nu. Silence. Non, ce n\u2019est pas le moment, tu comprends. Peut-\u00eatre une autre fois. Se replier, savant. Sache que de toi ils ne feront pas grand cas. Tituber. Aller seul sur quatre pattes. Tenter de se redresser. Retomber. Tenter encore. Retomber encore. Rire \u00e9trange. Il n\u2019est pas volontaire. Sort de la gorge au mauvais moment. On serait tent\u00e9 de dire : le pire. Tous se retournent. Qu\u2019est-ce donc que ce rire. La question les rassemble et t\u2019isole. Encore. Qu\u2019une grille de contraintes ouvre sur une nouvelle grille \u2014 et ainsi de suite. Visiter ainsi, \u00e0 ta fa\u00e7on, les ab\u00eemes. Ce n\u2019est pas un jeu. C\u2019est dire autrement le traumatisme. Parvenir au face-\u00e0-face, d\u00e9j\u00e0, l\u2019art n\u2019a rien \u00e0 voir. L\u2019art ne voudra surtout rien voir. L\u2019art d\u00e9passera de cent coud\u00e9es ce que tu crus un jour avoir vu. \u00c0 force de rab\u00e2cher, le silex se fend. Puissance de la redite. Du r\u00e9p\u00e9t\u00e9. Vacillement : entre ce qui fut ressenti et mal dit, et ce qui sera dit autrement, moins l\u2019affect. Peu de chance, ou beaucoup, si tu parviens d\u00e9j\u00e0 \u00e0 t\u2019en sortir. Mais la chance n\u2019est qu\u2019une marche. Creuser n\u2019est pas un choix : c\u2019est la prise de conscience d\u2019une nature. Tu ne peux faire autrement. Danger sur l\u2019intersection. N\u2019aie pas l\u2019air. \u00c9touffe en toute conscience. Ne n\u00e9gocie plus. Arr\u00eate avec tes mots d\u2019ordre, tes mantras, ton chapelet, tes paris stupides. Si les mots soudain manquaient\u2026 Mais lesquels ? Ceux qui font obstacle au profond \u00e9tranger. Peut-\u00eatre le vacillement ne s\u2019interrompt-il jamais. On voudrait un \u00e9quilibre stable, d\u00e9finitif. On le fantasme. Fausse piste de la volont\u00e9. Offusqu\u00e9, il se replie apr\u00e8s s\u2019\u00eatre d\u00e9pli\u00e9. Les animaux marins. Les sensitives. Les pattes d\u2019un insecte qui fait le mort. Tu fais le mort pour qu\u2019on ne t\u2019ach\u00e8ve pas. Jamais. Dans le m\u00eame temps, c\u2019est un souhait secret. Avoue-le. --- Par la mort passer. En sortir, s\u2019en sortir, sang sortir, sans sort ire. R\u00eaver un d\u00e9sir neuf. Une \u00e9tincelle. Une toute petite asp\u00e9rit\u00e9 sur la paroi chang\u00e9e mentalement, physiquement, en levier. Grimper. D\u00e9passer quelque chose. Prendre conscience du gouffre, du vertige, de la peur. Les affronter. Grimper encore. Tu n\u2019as pas le choix. D\u00e9passer quoi ? Il s\u2019efface quand tu le d\u00e9passes. Tu ne sais plus ce que c\u2019\u00e9tait. --- Arriv\u00e9 au sommet : le ciel, l\u2019air, les poumons se d\u00e9ploient. Respirer. Battements du c\u0153ur r\u00e9guliers. Le rythme, la musique t\u2019ont calm\u00e9. Par quoi es-tu pass\u00e9 pour que tout soit si vite, un jour, oubli\u00e9 ? Pas de r\u00e9ponse h\u00e2tive. Aujourd\u2019hui, tu as seulement le droit de dessiner ce mouvement. Tu te donnes ce droit, et la contrainte aff\u00e9rente. Et tu verras bien demain si tout \u00e7a tient encore. --- Na\u00efvet\u00e9. Ne la r\u00e9pudie pas. La catharsis n'est pas un drame. C'est seulement un coquillage. Tu peux vivre \u00e0 l'int\u00e9rieur et dire voici mon monde, voici ma vie. T'en convaincre. Tu peux oublier le paradis, la terre promise, comme tu peux aussi oublier la mal\u00e9diction d'avoir \u00e9t\u00e9 \u00e9lu. Car ce sont les \u00e9lus qui parlent seuls d'\u00e9lections. D'affinit\u00e9s \u00e9l\u00e8ctives. Tu n'es pas Goethe. Ou si tu l'as \u00e9t\u00e9 cela suffit. tu ne l'es plus. Comme tu n'es plus Artaud, Van Gogh, Bataille, Duras, Pizarnik. Na\u00efvet\u00e9 de penser le refuser, le choix. Na\u00efvet\u00e9 et espoir toujours la petite musique infernale, celle des comptines des ritournelles, on fait feu de tout bois quand on se perd dans la for\u00eat, petit. ",
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"title": "11 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-11T06:47:51Z",
"date_modified": "2025-08-11T09:07:08Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " « L\u00e0, j\u2019ai repris les labyrinthes bien aim\u00e9s et tortueux que j\u2019ai d\u00e9crits dans tant de r\u00e9cits d\u2019excursions ant\u00e9rieures, recroisant fr\u00e9quemment ma route et m\u2019impr\u00e9gnant de l\u2019atmosph\u00e8re coloniale qui est pour moi synonyme de vie mentale — vieux seuils, heurtoirs de bronze, pignons abrupts, lucarnes et toits \u00e0 rampants en b\u00e2ti\u00e8re et se d\u00e9coupant en silhouette noire sur le ciel \u00e0 demi nuageux.<\/em> »\nH.P LOVECRAFT ( lu dans sa correspondance de 1925 pour sa tante Lillian Clark) source : une ann\u00e9e avec H.P. LOVECRAFT<\/em><\/a><\/p>\n<\/blockquote>\n La rencontre d\u2019un nouveau mot devrait se f\u00eater. Quand je dis nouveau mot, j\u2019entends bien s\u00fbr un mot que je ne connaissais pas encore. Accueillons donc ost, ast\u00e9risme et algide dans la bande. C\u2019est mon hommage \u00e0 la soir\u00e9e d\u2019hier, pass\u00e9e \u00e0 me replonger dans Les Contr\u00e9es du r\u00eave de Lovecraft.\" <\/p>\n Si j\u2019y suis revenu, c\u2019est pour relire attentivement certaines pages, les passer au crible et relever ces mots que d\u2019autres lectures n\u2019avaient pas su — ou voulu — faire surgir. Ainsi un livre est-il un vaste ensemble r\u00e9flexif. C\u2019est l\u2019effet. Cela pourrait \u00eatre une ville avec ses quartiers, ses habitants, son fleuve, son climat, sa nourriture, son odeur, ses bruits, son ambiance — mais aussi son \u00e9nergie, en r\u00e9sonance avec la mienne au moment o\u00f9 je l\u2019arpente.<\/p>\n Je ne me souviens pas, dans la ville, m\u2019\u00eatre souvent arr\u00eat\u00e9 sur un passant pour l\u2019examiner sous toutes les coutures, comme je peux le faire avec un mot. C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s la seule diff\u00e9rence. S\u2019enfoncer dans un livre comme on s\u2019enfonce dans une ville inconnue. Ou m\u00eame en soi, \u00e0 condition d\u2019admettre qu\u2019on ne sait plus rien de ce soi. L\u2019arpenter — ce qui n\u2019est pas la m\u00eame chose que le parcourir ou y errer. L\u2019arpenteur mesure, explore m\u00e9thodiquement. Sans doute a-t-il un but pr\u00e9cis, ou au moins une mani\u00e8re r\u00e9guli\u00e8re de se d\u00e9placer : dans la ville, en soi, dans un domaine de pens\u00e9e, dans une biblioth\u00e8que, dans une \u0153uvre.<\/p>\n De fil en aiguille, cette premi\u00e8re r\u00e9flexion me conduit \u00e0 la notion de vie priv\u00e9e. Peut-\u00eatre parce que parfois, j\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00e9crire une lettre \u00e0 quelqu\u2019un. J\u2019y livre des choses d\u2019autant plus personnelles que je n\u2019imagine jamais avoir \u00e0 en d\u00e9battre avec cet inconnu. Et quand bien m\u00eame m\u2019en demanderait-on compte, j\u2019aurais probablement tout oubli\u00e9. Ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019une simple lettre adress\u00e9e \u00e0 un inconnu. Une photographie pass\u00e9e : regardez comme elle est devenue jaune, corn\u00e9e, obsol\u00e8te.<\/p>\n Donc oui, la vie priv\u00e9e — l\u2019oikos des Grecs qui, chez Aristote, semblait avoir moins d\u2019importance que la vie publique. On n\u2019\u00e9tait v\u00e9ritablement citoyen qu\u2019\u00e0 partir du moment o\u00f9 l\u2019on excellait dans la sph\u00e8re publique, collective. C\u2019\u00e9tait assez simple : on appelait “priv\u00e9” tout ce qui n\u2019appartenait pas \u00e0 l\u2019\u00c9tat.<\/p>\n J\u2019ai appris r\u00e9cemment, non sans surprise, que la notion juridique de vie priv\u00e9e est en r\u00e9alit\u00e9 assez r\u00e9cente. En 1890, deux juristes am\u00e9ricains, Samuel Warren et Louis Brandeis (futur juge \u00e0 la Cour supr\u00eame), publient dans la Harvard Law Review un article intitul\u00e9 The Right to Privacy. C\u2019est la premi\u00e8re formulation claire d\u2019un droit \u00e0 la vie priv\u00e9e comme droit distinct, non r\u00e9ductible \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9 ou \u00e0 la diffamation. Warren et Brandeis constatent que les nouvelles technologies de l\u2019\u00e9poque — la photographie instantan\u00e9e et la presse \u00e0 grand tirage — permettent une intrusion sans pr\u00e9c\u00e9dent dans la vie des individus. Ils d\u00e9noncent les “invasions de la vie priv\u00e9e” par les m\u00e9dias, notamment dans les mondanit\u00e9s et les affaires familiales.