\n Atelier<\/h2>\n \n
Il a allum\u00e9 le po\u00eale \u00e0 gaz dans l\u2019atelier et la chaleur a progressivement repouss\u00e9 le froid. Il s\u2019est frott\u00e9 les mains puis il a pr\u00e9par\u00e9 son m\u00e9dium \u00e0 peindre ; l\u2019huile \u00e9tait presque gel\u00e9e, lourde et visqueuse. Je l\u2019ai regard\u00e9 faire un long moment ; il \u00e9tait vieux, d\u00e9sormais, pas tr\u00e8s en forme si vous voulez mon avis. Il a pris une nouvelle toile et l\u2019a badigeonn\u00e9e de terre de sienne, dilu\u00e9e avec de l\u2019essence de t\u00e9r\u00e9benthine ; je ne sais pas ce que j\u2019aurais donn\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0 pour respirer cette odeur, mais nous en sommes priv\u00e9s, pas plus que nous n\u2019avons chaud ou froid, \u00e0 vrai dire. Tout ce que nous pouvons capter, nous l\u2019attrapons \u00e0 la vol\u00e9e sur la peau des vivants.<\/p>\n<\/section>",
"content_text": " \n\nSept r\u00eaves avec un inconnu. M\u00eame mati\u00e8re, trois parcours possibles. Ci-dessous, l\u2019ordre \u00ab canonique \u00bb. Les deux autres sont propos\u00e9s en option. Sifflement \u00b7 Porte \u00b7 Dancing \u00b7 Question \u00b7 Voix \u00b7 Trou noir \u00b7 Atelier Parcours canonique Sifflement Porte Dancing Question Voix Trou noir Atelier Parcours alternatifs (ouvrir) Alternance dehors\/dedans Porte Dancing Question Voix Trou noir Atelier Sifflement Logique d\u2019enqu\u00eate Voix Sifflement Porte Question Dancing Trou noir Atelier Sifflement \n\nLe son \u00e9tait encore lointain, mais suffisant pour me r\u00e9veiller dans le r\u00eave que je faisais ; c\u2019\u00e9tait comme un appel \u2014 il fallait que ce soit un appel, un appel ou un signal. Il \u00e9tait temps de s\u2019extraire d\u2019un trop-plein de visions hypnagogiques assommantes. Quelqu\u2019un avait \u00e9mis un sifflement, et pas besoin de chercher longtemps, car ce sifflement m\u2019\u00e9tait familier. Je me relevais comme apr\u00e8s une nuit trop longue, le corps un peu ankylos\u00e9 mais joyeux d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 r\u00e9veill\u00e9 ainsi ; feignant la surprise, je me dirigeais sans h\u00e2te vers l\u2019origine du son. Porte \n\nParfois, il m\u2019arrive encore de penser \u00e0 lui et, ce faisant, je n\u2019y peux rien, mon pas ralentit ; \u00e0 moins que l\u2019injonction myst\u00e9rieuse de ralentir mon allure ne le fasse soudain ressurgir. Ou encore est-ce un peu de ci, un peu de \u00e7a, comme souvent. Enfin, il arrive r\u00e9guli\u00e8rement que je veuille me rendre quelque part et qu\u2019au d\u00e9tour d\u2019une rue mon corps soit pouss\u00e9 par je ne sais quel courant invisible, entra\u00een\u00e9 comme par force \u00e0 bifurquer contre ma volont\u00e9, encore que je n\u2019en aie pas beaucoup lorsque je d\u00e9ambule ainsi dans la ville. Et c\u2019est ainsi que ce soir-l\u00e0 mes pas m\u2019entra\u00een\u00e8rent rue Germain Pilon et que je me retrouvai devant sa porte. Comme si revoir cette porte \u00e9tait une sorte de rem\u00e8de \u00e0 mon errance. Cela ne servirait \u00e0 rien que je frappe \u00e0 cette porte, ni que je sonne. Je sais que, d\u00e9sormais, il n\u2019est plus l\u00e0, plus nulle part dans cette ville ni d\u2019ailleurs sur cette terre. Alors je repars comme si j\u2019avais fait le plein, que les niveaux \u00e9taient revenus \u00e0 la normale, et me dirige franchement vers mon but, cette fois. Dancing \n\nCe type me fait penser au renard de la fable chantonnant devant son corbeau. Il n\u2019est de toute \u00e9vidence pas roux et moi je n\u2019ai pas de fromage dans le bec. Mais, n\u00e9anmoins, ce soir-l\u00e0 nous entrons dans cet \u00e9tablissement \u00e9trange, un dancing. Presque aussit\u00f4t, il dispara\u00eet dans la p\u00e9nombre au bras de rombi\u00e8res qui lui sont famili\u00e8res. La salle est vraiment sombre, la musique sirupeuse, \u00e7a sent la sueur, le parfum et, je crois bien, encore un peu le tabac. C\u2019est une r\u00eaverie qui doit remonter de loin. Je m\u2019assois \u00e0 une table avec un verre qui arrive comme par enchantement et j\u2019observe les silhouettes, les gens attabl\u00e9s, beaucoup de rombi\u00e8res. Du genre d\u00e9vergond\u00e9es, si vous voulez tout savoir. Je ne suis pas loin du haut-le-c\u0153ur quand, soudain, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de moi, une est l\u00e0 dans l\u2019obscurit\u00e9 et me demande du feu, une cigarette entre les l\u00e8vres. Je me sens vraiment seul et, si je me dis que je vais me r\u00e9veiller, c\u2019est certain, je me r\u00e9veillerai, mais o\u00f9 ? Question \n\nNous marchons, lui et moi, dans une rue ; nous parvenons \u00e0 la Butte-aux-Cailles et nous bavardons. C\u2019est une fin d\u2019apr\u00e8s-midi d\u2019automne ; des oiseaux volent tr\u00e8s haut au-dessus des platanes du boulevard proche, et leurs cris stridents z\u00e8brent l\u2019air. Nous traversons des nappes d\u2019ombre et des clart\u00e9s aveuglantes tout en conversant de choses absolument banales, et soudain ma question reste sans r\u00e9ponse : il a encore disparu. Voix \n\nEncore une fois, ce cimeti\u00e8re avec ses pierres tombales de guingois, et, tout \u00e0 fait lucidement, je me rendais compte de ma manie, de mon obstination, et je me demandais comment parvenir \u00e0 m\u2019en extraire. \u00ab Tu n\u2019as qu\u2019\u00e0 penser \u00e0 autre chose \u00bb, me dit la voix famili\u00e8re du plus profond de mon r\u00eave. C\u2019\u00e9tait difficile de penser \u00e0 autre chose \u00e0 cet instant pr\u00e9cis\u00e9ment ; cela demandait une sorte d\u2019effort insens\u00e9, comme celui n\u00e9cessaire pour courir en faisant du surplace ; et surtout, on pouvait, \u00e0 cet instant, prendre conscience de tout le ridicule de cette situation, comme rarement on en avait pris conscience. \u2014 C\u2019est d\u00e9j\u00e0 bien de t\u2019en rendre compte, continua-t-il d\u2019un ton complice. Trou noir \n\nDieu merci, j\u2019ai conserv\u00e9 mon carnet de r\u00eaves, que j\u2019entretiens depuis des ann\u00e9es. Il m\u2019arrive encore d\u2019y \u00e9crire, mais seulement les r\u00eaves lucides ; les autres ne m\u2019int\u00e9ressent plus vraiment. Sauf, \u00e9videmment, s\u2019ils font r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 lui, quelles que soient, souvent, les voies d\u00e9tourn\u00e9es que le r\u00eave peut prendre pour le faire ressurgir. Nous avions en commun du sang slave. Il n\u2019est alors pas rare que, dans mes r\u00eaves les plus foutraques, j\u2019aie \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans des yourtes mongoles, \u00e0 me gaver de beurre de yak, \u00e0 faire rouler du pied des t\u00eates de mouton avec les gamins du coin. Et il est l\u00e0, il est toujours quelque part, \u00e0 observer la sc\u00e8ne. Des fois je le vois ouvrir la bouche, je crois qu\u2019il va se mettre \u00e0 parler, mais je vois un trou noir qui s\u2019\u00e9largit de plus en plus ; va-t-il crier ? Non : il semble avoir des difficult\u00e9s \u00e0 respirer, il essaie d\u2019aspirer de l\u2019air, puis la bouche se referme et j\u2019entends son rire, tr\u00e8s doux, comme celui de quelqu\u2019un qui, encore une fois, a vaincu la mort. Atelier \n\nIl a allum\u00e9 le po\u00eale \u00e0 gaz dans l\u2019atelier et la chaleur a progressivement repouss\u00e9 le froid. Il s\u2019est frott\u00e9 les mains puis il a pr\u00e9par\u00e9 son m\u00e9dium \u00e0 peindre ; l\u2019huile \u00e9tait presque gel\u00e9e, lourde et visqueuse. Je l\u2019ai regard\u00e9 faire un long moment ; il \u00e9tait vieux, d\u00e9sormais, pas tr\u00e8s en forme si vous voulez mon avis. Il a pris une nouvelle toile et l\u2019a badigeonn\u00e9e de terre de sienne, dilu\u00e9e avec de l\u2019essence de t\u00e9r\u00e9benthine ; je ne sais pas ce que j\u2019aurais donn\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0 pour respirer cette odeur, mais nous en sommes priv\u00e9s, pas plus que nous n\u2019avons chaud ou froid, \u00e0 vrai dire. Tout ce que nous pouvons capter, nous l\u2019attrapons \u00e0 la vol\u00e9e sur la peau des vivants. ",
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"date_published": "2025-10-13T20:05:06Z",
"date_modified": "2025-10-13T20:17:24Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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VUE 01 — LE R\u00c9VERB\u00c8RE\nPoint 17-B. Allumage 16 h 07. C\u00f4ne clair stable. Flux jaune constant sur la cellule blanche. Les braseros respirent dans mon halo, la graisse luit sur la t\u00f4le. Micro-bu\u00e9e sur capot, retomb\u00e9e lente. Personne ne me regarde. Je tiens la place.<\/p>\n
VUE 02 — IRINA AU COMPTOIR\nPain. Beurre. \u0152uf. Pince. Oignon. Persil. Huile qui claque. Le TPE bipe, parfois fige neuf secondes, repart. Ticket. Halog\u00e8ne aux joues, doigts froids. Je reconnais manteau rouge, banc, casque. Le gras passe la vitre, revient. « Suivant. » Rythme gard\u00e9.<\/p>\n
VUE 03 — LE COMPAGNON\nIl caille. Halo jaune. Silhouettes d\u00e9coup\u00e9es. Le grand \u00e0 la t\u00f4le, la petite \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Pas faim. \u00c0 deux on se serait avanc\u00e9s. \u00c9valuer les \u00e9paules, la bi\u00e8re, les voix. L\u00e0 non. Je reste. Les braseros soufflent. La graisse flotte. Je ne bouge pas.<\/p>\n
VUE 04 — LE BLUETOOTH\nTerrasse, fin d\u00e9cembre. « Oui. Parfait. J\u2019arrive. » Casque blanc. J. gesticule au camion. Vapeur, bip, file. Halog\u00e8ne qui colle aux paupi\u00e8res. « Deux. Moutarde. » 21 h 58 s\u2019allume sur l\u2019horloge. « C\u2019est fait. » Je garde les mains en poche.<\/p>\n
VUE 05 — LA FEMME \u00c0 L\u2019ENFANT ROUGE\nPoids ti\u00e8de sur la hanche. Je regarde la gu\u00e9rite comme un pr\u00e9. Aplats d\u2019ocre, blanc de vapeur, silhouettes noires. Verre qui condense, goutte qui file. Les braseros soufflent sous l\u2019halog\u00e8ne. Une autre image remonte puis se retire. Je garde les yeux pos\u00e9s.<\/p>\n
VUE 06 — LE POLICIER\nPosition. Axe tabl\u00e9e. Surveillance continue. Halog\u00e8ne OK, braseros stables. Recherche d\u2019anomalie. D\u00e9placements lat\u00e9raux, visibilit\u00e9 r\u00e9duite c\u00f4t\u00e9 tabac. La cellule sert, la file avance. Je couvre la zone chaude. Attente active. Rien \u00e0 signaler, pour l\u2019instant.<\/p>\n
VUE 07 — L\u2019HABITU\u00c9 DU BANC\nJe viens t\u00f4t pour le rideau qui monte, je reste parfois pour la fermeture. Je mange un chleb\u00ed\u010dek, plut\u00f4t tartine que sandwich. Les braseros respirent, l\u2019odeur de graisse revient m\u00eame sans manger. Je compte les chiens, les couples, pas les heures. Le halo tient tout ensemble.<\/p>\n
VUE 08 — LA CHAISE\nPoids plein dos, jointure qui racle. Pav\u00e9 bomb\u00e9 sous un pied. On me tire, on me repousse. Le tissu est r\u00eache, humide au travers. Les braseros me s\u00e8chent d\u2019un c\u00f4t\u00e9, l\u2019autre reste froid. 22 h 02 claque \u00e0 l\u2019horloge. Je tiens, mais je grince.<\/p>\n
VUE 09 — LA BOUTEILLE DE GAZ\nPression 6,2 bar. Robinet quart de tour. Flamme stable, micro-chute \u00e0 l\u2019ouverture de la porte. Odeur additiv\u00e9e correcte. Film gras en retomb\u00e9e. Secousse inutile, reprise. Je tiens le feu. Je tiendrai la nuit.<\/p>\n
VUE 10 — LE BALAYEUR\nPapiers gras. Carton humide. Serviettes dures. Rigole prend tout. Friture \u00e0 gauche. Horloge au-dessus. Pav\u00e9s luisants. Je pousse vers la bouche d\u2019\u00e9gout. Barquette coince. Coup de semelle. \u00c7a repart. Halog\u00e8ne sur flaques. Place qui boit.<\/p>\n
VUE 11 — L\u2019OISEAU\nQuadrillages, flux, ronds d\u2019ombre. La chaleur monte en nappes, se tord. Les voix piquent des pointill\u00e9s. Je fais un tour. Le halo dessine une tache r\u00e9guli\u00e8re. Je reviens. Odeur forte de viande. Je crie deux fois. Personne ne l\u00e8ve la t\u00eate.<\/p>\n
VUE 12 — L\u2019AFFAM\u00c9\nFaim, j\u2019ai la dalle jusqu\u2019aux yeux. L\u2019odeur me traverse. Le froid resserre tout. Lumi\u00e8res chaudes, saucisses qui noircissent, patates qui cr\u00e9pitent. Pas un kopek. Je prendrais n\u2019importe quoi. 22 h 06 en bleu sur l\u2019horloge. On dit que Piotr et Irina sont les meilleurs. J\u2019en salive.<\/p>\n
VUE 13 — LE TABAC, EN FACE\nRideau presque clos. Odeur de papier froid. La place comme un aquarium. Braseros en m\u00e9duses, halo en plafond. Je connais les t\u00eates par c\u0153ur. Je guette le coll\u00e8gue. Les vapeurs traversent la rue, la graisse laisse un film sur la vitre.<\/p>\n
VUE 14 — LE LIVREUR\nMain gauche manette, droite caisse. Marche arri\u00e8re, bip. J\u2019aligne contre trottoir. Deux bacs, six pains, trois mayo. Halog\u00e8ne blanc, lunettes embu\u00e9es. Signature, pas le temps. « Bonne soir\u00e9e. » Coup d\u2019\u0153il aux braseros. Chrono relanc\u00e9.<\/p>\n
VUE 15 — LA SAUCISSE\nChhhh. Chik. Chhhh. Peau tend, bulle claque. Odeur passe la vitre, revient. Pince me retourne. Chhhh. Un trou d\u2019air, flamme baisse, frisson. Chhhh. Sel pr\u00eat. Moutarde attend. Pain ti\u00e8de. On partira chaude. On ne durera pas.<\/p>\n
