{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-plaie-de-vouloir-plaire.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-plaie-de-vouloir-plaire.html", "title": "La plaie de vouloir plaire", "date_published": "2021-11-10T06:52:49Z", "date_modified": "2025-11-21T17:37:55Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Ce type \u00e9tait litt\u00e9ralement sanguinolent. Un \u00e9corch\u00e9 vif tout \u00e0 fait conforme \u00e0 ces moulages de la chapelle de Sansevero r\u00e9alis\u00e9s par Giuseppe Salerno, qui soul\u00e8vent les tripes. Et tout cela provenait, une fois l\u2019embrouillamini des pr\u00e9textes, des raisons et des fausses pistes d\u00e9pass\u00e9, de son obsession de vouloir plaire. M\u00eame lorsqu\u2019il se trouvait seul, il ne parvenait pas \u00e0 \u00e9chapper \u00e0 cette mal\u00e9diction log\u00e9e au plus profond de lui-m\u00eame. C\u2019\u00e9tait encore pire qu\u2019un sacerdoce. Un truc cong\u00e9nital, une maladie immune sur laquelle la science n\u2019avait d\u00e9daign\u00e9 se pencher, vu l\u2019immense pr\u00e9judice \u00e9conomique que sa r\u00e9solution ne manquerait pas d\u2019apporter. Car, dans le fond, cette affection, ainsi que la nomme le corps m\u00e9dical, peut se d\u00e9velopper en tout un chacun sans pr\u00e9venir et prendre des formes b\u00e9nignes, g\u00e9n\u00e9ralement sans v\u00e9ritable gravit\u00e9. Mais chez ce type elle \u00e9tait parvenue au dernier stade d\u2019un cancer, par pure n\u00e9gligence, ou plut\u00f4t par cette \u00e9trange volont\u00e9 qui oblige les autruches, en cas de peur soudaine, \u00e0 se plonger la t\u00eate dans le sable. C\u2019est donc ainsi qu\u2019il se pr\u00e9senta devant moi, un jeudi, lorsque je donnais encore des cours ce jour-l\u00e0, lorsque mon affaire \u00e9tait encore florissante et que l\u2019on venait de tous les environs et m\u00eame d\u2019un peu plus loin pour profiter de mon enseignement du dessin et de la peinture. La crise ayant d\u00e9j\u00e0 fait des ravages, j\u2019avais remis\u00e9 mes pr\u00e9tentions, baiss\u00e9 les prix et ouvert mes portes au tout-venant. C\u2019en \u00e9tait termin\u00e9 des patientes s\u00e9lections que j\u2019effectuais afin de choisir parmi la cohorte des quidams de tout acabit qui affluait qui, parmi eux, m\u00e9riteraient de s\u2019asseoir dans mon atelier avec pour seul objectif qu\u2019ils puissent en tirer du profit. J\u2019\u00e9liminais les touristes, les pr\u00e9tentieux, les vaniteux, les f\u00e2cheux, parmi lesquels un grand nombre de m\u00e9nag\u00e8res entre 50 et 65 ans qui esp\u00e9raient venir ici trouver non point un v\u00e9ritable enseignement artistique, mais un moment de d\u00e9tente, quelque chose d\u2019amusant susceptible de tromper leur ennui, tentant de masquer plus ou moins convenablement leur vide qu\u2019elles ne cherchaient qu\u2019\u00e0 combler d\u2019un tas d\u2019objets h\u00e9t\u00e9roclites. Il y avait aussi quelques bonshommes perdus, cherchant vaguement \u00e0 s\u2019exprimer tout en \u00e9tant pouss\u00e9s par le d\u00e9go\u00fbt de s\u2019inscrire sur des sites de rencontres en ligne, fatigu\u00e9s de la masturbation, la cervelle embrum\u00e9e par leur m\u00e9moire adolescente \u00e0 laquelle, vainement, dans la d\u00e9bine g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e du monde, ils tentaient encore de s\u2019accrocher. Je prenais un plaisir non dissimul\u00e9 \u00e0 foutre tout ce petit monde dehors, \u00e0 leur dire : non, ce ne sera pas pour vous, d\u00e9sol\u00e9, ici c\u2019est uniquement pour apprendre le dessin et la peinture, vous savez, vous risqueriez de vous ennuyer, c\u2019est pour votre bien que je vous dis non, bonne journ\u00e9e ! Et le pire c\u2019est que plus je refusais de monde, plus il se pressait \u00e0 ma porte. Bref, les temps avaient donc chang\u00e9 et j\u2019avais d\u00fb mettre de l\u2019eau dans mon vin, et comme ce blasph\u00e8me ne suffisait encore pas, j\u2019avais r\u00e9duit le montant de mes \u00e9moluments, j\u2019\u00e9tais au bord de proposer des cartes-cadeaux d\u2019abonnement. C\u2019est pour dire le marasme o\u00f9 nous nous \u00e9tions progressivement enfonc\u00e9s sans m\u00eame nous en rendre compte. Du coup, veuillez excuser la digression, j\u2019avais oubli\u00e9 ce pauvre type devant la porte. Bonjour, c\u2019est pour quoi ? je demande. C\u2019est pour apprendre la peinture. Tr\u00e8s bien, et dans quel but ? Parce que je suis tout seul depuis je ne sais plus combien de temps et que je voudrais bien faire quelque chose de mes dix doigts qui puisse plaire au monde. Ce qui me permettrait, je l\u2019imagine, d\u2019exister, de ne plus \u00eatre cet ectoplasme que je ne cesse d\u2019apercevoir dans toutes les vitrines de la ville. On ne fait pas de peinture ici pour plaire, je r\u00e9ponds. Vous vous \u00eates gourr\u00e9 d\u2019adresse, mon petit bonhomme. Il se mit \u00e0 faire une dr\u00f4le de moue, comme dans les films de science-fiction o\u00f9 l\u2019on voit soudain un homme normal, ou une femme, se transformer en bestiole intergalactique avec des tentacules et des antennes qui lui sortent de partout. J\u2019ai juste eu le temps de lui claquer la porte au nez en gueulant : merde, mon vieux, allez donc vous faire soigner avant qu\u2019il ne m\u2019explose au visage. Derri\u00e8re la porte, qui n\u2019\u00e9tait pas encore blind\u00e9e avec six points de s\u00e9curit\u00e9 \u00e0 cette \u00e9poque, je pus encore l\u2019entendre geindre : s\u2019il vous pla\u00eet, je ne sais pas quoi faire pour vous plaire, aidez-moi. Il y eut quelques raclements de ce que j\u2019imaginais \u00eatre des griffes sur le panneau de bois puis sur le mur ext\u00e9rieur. Enfin tout fut silencieux. J\u2019allumai une clope en revenant vers l\u2019atelier en \u00e9prouvant un soulagement immense, le m\u00eame probablement que peut \u00e9prouver un type qui vient de dire merde \u00e0 son patron. Puis la journ\u00e9e s\u2019\u00e9tendit comme une immensit\u00e9, un horizon sans borne devant moi.<\/p>", "content_text": "Ce type \u00e9tait litt\u00e9ralement sanguinolent. Un \u00e9corch\u00e9 vif tout \u00e0 fait conforme \u00e0 ces moulages de la chapelle de Sansevero r\u00e9alis\u00e9s par Giuseppe Salerno, qui soul\u00e8vent les tripes. Et tout cela provenait, une fois l\u2019embrouillamini des pr\u00e9textes, des raisons et des fausses pistes d\u00e9pass\u00e9, de son obsession de vouloir plaire. M\u00eame lorsqu\u2019il se trouvait seul, il ne parvenait pas \u00e0 \u00e9chapper \u00e0 cette mal\u00e9diction log\u00e9e au plus profond de lui-m\u00eame. C\u2019\u00e9tait encore pire qu\u2019un sacerdoce. Un truc cong\u00e9nital, une maladie immune sur laquelle la science n\u2019avait d\u00e9daign\u00e9 se pencher, vu l\u2019immense pr\u00e9judice \u00e9conomique que sa r\u00e9solution ne manquerait pas d\u2019apporter. Car, dans le fond, cette affection, ainsi que la nomme le corps m\u00e9dical, peut se d\u00e9velopper en tout un chacun sans pr\u00e9venir et prendre des formes b\u00e9nignes, g\u00e9n\u00e9ralement sans v\u00e9ritable gravit\u00e9. Mais chez ce type elle \u00e9tait parvenue au dernier stade d\u2019un cancer, par pure n\u00e9gligence, ou plut\u00f4t par cette \u00e9trange volont\u00e9 qui oblige les autruches, en cas de peur soudaine, \u00e0 se plonger la t\u00eate dans le sable. C\u2019est donc ainsi qu\u2019il se pr\u00e9senta devant moi, un jeudi, lorsque je donnais encore des cours ce jour-l\u00e0, lorsque mon affaire \u00e9tait encore florissante et que l\u2019on venait de tous les environs et m\u00eame d\u2019un peu plus loin pour profiter de mon enseignement du dessin et de la peinture. La crise ayant d\u00e9j\u00e0 fait des ravages, j\u2019avais remis\u00e9 mes pr\u00e9tentions, baiss\u00e9 les prix et ouvert mes portes au tout-venant. C\u2019en \u00e9tait termin\u00e9 des patientes s\u00e9lections que j\u2019effectuais afin de choisir parmi la cohorte des quidams de tout acabit qui affluait qui, parmi eux, m\u00e9riteraient de s\u2019asseoir dans mon atelier avec pour seul objectif qu\u2019ils puissent en tirer du profit. J\u2019\u00e9liminais les touristes, les pr\u00e9tentieux, les vaniteux, les f\u00e2cheux, parmi lesquels un grand nombre de m\u00e9nag\u00e8res entre 50 et 65 ans qui esp\u00e9raient venir ici trouver non point un v\u00e9ritable enseignement artistique, mais un moment de d\u00e9tente, quelque chose d\u2019amusant susceptible de tromper leur ennui, tentant de masquer plus ou moins convenablement leur vide qu\u2019elles ne cherchaient qu\u2019\u00e0 combler d\u2019un tas d\u2019objets h\u00e9t\u00e9roclites. Il y avait aussi quelques bonshommes perdus, cherchant vaguement \u00e0 s\u2019exprimer tout en \u00e9tant pouss\u00e9s par le d\u00e9go\u00fbt de s\u2019inscrire sur des sites de rencontres en ligne, fatigu\u00e9s de la masturbation, la cervelle embrum\u00e9e par leur m\u00e9moire adolescente \u00e0 laquelle, vainement, dans la d\u00e9bine g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e du monde, ils tentaient encore de s\u2019accrocher. Je prenais un plaisir non dissimul\u00e9 \u00e0 foutre tout ce petit monde dehors, \u00e0 leur dire : non, ce ne sera pas pour vous, d\u00e9sol\u00e9, ici c\u2019est uniquement pour apprendre le dessin et la peinture, vous savez, vous risqueriez de vous ennuyer, c\u2019est pour votre bien que je vous dis non, bonne journ\u00e9e ! Et le pire c\u2019est que plus je refusais de monde, plus il se pressait \u00e0 ma porte. Bref, les temps avaient donc chang\u00e9 et j\u2019avais d\u00fb mettre de l\u2019eau dans mon vin, et comme ce blasph\u00e8me ne suffisait encore pas, j\u2019avais r\u00e9duit le montant de mes \u00e9moluments, j\u2019\u00e9tais au bord de proposer des cartes-cadeaux d\u2019abonnement. C\u2019est pour dire le marasme o\u00f9 nous nous \u00e9tions progressivement enfonc\u00e9s sans m\u00eame nous en rendre compte. Du coup, veuillez excuser la digression, j\u2019avais oubli\u00e9 ce pauvre type devant la porte. Bonjour, c\u2019est pour quoi ? je demande. C\u2019est pour apprendre la peinture. Tr\u00e8s bien, et dans quel but ? Parce que je suis tout seul depuis je ne sais plus combien de temps et que je voudrais bien faire quelque chose de mes dix doigts qui puisse plaire au monde. Ce qui me permettrait, je l\u2019imagine, d\u2019exister, de ne plus \u00eatre cet ectoplasme que je ne cesse d\u2019apercevoir dans toutes les vitrines de la ville. On ne fait pas de peinture ici pour plaire, je r\u00e9ponds. Vous vous \u00eates gourr\u00e9 d\u2019adresse, mon petit bonhomme. Il se mit \u00e0 faire une dr\u00f4le de moue, comme dans les films de science-fiction o\u00f9 l\u2019on voit soudain un homme normal, ou une femme, se transformer en bestiole intergalactique avec des tentacules et des antennes qui lui sortent de partout. J\u2019ai juste eu le temps de lui claquer la porte au nez en gueulant : merde, mon vieux, allez donc vous faire soigner avant qu\u2019il ne m\u2019explose au visage. Derri\u00e8re la porte, qui n\u2019\u00e9tait pas encore blind\u00e9e avec six points de s\u00e9curit\u00e9 \u00e0 cette \u00e9poque, je pus encore l\u2019entendre geindre : s\u2019il vous pla\u00eet, je ne sais pas quoi faire pour vous plaire, aidez-moi. Il y eut quelques raclements de ce que j\u2019imaginais \u00eatre des griffes sur le panneau de bois puis sur le mur ext\u00e9rieur. Enfin tout fut silencieux. J\u2019allumai une clope en revenant vers l\u2019atelier en \u00e9prouvant un soulagement immense, le m\u00eame probablement que peut \u00e9prouver un type qui vient de dire merde \u00e0 son patron. Puis la journ\u00e9e s\u2019\u00e9tendit comme une immensit\u00e9, un horizon sans borne devant moi. 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7 milliards et demi d\u2019individus et toutes les difficult\u00e9s du monde pour accorder la chorale. Alors oui, l\u2019art peut \u00eatre un refuge pour s\u2019\u00e9loigner un instant de la cacophonie g\u00e9n\u00e9rale, mais il peut \u00eatre aussi, apr\u00e8s cela, un diapason pour parfaire sa propre \u00e9coute et d\u00e9couvrir, sous l\u2019apparent chaos, une harmonie poignante, souvent insupportable. Car ne vaut-il pas mieux travailler sur ce qui nous appartient vraiment plut\u00f4t que sur une vague impression que produit un mot ? Sans doute cette approche s\u2019effectue-t-elle en deux temps pour celui qui veut exprimer la pr\u00e9sence. Le refuge, le repli sur soi en qu\u00eate de justesse en \u00e9num\u00e9rant tous les couacs dans l\u2019espoir de redresser le gouvernail. Le fantasme de parvenir \u00e0 la note claire, \u00e0 la justesse, au pur \u00e9cho. L\u2019exploration des reflets \u00e0 la surface de l\u2019eau \u00e0 un point si extr\u00eame qu\u2019on ait envie de se confondre en eux. Narcisse plongeant dans sa propre image ou dans l\u2019image d\u2019un monde cr\u00e9\u00e9 \u00e0 sa propre image, ce qui revient au m\u00eame. Se coupant \u00e0 jamais ainsi de l\u2019autre. Ou bien, au contraire, s\u2019extirper du reflet, regagner la rive et s\u2019y hisser, puis se remettre debout et ouvrir grands les bras pour accueillir l\u2019autre. C\u2019est ainsi, sans doute, qu\u2019apr\u00e8s la retraite forc\u00e9e, dans l\u2019esp\u00e9rance des gr\u00e2ces des refuges, des salvations personnelles, on finit par comprendre l\u2019\u00e9garement, ce puits sans fond que propose le refuge, et que l\u2019on d\u00e9sire s\u2019en \u00e9loigner. Avec un enthousiasme de chercheur d\u2019or, bien souvent, comme quelqu\u2019un qui aurait enfin \u00e9t\u00e9 \u00e9clair\u00e9 vers une « bonne direction », vers le profit \u00e0 tirer d\u2019une quelconque destination lui faisant miroiter encore cette inflation du moi. Il faut bien en passer encore par l\u00e0 avant de tr\u00e9bucher encore et encore, de se tapir sous une pierre, dans une caverne, sous un pont, pour remettre un peu d\u2019ordre dans ses id\u00e9es, jusqu\u2019\u00e0 comprendre que ce serait encore mieux si on n\u2019en avait pas, d\u2019id\u00e9es. Reste le myst\u00e8re de l\u2019autre, insoluble par cette voie labyrinthique, par ce jeu de l\u2019oie. Si la peinture, si l\u2019art en g\u00e9n\u00e9ral, ne permet pas d\u2019\u00eatre ouvert \u00e0 l\u2019autre, de lui offrir un lieu et un temps de repos, d\u2019amiti\u00e9, d\u2019intelligence \u00e0 partager gratuitement, peut-\u00eatre alors vaut-il mieux se lancer dans la confection de p\u00e2t\u00e9 en cro\u00fbte, de terrines, de bons plats \u00e0 partager avec force blagues et autres saillies et billeves\u00e9es sans importance. C\u2019est cette sorte de magie que j\u2019attends de l\u2019art d\u00e9sormais. Non pas que, par sa fr\u00e9quentation, je m\u2019\u00e9l\u00e8ve vers le g\u00e9nie pour imaginer na\u00efvement m\u2019y hisser \u00e0 mon tour, mais tout le contraire : pour rencontrer des femmes et des hommes les plus « abordables » du monde. Abordables comme des \u00eeles en plein milieu des cit\u00e9s, abordables comme des armistices au beau milieu de la guerre. On nous a trop dup\u00e9s et on s\u2019est dup\u00e9 tout seul par habitude de penser l\u2019art comme appartenant \u00e0 ce g\u00e9nie-l\u00e0, celui de la raret\u00e9, de l\u2019habilet\u00e9 et de la performance. Le g\u00e9nie cr\u00e9\u00e9 par une \u00e9lite qui ne cesse depuis des lustres de se mirer en celui-ci. On parle d\u2019une nouvelle renaissance d\u00e9sormais, d\u2019une Renaissance « sauvage ». Et sans doute en faudra-t-il un peu de la sauvagerie pour s\u2019extirper du narcissisme afin de rejoindre le monde. D\u2019ailleurs, pas seulement le monde des hommes, mais le monde en tant que terra incognita. Un monde que nul ne conna\u00eet encore. Un monde \u00e0 cr\u00e9er tout simplement par l\u2019art de se dire bonjour, comment vas-tu, de quoi pouvons-nous discuter ensemble sans nous \u00e9triper ? Si l\u2019art ne sert pas \u00e0 cela, \u00e0 vivre ensemble entre nous, \u00e0 vivre au monde tranquillement sans le d\u00e9truire par peur ou par profit, je me demande bien \u00e0 quoi il peut bien servir\u2026<\/p>", "content_text": "7 milliards et demi d\u2019individus et toutes les difficult\u00e9s du monde pour accorder la chorale. Alors oui, l\u2019art peut \u00eatre un refuge pour s\u2019\u00e9loigner un instant de la cacophonie g\u00e9n\u00e9rale, mais il peut \u00eatre aussi, apr\u00e8s cela, un diapason pour parfaire sa propre \u00e9coute et d\u00e9couvrir, sous l\u2019apparent chaos, une harmonie poignante, souvent insupportable. Car ne vaut-il pas mieux travailler sur ce qui nous appartient vraiment plut\u00f4t que sur une vague impression que produit un mot ? Sans doute cette approche s\u2019effectue-t-elle en deux temps pour celui qui veut exprimer la pr\u00e9sence. Le refuge, le repli sur soi en qu\u00eate de justesse en \u00e9num\u00e9rant tous les couacs dans l\u2019espoir de redresser le gouvernail. Le fantasme de parvenir \u00e0 la note claire, \u00e0 la justesse, au pur \u00e9cho. L\u2019exploration des reflets \u00e0 la surface de l\u2019eau \u00e0 un point si extr\u00eame qu\u2019on ait envie de se confondre en eux. Narcisse plongeant dans sa propre image ou dans l\u2019image d\u2019un monde cr\u00e9\u00e9 \u00e0 sa propre image, ce qui revient au m\u00eame. Se coupant \u00e0 jamais ainsi de l\u2019autre. Ou bien, au contraire, s\u2019extirper du reflet, regagner la rive et s\u2019y hisser, puis se remettre debout et ouvrir grands les bras pour accueillir l\u2019autre. C\u2019est ainsi, sans doute, qu\u2019apr\u00e8s la retraite forc\u00e9e, dans l\u2019esp\u00e9rance des gr\u00e2ces des refuges, des salvations personnelles, on finit par comprendre l\u2019\u00e9garement, ce puits sans fond que propose le refuge, et que l\u2019on d\u00e9sire s\u2019en \u00e9loigner. Avec un enthousiasme de chercheur d\u2019or, bien souvent, comme quelqu\u2019un qui aurait enfin \u00e9t\u00e9 \u00e9clair\u00e9 vers une \u00ab bonne direction \u00bb, vers le profit \u00e0 tirer d\u2019une quelconque destination lui faisant miroiter encore cette inflation du moi. Il faut bien en passer encore par l\u00e0 avant de tr\u00e9bucher encore et encore, de se tapir sous une pierre, dans une caverne, sous un pont, pour remettre un peu d\u2019ordre dans ses id\u00e9es, jusqu\u2019\u00e0 comprendre que ce serait encore mieux si on n\u2019en avait pas, d\u2019id\u00e9es. Reste le myst\u00e8re de l\u2019autre, insoluble par cette voie labyrinthique, par ce jeu de l\u2019oie. Si la peinture, si l\u2019art en g\u00e9n\u00e9ral, ne permet pas d\u2019\u00eatre ouvert \u00e0 l\u2019autre, de lui offrir un lieu et un temps de repos, d\u2019amiti\u00e9, d\u2019intelligence \u00e0 partager gratuitement, peut-\u00eatre alors vaut-il mieux se lancer dans la confection de p\u00e2t\u00e9 en cro\u00fbte, de terrines, de bons plats \u00e0 partager avec force blagues et autres saillies et billeves\u00e9es sans importance. C\u2019est cette sorte de magie que j\u2019attends de l\u2019art d\u00e9sormais. Non pas que, par sa fr\u00e9quentation, je m\u2019\u00e9l\u00e8ve vers le g\u00e9nie pour imaginer na\u00efvement m\u2019y hisser \u00e0 mon tour, mais tout le contraire : pour rencontrer des femmes et des hommes les plus \u00ab abordables \u00bb du monde. Abordables comme des \u00eeles en plein milieu des cit\u00e9s, abordables comme des armistices au beau milieu de la guerre. On nous a trop dup\u00e9s et on s\u2019est dup\u00e9 tout seul par habitude de penser l\u2019art comme appartenant \u00e0 ce g\u00e9nie-l\u00e0, celui de la raret\u00e9, de l\u2019habilet\u00e9 et de la performance. Le g\u00e9nie cr\u00e9\u00e9 par une \u00e9lite qui ne cesse depuis des lustres de se mirer en celui-ci. On parle d\u2019une nouvelle renaissance d\u00e9sormais, d\u2019une Renaissance \u00ab sauvage \u00bb. Et sans doute en faudra-t-il un peu de la sauvagerie pour s\u2019extirper du narcissisme afin de rejoindre le monde. D\u2019ailleurs, pas seulement le monde des hommes, mais le monde en tant que terra incognita. Un monde que nul ne conna\u00eet encore. Un monde \u00e0 cr\u00e9er tout simplement par l\u2019art de se dire bonjour, comment vas-tu, de quoi pouvons-nous discuter ensemble sans nous \u00e9triper ? Si l\u2019art ne sert pas \u00e0 cela, \u00e0 vivre ensemble entre nous, \u00e0 vivre au monde tranquillement sans le d\u00e9truire par peur ou par profit, je me demande bien \u00e0 quoi il peut bien servir\u2026 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20211129_132854.jpg?1763741261", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/nouvelle-exposition-dans-le-haut-jura.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/nouvelle-exposition-dans-le-haut-jura.html", "title": "Nouvelle exposition dans le Haut-Jura", "date_published": "2021-10-30T15:02:55Z", "date_modified": "2025-11-21T16:03:30Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Du 30\/10\/2021 au 28\/11\/2021 exposition de peintures au Caveau des artistes \u00e0 Saint-Claude (office de Tourisme) ferm\u00e9 le dimanche<\/p>\n