<\/p>\n Cet article a eu un impact immense sur le droit am\u00e9ricain et international. Il est consid\u00e9r\u00e9 comme l\u2019acte de naissance du droit moderne \u00e0 la vie priv\u00e9e, inspirant ensuite les l\u00e9gislations sur la protection des donn\u00e9es, la diffamation et la libert\u00e9 individuelle. Le contexte compte : les journaux am\u00e9ricains venaient de passer \u00e0 l\u2019impression rapide et bon march\u00e9, avec photographies. Les \u00e9lites urbaines (dont Warren) \u00e9taient exc\u00e9d\u00e9es par les intrusions dans leurs mariages, d\u00eeners et r\u00e9ceptions. The Right to Privacy est n\u00e9 dans un milieu tr\u00e8s bourgeois, pour prot\u00e9ger r\u00e9putation et intimit\u00e9 sociale.<\/p>\n \u00c0 la fin du XIX\u1d49 si\u00e8cle, les \u00c9tats-Unis exp\u00e9rimentaient beaucoup sur le plan juridique : protection des consommateurs, droit du travail, nouveaux droits civiques. La Constitution ne mentionne pas explicitement la vie priv\u00e9e, mais des doctrines comme le right to be let alone (droit d\u2019\u00eatre laiss\u00e9 tranquille) ont combl\u00e9 ce vide. Une tranquillit\u00e9\u2026 bourgeoise, peut-\u00eatre.<\/p>\n Le droit am\u00e9ricain prot\u00e8ge fortement la vie priv\u00e9e domestique contre l\u2019\u00c9tat (4\u1d49 amendement : protection contre les perquisitions abusives), mais la culture am\u00e9ricaine valorise aussi l\u2019exposition de soi, la libert\u00e9 d\u2019expression et l\u2019acc\u00e8s \u00e0 l\u2019information — tension permanente. Cette conception a influenc\u00e9 d\u2019autres r\u00e9formes dans le monde, y compris en Europe, o\u00f9 la vie priv\u00e9e reste souvent li\u00e9e \u00e0 la dignit\u00e9 humaine (h\u00e9ritage du droit romain et des droits de l\u2019homme), plus qu\u2019au simple droit d\u2019\u00eatre laiss\u00e9 tranquille.<\/p>\n Cela me rappelle une matin\u00e9e d\u2019automne o\u00f9 nous nous \u00e9tions rendus chez le notaire pour signer l\u2019acte de vente de la maison. Tout se passait dans ce climat de gravit\u00e9 polie propre aux \u00e9tudes notariales : gestes mesur\u00e9s, phrases calibr\u00e9es, mobilier lourd. Et soudain, dans la lecture appliqu\u00e9e de l\u2019acte, le mot jouir surgit. Le notaire continua imperturbable, mais moi, je l\u2019entendis comme une intrusion.<\/p>\n Dans sa bouche et sur le papier, jouir signifiait l\u2019usage paisible d\u2019un bien immobilier, un droit inscrit noir sur blanc, garanti par la loi. Rien \u00e0 voir avec ce que j\u2019y mets, moi, en priv\u00e9 : le trouble, la secousse, le corps, l\u2019instant qui fait d\u00e9railler la pens\u00e9e. L\u00e0, au milieu de la solennit\u00e9 publique, un mot m\u2019avait rappel\u00e9 que tout le langage juridique est une traduction appauvrie, polic\u00e9e, de la langue intime.<\/p>\n Bref, il est possible que j\u2019\u00e9crive toujours ces lettres \u00e0 l\u2019inconnu en g\u00e9n\u00e9ral. Ce qui me convient assez : je n\u2019aurai jamais \u00e0 en d\u00e9battre. Et cela me conf\u00e8re, par ricochet, la m\u00eame aura d\u2019inconnaissable — une bulle d\u2019anonymat, malgr\u00e9 toute l\u2019impudeur dont je peux parfois faire preuve.<\/p>\n note pour aller plus loin dans la profession de notaire voir ce lien<\/a> \net aussi celui-ci<\/a><\/p>",
"content_text": " >\" *L\u00e0, j\u2019ai repris les labyrinthes bien aim\u00e9s et tortueux que j\u2019ai d\u00e9crits dans tant de r\u00e9cits d\u2019excursions ant\u00e9rieures, recroisant fr\u00e9quemment ma route et m\u2019impr\u00e9gnant de l\u2019atmosph\u00e8re coloniale qui est pour moi synonyme de vie mentale \u2014 vieux seuils, heurtoirs de bronze, pignons abrupts, lucarnes et toits \u00e0 rampants en b\u00e2ti\u00e8re et se d\u00e9coupant en silhouette noire sur le ciel \u00e0 demi nuageux.*\" H.P LOVECRAFT ( lu dans sa correspondance de 1925 pour sa tante Lillian Clark) source : [*une ann\u00e9e avec H.P. LOVECRAFT*](https:\/\/www.tierslivre.net\/spip\/spip.php?article5362) La rencontre d\u2019un nouveau mot devrait se f\u00eater. Quand je dis nouveau mot, j\u2019entends bien s\u00fbr un mot que je ne connaissais pas encore. Accueillons donc ost, ast\u00e9risme et algide dans la bande. C\u2019est mon hommage \u00e0 la soir\u00e9e d\u2019hier, pass\u00e9e \u00e0 me replonger dans Les Contr\u00e9es du r\u00eave de Lovecraft.\" Si j\u2019y suis revenu, c\u2019est pour relire attentivement certaines pages, les passer au crible et relever ces mots que d\u2019autres lectures n\u2019avaient pas su \u2014 ou voulu \u2014 faire surgir. Ainsi un livre est-il un vaste ensemble r\u00e9flexif. C\u2019est l\u2019effet. Cela pourrait \u00eatre une ville avec ses quartiers, ses habitants, son fleuve, son climat, sa nourriture, son odeur, ses bruits, son ambiance \u2014 mais aussi son \u00e9nergie, en r\u00e9sonance avec la mienne au moment o\u00f9 je l\u2019arpente. Je ne me souviens pas, dans la ville, m\u2019\u00eatre souvent arr\u00eat\u00e9 sur un passant pour l\u2019examiner sous toutes les coutures, comme je peux le faire avec un mot. C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s la seule diff\u00e9rence. S\u2019enfoncer dans un livre comme on s\u2019enfonce dans une ville inconnue. Ou m\u00eame en soi, \u00e0 condition d\u2019admettre qu\u2019on ne sait plus rien de ce soi. L\u2019arpenter \u2014 ce qui n\u2019est pas la m\u00eame chose que le parcourir ou y errer. L\u2019arpenteur mesure, explore m\u00e9thodiquement. Sans doute a-t-il un but pr\u00e9cis, ou au moins une mani\u00e8re r\u00e9guli\u00e8re de se d\u00e9placer : dans la ville, en soi, dans un domaine de pens\u00e9e, dans une biblioth\u00e8que, dans une \u0153uvre. De fil en aiguille, cette premi\u00e8re r\u00e9flexion me conduit \u00e0 la notion de vie priv\u00e9e. Peut-\u00eatre parce que parfois, j\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00e9crire une lettre \u00e0 quelqu\u2019un. J\u2019y livre des choses d\u2019autant plus personnelles que je n\u2019imagine jamais avoir \u00e0 en d\u00e9battre avec cet inconnu. Et quand bien m\u00eame m\u2019en demanderait-on compte, j\u2019aurais probablement tout oubli\u00e9. Ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019une simple lettre adress\u00e9e \u00e0 un inconnu. Une photographie pass\u00e9e : regardez comme elle est devenue jaune, corn\u00e9e, obsol\u00e8te. Donc oui, la vie priv\u00e9e \u2014 l\u2019oikos des Grecs qui, chez Aristote, semblait avoir moins d\u2019importance que la vie publique. On n\u2019\u00e9tait v\u00e9ritablement citoyen qu\u2019\u00e0 partir du moment o\u00f9 l\u2019on excellait dans la sph\u00e8re publique, collective. C\u2019\u00e9tait assez simple : on appelait \u201cpriv\u00e9\u201d tout ce qui n\u2019appartenait pas \u00e0 l\u2019\u00c9tat. J\u2019ai appris r\u00e9cemment, non sans surprise, que la notion juridique de vie priv\u00e9e est en r\u00e9alit\u00e9 assez r\u00e9cente. En 1890, deux juristes am\u00e9ricains, Samuel Warren et Louis Brandeis (futur juge \u00e0 la Cour supr\u00eame), publient dans la Harvard Law Review un article intitul\u00e9 The Right to Privacy. C\u2019est la premi\u00e8re formulation claire d\u2019un droit \u00e0 la vie priv\u00e9e comme droit distinct, non r\u00e9ductible \u00e0 la propri\u00e9t\u00e9 ou \u00e0 la diffamation. Warren et Brandeis constatent que les nouvelles technologies de l\u2019\u00e9poque \u2014 la photographie instantan\u00e9e et la presse \u00e0 grand tirage \u2014 permettent une intrusion sans pr\u00e9c\u00e9dent dans la vie des individus. Ils d\u00e9noncent les \u201cinvasions de la vie priv\u00e9e\u201d par les m\u00e9dias, notamment dans les mondanit\u00e9s et les affaires familiales. Cet article a eu un impact immense sur le droit am\u00e9ricain et international. Il est consid\u00e9r\u00e9 comme l\u2019acte de naissance du droit