{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/conte-de-noel.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/conte-de-noel.html", "title": "Conte de No\u00ebl", "date_published": "2020-12-27T07:30:20Z", "date_modified": "2025-09-25T15:56:30Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Avant la t\u00e9l\u00e9 on se retrouvait chez les uns, chez les autres, ce soir-l\u00e0 chez Jacques, journaliste \u00e0 La Montagne, corbeau sec dans son imperm\u00e9able gris, toujours surgissant quand on ne l\u2019attend pas, toujours un peu de travers, toujours un peu trop. La maison, avant le Cluzeau, on en connaissait les failles : les cerises pill\u00e9es, la cave forc\u00e9e, les bocaux d\u2019eau-de-vie vid\u00e9s \u00e0 la cuill\u00e8re, l\u2019odeur acide qui collait aux doigts. Jacques ne riait pas, jamais, pisse-froid disait mon p\u00e8re, moi j\u2019y voyais surtout ce bec noir, cette fa\u00e7on de couper le temps en surgissant au coin du chemin. Une fois, on a parl\u00e9 d\u2019une femme, silhouette aper\u00e7ue \u00e0 la fen\u00eatre, un \u00e9dredon battant deux heures au balcon. Apr\u00e8s, plus rien. Silence.<\/p>\n
La grande pi\u00e8ce : feu dans la chemin\u00e9e, livres jusqu\u2019au plafond, papiers en tas sur le sol, bureau Napol\u00e9on sous-main vert \u00e9pinard, corbeille pleine de lunettes, pipes mordill\u00e9es, caboss\u00e9es, frapp\u00e9es contre le bois. Les pipes me le rendaient proche, elles disaient son usure, comme mon p\u00e8re, comme tous les hommes qui m\u00e2chent au lieu de parler. Chats, chien, odeur m\u00eal\u00e9e d\u2019ammoniaque, de chicor\u00e9e, de bois br\u00fbl\u00e9, L\u00e9autaud avant l\u2019heure.<\/p>\n
Il parlait net, jamais de tapes dans le dos, jamais de fausses familiarit\u00e9s. Asseyez-vous, les enfants. L\u2019eau qui pique au frigo, sachets de la Coop, grenadine pour No\u00ebl, ce soir-l\u00e0 la menthe pour la premi\u00e8re fois, go\u00fbt piquant sur la langue. Nous, fascin\u00e9s.<\/p>\n
Les grands d\u00e9battaient, soixante-huit, Grenelle, CRS, Luther King. Mon fr\u00e8re endormi contre un chat. Jacques disait : l\u2019humanit\u00e9 est une triste engeance. Mon arri\u00e8re-grand-p\u00e8re hochait la t\u00eate : toutes les guerres se valent. Moi je d\u00e9rivais, ennui, fum\u00e9e, bois qui craque. Jacques montait, plancher qui g\u00e9mit, revenait avec un sac froiss\u00e9, me le tendait : votre No\u00ebl. Les Pieds Nickel\u00e9s, vingt ans d\u2019\u00e2ge, couleurs pass\u00e9es, rien \u00e0 voir avec Tintin ou Pilote.<\/p>\n
Chez nous No\u00ebl c\u2019\u00e9tait une orange, un repas un peu plus soign\u00e9, pas de sapin, pas de jouets. On se taisait quand les copains racontaient leurs f\u00eates. Ce sac-l\u00e0, ces pages jaunies, c\u2019\u00e9tait plus que No\u00ebl. C\u2019\u00e9tait la preuve que m\u00eame les corbeaux pouvaient donner. J\u2019ai eu les larmes aux yeux.<\/p>\n
J\u2019ai gard\u00e9 les Pieds Nickel\u00e9s, trimball\u00e9s de d\u00e9m\u00e9nagement en d\u00e9m\u00e9nagement, jusqu\u2019au jour o\u00f9, vieux \u00e0 mon tour, aust\u00e8re comme lui, j\u2019ai fait le m\u00eame geste, donn\u00e9 \u00e0 un gamin. Mais ce que j\u2019ai transmis, je le sais, ce n\u2019\u00e9tait pas un tr\u00e9sor, pas une f\u00eate. Seulement une odeur persistante, un poids de silence, un hiver sans fin.