{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-septembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-septembre-2025.html", "title": "30 septembre 2025", "date_published": "2025-09-30T05:21:35Z", "date_modified": "2025-09-30T05:22:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Sans la com\u00e9die, la trag\u00e9die, que serions-nous, que ferions-nous. Osciller de l’une \u00e0 l’autre durant l’espace d’une journ\u00e9e nous procure un ersatz d’existence, nous sommes ainsi spectateurs de nous-m\u00eames, parfois applaudisant la prestation, parfois la conspuant.<\/p>\n
Chez Beckett, apr\u00e8s la chute du rideau, il ne reste qu\u2019un reste minimal : une chaise, un souffle, un mot qui revient. Le th\u00e9\u00e2tre n\u2019a plus besoin de personnage, ni d\u2019histoire. C\u2019est l\u2019usure du langage, son extinction programm\u00e9e. L\u2019apr\u00e8s-sc\u00e8ne, chez lui, c\u2019est la d\u00e9solation : tout est tomb\u00e9, ne survit qu\u2019une voix r\u00e9siduelle.
\nChez Novarina, l\u2019apr\u00e8s-sc\u00e8ne prend la forme inverse : non pas le silence mais le trop-plein. Quand les personnages ont quitt\u00e9 la sc\u00e8ne, quand le th\u00e9\u00e2tre r\u00e9aliste s\u2019est effondr\u00e9, il laisse venir une profusion de voix, un langage qui ne repr\u00e9sente plus mais s\u2019auto-engendre. L\u2019apr\u00e8s-sc\u00e8ne est ce moment o\u00f9 les mots continuent \u00e0 parler alors que le spectacle est fini, comme une coul\u00e9e verbale qui ne reconna\u00eet plus ni acteur ni spectateur.
\nEn somme, Beckett dit : apr\u00e8s la sc\u00e8ne, il n\u2019y a plus rien que le vide. Novarina dit : apr\u00e8s la sc\u00e8ne, il n\u2019y a plus que le langage lui-m\u00eame. Mais dans les deux cas, c\u2019est la m\u00eame d\u00e9construction : le th\u00e9\u00e2tre ne raconte plus une histoire, il met \u00e0 nu ce qui reste quand on retire l\u2019illusion.<\/p>\n
Que resterait il dans l’\u00e9criture si je retirai soudain la reflexion, l’explication qui sont aussi des personnages familiers de ces textes.<\/p>\n
Si tu retirais la r\u00e9flexion et l\u2019explication, il resterait le plateau nu des phrases. Le geste, le souffle, l\u2019objet. Non plus « dire ce que cela veut dire », mais simplement d\u00e9poser ce qui est l\u00e0. La tasse qui se vide, le rideau qui tombe, le bois du plancher sous les pas.
\nCe qui partirait, ce sont les commentateurs int\u00e9rieurs — ces doubles qui analysent, qui \u00e9clairent. Ce qui resterait, c\u2019est une \u00e9criture plus proche du th\u00e9\u00e2tre de Beckett : phrases r\u00e9duites \u00e0 leur mat\u00e9rialit\u00e9, s\u00e9quences sans justification. Une sorte de pr\u00e9sence brute : ni com\u00e9die ni trag\u00e9die, ni explication, seulement ce qui survit quand on a enlev\u00e9 la logique.<\/p>\n
Tu toucherais \u00e0 une \u00e9criture de la coulisse absolue, o\u00f9 m\u00eame la pens\u00e9e cesse d\u2019\u00eatre un r\u00f4le. L\u2019\u00e9nigme n\u2019est plus r\u00e9solue ni m\u00eame pos\u00e9e : elle se donne dans le silence entre deux gestes.<\/p>\n
Sans la com\u00e9die, sans la trag\u00e9die. Le rideau est tomb\u00e9. La salle vide garde l\u2019odeur de poussi\u00e8re et de bois chauff\u00e9. Une chaise demeure, rien d\u2019autre. On entend encore le craquement du plancher, peut-\u00eatre un souffle, puis plus rien. Pas d\u2019applaudissements, pas de sifflets, pas de spectateurs. Ne subsistent que des mots isol\u00e9s, sans explication, des restes qui ne jouent plus aucun r\u00f4le et qui pourtant persistent.<\/p>\n
Peut-\u00eatre que ce qui subsiste, apr\u00e8s la com\u00e9die, la trag\u00e9die, apr\u00e8s les voix et les inventaires, ce n\u2019est rien d\u2019autre que cela : quelques phrases encore debout, une chaise, un souffle. L\u2019arbitraire a parl\u00e9, et c\u2019est lui qui tient la sc\u00e8ne.<\/p>\n
Illustration<\/strong> Angelus Novus Paul Klee, 1920<\/p>",
"content_text": "Sans la com\u00e9die, la trag\u00e9die, que serions-nous, que ferions-nous. Osciller de l'une \u00e0 l'autre durant l'espace d'une journ\u00e9e nous procure un ersatz d'existence, nous sommes ainsi spectateurs de nous-m\u00eames, parfois applaudisant la prestation, parfois la conspuant. Chez Beckett, apr\u00e8s la chute du rideau, il ne reste qu\u2019un reste minimal : une chaise, un souffle, un mot qui revient. Le th\u00e9\u00e2tre n\u2019a plus besoin de personnage, ni d\u2019histoire. C\u2019est l\u2019usure du langage, son extinction programm\u00e9e. L\u2019apr\u00e8s-sc\u00e8ne, chez lui, c\u2019est la d\u00e9solation : tout est tomb\u00e9, ne survit qu\u2019une voix r\u00e9siduelle. Chez Novarina, l\u2019apr\u00e8s-sc\u00e8ne prend la forme inverse : non pas le silence mais le trop-plein. Quand les personnages ont quitt\u00e9 la sc\u00e8ne, quand le th\u00e9\u00e2tre r\u00e9aliste s\u2019est effondr\u00e9, il laisse venir une profusion de voix, un langage qui ne repr\u00e9sente plus mais s\u2019auto-engendre. L\u2019apr\u00e8s-sc\u00e8ne est ce moment o\u00f9 les mots continuent \u00e0 parler alors que le spectacle est fini, comme une coul\u00e9e verbale qui ne reconna\u00eet plus ni acteur ni spectateur. En somme, Beckett dit : apr\u00e8s la sc\u00e8ne, il n\u2019y a plus rien que le vide. Novarina dit : apr\u00e8s la sc\u00e8ne, il n\u2019y a plus que le langage lui-m\u00eame. Mais dans les deux cas, c\u2019est la m\u00eame d\u00e9construction : le th\u00e9\u00e2tre ne raconte plus une histoire, il met \u00e0 nu ce qui reste quand on retire l\u2019illusion. Que resterait il dans l'\u00e9criture si je retirai soudain la reflexion, l'explication qui sont aussi des personnages familiers de ces textes. Si tu retirais la r\u00e9flexion et l\u2019explication, il resterait le plateau nu des phrases. Le geste, le souffle, l\u2019objet. Non plus \u00ab dire ce que cela veut dire \u00bb, mais simplement d\u00e9poser ce qui est l\u00e0. La tasse qui se vide, le rideau qui tombe, le bois du plancher sous les pas. Ce qui partirait, ce sont les commentateurs int\u00e9rieurs \u2014 ces doubles qui analysent, qui \u00e9clairent. Ce qui resterait, c\u2019est une \u00e9criture plus proche du th\u00e9\u00e2tre de Beckett : phrases r\u00e9duites \u00e0 leur mat\u00e9rialit\u00e9, s\u00e9quences sans justification. Une sorte de pr\u00e9sence brute : ni com\u00e9die ni trag\u00e9die, ni explication, seulement ce qui survit quand on a enlev\u00e9 la logique. Tu toucherais \u00e0 une \u00e9criture de la coulisse absolue, o\u00f9 m\u00eame la pens\u00e9e cesse d\u2019\u00eatre un r\u00f4le. L\u2019\u00e9nigme n\u2019est plus r\u00e9solue ni m\u00eame pos\u00e9e : elle se donne dans le silence entre deux gestes. Sans la com\u00e9die, sans la trag\u00e9die. Le rideau est tomb\u00e9. La salle vide garde l\u2019odeur de poussi\u00e8re et de bois chauff\u00e9. Une chaise demeure, rien d\u2019autre. On entend encore le craquement du plancher, peut-\u00eatre un souffle, puis plus rien. Pas d\u2019applaudissements, pas de sifflets, pas de spectateurs. Ne subsistent que des mots isol\u00e9s, sans explication, des restes qui ne jouent plus aucun r\u00f4le et qui pourtant persistent. Peut-\u00eatre que ce qui subsiste, apr\u00e8s la com\u00e9die, la trag\u00e9die, apr\u00e8s les voix et les inventaires, ce n\u2019est rien d\u2019autre que cela : quelques phrases encore debout, une chaise, un souffle. L\u2019arbitraire a parl\u00e9, et c\u2019est lui qui tient la sc\u00e8ne. **Illustration** Angelus Novus Paul Klee, 1920",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-septembre-2025.html",
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"title": "29 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-29T03:47:47Z",
"date_modified": "2025-09-29T03:47:47Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Tout contact rompu avec M-A. La vraie raison : ce feu o\u00f9 j\u2019ai jet\u00e9 mes carnets. Pas tant pour leur contenu que pour le sacrifice. La perte inconsolable. Le chantage — r\u00e9el ou imaginaire. “\u00c9crire ou vivre.”<\/p>\n Pas de rancune. L\u2019incompr\u00e9hension, l\u2019\u00e9go\u00efsme — le sien, le mien. Ce jour-l\u00e0 j\u2019ai cru tout perdre. Vingt ans sans \u00e9crire. J\u2019ai choisi de vivre, et ce fut un calvaire. Plus de filet, plus d\u2019amortisseur. J\u2019ai d\u00e9val\u00e9 ces ann\u00e9es \u00e0 m\u2019en cabosser le corps entier.<\/p>\n M-A, j\u2019esp\u00e8re, vit la vie qu\u2019elle voulait. Moi, il m\u2019arrive d\u2019avoir envie de tout d\u00e9truire. Appuyer sur “suppr”. M\u2019effacer. Juliet n\u2019aide pas. Ni ce cr\u00e9puscule de septembre.<\/p>\n Le silence, je le supporte. C\u2019est l\u2019impossibilit\u00e9 de parler qui m\u2019\u00e9crase.<\/p>\n Tout contact rompu avec M. Je n\u2019ai pas envie de nouvelles. La curiosit\u00e9 se l\u00e8ve, retombe en d\u00e9go\u00fbt. L\u2019affection reste, \u00e9touff\u00e9e.<\/p>\n Perdre le contact est ma sp\u00e9cialit\u00e9. Je n\u2019attends pas qu\u2019on m\u2019\u00e9crive. C\u2019est une discipline. Une pr\u00e9paration. On meurt seul.<\/p>\n De Juliet j\u2019ai retenu l\u2019ennui. Lire la m\u00eame chose, sans fin, sous tant de formes. Aussit\u00f4t la peur que mes textes fassent pareil.<\/p>\n Ce qu\u2019il manque — et je n\u2019ai pas le droit de dire “il manque” — ce sont les moments quotidiens, pris dans la r\u00e9alit\u00e9. Trop rares.<\/p>\n C\u2019est ce que j\u2019aime chez L\u00e9autaud, chez Calaferte : l\u2019attendrissement, les animaux, les col\u00e8res, les injustices. Un visage humain qui traverse. Dans T\u00e9n\u00e8bres en Terre froide, rien de tout cela.<\/p>\n Je me souviens de G., et de M.H lorsqu\u2019elles parlaient de Juliet. Cette emprise qu\u2019elles convoquaient sous couvert de sentiments maternels. C’\u00e9tait leur<\/i> \u00e9crivain, comme on aurait pu dire c’\u00e9tait leur<\/i> enfant. D\u00e9testable.<\/p>\n Comme ces m\u00e8res qui veulent garder leurs fils pour elles seules. Leur victoire : qu\u2019aucune autre femme ne puisse jamais les remplacer. \u00c0 moins que les fils ne se retournent, les massacrent pour en finir.<\/p>\n Inventaire des violences. Toujours le m\u00eame chemin. Pas de nostalgie. Juste une \u00e9nergie perdue, une r\u00e9sistance qui tourne \u00e0 vide.<\/p>\n Ne pas avoir \u00e9crit pendant vingt ans explique sans doute le d\u00e9calage que je ressens avec ceux qui se targuent d\u2019\u00e9crire. Comme si ce silence avait \u00e9t\u00e9 un passage oblig\u00e9. Ce qui est s\u00fbrement idiot.<\/p>\n J\u2019ai laiss\u00e9 Juliet pour Bernhard. Perturbations. Un m\u00e9decin et son fils traversent une r\u00e9gion autrichienne, croisent des figures de folie et de ruine. Le livre culmine dans la logorrh\u00e9e du prince Saurau, enferm\u00e9 dans son ch\u00e2teau.<\/p>\n Je l\u2019avais lu dans les ann\u00e9es 80. Cette fois, en le reprenant, une sensation \u00e9trange : comme une mise au point t\u00e9l\u00e9m\u00e9trique. On croit atteindre la nettet\u00e9, puis tout se brouille.<\/p>\n Relire est essentiel. Relire autrement, encore plus.<\/p>",
"content_text": "Tout contact rompu avec M-A. La vraie raison : ce feu o\u00f9 j\u2019ai jet\u00e9 mes carnets. Pas tant pour leur contenu que pour le sacrifice. La perte inconsolable. Le chantage \u2014 r\u00e9el ou imaginaire. \u201c\u00c9crire ou vivre.\u201d Pas de rancune. L\u2019incompr\u00e9hension, l\u2019\u00e9go\u00efsme \u2014 le sien, le mien. Ce jour-l\u00e0 j\u2019ai cru tout perdre. Vingt ans sans \u00e9crire. J\u2019ai choisi de vivre, et ce fut un calvaire. Plus de filet, plus d\u2019amortisseur. J\u2019ai d\u00e9val\u00e9 ces ann\u00e9es \u00e0 m\u2019en cabosser le corps entier. M-A, j\u2019esp\u00e8re, vit la vie qu\u2019elle voulait. Moi, il m\u2019arrive d\u2019avoir envie de tout d\u00e9truire. Appuyer sur \u201csuppr\u201d. M\u2019effacer. Juliet n\u2019aide pas. Ni ce cr\u00e9puscule de septembre. Le silence, je le supporte. C\u2019est l\u2019impossibilit\u00e9 de parler qui m\u2019\u00e9crase. Tout contact rompu avec M. Je n\u2019ai pas envie de nouvelles. La curiosit\u00e9 se l\u00e8ve, retombe en d\u00e9go\u00fbt. L\u2019affection reste, \u00e9touff\u00e9e. Perdre le contact est ma sp\u00e9cialit\u00e9. Je n\u2019attends pas qu\u2019on m\u2019\u00e9crive. C\u2019est une discipline. Une pr\u00e9paration. On meurt seul. De Juliet j\u2019ai retenu l\u2019ennui. Lire la m\u00eame chose, sans fin, sous tant de formes. Aussit\u00f4t la peur que mes textes fassent pareil. Ce qu\u2019il manque \u2014 et je n\u2019ai pas le droit de dire \u201cil manque\u201d \u2014 ce sont les moments quotidiens, pris dans la r\u00e9alit\u00e9. Trop rares. C\u2019est ce que j\u2019aime chez L\u00e9autaud, chez Calaferte : l\u2019attendrissement, les animaux, les col\u00e8res, les injustices. Un visage humain qui traverse. Dans T\u00e9n\u00e8bres en Terre froide, rien de tout cela. Je me souviens de G., et de M.H lorsqu\u2019elles parlaient de Juliet. Cette emprise qu\u2019elles convoquaient sous couvert de sentiments maternels. C'\u00e9tait {leur} \u00e9crivain, comme on aurait pu dire c'\u00e9tait {leur} enfant. D\u00e9testable. Comme ces m\u00e8res qui veulent garder leurs fils pour elles seules. Leur victoire : qu\u2019aucune autre femme ne puisse jamais les remplacer. \u00c0 moins que les fils ne se retournent, les massacrent pour en finir. Inventaire des violences. Toujours le m\u00eame chemin. Pas de nostalgie. Juste une \u00e9nergie perdue, une r\u00e9sistance qui tourne \u00e0 vide. Ne pas avoir \u00e9crit pendant vingt ans explique sans doute le d\u00e9calage que je ressens avec ceux qui se targuent d\u2019\u00e9crire. Comme si ce silence avait \u00e9t\u00e9 un passage oblig\u00e9. Ce qui est s\u00fbrement idiot. J\u2019ai laiss\u00e9 Juliet pour Bernhard. Perturbations. Un m\u00e9decin et son fils traversent une r\u00e9gion autrichienne, croisent des figures de folie et de ruine. Le livre culmine dans la logorrh\u00e9e du prince Saurau, enferm\u00e9 dans son ch\u00e2teau. Je l\u2019avais lu dans les ann\u00e9es 80. Cette fois, en le reprenant, une sensation \u00e9trange : comme une mise au point t\u00e9l\u00e9m\u00e9trique. On croit atteindre la nettet\u00e9, puis tout se brouille. Relire est essentiel. Relire autrement, encore plus.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-septembre-2025.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-septembre-2025.html",
"title": "28 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-28T08:46:38Z",
"date_modified": "2025-09-28T08:48:36Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " La premi\u00e8re chose qui surgit, sans secousse, c\u2019est le d\u00e9calage. Pr\u00e9sent depuis longtemps, mais soudain visible. Un nez. On discute sans y penser et, dans un silence bref, il appara\u00eet : excroissance \u00e9trange, deux trous, et juste en dessous une autre ouverture, plus large, garnie de dents. Une bouche. L\u2019\u00e9tranget\u00e9, c\u2019est \u00e7a : interroger ce qui ne s\u2019interroge jamais. Non pas un d\u00e9tail, mais une \u00e9vidence log\u00e9e au milieu du visage. Nous poss\u00e9dons tous ce nez, en m\u00eame temps qu\u2019il nous poss\u00e8de. Comme l\u2019index qui frotte l\u2019\u00e9cran. Le d\u00e9filement commence : images, annonces, miettes de phrases, un chien, une guerre, un sandwich. Tout s\u2019encha\u00eene sans ordre, comme si la machine connaissait le rythme de nos pupilles. On croit choisir, mais c\u2019est l\u2019\u0153il qui est choisi, l\u2019index happ\u00e9. La bouche reste close, tandis que le doigt scrolle, scrolle encore. Le v\u00e9ritable organe, c\u2019est le doigt. Fascinant et terrifiant \u00e0 la fois. Car l\u2019humanit\u00e9, c\u2019est la main. Qu\u2019elle soit r\u00e9duite aujourd\u2019hui au doigt et \u00e0 l\u2019\u0153il laisse perplexe. Comme si nous avions consenti \u00e0 cette ob\u00e9issance, \u00e0 cette croyance aveugle en des \u00e9vidences qui n\u2019en ont jamais \u00e9t\u00e9. Sans doute \u00e9crire sert-il \u00e0 cela. Je ne peux parler que pour moi, bien s\u00fbr. \u00c9crire me sert \u00e0 traverser les \u00e9vidences. C\u2019est ce qu\u2019on nommait autrefois, je crois, « enfoncer des portes ouvertes ».<\/p>\n Hier matin Su. est revenue. Je n\u2019\u00e9tais pas certain qu\u2019elle revienne \u00e0 cause du prix. Elle n\u2019a pas de ressources comme C., il y a quelques ann\u00e9es. C. nous passe d\u2019ailleurs le bonjour. S\u00e9ance agr\u00e9able, malgr\u00e9 la tristesse de Ca., qui avait enterr\u00e9 son b\u00e9lier au petit matin. \u00c0 un moment, elle me montre une photographie : elle voudrait en faire un tableau, dit-elle. Les cornes du b\u00e9lier, en spirale. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 la suite de Fibonacci, \u00e0 cette fa\u00e7on qu\u2019ont tant d\u2019\u00e9l\u00e9ments de s\u2019organiser en chaos apparent sous forme de spirale. Il faisait douze degr\u00e9s dans l\u2019atelier, mais j\u2019avais allum\u00e9 les radiateurs un peu \u00e0 l\u2019avance : on a atteint un bon dix-neuf.<\/p>\n Les chipolatas \u00e9taient succulentes, m\u2019avoue S., qui mange peu de viande. Puis nous sommes mont\u00e9s vers Lyon o\u00f9 L. et N. nous attendaient. Ils avaient trouv\u00e9 une place juste devant le Monoprix, rue de Cuire, ce qui nous a \u00e9vit\u00e9 de trop souffrir pour trimbaler cartons et sacs — toutes ces vieilleries que S. adore r\u00e9cup\u00e9rer pour ses vide-greniers. Au retour, discussion autour de la notion d\u2019appartement. Et si nous vendions la maison ? Et si nous trouvions un appartement ? J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 toutes ces vieilleries dont il faudrait d\u2019abord se d\u00e9barrasser avant un hypoth\u00e9tique d\u00e9m\u00e9nagement. Une grande partie de moi disait oui, riche id\u00e9e. Une petite r\u00e9sistait : apr\u00e8s tout ce que tu as v\u00e9cu ici, tout ce que tu as fait, cr\u00e9\u00e9, aim\u00e9, tu accepterais de tout quitter ? Et j\u2019ai reconnu ce gamin de neuf ans auquel je ressemble sans doute ces derniers temps. Ce gamin col\u00e9rique qu\u2019on bringuebalait de lieu en lieu, incapable de s\u2019enraciner.<\/p>",