VUE 16 — LE CHIEN\nNez plein : viande, oignon, farine, sel. Pneus chauds. Main grasse au banc. File sans file. Pav\u00e9 froid sous coussinets. Je respire dedans. Je n\u2019aboie pas. Une miette tombe. 22 h 10. J\u2019attends encore.<\/p>\n
VUE 17 — LE TYPE AU T\u00c9L\u00c9PHONE (AUTRE)\nJe parle vite. J\u2019avance. « Oui. » File, braseros, halog\u00e8ne qui colle. « C\u2019est sign\u00e9. » Bip du TPE me coupe. « Deux, sans cornichon. » J\u2019avance encore. Je raccroche sans dire au revoir.<\/p>\n
VUE 18 — LA FOULE (CH\u0152UR)\nOn se tasse, on flotte, on se r\u00e9chauffe aux braseros. On lit les prix dans le halo. \u00c7a parle bas, \u00e7a rit, \u00e7a soupire. La graisse brille, la vapeur brouille. On avance d\u2019un pas, on recule d\u2019un demi. On attend ensemble.<\/p>\n
VUE 19 — JE\nJe lis par morceaux. Halog\u00e8ne, braseros, graisse. Tout se r\u00e9p\u00e8te et se d\u00e9place. Deux micro-accidents ont suffi : TPE gel\u00e9, flamme tomb\u00e9e. La cellule reste, la place cadre. Les voix font le reste. Je me tais.<\/p>\n
VUE 20 — L\u2019HORLOGE\n22 h 12. Tic. Pav\u00e9s mouill\u00e9s, halo stable, braseros r\u00e9guliers. 22 h 22. Tic. La vapeur monte droit, se tord. 22 h 30. Tic. La file s\u2019amenuise. Le camion est encore l\u00e0. Fin provisoire.<\/p>",
"content_text": " VUE 01 \u2014 LE R\u00c9VERB\u00c8RE Point 17-B. Allumage 16 h 07. C\u00f4ne clair stable. Flux jaune constant sur la cellule blanche. Les braseros respirent dans mon halo, la graisse luit sur la t\u00f4le. Micro-bu\u00e9e sur capot, retomb\u00e9e lente. Personne ne me regarde. Je tiens la place. VUE 02 \u2014 IRINA AU COMPTOIR Pain. Beurre. \u0152uf. Pince. Oignon. Persil. Huile qui claque. Le TPE bipe, parfois fige neuf secondes, repart. Ticket. Halog\u00e8ne aux joues, doigts froids. Je reconnais manteau rouge, banc, casque. Le gras passe la vitre, revient. \u00ab Suivant. \u00bb Rythme gard\u00e9. VUE 03 \u2014 LE COMPAGNON Il caille. Halo jaune. Silhouettes d\u00e9coup\u00e9es. Le grand \u00e0 la t\u00f4le, la petite \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Pas faim. \u00c0 deux on se serait avanc\u00e9s. \u00c9valuer les \u00e9paules, la bi\u00e8re, les voix. L\u00e0 non. Je reste. Les braseros soufflent. La graisse flotte. Je ne bouge pas. VUE 04 \u2014 LE BLUETOOTH Terrasse, fin d\u00e9cembre. \u00ab Oui. Parfait. J\u2019arrive. \u00bb Casque blanc. J. gesticule au camion. Vapeur, bip, file. Halog\u00e8ne qui colle aux paupi\u00e8res. \u00ab Deux. Moutarde. \u00bb 21 h 58 s\u2019allume sur l\u2019horloge. \u00ab C\u2019est fait. \u00bb Je garde les mains en poche. VUE 05 \u2014 LA FEMME \u00c0 L\u2019ENFANT ROUGE Poids ti\u00e8de sur la hanche. Je regarde la gu\u00e9rite comme un pr\u00e9. Aplats d\u2019ocre, blanc de vapeur, silhouettes noires. Verre qui condense, goutte qui file. Les braseros soufflent sous l\u2019halog\u00e8ne. Une autre image remonte puis se retire. Je garde les yeux pos\u00e9s. VUE 06 \u2014 LE POLICIER Position. Axe tabl\u00e9e. Surveillance continue. Halog\u00e8ne OK, braseros stables. Recherche d\u2019anomalie. D\u00e9placements lat\u00e9raux, visibilit\u00e9 r\u00e9duite c\u00f4t\u00e9 tabac. La cellule sert, la file avance. Je couvre la zone chaude. Attente active. Rien \u00e0 signaler, pour l\u2019instant. VUE 07 \u2014 L\u2019HABITU\u00c9 DU BANC Je viens t\u00f4t pour le rideau qui monte, je reste parfois pour la fermeture. Je mange un chleb\u00ed\u010dek, plut\u00f4t tartine que sandwich. Les braseros respirent, l\u2019odeur de graisse revient m\u00eame sans manger. Je compte les chiens, les couples, pas les heures. Le halo tient tout ensemble. VUE 08 \u2014 LA CHAISE Poids plein dos, jointure qui racle. Pav\u00e9 bomb\u00e9 sous un pied. On me tire, on me repousse. Le tissu est r\u00eache, humide au travers. Les braseros me s\u00e8chent d\u2019un c\u00f4t\u00e9, l\u2019autre reste froid. 22 h 02 claque \u00e0 l\u2019horloge. Je tiens, mais je grince. VUE 09 \u2014 LA BOUTEILLE DE GAZ Pression 6,2 bar. Robinet quart de tour. Flamme stable, micro-chute \u00e0 l\u2019ouverture de la porte. Odeur additiv\u00e9e correcte. Film gras en retomb\u00e9e. Secousse inutile, reprise. Je tiens le feu. Je tiendrai la nuit. VUE 10 \u2014 LE BALAYEUR Papiers gras. Carton humide. Serviettes dures. Rigole prend tout. Friture \u00e0 gauche. Horloge au-dessus. Pav\u00e9s luisants. Je pousse vers la bouche d\u2019\u00e9gout. Barquette coince. Coup de semelle. \u00c7a repart. Halog\u00e8ne sur flaques. Place qui boit. VUE 11 \u2014 L\u2019OISEAU Quadrillages, flux, ronds d\u2019ombre. La chaleur monte en nappes, se tord. Les voix piquent des pointill\u00e9s. Je fais un tour. Le halo dessine une tache r\u00e9guli\u00e8re. Je reviens. Odeur forte de viande. Je crie deux fois. Personne ne l\u00e8ve la t\u00eate. VUE 12 \u2014 L\u2019AFFAM\u00c9 Faim, j\u2019ai la dalle jusqu\u2019aux yeux. L\u2019odeur me traverse. Le froid resserre tout. Lumi\u00e8res chaudes, saucisses qui noircissent, patates qui cr\u00e9pitent. Pas un kopek. Je prendrais n\u2019importe quoi. 22 h 06 en bleu sur l\u2019horloge. On dit que Piotr et Irina sont les meilleurs. J\u2019en salive. VUE 13 \u2014 LE TABAC, EN FACE Rideau presque clos. Odeur de papier froid. La place comme un aquarium. Braseros en m\u00e9duses, halo en plafond. Je connais les t\u00eates par c\u0153ur. Je guette le coll\u00e8gue. Les vapeurs traversent la rue, la graisse laisse un film sur la vitre. VUE 14 \u2014 LE LIVREUR Main gauche manette, droite caisse. Marche arri\u00e8re, bip. J\u2019aligne contre trottoir. Deux bacs, six pains, trois mayo. Halog\u00e8ne blanc, lunettes embu\u00e9es. Signature, pas le temps. \u00ab Bonne soir\u00e9e. \u00bb Coup d\u2019\u0153il aux braseros. Chrono relanc\u00e9. VUE 15 \u2014 LA SAUCISSE Chhhh. Chik. Chhhh. Peau tend, bulle claque. Odeur passe la vitre, revient. Pince me retourne. Chhhh. Un trou d\u2019air, flamme baisse, frisson. Chhhh. Sel pr\u00eat. Moutarde attend. Pain ti\u00e8de. On partira chaude. On ne durera pas. VUE 16 \u2014 LE CHIEN Nez plein : viande, oignon, farine, sel. Pneus chauds. Main grasse au banc. File sans file. Pav\u00e9 froid sous coussinets. Je respire dedans. Je n\u2019aboie pas. Une miette tombe. 22 h 10. J\u2019attends encore. VUE 17 \u2014 LE TYPE AU T\u00c9L\u00c9PHONE (AUTRE) Je parle vite. J\u2019avance. \u00ab Oui. \u00bb File, braseros, halog\u00e8ne qui colle. \u00ab C\u2019est sign\u00e9. \u00bb Bip du TPE me coupe. \u00ab Deux, sans cornichon. \u00bb J\u2019avance encore. Je raccroche sans dire au revoir. VUE 18 \u2014 LA FOULE (CH\u0152UR) On se tasse, on flotte, on se r\u00e9chauffe aux braseros. On lit les prix dans le halo. \u00c7a parle bas, \u00e7a rit, \u00e7a soupire. La graisse brille, la vapeur brouille. On avance d\u2019un pas, on recule d\u2019un demi. On attend ensemble. VUE 19 \u2014 JE Je lis par morceaux. Halog\u00e8ne, braseros, graisse. Tout se r\u00e9p\u00e8te et se d\u00e9place. Deux micro-accidents ont suffi : TPE gel\u00e9, flamme tomb\u00e9e. La cellule reste, la place cadre. Les voix font le reste. Je me tais. VUE 20 \u2014 L\u2019HORLOGE 22 h 12. Tic. Pav\u00e9s mouill\u00e9s, halo stable, braseros r\u00e9guliers. 22 h 22. Tic. La vapeur monte droit, se tord. 22 h 30. Tic. La file s\u2019amenuise. Le camion est encore l\u00e0. Fin provisoire. ",