Il suffit juste que je me mette \u00e0 me poser cette simple question pour que le vertige m\u2019envahisse. Je veux dire : que se passera-t-il dans un mois, dans un an, dans 5 ou 10 ans ? Si je veux m\u2019effrayer un bon coup pour d\u00e9clencher la dose n\u00e9cessaire d\u2019adr\u00e9naline qui me soul\u00e8vera de mon si\u00e8ge pour me propulser jusqu\u2019\u00e0 la salle de bains, je n\u2019ai qu\u2019\u00e0 penser \u00e0 ce genre de chose. Car la plupart du temps je me heurte \u00e0 une sorte de mur de Planck ; au-del\u00e0 du bout de mon nez, le flou semble \u00eatre la limite qui se confond avec tous les horizons possibles et impossibles. Et \u00e0 ce moment-l\u00e0 je me rem\u00e9more une phrase que l\u2019on m\u2019avait chuchot\u00e9e \u00e0 l\u2019oreille d\u2019une voix douce et suave : « Essaie d\u2019imaginer les choses avec un maximum de pr\u00e9cision pour qu\u2019elles arrivent. » J\u2019ai fait un paquet d\u2019efforts \u00e0 cette \u00e9poque dans l\u2019unique but de conserver cette relation avec la propri\u00e9taire de la voix. Mais ce n\u2019\u00e9tait pas une raison suffisante, visiblement. Je veux dire que je n\u2019\u00e9tais pas pr\u00eat \u00e0 tout, dans le fond, pour me lancer dans une vell\u00e9it\u00e9 de pr\u00e9cision dans un but purement \u00e9go\u00efste. Je repense \u00e0 cela aujourd\u2019hui en regardant les tableaux emball\u00e9s juste avant de partir dans le Jura pour une nouvelle expo. Je ne peux plus les voir en peinture, ces tableaux. Je les ai tellement vus et dans de nombreux lieux qu\u2019ils me sortent par les yeux. En phase d\u00e9pressive enfin, c\u2019\u00e9tait \u00e0 pr\u00e9voir depuis septembre, me revoici enfin revenu \u00e0 mon \u00e9l\u00e9ment de base. Je veux dire cette m\u00e9lancolie, cette tristesse li\u00e9e \u00e0 une sorte d\u2019impuissance, le tout m\u00eal\u00e9 de regret et de remords et qui, tour \u00e0 tour, m\u2019emporte vers une compassion imb\u00e9cile ou, au contraire, dans une col\u00e8re, une rage quasiment incontr\u00f4lable. C\u2019est dans cet \u00e9tat pourtant qu\u2019il faut \u00eatre le plus vigilant et conserver le sourire. C\u2019est l\u00e0 le vrai travail. L\u2019\u00e9criture m\u2019aide beaucoup \u00e0 essayer de pr\u00e9ciser tout cela. En le mettant noir sur blanc, au dehors j\u2019aspire \u00e0 faire place nette tout en n\u2019\u00e9tant pas dupe non plus. Ce serait trop facile et donc \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la plaque comme d\u2019habitude. Non, je me dis qu\u2019il faut faire cet effort de pr\u00e9cision, sortir de l\u2019obsession de l\u2019urgence, agrandir l\u2019espace et le temps, sans se prendre trop au s\u00e9rieux non plus. Gommer s\u2019il le faut et recommencer jusqu\u2019\u00e0 dispara\u00eetre totalement dans la puret\u00e9 d\u2019un trait, dans l\u2019exactitude d\u2019une valeur, dans la pr\u00e9cision tout enti\u00e8re.<\/p>", "content_text": " Il suffit juste que je me mette \u00e0 me poser cette simple question pour que le vertige m\u2019envahisse. Je veux dire : que se passera-t-il dans un mois, dans un an, dans 5 ou 10 ans ? Si je veux m\u2019effrayer un bon coup pour d\u00e9clencher la dose n\u00e9cessaire d\u2019adr\u00e9naline qui me soul\u00e8vera de mon si\u00e8ge pour me propulser jusqu\u2019\u00e0 la salle de bains, je n\u2019ai qu\u2019\u00e0 penser \u00e0 ce genre de chose. 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Puisque je suis peintre, que le dessin et la peinture occupent la majeure partie de mes pens\u00e9es, j\u2019utilise souvent ce que j\u2019arrive \u00e0 comprendre de mes exp\u00e9riences en ces domaines pour m\u2019aider \u00e0 me repr\u00e9senter le monde. Si j\u2019utilisais d\u2019autres lunettes, j\u2019en ai fait l\u2019exp\u00e9rience \u00e0 mes d\u00e9pens, je ne verrais pas grand-chose de celui-ci. Je buvais tranquillement mon caf\u00e9 en tentant de mettre un peu d\u2019ordre dans les priorit\u00e9s de la journ\u00e9e, en ne sachant toujours pas, \u00e0 plus de 60 ans, comment les ordonner correctement, lorsque l\u2019id\u00e9e de perspective surgit soudain de fa\u00e7on totalement impromptue. Je me suis demand\u00e9 si cette id\u00e9e que je ma\u00eetrise assez bien dans ma pratique, sans trop me vanter, ne pourrait pas m\u2019aider \u00e0 mettre un peu de logique dans l\u2019\u00e9tablissement des priorit\u00e9s. Il faut en g\u00e9n\u00e9ral installer trois plans pour percevoir une perspective, une profondeur. Le premier plan est ce qui se trouve le plus proche de l\u2019observateur ; il se caract\u00e9rise par un contraste fort et une visibilit\u00e9 nette des d\u00e9tails. Le second n\u2019est pas d\u00e9nu\u00e9 de contraste, mais les valeurs se rapprochent peu \u00e0 peu, cr\u00e9ant ainsi moins de diff\u00e9rence de contraste. Quant au troisi\u00e8me, il se caract\u00e9rise souvent par son aspect flou, sans contour, et les valeurs se confondent et s\u2019\u00e9pousent gentiment dans ce que l\u2019on peut appeler « le lointain ». Ce qui serait le plus proche, le plus contrast\u00e9 et le plus pr\u00e9cis, ce sont les mille et une obligations auxquelles nous devons faire face, souvent dans l\u2019urgence. Ainsi, par exemple, payer la facture d\u2019eau dont la date limite se rapproche dangereusement, surveiller les comptes bancaires pour ne pas atteindre les quinze jours fatidiques de d\u00e9couvert qui d\u00e9clencheront la ponction d\u2019agios, aller faire les courses pour pouvoir remplir le frigo lorsque celui-ci se trouve vide, prendre une douche, se brosser les dents, changer de cale\u00e7on et de chaussettes. Puis, une fois que tout est fait, pr\u00e9parer la journ\u00e9e \u00e0 l\u2019atelier, le balayer, le ranger, pr\u00e9voir les diff\u00e9rents cours, r\u00e9viser les notes, vider les pots d\u2019eau pour les rincer et les remplir \u00e0 nouveau, afin de recevoir les \u00e9l\u00e8ves dans les meilleures conditions. Penser ensuite \u00e0 des projets que je place sur le plan moyen. Les expositions auxquelles j\u2019ai promis de participer, les diff\u00e9rentes commandes en cours, les th\u00e8mes personnels, les s\u00e9ries que je me commande \u00e0 moi seul, noter aussi sur mon carnet de racheter du gesso, du noir de bougie, du rouge \u00e9carlate sit\u00f4t que j\u2019aurai le temps de me rendre au magasin lyonnais o\u00f9 je me fournis. Le plan moyen se situe en gros dans la proportion d\u2019un trimestre. Puis viennent les r\u00eaveries dans lesquelles l\u2019imaginaire et la r\u00e9alit\u00e9 se confondent souvent. Ce sont les projets abracadabrants que je conserve au fond de moi depuis l\u2019enfance, comme par exemple me rendre aux Gal\u00e1pagos, en Australie ou encore au Groenland ; participer \u00e0 un salon international propuls\u00e9 par une galerie de renom ; rencontrer Monica Bellucci ; gagner le gros lot au loto ; publier un roman non encore \u00e9crit ; faire du sport pour pouvoir \u00e0 nouveau grimper aux arbres ; terminer un jour tous les travaux de la maison ; mourir en plein sommeil sans me rendre compte de rien ; \u00eatre enfin un h\u00e9ros qui sauve une ou deux vies, notamment et de pr\u00e9f\u00e9rence celle de Monica Bellucci tant qu\u2019\u00e0 faire. Dans le fond, j\u2019en ris tout seul b\u00eatement. La v\u00e9rit\u00e9, quand je pense \u00e0 la perspective, c\u2019est que c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s le m\u00eame bordel que dans la tentative de mise en place des priorit\u00e9s de cette journ\u00e9e. Il y a quelque chose de fractal qui ne cesse de se d\u00e9velopper, une graine de d\u00e9sordre ontologique, si je peux dire, qui se duplique comme un virus de plan en plan. Une sorte de cancer. J\u2019y pense beaucoup en ce moment en raison de toutes ces cigarettes que je ne cesse d\u2019allumer les unes apr\u00e8s les autres. En ce moment, je les \u00e9teins \u00e0 mi-chemin. Sans doute un paradoxe encore entre cette id\u00e9e de cr\u00e9er, de vivre, de peindre, et tout ce qu\u2019il faut d\u00e9blayer chaque jour comme de la merde pour pouvoir ouvrir la porte de l\u2019atelier le c\u0153ur l\u00e9ger, l\u2019esprit alerte, en sifflotant pour me rendre jusqu\u2019au chevalet. Juste une perspective brumeuse entre la vie et la mort qui ne cesse de modifier tous les plans, les miens comme ceux de nombreux autres, peut-\u00eatre aussi ceux de Monica Bellucci elle-m\u00eame, va savoir. Du coup, j\u2019ai tout laiss\u00e9 en plan comme d\u2019habitude et je me suis mis \u00e0 dessiner sans r\u00e9fl\u00e9chir sur ma tablette.<\/p>", "content_text": " Puisque je suis peintre, que le dessin et la peinture occupent la majeure partie de mes pens\u00e9es, j\u2019utilise souvent ce que j\u2019arrive \u00e0 comprendre de mes exp\u00e9riences en ces domaines pour m\u2019aider \u00e0 me repr\u00e9senter le monde. Si j\u2019utilisais d\u2019autres lunettes, j\u2019en ai fait l\u2019exp\u00e9rience \u00e0 mes d\u00e9pens, je ne verrais pas grand-chose de celui-ci. Je buvais tranquillement mon caf\u00e9 en tentant de mettre un peu d\u2019ordre dans les priorit\u00e9s de la journ\u00e9e, en ne sachant toujours pas, \u00e0 plus de 60 ans, comment les ordonner correctement, lorsque l\u2019id\u00e9e de perspective surgit soudain de fa\u00e7on totalement impromptue. 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Ce sont les projets abracadabrants que je conserve au fond de moi depuis l\u2019enfance, comme par exemple me rendre aux Gal\u00e1pagos, en Australie ou encore au Groenland ; participer \u00e0 un salon international propuls\u00e9 par une galerie de renom ; rencontrer Monica Bellucci ; gagner le gros lot au loto ; publier un roman non encore \u00e9crit ; faire du sport pour pouvoir \u00e0 nouveau grimper aux arbres ; terminer un jour tous les travaux de la maison ; mourir en plein sommeil sans me rendre compte de rien ; \u00eatre enfin un h\u00e9ros qui sauve une ou deux vies, notamment et de pr\u00e9f\u00e9rence celle de Monica Bellucci tant qu\u2019\u00e0 faire. Dans le fond, j\u2019en ris tout seul b\u00eatement. La v\u00e9rit\u00e9, quand je pense \u00e0 la perspective, c\u2019est que c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s le m\u00eame bordel que dans la tentative de mise en place des priorit\u00e9s de cette journ\u00e9e. 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Du coup, j\u2019ai tout laiss\u00e9 en plan comme d\u2019habitude et je me suis mis \u00e0 dessiner sans r\u00e9fl\u00e9chir sur ma tablette. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3620.jpg?1763740626", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-bizarre-est-t-il-beau.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-bizarre-est-t-il-beau.html", "title": "Le bizarre est-t 'il beau ?", "date_published": "2021-10-28T03:33:07Z", "date_modified": "2025-11-21T15:55:17Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

On peut souhaiter la paix, aussi bizarre ce souhait vient-il soudain s\u2019installer ici \u00e0 la premi\u00e8re ligne de cet article. Et en finir avec toutes les guerres r\u00e9elles ou imaginaires, avec ce ruminement incessant de la rage, de la col\u00e8re et du ressentiment dont il semble que, pour beaucoup, ce soit d\u00e9sormais le seul mode d\u2019existence. On peut souhaiter le calme, le luxe, la volupt\u00e9, tout en s\u2019interrogeant sur cette bizarrerie que repr\u00e9sente le beau et qui, par opposition, cr\u00e9e le laid. On peut s\u2019interroger tranquillement sur le bizarre, l\u2019\u00e9tranget\u00e9, l\u2019insolite, comme autant de refuges pour s\u2019\u00e9loigner des mots d\u2019ordre de l\u2019information en continu. On peut aussi se demander pourquoi on associe d\u00e9sormais autant le bizarre \u00e0 la beaut\u00e9, une fois que l\u2019on est parvenu \u00e0 se couper d\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s tout du connu. Sans doute parce que l\u2019inconnu d\u00e9sormais se confond avec l\u2019instant, qui est devenu refuge aussi, face \u00e0 un pass\u00e9 douteux, \u00e0 un avenir plus qu\u2019incertain. Se tenir accroch\u00e9 solidement au bizarre et \u00e0 l\u2019instant et, en plissant les yeux comme pour mieux voir la composition du tableau, en gommant les d\u00e9tails superflus, se poser la question du beau. Est-ce que ce que je peins est beau ? Est-ce que je vis est beau ? Est-ce que cet instant est beau ? Et si tout cela ne l\u2019\u00e9tait pas, devrait-on pour autant d\u00e9cider que tout est laid ? Ne pourrait-on pas trouver un m\u00e9dium, un entre-deux ? Alors, sans doute reviendrait-on \u00e0 ce souhait d\u2019\u00eatre en paix pour mieux s\u2019approcher du bizarre. \u00catre en paix, c\u2019est-\u00e0-dire avoir r\u00e9solu la col\u00e8re en remontant \u00e0 ses sources vives. Cette col\u00e8re qui propose l\u2019\u00e9trange et l\u2019\u00e9tranger comme t\u00eate de Turc. Cette col\u00e8re et la peur intrins\u00e8quement li\u00e9e, ce n\u0153ud doit-il \u00eatre tranch\u00e9 net avec un je-ne-sais-quoi d\u2019h\u00e9ro\u00efsme ou de t\u00e9m\u00e9rit\u00e9, j\u2019allais dire de fougue et de jeunesse\u2026 ou bien est-il possible de prendre son temps encore au centre de toutes les urgences, de toutes les priorit\u00e9s incessantes, pour s\u2019asseoir dans le calme et le d\u00e9nouer ? Platon, tu disais que le beau \u00e9tait une affaire de proportions, d\u2019harmonie, de sym\u00e9trie, et longtemps nous t\u2019avons cru. Nous avons emprunt\u00e9 tes chemins en utilisant un dr\u00f4le de mot pour toucher au but : les canons de la beaut\u00e9. Et je me suis souvent demand\u00e9 vers qui ces canons devaient \u00eatre dirig\u00e9s, \u00e9tait-ce vers l\u2019objet ou bien celle ou celui qui s\u2019admire en celui-ci ? Aristote, toi tu penses et tu es aga\u00e7ant en cela que la beaut\u00e9 doit \u00eatre utile. Qu\u2019une femme belle vaut mieux qu\u2019une laide pour parvenir \u00e0 se perp\u00e9tuer, \u00e0 perp\u00e9tuer l\u2019esp\u00e8ce. Qu\u2019un cheval ne sert qu\u2019\u00e0 franchir en t\u00eate la ligne d\u2019arriv\u00e9e. Aristote, peut-\u00eatre \u00e9tait-ce raisonnable \u00e0 ton \u00e9poque de le penser. On vivait sans doute moins longtemps, on n\u2019avait pas tout ce temps \u00e0 perdre et notre vie \u00e0 gagner. Mais dans cet instant, \u00e0 la pointe de la modernit\u00e9, voyez-vous, mes amis philosophes, je vous abandonne pour rejoindre les po\u00e8tes. H\u00f6lderlin, Baudelaire, Rimbaud ont \u00e9branl\u00e9 toutes ces assises sur lesquelles le beau avait \u00e9t\u00e9 fond\u00e9 par de vieilles barbes. Stupeurs et tremblements d\u00e9sormais secouent la sc\u00e8ne face au vide affreux que l\u2019on veut nous vendre. On dit que le beau ne sert plus \u00e0 rien dans l\u2019art, qu\u2019il n\u2019est qu\u2019illusion, comme \u00e0 peu pr\u00e8s tout le reste. Ainsi on serait revenu de tout pour parvenir \u00e0 rien. De quoi se cogner la t\u00eate contre les murs. J\u2019en reviens \u00e0 mon souhait de paix. \u00c0 ma volont\u00e9 de calme. \u00c0 cette r\u00e9sistance. Je me souviens de l\u2019instant pr\u00e9cis o\u00f9 je quittais une chambre d\u2019h\u00f4tel dans laquelle j\u2019ai pass\u00e9 pas loin d\u2019une ann\u00e9e tout enti\u00e8re dans une d\u00e9bine magistrale. Je manquais d\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s tout, et pourtant dans cette pauvret\u00e9 j\u2019\u00e9tais un homme riche. J\u2019\u00e9tais libre au beau milieu, bizarre, de la contrainte, de l\u2019enfermement. J\u2019ai eu le temps pour r\u00e9fl\u00e9chir. Et aussi celui de regarder que j\u2019avais des mains pour m\u2019en servir. J\u2019ai peint, j\u2019ai sculpt\u00e9 avec les moyens du bord. Et tout cela m\u2019a regard\u00e9. Comme c\u2019\u00e9tait bizarre que ces choses issues de moi me regardent ! Parfois j\u2019\u00e9tais emport\u00e9, ravi, sans comprendre ce qui m\u2019arrivait. J\u2019ai quitt\u00e9 la chambre un jour pour ne jamais plus y revenir. J\u2019ai fait le m\u00e9nage de fond en comble et, pour caler une table bancale, j\u2019ai plac\u00e9 un livre sous l\u2019un des pieds. C\u2019\u00e9tait L\u2019\u00c9tranger de Camus. L\u2019\u00e9paisseur du bouquin \u00e9tait juste au poil. Je ne pourrais pas dire que j\u2019ai aim\u00e9 lire ce bouquin. Il m\u2019a laiss\u00e9 sur ma faim. Tout \u00e9tait sur un seul plan, et je n\u2019y avais trouv\u00e9, en tant que peintre, aucune profondeur. Juste une surface qui me procurait beaucoup de malaise, \u00e0 vrai dire. Quelques ann\u00e9es plus tard, j\u2019\u00e9tais gardien de nuit au si\u00e8ge d\u2019IBM, place Vend\u00f4me, et je travaillais avec des coll\u00e8gues iraniens. Et j\u2019obtins une toute autre lecture de ce fameux livre. « Il n\u2019a pas de lien social, c\u2019est pour cela qu\u2019il est \u00e9tranger », me dit B., qui n\u2019\u00e9tait pas la moiti\u00e9 d\u2019un imb\u00e9cile, puisqu\u2019il avait fui l\u2019Iran pour obtenir un dipl\u00f4me d\u2019architecte chez nous. Cette interpr\u00e9tation en valait bien une autre et je compris aussi, \u00e0 cet instant-l\u00e0, que l\u2019on peut vraiment faire dire \u00e0 un texte, mais aussi \u00e0 une peinture, ce que l\u2019on d\u00e9cide de lui faire dire. Que les raisons de l\u2019auteur, au bout du compte, s\u2019\u00e9vanouissent aussit\u00f4t que l\u2019\u0153uvre est partag\u00e9e. Ensuite, des experts disserteront s\u2019ils le d\u00e9sirent sur le pourquoi et le comment, cela n\u2019a pas vraiment d\u2019importance. J\u2019ai trouv\u00e9 cela beau, je veux dire cette phrase qui sonnait de fa\u00e7on insolite dans ce lieu \u00e9trange, \u00e0 ce moment de la nuit o\u00f9 nous jouions aux \u00e9checs pour nous divertir en bavardant de tout et de rien. On peut souhaiter la paix et y revenir sans rel\u00e2che, \u00e0 ce souhait, et ce au c\u0153ur m\u00eame des batailles et en plein meurtre. Est-ce \u00e0 cause de la lune, des \u00e9toiles, de ce sentiment gigantesque de se sentir minuscule face \u00e0 toute l\u2019immensit\u00e9 de notre ignorance, comme autant de pr\u00e9textes semblables au soleil de Meursault ? On peut, dans le calme, s\u2019interroger dans l\u2019instant sur cet instant o\u00f9 le bizarre et le beau s\u2019\u00e9pousent juste avant de se s\u00e9parer, de divorcer, pour engendrer le laid.<\/p>", "content_text": " On peut souhaiter la paix, aussi bizarre ce souhait vient-il soudain s\u2019installer ici \u00e0 la premi\u00e8re ligne de cet article. Et en finir avec toutes les guerres r\u00e9elles ou imaginaires, avec ce ruminement incessant de la rage, de la col\u00e8re et du ressentiment dont il semble que, pour beaucoup, ce soit d\u00e9sormais le seul mode d\u2019existence. On peut souhaiter le calme, le luxe, la volupt\u00e9, tout en s\u2019interrogeant sur cette bizarrerie que repr\u00e9sente le beau et qui, par opposition, cr\u00e9e le laid. On peut s\u2019interroger tranquillement sur le bizarre, l\u2019\u00e9tranget\u00e9, l\u2019insolite, comme autant de refuges pour s\u2019\u00e9loigner des mots d\u2019ordre de l\u2019information en continu. On peut aussi se demander pourquoi on associe d\u00e9sormais autant le bizarre \u00e0 la beaut\u00e9, une fois que l\u2019on est parvenu \u00e0 se couper d\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s tout du connu. Sans doute parce que l\u2019inconnu d\u00e9sormais se confond avec l\u2019instant, qui est devenu refuge aussi, face \u00e0 un pass\u00e9 douteux, \u00e0 un avenir plus qu\u2019incertain. Se tenir accroch\u00e9 solidement au bizarre et \u00e0 l\u2019instant et, en plissant les yeux comme pour mieux voir la composition du tableau, en gommant les d\u00e9tails superflus, se poser la question du beau. Est-ce que ce que je peins est beau ? Est-ce que je vis est beau ? Est-ce que cet instant est beau ? Et si tout cela ne l\u2019\u00e9tait pas, devrait-on pour autant d\u00e9cider que tout est laid ? Ne pourrait-on pas trouver un m\u00e9dium, un entre-deux ? Alors, sans doute reviendrait-on \u00e0 ce souhait d\u2019\u00eatre en paix pour mieux s\u2019approcher du bizarre. \u00catre en paix, c\u2019est-\u00e0-dire avoir r\u00e9solu la col\u00e8re en remontant \u00e0 ses sources vives. Cette col\u00e8re qui propose l\u2019\u00e9trange et l\u2019\u00e9tranger comme t\u00eate de Turc. Cette col\u00e8re et la peur intrins\u00e8quement li\u00e9e, ce n\u0153ud doit-il \u00eatre tranch\u00e9 net avec un je-ne-sais-quoi d\u2019h\u00e9ro\u00efsme ou de t\u00e9m\u00e9rit\u00e9, j\u2019allais dire de fougue et de jeunesse\u2026 ou bien est-il possible de prendre son temps encore au centre de toutes les urgences, de toutes les priorit\u00e9s incessantes, pour s\u2019asseoir dans le calme et le d\u00e9nouer ? Platon, tu disais que le beau \u00e9tait une affaire de proportions, d\u2019harmonie, de sym\u00e9trie, et longtemps nous t\u2019avons cru. Nous avons emprunt\u00e9 tes chemins en utilisant un dr\u00f4le de mot pour toucher au but : les canons de la beaut\u00e9. Et je me suis souvent demand\u00e9 vers qui ces canons devaient \u00eatre dirig\u00e9s, \u00e9tait-ce vers l\u2019objet ou bien celle ou celui qui s\u2019admire en celui-ci ? Aristote, toi tu penses et tu es aga\u00e7ant en cela que la beaut\u00e9 doit \u00eatre utile. Qu\u2019une femme belle vaut mieux qu\u2019une laide pour parvenir \u00e0 se perp\u00e9tuer, \u00e0 perp\u00e9tuer l\u2019esp\u00e8ce. Qu\u2019un cheval ne sert qu\u2019\u00e0 franchir en t\u00eate la ligne d\u2019arriv\u00e9e. Aristote, peut-\u00eatre \u00e9tait-ce raisonnable \u00e0 ton \u00e9poque de le penser. On vivait sans doute moins longtemps, on n\u2019avait pas tout ce temps \u00e0 perdre et notre vie \u00e0 gagner. Mais dans cet instant, \u00e0 la pointe de la modernit\u00e9, voyez-vous, mes amis philosophes, je vous abandonne pour rejoindre les po\u00e8tes. H\u00f6lderlin, Baudelaire, Rimbaud ont \u00e9branl\u00e9 toutes ces assises sur lesquelles le beau avait \u00e9t\u00e9 fond\u00e9 par de vieilles barbes. Stupeurs et tremblements d\u00e9sormais secouent la sc\u00e8ne face au vide affreux que l\u2019on veut nous vendre. On dit que le beau ne sert plus \u00e0 rien dans l\u2019art, qu\u2019il n\u2019est qu\u2019illusion, comme \u00e0 peu pr\u00e8s tout le reste. Ainsi on serait revenu de tout pour parvenir \u00e0 rien. De quoi se cogner la t\u00eate contre les murs. J\u2019en reviens \u00e0 mon souhait de paix. \u00c0 ma volont\u00e9 de calme. \u00c0 cette r\u00e9sistance. Je me souviens de l\u2019instant pr\u00e9cis o\u00f9 je quittais une chambre d\u2019h\u00f4tel dans laquelle j\u2019ai pass\u00e9 pas loin d\u2019une ann\u00e9e tout enti\u00e8re dans une d\u00e9bine magistrale. Je manquais d\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s tout, et pourtant dans cette pauvret\u00e9 j\u2019\u00e9tais un homme riche. J\u2019\u00e9tais libre au beau milieu, bizarre, de la contrainte, de l\u2019enfermement. J\u2019ai eu le temps pour r\u00e9fl\u00e9chir. Et aussi celui de regarder que j\u2019avais des mains pour m\u2019en servir. J\u2019ai peint, j\u2019ai sculpt\u00e9 avec les moyens du bord. Et tout cela m\u2019a regard\u00e9. Comme c\u2019\u00e9tait bizarre que ces choses issues de moi me regardent ! Parfois j\u2019\u00e9tais emport\u00e9, ravi, sans comprendre ce qui m\u2019arrivait. J\u2019ai quitt\u00e9 la chambre un jour pour ne jamais plus y revenir. J\u2019ai fait le m\u00e9nage de fond en comble et, pour caler une table bancale, j\u2019ai plac\u00e9 un livre sous l\u2019un des pieds. C\u2019\u00e9tait L\u2019\u00c9tranger de Camus. L\u2019\u00e9paisseur du bouquin \u00e9tait juste au poil. Je ne pourrais pas dire que j\u2019ai aim\u00e9 lire ce bouquin. Il m\u2019a laiss\u00e9 sur ma faim. Tout \u00e9tait sur un seul plan, et je n\u2019y avais trouv\u00e9, en tant que peintre, aucune profondeur. Juste une surface qui me procurait beaucoup de malaise, \u00e0 vrai dire. Quelques ann\u00e9es plus tard, j\u2019\u00e9tais gardien de nuit au si\u00e8ge d\u2019IBM, place Vend\u00f4me, et je travaillais avec des coll\u00e8gues iraniens. Et j\u2019obtins une toute autre lecture de ce fameux livre. \u00ab Il n\u2019a pas de lien social, c\u2019est pour cela qu\u2019il est \u00e9tranger \u00bb, me dit B., qui n\u2019\u00e9tait pas la moiti\u00e9 d\u2019un imb\u00e9cile, puisqu\u2019il avait fui l\u2019Iran pour obtenir un dipl\u00f4me d\u2019architecte chez nous. Cette interpr\u00e9tation en valait bien une autre et je compris aussi, \u00e0 cet instant-l\u00e0, que l\u2019on peut vraiment faire dire \u00e0 un texte, mais aussi \u00e0 une peinture, ce que l\u2019on d\u00e9cide de lui faire dire. Que les raisons de l\u2019auteur, au bout du compte, s\u2019\u00e9vanouissent aussit\u00f4t que l\u2019\u0153uvre est partag\u00e9e. Ensuite, des experts disserteront s\u2019ils le d\u00e9sirent sur le pourquoi et le comment, cela n\u2019a pas vraiment d\u2019importance. J\u2019ai trouv\u00e9 cela beau, je veux dire cette phrase qui sonnait de fa\u00e7on insolite dans ce lieu \u00e9trange, \u00e0 ce moment de la nuit o\u00f9 nous jouions aux \u00e9checs pour nous divertir en bavardant de tout et de rien. On peut souhaiter la paix et y revenir sans rel\u00e2che, \u00e0 ce souhait, et ce au c\u0153ur m\u00eame des batailles et en plein meurtre. Est-ce \u00e0 cause de la lune, des \u00e9toiles, de ce sentiment gigantesque de se sentir minuscule face \u00e0 toute l\u2019immensit\u00e9 de notre ignorance, comme autant de pr\u00e9textes semblables au soleil de Meursault ? On peut, dans le calme, s\u2019interroger dans l\u2019instant sur cet instant o\u00f9 le bizarre et le beau s\u2019\u00e9pousent juste avant de se s\u00e9parer, de divorcer, pour engendrer le laid. 