moderne \u00e0 la vie priv\u00e9e, inspirant ensuite les l\u00e9gislations sur la protection des donn\u00e9es, la diffamation et la libert\u00e9 individuelle. Le contexte compte : les journaux am\u00e9ricains venaient de passer \u00e0 l\u2019impression rapide et bon march\u00e9, avec photographies. Les \u00e9lites urbaines (dont Warren) \u00e9taient exc\u00e9d\u00e9es par les intrusions dans leurs mariages, d\u00eeners et r\u00e9ceptions. The Right to Privacy est n\u00e9 dans un milieu tr\u00e8s bourgeois, pour prot\u00e9ger r\u00e9putation et intimit\u00e9 sociale. \u00c0 la fin du XIX\u1d49 si\u00e8cle, les \u00c9tats-Unis exp\u00e9rimentaient beaucoup sur le plan juridique : protection des consommateurs, droit du travail, nouveaux droits civiques. La Constitution ne mentionne pas explicitement la vie priv\u00e9e, mais des doctrines comme le right to be let alone (droit d\u2019\u00eatre laiss\u00e9 tranquille) ont combl\u00e9 ce vide. Une tranquillit\u00e9\u2026 bourgeoise, peut-\u00eatre. Le droit am\u00e9ricain prot\u00e8ge fortement la vie priv\u00e9e domestique contre l\u2019\u00c9tat (4\u1d49 amendement : protection contre les perquisitions abusives), mais la culture am\u00e9ricaine valorise aussi l\u2019exposition de soi, la libert\u00e9 d\u2019expression et l\u2019acc\u00e8s \u00e0 l\u2019information \u2014 tension permanente. Cette conception a influenc\u00e9 d\u2019autres r\u00e9formes dans le monde, y compris en Europe, o\u00f9 la vie priv\u00e9e reste souvent li\u00e9e \u00e0 la dignit\u00e9 humaine (h\u00e9ritage du droit romain et des droits de l\u2019homme), plus qu\u2019au simple droit d\u2019\u00eatre laiss\u00e9 tranquille. Cela me rappelle une matin\u00e9e d\u2019automne o\u00f9 nous nous \u00e9tions rendus chez le notaire pour signer l\u2019acte de vente de la maison. Tout se passait dans ce climat de gravit\u00e9 polie propre aux \u00e9tudes notariales : gestes mesur\u00e9s, phrases calibr\u00e9es, mobilier lourd. Et soudain, dans la lecture appliqu\u00e9e de l\u2019acte, le mot jouir surgit. Le notaire continua imperturbable, mais moi, je l\u2019entendis comme une intrusion. Dans sa bouche et sur le papier, jouir signifiait l\u2019usage paisible d\u2019un bien immobilier, un droit inscrit noir sur blanc, garanti par la loi. Rien \u00e0 voir avec ce que j\u2019y mets, moi, en priv\u00e9 : le trouble, la secousse, le corps, l\u2019instant qui fait d\u00e9railler la pens\u00e9e. L\u00e0, au milieu de la solennit\u00e9 publique, un mot m\u2019avait rappel\u00e9 que tout le langage juridique est une traduction appauvrie, polic\u00e9e, de la langue intime. Bref, il est possible que j\u2019\u00e9crive toujours ces lettres \u00e0 l\u2019inconnu en g\u00e9n\u00e9ral. Ce qui me convient assez : je n\u2019aurai jamais \u00e0 en d\u00e9battre. Et cela me conf\u00e8re, par ricochet, la m\u00eame aura d\u2019inconnaissable \u2014 une bulle d\u2019anonymat, malgr\u00e9 toute l\u2019impudeur dont je peux parfois faire preuve. note pour aller plus loin dans la profession de notaire [voir ce lien](https:\/\/defranceetdaieux.blogspot.com\/2014\/06\/n_16.html) et aussi [celui-ci](https:\/\/www.ac-sciences-lettres-montpellier.fr\/academie_edition\/fichiers_conf\/DESACHY-2017.pdf) ",
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"title": "10 ao\u00fbt 2025",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Avant, quoi avant, avant qui a-t-il. Avant il y a le bruit brut du souffle, le craquement des tendons, des cartilages, des os. Avant le vent souffle dans une fl\u00fbte de roseau et on dit Pan, tu diras que c\u2019est de la musique tiens. Avant la musique, avant la parole, avant le jour, il y a la nuit, disent les pr\u00e9socratiques pas encore trop bourr\u00e9s de tics. Avant qu\u2019il y ait un apr\u00e8s, qu\u2019\u00e9tait donc l\u2019avant ? Un infini avant ; ce n\u2019\u00e9tait pas un long silence, rien ne nous le dit. C\u2019est un bruit qui ne dit rien sauf qu\u2019il est bruit. C\u2019est apr\u00e8s que \u00e7a se g\u00e2te, quand on veut lui faire dire ce qu\u2019il ne veut pas dire. Parle ! Parle ! nous avons les moyens de te faire parler, sale petit bruit de merde qui nous g\u00e2che la vie, notre vie qu\u2019on r\u00eave si belle, si longue, si remplie d\u2019actes et de paroles. Avant quoi qu\u2019il y ait qu\u2019on ne retrouve pas apr\u00e8s tous ces actes, tous ces bruits, et o\u00f9 l\u2019on comprend enfin la bienveillance des parenth\u00e8ses.\nL\u2019amplification sonore d\u2019une suite de sons vaut exactement l\u2019agrandissement d\u2019une photographie 24x36 quand on la tire au-del\u00e0 d\u2019un 9x13 sur papier. L\u2019effet choc — auditif ou visuel — demeure longtemps en \u00e9cho dans l\u2019ou\u00efe, la r\u00e9tine. Ce pourrait \u00eatre un nom : Louis La R\u00e9tine, Louis de l\u2019Ou\u00efe. Oyez ce que vous voudrez ou\u00efr, et que la foudre vous r\u00e9veille de votre esprit en forme d\u2019entonnoir.\nIl se trouva soudain qu\u2019une phrase isol\u00e9e, marchant seule sous un r\u00e9verb\u00e8re sur les quais de Seine, m\u2019attira \u00e0 un point tel que je demeurai comme en suspension.<\/p>\n avavant quaquoi avant kikqui a\u2019t\u2019il boubruit brut sousouffle cracraque ment tendons carti lage ossoss souffle flufl\u00fbte roseau Panmuzique tiens avavant muzique avavant parole avavant jour nuinuit pr\u00e9socratiques paspas trop bourr\u00e9s tictic avant qu\u2019y ait apr\u00e8s avant infini pas long silence rienneledit bru bruit quedit rien parle parle nous avons mo moyens sale bruit mer mer g\u00e2che lavi vie belles parenth\u00e8ses<\/em><\/p>",
"content_text": " Avant, quoi avant, avant qui a-t-il. Avant il y a le bruit brut du souffle, le craquement des tendons, des cartilages, des os. Avant le vent souffle dans une fl\u00fbte de roseau et on dit Pan, tu diras que c\u2019est de la musique tiens. Avant la musique, avant la parole, avant le jour, il y a la nuit, disent les pr\u00e9socratiques pas encore trop bourr\u00e9s de tics. Avant qu\u2019il y ait un apr\u00e8s, qu\u2019\u00e9tait donc l\u2019avant ? Un infini avant ; ce n\u2019\u00e9tait pas un long silence, rien ne nous le dit. C\u2019est un bruit qui ne dit rien sauf qu\u2019il est bruit. C\u2019est apr\u00e8s que \u00e7a se g\u00e2te, quand on veut lui faire dire ce qu\u2019il ne veut pas dire. Parle ! Parle ! nous avons les moyens de te faire parler, sale petit bruit de merde qui nous g\u00e2che la vie, notre vie qu\u2019on r\u00eave si belle, si longue, si remplie d\u2019actes et de paroles. Avant quoi qu\u2019il y ait qu\u2019on ne retrouve pas apr\u00e8s tous ces actes, tous ces bruits, et o\u00f9 l\u2019on comprend enfin la bienveillance des parenth\u00e8ses. L\u2019amplification sonore d\u2019une suite de sons vaut exactement l\u2019agrandissement d\u2019une photographie 24x36 quand on la tire au-del\u00e0 d\u2019un 9x13 sur papier. L\u2019effet choc \u2014 auditif ou visuel \u2014 demeure longtemps en \u00e9cho dans l\u2019ou\u00efe, la r\u00e9tine. Ce pourrait \u00eatre un nom : Louis La R\u00e9tine, Louis de l\u2019Ou\u00efe. Oyez ce que vous voudrez ou\u00efr, et que la foudre vous r\u00e9veille de votre esprit en forme d\u2019entonnoir. Il se trouva soudain qu\u2019une phrase isol\u00e9e, marchant seule sous un r\u00e9verb\u00e8re sur les quais de Seine, m\u2019attira \u00e0 un point tel que je demeurai comme en suspension. *avavant quaquoi avant kikqui a\u2019t\u2019il boubruit brut sousouffle cracraque ment tendons carti lage ossoss souffle flufl\u00fbte roseau Panmuzique tiens avavant muzique avavant parole avavant jour nuinuit pr\u00e9socratiques paspas trop bourr\u00e9s tictic avant qu\u2019y ait apr\u00e8s avant infini pas long silence rienneledit bru bruit quedit rien parle parle nous avons mo moyens sale bruit mer mer g\u00e2che lavi vie belles parenth\u00e8ses* ",
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"date_published": "2025-08-10T04:53:04Z",
