{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-temps-d-une-rencontre.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-temps-d-une-rencontre.html", "title": "Le temps d'une rencontre", "date_published": "2023-02-14T05:20:38Z", "date_modified": "2025-10-17T14:15:12Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
image Google Earth<\/p>\n
-Bonjour mon nom est Martel comme Charles mais mon pr\u00e9nom est Jean dit l’homme avec un accent fran\u00e7ais<\/p>\n
Frances s’\u00e9tait install\u00e9e \u00e0 une terrasse de caf\u00e9 career de l’Encarnaci\u00f3 et avait command\u00e9 une Font Selva<\/em>, au moment o\u00f9 elle remplissait le verre d’eau min\u00e9rale, l’homme s’\u00e9tait pr\u00e9sent\u00e9 devant elle.<\/p>\n -Bonjour dit Frances de fa\u00e7on laconique puis elle porta le verre \u00e0 ses l\u00e8vres tout en fixant l’homme avec un regard sans expression.<\/p>\n -j’irai droit au but dit l’homme je sais que vous travaillez en ce moment m\u00eame sur les \u00e9crits D’ Alonso Quichano, je sais que c’\u00b4est Milena Quichano qui vous a command\u00e9 ce travail. Je suis votre pr\u00e9d\u00e9cesseur si je peux m’exprimer ainsi, traducteur tout comme vous. car vous l’\u00eates n’est-ce pas .. Et je voulais vous mettre en garde...<\/p>\n Frances reposa le verre et eut du mal \u00e0 cacher sa stup\u00e9faction. Puis elle invita l’homme \u00e0 s’asseoir.<\/p>\n -Je vous ai vu tout \u00e0 l’heure au Parc Guell, r\u00e9pondit-t’elle , comme mise en garde il y a mieux, vous m’avez plut\u00f4t effray\u00e9e. j’ai vu que vous m’aviez suivie jusqu’ici. Pourquoi ne pas m’aborder plus t\u00f4t, j’ai pens\u00e9 \u00e0 un d\u00e9traqu\u00e9 ou \u00e0 un dragueur ajouta t’elle. Elle s’exprimait dans un fran\u00e7ais impeccable sans accent.<\/p>\n -Je suis d\u00e9sol\u00e9 je ne voulais pas vous effrayer je cherchais seulement une fa\u00e7on de vous aborder qui ne soit pas ...ambigu\u00eb...<\/p>\n -Et bien c’est r\u00e9ussi le coupa Frances. Puis elle examina l’homme plus attentivement. Grand, entre 1,80 peut-\u00eatre m\u00eame un peu plus, svelte, il portait une veste de lin l\u00e9g\u00e8re sur un tee shirt noir, et un jean. Une barbe de deux jours poivre et sel indiquait un \u00e2ge au del\u00e0 de la quarantaine, les cheveux coupes courts , brun avec les tempes l\u00e9g\u00e8rement argent\u00e9es et des yeux bleus. Plut\u00f4t sportif et avenant, avec comme seule faille visible quelque chose d’h\u00e9sitant \u00e9manant de sa personne. Son d\u00e9bit un peu trop rapide et saccad\u00e9 De la timidit\u00e9 peut-\u00eatre se dit Frances.<\/p>\n -J’ai travaill\u00e9 six mois sur le cas Quichano repris Martel, puis \u00e0 la fin lorsque j’ai remis ma traduction \u00e0 madame Quichano, elle m’a signifi\u00e9 sa d\u00e9ception, puis elle a exig\u00e9 que je lui remette tout le mat\u00e9riel qu’elle m’avait confi\u00e9 sans me payer le moindre centime de plus. Bien s\u00fbr j’ai protest\u00e9... mais vous savez ... c’est une femme riche entour\u00e9e d’avocats... Que pouvais-je faire ...je n’ai rien pu faire. Aussi je me doutais qu’elle recommencerait c’est pourquoi je l’ai suivie jusqu’au parc Guell je la suis depuis des jours vous savez... et lorsque j’ai vous ai vu toutes les deux ce matin j’ai compris qu’elle faisait appel \u00e0 vous pour le m\u00eame travail.<\/p>\n -Bien, mais en quoi cela me regarde t’il dit Frances que voulez-vous vraiment ?<\/p>\n -Une collaboration, comme je vous le disais j’ai pass\u00e9 six mois \u00e0 d\u00e9chiffrer les \u00e9crits et \u00e9couter les dires de ce malade, tout ce travail effectu\u00e9 pour rien me rend cingl\u00e9 comprenez-vous. Ce que je vous propose donc c’est de le partager avec vous et si cela vous int\u00e9resse vous me donnerez ce que vous voudrez. La seule chose qui m’importe c’est que ce temps pass\u00e9 ne soit pas totalement perdu.<\/p>\n Frances confirma sa pens\u00e9e sur la timidit\u00e9 de Jean Martel En lui parlant il se tordait les doigts, elle pouvait voir la blancheur des phalanges, en revanche lorsque son regard remonta vers son visage elle constata que les pommettes de l’homme s’\u00e9taient empourpr\u00e9es. Elle r\u00e9fl\u00e9chissait. Comme la plupart des timides il fr\u00f4lait l’exub\u00e9rance l’excitation en tous cas d’avoir tout d\u00e9baller sans reprendre son souffle. Et puis l’offre n’avait rien de r\u00e9aliste, c’\u00e9tait surtout sur cela contre quoi elle butait. Cependant sa curiosit\u00e9 \u00e9tait d\u00e9sormais \u00e9veill\u00e9e.<\/p>\n -Je ne comprends pas tr\u00e8s bien ce que vous me proposez risqua Frances.<\/p>\n -Et bien je vous donne la possibilit\u00e9 de consulter tout mon travail sur Quichano, peut-\u00eatre cela apportera t’il de l’eau \u00e0 votre moulin en tant que traductrice tout comme moi. Dans le fond je tiens juste \u00e0 vous aider et en m\u00eame temps \u00e0 conf\u00e9rer un sens \u00e0 mon travail. Je ne vous demande rien sauf ce que vous voudrez bien m’accorder je vous le rappelle, mais j’aimerais beaucoup avoir \u00e9ventuellement quelques retour de votre progression en ce qui concerne votre interpr\u00e9tation de ces \u00e9crits. En fait allons encore plus loin je me sens bless\u00e9 que madame Quichano ait refus\u00e9 ce travail dans lequel j’ai mis beaucoup de moi-m\u00eame. Ce que je cherche ... une sorte d’apaisement, une redemption<\/em> meme si le mot para\u00eet exag\u00e9r\u00e9 ou ridicule. De plus si vous aviez quelque critique \u00e0 formuler ne vous g\u00eanez pas, au moins cela me permettrait de mieux comprendre ce refus, et toute l’inutilit\u00e9 d’un tel travail.<\/p>\n -Pourquoi n’avez vous pas tent\u00e9 de tirer partie de ce travail en contactant des \u00e9diteurs demanda Frances. Il existe un march\u00e9 pour les biographies de serial Killer... Si quelque chose de ce genre m’arrivait c’est en tous cas ce que moi je ferais. Ou m\u00eame plus utiliser ce mat\u00e9riel pour \u00e9crire un un roman. Je ne resterais pas \u00e0 me morfondre ou \u00e0 suivre quelqu’un dans la rue pour lui proposer une collaboration ajouta t’elle. Puis elle regretta sa duret\u00e9 aussit\u00f4t car le visage de l’homme se ferma, il \u00e9tait mal \u00e0 l’aise, encore plus rouge que quelques instants plus t\u00f4t, elle regarda ses mains, il \u00e9tait au bord de s’arracher un doigt.<\/p>\n -Vous avez raison dit Jean Martel, ma d\u00e9marche est stupide je suis d\u00e9sol\u00e9, confus... permettez que je vous offre votre consommation en extirpant son portefeuille maladroitement de sa veste et en h\u00e9lant le gar\u00e7on qui d\u00e9ambulait entre les tables. Il allait se lever pour repartir lorsque Frances s’entend\u00eet dire - non, non, attendez, vous me prenez un peu de cours, laissez moi r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 votre proposition. Finalement sa curiosit\u00e9 \u00e9tait d\u00e9sormais \u00e0 vif, et si dans le travail de Jean Martel elle d\u00e9couvrait des \u00e9l\u00e9ments qui lui \u00e9taient jusque l\u00e0 pass\u00e9s inaper\u00e7us. Elle lui tendit sa carte de visite et ajouta, laissez moi quelques jours pour r\u00e9fl\u00e9chir, le temps que je reprenne les esprits dit elle en lui souriant. Martel marqua un instant d’\u00e9tonnement en saisissant le morceau de carton glac\u00e9, le consid\u00e9ra avec surprise puis, cette fois, il jugea que l’entretien \u00e9tait clos, il s’\u00e9loigna. En l’observant de dos Frances vit qu’il marchait les pieds en dedans, comme quelqu’un d’introverti qui risque la chute \u00e0 chaque pas. Elle termina son verre puis se leva elle aussi pour se rendre Pla\u00e7a Jaume Sabart\u00e8s, \u00e0 l’atelier de Fred. Elle avait besoin de raconter tout cela \u00e0 quelqu’un. Elle consulta sa montre, soupira, il \u00e9tait 16h les rues allaient se remplir \u00e0 nouveau, bient\u00f4t Barcelone grouillerait de passants, elle d\u00e9cida d’emprunter un lacis de petites rues pour \u00e9viter la grande Rambla.<\/p>\n Tout en marchant elle lisait les noms des rues, observait les diff\u00e9rents magasins qu’elle d\u00e9passait, traversait des zones d’ombre et de lumi\u00e8res. La ville \u00e9tait pour Frances comme immense un texte \u00e0 d\u00e9chiffrer. Elle se f\u00e9licita d’avoir choisi ce trajet parall\u00e8le pour \u00e9viter la foule. Une page de Proust sur la lecture lui revint \u00e0 l’esprit. Une longue phrase bien sur o\u00f9 l’auteur de La Recherche<\/em> parle de la lecture, d’une th\u00e9rapie par la lecture. Sur quoi \u00e9tait bas\u00e9e cette th\u00e9rapie sinon le temps justement. La lecture permettait de reconstituer une temporalit\u00e9 par l’usage des mots, d’une parole. Et ce temps retrouv\u00e9, cette parole, visible avant m\u00eame d’\u00eatre entendue, irriguait le corps du lecteur tout entier, chaque organe. La lecture gu\u00e9rissait l’\u00eatre. Le plus difficile ensuite une fois celui-ci remis d’aplomb \u00e9tait d’en faire quelque chose de pas trop stupide, comme la plupart du temps.<\/p>",
"content_text": "image Google Earth \n\n-Bonjour mon nom est Martel comme Charles mais mon pr\u00e9nom est Jean dit l'homme avec un accent fran\u00e7ais \n\nFrances s'\u00e9tait install\u00e9e \u00e0 une terrasse de caf\u00e9 career de l'Encarnaci\u00f3 et avait command\u00e9 une Font Selva, au moment o\u00f9 elle remplissait le verre d'eau min\u00e9rale, l'homme s'\u00e9tait pr\u00e9sent\u00e9 devant elle.\n\n-Bonjour dit Frances de fa\u00e7on laconique puis elle porta le verre \u00e0 ses l\u00e8vres tout en fixant l'homme avec un regard sans expression.\n\n-j'irai droit au but dit l'homme je sais que vous travaillez en ce moment m\u00eame sur les \u00e9crits D' Alonso Quichano, je sais que c'\u00b4est Milena Quichano qui vous a command\u00e9 ce travail. Je suis votre pr\u00e9d\u00e9cesseur si je peux m'exprimer ainsi, traducteur tout comme vous. car vous l'\u00eates n'est-ce pas .. Et je voulais vous mettre en garde...\n\nFrances reposa le verre et eut du mal \u00e0 cacher sa stup\u00e9faction. Puis elle invita l'homme \u00e0 s'asseoir. \n\n-Je vous ai vu tout \u00e0 l'heure au Parc Guell, r\u00e9pondit-t'elle , comme mise en garde il y a mieux, vous m'avez plut\u00f4t effray\u00e9e. j'ai vu que vous m'aviez suivie jusqu'ici. Pourquoi ne pas m'aborder plus t\u00f4t, j'ai pens\u00e9 \u00e0 un d\u00e9traqu\u00e9 ou \u00e0 un dragueur ajouta t'elle. Elle s'exprimait dans un fran\u00e7ais impeccable sans accent.\n\n-Je suis d\u00e9sol\u00e9 je ne voulais pas vous effrayer je cherchais seulement une fa\u00e7on de vous aborder qui ne soit pas ...ambigu\u00eb...\n\n-Et bien c'est r\u00e9ussi le coupa Frances. Puis elle examina l'homme plus attentivement. Grand, entre 1,80 peut-\u00eatre m\u00eame un peu plus, svelte, il portait une veste de lin l\u00e9g\u00e8re sur un tee shirt noir, et un jean. Une barbe de deux jours poivre et sel indiquait un \u00e2ge au del\u00e0 de la quarantaine, les cheveux coupes courts , brun avec les tempes l\u00e9g\u00e8rement argent\u00e9es et des yeux bleus. Plut\u00f4t sportif et avenant, avec comme seule faille visible quelque chose d'h\u00e9sitant \u00e9manant de sa personne. Son d\u00e9bit un peu trop rapide et saccad\u00e9 De la timidit\u00e9 peut-\u00eatre se dit Frances.\n\n-J'ai travaill\u00e9 six mois sur le cas Quichano repris Martel, puis \u00e0 la fin lorsque j'ai remis ma traduction \u00e0 madame Quichano, elle m'a signifi\u00e9 sa d\u00e9ception, puis elle a exig\u00e9 que je lui remette tout le mat\u00e9riel qu'elle m'avait confi\u00e9 sans me payer le moindre centime de plus. Bien s\u00fbr j'ai protest\u00e9... mais vous savez ... c'est une femme riche entour\u00e9e d'avocats... Que pouvais-je faire ...je n'ai rien pu faire. Aussi je me doutais qu'elle recommencerait c'est pourquoi je l'ai suivie jusqu'au parc Guell je la suis depuis des jours vous savez... et lorsque j'ai vous ai vu toutes les deux ce matin j'ai compris qu'elle faisait appel \u00e0 vous pour le m\u00eame travail.\n\n-Bien, mais en quoi cela me regarde t'il dit Frances que voulez-vous vraiment ?\n\n-Une collaboration, comme je vous le disais j'ai pass\u00e9 six mois \u00e0 d\u00e9chiffrer les \u00e9crits et \u00e9couter les dires de ce malade, tout ce travail effectu\u00e9 pour rien me rend cingl\u00e9 comprenez-vous. Ce que je vous propose donc c'est de le partager avec vous et si cela vous int\u00e9resse vous me donnerez ce que vous voudrez. La seule chose qui m'importe c'est que ce temps pass\u00e9 ne soit pas totalement perdu.\n\nFrances confirma sa pens\u00e9e sur la timidit\u00e9 de Jean Martel En lui parlant il se tordait les doigts, elle pouvait voir la blancheur des phalanges, en revanche lorsque son regard remonta vers son visage elle constata que les pommettes de l'homme s'\u00e9taient empourpr\u00e9es. Elle r\u00e9fl\u00e9chissait. Comme la plupart des timides il fr\u00f4lait l'exub\u00e9rance l'excitation en tous cas d'avoir tout d\u00e9baller sans reprendre son souffle. Et puis l'offre n'avait rien de r\u00e9aliste, c'\u00e9tait surtout sur cela contre quoi elle butait. 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De plus si vous aviez quelque critique \u00e0 formuler ne vous g\u00eanez pas, au moins cela me permettrait de mieux comprendre ce refus, et toute l'inutilit\u00e9 d'un tel travail. \n\n-Pourquoi n'avez vous pas tent\u00e9 de tirer partie de ce travail en contactant des \u00e9diteurs demanda Frances. Il existe un march\u00e9 pour les biographies de serial Killer... Si quelque chose de ce genre m'arrivait c'est en tous cas ce que moi je ferais. Ou m\u00eame plus utiliser ce mat\u00e9riel pour \u00e9crire un un roman. Je ne resterais pas \u00e0 me morfondre ou \u00e0 suivre quelqu'un dans la rue pour lui proposer une collaboration ajouta t'elle. Puis elle regretta sa duret\u00e9 aussit\u00f4t car le visage de l'homme se ferma, il \u00e9tait mal \u00e0 l'aise, encore plus rouge que quelques instants plus t\u00f4t, elle regarda ses mains, il \u00e9tait au bord de s'arracher un doigt.\n\n-Vous avez raison dit Jean Martel, ma d\u00e9marche est stupide je suis d\u00e9sol\u00e9, confus... permettez que je vous offre votre consommation en extirpant son portefeuille maladroitement de sa veste et en h\u00e9lant le gar\u00e7on qui d\u00e9ambulait entre les tables. Il allait se lever pour repartir lorsque Frances s'entend\u00eet dire - non, non, attendez, vous me prenez un peu de cours, laissez moi r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 votre proposition. Finalement sa curiosit\u00e9 \u00e9tait d\u00e9sormais \u00e0 vif, et si dans le travail de Jean Martel elle d\u00e9couvrait des \u00e9l\u00e9ments qui lui \u00e9taient jusque l\u00e0 pass\u00e9s inaper\u00e7us. Elle lui tendit sa carte de visite et ajouta, laissez moi quelques jours pour r\u00e9fl\u00e9chir, le temps que je reprenne les esprits dit elle en lui souriant. Martel marqua un instant d'\u00e9tonnement en saisissant le morceau de carton glac\u00e9, le consid\u00e9ra avec surprise puis, cette fois, il jugea que l'entretien \u00e9tait clos, il s'\u00e9loigna. En l'observant de dos Frances vit qu'il marchait les pieds en dedans, comme quelqu'un d'introverti qui risque la chute \u00e0 chaque pas. Elle termina son verre puis se leva elle aussi pour se rendre Pla\u00e7a Jaume Sabart\u00e8s, \u00e0 l'atelier de Fred. Elle avait besoin de raconter tout cela \u00e0 quelqu'un. Elle consulta sa montre, soupira, il \u00e9tait 16h les rues allaient se remplir \u00e0 nouveau, bient\u00f4t Barcelone grouillerait de passants, elle d\u00e9cida d'emprunter un lacis de petites rues pour \u00e9viter la grande Rambla.\n\nTout en marchant elle lisait les noms des rues, observait les diff\u00e9rents magasins qu'elle d\u00e9passait, traversait des zones d'ombre et de lumi\u00e8res. La ville \u00e9tait pour Frances comme immense un texte \u00e0 d\u00e9chiffrer. Elle se f\u00e9licita d'avoir choisi ce trajet parall\u00e8le pour \u00e9viter la foule. Une page de Proust sur la lecture lui revint \u00e0 l'esprit. Une longue phrase bien sur o\u00f9 l'auteur de La Recherche parle de la lecture, d'une th\u00e9rapie par la lecture. Sur quoi \u00e9tait bas\u00e9e cette th\u00e9rapie sinon le temps justement. La lecture permettait de reconstituer une temporalit\u00e9 par l'usage des mots, d'une parole. 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"title": "Milena Quichano",