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Il y a ce paradoxe : on voudrait bien que les politiques nous disent la v\u00e9rit\u00e9 alors que nous savons tr\u00e8s bien que leur fonds de commerce n\u2019est b\u00e2ti que sur le mensonge. C\u2019est s\u00fbrement le mot « v\u00e9rit\u00e9 » qui p\u00eache dans cette histoire. Quelle v\u00e9rit\u00e9, sinon celle qui plaira statistiquement \u00e0 l\u2019audience de chacun\u2026 Ainsi l\u2019un propose un programme pour continuer les croisades tandis qu\u2019un autre propose de recycler les d\u00e9chets, un autre veut bannir toutes les in\u00e9galit\u00e9s sociales, etc. Du coup, la valse des sondages repart de plus belle sur des sujets de plus en plus anecdotiques. Sondages command\u00e9s dans le seul but, finalement, de cr\u00e9er une opinion plut\u00f4t que de la recueillir. Car franchement qu\u2019en avons-nous \u00e0 battre de la couleur d\u2019une cravate ou d\u2019un cale\u00e7on ? C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s de ce niveau-l\u00e0. Le sondage, ainsi, n\u2019est qu\u2019un mensonge suppl\u00e9mentaire s\u2019ajoutant \u00e0 toute la cha\u00eene. Ainsi, par ce jeu de mensonge et de v\u00e9rit\u00e9, la vision de la politique n\u2019est plus per\u00e7ue que dans une vision grotesque, infantile, d\u2019un point de vue d\u2019adulte. Car les enfants auraient de bien meilleures id\u00e9es, c\u2019est \u00e9vident, si on les laissait s\u2019exprimer. Mais nous sommes d\u00e9sormais dans une gigantesque cour d\u2019\u00e9cole o\u00f9 les grands jouent \u00e0 des jeux tr\u00e8s s\u00e9rieux, ce fameux s\u00e9rieux qui sert \u00e0 \u00e9vincer les petits, les plus faibles, les sans-voix. Au bout du compte, toutes les institutions finissent par \u00eatre vides de sens par manque de confiance de la part des petits et des grands. On peut chercher des responsables, des fautifs comme toujours, mais je crois que ce sera encore du temps de perdu. Il faudrait sans doute se tourner vers la science et notamment ses avanc\u00e9es dans le domaine du quantique, des particules. Depuis que l\u2019on sait qu\u2019il n\u2019existe pas de mensonge, non plus que de v\u00e9rit\u00e9, sur ce qu\u2019est une particule, et surtout que l\u2019observateur fait partie int\u00e9grante de toute exp\u00e9rience, toute observation. Certains en sont venus \u00e0 s\u2019en aller garder des ch\u00e8vres, ou planter des choux, \u00e0 abandonner la sc\u00e8ne scientifique ou politique pour bien moins que \u00e7a. Limites du d\u00e9sordre, 100 \u00d7 100 cm, huile sur toile, Patrick Blanchon (accident\u00e9e, en attente de r\u00e9paration). Il y a de cela quelques mois, je me revois tenter de ranger l\u2019atelier, de lutter contre le d\u00e9sordre en lui opposant un ordre que j\u2019aurais fantasm\u00e9 immuable. J\u2019avais r\u00e9alis\u00e9 cette grande toile un peu comme on cr\u00e9e un totem. Il y a quelques jours, elle s\u2019est d\u00e9croch\u00e9e lors d\u2019une exposition, la toile est crev\u00e9e, bien ab\u00eem\u00e9e ; je l\u2019ai mise de c\u00f4t\u00e9 dans la remise en pr\u00e9vision d\u2019une r\u00e9paration \u00e0 venir. Et en m\u00eame temps que je pense \u00e0 cet article sur le mensonge et la politique, je me demande dans quel but je devrais r\u00e9parer cette toile. Car finalement c\u2019est une forme de r\u00e9ponse, cet accident. Pourquoi devrait-il y avoir une limite entre l\u2019ordre et le d\u00e9sordre, pas plus qu\u2019entre le mensonge et la v\u00e9rit\u00e9, ou la politique ? Comment s\u2019y prendre dans ce cas pour en cr\u00e9er ? Et \u00e0 partir de quel arbitraire, finalement ?<\/p>", "content_text": " Il y a ce paradoxe : on voudrait bien que les politiques nous disent la v\u00e9rit\u00e9 alors que nous savons tr\u00e8s bien que leur fonds de commerce n\u2019est b\u00e2ti que sur le mensonge. C\u2019est s\u00fbrement le mot \u00ab v\u00e9rit\u00e9 \u00bb qui p\u00eache dans cette histoire. Quelle v\u00e9rit\u00e9, sinon celle qui plaira statistiquement \u00e0 l\u2019audience de chacun\u2026 Ainsi l\u2019un propose un programme pour continuer les croisades tandis qu\u2019un autre propose de recycler les d\u00e9chets, un autre veut bannir toutes les in\u00e9galit\u00e9s sociales, etc. Du coup, la valse des sondages repart de plus belle sur des sujets de plus en plus anecdotiques. Sondages command\u00e9s dans le seul but, finalement, de cr\u00e9er une opinion plut\u00f4t que de la recueillir. Car franchement qu\u2019en avons-nous \u00e0 battre de la couleur d\u2019une cravate ou d\u2019un cale\u00e7on ? C\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s de ce niveau-l\u00e0. Le sondage, ainsi, n\u2019est qu\u2019un mensonge suppl\u00e9mentaire s\u2019ajoutant \u00e0 toute la cha\u00eene. Ainsi, par ce jeu de mensonge et de v\u00e9rit\u00e9, la vision de la politique n\u2019est plus per\u00e7ue que dans une vision grotesque, infantile, d\u2019un point de vue d\u2019adulte. Car les enfants auraient de bien meilleures id\u00e9es, c\u2019est \u00e9vident, si on les laissait s\u2019exprimer. Mais nous sommes d\u00e9sormais dans une gigantesque cour d\u2019\u00e9cole o\u00f9 les grands jouent \u00e0 des jeux tr\u00e8s s\u00e9rieux, ce fameux s\u00e9rieux qui sert \u00e0 \u00e9vincer les petits, les plus faibles, les sans-voix. Au bout du compte, toutes les institutions finissent par \u00eatre vides de sens par manque de confiance de la part des petits et des grands. On peut chercher des responsables, des fautifs comme toujours, mais je crois que ce sera encore du temps de perdu. Il faudrait sans doute se tourner vers la science et notamment ses avanc\u00e9es dans le domaine du quantique, des particules. Depuis que l\u2019on sait qu\u2019il n\u2019existe pas de mensonge, non plus que de v\u00e9rit\u00e9, sur ce qu\u2019est une particule, et surtout que l\u2019observateur fait partie int\u00e9grante de toute exp\u00e9rience, toute observation. Certains en sont venus \u00e0 s\u2019en aller garder des ch\u00e8vres, ou planter des choux, \u00e0 abandonner la sc\u00e8ne scientifique ou politique pour bien moins que \u00e7a. Limites du d\u00e9sordre, 100 \u00d7 100 cm, huile sur toile, Patrick Blanchon (accident\u00e9e, en attente de r\u00e9paration). Il y a de cela quelques mois, je me revois tenter de ranger l\u2019atelier, de lutter contre le d\u00e9sordre en lui opposant un ordre que j\u2019aurais fantasm\u00e9 immuable. J\u2019avais r\u00e9alis\u00e9 cette grande toile un peu comme on cr\u00e9e un totem. Il y a quelques jours, elle s\u2019est d\u00e9croch\u00e9e lors d\u2019une exposition, la toile est crev\u00e9e, bien ab\u00eem\u00e9e ; je l\u2019ai mise de c\u00f4t\u00e9 dans la remise en pr\u00e9vision d\u2019une r\u00e9paration \u00e0 venir. Et en m\u00eame temps que je pense \u00e0 cet article sur le mensonge et la politique, je me demande dans quel but je devrais r\u00e9parer cette toile. Car finalement c\u2019est une forme de r\u00e9ponse, cet accident. Pourquoi devrait-il y avoir une limite entre l\u2019ordre et le d\u00e9sordre, pas plus qu\u2019entre le mensonge et la v\u00e9rit\u00e9, ou la politique ? Comment s\u2019y prendre dans ce cas pour en cr\u00e9er ? Et \u00e0 partir de quel arbitraire, finalement ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1-2.jpg?1763740362", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/quelque-chose-et-rien.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/quelque-chose-et-rien.html", "title": "Quelque chose et rien", "date_published": "2021-10-26T03:43:52Z", "date_modified": "2025-11-21T15:50:06Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Prendre conscience de l\u2019absurde, c\u2019est sortir d\u2019un r\u00eave pour p\u00e9n\u00e9trer dans un autre. C\u2019est par la redondance des multiples messages affich\u00e9s sur le quai du RER D qu\u2019il eut cette pens\u00e9e. « Agressser verbalement un agent vous co\u00fbtera 7 500 euros d\u2019amende » ; « voyager sans titre de transport vous co\u00fbtera 50 euros ». Il eut envie de fumer une cigarette et, sur le paquet, il remarqua comme pour une premi\u00e8re fois : « fumer tue ». Dans le train, il remarqua aussi le d\u00e9filement des messages lumineux qui indiquaient la destination ainsi que toutes les gares qu\u2019il traversait, tandis qu\u2019une voix f\u00e9minine fatigu\u00e9e r\u00e9p\u00e9tait inlassablement les m\u00eames choses. Il remarqua aussi les casques sur la t\u00eate, les regards perdus sur les \u00e9crans des mobiles, le mouvement r\u00e9p\u00e9titif de l\u2019index. Il d\u00e9crocha en fermant les yeux. Comme c\u2019est \u00e9tonnant, se dit-il, je peux porter mon attention sur certaines choses et m\u2019arr\u00eater juste \u00e0 l\u2019instant de me faire un avis. C\u2019\u00e9tait comme si son avis n\u2019avait plus vraiment de poids, d\u2019importance, et qu\u2019il ne servait \u00e0 rien d\u2019en avoir un. Ne restait plus que l\u2019attention dont il finit par se d\u00e9barrasser gr\u00e2ce aux \u00e9clairs de lumi\u00e8re traversant, par instants, ses paupi\u00e8res closes. Il ne fit plus attention qu\u2019aux nuances de rouge que le nerf optique conduisait jusqu\u2019\u00e0 sa cervelle. Puis il vacilla jusqu\u2019\u00e0 la presque totalit\u00e9 du rien. Avant de changer de r\u00eave, il voulut faire cet effort encore de maintenir cet \u00e9tat le plus longtemps possible, mais m\u00eame cet effort lui parut absurde, inutile. Tout n\u2019\u00e9tait que filtres produits par la pens\u00e9e, et qu\u2019elle ne cessait de placer au bout d\u2019elle-m\u00eame pour \u00e9chapper \u00e0 l\u2019absurdit\u00e9 toute enti\u00e8re, pour tenter de trouver un chemin entre quelque chose et rien.<\/p>", "content_text": " Prendre conscience de l\u2019absurde, c\u2019est sortir d\u2019un r\u00eave pour p\u00e9n\u00e9trer dans un autre. C\u2019est par la redondance des multiples messages affich\u00e9s sur le quai du RER D qu\u2019il eut cette pens\u00e9e. \u00ab Agressser verbalement un agent vous co\u00fbtera 7 500 euros d\u2019amende \u00bb ; \u00ab voyager sans titre de transport vous co\u00fbtera 50 euros \u00bb. Il eut envie de fumer une cigarette et, sur le paquet, il remarqua comme pour une premi\u00e8re fois : \u00ab fumer tue \u00bb. Dans le train, il remarqua aussi le d\u00e9filement des messages lumineux qui indiquaient la destination ainsi que toutes les gares qu\u2019il traversait, tandis qu\u2019une voix f\u00e9minine fatigu\u00e9e r\u00e9p\u00e9tait inlassablement les m\u00eames choses. Il remarqua aussi les casques sur la t\u00eate, les regards perdus sur les \u00e9crans des mobiles, le mouvement r\u00e9p\u00e9titif de l\u2019index. Il d\u00e9crocha en fermant les yeux. Comme c\u2019est \u00e9tonnant, se dit-il, je peux porter mon attention sur certaines choses et m\u2019arr\u00eater juste \u00e0 l\u2019instant de me faire un avis. C\u2019\u00e9tait comme si son avis n\u2019avait plus vraiment de poids, d\u2019importance, et qu\u2019il ne servait \u00e0 rien d\u2019en avoir un. Ne restait plus que l\u2019attention dont il finit par se d\u00e9barrasser gr\u00e2ce aux \u00e9clairs de lumi\u00e8re traversant, par instants, ses paupi\u00e8res closes. Il ne fit plus attention qu\u2019aux nuances de rouge que le nerf optique conduisait jusqu\u2019\u00e0 sa cervelle. Puis il vacilla jusqu\u2019\u00e0 la presque totalit\u00e9 du rien. Avant de changer de r\u00eave, il voulut faire cet effort encore de maintenir cet \u00e9tat le plus longtemps possible, mais m\u00eame cet effort lui parut absurde, inutile. Tout n\u2019\u00e9tait que filtres produits par la pens\u00e9e, et qu\u2019elle ne cessait de placer au bout d\u2019elle-m\u00eame pour \u00e9chapper \u00e0 l\u2019absurdit\u00e9 toute enti\u00e8re, pour tenter de trouver un chemin entre quelque chose et rien. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3586.jpg?1763740188", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-compassion.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-compassion.html", "title": "La compassion", "date_published": "2021-10-24T05:37:39Z", "date_modified": "2025-11-21T15:45:39Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

N\u2019est-elle pas surtout un jeu de miroirs ? Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l\u2019on te fasse\u2026 Existe-t-il une compassion totalement d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9e, une sorte de posture de la gratuit\u00e9 ? Bien s\u00fbr que non, puisqu\u2019au bout du bout l\u2019int\u00e9r\u00eat serait d\u2019enfin trouver la « bonne » posture. Tout est si changeant au-dehors comme au-dedans. On ne peut se fier qu\u2019\u00e0 chaque instant, au plus pr\u00e8s. Et d\u00e9j\u00e0 \u00eatre pr\u00eat \u00e0 voir surgir une diff\u00e9rence. \u00catre accueil comme on peut, avec ce que l\u2019on est, ce que l\u2019on a. \u00c7a ne peut \u00eatre un sens \u00e0 donner \u00e0 une vie, mais une cons\u00e9quence apr\u00e8s tant de tentatives rat\u00e9es. Exactement comme une peinture qui, au bout du bout, finit par totalement nous \u00e9chapper.<\/p>", "content_text": "N\u2019est-elle pas surtout un jeu de miroirs ? Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l\u2019on te fasse\u2026 Existe-t-il une compassion totalement d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9e, une sorte de posture de la gratuit\u00e9 ? Bien s\u00fbr que non, puisqu\u2019au bout du bout l\u2019int\u00e9r\u00eat serait d\u2019enfin trouver la \u00ab bonne \u00bb posture. Tout est si changeant au-dehors comme au-dedans. On ne peut se fier qu\u2019\u00e0 chaque instant, au plus pr\u00e8s. Et d\u00e9j\u00e0 \u00eatre pr\u00eat \u00e0 voir surgir une diff\u00e9rence. \u00catre accueil comme on peut, avec ce que l\u2019on est, ce que l\u2019on a. \u00c7a ne peut \u00eatre un sens \u00e0 donner \u00e0 une vie, mais une cons\u00e9quence apr\u00e8s tant de tentatives rat\u00e9es. Exactement comme une peinture qui, au bout du bout, finit par totalement nous \u00e9chapper. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3638.jpg?1763739909", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/interdependance.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/interdependance.html", "title": "Interd\u00e9pendance", "date_published": "2021-10-24T05:20:47Z", "date_modified": "2025-11-21T15:43:02Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Nous ne sommes rien d\u2019autre qu\u2019une relation au monde qui nous entoure, si je devais r\u00e9sumer ce que j\u2019\u00e9prouve aujourd\u2019hui. Une interd\u00e9pendance. Le fantasme d\u2019une \u00e2me, d\u2019une \u00e9ternit\u00e9 de conscience, ces derniers jours s\u2019\u00e9vanouit dans le cr\u00e9puscule d\u2019automne. Ce ne serait pas justice, voil\u00e0 ce que je me dis, cet acc\u00e8s perp\u00e9tuel au tout ne provient que de la m\u00eame avidit\u00e9, toujours d\u2019en vouloir plus. C\u2019est apaisant finalement, apr\u00e8s toute la peur. J\u2019ai l\u2019image nette d\u2019un interrupteur \u00e9lectrique en position « on » ou « off ». Quelque chose intervient pour appuyer sur celui-ci \u00e0 un moment donn\u00e9. Cela se produit sans rel\u00e2che, \u00e0 chaque instant. Et tous ces instants ont certainement une cause. M\u00eame si je l\u2019ignore. Tout au long de cette longue cha\u00eene d\u2019instants, j\u2019ai interagi, que je le veuille ou non, avec le monde. M\u00eame lorsque je ne faisais rien.
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Toujours sur la route, je tombe sur cette \u00e9mission de la cha\u00eene de Damien Maya sur la vacuit\u00e9, notion qui m\u2019int\u00e9resse depuis belle lurette mais pour des raisons diff\u00e9rentes tout au long de ma vie. Car que sait-on de la vacuit\u00e9 \u00e0 15 ans, \u00e0 30 ans, \u00e0 60 ans ou encore \u00e0 75 ans ? C\u2019est une \u00e9vidence qu\u2019on interpr\u00e9tera ce mot chaque fois suivant notre propre exp\u00e9rience de la vie \u00e0 chacune de ces \u00e9tapes. J\u2019ai lu beaucoup de livres sur le bouddhisme zen \u00e0 l\u2019\u00e2ge de 20 ans car j\u2019avais la sensation d\u2019y d\u00e9couvrir des clefs importantes pour me sentir bien. J\u2019avais l\u2019impression qu\u2019ils n\u2019avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9crits que pour moi tant je pouvais m\u2019y retrouver. Vers la quarantaine, j\u2019ai renonc\u00e9 \u00e0 toute litt\u00e9rature philosophique ou religieuse. J\u2019avais compris confus\u00e9ment que je ne cherchais qu\u2019\u00e0 me rassurer perp\u00e9tuellement sur ma propre finitude. Et me rassurer me paraissait vain \u00e0 cette \u00e9poque, j\u2019avais le sentiment d\u2019une faiblesse qui ne provenait que de mon \u00e9go\u00efsme forcen\u00e9. J\u2019ai donc navigu\u00e9 entre 40 ans et aujourd\u2019hui en subissant la vie de plein fouet, si je puis dire, c\u2019est-\u00e0-dire sans placebo, sans filet, sans filtre. Il n\u2019y avait plus rien qui pouvait vraiment me rassurer, me r\u00e9conforter, m\u2019\u00e9merveiller ou me navrer que chaque instant que je traversais alors avec les moyens du bord. Je voulais juste \u00eatre honn\u00eate avec qui j\u2019\u00e9tais vraiment, ce qui ne m\u2019emp\u00eachait nullement de mentir, de tricher avec les autres car je comprenais leur n\u00e9cessit\u00e9 de croire en quelque chose, que ce soit l\u2019amour, Dieu, les extraterrestres, j\u2019en passe et des meilleurs. Je m\u2019imaginais encore comme une sorte de guerrier, un survivant de nombreuses guerres qui avait travers\u00e9 un bon nombre d\u2019illusions. Quelque part, j\u2019\u00e9tais encore mu\u00e9 par l\u2019orgueil de vouloir savoir plus ou mieux que quiconque quelque chose d\u2019important, on peut appeler \u00e7a la vie. Oui, je voulais devenir une sorte de sage qui connaissait la vie. N\u2019est-ce pas totalement absurde ? Et pourtant, \u00e0 bien regarder tout cela d\u00e9sormais, c\u2019\u00e9tait bien cela mon but. J\u2019avais une tr\u00e8s haute importance de moi-m\u00eame et je ne m\u2019en rendais pas compte, et cette importance exag\u00e9r\u00e9e faussait ma vision sans rel\u00e2che, quoi que je puisse penser ou faire. C\u2019est en travaillant sur cette id\u00e9e d\u2019importance que j\u2019ai retrouv\u00e9 la notion de vacuit\u00e9. Aussi n\u2019est-ce pas \u00e9tonnant qu\u2019elle m\u2019accompagne sur le chemin qui me m\u00e8ne \u00e0 mes ateliers de peinture. J\u2019ai \u00e9cout\u00e9 Thich Nhat Hanh et, en l\u2019\u00e9coutant, une grande partie de mes anciennes croyances, de mes vieilles illusions se sont mises \u00e0 d\u00e9filer comme les champs de chaque c\u00f4t\u00e9 de mon v\u00e9hicule, comme les bourgs que je traversais. Je ne sais toujours pas ce qu\u2019est la vacuit\u00e9 \u00e0 la fin de la vid\u00e9o. Je ne le sais toujours pas, volontairement je veux dire. Parce que, quelle que soit la d\u00e9finition que je voudrais lui donner, je sais d\u2019avance qu\u2019elle sera erron\u00e9e, que ce ne sera que ma propre interpr\u00e9tation de ce mot, encore une fois cr\u00e9\u00e9e par une id\u00e9e d\u2019importance. Perdre de l\u2019importance et se concentrer sur ce que j\u2019ai simplement \u00e0 faire, c\u2019est-\u00e0-dire \u00eatre heureux d\u2019\u00eatre en vie et de pouvoir partager ma passion pour la peinture et le dessin avec de jeunes enfants ou des adultes, n\u2019est-ce pas tout ce que j\u2019ai \u00e0 faire v\u00e9ritablement ? M\u00eame le fait de peindre seul, de r\u00e9aliser des tableaux, de me dire « je suis artiste » me para\u00eet vain \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cet \u00e9change. La vacuit\u00e9, c\u2019est peut-\u00eatre une piste : elle est li\u00e9e \u00e0 la prise de conscience de l\u2019interd\u00e9pendance. Il s\u2019agit alors de trouver ce que l\u2019on peut partager de mieux avec les autres, se concentrer l\u00e0-dessus et oublier tout le reste.<\/p>", "content_text": " Toujours sur la route, je tombe sur cette \u00e9mission de la cha\u00eene de Damien Maya sur la vacuit\u00e9, notion qui m\u2019int\u00e9resse depuis belle lurette mais pour des raisons diff\u00e9rentes tout au long de ma vie. Car que sait-on de la vacuit\u00e9 \u00e0 15 ans, \u00e0 30 ans, \u00e0 60 ans ou encore \u00e0 75 ans ? C\u2019est une \u00e9vidence qu\u2019on interpr\u00e9tera ce mot chaque fois suivant notre propre exp\u00e9rience de la vie \u00e0 chacune de ces \u00e9tapes. J\u2019ai lu beaucoup de livres sur le bouddhisme zen \u00e0 l\u2019\u00e2ge de 20 ans car j\u2019avais la sensation d\u2019y d\u00e9couvrir des clefs importantes pour me sentir bien. J\u2019avais l\u2019impression qu\u2019ils n\u2019avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9crits que pour moi tant je pouvais m\u2019y retrouver. Vers la quarantaine, j\u2019ai renonc\u00e9 \u00e0 toute litt\u00e9rature philosophique ou religieuse. J\u2019avais compris confus\u00e9ment que je ne cherchais qu\u2019\u00e0 me rassurer perp\u00e9tuellement sur ma propre finitude. Et me rassurer me paraissait vain \u00e0 cette \u00e9poque, j\u2019avais le sentiment d\u2019une faiblesse qui ne provenait que de mon \u00e9go\u00efsme forcen\u00e9. J\u2019ai donc navigu\u00e9 entre 40 ans et aujourd\u2019hui en subissant la vie de plein fouet, si je puis dire, c\u2019est-\u00e0-dire sans placebo, sans filet, sans filtre. Il n\u2019y avait plus rien qui pouvait vraiment me rassurer, me r\u00e9conforter, m\u2019\u00e9merveiller ou me navrer que chaque instant que je traversais alors avec les moyens du bord. Je voulais juste \u00eatre honn\u00eate avec qui j\u2019\u00e9tais vraiment, ce qui ne m\u2019emp\u00eachait nullement de mentir, de tricher avec les autres car je comprenais leur n\u00e9cessit\u00e9 de croire en quelque chose, que ce soit l\u2019amour, Dieu, les extraterrestres, j\u2019en passe et des meilleurs. Je m\u2019imaginais encore comme une sorte de guerrier, un survivant de nombreuses guerres qui avait travers\u00e9 un bon nombre d\u2019illusions. Quelque part, j\u2019\u00e9tais encore mu\u00e9 par l\u2019orgueil de vouloir savoir plus ou mieux que quiconque quelque chose d\u2019important, on peut appeler \u00e7a la vie. Oui, je voulais devenir une sorte de sage qui connaissait la vie. N\u2019est-ce pas totalement absurde ? Et pourtant, \u00e0 bien regarder tout cela d\u00e9sormais, c\u2019\u00e9tait bien cela mon but. J\u2019avais une tr\u00e8s haute importance de moi-m\u00eame et je ne m\u2019en rendais pas compte, et cette importance exag\u00e9r\u00e9e faussait ma vision sans rel\u00e2che, quoi que je puisse penser ou faire. C\u2019est en travaillant sur cette id\u00e9e d\u2019importance que j\u2019ai retrouv\u00e9 la notion de vacuit\u00e9. Aussi n\u2019est-ce pas \u00e9tonnant qu\u2019elle m\u2019accompagne sur le chemin qui me m\u00e8ne \u00e0 mes ateliers de peinture. J\u2019ai \u00e9cout\u00e9 Thich Nhat Hanh et, en l\u2019\u00e9coutant, une grande partie de mes anciennes croyances, de mes vieilles illusions se sont mises \u00e0 d\u00e9filer comme les champs de chaque c\u00f4t\u00e9 de mon v\u00e9hicule, comme les bourgs que je traversais. Je ne sais toujours pas ce qu\u2019est la vacuit\u00e9 \u00e0 la fin de la vid\u00e9o. Je ne le sais toujours pas, volontairement je veux dire. Parce que, quelle que soit la d\u00e9finition que je voudrais lui donner, je sais d\u2019avance qu\u2019elle sera erron\u00e9e, que ce ne sera que ma propre interpr\u00e9tation de ce mot, encore une fois cr\u00e9\u00e9e par une id\u00e9e d\u2019importance. Perdre de l\u2019importance et se concentrer sur ce que j\u2019ai simplement \u00e0 faire, c\u2019est-\u00e0-dire \u00eatre heureux d\u2019\u00eatre en vie et de pouvoir partager ma passion pour la peinture et le dessin avec de jeunes enfants ou des adultes, n\u2019est-ce pas tout ce que j\u2019ai \u00e0 faire v\u00e9ritablement ? M\u00eame le fait de peindre seul, de r\u00e9aliser des tableaux, de me dire \u00ab je suis artiste \u00bb me para\u00eet vain \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cet \u00e9change. La vacuit\u00e9, c\u2019est peut-\u00eatre une piste : elle est li\u00e9e \u00e0 la prise de conscience de l\u2019interd\u00e9pendance. Il s\u2019agit alors de trouver ce que l\u2019on peut partager de mieux avec les autres, se concentrer l\u00e0-dessus et oublier tout le reste. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3428.jpg?1763739463", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/aquarelles-5x5-cm.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/aquarelles-5x5-cm.html", "title": "Aquarelles 5x5 cm", "date_published": "2021-10-21T04:23:04Z", "date_modified": "2025-11-21T15:35:15Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

