{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-neige-qui-fond-qui-ne-tient-pas.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-neige-qui-fond-qui-ne-tient-pas.html", "title": "La neige qui fond. Qui ne tient pas", "date_published": "2025-09-09T17:22:39Z", "date_modified": "2025-09-09T17:22:39Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
J\u2019\u00e9cris chaque jour. Parfois la nuit. Le temps se brouille dans ce geste. Longtemps j\u2019ai cherch\u00e9 les mots. Carnets ouverts, silence. Aujourd\u2019hui il suffit d\u2019un titre. Un mot pos\u00e9. Et la phrase vient, lente ou vive. \u00c9crire m\u2019aide \u00e0 tenir. \u00c0 ne pas me disperser. \u00c0 rester debout dans le jour. J\u2019aurais pu peindre. Dessiner. Poser des traits, des couleurs. Mais je n\u2019y parviens pas. Je ne suis ni peintre ni dessinateur. J\u2019ai port\u00e9 ce masque. Je l\u2019ai laiss\u00e9 tomber. Reste ce vide. Alors j\u2019\u00e9cris. Pour creuser. Pour combler. La pelle et la pioche. Le trou laiss\u00e9 par les mensonges. Chaque nuit je m\u2019y enfonce davantage. Et quand je demande : \u00e0 qui cela s\u2019adresse ? Je me l\u00e8ve brusquement. Dans la cour. La cigarette. La neige qui fond. Qui ne tient pas.<\/p>", "content_text": " J\u2019\u00e9cris chaque jour. Parfois la nuit. Le temps se brouille dans ce geste. Longtemps j\u2019ai cherch\u00e9 les mots. Carnets ouverts, silence. Aujourd\u2019hui il suffit d\u2019un titre. Un mot pos\u00e9. Et la phrase vient, lente ou vive. \u00c9crire m\u2019aide \u00e0 tenir. \u00c0 ne pas me disperser. \u00c0 rester debout dans le jour. J\u2019aurais pu peindre. Dessiner. Poser des traits, des couleurs. Mais je n\u2019y parviens pas. Je ne suis ni peintre ni dessinateur. J\u2019ai port\u00e9 ce masque. Je l\u2019ai laiss\u00e9 tomber. Reste ce vide. Alors j\u2019\u00e9cris. Pour creuser. Pour combler. La pelle et la pioche. Le trou laiss\u00e9 par les mensonges. Chaque nuit je m\u2019y enfonce davantage. Et quand je demande : \u00e0 qui cela s\u2019adresse ? Je me l\u00e8ve brusquement. Dans la cour. La cigarette. La neige qui fond. Qui ne tient pas. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20190130_175903.jpg?1757438555", "tags": ["palimpsestes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/investir-sur-soi-3336.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/investir-sur-soi-3336.html", "title": "investir sur soi ", "date_published": "2025-09-09T17:14:28Z", "date_modified": "2025-09-09T17:14:28Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Sur l\u2019\u00e9cran les promesses d\u00e9filent. Devenir charismatique. \u00c9crire un roman \u00e0 succ\u00e8s. Avoir toutes les filles. Le pi\u00e8ge est toujours le m\u00eame : attirer l\u2019attention. Parfois je c\u00e8de. Le mail d\u2019Antoine, ses m\u00e9thodes pour cr\u00e9er une \u00e9cole en ligne. J\u2019ai pay\u00e9. \u00c0 soixante ans, je tente encore. J\u2019ai pass\u00e9 ma vie \u00e0 changer de cap, de m\u00e9tier, de femme. Jamais de plan. Des actions \u00e9parses, sans centre. Comme un patient qui paie sa psychanalyse pour s\u2019obliger \u00e0 parler, j\u2019ai pay\u00e9 cette formation pour m\u2019obliger \u00e0 agir. Peut-\u00eatre n\u2019en sortira rien. Peut-\u00eatre si. \u00c0 vingt-cinq ans, j\u2019aurais fonc\u00e9 sans me poser de questions. Aujourd\u2019hui je m\u2019attarde, je r\u00e9siste. Ce qu\u2019on ne donnerait pas pour s\u2019illusionner encore un peu.