<\/p>", "content_text": "Avant la t\u00e9l\u00e9 on se retrouvait chez les uns, chez les autres, ce soir-l\u00e0 chez Jacques, journaliste \u00e0 La Montagne, corbeau sec dans son imperm\u00e9able gris, toujours surgissant quand on ne l\u2019attend pas, toujours un peu de travers, toujours un peu trop. La maison, avant le Cluzeau, on en connaissait les failles : les cerises pill\u00e9es, la cave forc\u00e9e, les bocaux d\u2019eau-de-vie vid\u00e9s \u00e0 la cuill\u00e8re, l\u2019odeur acide qui collait aux doigts. Jacques ne riait pas, jamais, pisse-froid disait mon p\u00e8re, moi j\u2019y voyais surtout ce bec noir, cette fa\u00e7on de couper le temps en surgissant au coin du chemin. Une fois, on a parl\u00e9 d\u2019une femme, silhouette aper\u00e7ue \u00e0 la fen\u00eatre, un \u00e9dredon battant deux heures au balcon. Apr\u00e8s, plus rien. Silence. La grande pi\u00e8ce : feu dans la chemin\u00e9e, livres jusqu\u2019au plafond, papiers en tas sur le sol, bureau Napol\u00e9on sous-main vert \u00e9pinard, corbeille pleine de lunettes, pipes mordill\u00e9es, caboss\u00e9es, frapp\u00e9es contre le bois. Les pipes me le rendaient proche, elles disaient son usure, comme mon p\u00e8re, comme tous les hommes qui m\u00e2chent au lieu de parler. Chats, chien, odeur m\u00eal\u00e9e d\u2019ammoniaque, de chicor\u00e9e, de bois br\u00fbl\u00e9, L\u00e9autaud avant l\u2019heure. Il parlait net, jamais de tapes dans le dos, jamais de fausses familiarit\u00e9s. Asseyez-vous, les enfants. L\u2019eau qui pique au frigo, sachets de la Coop, grenadine pour No\u00ebl, ce soir-l\u00e0 la menthe pour la premi\u00e8re fois, go\u00fbt piquant sur la langue. Nous, fascin\u00e9s. Les grands d\u00e9battaient, soixante-huit, Grenelle, CRS, Luther King. Mon fr\u00e8re endormi contre un chat. Jacques disait : l\u2019humanit\u00e9 est une triste engeance. Mon arri\u00e8re-grand-p\u00e8re hochait la t\u00eate : toutes les guerres se valent. Moi je d\u00e9rivais, ennui, fum\u00e9e, bois qui craque. Jacques montait, plancher qui g\u00e9mit, revenait avec un sac froiss\u00e9, me le tendait : votre No\u00ebl. Les Pieds Nickel\u00e9s, vingt ans d\u2019\u00e2ge, couleurs pass\u00e9es, rien \u00e0 voir avec Tintin ou Pilote. Chez nous No\u00ebl c\u2019\u00e9tait une orange, un repas un peu plus soign\u00e9, pas de sapin, pas de jouets. On se taisait quand les copains racontaient leurs f\u00eates. Ce sac-l\u00e0, ces pages jaunies, c\u2019\u00e9tait plus que No\u00ebl. C\u2019\u00e9tait la preuve que m\u00eame les corbeaux pouvaient donner. J\u2019ai eu les larmes aux yeux. J\u2019ai gard\u00e9 les Pieds Nickel\u00e9s, trimball\u00e9s de d\u00e9m\u00e9nagement en d\u00e9m\u00e9nagement, jusqu\u2019au jour o\u00f9, vieux \u00e0 mon tour, aust\u00e8re comme lui, j\u2019ai fait le m\u00eame geste, donn\u00e9 \u00e0 un gamin. Mais ce que j\u2019ai transmis, je le sais, ce n\u2019\u00e9tait pas un tr\u00e9sor, pas une f\u00eate. Seulement une odeur persistante, un poids de silence, un hiver sans fin.", "image": "", "tags": ["palimpsestes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/ce-cancer-qui-nous-ronge.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/ce-cancer-qui-nous-ronge.html", "title": "Ce cancer qui nous ronge", "date_published": "2020-06-20T16:16:43Z", "date_modified": "2025-09-25T15:56:44Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Jeune, j\u2019ai tenu entre les doigts des manuels de m\u00e9decine comme on tient un couteau : pages grasses, odeur de colle et d\u2019encre, dessins de chair ouverts comme des cartes, et j\u2019ai cherch\u00e9 dans ces cartes une route pour dispara\u00eetre — route illisible, travers\u00e9e de noms et de sigles qui ne savent rien de ce qui arrive quand \u00e7a commence \u00e0 se d\u00e9faire. J\u2019ai cess\u00e9 de nommer. J\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 d\u2019abandonner les organes aux catalogues, les sympt\u00f4mes aux listes, comme on jette des v\u00eatements trop petits dans un sac ; la panique, elle, est rest\u00e9e, mais sans rep\u00e8re, sans \u00e9tiquette