R\u00e9aliser de tous petits formats \u00e0 l\u2019aquarelle, c\u2019est amusant et puis on ne va pas penser \u00e0 tout cet argent que \u00e7a va rapporter, bien s\u00fbr ; on est \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re du march\u00e9, on ne fait \u00e7a que pour le plaisir, n\u2019allez pas chercher midi \u00e0 14 h. Allez, c\u2019est parti, on commence doucement par des lavis l\u00e9gers, l\u00e9gers, et comme on a le temps on ne se presse pas, on respire, on inspire en prenant le pigment sur le pinceau et on expire en le d\u00e9posant sur le papier. Ensuite on peut utiliser des masques, des formes que l\u2019on va placer sur le papier pour « r\u00e9server » soit des blancs, soit une part de ces premiers lavis, et on repasse une fois le papier sec au toucher avec une couleur un peu plus dense (mais pas trop). Je vous ai pr\u00e9par\u00e9 un masque pour faire douze petits tableaux d\u2019un seul coup, c\u2019est tout b\u00eate : une plaque de carton de la m\u00eame taille que la feuille, que vous recouvrez de scotch d\u2019emballage pour pouvoir le nettoyer et le r\u00e9utiliser \u00e0 l\u2019infini. Vous d\u00e9coupez au cutter vos carr\u00e9s ou vos rectangles, et m\u00eame des ronds si vous voulez, et hop ! une feuille dessous, tenue avec un peu de collant, et c\u2019est parti !<\/p>", "content_text": " R\u00e9aliser de tous petits formats \u00e0 l\u2019aquarelle, c\u2019est amusant et puis on ne va pas penser \u00e0 tout cet argent que \u00e7a va rapporter, bien s\u00fbr ; on est \u00e0 des ann\u00e9es-lumi\u00e8re du march\u00e9, on ne fait \u00e7a que pour le plaisir, n\u2019allez pas chercher midi \u00e0 14 h. Allez, c\u2019est parti, on commence doucement par des lavis l\u00e9gers, l\u00e9gers, et comme on a le temps on ne se presse pas, on respire, on inspire en prenant le pigment sur le pinceau et on expire en le d\u00e9posant sur le papier. Ensuite on peut utiliser des masques, des formes que l\u2019on va placer sur le papier pour \u00ab r\u00e9server \u00bb soit des blancs, soit une part de ces premiers lavis, et on repasse une fois le papier sec au toucher avec une couleur un peu plus dense (mais pas trop). Je vous ai pr\u00e9par\u00e9 un masque pour faire douze petits tableaux d\u2019un seul coup, c\u2019est tout b\u00eate : une plaque de carton de la m\u00eame taille que la feuille, que vous recouvrez de scotch d\u2019emballage pour pouvoir le nettoyer et le r\u00e9utiliser \u00e0 l\u2019infini. Vous d\u00e9coupez au cutter vos carr\u00e9s ou vos rectangles, et m\u00eame des ronds si vous voulez, et hop ! une feuille dessous, tenue avec un peu de collant, et c\u2019est parti ! ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3426.jpg?1763739279", "tags": ["peinture"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/visages-a-l-encre-de-chine.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/visages-a-l-encre-de-chine.html", "title": "Visages \u00e0 l'encre de chine", "date_published": "2021-10-21T03:54:14Z", "date_modified": "2025-11-21T15:33:01Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Ce soir nous allons r\u00e9aliser des visages \u00e0 l\u2019encre de Chine \u00e0 l\u2019aide d\u2019un outil que vous n\u2019avez pas l\u2019habitude d\u2019utiliser. Il s\u2019agit de coins de tableau en bois : ce sont des objets triangulaires qui servent \u00e0 tendre la toile et que l\u2019on installe au dos de celle-ci sur le ch\u00e2ssis. Pourquoi ne pas utiliser un pinceau, un porte-plume ? Je sais que vous vous le demandez, n\u2019est-ce pas, et bien c\u2019est pour que vous ne soyez pas trop habiles \u00e0 r\u00e9aliser ces travaux. \u2026 ? Bon, je vous explique. C\u2019est vrai, vous \u00eates venus pour apprendre \u00e0 « bien » dessiner, comme on dit, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 apprendre puis \u00e0 respecter un certain nombre de r\u00e8gles que les dessinateurs s\u2019\u00e9changent depuis belle lurette et qui ont pour but de produire un travail agr\u00e9able \u00e0 l\u2019\u0153il. Il est possible que ces r\u00e8gles vous rassurent plus qu\u2019autre chose parce que vous n\u2019osez tout simplement pas dessiner comme vous le d\u00e9sireriez vraiment. Je veux dire comme lorsque vous \u00e9tiez enfants et que vous n\u2019aviez pas encore ces notions de beau et de moche comme aujourd\u2019hui, et qui vous entravent. Je sais que dire ce genre de choses n\u2019est pas tr\u00e8s habituel pour un professeur de dessin, c\u2019est un peu comme si je me tirais une balle dans le pied. Comme si, dans le fond, je ne servais \u00e0 rien, et vous auriez parfaitement raison de le penser. Je ne vous apprendrai pas \u00e0 « bien » dessiner ; par contre, je peux vous aider \u00e0 dessiner quelque chose qui vient de vous, vraiment. C\u2019est-\u00e0-dire vous amener \u00e0 retrouver cette source o\u00f9 l\u2019amusement, le plaisir primaient sur toute autre obligation. Cette obligation que \u00e7a soit beau, que \u00e7a soit joli, plaisant, montrable, pour vous faire admettre dans la grande famille des dessinateurs de tout acabit dignes de ce nom. Pour que vous parveniez enfin \u00e0 vous dire : ouf, \u00e7a y est, je sais bien dessiner, j\u2019appartiens \u00e0 cette famille, me voici totalement rassur\u00e9 sur mon compte. Eh bien non. Je suis plus exigeant que cela, vous n\u2019\u00eates pas bien tomb\u00e9s, pas coulant pour deux ronds comme prof. Donc je vous montre rapidement ce que je veux dire par dessiner un visage : je vais vous le faire de fa\u00e7on « classique » en vous montrant toutes les r\u00e8gles, toutes les astuces, les proportions, comme \u00e7a vous serez rassur\u00e9s sur le fait que je ne suis pas un guignol : je sais dessiner un visage comme tous ces dessinateurs dont le seul but est l\u2019habilet\u00e9, la performance. Vous commencez par placer un axe ; attention, il faut l\u2019incliner l\u00e9g\u00e8rement si vous ne voulez pas obtenir un photomaton. Puis vous placez la ligne des yeux \u00e0 la moiti\u00e9 de votre trait (l\u00e9ger le trait, vous pouvez prendre un crayon). Ensuite patati patata : ne fermez pas vos formes, ne me dessinez pas, par exemple, tout le contour de l\u2019\u0153il ou de la bouche ; sugg\u00e9rez ; pensez que le spectateur sera heureux d\u2019avoir un peu quelque chose \u00e0 faire avec ce qu\u2019il a entre les deux oreilles. Voil\u00e0, vous voyez, c\u2019est facile de dessiner un « beau visage ». Voil\u00e0 justement ce que je ne veux pas que vous fassiez. Maintenant, voyons voir cet outil : le coin de tableau. Il est pointu, donc vous pouvez l\u2019utiliser comme un crayon en l\u2019imbibant d\u2019un peu d\u2019eau et d\u2019encre, comme un pinceau, et, comme un pinceau ou un crayon, vous pouvez exercer une pression sur celui-ci pour la finesse ou l\u2019\u00e9paisseur des traits. Et ce n\u2019est pas tout ! Si vous le prenez sur le c\u00f4t\u00e9 et que vous l\u2019imbibez d\u2019un gris l\u00e9ger, regardez ces magnifiques gris que vous obtenez en le frottant sur le papier. Donc voil\u00e0, vous avez de quoi faire. Derni\u00e8re consigne et vous serez libres totalement : la pr\u00e9sentation, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019installation de ces dessins-peintures, car il s\u2019agit \u00e9videmment aussi de peintures\u2026 Vous me faites trois vignettes en bas de la feuille pour vous exercer, et au-dessus de celles-ci un carr\u00e9 pour agrandir le visage qui vous inspirera le plus parmi ceux que vous aurez r\u00e9alis\u00e9s. Voil\u00e0, je crois que je vous ai \u00e0 peu pr\u00e8s tout dit. Vous avez deux heures : ne r\u00e9fl\u00e9chissez pas, amusez-vous !<\/p>", "content_text": " Ce soir nous allons r\u00e9aliser des visages \u00e0 l\u2019encre de Chine \u00e0 l\u2019aide d\u2019un outil que vous n\u2019avez pas l\u2019habitude d\u2019utiliser. Il s\u2019agit de coins de tableau en bois : ce sont des objets triangulaires qui servent \u00e0 tendre la toile et que l\u2019on installe au dos de celle-ci sur le ch\u00e2ssis. Pourquoi ne pas utiliser un pinceau, un porte-plume ? Je sais que vous vous le demandez, n\u2019est-ce pas, et bien c\u2019est pour que vous ne soyez pas trop habiles \u00e0 r\u00e9aliser ces travaux. \u2026 ? Bon, je vous explique. C\u2019est vrai, vous \u00eates venus pour apprendre \u00e0 \u00ab bien \u00bb dessiner, comme on dit, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 apprendre puis \u00e0 respecter un certain nombre de r\u00e8gles que les dessinateurs s\u2019\u00e9changent depuis belle lurette et qui ont pour but de produire un travail agr\u00e9able \u00e0 l\u2019\u0153il. Il est possible que ces r\u00e8gles vous rassurent plus qu\u2019autre chose parce que vous n\u2019osez tout simplement pas dessiner comme vous le d\u00e9sireriez vraiment. Je veux dire comme lorsque vous \u00e9tiez enfants et que vous n\u2019aviez pas encore ces notions de beau et de moche comme aujourd\u2019hui, et qui vous entravent. Je sais que dire ce genre de choses n\u2019est pas tr\u00e8s habituel pour un professeur de dessin, c\u2019est un peu comme si je me tirais une balle dans le pied. Comme si, dans le fond, je ne servais \u00e0 rien, et vous auriez parfaitement raison de le penser. Je ne vous apprendrai pas \u00e0 \u00ab bien \u00bb dessiner ; par contre, je peux vous aider \u00e0 dessiner quelque chose qui vient de vous, vraiment. C\u2019est-\u00e0-dire vous amener \u00e0 retrouver cette source o\u00f9 l\u2019amusement, le plaisir primaient sur toute autre obligation. Cette obligation que \u00e7a soit beau, que \u00e7a soit joli, plaisant, montrable, pour vous faire admettre dans la grande famille des dessinateurs de tout acabit dignes de ce nom. Pour que vous parveniez enfin \u00e0 vous dire : ouf, \u00e7a y est, je sais bien dessiner, j\u2019appartiens \u00e0 cette famille, me voici totalement rassur\u00e9 sur mon compte. Eh bien non. Je suis plus exigeant que cela, vous n\u2019\u00eates pas bien tomb\u00e9s, pas coulant pour deux ronds comme prof. Donc je vous montre rapidement ce que je veux dire par dessiner un visage : je vais vous le faire de fa\u00e7on \u00ab classique \u00bb en vous montrant toutes les r\u00e8gles, toutes les astuces, les proportions, comme \u00e7a vous serez rassur\u00e9s sur le fait que je ne suis pas un guignol : je sais dessiner un visage comme tous ces dessinateurs dont le seul but est l\u2019habilet\u00e9, la performance. Vous commencez par placer un axe ; attention, il faut l\u2019incliner l\u00e9g\u00e8rement si vous ne voulez pas obtenir un photomaton. Puis vous placez la ligne des yeux \u00e0 la moiti\u00e9 de votre trait (l\u00e9ger le trait, vous pouvez prendre un crayon). Ensuite patati patata : ne fermez pas vos formes, ne me dessinez pas, par exemple, tout le contour de l\u2019\u0153il ou de la bouche ; sugg\u00e9rez ; pensez que le spectateur sera heureux d\u2019avoir un peu quelque chose \u00e0 faire avec ce qu\u2019il a entre les deux oreilles. Voil\u00e0, vous voyez, c\u2019est facile de dessiner un \u00ab beau visage \u00bb. Voil\u00e0 justement ce que je ne veux pas que vous fassiez. Maintenant, voyons voir cet outil : le coin de tableau. Il est pointu, donc vous pouvez l\u2019utiliser comme un crayon en l\u2019imbibant d\u2019un peu d\u2019eau et d\u2019encre, comme un pinceau, et, comme un pinceau ou un crayon, vous pouvez exercer une pression sur celui-ci pour la finesse ou l\u2019\u00e9paisseur des traits. Et ce n\u2019est pas tout ! Si vous le prenez sur le c\u00f4t\u00e9 et que vous l\u2019imbibez d\u2019un gris l\u00e9ger, regardez ces magnifiques gris que vous obtenez en le frottant sur le papier. Donc voil\u00e0, vous avez de quoi faire. 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La solitude des com\u00e8tes qui traversent l\u2019infini. Elles vont et viennent attach\u00e9es \u00e0 leurs trajectoires cycliques ; la prochaine sera visible aux environs de juillet-ao\u00fbt 2126 en France et a \u00e9t\u00e9 baptis\u00e9e 109P\/Swift-Tuttle. Les com\u00e8tes sont constitu\u00e9es de glace, para\u00eet-il. Peut-\u00eatre que toute l\u2019eau de notre plan\u00e8te provient d\u2019une collision avec l\u2019une de ces voyageuses au long cours qui, un jour, aura d\u00e9cid\u00e9 de nous heurter pour terminer son voyage en beaut\u00e9. Il y a de cela quelques mois, j\u2019avais \u00e9prouv\u00e9 une n\u00e9cessit\u00e9 de g\u00e9om\u00e9trie. Je m\u2019\u00e9tais mis \u00e0 peindre de fa\u00e7on appliqu\u00e9e de petites formes que j\u2019avais auparavant soigneusement dessin\u00e9es. Je cherche la relation de ce fait, ce besoin soudain de g\u00e9om\u00e9trie qui s\u2019\u00e9tait reli\u00e9 \u00e0 la civilisation chald\u00e9enne, et notamment \u00e0 la d\u00e9esse Ishtar, et cette histoire de com\u00e8te. Le lien est probablement la structure de l\u2019eau, les formes que peuvent emprunter ses mol\u00e9cules suivant les territoires qu\u2019elles traversent. Je n\u2019allais pas tr\u00e8s bien \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9 cette s\u00e9rie de toiles g\u00e9om\u00e9triques, et il me semblait qu\u2019elles m\u2019aideraient \u00e0 me sentir mieux, ne me demandez pas pourquoi ni comment. D\u2019apr\u00e8s des \u00e9tudes scientifiques, il est possible de structurer les mol\u00e9cules d\u2019eau. Elles peuvent ainsi devenir de magnifiques formes g\u00e9om\u00e9triques si on se trouve dans un \u00e9tat de gratitude, un sentiment d\u2019amour, si on met du Mozart ou des chants gr\u00e9goriens dans leur environnement. \u00c0 l\u2019inverse, elles deviennent difformes lorsqu\u2019elles sont en pr\u00e9sence de la douleur, de la fausset\u00e9, de la violence et de la musique m\u00e9tal. Sans doute la nature profonde des com\u00e8tes se modifie-t-elle \u00e9galement suivant les galaxies qu\u2019elles traversent, les peuples qui les habitent. Du reste, ne sont-elles pas consid\u00e9r\u00e9es soit comme des signes n\u00e9fastes, soit comme des signes b\u00e9n\u00e9fiques dans les archives de l\u2019humanit\u00e9 ? Sans doute qu\u2019une observation attentive des situations g\u00e9opolitiques et de leurs relations avec la structure des mol\u00e9cules d\u2019eau nous permettrait de faire un grand pas vers l\u2019harmonie possible de la plan\u00e8te. Sans doute pourrait-on m\u00eame commencer par faire attention \u00e0 ce que l\u2019on pense, \u00e9prouve et dit devant un simple verre d\u2019eau dont le contenu rejoindra nos propres cellules et les impactera. On commence tout juste \u00e0 comprendre une toute petite partie de la r\u00e9alit\u00e9 constitu\u00e9e d\u2019ondes, de fr\u00e9quences, de vibrations. Et \u00e9videmment, m\u00eame dans ce domaine nouveau, le risque de complot qui a d\u00e9sormais tout envahi est grand. D\u2019apr\u00e8s certaines sources plus ou moins fiables sur Internet, il y aurait m\u00eame une censure concernant certaines \u0153uvres musicales, car elles auraient le pouvoir d\u2019harmoniser trop bien les humeurs. Notamment un cantique d\u00e9di\u00e9 \u00e0 saint Jean-Baptiste, qui, on s\u2019en souviendra, est connu pour baptiser par l\u2019eau. L\u2019eau est un \u00e9l\u00e9ment \u00e9trange, c\u2019est le seul qui peut passer par trois \u00e9tats diff\u00e9rents : liquide, gazeux et solide. Et, tout modernes que nous pensions \u00eatre, nous n\u2019en savons pas beaucoup \u00e0 son sujet. Cela devrait forcer notre modestie. Un sage a dit que l\u2019on commen\u00e7ait \u00e0 devenir sage lorsqu\u2019on d\u00e9couvrait l\u2019\u00e9tendue de notre propre ignorance, je ne peux qu\u2019\u00eatre d\u2019accord avec cette r\u00e9flexion. C\u2019est \u00e0 partir du constat de cette ignorance que l\u2019on peut vraiment se mettre \u00e0 \u00e9tudier, vraiment, et non pas r\u00e9p\u00e9ter b\u00eatement ce que l\u2019on croit savoir pour l\u2019avoir lu ou entendu ; c\u2019est en l\u2019exp\u00e9rimentant pour soi-m\u00eame surtout. La seule certitude que je peux avoir, c\u2019est que je ne sais rien. Je crois que cela m\u2019est venu progressivement, comme des voiles qui se d\u00e9chirent. Alors, bien s\u00fbr, je peux parfois para\u00eetre un peu bizarre pour un certain nombre de personnes qui, elles, semblent savoir ce qui est vrai et faux, des personnes « normales ». Mais je pr\u00e9f\u00e8re, de mon c\u00f4t\u00e9, rester accroch\u00e9 \u00e0 mon constat d\u2019ignorance, et ce, aussi bien dans ma vie de tous les jours qu\u2019en peinture, par exemple. Une ignorance fondamentale, si je peux dire. Sit\u00f4t que l\u2019on croit savoir quelque chose, une porte se referme dans notre esprit et \u00e7a commence \u00e0 sentir le renferm\u00e9. Le mieux que j\u2019ai trouv\u00e9, c\u2019est de laisser toutes les portes ouvertes pour a\u00e9rer continuellement la pi\u00e8ce. Du coup, oui, je crois que les com\u00e8tes ont un r\u00f4le important \u00e0 jouer dans l\u2019\u00e9quilibre de l\u2019univers ; je crois qu\u2019il serait bon que je me remette \u00e0 \u00e9couter des chants gr\u00e9goriens, et \u00e0 \u00e9prouver de la gratitude lorsque j\u2019ouvre le robinet pour boire un simple verre d\u2019eau. Je crois aussi \u00e0 la possibilit\u00e9 de penser tout le contraire demain et ce n\u2019est pas bien grave. Je ne peux rien commander d\u2019avance, je ne peux qu\u2019autoriser l\u2019instant \u00e0 \u00eatre ce qu\u2019il est et m\u2019enlever le plus souvent du chemin, car c\u2019est souvent moi l\u2019obstacle.<\/p>", "content_text": " La solitude des com\u00e8tes qui traversent l\u2019infini. Elles vont et viennent attach\u00e9es \u00e0 leurs trajectoires cycliques ; la prochaine sera visible aux environs de juillet-ao\u00fbt 2126 en France et a \u00e9t\u00e9 baptis\u00e9e 109P\/Swift-Tuttle. Les com\u00e8tes sont constitu\u00e9es de glace, para\u00eet-il. Peut-\u00eatre que toute l\u2019eau de notre plan\u00e8te provient d\u2019une collision avec l\u2019une de ces voyageuses au long cours qui, un jour, aura d\u00e9cid\u00e9 de nous heurter pour terminer son voyage en beaut\u00e9. Il y a de cela quelques mois, j\u2019avais \u00e9prouv\u00e9 une n\u00e9cessit\u00e9 de g\u00e9om\u00e9trie. Je m\u2019\u00e9tais mis \u00e0 peindre de fa\u00e7on appliqu\u00e9e de petites formes que j\u2019avais auparavant soigneusement dessin\u00e9es. Je cherche la relation de ce fait, ce besoin soudain de g\u00e9om\u00e9trie qui s\u2019\u00e9tait reli\u00e9 \u00e0 la civilisation chald\u00e9enne, et notamment \u00e0 la d\u00e9esse Ishtar, et cette histoire de com\u00e8te. Le lien est probablement la structure de l\u2019eau, les formes que peuvent emprunter ses mol\u00e9cules suivant les territoires qu\u2019elles traversent. Je n\u2019allais pas tr\u00e8s bien \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9 cette s\u00e9rie de toiles g\u00e9om\u00e9triques, et il me semblait qu\u2019elles m\u2019aideraient \u00e0 me sentir mieux, ne me demandez pas pourquoi ni comment. D\u2019apr\u00e8s des \u00e9tudes scientifiques, il est possible de structurer les mol\u00e9cules d\u2019eau. Elles peuvent ainsi devenir de magnifiques formes g\u00e9om\u00e9triques si on se trouve dans un \u00e9tat de gratitude, un sentiment d\u2019amour, si on met du Mozart ou des chants gr\u00e9goriens dans leur environnement. \u00c0 l\u2019inverse, elles deviennent difformes lorsqu\u2019elles sont en pr\u00e9sence de la douleur, de la fausset\u00e9, de la violence et de la musique m\u00e9tal. Sans doute la nature profonde des com\u00e8tes se modifie-t-elle \u00e9galement suivant les galaxies qu\u2019elles traversent, les peuples qui les habitent. Du reste, ne sont-elles pas consid\u00e9r\u00e9es soit comme des signes n\u00e9fastes, soit comme des signes b\u00e9n\u00e9fiques dans les archives de l\u2019humanit\u00e9 ? Sans doute qu\u2019une observation attentive des situations g\u00e9opolitiques et de leurs relations avec la structure des mol\u00e9cules d\u2019eau nous permettrait de faire un grand pas vers l\u2019harmonie possible de la plan\u00e8te. Sans doute pourrait-on m\u00eame commencer par faire attention \u00e0 ce que l\u2019on pense, \u00e9prouve et dit devant un simple verre d\u2019eau dont le contenu rejoindra nos propres cellules et les impactera. On commence tout juste \u00e0 comprendre une toute petite partie de la r\u00e9alit\u00e9 constitu\u00e9e d\u2019ondes, de fr\u00e9quences, de vibrations. Et \u00e9videmment, m\u00eame dans ce domaine nouveau, le risque de complot qui a d\u00e9sormais tout envahi est grand. D\u2019apr\u00e8s certaines sources plus ou moins fiables sur Internet, il y aurait m\u00eame une censure concernant certaines \u0153uvres musicales, car elles auraient le pouvoir d\u2019harmoniser trop bien les humeurs. Notamment un cantique d\u00e9di\u00e9 \u00e0 saint Jean-Baptiste, qui, on s\u2019en souviendra, est connu pour baptiser par l\u2019eau. L\u2019eau est un \u00e9l\u00e9ment \u00e9trange, c\u2019est le seul qui peut passer par trois \u00e9tats diff\u00e9rents : liquide, gazeux et solide. Et, tout modernes que nous pensions \u00eatre, nous n\u2019en savons pas beaucoup \u00e0 son sujet. Cela devrait forcer notre modestie. Un sage a dit que l\u2019on commen\u00e7ait \u00e0 devenir sage lorsqu\u2019on d\u00e9couvrait l\u2019\u00e9tendue de notre propre ignorance, je ne peux qu\u2019\u00eatre d\u2019accord avec cette r\u00e9flexion. C\u2019est \u00e0 partir du constat de cette ignorance que l\u2019on peut vraiment se mettre \u00e0 \u00e9tudier, vraiment, et non pas r\u00e9p\u00e9ter b\u00eatement ce que l\u2019on croit savoir pour l\u2019avoir lu ou entendu ; c\u2019est en l\u2019exp\u00e9rimentant pour soi-m\u00eame surtout. La seule certitude que je peux avoir, c\u2019est que je ne sais rien. Je crois que cela m\u2019est venu progressivement, comme des voiles qui se d\u00e9chirent. Alors, bien s\u00fbr, je peux parfois para\u00eetre un peu bizarre pour un certain nombre de personnes qui, elles, semblent savoir ce qui est vrai et faux, des personnes \u00ab normales \u00bb. Mais je pr\u00e9f\u00e8re, de mon c\u00f4t\u00e9, rester accroch\u00e9 \u00e0 mon constat d\u2019ignorance, et ce, aussi bien dans ma vie de tous les jours qu\u2019en peinture, par exemple. Une ignorance fondamentale, si je peux dire. Sit\u00f4t que l\u2019on croit savoir quelque chose, une porte se referme dans notre esprit et \u00e7a commence \u00e0 sentir le renferm\u00e9. Le mieux que j\u2019ai trouv\u00e9, c\u2019est de laisser toutes les portes ouvertes pour a\u00e9rer continuellement la pi\u00e8ce. Du coup, oui, je crois que les com\u00e8tes ont un r\u00f4le important \u00e0 jouer dans l\u2019\u00e9quilibre de l\u2019univers ; je crois qu\u2019il serait bon que je me remette \u00e0 \u00e9couter des chants gr\u00e9goriens, et \u00e0 \u00e9prouver de la gratitude lorsque j\u2019ouvre le robinet pour boire un simple verre d\u2019eau. Je crois aussi \u00e0 la possibilit\u00e9 de penser tout le contraire demain et ce n\u2019est pas bien grave. Je ne peux rien commander d\u2019avance, je ne peux qu\u2019autoriser l\u2019instant \u00e0 \u00eatre ce qu\u2019il est et m\u2019enlever le plus souvent du chemin, car c\u2019est souvent moi l\u2019obstacle. 