<\/p>", "content_text": " Sur l\u2019\u00e9cran les promesses d\u00e9filent. Devenir charismatique. \u00c9crire un roman \u00e0 succ\u00e8s. Avoir toutes les filles. Le pi\u00e8ge est toujours le m\u00eame : attirer l\u2019attention. Parfois je c\u00e8de. Le mail d\u2019Antoine, ses m\u00e9thodes pour cr\u00e9er une \u00e9cole en ligne. J\u2019ai pay\u00e9. \u00c0 soixante ans, je tente encore. J\u2019ai pass\u00e9 ma vie \u00e0 changer de cap, de m\u00e9tier, de femme. Jamais de plan. Des actions \u00e9parses, sans centre. Comme un patient qui paie sa psychanalyse pour s\u2019obliger \u00e0 parler, j\u2019ai pay\u00e9 cette formation pour m\u2019obliger \u00e0 agir. Peut-\u00eatre n\u2019en sortira rien. Peut-\u00eatre si. \u00c0 vingt-cinq ans, j\u2019aurais fonc\u00e9 sans me poser de questions. Aujourd\u2019hui je m\u2019attarde, je r\u00e9siste. Ce qu\u2019on ne donnerait pas pour s\u2019illusionner encore un peu. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20190130_175858.jpg?1757438054", "tags": ["palimpsestes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/savoir-bien-dessiner-3335.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/savoir-bien-dessiner-3335.html", "title": "Savoir bien dessiner", "date_published": "2025-09-09T17:02:49Z", "date_modified": "2025-09-09T17:02:49Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
On ne dessine pas “bien” ou “mal”. On dessine, c\u2019est tout. Quand tu \u00e9tais enfant tu ne te posais pas la question. Le crayon avan\u00e7ait, point. “Bien dessiner” suppose qu\u2019il y aurait une norme, une comparaison, un L\u00e9onard de Vinci en arri\u00e8re-plan. Mais copier L\u00e9onard, c\u2019est refaire ce qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 fait, c\u2019est courir apr\u00e8s une image que la photographie a depuis longtemps rendue inutile. Dessiner, ce n\u2019est pas atteindre une ressemblance parfaite, c\u2019est tracer la mani\u00e8re dont ton regard accroche le monde. Ce n\u2019est pas un savoir acad\u00e9mique, c\u2019est un geste r\u00e9p\u00e9t\u00e9, chaque jour, qui ouvre peu \u00e0 peu l\u2019\u0153il.\nAlors ne jette rien. M\u00eame les griffonnages incertains. Garde-les. Date-les. Ils contiennent d\u00e9j\u00e0 une trace, la tienne. Ce que tu crois rat\u00e9 sera peut-\u00eatre, plus tard, la premi\u00e8re empreinte d\u2019un style.\nLe “bien dessiner” des autres est un pi\u00e8ge. Une attente \u00e9trang\u00e8re. La seule n\u00e9cessit\u00e9, c\u2019est de dessiner comme toi seul peux le faire.<\/p>", "content_text": " On ne dessine pas \u201cbien\u201d ou \u201cmal\u201d. On dessine, c\u2019est tout. Quand tu \u00e9tais enfant tu ne te posais pas la question. Le crayon avan\u00e7ait, point. \u201cBien dessiner\u201d suppose qu\u2019il y aurait une norme, une comparaison, un L\u00e9onard de Vinci en arri\u00e8re-plan. Mais copier L\u00e9onard, c\u2019est refaire ce qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 fait, c\u2019est courir apr\u00e8s une image que la photographie a depuis longtemps rendue inutile. Dessiner, ce n\u2019est pas atteindre une ressemblance parfaite, c\u2019est tracer la mani\u00e8re dont ton regard accroche le monde. Ce n\u2019est pas un savoir acad\u00e9mique, c\u2019est un geste r\u00e9p\u00e9t\u00e9, chaque jour, qui ouvre peu \u00e0 peu l\u2019\u0153il. Alors ne jette rien. M\u00eame les griffonnages incertains. Garde-les. Date-les. Ils contiennent d\u00e9j\u00e0 une trace, la tienne. Ce que tu crois rat\u00e9 sera peut-\u00eatre, plus tard, la premi\u00e8re empreinte d\u2019un style. Le \u201cbien dessiner\u201d des autres est un pi\u00e8ge. Une attente \u00e9trang\u00e8re. La seule n\u00e9cessit\u00e9, c\u2019est de dessiner comme toi seul peux le faire. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20190207_183142.jpg?1757437365", "tags": ["palimpsestes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/impeccabilite-3333.