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"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je te le dis, tu la vois d\u2019abord \u00e0 la cigarette — une Ducados, l\u2019empreinte du rouge sur le filtre, la fum\u00e9e qui dessine dans l\u2019air quelques figures qu\u2019on oublie aussit\u00f4t —, puis la poign\u00e9e de main (douce et ferme, non pas mondaine, tenue) pr\u00e8s de la salamandre o\u00f9 la chaleur ne chauffe rien, et d\u00e9j\u00e0 le dossier mental que tu as sur elle remonte comme un sommaire : veuve, industrie, millions, Tobosco, F. Quichano plus \u00e2g\u00e9 qu\u2019Alonso, Forbes pour d\u00e9cor ; elle dit venons-en aux faits et glisse notre roman comme si le pronom pouvait all\u00e9ger le poids, tu r\u00e9ponds que la mati\u00e8re est vaste, que les cassettes et les carnets avancent l\u2019histoire par puzzle, non pas par preuves, par pistes seulement, et elle acquiesce sans perdre la tenue, puis l\u2019aveu affleure du c\u00f4t\u00e9 de la famille — on a parl\u00e9 d\u2019aide, il refusait, col\u00e8re, culpabilit\u00e9 —, et la tristesse passe une seconde sous le masque avant qu\u2019elle ne se recompose ; tu t\u2019entends demander un acompte (non pas par opportunisme, par n\u00e9cessit\u00e9 qui se sait) et elle sort le ch\u00e9quier sans d\u00e9lai, 10 000, la pointe du stylo marque un l\u00e9ger creux dans le papier, la Lady-Datejust 36 capte la lumi\u00e8re et d\u00e9coupe l\u2019heure comme on coupe court, elle se l\u00e8ve, tu restes ; alors le lieu se vide un peu, un froissement de journaux, des grappes de touristes qui d\u00e9rivent, et c\u2019est l\u00e0 que tu sens le regard : la quarantaine, lunettes noires, l\u2019homme assis de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de l\u2019all\u00e9e l\u00e8ve un quotidien pour faire \u00e9cran (non pas lire, cacher), tu te redresses, tu redescends vers la ville \u00e0 pied, l\u2019ombre suit \u00e0 distance, tu te retournes — rien, puis encore le m\u00eame interstice entre deux passants, la m\u00eame silhouette —, et le dernier d\u00e9tail qui demeure, c\u2019est le filtre avec son rouge \u00e9teint que tu revois malgr\u00e9 toi, comme un petit sceau au bord de la sc\u00e8ne.<\/p>",
"content_text": " Je te le dis, tu la vois d\u2019abord \u00e0 la cigarette \u2014 une Ducados, l\u2019empreinte du rouge sur le filtre, la fum\u00e9e qui dessine dans l\u2019air quelques figures qu\u2019on oublie aussit\u00f4t \u2014, puis la poign\u00e9e de main (douce et ferme, non pas mondaine, tenue) pr\u00e8s de la salamandre o\u00f9 la chaleur ne chauffe rien, et d\u00e9j\u00e0 le dossier mental que tu as sur elle remonte comme un sommaire : veuve, industrie, millions, Tobosco, F. Quichano plus \u00e2g\u00e9 qu\u2019Alonso, Forbes pour d\u00e9cor ; elle dit venons-en aux faits et glisse notre roman comme si le pronom pouvait all\u00e9ger le poids, tu r\u00e9ponds que la mati\u00e8re est vaste, que les cassettes et les carnets avancent l\u2019histoire par puzzle, non pas par preuves, par pistes seulement, et elle acquiesce sans perdre la tenue, puis l\u2019aveu affleure du c\u00f4t\u00e9 de la famille \u2014 on a parl\u00e9 d\u2019aide, il refusait, col\u00e8re, culpabilit\u00e9 \u2014, et la tristesse passe une seconde sous le masque avant qu\u2019elle ne se recompose ; tu t\u2019entends demander un acompte (non pas par opportunisme, par n\u00e9cessit\u00e9 qui se sait) et elle sort le ch\u00e9quier sans d\u00e9lai, 10 000, la pointe du stylo marque un l\u00e9ger creux dans le papier, la Lady-Datejust 36 capte la lumi\u00e8re et d\u00e9coupe l\u2019heure comme on coupe court, elle se l\u00e8ve, tu restes ; alors le lieu se vide un peu, un froissement de journaux, des grappes de touristes qui d\u00e9rivent, et c\u2019est l\u00e0 que tu sens le regard : la quarantaine, lunettes noires, l\u2019homme assis de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de l\u2019all\u00e9e l\u00e8ve un quotidien pour faire \u00e9cran (non pas lire, cacher), tu te redresses, tu redescends vers la ville \u00e0 pied, l\u2019ombre suit \u00e0 distance, tu te retournes \u2014 rien, puis encore le m\u00eame interstice entre deux passants, la m\u00eame silhouette \u2014, et le dernier d\u00e9tail qui demeure, c\u2019est le filtre avec son rouge \u00e9teint que tu revois malgr\u00e9 toi, comme un petit sceau au bord de la sc\u00e8ne. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/muses-et-mosaiques.html",
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"title": "Muses et mosa\u00efques.",
"date_published": "2023-02-10T08:44:50Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:41:53Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " extrait d’une note du carnet n° 2 d’Alonso Quichano, Barcelone 1990 page 50. <\/em><\/p>\n \"Le terme « mosa\u00efque » vient du latin tardif musaicum (opus), mot lui-m\u00eame d\u00e9riv\u00e9 du grec ancien \u03bc\u03bf\u03c5\u03c3\u03b5\u03b9\u03bf\u03bd (mouseion), d\u00e9signant ce qui se rapporte aux Muses. Dans la Gr\u00e8ce antique, cette technique, \u00e0 l’origine, \u00e9tait employ\u00e9e dans les grottes consacr\u00e9es aux muses.<\/em><\/p>\n De quoi est form\u00e9e la r\u00e9alit\u00e9 sinon de tesselles que nous collons les unes aux autres afin de nous dissimuler le vide, l’ignorance de ce qu’est cette r\u00e9alit\u00e9. Ensuite nous nommons le r\u00e9sultat la r\u00e9alit\u00e9 mais ce n’est rien d’autre qu’une mosa\u00efque.<\/p>\n ...Quelle r\u00e9alit\u00e9 avait vraiment pour moi Vincente Guez lorsque je la rencontre la toute premi\u00e8re fois \u00e0 Cagliari sur l’\u00eele de Sardaigne, dans ce petit mus\u00e9e des cires anatomiques. Qu’ai-per\u00e7u d’elle en tout premier lieu. \u00c9tait-ce sa longue chevelure boucl\u00e9e dont la couleur des m\u00e8ches passaient d’un terre d’ombre chaud \u00e0 quelques \u00e9clats lumineux roux ou auburn. \u00c9tait-ce son regard surplomb\u00e9 par d’\u00e9pais sourcils sombres, ou encore ces deux petites rides d’expression indiquant une ind\u00e9niable capacit\u00e9 de concentration alors qu’elle tente de d\u00e9crypter la l\u00e9gende \u00e9voquant l’histoire de cette cervelle en r\u00e9sine de la vitrine n° 10. \u00c9tait-ce sa silhouette toute enti\u00e8re, harmonieuse, et qui r\u00e9pond soudain \u00e0 un ensemble de crit\u00e8res personnels pour que j’use d’un tel qualificatif. Et encore , tout bien pes\u00e9 , sont-ce vraiment des crit\u00e8res si personnels ou bien me suis-je content\u00e9 paresseusement de les emprunter \u00e0 des pages glac\u00e9es de magazines, des affiches publicitaires, des rumeurs en mati\u00e8re d’harmonie et de beaut\u00e9. Ce qui est s\u00fbr c’est que \u00e0 partir de cet instant o\u00f9 je la vis il me fallait l’aborder, la s\u00e9duire, la poss\u00e9der, puis la tuer. L’assassinat de Vincente Guez fut comme le d\u00e9sir obs\u00e9dant de r\u00e9aliser une \u0153uvre et j’allais y employer tout mon savoir faire. Par chance elle \u00e9tait ignorante. Elle ne savait rien de la merveilleuse histoire des cires anatomiques. Je fis donc mine de m’int\u00e9resser moi aussi \u00e0 l’affichette puis m’exclamais \u00e0 haute voix ... mais oui la fameuse madame Tussaud, on ne dira jamais assez la place qu’auront occup\u00e9 les femmes dans cette recherche anatomique prodigieuse... tout en glissant un regard vers la silhouette de la jeune femme. Imm\u00e9diatement elle me sourit. <\/em><\/p>\n -Vous avez l’air de conna\u00eetre ce mus\u00e9e dit-elle, c’est la premi\u00e8re fois que je viens ici et je trouve tout cela \u00e0 la fois morbide et reposant.<\/p>\n -morbide et reposant quel association d\u00e9licieuse r\u00e9pondis-je en riant. Puis je lui offrais de l’accompagner dans la visite pour l’instruire au fur et \u00e0 mesure que nous progresserions dans ce magnifique \u00e9talage de bidoche s\u00e9ch\u00e9e, constitu\u00e9e de papier m\u00e2ch\u00e9 , de muscles en cartons, de nerfs de tendons dont la suggestion du vrai tient \u00e0 cet assemblage exceptionnel de fibres , de colle de peau , de cordelettes et de ficelles.<\/p>",
"content_text": "extrait d'une note du carnet n\u00b0 2 d'Alonso Quichano, Barcelone 1990 page 50. \n\n\"Le terme \u00ab mosa\u00efque \u00bb vient du latin tardif musaicum (opus), mot lui-m\u00eame d\u00e9riv\u00e9 du grec ancien \u03bc\u03bf\u03c5\u03c3\u03b5\u03b9\u03bf\u03bd (mouseion), d\u00e9signant ce qui se rapporte aux Muses. Dans la Gr\u00e8ce antique, cette technique, \u00e0 l'origine, \u00e9tait employ\u00e9e dans les grottes consacr\u00e9es aux muses.\n\nDe quoi est form\u00e9e la r\u00e9alit\u00e9 sinon de tesselles que nous collons les unes aux autres afin de nous dissimuler le vide, l'ignorance de ce qu'est cette r\u00e9alit\u00e9. Ensuite nous nommons le r\u00e9sultat la r\u00e9alit\u00e9 mais ce n'est rien d'autre qu'une mosa\u00efque. \n\n...Quelle r\u00e9alit\u00e9 avait vraiment pour moi Vincente Guez lorsque je la rencontre la toute premi\u00e8re fois \u00e0 Cagliari sur l'\u00eele de Sardaigne, dans ce petit mus\u00e9e des cires anatomiques. Qu'ai-per\u00e7u d'elle en tout premier lieu. \u00c9tait-ce sa longue chevelure boucl\u00e9e dont la couleur des m\u00e8ches passaient d'un terre d'ombre chaud \u00e0 quelques \u00e9clats lumineux roux ou auburn. \u00c9tait-ce son regard surplomb\u00e9 par d'\u00e9pais sourcils sombres, ou encore ces deux petites rides d'expression indiquant une ind\u00e9niable capacit\u00e9 de concentration alors qu'elle tente de d\u00e9crypter la l\u00e9gende \u00e9voquant l'histoire de cette cervelle en r\u00e9sine de la vitrine n\u00b0 10. \u00c9tait-ce sa silhouette toute enti\u00e8re, harmonieuse, et qui r\u00e9pond soudain \u00e0 un ensemble de crit\u00e8res personnels pour que j'use d'un tel qualificatif. Et encore , tout bien pes\u00e9 , sont-ce vraiment des crit\u00e8res si personnels ou bien me suis-je content\u00e9 paresseusement de les emprunter \u00e0 des pages glac\u00e9es de magazines, des affiches publicitaires, des rumeurs en mati\u00e8re d'harmonie et de beaut\u00e9. Ce qui est s\u00fbr c'est que \u00e0 partir de cet instant o\u00f9 je la vis il me fallait l'aborder, la s\u00e9duire, la poss\u00e9der, puis la tuer. L'assassinat de Vincente Guez fut comme le d\u00e9sir obs\u00e9dant de r\u00e9aliser une \u0153uvre et j'allais y employer tout mon savoir faire. Par chance elle \u00e9tait ignorante. Elle ne savait rien de la merveilleuse histoire des cires anatomiques. Je fis donc mine de m'int\u00e9resser moi aussi \u00e0 l'affichette puis m'exclamais \u00e0 haute voix ... mais oui la fameuse madame Tussaud, on ne dira jamais assez la place qu'auront occup\u00e9 les femmes dans cette recherche anatomique prodigieuse... tout en glissant un regard vers la silhouette de la jeune femme. Imm\u00e9diatement elle me sourit. \n\n-Vous avez l'air de conna\u00eetre ce mus\u00e9e dit-elle, c'est la premi\u00e8re fois que je viens ici et je trouve tout cela \u00e0 la fois morbide et reposant. \n\n-morbide et reposant quel association d\u00e9licieuse r\u00e9pondis-je en riant. Puis je lui offrais de l'accompagner dans la visite pour l'instruire au fur et \u00e0 mesure que nous progresserions dans ce magnifique \u00e9talage de bidoche s\u00e9ch\u00e9e, constitu\u00e9e de papier m\u00e2ch\u00e9 , de muscles en cartons, de nerfs de tendons dont la suggestion du vrai tient \u00e0 cet assemblage exceptionnel de fibres , de colle de peau , de cordelettes et de ficelles. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/mosaiques-2439.html",
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"title": "Mosa\u00efques",
"date_published": "2023-02-10T07:51:53Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:38:54Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Barcelone. Ligne 3 Station Lesseps. Frances sort du m\u00e9tro monte dans le bus de la ligne bleue.<\/em> Il n’y a presque personne dans le v\u00e9hicule qui d\u00e9marre aussit\u00f4t qu’elle s’assoit. Le v\u00e9hicule aborde le flanc abrupt de la Muntanya Pelada. A mi- hauteur Frances glisse un regard par la vitre et d\u00e9couvre l’Eixample, autre terme pour nommer la ville nouvelle cr\u00e9e \u00e0 partir de la seconde partie du 19 \u00e8me, et qui marque la p\u00e9riode de sa transformation profonde. Autrefois Barcelone n’\u00e9tait qu’une cit\u00e9 ordinaire entour\u00e9e de murailles. Le d\u00e9veloppement de l’industrie, des moyens de communication, de la technologie l’auraient \u00e9touff\u00e9e et condamn\u00e9e \u00e0 la surpopulation . La ville aurait \u00e9t\u00e9 invivable. Ce qui est tout \u00e0 fait contraire \u00e0 l’esprit de ses habitants. Les catalans vouent un culte \u00e0 la nature. Jamais ils n’auraient support\u00e9 qu’elle ne soit pas au c\u0153ur de la ville. En 1860 Ildefons Cerd\u00e0 \u00e0 qui fut confi\u00e9 le projet d’urbanisation de la cit\u00e9 opte pour la solution de faire tomber les murailles, ce qui permet \u00e0 l’Eixample de na\u00eetre et de multiplier par dix la taille de la ville en \u00e0 peine un demi si\u00e8cle. . Puis en 1888 date de l’exposition universelle, la ville a rejoint la montagne pel\u00e9e, l’entoure. Il faut utiliser cette immense parcelle peupl\u00e9e de caroubiers et d’oliviers depuis des temps imm\u00e9moriaux. Ainsi a t’on l’id\u00e9e d’en faire un endroit privil\u00e9gi\u00e9 pour les grandes fortunes. Afin d’y construire de belles demeures. Le projet est confi\u00e9 \u00e0 Guell. Ce projet urbanistique fut l’un des plus important de toutes les villes europ\u00e9ennes \u00e0 cette \u00e9poque et install\u00e9 Barcelone comme capitale d’une Catalogne renaissante Ensuite le projet de construction du parc Guell fut financ\u00e9 par des investisseurs priv\u00e9s qui d\u00e9siraient construire de belles demeures en surplomb de la ville, s’isoler de cette partie basse constitu\u00e9e par une population ouvri\u00e8re alimentant les grandes industries. Mais le projet ne fut pas aussi simple \u00e0 r\u00e9aliser qu’il \u00e9tait inscrit sur le papier. Il y eut quelques contraintes comme celle notamment de pr\u00e9server la v\u00e9g\u00e9tation. quelques magnifiques villas furent construites, notamment la maison de Guell lui m\u00eame, puis le parc tomba peu \u00e0 peu dans le domaine public, devint un lieu de promenade, une vitrine de l’interpr\u00e9tation particuli\u00e8re de l’Art Nouveau catalan fond\u00e9 essentiellement sur les racines culturelles des habitants du lieu et leur relation ind\u00e9fectible avec la nature. Barcelone continue encore aujourd’hui de s’\u00e9tendre sur la plaine. Frances s’extirpa de sa r\u00eaverie. Elle devait marcher encore quelques minutes \u00e0 partir de la descente du v\u00e9hicule qui la d\u00e9posa devant Career d’Olot Elle oblique sur la gauche Career de Gardia puis p\u00e9n\u00e8tre enfin dans l’immense parc de 12 hectares. Son regard se pose sur les tesselles qui constituent le mat\u00e9riau essentiel utilis\u00e9 par Gaudi pour cr\u00e9er la d\u00e9coration du parc. C’est tout en haut, encore quelques marches \u00e0 gravir pour parvenir au mirador et elle va rencontrer Milena Quichano la tante d’Alonso , sa commanditaire. Il fait un temps splendide ici alors qu’un l\u00e9ger voile de brume recouvre la ville. Ici tout n’est que mosa\u00efques, calme et volupt\u00e9 sous les caroubiers. Mosa\u00efque, elle se r\u00e9p\u00e8te le mot plusieurs fois, il est sans doute important et elle prend le temps de s’arr\u00eater pour le noter sur le carnet qui ne la quitte jamais.<\/p>",