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Il y a maintes fa\u00e7ons de consid\u00e9rer l\u2019\u00e9criture et je voudrais, en y pensant, revenir \u00e0 la notion de cadre, de format. Car c\u2019est sans doute la premi\u00e8re difficult\u00e9 que j\u2019ai rencontr\u00e9e, avant m\u00eame celle du pourquoi. Au d\u00e9but, j\u2019avais cette id\u00e9e d\u2019\u00e9crire des romans, des nouvelles parce que j\u2019avais \u00e9t\u00e9 s\u00e9duit par des \u00e9crivains comme Henry Miller, Hemingway, Dos Passos, Fitzgerald, beaucoup d\u2019auteurs am\u00e9ricains notamment. Je crois que le personnage d\u2019\u00e9crivain — am\u00e9ricain de surcro\u00eet — m\u2019attirait plus parfois que leurs \u0153uvres. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019en tant que jeune homme je cherchais probablement \u00e0 m\u2019extraire de la d\u00e9pendance d\u2019une image paternelle qui ne me convenait pas. J\u2019en cherchais d\u2019autres qui m\u2019apparaissaient plus reluisantes. \u00c9crire \u00e9tait donc une sorte de cheminement \u00e0 emprunter pour les rejoindre et je crois que ce qui m\u2019int\u00e9ressait surtout c\u2019\u00e9tait que cela soit difficile. Il fallait que ce le soit pour obtenir ce que j\u2019imaginais \u00eatre cette rencontre du p\u00e8re et du fils. J\u2019avais lu tellement de conneries sur l\u2019h\u00e9ro\u00efsme et les h\u00e9ros, sur ce mod\u00e8le que je ne pouvais qu\u2019entrer dans ce moule sans m\u00eame m\u2019en rendre compte. J\u2019ai \u00e9crit tout un tas de choses, toutes plus saugrenues les unes que les autres, avec une candeur, une maladresse qui s\u2019associait en filigrane \u00e0 la d\u00e9ception que m\u2019infligeaient depuis toujours mes mauvaises notes en fran\u00e7ais. C\u2019est-\u00e0-dire une r\u00e9volte dont je n\u2019avais pas mesur\u00e9 l\u2019ampleur lorsqu\u2019elle s\u2019\u00e9tait produite. Une blessure narcissique, si on veut. Pourquoi ai-je \u00e9t\u00e9 tellement bless\u00e9 par mes r\u00e9sultats scolaires dans cette mati\u00e8re ? Parce que, tr\u00e8s t\u00f4t, la lecture \u00e9tait pour moi une v\u00e9ritable passion. Je d\u00e9vorais tout ce qui passait \u00e0 ma port\u00e9e d\u2019une fa\u00e7on anarchique et gloutonne. Le but alors \u00e9tait de m\u2019\u00e9vader et pas grand-chose d\u2019autre. Je m\u2019\u00e9vadais dans les contes et l\u00e9gendes puis plus tard dans la Com\u00e9die humaine ou Les Rougon-Macquart sans vraiment me soucier de l\u2019\u00e9criture en elle-m\u00eame. Ce qui m\u2019int\u00e9ressait c\u2019\u00e9tait de m\u2019identifier \u00e0 tel ou tel personnage, de vivre par procuration le plus de possibilit\u00e9s d\u2019une vie \u00e0 venir. L\u2019avenir m\u2019effrayait toujours au plus haut point car je ne parvenais jamais \u00e0 me d\u00e9cider pour tel ou tel but. Cette difficult\u00e9 \u00e0 prendre une d\u00e9cision sur ce que je voulais devenir « plus tard » s\u2019accroissait lorsque je me trouvais confront\u00e9 \u00e0 des camarades dont le destin semblait tout trac\u00e9. Certains allaient devenir m\u00e9decin, notaire, professeur, agriculteur, ils n\u2019avaient pas de doute sur leur avenir, ce qui augmentait mon malaise d\u2019autant plus que j\u2019en \u00e9tais cribl\u00e9. Cette difficult\u00e9 d\u2019\u00e9crire des nouvelles, des romans, est li\u00e9e, je crois, aux m\u00eames doutes quant aux objectifs qu\u2019il faut poser n\u00e9cessairement avant de pouvoir les atteindre. Je me cognais la t\u00eate contre les murs en me traitant de tous les noms car j\u2019\u00e9tais incapable de me projeter, comme j\u2019\u00e9tais incapable de projeter le moindre personnage vers un destin, vers un avenir. Quel que soit le canevas que je pouvais dessiner, il me semblait faux. Il me semblait \u00eatre dot\u00e9 d\u2019un discernement effrayant, une sorte de lucidit\u00e9 exacerb\u00e9e qui me faisait ramasser t\u00f4t ou tard mon paquet de feuilles noircies et le jeter \u00e0 la corbeille. C\u2019\u00e9tait ontologique : inscrit dans l\u2019\u00eatre, la vie ne se d\u00e9roulait pas ainsi de fa\u00e7on lin\u00e9aire et m\u00eame si l\u2019on cr\u00e9ait des p\u00e9rip\u00e9ties, des rebondissements sur le chemin que suivrait tout protagoniste vers son but, il y avait bien plus de chances que tout cela ne se transforme en clich\u00e9 qu\u2019en une histoire qui tienne v\u00e9ritablement debout, je veux dire aussi d\u00e9routante, surprenante, aussi d\u00e9routante et surprenante que la vie elle-m\u00eame. C\u2019est ainsi que j\u2019ai commenc\u00e9 d\u2019\u00e9crire sur des petits carnets en raison du format que leur taille me proposait. En g\u00e9n\u00e9ral, une page par jour sur laquelle se m\u00ealaient r\u00e9flexions et chroniques et des embryons de r\u00e9cits. \u00c7a me donnait l\u2019impression d\u2019avancer tout en n\u2019\u00e9tant pas totalement dupe. La v\u00e9rit\u00e9 est que j\u2019avais une trouille bleue de me jeter dans le v\u00e9ritable travail que repr\u00e9sente l\u2019\u00e9criture. D\u2019abord en raison de mes r\u00e9sultats scolaires m\u00e9diocres, mais aussi par une sorte de modestie qui me renvoyait perp\u00e9tuellement \u00e0 mon ignorance en contrepoint de mon orgueil. Car il faut tout de m\u00eame un orgueil, une vanit\u00e9, une pr\u00e9tention consid\u00e9rables pour s\u2019imaginer \u00e9crire un roman jusqu\u2019au bout \u00e0 vingt ans. Qu\u2019avais-je donc \u00e0 dire qui n\u2019avait jamais \u00e9t\u00e9 dit ? Et quand bien m\u00eame aurais-je eu une id\u00e9e mille fois exploit\u00e9e, qu\u2019est-ce qui aurait pu me faire penser que je pouvais alors la pr\u00e9senter autrement, et bien s\u00fbr mieux qu\u2019elle ne l\u2019avait jamais \u00e9t\u00e9 ? Confus\u00e9ment, je sentais bien que la notion d\u2019originalit\u00e9 \u00e9tait \u00e0 la fois un aiguillon et une entrave. Et pourtant j\u2019ai persist\u00e9, je voulais aller jusqu\u2019au bout pour d\u00e9poser tout ce que j\u2019avais de baroque sur le papier. Maintenant que j\u2019y pense, c\u2019\u00e9tait bien plus pour m\u2019en d\u00e9barrasser que pour r\u00e9ellement \u00e9crire un roman. Car on imagine malgr\u00e9 tout, quoiqu\u2019on en pense, et si rebelle soit-on, une norme \u00e0 rejoindre. La norme des grands \u00e9crivains, par exemple, est de bousiller leur vie, de boire comme des trous, de subir des s\u00e9parations irr\u00e9m\u00e9diables, puis enfin, au bout d\u2019un calvaire qu\u2019ils devront traverser avec pers\u00e9v\u00e9rance, en serrant ce qu\u2019il leur restera de dents, publier enfin leur premier bouquin. La difficult\u00e9 d\u2019\u00e9crire, je crois qu\u2019elle commence par une prise de conscience de notre imagination en mati\u00e8re d\u2019\u00e9criture. La difficult\u00e9 d\u2019\u00e9crire demande de comprendre que ce n\u2019est pas seulement une ambiance dans laquelle le personnage d\u2019\u00e9crivain que l\u2019on s\u2019invente se meut. J\u2019ai pos\u00e9 mon stylo vers la quarantaine. J\u2019\u00e9tais \u00e9reint\u00e9 par mes r\u00eaves et n\u2019avais plus qu\u2019une envie, apr\u00e8s avoir explor\u00e9 tout l\u2019enfermement : c\u2019\u00e9tait de vivre une vie normale. C\u2019est sans doute l\u00e0 o\u00f9 le roman devrait commencer, sur ce que l\u2019on imagine \u00eatre une vie normale. C\u2019est aussi l\u00e0, je crois, que l\u2019on comprend que l\u2019on n\u2019a pas besoin d\u2019\u00e9crire pour \u00eatre \u00e9crivain. On est \u00e9crivain de toute fa\u00e7on \u00e0 partir du moment o\u00f9 on observe tout ce qui se passe \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de soi et en soi. J\u2019ai tout rang\u00e9 dans des cartons que j\u2019ai trimball\u00e9s comme des boulets dans de multiples d\u00e9m\u00e9nagements. De temps \u00e0 autre, je me complaisais \u00e0 me souvenir que j\u2019avais essay\u00e9 d\u2019\u00e9crire, cette nostalgie me faisait du bien dans les moments difficiles. Je me souvenais que j\u2019avais \u00e9t\u00e9 \u00e9crivain comme je me souvenais d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 photographe au temps de l\u2019argentique, que j\u2019avais voyag\u00e9 et explor\u00e9 des pays en guerre avec mon vieux Leica. Cela pouvait arriver n\u2019importe quand, mais surtout dans les moments les plus ordinaires, ces moments tellement ordinaires que l\u2019on souhaiterait s\u2019enfoncer dans l\u2019ordinaire comme sous terre et \u00e0 jamais afin de ne plus se souvenir, justement. Il y avait une telle dichotomie entre la vie r\u00eav\u00e9e que j\u2019avais v\u00e9cue et la vie ordinaire que j\u2019en \u00e9tais secou\u00e9 de naus\u00e9es \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition. Ces petits carnets, je les ai br\u00fbl\u00e9s un jour ordinaire pour certainement devenir encore plus ordinaire, pour me fondre le plus possible dans l\u2019ordinaire. En vain. Vingt ans plus tard, me voici au m\u00eame point exactement. J\u2019ai parfois l\u2019impression que rien n\u2019a chang\u00e9 : je d\u00e9bite des phrases au kilom\u00e8tre, je m\u2019amuse toujours \u00e0 jouer les \u00e9crivains finalement. Ce genre d\u2019\u00e9crivain qui ne publie jamais rien parce qu\u2019il veut rester un \u00e9crivain. Parce que les r\u00eaves sont plus pr\u00e9cieux que la r\u00e9alit\u00e9, se dit-on. Pourtant, avec le temps, j\u2019arrive \u00e0 discerner malgr\u00e9 tout un but, si d\u00e9bile, si illusoire soit-il. Je voudrais parvenir \u00e0 \u00eatre au plus pr\u00e8s de ce que je suis vraiment, sans chichi, sans p\u00e9riphrases. N\u2019est-ce pas finalement ma meilleure fiction ? Possible, ce serait dr\u00f4le \u00e0 condition qu\u2019on n\u2019en cr\u00e8ve pas soudain de honte.<\/p>", "content_text": " Il y a maintes fa\u00e7ons de consid\u00e9rer l\u2019\u00e9criture et je voudrais, en y pensant, revenir \u00e0 la notion de cadre, de format. Car c\u2019est sans doute la premi\u00e8re difficult\u00e9 que j\u2019ai rencontr\u00e9e, avant m\u00eame celle du pourquoi. Au d\u00e9but, j\u2019avais cette id\u00e9e d\u2019\u00e9crire des romans, des nouvelles parce que j\u2019avais \u00e9t\u00e9 s\u00e9duit par des \u00e9crivains comme Henry Miller, Hemingway, Dos Passos, Fitzgerald, beaucoup d\u2019auteurs am\u00e9ricains notamment. Je crois que le personnage d\u2019\u00e9crivain \u2014 am\u00e9ricain de surcro\u00eet \u2014 m\u2019attirait plus parfois que leurs \u0153uvres. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019en tant que jeune homme je cherchais probablement \u00e0 m\u2019extraire de la d\u00e9pendance d\u2019une image paternelle qui ne me convenait pas. J\u2019en cherchais d\u2019autres qui m\u2019apparaissaient plus reluisantes. \u00c9crire \u00e9tait donc une sorte de cheminement \u00e0 emprunter pour les rejoindre et je crois que ce qui m\u2019int\u00e9ressait surtout c\u2019\u00e9tait que cela soit difficile. Il fallait que ce le soit pour obtenir ce que j\u2019imaginais \u00eatre cette rencontre du p\u00e8re et du fils. J\u2019avais lu tellement de conneries sur l\u2019h\u00e9ro\u00efsme et les h\u00e9ros, sur ce mod\u00e8le que je ne pouvais qu\u2019entrer dans ce moule sans m\u00eame m\u2019en rendre compte. J\u2019ai \u00e9crit tout un tas de choses, toutes plus saugrenues les unes que les autres, avec une candeur, une maladresse qui s\u2019associait en filigrane \u00e0 la d\u00e9ception que m\u2019infligeaient depuis toujours mes mauvaises notes en fran\u00e7ais. C\u2019est-\u00e0-dire une r\u00e9volte dont je n\u2019avais pas mesur\u00e9 l\u2019ampleur lorsqu\u2019elle s\u2019\u00e9tait produite. Une blessure narcissique, si on veut. Pourquoi ai-je \u00e9t\u00e9 tellement bless\u00e9 par mes r\u00e9sultats scolaires dans cette mati\u00e8re ? Parce que, tr\u00e8s t\u00f4t, la lecture \u00e9tait pour moi une v\u00e9ritable passion. Je d\u00e9vorais tout ce qui passait \u00e0 ma port\u00e9e d\u2019une fa\u00e7on anarchique et gloutonne. Le but alors \u00e9tait de m\u2019\u00e9vader et pas grand-chose d\u2019autre. Je m\u2019\u00e9vadais dans les contes et l\u00e9gendes puis plus tard dans la Com\u00e9die humaine ou Les Rougon-Macquart sans vraiment me soucier de l\u2019\u00e9criture en elle-m\u00eame. Ce qui m\u2019int\u00e9ressait c\u2019\u00e9tait de m\u2019identifier \u00e0 tel ou tel personnage, de vivre par procuration le plus de possibilit\u00e9s d\u2019une vie \u00e0 venir. L\u2019avenir m\u2019effrayait toujours au plus haut point car je ne parvenais jamais \u00e0 me d\u00e9cider pour tel ou tel but. Cette difficult\u00e9 \u00e0 prendre une d\u00e9cision sur ce que je voulais devenir \u00ab plus tard \u00bb s\u2019accroissait lorsque je me trouvais confront\u00e9 \u00e0 des camarades dont le destin semblait tout trac\u00e9. Certains allaient devenir m\u00e9decin, notaire, professeur, agriculteur, ils n\u2019avaient pas de doute sur leur avenir, ce qui augmentait mon malaise d\u2019autant plus que j\u2019en \u00e9tais cribl\u00e9. Cette difficult\u00e9 d\u2019\u00e9crire des nouvelles, des romans, est li\u00e9e, je crois, aux m\u00eames doutes quant aux objectifs qu\u2019il faut poser n\u00e9cessairement avant de pouvoir les atteindre. Je me cognais la t\u00eate contre les murs en me traitant de tous les noms car j\u2019\u00e9tais incapable de me projeter, comme j\u2019\u00e9tais incapable de projeter le moindre personnage vers un destin, vers un avenir. Quel que soit le canevas que je pouvais dessiner, il me semblait faux. Il me semblait \u00eatre dot\u00e9 d\u2019un discernement effrayant, une sorte de lucidit\u00e9 exacerb\u00e9e qui me faisait ramasser t\u00f4t ou tard mon paquet de feuilles noircies et le jeter \u00e0 la corbeille. C\u2019\u00e9tait ontologique : inscrit dans l\u2019\u00eatre, la vie ne se d\u00e9roulait pas ainsi de fa\u00e7on lin\u00e9aire et m\u00eame si l\u2019on cr\u00e9ait des p\u00e9rip\u00e9ties, des rebondissements sur le chemin que suivrait tout protagoniste vers son but, il y avait bien plus de chances que tout cela ne se transforme en clich\u00e9 qu\u2019en une histoire qui tienne v\u00e9ritablement debout, je veux dire aussi d\u00e9routante, surprenante, aussi d\u00e9routante et surprenante que la vie elle-m\u00eame. C\u2019est ainsi que j\u2019ai commenc\u00e9 d\u2019\u00e9crire sur des petits carnets en raison du format que leur taille me proposait. En g\u00e9n\u00e9ral, une page par jour sur laquelle se m\u00ealaient r\u00e9flexions et chroniques et des embryons de r\u00e9cits. \u00c7a me donnait l\u2019impression d\u2019avancer tout en n\u2019\u00e9tant pas totalement dupe. La v\u00e9rit\u00e9 est que j\u2019avais une trouille bleue de me jeter dans le v\u00e9ritable travail que repr\u00e9sente l\u2019\u00e9criture. D\u2019abord en raison de mes r\u00e9sultats scolaires m\u00e9diocres, mais aussi par une sorte de modestie qui me renvoyait perp\u00e9tuellement \u00e0 mon ignorance en contrepoint de mon orgueil. Car il faut tout de m\u00eame un orgueil, une vanit\u00e9, une pr\u00e9tention consid\u00e9rables pour s\u2019imaginer \u00e9crire un roman jusqu\u2019au bout \u00e0 vingt ans. Qu\u2019avais-je donc \u00e0 dire qui n\u2019avait jamais \u00e9t\u00e9 dit ? Et quand bien m\u00eame aurais-je eu une id\u00e9e mille fois exploit\u00e9e, qu\u2019est-ce qui aurait pu me faire penser que je pouvais alors la pr\u00e9senter autrement, et bien s\u00fbr mieux qu\u2019elle ne l\u2019avait jamais \u00e9t\u00e9 ? Confus\u00e9ment, je sentais bien que la notion d\u2019originalit\u00e9 \u00e9tait \u00e0 la fois un aiguillon et une entrave. Et pourtant j\u2019ai persist\u00e9, je voulais aller jusqu\u2019au bout pour d\u00e9poser tout ce que j\u2019avais de baroque sur le papier. Maintenant que j\u2019y pense, c\u2019\u00e9tait bien plus pour m\u2019en d\u00e9barrasser que pour r\u00e9ellement \u00e9crire un roman. Car on imagine malgr\u00e9 tout, quoiqu\u2019on en pense, et si rebelle soit-on, une norme \u00e0 rejoindre. La norme des grands \u00e9crivains, par exemple, est de bousiller leur vie, de boire comme des trous, de subir des s\u00e9parations irr\u00e9m\u00e9diables, puis enfin, au bout d\u2019un calvaire qu\u2019ils devront traverser avec pers\u00e9v\u00e9rance, en serrant ce qu\u2019il leur restera de dents, publier enfin leur premier bouquin. La difficult\u00e9 d\u2019\u00e9crire, je crois qu\u2019elle commence par une prise de conscience de notre imagination en mati\u00e8re d\u2019\u00e9criture. La difficult\u00e9 d\u2019\u00e9crire demande de comprendre que ce n\u2019est pas seulement une ambiance dans laquelle le personnage d\u2019\u00e9crivain que l\u2019on s\u2019invente se meut. J\u2019ai pos\u00e9 mon stylo vers la quarantaine. J\u2019\u00e9tais \u00e9reint\u00e9 par mes r\u00eaves et n\u2019avais plus qu\u2019une envie, apr\u00e8s avoir explor\u00e9 tout l\u2019enfermement : c\u2019\u00e9tait de vivre une vie normale. C\u2019est sans doute l\u00e0 o\u00f9 le roman devrait commencer, sur ce que l\u2019on imagine \u00eatre une vie normale. C\u2019est aussi l\u00e0, je crois, que l\u2019on comprend que l\u2019on n\u2019a pas besoin d\u2019\u00e9crire pour \u00eatre \u00e9crivain. On est \u00e9crivain de toute fa\u00e7on \u00e0 partir du moment o\u00f9 on observe tout ce qui se passe \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de soi et en soi. J\u2019ai tout rang\u00e9 dans des cartons que j\u2019ai trimball\u00e9s comme des boulets dans de multiples d\u00e9m\u00e9nagements. De temps \u00e0 autre, je me complaisais \u00e0 me souvenir que j\u2019avais essay\u00e9 d\u2019\u00e9crire, cette nostalgie me faisait du bien dans les moments difficiles. Je me souvenais que j\u2019avais \u00e9t\u00e9 \u00e9crivain comme je me souvenais d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 photographe au temps de l\u2019argentique, que j\u2019avais voyag\u00e9 et explor\u00e9 des pays en guerre avec mon vieux Leica. Cela pouvait arriver n\u2019importe quand, mais surtout dans les moments les plus ordinaires, ces moments tellement ordinaires que l\u2019on souhaiterait s\u2019enfoncer dans l\u2019ordinaire comme sous terre et \u00e0 jamais afin de ne plus se souvenir, justement. Il y avait une telle dichotomie entre la vie r\u00eav\u00e9e que j\u2019avais v\u00e9cue et la vie ordinaire que j\u2019en \u00e9tais secou\u00e9 de naus\u00e9es \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition. Ces petits carnets, je les ai br\u00fbl\u00e9s un jour ordinaire pour certainement devenir encore plus ordinaire, pour me fondre le plus possible dans l\u2019ordinaire. En vain. Vingt ans plus tard, me voici au m\u00eame point exactement. J\u2019ai parfois l\u2019impression que rien n\u2019a chang\u00e9 : je d\u00e9bite des phrases au kilom\u00e8tre, je m\u2019amuse toujours \u00e0 jouer les \u00e9crivains finalement. Ce genre d\u2019\u00e9crivain qui ne publie jamais rien parce qu\u2019il veut rester un \u00e9crivain. Parce que les r\u00eaves sont plus pr\u00e9cieux que la r\u00e9alit\u00e9, se dit-on. Pourtant, avec le temps, j\u2019arrive \u00e0 discerner malgr\u00e9 tout un but, si d\u00e9bile, si illusoire soit-il. Je voudrais parvenir \u00e0 \u00eatre au plus pr\u00e8s de ce que je suis vraiment, sans chichi, sans p\u00e9riphrases. N\u2019est-ce pas finalement ma meilleure fiction ? 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\u00c0 cheval sur un boulet de canon, le baron de M\u00fcnchhausen fend les airs en agrippant son couvre-chef. C\u2019est cette image qui me revient tout \u00e0 coup en lisant un commentaire sur un r\u00e9seau social \u00e0 propos des buts et intentions en peinture. C\u2019est-\u00e0-dire que sans but, sans intention, le peintre qui ne se fierait qu\u2019au hasard se retrouverait, je cite, « gros Jean comme devant ». Et que, pour donner ensuite un titre \u00e0 son \u0153uvre, il devrait se creuser les m\u00e9ninges apr\u00e8s coup d\u2019une fa\u00e7on path\u00e9tique. Un joli coup d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau, selon les avis comp\u00e9tents en la mati\u00e8re. J\u2019ai aussi cru \u00e0 cela. Je veux dire \u00e0 cette histoire de pr\u00e9m\u00e9ditation, de but, d\u2019intention en peinture. Et c\u2019est bien normal d\u2019y croire, n\u2019est-ce pas, quand on vous l\u2019ass\u00e8ne depuis les bancs de l\u2019\u00e9cole. Il ferait beau que l\u2019on se mette \u00e0 peindre pour rien, et pourquoi pas avec un bandeau sur les yeux pendant que nous y sommes ? Oui, d\u2019accord, je veux bien \u00e9couter tous les arguments en faveur de l\u2019esquisse, de l\u2019\u00e9bauche, du but et du labeur pour atteindre \u00e0 cette r\u00e9compense, mais tout de m\u00eame, beaucoup se cassent la figure en route ; doit-on alors \u00e9tablir encore la m\u00eame sempiternelle hi\u00e9rarchie entre ceux qui, dou\u00e9s d\u2019habilet\u00e9, y parviennent tandis que les autres \u00e9chouent ? Ne serait-ce que cela, la peinture ? Une sorte de marathon avec des m\u00e9dailles \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e ? Dans une grande partie, oui, d\u2019apr\u00e8s mes derni\u00e8res observations. C\u2019est pourquoi il existe des salons, et des prix sans oublier les accessits. C\u2019est sans doute aussi pour perp\u00e9trer une id\u00e9e d\u2019excellence qui flattera la vanit\u00e9 de certains tandis qu\u2019elle excitera la jalousie des autres, ou leur admiration. Autant dire que tout tourne en rond autour de l\u2019\u00e9go, comme toujours. Il faut des ma\u00eetres comme il faut des cancres. Entre les deux, l\u2019immense cohorte de ceux qui voudraient bien mais ne peuvent point. Ce qui m\u2019am\u00e8ne tout droit \u00e0 la raison de cet article : la d\u00e9ception en peinture. En ce qui me concerne, la d\u00e9ception aura \u00e9t\u00e9 pour moi l\u2019une de mes plus fascinantes ma\u00eetresses. Elle m\u2019a rabattu le caquet tant de fois que je n\u2019ai pas assez de doigts aux mains et aux pieds pour les compter. Ce n\u2019est pas que je sois masochiste, non, mais j\u2019ai \u00e9t\u00e9 jeune longtemps et du caquet je n\u2019en ai pas manqu\u00e9, \u00e0 un point tel qu\u2019il devait finir par m\u2019encombrer. Sans la d\u00e9ception, je crois que je continuerais encore \u00e0 p\u00e9rorer de fa\u00e7on fatigante tout en m\u2019exer\u00e7ant comme un artiste de cirque \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter en vue d\u2019un spectacle, d\u2019une performance. Heureusement que l\u2019entropie n\u2019est pas faite pour les cochons. L\u2019entropie et la d\u00e9ception m\u2019auront rendu poli, \u00e0 la fin. Tous mes espoirs se seront \u00e9rod\u00e9s par la force des choses, car bien s\u00fbr ils \u00e9taient vains. Ils \u00e9taient vains d\u00e8s l\u2019origine, d\u00e8s que j\u2019ai suivi tous les « on dit » sur l\u2019art et la peinture en particulier. Mais comment faire autrement ? On croit qu\u2019il suffit d\u2019avoir une id\u00e9e et ensuite de prendre un pinceau pour la concr\u00e9tiser, et puis on s\u2019engage dans le travail avec une foi que l\u2019on ne remet pas en question jusqu\u2019au premier accident qui nous r\u00e9veille. Ainsi toutes ces heures \u00e0 dessiner du mod\u00e8le vivant, \u00e0 extirper des corps depuis le blanc du papier ou l\u2019ocre du kraft en vue d\u2019une belle peinture de nu qui satisfera cette ambition d\u2019excellence, puis