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/impeccabilite-3333.html", "title": "impeccabilit\u00e9", "date_published": "2025-09-09T16:19:28Z", "date_modified": "2025-09-09T16:21:40Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Le claquement sec de la r\u00e8gle sur les doigts. La peau qui chauffe, l\u2019\u0153il qui pique, le silence forc\u00e9 de la classe. L\u2019odeur de craie, le bois cir\u00e9 des pupitres. Tout nous apprenait d\u00e9j\u00e0 \u00e0 avaler la douleur sans mot dire. Cet insupportable-l\u00e0, nous l\u2019avons respir\u00e9, mastiqu\u00e9, aval\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 le confondre avec la normalit\u00e9.<\/p>\n Puis sont venus les matins gris. Le caf\u00e9 aval\u00e9 trop vite, le bus en retard, la pluie dans le col. Les journaux gratuits d\u00e9chir\u00e9s sur les si\u00e8ges. Dans l\u2019usine, dans les bureaux, des ordres claquent encore, comme des coups de r\u00e8gle. On ne s\u2019indigne pas. On serre les dents. Les r\u00eaves des filles \u2013 stabilit\u00e9, douceur, promesse de dur\u00e9e \u2013 se posent sur nous et glissent comme l\u2019eau sur une vitre.<\/p>\n Notre vie devient une longue file d\u2019attente. On avance par petits pas, on s\u2019emp\u00eache de crier, on compte les minutes. Parfois un choc nous arrache \u00e0 cette torpeur : des tours qui s\u2019effondrent en direct, des salles de concert transform\u00e9es en morgues. L\u2019image br\u00fble. On se dit : « merde, rien n\u2019a chang\u00e9 ». Puis l\u2019\u00e9cran s\u2019\u00e9teint.<\/p>\n Et nous reprenons. Les tickets de caisse, les imp\u00f4ts, le vote. Nous faisons la queue, nous payons, nous choisissons celui ou celle qui nous d\u00e9go\u00fbte le moins. Les scandales \u00e9clatent, nous crions un peu, nous jurons de ne plus nous laisser prendre. L\u2019oubli revient, docile, comme un chien. La routine nous reprend par la manche.<\/p>\n Vivre, pourtant, ne devrait pas \u00eatre ce consentement r\u00e9p\u00e9t\u00e9. Vivre devrait \u00eatre une lutte permanente contre l\u2019insupportable, une vigilance animale. Peut-\u00eatre que tout devrait recommencer l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a a commenc\u00e9 : dans une salle de classe. Un enfant se l\u00e8ve, refuse la r\u00e8gle, refuse la r\u00e9signation. Mais personne ne le suit. Le silence s\u2019\u00e9paissit. La craie crisse sur le tableau comme si rien ne s\u2019\u00e9tait pass\u00e9. L\u2019enfant reste debout, seul, les doigts encore rouges. Et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a, la vraie le\u00e7on : r\u00e9sister, c\u2019est rester debout m\u00eame quand tout le monde est assis.<\/p>",
"content_text": " Le claquement sec de la r\u00e8gle sur les doigts. La peau qui chauffe, l\u2019\u0153il qui pique, le silence forc\u00e9 de la classe. L\u2019odeur de craie, le bois cir\u00e9 des pupitres. Tout nous apprenait d\u00e9j\u00e0 \u00e0 avaler la douleur sans mot dire. Cet insupportable-l\u00e0, nous l\u2019avons respir\u00e9, mastiqu\u00e9, aval\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 le confondre avec la normalit\u00e9. Puis sont venus les matins gris. Le caf\u00e9 aval\u00e9 trop vite, le bus en retard, la pluie dans le col. Les journaux gratuits d\u00e9chir\u00e9s sur les si\u00e8ges. Dans l\u2019usine, dans les bureaux, des ordres claquent encore, comme des coups de r\u00e8gle. On ne s\u2019indigne pas. On serre les dents. Les r\u00eaves des filles \u2013 stabilit\u00e9, douceur, promesse de dur\u00e9e \u2013 se posent sur nous et glissent comme l\u2019eau sur une vitre. Notre vie devient une longue file d\u2019attente. On avance par petits pas, on s\u2019emp\u00eache de crier, on compte les