"content_text": "La premi\u00e8re chose qui surgit, sans secousse, c\u2019est le d\u00e9calage. Pr\u00e9sent depuis longtemps, mais soudain visible. Un nez. On discute sans y penser et, dans un silence bref, il appara\u00eet : excroissance \u00e9trange, deux trous, et juste en dessous une autre ouverture, plus large, garnie de dents. Une bouche. L\u2019\u00e9tranget\u00e9, c\u2019est \u00e7a : interroger ce qui ne s\u2019interroge jamais. Non pas un d\u00e9tail, mais une \u00e9vidence log\u00e9e au milieu du visage. Nous poss\u00e9dons tous ce nez, en m\u00eame temps qu\u2019il nous poss\u00e8de. Comme l\u2019index qui frotte l\u2019\u00e9cran. Le d\u00e9filement commence : images, annonces, miettes de phrases, un chien, une guerre, un sandwich. Tout s\u2019encha\u00eene sans ordre, comme si la machine connaissait le rythme de nos pupilles. On croit choisir, mais c\u2019est l\u2019\u0153il qui est choisi, l\u2019index happ\u00e9. La bouche reste close, tandis que le doigt scrolle, scrolle encore. Le v\u00e9ritable organe, c\u2019est le doigt. Fascinant et terrifiant \u00e0 la fois. Car l\u2019humanit\u00e9, c\u2019est la main. Qu\u2019elle soit r\u00e9duite aujourd\u2019hui au doigt et \u00e0 l\u2019\u0153il laisse perplexe. Comme si nous avions consenti \u00e0 cette ob\u00e9issance, \u00e0 cette croyance aveugle en des \u00e9vidences qui n\u2019en ont jamais \u00e9t\u00e9. Sans doute \u00e9crire sert-il \u00e0 cela. Je ne peux parler que pour moi, bien s\u00fbr. \u00c9crire me sert \u00e0 traverser les \u00e9vidences. C\u2019est ce qu\u2019on nommait autrefois, je crois, \u00ab enfoncer des portes ouvertes \u00bb. Hier matin Su. est revenue. Je n\u2019\u00e9tais pas certain qu\u2019elle revienne \u00e0 cause du prix. Elle n\u2019a pas de ressources comme C., il y a quelques ann\u00e9es. C. nous passe d\u2019ailleurs le bonjour. S\u00e9ance agr\u00e9able, malgr\u00e9 la tristesse de Ca., qui avait enterr\u00e9 son b\u00e9lier au petit matin. \u00c0 un moment, elle me montre une photographie : elle voudrait en faire un tableau, dit-elle. Les cornes du b\u00e9lier, en spirale. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 la suite de Fibonacci, \u00e0 cette fa\u00e7on qu\u2019ont tant d\u2019\u00e9l\u00e9ments de s\u2019organiser en chaos apparent sous forme de spirale. Il faisait douze degr\u00e9s dans l\u2019atelier, mais j\u2019avais allum\u00e9 les radiateurs un peu \u00e0 l\u2019avance : on a atteint un bon dix-neuf. Les chipolatas \u00e9taient succulentes, m\u2019avoue S., qui mange peu de viande. Puis nous sommes mont\u00e9s vers Lyon o\u00f9 L. et N. nous attendaient. Ils avaient trouv\u00e9 une place juste devant le Monoprix, rue de Cuire, ce qui nous a \u00e9vit\u00e9 de trop souffrir pour trimbaler cartons et sacs \u2014 toutes ces vieilleries que S. adore r\u00e9cup\u00e9rer pour ses vide-greniers. Au retour, discussion autour de la notion d\u2019appartement. Et si nous vendions la maison ? Et si nous trouvions un appartement ? J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 toutes ces vieilleries dont il faudrait d\u2019abord se d\u00e9barrasser avant un hypoth\u00e9tique d\u00e9m\u00e9nagement. Une grande partie de moi disait oui, riche id\u00e9e. Une petite r\u00e9sistait : apr\u00e8s tout ce que tu as v\u00e9cu ici, tout ce que tu as fait, cr\u00e9\u00e9, aim\u00e9, tu accepterais de tout quitter ? Et j\u2019ai reconnu ce gamin de neuf ans auquel je ressemble sans doute ces derniers temps. Ce gamin col\u00e9rique qu\u2019on bringuebalait de lieu en lieu, incapable de s\u2019enraciner.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-septembre-2025.html",
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"title": "27 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-27T06:00:08Z",
"date_modified": "2025-09-27T06:06:19Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " J’ouvre \u00e0 nouveau T\u00e9n\u00e8bres en Terre Froide comme si je grattais une vieille plaie. La douleur vient de cette m\u00eame difficult\u00e9, diff\u00e9rente pourtant, que j’\u00e9prouvais alors au m\u00eame \u00e2ge. Dans d’autres circonstances, certes, mais je reconnais cette volont\u00e9, ce besoin vital, de suite contrari\u00e9 par l’incapacit\u00e9 de l’exprimer. Et aussit\u00f4t ces phrases pos\u00e9es, j’ai envie de les biffer : elles me r\u00e9v\u00e8lent mon impuissance, ma l\u00e2chet\u00e9. N’ai-je donc pas assez de recul, un peu de commis\u00e9ration envers nous deux, si semblables \u00e0 tous les jeunes gens. Comme si tu voulais encore \u00eatre jeune et t’indigner — mais l’indignation ne rend pas la jeunesse. Quant \u00e0 la vieillesse que tu nommes ainsi, c’est la m\u00eame chose, exactement la m\u00eame chose, sinon rien. Tu refuses de voir trouble, mais c’est ce qui se produit : la vue se brouille, l’entendement aussi, tu deviens brouillon dans la vieillesse comme tu l’\u00e9tais dans la jeunesse.<\/p>\n De l\u00e0 vient ton refuge dans le concept de brouillon, jusque sur ce site. Tout reste brouillon, en attente d’une mise au propre sans cesse repouss\u00e9e. Tu te brouilles avec toi-m\u00eame, puis avec le monde. La brouille d\u00e9borde : marge, campagne, pav\u00e9 des villes.<\/p>\n Et voici encore un bloc de texte pour dire peu. Une phrase suffirait, un mot : vuln\u00e9rable.<\/p>\n Aujourd’hui comme hier, et sans doute demain.<\/p>\n Et ce d\u00e9sir encore, ce d\u00e9sir d\u2019aller plus loin, plus en profondeur, comme si l\u2019insatisfaction se confondait avec la bri\u00e8vet\u00e9.<\/p>\n Normalement, c’est \u00e0 cet instant que tu parles de tout autre chose, pour fuir. Et si tu t’abstenais de le faire aujourd’hui.<\/p>",
"content_text": "J'ouvre \u00e0 nouveau T\u00e9n\u00e8bres en Terre Froide comme si je grattais une vieille plaie. La douleur vient de cette m\u00eame difficult\u00e9, diff\u00e9rente pourtant, que j'\u00e9prouvais alors au m\u00eame \u00e2ge. Dans d'autres circonstances, certes, mais je reconnais cette volont\u00e9, ce besoin vital, de suite contrari\u00e9 par l'incapacit\u00e9 de l'exprimer. Et aussit\u00f4t ces phrases pos\u00e9es, j'ai envie de les biffer : elles me r\u00e9v\u00e8lent mon impuissance, ma l\u00e2chet\u00e9. N'ai-je donc pas assez de recul, un peu de commis\u00e9ration envers nous deux, si semblables \u00e0 tous les jeunes gens. Comme si tu voulais encore \u00eatre jeune et t'indigner \u2014 mais l'indignation ne rend pas la jeunesse. Quant \u00e0 la vieillesse que tu nommes ainsi, c'est la m\u00eame chose, exactement la m\u00eame chose, sinon rien. Tu refuses de voir trouble, mais c'est ce qui se produit : la vue se brouille, l'entendement aussi, tu deviens brouillon dans la vieillesse comme tu l'\u00e9tais dans la jeunesse. De l\u00e0 vient ton refuge dans le concept de brouillon, jusque sur ce site. Tout reste brouillon, en attente d'une mise au propre sans cesse repouss\u00e9e. Tu te brouilles avec toi-m\u00eame, puis avec le monde. La brouille d\u00e9borde : marge, campagne, pav\u00e9 des villes. Et voici encore un bloc de texte pour dire peu. Une phrase suffirait, un mot : vuln\u00e9rable. Aujourd'hui comme hier, et sans doute demain. Et ce d\u00e9sir encore, ce d\u00e9sir d\u2019aller plus loin, plus en profondeur, comme si l\u2019insatisfaction se confondait avec la bri\u00e8vet\u00e9. Normalement, c'est \u00e0 cet instant que tu parles de tout autre chose, pour fuir. Et si tu t'abstenais de le faire aujourd'hui. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-septembre-2025.html",
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"title": "26 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-26T06:29:33Z",
"date_modified": "2025-09-26T06:39:35Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Je reviens aux pens\u00e9es enfantines. Ces id\u00e9es \u00e9tranges que j\u2019ai fini par taire. On appelait \u00e7a de l\u2019animisme, doubl\u00e9 d\u2019idiotie. On disait aussi que j\u2019avais un g\u00e9nie des nombres, tu\u00e9 net par l\u2019\u00e9cole des ann\u00e9es soixante, ses classes, ses cahiers. J\u2019ai \u00e9crit quelque part qu\u2019il suffit de croire pour devenir. La croyance comme moteur du travail. Rien de miraculeux. Une simple astuce. Mais une fois d\u00e9busqu\u00e9e, impossible d\u2019y croire encore. Alors surgit la question : d\u2019o\u00f9 vient-elle, cette croyance ? On comprend qu\u2019elle n\u2019est pas de soi. Elle vient d\u2019un h\u00e9ritage. Quelqu\u2019un, jadis, a voulu commencer quelque chose qu\u2019il n\u2019a pas pu finir. En nous demeure sa plainte, son inach\u00e8vement. Le plus faible de la fratrie la transporte, r\u00eave d\u2019un accomplissement possible. L\u2019id\u00e9e de g\u00e9nie n\u2019est qu\u2019une scorie, une poussi\u00e8re sur cette plainte.<\/p>\n Fermer les yeux. Se boucher les oreilles. Plisser les l\u00e8vres. Automne dehors, automne dedans. Arbre et feuilles.<\/p>\n Comment sera la litt\u00e9rature au XXII\u1d49 si\u00e8cle. Quand j\u2019\u00e9tais enfant, dans une galerie avec ma m\u00e8re, j\u2019avais trouv\u00e9 l\u2019exposition incompl\u00e8te. Pourquoi seulement l\u2019\u0153il et la cervelle ? Pourquoi pas le corps, l\u2019odeur, le pas qui monte et descend ? Apr\u00e8s l\u2019autofiction et le nombril, apr\u00e8s l\u2019anthropocentrisme, peut-\u00eatre viendra le temps o\u00f9 les pierres, l\u2019eau, la v\u00e9g\u00e9tation parleront enfin. Une langue commune. Un esp\u00e9ranto cosmique. Nous ne mangerons plus rien. Les vieilles faims, les vieilles soifs auront disparu avec la solitude et la haine.<\/p>\n illustration :<\/strong> Ansel Adams, Paysage de l’Ouest am\u00e9ricain Tout semblait normal. Tout continuait comme avant. Mais derri\u00e8re la fa\u00e7ade, non : rien n\u2019\u00e9tait plus comme avant. La vie se jouait dans un d\u00e9cor de carton-p\u00e2te. Nous le savions. Bien s\u00fbr que nous le savions. Le pi\u00e8ge s\u2019\u00e9tait referm\u00e9 : banques, cr\u00e9dits, salaires, \u00e9ch\u00e9ances.<\/p>\n — Et si tu plaques tout, si tu te tires, il se passe quoi ? dit Watt.<\/p>\n Molly est partie dans un long monologue. La l\u00e2chet\u00e9 des hommes en g\u00e9n\u00e9ral, celle de Watt en particulier.<\/p>\n Alors Watt a dit :\n Il avait crach\u00e9 le morceau.<\/p>\n \u00c7a ne l\u2019a pas r\u00e9jouie. Elle attendait un autre rebondissement. Pas un prince charmant, non. Mais au moins autre chose.<\/p>\n Si tu essaies de retrouver le poison des ann\u00e9es 80, tu t’apercevras que c’est le m\u00eame dans les ann\u00e9es 2000 puis 2020. *C\u00e9l\u00e9brit\u00e9 et pognon*. Voici comment la jeunesse est d\u00e9cim\u00e9e de g\u00e9n\u00e9ration en g\u00e9n\u00e9ration.<\/p>\n R\u00eaves : un tribunal ou quelque chose qui ressemble \u00e0 un tribunal, les juges sont en hauteur. Ils surplombent le mis en cause. —Qu’avez-vous \u00e0 dire pour votre d\u00e9fense ou quelque chose dans ce genre l\u00e0. Le mis en cause reste muet. Et pour cause on lui a cousu les l\u00e8vres.\n Il faut s’int\u00e9resser \u00e0 la qualit\u00e9 des pdf, blancs, mise en forme... et surtout ce petit trait de coupe en bas de page, fascinant.<\/p>",
"content_text": "Tout semblait normal. Tout continuait comme avant. Mais derri\u00e8re la fa\u00e7ade, non : rien n\u2019\u00e9tait plus comme avant. La vie se jouait dans un d\u00e9cor de carton-p\u00e2te. Nous le savions. Bien s\u00fbr que nous le savions. Le pi\u00e8ge s\u2019\u00e9tait referm\u00e9 : banques, cr\u00e9dits, salaires, \u00e9ch\u00e9ances. \u2014Et si tu plaques tout, si tu te tires, il se passe quoi ? dit Watt. Molly est partie dans un long monologue. La l\u00e2chet\u00e9 des hommes en g\u00e9n\u00e9ral, celle de Watt en particulier. Alors Watt a dit : \u2014Oui, je suis l\u00e2che. Tu as raison, Molly. Tu as raison sur toute la ligne. Il avait crach\u00e9 le morceau. \u00c7a ne l\u2019a pas r\u00e9jouie. Elle attendait un autre rebondissement. Pas un prince charmant, non. Mais au moins autre chose. Si tu essaies de retrouver le poison des ann\u00e9es 80, tu t'apercevras que c'est le m\u00eame dans les ann\u00e9es 2000 puis 2020. *C\u00e9l\u00e9brit\u00e9 et pognon*. Voici comment la jeunesse est d\u00e9cim\u00e9e de g\u00e9n\u00e9ration en g\u00e9n\u00e9ration. R\u00eaves : un tribunal ou quelque chose qui ressemble \u00e0 un tribunal, les juges sont en hauteur. Ils surplombent le mis en cause. \u2014Qu'avez-vous \u00e0 dire pour votre d\u00e9fense ou quelque chose dans ce genre l\u00e0. Le mis en cause reste muet. Et pour cause on lui a cousu les l\u00e8vres. --- second r\u00eave plus \u00e9rotique sans doute d\u00fb \u00e0 une vid\u00e9o vue hier concernant les brodeuses essayant de suivre le fil des po\u00e9tesses d\u00e9talant en improvisant. Des bas blancs et des petits bouts de chair comme des flashs. Et soudain horreur je me retrouve \u00e0 la D\u00e9fense, peut-\u00eatre au Feel One. Il pleut sur la dalle dehors, je suis seul sur le grand parvis, une ombre passe et je me retrouve \u00e0 courir derri\u00e8re, \u00e0 broder moi aussi. Il faut s'int\u00e9resser \u00e0 la qualit\u00e9 des pdf, blancs, mise en forme... et surtout ce petit trait de coupe en bas de page, fascinant. ",
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"title": "24 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-24T07:10:02Z",
"date_modified": "2025-09-24T07:14:50Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Lyon. E. montre ses mains. Blanches, veineuses. Aux doigts, un rouge \u00e9caill\u00e9, r\u00e9sidu d\u2019une semaine. La peau laisse voir l\u2019os. Elle ne mange presque plus. Une demi-quenelle, pas davantage. Mais la cr\u00e8me \u00e0 la vanille, un pot entier. Elle minaude, puis avale. Si maigre qu\u2019un souffle pourrait l\u2019emporter.<\/p>\n S. s\u2019\u00e9nerve. Leur lien, c\u2019est \u00e7a : col\u00e8re et miroir. Quand je pars, elles se calment. Sans observateur, le flux circule. Comme en physique : absence qui lib\u00e8re les ondes.<\/p>\n Je lis Kolt\u00e8s. Le mot or s\u2019impose. Or donc. Or ni car. Souvenir scolaire. Certains mots collent, d\u00e9tonnent, comme des vols. Alors, pourquoi pas une langue de voleur ?<\/p>\n Mais voler, pour moi, c\u2019\u00e9tait d\u00e9coller du sol. Quelques secondes. Retomber. Repartir. Vol de poulet. Dans le r\u00eave, je savais la faille, mais je n\u2019y changeais rien.<\/p>\n L\u2019enfer est peut-\u00eatre \u00e7a : voir l\u2019erreur, et malgr\u00e9 tout recommencer.<\/p>\n Un soir la nuit a d\u00e9cid\u00e9 de rester. Plus de soleil. Plus d\u2019\u00e9lectricit\u00e9. On ne voit pas sa main. On ferme les volets, on tire les rideaux, on allume des bougies qui saignent leur petite cire. La maison devient \u00eelot. On \u00e9coute : dehors, \u00e7a crie et \u00e7a chante des voix qu\u2019on reconna\u00eet. Une voix d\u2019enfant. Une voix qu\u2019on aimait. Elles raclent les portes. Elles supplient qu\u2019on ouvre.<\/p>\n Ils savent imiter. Ils savent appeler les noms. Ils savent parler comme si rien n\u2019avait chang\u00e9. On entend des doigts gratter le bois, des langues l\u00e8chent la serrure. La compassion, ici, p\u00e8se comme une pierre. Ouvrir, c\u2019est donner sa chair. Rester, c\u2019est laisser l\u2019autre hurler.<\/p>\n On attend. On compte les gouttes de cire. On boit \u00e0 petites lames de th\u00e9. On s\u2019apprend des mensonges : ce n\u2019est pas r\u00e9el, ce n\u2019est pas r\u00e9el. Mais la nuit a densit\u00e9, elle colle, elle entre par les fissures. Elle trouve des oreilles.<\/p>\n Et puis la pens\u00e9e d\u00e9barque, absurde, aigu\u00eb : nous qui parlons d\u2019humanit\u00e9, nous qui croquons du poulet, du b\u0153uf, du poisson — ne sommes-nous pas nous-m\u00eames des pr\u00e9dateurs ? Sous nos doigts graisseux, n\u2019avons-nous pas l\u2019\u0153il d\u2019un autre, la faim d\u2019une entit\u00e9 ? Si la compassion ouvre la porte, la voracit\u00e9 la creuse de l\u2019int\u00e9rieur.<\/p>\n Un enfant appelle. Sa voix est exactement la voix de l\u2019enfant qu\u2019on a aim\u00e9. On regarde la poign\u00e9e. La main tremble. On a sur la langue le go\u00fbt du blanc de poulet, le souvenir sal\u00e9 d\u2019un repas. Un petit rire, m\u00e9canique, s\u2019exhale de la nuit.<\/p>\n On l\u00e2che la poign\u00e9e. On recule. La bougie vacille. La nuit rit.<\/p>\n La garrulit\u00e9 r\u00f4de derri\u00e8re ces deux textes, ne lui ouvre pas la porte.<\/p>\n illustration : <\/strong> Main rouge lev\u00e9e, Egon Shiele 1910<\/p>",
"content_text": "Lyon. E. montre ses mains. Blanches, veineuses. Aux doigts, un rouge \u00e9caill\u00e9, r\u00e9sidu d\u2019une semaine. La peau laisse voir l\u2019os. Elle ne mange presque plus. Une demi-quenelle, pas davantage. Mais la cr\u00e8me \u00e0 la vanille, un pot entier. Elle minaude, puis avale. Si maigre qu\u2019un souffle pourrait l\u2019emporter. S. s\u2019\u00e9nerve. Leur lien, c\u2019est \u00e7a : col\u00e8re et miroir. Quand je pars, elles se calment. Sans observateur, le flux circule. Comme en physique : absence qui lib\u00e8re les ondes. Je lis Kolt\u00e8s. Le mot or s\u2019impose. Or donc. Or ni car. Souvenir scolaire. Certains mots collent, d\u00e9tonnent, comme des vols. Alors, pourquoi pas une langue de voleur ? Mais voler, pour moi, c\u2019\u00e9tait d\u00e9coller du sol. Quelques secondes. Retomber. Repartir. Vol de poulet. Dans le r\u00eave, je savais la faille, mais je n\u2019y changeais rien. L\u2019enfer est peut-\u00eatre \u00e7a : voir l\u2019erreur, et malgr\u00e9 tout recommencer. {{id\u00e9e d'histoire \u00e0 partir de}} : { Pendant les trois jours de noirceur, il n'y aura plus de d\u00e9mons en enfer. Ils seront tous sur terre. Ces trois jours seront si noirs que quelqu'un ne pourra voir ses propres mains. Ceux qui ne seront pas en \u00e9tat de gr\u00e2ce mourront de frayeur provoqu\u00e9e par la vue d'horribles d\u00e9mons ou bien ils mourront de d\u00e9mence.} Un soir la nuit a d\u00e9cid\u00e9 de rester. Plus de soleil. Plus d\u2019\u00e9lectricit\u00e9. On ne voit pas sa main. On ferme les volets, on tire les rideaux, on allume des bougies qui saignent leur petite cire. La maison devient \u00eelot. On \u00e9coute : dehors, \u00e7a crie et \u00e7a chante des voix qu\u2019on reconna\u00eet. Une voix d\u2019enfant. Une voix qu\u2019on aimait. Elles raclent les portes. Elles supplient qu\u2019on ouvre. Ils savent imiter. Ils savent appeler les noms. Ils savent parler comme si rien n\u2019avait chang\u00e9. On entend des doigts gratter le bois, des langues l\u00e8chent la serrure. La compassion, ici, p\u00e8se comme une pierre. Ouvrir, c\u2019est donner sa chair. Rester, c\u2019est laisser l\u2019autre hurler. On attend. On compte les gouttes de cire. On boit \u00e0 petites lames de th\u00e9. On s\u2019apprend des mensonges : ce n\u2019est pas r\u00e9el, ce n\u2019est pas r\u00e9el. Mais la nuit a densit\u00e9, elle colle, elle entre par les fissures. Elle trouve des oreilles. Et puis la pens\u00e9e d\u00e9barque, absurde, aigu\u00eb : nous qui parlons d\u2019humanit\u00e9, nous qui croquons du poulet, du b\u0153uf, du poisson \u2014 ne sommes-nous pas nous-m\u00eames des pr\u00e9dateurs ? Sous nos doigts graisseux, n\u2019avons-nous pas l\u2019\u0153il d\u2019un autre, la faim d\u2019une entit\u00e9 ? Si la compassion ouvre la porte, la voracit\u00e9 la creuse de l\u2019int\u00e9rieur. Un enfant appelle. Sa voix est exactement la voix de l\u2019enfant qu\u2019on a aim\u00e9. On regarde la poign\u00e9e. La main tremble. On a sur la langue le go\u00fbt du blanc de poulet, le souvenir sal\u00e9 d\u2019un repas. Un petit rire, m\u00e9canique, s\u2019exhale de la nuit. On l\u00e2che la poign\u00e9e. On recule. La bougie vacille. La nuit rit. La garrulit\u00e9 r\u00f4de derri\u00e8re ces deux textes, ne lui ouvre pas la porte. {{illustration : }} Main rouge lev\u00e9e, Egon Shiele 1910 ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"title": "23 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-23T02:47:28Z",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Kolt\u00e8s. D\u00e8s lors et pour un temps<\/i>. La phrase s\u2019enclenche comme une machine administrative. Vide. On administre. Une correction aussi, dans la chair.<\/p>\n L\u2019automne tombe d\u2019un coup. Froid, pluie. Mais le climat n\u2019est plus une excuse. Ni gai ni triste. Entre deux. Plus simple de se dire : je ne sais rien.<\/p>\n R\u00e9\u00e9crire, c\u2019est me d\u00e9membrer. Puis voir surgir un texte qui n\u2019est pas moi, pas l\u2019autre. J\u2019aime ce d\u00e9placement. \u00c9crire ici, c\u2019est \u00e7a : rien chercher, juste laisser venir.<\/p>\n \u00c0 l\u2019\u00e9tage, au-dessus de l’atelier, tout est rest\u00e9 comme il y a dix ans. Meubles paternels, cartons, vieilles toiles. Et le bois. Tas de bois \u00e9norme. Peur de jeter, fantasme du « \u00e7a peut servir ». D\u00e9faut de confiance en l\u2019avenir.<\/p>\n D\u00e8s lors et pour un temps. Il faudrait apprendre \u00e0 jeter. Ou au moins lever la main, la laisser tomber.<\/p>",