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\nMaintenant, ce qu’il se passe si j’essaie de soumettre ces textes \u00e0 l’IA. Je sens tout de suite que quelque chose ne va pas, ne peut aller. Cette fameuse autorit\u00e9, et qui sans doute est l’inconscient, le \u00e7a<\/em>, n’appr\u00e9cie pas de se faire damer le pion par une machine. Car l’ordre des mots comme celui des fautes a v\u00e9ritablement un sens, une importance. Et l’IA poss\u00e8de un ordre qui est le sien, qui est en v\u00e9rit\u00e9 une sorte de moyenne effectu\u00e9e statistiquement, approximativement. Une moyenne d’ordre<\/em>, osons \u00e7a. \u00c0 moins que ce ne soit plus compr\u00e9hensible si j’\u00e9cris un « ordre moyen », c’est-\u00e0-dire cette chose ti\u00e8de, consensuelle, et qui a les mains moites. <\/p>\n
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\nIl reste une insatisfaction, une impression d\u2019avoir fr\u00f4l\u00e9 quelque chose sans parvenir \u00e0 l\u2019atteindre. Je pourrais la situer dans cette phrase, comme dans une balise : « un instant, l\u2019envie de refermer les yeux pour relancer le r\u00eave, le m\u00eame mouvement que de m\u2019asseoir devant l\u2019\u00e9cran et rouvrir la page ». Cette proximit\u00e9 entre r\u00eaver et \u00e9crire, ce glissement d\u2019un \u00e9tat \u00e0 l\u2019autre, ce sont des gestes qui cherchent la m\u00eame intensit\u00e9, une forme d\u2019immersion sans retour. Mais je n\u2019ose pas encore. Je contourne. J\u2019interpr\u00e8te. Je rumine, comme si aller au bout me confronterait \u00e0 quelque chose de trop net. Fermer les yeux et aller le plus loin possible dans le r\u00eave : est-ce simplement une jouissance que je poursuis ? Une sensation charnelle, isol\u00e9e, presque mis\u00e9rable ? Ou est-ce que ce que je redoute, c\u2019est ce qui attend derri\u00e8re ? L\u2019\u00e9criture, c\u2019est la m\u00eame chose. Si je m\u2019abandonne vraiment, si j\u2019ouvre les vannes, que vais-je croiser ? Pas une v\u00e9rit\u00e9 objective, mais une rencontre. Et cette rencontre me fait peur. Pas parce qu\u2019elle serait horrible, mais parce qu\u2019elle serait peut-\u00eatre indiscutable. Parce qu\u2019elle exigerait quelque chose. Je pense \u00e0 ces vieux r\u00e9cits, ces contes oubli\u00e9s o\u00f9 un dragon immonde prot\u00e8ge un tr\u00e9sor. Ce n\u2019est pas une image. C\u2019est une carte. L\u00e0 o\u00f9 il y a ce qui me r\u00e9pugne ou me terrifie, il y a aussi ce que je cherche. Et si je veux atteindre quoi que ce soit, il faut cesser de tourner autour. Il faut me jeter \u00e0 l\u2019eau, \u00e9crire sans me surveiller, sans mesurer. Le discernement viendra apr\u00e8s. Toujours apr\u00e8s. Le texte, comme le r\u00eave, ne demande pas d\u2019\u00eatre jug\u00e9 d\u2019avance. Il demande d\u2019\u00eatre travers\u00e9.",
"content_text": "Les souvenirs d\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019effacent, l\u2019automne arrive d\u2019abord dans la t\u00eate avant les feuilles qui rougissent ; B\u00e9ziers\u2013Lyon d\u2019un trait pour \u00eatre \u00e0 l\u2019heure au train et r\u00e9cup\u00e9rer les enfants, puis la pluie de consignes : ne pas parler du poids, ne pas revenir sur les vacances rat\u00e9es, \u00e9viter ce qui blesse ; je note, j\u2019ajuste, j\u2019entends moins, en septembre ORL, peut-\u00eatre un appareil ; en rentrant, une dent a l\u00e2ch\u00e9 sur une tranche de pain de mie, sec, net ; S. a retir\u00e9 la grande planche qui masquait l\u2019entr\u00e9e de la cave, j\u2019ai d\u00e9plac\u00e9 deux palettes, pass\u00e9 le jet, odeur de terre humide, courant d\u2019air frais ; pour la paix du foyer, ils iront au centre social cette semaine, on les d\u00e9pose le matin, je les reprends \u00e0 pied le soir ; l\u2019a\u00een\u00e9 a le tranchant de ses douze ans, je p\u00e8se mes mots ; \u00e9couter mieux pour \u00e9crire plus juste : j\u2019imprime deux cents flyers et je ferai le tour des bo\u00eetes aux lettres, plus d\u2019association pour l\u2019instant, les cours en ligne restent en r\u00e9serve ; je compte serr\u00e9, S. m\u2019a recadr\u00e9 sur le prix du centre a\u00e9r\u00e9, message re\u00e7u ; je peins quand je peux, l\u2019acrylique pour les cours, l\u2019huile quand ce sera possible ; cette nuit, sommeil l\u00e9ger malgr\u00e9 le masque, j\u2019avance le caf\u00e9 \u00e0 midi ; je lis J. O., j\u2019en prends la lumi\u00e8re sans me comparer ; au petit matin, dans un r\u00eave \u00e9rotique, j\u2019ai align\u00e9 des pr\u00e9textes, des images, des gestes ; au r\u00e9veil, je me suis repris \u2014 en r\u00eave, le corps se moque de l\u2019\u00e2ge, il dit sa v\u00e9rit\u00e9 ; un instant, l\u2019envie de refermer les yeux pour relancer le r\u00eave, le m\u00eame mouvement que de m\u2019asseoir devant l\u2019\u00e9cran et rouvrir la page ; Au matin, en allant nourrir la chatte, je reste un moment devant l\u2019ouverture de la cave, la maison tient une note basse, masque qui bourdonne, je r\u00e8gle mon oreille dessus. Il reste une insatisfaction, une impression d\u2019avoir fr\u00f4l\u00e9 quelque chose sans parvenir \u00e0 l\u2019atteindre. Je pourrais la situer dans cette phrase, comme dans une balise : \u00ab un instant, l\u2019envie de refermer les yeux pour relancer le r\u00eave, le m\u00eame mouvement que de m\u2019asseoir devant l\u2019\u00e9cran et rouvrir la page \u00bb. Cette proximit\u00e9 entre r\u00eaver et \u00e9crire, ce glissement d\u2019un \u00e9tat \u00e0 l\u2019autre, ce sont des gestes qui cherchent la m\u00eame intensit\u00e9, une forme d\u2019immersion sans retour. Mais je n\u2019ose pas encore. Je contourne. J\u2019interpr\u00e8te. Je rumine, comme si aller au bout me confronterait \u00e0 quelque chose de trop net. Fermer les yeux et aller le plus loin possible dans le r\u00eave : est-ce simplement une jouissance que je poursuis ? Une sensation charnelle, isol\u00e9e, presque mis\u00e9rable ? Ou est-ce que ce que je redoute, c\u2019est ce qui attend derri\u00e8re ? L\u2019\u00e9criture, c\u2019est la m\u00eame chose. Si je m\u2019abandonne vraiment, si j\u2019ouvre les vannes, que vais-je croiser ? Pas une v\u00e9rit\u00e9 objective, mais une rencontre. Et cette rencontre me fait peur. Pas parce qu\u2019elle serait horrible, mais parce qu\u2019elle serait peut-\u00eatre indiscutable. Parce qu\u2019elle exigerait quelque chose. Je pense \u00e0 ces vieux r\u00e9cits, ces contes oubli\u00e9s o\u00f9 un dragon immonde prot\u00e8ge un tr\u00e9sor. Ce n\u2019est pas une image. C\u2019est une carte. L\u00e0 o\u00f9 il y a ce qui me r\u00e9pugne ou me terrifie, il y a aussi ce que je cherche. Et si je veux atteindre quoi que ce soit, il faut cesser de tourner autour. Il faut me jeter \u00e0 l\u2019eau, \u00e9crire sans me surveiller, sans mesurer. Le discernement viendra apr\u00e8s. Toujours apr\u00e8s. Le texte, comme le r\u00eave, ne demande pas d\u2019\u00eatre jug\u00e9 d\u2019avance. Il demande d\u2019\u00eatre travers\u00e9.",
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"date_published": "2025-08-24T09:49:54Z",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "
\nMais c\u2019est parce que, l\u2019an pass\u00e9 en Croatie, j\u2019avais laiss\u00e9 la peur aller jusqu\u2019au bout — sans chercher \u00e0 la museler — que je peux \u00e9crire ces mots aujourd\u2019hui. Il en va de la peur comme du d\u00e9sir : les vivre enti\u00e8rement pour parvenir \u00e0 les tenir \u00e0 distance. Presque une semaine \u00e0 rester sur le quai, face \u00e0 l\u2019Adriatique, sans oser plonger. S. me prenait pour un cingl\u00e9 : « Tout le monde se jette \u00e0 l\u2019eau sauf toi ; tu ne trouves pas \u00e7a \u00e9trange ? » — « Si, c\u2019est bizarre », avais-je r\u00e9pondu, sans pour autant c\u00e9der \u00e0 sa demande implicite. Puis j\u2019ai d\u00e9couvert, au bout du quai, une petite \u00e9chelle d\u2019o\u00f9 l\u2019on pouvait se laisser glisser vers la mer. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 l\u2019emprunter, et j\u2019ai recommenc\u00e9, mais je ne pouvais toujours pas plonger. La veille de notre d\u00e9part, je me suis enfin lanc\u00e9 : sans forcer, naturellement. Je me suis approch\u00e9 du bord et j\u2019ai plong\u00e9, t\u00eate la premi\u00e8re, en acceptant que je pouvais mourir — et que cette foutue trouille ne me faisait plus rien.