minutes. Parfois un choc nous arrache \u00e0 cette torpeur : des tours qui s\u2019effondrent en direct, des salles de concert transform\u00e9es en morgues. L\u2019image br\u00fble. On se dit : \u00ab merde, rien n\u2019a chang\u00e9 \u00bb. Puis l\u2019\u00e9cran s\u2019\u00e9teint. Et nous reprenons. Les tickets de caisse, les imp\u00f4ts, le vote. Nous faisons la queue, nous payons, nous choisissons celui ou celle qui nous d\u00e9go\u00fbte le moins. Les scandales \u00e9clatent, nous crions un peu, nous jurons de ne plus nous laisser prendre. L\u2019oubli revient, docile, comme un chien. La routine nous reprend par la manche. Vivre, pourtant, ne devrait pas \u00eatre ce consentement r\u00e9p\u00e9t\u00e9. Vivre devrait \u00eatre une lutte permanente contre l\u2019insupportable, une vigilance animale. Peut-\u00eatre que tout devrait recommencer l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a a commenc\u00e9 : dans une salle de classe. Un enfant se l\u00e8ve, refuse la r\u00e8gle, refuse la r\u00e9signation. Mais personne ne le suit. Le silence s\u2019\u00e9paissit. La craie crisse sur le tableau comme si rien ne s\u2019\u00e9tait pass\u00e9. L\u2019enfant reste debout, seul, les doigts encore rouges. Et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a, la vraie le\u00e7on : r\u00e9sister, c\u2019est rester debout m\u00eame quand tout le monde est assis. ",
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"title": "Amour",
"date_published": "2019-12-02T15:50:48Z",
"date_modified": "2025-09-10T19:20:37Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Ce qui frappe, ce n\u2019est pas l\u2019amour, mais le d\u00e9samour. Quand l\u2019image qu\u2019on s\u2019\u00e9tait forg\u00e9e se fissure, quand l\u2019autre ne correspond plus \u00e0 la premi\u00e8re impression. On croit chercher des ressemblances, des points communs. On se rassure. Mais ce n\u2019est pas de l\u2019amour. Ni m\u00eame de l\u2019amiti\u00e9.\nUne phrase revient sans cesse, reprise sur les r\u00e9seaux : « Aimer, c\u2019est regarder ensemble dans la m\u00eame direction. » Belle formule. Vide pourtant. Regarder n\u2019est pas donn\u00e9 \u00e0 tous. Et la m\u00eame direction, qu\u2019est-ce que cela veut dire ?\nL\u2019amour v\u00e9ritable n\u2019a pas besoin de mots d\u2019ordre. Il suppose de d\u00e9couvrir l\u2019autre peu \u00e0 peu. Non pas tel qu\u2019on l\u2019imaginait, mais tel qu\u2019il est.\n\u00catre d\u00e9\u00e7u, ce n\u2019est pas l\u2019autre qui nous d\u00e9\u00e7oit. C\u2019est l\u2019\u00e9cart entre lui et ce que nous esp\u00e9rions.\nJ\u2019ai connu une femme. Viol\u00e9e enfant par son p\u00e8re. Elle continuait de vouloir l\u2019aimer. Elle disait : « Il m\u2019a fait \u00e7a pour me prot\u00e9ger. Pour me montrer de quoi les hommes sont capables. M\u00eame lui, mon p\u00e8re, s\u2019est sali pour m\u2019apprendre. »\nPlus tard, elle ne rencontrait que des hommes louches, borderline. Aucun ne pouvait \u00e9galer la violence du p\u00e8re. Elle les poussait au bout. Elle voulait rejouer le drame. Mais si l\u2019un s\u2019y risquait, elle le rejetait aussit\u00f4t. Renfor\u00e7ant ainsi son r\u00e9cit : « Aucun homme ne peut m\u2019aimer autant que lui. »<\/p>\n Nous appelons cela aimer. Mais n\u2019est-ce pas r\u00e9gler par procuration une affaire inachev\u00e9e ?\nM\u00eame tordue, une telle version de l\u2019amour reste encore de l\u2019amour. C\u2019est ce qui d\u00e9sarme.\nOn peut en rire, on peut en pleurer. Ce qui demeure, c\u2019est l\u2019obstination \u00e0 aimer. M\u00eame quand cela prend la forme de la haine, de la bassesse.<\/p>\n Au bout, il ne reste qu\u2019un sourire, fragile, quand tombent les illusions.\nL\u2019amour n\u2019est jamais absent. Il est toujours l\u00e0. Ce que nous ne supportons pas, c\u2019est sa pr\u00e9sence constante.<\/p>",