"content_text": "Kolt\u00e8s. {D\u00e8s lors et pour un temps}. La phrase s\u2019enclenche comme une machine administrative. Vide. On administre. Une correction aussi, dans la chair. L\u2019automne tombe d\u2019un coup. Froid, pluie. Mais le climat n\u2019est plus une excuse. Ni gai ni triste. Entre deux. Plus simple de se dire : je ne sais rien. R\u00e9\u00e9crire, c\u2019est me d\u00e9membrer. Puis voir surgir un texte qui n\u2019est pas moi, pas l\u2019autre. J\u2019aime ce d\u00e9placement. \u00c9crire ici, c\u2019est \u00e7a : rien chercher, juste laisser venir. \u00c0 l\u2019\u00e9tage, au-dessus de l'atelier, tout est rest\u00e9 comme il y a dix ans. Meubles paternels, cartons, vieilles toiles. Et le bois. Tas de bois \u00e9norme. Peur de jeter, fantasme du \u00ab \u00e7a peut servir \u00bb. D\u00e9faut de confiance en l\u2019avenir. D\u00e8s lors et pour un temps. Il faudrait apprendre \u00e0 jeter. Ou au moins lever la main, la laisser tomber.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-septembre-2025.html",
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"title": "22 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-22T07:20:17Z",
"date_modified": "2025-09-23T07:13:30Z",
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"content_html": " Cette \u00e9trange mentalit\u00e9, aristocratique plus que petite-bourgeoise, cette maladie obstin\u00e9e qui persiste \u00e0 consid\u00e9rer l\u2019argent comme de la merde et, dans le m\u00eame mouvement, \u00e0 se complaire dans son absence, comme si le manque lui-m\u00eame devenait une forme de distinction, tout en caressant malgr\u00e9 soi l\u2019id\u00e9e — vague, honteuse, presque interdite — qu\u2019un jour, par un retournement aussi impr\u00e9visible qu\u2019esp\u00e9r\u00e9 sans vraiment l\u2019\u00eatre, la roue se d\u00e9cidera \u00e0 tourner et que l\u2019on retrouvera alors son rang, sa noblesse, non par le travail ni par l\u2019effort ni par la patience, mais au terme d\u2019une suite d\u2019op\u00e9rations hasardeuses, hasardeuses au point d\u2019en \u00eatre risibles, qu\u2019on s\u2019empressera aussit\u00f4t, pour se pr\u00e9server, pour sauver la fa\u00e7ade, de rebaptiser d\u2019un nom plus digne, plus acceptable, presque solennel : Providence, cette mentalit\u00e9 enfantine — peut-\u00eatre, \u00e0 ce stade, le doute est-il encore permis — mais le doute, \u00e0 l\u2019instar du manque, n\u2019est-il pas du m\u00eame ordre, invers\u00e9, dont tu te sers depuis toujours pour t\u2019expliquer \u00e0 toi-m\u00eame, surtout cette obsession d\u2019indigence chronique, miroir parfait de cette autre obsession, celle d\u2019une abondance dont tu ne saurais que faire parce que le verbe t\u2019\u00e9voque cette chose sombre, souterraine, abjecte et r\u00e9pugnante, ce fer dont on se sert pour imposer sa force, son pouvoir en \u00e9crasant l\u2019autre d\u2019un point \u00e0 l\u2019autre de la plan\u00e8te, ce fer qui p\u00e9n\u00e8tre les chairs, qui d\u00e9truit des vies, qui ruine les projets modestes b\u00e2tis de p\u00e8re en fils, ce fer dans la paume de qui domine parce qu\u2019il poss\u00e8de, lui, l\u2019argent, le choix, la d\u00e9cision de t\u2019an\u00e9antir quand bon lui semble, et cette rage — cette folie qu\u2019apporte cette rage, exactement semblable \u00e0 la folie du pouvoir — que tu ne pourras jamais, toi, montrer vraiment parce que la loi, bien s\u00fbr, r\u00e8gne d\u00e9sormais dans ton cr\u00e2ne, \u00e9missaire bouffon de ceux qui poss\u00e8dent cet argent, ce pouvoir, cette m\u00eame folie que la tienne mais par cooptation, par association, par malignit\u00e9 et supercherie, et qui ne te renvoient jamais que devant le m\u00eame mur, ce mur de la honte que tu reconnais aussit\u00f4t, que tu avais d\u00e9j\u00e0 rencontr\u00e9, que tu retrouves encore et contre lequel tu t\u2019appuies d\u2019abord pour tenir puis pour c\u00e9der, jusqu\u2019\u00e0 n\u2019avoir plus de front, plus de mots, seulement ce mart\u00e8lement sourd — ta plainte, ta col\u00e8re, ta honte — mais cela aussi fait partie du proc\u00e9d\u00e9 : t\u2019occuper ainsi, te laisser dans ce tr\u00e9pignement tandis qu\u2019ils s\u2019engraissent encore et encore en se moquant de toi et de ton tr\u00e9pignement, et qu\u2019ils refondent ainsi toute une \u00e9chelle de valeurs dont tu seras l\u2019exclu, parce que pour eux \u00eatre c\u2019est exclure, parce que pour eux \u00eatre c\u2019est avoir, et qu\u2019ils passent le plus clair de leur temps \u00e0 t\u2019avoir — regarde, regarde comme ils t\u2019ont, ils t\u2019ont comme ils ont eu ton p\u00e8re et tous les autres avant, et probablement tous ceux qui viendront apr\u00e8s, et \u00e7a n\u2019aura jamais de cesse, tu le sais \u00e0 pr\u00e9sent, \u00e7a ne s\u2019arr\u00eatera qu\u2019au terme de tous les g\u00e9nocides, quand ils seront seuls les uns face aux autres, tous ceux de la m\u00eame caste, et qu\u2019ils d\u00e9couvriront que leur haine de l\u2019autre n\u2019est que haine d\u2019eux-m\u00eames, et qu\u2019ils s\u2019entretueront une derni\u00e8re fois encore, sous la vo\u00fbte \u00e9toil\u00e9e, devant le regard des \u00e9toiles indiff\u00e9rentes, d\u2019un univers qui ignore leur existence et qui, la conna\u00eetrait-il, resterait muet, incapable du moindre jugement — et c\u2019est alors, dans ce silence cosmique, que tu sens l\u2019amertume descendre d\u00e9j\u00e0 dans ton corps comme une coul\u00e9e souterraine, et qu\u2019elle s\u2019installe, patiente, dans tes veines jusqu\u2019\u00e0 devenir ce poids qui te fait vieux d\u2019un coup, qui te fatigue, qui t\u2019\u00e9teint dans cette surdit\u00e9 volontaire face \u00e0 leur bruit comme au tien, car les cris et les pleurs n\u2019y changeront rien, tout cela est au programme de la perte de temps d\u00e9cid\u00e9e en amont, et si par ce que tu nommes encore hasard l\u2019id\u00e9e te prenait de te lever pour marcher vers eux et les d\u00e9truire jusqu\u2019au dernier, les derniers seraient aussit\u00f4t remplac\u00e9s par d\u2019autres dont tu ne saurais m\u00eame pas que tu fais partie — et quel effroi soudain de t\u2019apercevoir que tu en fais partie, ind\u00e9niablement tu en fais partie, comme chacun de nous, diront-ils dans leur dernier souffle en ricanant, fiers d\u2019avoir renvers\u00e9 leur \u00e9chelle pour b\u00e2tir le gouffre, et dans ce gouffre tu tombes, tu tomberas avec eux.<\/p>",
"content_text": " Cette \u00e9trange mentalit\u00e9, aristocratique plus que petite-bourgeoise, cette maladie obstin\u00e9e qui persiste \u00e0 consid\u00e9rer l\u2019argent comme de la merde et, dans le m\u00eame mouvement, \u00e0 se complaire dans son absence, comme si le manque lui-m\u00eame devenait une forme de distinction, tout en caressant malgr\u00e9 soi l\u2019id\u00e9e \u2014 vague, honteuse, presque interdite \u2014 qu\u2019un jour, par un retournement aussi impr\u00e9visible qu\u2019esp\u00e9r\u00e9 sans vraiment l\u2019\u00eatre, la roue se d\u00e9cidera \u00e0 tourner et que l\u2019on retrouvera alors son rang, sa noblesse, non par le travail ni par l\u2019effort ni par la patience, mais au terme d\u2019une suite d\u2019op\u00e9rations hasardeuses, hasardeuses au point d\u2019en \u00eatre risibles, qu\u2019on s\u2019empressera aussit\u00f4t, pour se pr\u00e9server, pour sauver la fa\u00e7ade, de rebaptiser d\u2019un nom plus digne, plus acceptable, presque solennel : Providence, cette mentalit\u00e9 enfantine \u2014 peut-\u00eatre, \u00e0 ce stade, le doute est-il encore permis \u2014 mais le doute, \u00e0 l\u2019instar du manque, n\u2019est-il pas du m\u00eame ordre, invers\u00e9, dont tu te sers depuis toujours pour t\u2019expliquer \u00e0 toi-m\u00eame, surtout cette obsession d\u2019indigence chronique, miroir parfait de cette autre obsession, celle d\u2019une abondance dont tu ne saurais que faire parce que le verbe t\u2019\u00e9voque cette chose sombre, souterraine, abjecte et r\u00e9pugnante, ce fer dont on se sert pour imposer sa force, son pouvoir en \u00e9crasant l\u2019autre d\u2019un point \u00e0 l\u2019autre de la plan\u00e8te, ce fer qui p\u00e9n\u00e8tre les chairs, qui d\u00e9truit des vies, qui ruine les projets modestes b\u00e2tis de p\u00e8re en fils, ce fer dans la paume de qui domine parce qu\u2019il poss\u00e8de, lui, l\u2019argent, le choix, la d\u00e9cision de t\u2019an\u00e9antir quand bon lui semble, et cette rage \u2014 cette folie qu\u2019apporte cette rage, exactement semblable \u00e0 la folie du pouvoir \u2014 que tu ne pourras jamais, toi, montrer vraiment parce que la loi, bien s\u00fbr, r\u00e8gne d\u00e9sormais dans ton cr\u00e2ne, \u00e9missaire bouffon de ceux qui poss\u00e8dent cet argent, ce pouvoir, cette m\u00eame folie que la tienne mais par cooptation, par association, par malignit\u00e9 et supercherie, et qui ne te renvoient jamais que devant le m\u00eame mur, ce mur de la honte que tu reconnais aussit\u00f4t, que tu avais d\u00e9j\u00e0 rencontr\u00e9, que tu retrouves encore et contre lequel tu t\u2019appuies d\u2019abord pour tenir puis pour c\u00e9der, jusqu\u2019\u00e0 n\u2019avoir plus de front, plus de mots, seulement ce mart\u00e8lement sourd \u2014 ta plainte, ta col\u00e8re, ta honte \u2014 mais cela aussi fait partie du proc\u00e9d\u00e9 : t\u2019occuper ainsi, te laisser dans ce tr\u00e9pignement tandis qu\u2019ils s\u2019engraissent encore et encore en se moquant de toi et de ton tr\u00e9pignement, et qu\u2019ils refondent ainsi toute une \u00e9chelle de valeurs dont tu seras l\u2019exclu, parce que pour eux \u00eatre c\u2019est exclure, parce que pour eux \u00eatre c\u2019est avoir, et qu\u2019ils passent le plus clair de leur temps \u00e0 t\u2019avoir \u2014 regarde, regarde comme ils t\u2019ont, ils t\u2019ont comme ils ont eu ton p\u00e8re et tous les autres avant, et probablement tous ceux qui viendront apr\u00e8s, et \u00e7a n\u2019aura jamais de cesse, tu le sais \u00e0 pr\u00e9sent, \u00e7a ne s\u2019arr\u00eatera qu\u2019au terme de tous les g\u00e9nocides, quand ils seront seuls les uns face aux autres, tous ceux de la m\u00eame caste, et qu\u2019ils d\u00e9couvriront que leur haine de l\u2019autre n\u2019est que haine d\u2019eux-m\u00eames, et qu\u2019ils s\u2019entretueront une derni\u00e8re fois encore, sous la vo\u00fbte \u00e9toil\u00e9e, devant le regard des \u00e9toiles indiff\u00e9rentes, d\u2019un univers qui ignore leur existence et qui, la conna\u00eetrait-il, resterait muet, incapable du moindre jugement \u2014 et c\u2019est alors, dans ce silence cosmique, que tu sens l\u2019amertume descendre d\u00e9j\u00e0 dans ton corps comme une coul\u00e9e souterraine, et qu\u2019elle s\u2019installe, patiente, dans tes veines jusqu\u2019\u00e0 devenir ce poids qui te fait vieux d\u2019un coup, qui te fatigue, qui t\u2019\u00e9teint dans cette surdit\u00e9 volontaire face \u00e0 leur bruit comme au tien, car les cris et les pleurs n\u2019y changeront rien, tout cela est au programme de la perte de temps d\u00e9cid\u00e9e en amont, et si par ce que tu nommes encore hasard l\u2019id\u00e9e te prenait de te lever pour marcher vers eux et les d\u00e9truire jusqu\u2019au dernier, les derniers seraient aussit\u00f4t remplac\u00e9s par d\u2019autres dont tu ne saurais m\u00eame pas que tu fais partie \u2014 et quel effroi soudain de t\u2019apercevoir que tu en fais partie, ind\u00e9niablement tu en fais partie, comme chacun de nous, diront-ils dans leur dernier souffle en ricanant, fiers d\u2019avoir renvers\u00e9 leur \u00e9chelle pour b\u00e2tir le gouffre, et dans ce gouffre tu tombes, tu tomberas avec eux. 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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-septembre-2025.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-septembre-2025.html",
"title": "21 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-21T05:48:58Z",
"date_modified": "2025-09-21T06:17:01Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Ne plus rien voir, ne plus rien entendre : juste l\u2019\u00e9lan nu d\u2019aller jusqu\u2019aux limites, les franchir d\u2019un pas sec, sans se retourner. Une pulsion de coupure, avant les mots, pour \u00e9prouver si le vide peut tenir lieu de monde.<\/p>\n Cette \u00e9pid\u00e9mie de solitude qui frappe l’humanit\u00e9 est sans pr\u00e9c\u00e9dent. Il fallait qu’elle advienne dans une \u00e9poque marqu\u00e9e par la communication \u00e0 outrance.<\/p>\n Communiquer ce n’est pas cr\u00e9er une chapelle, une \u00e9glise, encore moins une « religion ». \u00e0 moins que si justement, ce ne soit pr\u00e9cis\u00e9ment que cela.<\/p>\n Le bourdonnement d’une mouche je m’\u00e9fforce de ne pas l’entendre. Idem pour ce moteur dans le voisinage. Idem pour l’avertissement diffus\u00e9 par les hauts parleurs, ceux de la gare proche, pouss\u00e9s par le vent. Idem pour tout ce qui rumine en moi, tout au fond de moi. S’efforcer est-il le bon mot, je ne crois pas. Non, j’\u00e9cris et en m\u00eame temps que j’\u00e9cris tout cela je franchis cette fronti\u00e8re. Me voici dans mon propre d\u00e9sert soudain, je m’en rends compte \u00e0 pr\u00e9sent.<\/p>\n Illustration<\/strong> Etat-d’\u00e2me-Les-adieux-2-Boccioni<\/a> , 1911<\/p>",
"content_text": " Ne plus rien voir, ne plus rien entendre : juste l\u2019\u00e9lan nu d\u2019aller jusqu\u2019aux limites, les franchir d\u2019un pas sec, sans se retourner. Une pulsion de coupure, avant les mots, pour \u00e9prouver si le vide peut tenir lieu de monde. --- Cette \u00e9pid\u00e9mie de solitude qui frappe l'humanit\u00e9 est sans pr\u00e9c\u00e9dent. Il fallait qu'elle advienne dans une \u00e9poque marqu\u00e9e par la communication \u00e0 outrance. --- Communiquer ce n'est pas cr\u00e9er une chapelle, une \u00e9glise, encore moins une \"religion\". \u00e0 moins que si justement, ce ne soit pr\u00e9cis\u00e9ment que cela. --- Le bourdonnement d'une mouche je m'\u00e9fforce de ne pas l'entendre. Idem pour ce moteur dans le voisinage. Idem pour l'avertissement diffus\u00e9 par les hauts parleurs, ceux de la gare proche, pouss\u00e9s par le vent. Idem pour tout ce qui rumine en moi, tout au fond de moi. S'efforcer est-il le bon mot, je ne crois pas. Non, j'\u00e9cris et en m\u00eame temps que j'\u00e9cris tout cela je franchis cette fronti\u00e8re. Me voici dans mon propre d\u00e9sert soudain, je m'en rends compte \u00e0 pr\u00e9sent. **Illustration** Etat-d'\u00e2me-Les-adieux-2-[Boccioni->https:\/\/ledibbouk.net\/le-reve-d-intemporalite.html] , 1911 ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/etat-d_ame-les-adieux-2-boccioni.jpg?1758433539",
"tags": ["Autofiction et Introspection", "peintres", "dispositif"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-septembre-2025.html",
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"title": "20 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-20T07:04:55Z",
"date_modified": "2025-09-20T07:04:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Quelques efforts physiques. Fini de d\u00e9barrasser la cave : j\u2019y ai remont\u00e9 huit carcasses d\u2019ordinateur, emball\u00e9es dans du plastique. J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 pas mal de composants — disques durs, m\u00e9moire, un ou deux ventilateurs, quelques alimentations. Que faire de ces carcasses ? Les emporter \u00e0 la d\u00e9ch\u00e8terie, certainement. Dire adieu \u00e0 quelque chose que je ne sais pas d\u00e9finir. Je n\u2019ai pas envie de le d\u00e9finir. Toujours une grande tristesse de jeter tout \u00e7a, puis ce dr\u00f4le de soulagement, physique, d\u2019\u00eatre all\u00e9g\u00e9 d\u2019un poids. Un poids de quoi ? Peu importe.<\/p>\n J\u2019\u00e9cris pour moi.<\/p>\n Si je me dis que j\u2019\u00e9cris pour d\u2019autres, \u00e7a ne marche pas.\nLes poses.<\/p>\n Cette horreur de la pose m\u2019est venue d\u2019un seul coup.<\/p>\n La pose, dans tout, m\u2019horripile — bien au-del\u00e0 du paragraphe, du moment pr\u00e9sent.<\/p>\n En m\u00eame temps il faut poser, faire semblant. Sinon tu n\u2019as pas d\u2019\u00e9l\u00e8ves, ils partent. Tu ne peux rien faire sans poser. Pas de r\u00e9v\u00e9lation argentique sans ce foutu temps de pose.<\/p>\n Ne laisse pas tra\u00eener les \u00e9preuves trop longtemps dans le fixateur.<\/p>\n Ensuite il y a pose et pose : l\u2019amabilit\u00e9, le calcul de la bonne distance. Mais quelle \u00e9nergie \u00e7a demande. Plus \u00e7a va, moins j\u2019ai envie de d\u00e9penser cette \u00e9nergie. En tout cas pas partout, pas avec n\u2019importe qui. De toute fa\u00e7on mon principal client, c\u2019est moi : j\u2019arrive \u00e0 me pomper sans vergogne. Le prix \u00e0 payer : nuits d\u2019insomnie, sensation d\u2019\u00eatre un singleton perdu dans l\u2019espace intersid\u00e9ral, surtout celle d\u2019\u00eatre vieux, faible, vuln\u00e9rable.<\/p>\n Me dire « \u00e7a suffit, rel\u00e8ve-toi, bouge » ne me convainc plus. \u00c7a ne m\u2019a jamais convaincu, sans doute. Une sorte de mantra qui ne marche plus. Comme toutes ces choses invent\u00e9es pour ne pas s\u2019effondrer en pleine rue. Elles ne marchent plus. On tient malgr\u00e9 tout, je ne sais pas comment. Bien en peine de le dire aussi.<\/p>\n Du charabia. Tu pourrais l\u2019effacer, \u00e7a ne changerait rien. Il s\u2019est install\u00e9, il suce la moelle. N\u2019attends pas d\u2019ordre. Laisse aller le charabia.<\/p>\n Je tiens dans le verbe tenir, repli\u00e9 en lui, transport\u00e9 en lui, comme dans un ventre.<\/p>",
"content_text": " Quelques efforts physiques. Fini de d\u00e9barrasser la cave : j\u2019y ai remont\u00e9 huit carcasses d\u2019ordinateur, emball\u00e9es dans du plastique. J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 pas mal de composants \u2014 disques durs, m\u00e9moire, un ou deux ventilateurs, quelques alimentations. Que faire de ces carcasses ? Les emporter \u00e0 la d\u00e9ch\u00e8terie, certainement. Dire adieu \u00e0 quelque chose que je ne sais pas d\u00e9finir. Je n\u2019ai pas envie de le d\u00e9finir. Toujours une grande tristesse de jeter tout \u00e7a, puis ce dr\u00f4le de soulagement, physique, d\u2019\u00eatre all\u00e9g\u00e9 d\u2019un poids. Un poids de quoi ? Peu importe. J\u2019\u00e9cris pour moi. Si je me dis que j\u2019\u00e9cris pour d\u2019autres, \u00e7a ne marche pas. Les poses. Cette horreur de la pose m\u2019est venue d\u2019un seul coup. La pose, dans tout, m\u2019horripile \u2014 bien au-del\u00e0 du paragraphe, du moment pr\u00e9sent. En m\u00eame temps il faut poser, faire semblant. Sinon tu n\u2019as pas d\u2019\u00e9l\u00e8ves, ils partent. Tu ne peux rien faire sans poser. Pas de r\u00e9v\u00e9lation argentique sans ce foutu temps de pose. Ne laisse pas tra\u00eener les \u00e9preuves trop longtemps dans le fixateur. Ensuite il y a pose et pose : l\u2019amabilit\u00e9, le calcul de la bonne distance. Mais quelle \u00e9nergie \u00e7a demande. Plus \u00e7a va, moins j\u2019ai envie de d\u00e9penser cette \u00e9nergie. En tout cas pas partout, pas avec n\u2019importe qui. De toute fa\u00e7on mon principal client, c\u2019est moi : j\u2019arrive \u00e0 me pomper sans vergogne. Le prix \u00e0 payer : nuits d\u2019insomnie, sensation d\u2019\u00eatre un singleton perdu dans l\u2019espace intersid\u00e9ral, surtout celle d\u2019\u00eatre vieux, faible, vuln\u00e9rable. Me dire \u00ab \u00e7a suffit, rel\u00e8ve-toi, bouge \u00bb ne me convainc plus. \u00c7a ne m\u2019a jamais convaincu, sans doute. Une sorte de mantra qui ne marche plus. Comme toutes ces choses invent\u00e9es pour ne pas s\u2019effondrer en pleine rue. Elles ne marchent plus. On tient malgr\u00e9 tout, je ne sais pas comment. Bien en peine de le dire aussi. Du charabia. Tu pourrais l\u2019effacer, \u00e7a ne changerait rien. Il s\u2019est install\u00e9, il suce la moelle. N\u2019attends pas d\u2019ordre. Laisse aller le charabia. Je tiens dans le verbe tenir, repli\u00e9 en lui, transport\u00e9 en lui, comme dans un ventre. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-septembre-2025.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-septembre-2025.html",