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"date_published": "2025-10-06T20:25:56Z",
"date_modified": "2025-10-06T20:25:56Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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codicille<\/strong> <\/p>\n\nOn garde l\u2019outillage court. La carte avec trois points — Attendre, Rater, Revenir. L\u2019Archiviste pour faire le boulot propre : il cote, il retire, il aligne. Trois preuves seulement sur la table : un ticket blanchi, une vis, un bout d\u2019ongle. Le « pourquoi » sert de tracteur : s\u2019il ne tire rien, on le coupe. On avance d\u2019un centim\u00e8tre \u00e0 chaque fois, pas plus.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\nPrague, on n\u2019en fait pas des caisses : une seule touche qui reste dans le corps — rugosit\u00e9 de pierre, poussi\u00e8re sous l\u2019ongle — et c\u2019est tout. Kafka, on le laisse hors du nom. Osiris n\u2019est pas un personnage, juste la fa\u00e7on de montrer la fracture. La nuit, on la garde comme liant : elle tient sans demander d\u2019explications. Le jour, c\u2019est pour nommer, pas pour relier.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\n\u00c0 chaque passage, enlever plut\u00f4t qu\u2019ajouter. Pas de d\u00e9cors de secours (tasse, cuisine) sauf une fois, nette. Verbe + objet, pas de glose. Ne pas confondre finir et en finir : la h\u00e2te brille, ne tient pas. On tracte l\u2019\u00e9pave, on l\u2019arrache du foss\u00e9, on ne promet pas qu\u2019elle roulera demain.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\nLa fin, simple : un geste humain qui d\u00e9place un peu — la main sur le seuil — et on coupe l\u00e0. Demain, on revient, on enl\u00e8ve une \u00e9pingle, on laisse le trait d\u00e9passer d\u2019un rien. \u00c7a suffit.\nLa table. Sa rayure en biais. Un fil mal tir\u00e9. Un peu de graphite sur les doigts. Trois feuillets scotch\u00e9s bord \u00e0 bord. \u00c0 c\u00f4t\u00e9, la carte. Elle respire quand je tourne la molette. Je reste l\u00e0. Je pose une question qui ne cherche pas de r\u00e9ponse. Elle doit seulement tirer. Pourquoi relier ce qui se refuse. Pour emp\u00eacher la panique de se refermer. Pour gagner quelques m\u00e8tres. Pourquoi confondre finir et en finir. Parce que la h\u00e2te ressemble \u00e0 une issue. Elle brille. Elle ne tient pas. Pourquoi rester ici et pas ailleurs. Parce qu\u2019ici je peux peser. Les preuves pauvres font leur poids. J\u2019ai besoin de ce poids, pas d\u2019arguments.<\/p>\n
Feuillet n°2. \u00c9criture nerveuse. Les notes mordent la fibre. Pelures de crayon sur la peau. Il fallait des personnages. J\u2019ai lev\u00e9 la t\u00eate. J\u2019ai vu la carte et ses \u00e9pingles. J\u2019ai pens\u00e9 au lecteur. Il cliquerait. Il voudrait comprendre. Il n\u2019y comprendrait rien. Alors un verbe est venu. Archiver. De ce verbe j\u2019ai fait quelqu\u2019un. L\u2019Archiviste entre sans bruit. Gants fins. R\u00e8gle froide. Il compte. Il coupe. Pourquoi lui maintenant. Parce qu\u2019il faut une main \u00e9trang\u00e8re. Pour toucher ce que je n\u2019ose pas nommer. Il pose des \u00e9tiquettes blanches. Il cote la pi\u00e8ce. Il inscrit au dos des chiffres simples. Latitude. Longitude. Clavicule pr\u00e8s de la rivi\u00e8re. Rotule pr\u00e8s du silo. \u0152il au pied du pont. Langue sur le zinc. Le vieux mythe remonte. Osiris. L\u2019homme en morceaux. Je n\u2019ai que ce corps sous la main. Pourquoi accepter ce dispositif. Pour travailler la fracture \u00e0 ciel ouvert. Renoncer au collage propre.<\/p>\n
Je ne garde que trois points sur la carte. Attendre. Rater. Revenir. « Revenir » clignote. Vide. Pourquoi ce vide attire. Parce que l\u00e0 se prend le crochet. Pas la promesse du trajet. Revenir ne recolle rien. Revenir tracte. Sans garantie. Je pose sur la table trois choses exactes. Un ticket blanchi. 3,60 \u20ac. Date mang\u00e9e. Une vis \u00e0 bois. Un bout d\u2019ongle pris dans la poussi\u00e8re. L\u2019Archiviste les aligne. Il ne dit rien. Je photographie. Je nomme. Pourquoi ces trois-l\u00e0. Parce qu\u2019ils restent \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du cadre. Parce qu\u2019ils p\u00e8sent au millim\u00e8tre.<\/p>\n
Je pars avec le troisi\u00e8me exercice. Prague. Starom\u011bstsk\u00e1. L\u2019air humide accroche les joues. Le sucre br\u00fbl\u00e9 reste dans la gorge. Un collier claque. Les pav\u00e9s renvoient un froid gras. Je suis venu pour un cimeti\u00e8re. Je marche vers la place. Pourquoi cet \u00e9cart. Les tombes persistent sous la paupi\u00e8re. Pierre fendue. Lichen sombre. Lettres r\u00e2p\u00e9es. Je regarde l\u2019horloge. Les figures sortent. Rentrent. Sortent encore. Je fige le dehors. Un homme en manteau s\u2019immobilise. Gants. Visage tourn\u00e9 vers rien. Je dis : statue. Pourquoi cette ruse. Pour que dedans cela cesse de bouger. Pour poser \u00e0 plat. Kafka passe sans nom. Un col raide. Un couloir qui s\u2019enroule. Si je le dis, je marche dessus. Je coupe par Pa\u0159\u00ed\u017esk\u00e1. Vitrines propres. Odeur de neuf. Je glisse vers Josefov. Je n\u2019entre pas. Les grilles d\u00e9coupent des cases. Emplacements pr\u00eats pour mes \u00e9pingles. L\u2019Archiviste compte en silence. Ici la clavicule. L\u00e0 la rotule. Plus loin l\u2019\u0153il. L\u2019ordre ment. Il le sait. Moi aussi. Pourquoi ne pas poser la main sur la pierre. Parce qu\u2019elle tremblerait. Je la poserai ailleurs.<\/p>\n
Je m\u2019accorde une seule touche directe. Au coin d\u2019un mur. Je fr\u00f4le un relief de pierre. Rugosit\u00e9 fine. Un peu de poussi\u00e8re sous l\u2019ongle. C\u2019est suffisant. L\u2019odeur qui monte n\u2019appelle rien. Un pas de c\u00f4t\u00e9. Pourquoi si peu. Pour donner un corps \u00e0 l\u2019ombre. Sans faire tableau.<\/p>\n