\nCe petit r\u00e9cit ne me flatte pas. Il montre seulement jusqu\u2019o\u00f9 je peux pousser le ridicule pour retourner vers des zones enfantines laiss\u00e9es en jach\u00e8re au profit de l\u2019adulte. J\u2019y suis all\u00e9 au forceps : comme un nouveau-n\u00e9 qu\u2019on aide \u00e0 quitter un ventre trop confortable.
\nJ\u2019explore ces seuils pour rassembler ce qui a \u00e9t\u00e9 dispers\u00e9, \u00e0 la seule condition de consentir \u00e0 une force qui me porte plut\u00f4t que je ne la dirige.<\/p>",
"content_text": "Le texte qui ouvre cette s\u00e9quence vient d\u2019une prise de conscience \u00e9tir\u00e9e dans le temps. Impossible d\u2019en fixer le d\u00e9part : il faudrait relire, noter les retours du mot, par clignotements. Seuil sonne entre soleil et deuil. Ce n\u2019est pas une porte, mais une position tenable : tenir le corps, l\u2019oreille, la phrase. Ni dehors ni dedans. Assez pr\u00e8s pour sentir la chaleur, assez loin pour ne pas se br\u00fbler. Longtemps, j\u2019ai cru qu\u2019un seuil se voyait \u00e0 l\u2019architecture. Je d\u00e9couvre qu\u2019il tient surtout \u00e0 une mesure simple : la distance o\u00f9 la phrase respire. Se tenir sur un bord, pr\u00e8s de la touche. Le centre n\u2019est pas s\u00fbr ; la marge peut sanctionner. Je m\u2019installe sur la ligne bleut\u00e9e du cahier : attendre, \u00e9couter, laisser venir. Seuils rassemblera ces moments : entrer par un bord, garder la distance, pr\u00e9f\u00e9rer les indices aux preuves. L\u2019h\u00e9sitation du premier passage ne m\u2019a jamais quitt\u00e9. Puis, d\u00e8s que je crois conna\u00eetre un lieu, la facilit\u00e9 d\u2019entr\u00e9e m\u2019apporte un malaise : pour entrer, j\u2019ai d\u00fb baisser la garde, m\u2019exposer. Cette ann\u00e9e, pourtant, quelque chose a c\u00e9d\u00e9. Je me jette \u00e0 la mer sans r\u00e9ticence \u2014 pas seulement parce qu\u2019elle est \u00e0 26 \u00b0C. Je nage loin, sans penser au retour. L\u2019euphorie dit : je revis. La peur, en sourdine, rappelle la possibilit\u00e9 de **m\u2019**\u00e9garer. Je la laisse hors champ. Reste la tenue : une distance juste, quelques indices, de quoi revenir sans fermer. Mais c\u2019est parce que, l\u2019an pass\u00e9 en Croatie, j\u2019avais laiss\u00e9 la peur aller jusqu\u2019au bout \u2014 sans chercher \u00e0 la museler \u2014 que je peux \u00e9crire ces mots aujourd\u2019hui. Il en va de la peur comme du d\u00e9sir : les vivre enti\u00e8rement pour parvenir \u00e0 les tenir \u00e0 distance. Presque une semaine \u00e0 rester sur le quai, face \u00e0 l\u2019Adriatique, sans oser plonger. S. me prenait pour un cingl\u00e9 : \u00ab Tout le monde se jette \u00e0 l\u2019eau sauf toi ; tu ne trouves pas \u00e7a \u00e9trange ? \u00bb \u2014 \u00ab Si, c\u2019est bizarre \u00bb, avais-je r\u00e9pondu, sans pour autant c\u00e9der \u00e0 sa demande implicite. Puis j\u2019ai d\u00e9couvert, au bout du quai, une petite \u00e9chelle d\u2019o\u00f9 l\u2019on pouvait se laisser glisser vers la mer. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 l\u2019emprunter, et j\u2019ai recommenc\u00e9, mais je ne pouvais toujours pas plonger. La veille de notre d\u00e9part, je me suis enfin lanc\u00e9 : sans forcer, naturellement. Je me suis approch\u00e9 du bord et j\u2019ai plong\u00e9, t\u00eate la premi\u00e8re, en acceptant que je pouvais mourir \u2014 et que cette foutue trouille ne me faisait plus rien. Ce petit r\u00e9cit ne me flatte pas. Il montre seulement jusqu\u2019o\u00f9 je peux pousser le ridicule pour retourner vers des zones enfantines laiss\u00e9es en jach\u00e8re au profit de l\u2019adulte. J\u2019y suis all\u00e9 au forceps : comme un nouveau-n\u00e9 qu\u2019on aide \u00e0 quitter un ventre trop confortable. J\u2019explore ces seuils pour rassembler ce qui a \u00e9t\u00e9 dispers\u00e9, \u00e0 la seule condition de consentir \u00e0 une force qui me porte plut\u00f4t que je ne la dirige.",
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"tags": ["seuils"]
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"title": "23 et 24 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-24T08:42:59Z",
"date_modified": "2025-08-24T08:43:16Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "
\nTout l\u2019\u00e9t\u00e9, les cl\u00e9s nous ont poursuivis : celle de la maison confi\u00e9e \u00e0 J. qui n\u2019ouvrait pas ; puis la porte de la terrasse, chez P., r\u00e9tive elle aussi. \u00c0 Tarragone, sans savoir que cerrajero voulait dire « serrurier », j\u2019ai photographi\u00e9 cette fa\u00e7ade : porte, grille en losanges, visage au pochoir, autocollant « CERRAJERO ». En cherchant une image pour ce carnet, c\u2019est elle qui s\u2019est impos\u00e9e. Le mot appris apr\u00e8s coup r\u00e9pond au texte comme une cl\u00e9 tomb\u00e9e de la rue : non pas l\u2019\u00e9v\u00e9nement, mais le seuil ; non pas une preuve, de simples indices. Co\u00efncidence ordinaire, juste.",
"content_text": "Couper le son de l\u2019autoradio ne coupe pas tout, n\u2019offre pas le silence apaisant esp\u00e9r\u00e9. Le brouhaha se condense dans la suite h\u00e9t\u00e9roclite d\u2019informations que la station diffuse : voix d\u2019hommes et de femmes en catalan, musiques rythm\u00e9es, jingles publicitaires. Ce n\u2019est pas encore le silence apr\u00e8s : il y a le bruit du moteur, la voix de S. qui me demande si \u00e7a va, le son du paysage \u2014 en l\u2019occurrence l\u2019excitation et la fatigue, traduites par des acc\u00e9l\u00e9rations intempestives et des coups de frein, dans ce long bouchon o\u00f9 nous sommes pris aux abords de La Jonquera, \u00e0 la fronti\u00e8re franco-espagnole. Ce que je pense avant d\u2019\u00e9crire p\u00e8se peu quand j\u2019\u00e9cris. Au mieux, une accroche ; le plus souvent une bribe, un lambeau arrach\u00e9 \u00e0 une instance confuse. Non pour renouer un fil rouge, mais pour choisir un point de d\u00e9part : comme si la confusion formait un cercle et que je pouvais entrer par n\u2019importe quel point de sa p\u00e9riph\u00e9rie, certain \u2014 ou plut\u00f4t je le sens \u2014 d\u2019\u00eatre toujours \u00e0 \u00e9gale distance de son centre. Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je ne cherche plus \u00e0 ordonner d\u2019avance. Je laisse l\u2019entr\u00e9e m\u2019entrer, et non l\u2019inverse. Le plan viendra plus tard, s\u2019il doit venir, comme une topographie trac\u00e9e apr\u00e8s la marche. Au d\u00e9but, rien qu\u2019un bord, un frottement, une phrase qui ne sait pas encore si elle va tenir. Alors je tourne autour. On dit que c\u2019est perdre du temps ; ce \u00ab on \u00bb-l\u00e0 est dans la t\u00eate ; j\u2019y vois au contraire la mani\u00e8re la plus s\u00fbre d\u2019approcher. Parfois le centre n\u2019est pas un point, mais une temp\u00e9rature : on s\u2019en approche par degr\u00e9s et, soudain, la phrase prend. Je me dis pourtant que tout cela sonne tr\u00e8s intello. L\u2019oscillation est souvent large au d\u00e9but puis se resserre ; parfois l\u2019inverse : on part de presque rien \u2014 quelques gouttes suintant d\u2019une roche \u2014 et, plus loin, c\u2019est un fleuve. On ne d\u00e9cide pas cela d\u2019avance. Reste la vieille question : est-ce suffisant ? La premi\u00e8re partie me para\u00eet pr\u00e9tentieuse ; j\u2019accepte qu\u2019elle coexiste avec son contraire : plonger dans l\u2019abstraction pour atteindre le simple, et revenir du simple vers l\u2019abstrait. Deux cheminements parall\u00e8les et simultan\u00e9s. Que conserver de ces vacances, me suis-je demand\u00e9. Puis, aussit\u00f4t : pourquoi vouloir conserver \u00e0 tout prix quelque chose ? La confusion reste enti\u00e8re, dans son exactitude. L\u2019\u00e9criture ne l\u2019entame pas ; elle donne un bord o\u00f9 tenir, de quoi revenir plus tard sans fermer. Tout l\u2019\u00e9t\u00e9, les cl\u00e9s nous ont poursuivis : celle de la maison confi\u00e9e \u00e0 J. qui n\u2019ouvrait pas ; puis la porte de la terrasse, chez P., r\u00e9tive elle aussi. \u00c0 Tarragone, sans savoir que cerrajero voulait dire \u00ab serrurier \u00bb, j\u2019ai photographi\u00e9 cette fa\u00e7ade : porte, grille en losanges, visage au pochoir, autocollant \u00ab CERRAJERO \u00bb. En cherchant une image pour ce carnet, c\u2019est elle qui s\u2019est impos\u00e9e. Le mot appris apr\u00e8s coup r\u00e9pond au texte comme une cl\u00e9 tomb\u00e9e de la rue : non pas l\u2019\u00e9v\u00e9nement, mais le seuil ; non pas une preuve, de simples indices. Co\u00efncidence ordinaire, juste. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-aout-2025.html",
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"title": "22 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-22T06:47:41Z",
"date_modified": "2025-08-22T06:54:09Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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\n\n
\nRien de plus cassable que la coquille d\u2019un \u0153uf.