"title": "19 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-19T07:41:02Z",
"date_modified": "2025-09-19T07:41:11Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " R\u00e9veil \u00e0 00h15. Peut-\u00eatre mon imagination (ma folie ?) : impression persistante de d\u00e9connexion. Comme si j\u2019avais travers\u00e9 des voiles de r\u00e9el pour me retrouver en terre inconnue. Je ne reconnais plus rien. Les mots qu\u2019on me dit, les injonctions, les mots d\u2019ordre : je les rep\u00e8re aussit\u00f4t pour ce qu\u2019ils sont mais ils n\u2019ont aucune prise sur ma volont\u00e9. Je les entends, je ne les \u00e9coute pas. En faire qu\u2019\u00e0 sa t\u00eate, disait-on autrefois. Comme si ces injonctions s\u2019adressaient \u00e0 un double — celui qui vit dans cette fr\u00e9quence nomm\u00e9e r\u00e9alit\u00e9 par la plupart de ceux que je c\u00f4toie.<\/p>\n Je ne suis pas dupe. C\u2019est une anomalie de ne pas l\u2019\u00eatre. Une anomalie que je paie cher, sans en \u00eatre responsable. J\u2019ai multipli\u00e9 les efforts pour appartenir \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9, tenaces, r\u00e9guliers, mais tout s\u2019est toujours sold\u00e9 par un effondrement. Alors je me retrouve projet\u00e9 \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de cette fameuse r\u00e9alit\u00e9, dans un no man\u2019s land devenu presque un chez soi.<\/p>\n Et si ce que nous appelons rationnel, raisonnable n\u2019\u00e9tait que la plus monstrueuse des fictions ? Aussit\u00f4t mes frayeurs d\u2019enfant reviennent. Des squelettes d\u00e9valent l\u2019escalier du grenier derri\u00e8re la porte de la chambre. Le rideau rouge de la penderie s\u2019entrouvre : la B\u00eate du G\u00e9vaudan surgit avec un rictus abominable, tentative grotesque de compassion.<\/p>\n Recouch\u00e9 \u00e0 4 h, apr\u00e8s une nuit de code. En filigrane : une pens\u00e9e insistante — s\u2019enfoncer de plus en plus profond\u00e9ment, vers quoi ? J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 connu cette sensation enfant ; je m\u2019\u00e9tais \u00e9vanoui. Et si j\u2019inventais le monde autour de moi ? Dans ce cas, qui suis-je ?<\/p>\n C\u2019est \u00e0 la fois r\u00e9pugnant et attirant. L\u2019aspect r\u00e9pugnant prime, et c\u2019est pour cela qu\u2019il m\u2019attire. Enfin en avoir le c\u0153ur net<\/em>. <\/p>\n Dans mes cauchemars, je les voyais : des cr\u00e9atures toxiques. Leur toxicit\u00e9 ne venait pas d\u2019un jugement moral mais du fait qu\u2019elles me pompaient une \u00e9nergie inou\u00efe. C\u2019\u00e9tait leur nature. Ceci expliquant en partie mon impossibilit\u00e9 d\u2019avoir des enfants. J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 cette cohorte aux basques \u00e0 six ans, et cette obligation de responsabilit\u00e9 envers elle.<\/p>\n J’\u00e9tais le p\u00e8re de mon p\u00e8re, le p\u00e8re de mon grand-p\u00e8re, le p\u00e8re de tous mes a\u00efeux — charg\u00e9 de tenir, \u00e0 bout de bras, les enfants qui n’allaient jamais na\u00eetre.<\/p>",
"content_text": " R\u00e9veil \u00e0 00h15. Peut-\u00eatre mon imagination (ma folie ?) : impression persistante de d\u00e9connexion. Comme si j\u2019avais travers\u00e9 des voiles de r\u00e9el pour me retrouver en terre inconnue. Je ne reconnais plus rien. Les mots qu\u2019on me dit, les injonctions, les mots d\u2019ordre : je les rep\u00e8re aussit\u00f4t pour ce qu\u2019ils sont mais ils n\u2019ont aucune prise sur ma volont\u00e9. Je les entends, je ne les \u00e9coute pas. En faire qu\u2019\u00e0 sa t\u00eate, disait-on autrefois. Comme si ces injonctions s\u2019adressaient \u00e0 un double \u2014 celui qui vit dans cette fr\u00e9quence nomm\u00e9e r\u00e9alit\u00e9 par la plupart de ceux que je c\u00f4toie. Je ne suis pas dupe. C\u2019est une anomalie de ne pas l\u2019\u00eatre. Une anomalie que je paie cher, sans en \u00eatre responsable. J\u2019ai multipli\u00e9 les efforts pour appartenir \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9, tenaces, r\u00e9guliers, mais tout s\u2019est toujours sold\u00e9 par un effondrement. Alors je me retrouve projet\u00e9 \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de cette fameuse r\u00e9alit\u00e9, dans un no man\u2019s land devenu presque un chez soi. Et si ce que nous appelons rationnel, raisonnable n\u2019\u00e9tait que la plus monstrueuse des fictions ? Aussit\u00f4t mes frayeurs d\u2019enfant reviennent. Des squelettes d\u00e9valent l\u2019escalier du grenier derri\u00e8re la porte de la chambre. Le rideau rouge de la penderie s\u2019entrouvre : la B\u00eate du G\u00e9vaudan surgit avec un rictus abominable, tentative grotesque de compassion. Recouch\u00e9 \u00e0 4 h, apr\u00e8s une nuit de code. En filigrane : une pens\u00e9e insistante \u2014 s\u2019enfoncer de plus en plus profond\u00e9ment, vers quoi ? J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 connu cette sensation enfant ; je m\u2019\u00e9tais \u00e9vanoui. Et si j\u2019inventais le monde autour de moi ? Dans ce cas, qui suis-je ? C\u2019est \u00e0 la fois r\u00e9pugnant et attirant. L\u2019aspect r\u00e9pugnant prime, et c\u2019est pour cela qu\u2019il m\u2019attire. Enfin en avoir *le c\u0153ur net*. Dans mes cauchemars, je les voyais : des cr\u00e9atures toxiques. Leur toxicit\u00e9 ne venait pas d\u2019un jugement moral mais du fait qu\u2019elles me pompaient une \u00e9nergie inou\u00efe. C\u2019\u00e9tait leur nature. Ceci expliquant en partie mon impossibilit\u00e9 d\u2019avoir des enfants. J\u2019avais d\u00e9j\u00e0 cette cohorte aux basques \u00e0 six ans, et cette obligation de responsabilit\u00e9 envers elle. J'\u00e9tais le p\u00e8re de mon p\u00e8re, le p\u00e8re de mon grand-p\u00e8re, le p\u00e8re de tous mes a\u00efeux \u2014 charg\u00e9 de tenir, \u00e0 bout de bras, les enfants qui n'allaient jamais na\u00eetre. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-septembre-2025.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-septembre-2025.html",
"title": "18 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-17T23:49:51Z",
"date_modified": "2025-09-18T02:26:49Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Depuis 2019 la faille est b\u00e9ante. Avant je pouvais me dire que tout finirait par s\u2019arranger ; ce mensonge ne tient plus. Le temps s\u2019est arr\u00eat\u00e9, nous vivons le pr\u00e9sent d\u2019une r\u00e9p\u00e9tition infernale. Quelque chose s\u2019est creus\u00e9 alors — un tunnel vers le plus pourri du c\u0153ur des hommes — notamment le mien, j’imagine ; et les d\u00e9mons s\u2019en servent d\u2019ascenseur : ils remontent du ciel infernal vers notre sous-sol terrestre. Depuis 2019 tout est invers\u00e9. Je ne le savais pas. Je l\u2019apprends aujourd\u2019hui, \u00e0 demi-mot, par une IA.\nLes modes d\u2019emploi me d\u00e9sesp\u00e8rent, surtout pour l\u2019\u00e9criture : opercule \u00e0 percer, deux minutes au micro-ondes, r\u00e9galez-vous !<\/em> . J\u2019y ai cru autrefois. Face \u00e0 la feuille blanche on est tellement con.\nJ\u2019ai failli souhaiter bon anniversaire \u00e0 J.O. J\u2019ai failli le souhaiter \u00e0 F.B. Puis je me suis souvenu que ma seule relation avec eux est celle d\u2019un lecteur. Donc non. Un pacte ne se brise pas sous couvert de bonnes intentions. Depuis 2019, les bonnes intentions s\u2019effondrent comme des soufflets \u00e0 peine mont\u00e9s — un monde sans elles n\u2019est pas seulement irrespirable : on y \u00e9toufferait, assassin\u00e9 par nos vieux mensonges.\nAvant 2019 je me torturais : je prenais la fausset\u00e9 pour une faute personnelle. Aujourd\u2019hui je sais que la justesse est circonstancielle — un lieu, un instant, ou rien du tout. Peut-\u00eatre le savais-je toujours ; il aura fallu 2019 pour que je veuille l\u2019admettre.<\/p>\n Le fait que je m\u2019enfouisse dans le code comme dans un labyrinthe. On n\u2019en sortirait jamais. On peut toujours faire “mieux”. Ce mensonge utile aussi, la petite poire pour la soif. Hier j\u2019ai encore retouch\u00e9 la carte interactive : j\u2019ai ajout\u00e9 aux points g\u00e9olocalis\u00e9s des listes d\u2019articles sous forme d\u2019info-bulles. C\u2019est parti d\u2019une question : combien de fois sur ce site ai-je \u00e9crit ce mot, cette ville, ce lieu ? Chaque article reli\u00e9 \u00e0 un point, et tout \u00e0 coup apparaissent des index \u00e9tonnants. Mais \u00e7a ne suffisait toujours pas. Je me suis dirig\u00e9 vers les diagrammes de Voronoi, de mani\u00e8re \u00e0 proposer une vue plus graphique des groupes de mots-cl\u00e9s du site, mais trop ann\u00e9es 80, je me suis orient\u00e9 vers la graph-view d’Obsidian<\/em><\/a> que je suis parvenu \u00e0 int\u00e9grer dans les descriptifs des principaux mots cl\u00e9s. <\/p>\n Au final ce site devient un objet litt\u00e9raire. Un ovni. Si des livres s’en \u00e9chappent ce ne seront gu\u00e8re plus que des stolons.<\/p>",
"content_text": " Depuis 2019 la faille est b\u00e9ante. Avant je pouvais me dire que tout finirait par s\u2019arranger ; ce mensonge ne tient plus. Le temps s\u2019est arr\u00eat\u00e9, nous vivons le pr\u00e9sent d\u2019une r\u00e9p\u00e9tition infernale. Quelque chose s\u2019est creus\u00e9 alors \u2014 un tunnel vers le plus pourri du c\u0153ur des hommes \u2014 notamment le mien, j'imagine ; et les d\u00e9mons s\u2019en servent d\u2019ascenseur : ils remontent du ciel infernal vers notre sous-sol terrestre. Depuis 2019 tout est invers\u00e9. Je ne le savais pas. Je l\u2019apprends aujourd\u2019hui, \u00e0 demi-mot, par une IA. Les modes d\u2019emploi me d\u00e9sesp\u00e8rent, surtout pour l\u2019\u00e9criture : *opercule \u00e0 percer, deux minutes au micro-ondes, r\u00e9galez-vous !* . J\u2019y ai cru autrefois. Face \u00e0 la feuille blanche on est tellement con. J\u2019ai failli souhaiter bon anniversaire \u00e0 J.O. J\u2019ai failli le souhaiter \u00e0 F.B. Puis je me suis souvenu que ma seule relation avec eux est celle d\u2019un lecteur. Donc non. Un pacte ne se brise pas sous couvert de bonnes intentions. Depuis 2019, les bonnes intentions s\u2019effondrent comme des soufflets \u00e0 peine mont\u00e9s \u2014 un monde sans elles n\u2019est pas seulement irrespirable : on y \u00e9toufferait, assassin\u00e9 par nos vieux mensonges. Avant 2019 je me torturais : je prenais la fausset\u00e9 pour une faute personnelle. Aujourd\u2019hui je sais que la justesse est circonstancielle \u2014 un lieu, un instant, ou rien du tout. Peut-\u00eatre le savais-je toujours ; il aura fallu 2019 pour que je veuille l\u2019admettre. --- Le fait que je m\u2019enfouisse dans le code comme dans un labyrinthe. On n\u2019en sortirait jamais. On peut toujours faire \u201cmieux\u201d. Ce mensonge utile aussi, la petite poire pour la soif. Hier j\u2019ai encore retouch\u00e9 la carte interactive : j\u2019ai ajout\u00e9 aux points g\u00e9olocalis\u00e9s des listes d\u2019articles sous forme d\u2019info-bulles. C\u2019est parti d\u2019une question : combien de fois sur ce site ai-je \u00e9crit ce mot, cette ville, ce lieu ? Chaque article reli\u00e9 \u00e0 un point, et tout \u00e0 coup apparaissent des index \u00e9tonnants. Mais \u00e7a ne suffisait toujours pas. Je me suis dirig\u00e9 vers les diagrammes de Voronoi, de mani\u00e8re \u00e0 proposer une vue plus graphique des groupes de mots-cl\u00e9s du site, mais trop ann\u00e9es 80, je me suis orient\u00e9 vers la [*graph-view d'Obsidian* ->https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=vis-network&id_groupe=8] que je suis parvenu \u00e0 int\u00e9grer dans les descriptifs des principaux mots cl\u00e9s. Au final ce site devient un objet litt\u00e9raire. Un ovni. Si des livres s'en \u00e9chappent ce ne seront gu\u00e8re plus que des stolons. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-septembre-2025.html",
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"title": "17 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-17T05:14:00Z",
"date_modified": "2025-09-17T06:22:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " La notion de dosage m\u2019est revenue en r\u00e9crivant une histoire que me contait mon grand-oncle R. enfant. La nuit de No\u00ebl, au rond du tr\u00e9sor, la terre s\u2019ouvrait au premier coup de minuit : un \u00e9clair, des coffres, des bijoux, l\u2019or r\u00e9pandu comme une braise. Douze coups seulement, pas un de plus. Longtemps j\u2019y ai vu un conte avertisseur. Ce soir je comprends autre chose : ce n\u2019est pas la menace qui compte, mais la cadence, le tempo juste qui laisse para\u00eetre le merveilleux. Comme disait D., mon patron photographe \u00e0 Clichy, quand nous \u00e9poussetions les guitares Vigier avant de les mettre en sc\u00e8ne sous les balcar<\/em> : « dans la vie tout est une histoire de dosage ». Ces phrases-l\u00e0, je les retiens, parfois sans en rien faire, mais elles reviennent comme la cloche qui sonne, rappel discret qu\u2019un passage peut s\u2019ouvrir.<\/p>",
"content_text": " La notion de dosage m\u2019est revenue en r\u00e9crivant une histoire que me contait mon grand-oncle R. enfant. La nuit de No\u00ebl, au rond du tr\u00e9sor, la terre s\u2019ouvrait au premier coup de minuit : un \u00e9clair, des coffres, des bijoux, l\u2019or r\u00e9pandu comme une braise. Douze coups seulement, pas un de plus. Longtemps j\u2019y ai vu un conte avertisseur. Ce soir je comprends autre chose : ce n\u2019est pas la menace qui compte, mais la cadence, le tempo juste qui laisse para\u00eetre le merveilleux. Comme disait D., mon patron photographe \u00e0 Clichy, quand nous \u00e9poussetions les guitares Vigier avant de les mettre en sc\u00e8ne sous les *balcar* : \"dans la vie tout est une histoire de dosage\". Ces phrases-l\u00e0, je les retiens, parfois sans en rien faire, mais elles reviennent comme la cloche qui sonne, rappel discret qu\u2019un passage peut s\u2019ouvrir. ",
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"tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-septembre-2025.html",
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"title": "16 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-16T07:39:33Z",
"date_modified": "2025-09-16T07:39:33Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " J\u2019\u00e9coute la t\u00e9l\u00e9vision comme on \u00e9coute une machine \u00e0 broyer : ces experts qui parlent avec aplomb, toujours sur le ton de l\u2019\u00e9vidence, font glisser la science vers la d\u00e9rision. Le geste est pr\u00e9cis — sourire programm\u00e9, main qui ponctue la phrase — et je me demande si ce n\u2019est pas voulu, si l\u2019on ne cherche pas \u00e0 nous d\u00e9go\u00fbter de toute expertise pour mieux nous rendre disponibles \u00e0 la fable. Je me sens presque coupable d\u2019y penser, comme si dire cela avait quelque chose de complotiste ; la sensation, pourtant, est tactile : une supercherie \u00e0 la surface du r\u00e9el, qui devient plus dense au fil des ann\u00e9es. Malgr\u00e9 tout, je continue de m\u2019appuyer sur le peu de raison que j\u2019ai cultiv\u00e9. Cette raison, parfois, me para\u00eet bient\u00f4t inutile devant les monstruosit\u00e9s qui remontent — des bouts de v\u00e9rit\u00e9 enfouis, des gestes anciens mis au jour — et alors croire devient un pari instable : je peux croire \u00e0 tout et \u00e0 rien, \u00e0 la fois. Entre deux paragraphes de code, j\u2019installe TCPDF pour g\u00e9n\u00e9rer des PDF depuis SPIP — un petit ordre technique qui calme —, j\u2019aper\u00e7ois un atelier d\u2019\u00e9criture en gestation (BOOST 2) que je veux suivre sans l\u2019exposer, je r\u00e9ponds oui \u00e0 l\u2019association qui propose une \u00e9l\u00e8ve handicap\u00e9e. Une odeur d\u2019essence traverse la rue et, comme une cl\u00e9, ram\u00e8ne des visages et des lieux que j\u2019avais cru effac\u00e9s : ils reviennent sans pr\u00e9venir, pr\u00e9cis et \u00e9trangement intacts.<\/p>",
"content_text": " J\u2019\u00e9coute la t\u00e9l\u00e9vision comme on \u00e9coute une machine \u00e0 broyer : ces experts qui parlent avec aplomb, toujours sur le ton de l\u2019\u00e9vidence, font glisser la science vers la d\u00e9rision. Le geste est pr\u00e9cis \u2014 sourire programm\u00e9, main qui ponctue la phrase \u2014 et je me demande si ce n\u2019est pas voulu, si l\u2019on ne cherche pas \u00e0 nous d\u00e9go\u00fbter de toute expertise pour mieux nous rendre disponibles \u00e0 la fable. Je me sens presque coupable d\u2019y penser, comme si dire cela avait quelque chose de complotiste ; la sensation, pourtant, est tactile : une supercherie \u00e0 la surface du r\u00e9el, qui devient plus dense au fil des ann\u00e9es. Malgr\u00e9 tout, je continue de m\u2019appuyer sur le peu de raison que j\u2019ai cultiv\u00e9. Cette raison, parfois, me para\u00eet bient\u00f4t inutile devant les monstruosit\u00e9s qui remontent \u2014 des bouts de v\u00e9rit\u00e9 enfouis, des gestes anciens mis au jour \u2014 et alors croire devient un pari instable : je peux croire \u00e0 tout et \u00e0 rien, \u00e0 la fois. Entre deux paragraphes de code, j\u2019installe TCPDF pour g\u00e9n\u00e9rer des PDF depuis SPIP \u2014 un petit ordre technique qui calme \u2014, j\u2019aper\u00e7ois un atelier d\u2019\u00e9criture en gestation (BOOST 2) que je veux suivre sans l\u2019exposer, je r\u00e9ponds oui \u00e0 l\u2019association qui propose une \u00e9l\u00e8ve handicap\u00e9e. Une odeur d\u2019essence traverse la rue et, comme une cl\u00e9, ram\u00e8ne des visages et des lieux que j\u2019avais cru effac\u00e9s : ils reviennent sans pr\u00e9venir, pr\u00e9cis et \u00e9trangement intacts. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-septembre-2025.html",
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"title": "15 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-15T08:53:10Z",