Je reviens. La table. Le po\u00eale ronfle bas. La r\u00e8gle de l\u2019Archiviste renvoie le froid \u00e0 la paume. Je rouvre le feuillet n°1. Lieu : murs blancs. Porte qui ferme mal. Ampoule nue. Odeur d\u2019eau stagnante. Rien d\u2019\u00e9l\u00e9gant. Tout d\u2019utile. Je prends un feutre fin. Je trace un trait qui traverse les trois feuillets. Il ne s\u2019arr\u00eate pas aux num\u00e9ros. Le feutre accroche la fibre. Le trait vibre. Pourquoi ce geste apaise. Parce qu\u2019il relie en creusant. Pas en coiffant. Le trait croise Osiris. Effleure « d\u00e9membre ». D\u00e9borde sur « Prague ». La continuit\u00e9 vient du trembl\u00e9.<\/p>\n
Je rouvre la carte. Les trois points tiennent. « Attendre » : dix lignes nettes. Une sc\u00e8ne tenue. Pas de morale. « Rater » : une seule phrase. S\u00e8che. « Revenir » : encore vide. Pourquoi attendre. Pour consolider la place du mot. On ne lance pas la d\u00e9panneuse sur terrain gras sans cale. Dehors, un scooter monte. Redescend. Le son d\u00e9cro\u00eet. Remonte. Je tape une ligne dans « Revenir ». Revenir : accepter la nuit comme liant. L\u2019ic\u00f4ne verte s\u2019allume. C\u2019est peu. C\u2019est juste. Pourquoi la technique touche. Parce qu\u2019elle ne juge pas. Elle accorde un « c\u2019est bon » modeste. Suffisant.<\/p>\n
Je ferme l\u2019ordinateur. La pi\u00e8ce gagne un ton. Les trois preuves suffisent \u00e0 tenir un paragraphe. L\u2019Archiviste \u00e9carte la vis. Il la pointe vers moi. Ce n\u2019est pas un ordre. C\u2019est un angle. Pourquoi la nuit plut\u00f4t que le jour. La nuit n\u2019exige pas de forme. Elle tol\u00e8re le joint apparent. Elle tient sans forcer. Le jour r\u00e9clame l\u2019exactitude. Utile pour nommer. Pas pour relier.<\/p>\n
Je reviens aux pourquoi. Je les rep\u00e8se un \u00e0 un. Ils doivent tirer. Pas meubler. Pourquoi garder l\u2019angle mort. Pour ne pas trahir en \u00e9clairant trop. L\u2019ombre pr\u00e9serve ce qui tient mal. Pourquoi taire le nom du p\u00e8re quand il se poste au seuil. Pour que le corps fasse barrage. Sans devenir r\u00e9cit. La lumi\u00e8re reste derri\u00e8re. Le passage demeure passage. Pourquoi la carte. Pour tracter l\u2019\u00e9pave d\u2019un foss\u00e9 \u00e0 l\u2019autre. Pas pour une vitrine. Chaque pourquoi tire un peu. Deux centim\u00e8tres. Puis rel\u00e2che. Puis reprend. Pas d\u2019emphase. Verbe. Objet.<\/p>\n
Je tends la main vers le feuillet n°2. Sous Osiris, j\u2019ajoute : recoller en laissant visible la fracture. L\u2019Archiviste note la cote. Tourne la cartelette. Souffle la poussi\u00e8re. Le geste a lieu. Ici. Maintenant. L\u2019ancienne confusion perd du terrain. Pourquoi la pr\u00e9cipitation, hier. Peur du morceau manquant. Panique devant le vide. Aujourd\u2019hui, j\u2019accepte. Le vide fait moteur. Il prend le crochet.<\/p>\n
Je pourrais finir sur l\u2019euphorie br\u00e8ve du « point enregistr\u00e9 ». Je garde un contrepoids. Je passe dans le couloir. Froid doux. La porte ferme mal. Une main repose sur le seuil. Paume vers le bas. Elle v\u00e9rifie. Elle ne commande pas. Elle n\u2019emp\u00eache pas. Pourquoi ce geste suffit. Parce qu\u2019il ne raconte pas plus qu\u2019il ne faut. Il d\u00e9place juste assez. Je reviens. Je glisse la vis, le ticket, l\u2019ongle dans une enveloppe brune. Je cote. Je souffle la poussi\u00e8re de la tranche. La nuit entre sans demander. Le trait d\u00e9passe un peu le bord. Cela suffit pour que demain ait un appui.<\/p>",
"content_text": " **codicille** >On garde l\u2019outillage court. La carte avec trois points \u2014 Attendre, Rater, Revenir. L\u2019Archiviste pour faire le boulot propre : il cote, il retire, il aligne. Trois preuves seulement sur la table : un ticket blanchi, une vis, un bout d\u2019ongle. Le \u00ab pourquoi \u00bb sert de tracteur : s\u2019il ne tire rien, on le coupe. On avance d\u2019un centim\u00e8tre \u00e0 chaque fois, pas plus. >Prague, on n\u2019en fait pas des caisses : une seule touche qui reste dans le corps \u2014 rugosit\u00e9 de pierre, poussi\u00e8re sous l\u2019ongle \u2014 et c\u2019est tout. Kafka, on le laisse hors du nom. Osiris n\u2019est pas un personnage, juste la fa\u00e7on de montrer la fracture. La nuit, on la garde comme liant : elle tient sans demander d\u2019explications. Le jour, c\u2019est pour nommer, pas pour relier. >\u00c0 chaque passage, enlever plut\u00f4t qu\u2019ajouter. Pas de d\u00e9cors de secours (tasse, cuisine) sauf une fois, nette. Verbe + objet, pas de glose. Ne pas confondre finir et en finir : la h\u00e2te brille, ne tient pas. On tracte l\u2019\u00e9pave, on l\u2019arrache du foss\u00e9, on ne promet pas qu\u2019elle roulera demain. --- La fin, simple : un geste humain qui d\u00e9place un peu \u2014 la main sur le seuil \u2014 et on coupe l\u00e0. Demain, on revient, on enl\u00e8ve une \u00e9pingle, on laisse le trait d\u00e9passer d\u2019un rien. \u00c7a suffit. La table. Sa rayure en biais. Un fil mal tir\u00e9. Un peu de graphite sur les doigts. Trois feuillets scotch\u00e9s bord \u00e0 bord. \u00c0 c\u00f4t\u00e9, la carte. Elle respire quand je tourne la molette. Je reste l\u00e0. Je pose une question qui ne cherche pas de r\u00e9ponse. Elle doit seulement tirer. Pourquoi relier ce qui se refuse. Pour emp\u00eacher la panique de se refermer. Pour gagner quelques m\u00e8tres. Pourquoi confondre finir et en finir. Parce que la h\u00e2te ressemble \u00e0 une issue. Elle brille. Elle ne tient pas. Pourquoi rester ici et pas ailleurs. Parce qu\u2019ici je peux peser. Les preuves pauvres font leur poids. J\u2019ai besoin de ce poids, pas d\u2019arguments. Feuillet n\u00b02. \u00c9criture nerveuse. Les notes mordent la fibre. Pelures de crayon sur la peau. Il fallait des personnages. J\u2019ai lev\u00e9 la t\u00eate. J\u2019ai vu la carte et ses \u00e9pingles. J\u2019ai pens\u00e9 au lecteur. Il cliquerait. Il voudrait comprendre. Il n\u2019y comprendrait rien. Alors un verbe est venu. Archiver. De ce verbe j\u2019ai fait quelqu\u2019un. L\u2019Archiviste entre sans bruit. Gants fins. R\u00e8gle froide. Il compte. Il coupe. Pourquoi lui maintenant. Parce qu\u2019il faut une main \u00e9trang\u00e8re. Pour toucher ce que je n\u2019ose pas nommer. Il pose des \u00e9tiquettes blanches. Il cote la pi\u00e8ce. Il inscrit au dos des chiffres simples. Latitude. Longitude. Clavicule pr\u00e8s de la rivi\u00e8re. Rotule pr\u00e8s du silo. \u0152il au pied du pont. Langue sur le zinc. Le vieux mythe remonte. Osiris. L\u2019homme en morceaux. Je n\u2019ai que ce corps sous la main. Pourquoi accepter ce dispositif. Pour travailler la fracture \u00e0 ciel ouvert. Renoncer au collage propre. Je ne garde que trois points sur la carte. Attendre. Rater. Revenir. \u00ab Revenir \u00bb clignote. Vide. Pourquoi ce vide attire. Parce que l\u00e0 se prend le crochet. Pas la promesse du trajet. Revenir ne recolle rien. Revenir tracte. Sans garantie. Je pose sur la table trois choses exactes. Un ticket blanchi. 