"content_text": " Barcelone. Ligne 3 Station Lesseps. Frances sort du m\u00e9tro monte dans le bus de la ligne bleue. Il n'y a presque personne dans le v\u00e9hicule qui d\u00e9marre aussit\u00f4t qu'elle s'assoit. Le v\u00e9hicule aborde le flanc abrupt de la Muntanya Pelada. A mi- hauteur Frances glisse un regard par la vitre et d\u00e9couvre l'Eixample, autre terme pour nommer la ville nouvelle cr\u00e9e \u00e0 partir de la seconde partie du 19 \u00e8me, et qui marque la p\u00e9riode de sa transformation profonde. Autrefois Barcelone n'\u00e9tait qu'une cit\u00e9 ordinaire entour\u00e9e de murailles. Le d\u00e9veloppement de l'industrie, des moyens de communication, de la technologie l'auraient \u00e9touff\u00e9e et condamn\u00e9e \u00e0 la surpopulation . La ville aurait \u00e9t\u00e9 invivable. Ce qui est tout \u00e0 fait contraire \u00e0 l'esprit de ses habitants. Les catalans vouent un culte \u00e0 la nature. Jamais ils n'auraient support\u00e9 qu'elle ne soit pas au c\u0153ur de la ville. En 1860 Ildefons Cerd\u00e0 \u00e0 qui fut confi\u00e9 le projet d'urbanisation de la cit\u00e9 opte pour la solution de faire tomber les murailles, ce qui permet \u00e0 l'Eixample de na\u00eetre et de multiplier par dix la taille de la ville en \u00e0 peine un demi si\u00e8cle. . Puis en 1888 date de l'exposition universelle, la ville a rejoint la montagne pel\u00e9e, l'entoure. Il faut utiliser cette immense parcelle peupl\u00e9e de caroubiers et d'oliviers depuis des temps imm\u00e9moriaux. Ainsi a t'on l'id\u00e9e d'en faire un endroit privil\u00e9gi\u00e9 pour les grandes fortunes. Afin d'y construire de belles demeures. Le projet est confi\u00e9 \u00e0 Guell. Ce projet urbanistique fut l'un des plus important de toutes les villes europ\u00e9ennes \u00e0 cette \u00e9poque et install\u00e9 Barcelone comme capitale d'une Catalogne renaissante Ensuite le projet de construction du parc Guell fut financ\u00e9 par des investisseurs priv\u00e9s qui d\u00e9siraient construire de belles demeures en surplomb de la ville, s'isoler de cette partie basse constitu\u00e9e par une population ouvri\u00e8re alimentant les grandes industries. Mais le projet ne fut pas aussi simple \u00e0 r\u00e9aliser qu'il \u00e9tait inscrit sur le papier. Il y eut quelques contraintes comme celle notamment de pr\u00e9server la v\u00e9g\u00e9tation. quelques magnifiques villas furent construites, notamment la maison de Guell lui m\u00eame, puis le parc tomba peu \u00e0 peu dans le domaine public, devint un lieu de promenade, une vitrine de l'interpr\u00e9tation particuli\u00e8re de l'Art Nouveau catalan fond\u00e9 essentiellement sur les racines culturelles des habitants du lieu et leur relation ind\u00e9fectible avec la nature. Barcelone continue encore aujourd'hui de s'\u00e9tendre sur la plaine. Frances s'extirpa de sa r\u00eaverie. Elle devait marcher encore quelques minutes \u00e0 partir de la descente du v\u00e9hicule qui la d\u00e9posa devant Career d'Olot Elle oblique sur la gauche Career de Gardia puis p\u00e9n\u00e8tre enfin dans l'immense parc de 12 hectares. Son regard se pose sur les tesselles qui constituent le mat\u00e9riau essentiel utilis\u00e9 par Gaudi pour cr\u00e9er la d\u00e9coration du parc. C'est tout en haut, encore quelques marches \u00e0 gravir pour parvenir au mirador et elle va rencontrer Milena Quichano la tante d'Alonso , sa commanditaire. Il fait un temps splendide ici alors qu'un l\u00e9ger voile de brume recouvre la ville. Ici tout n'est que mosa\u00efques, calme et volupt\u00e9 sous les caroubiers. Mosa\u00efque, elle se r\u00e9p\u00e8te le mot plusieurs fois, il est sans doute important et elle prend le temps de s'arr\u00eater pour le noter sur le carnet qui ne la quitte jamais.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/mediations.html",
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"title": "M\u00e9diations",
"date_published": "2023-02-09T23:44:49Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:21:39Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " notes d’Alonso Quichano carnet 23 , Paris 1997<\/em><\/p>\n ...« Comment passe t’on de la banalit\u00e9 \u00e0 l’extraordinaire, au fantastique si ce n’est par un syst\u00e8me de m\u00e9diations.<\/p>\n Encore faut-il oser examiner froidement cette banalit\u00e9. Ne pas avoir peur de la d\u00e9crire telle qu’on la voit. Accepter que ce que l’on va d\u00e9crire n’est pas la chose en elle-m\u00eame mais d\u00e9j\u00e0 une premi\u00e8re strate d’interpr\u00e9tation. Cette premi\u00e8re strate est comme le fond d’un tableau que l’on commence. Quelles couleurs utilise t’on, plut\u00f4t froides ou chaudes, voire neutres. Ce fond sera t’il plut\u00f4t clair ou totalement sombre . Et ce qui pousse \u00e0 utiliser telle ou telle couleur est-ce banal, est-ce du hasard ou alors se fait-on en amont une id\u00e9e plus ou moins pr\u00e9cise de son rendu...<\/p>\n j’ai toujours d\u00e9test\u00e9 ce mot. banal. Parce qu’il fut une sentence d\u00e9sagr\u00e9able provenant la plupart du temps de ce que j’imaginais \u00eatre des paresseux. Cette paresse qui r\u00e9duit le monde \u00e0 une surface et qui ne veut jamais imaginer que sous celle-ci puisse exister une profondeur. Paresse et couardise car c’est aussi une opposition visc\u00e9rale \u00e0 toute id\u00e9e de profondeur, \u00e0 l’id\u00e9e qu’une apparence en cache une autre, que cette dissimulation risque elle aussi d’\u00eatre sans fin et que l’on puisse s’y \u00e9garer tout entier. Paresse ou couardise, des mots encore qui ne servent finalement qu’\u00e0 m’inventer un certain type de courage. Banal est donc un mot rempart qui repousse l’ennemi que repr\u00e9sente tout fantastique tout extraordinaire, ou surnaturel. Cette association du mot avec le d\u00e9rangement que peut soudain provoquer une r\u00e9alit\u00e9, un d\u00e9rangement d\u00e9sagr\u00e9able, une mauvaise surprise, c’est \u00e0 dire une part de soi que l’on ne connaissait pas et qui par la m\u00e9diation d’un objet est renvoy\u00e9e au n\u00e9ant d’o\u00f9 il vient de surgir. Souvent lorsque l’on m’a dit ce que tu fait est banal cette parole me renvoyait tout entier \u00e0 ce n\u00e9ant. Banal est un terme de tueur amateur. De tueur inconscient de tuer avec un tel mot. Les amateurs donc utilisent ce terme, le mettent en avant pour dissimuler quelque chose de pas tr\u00e8s propre, ils le sentent de fa\u00e7on confuse mais l’\u00e9cartent presque aussit\u00f4t. Ils tuent le monde en bonne conscience parce qu’ils cherchent le fantastique l\u00e0 o\u00f9 justement il n’est pas, il ne sera jamais. Banal parce qu’il s’agit de prendre l’inconnu de vitesse, de toute urgence placer la chose dans une cat\u00e9gorie rassurante du d\u00e9j\u00e0-vu.<\/p>\n exp\u00e9rimentons ...<\/p>\n Par exemple si j’\u00e9cris que je me suis arr\u00eat\u00e9 sur une aire d’autoroute pour faire le plein. Rien de plus banal en apparence. M\u00eame moi je trouve cette phrase d’une banalit\u00e9 affligeante. Qu’est-ce qui se dissimule sous cette phrase que je n’ai pas envie de transformer en \u00e9v\u00e9nement extraordinaire...<\/p>\n Est-ce naturel, banal que je conduise un v\u00e9hicule, que ce v\u00e9hicule soit de surcro\u00eet sur une autoroute, que sur cette autoroute on puisse trouver des aires avec un poste d’essence, que l’on puisse s’apercevoir que la jauge du v\u00e9hicule est pass\u00e9e \u00e0 l’orange me pr\u00e9venant ainsi par un signal lumineux qu’il faudra bient\u00f4t remplir le r\u00e9servoir. Et une fois devant la pompe n’est ce pas incroyable de poss\u00e9der un moyen de paiement, de comprendre qu’il faut enfiler la carte bancaire dans cette fente ci plut\u00f4t qu’une autre, de conna\u00eetre tr\u00e8s exactement le nom du carburant adapt\u00e9 \u00e0 ce v\u00e9hicule, de ne pas se tromper de pistolet pour l’introduire ensuite dans l’orifice du r\u00e9servoir. Ce n’est qu’un petit exemple pour \u00e9voquer une mani\u00e8re de contourner la banalit\u00e9 premi\u00e8re de cette phrase.<\/p>\n Si je mets \u00e7a en forme en utilisant tous ces d\u00e9tails les uns \u00e0 la file des autres, est-ce que j’\u00e9cris un r\u00e9cit fantastique, non. Il manque un \u00e9l\u00e9ment pour que ce r\u00e9cit soit fantastique, c’est le lecteur et aussi l’espace entre les \u00e9l\u00e9ments que je fournis et lui.<\/p>\n pompe \u00e0 essence. Banal a priori, on conna\u00eet tous. Vaguement on s’imagine notre pompe \u00e0 essence. Mais si c’est un tableau qui s’appelle Gas peint par Edward Hooper... est-ce que \u00e7a ne change pas tout, est-ce que l’on n’est pas dans cette d\u00e9marche qui m\u00e8ne \u00e0 l’\u00e9trange au fantastique. Pourtant c’est juste une station service rien de plus. Et sans doute que cette \u00e9motion rencontr\u00e9e dans ce tableau ne nous permettra plus jamais de consid\u00e9rer comme banale la moindre station service.<\/p>\n Ceci est une premi\u00e8re r\u00e9flexion sur la notion de banalit\u00e9. Ensuite comment choisir les \u00e9l\u00e9ments d’une phrase, d’un texte pour trouver la distance exacte, celle qui cr\u00e9era l’espace \u00e0 partir duquel le lecteur fabriquera du fantastique \u00e0 l’appui de ces quelques mots... Peut-\u00eatre que je me trompe d’ordre encore. Que ce ne soit pas le lecteur le plus important pour cr\u00e9er du fantastique, peut-\u00eatre n’est-ce que l’espace.<\/p>\n Cet espace ne peut se concevoir si l’on est entour\u00e9 par d’autres personnes, par le bruit habituel, banal<\/em> du monde. Il est n\u00e9cessaire de s’en extraire. Puis d’observer une nouvelle aura qui entoure les mots.<\/p>\n Une lueur assez timide au d\u00e9but autant que je me souvienne de cette exp\u00e9rience. Je pourrais rapprocher cette lueur de celle de ces lampes que l’on allume dans une pi\u00e8ce inconnue pour ne pas subir la lumi\u00e8re violente d’un plafonnier. Une lampe qui soudain lorsqu’ on l’allume apporte une sensation de s\u00e9curit\u00e9, de confort, une douceur. On est soudain chez soi m\u00eame si ce lieu est une simple chambre d’h\u00f4tel que l’on vient de prendre pour la nuit. l’aura timide des mots est comme ces lampes, elle se met \u00e0 briller doucement, on se retrouve dans le confort d’un chez soi, une familiarit\u00e9 d’autant plus \u00e9trange que l’on est seul d\u00e9sormais, on est devenu \u00e9tranger au monde par cette distance que l’on a pris avec lui comme d’ailleurs avec l’utilisation habituelle banale des mots....<\/p>\n ...Il y a quelques jours un coll\u00e8gue de travail me parle de ce livre, »a course in miracles« qui vient d’\u00eatre traduit en fran\u00e7ais par l’un de ses amis Sylvain du Boullay. Il me donne l’adresse pour obtenir les trois volumes le composant car on ne peut obtenir cette traduction que par souscription. Quelques jours plus tard je re\u00e7ois le colis par la poste. \u00c9tonnamment d\u00e8s les premi\u00e8res pages je comprends imm\u00e9diatement qu’il s’agit d’une r\u00e9ponse \u00e0 la question que je me suis pos\u00e9 dans ce carnet.<\/p>\n Le livre commence par de petits exercices simples en apparence. Observer ce qu’il y a autour de soi. cette chaise par exemple. Puis se dire cette chaise n’est pas une chaise, je n’ai aucune id\u00e9e de ce que peut \u00eatre cette chaise. N’est-ce pas exactement la m\u00eame chose que de nettoyer la toute premi\u00e8re strate d’interpr\u00e9tation des choses, cette prison constitu\u00e9e d’habitudes, d’id\u00e9e toutes faites dans laquelle nous nous enfermons la plupart du temps.<\/p>\n J’ai effectu\u00e9 les exercices jour apr\u00e8s jour avec la plus grande ob\u00e9issance. chaque jour le matin, l’apr\u00e8s midi et le soir. Puis cette habitude s’est \u00e9tendue peu \u00e0 peu \u00e0 toute la journ\u00e9e et pour chaque \u00eatre rencontr\u00e9 chaque rue visit\u00e9e, et m\u00eame les diff\u00e9rentes chambres d’h\u00f4tel dans lesquelles je logeais. Je ne faisais plus la moindre id\u00e9e de tout ce qui m’entourait. Et \u00e9trangement c’est le monde entier qui \u00e9tait d\u00e9sormais transform\u00e9. une aura timide encore entourait chaque \u00eatre chaque objet chaque \u00e9v\u00e9nement exactement comme on allume une lampe pour retrouver un peu d’intimit\u00e9 un peu de douceur, revenir chez soi. Puis je commen\u00e7ais la seconde s\u00e9rie d’exercices qui sont orient\u00e9s vers l’int\u00e9rieur de soi, toutes les \u00e9motions les sensations, les pens\u00e9es peuvent \u00eatre de la m\u00eame fa\u00e7on consid\u00e9r\u00e9es comme des objets ext\u00e9rieurs. Il est possible de cr\u00e9er un espace entre ce qui est Soi et ces ph\u00e9nom\u00e8nes int\u00e9rieurs, et on s’aper\u00e7oit aussi que quelque chose a l’int\u00e9rieur de soi est conscient de cet espace. Mais on ne peut le nommer, il nous \u00e9chappe. Il est toujours pr\u00e9sent mais d\u00e8s que l’on d\u00e9sire fixer notre attention sur cet \u00eatre il semble s’\u00e9vanouir. Je crois que c’est en raison de l’intention erron\u00e9e de vouloir le saisir qu’il s’\u00e9chappe, qu’il retourne sans arr\u00eat dans l’ind\u00e9finissable.<\/p>\n ici le carnet indique une interruption de quelques semaines.<\/p>\n ...Au bout d’un mois ou deux je crois avoir progress\u00e9 dans les exercices de »a course in miracles« Mais la contrepartie est que j’ai la sensation de flotter. d’\u00eatre dans un \u00e9tat d’apesanteur assez troublant. Cet \u00e9tat est m\u00eame g\u00eanant pour me rendre \u00e0 mon travail. Je viens de trouver un nouveau travail, je n’ai m\u00eame pas pris le temps d’en \u00e9crire un mot sur ce carnet. Un boulot de sondages par t\u00e9l\u00e9phone que j’effectue le soir entre 17h et 20h, pr\u00e9caire car ce sont des missions temporaires qui se renouvellent de semaine en semaine, pas tr\u00e8s bien pay\u00e9 mais suffisant pour survivre ici dans la ville.<\/p>\n Il y a forc\u00e9ment un lien encore avec les pr\u00e9occupations que je d\u00e9pose ici dans ce carnet. Cette r\u00e9flexion sur la fa\u00e7on de trouver des m\u00e9diations habiles pour dire ce que j’ai \u00e0 dire. Par exemple ce job consiste \u00e0 appeler des gens au t\u00e9l\u00e9phone de leur demander s’ils veulent bien r\u00e9pondre \u00e0 un sondage et ensuite de lire un texte sur un terminal en cochant au fur et \u00e0 mesure leurs r\u00e9ponses. Rien de plus simple en apparence. Encore une fois en apparence.<\/p>\n deux semaines passent encore sans aucune note d’Alonso Quichano.<\/p>\n ...Je viens de trouver une fa\u00e7on de ne pas perdre inutilement mon \u00e9nergie. J’adopte un ton neutre le plus neutre possible et les exercices de » a course in miracles\" m’y auront je crois beaucoup aid\u00e9. Car ce qu’est un ton neutre est une affaire passionnante. A chaque fois que j’imagine avoir ce fameux ton, je me dis ne te fait aucune id\u00e9e sur ce que tu penses \u00eatre la neutralit\u00e9. Et j’avoue que \u00e7a fonctionne vraiment bien, non seulement j’ai un taux de refus extr\u00eamement bas mais en plus aucun abandon en cours d’interview, je reste calme pos\u00e9 je ne m’\u00e9nerve jamais et je ne prend aucune pause avec mes coll\u00e8gues de travail. Depuis quelques jours j’ai supprim\u00e9 l’utilisation des transports en commun. Je marche depuis Clignancourt o\u00f9 j’ai trouv\u00e9 un appartement jusqu’\u00e0 Montrouge, 1h20 de marche \u00e0 l’aller et au retour. Durant la marche je continue \u00e0 m’exercer \u00e0 n’avoir aucune id\u00e9e aucune \u00e9motion aucune sensation \u00e0 laquelle m’attacher trop longtemps, j’ai m\u00eame trouv\u00e9 une technique, au bout de cinq pas tout s’\u00e9vanouit, tout ce qui constitue l’ext\u00e9rieur ou l’int\u00e9rieur, Je crois d’ailleurs saisir que ce n’est qu’une seule et m\u00eame chose.<\/p>",