\nIl y a peut-\u00eatre une marge mince o\u00f9 ce qui se trouve \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur d\u2019un \u0153uf choisit d\u2019en sortir.<\/p>\n
\nEt soudain, je fus projet\u00e9 quelque part au d\u00e9but de la bande num\u00e9rique.<\/p>\n
\nEt de revoir la date du jour « 19.8.2025 », j\u2019ai senti que mon temps \u00e9tait pass\u00e9. J\u2019aurais pu \u00e9crire : mon temps \u00e9tait venu, \u00e7\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 pareil. Je veux dire que ce que j\u2019appelle « mon temps » ne signifie plus rien.<\/p>\n
\nPriv\u00e9 ces derniers jours de la facilit\u00e9 d\u2019\u00e9crire confortablement, si je puis dire, je reviens moi aussi \u00e0 un autre moment de la bande magn\u00e9tique : celui du stylo-bille, de la page quadrill\u00e9e \u00e0 petits carreaux. Et, d\u2019une certaine mani\u00e8re, aux m\u00eames difficult\u00e9s de nagu\u00e8re.<\/p>\n
\nEt cette possibilit\u00e9 existe-t-elle vraiment : r\u00e9inventer une \u00e9motion d\u00e9j\u00e0 \u00e9prouv\u00e9e, puis perdue ?<\/p>",
"content_text": " Si, comme les sciences le disent d\u00e9sormais, le temps n\u2019existe pas, alors nous vivons notre mis\u00e9rable existence \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur d\u2019une sorte de bande magn\u00e9tique, ou num\u00e9rique. Quelque chose d\u2019aussi clos qu\u2019un \u0153uf. Rien de plus cassable que la coquille d\u2019un \u0153uf. Il y a peut-\u00eatre une marge mince o\u00f9 ce qui se trouve \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur d\u2019un \u0153uf choisit d\u2019en sortir. La naissance, si elle est aussi in\u00e9luctable que la mort, partage avec elle la m\u00eame incertitude. On ne peut pas pr\u00e9voir exactement l\u2019heure de la naissance comme celle de notre mort. M\u00eame si l\u2019on d\u00e9cide de se supprimer soi-m\u00eame, un \u00e9l\u00e9ment essentiel nous \u00e9chappe toujours : non pas la notion du temps, mais sa r\u00e9alit\u00e9 ontologique. Hier, dans l\u2019autobus qui nous emportait vers Reus, mon regard fut soudain hypnotis\u00e9 par les chiffres de la pendule au-dessus du conducteur. Une date, plut\u00f4t. Affichage genre r\u00e9veil \u00e0 cristaux liquides : \u00ab 19.8.2025 \u00bb. Et soudain, je fus projet\u00e9 quelque part au d\u00e9but de la bande num\u00e9rique. \u2014 Que serais-je en l\u2019an 2000 ? m\u2019\u00e9tais-je alors demand\u00e9\u2026 Et de revoir la date du jour \u00ab 19.8.2025 \u00bb, j\u2019ai senti que mon temps \u00e9tait pass\u00e9. J\u2019aurais pu \u00e9crire : mon temps \u00e9tait venu, \u00e7\u2019e\u00fbt \u00e9t\u00e9 pareil. Je veux dire que ce que j\u2019appelle \u00ab mon temps \u00bb ne signifie plus rien. Et d\u00e9sormais, il pouvait \u00e9crire \u00ab d\u00e9sormais \u00bb. Car \u00ab d\u00e9sormais \u00bb \u00e9tait un signal, comme une d\u00e9clinaison de \u00ab il \u00e9tait une fois \u00bb, et il pouvait le d\u00e9clencher, \u00e0 pr\u00e9sent, lorsqu\u2019il le d\u00e9sirerait. \u2e3b Il existe probablement un yoga de l\u2019\u00e9criture, comme il en existe un des corps. Dans le vaste r\u00e9servoir des id\u00e9es foutraques, ce serait une fa\u00e7on d\u2019utiliser l\u2019inconfort pour avancer. Priv\u00e9 ces derniers jours de la facilit\u00e9 d\u2019\u00e9crire confortablement, si je puis dire, je reviens moi aussi \u00e0 un autre moment de la bande magn\u00e9tique : celui du stylo-bille, de la page quadrill\u00e9e \u00e0 petits carreaux. Et, d\u2019une certaine mani\u00e8re, aux m\u00eames difficult\u00e9s de nagu\u00e8re. \u2e3b Cet attendrissement qui me cueillit hier soir, en relisant cette histoire du jeune Carter traversant les bois avec sa vieille clef rouill\u00e9e ( Contr\u00e9es du r\u00eave, \u00ab The Silver Key \u00bb, 1926 ), est-il lui aussi inscrit sur le support depuis l\u2019origine ? Et si oui, pourquoi l\u2019\u00e9motion n\u2019est-elle pas venue \u00e0 la toute premi\u00e8re lecture ? Ou bien ai-je seulement eu l\u2019impression d\u2019avoir oubli\u00e9 cette \u00e9motion ? Et cette possibilit\u00e9 existe-t-elle vraiment : r\u00e9inventer une \u00e9motion d\u00e9j\u00e0 \u00e9prouv\u00e9e, puis perdue ? ",
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"tags": ["hors-lieu"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-aout-2025.html",
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"title": "19 ao\u00fbt 2025 ",
"date_published": "2025-08-19T08:14:38Z",
"date_modified": "2025-08-19T08:14:38Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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\nD\u2019un c\u00f4t\u00e9, la mer immense. Remonte la voix douce de Graeme Allwright : La mer est immense, je n\u2019sais voyager.
\nDe l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, de hauts pins tournesols dont les basses branches, secou\u00e9es par un stress hydrique, tentent malgr\u00e9 tout d\u2019offrir une sto\u00efque apparence.
\nCe qui manque au capitaine Achab, ce qu\u2019il cherche \u00e0 harponner, c\u2019est cette forme immense, insubmersible, de couleur blanche. Cette paisible apparence. Le bonheur de ce qu\u2019il imagine \u00eatre la qui\u00e9tude d\u2019un poisson dans l\u2019eau.
\nUn homme prom\u00e8ne son chien. L\u2019homme est long mais son ombre plus grande encore. Le chien est maigre, jeune, nerveux. La laisse qui le relie au ma\u00eetre est courte.
\nBel exercice \u00e0 conseiller si tu n\u2019aimes pas te faire r\u00f4tir comme un spare-ribs au bord de l\u2019eau. Avise un banc, assieds-toi. Observe la longueur des laisses tenues par ceux qui prom\u00e8nent leurs chiens.
\nUne femme prom\u00e8ne son chien. La laisse est longue. L\u2019animal n\u2019en profite pas.
\nElle a nou\u00e9 un par\u00e9o autour de sa taille, peut-\u00eatre pour dissimuler des fesses qu\u2019on supposera pro\u00e9minentes. Sur sa cheville droite, un tatouage en forme de code-barres.
\nLes bestioles se sont hum\u00e9es tant et tant que cela les a apais\u00e9es. Leurs ma\u00eetres font semblant de ne pas voir cet assaut olfactif.
\nComme la vie pourrait \u00eatre plus dr\u00f4le si l\u2019on pouvait ainsi, comme les chiens, se sentir.
\nLe parfum est sans doute un des principaux fl\u00e9aux de l\u2019humanit\u00e9. Et en m\u00eame temps une entr\u00e9e incontournable pour acc\u00e9der \u00e0 la civilisation.
\nLes Noirs disent que le Blanc sent le cadavre.
\nLa mer est immense, celle qu\u2019on voit danser le long, le long des golfes pas tr\u00e8s clairs.
\nLe succ\u00e8s commercial du Parfum tient sans doute au fait qu\u2019on ne puisse plus se sentir les uns les autres en dehors des conventions de l\u2019intime.
\nO\u00f9 s\u2019arr\u00eate l\u2019intime ? On dit la sph\u00e8re du priv\u00e9, et \u00eatre rond comme une queue de pelle.
\nChez les Esquimaux, la nourriture est m\u00e2ch\u00e9e par les plus jeunes durant des mill\u00e9naires pour nourrir les vieux \u00e9dent\u00e9s. Leur sph\u00e8re d\u2019intimit\u00e9 s\u2019est contract\u00e9e apr\u00e8s s\u2019\u00eatre dilat\u00e9e avec l\u2019apparition du premier dentiste.
\nJe ne sais pas vraiment pourquoi je devrais \u00e9prouver de l\u2019aversion \u00e0 ce qu\u2019on me m\u00e2che ma viande.
\nJe ne mange plus que de la viande blanche. Jamais froide.
\nManger de la viande froide me rend Noir : j\u2019ai l\u2019impression de manger du cadavre.
\nSuis all\u00e9 me baigner ce matin dans le gris g\u00e9n\u00e9ral ciel et mer, tout en songeant \u00e0 l\u2019\u00e9toile du Chien.<\/p>\n
\nApr\u00e8s que mon fr\u00e8re a failli perdre un \u0153il, on fit piquer le chien.
\n« Vous avez eu de la chance », dit le docteur \u00e0 ma m\u00e8re, comme si c\u2019\u00e9tait elle qui s\u2019\u00e9tait fait mordre.