pour la reconna\u00eetre, elle se d\u00e9place, elle attend dans un pli du jour. J\u2019ai observ\u00e9 les autres comme on \u00e9pie des voleurs : la t\u00e9l\u00e9vision allum\u00e9e en permanence, le frigo fouill\u00e9 comme une pri\u00e8re, la conversation comme un rempart — mille petites aversions pour la solitude, mille petites ruses h\u00e9rit\u00e9es de l\u2019enfance, qu\u2019on tra\u00eene jusque dans les maisons de retraite. Alors j\u2019ai essay\u00e9 une autre strat\u00e9gie : m\u2019asseoir, fermer la porte, ne plus chercher de d\u00e9tour. Rester, voil\u00e0 tout, tenir le visage en face de la b\u00eate sans l\u2019appeler. Les premi\u00e8res heures ressemblent \u00e0 des combats sans adversaire ; puis, peu \u00e0 peu, quelque chose l\u00e2che et la lumi\u00e8re — pas une id\u00e9e, pas une explication — une lumi\u00e8re qui glisse, qui tombe sur la peinture craquel\u00e9e du mur, qui r\u00e9v\u00e8le la poussi\u00e8re comme un mot. Maintenant c\u2019est un geste quotidien, hygi\u00e8ne sans hygi\u00e8ne, ablation des faux-semblants ; je reviens, je m\u2019assieds, la chaise conna\u00eet mon poids. Les autres courent toujours. Ils fuient. Et moi je reste. La porte ferme.<\/p>", "content_text": "Jeune, j\u2019ai tenu entre les doigts des manuels de m\u00e9decine comme on tient un couteau : pages grasses, odeur de colle et d\u2019encre, dessins de chair ouverts comme des cartes, et j\u2019ai cherch\u00e9 dans ces cartes une route pour dispara\u00eetre \u2014 route illisible, travers\u00e9e de noms et de sigles qui ne savent rien de ce qui arrive quand \u00e7a commence \u00e0 se d\u00e9faire. J\u2019ai cess\u00e9 de nommer. J\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 d\u2019abandonner les organes aux catalogues, les sympt\u00f4mes aux listes, comme on jette des v\u00eatements trop petits dans un sac ; la panique, elle, est rest\u00e9e, mais sans rep\u00e8re, sans \u00e9tiquette pour la reconna\u00eetre, elle se d\u00e9place, elle attend dans un pli du jour. J\u2019ai observ\u00e9 les autres comme on \u00e9pie des voleurs : la t\u00e9l\u00e9vision allum\u00e9e en permanence, le frigo fouill\u00e9 comme une pri\u00e8re, la conversation comme un rempart \u2014 mille petites aversions pour la solitude, mille petites ruses h\u00e9rit\u00e9es de l\u2019enfance, qu\u2019on tra\u00eene jusque dans les maisons de retraite. Alors j\u2019ai essay\u00e9 une autre strat\u00e9gie : m\u2019asseoir, fermer la porte, ne plus chercher de d\u00e9tour. Rester, voil\u00e0 tout, tenir le visage en face de la b\u00eate sans l\u2019appeler. Les premi\u00e8res heures ressemblent \u00e0 des combats sans adversaire ; puis, peu \u00e0 peu, quelque chose l\u00e2che et la lumi\u00e8re \u2014 pas une id\u00e9e, pas une explication \u2014 une lumi\u00e8re qui glisse, qui tombe sur la peinture craquel\u00e9e du mur, qui r\u00e9v\u00e8le la poussi\u00e8re comme un mot. Maintenant c\u2019est un geste quotidien, hygi\u00e8ne sans hygi\u00e8ne, ablation des faux-semblants ; je reviens, je m\u2019assieds, la chaise conna\u00eet mon poids. Les autres courent toujours. Ils fuient. Et moi je reste. La porte ferme.", "image": "", "tags": ["palimpsestes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-procrastination-va-se-developper.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-procrastination-va-se-developper.html", "title": "La procrastination va se d\u00e9velopper.", "date_published": "2020-05-24T08:53:06Z", "date_modified": "2025-09-25T15:56:59Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Personnage, seul en sc\u00e8ne.
\n(Lumi\u00e8re crue. Une chaise. Un cendrier plein. Silence au d\u00e9but.)<\/p>\n
J\u2019allume. (Il tire.) Rien.