"content_text": "notes d'Alonso Quichano carnet 23 , Paris 1997\n\n...\"Comment passe t'on de la banalit\u00e9 \u00e0 l'extraordinaire, au fantastique si ce n'est par un syst\u00e8me de m\u00e9diations. \n\nEncore faut-il oser examiner froidement cette banalit\u00e9. Ne pas avoir peur de la d\u00e9crire telle qu'on la voit. Accepter que ce que l'on va d\u00e9crire n'est pas la chose en elle-m\u00eame mais d\u00e9j\u00e0 une premi\u00e8re strate d'interpr\u00e9tation. Cette premi\u00e8re strate est comme le fond d'un tableau que l'on commence. Quelles couleurs utilise t'on, plut\u00f4t froides ou chaudes, voire neutres. Ce fond sera t'il plut\u00f4t clair ou totalement sombre . Et ce qui pousse \u00e0 utiliser telle ou telle couleur est-ce banal, est-ce du hasard ou alors se fait-on en amont une id\u00e9e plus ou moins pr\u00e9cise de son rendu... \n\nj'ai toujours d\u00e9test\u00e9 ce mot. banal. Parce qu'il fut une sentence d\u00e9sagr\u00e9able provenant la plupart du temps de ce que j'imaginais \u00eatre des paresseux. Cette paresse qui r\u00e9duit le monde \u00e0 une surface et qui ne veut jamais imaginer que sous celle-ci puisse exister une profondeur. Paresse et couardise car c'est aussi une opposition visc\u00e9rale \u00e0 toute id\u00e9e de profondeur, \u00e0 l'id\u00e9e qu'une apparence en cache une autre, que cette dissimulation risque elle aussi d'\u00eatre sans fin et que l'on puisse s'y \u00e9garer tout entier. Paresse ou couardise, des mots encore qui ne servent finalement qu'\u00e0 m'inventer un certain type de courage. Banal est donc un mot rempart qui repousse l'ennemi que repr\u00e9sente tout fantastique tout extraordinaire, ou surnaturel. Cette association du mot avec le d\u00e9rangement que peut soudain provoquer une r\u00e9alit\u00e9, un d\u00e9rangement d\u00e9sagr\u00e9able, une mauvaise surprise, c'est \u00e0 dire une part de soi que l'on ne connaissait pas et qui par la m\u00e9diation d'un objet est renvoy\u00e9e au n\u00e9ant d'o\u00f9 il vient de surgir. Souvent lorsque l'on m'a dit ce que tu fait est banal cette parole me renvoyait tout entier \u00e0 ce n\u00e9ant. Banal est un terme de tueur amateur. De tueur inconscient de tuer avec un tel mot. Les amateurs donc utilisent ce terme, le mettent en avant pour dissimuler quelque chose de pas tr\u00e8s propre, ils le sentent de fa\u00e7on confuse mais l'\u00e9cartent presque aussit\u00f4t. Ils tuent le monde en bonne conscience parce qu'ils cherchent le fantastique l\u00e0 o\u00f9 justement il n'est pas, il ne sera jamais. Banal parce qu'il s'agit de prendre l'inconnu de vitesse, de toute urgence placer la chose dans une cat\u00e9gorie rassurante du d\u00e9j\u00e0-vu. \n\nexp\u00e9rimentons ...\n\nPar exemple si j'\u00e9cris que je me suis arr\u00eat\u00e9 sur une aire d'autoroute pour faire le plein. Rien de plus banal en apparence. M\u00eame moi je trouve cette phrase d'une banalit\u00e9 affligeante. Qu'est-ce qui se dissimule sous cette phrase que je n'ai pas envie de transformer en \u00e9v\u00e9nement extraordinaire... \n\nEst-ce naturel, banal que je conduise un v\u00e9hicule, que ce v\u00e9hicule soit de surcro\u00eet sur une autoroute, que sur cette autoroute on puisse trouver des aires avec un poste d'essence, que l'on puisse s'apercevoir que la jauge du v\u00e9hicule est pass\u00e9e \u00e0 l'orange me pr\u00e9venant ainsi par un signal lumineux qu'il faudra bient\u00f4t remplir le r\u00e9servoir. Et une fois devant la pompe n'est ce pas incroyable de poss\u00e9der un moyen de paiement, de comprendre qu'il faut enfiler la carte bancaire dans cette fente ci plut\u00f4t qu'une autre, de conna\u00eetre tr\u00e8s exactement le nom du carburant adapt\u00e9 \u00e0 ce v\u00e9hicule, de ne pas se tromper de pistolet pour l'introduire ensuite dans l'orifice du r\u00e9servoir. Ce n'est qu'un petit exemple pour \u00e9voquer une mani\u00e8re de contourner la banalit\u00e9 premi\u00e8re de cette phrase.\n\nSi je mets \u00e7a en forme en utilisant tous ces d\u00e9tails les uns \u00e0 la file des autres, est-ce que j'\u00e9cris un r\u00e9cit fantastique, non. Il manque un \u00e9l\u00e9ment pour que ce r\u00e9cit soit fantastique, c'est le lecteur et aussi l'espace entre les \u00e9l\u00e9ments que je fournis et lui. \n\npompe \u00e0 essence. Banal a priori, on conna\u00eet tous. Vaguement on s'imagine notre pompe \u00e0 essence. Mais si c'est un tableau qui s'appelle Gas peint par Edward Hooper... est-ce que \u00e7a ne change pas tout, est-ce que l'on n'est pas dans cette d\u00e9marche qui m\u00e8ne \u00e0 l'\u00e9trange au fantastique. Pourtant c'est juste une station service rien de plus. Et sans doute que cette \u00e9motion rencontr\u00e9e dans ce tableau ne nous permettra plus jamais de consid\u00e9rer comme banale la moindre station service. \n\nCeci est une premi\u00e8re r\u00e9flexion sur la notion de banalit\u00e9. Ensuite comment choisir les \u00e9l\u00e9ments d'une phrase, d'un texte pour trouver la distance exacte, celle qui cr\u00e9era l'espace \u00e0 partir duquel le lecteur fabriquera du fantastique \u00e0 l'appui de ces quelques mots... Peut-\u00eatre que je me trompe d'ordre encore. Que ce ne soit pas le lecteur le plus important pour cr\u00e9er du fantastique, peut-\u00eatre n'est-ce que l'espace.\n\nCet espace ne peut se concevoir si l'on est entour\u00e9 par d'autres personnes, par le bruit habituel, banal du monde. Il est n\u00e9cessaire de s'en extraire. Puis d'observer une nouvelle aura qui entoure les mots. \n\nUne lueur assez timide au d\u00e9but autant que je me souvienne de cette exp\u00e9rience. Je pourrais rapprocher cette lueur de celle de ces lampes que l'on allume dans une pi\u00e8ce inconnue pour ne pas subir la lumi\u00e8re violente d'un plafonnier. Une lampe qui soudain lorsqu' on l'allume apporte une sensation de s\u00e9curit\u00e9, de confort, une douceur. On est soudain chez soi m\u00eame si ce lieu est une simple chambre d'h\u00f4tel que l'on vient de prendre pour la nuit. l'aura timide des mots est comme ces lampes, elle se met \u00e0 briller doucement, on se retrouve dans le confort d'un chez soi, une familiarit\u00e9 d'autant plus \u00e9trange que l'on est seul d\u00e9sormais, on est devenu \u00e9tranger au monde par cette distance que l'on a pris avec lui comme d'ailleurs avec l'utilisation habituelle banale des mots....\n\n...Il y a quelques jours un coll\u00e8gue de travail me parle de ce livre, \"a course in miracles\" qui vient d'\u00eatre traduit en fran\u00e7ais par l'un de ses amis Sylvain du Boullay. Il me donne l'adresse pour obtenir les trois volumes le composant car on ne peut obtenir cette traduction que par souscription. Quelques jours plus tard je re\u00e7ois le colis par la poste. \u00c9tonnamment d\u00e8s les premi\u00e8res pages je comprends imm\u00e9diatement qu'il s'agit d'une r\u00e9ponse \u00e0 la question que je me suis pos\u00e9 dans ce carnet. \n\nLe livre commence par de petits exercices simples en apparence. Observer ce qu'il y a autour de soi. cette chaise par exemple. Puis se dire cette chaise n'est pas une chaise, je n'ai aucune id\u00e9e de ce que peut \u00eatre cette chaise. N'est-ce pas exactement la m\u00eame chose que de nettoyer la toute premi\u00e8re strate d'interpr\u00e9tation des choses, cette prison constitu\u00e9e d'habitudes, d'id\u00e9e toutes faites dans laquelle nous nous enfermons la plupart du temps. \n\nJ'ai effectu\u00e9 les exercices jour apr\u00e8s jour avec la plus grande ob\u00e9issance. chaque jour le matin, l'apr\u00e8s midi et le soir. Puis cette habitude s'est \u00e9tendue peu \u00e0 peu \u00e0 toute la journ\u00e9e et pour chaque \u00eatre rencontr\u00e9 chaque rue visit\u00e9e, et m\u00eame les diff\u00e9rentes chambres d'h\u00f4tel dans lesquelles je logeais. Je ne faisais plus la moindre id\u00e9e de tout ce qui m'entourait. Et \u00e9trangement c'est le monde entier qui \u00e9tait d\u00e9sormais transform\u00e9. une aura timide encore entourait chaque \u00eatre chaque objet chaque \u00e9v\u00e9nement exactement comme on allume une lampe pour retrouver un peu d'intimit\u00e9 un peu de douceur, revenir chez soi. Puis je commen\u00e7ais la seconde s\u00e9rie d'exercices qui sont orient\u00e9s vers l'int\u00e9rieur de soi, toutes les \u00e9motions les sensations, les pens\u00e9es peuvent \u00eatre de la m\u00eame fa\u00e7on consid\u00e9r\u00e9es comme des objets ext\u00e9rieurs. Il est possible de cr\u00e9er un espace entre ce qui est Soi et ces ph\u00e9nom\u00e8nes int\u00e9rieurs, et on s'aper\u00e7oit aussi que quelque chose a l'int\u00e9rieur de soi est conscient de cet espace. Mais on ne peut le nommer, il nous \u00e9chappe. Il est toujours pr\u00e9sent mais d\u00e8s que l'on d\u00e9sire fixer notre attention sur cet \u00eatre il semble s'\u00e9vanouir. Je crois que c'est en raison de l'intention erron\u00e9e de vouloir le saisir qu'il s'\u00e9chappe, qu'il retourne sans arr\u00eat dans l'ind\u00e9finissable.\n\nici le carnet indique une interruption de quelques semaines. \n\n...Au bout d'un mois ou deux je crois avoir progress\u00e9 dans les exercices de \"a course in miracles\" Mais la contrepartie est que j'ai la sensation de flotter. d'\u00eatre dans un \u00e9tat d'apesanteur assez troublant. Cet \u00e9tat est m\u00eame g\u00eanant pour me rendre \u00e0 mon travail. Je viens de trouver un nouveau travail, je n'ai m\u00eame pas pris le temps d'en \u00e9crire un mot sur ce carnet. Un boulot de sondages par t\u00e9l\u00e9phone que j'effectue le soir entre 17h et 20h, pr\u00e9caire car ce sont des missions temporaires qui se renouvellent de semaine en semaine, pas tr\u00e8s bien pay\u00e9 mais suffisant pour survivre ici dans la ville. \n\nIl y a forc\u00e9ment un lien encore avec les pr\u00e9occupations que je d\u00e9pose ici dans ce carnet. Cette r\u00e9flexion sur la fa\u00e7on de trouver des m\u00e9diations habiles pour dire ce que j'ai \u00e0 dire. Par exemple ce job consiste \u00e0 appeler des gens au t\u00e9l\u00e9phone de leur demander s'ils veulent bien r\u00e9pondre \u00e0 un sondage et ensuite de lire un texte sur un terminal en cochant au fur et \u00e0 mesure leurs r\u00e9ponses. Rien de plus simple en apparence. Encore une fois en apparence.\n\ndeux semaines passent encore sans aucune note d'Alonso Quichano. \n\n...Je viens de trouver une fa\u00e7on de ne pas perdre inutilement mon \u00e9nergie. J'adopte un ton neutre le plus neutre possible et les exercices de \" a course in miracles\" m'y auront je crois beaucoup aid\u00e9. Car ce qu'est un ton neutre est une affaire passionnante. A chaque fois que j'imagine avoir ce fameux ton, je me dis ne te fait aucune id\u00e9e sur ce que tu penses \u00eatre la neutralit\u00e9. Et j'avoue que \u00e7a fonctionne vraiment bien, non seulement j'ai un taux de refus extr\u00eamement bas mais en plus aucun abandon en cours d'interview, je reste calme pos\u00e9 je ne m'\u00e9nerve jamais et je ne prend aucune pause avec mes coll\u00e8gues de travail. Depuis quelques jours j'ai supprim\u00e9 l'utilisation des transports en commun. Je marche depuis Clignancourt o\u00f9 j'ai trouv\u00e9 un appartement jusqu'\u00e0 Montrouge, 1h20 de marche \u00e0 l'aller et au retour. Durant la marche je continue \u00e0 m'exercer \u00e0 n'avoir aucune id\u00e9e aucune \u00e9motion aucune sensation \u00e0 laquelle m'attacher trop longtemps, j'ai m\u00eame trouv\u00e9 une technique, au bout de cinq pas tout s'\u00e9vanouit, tout ce qui constitue l'ext\u00e9rieur ou l'int\u00e9rieur, Je crois d'ailleurs saisir que ce n'est qu'une seule et m\u00eame chose.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/sans-peur-et-sans-reproche.html",
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"title": "Sans peur et sans reproche",
"date_published": "2023-02-09T04:22:58Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:15:31Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " carnet 23 , pages 11, 12, 13, Alonso Quichano 1997 Paris.<\/p>\n Aujourd’hui j’ai d\u00e9cid\u00e9 de prendre des distances avec moi-m\u00eame. De me consid\u00e9rer comme un autre. Donc j’utilise le fameux pronom personnel il <\/em><\/p>\n ...\"Alonso Quichano aime changer de pseudonyme. Il a ouvert plusieurs comptes sur le r\u00e9seau <\/em>Caramail Chaque nouveau nom de personnage, chaque avatar l’entra\u00eene \u00e0 cr\u00e9er une nouvelle personnalit\u00e9. Parfois certains fonctionnent mieux que d’autres mais tous lui permettent d’explorer des pans plus ou moins obscurs de sa psych\u00e9. Il m\u00e8ne toutes ces identit\u00e9s de front , se d\u00e9connectant de l’une pour se connecter \u00e0 une autre. Parfois de nombreuses fois dans une soir\u00e9e. Quichano navigue ainsi en soir\u00e9e de compte en compte. Il aborde ainsi dans les salons de discussions les femmes avec des pseudonymes diff\u00e9rents pour v\u00e9rifier qu’elles lui racontent la m\u00eame histoire ou si elles sont incoh\u00e9rentes <\/em><\/p>\n Au tout d\u00e9but il ne r\u00e9fl\u00e9chit pas vraiment \u00e0 la raison de multiplier les identit\u00e9s. Il a juste envie de s’amuser \u00e0 devenir un autre que lui-m\u00eame,durant quelques heures. Il s’agit d’un territoire infini \u00e0 explorer, des dizaines de personnages avec pour chacun une nouvelle biographie, une fa\u00e7on de s’exprimer qui colle au plus pr\u00e8s de cette biographie. Il invente \u00e9galement un d\u00e9cor, des objets, des hobbies, parfois m\u00eame un ou deux animaux de compagnie. Il ne constitue pas de dossier pour chacun de ses personnages, il les conserve dans sa m\u00e9moire et pour les rendre coh\u00e9rents dans une dur\u00e9e il n’a juste qu’\u00e0 retrouver leur ton, leur vocabulaire, une certaine fa\u00e7on d’ organiser les mots, une syntaxe. Si la plupart des personnes normales disent qu’il est un menteur pathologique, lui Quichano estime qu’il fourbit sa plume pour devenir un grand \u00e9crivain et un tueur sans piti\u00e9, un artiste sans peur et sans reproche<\/em><\/p>\n Quant aux femmes elles sont innombrables, leur nombre est infini et toutes avec des personnalit\u00e9s diff\u00e9rentes, chacune pourtant est unique-du moins le pense t’il au commencement. Plus tard il saura les classer par type par cat\u00e9gorie. Mais pour le moment chacune est un troph\u00e9e en puissance. Elles aussi peuvent \u00eatre multiples, il aime \u00e0 imaginer qu’elles sont comme lui , comme des boules \u00e0 facettes. Une ou deux fois il se rend au th\u00e9 dansant de la rue de Lappe. Il est fascin\u00e9 par l’ ambiance qui r\u00e8gne ici. Il observe comment l’immense solitude des \u00eatres qui viennent ici empruntent divers pr\u00e9textes pour ne pas vouloir se regarder vraiment tels qu’ils sont. Les hommes sont entre deux \u00e2ges en costumes impeccables, les femmes virevoltent d’une paire de bras \u00e0 l’autre, ils se sourient en montrant leurs dents \u00e9clatantes sous les lueurs changeantes de l’\u00e9norme boule \u00e0 facettes du plafond. Leurs faci\u00e8s se m\u00e9tamorphosent on dirait des squelettes endimanch\u00e9s qui dansent.<\/em><\/p>\n ici le texte s’interrompt.<\/p>\n suivent quelques consid\u00e9rations ajout\u00e9es dans la marge d’une \u00e9criture presque illisible.<\/p>\n Beaucoup trop litt\u00e9raire, creuse les d\u00e9tails, le d\u00e9cor, d\u00e9veloppe plus, il y a trop d’id\u00e9es proches les unes des autres, chacune m\u00e9riterait un paragraphe voire une page enti\u00e8re, un chapitre. L’ensemble donne une sensation brouillonne. <\/em><\/p>\n explique par exemple un peu plus en d\u00e9tail ce qu’est caramail. comment Alonso Quichano le d\u00e9couvre la premi\u00e8re fois, ce qu’il voit comme opportunit\u00e9s pour rompre avec sa solitude ( le croit-il) parle de cette premi\u00e8re couche d’illusion qui aurait pour nom la recherche effr\u00e9n\u00e9e de l’\u00e2me s\u0153ur. Puis les toutes premi\u00e8res d\u00e9sillusions, l’aspect consommation , grande surface qui r\u00e8gne ici et ce autant chez les hommes que chez les femmes. Cette sensation de libert\u00e9 totalement fallacieuse avec laquelle chacun ment comme un arracheur de dent sur sa vie, sur qui il ou elle est vraiment. Tu pourrais faire un texte cons\u00e9quent sur la fa\u00e7on dont chacune de ses femmes se pr\u00e9sente, incite son interlocuteur \u00e0 vouloir en savoir plus en laissant vagues certaines zones dans la conversation au d\u00e9but banale. Comment l’imagination se jette sur ces zones floues pour b\u00e2tir un personnage imaginaire que chacun plus ou moins adroitement essaie de rendre r\u00e9el, vivant. <\/em><\/p>\n une autre possibilit\u00e9 pour construire un texte amusant serait la forme de l’interview. Tu pourrais te poser des questions et chacun de ces personnages, de tes doubles r\u00e9pondrait \u00e0 ces questions sur tel ou tel sujet. <\/em><\/p>\n l’infini, la quantit\u00e9, le probl\u00e8me du choix, l’ach\u00e8vement pour y mettre un terme. Valable aussi bien pour les relations, les femmes que la litt\u00e9rature en g\u00e9n\u00e9ral... <\/em><\/p>\n <\/strong><\/em><\/p>\n Frances place un gratin surgel\u00e9 saumon-\u00e9pinard sur le plateau de verre du micro-onde. La lumi\u00e8re baigne la cuisine. Elle s’approche de la fen\u00eatre pour regarder la place au bout de laquelle le mus\u00e9e Picasso avale et recrache ses innombrables visiteurs. Dans l’air flotte un parfum de pralines, de barbe \u00e0 papa, il est presque 15 heures \u00e0 Barcelone. Hormis les groupes de touristes les rues alentour se vident peu \u00e0 peu. Les ombres s’adoucissent. Elle songe \u00e0 ce r\u00e9seau qu’\u00e9voque Alonso Quichano. Elle ouvre l’ipad et effectue une requ\u00eate pour savoir si le r\u00e9seau a bien exist\u00e9 ou s’il existe toujours. La premi\u00e8re chose qu’elle constate est une anomalie concernant les dates. Le carnet 23 est bien dat\u00e9 de 1997, mais ceux de 1996 ne devraient pas faire r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 caramail puisque qu’a priori il n’a pas encore \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 il ne le sera que l’ann\u00e9e suivante. Est-t’il possible que ces carnets eux-m\u00eames ne soient qu’un artifice litt\u00e9raire, une fausse autobiographie , fabrication consciente de Quichano, une mise en ab\u00eeme, et au bout du compte peut-\u00eatre une \u0153uvre - contre toute attente. Elle referma la fen\u00eatre, retourna vers le micro onde, sorti la barquette puis alors qu’elle allait en pr\u00e9lever une bouch\u00e9e, elle la reposa sur la plan de travail. L’excitation lui avait coup\u00e9 l’app\u00e9tit. Elle retourna vers le salon, repris le carnet o\u00f9 elle s’\u00e9tait arr\u00eat\u00e9e.<\/p>",