qui nous laissera, au bout du compte, un je-ne-sais-quoi de bizarre \u00e0 l\u2019\u00e2me. Le tableau est l\u00e0, magnifique comme il se doit, les lignes sont parfaites, la composition \u00e9quilibr\u00e9e, les couleurs et les valeurs se r\u00e9pondent comme au concert, et pourtant quelque chose manque et on ne parvient pas \u00e0 poser le doigt dessus. On se perd alors en supputations, on se questionne, on doute. Finalement, on d\u00e9couvre que l\u2019\u0153uvre n\u2019est pas originale, qu\u2019elle n\u2019ajoute rien \u00e0 la multitude existante de tous les nus d\u00e9j\u00e0 vus ; bref, on se retrouve face \u00e0 quelque chose de l\u2019ordre du banal, du clich\u00e9, m\u00eame si c\u2019est tr\u00e8s bien ex\u00e9cut\u00e9. Et le choc est d\u2019autant plus brutal que c\u2019est tr\u00e8s bien ex\u00e9cut\u00e9. Comment r\u00e9agir alors \u00e0 cette d\u00e9ception sinon d\u2019une fa\u00e7on banale \u00e9galement ? C\u2019est-\u00e0-dire par la tristesse, la col\u00e8re, l\u2019an\u00e9antissement. Parfois on s\u2019en prend m\u00eame au tableau en le d\u00e9chirant et en le flanquant \u00e0 la poubelle. Pour la plupart des spectateurs hypoth\u00e9tiques, c\u2019est incompr\u00e9hensible. C\u2019est porter l\u2019exigence \u00e0 un point trop \u00e9lev\u00e9, exag\u00e9r\u00e9, c\u2019est extr\u00eamement orgueilleux. Comment quelqu\u2019un dou\u00e9 d\u2019un tel talent dans l\u2019art de la repr\u00e9sentation peut-il s\u2019\u00e9garer \u00e0 ce point, vouloir encore, et en plus p\u00e9ter plus haut que son cul ? C\u2019est que le public, sauf mon respect, n\u2019y conna\u00eet pas grand-chose en peinture, \u00e0 de tr\u00e8s rares exceptions rencontr\u00e9es. Le public est vite \u00e9bloui et content\u00e9, d\u2019une fa\u00e7on superficielle. Il n\u2019est touch\u00e9 que par une surface proche de celle des miroirs et sur laquelle, tant qu\u2019il se reconna\u00eet, tout va. Tant qu\u2019il reconna\u00eet aussi le clich\u00e9 que repr\u00e9sente l\u2019art tel qu\u2019on lui a pr\u00e9sent\u00e9 depuis belle lurette. Un artiste qui ne se soucierait que de l\u2019avis du public pour s\u2019orienter dans son travail ne se concentrerait que sur son besoin de reconnaissance, mais pas sur ce qui le motive en profondeur, je veux dire trouver et am\u00e9liorer sa propre expression. Et en cela un artiste qui « r\u00e9ussirait » devrait donc se m\u00e9fier encore plus de ce que l\u2019on appelle commun\u00e9ment la r\u00e9ussite, sous peine de n\u2019avoir plus qu\u2019\u00e0 se r\u00e9p\u00e9ter inlassablement pour entretenir celle-ci. Ce qui d\u2019ailleurs, au bout du compte, est un faux calcul : la r\u00e9p\u00e9tition lasse t\u00f4t ou tard, car les go\u00fbts du public fluctuent comme les modes, avec les modes. Ce dont il est question ici, c\u2019est d\u2019un art d\u2019encaisser les d\u00e9ceptions d\u2019o\u00f9 qu\u2019elles viennent, de l\u2019\u00e9chec comme de la r\u00e9ussite. Ce dont il est question, c\u2019est d\u2019envisager la d\u00e9ception comme un moteur dont l\u2019\u00e9nergie ne co\u00fbte qu\u2019un peu de sinc\u00e9rit\u00e9 envers soi-m\u00eame. \u00catre \u00e0 l\u2019\u00e9coute de nos d\u00e9ceptions pour comprendre la vanit\u00e9 de nos esp\u00e9rances. Et ainsi faire le tri entre le bon grain et l\u2019ivraie. J\u2019\u00e9voquais hier ou avant-hier l\u2019importance de l\u2019envie ; celle de la sinc\u00e9rit\u00e9 est tout aussi importante. Encore qu\u2019il faille prendre ce mot avec des pincettes d\u00e9sormais car il est utilis\u00e9 \u00e0 toutes les sauces. \u00catre sinc\u00e8re, authentique, est devenu un slogan. Ce n\u2019est \u00e9videmment pas d\u2019une sinc\u00e9rit\u00e9 qui se brandit, se fanfaronne, dont je veux parler. C\u2019est cette petite voix au fond de chacun de nous qui nous murmure \u00e0 chaque fois « oui » ou « non » et que nous perdons, tant le fatras du jugement, des pr\u00e9tentions de toutes sortes, fait du bruit. Ce oui ou ce non ne sont pas de l\u2019ordre du jugement ; ils t\u00e9moignent plus d\u2019une distance \u00e0 laquelle je me trouve par rapport \u00e0 la note juste. Ce oui ou ce non ne s\u2019appuient pas non plus sur l\u2019espoir de parvenir \u00e0 quoi que ce soit, et lorsque je les \u00e9coute je dois sauter par-dessus toutes les d\u00e9ceptions faciles, les d\u00e9ceptions premi\u00e8res que m\u2019offre sans rel\u00e2che mon jugement. Car le jugement, pour avoir tant de fois tent\u00e9 de m\u2019en d\u00e9barrasser, ne s\u2019\u00e9vanouit jamais totalement. Il faut apprendre \u00e0 faire avec. Il faut apprendre \u00e0 faire avec la d\u00e9ception, mais aussi avec tous les espoirs qui proviennent de cette m\u00eame et unique source. Sans brutalit\u00e9, comme on s\u2019adresse \u00e0 des enfants tout en les \u00e9coutant attentivement. Et l\u00e0, on parvient \u00e0 \u00e9couter ce oui et ce non comme une musique pos\u00e9e sur le silence et dont on peut saisir chaque note et tout l\u2019ensemble en m\u00eame temps. Cette d\u00e9ception quant \u00e0 l\u2019intention et aux mille buts en peinture m\u2019a entra\u00een\u00e9 vers le hasard, dans le sens o\u00f9 ce dernier ne propose aucune id\u00e9e d\u2019avance, mais propose d\u2019apprendre \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer tout entier dans l\u2019instant de peindre. Cette d\u00e9ception m\u2019a appris combien la pens\u00e9e peut \u00eatre difficile \u00e0 d\u00e9passer, comme les jugements, mais que la libert\u00e9 pouvait se situer au-del\u00e0 de toutes ces difficult\u00e9s. Encore un mot dont il faut aussi se m\u00e9fier que ce terme de libert\u00e9. Ce n\u2019est pas tant d\u2019une libert\u00e9 personnelle qu\u2019il faut parler que de ne pas opposer d\u2019entrave au flux de la peinture qui se d\u00e9pose sur la toile. C\u2019est juste de cette libert\u00e9 de la peinture, mal comprise si elle ne repr\u00e9sente qu\u2019elle-m\u00eame, dont je voulais parler. Ce n\u2019est pas une libert\u00e9 qui a pour vocation d\u2019\u00e9lever le peintre, de le faire l\u00e9viter. Tout au contraire, c\u2019est une libert\u00e9 qui l\u2019aide \u00e0 dispara\u00eetre en tant que singleton. Et en disparaissant en tant que simple point dans l\u2019univers, il finit par s\u2019y confondre tout entier, et c\u2019est de cette totalit\u00e9 que la peinture peut jaillir libre et s\u2019exprimer.<\/p>", "content_text": " \u00c0 cheval sur un boulet de canon, le baron de M\u00fcnchhausen fend les airs en agrippant son couvre-chef. C\u2019est cette image qui me revient tout \u00e0 coup en lisant un commentaire sur un r\u00e9seau social \u00e0 propos des buts et intentions en peinture. C\u2019est-\u00e0-dire que sans but, sans intention, le peintre qui ne se fierait qu\u2019au hasard se retrouverait, je cite, \u00ab gros Jean comme devant \u00bb. Et que, pour donner ensuite un titre \u00e0 son \u0153uvre, il devrait se creuser les m\u00e9ninges apr\u00e8s coup d\u2019une fa\u00e7on path\u00e9tique. Un joli coup d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau, selon les avis comp\u00e9tents en la mati\u00e8re. J\u2019ai aussi cru \u00e0 cela. Je veux dire \u00e0 cette histoire de pr\u00e9m\u00e9ditation, de but, d\u2019intention en peinture. Et c\u2019est bien normal d\u2019y croire, n\u2019est-ce pas, quand on vous l\u2019ass\u00e8ne depuis les bancs de l\u2019\u00e9cole. Il ferait beau que l\u2019on se mette \u00e0 peindre pour rien, et pourquoi pas avec un bandeau sur les yeux pendant que nous y sommes ? Oui, d\u2019accord, je veux bien \u00e9couter tous les arguments en faveur de l\u2019esquisse, de l\u2019\u00e9bauche, du but et du labeur pour atteindre \u00e0 cette r\u00e9compense, mais tout de m\u00eame, beaucoup se cassent la figure en route ; doit-on alors \u00e9tablir encore la m\u00eame sempiternelle hi\u00e9rarchie entre ceux qui, dou\u00e9s d\u2019habilet\u00e9, y parviennent tandis que les autres \u00e9chouent ? Ne serait-ce que cela, la peinture ? Une sorte de marathon avec des m\u00e9dailles \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e ? Dans une grande partie, oui, d\u2019apr\u00e8s mes derni\u00e8res observations. C\u2019est pourquoi il existe des salons, et des prix sans oublier les accessits. C\u2019est sans doute aussi pour perp\u00e9trer une id\u00e9e d\u2019excellence qui flattera la vanit\u00e9 de certains tandis qu\u2019elle excitera la jalousie des autres, ou leur admiration. Autant dire que tout tourne en rond autour de l\u2019\u00e9go, comme toujours. Il faut des ma\u00eetres comme il faut des cancres. Entre les deux, l\u2019immense cohorte de ceux qui voudraient bien mais ne peuvent point. Ce qui m\u2019am\u00e8ne tout droit \u00e0 la raison de cet article : la d\u00e9ception en peinture. En ce qui me concerne, la d\u00e9ception aura \u00e9t\u00e9 pour moi l\u2019une de mes plus fascinantes ma\u00eetresses. Elle m\u2019a rabattu le caquet tant de fois que je n\u2019ai pas assez de doigts aux mains et aux pieds pour les compter. Ce n\u2019est pas que je sois masochiste, non, mais j\u2019ai \u00e9t\u00e9 jeune longtemps et du caquet je n\u2019en ai pas manqu\u00e9, \u00e0 un point tel qu\u2019il devait finir par m\u2019encombrer. Sans la d\u00e9ception, je crois que je continuerais encore \u00e0 p\u00e9rorer de fa\u00e7on fatigante tout en m\u2019exer\u00e7ant comme un artiste de cirque \u00e0 r\u00e9p\u00e9ter en vue d\u2019un spectacle, d\u2019une performance. Heureusement que l\u2019entropie n\u2019est pas faite pour les cochons. L\u2019entropie et la d\u00e9ception m\u2019auront rendu poli, \u00e0 la fin. Tous mes espoirs se seront \u00e9rod\u00e9s par la force des choses, car bien s\u00fbr ils \u00e9taient vains. Ils \u00e9taient vains d\u00e8s l\u2019origine, d\u00e8s que j\u2019ai suivi tous les \u00ab on dit \u00bb sur l\u2019art et la peinture en particulier. Mais comment faire autrement ? On croit qu\u2019il suffit d\u2019avoir une id\u00e9e et ensuite de prendre un pinceau pour la concr\u00e9tiser, et puis on s\u2019engage dans le travail avec une foi que l\u2019on ne remet pas en question jusqu\u2019au premier accident qui nous r\u00e9veille. Ainsi toutes ces heures \u00e0 dessiner du mod\u00e8le vivant, \u00e0 extirper des corps depuis le blanc du papier ou l\u2019ocre du kraft en vue d\u2019une belle peinture de nu qui satisfera cette ambition d\u2019excellence, puis qui nous laissera, au bout du compte, un je-ne-sais-quoi de bizarre \u00e0 l\u2019\u00e2me. Le tableau est l\u00e0, magnifique comme il se doit, les lignes sont parfaites, la composition \u00e9quilibr\u00e9e, les couleurs et les valeurs se r\u00e9pondent comme au concert, et pourtant quelque chose manque et on ne parvient pas \u00e0 poser le doigt dessus. On se perd alors en supputations, on se questionne, on doute. Finalement, on d\u00e9couvre que l\u2019\u0153uvre n\u2019est pas originale, qu\u2019elle n\u2019ajoute rien \u00e0 la multitude existante de tous les nus d\u00e9j\u00e0 vus ; bref, on se retrouve face \u00e0 quelque chose de l\u2019ordre du banal, du clich\u00e9, m\u00eame si c\u2019est tr\u00e8s bien ex\u00e9cut\u00e9. Et le choc est d\u2019autant plus brutal que c\u2019est tr\u00e8s bien ex\u00e9cut\u00e9. Comment r\u00e9agir alors \u00e0 cette d\u00e9ception sinon d\u2019une fa\u00e7on banale \u00e9galement ? C\u2019est-\u00e0-dire par la tristesse, la col\u00e8re, l\u2019an\u00e9antissement. Parfois on s\u2019en prend m\u00eame au tableau en le d\u00e9chirant et en le flanquant \u00e0 la poubelle. Pour la plupart des spectateurs hypoth\u00e9tiques, c\u2019est incompr\u00e9hensible. C\u2019est porter l\u2019exigence \u00e0 un point trop \u00e9lev\u00e9, exag\u00e9r\u00e9, c\u2019est extr\u00eamement orgueilleux. Comment quelqu\u2019un dou\u00e9 d\u2019un tel talent dans l\u2019art de la repr\u00e9sentation peut-il s\u2019\u00e9garer \u00e0 ce point, vouloir encore, et en plus p\u00e9ter plus haut que son cul ? C\u2019est que le public, sauf mon respect, n\u2019y conna\u00eet pas grand-chose en peinture, \u00e0 de tr\u00e8s rares exceptions rencontr\u00e9es. Le public est vite \u00e9bloui et content\u00e9, d\u2019une fa\u00e7on superficielle. Il n\u2019est touch\u00e9 que par une surface proche de celle des miroirs et sur laquelle, tant qu\u2019il se reconna\u00eet, tout va. Tant qu\u2019il reconna\u00eet aussi le clich\u00e9 que repr\u00e9sente l\u2019art tel qu\u2019on lui a pr\u00e9sent\u00e9 depuis belle lurette. Un artiste qui ne se soucierait que de l\u2019avis du public pour s\u2019orienter dans son travail ne se concentrerait que sur son besoin de reconnaissance, mais pas sur ce qui le motive en profondeur, je veux dire trouver et am\u00e9liorer sa propre expression. Et en cela un artiste qui \u00ab r\u00e9ussirait \u00bb devrait donc se m\u00e9fier encore plus de ce que l\u2019on appelle commun\u00e9ment la r\u00e9ussite, sous peine de n\u2019avoir plus qu\u2019\u00e0 se r\u00e9p\u00e9ter inlassablement pour entretenir celle-ci. Ce qui d\u2019ailleurs, au bout du compte, est un faux calcul : la r\u00e9p\u00e9tition lasse t\u00f4t ou tard, car les go\u00fbts du public fluctuent comme les modes, avec les modes. Ce dont il est question ici, c\u2019est d\u2019un art d\u2019encaisser les d\u00e9ceptions d\u2019o\u00f9 qu\u2019elles viennent, de l\u2019\u00e9chec comme de la r\u00e9ussite. Ce dont il est question, c\u2019est d\u2019envisager la d\u00e9ception comme un moteur dont l\u2019\u00e9nergie ne co\u00fbte qu\u2019un peu de sinc\u00e9rit\u00e9 envers soi-m\u00eame. \u00catre \u00e0 l\u2019\u00e9coute de nos d\u00e9ceptions pour comprendre la vanit\u00e9 de nos esp\u00e9rances. Et ainsi faire le tri entre le bon grain et l\u2019ivraie. J\u2019\u00e9voquais hier ou avant-hier l\u2019importance de l\u2019envie ; celle de la sinc\u00e9rit\u00e9 est tout aussi importante. Encore qu\u2019il faille prendre ce mot avec des pincettes d\u00e9sormais car il est utilis\u00e9 \u00e0 toutes les sauces. \u00catre sinc\u00e8re, authentique, est devenu un slogan. Ce n\u2019est \u00e9videmment pas d\u2019une sinc\u00e9rit\u00e9 qui se brandit, se fanfaronne, dont je veux parler. C\u2019est cette petite voix au fond de chacun de nous qui nous murmure \u00e0 chaque fois \u00ab oui \u00bb ou \u00ab non \u00bb et que nous perdons, tant le fatras du jugement, des pr\u00e9tentions de toutes sortes, fait du bruit. Ce oui ou ce non ne sont pas de l\u2019ordre du jugement ; ils t\u00e9moignent plus d\u2019une distance \u00e0 laquelle je me trouve par rapport \u00e0 la note juste. Ce oui ou ce non ne s\u2019appuient pas non plus sur l\u2019espoir de parvenir \u00e0 quoi que ce soit, et lorsque je les \u00e9coute je dois sauter par-dessus toutes les d\u00e9ceptions faciles, les d\u00e9ceptions premi\u00e8res que m\u2019offre sans rel\u00e2che mon jugement. Car le jugement, pour avoir tant de fois tent\u00e9 de m\u2019en d\u00e9barrasser, ne s\u2019\u00e9vanouit jamais totalement. Il faut apprendre \u00e0 faire avec. Il faut apprendre \u00e0 faire avec la d\u00e9ception, mais aussi avec tous les espoirs qui proviennent de cette m\u00eame et unique source. Sans brutalit\u00e9, comme on s\u2019adresse \u00e0 des enfants tout en les \u00e9coutant attentivement. Et l\u00e0, on parvient \u00e0 \u00e9couter ce oui et ce non comme une musique pos\u00e9e sur le silence et dont on peut saisir chaque note et tout l\u2019ensemble en m\u00eame temps. Cette d\u00e9ception quant \u00e0 l\u2019intention et aux mille buts en peinture m\u2019a entra\u00een\u00e9 vers le hasard, dans le sens o\u00f9 ce dernier ne propose aucune id\u00e9e d\u2019avance, mais propose d\u2019apprendre \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer tout entier dans l\u2019instant de peindre. Cette d\u00e9ception m\u2019a appris combien la pens\u00e9e peut \u00eatre difficile \u00e0 d\u00e9passer, comme les jugements, mais que la libert\u00e9 pouvait se situer au-del\u00e0 de toutes ces difficult\u00e9s. Encore un mot dont il faut aussi se m\u00e9fier que ce terme de libert\u00e9. Ce n\u2019est pas tant d\u2019une libert\u00e9 personnelle qu\u2019il faut parler que de ne pas opposer d\u2019entrave au flux de la peinture qui se d\u00e9pose sur la toile. C\u2019est juste de cette libert\u00e9 de la peinture, mal comprise si elle ne repr\u00e9sente qu\u2019elle-m\u00eame, dont je voulais parler. Ce n\u2019est pas une libert\u00e9 qui a pour vocation d\u2019\u00e9lever le peintre, de le faire l\u00e9viter. Tout au contraire, c\u2019est une libert\u00e9 qui l\u2019aide \u00e0 dispara\u00eetre en tant que singleton. Et en disparaissant en tant que simple point dans l\u2019univers, il finit par s\u2019y confondre tout entier, et c\u2019est de cette totalit\u00e9 que la peinture peut jaillir libre et s\u2019exprimer. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3374.jpg?1763738150", "tags": ["peinture"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-ambiance.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-ambiance.html", "title": "L'ambiance", "date_published": "2021-10-18T06:46:13Z", "date_modified": "2025-11-21T15:12:10Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Lorsqu\u2019elle sut qu\u2019il allait venir dans la soir\u00e9e, l\u2019\u00e9motion la submergea. Elle d\u00e9cida alors de se faire du th\u00e9 pour r\u00e9sister \u00e0 ce qu\u2019elle consid\u00e9rait comme un m\u00e9lange de panique et de d\u00e9sagr\u00e9gation. Puis elle s\u2019assit sur le bord du canap\u00e9, recroquevill\u00e9e sur elle-m\u00eame, en avalant par petites gorg\u00e9es prudentes le breuvage br\u00fblant. C\u2019\u00e9tait la fin d\u2019une agr\u00e9able journ\u00e9e d\u2019automne. Par la baie vitr\u00e9e, elle apercevait la rang\u00e9e de tro\u00e8nes qui barrait la vue de la grande terrasse aux habitants des tours voisines. De temps \u00e0 autre, un chat traversait l\u2019espace et l\u2019ensemble conf\u00e9rait \u00e0 l\u2019instant une qui\u00e9tude qui contrastait avec ce qu\u2019elle \u00e9prouvait depuis qu\u2019elle avait appris la nouvelle. Elle imaginait d\u00e9j\u00e0 le bruit de l\u2019ascenseur qui s\u2019arr\u00eaterait \u00e0 l\u2019\u00e9tage, son pas dans le couloir, sa silhouette derri\u00e8re la lourde porte blind\u00e9e, puis enfin le son de la sonnette qui retentirait. Elle se souvint de cette histoire de trompette qui pouvait d\u00e9truire les murailles d\u2019une ville fortifi\u00e9e. Quelque chose de biblique, se dit-elle, qui faisait surgir tout en m\u00eame temps un peu de culpabilit\u00e9, une sorte de crainte m\u00e9taphysique, et bien s\u00fbr du d\u00e9sir. \u00c0 quarante ans pass\u00e9s, elle avait la sensation \u00e9tourdissante que leur rencontre lui avait attribu\u00e9 une nouvelle peau, un nouveau corps, et r\u00e9veill\u00e9 aussi un antagonisme ancien entre le d\u00e9sir et les sentiments. Son petit c\u00f4t\u00e9 fleur bleue en prenait un coup. Lorsqu\u2019elle parvint \u00e0 ce point de sa r\u00e9flexion, elle reposa la tasse sur le plateau de la table basse et se leva d\u2019un bond. Il faut que tout soit parfait, se dit-elle. Elle passa l\u2019aspirateur dans tout l\u2019appartement, puis s\u2019attaqua \u00e0 la poussi\u00e8re, et enfin aux vitres. Et elle se f\u00e9licita \u00e0 la fin car l\u2019ensemble de ces t\u00e2ches, gr\u00e2ce \u00e0 un peu de jugeotte et d\u2019organisation, ne lui prit que tr\u00e8s peu de temps par rapport \u00e0 ce que son inertie chronique, envol\u00e9e d\u00e9sormais, occasionnait autrefois. Autrefois, c\u2019\u00e9tait il y a \u00e0 peine quelques semaines, se souvint-elle non sans \u00e9prouver un l\u00e9ger vertige. Lorsque le jour commen\u00e7a \u00e0 tomber, elle tapota encore tous les coussins du salon, puis s\u2019assura que le couvre-lit dans la chambre ne faisait aucun pli. Enfin, elle ouvrit un tiroir et sortit un paquet de bougies qu\u2019elle arrangea consciencieusement sur chaque bougeoir, d\u00e9pla\u00e7ant ces derniers de quelques centim\u00e8tres, plusieurs fois de suite, tout en prenant du recul de temps \u00e0 autre pour regarder l\u2019ensemble. Tout \u00e9tait comme elle l\u2019avait imagin\u00e9 quelques instants plus t\u00f4t, comme elle n\u2019avait jamais cess\u00e9 de l\u2019imaginer tant de fois. Enfin pour compl\u00e9ter le tout, elle aspergea de parfum quelques ampoules cach\u00e9es derri\u00e8re leurs chapeaux et alluma les lampes pour cr\u00e9er l\u2019ambiance qu\u2019elle avait toujours souhait\u00e9e. Elle aurait pu battre des mains comme une petite fille mais, \u00e0 ce moment-l\u00e0, elle surprit le bruit de l\u2019ascenseur dans l\u2019immeuble et la panique l\u2019envahit de nouveau. D\u00e9j\u00e0, se dit-elle ? Elle se rendit \u00e0 la cuisine et poussa un oh en constatant qu\u2019elle n\u2019avait rien pr\u00e9par\u00e9 pour le repas. Elle se mit alors \u00e0 rire au beau milieu de la pi\u00e8ce\u2026 Dire que j\u2019allais oublier le principal\u2026 mais au lieu de faire la tambouille, elle se rendit dans la chambre, chercha dans le dressing quelques instants puis s\u2019empara de cette magnifique robe rouge au d\u00e9collet\u00e9 plongeant qu\u2019elle avait achet\u00e9e pour une occasion comme celle-ci quelques jours auparavant. S\u2019il m\u2019aime, se dit-elle, il se nourrira de moi et voil\u00e0 tout. \u00c0 20 heures tapantes, la sonnette retentit, elle se releva mollement du canap\u00e9 pour aller ouvrir la porte, l\u2019homme qui se tenait l\u00e0 avait tout \u00e0 coup l\u2019air d\u2019un \u00e9tranger. Elle bredouilla une excuse en disant qu\u2019elle ne se sentait pas bien et qu\u2019elle ne pouvait pas l\u2019accueillir, qu\u2019elle en \u00e9tait d\u00e9sol\u00e9e. Enfin, une fois la porte referm\u00e9e, les pas s\u2019\u00e9loign\u00e8rent, le bruit de l\u2019ascenseur reprit sa course vers le rez-de-chauss\u00e9e, elle souffla. Elle souffla sur chacune des bougies. Une odeur de cendres envahit l\u2019appartement tout entier, elle se traita copieusement de tous les noms, puis, fatigu\u00e9e, elle alla se coucher.<\/p>\n