\nLa fen\u00eatre. Le ciel. Rien.<\/p>\n
(Il tourne en rond.)
\nJe monte. Je descends. Je remonte. Je redescends.
\nLa chaise. (Il montre.) Toujours la chaise.
\nTu la vois ? Tu la vois, toi ? Moi je la vois trop.<\/p>\n
Facebook. Mails. Slogans. Rien.
\nBranler ? M\u00eame pas \u00e7a.
\nMais toi, qu\u2019est-ce que tu branles ?
\nLui, qu\u2019est-ce qu\u2019il branle ?
\nMoi, qu\u2019est-ce que je branle ?
\nRien.<\/p>\n
(Lent, presque chuchot\u00e9.)
\nL\u2019olivier bourgeonne.
\nLe figuier cr\u00e8ve.
\nDeux arbres. Deux destins.
\nEt moi, plant\u00e9 entre les deux.<\/p>\n
Chrome ouvert. Procrastination.
\nRaisons de procrastiner.
\nNewsletters. Je clique. Je clique. Je clique.
\nLa chaise.
\nJe compile, je range, je fais semblant.
\nJe ne fais rien.<\/p>\n
(Il fixe un point, froid.)
\nJe ne peins plus.
\nPand\u00e9mie ? Pr\u00e9texte.
\nL\u2019\u00e2ge ? Pr\u00e9texte.
\nLa v\u00e9rit\u00e9 tu la connais : \u00e0 quoi bon.<\/p>\n
(Brusque.)
\nElle me regarde.
\nAssis.
\nClou\u00e9.
\nLa chaise.
\nElle rage. Je rage.
\nOn ne bouge pas.
\nMur. Divorce.
\nTout m\u2019agresse.
\nM\u00eame respirer.<\/p>\n
La nuit seulement je respire.
\nElle dort.
\nMoi je marche. Cour. Atelier. Bureau.
\nLe cendrier d\u00e9borde. Les m\u00e9gots montent.
\nLe matin me dit : tu veux crever.
\nEt j\u2019acquiesce.<\/p>\n
(Tr\u00e8s sec.)
\nEt l\u2019argent.
\nToujours l\u2019argent.
\nL\u2019argent.
\nTu ne rapportes rien.
\nHuissier. Proc\u00e9dure. Honte.<\/p>\n
(Se tourne vers le public, dur.)
\nQu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ?
\nElle crie.
\nJe me tais.
\nElle accuse.
\nJ\u2019encaisse.
\nLa panique rend sourd.
\nLa honte rend muet.
\nL\u2019argent.<\/p>\n
(Agit\u00e9, il tape sur l\u2019ordi imaginaire.)
\nAlors je cherche.
\nDes miracles.
\nGagner vite.
\nPromesses. Leurres. Leurres. Leurres.<\/p>\n
(Comme surpris par une voix hors champ.)\n
— Tu fais quoi ?
\nToujours la m\u00eame phrase.
\nTu fais quoi ?<\/p>\n
(Explose.)
\nRien !
\nJe fais rien !
\nJe gueule.
\nContre elle.
\nContre moi.
\nTu fais quoi ?<\/p>\n
(Assis, voix basse.)
\nOn mange ensemble.
\nEn silence.
\nElle reste.
\nJe pars.
\nJe ne supporte pas ce silence-l\u00e0.<\/p>\n
On dit divorce.
\nMoi d\u2019abord.
\nQu\u2019elle s\u2019en aille. Qu\u2019elle se sauve.
\nMoi d\u00e9fait.
\nElle heureuse.
\nPeut-\u00eatre.<\/p>\n
(Le ton remonte.)
\nMais l\u2019argent revient.
\nToujours. Toujours. Toujours.
\nL\u2019argent.<\/p>\n
(Jetant les mots comme des pierres.)
\nJ\u2019ai boss\u00e9 comme un chien.
\nSoixante ans.
\nRien.
\nPas d\u2019\u00e9pargne.
\nPas d\u2019avenir.<\/p>\n
Actionnaires. Restructurations. Licenciements.
\nOn prend. On essore. On jette.
\nMoi jet\u00e9.<\/p>\n
Des bombes dans la t\u00eate.
\nTraumatismes.
\nFin de moi.<\/p>\n
(Tr\u00e8s lent.)
\nProcrastination ? Non.
\nGangr\u00e8ne.
\nPeste molle.<\/p>\n
(Claque.)
\nLa guerre.