\nLe chien fut enterr\u00e9 pr\u00e8s du tas de fumier, au fond du jardin. Nous venions prier pour son \u00e2me de chien, mon fr\u00e8re pas rancunier et moi-m\u00eame. Puis on allumait une liane et on fumait comme les adultes. \u00c7a faisait tousser, c\u2019\u00e9tait \u00e2cre.
\nL\u00e0-haut, dans le ciel, les nuages formaient des t\u00eates de chien. On disait : « C\u2019est lui, tu vois, il ne nous en veut pas, il est bien plus heureux l\u00e0 o\u00f9 il est. »
\nAu cat\u00e9chisme, le cur\u00e9 essayait comme il le pouvait de nous extraire de notre animalit\u00e9. Devenir humain, c\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 \u00eatre propre.
\nDans le feuilleton Thibaud des Croisades, les Sarrasins \u00e9taient aussi des Maures. Ils traitaient les chr\u00e9tiens de sales chiens.<\/p>\n
\nJe suis ressorti de la maison ; le chien vivait encore. Son souffle \u00e9tait court et il pleurait. J\u2019ai essay\u00e9 de le caresser mais il a montr\u00e9 les dents.
\nMa m\u00e8re m\u2019a appel\u00e9 juste \u00e0 ce moment-l\u00e0 : « Viens mettre la table. »
\nJ\u2019ai approch\u00e9 la main encore une fois et le chien n\u2019a plus \u00e9mis le moindre grognement. Il \u00e9tait mort.
\nCe que les \u00eatres humains ont d\u00e9pens\u00e9 en \u00e9nergie, en inventivit\u00e9, pour ne pas se sentir, tient du prodige. Un prodige b\u00eate \u00e0 manger du foin, aurait dit mon grand-oncle, qui a toujours fait semblant d\u2019\u00eatre sourd.
\nIl disait les choses les plus insens\u00e9es car il faisait semblant de ne pas pr\u00eater attention aux commentaires. Une sacr\u00e9e force de caract\u00e8re. Ou bien un \u00e9go\u00efsme invraisemblable. Je n\u2019ai jamais d\u00e9cid\u00e9 vraiment qu\u2019en penser.
\nCaract\u00e9riser les gens par leur odeur. Mon grand-oncle sentait la foudre. Sa s\u0153ur, ma grand-m\u00e8re, avait un souffle parfum\u00e9 au grain de caf\u00e9.
\nMon grand-p\u00e8re sentait l\u2019essence et le cambouis. Sa vraie vocation aurait \u00e9t\u00e9 d\u2019\u00eatre m\u00e9canicien auto mais au lieu de \u00e7a il avait senti le sang toute sa vie. D\u2019abord \u00e0 la guerre, il avait commenc\u00e9 \u00e0 tuer des poulets dans une ferme allemande. Puis sur les march\u00e9s parisiens, o\u00f9 il vendait des lapins, des poules crev\u00e9es.
\nPatty, la petite chienne caniche, sentait le chien mouill\u00e9.
\nJ\u2019ai longtemps fum\u00e9. Apr\u00e8s m\u00fbre r\u00e9flexion, c\u2019\u00e9tait pour ne pas sentir l\u2019odeur du monde. Trop d\u2019\u00e9motions.
\nQuand j\u2019ai arr\u00eat\u00e9, je n\u2019ai pas d\u00e9couvert un nirv\u00e2na olfactif. J\u2019ai not\u00e9 que ma chatte n\u2019a pas une haleine merdique, nonobstant le nombre de fois o\u00f9 elle l\u00e8che son derri\u00e8re dans la journ\u00e9e.
\nOn dit qu\u2019il fait un temps de chien, malheureux comme les pierres. Aujourd\u2019hui c\u2019est canicule.
\nJe n\u2019aborde pas les chiennes sp\u00e9cifiquement. Il faudrait un volume d\u00e9di\u00e9.
\nSortir le chien. C\u2019est \u00e0 l\u2019aube ou \u00e0 la nuit tomb\u00e9e. Un \u00e9norme chien, je m\u2019en souviens.
\nLe poissonnier de la grand-rue de l\u2019Isle-Adam devait d\u00e9gager une odeur hostile. Le gros chien l\u2019a mordu. Il a fallu le piquer lui aussi. Le chien, pas le poissonnier.
\nLa peur et l\u2019odeur. Sur quel crit\u00e8re culturel disons-nous : \u00e7a sent bon ou mauvais ?
\nL\u2019ou\u00efe c\u2019est pareil. Quand tu dois dormir dans le tintamarre, tu d\u00e9couvres des rythmes internes insoup\u00e7onn\u00e9s.<\/p>\n
\nJ\u2019aurais m\u00e9rit\u00e9 d\u2019\u00eatre pass\u00e9 au fil de l\u2019aiguille moi aussi. Piqu\u00e9 une bonne fois avec du s\u00e9rum noir.
\nDe tous les canid\u00e9s que j\u2019ai connus, seul un cocker savait faire de vrais yeux de cocker. Juste apr\u00e8s vient un boxer, mais l\u2019effort lui co\u00fbta tant qu\u2019il mourut jeune.
\nLe fil utilis\u00e9 pour recoudre l\u2019\u0153il de mon fr\u00e8re devait \u00eatre une sorte de fil de p\u00eache.
\nQue peut-on ressentir d\u2019\u00eatre piqu\u00e9, quand on est vieux, qu\u2019on a pass\u00e9 une vraie vie de chien aupr\u00e8s d\u2019hommes frustr\u00e9s, et qui pour un oui pour un non vous battent ?
\nFinalement je choisis une salade au poulet grill\u00e9, tomates, salade. Un mixte qui, d\u00e8s la premi\u00e8re bouch\u00e9e, manque de me faire d\u00e9gobiller.
\nQuand les gens s\u2019ennuient je m\u2019amuse. Et quand ils s\u2019amusent je m\u2019ennuie.
\nToute agitation ext\u00e9rieure titille mon troisi\u00e8me \u0153il, ce qui m\u2019emp\u00eache de m\u2019affoler.
\nC\u2019est en grande partie \u00e0 cause de cela qu\u2019on m\u2019a longtemps trait\u00e9 d\u2019autiste.
\nSeules l\u2019odeur d\u2019ail ou d\u2019oignon grill\u00e9s r\u00e9ussissaient \u00e0 me faire saliver. Je me pla\u00e7ais devant les fourneaux, langue pendante.<\/p>\n
\nCe pourrait \u00eatre l\u2019occasion de quelque chose qui ne se produit pas. On sent cette tristesse dans la distance qui s\u2019installe lorsque l\u2019homme marche vers l\u2019est et la femme vers l\u2019ouest.
\nPas un seul jappement chez les chiens.<\/p>",
"content_text": " Le d\u00e9cor n\u2019a pas une grande importance. Imagine un bord de mer, de longues all\u00e9es. Rev\u00eatement couleur sable, antid\u00e9rapant. D\u2019un c\u00f4t\u00e9, la mer immense. Remonte la voix douce de Graeme Allwright : La mer est immense, je n\u2019sais voyager. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, de hauts pins tournesols dont les basses branches, secou\u00e9es par un stress hydrique, tentent malgr\u00e9 tout d\u2019offrir une sto\u00efque apparence. Ce qui manque au capitaine Achab, ce qu\u2019il cherche \u00e0 harponner, c\u2019est cette forme immense, insubmersible, de couleur blanche. Cette paisible apparence. Le bonheur de ce qu\u2019il imagine \u00eatre la qui\u00e9tude d\u2019un poisson dans l\u2019eau. Un homme prom\u00e8ne son chien. L\u2019homme est long mais son ombre plus grande encore. Le chien est maigre, jeune, nerveux. La laisse qui le relie au ma\u00eetre est courte. Bel exercice \u00e0 conseiller si tu n\u2019aimes pas te faire r\u00f4tir comme un spare-ribs au bord de l\u2019eau. Avise un banc, assieds-toi. Observe la longueur des laisses tenues par ceux qui prom\u00e8nent leurs chiens. Une femme prom\u00e8ne son chien. La laisse est longue. L\u2019animal n\u2019en profite pas. Elle a nou\u00e9 un par\u00e9o autour de sa taille, peut-\u00eatre pour dissimuler des fesses qu\u2019on supposera pro\u00e9minentes. Sur sa cheville droite, un tatouage en forme de code-barres. Les bestioles se sont hum\u00e9es tant et tant que cela les a apais\u00e9es. Leurs ma\u00eetres font semblant de ne pas voir cet assaut olfactif. Comme la vie pourrait \u00eatre plus dr\u00f4le si l\u2019on pouvait ainsi, comme les chiens, se sentir. Le parfum est sans doute un des principaux fl\u00e9aux de l\u2019humanit\u00e9. Et en m\u00eame temps une entr\u00e9e incontournable pour acc\u00e9der \u00e0 la civilisation. Les Noirs disent que le Blanc sent le cadavre. La mer est immense, celle qu\u2019on voit danser le long, le long des golfes pas tr\u00e8s clairs. Le succ\u00e8s commercial du Parfum tient sans doute au fait qu\u2019on ne puisse plus se sentir les uns les autres en dehors des conventions de l\u2019intime. O\u00f9 s\u2019arr\u00eate l\u2019intime ? On dit la sph\u00e8re du priv\u00e9, et \u00eatre rond comme une queue de pelle. Chez les Esquimaux, la nourriture est m\u00e2ch\u00e9e par les plus jeunes durant des mill\u00e9naires pour nourrir les vieux \u00e9dent\u00e9s. Leur sph\u00e8re d\u2019intimit\u00e9 s\u2019est contract\u00e9e apr\u00e8s s\u2019\u00eatre dilat\u00e9e avec l\u2019apparition