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Il aborde ainsi dans les salons de discussions les femmes avec des pseudonymes diff\u00e9rents pour v\u00e9rifier qu'elles lui racontent la m\u00eame histoire ou si elles sont incoh\u00e9rentes \n\nAu tout d\u00e9but il ne r\u00e9fl\u00e9chit pas vraiment \u00e0 la raison de multiplier les identit\u00e9s. Il a juste envie de s'amuser \u00e0 devenir un autre que lui-m\u00eame,durant quelques heures. Il s'agit d'un territoire infini \u00e0 explorer, des dizaines de personnages avec pour chacun une nouvelle biographie, une fa\u00e7on de s'exprimer qui colle au plus pr\u00e8s de cette biographie. Il invente \u00e9galement un d\u00e9cor, des objets, des hobbies, parfois m\u00eame un ou deux animaux de compagnie. Il ne constitue pas de dossier pour chacun de ses personnages, il les conserve dans sa m\u00e9moire et pour les rendre coh\u00e9rents dans une dur\u00e9e il n'a juste qu'\u00e0 retrouver leur ton, leur vocabulaire, une certaine fa\u00e7on d' organiser les mots, une syntaxe. 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L'ensemble donne une sensation brouillonne. \n\nexplique par exemple un peu plus en d\u00e9tail ce qu'est caramail. comment Alonso Quichano le d\u00e9couvre la premi\u00e8re fois, ce qu'il voit comme opportunit\u00e9s pour rompre avec sa solitude ( le croit-il) parle de cette premi\u00e8re couche d'illusion qui aurait pour nom la recherche effr\u00e9n\u00e9e de l'\u00e2me s\u0153ur. Puis les toutes premi\u00e8res d\u00e9sillusions, l'aspect consommation , grande surface qui r\u00e8gne ici et ce autant chez les hommes que chez les femmes. Cette sensation de libert\u00e9 totalement fallacieuse avec laquelle chacun ment comme un arracheur de dent sur sa vie, sur qui il ou elle est vraiment. Tu pourrais faire un texte cons\u00e9quent sur la fa\u00e7on dont chacune de ses femmes se pr\u00e9sente, incite son interlocuteur \u00e0 vouloir en savoir plus en laissant vagues certaines zones dans la conversation au d\u00e9but banale. Comment l'imagination se jette sur ces zones floues pour b\u00e2tir un personnage imaginaire que chacun plus ou moins adroitement essaie de rendre r\u00e9el, vivant. \n\nune autre possibilit\u00e9 pour construire un texte amusant serait la forme de l'interview. Tu pourrais te poser des questions et chacun de ces personnages, de tes doubles r\u00e9pondrait \u00e0 ces questions sur tel ou tel sujet. \n\n l'infini, la quantit\u00e9, le probl\u00e8me du choix, l'ach\u00e8vement pour y mettre un terme. Valable aussi bien pour les relations, les femmes que la litt\u00e9rature en g\u00e9n\u00e9ral... \n\n\n\nFrances place un gratin surgel\u00e9 saumon-\u00e9pinard sur le plateau de verre du micro-onde. La lumi\u00e8re baigne la cuisine. Elle s'approche de la fen\u00eatre pour regarder la place au bout de laquelle le mus\u00e9e Picasso avale et recrache ses innombrables visiteurs. Dans l'air flotte un parfum de pralines, de barbe \u00e0 papa, il est presque 15 heures \u00e0 Barcelone. Hormis les groupes de touristes les rues alentour se vident peu \u00e0 peu. Les ombres s'adoucissent. Elle songe \u00e0 ce r\u00e9seau qu'\u00e9voque Alonso Quichano. Elle ouvre l'ipad et effectue une requ\u00eate pour savoir si le r\u00e9seau a bien exist\u00e9 ou s'il existe toujours. La premi\u00e8re chose qu'elle constate est une anomalie concernant les dates. Le carnet 23 est bien dat\u00e9 de 1997, mais ceux de 1996 ne devraient pas faire r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 caramail puisque qu'a priori il n'a pas encore \u00e9t\u00e9 cr\u00e9\u00e9 il ne le sera que l'ann\u00e9e suivante. Est-t'il possible que ces carnets eux-m\u00eames ne soient qu'un artifice litt\u00e9raire, une fausse autobiographie , fabrication consciente de Quichano, une mise en ab\u00eeme, et au bout du compte peut-\u00eatre une \u0153uvre - contre toute attente. Elle referma la fen\u00eatre, retourna vers le micro onde, sorti la barquette puis alors qu'elle allait en pr\u00e9lever une bouch\u00e9e, elle la reposa sur la plan de travail. L'excitation lui avait coup\u00e9 l'app\u00e9tit. Elle retourna vers le salon, repris le carnet o\u00f9 elle s'\u00e9tait arr\u00eat\u00e9e.",
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"content_html": " r\u00e9ecriture<\/strong>\nJe te le dis, ce n\u2019est pas une confession, c\u2019est un carnet qui tente d\u2019orner l\u2019irr\u00e9parable — non pas embellir, d\u00e9placer ; il \u00e9crit “aujourd\u2019hui je me lance” et d\u00e9j\u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 se matifie sous la phrase, la sc\u00e8ne se r\u00e9duit \u00e0 trois choses : la pi\u00e8ce close, la respiration qui joue faux, les mains qui h\u00e9sitent avant de se poser ; il voudrait, dit-il, m\u00ealer un peu de chair \u00e0 l\u2019aveu pour lui donner de l\u2019\u00e9l\u00e9gance (non, pas \u00e9l\u00e9gance, un pr\u00e9texte), et la phrase attend le point o\u00f9 le d\u00e9go\u00fbt deviendra geste, mais ce qui arrive n\u2019arrive pas — la pi\u00e8ce se resserre, l\u2019air manque, puis plus rien, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019eau br\u00fblante remplace la sc\u00e8ne, la bu\u00e9e mange le miroir, il siffle un air pour ne pas entendre le reste ; plus tard, Frances referme le carnet sans trancher — non pas par prudence, par aporie : \u00e9crit-il pour devenir \u00e9crivain, \u00e9crit-il pour couvrir ? on dirait une esth\u00e9tique, non, pas une esth\u00e9tique, un \u00e9cran ; elle pense aux cassettes, \u00e0 la mani\u00e8re dont une voix peut fabriquer un r\u00e9cit autour d\u2019un vide, elle note que le mot “\u00e9diteur” revient comme un talisman (non pas une promesse, une fuite en avant), elle laisse reposer, parce qu\u2019\u00e0 ce point pr\u00e9cis la litt\u00e9rature et le crime se tiennent au bord sans se confondre — alors elle souffle sur la page, la bu\u00e9e se retire \u00e0 peine, l\u2019empreinte des doigts reste, et l\u2019eau du robinet continue, r\u00e9guli\u00e8re, comme si la pi\u00e8ce, elle, n\u2019avait rien appris.<\/p>",
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"title": "Toute une \u00e9poque",
"date_published": "2023-02-08T09:48:55Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:25:51Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " note autobiographique Alonso Quichano Juillet 1996<\/em><\/p>\n ...Que retient-on d’une \u00e9poque. Dans la solitude des \u00eatres, \u00e0 l’int\u00e9rieur des cerveaux singletons qu’en reste t’il. De vagues souvenirs, parfois presque rien. On passe d’une \u00e9poque \u00e0 l’autre comme d’un r\u00eave \u00e0 l’autre durant une vie comme une nuit. Puis quand vient le matin la premi\u00e8re chose \u00e0 laquelle on pense ce n’est pas \u00e0 ce genre de connerie, on se rend vers la cafeti\u00e8re, on place un filtre, dose la quantit\u00e9 de caf\u00e9 que l’on verse dans le filtre, on attrape la bouteille d’eau et on compte le nombre approximatif de tasses pour tenir la journ\u00e9e. <\/em><\/p>\n Mais n’est-ce pas encore une fuite, une fa\u00e7on d’esquiver la r\u00e9alit\u00e9 en en fabricant une autre, plus simple, minimaliste, constitu\u00e9e par la trouille de nos apories. <\/em><\/p>\n Alonso sirotait son caf\u00e9 et le go\u00fbt familier du Carte noire faisait de lui un homme familier, le m\u00eame qu’hier, peut-\u00eatre m\u00eame d’avant hier. Il se disait que la seule compagnie qui vaille \u00e9tait lui-m\u00eame, \u00e0 condition que ce lui-m\u00eame ne soit pas trop \u00e9tonnant, ne le surprenne pas, ce qu’il reprochait au reste de l’humanit\u00e9. <\/em><\/p>\n Alonso avait r\u00e9duit ses habitudes pour ne pas se perdre de vue comme il avait perdu de vue le monde entier. <\/em><\/p>\n A un moment il devint nostalgique d’une \u00e9poque lointaine dans laquelle, le pensait-il encore, et il en sourit, tout aurait pu basculer. Une \u00e9poque dans laquelle l’amour, l’amiti\u00e9, la convivialit\u00e9 pouvait encore faire illusion. Une sorte de temps mythique. \u00c0 cet instant il sut qu’il aurait pu dire ensuite <\/em>telle ou telle \u00e9poque je m’en souviens tr\u00e8s bien parce qu’il y avait l\u00e0 un tel une telle et il aurait retrouv\u00e9 leurs pr\u00e9noms. <\/em><\/p>\n Peut-\u00eatre m\u00eame qu’en pronon\u00e7ant l’un de ses pr\u00e9noms le proc\u00e9d\u00e9 magique de la m\u00e9moire se fut-il mis en branle. Et qu’alors d’un coup tout lui serait revenu. Le d\u00e9cor, les silhouettes, les visages, les regards, les sons, les odeurs, les buts, les intentions avouables et inavouables. Peut-\u00eatre m\u00eame les \u00e9motions, les sensations, les sentiments, les sinc\u00e8res et les mensongers . Et avec cette intensit\u00e9 si particuli\u00e8re que peut produire la familiarit\u00e9. Cependant poursuivit-il, la contrepartie, le prix \u00e0 payer dans ce cas , ne le poserait jamais qu’\u00e0 la place d’un spectateur, d’un observateur, voyeur ou espion. Un souvenir pour Alonso Quichano \u00e9tait du m\u00eame ordre que ces vieux films en noir et blanc qui sautaient ou cramaient sans rel\u00e2che. Il fallait juste attendre assis dans la salle que le projectionniste daigne se magner de r\u00e9parer tout en buvant une tasse de carte noire am\u00e8re, issue d’un cafeti\u00e8re la plupart du temps entartr\u00e9e...<\/em><\/p>\n Frances reposa le carnet. Elle venait de pr\u00e9lever avec soin ce passage pour le flanquer dans son dossier Ulysses. Pages n’\u00e9tait plus \u00e0 la hauteur depuis quelques semaines d\u00e9j\u00e0 . Elle avait investi dans ce tout nouveau logiciel et dans un Ipad Pro qui lui avait co\u00fbt\u00e9 un bras. Elle posa son index sur le symbole \u00e0 droite de la fen\u00eatre, petite roue contenant trois points et choisis d’exporter le document en fichier pdf vers sa Dropbox. En un clic (une fois qu’elle avait eu enfin compris comment param\u00e9trer le processus). Magique ! Et tout \u00e7a depuis le canap\u00e9 du salon. Enfin elle consulta sa montre ce qui , pensa t’elle, \u00e9tait d\u00e9sormais un r\u00e9flexe absurde puisque l’heure \u00e9tait accessible sur tous les appareil connect\u00e9s. Elle calcula qu’il lui restait juste le temps de prendre une douche de s’habiller pour aller rencontrer sa commanditaire et lui rendre compte de l’avanc\u00e9e du boulot.<\/p>\n Juste avant de s’enfoncer dans la bouche de m\u00e9tro Espanya Frances regardait le d\u00e9cor autour d’elle. Elle s’aper\u00e7ut qu’elle avait \u00e9t\u00e9 plus attentive \u00e0 la ville depuis qu’elle avait quitt\u00e9 son appartement Elle \u00e9num\u00e9rait mentalement les pr\u00e9noms de ceux qu’elle fr\u00e9quentait depuis qu’elle \u00e9tait arriv\u00e9e \u00e0 Barcelone. Elle fut rassur\u00e9e de trouver une bonne dizaine sans effort depuis son d\u00e9part de son domicile career de Cr\u00e9mat, \u00e0 deux pas du mus\u00e9e Picasso.<\/p>\n <\/strong><\/strong><\/em><\/p>",
"content_text": "note autobiographique Alonso Quichano Juillet 1996\n\n...Que retient-on d'une \u00e9poque. Dans la solitude des \u00eatres, \u00e0 l'int\u00e9rieur des cerveaux singletons qu'en reste t'il. De vagues souvenirs, parfois presque rien. On passe d'une \u00e9poque \u00e0 l'autre comme d'un r\u00eave \u00e0 l'autre durant une vie comme une nuit. Puis quand vient le matin la premi\u00e8re chose \u00e0 laquelle on pense ce n'est pas \u00e0 ce genre de connerie, on se rend vers la cafeti\u00e8re, on place un filtre, dose la quantit\u00e9 de caf\u00e9 que l'on verse dans le filtre, on attrape la bouteille d'eau et on compte le nombre approximatif de tasses pour tenir la journ\u00e9e. \n\nMais n'est-ce pas encore une fuite, une fa\u00e7on d'esquiver la r\u00e9alit\u00e9 en en fabricant une autre, plus simple, minimaliste, constitu\u00e9e par la trouille de nos apories. \n\nAlonso sirotait son caf\u00e9 et le go\u00fbt familier du Carte noire faisait de lui un homme familier, le m\u00eame qu'hier, peut-\u00eatre m\u00eame d'avant hier. Il se disait que la seule compagnie qui vaille \u00e9tait lui-m\u00eame, \u00e0 condition que ce lui-m\u00eame ne soit pas trop \u00e9tonnant, ne le surprenne pas, ce qu'il reprochait au reste de l'humanit\u00e9. \n\nAlonso avait r\u00e9duit ses habitudes pour ne pas se perdre de vue comme il avait perdu de vue le monde entier. \n\nA un moment il devint nostalgique d'une \u00e9poque lointaine dans laquelle, le pensait-il encore, et il en sourit, tout aurait pu basculer. Une \u00e9poque dans laquelle l'amour, l'amiti\u00e9, la convivialit\u00e9 pouvait encore faire illusion. Une sorte de temps mythique. \u00c0 cet instant il sut qu'il aurait pu dire ensuite telle ou telle \u00e9poque je m'en souviens tr\u00e8s bien parce qu'il y avait l\u00e0 un tel une telle et il aurait retrouv\u00e9 leurs pr\u00e9noms. \n\nPeut-\u00eatre m\u00eame qu'en pronon\u00e7ant l'un de ses pr\u00e9noms le proc\u00e9d\u00e9 magique de la m\u00e9moire se fut-il mis en branle. Et qu'alors d'un coup tout lui serait revenu. Le d\u00e9cor, les silhouettes, les visages, les regards, les sons, les odeurs, les buts, les intentions avouables et inavouables. Peut-\u00eatre m\u00eame les \u00e9motions, les sensations, les sentiments, les sinc\u00e8res et les mensongers . Et avec cette intensit\u00e9 si particuli\u00e8re que peut produire la familiarit\u00e9. Cependant poursuivit-il, la contrepartie, le prix \u00e0 payer dans ce cas , ne le poserait jamais qu'\u00e0 la place d'un spectateur, d'un observateur, voyeur ou espion. Un souvenir pour Alonso Quichano \u00e9tait du m\u00eame ordre que ces vieux films en noir et blanc qui sautaient ou cramaient sans rel\u00e2che. Il fallait juste attendre assis dans la salle que le projectionniste daigne se magner de r\u00e9parer tout en buvant une tasse de carte noire am\u00e8re, issue d'un cafeti\u00e8re la plupart du temps entartr\u00e9e...\n\nFrances reposa le carnet. Elle venait de pr\u00e9lever avec soin ce passage pour le flanquer dans son dossier Ulysses. Pages n'\u00e9tait plus \u00e0 la hauteur depuis quelques semaines d\u00e9j\u00e0 . Elle avait investi dans ce tout nouveau logiciel et dans un Ipad Pro qui lui avait co\u00fbt\u00e9 un bras. Elle posa son index sur le symbole \u00e0 droite de la fen\u00eatre, petite roue contenant trois points et choisis d'exporter le document en fichier pdf vers sa Dropbox. En un clic (une fois qu'elle avait eu enfin compris comment param\u00e9trer le processus). Magique ! Et tout \u00e7a depuis le canap\u00e9 du salon. Enfin elle consulta sa montre ce qui , pensa t'elle, \u00e9tait d\u00e9sormais un r\u00e9flexe absurde puisque l'heure \u00e9tait accessible sur tous les appareil connect\u00e9s. Elle calcula qu'il lui restait juste le temps de prendre une douche de s'habiller pour aller rencontrer sa commanditaire et lui rendre compte de l'avanc\u00e9e du boulot. \n\nJuste avant de s'enfoncer dans la bouche de m\u00e9tro Espanya Frances regardait le d\u00e9cor autour d'elle. Elle s'aper\u00e7ut qu'elle avait \u00e9t\u00e9 plus attentive \u00e0 la ville depuis qu'elle avait quitt\u00e9 son appartement Elle \u00e9num\u00e9rait mentalement les pr\u00e9noms de ceux qu'elle fr\u00e9quentait depuis qu'elle \u00e9tait arriv\u00e9e \u00e0 Barcelone. Elle fut rassur\u00e9e de trouver une bonne dizaine sans effort depuis son d\u00e9part de son domicile career de Cr\u00e9mat, \u00e0 deux pas du mus\u00e9e Picasso. \n\n",