illustration<\/strong> huile sur toile, pb 2021<\/p>", "content_text": " Lorsqu\u2019elle sut qu\u2019il allait venir dans la soir\u00e9e, l\u2019\u00e9motion la submergea. Elle d\u00e9cida alors de se faire du th\u00e9 pour r\u00e9sister \u00e0 ce qu\u2019elle consid\u00e9rait comme un m\u00e9lange de panique et de d\u00e9sagr\u00e9gation. Puis elle s\u2019assit sur le bord du canap\u00e9, recroquevill\u00e9e sur elle-m\u00eame, en avalant par petites gorg\u00e9es prudentes le breuvage br\u00fblant. C\u2019\u00e9tait la fin d\u2019une agr\u00e9able journ\u00e9e d\u2019automne. Par la baie vitr\u00e9e, elle apercevait la rang\u00e9e de tro\u00e8nes qui barrait la vue de la grande terrasse aux habitants des tours voisines. De temps \u00e0 autre, un chat traversait l\u2019espace et l\u2019ensemble conf\u00e9rait \u00e0 l\u2019instant une qui\u00e9tude qui contrastait avec ce qu\u2019elle \u00e9prouvait depuis qu\u2019elle avait appris la nouvelle. Elle imaginait d\u00e9j\u00e0 le bruit de l\u2019ascenseur qui s\u2019arr\u00eaterait \u00e0 l\u2019\u00e9tage, son pas dans le couloir, sa silhouette derri\u00e8re la lourde porte blind\u00e9e, puis enfin le son de la sonnette qui retentirait. Elle se souvint de cette histoire de trompette qui pouvait d\u00e9truire les murailles d\u2019une ville fortifi\u00e9e. Quelque chose de biblique, se dit-elle, qui faisait surgir tout en m\u00eame temps un peu de culpabilit\u00e9, une sorte de crainte m\u00e9taphysique, et bien s\u00fbr du d\u00e9sir. \u00c0 quarante ans pass\u00e9s, elle avait la sensation \u00e9tourdissante que leur rencontre lui avait attribu\u00e9 une nouvelle peau, un nouveau corps, et r\u00e9veill\u00e9 aussi un antagonisme ancien entre le d\u00e9sir et les sentiments. Son petit c\u00f4t\u00e9 fleur bleue en prenait un coup. Lorsqu\u2019elle parvint \u00e0 ce point de sa r\u00e9flexion, elle reposa la tasse sur le plateau de la table basse et se leva d\u2019un bond. Il faut que tout soit parfait, se dit-elle. Elle passa l\u2019aspirateur dans tout l\u2019appartement, puis s\u2019attaqua \u00e0 la poussi\u00e8re, et enfin aux vitres. Et elle se f\u00e9licita \u00e0 la fin car l\u2019ensemble de ces t\u00e2ches, gr\u00e2ce \u00e0 un peu de jugeotte et d\u2019organisation, ne lui prit que tr\u00e8s peu de temps par rapport \u00e0 ce que son inertie chronique, envol\u00e9e d\u00e9sormais, occasionnait autrefois. Autrefois, c\u2019\u00e9tait il y a \u00e0 peine quelques semaines, se souvint-elle non sans \u00e9prouver un l\u00e9ger vertige. Lorsque le jour commen\u00e7a \u00e0 tomber, elle tapota encore tous les coussins du salon, puis s\u2019assura que le couvre-lit dans la chambre ne faisait aucun pli. Enfin, elle ouvrit un tiroir et sortit un paquet de bougies qu\u2019elle arrangea consciencieusement sur chaque bougeoir, d\u00e9pla\u00e7ant ces derniers de quelques centim\u00e8tres, plusieurs fois de suite, tout en prenant du recul de temps \u00e0 autre pour regarder l\u2019ensemble. Tout \u00e9tait comme elle l\u2019avait imagin\u00e9 quelques instants plus t\u00f4t, comme elle n\u2019avait jamais cess\u00e9 de l\u2019imaginer tant de fois. Enfin pour compl\u00e9ter le tout, elle aspergea de parfum quelques ampoules cach\u00e9es derri\u00e8re leurs chapeaux et alluma les lampes pour cr\u00e9er l\u2019ambiance qu\u2019elle avait toujours souhait\u00e9e. Elle aurait pu battre des mains comme une petite fille mais, \u00e0 ce moment-l\u00e0, elle surprit le bruit de l\u2019ascenseur dans l\u2019immeuble et la panique l\u2019envahit de nouveau. D\u00e9j\u00e0, se dit-elle ? Elle se rendit \u00e0 la cuisine et poussa un oh en constatant qu\u2019elle n\u2019avait rien pr\u00e9par\u00e9 pour le repas. Elle se mit alors \u00e0 rire au beau milieu de la pi\u00e8ce\u2026 Dire que j\u2019allais oublier le principal\u2026 mais au lieu de faire la tambouille, elle se rendit dans la chambre, chercha dans le dressing quelques instants puis s\u2019empara de cette magnifique robe rouge au d\u00e9collet\u00e9 plongeant qu\u2019elle avait achet\u00e9e pour une occasion comme celle-ci quelques jours auparavant. S\u2019il m\u2019aime, se dit-elle, il se nourrira de moi et voil\u00e0 tout. \u00c0 20 heures tapantes, la sonnette retentit, elle se releva mollement du canap\u00e9 pour aller ouvrir la porte, l\u2019homme qui se tenait l\u00e0 avait tout \u00e0 coup l\u2019air d\u2019un \u00e9tranger. Elle bredouilla une excuse en disant qu\u2019elle ne se sentait pas bien et qu\u2019elle ne pouvait pas l\u2019accueillir, qu\u2019elle en \u00e9tait d\u00e9sol\u00e9e. Enfin, une fois la porte referm\u00e9e, les pas s\u2019\u00e9loign\u00e8rent, le bruit de l\u2019ascenseur reprit sa course vers le rez-de-chauss\u00e9e, elle souffla. Elle souffla sur chacune des bougies. Une odeur de cendres envahit l\u2019appartement tout entier, elle se traita copieusement de tous les noms, puis, fatigu\u00e9e, elle alla se coucher. **illustration** huile sur toile, pb 2021 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/7ab9e2c6-2b87-4394-b3fd-2da2c894ebf2.png?1763737841", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-choix.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-choix.html", "title": "Le choix", "date_published": "2021-10-17T03:57:59Z", "date_modified": "2025-11-20T23:07:45Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Choisir, c\u2019est renoncer, comme on le sait. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il faut faire un effort consid\u00e9rable pour balbutier un oui ou un non. Aussi certains prennent le parti de dire toujours oui, d\u2019autres toujours non, comme s\u2019ils avaient choisi ou renonc\u00e9 une bonne fois pour toutes \u00e0 quelque chose. J\u2019\u00e9tais plut\u00f4t oui parce que \u00e7a m\u2019emp\u00eachait soi-disant de me prendre la t\u00eate. Ce qui est totalement erron\u00e9. Puis j\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 de me lancer dans le non pour rattraper tout ce temps perdu. Mais je n\u2019ai pas vu \u00e9norm\u00e9ment de changement. Ce n\u2019est pas lin\u00e9aire, ni stable, cela n\u2019offre pas une s\u00e9curit\u00e9. C\u2019est sans doute ce mot l\u2019entrave, la s\u00e9curit\u00e9, mais on pourrait aussi ajouter la confiance. La confiance dans la vie, la confiance en soi, la confiance tout court. Enfin j\u2019ai us\u00e9 d\u2019abracadabras parce que je ne voyais pas d\u2019issue. Dire oui ou non au petit bonheur la chance, c\u2019est quelque chose, je veux dire que ce n\u2019est pas rien comme on pourrait l\u2019imaginer. Cela d\u00e9clenche un tas de chemins qui s\u2019ouvrent sous les pieds. Ensuite on peut se dire : suis-je sur le bon, le mauvais chemin, c\u2019est une autre histoire. En choisissant le hasard, on tente de se d\u00e9barrasser progressivement du but, car c\u2019est aussi cela, choisir : aller vers un but. « Je choisis ce chemin parce que je ne sais pas o\u00f9 il m\u00e8ne » offre une chance de reconsid\u00e9rer tous les buts. Ensuite, \u00e9videmment, pour tenter de rentrer dans le rang, on peut se plaindre, s\u2019autoflageller, se dire qu\u2019on est totalement idiot ou d\u00e9bile, ou je ne sais quoi, mais tout \u00e7a n\u2019est qu\u2019une couche superficielle \u00e0 laquelle on tente encore de s\u2019accrocher pour pr\u00e9server je ne sais quelle identit\u00e9. Le malheur, le regret, le remords : voil\u00e0 ce qui nous permet de d\u00e9cider d\u2019une continuit\u00e9 de nous-m\u00eames, tout comme le bonheur, la joie. C\u2019est encore une sorte de oui ou de non d\u00e9guis\u00e9. Mais ce qu\u2019il peut y avoir en dessous de la couverture, on ne prend pas suffisamment le temps de la soulever pour le voir. Dans le fond, oui et non, c\u2019est comme ni oui ni non : c\u2019est ambigu \u00e0 souhait et \u00e7a agace une bonne partie des gens qui, eux, pour \u00eatre tranquilles, veulent un oui ou un non. Enfin, ils veulent savoir sur quel pied danser. Et une fois qu\u2019ils le savent, dansent-ils pour autant ? Comme d\u2019autres veulent savoir quel est le bon pinceau, la bonne couleur et je ne sais quoi encore avant de se lancer. S\u2019ils se lancent jamais, d\u2019ailleurs. Il faudrait reconna\u00eetre, en dessous et au-dessus du oui et du non, l\u2019immanence. Pas facile, de suite, je vous pr\u00e9viens. \u00catre tout \u00e0 la fois baleine, requin et petit poisson nageant dans l\u2019immanence. Un coup je te mange, un coup je suis mang\u00e9, et tout \u00e7a sans le plus petit espoir ni regret, en s\u2019ajustant au c\u2019est comme \u00e7a vaille que vaille. « Et votre humanit\u00e9 l\u00e0-dedans ? » me demanda-t-elle soudain. Et l\u00e0 je me suis tu, je n\u2019arrivais toujours pas \u00e0 me d\u00e9cider si je devais me relever pour marcher sur mes deux jambes ou continuer \u00e0 quatre pattes. « Vous ne regardez pas par la bonne lorgnette, ajouta-t-elle, soyez plus l\u00e9ger, bon sang, et vous verrez comme tout, finalement, baigne joyeusement dans l\u2019\u00e9ther. » J\u2019allais opiner du chef b\u00eatement mais je me suis repris. C\u2019\u00e9tait encore une de ces optimistes militantes qui allait me bourrer le mou avec une arm\u00e9e de poncifs \u00e0 la noix, alors j\u2019ai pris mes jambes \u00e0 mon cou, ce qui n\u2019est pas rien \u00e0 mon \u00e2ge et demande encore une capacit\u00e9 de souplesse appr\u00e9ciable.<\/p>", "content_text": " Choisir, c\u2019est renoncer, comme on le sait. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il faut faire un effort consid\u00e9rable pour balbutier un oui ou un non. Aussi certains prennent le parti de dire toujours oui, d\u2019autres toujours non, comme s\u2019ils avaient choisi ou renonc\u00e9 une bonne fois pour toutes \u00e0 quelque chose. J\u2019\u00e9tais plut\u00f4t oui parce que \u00e7a m\u2019emp\u00eachait soi-disant de me prendre la t\u00eate. Ce qui est totalement erron\u00e9. Puis j\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 de me lancer dans le non pour rattraper tout ce temps perdu. Mais je n\u2019ai pas vu \u00e9norm\u00e9ment de changement. Ce n\u2019est pas lin\u00e9aire, ni stable, cela n\u2019offre pas une s\u00e9curit\u00e9. C\u2019est sans doute ce mot l\u2019entrave, la s\u00e9curit\u00e9, mais on pourrait aussi ajouter la confiance. La confiance dans la vie, la confiance en soi, la confiance tout court. Enfin j\u2019ai us\u00e9 d\u2019abracadabras parce que je ne voyais pas d\u2019issue. Dire oui ou non au petit bonheur la chance, c\u2019est quelque chose, je veux dire que ce n\u2019est pas rien comme on pourrait l\u2019imaginer. Cela d\u00e9clenche un tas de chemins qui s\u2019ouvrent sous les pieds. Ensuite on peut se dire : suis-je sur le bon, le mauvais chemin, c\u2019est une autre histoire. En choisissant le hasard, on tente de se d\u00e9barrasser progressivement du but, car c\u2019est aussi cela, choisir : aller vers un but. \u00ab Je choisis ce chemin parce que je ne sais pas o\u00f9 il m\u00e8ne \u00bb offre une chance de reconsid\u00e9rer tous les buts. Ensuite, \u00e9videmment, pour tenter de rentrer dans le rang, on peut se plaindre, s\u2019autoflageller, se dire qu\u2019on est totalement idiot ou d\u00e9bile, ou je ne sais quoi, mais tout \u00e7a n\u2019est qu\u2019une couche superficielle \u00e0 laquelle on tente encore de s\u2019accrocher pour pr\u00e9server je ne sais quelle identit\u00e9. Le malheur, le regret, le remords : voil\u00e0 ce qui nous permet de d\u00e9cider d\u2019une continuit\u00e9 de nous-m\u00eames, tout comme le bonheur, la joie. C\u2019est encore une sorte de oui ou de non d\u00e9guis\u00e9. Mais ce qu\u2019il peut y avoir en dessous de la couverture, on ne prend pas suffisamment le temps de la soulever pour le voir. Dans le fond, oui et non, c\u2019est comme ni oui ni non : c\u2019est ambigu \u00e0 souhait et \u00e7a agace une bonne partie des gens qui, eux, pour \u00eatre tranquilles, veulent un oui ou un non. Enfin, ils veulent savoir sur quel pied danser. Et une fois qu\u2019ils le savent, dansent-ils pour autant ? Comme d\u2019autres veulent savoir quel est le bon pinceau, la bonne couleur et je ne sais quoi encore avant de se lancer. S\u2019ils se lancent jamais, d\u2019ailleurs. Il faudrait reconna\u00eetre, en dessous et au-dessus du oui et du non, l\u2019immanence. Pas facile, de suite, je vous pr\u00e9viens. \u00catre tout \u00e0 la fois baleine, requin et petit poisson nageant dans l\u2019immanence. Un coup je te mange, un coup je suis mang\u00e9, et tout \u00e7a sans le plus petit espoir ni regret, en s\u2019ajustant au c\u2019est comme \u00e7a vaille que vaille. \u00ab Et votre humanit\u00e9 l\u00e0-dedans ? \u00bb me demanda-t-elle soudain. Et l\u00e0 je me suis tu, je n\u2019arrivais toujours pas \u00e0 me d\u00e9cider si je devais me relever pour marcher sur mes deux jambes ou continuer \u00e0 quatre pattes. \u00ab Vous ne regardez pas par la bonne lorgnette, ajouta-t-elle, soyez plus l\u00e9ger, bon sang, et vous verrez comme tout, finalement, baigne joyeusement dans l\u2019\u00e9ther. \u00bb J\u2019allais opiner du chef b\u00eatement mais je me suis repris. C\u2019\u00e9tait encore une de ces optimistes militantes qui allait me bourrer le mou avec une arm\u00e9e de poncifs \u00e0 la noix, alors j\u2019ai pris mes jambes \u00e0 mon cou, ce qui n\u2019est pas rien \u00e0 mon \u00e2ge et demande encore une capacit\u00e9 de souplesse appr\u00e9ciable. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3358.jpg?1763680043", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/venus-aux-pieds-palmes.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/venus-aux-pieds-palmes.html", "title": "Venus aux pieds palm\u00e9s", "date_published": "2021-10-16T04:35:56Z", "date_modified": "2025-11-20T23:05:23Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Sur les portails des \u00e9glises, on rencontre r\u00e9guli\u00e8rement un personnage \u00e9tonnant sculpt\u00e9 par des anonymes. Il s\u2019agit d\u2019une femme aux pieds palm\u00e9s. On parle de patte d\u2019oie la plupart du temps et je n\u2019ai pas grand-chose \u00e0 redire \u00e0 cela. \u00c7a pourrait \u00eatre une oie ou autre chose que \u00e7a ne changerait pas grand-chose \u00e0 la vitesse \u00e0 laquelle le monde s\u2019en va tranquillement vers sa fin. Il y a peu, je suis tomb\u00e9 sur une cha\u00eene YouTube que j\u2019\u00e9coute durant mes trajets en voiture (le lien est sur le mot YouTube). Assez r\u00e9guli\u00e8rement j\u2019\u00e9prouve un engouement pour les choses a priori farfelues. Je ne saurais dire pourquoi, sinon, comme Audiard, qu\u2019il me faille une dose de connerie r\u00e9guli\u00e8re afin de d\u00e9contracter un peu ma cervelle d\u2019un exc\u00e8s d\u2019intelligence — ou plut\u00f4t de lucidit\u00e9, pour rester modeste. Donc j\u2019avale les kilom\u00e8tres ainsi, en m\u00eame temps que je me laisse porter par la voix suave de cette femme qui me narre tout un tas de contes et de l\u00e9gendes qui aiguisent mon insatiable curiosit\u00e9. Apr\u00e8s l\u2019Atlantide, la th\u00e9orie de la Terre creuse et les mille et une raisons qui provoquent r\u00e9guli\u00e8rement le d\u00e9luge, apr\u00e8s avoir parcouru la Mahabharata avec l\u2019aimable compagnie de cette voix o\u00f9 l\u2019on comprend soudain que les dieux de l\u2019Inde antique sont en fait de vils extraterrestres tout aussi mesquins que nous autres terriens, se pose la question br\u00fblante de savoir d\u2019o\u00f9 nous venons. Et la r\u00e9ponse, \u00e9videmment, serait le fruit d\u2019un traficotage g\u00e9n\u00e9tique entre une dame de l\u00e0-haut et un singe d\u2019en bas. Ce qui, du reste, est tout aussi plausible lorsqu\u2019on y r\u00e9fl\u00e9chit bien que de croire aux th\u00e9ories de Darwin. Voir plus. Car c\u2019est vrai que, d\u2019une fa\u00e7on spectaculaire, nous sommes pass\u00e9s du singe au cr\u00e9tin absolu en moins de temps qu\u2019il le faut pour le dire. Selon la th\u00e9orie, les extraterrestres \u00e9taient plut\u00f4t cossards. Et plut\u00f4t que d\u2019aller chercher de l\u2019or par eux-m\u00eames afin d\u2019ioniser leur atmosph\u00e8re — celle de la plan\u00e8te Nibiru, pour ne pas la citer, qui revient \u00e0 notre hauteur tous les 3 200 ans approximativement, d\u2019apr\u00e8s des \u00e9tudes tr\u00e8s s\u00e9rieuses —, ils ont eu cette id\u00e9e brillante, quoique banale, de faire faire le boulot par des esclaves. C\u2019est-\u00e0-dire nous autres invent\u00e9s pour l\u2019occasion. Ce qui est fort de caf\u00e9, c\u2019est que le mat\u00e9riel g\u00e9n\u00e9tique pour nous fabriquer proviendrait de leur propre reine, une sorte de V\u00e9nus aux pieds palm\u00e9s, je vous prie. Bon, au d\u00e9but, mon premier r\u00e9flexe fut de rire sous cape, \u00e9videmment. Vous savez ce que c\u2019est : on est tellement accroch\u00e9 au bon sens qu\u2019on n\u2019arrive plus \u00e0 voir du tout qu\u2019il n\u2019est qu\u2019un bateau qui vogue sur l\u2019incoh\u00e9rence globale. Mais soudain le doute na\u00eet. Est-ce que, finalement, ce ne serait pas une loufoquerie encore plus gigantesque que toutes celles que l\u2019on nous a d\u00e9j\u00e0 fait avaler qui se cacherait derri\u00e8re toutes les cosmogonies qu\u2019on nous ass\u00e8ne depuis des lustres ? Tout \u00e7a pour quoi ? Pour diviser encore le monde entre ceux qui savent et ceux qui sont ignares. Bref, pour tirer parti, \u00e9videmment, de l\u2019imb\u00e9cillit\u00e9 la mieux partag\u00e9e au monde et que l\u2019on nomme d\u00e9sormais la raison. Ce ne serait pas \u00e9tonnant. De l\u00e0 \u00e0 croire tout ce que l\u2019on nous raconte, que ce soit avec bon sens ou fiction, \u00e0 tout m\u00e9langer sans discernement, il n\u2019y a pas des kilom\u00e8tres. Surtout lorsqu\u2019on sait que la plaie la plus rapproch\u00e9e du soleil, c\u2019est cette fameuse lucidit\u00e9, ce discernement obsessionnel.<\/p>", "content_text": " Sur les portails des \u00e9glises, on rencontre r\u00e9guli\u00e8rement un personnage \u00e9tonnant sculpt\u00e9 par des anonymes. Il s\u2019agit d\u2019une femme aux pieds palm\u00e9s. On parle de patte d\u2019oie la plupart du temps et je n\u2019ai pas grand-chose \u00e0 redire \u00e0 cela. \u00c7a pourrait \u00eatre une oie ou autre chose que \u00e7a ne changerait pas grand-chose \u00e0 la vitesse \u00e0 laquelle le monde s\u2019en va tranquillement vers sa fin. Il y a peu, je suis tomb\u00e9 sur une cha\u00eene YouTube que j\u2019\u00e9coute durant mes trajets en voiture (le lien est sur le mot YouTube). Assez r\u00e9guli\u00e8rement j\u2019\u00e9prouve un engouement pour les choses a priori farfelues. Je ne saurais dire pourquoi, sinon, comme Audiard, qu\u2019il me faille une dose de connerie r\u00e9guli\u00e8re afin de d\u00e9contracter un peu ma cervelle d\u2019un exc\u00e8s d\u2019intelligence \u2014 ou plut\u00f4t de lucidit\u00e9, pour rester modeste. Donc j\u2019avale les kilom\u00e8tres ainsi, en m\u00eame temps que je me laisse porter par la voix suave de cette femme qui me narre tout un tas de contes et de l\u00e9gendes qui aiguisent mon insatiable curiosit\u00e9. Apr\u00e8s l\u2019Atlantide, la th\u00e9orie de la Terre creuse et les mille et une raisons qui provoquent r\u00e9guli\u00e8rement le d\u00e9luge, apr\u00e8s avoir parcouru la Mahabharata avec l\u2019aimable compagnie de cette voix o\u00f9 l\u2019on comprend soudain que les dieux de l\u2019Inde antique sont en fait de vils extraterrestres tout aussi mesquins que nous autres terriens, se pose la question br\u00fblante de savoir d\u2019o\u00f9 nous venons. Et la r\u00e9ponse, \u00e9videmment, serait le fruit d\u2019un traficotage g\u00e9n\u00e9tique entre une dame de l\u00e0-haut et un singe d\u2019en bas. Ce qui, du reste, est tout aussi plausible lorsqu\u2019on y r\u00e9fl\u00e9chit bien que de croire aux th\u00e9ories de Darwin. Voir plus. Car c\u2019est vrai que, d\u2019une fa\u00e7on spectaculaire, nous sommes pass\u00e9s du singe au cr\u00e9tin absolu en moins de temps qu\u2019il le faut pour le dire. Selon la th\u00e9orie, les extraterrestres \u00e9taient plut\u00f4t cossards. Et plut\u00f4t que d\u2019aller chercher de l\u2019or par eux-m\u00eames afin d\u2019ioniser leur atmosph\u00e8re \u2014 celle de la plan\u00e8te Nibiru, pour ne pas la citer, qui revient \u00e0 notre hauteur tous les 3 200 ans approximativement, d\u2019apr\u00e8s des \u00e9tudes tr\u00e8s s\u00e9rieuses \u2014, ils ont eu cette id\u00e9e brillante, quoique banale, de faire faire le boulot par des esclaves. C\u2019est-\u00e0-dire nous autres invent\u00e9s pour l\u2019occasion. Ce qui est fort de caf\u00e9, c\u2019est que le mat\u00e9riel g\u00e9n\u00e9tique pour nous fabriquer proviendrait de leur propre reine, une sorte de V\u00e9nus aux pieds palm\u00e9s, je vous prie. Bon, au d\u00e9but, mon premier r\u00e9flexe fut de rire sous cape, \u00e9videmment. Vous savez ce que c\u2019est : on est tellement accroch\u00e9 au bon sens qu\u2019on n\u2019arrive plus \u00e0 voir du tout qu\u2019il n\u2019est qu\u2019un bateau qui vogue sur l\u2019incoh\u00e9rence globale. Mais soudain le doute na\u00eet. Est-ce que, finalement, ce ne serait pas une loufoquerie encore plus gigantesque que toutes celles que l\u2019on nous a d\u00e9j\u00e0 fait avaler qui se cacherait derri\u00e8re toutes les cosmogonies qu\u2019on nous ass\u00e8ne depuis des lustres ? Tout \u00e7a pour quoi ? Pour diviser encore le monde entre ceux qui savent et ceux qui sont ignares. Bref, pour tirer parti, \u00e9videmment, de l\u2019imb\u00e9cillit\u00e9 la mieux partag\u00e9e au monde et que l\u2019on nomme d\u00e9sormais la raison. Ce ne serait pas \u00e9tonnant. De l\u00e0 \u00e0 croire tout ce que l\u2019on nous raconte, que ce soit avec bon sens ou fiction, \u00e0 tout m\u00e9langer sans discernement, il n\u2019y a pas des kilom\u00e8tres. Surtout lorsqu\u2019on sait que la plaie la plus rapproch\u00e9e du soleil, c\u2019est cette fameuse lucidit\u00e9, ce discernement obsessionnel. 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Cette femme hyst\u00e9rique plant\u00e9e devant les caisses. Des hurlements, des cris, des sanglots : panique totale. La caissi\u00e8re reprend sa respiration pour tapoter le micro et, d\u2019une voix qu\u2019elle veut assur\u00e9e : « On demande le petit Kevin \u00e0 l\u2019accueil. » Tout le monde pi\u00e9tine en r\u00e2lant. Certains en profitent pour d\u00e9baller leurs paniers, leurs caddies, en poussant l\u00e9g\u00e8rement les marchandises en amont, l\u2019air de rien, avoir un tout petit peu plus de place pour s\u2019\u00e9taler comme but. « Elle devrait se rouler par terre », dit la vieille devant moi en clignant d\u2019un \u0153il. Je ne peux retenir un fou rire. « \u00c7a fait du bien de rire, n\u2019est-ce pas, quand on voit tout ce cirque », ajoute-t-elle en extirpant un saucisson \u00e0 l\u2019ail de son panier. Je hoche la t\u00eate sans rien dire en attrapant le panneau s\u00e9parateur pour marquer mon territoire de chaland sur le tapis roulant. Des chips, du chorizo et un paquet de croquettes pour la chatte : le strict n\u00e9cessaire pour la journ\u00e9e ; remplir des caddies me d\u00e9go\u00fbte en ce moment. « Kevin, mon ch\u00e9ri ! » crie la femme. Le vigile s\u2019approche d\u2019elle et tente de l\u2019apaiser. Un noir immense, et je la vois se recroqueviller. Puis elle se reprend tout de suite et s\u2019adresse \u00e0 la caissi\u00e8re : « Vous pouvez refaire l\u2019annonce encore, s\u2019il vous pla\u00eet ? » La caissi\u00e8re l\u00e8ve la main sans la regarder pour lui dire d\u2019attendre qu\u2019elle termine avec la vieille dame devant moi. C\u2019est enfin mon tour. Je me fends d\u2019un petit signe de main \u00e0 la dame au saucisson \u00e0 l\u2019ail, qui semble tout \u00e0 fait enchant\u00e9e de sa visite au supermarch\u00e9 et qui se h\u00e2te de franchir les portes coulissantes. Une v\u00e9locit\u00e9 soudaine que je n\u2019aurais pu soup\u00e7onner. « 10,50. Vous avez la carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? » encha\u00eene la caissi\u00e8re en reposant le micro. « Non, pas de carte de fid\u00e9lit\u00e9, et \u00e7a sera par carte », j\u2019ajoute, « sans fil ». Petit bip, et re petit bip : « Retirez votre carte. » Avant de franchir les portes, je me retourne pour voir le tableau encore une derni\u00e8re fois. Le vigile a pris la femme dans ses bras ; elle chiale sur son \u00e9paule, intarissable. Puis, au bout de l\u2019all\u00e9e centrale, je reconnais la bouch\u00e8re qui s\u2019am\u00e8ne avec un gamin qu\u2019elle tient par la main. La m\u00e8re aussi a d\u00fb rep\u00e9rer l\u2019\u00e9v\u00e9nement ; elle repousse le vigile et s\u2019avance vers la cordelette qui interdit l\u2019entr\u00e9e du magasin entre les caisses. « K\u00e9vin, mon amour, viens voir maman », j\u2019ai des images saugrenues du film Titanic qui surgissent soudain. Puis la naus\u00e9e d\u2019un coup, et je m\u2019\u00e9lance vers le parking. Il fait frais, un petit vent s\u2019engouffre sous les v\u00eatements pour piquer la peau. En avan\u00e7ant vers mon v\u00e9hicule, je me demande comment j\u2019aurais pu appeler mon gamin si un jour j\u2019avais eu l\u2019id\u00e9e d\u2019en avoir un. S\u00fbrement pas Kevin, je me dis. Oh non, s\u00fbrement pas.