3,60 \u20ac. Date mang\u00e9e. Une vis \u00e0 bois. Un bout d\u2019ongle pris dans la poussi\u00e8re. L\u2019Archiviste les aligne. Il ne dit rien. Je photographie. Je nomme. Pourquoi ces trois-l\u00e0. Parce qu\u2019ils restent \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du cadre. Parce qu\u2019ils p\u00e8sent au millim\u00e8tre. Je pars avec le troisi\u00e8me exercice. Prague. Starom\u011bstsk\u00e1. L\u2019air humide accroche les joues. Le sucre br\u00fbl\u00e9 reste dans la gorge. Un collier claque. Les pav\u00e9s renvoient un froid gras. Je suis venu pour un cimeti\u00e8re. Je marche vers la place. Pourquoi cet \u00e9cart. Les tombes persistent sous la paupi\u00e8re. Pierre fendue. Lichen sombre. Lettres r\u00e2p\u00e9es. Je regarde l\u2019horloge. Les figures sortent. Rentrent. Sortent encore. Je fige le dehors. Un homme en manteau s\u2019immobilise. Gants. Visage tourn\u00e9 vers rien. Je dis : statue. Pourquoi cette ruse. Pour que dedans cela cesse de bouger. Pour poser \u00e0 plat. Kafka passe sans nom. Un col raide. Un couloir qui s\u2019enroule. Si je le dis, je marche dessus. Je coupe par Pa\u0159\u00ed\u017esk\u00e1. Vitrines propres. Odeur de neuf. Je glisse vers Josefov. Je n\u2019entre pas. Les grilles d\u00e9coupent des cases. Emplacements pr\u00eats pour mes \u00e9pingles. L\u2019Archiviste compte en silence. Ici la clavicule. L\u00e0 la rotule. Plus loin l\u2019\u0153il. L\u2019ordre ment. Il le sait. Moi aussi. Pourquoi ne pas poser la main sur la pierre. Parce qu\u2019elle tremblerait. Je la poserai ailleurs. Je m\u2019accorde une seule touche directe. Au coin d\u2019un mur. Je fr\u00f4le un relief de pierre. Rugosit\u00e9 fine. Un peu de poussi\u00e8re sous l\u2019ongle. C\u2019est suffisant. L\u2019odeur qui monte n\u2019appelle rien. Un pas de c\u00f4t\u00e9. Pourquoi si peu. Pour donner un corps \u00e0 l\u2019ombre. Sans faire tableau. Je reviens. La table. Le po\u00eale ronfle bas. La r\u00e8gle de l\u2019Archiviste renvoie le froid \u00e0 la paume. Je rouvre le feuillet n\u00b01. Lieu : murs blancs. Porte qui ferme mal. Ampoule nue. Odeur d\u2019eau stagnante. Rien d\u2019\u00e9l\u00e9gant. Tout d\u2019utile. Je prends un feutre fin. Je trace un trait qui traverse les trois feuillets. Il ne s\u2019arr\u00eate pas aux num\u00e9ros. Le feutre accroche la fibre. Le trait vibre. Pourquoi ce geste apaise. Parce qu\u2019il relie en creusant. Pas en coiffant. Le trait croise Osiris. Effleure \u00ab d\u00e9membre \u00bb. D\u00e9borde sur \u00ab Prague \u00bb. La continuit\u00e9 vient du trembl\u00e9. Je rouvre la carte. Les trois points tiennent. \u00ab Attendre \u00bb : dix lignes nettes. Une sc\u00e8ne tenue. Pas de morale. \u00ab Rater \u00bb : une seule phrase. S\u00e8che. \u00ab Revenir \u00bb : encore vide. Pourquoi attendre. Pour consolider la place du mot. On ne lance pas la d\u00e9panneuse sur terrain gras sans cale. Dehors, un scooter monte. Redescend. Le son d\u00e9cro\u00eet. Remonte. Je tape une ligne dans \u00ab Revenir \u00bb. Revenir : accepter la nuit comme liant. L\u2019ic\u00f4ne verte s\u2019allume. C\u2019est peu. C\u2019est juste. Pourquoi la technique touche. Parce qu\u2019elle ne juge pas. Elle accorde un \u00ab c\u2019est bon \u00bb modeste. Suffisant. Je ferme l\u2019ordinateur. La pi\u00e8ce gagne un ton. Les trois preuves suffisent \u00e0 tenir un paragraphe. L\u2019Archiviste \u00e9carte la vis. Il la pointe vers moi. Ce n\u2019est pas un ordre. C\u2019est un angle. Pourquoi la nuit plut\u00f4t que le jour. La nuit n\u2019exige pas de forme. Elle tol\u00e8re le joint apparent. Elle tient sans forcer. Le jour r\u00e9clame l\u2019exactitude. Utile pour nommer. Pas pour relier. Je reviens aux pourquoi. Je les rep\u00e8se un \u00e0 un. Ils doivent tirer. Pas meubler. Pourquoi garder l\u2019angle mort. Pour ne pas trahir en \u00e9clairant trop. L\u2019ombre pr\u00e9serve ce qui tient mal. Pourquoi taire le nom du p\u00e8re quand il se poste au seuil. Pour que le corps fasse barrage. Sans devenir r\u00e9cit. La lumi\u00e8re reste derri\u00e8re. Le passage demeure passage. Pourquoi la carte. Pour tracter l\u2019\u00e9pave d\u2019un foss\u00e9 \u00e0 l\u2019autre. Pas pour une vitrine. Chaque pourquoi tire un peu. Deux centim\u00e8tres. Puis rel\u00e2che. Puis reprend. Pas d\u2019emphase. Verbe. Objet. Je tends la main vers le feuillet n\u00b02. Sous Osiris, j\u2019ajoute : recoller en laissant visible la fracture. L\u2019Archiviste note la cote. Tourne la cartelette. Souffle la poussi\u00e8re. Le geste a lieu. Ici. Maintenant. L\u2019ancienne confusion perd du terrain. Pourquoi la pr\u00e9cipitation, hier. Peur du morceau manquant. Panique devant le vide. Aujourd\u2019hui, j\u2019accepte. Le vide fait moteur. Il prend le crochet. Je pourrais finir sur l\u2019euphorie br\u00e8ve du \u00ab point enregistr\u00e9 \u00bb. Je garde un contrepoids. Je passe dans le couloir. Froid doux. La porte ferme mal. Une main repose sur le seuil. Paume vers le bas. Elle v\u00e9rifie. Elle ne commande pas. Elle n\u2019emp\u00eache pas. Pourquoi ce geste suffit. Parce qu\u2019il ne raconte pas plus qu\u2019il ne faut. Il d\u00e9place juste assez. Je reviens. Je glisse la vis, le ticket, l\u2019ongle dans une enveloppe brune. Je cote. Je souffle la poussi\u00e8re de la tranche. La nuit entre sans demander. Le trait d\u00e9passe un peu le bord. Cela suffit pour que demain ait un appui. ",
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"title": "# Boost 2 # 03 | Arbitraire, narrateur principal",
"date_published": "2025-09-30T04:59:12Z",
"date_modified": "2025-09-30T20:54:45Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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20 personnages sur la place Starom\u011bstsk\u00e1<\/strong><\/p>\nDevant l\u2019horloge astronomique de Prague, l\u2019homme attend l\u2019instant o\u00f9 les automates annonceront une date impossible. La foule est immobile. Voici vingt silhouettes fig\u00e9es.<\/p>\n
L\u2019homme \u00e0 l\u2019horloge
\nDebout face au cadran, mains crois\u00e9es dans le dos.