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"date_published": "2019-11-30T06:22:39Z",
"date_modified": "2025-09-10T19:11:58Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " J\u2019ai longtemps \u00e9cout\u00e9 les mots sans en chercher le sens. J\u2019\u00e9tais pris par la couleur des voix, leur timbre, leurs heurts. Quand je me suis tourn\u00e9 vers la musique, c\u2019est l\u2019\u00e9tranget\u00e9 qui m\u2019a retenu, sa texture, sa forme, la surprise qu\u2019elle d\u00e9posait en moi. Je n\u2019ai jamais \u00e9t\u00e9 m\u00e9lomane. Le solf\u00e8ge, impos\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9cole, m\u2019a vite rebut\u00e9. Adolescent, je grattais une guitare. J\u2019apprenais \u00e0 l\u2019oreille, par fragments, comme on retient des po\u00e8mes r\u00e9cit\u00e9s cent fois, pour que le son p\u00e9n\u00e8tre la m\u00e9moire.\nUn jour, mon p\u00e8re ramena un gros magn\u00e9tophone allemand. Il avait rempli des bandes de morceaux de classique et de jazz. Le week-end, il mettait la machine en marche et toute la maison s\u2019emplissait d\u2019un flot ininterrompu. Pas de titre, pas de nom. Seulement un chaos de sons, travers\u00e9 parfois d\u2019accords lumineux. Je confondais cette alternance avec la vie de mes parents : disputes incessantes, fid\u00e9lit\u00e9 tenace. Comme les bobines tournant en sens contraire et pourtant soud\u00e9es.\nLa musique servait \u00e0 meubler les silences. Jamais je ne l\u2019ai vraiment \u00e9cout\u00e9e l\u00e0, dans le salon. C\u2019est dehors, seul dans la for\u00eat, pr\u00e8s de la rivi\u00e8re, que je l\u2019ai d\u00e9couverte. Une musique sans instrument, apaisante, sens\u00e9e.\nLe rock n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 mon territoire. \u00c0 l\u2019adolescence, il fallait conna\u00eetre les noms des groupes. J\u2019en retenais quelques-uns pour ne pas rester \u00e0 l\u2019\u00e9cart, mais sans conviction. Un matin j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 cette com\u00e9die, je suis retourn\u00e9 vers la campagne, ma solitude.\nJe n\u2019ai pas collectionn\u00e9 de disques, je n\u2019ai pas cherch\u00e9 les concerts. Les lieux o\u00f9 l\u2019on se rassemble autour de la musique m\u2019ont toujours sembl\u00e9 suspects et merveilleux, sanctuaire et enfer. Les sons, eux, formaient une harmonie que je ne retrouvais pas dans la foule. C\u2019est sans doute pour cela que je n\u2019ai jamais pu entrer vraiment dans la musique qu\u2019en solitaire.\nAvec la peinture, m\u00eame attitude : je fuis les chapelles, les cercles. Je cherche \u00e0 garder intacte la relation intime, loin des discours. Ce que je trouve n\u2019est peut-\u00eatre ni musique ni peinture, mais silence, nuit, nudit\u00e9. Un d\u00e9nouement plus qu\u2019une \u0153uvre.\nDevant la toile, je pars du chaos. Taches, griffures. Puis vient peu \u00e0 peu une forme d\u2019accord. La peinture n\u2019est pas une fin, mais un moyen d\u2019approcher cette harmonie.\nAlors, suis-je peintre, musicien ? Peut-\u00eatre rien. Ou seulement cela : une m\u00e9lodie anonyme, comme l\u2019eau dans les pierres ou le vent dans les branches.<\/p>",