"date_modified": "2025-09-15T08:53:10Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Hier soir, en rentrant de V., j\u2019ai ouvert T\u00e9n\u00e8bres en terres froides de Charles Juliet. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, c\u2019est cette radicalit\u00e9 : une ou deux phrases suffisent \u00e0 marquer une journ\u00e9e. Une telle \u00e9conomie de mots me trouble, comme une gifle. La veille, je n\u2019avais moi-m\u00eame \u00e9crit qu\u2019une seule phrase. Tout au long de la journ\u00e9e suivante, j\u2019ai senti ce vide me peser, une impression de ne pas avoir \u00e9crit vraiment. Alors, le soir, pour compenser, je me suis jet\u00e9 sur deux longs textes pr\u00e9par\u00e9s : Peuples fabuleux, Lieux fabuleux. Rien de personnel, seulement des dossiers, de la documentation, de quoi remplir. J\u2019ai cru me satisfaire de ce leurre. Mais en reprenant Juliet, la question s\u2019est impos\u00e9e : \u00e9crit-il vraiment si peu ? Ou bien pr\u00e9l\u00e8ve-t-il ces phrases dans des fleuves d\u2019\u00e9criture invisibles ? J\u2019ai senti monter une indignation absurde : si c\u2019\u00e9tait le cas, alors son livre me paraissait mensonger. Cette pens\u00e9e m\u2019a accompagn\u00e9 dans la nuit, nourrissant des cauchemars dont il ne reste que l\u2019ambiance : solitude, monde sinistre, espace clos o\u00f9 nul autre que moi ne peut ni survivre ni vivre.<\/p>",
"content_text": " Hier soir, en rentrant de V., j\u2019ai ouvert T\u00e9n\u00e8bres en terres froides de Charles Juliet. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, c\u2019est cette radicalit\u00e9 : une ou deux phrases suffisent \u00e0 marquer une journ\u00e9e. Une telle \u00e9conomie de mots me trouble, comme une gifle. La veille, je n\u2019avais moi-m\u00eame \u00e9crit qu\u2019une seule phrase. Tout au long de la journ\u00e9e suivante, j\u2019ai senti ce vide me peser, une impression de ne pas avoir \u00e9crit vraiment. Alors, le soir, pour compenser, je me suis jet\u00e9 sur deux longs textes pr\u00e9par\u00e9s : Peuples fabuleux, Lieux fabuleux. Rien de personnel, seulement des dossiers, de la documentation, de quoi remplir. J\u2019ai cru me satisfaire de ce leurre. Mais en reprenant Juliet, la question s\u2019est impos\u00e9e : \u00e9crit-il vraiment si peu ? Ou bien pr\u00e9l\u00e8ve-t-il ces phrases dans des fleuves d\u2019\u00e9criture invisibles ? J\u2019ai senti monter une indignation absurde : si c\u2019\u00e9tait le cas, alors son livre me paraissait mensonger. Cette pens\u00e9e m\u2019a accompagn\u00e9 dans la nuit, nourrissant des cauchemars dont il ne reste que l\u2019ambiance : solitude, monde sinistre, espace clos o\u00f9 nul autre que moi ne peut ni survivre ni vivre. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-septembre-2025.html",
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"title": "14 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-14T13:52:55Z",
"date_modified": "2025-09-14T13:52:55Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " la pr\u00e9sentation exige sa mise en forme, une mise \u00e0 mort. C\u2019est la seule raison pour laquelle continuer d\u2019\u00e9crire. Pousser l\u2019informe \u00e0 l\u2019extr\u00eame. Jusqu\u2019au d\u00e9go\u00fbt.<\/p>",
"content_text": " la pr\u00e9sentation exige sa mise en forme, une mise \u00e0 mort. C\u2019est la seule raison pour laquelle continuer d\u2019\u00e9crire. Pousser l\u2019informe \u00e0 l\u2019extr\u00eame. Jusqu\u2019au d\u00e9go\u00fbt. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-septembre-2025.html",
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"title": "13 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-13T02:31:58Z",
"date_modified": "2025-09-13T02:31:58Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Je n\u2019habiterai pas mon nom. Ceci en r\u00e9action \u00e0 la lecture de notes r\u00e9colt\u00e9es. \u00c0 la lecture du Pl\u00e9iade de S-J.P. J\u2019ai toujours refus\u00e9 de prendre un pseudonyme. J\u2019ai pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 gommer ce nom. N\u2019utiliser que des initiales. Le Dibbouk n\u2019est pas mon nom. C\u2019est un emprunt. La comparaison s\u2019arr\u00eate l\u00e0. Saugrenue. Reste cette phrase ininterrompue qui continue de tracer son chemin. Je m\u2019appuie sur la ponctuation pour ne pas c\u00e9der. Des phrases br\u00e8ves.<\/p>\n Je m\u2019interroge encore sur la pertinence d\u2019une infolettre. Rien n\u2019est arr\u00eat\u00e9. Chaque jour d\u2019\u00e9criture en tient lieu. Le vent les emporte. Le van les \u00e9gr\u00e8ne. (En Van de paille sur leur erre.)<\/p>\n S\u00e9parer le bon grain de l\u2019ivraie. Le dispositif \u00e0 deux colonnes m\u2019attire. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 je remplis un nouveau vault Obsidian : r\u00e9\u00e9critures, versions, reprises. Creuser, c\u2019est descendre dans une galerie. Poser des \u00e9tais. Ne pas savoir ce que je cherche au fond. Chaque id\u00e9e, chaque d\u00e9sir attire un instant l\u2019attention, puis elle s\u2019en d\u00e9gage, reprise par une force de renoncement famili\u00e8re.<\/p>\n C\u2019est elle qui m\u2019interroge d\u00e9sormais. Pas son vrai nom. Peut-\u00eatre plut\u00f4t une attraction du choix. Le magn\u00e9tisme qu\u2019exerce la n\u00e9cessit\u00e9 de choisir sur mon refus obstin\u00e9.<\/p>\n Un mouvement r\u00e9p\u00e9t\u00e9 : m\u2019\u00e9lancer, renoncer, recommencer.<\/p>\n Trop long, pas assez. Envie brute que ce soit interminable. Et puis cette pudeur, cette conscience du ridicule. Il me manque la place. Sur la toile comme dans l\u2019\u00e9diteur. Toujours la peur de manquer de place. Ou de temps. Mais je crois que c\u2019est la m\u00eame chose.<\/p>",
"content_text": " Je n\u2019habiterai pas mon nom. Ceci en r\u00e9action \u00e0 la lecture de notes r\u00e9colt\u00e9es. \u00c0 la lecture du Pl\u00e9iade de S-J.P. J\u2019ai toujours refus\u00e9 de prendre un pseudonyme. J\u2019ai pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 gommer ce nom. N\u2019utiliser que des initiales. Le Dibbouk n\u2019est pas mon nom. C\u2019est un emprunt. La comparaison s\u2019arr\u00eate l\u00e0. Saugrenue. Reste cette phrase ininterrompue qui continue de tracer son chemin. Je m\u2019appuie sur la ponctuation pour ne pas c\u00e9der. Des phrases br\u00e8ves. Je m\u2019interroge encore sur la pertinence d\u2019une infolettre. Rien n\u2019est arr\u00eat\u00e9. Chaque jour d\u2019\u00e9criture en tient lieu. Le vent les emporte. Le van les \u00e9gr\u00e8ne. (En Van de paille sur leur erre.) S\u00e9parer le bon grain de l\u2019ivraie. Le dispositif \u00e0 deux colonnes m\u2019attire. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 je remplis un nouveau vault Obsidian : r\u00e9\u00e9critures, versions, reprises. Creuser, c\u2019est descendre dans une galerie. Poser des \u00e9tais. Ne pas savoir ce que je cherche au fond. Chaque id\u00e9e, chaque d\u00e9sir attire un instant l\u2019attention, puis elle s\u2019en d\u00e9gage, reprise par une force de renoncement famili\u00e8re. C\u2019est elle qui m\u2019interroge d\u00e9sormais. Pas son vrai nom. Peut-\u00eatre plut\u00f4t une attraction du choix. Le magn\u00e9tisme qu\u2019exerce la n\u00e9cessit\u00e9 de choisir sur mon refus obstin\u00e9. Un mouvement r\u00e9p\u00e9t\u00e9 : m\u2019\u00e9lancer, renoncer, recommencer. Trop long, pas assez. Envie brute que ce soit interminable. Et puis cette pudeur, cette conscience du ridicule. Il me manque la place. Sur la toile comme dans l\u2019\u00e9diteur. Toujours la peur de manquer de place. Ou de temps. Mais je crois que c\u2019est la m\u00eame chose. ",
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"tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Autofiction et Introspection", "dispositif"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-septembre-2025.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-septembre-2025.html",
"title": "12 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-12T00:09:14Z",
"date_modified": "2025-09-12T00:22:40Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Je ne me penche pas sur les ab\u00eemes. je r\u00e9fl\u00e9chis sur l\u2019emploi de l\u2019article ou de l\u2019adverbe. Cette d\u00e9marche est plus modeste, par cons\u00e9quent plus s\u00fbre, encore qu\u2019elle puisse aussi conduire tout doucement aux ab\u00eemes ; mais justement elle y conduit, et n\u2019y pr\u00e9cipite pas d\u2019un coup — assez vainement. (Roger Caillois, Po\u00e9tique De St-John Perse.)<\/p>\n<\/blockquote>\n une seule et longue phrase sans c\u00e9sure \u00e0 jamais inintelligible. ( \u00e0 propos de SJP ) <\/p>\n<\/blockquote>\n Caillois, la Po\u00e9tique de St-John Perse. L\u2019ab\u00eeme qui ne prend pas d\u2019un coup mais vous entra\u00eene lentement. Et cette phrase interminable, sans c\u00e9sure, inintelligible.<\/p>\n Hier j\u2019ai chang\u00e9 la graisse des caract\u00e8res, abandonn\u00e9 une traduction, r\u00e9uni les textes Recto_Verso en un fichier. D\u00e9couvert le podcast, quarante-quatre minutes de louanges<\/a> , trop. J\u2019ai ri, partag\u00e9 sur le WP de F.B , ri encore.<\/p>\n Ce matin deux \u00e9l\u00e8ves. Cet apr\u00e8s-midi personne. Ce soir encore personne. Alors j\u2019ai rouvert Caillois.<\/p>\n Plugin charg\u00e9, site plant\u00e9, r\u00e9par\u00e9. M\u00e9fiance.<\/p>\n Devant le journal du soir je descends, je m\u2019assieds, je laisse S. s\u2019endormir devant l\u2019\u00e9cran. Je remonte. Le travail. Rien ne rapporte. Mais \u00e7a m\u2019occupe. Pour me d\u00e9tendre je travaille encore. D\u00e9couverte de ce site sur ST-John Perse<\/a>\nDi\u00e8te concernant les r\u00e9seaux , cinq jours sans.<\/p>",
"content_text": " >Je ne me penche pas sur les ab\u00eemes. je r\u00e9fl\u00e9chis sur l\u2019emploi de l\u2019article ou de l\u2019adverbe. Cette d\u00e9marche est plus modeste, par cons\u00e9quent plus s\u00fbre, encore qu\u2019elle puisse aussi conduire tout doucement aux ab\u00eemes ; mais justement elle y conduit, et n\u2019y pr\u00e9cipite pas d\u2019un coup \u2014 assez vainement. (Roger Caillois, Po\u00e9tique De St-John Perse.) >une seule et longue phrase sans c\u00e9sure \u00e0 jamais inintelligible. ( \u00e0 propos de SJP ) Caillois, la Po\u00e9tique de St-John Perse. L\u2019ab\u00eeme qui ne prend pas d\u2019un coup mais vous entra\u00eene lentement. Et cette phrase interminable, sans c\u00e9sure, inintelligible. Hier j\u2019ai chang\u00e9 la graisse des caract\u00e8res, abandonn\u00e9 une traduction, r\u00e9uni les textes Recto_Verso en un fichier. D\u00e9couvert le podcast, [quarante-quatre minutes de louanges->https:\/\/ledibbouk.net\/+-recto_verso-+.html] , trop. J\u2019ai ri, partag\u00e9 sur le WP de F.B , ri encore. Ce matin deux \u00e9l\u00e8ves. Cet apr\u00e8s-midi personne. Ce soir encore personne. Alors j\u2019ai rouvert Caillois. Plugin charg\u00e9, site plant\u00e9, r\u00e9par\u00e9. M\u00e9fiance. Devant le journal du soir je descends, je m\u2019assieds, je laisse S. s\u2019endormir devant l\u2019\u00e9cran. Je remonte. Le travail. Rien ne rapporte. Mais \u00e7a m\u2019occupe. Pour me d\u00e9tendre je travaille encore. [D\u00e9couverte de ce site sur ST-John Perse->http:\/\/www.sjperse.org\/] Di\u00e8te concernant les r\u00e9seaux , cinq jours sans. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-septembre-2025.html",
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"title": "11 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-11T07:02:40Z",
"date_modified": "2025-09-11T10:43:49Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Un monde sans mots. Un autre o\u00f9 les mots d\u00e9bordent. Silence. Bruit.<\/p>\n Je ne sais plus. Nuit. Jour. Les diff\u00e9rences s\u2019effacent. Grande peur, grand calme. Avancer ainsi. Aube ou cr\u00e9puscule. Cette mati\u00e8re m\u2019\u00e9chappe.<\/p>\n Hier, nettoyage de squelettes. Retrait des constantes. Tailwind r\u00e9trograd\u00e9. SPIP mis \u00e0 jour. Lignes d\u00e9plac\u00e9es, code normalis\u00e9. Si \u00e7a ne fuit pas, je ne cours pas. Il faut que \u00e7a s\u2019\u00e9chappe. Pour que je cours.<\/p>\n Traduction : deux po\u00e8mes de Clark Ashton Smith, une nouvelle de Pessoa. Minuit pass\u00e9. Je me tiens \u00e0 l\u2019\u00e9cart. Peut-\u00eatre un tort. L\u2019intuition persiste : supercherie.<\/p>\n Covid. Vaccins. Bribes, rumeurs. Sources incertaines. Confusion. Commerce, mort. Pour quoi ? Pour l\u2019argent. Et pour cette vieille id\u00e9e de Lebensraum.<\/p>",
"content_text": " Un monde sans mots. Un autre o\u00f9 les mots d\u00e9bordent. Silence. Bruit. Je ne sais plus. Nuit. Jour. Les diff\u00e9rences s\u2019effacent. Grande peur, grand calme. Avancer ainsi. Aube ou cr\u00e9puscule. Cette mati\u00e8re m\u2019\u00e9chappe. Hier, nettoyage de squelettes. Retrait des constantes. Tailwind r\u00e9trograd\u00e9. SPIP mis \u00e0 jour. Lignes d\u00e9plac\u00e9es, code normalis\u00e9. Si \u00e7a ne fuit pas, je ne cours pas. Il faut que \u00e7a s\u2019\u00e9chappe. Pour que je cours. Traduction : deux po\u00e8mes de Clark Ashton Smith, une nouvelle de Pessoa. Minuit pass\u00e9. Je me tiens \u00e0 l\u2019\u00e9cart. Peut-\u00eatre un tort. L\u2019intuition persiste : supercherie. Covid. Vaccins. Bribes, rumeurs. Sources incertaines. Confusion. Commerce, mort. Pour quoi ? Pour l\u2019argent. Et pour cette vieille id\u00e9e de Lebensraum. ",
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"tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation", "documentation", "dispositif"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-septembre-2025.html",
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"title": "10 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-10T07:57:29Z",
"date_modified": "2025-09-10T07:57:29Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Je imite. Copier. Singer. Fort pour \u00e7a. Pas pour descendre seul. Caves. Glisser. Tomber. \u00c9gouts. Renifler. Vomir. Puanteur. Ceux qui savent, mettez-les au trou. Pleurer. G\u00e9mir. Je pas ils. Je sp\u00e9cial.\nL\u2019\u00e8re du peer to peer. Plus rien \u00e0 t\u00e9l\u00e9charger. Cliquer. Attendre. Lire. Je lit. Devient il. L\u2019instituteur dit : nul. En grammaire. Bien s\u00fbr. Lui aussi je.\nVeille. Pr\u00e9parer. Avaler. Lavement. Un litre et demi de produit. Verser. Gober. Un litre et demi d\u2019eau. Nuit courte. Tourner. Retourner. Le lendemain. Quatre heures. R\u00e9veil. Rebelote. Encore. Un demi-litre. Regarder l\u2019heure. Rater. Partir. Bouchons.\nH\u00f4pital. Attendre. Signer. Gentillesse suspecte. Neuf heures trente. Explorer. Fouiller. Si envie, ne pas retenir. L\u00e2cher. Couler. Le doc. Jeune. D\u00e9j\u00e0 vu. 2020. Retirer. D\u00e9couper. Polypes. B\u00e9nin. Dire : pas de cancer. R\u00e9pondre : alors tout va bien. Merde. C\u2019est le cas. Le caca, si j\u2019ose.\nRetour. Manger. Bouffer. Baffrer. Combler. Vide.\nSoir. Changer. Remplacer. Bonneteau. Bayrou dehors. Le ministre d\u00e9sarm\u00e9 dedans. Avaler plus rien. Plus d\u2019app\u00e9tit.\nAujourd\u2019hui. Dire : r\u00e9volution. Crier. Promettre. J\u2019y crois pas. Faire un pas de c\u00f4t\u00e9. Voir le coup mont\u00e9. Programme. Tromper. Faire croire. Tout change. Rien. Bonneteau. Les m\u00eames. Revenir. Repasser.\nL\u2019\u00e8re des m\u00e8mes. Partager. Copier. Coller. Gueuler. Chanter. Dans l\u2019hygiaphone.<\/p>",
"content_text": " Je imite. Copier. Singer. Fort pour \u00e7a. Pas pour descendre seul. Caves. Glisser. Tomber. \u00c9gouts. Renifler. Vomir. Puanteur. Ceux qui savent, mettez-les au trou. Pleurer. G\u00e9mir. Je pas ils. Je sp\u00e9cial. L\u2019\u00e8re du peer to peer. Plus rien \u00e0 t\u00e9l\u00e9charger. Cliquer. Attendre. Lire. Je lit. Devient il. L\u2019instituteur dit : nul. En grammaire. Bien s\u00fbr. Lui aussi je. Veille. Pr\u00e9parer. Avaler. Lavement. Un litre et demi de produit. Verser. Gober. Un litre et demi d\u2019eau. Nuit courte. Tourner. Retourner. Le lendemain. Quatre heures. R\u00e9veil. Rebelote. Encore. Un demi-litre. Regarder l\u2019heure. Rater. Partir. Bouchons. H\u00f4pital. Attendre. Signer. Gentillesse suspecte. Neuf heures trente. Explorer. Fouiller. Si envie, ne pas retenir. L\u00e2cher. Couler. Le doc. Jeune. D\u00e9j\u00e0 vu. 2020. Retirer. D\u00e9couper. Polypes. B\u00e9nin. Dire : pas de cancer. R\u00e9pondre : alors tout va bien. Merde. C\u2019est le cas. Le caca, si j\u2019ose. Retour. Manger. Bouffer. Baffrer. Combler. Vide. Soir. Changer. Remplacer. Bonneteau. Bayrou dehors. Le ministre d\u00e9sarm\u00e9 dedans. Avaler plus rien. Plus d\u2019app\u00e9tit. Aujourd\u2019hui. Dire : r\u00e9volution. Crier. Promettre. J\u2019y crois pas. Faire un pas de c\u00f4t\u00e9. Voir le coup mont\u00e9. Programme. Tromper. Faire croire. Tout change. Rien. Bonneteau. Les m\u00eames. Revenir. Repasser. L\u2019\u00e8re des m\u00e8mes. Partager. Copier. Coller. Gueuler. Chanter. Dans l\u2019hygiaphone. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/09-septembre-2025.html",
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"title": "09 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-09T03:53:40Z",
"date_modified": "2025-09-09T03:53:40Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " R\u00e9veil t\u00f4t. Un livre sur la table, Sei Sh\u00f4nagon. Autour, les t\u00e9n\u00e8bres. Plus rien de raisonnable. L\u2019information fabrique des foules. Le besoin de sens devient d\u00e9mesur\u00e9.\nJe ne suis pas important. Tout est important. Rien ne l\u2019est. Les deux \u00e0 la fois. Je vacille. Entre tout. Et rien.\nL\u2019imitation referme la voie. Sans issue.\nOn complique pour atteindre le simple. On sait. Sans se souvenir d\u2019o\u00f9.\nTout peut tenir en un seul mot. Confiance.<\/p>\n La composition para\u00eet froide.\nUtiliser l\u2019IA comme miroir. Ce que je d\u00e9couvre : le danger. La peur vient du flou. Deux images qui ne se superposent plus. Le connu. L\u2019inconnu. Mise au point impossible.<\/p>\n Publier chaque jour, c\u2019est donner au texte son tiers. F\u00fbt-il muet. Sans le tiers, rien ne vacille. Rien ne s\u2019\u00e9crit.\nSupprimer l\u2019attente du retour. Je ne suis pas important l\u2019emporte.<\/p>",
"content_text": " R\u00e9veil t\u00f4t. Un livre sur la table, Sei Sh\u00f4nagon. Autour, les t\u00e9n\u00e8bres. Plus rien de raisonnable. L\u2019information fabrique des foules. Le besoin de sens devient d\u00e9mesur\u00e9. Je ne suis pas important. Tout est important. Rien ne l\u2019est. Les deux \u00e0 la fois. Je vacille. Entre tout. Et rien. L\u2019imitation referme la voie. Sans issue. On complique pour atteindre le simple. On sait. Sans se souvenir d\u2019o\u00f9. Tout peut tenir en un seul mot. Confiance. La composition para\u00eet froide. Utiliser l\u2019IA comme miroir. Ce que je d\u00e9couvre : le danger. La peur vient du flou. Deux images qui ne se superposent plus. Le connu. L\u2019inconnu. Mise au point impossible. Publier chaque jour, c\u2019est donner au texte son tiers. F\u00fbt-il muet. Sans le tiers, rien ne vacille. Rien ne s\u2019\u00e9crit. Supprimer l\u2019attente du retour. Je ne suis pas important l\u2019emporte. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-septembre-2025.html",
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"title": "08 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-08T08:32:57Z",