\nCheveux fins rabattus, m\u00e8ches grises brillantes.
\nMontre-bracelet \u00e0 l\u2019\u00e9cran noir.
\nExpression : fixe.<\/p>\n
La touriste au chapeau
\nAppareil photo lev\u00e9, genoux fl\u00e9chis.
\nChapeau de paille au ruban bleu trop serr\u00e9.
\nCollier de perles de verre.
\nExpression : impatiente.<\/p>\n
Le vieil homme assis
\nSur le rebord de pierre, canne contre la cuisse.
\nCalvitie bord\u00e9e d\u2019un duvet blanc \u00e9parpill\u00e9.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : r\u00e9sign\u00e9.<\/p>\n
L\u2019enfant en manteau rouge
\nBras tendus vers le cadran, doigt point\u00e9.
\nCheveux boucl\u00e9s \u00e9chapp\u00e9s de la capuche.
\nBracelet plastique vert fluo.
\nExpression : \u00e9merveill\u00e9.<\/p>\n
La femme au t\u00e9l\u00e9phone
\nMain sur l\u2019\u00e9cran, l\u2019autre couvrant l\u2019oreille.
\nQueue-de-cheval serr\u00e9e, m\u00e8ches \u00e9chapp\u00e9es.
\nBague argent\u00e9e trop grande au pouce.
\nExpression : distraite.<\/p>\n
Le couple enlac\u00e9
\nBras nou\u00e9s \u00e0 la taille, regards lev\u00e9s ensemble.
\nCheveux noirs tombant droit ; cr\u00e2ne ras\u00e9 brillant.
\nCha\u00eene dor\u00e9e sous le col.
\nExpression : fusionn\u00e9s.<\/p>\n
Le policier en faction
\nDroit comme un piquet, mains sur la ceinture.
\nCasquette trop large qui glisse.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : rigide.<\/p>\n
La vendeuse de cartes postales
\nAccroupie devant sa valise, doigts triant les piles.
\nChignon rapide, m\u00e8ches rebelles.
\nBoucles d\u2019oreilles en plastique rose bonbon.
\nExpression : affair\u00e9e.<\/p>\n
L\u2019homme au parapluie
\nParapluie ferm\u00e9 comme une canne, point\u00e9 au sol.
\nCheveux poivre et sel plaqu\u00e9s.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : las.<\/p>\n
La jeune fille aux \u00e9couteurs
\nPench\u00e9e en avant, fil blanc courant aux oreilles.
\nCarr\u00e9 brun impeccable, raie au milieu.
\nPiercing discret, l\u00e9g\u00e8rement de travers.
\nExpression : ailleurs.<\/p>\n
Le peintre de rue
\nMain suspendue, pinceau encore tremp\u00e9.
\nB\u00e9ret tach\u00e9 de couleur, affaiss\u00e9.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : concentr\u00e9.<\/p>\n
L\u2019adolescente aux baskets
\nAssise sur le trottoir, bras crois\u00e9s sur les genoux.
\nCheveux auburn en tresse d\u00e9j\u00e0 d\u00e9faites.
\nBracelet de cuir \u00e9lim\u00e9.
\nExpression : boudeuse.<\/p>\n
Le joueur d\u2019accord\u00e9on
\nAssis sur un tabouret, soufflet entrouvert.
\nCalotte noire, cheveux coll\u00e9s aux tempes.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : grave.<\/p>\n
La touriste japonaise
\nSur la pointe des pieds, smartphone au-dessus de la foule.
\nCarr\u00e9 impeccable, brillant.
\nMontre fine au poignet gauche.
\nExpression : concentr\u00e9e.<\/p>\n
Le mendiant
\nAccroupi, main tendue, gobelet bleu fendu.
\nCheveux gris emm\u00eal\u00e9s, barbe hirsute.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : implorant.<\/p>\n
La guide au micro
\nBras lev\u00e9 vers la tour, micro coll\u00e9 \u00e0 la bouche.
\nCoupe courte, m\u00e8ches blondes h\u00e9riss\u00e9es.
\nPendentif en forme de cl\u00e9, inutile.
\nExpression : appliqu\u00e9e.<\/p>\n
Le cycliste arr\u00eat\u00e9
\nUn pied au sol, l\u2019autre sur la p\u00e9dale.
\nCasque blanc stri\u00e9.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : press\u00e9.<\/p>\n
La m\u00e8re et le landau
\nDos courb\u00e9, mains crisp\u00e9es sur la poign\u00e9e.
\nChignon tir\u00e9, m\u00e8ches coll\u00e9es.
\nBoucles rondes en argent terni.
\nExpression : \u00e9puis\u00e9e.<\/p>\n
Le serveur en pause
\nTablier roul\u00e9, cigarette au coin des l\u00e8vres.
\nCheveux noirs gomin\u00e9s.
\nMontre trop large qui claque au poignet.
\nExpression : blas\u00e9.<\/p>\n
Le photographe \u00e0 tr\u00e9pied
\nPli\u00e9 en deux sur son appareil.
\nCalvitie nette, nuque rougie.
\nN\u00e9ant.
\nExpression : absorb\u00e9.<\/p>\n
Cloche, automates. L\u2019heure surgit, fausse, introuvable. La foule reste fig\u00e9e, inventori\u00e9e comme statues d\u2019un instant qui ne s\u2019ach\u00e8ve pas.<\/p>\n
\n<\/md><\/p>",
"content_text": "{{20 personnages sur la place Starom\u011bstsk\u00e1}} Devant l\u2019horloge astronomique de Prague, l\u2019homme attend l\u2019instant o\u00f9 les automates annonceront une date impossible. La foule est immobile. Voici vingt silhouettes fig\u00e9es. L\u2019homme \u00e0 l\u2019horloge Debout face au cadran, mains crois\u00e9es dans le dos. Cheveux fins rabattus, m\u00e8ches grises brillantes. Montre-bracelet \u00e0 l\u2019\u00e9cran noir. Expression : fixe. La touriste au chapeau Appareil photo lev\u00e9, genoux fl\u00e9chis. Chapeau de paille au ruban bleu trop serr\u00e9. Collier de perles de verre. Expression : impatiente. Le vieil homme assis Sur le rebord de pierre, canne contre la cuisse. Calvitie bord\u00e9e d\u2019un duvet blanc \u00e9parpill\u00e9. N\u00e9ant. Expression : r\u00e9sign\u00e9. L\u2019enfant en manteau rouge Bras tendus vers le cadran, doigt point\u00e9. Cheveux boucl\u00e9s \u00e9chapp\u00e9s de la capuche. Bracelet plastique vert fluo. Expression : \u00e9merveill\u00e9. La femme au t\u00e9l\u00e9phone Main sur l\u2019\u00e9cran, l\u2019autre couvrant l\u2019oreille. Queue-de-cheval serr\u00e9e, m\u00e8ches \u00e9chapp\u00e9es. Bague argent\u00e9e trop grande au pouce. Expression : distraite. Le couple enlac\u00e9 Bras nou\u00e9s \u00e0 la taille, regards lev\u00e9s ensemble. Cheveux noirs tombant droit ; cr\u00e2ne ras\u00e9 brillant. Cha\u00eene dor\u00e9e sous le col. Expression : fusionn\u00e9s. Le policier en faction Droit comme un piquet, mains sur la ceinture. Casquette trop large qui glisse. N\u00e9ant. Expression : rigide. La vendeuse de cartes postales Accroupie devant sa valise, doigts triant les piles. Chignon rapide, m\u00e8ches rebelles. Boucles d\u2019oreilles en plastique rose bonbon. Expression : affair\u00e9e. L\u2019homme au parapluie Parapluie ferm\u00e9 comme une canne, point\u00e9 au sol. Cheveux poivre et sel plaqu\u00e9s. N\u00e9ant. Expression : las. La jeune fille aux \u00e9couteurs Pench\u00e9e en avant, fil blanc courant aux oreilles. Carr\u00e9 brun impeccable, raie au milieu. Piercing discret, l\u00e9g\u00e8rement de travers. Expression : ailleurs. Le peintre de rue Main suspendue, pinceau encore tremp\u00e9. B\u00e9ret tach\u00e9 de couleur, affaiss\u00e9. N\u00e9ant. Expression : concentr\u00e9. L\u2019adolescente aux