\nPas dehors.
\nIci. Dedans.
\nChez nous.
\nDans les repas.
\nDans le lit.<\/p>\n
(Encore la voix hors champ.)\n
— Tu fais quoi ?<\/p>\n
(Silence. Long.)<\/p>\n
(On entend une cl\u00e9 dans la serrure. Le com\u00e9dien se fige. Il l\u00e2che :)
\nElle rentre des courses.<\/p>\n
(Noir brutal.)<\/p>", "content_text": "Personnage, seul en sc\u00e8ne. (Lumi\u00e8re crue. Une chaise. Un cendrier plein. Silence au d\u00e9but.) J\u2019allume. (Il tire.) Rien. La fen\u00eatre. Le ciel. Rien. (Il tourne en rond.) Je monte. Je descends. Je remonte. Je redescends. La chaise. (Il montre.) Toujours la chaise. Tu la vois ? Tu la vois, toi ? Moi je la vois trop. Facebook. Mails. Slogans. Rien. Branler ? M\u00eame pas \u00e7a. Mais toi, qu\u2019est-ce que tu branles ? Lui, qu\u2019est-ce qu\u2019il branle ? Moi, qu\u2019est-ce que je branle ? Rien. (Lent, presque chuchot\u00e9.) L\u2019olivier bourgeonne. Le figuier cr\u00e8ve. Deux arbres. Deux destins. Et moi, plant\u00e9 entre les deux. Chrome ouvert. Procrastination. Raisons de procrastiner. Newsletters. Je clique. Je clique. Je clique. La chaise. Je compile, je range, je fais semblant. Je ne fais rien. (Il fixe un point, froid.) Je ne peins plus. Pand\u00e9mie ? Pr\u00e9texte. L\u2019\u00e2ge ? Pr\u00e9texte. La v\u00e9rit\u00e9 tu la connais : \u00e0 quoi bon. (Brusque.) Elle me regarde. Assis. Clou\u00e9. La chaise. Elle rage. Je rage. On ne bouge pas. Mur. Divorce. Tout m\u2019agresse. M\u00eame respirer. La nuit seulement je respire. Elle dort. Moi je marche. Cour. Atelier. Bureau. Le cendrier d\u00e9borde. Les m\u00e9gots montent. Le matin me dit : tu veux crever. Et j\u2019acquiesce. (Tr\u00e8s sec.) Et l\u2019argent. Toujours l\u2019argent. L\u2019argent. Tu ne rapportes rien. Huissier. Proc\u00e9dure. Honte. (Se tourne vers le public, dur.) Qu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ? Elle crie. Je me tais. Elle accuse. J\u2019encaisse. La panique rend sourd. La honte rend muet. L\u2019argent. (Agit\u00e9, il tape sur l\u2019ordi imaginaire.) Alors je cherche. Des miracles. Gagner vite. Promesses. Leurres. Leurres. Leurres. (Comme surpris par une voix hors champ.) \u2014 Tu fais quoi ? Toujours la m\u00eame phrase. Tu fais quoi ? (Explose.) Rien ! Je fais rien ! Je gueule. Contre elle. Contre moi. Tu fais quoi ? (Assis, voix basse.) On mange ensemble. En silence. Elle reste. Je pars. Je ne supporte pas ce silence-l\u00e0. On dit divorce. Moi d\u2019abord. Qu\u2019elle s\u2019en aille. Qu\u2019elle se sauve. Moi d\u00e9fait. Elle heureuse. Peut-\u00eatre. (Le ton remonte.) Mais l\u2019argent revient. Toujours. Toujours. Toujours. L\u2019argent. (Jetant les mots comme des pierres.) J\u2019ai boss\u00e9 comme un chien. Soixante ans. Rien. Pas d\u2019\u00e9pargne. Pas d\u2019avenir. Actionnaires. Restructurations. Licenciements. On prend. On essore. On jette. Moi jet\u00e9. Des bombes dans la t\u00eate. Traumatismes. Fin de moi. (Tr\u00e8s lent.) Procrastination ? Non. Gangr\u00e8ne. Peste molle. (Claque.) La guerre. Pas dehors. Ici. Dedans. Chez nous. Dans les repas. Dans le lit. (Encore la voix hors champ.) \u2014 Tu fais quoi ? (Silence. Long.) (On entend une cl\u00e9 dans la serrure. Le com\u00e9dien se fige. Il l\u00e2che :) Elle rentre des courses. (Noir brutal.)", "image": "", "tags": ["palimpsestes"] } ] }