"content_text": " J\u2019ai longtemps \u00e9cout\u00e9 les mots sans en chercher le sens. J\u2019\u00e9tais pris par la couleur des voix, leur timbre, leurs heurts. Quand je me suis tourn\u00e9 vers la musique, c\u2019est l\u2019\u00e9tranget\u00e9 qui m\u2019a retenu, sa texture, sa forme, la surprise qu\u2019elle d\u00e9posait en moi. Je n\u2019ai jamais \u00e9t\u00e9 m\u00e9lomane. Le solf\u00e8ge, impos\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9cole, m\u2019a vite rebut\u00e9. Adolescent, je grattais une guitare. J\u2019apprenais \u00e0 l\u2019oreille, par fragments, comme on retient des po\u00e8mes r\u00e9cit\u00e9s cent fois, pour que le son p\u00e9n\u00e8tre la m\u00e9moire. Un jour, mon p\u00e8re ramena un gros magn\u00e9tophone allemand. Il avait rempli des bandes de morceaux de classique et de jazz. Le week-end, il mettait la machine en marche et toute la maison s\u2019emplissait d\u2019un flot ininterrompu. Pas de titre, pas de nom. Seulement un chaos de sons, travers\u00e9 parfois d\u2019accords lumineux. Je confondais cette alternance avec la vie de mes parents : disputes incessantes, fid\u00e9lit\u00e9 tenace. Comme les bobines tournant en sens contraire et pourtant soud\u00e9es. La musique servait \u00e0 meubler les silences. Jamais je ne l\u2019ai vraiment \u00e9cout\u00e9e l\u00e0, dans le salon. C\u2019est dehors, seul dans la for\u00eat, pr\u00e8s de la rivi\u00e8re, que je l\u2019ai d\u00e9couverte. Une musique sans instrument, apaisante, sens\u00e9e. Le rock n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 mon territoire. \u00c0 l\u2019adolescence, il fallait conna\u00eetre les noms des groupes. J\u2019en retenais quelques-uns pour ne pas rester \u00e0 l\u2019\u00e9cart, mais sans conviction. Un matin j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 cette com\u00e9die, je suis retourn\u00e9 vers la campagne, ma solitude. Je n\u2019ai pas collectionn\u00e9 de disques, je n\u2019ai pas cherch\u00e9 les concerts. Les lieux o\u00f9 l\u2019on se rassemble autour de la musique m\u2019ont toujours sembl\u00e9 suspects et merveilleux, sanctuaire et enfer. Les sons, eux, formaient une harmonie que je ne retrouvais pas dans la foule. C\u2019est sans doute pour cela que je n\u2019ai jamais pu entrer vraiment dans la musique qu\u2019en solitaire. Avec la peinture, m\u00eame attitude : je fuis les chapelles, les cercles. Je cherche \u00e0 garder intacte la relation intime, loin des discours. Ce que je trouve n\u2019est peut-\u00eatre ni musique ni peinture, mais silence, nuit, nudit\u00e9. Un d\u00e9nouement plus qu\u2019une \u0153uvre. Devant la toile, je pars du chaos. Taches, griffures. Puis vient peu \u00e0 peu une forme d\u2019accord. La peinture n\u2019est pas une fin, mais un moyen d\u2019approcher cette harmonie. Alors, suis-je peintre, musicien ? Peut-\u00eatre rien. Ou seulement cela : une m\u00e9lodie anonyme, comme l\u2019eau dans les pierres ou le vent dans les branches. ",
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"title": "Le livre",
"date_published": "2019-11-24T11:31:03Z",
"date_modified": "2025-09-10T17:45:29Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " \u00c9crire un livre. J\u2019y ai longtemps pens\u00e9. Un projet de fond. Pendant des ann\u00e9es. Puis j\u2019ai renonc\u00e9. Je ne savais pas quelle forme lui donner. Roman ? Essai ? Nouvelles ? Autofiction ? Toujours cette tentation de rapprocher ce que j\u2019\u00e9crivais d\u2019une forme reconnue. Rassurante. Pour l\u2019\u00e9diteur. Pour moi. La question est rest\u00e9e l\u00e0. En suspens. Aujourd\u2019hui elle revient. Devant l\u2019accumulation des textes sur ce blog. Je pourrais demander ton avis. Toi qui lis. Faut-il en faire un livre ? Un seul, plusieurs ?\nJe n\u2019ai pas la r\u00e9ponse. J\u2019\u00e9cris. Chaque jour. Comme un paysan va au champ. Parce qu\u2019il n\u2019a pas le choix. Parce que sans \u00e7a, il ne vivrait pas.\nUn paysan ne poss\u00e8de presque rien. Un peu d\u2019eau. L\u2019amour du travail. Une obstination muette. Se lever. Sortir. Reprendre. Ce peu suffit. Cela tient lieu de vie.<\/p>\n illustration<\/strong> Tableau de Lu Hui peintre humaniste<\/p>",