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"title": "Action",
"date_published": "2023-02-08T07:33:34Z",
"date_modified": "2025-10-09T17:09:13Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je te le dis, tu \u00e9cris “comment exprimer une action” — non pas une r\u00e8gle, une hypoth\u00e8se — : d\u00e9but, fin, et entre les deux ce qui d\u00e9vie ; alors tu lances la sc\u00e8ne au seuil d\u2019un restaurant, la porte c\u00e8de, chemise blanche au bar, et lui qui refuse le menu d\u2019un geste (non pas par assurance, pour gagner du temps), il commande d\u2019un trait une quatre saisons, des bolognaises, deux pressions, et \u00e7a va vite, merci, nous sommes press\u00e9s, dit-il comme on r\u00e8gle une horloge ; elle r\u00e9pond qu\u2019elle vient d\u2019arriver, et pendant que la voix coule, il regarde la bouche (rose p\u00e2le luisant), puis les yeux verts mont\u00e9s de faux-cils (en frange ? individuels ? magn\u00e9tiques ? — il passe en revue les extensions comme on feuillette un catalogue), non pas pour juger, pour classer ce qu\u2019il ne veut pas entendre ; la sc\u00e8ne se tient au bord, il sourit m\u00e9caniquement, la politesse fait \u00e9cran, et quelque chose, d\u00e9j\u00e0, compte \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur (on dirait l\u2019addition, non, pas l\u2019addition, le temps qui se referme), car Abricot-m\u00fbr sur Caramail a un autre nom \u00e0 table et l\u2019\u00e9cart entre les deux travaille ; il se r\u00e9p\u00e8te qu\u2019une action a un d\u00e9but et une fin, mais les actions tirent des ficelles entre elles, sous la nappe, dans la poche du carnet o\u00f9 une page porte une liste : Joan Livrao, Solange Livrao, Monica Livrao, Angela Livrao, Frances Livrao — Susy Livrao en bas, au stylo bille rouge, encercl\u00e9e (non pas soulign\u00e9e, encercl\u00e9e) d\u2019un geste appuy\u00e9 qui a travers\u00e9 le papier ; et la sc\u00e8ne revient \u00e0 la table : mousse des pressions, luisant du rose sur la l\u00e8vre, les couverts qui tintent, la commande qui arrive trop vite, pas assez vite, et lui qui l\u00e8ve les yeux comme on v\u00e9rifie une marche \u00e0 suivre ; alors l\u2019action tient sa forme, d\u00e9but et fin — mais entre les deux il n\u2019y a que ce cercle rouge qui ne trouve pas son centre.<\/p>",
"content_text": " Je te le dis, tu \u00e9cris \u201ccomment exprimer une action\u201d \u2014 non pas une r\u00e8gle, une hypoth\u00e8se \u2014 : d\u00e9but, fin, et entre les deux ce qui d\u00e9vie ; alors tu lances la sc\u00e8ne au seuil d\u2019un restaurant, la porte c\u00e8de, chemise blanche au bar, et lui qui refuse le menu d\u2019un geste (non pas par assurance, pour gagner du temps), il commande d\u2019un trait une quatre saisons, des bolognaises, deux pressions, et \u00e7a va vite, merci, nous sommes press\u00e9s, dit-il comme on r\u00e8gle une horloge ; elle r\u00e9pond qu\u2019elle vient d\u2019arriver, et pendant que la voix coule, il regarde la bouche (rose p\u00e2le luisant), puis les yeux verts mont\u00e9s de faux-cils (en frange ? individuels ? magn\u00e9tiques ? \u2014 il passe en revue les extensions comme on feuillette un catalogue), non pas pour juger, pour classer ce qu\u2019il ne veut pas entendre ; la sc\u00e8ne se tient au bord, il sourit m\u00e9caniquement, la politesse fait \u00e9cran, et quelque chose, d\u00e9j\u00e0, compte \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur (on dirait l\u2019addition, non, pas l\u2019addition, le temps qui se referme), car Abricot-m\u00fbr sur Caramail a un autre nom \u00e0 table et l\u2019\u00e9cart entre les deux travaille ; il se r\u00e9p\u00e8te qu\u2019une action a un d\u00e9but et une fin, mais les actions tirent des ficelles entre elles, sous la nappe, dans la poche du carnet o\u00f9 une page porte une liste : Joan Livrao, Solange Livrao, Monica Livrao, Angela Livrao, Frances Livrao \u2014 Susy Livrao en bas, au stylo bille rouge, encercl\u00e9e (non pas soulign\u00e9e, encercl\u00e9e) d\u2019un geste appuy\u00e9 qui a travers\u00e9 le papier ; et la sc\u00e8ne revient \u00e0 la table : mousse des pressions, luisant du rose sur la l\u00e8vre, les couverts qui tintent, la commande qui arrive trop vite, pas assez vite, et lui qui l\u00e8ve les yeux comme on v\u00e9rifie une marche \u00e0 suivre ; alors l\u2019action tient sa forme, d\u00e9but et fin \u2014 mais entre les deux il n\u2019y a que ce cercle rouge qui ne trouve pas son centre. ",
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"title": "responsable",
"date_published": "2023-02-07T09:54:33Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:29:16Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " note manuscrite retrouv\u00e9e dans les papiers d’Alonso Quichano dat\u00e9e de juin 1996, Paris<\/p>\n ...« On croit que l’on est responsable de tout, de l’\u00e9chec d’une vie comme du mauvais temps, la responsabilit\u00e9 limit\u00e9e c’est pour les malins ceux bard\u00e9s de juristes, d’avocats et qui se cantonnent \u00e0 l’\u00e9change rubis sur l’ongle. Le responsable path\u00e9tique et magnifique c’est Alonso Quichano, sauf qu’\u00e0 un moment il se rend compte de sa connerie, alors il se met \u00e0 tuer des femmes, il aurait pu tuer des animaux \u00e0 la chasse, des cafards avec une godasse sur le papier peint de ses piaules miteuses, mais non les femmes c’ \u00e9tait plus amusant. Il faut bien se distraire dans la vie quand le poids des responsabilit\u00e9s dispara\u00eet d’un coup, la distraction permet de s’accrocher au moins \u00e0 quelque chose encore. ».<\/em><\/p>",
"content_text": "note manuscrite retrouv\u00e9e dans les papiers d'Alonso Quichano dat\u00e9e de juin 1996, Paris \n\n...\"On croit que l'on est responsable de tout, de l'\u00e9chec d'une vie comme du mauvais temps, la responsabilit\u00e9 limit\u00e9e c'est pour les malins ceux bard\u00e9s de juristes, d'avocats et qui se cantonnent \u00e0 l'\u00e9change rubis sur l'ongle. Le responsable path\u00e9tique et magnifique c'est Alonso Quichano, sauf qu'\u00e0 un moment il se rend compte de sa connerie, alors il se met \u00e0 tuer des femmes, il aurait pu tuer des animaux \u00e0 la chasse, des cafards avec une godasse sur le papier peint de ses piaules miteuses, mais non les femmes c' \u00e9tait plus amusant. Il faut bien se distraire dans la vie quand le poids des responsabilit\u00e9s dispara\u00eet d'un coup, la distraction permet de s'accrocher au moins \u00e0 quelque chose encore.\".",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-point-de-vue.html",
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"title": "Le point de vue",
"date_published": "2023-02-05T15:23:18Z",
"date_modified": "2025-10-09T17:10:17Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " r\u00e9ecriture<\/strong><\/p>\n Je te le dis, tu n\u2019es pas oblig\u00e9 de garder le m\u00eame point de vue — non pas parce que tu serais plus libre que les autres, mais parce que rester au m\u00eame te colle au carton d\u2019identit\u00e9, aux paluches encr\u00e9es, \u00e0 la photo de zombi d\u00e9pressif qui te range dans la case des opinions, et c\u2019est de l\u00e0 que tu tires la cassette num\u00e9ro 13 (Paris, 1995, c\u2019est \u00e9crit au dos), tu lances la bande et \u00e7a r\u00e2cle, on entend Alonso Quichano parler de Gilda qui se croyait gentille, bien sous tout, cordiale — non, pas gentille, coll\u00e9e \u00e0 son portrait d\u2019elle-m\u00eame comme tout le monde —, et lui qui grossit le trait, qui dit qu\u2019elle mange, marche, travaille, baise cordiale, et puis le bus qui ne la loupe pas (le destin ne loupe pas, r\u00e9p\u00e8te la bande), et toi tu te demandes si la lettre sert encore, si l\u2019\u00e9pistolaire fait polar ou seulement \u00e9cran, et Fred rit, mains tach\u00e9es de peinture, il dit qu\u2019il retire le superflu — non pas le superflu, l\u2019essentiel peut-\u00eatre, il ne sait plus —, le JB fait un cercle ambr\u00e9 sur la table, Frances s\u2019est lev\u00e9e vers la cuisine (tu l\u2019entends, tasse contre l\u2019\u00e9vier), elle demande Hannah, Fred esquive, alors tu balances la suite : un carton de vieilles cassettes, une vieille dame, peut-\u00eatre la tante, la police qui a fait des doubles, vingt femmes entre les ann\u00e9es 90 et 2000 (tu le dis et tu retires aussit\u00f4t ta phrase, non pas pour l\u2019att\u00e9nuer, pour la tenir sans effet), et Fred qui siffle 30 000 — tu pourrais tuer pour \u00e7a, dit-il en plaisantant, puis il se retient, puis il rit quand m\u00eame, et toi tu continues parce que changer de point de vue ne gu\u00e9rit rien, \u00e7a d\u00e9place seulement : Gilda sans soup\u00e7on, la cave et le grenier jamais ouverts, le solde de tout compte coch\u00e9 en bas, tu lui as tout dit d\u2019un coup pour lui montrer qu\u2019on peut se tromper de point de vue sur quelqu\u2019un, mais trop tard, et ce trop tard c\u2019est d\u00e9j\u00e0 la voix de la bande qui gr\u00e9sille, qui insiste, non pas comprendre, tenir, non pas accuser, regarder comment le mot cordiale fait fa\u00e7ade jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re seconde, et pendant que tu parles, Fred remet la bouteille sur le rond humide, la bande claque, le moteur s\u2019arr\u00eate, il ne reste qu\u2019une tache d\u2019ambre qui s\u2019\u00e9largit sur la table.<\/p>\n Illustration<\/strong> Sans titre 2024, PB<\/p>",
"content_text": " ** r\u00e9ecriture** Je te le dis, tu n\u2019es pas oblig\u00e9 de garder le m\u00eame point de vue \u2014 non pas parce que tu serais plus libre que les autres, mais parce que rester au m\u00eame te colle au carton d\u2019identit\u00e9, aux paluches encr\u00e9es, \u00e0 la photo de zombi d\u00e9pressif qui te range dans la case des opinions, et c\u2019est de l\u00e0 que tu tires la cassette num\u00e9ro 13 (Paris, 1995, c\u2019est \u00e9crit au dos), tu lances la bande et \u00e7a r\u00e2cle, on entend Alonso Quichano parler de Gilda qui se croyait gentille, bien sous tout, cordiale \u2014 non, pas gentille, coll\u00e9e \u00e0 son portrait d\u2019elle-m\u00eame comme tout le monde \u2014, et lui qui grossit le trait, qui dit qu\u2019elle mange, marche, travaille, baise cordiale, et puis le bus qui ne la loupe pas (le destin ne loupe pas, r\u00e9p\u00e8te la bande), et toi tu te demandes si la lettre sert encore, si l\u2019\u00e9pistolaire fait polar ou seulement \u00e9cran, et Fred rit, mains tach\u00e9es de peinture, il dit qu\u2019il retire le superflu \u2014 non pas le superflu, l\u2019essentiel peut-\u00eatre, il ne sait plus \u2014, le JB fait un cercle ambr\u00e9 sur la table, Frances s\u2019est lev\u00e9e vers la cuisine (tu l\u2019entends, tasse contre l\u2019\u00e9vier), elle demande Hannah, Fred esquive, alors tu balances la suite : un carton de vieilles cassettes, une vieille dame, peut-\u00eatre la tante, la police qui a fait des doubles, vingt femmes entre les ann\u00e9es 90 et 2000 (tu le dis et tu retires aussit\u00f4t ta phrase, non pas pour l\u2019att\u00e9nuer, pour la tenir sans effet), et Fred qui siffle 30 000 \u2014 tu pourrais tuer pour \u00e7a, dit-il en plaisantant, puis il se retient, puis il rit quand m\u00eame, et toi tu continues parce que changer de point de vue ne gu\u00e9rit rien, \u00e7a d\u00e9place seulement : Gilda sans soup\u00e7on, la cave et le grenier jamais ouverts, le solde de tout compte coch\u00e9 en bas, tu lui as tout dit d\u2019un coup pour lui montrer qu\u2019on peut se tromper de point de vue sur quelqu\u2019un, mais trop tard, et ce trop tard c\u2019est d\u00e9j\u00e0 la voix de la bande qui gr\u00e9sille, qui insiste, non pas comprendre, tenir, non pas accuser, regarder comment le mot cordiale fait fa\u00e7ade jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re seconde, et pendant que tu parles, Fred remet la bouteille sur le rond humide, la bande claque, le moteur s\u2019arr\u00eate, il ne reste qu\u2019une tache d\u2019ambre qui s\u2019\u00e9largit sur la table. **Illustration** Sans titre 2024, PB ",
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"tags": ["brouillons", "Narration et Exp\u00e9rimentation", "palimpsestes"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-morts-et-les-vivants.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-morts-et-les-vivants.html",
"title": "Les morts et les vivants",
"date_published": "2023-02-05T08:21:05Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:34:18Z",
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"content_html": " Alonso Quichano, Paris.<\/p>\n « ...<\/em>C’est surtout la trouille qui m’emp\u00eacha de narrer toute la salet\u00e9 travers\u00e9e, parce que les salauds ou les salopes que j’ai crois\u00e9s \u00e9taient encore vivants. J’avais la trouille d’\u00eatre confront\u00e9 \u00e0 une toute autre version des faits. Les gens arrangent tellement tout \u00e0 leur sauce comme \u00e7a leur chante. ils font tout pour que ca les place en vedette ou en victime. La nuance leur \u00e9chappe la plupart du temps. Tandis que moi la nuance c’est mon truc mon dada, je ne cesse de me d\u00e9battre avec elle. Je n’ai rien contre les salauds mais je suis toujours assez triste qu’ils puissent insulter mon intelligence jusqu’\u00e0 oublier que je puisse en poss\u00e9der une. Par contre sit\u00f4t que j’apprends un d\u00e9c\u00e8s, je piaffe de joie je me sens lib\u00e9r\u00e9 de tous les emp\u00eachements d’un seul coup, le sang me monte au joues, je revis. Il faut dire que j’ai subi une \u00e9ducation catholique , que le soucis du bien et du mal se sera impos\u00e9 assez vite jusqu’\u00e0 en devenir carr\u00e9ment une obsession. La premi\u00e8re fois que j’ai \u00e9prouv\u00e9 ce type de soulagement c’est quand j’ai appris que Gilda \u00e9tait pass\u00e9e sous un bus. Je me suis m\u00eame rendu \u00e0 la veill\u00e9e mortuaire rien que pour voir comment les croque-mort avaient pu s’y prendre pour la rendre pr\u00e9sentable , pour r\u00e9int\u00e9grer dans son cr\u00e2ne tous les morceaux \u00e9pars de sa cervelle qui avaient \u00e9t\u00e9 projet\u00e9s jusque sur la vitrine d’un boucher de la rue \u00c9mile zola. Un travail impeccable. Pour \u00eatre certain qu’elle \u00e9tait vraiment crev\u00e9e surtout je crois. Si je dois avoir un regret c’est de n’avoir pas pass\u00e9 mon permis bus, j’aurais aim\u00e9 conduire celui l\u00e0. Ainsi je me serais senti coupable pour quelque chose de r\u00e9el pour une fois. Du reste c’est suite \u00e0 la mort \u00e0 la fois idiote et tragique de Gilda que la gr\u00e2ce m’a touch\u00e9. C’est \u00e0 partir de l\u00e0 que j’ai commenc\u00e9 \u00e0 tuer toutes ces femmes, pour \u00e9prouver enfin ce soulagement d’\u00eatre coupable pour de bon. Et surtout pour pouvoir ensuite tirer partie de ces exp\u00e9riences pour essayer \u00e9crire des romans. Rien de bien sorcier, quand j’y repense. C’est m\u00eame d’une terrible banalit\u00e9. J’avais l’imagination mal plac\u00e9e, c’est tout, maintenant \u00e7a va beaucoup mieux. rien de tel pour bien s’inspirer que de s’appuyer sur la r\u00e9alit\u00e9, ne plus s’embrouiller avec les vivants et les morts »<\/p>\n Frances ouvrit la fen\u00eatre et un vent froid lui fouetta le visage. Ce qu’elle venait d’entendre et de retranscrire sur son logiciel Pages l’avait projet\u00e9e dans une zone trouble, ambigu\u00eb. Un pr\u00e9nom lui revient, Joachim, un de ses premiers amants qui voulait \u00e9crire lui aussi. Elle n’avait pas support\u00e9 son manque de rigueur, et la plupart des textes qu’il lui donnait \u00e0 lire \u00e9taient truff\u00e9s de fautes d’orthographe, de lourdeurs et ne recelaient aucune substance v\u00e9ritable. C’\u00e9taient de longs textes ennuyeux \u00e0 en mourir. Elle avait essay\u00e9 de lui donner quelques conseils, de l’encourager mais Joachim \u00e9tait jeune et imbu de sa personne, il l’avait envoy\u00e9e bouler. Leur liaison avait dur\u00e9 un mois environ puis elle avait rassembl\u00e9 ses affaires, lui avait rendu ses clefs et s’\u00e9tait tir\u00e9e. Maintenant qu’elle y repensait elle n’avait jamais os\u00e9 \u00e9crire sur cette p\u00e9riode de sa vie, les d\u00e9buts de sa carri\u00e8re d’autrice. Elle se demanda si le jeune homme qu’elle avait connu \u00e9tait encore vivant ou mort. Et elle en vint assez vite \u00e0 souhaiter qu’il fut enterr\u00e9 quelque part . Elle pourrait boucher alors une fissure de sa vie en \u00e9crivant une petite histoire \u00e0 leur sujet, Annie Ernaux ne s’\u00e9tait pas g\u00ean\u00e9e pour le faire, bien que le,bouquin soit totalement chiant \u00e0 lire, c’\u00e9tait tout de m\u00eame un livre qui avait pour fonction de boucher un trou soit dans une vie soit dans une biblioth\u00e8que. Elle \u00e9tait tenaill\u00e9e par l’envie d’appuyer de nouveau sur le bouton du magn\u00e9tophone pour \u00e9couter la suite des aveux sonores d’Alonso Quichano , en m\u00eame temps elle se retenait de le faire. En essayant de comprendre la teneur de son h\u00e9sitation elle decide que c’est juste la peur de revenir en arri\u00e8re dans sa vie, de trop esp\u00e9rer puis d’\u00eatre aussit\u00f4t d\u00e9\u00e7ue. Elle reste ainsi un long moment debout face au vent glac\u00e9 de ce petit matin gris, quelque part dans la ville morte qu’est \u00e0 cette heure encore Tobosco.<\/p>",