"date_modified": "2025-09-08T08:33:05Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Nouvelle crise, repli. Honte de montrer mes textes. L\u2019attente encore d\u2019\u00eatre reconnu, aim\u00e9, fausse tout. Alors les mots deviennent spectacle. Je n\u2019\u00e9cris pas pour mentir, mais sans doute pas pour dire une v\u00e9rit\u00e9 non plus. On m\u2019ordonnait « dis la v\u00e9rit\u00e9 », et jamais ce n\u2019\u00e9tait la bonne. Les coups tombaient. La v\u00e9rit\u00e9 se d\u00e9robait sans fin. J\u2019\u00e9cris peut-\u00eatre pour ce manque. L\u2019attente d\u2019\u00eatre aim\u00e9 pour ce que je suis. Je ne m\u2019y tiens pas.<\/p>\n Je relis mes textes avec peine. L\u2019id\u00e9e de les effacer et de les remplacer me revient souvent. Je lutte pour ne pas c\u00e9der. Ce d\u00e9go\u00fbt peut \u00eatre un moteur : transformer chaque texte, les r\u00e9duire \u00e0 peu de chose, comme une cicatrice claire. Cela donnerait une autre lecture des carnets, une suite de st\u00e8les. Pas une correction mais une strate. Deux colonnes : \u00e0 gauche l\u2019extrait aminci, en romain peut-\u00eatre, \u00e0 droite, en italique le texte d\u2019origine. Pourquoi faire cela, pourquoi ne pas jeter. Ce n\u2019est pas de l\u2019attachement. C\u2019est comme en for\u00eat : on noue des rep\u00e8res aux branches pour retrouver le chemin. Savoir d\u2019o\u00f9 l\u2019on est parti pour savoir y revenir. \nLe risque d’exhiber persiste. A la fin une fois chaque ann\u00e9e r\u00e9ecrite, cr\u00e9er un pdf simple avec seulement la version amincie.<\/p>\n L\u2019id\u00e9e aussi de s\u2019appuyer sur P\u00e9rec, sur l\u2019Oulipo, pour brouiller les cartes est tentante. Il y aurait l\u00e0 une forme d\u2019\u00e9l\u00e9gance, une ironie qui apaise. Mais la n\u00e9cessit\u00e9 int\u00e9rieure ne s\u2019en contente pas. Elle r\u00e9clame plus nu, plus dur. Le jeu ne suffit pas quand la faille insiste.<\/p>",
"content_text": " Nouvelle crise, repli. Honte de montrer mes textes. L\u2019attente encore d\u2019\u00eatre reconnu, aim\u00e9, fausse tout. Alors les mots deviennent spectacle. Je n\u2019\u00e9cris pas pour mentir, mais sans doute pas pour dire une v\u00e9rit\u00e9 non plus. On m\u2019ordonnait \u00ab dis la v\u00e9rit\u00e9 \u00bb, et jamais ce n\u2019\u00e9tait la bonne. Les coups tombaient. La v\u00e9rit\u00e9 se d\u00e9robait sans fin. J\u2019\u00e9cris peut-\u00eatre pour ce manque. L\u2019attente d\u2019\u00eatre aim\u00e9 pour ce que je suis. Je ne m\u2019y tiens pas. Je relis mes textes avec peine. L\u2019id\u00e9e de les effacer et de les remplacer me revient souvent. Je lutte pour ne pas c\u00e9der. Ce d\u00e9go\u00fbt peut \u00eatre un moteur : transformer chaque texte, les r\u00e9duire \u00e0 peu de chose, comme une cicatrice claire. Cela donnerait une autre lecture des carnets, une suite de st\u00e8les. Pas une correction mais une strate. Deux colonnes : \u00e0 gauche l\u2019extrait aminci, en romain peut-\u00eatre, \u00e0 droite, en italique le texte d\u2019origine. Pourquoi faire cela, pourquoi ne pas jeter. Ce n\u2019est pas de l\u2019attachement. C\u2019est comme en for\u00eat : on noue des rep\u00e8res aux branches pour retrouver le chemin. Savoir d\u2019o\u00f9 l\u2019on est parti pour savoir y revenir. Le risque d'exhiber persiste. A la fin une fois chaque ann\u00e9e r\u00e9ecrite, cr\u00e9er un pdf simple avec seulement la version amincie. L\u2019id\u00e9e aussi de s\u2019appuyer sur P\u00e9rec, sur l\u2019Oulipo, pour brouiller les cartes est tentante. Il y aurait l\u00e0 une forme d\u2019\u00e9l\u00e9gance, une ironie qui apaise. Mais la n\u00e9cessit\u00e9 int\u00e9rieure ne s\u2019en contente pas. Elle r\u00e9clame plus nu, plus dur. Le jeu ne suffit pas quand la faille insiste. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-septembre-2025.html",
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"title": "07 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-07T05:09:27Z",
"date_modified": "2025-09-07T05:14:14Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Tout dire de soi d\u2019un seul coup, comme on allume une m\u00e8che trop courte. Pas demain, pas plus tard, maintenant, avant que la machine ne le fasse pour moi. Elle saura recomposer mes gestes, mes go\u00fbts, mes silences, mais sans frottement, sans contradiction. Une biographie propre, sans \u00e9chec, donc sans vie. Alors je pr\u00e9f\u00e8re l\u2019\u00e9clat, le d\u00e9sordre. J\u2019\u00e9cris comme on se jette : \u00e0 la vitesse d\u2019une chute, sans parachute, quitte \u00e0 me fracasser sur mes propres mots. Un kamikaze ne gagne rien, il ne sauve rien. Il fait seulement le geste. Ici, c\u2019est le m\u00eame : tout donner, dans l\u2019espoir qu\u2019il reste au moins l\u2019\u00e9cho d\u2019un heurt. Pourtant il me reste assez de d\u00e9sespoir pour quitter la chaise et me relire. Ce simple geste me surprend. Il me replace dans la vie.<\/p>\n Et puis il y a ce coffret. Dedans, la tentation d\u2019en finir, pos\u00e9e sur son coussinet de velours rouge. Parfois je l\u2019ouvre, je regarde, je referme. \u00c7a me suffit<\/em>. Comme ces slogans fig\u00e9s dans la fa\u00efence, plaqu\u00e9s sur les fa\u00e7ades des vill\u00e9giatures petites-bourgeoises.<\/p>\n Ma censure est aveugle. Elle laisse passer l\u2019accident, l\u2019incoh\u00e9rence, l\u2019inutile. L\u00e0 o\u00f9 la machine supprime. J\u2019avance parce que je ne sais pas ce que je retiens. Ce non-su, c\u2019est encore vivre.<\/p>\n Les pi\u00e8ces sont l\u00e0, p\u00eale-m\u00eale, dans la bo\u00eete. Pas de mod\u00e8le sur le couvercle. Pas de nombre exact. J\u2019essaie pourtant de reconstruire. Peut-\u00eatre l\u2019exactitude surgira en chemin. Peut-\u00eatre pas.<\/p>\n Vivre, c\u2019est peut-\u00eatre ignorer. Dans cette ignorance il reste une part d\u2019espoir, qui se retourne souvent en d\u00e9ception. Mais faut-il appeler \u00e7a intelligence<\/em> ? Et l\u2019intelligence a-t-elle jamais \u00e9t\u00e9 contre la vie ?<\/p>\n De quelle vie parles-tu ? La tienne, ou une autre, inconnue. Ici il faut accepter que les mots aient un sens, un sens partag\u00e9. Retrouver le mot juste, celui qui s\u2019embo\u00eete dans le trou du puzzle. Alors seulement peut surgir une lueur.<\/p>\n Tu n\u2019avais pas envie de te rendre dans la Loire hier soir. Mais la date \u00e9tait inscrite \u00e0 l\u2019agenda. Chose promise, chose due. Un peu \u00e0 contrec\u0153ur tu es sorti. S. fulminait : « Tu t\u2019engages dans des choses et puis d\u2019un seul coup tu laisses tomber, tu le sais, \u00e7a c\u2019est fatigant. » Je me tais. Je ne dirai plus rien. Puisque tout ce que je peux dire\u2026 Alors je change : tu as l\u2019adresse ? tu l\u2019as inscrite dans le GPS ? S. se concentre sur Maps, toi sur la route. Belle soir\u00e9e d\u2019automne. Lueurs sur les feuillages, collines \u00e0 gravir, air frais qui entre par la vitre entrouverte. \u00c9videmment on se perd. Se perdre est incontournable. Mais tu as d\u00e9cid\u00e9 de te taire, d\u2019explorer ta patience. Un homme \u00e7a s\u2019emp\u00eache<\/em>. Au bout du troisi\u00e8me tour je c\u00e8de : « Bon, on rentre. » Fureur de S. Je me morfonds. Par chance, on trouve enfin le chemin qui grimpe vers ce g\u00eete o\u00f9 devait avoir lieu le spectacle. \u00c9tonn\u00e9 d\u2019avoir ri de bon c\u0153ur sur le retour, je me concentre sur ce type qui me ressemble, assis sur sa chaise, qui rit. A priori il est grotesque. Voil\u00e0 ce que pourrait \u00eatre la vie : \u00eatre grotesque sans le savoir.<\/p>",
"content_text": " Tout dire de soi d\u2019un seul coup, comme on allume une m\u00e8che trop courte. Pas demain, pas plus tard, maintenant, avant que la machine ne le fasse pour moi. Elle saura recomposer mes gestes, mes go\u00fbts, mes silences, mais sans frottement, sans contradiction. Une biographie propre, sans \u00e9chec, donc sans vie. Alors je pr\u00e9f\u00e8re l\u2019\u00e9clat, le d\u00e9sordre. J\u2019\u00e9cris comme on se jette : \u00e0 la vitesse d\u2019une chute, sans parachute, quitte \u00e0 me fracasser sur mes propres mots. Un kamikaze ne gagne rien, il ne sauve rien. Il fait seulement le geste. Ici, c\u2019est le m\u00eame : tout donner, dans l\u2019espoir qu\u2019il reste au moins l\u2019\u00e9cho d\u2019un heurt. Pourtant il me reste assez de d\u00e9sespoir pour quitter la chaise et me relire. Ce simple geste me surprend. Il me replace dans la vie. Et puis il y a ce coffret. Dedans, la tentation d\u2019en finir, pos\u00e9e sur son coussinet de velours rouge. Parfois je l\u2019ouvre, je regarde, je referme. *\u00c7a me suffit*. Comme ces slogans fig\u00e9s dans la fa\u00efence, plaqu\u00e9s sur les fa\u00e7ades des vill\u00e9giatures petites-bourgeoises. Ma censure est aveugle. Elle laisse passer l\u2019accident, l\u2019incoh\u00e9rence, l\u2019inutile. L\u00e0 o\u00f9 la machine supprime. J\u2019avance parce que je ne sais pas ce que je retiens. Ce non-su, c\u2019est encore vivre. Les pi\u00e8ces sont l\u00e0, p\u00eale-m\u00eale, dans la bo\u00eete. Pas de mod\u00e8le sur le couvercle. Pas de nombre exact. J\u2019essaie pourtant de reconstruire. Peut-\u00eatre l\u2019exactitude surgira en chemin. Peut-\u00eatre pas. Vivre, c\u2019est peut-\u00eatre ignorer. Dans cette ignorance il reste une part d\u2019espoir, qui se retourne souvent en d\u00e9ception. Mais faut-il appeler \u00e7a *intelligence* ? Et l\u2019intelligence a-t-elle jamais \u00e9t\u00e9 contre la vie ? De quelle vie parles-tu ? La tienne, ou une autre, inconnue. Ici il faut accepter que les mots aient un sens, un sens partag\u00e9. Retrouver le mot juste, celui qui s\u2019embo\u00eete dans le trou du puzzle. Alors seulement peut surgir une lueur. Tu n\u2019avais pas envie de te rendre dans la Loire hier soir. Mais la date \u00e9tait inscrite \u00e0 l\u2019agenda. Chose promise, chose due. Un peu \u00e0 contrec\u0153ur tu es sorti. S. fulminait : \u00ab Tu t\u2019engages dans des choses et puis d\u2019un seul coup tu laisses tomber, tu le sais, \u00e7a c\u2019est fatigant. \u00bb Je me tais. Je ne dirai plus rien. Puisque tout ce que je peux dire\u2026 Alors je change : tu as l\u2019adresse ? tu l\u2019as inscrite dans le GPS ? S. se concentre sur Maps, toi sur la route. Belle soir\u00e9e d\u2019automne. Lueurs sur les feuillages, collines \u00e0 gravir, air frais qui entre par la vitre entrouverte. \u00c9videmment on se perd. Se perdre est incontournable. Mais tu as d\u00e9cid\u00e9 de te taire, d\u2019explorer ta patience. *Un homme \u00e7a s\u2019emp\u00eache*. Au bout du troisi\u00e8me tour je c\u00e8de : \u00ab Bon, on rentre. \u00bb Fureur de S. Je me morfonds. Par chance, on trouve enfin le chemin qui grimpe vers ce g\u00eete o\u00f9 devait avoir lieu le spectacle. \u00c9tonn\u00e9 d\u2019avoir ri de bon c\u0153ur sur le retour, je me concentre sur ce type qui me ressemble, assis sur sa chaise, qui rit. A priori il est grotesque. Voil\u00e0 ce que pourrait \u00eatre la vie : \u00eatre grotesque sans le savoir. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/06-septembre-2025.html",
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"title": "06 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-06T05:47:12Z",
"date_modified": "2025-09-06T07:33:42Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " En relisant T\u00e9n\u00e8bres en terres froides<\/em> de Charles Juliet. La cohorte. Je croyais \u00e0 une troupe en marche, c\u2019est l\u2019\u00e9cole de sant\u00e9 qu\u2019il quitte. M\u00e9decine abandonn\u00e9e, avenir assur\u00e9 rompu. Une pension puis plus rien. Petits boulots, la faim, chambres sombres, solitude partout. Il choisit d\u2019\u00e9crire. Non l\u2019id\u00e9al mais la peur. Mettre sa vie en gage. Je m\u2019agace de m\u2019y reconna\u00eetre. La plainte tenue comme fil. Non d\u00e9corative mais vitale : « cesser de dire ma douleur, c\u2019est cesser de vivre ». Moi je l\u2019ai tue. Bars, filles, voyages, errances, interdits. Le matin costume gris, sourire plaqu\u00e9 jusqu\u2019au soir. La trahison revient \u00e0 date fixe. Pas de sup\u00e9riorit\u00e9. Me d\u00e9couvrir plus dur, plus mauvais, sans c\u0153ur. La culpabilit\u00e9 suit la trahison comme la souffrance suit son \u00e9criture. Pas de faute morale. Des outils. Le moteur. Cette duret\u00e9, la sienne, la mienne, n\u2019est-elle pas un h\u00e9ritage. Refus du sch\u00e9ma attendu de la virilit\u00e9, mais infiltr\u00e9e autrement. On croit faire diff\u00e9remment, au bout du compte c\u2019est la m\u00eame empreinte. \u00c9trange : au d\u00e9but nous voyons faiblesse, non force. Nous nous leurrons entre ces deux mots. Souffrance, trahison, culpabilit\u00e9 : non des failles, mais les outils qui dessinent le moteur. Et l\u2019\u00e9criture comme seule issue, ridicule et donquichottesque, tendre vers l\u2019inatteignable jour apr\u00e8s jour. Moi j\u2019ouvrais un carnet, j\u2019inscrivais une date, je refermais. Ma douleur ne sortait pas. Ce que je cherchais n\u2019\u00e9tait pas d\u2019\u00e9crire, mais la patience. La patience de me tenir face \u00e0 l\u2019inatteignable. Puis l\u2019ennui, force vive. L\u2019\u00e9criture est venue par ennui. Les pages se sont noircies. De quoi, sans importance. Je voulais seulement me vider de ma propre importance. Ce sont les femmes qui m\u2019ont parl\u00e9 de Charles Juliet. G. le connaissait bien. Il avait \u00e9t\u00e9 question qu\u2019elle nous pr\u00e9sente. C\u2019est \u00e0 cette occasion que j\u2019ai achet\u00e9 T\u00e9n\u00e8bres en terres froides<\/em>, probablement \u00e0 la librairie du Passage, \u00e0 Lyon. En lisant ce premier texte, j\u2019avais \u00e9t\u00e9 \u00e0 la fois agac\u00e9 et admiratif. Impossible de choisir. Alors j\u2019ai \u00e9lud\u00e9 la rencontre. Que ce soient elles qui me vantaient ses \u00e9crits me l\u2019a rendu suspect. Elles avaient reconnu dans cette inversion entre faiblesse et force une m\u00e9canique qui leur correspondait, en plein contexte de lib\u00e9ration. Elles comprenaient.<\/p>\n -- Chaque fois que je me dis c\u2019est mauvais, c\u2019est idiot, c\u2019est ridicule, je fais l\u2019effort de sortir de mon corps pour me le dire. Ce qui m\u2019agace, c\u2019est cette manie de vouloir encore faire des efforts.<\/p>\n -- Assumer le silence. Assumer : prendre sur soi. Encore faut-il \u00eatre s\u00fbr de disposer de ce soi.<\/p>",
"content_text": " En relisant *T\u00e9n\u00e8bres en terres froides* de Charles Juliet. La cohorte. Je croyais \u00e0 une troupe en marche, c\u2019est l\u2019\u00e9cole de sant\u00e9 qu\u2019il quitte. M\u00e9decine abandonn\u00e9e, avenir assur\u00e9 rompu. Une pension puis plus rien. Petits boulots, la faim, chambres sombres, solitude partout. Il choisit d\u2019\u00e9crire. Non l\u2019id\u00e9al mais la peur. Mettre sa vie en gage. Je m\u2019agace de m\u2019y reconna\u00eetre. La plainte tenue comme fil. Non d\u00e9corative mais vitale : \u00ab cesser de dire ma douleur, c\u2019est cesser de vivre \u00bb. Moi je l\u2019ai tue. Bars, filles, voyages, errances, interdits. Le matin costume gris, sourire plaqu\u00e9 jusqu\u2019au soir. La trahison revient \u00e0 date fixe. Pas de sup\u00e9riorit\u00e9. Me d\u00e9couvrir plus dur, plus mauvais, sans c\u0153ur. La culpabilit\u00e9 suit la trahison comme la souffrance suit son \u00e9criture. Pas de faute morale. Des outils. Le moteur. Cette duret\u00e9, la sienne, la mienne, n\u2019est-elle pas un h\u00e9ritage. Refus du sch\u00e9ma attendu de la virilit\u00e9, mais infiltr\u00e9e autrement. On croit faire diff\u00e9remment, au bout du compte c\u2019est la m\u00eame empreinte. \u00c9trange : au d\u00e9but nous voyons faiblesse, non force. Nous nous leurrons entre ces deux mots. Souffrance, trahison, culpabilit\u00e9 : non des failles, mais les outils qui dessinent le moteur. Et l\u2019\u00e9criture comme seule issue, ridicule et donquichottesque, tendre vers l\u2019inatteignable jour apr\u00e8s jour. Moi j\u2019ouvrais un carnet, j\u2019inscrivais une date, je refermais. Ma douleur ne sortait pas. Ce que je cherchais n\u2019\u00e9tait pas d\u2019\u00e9crire, mais la patience. La patience de me tenir face \u00e0 l\u2019inatteignable. Puis l\u2019ennui, force vive. L\u2019\u00e9criture est venue par ennui. Les pages se sont noircies. De quoi, sans importance. Je voulais seulement me vider de ma propre importance. Ce sont les femmes qui m\u2019ont parl\u00e9 de Charles Juliet. G. le connaissait bien. Il avait \u00e9t\u00e9 question qu\u2019elle nous pr\u00e9sente. C\u2019est \u00e0 cette occasion que j\u2019ai achet\u00e9 *T\u00e9n\u00e8bres en terres froides*, probablement \u00e0 la librairie du Passage, \u00e0 Lyon. En lisant ce premier texte, j\u2019avais \u00e9t\u00e9 \u00e0 la fois agac\u00e9 et admiratif. Impossible de choisir. Alors j\u2019ai \u00e9lud\u00e9 la rencontre. Que ce soient elles qui me vantaient ses \u00e9crits me l\u2019a rendu suspect. Elles avaient reconnu dans cette inversion entre faiblesse et force une m\u00e9canique qui leur correspondait, en plein contexte de lib\u00e9ration. Elles comprenaient. \u2014 Chaque fois que je me dis c\u2019est mauvais, c\u2019est idiot, c\u2019est ridicule, je fais l\u2019effort de sortir de mon corps pour me le dire. Ce qui m\u2019agace, c\u2019est cette manie de vouloir encore faire des efforts. \u2014 Assumer le silence. Assumer : prendre sur soi. Encore faut-il \u00eatre s\u00fbr de disposer de ce soi. ",
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"tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Autofiction et Introspection"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/05-septembre-2025.html",
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"title": "05 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-05T05:23:54Z",