du premier dentiste. Je ne sais pas vraiment pourquoi je devrais \u00e9prouver de l\u2019aversion \u00e0 ce qu\u2019on me m\u00e2che ma viande. Je ne mange plus que de la viande blanche. Jamais froide. Manger de la viande froide me rend Noir : j\u2019ai l\u2019impression de manger du cadavre. Suis all\u00e9 me baigner ce matin dans le gris g\u00e9n\u00e9ral ciel et mer, tout en songeant \u00e0 l\u2019\u00e9toile du Chien. [\u2026] Les dents de la mer. Cette pens\u00e9e en atteignant la bou\u00e9e jaune : pourquoi les requins ne viendraient-ils pas se nourrir ici, vu la barbue \u00e0 disposition ? Puis la langue des oiseaux pour se calmer. Revenir tranquillement vers le sable, l\u2019aidant de la m\u00e8re. Apr\u00e8s que mon fr\u00e8re a failli perdre un \u0153il, on fit piquer le chien. \u00ab Vous avez eu de la chance \u00bb, dit le docteur \u00e0 ma m\u00e8re, comme si c\u2019\u00e9tait elle qui s\u2019\u00e9tait fait mordre. Le chien fut enterr\u00e9 pr\u00e8s du tas de fumier, au fond du jardin. Nous venions prier pour son \u00e2me de chien, mon fr\u00e8re pas rancunier et moi-m\u00eame. Puis on allumait une liane et on fumait comme les adultes. \u00c7a faisait tousser, c\u2019\u00e9tait \u00e2cre. L\u00e0-haut, dans le ciel, les nuages formaient des t\u00eates de chien. On disait : \u00ab C\u2019est lui, tu vois, il ne nous en veut pas, il est bien plus heureux l\u00e0 o\u00f9 il est. \u00bb Au cat\u00e9chisme, le cur\u00e9 essayait comme il le pouvait de nous extraire de notre animalit\u00e9. Devenir humain, c\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 \u00eatre propre. Dans le feuilleton Thibaud des Croisades, les Sarrasins \u00e9taient aussi des Maures. Ils traitaient les chr\u00e9tiens de sales chiens. [\u2026] Ce chien a \u00e9t\u00e9 renvers\u00e9 par une voiture dans le virage o\u00f9 nous habitions. Mon p\u00e8re a rentr\u00e9 la voiture dans la cour et a dit : \u00ab Bon, qu\u2019est-ce qu\u2019on mange ? \u00bb Je suis ressorti de la maison ; le chien vivait encore. Son souffle \u00e9tait court et il pleurait. J\u2019ai essay\u00e9 de le caresser mais il a montr\u00e9 les dents. Ma m\u00e8re m\u2019a appel\u00e9 juste \u00e0 ce moment-l\u00e0 : \u00ab Viens mettre la table. \u00bb J\u2019ai approch\u00e9 la main encore une fois et le chien n\u2019a plus \u00e9mis le moindre grognement. Il \u00e9tait mort. Ce que les \u00eatres humains ont d\u00e9pens\u00e9 en \u00e9nergie, en inventivit\u00e9, pour ne pas se sentir, tient du prodige. Un prodige b\u00eate \u00e0 manger du foin, aurait dit mon grand-oncle, qui a toujours fait semblant d\u2019\u00eatre sourd. Il disait les choses les plus insens\u00e9es car il faisait semblant de ne pas pr\u00eater attention aux commentaires. Une sacr\u00e9e force de caract\u00e8re. Ou bien un \u00e9go\u00efsme invraisemblable. Je n\u2019ai jamais d\u00e9cid\u00e9 vraiment qu\u2019en penser. Caract\u00e9riser les gens par leur odeur. Mon grand-oncle sentait la foudre. Sa s\u0153ur, ma grand-m\u00e8re, avait un souffle parfum\u00e9 au grain de caf\u00e9. Mon grand-p\u00e8re sentait l\u2019essence et le cambouis. Sa vraie vocation aurait \u00e9t\u00e9 d\u2019\u00eatre m\u00e9canicien auto mais au lieu de \u00e7a il avait senti le sang toute sa vie. D\u2019abord \u00e0 la guerre, il avait commenc\u00e9 \u00e0 tuer des poulets dans une ferme allemande. Puis sur les march\u00e9s parisiens, o\u00f9 il vendait des lapins, des poules crev\u00e9es. Patty, la petite chienne caniche, sentait le chien mouill\u00e9. J\u2019ai longtemps fum\u00e9. Apr\u00e8s m\u00fbre r\u00e9flexion, c\u2019\u00e9tait pour ne pas sentir l\u2019odeur du monde. Trop d\u2019\u00e9motions. Quand j\u2019ai arr\u00eat\u00e9, je n\u2019ai pas d\u00e9couvert un nirv\u00e2na olfactif. J\u2019ai not\u00e9 que ma chatte n\u2019a pas une haleine merdique, nonobstant le nombre de fois o\u00f9 elle l\u00e8che son derri\u00e8re dans la journ\u00e9e. On dit qu\u2019il fait un temps de chien, malheureux comme les pierres. Aujourd\u2019hui c\u2019est canicule. Je n\u2019aborde pas les chiennes sp\u00e9cifiquement. Il faudrait un volume d\u00e9di\u00e9. Sortir le chien. C\u2019est \u00e0 l\u2019aube ou \u00e0 la nuit tomb\u00e9e. Un \u00e9norme chien, je m\u2019en souviens. Le poissonnier de la grand-rue de l\u2019Isle-Adam devait d\u00e9gager une odeur hostile. Le gros chien l\u2019a mordu. Il a fallu le piquer lui aussi. Le chien, pas le poissonnier. La peur et l\u2019odeur. Sur quel crit\u00e8re culturel disons-nous : \u00e7a sent bon ou mauvais ? L\u2019ou\u00efe c\u2019est pareil. Quand tu dois dormir dans le tintamarre, tu d\u00e9couvres des rythmes internes insoup\u00e7onn\u00e9s. [\u2026] Je me demande si je ne suis pas un peu de ce chien qui mordit mon fr\u00e8re \u00e0 l\u2019\u0153il. J\u2019en ai longtemps \u00e9prouv\u00e9 de la culpabilit\u00e9. J\u2019aurais m\u00e9rit\u00e9 d\u2019\u00eatre pass\u00e9 au fil de l\u2019aiguille moi aussi. Piqu\u00e9 une bonne fois avec du s\u00e9rum noir. De tous les canid\u00e9s que j\u2019ai connus, seul un cocker savait faire de vrais yeux de cocker. Juste apr\u00e8s vient un boxer, mais l\u2019effort lui co\u00fbta tant qu\u2019il mourut jeune. Le fil utilis\u00e9 pour recoudre l\u2019\u0153il de mon fr\u00e8re devait \u00eatre une sorte de fil de p\u00eache. Que peut-on ressentir d\u2019\u00eatre piqu\u00e9, quand on est vieux, qu\u2019on a pass\u00e9 une vraie vie de chien aupr\u00e8s d\u2019hommes frustr\u00e9s, et qui pour un oui pour un non vous battent ? Finalement je choisis une salade au poulet grill\u00e9, tomates, salade. Un mixte qui, d\u00e8s la premi\u00e8re bouch\u00e9e, manque de me faire d\u00e9gobiller. Quand les gens s\u2019ennuient je m\u2019amuse. Et quand ils s\u2019amusent je m\u2019ennuie. Toute agitation ext\u00e9rieure titille mon troisi\u00e8me \u0153il, ce qui m\u2019emp\u00eache de m\u2019affoler. C\u2019est en grande partie \u00e0 cause de cela qu\u2019on m\u2019a longtemps trait\u00e9 d\u2019autiste. Seules l\u2019odeur d\u2019ail ou d\u2019oignon grill\u00e9s r\u00e9ussissaient \u00e0 me faire saliver. Je me pla\u00e7ais devant les fourneaux, langue pendante. [\u2026] L\u2019homme et la femme se toisent en se concentrant en m\u00eame temps sur ce que font leurs animaux. Ce pourrait \u00eatre l\u2019occasion de quelque chose qui ne se produit pas. On sent cette tristesse dans la distance qui s\u2019installe lorsque l\u2019homme marche vers l\u2019est et la femme vers l\u2019ouest. Pas un seul jappement chez les chiens. ",
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"title": "18 ao\u00fbt 2025",
"date_published": "2025-08-18T09:24:56Z",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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\nPar la mort passer. En sortir, s\u2019en sortir, sang sortir, sans sort ire. R\u00eaver un d\u00e9sir neuf. Une \u00e9tincelle. Une toute petite asp\u00e9rit\u00e9 sur la paroi chang\u00e9e mentalement, physiquement, en levier. Grimper. D\u00e9passer quelque chose. Prendre conscience du gouffre, du vertige, de la peur. Les affronter. Grimper encore. Tu n\u2019as pas le choix. D\u00e9passer quoi ? Il s\u2019efface quand tu le d\u00e9passes. Tu ne sais plus ce que c\u2019\u00e9tait.<\/p>\n
\nArriv\u00e9 au sommet : le ciel, l\u2019air, les poumons se d\u00e9ploient. Respirer. Battements du c\u0153ur r\u00e9guliers. Le rythme, la musique t\u2019ont calm\u00e9. Par quoi es-tu pass\u00e9 pour que tout soit si vite, un jour, oubli\u00e9 ? Pas de r\u00e9ponse h\u00e2tive. Aujourd\u2019hui, tu as seulement le droit de dessiner ce mouvement. Tu te donnes ce droit, et la contrainte aff\u00e9rente. Et tu verras bien demain si tout \u00e7a tient encore.<\/p>\n\n