"content_text": " \u00c9crire un livre. J\u2019y ai longtemps pens\u00e9. Un projet de fond. Pendant des ann\u00e9es. Puis j\u2019ai renonc\u00e9. Je ne savais pas quelle forme lui donner. Roman ? Essai ? Nouvelles ? Autofiction ? Toujours cette tentation de rapprocher ce que j\u2019\u00e9crivais d\u2019une forme reconnue. Rassurante. Pour l\u2019\u00e9diteur. Pour moi. La question est rest\u00e9e l\u00e0. En suspens. Aujourd\u2019hui elle revient. Devant l\u2019accumulation des textes sur ce blog. Je pourrais demander ton avis. Toi qui lis. Faut-il en faire un livre ? Un seul, plusieurs ? Je n\u2019ai pas la r\u00e9ponse. J\u2019\u00e9cris. Chaque jour. Comme un paysan va au champ. Parce qu\u2019il n\u2019a pas le choix. Parce que sans \u00e7a, il ne vivrait pas. Un paysan ne poss\u00e8de presque rien. Un peu d\u2019eau. L\u2019amour du travail. Une obstination muette. Se lever. Sortir. Reprendre. Ce peu suffit. Cela tient lieu de vie. **illustration** Tableau de Lu Hui peintre humaniste ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-nuit.html",
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"title": "La nuit",
"date_published": "2019-11-17T08:32:22Z",
"date_modified": "2025-09-10T17:37:41Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " La nuit demeure. On la chasse, elle revient. Elle fut l\u00e0 d\u00e8s l\u2019origine. Elle sera l\u00e0 apr\u00e8s la fin. On a voulu y loger la peur, l\u2019ignorance, la barbarie. Mais la barbarie r\u00e8gne en plein jour. La nuit efface les formes, les couleurs, les visages. Elle r\u00e9duit tout \u00e0 l\u2019indistinct.\nReste le ciel. Les constellations traversent l\u2019obscur. Lumi\u00e8res venues de loin. Morts anciennes qui continuent de nous guider.<\/p>",
"content_text": "La nuit demeure. On la chasse, elle revient. Elle fut l\u00e0 d\u00e8s l\u2019origine. Elle sera l\u00e0 apr\u00e8s la fin. On a voulu y loger la peur, l\u2019ignorance, la barbarie. Mais la barbarie r\u00e8gne en plein jour. La nuit efface les formes, les couleurs, les visages. Elle r\u00e9duit tout \u00e0 l\u2019indistinct. Reste le ciel. Les constellations traversent l\u2019obscur. Lumi\u00e8res venues de loin. Morts anciennes qui continuent de nous guider.",
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"tags": ["po\u00e9sie du quotidien", "palimpsestes"]
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\nInventer, traduire, r\u00e9arranger, que ce soit dans la peinture, dans l\u2019\u00e9criture, dans la vie de tous les jours, s\u2019oppose. Cet \u00e9lan est une lutte de chaque instant. Ce qui s\u2019oppose est en m\u00eame temps ce qui attire et que l\u2019on repousse. La culpabilit\u00e9 qui en r\u00e9sulte est directement reli\u00e9e \u00e0 la responsabilit\u00e9 que j\u2019 engage dans cette lutte. Est-ce que je ne vais pas trop loin, est-ce que je suis pr\u00e9tentieux, fou, imbu de ma petite personne. Parfois je me sens comme un rat dans un labyrinthe, je ne sais plus si c\u2019est le morceau de fromage qui m\u2019attire ou l\u2019issue. Et toujours cette petite voix qui ne cesse de dire « ne te berne pas toi-m\u00eame ». Il faut tendre l\u2019oreille au d\u00e9but. Lui faire confiance. Elle enseigne ce que Castan\u00e9da ou Don juan nomment « l\u2019impeccabilit\u00e9 ». Ce n\u2019est pas une id\u00e9e de perfection, ce n\u2019est pas un but fix\u00e9 dans l\u2019avenir. On ne peut pas vouloir devenir impeccable. Quand on l\u2019est, on est pr\u00e9sent \u00e0 soi, \u00e0 cette toute petite voix presque inaudible tant le flux des pens\u00e9es, du ressentiment, de l\u2019amertume, du d\u00e9sir, tout ce qui s\u2019oppose est puissant.