baskets Assise sur le trottoir, bras crois\u00e9s sur les genoux. Cheveux auburn en tresse d\u00e9j\u00e0 d\u00e9faites. Bracelet de cuir \u00e9lim\u00e9. Expression : boudeuse. Le joueur d\u2019accord\u00e9on Assis sur un tabouret, soufflet entrouvert. Calotte noire, cheveux coll\u00e9s aux tempes. N\u00e9ant. Expression : grave. La touriste japonaise Sur la pointe des pieds, smartphone au-dessus de la foule. Carr\u00e9 impeccable, brillant. Montre fine au poignet gauche. Expression : concentr\u00e9e. Le mendiant Accroupi, main tendue, gobelet bleu fendu. Cheveux gris emm\u00eal\u00e9s, barbe hirsute. N\u00e9ant. Expression : implorant. La guide au micro Bras lev\u00e9 vers la tour, micro coll\u00e9 \u00e0 la bouche. Coupe courte, m\u00e8ches blondes h\u00e9riss\u00e9es. Pendentif en forme de cl\u00e9, inutile. Expression : appliqu\u00e9e. Le cycliste arr\u00eat\u00e9 Un pied au sol, l\u2019autre sur la p\u00e9dale. Casque blanc stri\u00e9. N\u00e9ant. Expression : press\u00e9. La m\u00e8re et le landau Dos courb\u00e9, mains crisp\u00e9es sur la poign\u00e9e. Chignon tir\u00e9, m\u00e8ches coll\u00e9es. Boucles rondes en argent terni. Expression : \u00e9puis\u00e9e. Le serveur en pause Tablier roul\u00e9, cigarette au coin des l\u00e8vres. Cheveux noirs gomin\u00e9s. Montre trop large qui claque au poignet. Expression : blas\u00e9. Le photographe \u00e0 tr\u00e9pied Pli\u00e9 en deux sur son appareil. Calvitie nette, nuque rougie. N\u00e9ant. Expression : absorb\u00e9. Cloche, automates. L\u2019heure surgit, fausse, introuvable. La foule reste fig\u00e9e, inventori\u00e9e comme statues d\u2019un instant qui ne s\u2019ach\u00e8ve pas. ",
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"title": "# Boost 2 # 02 | Le moment du trop ",
"date_published": "2025-09-22T14:32:50Z",
"date_modified": "2025-09-24T11:31:50Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "
(\u00c0 l\u2019heure o\u00f9 l\u2019auteur, satur\u00e9 de titres, demeure muet. Les t\u00e9moins parlent pour eux-m\u00eames, chacun dans sa solitude. La somme fait la sc\u00e8ne.)<\/p>\n
[La Carte]<\/p>\n
Je suis une carte. On me consulte pour trouver un chemin. J\u2019indique des distances, des pentes, des courbes. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 con\u00e7ue pour \u00e7a. Mais on m\u2019utilise pour autre chose : on me surcharge d\u2019histoires, de titres. Je ne reconnais plus mes lignes. Je reste fid\u00e8le \u00e0 ma fonction, orienter, mesurer. Pourtant je deviens illisible.<\/p>\n
[L\u2019Inventaire]<\/p>\n
Un. Deux. Trois. Dix. Vingt. \u00c7a ne s\u2019arr\u00eate pas. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 ouvert pour compter, pour ranger. Mais je gonfle, je m\u2019\u00e9tire, je n\u2019ai plus de bornes. Chaque nouveau titre est un poids. Je ne sais plus si je contiens ou si je me vide. J\u2019\u00e9tais cens\u00e9 aider, je me perds moi-m\u00eame.<\/p>\n
[Le Lecteur}<\/p>\n
Je tombe sur cette liste. Trop longue, trop pleine. J\u2019essaie de suivre, mais je ne sais pas si ces histoires existent. Sont-elles invent\u00e9es pour moi ? Sont-elles r\u00e9elles ? Je doute. Peut-\u00eatre qu\u2019on se moque. Peut-\u00eatre qu\u2019il n\u2019y a rien derri\u00e8re les titres. Je ferme le carnet, je reste inquiet.<\/p>\n
[L\u2019Archiviste]<\/p>\n
J\u2019aligne. Je num\u00e9rote. Je classe par rubriques, par ann\u00e9es, par lieux. Mon r\u00f4le est clair : tenir l\u2019ordre. Mais l\u2019ordre se d\u00e9fait d\u00e8s que j\u2019\u00e9cris. La liste enfle, se d\u00e9double. Je rature, je recopie. Je voudrais contenir, mais je ne fais que rappeler qu\u2019il y a trop. Je ne suis pas s\u00fbr d\u2019\u00eatre utile.<\/p>\n
[Le Silence]<\/p>\n
Je n\u2019ai rien \u00e0 dire. Je suis l\u00e0 autour. Je gonfle dans les blancs. On m\u2019a laiss\u00e9 la place du principal, le mutique. On croit que je soutiens, mais je ne soutiens rien. Je suis le vide au centre. J\u2019attends que quelqu\u2019un me traverse. J\u2019attends, et rien ne vient.
\n<\/md><\/p>",
"content_text": "(\u00c0 l\u2019heure o\u00f9 l\u2019auteur, satur\u00e9 de titres, demeure muet. Les t\u00e9moins parlent pour eux-m\u00eames, chacun dans sa solitude. La somme fait la sc\u00e8ne.) [La Carte] Je suis une carte. On me consulte pour trouver un chemin. J\u2019indique des distances, des pentes, des courbes. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 con\u00e7ue pour \u00e7a. Mais on m\u2019utilise pour autre chose : on me surcharge d\u2019histoires, de titres. Je ne reconnais plus mes lignes. Je reste fid\u00e8le \u00e0 ma fonction, orienter, mesurer. Pourtant je deviens illisible. [L\u2019Inventaire] Un. Deux. Trois. Dix. Vingt. \u00c7a ne s\u2019arr\u00eate pas. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 ouvert pour compter, pour ranger. Mais je gonfle, je m\u2019\u00e9tire, je n\u2019ai plus de bornes. Chaque nouveau titre est un poids. Je ne sais plus si je contiens ou si je me vide. J\u2019\u00e9tais cens\u00e9 aider, je me perds moi-m\u00eame. [Le Lecteur} Je tombe sur cette liste. Trop longue, trop pleine. J\u2019essaie de suivre, mais je ne sais pas si ces histoires existent. Sont-elles invent\u00e9es pour moi ? Sont-elles r\u00e9elles ? Je doute. Peut-\u00eatre qu\u2019on se moque. Peut-\u00eatre qu\u2019il n\u2019y a rien derri\u00e8re les titres. Je ferme le carnet, je reste inquiet. [L\u2019Archiviste] J\u2019aligne. Je num\u00e9rote. Je classe par rubriques, par ann\u00e9es, par lieux. Mon r\u00f4le est clair : tenir l\u2019ordre. Mais l\u2019ordre se d\u00e9fait d\u00e8s que j\u2019\u00e9cris. La liste enfle, se d\u00e9double. Je rature, je recopie. Je voudrais contenir, mais je ne fais que rappeler qu\u2019il y a trop. Je ne suis pas s\u00fbr d\u2019\u00eatre utile. [Le Silence] Je n\u2019ai rien \u00e0 dire. Je suis l\u00e0 autour. Je gonfle dans les blancs. On m\u2019a laiss\u00e9 la place du principal, le mutique. On croit que je soutiens, mais je ne soutiens rien. Je suis le vide au centre. J\u2019attends que quelqu\u2019un me traverse. J\u2019attends, et rien ne vient. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/boost-2-01-histoire.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/boost-2-01-histoire.html",
"title": "# Boost 2 # 01 | Histoire",
"date_published": "2025-09-16T12:57:02Z",
"date_modified": "2025-10-01T20:32:29Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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