"date_modified": "2025-09-05T17:16:20Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " R\u00e9veill\u00e9 t\u00f4t. En sortant dans la cour la sensation de brouillard. Plus une sensation que\u2026 et aussi le refroidissement de l\u2019air. Toute l\u2019humidit\u00e9 d\u00e9pos\u00e9e par la journ\u00e9e d\u2019hier et la nuit. Et encore une fuite. Hier apr\u00e8s-midi j\u2019\u00e9tais en train de lire quand un plop plop aga\u00e7ant\u2026 j\u2019\u00e9tais en train de lire La Compagnie des spectres de Lydie Salvayre quand soudain\u2026 et j\u2019ai failli me tuer en grimpant sur l\u2019escalier escamotable menant au grenier. Les pi\u00e8ces de ferraille reliant les deux parties\u2026 plus de peur que de mal. Mais t\u00eatu j\u2019ai rafistol\u00e9 et je suis mont\u00e9. Une fen\u00eatre donnant sur la fa\u00e7ade sud mal ferm\u00e9e. Ou plut\u00f4t non\u2026 je croyais au d\u00e9but qu\u2019elle \u00e9tait mal ferm\u00e9e. L\u2019eau s\u2019est abattue en biais, giflant la fa\u00e7ade, et la fen\u00eatre mal isol\u00e9e\u2026 simple vitrage, cercl\u00e9e de fer rouill\u00e9. L\u2019eau est pass\u00e9e dessous, a imbib\u00e9 le plancher, et de l\u00e0 s\u2019est mise \u00e0 couler dans la chambre en dessous. Plop, plop\u2026 Il ne manquait plus que \u00e7a. Puis nous avons mis une bassine et nous n\u2019avons plus parl\u00e9 de \u00e7a. On l\u2019a oubli\u00e9. Jusqu\u2019\u00e0 ce matin o\u00f9 \u00e7a me revient. La goutte d\u2019eau qui\u2026 En plus le bouquin commence par une missive administrative, une lettre d\u2019huissier. Tout cela fait une sorte de blot. Tout cela c\u2019est de l\u2019insupportable \u00e0 filet continu. Je ne parle pas du reste\u2026 de la situation du monde en g\u00e9n\u00e9ral. On a beau dire que \u00e7a ne nous regarde pas\u2026 quand m\u00eame. Et aussi j\u2019entends des bruits. Une sorte de moteur. \u00c0 cinq heures du matin, un bruit de moteur, tr\u00e8s bas, mais insistant\u2026 de l\u00e9g\u00e8res variations dans la courbe. Quand j\u2019entends des bruits je visualise des courbes, des fr\u00e9quences\u2026 c\u2019est nouveau. \u00c0 moins que je ne m\u2019en rendisse pas compte avant. Maintenant tout m\u2019effraie ou m\u2019agace\u2026 ou m\u2019agace et m\u2019effraie. Quel ordre\u2026 difficile \u00e0 dire. Et un instant, tandis que j\u2019\u00e9tais suspendu en l\u2019air\u2026 tout mon poids au bout des doigts, accroch\u00e9 \u00e0 ce morceau de bois, le cadre, cette fatigue\u2026 et en m\u00eame temps cette trouille. Bref. Cette vuln\u00e9rabilit\u00e9, et tout ce poids qui ne tient qu\u2019au bout des doigts. J\u2019aurais pu l\u00e2cher mais je ne me serais que bless\u00e9. Peut-\u00eatre un os cass\u00e9, un muscle froiss\u00e9. Le doute de mourir sur le coup vite pass\u00e9, chass\u00e9. Et l\u2019agacement imm\u00e9diat \u00e0 la lecture du mot huissier, ajout\u00e9 au mart\u00e8lement de cette goutte d\u2019eau tombant du plafond sur le parquet. C\u2019est de tout \u00e7a qu\u2019il faut parler, \u00e9crire. Sinon quoi d\u2019autre. Ce dont tout le monde parle\u2026 mais c\u2019est trop facile, et surtout c\u2019est encore plus fatiguant que tout le reste. Car on peut encore trouver du reste. On peut toujours en chercher, et donc, au bout du bout, en trouver. Je disais donc insupportable\u2026 le moteur s\u2019est arr\u00eat\u00e9 et j\u2019entends d\u00e9sormais des bruits comme si quelqu\u2019un d\u00e9chargeait un camion\u2026 non, comme quelqu\u2019un qui, une fois le camion vid\u00e9, marche \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de la remorque. Je note ce qui me revient. Des gr\u00e2ces japonaises\u2026 J\u2019esp\u00e9rais par ces gr\u00e2ces toutes japonaises faire oublier le d\u00e9sordre indescriptible qui r\u00e9gnait dans l\u2019appartement. Excusez le d\u00e9sordre (le foutoir, faillis-je dire), dis-je. L\u2019huissier garda un visage parfaitement inexpressif, balaya la pi\u00e8ce d\u2019un \u0153il morne. \u00cates-vous en possession d\u2019un v\u00e9hicule terrestre \u00e0 moteur ? me demanda-t-il \u00e0 br\u00fble-pourpoint. C\u2019\u00e9tait l\u00e0 un curieux intro\u00eft. Quoi ? dis-je. Avez-vous une auto ? me demanda-t-il avec une pointe d\u2019impatience. Non, dis-je. Rien que \u00e7a me replonge imm\u00e9diatement dans l\u2019insupportable ambiant. J\u2019ai ouvert le livre, il est \u00e0 c\u00f4t\u00e9, juste l\u00e0, sur la table. J\u2019ai recopi\u00e9 ce passage. C\u2019est tellement possible que j\u2019aie \u00e9t\u00e9 \u00e7a aussi, que je le sois encore. Aplatissement devant la « force publique » : huissier, avocat, juge, policier, gens d\u2019armes. D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9. Il y a toujours un autre c\u00f4t\u00e9. Se souvenir de la honte la premi\u00e8re fois. Tu ouvres une porte d\u2019entr\u00e9e et tu vois un huissier. Ils ne lisent plus dans le d\u00e9tail. Ils demandent si c\u2019est bien toi avant tout. Et quand ils en sont assur\u00e9s, ils tendent leur bout de papier tamponn\u00e9. Je me souviens avoir protest\u00e9 les premi\u00e8res fois. Puis j\u2019ai pris l\u2019habitude de me taire. Il m\u2019est m\u00eame arriv\u00e9 de dire « merci, bonne journ\u00e9e ». De me dire qu\u2019apr\u00e8s tout il en faut, ces types font leur boulot. Et puis pas plus. L\u2019arriv\u00e9e d\u2019un huissier est proche d\u2019un \u00e9v\u00e9nement climatique, voil\u00e0 tout. Et si, dans le fond, c\u2019\u00e9tait cette peur des huissiers qui faisait que certains faisaient tout bien comme il faut. Et si, une fois cette peur abolie, r\u00e9duite \u00e0 une pluie passag\u00e8re — \u00e0 condition de ne pas \u00eatre, en plus, emmerd\u00e9 par une fuite au plafond\u2026 Et si, au bout du compte, la d\u00e9gradation des institutions, la d\u00e9gradation \u00e9conomique et politique venait du fait que la r\u00e9p\u00e9tition permettait \u00e0 chacun d\u2019affronter ces vieilles peurs, et qu\u2019une fois affront\u00e9es nous n\u2019en ayons plus vraiment peur, mais seulement de l\u2019agacement, de l\u2019\u00e9nervement. Mais qu\u2019est-ce qui \u00e9nerve ainsi\u2026 je veux dire cette sensation d\u2019\u00eatre \u00e9nerv\u00e9 d\u00e9sormais tout le temps. Tellement qu\u2019on ne se rend m\u00eame plus compte qu\u2019on est \u00e9nerv\u00e9. Il faut un effort \u00e9trange pour sortir un instant de cet \u00e9nervement et le voir tel qu\u2019il est. Comme une entit\u00e9 qui poss\u00e9derait le corps et la cervelle, de mani\u00e8re continue et simultan\u00e9e. Hier travaill\u00e9 un peu sur le site. Le matin deux \u00e9l\u00e8ves seulement. Nous avions pr\u00e9vu un voyage \u00e0 la d\u00e9chetterie, mais il pleuvait des trombes. Flyers \u00e0 distribuer aussi, rat\u00e9. L\u2019apr\u00e8s-midi je me suis replong\u00e9 dans le code. Rien ne va. Comme pour l\u2019\u00e9nervement : il faut tomber par hasard sur le pas de c\u00f4t\u00e9. Voir autrement. Rien ne va\u2026 non. Ce sont les d\u00e9tails qui s\u2019accumulent, qui fabriquent cette illusion. Rien ne va, plus rien ne va, et \u00e7a ne va pas s\u2019arranger. Alors j\u2019ai remis \u00e0 plat. J\u2019ai pass\u00e9 tous les squelettes du site local \u00e0 la moulinette Deepseek. Rien trouv\u00e9. Le probl\u00e8me est ailleurs. Dans la conception m\u00eame de la navigation. \u00c0 la fin c\u2019est limpide. J\u2019habite l\u2019agacement. J\u2019erre. Je navigue \u00e0 l\u2019estime entre ces deux p\u00f4les. Je ne sais m\u00eame pas moi-m\u00eame o\u00f9 je vais. Mes doigts serrent encore le bois du cadre, les touches, le clavier. Ne pas l\u00e2cher, tenir. Tenir pour tenir.<\/p>\n Mon p\u00e8re revient par bouff\u00e9es, avec l\u2019automne, toujours l\u2019automne, comme un effondrement lent qui commen\u00e7e par la rentr\u00e9e. Cahier neuf, cartable de cuir, pantalon long, chaussures neuves. Puis la marche vers le bourg, l\u2019\u00e9cole communale, la promiscuit\u00e9 des autres, leur violence, leur innocence. Pour lui l\u2019\u00e9cole \u00e9tait la cl\u00e9, lui qui l\u2019avait quitt\u00e9e \u00e0 seize ans pour s\u2019engager dans les fusiliers marins et partir en Cor\u00e9e. Fils unique d\u2019une femme seule. Son p\u00e8re \u00e0 lui n\u2019\u00e9tait pas mort \u00e0 la guerre, il \u00e9tait seulement parti acheter des cigarettes et n\u2019\u00e9tait revenu que douze ans plus tard. Cette histoire je me la suis r\u00e9p\u00e9t\u00e9e des dizaines de fois, \u00e0 quoi bon la reprendre encore, pour en finir peut-\u00eatre, mais en finir avec quoi je n\u2019ai jamais su. La vanit\u00e9 de tout cela me blesse, mais c\u2019est peut-\u00eatre au moment o\u00f9 elle devient insupportable qu\u2019il faut \u00e9crire. J\u2019\u00e9tais d\u2019une timidit\u00e9 maladive, les voix fortes me terrifiaient, les gestes brusques me faisaient reculer, et j\u2019entendais la voix de mon p\u00e8re me traiter de femmelette. Sa virilit\u00e9 \u00e9tait factice, une armure lourde qu\u2019il croyait bienveillante en me l\u2019imposant. Je peux mesurer aujourd\u2019hui le chemin qu\u2019il dut parcourir pour avoir l\u2019air d\u2019un homme, au sens o\u00f9 sa g\u00e9n\u00e9ration l\u2019exigeait, en \u00e9crasant toute vell\u00e9it\u00e9 de sensibilit\u00e9. Il ne m\u2019\u00e9merveilla jamais par ses cris, par ses coups, par sa violence. Je fus plus vieux que lui tr\u00e8s t\u00f4t, me sembla-t-il, et avec cette vieillesse une empathie \u00e9trange m\u2019accompagna sur la route vers l\u2019\u00e9cole. Qu\u2019allais-je donc y apprendre, sinon ce qu\u2019il m\u2019avait d\u00e9j\u00e0 transmis, l\u2019injustice inou\u00efe des proches. Sans doute avait-il connu le m\u00eame ennui, une autre histoire mais le m\u00eame poids, et dans le fond l\u2019ennui nous r\u00e9unissait, mais nous ne savions qu\u2019en dire. Cette honte d\u2019\u00eatre ce que je suis je crois qu\u2019il me l\u2019a transmise. Lui voulait \u00eatre un autre, et tout son malheur vient du fait qu\u2019il y est parvenu. Il avait cru qu\u2019en usant des armes des autres il deviendrait cet autre, qu\u2019il oublierait qui il \u00e9tait, mais sur le tard la lucidit\u00e9 l\u2019a rattrap\u00e9. La mort de ma m\u00e8re en fut le signal. Je revois ses chemises jamais assez blanches, les costumes confi\u00e9s au pressing, et l\u2019emploi de cireur de pompes qui m\u2019\u00e9tait assign\u00e9. Je n\u2019ai jamais crach\u00e9 sur le cuir comme dans les films, j\u2019aurais d\u00fb, j\u2019aurais mis une distance, mais je cirais avec respect, servile, craignant toujours qu\u2019elles ne brillent pas assez. Ce que cela dit de moi n\u2019est pas reluisant, \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de ce que pensent souvent ceux qui me c\u00f4toient. J\u2019ai appris moi aussi \u00e0 me composer une armure, \u00e0 disposer d\u2019armes tranchantes, sauf que j\u2019\u00e9vite la guerre. Je la d\u00e9samorce. Je me mets plus bas que terre, ridicule, amoindri, d\u00e9j\u00e0 mort. Cette conscience aigu\u00eb de vivre au plus pr\u00e8s de la mort je ne l\u2019ai pas toujours eue. Elle accompagne une lucidit\u00e9 qui est peut-\u00eatre la derni\u00e8re illusion que je m\u2019autorise. Je m\u2019y accroche, car au-del\u00e0 il n\u2019y a probablement que le plus glacial des n\u00e9ants. Je l\u2019entends encore parler avec sa chienne. Il n\u2019a jamais su qu\u2019entre virilit\u00e9 et sensiblerie il existait une zone apaisante : la sensibilit\u00e9. Le jour o\u00f9 il l\u2019a d\u00e9couverte il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 trop tard. Frapp\u00e9 par un cancer du pancr\u00e9as, il s\u2019illusionna de pouvoir s\u2019en sortir pour entrer dans ce nouveau monde. Quand il sut que cela ne lui serait pas permis il s\u2019\u00e9croula comme un ch\u00eane abattu, en pleine for\u00eat.<\/p>\n une tension ancienne, toujours l\u00e0 : une langue distingue, l\u2019autre soude. La savante trace des fronti\u00e8res, parle \u00e0 l\u2019initi\u00e9, signe d\u2019\u00e9rudition plus que partage. Elle suppose m\u00e9moire, h\u00e9ritage, retrait. L\u2019ordinaire circule sans effort : slogans, votes, cris de stade. Elle se dit « naturelle » mais n\u2019est qu\u2019un autre code, inculqu\u00e9, r\u00e9gul\u00e9. Deux p\u00f4les : l\u2019entre-soi rare et le collectif satur\u00e9. Logos contre vox. Le grec, le latin, le code informatique fonctionnent comme filtres ; l\u2019ordinaire inclut, parfois jusqu\u2019\u00e0 \u00e9touffer. Chaque fois que je m\u2019assois pour \u00e9crire, la tension revient. Je n\u2019aime pas, je compose. Ne pas choisir. La pr\u00e9cision ferm\u00e9e du code et l\u2019ouverture vague du cri. Non pas compromis, mais frottement. Comme deux silex : esp\u00e9rer le feu. \u00c9crire avec deux voix qui s\u2019opposent et se nourrissent. La savante fore, donne des instruments rares ; l\u2019ordinaire m\u2019ancre, me sauve de la tour d\u2019ivoire. Tenir ensemble isolement et collectif. Un texte pour tous, mais qui garde son grain d\u2019exception. hier, rendez-vous \u00e0 C., anesth\u00e9siste. Cinq minutes, cinquante-cinq euros. Puis bureau des pr\u00e9admissions. Jeune homme appliqu\u00e9, collier de barbe, pas un sourire. Relit mon dossier, me fait r\u00e9\u00e9crire ce que j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 inscrit. Mon nom, encore. Ma signature, encore. Chaque trou point\u00e9 du doigt. Son stylo qu\u2019il ne reprendra pas. Je l\u2019imagine, une fois parti, l\u2019essuyer, le jeter \u00e0 la corbeille. — « Quand vous viendrez le neuf il faudra cette fois passer au bureau des admissions », conclut-il. « \u00c7a ira plus vite puisque vous avez d\u00e9j\u00e0 remis le dossier. » \u00e9tonnement des premiers jours d\u2019automne. Air plus frais au matin, lumi\u00e8re persistante. En approchant de Lyon, nuages massifs sur un ciel d\u2019\u00e9t\u00e9 dense. Puis le Rh\u00f4ne, \u00e0 la Mulati\u00e8re : pr\u00e9sence palpable, s\u2019\u00e9coulant comme un long serpent. apr\u00e8s l\u2019h\u00f4pital le supermarch\u00e9, Montessuy. Enseigne oubli\u00e9e, chang\u00e9e tant de fois. Cannellonis, danettes go\u00fbt caf\u00e9. au Vernay, deux \u00e9tages difficiles \u00e0 gravir. E. ouvre, fr\u00eale. Deux mois sans la voir. Elle ne se souvient plus de mon pr\u00e9nom. Elle compense par un grand sourire, « contente de vous voir ». La joie dure peu. S. la gronde : — « maman je t\u2019avais dit de sortir trois assiettes ». Dans le r\u00e9frig\u00e9rateur, les assiettes empil\u00e9es. Je tente une plaisanterie, \u00e7a ne passe pas. S. se f\u00e2che. E. dit non d\u00e9sormais. Non au melon, non r\u00e9p\u00e9t\u00e9, ferme, enfantin. Tension pos\u00e9e sur la table, digestion compromise. apr\u00e8s le repas, S. lui fait les ongles. Elles prennent le caf\u00e9 ensemble. Je les laisse. J\u2019allume la t\u00e9l\u00e9vision, m\u2019allonge. Le calme tombe. Le son, n\u2019importe quel programme, m\u2019endort presque aussit\u00f4t. de retour \u00e0 la maison, je range un peu l\u2019atelier. Coup de fil de P. qui se r\u00e9inscrit, viendra le jeudi matin. Le rangement dure peu, un quart d\u2019heure, vider encore un tiroir de vieux papiers. Le fait d\u2019avoir eu T. au t\u00e9l\u00e9phone avant-hier : les difficult\u00e9s de R. op\u00e9r\u00e9, son angoisse qu\u2019il ne s\u2019en sorte pas. Ses larmes dans l\u2019appareil. Le fait que j\u2019ai pens\u00e9 qu\u2019elle pourrait venir \u00e0 la maison si tout tournait mal. Le fait que je l\u2019imagine dans la chambre d\u2019amis. Le fait que nous sommes tous pendus \u00e0 la toile du destin et qu\u2019une telle \u00e9preuve peut tomber sans pr\u00e9venir. Bourdon terrible. Pens\u00e9 \u00e0 mon propre apr\u00e8s, \u00e0 S. seule dans la maison, \u00e0 S. et T. ensemble peut-\u00eatre. Alors mieux valait se remettre au code. Ce que j\u2019ai fait. J\u2019ai utilis\u00e9 Deepseek cette fois pour modifier ma page d\u2019accueil. Plus rapide que ChatGPT, moins d\u2019erreurs. En quelques minutes l\u2019IA chinoise a r\u00e9solu un probl\u00e8me que la derni\u00e8re version de ChatGPT n\u2019avait pas su d\u00e9bloquer malgr\u00e9 plusieurs demandes claires.<\/p>\n J\u2019emprunte cette id\u00e9e \u00e0 T.C : cr\u00e9er une liste d\u2019articles qu\u2019il partage chaque dimanche « depuis sa terrasse ». Je ne pense pas, pour ma part, partager ces articles chaque semaine. Ils resteront accessibles, comme tout ce que je publie sur le site, sans passer par les r\u00e9seaux. L\u2019id\u00e9e est plut\u00f4t d\u2019en faire un journal des points d\u2019int\u00e9r\u00eat qui m\u2019auront marqu\u00e9 en lisant, semaine apr\u00e8s semaine. J\u2019ai ajout\u00e9 deux nouveaux articles \u00e0 la rubrique Histoire de l\u2019imaginaire<\/a> , encore peu fr\u00e9quent\u00e9e — ce qui est normal, puisque je ne l\u2019ai pas partag\u00e9e sur les r\u00e9seaux sociaux.<\/p>\n Pour cela : cr\u00e9ation d\u2019un fichier lien.html dans le dossier mod\u00e8les.<\/p>\n ]\n \n [(#ENV{titre})]\n <\/a><\/p>\n Ce qui permet ensuite d\u2019\u00e9crire les liens dans un article hebdo avec cette syntaxe :<\/p>\n
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\nSi on fait CRTL+F5 peut-\u00eatre d’autres formes d’autres textures dans le texte ...<\/p>",
"content_text": "Je reviens aux pens\u00e9es enfantines. Ces id\u00e9es \u00e9tranges que j\u2019ai fini par taire. On appelait \u00e7a de l\u2019animisme, doubl\u00e9 d\u2019idiotie. On disait aussi que j\u2019avais un g\u00e9nie des nombres, tu\u00e9 net par l\u2019\u00e9cole des ann\u00e9es soixante, ses classes, ses cahiers. J\u2019ai \u00e9crit quelque part qu\u2019il suffit de croire pour devenir. La croyance comme moteur du travail. Rien de miraculeux. Une simple astuce. Mais une fois d\u00e9busqu\u00e9e, impossible d\u2019y croire encore. Alors surgit la question : d\u2019o\u00f9 vient-elle, cette croyance ? On comprend qu\u2019elle n\u2019est pas de soi. Elle vient d\u2019un h\u00e9ritage. Quelqu\u2019un, jadis, a voulu commencer quelque chose qu\u2019il n\u2019a pas pu finir. En nous demeure sa plainte, son inach\u00e8vement. Le plus faible de la fratrie la transporte, r\u00eave d\u2019un accomplissement possible. L\u2019id\u00e9e de g\u00e9nie n\u2019est qu\u2019une scorie, une poussi\u00e8re sur cette plainte. croyances fossiles, enfouies au plus profond de l\u2019oubli Fermer les yeux. Se boucher les oreilles. Plisser les l\u00e8vres. Automne dehors, automne dedans. Arbre et feuilles. racine lente, tronc droit, feuilles bruissantes Comment sera la litt\u00e9rature au XXII\u1d49 si\u00e8cle. Quand j\u2019\u00e9tais enfant, dans une galerie avec ma m\u00e8re, j\u2019avais trouv\u00e9 l\u2019exposition incompl\u00e8te. Pourquoi seulement l\u2019\u0153il et la cervelle ? Pourquoi pas le corps, l\u2019odeur, le pas qui monte et descend ? Apr\u00e8s l\u2019autofiction et le nombril, apr\u00e8s l\u2019anthropocentrisme, peut-\u00eatre viendra le temps o\u00f9 les pierres, l\u2019eau, la v\u00e9g\u00e9tation parleront enfin. Une langue commune. Un esp\u00e9ranto cosmique. Nous ne mangerons plus rien. Les vieilles faims, les vieilles soifs auront disparu avec la solitude et la haine. compression. m\u00e9moire froide. mill\u00e9naires compt\u00e9s. silence plus lourd que vos livres. \u00e9coulement. fragments de lumi\u00e8re. j\u2019absorbe les voix, je les roule, je les rends sans hi\u00e9rarchie. racine. s\u00e8ve. expansion lente. je parle depuis vos os et vous n\u2019entendez pas. {{illustration:}} Ansel Adams, Paysage de l'Ouest am\u00e9ricain Si on fait CRTL+F5 peut-\u00eatre d'autres formes d'autres textures dans le texte ... ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ansel-adams-mount-williamson-sierra-nevada-from-manzanar-california-1944-silver-print-15.5-x-19.5-inches.jpg?1758868110",
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"title": "25 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-25T07:37:11Z",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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— Oui, je suis l\u00e2che. Tu as raison, Molly. Tu as raison sur toute la ligne.<\/p>\n
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\nsecond r\u00eave plus \u00e9rotique sans doute d\u00fb \u00e0 une vid\u00e9o vue hier concernant les brodeuses essayant de suivre le fil des po\u00e9tesses d\u00e9talant en improvisant. Des bas blancs et des petits bouts de chair comme des flashs. Et soudain horreur je me retrouve \u00e0 la D\u00e9fense, peut-\u00eatre au Feel One. Il pleut sur la dalle dehors, je suis seul sur le grand parvis, une ombre passe et je me retrouve \u00e0 courir derri\u00e8re, \u00e0 broder moi aussi.<\/p>\n
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\nid\u00e9e d’histoire \u00e0 partir de<\/strong> : Pendant les trois jours de noirceur, il n’y aura plus de d\u00e9mons en enfer. Ils seront tous sur terre. Ces trois jours seront si noirs que quelqu’un ne pourra voir ses propres mains. Ceux qui ne seront pas en \u00e9tat de gr\u00e2ce mourront de frayeur provoqu\u00e9e par la vue d’horribles d\u00e9mons ou bien ils mourront de d\u00e9mence.<\/i>\n