"content_text": "Alonso Quichano, Paris. \n\n\"...C'est surtout la trouille qui m'emp\u00eacha de narrer toute la salet\u00e9 travers\u00e9e, parce que les salauds ou les salopes que j'ai crois\u00e9s \u00e9taient encore vivants. J'avais la trouille d'\u00eatre confront\u00e9 \u00e0 une toute autre version des faits. Les gens arrangent tellement tout \u00e0 leur sauce comme \u00e7a leur chante. ils font tout pour que ca les place en vedette ou en victime. La nuance leur \u00e9chappe la plupart du temps. Tandis que moi la nuance c'est mon truc mon dada, je ne cesse de me d\u00e9battre avec elle. Je n'ai rien contre les salauds mais je suis toujours assez triste qu'ils puissent insulter mon intelligence jusqu'\u00e0 oublier que je puisse en poss\u00e9der une. Par contre sit\u00f4t que j'apprends un d\u00e9c\u00e8s, je piaffe de joie je me sens lib\u00e9r\u00e9 de tous les emp\u00eachements d'un seul coup, le sang me monte au joues, je revis. Il faut dire que j'ai subi une \u00e9ducation catholique , que le soucis du bien et du mal se sera impos\u00e9 assez vite jusqu'\u00e0 en devenir carr\u00e9ment une obsession. La premi\u00e8re fois que j'ai \u00e9prouv\u00e9 ce type de soulagement c'est quand j'ai appris que Gilda \u00e9tait pass\u00e9e sous un bus. Je me suis m\u00eame rendu \u00e0 la veill\u00e9e mortuaire rien que pour voir comment les croque-mort avaient pu s'y prendre pour la rendre pr\u00e9sentable , pour r\u00e9int\u00e9grer dans son cr\u00e2ne tous les morceaux \u00e9pars de sa cervelle qui avaient \u00e9t\u00e9 projet\u00e9s jusque sur la vitrine d'un boucher de la rue \u00c9mile zola. Un travail impeccable. Pour \u00eatre certain qu'elle \u00e9tait vraiment crev\u00e9e surtout je crois. Si je dois avoir un regret c'est de n'avoir pas pass\u00e9 mon permis bus, j'aurais aim\u00e9 conduire celui l\u00e0. Ainsi je me serais senti coupable pour quelque chose de r\u00e9el pour une fois. Du reste c'est suite \u00e0 la mort \u00e0 la fois idiote et tragique de Gilda que la gr\u00e2ce m'a touch\u00e9. C'est \u00e0 partir de l\u00e0 que j'ai commenc\u00e9 \u00e0 tuer toutes ces femmes, pour \u00e9prouver enfin ce soulagement d'\u00eatre coupable pour de bon. Et surtout pour pouvoir ensuite tirer partie de ces exp\u00e9riences pour essayer \u00e9crire des romans. Rien de bien sorcier, quand j'y repense. C'est m\u00eame d'une terrible banalit\u00e9. J'avais l'imagination mal plac\u00e9e, c'est tout, maintenant \u00e7a va beaucoup mieux. rien de tel pour bien s'inspirer que de s'appuyer sur la r\u00e9alit\u00e9, ne plus s'embrouiller avec les vivants et les morts\"\n\nFrances ouvrit la fen\u00eatre et un vent froid lui fouetta le visage. Ce qu'elle venait d'entendre et de retranscrire sur son logiciel Pages l'avait projet\u00e9e dans une zone trouble, ambigu\u00eb. Un pr\u00e9nom lui revient, Joachim, un de ses premiers amants qui voulait \u00e9crire lui aussi. Elle n'avait pas support\u00e9 son manque de rigueur, et la plupart des textes qu'il lui donnait \u00e0 lire \u00e9taient truff\u00e9s de fautes d'orthographe, de lourdeurs et ne recelaient aucune substance v\u00e9ritable. C'\u00e9taient de longs textes ennuyeux \u00e0 en mourir. Elle avait essay\u00e9 de lui donner quelques conseils, de l'encourager mais Joachim \u00e9tait jeune et imbu de sa personne, il l'avait envoy\u00e9e bouler. Leur liaison avait dur\u00e9 un mois environ puis elle avait rassembl\u00e9 ses affaires, lui avait rendu ses clefs et s'\u00e9tait tir\u00e9e. Maintenant qu'elle y repensait elle n'avait jamais os\u00e9 \u00e9crire sur cette p\u00e9riode de sa vie, les d\u00e9buts de sa carri\u00e8re d'autrice. Elle se demanda si le jeune homme qu'elle avait connu \u00e9tait encore vivant ou mort. Et elle en vint assez vite \u00e0 souhaiter qu'il fut enterr\u00e9 quelque part . Elle pourrait boucher alors une fissure de sa vie en \u00e9crivant une petite histoire \u00e0 leur sujet, Annie Ernaux ne s'\u00e9tait pas g\u00ean\u00e9e pour le faire, bien que le,bouquin soit totalement chiant \u00e0 lire, c'\u00e9tait tout de m\u00eame un livre qui avait pour fonction de boucher un trou soit dans une vie soit dans une biblioth\u00e8que. Elle \u00e9tait tenaill\u00e9e par l'envie d'appuyer de nouveau sur le bouton du magn\u00e9tophone pour \u00e9couter la suite des aveux sonores d'Alonso Quichano , en m\u00eame temps elle se retenait de le faire. En essayant de comprendre la teneur de son h\u00e9sitation elle decide que c'est juste la peur de revenir en arri\u00e8re dans sa vie, de trop esp\u00e9rer puis d'\u00eatre aussit\u00f4t d\u00e9\u00e7ue. Elle reste ainsi un long moment debout face au vent glac\u00e9 de ce petit matin gris, quelque part dans la ville morte qu'est \u00e0 cette heure encore Tobosco.",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/personnages-5-notes.html",
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"title": "personnages 5 ( notes)",
"date_published": "2023-02-05T05:02:57Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:36:34Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Enregistrement du dimanche 5 f\u00e9vrier 1995 retranscrit par Frances.<\/p>\n « ...La difficult\u00e9 surgit presque aussit\u00f4t que je cherche des noms de femmes, de filles faciles. Non que j\u2019en aie pas connues. Elles furent pl\u00e9thore. Elles le sont encore. C\u2019est moi qui suis devenu beaucoup moins facile. Pour toutes les autres je n\u2019aurai jamais assez de pognon sur mon compte pour payer des dommages et int\u00e9r\u00eats en cas d\u2019indignation, de r\u00e9clamation. Ce serait une id\u00e9e d\u2019\u00e9crire une liste de tous ces pr\u00e9noms, la punaiser sur le mur du bureau \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de l\u2019ordi, et v\u00e9rifier \u00e0 chaque fois que je ne commette pas d\u2019impair. Idem pour les temp\u00e9raments. \u00c9viter d\u2019avoir recours \u00e0 des \u00e9l\u00e9ments trop autobiographiques reconnaissables. Picorer un peu de ceci ou de cela. Un mixte. Une salade russe. Voil\u00e0, j\u2019ai juste \u00e0 imaginer une salade russe pour qu\u2019un pr\u00e9nom flotte dans l\u2019air, une feuille morte qui virevolte dans la bouillasse de cet hiver et qui vient se poser en travers des touches du clavier. Brita. C\u2019est plut\u00f4t marrant, car je suis presque certain de n\u2019avoir jamais connu de Brita. Par contre j\u2019ai tr\u00e8s bien connu une Agn\u00e8s qui ne buvait jamais d\u2019eau du robinet. Elle utilisait cette sorte de pot, de carafe du m\u00eame nom Brita pour ne pas avaler de calcaire et autres saloperies disait-elle. Par contre question saloperie, elle, cette Agn\u00e8s, \u00e9tait vraiment sans filtre... »<\/p>\n [Le monologue continue sur un ton libre, brut, \u00e9grenant les souvenirs m\u00eal\u00e9s de fantasmes et de statistiques, de misogynie latente et d\u2019autod\u00e9rision.]<\/p>\n Frances appuie sur commande+s puis bascule son corps en arri\u00e8re, s\u2019\u00e9tire, regarde par la fen\u00eatre. Personne dans la rue et les devantures des boutiques sont encore ferm\u00e9es. Il est cinq heures du matin \u00e0 Tobosco, mais pas de camion-poubelle. D\u2019ailleurs, c\u2019est dimanche.<\/p>\n Un caf\u00e9 sera le bienvenu. Elle se l\u00e8ve du si\u00e8ge de faux cuir noir pour traverser la petite pi\u00e8ce et se rendre \u00e0 la cuisine attenante. La machine Nespresso est allum\u00e9e. Elle choisit une capsule de Ristretto, place la tasse qu\u2019elle a rapport\u00e9e de son bureau sur le plateau, p\u00e8se sur le bouton. La Nespresso \u00e9met un bruit d\u00e9sagr\u00e9able pendant que le breuvage coule dans la tasse.<\/p>\n Pour l\u2019instant, elle s\u2019est content\u00e9e de retranscrire mot \u00e0 mot l\u2019enregistrement de cette cassette qui porte l\u2019\u00e9tiquette num\u00e9ro 10. En revenant vers son bureau, elle avise le carton qui contient toutes les autres, une bonne centaine.<\/p>\n C\u2019est \u00e0 creuser forc\u00e9ment, se dit Frances. Un premier jet. Ce type se mentait beaucoup, pense-t-elle. Encore beaucoup trop de circonstances att\u00e9nuantes, d\u2019excuses, de pr\u00e9textes pour ne pas voir en face le salopard qu\u2019il est.<\/p>\n Malgr\u00e9 cela, elle \u00e9tait assez admirative du travail effectu\u00e9. Personne ne s\u2019amuserait \u00e0 raconter sa vie aussi longtemps sans s\u2019apercevoir \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre de la nullit\u00e9 de cette d\u00e9marche. Que cherchait vraiment ce type ? \u00c0 se r\u00e9inventer lui-m\u00eame ? Et si oui, dans quel but ? Retrouver une bonne conscience perdue ? En finir avec sa culpabilit\u00e9 permanente ? Avoir l\u2019air plus humain qu\u2019il ne l\u2019est vraiment ?<\/p>\n Au bout de la dixi\u00e8me cassette, Frances commen\u00e7ait \u00e0 se faire une petite id\u00e9e. S\u2019il n\u2019avait pas assassin\u00e9 toutes ces femmes, l\u2019homme qui avait pour nom Alonso Quichano aurait pu devenir romancier. D\u2019ailleurs, qui sait si ce n\u2019\u00e9tait pas une possibilit\u00e9 qu\u2019il essayait d\u2019atteindre. Mais trop de digressions encore, beaucoup trop. Frances d\u00e9couperait dans le tas plus tard. Elle adorait cela, tailler dans le vif. C\u2019\u00e9tait m\u00eame une vocation. Et elle en avait fait son boulot.<\/p>",
"content_text": " Enregistrement du dimanche 5 f\u00e9vrier 1995 retranscrit par Frances. \"...La difficult\u00e9 surgit presque aussit\u00f4t que je cherche des noms de femmes, de filles faciles. Non que j\u2019en aie pas connues. Elles furent pl\u00e9thore. Elles le sont encore. C\u2019est moi qui suis devenu beaucoup moins facile. Pour toutes les autres je n\u2019aurai jamais assez de pognon sur mon compte pour payer des dommages et int\u00e9r\u00eats en cas d\u2019indignation, de r\u00e9clamation. Ce serait une id\u00e9e d\u2019\u00e9crire une liste de tous ces pr\u00e9noms, la punaiser sur le mur du bureau \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de l\u2019ordi, et v\u00e9rifier \u00e0 chaque fois que je ne commette pas d\u2019impair. Idem pour les temp\u00e9raments. \u00c9viter d\u2019avoir recours \u00e0 des \u00e9l\u00e9ments trop autobiographiques reconnaissables. Picorer un peu de ceci ou de cela. Un mixte. Une salade russe. Voil\u00e0, j\u2019ai juste \u00e0 imaginer une salade russe pour qu\u2019un pr\u00e9nom flotte dans l\u2019air, une feuille morte qui virevolte dans la bouillasse de cet hiver et qui vient se poser en travers des touches du clavier. Brita. C\u2019est plut\u00f4t marrant, car je suis presque certain de n\u2019avoir jamais connu de Brita. Par contre j\u2019ai tr\u00e8s bien connu une Agn\u00e8s qui ne buvait jamais d\u2019eau du robinet. Elle utilisait cette sorte de pot, de carafe du m\u00eame nom Brita pour ne pas avaler de calcaire et autres saloperies disait-elle. Par contre question saloperie, elle, cette Agn\u00e8s, \u00e9tait vraiment sans filtre...\" [Le monologue continue sur un ton libre, brut, \u00e9grenant les souvenirs m\u00eal\u00e9s de fantasmes et de statistiques, de misogynie latente et d\u2019autod\u00e9rision.] Frances appuie sur commande+s puis bascule son corps en arri\u00e8re, s\u2019\u00e9tire, regarde par la fen\u00eatre. Personne dans la rue et les devantures des boutiques sont encore ferm\u00e9es. Il est cinq heures du matin \u00e0 Tobosco, mais pas de camion-poubelle. D\u2019ailleurs, c\u2019est dimanche. Un caf\u00e9 sera le bienvenu. Elle se l\u00e8ve du si\u00e8ge de faux cuir noir pour traverser la petite pi\u00e8ce et se rendre \u00e0 la cuisine attenante. La machine Nespresso est allum\u00e9e. Elle choisit une capsule de Ristretto, place la tasse qu\u2019elle a rapport\u00e9e de son bureau sur le plateau, p\u00e8se sur le bouton. La Nespresso \u00e9met un bruit d\u00e9sagr\u00e9able pendant que le breuvage coule dans la tasse. Pour l\u2019instant, elle s\u2019est content\u00e9e de retranscrire mot \u00e0 mot l\u2019enregistrement de cette cassette qui porte l\u2019\u00e9tiquette num\u00e9ro 10. En revenant vers son bureau, elle avise le carton qui contient toutes les autres, une bonne centaine. C\u2019est \u00e0 creuser forc\u00e9ment, se dit Frances. Un premier jet. Ce type se mentait beaucoup, pense-t-elle. Encore beaucoup trop de circonstances att\u00e9nuantes, d\u2019excuses, de pr\u00e9textes pour ne pas voir en face le salopard qu\u2019il est. Malgr\u00e9 cela, elle \u00e9tait assez admirative du travail effectu\u00e9. Personne ne s\u2019amuserait \u00e0 raconter sa vie aussi longtemps sans s\u2019apercevoir \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre de la nullit\u00e9 de cette d\u00e9marche. Que cherchait vraiment ce type ? \u00c0 se r\u00e9inventer lui-m\u00eame ? Et si oui, dans quel but ? Retrouver une bonne conscience perdue ? En finir avec sa culpabilit\u00e9 permanente ? Avoir l\u2019air plus humain qu\u2019il ne l\u2019est vraiment ? Au bout de la dixi\u00e8me cassette, Frances commen\u00e7ait \u00e0 se faire une petite id\u00e9e. S\u2019il n\u2019avait pas assassin\u00e9 toutes ces femmes, l\u2019homme qui avait pour nom Alonso Quichano aurait pu devenir romancier. D\u2019ailleurs, qui sait si ce n\u2019\u00e9tait pas une possibilit\u00e9 qu\u2019il essayait d\u2019atteindre. Mais trop de digressions encore, beaucoup trop. Frances d\u00e9couperait dans le tas plus tard. Elle adorait cela, tailler dans le vif. C\u2019\u00e9tait m\u00eame une vocation. Et elle en avait fait son boulot. ",
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"date_published": "2023-02-04T17:57:51Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:32:48Z",