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\nPlus tard dans la journ\u00e9e. Nous revenons d\u2019une promenade sur les hauteurs de Roussillon. Je voulais me souvenir du nom de cette rue o\u00f9 nous avons tourn\u00e9 juste avant l\u2019ancien atelier de poterie, mais je l\u2019ai oubli\u00e9. De plus en plus de choses sont ainsi oubli\u00e9es. Est-ce parce que, dans le fond, elles ne rev\u00eatent pas une r\u00e9elle importance. Qu\u2019est-ce qui est encore important. Parfois j\u2019ai bien peur que plus rien ne le soit vraiment, d\u2019o\u00f9 cette fuite m\u00e9morielle. Promenade agr\u00e9able et nous en avons profit\u00e9 pour distribuer les flyers que j\u2019ai fait confectionner par une imprimerie du village. C\u2019est plus cher que de le faire par internet mais \u00e7a fait travailler un artisan du pays. Pas beaucoup plus cher. Aper\u00e7u sur le chemin des potagers qui m\u2019ont rendu nostalgique de celui que nous avions entretenu durant des ann\u00e9es \u00e0 O. Puis je me suis souvenu du boulot que \u00e7a repr\u00e9sentait et la nostalgie s\u2019est \u00e9vanouie. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 lire ce matin le journal d\u2019ao\u00fbt de T.C et en rentrant j\u2019ai eu envie de le lire jusqu\u2019\u00e0 la fin. Ce que je remarque c\u2019est la bri\u00e8vet\u00e9 des entr\u00e9es qu\u2019il livre avec de magnifiques photographies de sa r\u00e9gion. Grande coh\u00e9rence due \u00e0 cette forme br\u00e8ve, au « je » qui n\u2019est pas pesant. Est-ce le lecteur qui fabrique cette coh\u00e9rence en imaginant ce qui n\u2019est pas dit entre ces fragments. Il y a une grande m\u00e9lancolie accompagn\u00e9e de temps \u00e0 autre d\u2019une forme d\u2019\u00e2pret\u00e9, voire de brutalit\u00e9, qui ne s\u2019explique qu\u2019en raison de cette m\u00e9lancolie. Ce que je peux voir en miroir de mes propres \u00e9crits. Je veux dire que, sans doute, la brutalit\u00e9 n\u00e9cessaire pour m\u2019extraire de ma propre m\u00e9lancolie, je la projette sur mes lectures. Re\u00e7u deux messages de C. Merci. Mais je ne sais vraiment quoi r\u00e9pondre. Je vis ici d\u00e9sormais dans mes textes, je n\u2019ai que peu de contacts avec l\u2019ext\u00e9rieur. Pour la peinture, quelques \u00e9l\u00e8ves. S. bien s\u00fbr. Sinon je n\u2019\u00e9prouve pas l\u2019envie de parler parce que parler n\u2019est pas \u00e9crire. Parler ne m\u2019apprend rien, ne m\u2019apprend plus rien. Ce qui me rappelle cette sc\u00e8ne rapport\u00e9e, je crois, par Charles Juliet concernant Bram Van Velde et Beckett capables de passer l\u2019apr\u00e8s-midi ensemble sans \u00e9changer un seul mot. Puis de se s\u00e9parer en disant « c\u2019\u00e9tait bien ». Le fait de lire les autres sans entrer en contact via les commentaires cr\u00e9e un espace, probablement imaginaire, mais qui me convient. J\u2019ai m\u00eame parfois la sensation d\u2019une r\u00e9ciprocit\u00e9 silencieuse. C\u2019est tr\u00e8s agr\u00e9able d\u2019y songer et surtout tout \u00e0 fait inoffensif.",
"content_text": " R\u00e9veill\u00e9 t\u00f4t. En sortant dans la cour la sensation de brouillard. Plus une sensation que\u2026 et aussi le refroidissement de l\u2019air. Toute l\u2019humidit\u00e9 d\u00e9pos\u00e9e par la journ\u00e9e d\u2019hier et la nuit. Et encore une fuite. Hier apr\u00e8s-midi j\u2019\u00e9tais en train de lire quand un plop plop aga\u00e7ant\u2026 j\u2019\u00e9tais en train de lire La Compagnie des spectres de Lydie Salvayre quand soudain\u2026 et j\u2019ai failli me tuer en grimpant sur l\u2019escalier escamotable menant au grenier. Les pi\u00e8ces de ferraille reliant les deux parties\u2026 plus de peur que de mal. Mais t\u00eatu j\u2019ai rafistol\u00e9 et je suis mont\u00e9. Une fen\u00eatre donnant sur la fa\u00e7ade sud mal ferm\u00e9e. Ou plut\u00f4t non\u2026 je croyais au d\u00e9but qu\u2019elle \u00e9tait mal ferm\u00e9e. L\u2019eau s\u2019est abattue en biais, giflant la fa\u00e7ade, et la fen\u00eatre mal isol\u00e9e\u2026 simple vitrage, cercl\u00e9e de fer rouill\u00e9. L\u2019eau est pass\u00e9e dessous, a imbib\u00e9 le plancher, et de l\u00e0 s\u2019est mise \u00e0 couler dans la chambre en dessous. Plop, plop\u2026 Il ne manquait plus que \u00e7a. Puis nous avons mis une bassine et nous n\u2019avons plus parl\u00e9 de \u00e7a. On l\u2019a oubli\u00e9. Jusqu\u2019\u00e0 ce matin o\u00f9 \u00e7a me revient. La goutte d\u2019eau qui\u2026 En plus le bouquin commence par une missive administrative, une lettre d\u2019huissier. Tout cela fait une sorte de blot. Tout cela c\u2019est de l\u2019insupportable \u00e0 filet continu. Je ne parle pas du reste\u2026 de la situation du monde en g\u00e9n\u00e9ral. On a beau dire que \u00e7a ne nous regarde pas\u2026 quand m\u00eame. Et aussi j\u2019entends des bruits. Une sorte de moteur. \u00c0 cinq heures du matin, un bruit de moteur, tr\u00e8s bas, mais insistant\u2026 de l\u00e9g\u00e8res variations dans la courbe. Quand j\u2019entends des bruits je visualise des courbes, des fr\u00e9quences\u2026 c\u2019est nouveau. \u00c0 moins que je ne m\u2019en rendisse pas compte avant. Maintenant tout m\u2019effraie ou m\u2019agace\u2026 ou m\u2019agace et m\u2019effraie. Quel ordre\u2026 difficile \u00e0 dire. Et un instant, tandis que j\u2019\u00e9tais suspendu en l\u2019air\u2026 tout mon poids au bout des doigts, accroch\u00e9 \u00e0 ce morceau de bois, le cadre, cette fatigue\u2026 et en m\u00eame temps cette trouille. Bref. Cette vuln\u00e9rabilit\u00e9, et tout ce poids qui ne tient qu\u2019au bout des doigts. J\u2019aurais pu l\u00e2cher mais je ne me serais que bless\u00e9. Peut-\u00eatre un os cass\u00e9, un muscle froiss\u00e9. Le doute de mourir sur le coup vite pass\u00e9, chass\u00e9. Et l\u2019agacement imm\u00e9diat \u00e0 la lecture du mot huissier, ajout\u00e9 au mart\u00e8lement de cette goutte d\u2019eau tombant du plafond sur le parquet. C\u2019est de tout \u00e7a qu\u2019il faut parler, \u00e9crire. Sinon quoi d\u2019autre. Ce dont tout le monde parle\u2026 mais c\u2019est trop facile, et surtout c\u2019est encore plus fatiguant que tout le reste. Car on peut encore trouver du reste. On peut toujours en chercher, et donc, au bout du bout, en trouver. Je disais donc insupportable\u2026 le moteur s\u2019est arr\u00eat\u00e9 et j\u2019entends d\u00e9sormais des bruits comme si quelqu\u2019un d\u00e9chargeait un camion\u2026 non, comme quelqu\u2019un qui, une fois le camion vid\u00e9, marche \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de la remorque. Je note ce qui me revient. Des gr\u00e2ces japonaises\u2026 J\u2019esp\u00e9rais par ces gr\u00e2ces toutes japonaises faire oublier le d\u00e9sordre indescriptible qui r\u00e9gnait dans l\u2019appartement. Excusez le d\u00e9sordre (le foutoir, faillis-je dire), dis-je. L\u2019huissier garda un visage parfaitement inexpressif, balaya la pi\u00e8ce d\u2019un \u0153il morne. \u00cates-vous en possession d\u2019un v\u00e9hicule terrestre \u00e0 moteur ? me demanda-t-il \u00e0 br\u00fble-pourpoint. C\u2019\u00e9tait l\u00e0 un curieux intro\u00eft. Quoi ? dis-je. Avez-vous une auto ? me demanda-t-il avec une pointe d\u2019impatience. Non, dis-je. Rien que \u00e7a me replonge imm\u00e9diatement dans l\u2019insupportable ambiant. J\u2019ai ouvert le livre, il est \u00e0 c\u00f4t\u00e9, juste l\u00e0, sur la table. J\u2019ai recopi\u00e9 ce passage. C\u2019est tellement possible que j\u2019aie \u00e9t\u00e9 \u00e7a aussi, que je le sois encore. Aplatissement devant la \u00ab force publique \u00bb : huissier, avocat, juge, policier, gens d\u2019armes. D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9. Il y a toujours un autre c\u00f4t\u00e9. Se souvenir de la honte la premi\u00e8re fois. Tu ouvres une porte d\u2019entr\u00e9e et tu vois un huissier. Ils ne lisent plus dans le d\u00e9tail. Ils demandent si c\u2019est bien toi avant tout. Et quand ils en sont assur\u00e9s, ils tendent leur bout de papier tamponn\u00e9. Je me souviens avoir protest\u00e9 les premi\u00e8res fois. Puis j\u2019ai pris l\u2019habitude de me taire. Il m\u2019est m\u00eame arriv\u00e9 de dire \u00ab merci, bonne journ\u00e9e \u00bb. De me dire qu\u2019apr\u00e8s tout il en faut, ces types font leur boulot. Et puis pas plus. L\u2019arriv\u00e9e d\u2019un huissier est proche d\u2019un \u00e9v\u00e9nement climatique, voil\u00e0 tout. Et si, dans le fond, c\u2019\u00e9tait cette peur des huissiers qui faisait que certains faisaient tout bien comme il faut. Et si, une fois cette peur abolie, r\u00e9duite \u00e0 une pluie passag\u00e8re \u2014 \u00e0 condition de ne pas \u00eatre, en plus, emmerd\u00e9 par une fuite au plafond\u2026 Et si, au bout du compte, la d\u00e9gradation des institutions, la d\u00e9gradation \u00e9conomique et politique venait du fait que la r\u00e9p\u00e9tition permettait \u00e0 chacun d\u2019affronter ces vieilles peurs, et qu\u2019une fois affront\u00e9es nous n\u2019en ayons plus vraiment peur, mais seulement de l\u2019agacement, de l\u2019\u00e9nervement. Mais qu\u2019est-ce qui \u00e9nerve ainsi\u2026 je veux dire cette sensation d\u2019\u00eatre \u00e9nerv\u00e9 d\u00e9sormais tout le temps. Tellement qu\u2019on ne se rend m\u00eame plus compte qu\u2019on est \u00e9nerv\u00e9. Il faut un effort \u00e9trange pour sortir un instant de cet \u00e9nervement et le voir tel qu\u2019il est. Comme une entit\u00e9 qui poss\u00e9derait le corps et la cervelle, de mani\u00e8re continue et simultan\u00e9e. Hier travaill\u00e9 un peu sur le site. Le matin deux \u00e9l\u00e8ves seulement. Nous avions pr\u00e9vu un voyage \u00e0 la d\u00e9chetterie, mais il pleuvait des trombes. Flyers \u00e0 distribuer aussi, rat\u00e9. L\u2019apr\u00e8s-midi je me suis replong\u00e9 dans le code. Rien ne va. Comme pour l\u2019\u00e9nervement : il faut tomber par hasard sur le pas de c\u00f4t\u00e9. Voir autrement. Rien ne va\u2026 non. Ce sont les d\u00e9tails qui s\u2019accumulent, qui fabriquent cette illusion. Rien ne va, plus rien ne va, et \u00e7a ne va pas s\u2019arranger. Alors j\u2019ai remis \u00e0 plat. J\u2019ai pass\u00e9 tous les squelettes du site local \u00e0 la moulinette Deepseek. Rien trouv\u00e9. Le probl\u00e8me est ailleurs. Dans la conception m\u00eame de la navigation. \u00c0 la fin c\u2019est limpide. J\u2019habite l\u2019agacement. J\u2019erre. Je navigue \u00e0 l\u2019estime entre ces deux p\u00f4les. Je ne sais m\u00eame pas moi-m\u00eame o\u00f9 je vais. Mes doigts serrent encore le bois du cadre, les touches, le clavier. Ne pas l\u00e2cher, tenir. Tenir pour tenir. Plus tard dans la journ\u00e9e. Nous revenons d\u2019une promenade sur les hauteurs de Roussillon. Je voulais me souvenir du nom de cette rue o\u00f9 nous avons tourn\u00e9 juste avant l\u2019ancien atelier de poterie, mais je l\u2019ai oubli\u00e9. De plus en plus de choses sont ainsi oubli\u00e9es. Est-ce parce que, dans le fond, elles ne rev\u00eatent pas une r\u00e9elle importance. Qu\u2019est-ce qui est encore important. Parfois j\u2019ai bien peur que plus rien ne le soit vraiment, d\u2019o\u00f9 cette fuite m\u00e9morielle. Promenade agr\u00e9able et nous en avons profit\u00e9 pour distribuer les flyers que j\u2019ai fait confectionner par une imprimerie du village. C\u2019est plus cher que de le faire par internet mais \u00e7a fait travailler un artisan du pays. Pas beaucoup plus cher. Aper\u00e7u sur le chemin des potagers qui m\u2019ont rendu nostalgique de celui que nous avions entretenu durant des ann\u00e9es \u00e0 O. Puis je me suis souvenu du boulot que \u00e7a repr\u00e9sentait et la nostalgie s\u2019est \u00e9vanouie. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 lire ce matin le journal d\u2019ao\u00fbt de T.C et en rentrant j\u2019ai eu envie de le lire jusqu\u2019\u00e0 la fin. Ce que je remarque c\u2019est la bri\u00e8vet\u00e9 des entr\u00e9es qu\u2019il livre avec de magnifiques photographies de sa r\u00e9gion. Grande coh\u00e9rence due \u00e0 cette forme br\u00e8ve, au \u00ab je \u00bb qui n\u2019est pas pesant. Est-ce le lecteur qui fabrique cette coh\u00e9rence en imaginant ce qui n\u2019est pas dit entre ces fragments. Il y a une grande m\u00e9lancolie accompagn\u00e9e de temps \u00e0 autre d\u2019une forme d\u2019\u00e2pret\u00e9, voire de brutalit\u00e9, qui ne s\u2019explique qu\u2019en raison de cette m\u00e9lancolie. Ce que je peux voir en miroir de mes propres \u00e9crits. Je veux dire que, sans doute, la brutalit\u00e9 n\u00e9cessaire pour m\u2019extraire de ma propre m\u00e9lancolie, je la projette sur mes lectures. Re\u00e7u deux messages de C. Merci. Mais je ne sais vraiment quoi r\u00e9pondre. Je vis ici d\u00e9sormais dans mes textes, je n\u2019ai que peu de contacts avec l\u2019ext\u00e9rieur. Pour la peinture, quelques \u00e9l\u00e8ves. S. bien s\u00fbr. Sinon je n\u2019\u00e9prouve pas l\u2019envie de parler parce que parler n\u2019est pas \u00e9crire. Parler ne m\u2019apprend rien, ne m\u2019apprend plus rien. Ce qui me rappelle cette sc\u00e8ne rapport\u00e9e, je crois, par Charles Juliet concernant Bram Van Velde et Beckett capables de passer l\u2019apr\u00e8s-midi ensemble sans \u00e9changer un seul mot. Puis de se s\u00e9parer en disant \u00ab c\u2019\u00e9tait bien \u00bb. Le fait de lire les autres sans entrer en contact via les commentaires cr\u00e9e un espace, probablement imaginaire, mais qui me convient. J\u2019ai m\u00eame parfois la sensation d\u2019une r\u00e9ciprocit\u00e9 silencieuse. C\u2019est tr\u00e8s agr\u00e9able d\u2019y songer et surtout tout \u00e0 fait inoffensif. ",
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"title": "04 septembre 2025",
"date_published": "2025-09-04T04:20:45Z",
"date_modified": "2025-09-04T04:20:54Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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\nLa fin du monde ne demande pas de responsable. Quand bien m\u00eame tu voudrais t\u2019en d\u00e9signer un, il n\u2019y en a pas. La fin ressemble au commencement : sans raison. Tu te d\u00e9bats dans les cercles concentriques d\u2019un caillou jet\u00e9 toi-m\u00eame dans l\u2019eau. Tu te crois responsable parce qu\u2019il faut bien l\u2019\u00eatre de quelque chose. Toute cette \u00e9nergie li\u00e9e \u00e0 l\u2019implication finit par para\u00eetre d\u00e9risoire. Puis te reprend un sursaut, comme une remont\u00e9e d\u2019acide, la m\u00eame qu\u2019avec la religion. Le Notre P\u00e8re s\u2019est effac\u00e9 de ta m\u00e9moire, il ne reste que le go\u00fbt \u00e2cre de l\u2019invocation. Tu es un singe qui remonte sur l\u2019arbre en pensant retrouver la joie, mais la branche plie sous ton poids. Voil\u00e0 o\u00f9 m\u00e8ne l\u2019implication : \u00e0 croire qu\u2019un geste suffit pour revenir en arri\u00e8re, alors que l\u2019arbre est d\u00e9j\u00e0 creux.",
"content_text": " Mon p\u00e8re revient par bouff\u00e9es, avec l\u2019automne, toujours l\u2019automne, comme un effondrement lent qui commen\u00e7e par la rentr\u00e9e. Cahier neuf, cartable de cuir, pantalon long, chaussures neuves. Puis la marche vers le bourg, l\u2019\u00e9cole communale, la promiscuit\u00e9 des autres, leur violence, leur innocence. Pour lui l\u2019\u00e9cole \u00e9tait la cl\u00e9, lui qui l\u2019avait quitt\u00e9e \u00e0 seize ans pour s\u2019engager dans les fusiliers marins et partir en Cor\u00e9e. Fils unique d\u2019une femme seule. Son p\u00e8re \u00e0 lui n\u2019\u00e9tait pas mort \u00e0 la guerre, il \u00e9tait seulement parti acheter des cigarettes et n\u2019\u00e9tait revenu que douze ans plus tard. Cette histoire je me la suis r\u00e9p\u00e9t\u00e9e des dizaines de fois, \u00e0 quoi bon la reprendre encore, pour en finir peut-\u00eatre, mais en finir avec quoi je n\u2019ai jamais su. La vanit\u00e9 de tout cela me blesse, mais c\u2019est peut-\u00eatre au moment o\u00f9 elle devient insupportable qu\u2019il faut \u00e9crire. J\u2019\u00e9tais d\u2019une timidit\u00e9 maladive, les voix fortes me terrifiaient, les gestes brusques me faisaient reculer, et j\u2019entendais la voix de mon p\u00e8re me traiter de femmelette. Sa virilit\u00e9 \u00e9tait factice, une armure lourde qu\u2019il croyait bienveillante en me l\u2019imposant. Je peux mesurer aujourd\u2019hui le chemin qu\u2019il dut parcourir pour avoir l\u2019air d\u2019un homme, au sens o\u00f9 sa g\u00e9n\u00e9ration l\u2019exigeait, en \u00e9crasant toute vell\u00e9it\u00e9 de sensibilit\u00e9. Il ne m\u2019\u00e9merveilla jamais par ses cris, par ses coups, par sa violence. Je fus plus vieux que lui tr\u00e8s t\u00f4t, me sembla-t-il, et avec cette vieillesse une empathie \u00e9trange m\u2019accompagna sur la route vers l\u2019\u00e9cole. Qu\u2019allais-je donc y apprendre, sinon ce qu\u2019il m\u2019avait d\u00e9j\u00e0 transmis, l\u2019injustice inou\u00efe des proches. Sans doute avait-il connu le m\u00eame ennui, une autre histoire mais le m\u00eame poids, et dans le fond l\u2019ennui nous r\u00e9unissait, mais nous ne savions qu\u2019en dire. Cette honte d\u2019\u00eatre ce que je suis je crois qu\u2019il me l\u2019a transmise. Lui voulait \u00eatre un autre, et tout son malheur vient du fait qu\u2019il y est parvenu. Il avait cru qu\u2019en usant des armes des autres il deviendrait cet autre, qu\u2019il oublierait qui il \u00e9tait, mais sur le tard la lucidit\u00e9 l\u2019a rattrap\u00e9. La mort de ma m\u00e8re en fut le signal. Je revois ses chemises jamais assez blanches, les costumes confi\u00e9s au pressing, et l\u2019emploi de cireur de pompes qui m\u2019\u00e9tait assign\u00e9. Je n\u2019ai jamais crach\u00e9 sur le cuir comme dans les films, j\u2019aurais d\u00fb, j\u2019aurais mis une distance, mais je cirais avec respect, servile, craignant toujours qu\u2019elles ne brillent pas assez. Ce que cela dit de moi n\u2019est pas reluisant, \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re de ce que pensent souvent ceux qui me c\u00f4toient. J\u2019ai appris moi aussi \u00e0 me composer une armure, \u00e0 disposer d\u2019armes tranchantes, sauf que j\u2019\u00e9vite la guerre. Je la d\u00e9samorce. Je me mets plus bas que terre, ridicule, amoindri, d\u00e9j\u00e0 mort. Cette conscience aigu\u00eb de vivre au plus pr\u00e8s de la mort je ne l\u2019ai pas toujours eue. Elle accompagne une lucidit\u00e9 qui est peut-\u00eatre la derni\u00e8re illusion que je m\u2019autorise. Je m\u2019y accroche, car au-del\u00e0 il n\u2019y a probablement que le plus glacial des n\u00e9ants. Je l\u2019entends encore parler avec sa chienne. Il n\u2019a jamais su qu\u2019entre virilit\u00e9 et sensiblerie il existait une zone apaisante : la sensibilit\u00e9. Le jour o\u00f9 il l\u2019a d\u00e9couverte il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 trop tard. Frapp\u00e9 par un cancer du pancr\u00e9as, il s\u2019illusionna de pouvoir s\u2019en sortir pour entrer dans ce nouveau monde. Quand il sut que cela ne lui serait pas permis il s\u2019\u00e9croula comme un ch\u00eane abattu, en pleine for\u00eat. La fin du monde ne demande pas de responsable. Quand bien m\u00eame tu voudrais t\u2019en d\u00e9signer un, il n\u2019y en a pas. La fin ressemble au commencement : sans raison. Tu te d\u00e9bats dans les cercles concentriques d\u2019un caillou jet\u00e9 toi-m\u00eame dans l\u2019eau. Tu te crois responsable parce qu\u2019il faut bien l\u2019\u00eatre de quelque chose. Toute cette \u00e9nergie li\u00e9e \u00e0 l\u2019implication finit par para\u00eetre d\u00e9risoire. Puis te reprend un sursaut, comme une remont\u00e9e d\u2019acide, la m\u00eame qu\u2019avec la religion. Le Notre P\u00e8re s\u2019est effac\u00e9 de ta m\u00e9moire, il ne reste que le go\u00fbt \u00e2cre de l\u2019invocation. Tu es un singe qui remonte sur l\u2019arbre en pensant retrouver la joie, mais la branche plie sous ton poids. Voil\u00e0 o\u00f9 m\u00e8ne l\u2019implication : \u00e0 croire qu\u2019un geste suffit pour revenir en arri\u00e8re, alors que l\u2019arbre est d\u00e9j\u00e0 creux. ",
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