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"content_html": " L\u2019id\u00e9e d\u2019un polar vient-elle d\u2019une sc\u00e8ne qui surgit en se rasant ? Je ne le crois pas, m\u00eame si c\u2019est tentant de le penser. Elle doit venir plut\u00f4t des personnages. Plus on creusera un personnage, plus on trouvera l\u2019acc\u00e8s \u00e0 ses motivations, conscientes ou inconscientes — les deux — plus on aura de choix en effectuant un inventaire dans la collection de conneries qu\u2019il peut effectuer. Il est m\u00eame possible que ce soit cette tension (conscience - inconscience) le moteur de ses actions.<\/p>\n Grosso modo, se dire que les \u00eatres humains sont toujours les m\u00eames, quelle que soit leur condition sociale, l\u2019\u00e9poque dans laquelle ils s\u2019agitent, leur habillement. Je crois que c\u2019est un fait indiscutable. Ensuite, attirer l\u2019attention du lecteur sur ceci ou cela pour les peindre ; ne serait-ce que pour ne pas tenir compte de ce fait, laisser croire \u00e0 une quelconque originalit\u00e9, il y a plus de contre que de pour.<\/p>\n En revanche, la fa\u00e7on dont chacun s\u2019exprime pourrait \u00eatre une clef. En tout cas, c\u2019est surtout cela qui \u00e9veille mon attention et s\u00fbrement aussi mon d\u00e9sir : cr\u00e9er des personnages cr\u00e9dibles par leur langage avant tout. Donc du dialogue. Il faut que le dialogue prenne plus de place que le monologue du narrateur, voire que ce dernier disparaisse compl\u00e8tement.<\/p>\n Au lieu de d\u00e9crire un d\u00e9cor, le sugg\u00e9rer plut\u00f4t par ce que les personnages en disent.<\/p>\n Exemple :<\/p>\n Alonso Quichano cracha sur le sable et resta quelques secondes ravi en train d\u2019observer l\u2019\u00e9vaporation fulgurante de son glaviot ; puis il reprit ses esprits et dit d\u2019une voix avunculaire : « Putain, il fait chaud dans votre coin. »<\/p>\n -- Et si on en venait au fait, je dis.<\/p>\n -- On avait rendez-vous, mais je ne me souviens plus pour quoi pr\u00e9cis\u00e9ment, r\u00e9plique-t-il. Puis il ajoute : « Y a-t-il un fl\u00e9au chez vous ? Car mon boulot consiste \u00e0 effacer les individus g\u00eanants. Je ne prends qu\u2019une modique somme d\u2019ailleurs, d\u2019o\u00f9 mon retard : beaucoup de boulot en ce moment, avec la crise. Pour 50 euros plus les frais, le taux de clients satisfaits frise le 100 %. »<\/p>\n -- Les frais ? je demande.<\/p>\n -- Le g\u00eete, le couvert, le tabac, les moyens de transport. Vous \u00eates au courant que tout a beaucoup augment\u00e9 ces derniers temps...<\/p>\n -- Et si je vous demande de me descendre tout de suite, \u00e7a me co\u00fbterait combien ?<\/p>\n Alonso sortit son smartphone, ouvrit l\u2019app calculatrice, tapa quelques chiffres puis il dit :<\/p>\n -- 250 euros TTC seulement. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 eu pas mal de frais pour arriver jusqu\u2019ici.<\/p>\n L\u2019id\u00e9e d\u2019\u00eatre occis par le plus miteux des tueurs \u00e0 gages n\u2019avait rien de reluisant. Mon amour propre en prenait un coup. Cependant, je ne discutais pas le prix, je sortis mon pognon et lui tendis. Alonso Quichano se saisit de la liasse de biftons, mouilla un doigt d\u2019un coup de langue et se mit \u00e0 compter les sous.<\/p>\n -- ... et 50, qui font bien 250. Le compte est bon, dit-il, puis il extirpa un Mikoru de sa poche et me mit en joue.<\/p>\n -- Qu\u2019est-ce que c\u2019est que ce flingue ? je demande.<\/p>\n -- \u00c7a, c\u2019est un Mikoru. C\u2019est japonais, mais \u00e7a fait le boulot. Puis il pressa sur la d\u00e9tente, et ma derni\u00e8re pens\u00e9e fut pour le nom du flingue. C\u2019\u00e9tait quand m\u00eame con, mais rien d\u2019exceptionnel non plus.<\/p>\n Puis je tombai sur le sol en essayant d\u2019\u00e9viter l\u2019emplacement du mollard \u00e9vapor\u00e9 — mais \u00e7a aussi, ce fut rat\u00e9.<\/p>\n Et ben, me dis-je en me relisant, y a du boulot. Si je veux gagner des sous, va falloir mettre les bouch\u00e9es doubles. Ou alors changer compl\u00e8tement de genre. \u00c9crire des sc\u00e8nes de cul ? \u00c7a se vend encore, ce genre de truc ?<\/p>",
"content_text": " L\u2019id\u00e9e d\u2019un polar vient-elle d\u2019une sc\u00e8ne qui surgit en se rasant ? Je ne le crois pas, m\u00eame si c\u2019est tentant de le penser. Elle doit venir plut\u00f4t des personnages. Plus on creusera un personnage, plus on trouvera l\u2019acc\u00e8s \u00e0 ses motivations, conscientes ou inconscientes \u2014 les deux \u2014 plus on aura de choix en effectuant un inventaire dans la collection de conneries qu\u2019il peut effectuer. Il est m\u00eame possible que ce soit cette tension (conscience - inconscience) le moteur de ses actions. Grosso modo, se dire que les \u00eatres humains sont toujours les m\u00eames, quelle que soit leur condition sociale, l\u2019\u00e9poque dans laquelle ils s\u2019agitent, leur habillement. Je crois que c\u2019est un fait indiscutable. Ensuite, attirer l\u2019attention du lecteur sur ceci ou cela pour les peindre ; ne serait-ce que pour ne pas tenir compte de ce fait, laisser croire \u00e0 une quelconque originalit\u00e9, il y a plus de contre que de pour. En revanche, la fa\u00e7on dont chacun s\u2019exprime pourrait \u00eatre une clef. En tout cas, c\u2019est surtout cela qui \u00e9veille mon attention et s\u00fbrement aussi mon d\u00e9sir : cr\u00e9er des personnages cr\u00e9dibles par leur langage avant tout. Donc du dialogue. Il faut que le dialogue prenne plus de place que le monologue du narrateur, voire que ce dernier disparaisse compl\u00e8tement. Au lieu de d\u00e9crire un d\u00e9cor, le sugg\u00e9rer plut\u00f4t par ce que les personnages en disent. Exemple : Alonso Quichano cracha sur le sable et resta quelques secondes ravi en train d\u2019observer l\u2019\u00e9vaporation fulgurante de son glaviot ; puis il reprit ses esprits et dit d\u2019une voix avunculaire : \u00ab Putain, il fait chaud dans votre coin. \u00bb \u2014 Et si on en venait au fait, je dis. \u2014 On avait rendez-vous, mais je ne me souviens plus pour quoi pr\u00e9cis\u00e9ment, r\u00e9plique-t-il. Puis il ajoute : \u00ab Y a-t-il un fl\u00e9au chez vous ? Car mon boulot consiste \u00e0 effacer les individus g\u00eanants. Je ne prends qu\u2019une modique somme d\u2019ailleurs, d\u2019o\u00f9 mon retard : beaucoup de boulot en ce moment, avec la crise. Pour 50 euros plus les frais, le taux de clients satisfaits frise le 100 %. \u00bb \u2014 Les frais ? je demande. \u2014 Le g\u00eete, le couvert, le tabac, les moyens de transport. Vous \u00eates au courant que tout a beaucoup augment\u00e9 ces derniers temps... \u2014 Et si je vous demande de me descendre tout de suite, \u00e7a me co\u00fbterait combien ? Alonso sortit son smartphone, ouvrit l\u2019app calculatrice, tapa quelques chiffres puis il dit : \u2014 250 euros TTC seulement. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 eu pas mal de frais pour arriver jusqu\u2019ici. L\u2019id\u00e9e d\u2019\u00eatre occis par le plus miteux des tueurs \u00e0 gages n\u2019avait rien de reluisant. Mon amour propre en prenait un coup. Cependant, je ne discutais pas le prix, je sortis mon pognon et lui tendis. Alonso Quichano se saisit de la liasse de biftons, mouilla un doigt d\u2019un coup de langue et se mit \u00e0 compter les sous. \u2014 ... et 50, qui font bien 250. Le compte est bon, dit-il, puis il extirpa un Mikoru de sa poche et me mit en joue. \u2014 Qu\u2019est-ce que c\u2019est que ce flingue ? je demande. \u2014 \u00c7a, c\u2019est un Mikoru. C\u2019est japonais, mais \u00e7a fait le boulot. Puis il pressa sur la d\u00e9tente, et ma derni\u00e8re pens\u00e9e fut pour le nom du flingue. C\u2019\u00e9tait quand m\u00eame con, mais rien d\u2019exceptionnel non plus. Puis je tombai sur le sol en essayant d\u2019\u00e9viter l\u2019emplacement du mollard \u00e9vapor\u00e9 \u2014 mais \u00e7a aussi, ce fut rat\u00e9. Et ben, me dis-je en me relisant, y a du boulot. Si je veux gagner des sous, va falloir mettre les bouch\u00e9es doubles. Ou alors changer compl\u00e8tement de genre. \u00c9crire des sc\u00e8nes de cul ? \u00c7a se vend encore, ce genre de truc ? ",
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"title": "personnage 3 (notes)",
"date_published": "2023-02-03T07:25:37Z",
"date_modified": "2025-10-17T14:26:42Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Alonso Quichano dit : — Salut, je suis Alonso Quichano. C\u2019est lui qui parle le premier. Ce n\u2019est pas parce qu\u2019il m\u2019adresse la parole que je vais lui r\u00e9pondre ; je ne suis plus cet homme qui r\u00e9pond \u00e0 la premi\u00e8re sollicitation qui surgit.<\/p>\n En attendant, d\u2019un \u0153il je regarde le mouvement de ses l\u00e8vres, et d\u2019une oreille j\u2019\u00e9coute la tonalit\u00e9 de son bonjour. Ensuite, j\u2019attends que l\u2019information parvienne \u00e0 ma cervelle, ce lieu commun. J\u2019attends que ces infos soient d\u00e9crypt\u00e9es en langue vulgaire. Peut-\u00eatre qu\u2019ensuite je r\u00e9pondrai un bonjour adapt\u00e9.<\/p>\n Ses l\u00e8vres bougent en silence, comme une t\u00e9l\u00e9 dont on a coup\u00e9 le son. Voil\u00e0 ce que je vois : de petites l\u00e8vres rose p\u00e2le, peu charnues. L\u2019inf\u00e9rieure se tortille comme un lombric tandis que la sup\u00e9rieure reste immobile. Entre les deux l\u00e8vres, il y a la forme mouvante et sombre du n\u00e9ant que tente d\u2019exprimer Alonso Quichano. On ne voit pas de dents, ce qui pourrait m\u2019extirper une l\u00e9g\u00e8re empathie, car sur ce point nous nous ressemblons. Mais c\u2019est un pi\u00e8ge, l\u2019empathie, un filet \u00e0 morue ou \u00e0 papillon. L\u2019empathie, c\u2019est une esp\u00e8ce de pr\u00e9texte qu\u2019on avance pour s\u2019autoriser, avec une salet\u00e9 de bonne conscience, toutes les exactions.<\/p>\n Puis ses l\u00e8vres se rejoignent. La forme mouvante r\u00e9tr\u00e9cit pour ne plus \u00eatre qu\u2019une ligne sombre, presque parfaitement horizontale. Un son de maracas seul parvient \u00e0 mon oreille. Je reconnais vaguement Melody for Melonae de Jackie Mac Lean ; \u00e7a doit provenir du mot transistor auquel je viens de penser, ajout\u00e9 \u00e0 bungalow, serveuse charmante, et comptoir.<\/p>\n Enfin, j\u2019ai d\u00e9chir\u00e9 et chiffonn\u00e9 la feuille, en ai fait une boulette, et j\u2019ai vis\u00e9 la corbeille pour l\u2019exp\u00e9dier.<\/p>\n Je me suis demand\u00e9 ce que cette rencontre serait si je retirais tout ce qui ne sert \u00e0 rien. R\u00e9duire ce charabia \u00e0 une simple action dans une phrase simple :<\/p>\n Alonso Quichano me dit bonjour et je ne lui r\u00e9ponds pas.<\/p>\n Les arbres s\u2019en tirent indemnes, mon avenir d\u2019\u00e9crivain devient incertain.<\/p>",
"content_text": " Alonso Quichano dit : \u2014 Salut, je suis Alonso Quichano. C\u2019est lui qui parle le premier. Ce n\u2019est pas parce qu\u2019il m\u2019adresse la parole que je vais lui r\u00e9pondre ; je ne suis plus cet homme qui r\u00e9pond \u00e0 la premi\u00e8re sollicitation qui surgit. En attendant, d\u2019un \u0153il je regarde le mouvement de ses l\u00e8vres, et d\u2019une oreille j\u2019\u00e9coute la tonalit\u00e9 de son bonjour. Ensuite, j\u2019attends que l\u2019information parvienne \u00e0 ma cervelle, ce lieu commun. J\u2019attends que ces infos soient d\u00e9crypt\u00e9es en langue vulgaire. Peut-\u00eatre qu\u2019ensuite je r\u00e9pondrai un bonjour adapt\u00e9. Ses l\u00e8vres bougent en silence, comme une t\u00e9l\u00e9 dont on a coup\u00e9 le son. Voil\u00e0 ce que je vois : de petites l\u00e8vres rose p\u00e2le, peu charnues. L\u2019inf\u00e9rieure se tortille comme un lombric tandis que la sup\u00e9rieure reste immobile. Entre les deux l\u00e8vres, il y a la forme mouvante et sombre du n\u00e9ant que tente d\u2019exprimer Alonso Quichano. On ne voit pas de dents, ce qui pourrait m\u2019extirper une l\u00e9g\u00e8re empathie, car sur ce point nous nous ressemblons. Mais c\u2019est un pi\u00e8ge, l\u2019empathie, un filet \u00e0 morue ou \u00e0 papillon. L\u2019empathie, c\u2019est une esp\u00e8ce de pr\u00e9texte qu\u2019on avance pour s\u2019autoriser, avec une salet\u00e9 de bonne conscience, toutes les exactions. Puis ses l\u00e8vres se rejoignent. La forme mouvante r\u00e9tr\u00e9cit pour ne plus \u00eatre qu\u2019une ligne sombre, presque parfaitement horizontale. Un son de maracas seul parvient \u00e0 mon oreille. Je reconnais vaguement Melody for Melonae de Jackie Mac Lean ; \u00e7a doit provenir du mot transistor auquel je viens de penser, ajout\u00e9 \u00e0 bungalow, serveuse charmante, et comptoir. Enfin, j\u2019ai d\u00e9chir\u00e9 et chiffonn\u00e9 la feuille, en ai fait une boulette, et j\u2019ai vis\u00e9 la corbeille pour l\u2019exp\u00e9dier. Je me suis demand\u00e9 ce que cette rencontre serait si je retirais tout ce qui ne sert \u00e0 rien. R\u00e9duire ce charabia \u00e0 une simple action dans une phrase simple : Alonso Quichano me dit bonjour et je ne lui r\u00e9ponds pas. Les arbres s\u2019en tirent indemnes, mon avenir d\u2019\u00e9crivain devient incertain. ",
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"title": "personnage 2 (notes)",
"date_published": "2023-02-02T07:11:59Z",
"date_modified": "2025-10-09T17:09:46Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je te le dis, tu voudrais qu\u2019un sens relie tout et tu t\u2019y reprends chaque jour — non pas un plan, une ficelle, une hypoth\u00e8se qui tienne assez pour traverser la matin\u00e9e o\u00f9 tu \u00e9cris qu\u2019Alonso Quichano arrive dans ta vie, puis quinze heures o\u00f9 tu empiles des \u00e9missions sur Manchette \u00e0 \u00e9couter \u00e0 la suite dans la voiture, puis la nuit d\u2019autoroute o\u00f9 la voix de Fran\u00e7ois Bon, d\u00e9crivant la photo du bureau de Lovecraft, te fait comprendre qu\u2019une vid\u00e9o devient des pages si tu l\u2019\u00e9coutes comme un livre (on dirait un \u00e9cran, non, pas un \u00e9cran, une page qui s\u2019\u00e9crit en parlant) ; alors tu reviens \u00e0 Alonso, tu tentes la description et tu cales, tu ouvres L\u2019Affaire N\u2019Gustro “pour te lancer”, et ce sont des mots qui t\u2019attrapent \u00e0 la place de l\u2019homme : dankali (tu vois un dromadaire, non pas par science, par facilit\u00e9 d\u2019image), brandebourgs (passement ou boutons ? tu choisis selon ce que ta vie a su voir), imperm\u00e9able Royal Navy (tu googles, tu dis caban, tu remontes un souvenir, manches trop courtes, boutons dor\u00e9s \u00e0 l\u2019ancre), puis Melody for Melonae (tu avais mal entendu, ce n\u2019\u00e9tait pas “Melanie”), et d\u00e9j\u00e0 les DS, les routes brumeuses des Yvelines d\u00e9filent dans ta t\u00eate ; tu tiens une piste, non pas sur Alonso, sur toi qui tournes autour, parce que d\u00e8s que tu \u00e9cris Don Quichotte l\u2019ombre de Picasso tombe sur la page — on dirait le tien, non, pas le tien, celui des autres qui recouvre le tien — et tu h\u00e9sites : user du clich\u00e9 (rassurer le lecteur : “c\u2019est bien lui”) ou ruiner le clich\u00e9 (l\u2019arracher pour inventer), le vieillir, le rajeunir, et tu sais que surprendre pour surprendre ne vaut rien, alors tu notes quand m\u00eame une phrase trop lourde (tu le sais) o\u00f9 l\u2019autoportrait de Picasso d\u00e9molit son propre masque comme on abat un quartier de pavillons, o\u00f9 passent des types en caban et cigares — non pas pour poser, pour d\u00e9placer — puis tu la laisses, tu la laisses venir, parce que vouloir finir c\u2019est parfois s\u2019ass\u00e9cher ; tu redescends au plus simple : il est l\u00e0, contre-jour, la silhouette se pr\u00e9cise, te surplombe, et tu te demandes non pas qui il est, mais combien de mots tu poss\u00e8des pour le tenir sans mentir — un nez, une bouche, un \u0153il, une oreille, un front, une main, un doigt, un ongle, un pore (tu comptes pour gagner du vrai et tu n\u2019attrapes que l\u2019\u00e9nigme), tu te dis qu\u2019on croit vouloir dire, mais qu\u2019on avance avec des hypoth\u00e8ses qui se ramifient et mangent le but (La Havane, Quetta, Sonora — variations d\u2019un m\u00eame d\u00e9sir), tu te redis que le lecteur lit ce qu\u2019il peut, l\u2019\u00e9crivain \u00e9crit ce qu\u2019il peut (merci Borges dans la voiture), que la page change en m\u00eame temps que celui qui la regarde, et tu t\u2019aper\u00e7ois que ce que tu appelles d\u00e9crire Alonso, c\u2019est peut-\u00eatre seulement rester au bord : tenir la silhouette sans la fixer, \u00e9couter une vid\u00e9o comme un livre, un livre comme une vid\u00e9o, et laisser, \u00e0 la fin, le vide entre vous deux faire son travail — non pas le combler, le maintenir assez ouvert pour que, demain, la m\u00eame page ne soit d\u00e9j\u00e0 plus la m\u00eame.<\/p>",
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