<\/p>", "content_text": " Cette femme hyst\u00e9rique plant\u00e9e devant les caisses. Des hurlements, des cris, des sanglots : panique totale. La caissi\u00e8re reprend sa respiration pour tapoter le micro et, d\u2019une voix qu\u2019elle veut assur\u00e9e : \u00ab On demande le petit Kevin \u00e0 l\u2019accueil. \u00bb Tout le monde pi\u00e9tine en r\u00e2lant. 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Un noir immense, et je la vois se recroqueviller. Puis elle se reprend tout de suite et s\u2019adresse \u00e0 la caissi\u00e8re : \u00ab Vous pouvez refaire l\u2019annonce encore, s\u2019il vous pla\u00eet ? \u00bb La caissi\u00e8re l\u00e8ve la main sans la regarder pour lui dire d\u2019attendre qu\u2019elle termine avec la vieille dame devant moi. C\u2019est enfin mon tour. Je me fends d\u2019un petit signe de main \u00e0 la dame au saucisson \u00e0 l\u2019ail, qui semble tout \u00e0 fait enchant\u00e9e de sa visite au supermarch\u00e9 et qui se h\u00e2te de franchir les portes coulissantes. Une v\u00e9locit\u00e9 soudaine que je n\u2019aurais pu soup\u00e7onner. \u00ab 10,50. Vous avez la carte de fid\u00e9lit\u00e9 ? \u00bb encha\u00eene la caissi\u00e8re en reposant le micro. \u00ab Non, pas de carte de fid\u00e9lit\u00e9, et \u00e7a sera par carte \u00bb, j\u2019ajoute, \u00ab sans fil \u00bb. Petit bip, et re petit bip : \u00ab Retirez votre carte. \u00bb Avant de franchir les portes, je me retourne pour voir le tableau encore une derni\u00e8re fois. Le vigile a pris la femme dans ses bras ; elle chiale sur son \u00e9paule, intarissable. Puis, au bout de l\u2019all\u00e9e centrale, je reconnais la bouch\u00e8re qui s\u2019am\u00e8ne avec un gamin qu\u2019elle tient par la main. La m\u00e8re aussi a d\u00fb rep\u00e9rer l\u2019\u00e9v\u00e9nement ; elle repousse le vigile et s\u2019avance vers la cordelette qui interdit l\u2019entr\u00e9e du magasin entre les caisses. \u00ab K\u00e9vin, mon amour, viens voir maman \u00bb, j\u2019ai des images saugrenues du film Titanic qui surgissent soudain. Puis la naus\u00e9e d\u2019un coup, et je m\u2019\u00e9lance vers le parking. Il fait frais, un petit vent s\u2019engouffre sous les v\u00eatements pour piquer la peau. 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Selon le philosophe Aristote, le bonheur serait un horizon vers lequel nous pourrions nous diriger par l\u2019habitude d\u2019utiliser la raison dans tous nos faits et gestes. Le bonheur serait d\u2019installer l\u2019excellence comme habitude. Mais peut-\u00eatre que ce terme d\u2019excellence n\u2019a pas la m\u00eame d\u00e9finition pour Aristote que pour nous, modernes. Lorsqu\u2019on pense \u00e0 ce terme, on l\u2019associe souvent \u00e0 un but, alors qu\u2019il n\u2019\u00e9tait probablement, dans le discours du philosophe, qu\u2019un vecteur, une direction \u00e0 suivre vers cet horizon qu\u2019il nomme le bonheur. Si je transpose cette id\u00e9e dans la peinture, l\u2019excellence ne peut \u00eatre s\u00e9rieusement consid\u00e9r\u00e9e par l\u2019entremise du chef-d\u2019\u0153uvre. Ce n\u2019est pas la r\u00e9alisation de chefs-d\u2019\u0153uvre qui me rendra heureux, mais plut\u00f4t la dynamique, l\u2019habitude de peindre tout en r\u00e9fl\u00e9chissant \u00e0 ce que peut \u00eatre la peinture comme chemin. C\u2019est surtout, d\u2019ailleurs, en d\u00e9couvrant progressivement ce qu\u2019elle n\u2019est pas que je puis me d\u00e9tacher du superflu, des entraves et des obstacles que poserait une vision superficielle de celle-ci. Parmi le superflu, le superficiel, je consid\u00e8re l\u2019argent, la gloire, et un exc\u00e8s d\u2019attachement \u00e0 la reconnaissance. Tout bien consid\u00e9r\u00e9, ce n\u2019est pas vendre un tableau, ni d\u00e9couvrir mon nom \u00e0 l\u2019affiche, pas plus que les louanges, qui me rendent heureux. Ces sensations sont de l\u2019ordre du plaisir et, bien qu\u2019elles me procurent parfois d\u2019agr\u00e9ables sensations, elles ne peuvent \u00eatre le mat\u00e9riau \u00e0 partir duquel trouver le bonheur de peindre. Et je crois que l\u2019honn\u00eatet\u00e9, la sinc\u00e9rit\u00e9 doivent \u00eatre recherch\u00e9es constamment lorsque le plaisir se pr\u00e9sente ainsi, afin de le prendre simplement pour ce qu\u2019il est, c\u2019est-\u00e0-dire ne pas s\u2019en contenter comme d\u2019un but qui enfin serait atteint. Il existe \u00e9galement un \u00e9garement dans lequel je suis tomb\u00e9 bien des fois durant ma carri\u00e8re de peintre : c\u2019est de trop m\u2019attacher \u00e0 l\u2019insatisfaction, comme si celle-ci \u00e9tait un moteur oblig\u00e9, incontournable, afin de pouvoir poursuivre le travail. C\u2019est-\u00e0-dire que, quel que soit le tableau r\u00e9alis\u00e9, se h\u00e2ter de s\u2019en d\u00e9faire par le « ce n\u2019est pas assez » et le « je peux faire encore mieux ». Et ainsi, en qu\u00eate de ce « mieux » qui ne sera, ontologiquement, jamais assez mieux, pouss\u00e9 par un orgueil, une vanit\u00e9, op\u00e9rer \u00e0 la fois une maltraitance envers soi comme envers la peinture, puisqu\u2019\u00e0 ce moment je ne la consid\u00e9rerais que comme un m\u00e9dium, un outil que je tenterais de soumettre dans un but vain. Sans doute l\u2019\u00e2ge joue-t-il un r\u00f4le important pour atteindre ce d\u00e9tachement. L\u2019\u00e9nergie que l\u2019on poss\u00e8de en exc\u00e8s \u00e0 l\u2019origine et que l\u2019on d\u00e9pense sans raison v\u00e9ritable \u00e0 courir apr\u00e8s les li\u00e8vres et les ch\u00e2teaux en Espagne s\u2019amenuise, et on commence \u00e0 l\u2019\u00e9conomiser. Pour ma part, il aura fallu que j\u2019attende patiemment la soixantaine pour me d\u00e9barrasser de nombreuses chim\u00e8res et p\u00e9n\u00e9trer enfin dans une vision plus claire de la peinture. Ce que repr\u00e9sente la notion d\u2019excellence n\u2019est pas un savoir-faire, mais une attitude que je m\u2019efforce de conserver constante sit\u00f4t que je me trouve confront\u00e9 \u00e0 l\u2019acte de peindre, et ce que ce soit dans la solitude de l\u2019atelier comme dans les ateliers que je dispense \u00e0 des enfants ou \u00e0 des adultes. Ce que je tente de faire passer, c\u2019est que la peinture n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019elle-m\u00eame, ce qui est loin d\u2019\u00eatre une \u00e9vidence pour le plus grand nombre tant elle est nimb\u00e9e d\u2019illusions, de poncifs, de clich\u00e9s. Plut\u00f4t que de s\u2019arr\u00eater trop longtemps sur cette id\u00e9e d\u2019excellence pollu\u00e9e par toute vell\u00e9it\u00e9 de but, y compris la volont\u00e9 de ne pas atteindre un but qui serait l\u2019ultime \u00e9tape \u00e0 franchir, sans doute faut-il se concentrer sur l\u2019habitude, l\u2019habitude de peindre. L\u2019habitude de peindre. Il y a de multiples fa\u00e7ons d\u2019aborder la notion d\u2019habitude par le biais du plaisir, du devoir, ou m\u00eame de sa caricature, l\u2019addiction. On peut parler de bonnes ou de mauvaises habitudes suivant le r\u00e9sultat occasionn\u00e9 par la mise en place de celles-ci. Il y a donc, malgr\u00e9 tout, un socle moral sur lequel la vertu aurait un r\u00f4le \u00e0 jouer. Cette vertu, pour autant, est bien plus li\u00e9e \u00e0 la raison qu\u2019\u00e0 un faisceau plus ou moins flou de croyances, de superstitions, en un mot \u00e0 la magie et \u00e0 l\u2019irrationnel qui l\u2019accompagnent. \u00catre vertueux, c\u2019est donc en grande partie \u00eatre raisonnable, agir selon la raison, et ainsi ne pas se laisser emporter par la pouss\u00e9e d\u2019irrationnel, de magie, qui accompagne souvent un certain nombre de clich\u00e9s sur le personnage du peintre. On ne tient pas la distance en s\u2019appuyant sur la magie, c\u2019est ce que je veux dire. Et encore autrement : s\u2019appuyer sur la magie, c\u2019est jouer avec le feu, et on y laisse beaucoup de souffrance pour rien. Pour rien, c\u2019est-\u00e0-dire que l\u2019on rate le but d\u2019\u00eatre tout simplement, et d\u2019\u00eatre heureux accessoirement. La magie, ce que l\u2019on appelle commun\u00e9ment l\u2019inspiration, est une fausse piste car elle fait briguer un r\u00e9sultat qui est de l\u2019ordre de l\u2019avoir et non de l\u2019\u00eatre. C\u2019est en forgeant que l\u2019on devient forgeron, dit l\u2019adage populaire, et c\u2019est en peignant que l\u2019on devient peintre. Cependant, constamment, je crois qu\u2019il faut r\u00e9examiner son pourquoi. Et tant que celui-ci est orient\u00e9 vers l\u2019obtention de quelque chose qui n\u2019est pas la connaissance de la peinture, il faut avoir le courage de s\u2019en d\u00e9tacher. L\u2019exigence du simple. La seule exigence, c\u2019est celle qui est utile \u00e0 maintenir actif en soi le cheminement vers la simplicit\u00e9. Nous sommes tellement compliqu\u00e9s la plupart du temps par paresse. Et on dit alors : c\u2019est plus fort que moi, je ne sais pas o\u00f9 je vais, parce qu\u2019on imagine toujours une multitude de possibles comme une multitude de plaisirs \u00e0 venir. En fin de compte, il y a bien plus d\u2019illusions que de r\u00e9alit\u00e9 dans cette course folle qui voudrait \u00e9lucider tous les myst\u00e8res. On appelle souvent ce qui est compliqu\u00e9 un myst\u00e8re parce que cela nous d\u00e9douane de se donner la peine d\u2019examiner la raison de notre attirance vers le compliqu\u00e9. Nous avons de nous-m\u00eames une telle id\u00e9e d\u2019importance que celle-ci, pour se dilater plus encore, s\u2019appuie sur la notion de myst\u00e8re. Gr\u00e2ce \u00e0 ce myst\u00e8re, nous pensons avoir trouv\u00e9 l\u2019embarcation qui nous poussera enfin vers l\u2019infini. Cet infini qui, \u00e9videmment, r\u00e9pondra \u00e0 toutes nos questions. C\u2019est l\u2019infini le probl\u00e8me, c\u2019est notre attirance vers celui-ci pour fuir le pr\u00e9sent le probl\u00e8me. Mais si l\u2019on se tient \u00e0 l\u2019instant, il n\u2019y a plus de probl\u00e8me. Il suffit de prendre une feuille, une toile, de la couleur, un pinceau, et de peindre dans l\u2019instant ce que nous sommes dans cet instant. N\u2019est-ce pas simple ? La paresse vient de ce que produit le confort en tant qu\u2019illusion. La complication a besoin de confort pour se reposer d\u2019elle-m\u00eame. Le simple, principe actif, n\u2019a pas besoin de se reposer : il est toujours en action jusque dans notre sommeil. Parvenir \u00e0 observer ces deux forces, le compliqu\u00e9 et le simple, comme des vecteurs qui cr\u00e9ent une dialectique, une conversation qui, au bout du compte, laisse place au silence, demande du temps. Souvent une vie. L\u2019exigence du simple est donc en grande partie li\u00e9e aussi \u00e0 l\u2019oreille, \u00e0 la justesse du silence que l\u2019on finit peu \u00e0 peu par reconna\u00eetre comme sien, comme n\u00f4tre, et dont atteste, par simple r\u00e9fection, la peinture. S\u2019\u00e9loigner du spectacle. Il faut faire un effort consid\u00e9rable afin de se lever et faire quelques pas pour s\u2019\u00e9loigner du tableau, prendre du recul pour s\u2019\u00e9loigner du spectacle. On peut le faire par fatigue, par d\u00e9go\u00fbt, par amertume ; on peut tenter de se lever et de s\u2019\u00e9loigner ainsi de nombreuses fois, et \u00e0 chaque fois le regard que l\u2019on portera sur le tableau, sur la peinture, sera teint\u00e9 par ces efforts. Mais pour voir vraiment le tableau au-del\u00e0 du spectacle, c\u2019est \u00e9videmment autre chose. C\u2019est la notion de valeur qu\u2019il faut \u00e9tudier \u00e0 la fois sur la toile et en soi-m\u00eame. Il s\u2019agit d\u2019une valeur qui n\u2019a rien \u00e0 voir avec l\u2019id\u00e9e de marchandise. Il n\u2019est pas simple de s\u2019\u00e9loigner du spectacle tant celui-ci a tout envahi, qu\u2019il est devenu une modalit\u00e9 de relation aux autres et envers soi. Mais si on revient \u00e0 ce qu\u2019est la peinture pour de vrai\u2026 ce n\u2019est rien d\u2019autre que des pigments m\u00e9lang\u00e9s avec de l\u2019eau ou d\u2019autres m\u00e9diums, et que l\u2019on d\u00e9pose sur du papier, de la toile ou des murs. Le spectacle est tout ce que l\u2019on ajoute \u00e0 cela, la plupart du temps. S\u2019\u00e9loigner du spectacle est donc, en premier lieu, une prise de conscience du spectacle, puis s\u2019orienter ensuite vers cet horizon du simple et du bonheur de peindre comme d\u2019\u00eatre. C\u2019est s\u2019orienter comme l\u2019aiguille d\u2019une boussole vers le p\u00f4le d\u2019une excellence qui n\u2019est constitu\u00e9e que par l\u2019instant et le recommencement de la peinture dans cet instant. C\u2019est d\u00e9couvrir peu \u00e0 peu une excellence de l\u2019habitude, puis une excellence comme habitude.<\/p>", "content_text": " Selon le philosophe Aristote, le bonheur serait un horizon vers lequel nous pourrions nous diriger par l\u2019habitude d\u2019utiliser la raison dans tous nos faits et gestes. Le bonheur serait d\u2019installer l\u2019excellence comme habitude. Mais peut-\u00eatre que ce terme d\u2019excellence n\u2019a pas la m\u00eame d\u00e9finition pour Aristote que pour nous, modernes. Lorsqu\u2019on pense \u00e0 ce terme, on l\u2019associe souvent \u00e0 un but, alors qu\u2019il n\u2019\u00e9tait probablement, dans le discours du philosophe, qu\u2019un vecteur, une direction \u00e0 suivre vers cet horizon qu\u2019il nomme le bonheur. Si je transpose cette id\u00e9e dans la peinture, l\u2019excellence ne peut \u00eatre s\u00e9rieusement consid\u00e9r\u00e9e par l\u2019entremise du chef-d\u2019\u0153uvre. Ce n\u2019est pas la r\u00e9alisation de chefs-d\u2019\u0153uvre qui me rendra heureux, mais plut\u00f4t la dynamique, l\u2019habitude de peindre tout en r\u00e9fl\u00e9chissant \u00e0 ce que peut \u00eatre la peinture comme chemin. C\u2019est surtout, d\u2019ailleurs, en d\u00e9couvrant progressivement ce qu\u2019elle n\u2019est pas que je puis me d\u00e9tacher du superflu, des entraves et des obstacles que poserait une vision superficielle de celle-ci. Parmi le superflu, le superficiel, je consid\u00e8re l\u2019argent, la gloire, et un exc\u00e8s d\u2019attachement \u00e0 la reconnaissance. Tout bien consid\u00e9r\u00e9, ce n\u2019est pas vendre un tableau, ni d\u00e9couvrir mon nom \u00e0 l\u2019affiche, pas plus que les louanges, qui me rendent heureux. Ces sensations sont de l\u2019ordre du plaisir et, bien qu\u2019elles me procurent parfois d\u2019agr\u00e9ables sensations, elles ne peuvent \u00eatre le mat\u00e9riau \u00e0 partir duquel trouver le bonheur de peindre. Et je crois que l\u2019honn\u00eatet\u00e9, la sinc\u00e9rit\u00e9 doivent \u00eatre recherch\u00e9es constamment lorsque le plaisir se pr\u00e9sente ainsi, afin de le prendre simplement pour ce qu\u2019il est, c\u2019est-\u00e0-dire ne pas s\u2019en contenter comme d\u2019un but qui enfin serait atteint. Il existe \u00e9galement un \u00e9garement dans lequel je suis tomb\u00e9 bien des fois durant ma carri\u00e8re de peintre : c\u2019est de trop m\u2019attacher \u00e0 l\u2019insatisfaction, comme si celle-ci \u00e9tait un moteur oblig\u00e9, incontournable, afin de pouvoir poursuivre le travail. C\u2019est-\u00e0-dire que, quel que soit le tableau r\u00e9alis\u00e9, se h\u00e2ter de s\u2019en d\u00e9faire par le \u00ab ce n\u2019est pas assez \u00bb et le \u00ab je peux faire encore mieux \u00bb. Et ainsi, en qu\u00eate de ce \u00ab mieux \u00bb qui ne sera, ontologiquement, jamais assez mieux, pouss\u00e9 par un orgueil, une vanit\u00e9, op\u00e9rer \u00e0 la fois une maltraitance envers soi comme envers la peinture, puisqu\u2019\u00e0 ce moment je ne la consid\u00e9rerais que comme un m\u00e9dium, un outil que je tenterais de soumettre dans un but vain. Sans doute l\u2019\u00e2ge joue-t-il un r\u00f4le important pour atteindre ce d\u00e9tachement. L\u2019\u00e9nergie que l\u2019on poss\u00e8de en exc\u00e8s \u00e0 l\u2019origine et que l\u2019on d\u00e9pense sans raison v\u00e9ritable \u00e0 courir apr\u00e8s les li\u00e8vres et les ch\u00e2teaux en Espagne s\u2019amenuise, et on commence \u00e0 l\u2019\u00e9conomiser. Pour ma part, il aura fallu que j\u2019attende patiemment la soixantaine pour me d\u00e9barrasser de nombreuses chim\u00e8res et p\u00e9n\u00e9trer enfin dans une vision plus claire de la peinture. Ce que repr\u00e9sente la notion d\u2019excellence n\u2019est pas un savoir-faire, mais une attitude que je m\u2019efforce de conserver constante sit\u00f4t que je me trouve confront\u00e9 \u00e0 l\u2019acte de peindre, et ce que ce soit dans la solitude de l\u2019atelier comme dans les ateliers que je dispense \u00e0 des enfants ou \u00e0 des adultes. Ce que je tente de faire passer, c\u2019est que la peinture n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019elle-m\u00eame, ce qui est loin d\u2019\u00eatre une \u00e9vidence pour le plus grand nombre tant elle est nimb\u00e9e d\u2019illusions, de poncifs, de clich\u00e9s. Plut\u00f4t que de s\u2019arr\u00eater trop longtemps sur cette id\u00e9e d\u2019excellence pollu\u00e9e par toute vell\u00e9it\u00e9 de but, y compris la volont\u00e9 de ne pas atteindre un but qui serait l\u2019ultime \u00e9tape \u00e0 franchir, sans doute faut-il se concentrer sur l\u2019habitude, l\u2019habitude de peindre. L\u2019habitude de peindre. Il y a de multiples fa\u00e7ons d\u2019aborder la notion d\u2019habitude par le biais du plaisir, du devoir, ou m\u00eame de sa caricature, l\u2019addiction. On peut parler de bonnes ou de mauvaises habitudes suivant le r\u00e9sultat occasionn\u00e9 par la mise en place de celles-ci. Il y a donc, malgr\u00e9 tout, un socle moral sur lequel la vertu aurait un r\u00f4le \u00e0 jouer. Cette vertu, pour autant, est bien plus li\u00e9e \u00e0 la raison qu\u2019\u00e0 un faisceau plus ou moins flou de croyances, de superstitions, en un mot \u00e0 la magie et \u00e0 l\u2019irrationnel qui l\u2019accompagnent. \u00catre vertueux, c\u2019est donc en grande partie \u00eatre raisonnable, agir selon la raison, et ainsi ne pas se laisser emporter par la pouss\u00e9e d\u2019irrationnel, de magie, qui accompagne souvent un certain nombre de clich\u00e9s sur le personnage du peintre. On ne tient pas la distance en s\u2019appuyant sur la magie, c\u2019est ce que je veux dire. Et encore autrement : s\u2019appuyer sur la magie, c\u2019est jouer avec le feu, et on y laisse beaucoup de souffrance pour rien. Pour rien, c\u2019est-\u00e0-dire que l\u2019on rate le but d\u2019\u00eatre tout simplement, et d\u2019\u00eatre heureux accessoirement. La magie, ce que l\u2019on appelle commun\u00e9ment l\u2019inspiration, est une fausse piste car elle fait briguer un r\u00e9sultat qui est de l\u2019ordre de l\u2019avoir et non de l\u2019\u00eatre. C\u2019est en forgeant que l\u2019on devient forgeron, dit l\u2019adage populaire, et c\u2019est en peignant que l\u2019on devient peintre. Cependant, constamment, je crois qu\u2019il faut r\u00e9examiner son pourquoi. Et tant que celui-ci est orient\u00e9 vers l\u2019obtention de quelque chose qui n\u2019est pas la connaissance de la peinture, il faut avoir le courage de s\u2019en d\u00e9tacher. L\u2019exigence du simple. La seule exigence, c\u2019est celle qui est utile \u00e0 maintenir actif en soi le cheminement vers la simplicit\u00e9. Nous sommes tellement compliqu\u00e9s la plupart du temps par paresse. Et on dit alors : c\u2019est plus fort que moi, je ne sais pas o\u00f9 je vais, parce qu\u2019on imagine toujours une multitude de possibles comme une multitude de plaisirs \u00e0 venir. En fin de compte, il y a bien plus d\u2019illusions que de r\u00e9alit\u00e9 dans cette course folle qui voudrait \u00e9lucider tous les myst\u00e8res. On appelle souvent ce qui est compliqu\u00e9 un myst\u00e8re parce que cela nous d\u00e9douane de se donner la peine d\u2019examiner la raison de notre attirance vers le compliqu\u00e9. Nous avons de nous-m\u00eames une telle id\u00e9e d\u2019importance que celle-ci, pour se dilater plus encore, s\u2019appuie sur la notion de myst\u00e8re. Gr\u00e2ce \u00e0 ce myst\u00e8re, nous pensons avoir trouv\u00e9 l\u2019embarcation qui nous poussera enfin vers l\u2019infini. Cet infini qui, \u00e9videmment, r\u00e9pondra \u00e0 toutes nos questions. C\u2019est l\u2019infini le probl\u00e8me, c\u2019est notre attirance vers celui-ci pour fuir le pr\u00e9sent le probl\u00e8me. Mais si l\u2019on se tient \u00e0 l\u2019instant, il n\u2019y a plus de probl\u00e8me. Il suffit de prendre une feuille, une toile, de la couleur, un pinceau, et de peindre dans l\u2019instant ce que nous sommes dans cet instant. N\u2019est-ce pas simple ? La paresse vient de ce que produit le confort en tant qu\u2019illusion. La complication a besoin de confort pour se reposer d\u2019elle-m\u00eame. Le simple, principe actif, n\u2019a pas besoin de se reposer : il est toujours en action jusque dans notre sommeil. Parvenir \u00e0 observer ces deux forces, le compliqu\u00e9 et le simple, comme des vecteurs qui cr\u00e9ent une dialectique, une conversation qui, au bout du compte, laisse place au silence, demande du temps. Souvent une vie. L\u2019exigence du simple est donc en grande partie li\u00e9e aussi \u00e0 l\u2019oreille, \u00e0 la justesse du silence que l\u2019on finit peu \u00e0 peu par reconna\u00eetre comme sien, comme n\u00f4tre, et dont atteste, par simple r\u00e9fection, la peinture. S\u2019\u00e9loigner du spectacle. Il faut faire un effort consid\u00e9rable afin de se lever et faire quelques pas pour s\u2019\u00e9loigner du tableau, prendre du recul pour s\u2019\u00e9loigner du spectacle. On peut le faire par fatigue, par d\u00e9go\u00fbt, par amertume ; on peut tenter de se lever et de s\u2019\u00e9loigner ainsi de nombreuses fois, et \u00e0 chaque fois le regard que l\u2019on portera sur le tableau, sur la peinture, sera teint\u00e9 par ces efforts. Mais pour voir vraiment le tableau au-del\u00e0 du spectacle, c\u2019est \u00e9videmment autre chose. C\u2019est la notion de valeur qu\u2019il faut \u00e9tudier \u00e0 la fois sur la toile et en soi-m\u00eame. Il s\u2019agit d\u2019une valeur qui n\u2019a rien \u00e0 voir avec l\u2019id\u00e9e de marchandise. Il n\u2019est pas simple de s\u2019\u00e9loigner du spectacle tant celui-ci a tout envahi, qu\u2019il est devenu une modalit\u00e9 de relation aux autres et envers soi. Mais si on revient \u00e0 ce qu\u2019est la peinture pour de vrai\u2026 ce n\u2019est rien d\u2019autre que des pigments m\u00e9lang\u00e9s avec de l\u2019eau ou d\u2019autres m\u00e9diums, et que l\u2019on d\u00e9pose sur du papier, de la toile ou des murs. Le spectacle est tout ce que l\u2019on ajoute \u00e0 cela, la plupart du temps. S\u2019\u00e9loigner du spectacle est donc, en premier lieu, une prise de conscience du spectacle, puis s\u2019orienter ensuite vers cet horizon du simple et du bonheur de peindre comme d\u2019\u00eatre. C\u2019est s\u2019orienter comme l\u2019aiguille d\u2019une boussole vers le p\u00f4le d\u2019une excellence qui n\u2019est constitu\u00e9e que par l\u2019instant et le recommencement de la peinture dans cet instant. C\u2019est d\u00e9couvrir peu \u00e0 peu une excellence de l\u2019habitude, puis une excellence comme habitude. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3344.jpg?1763679625", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/equilibre.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/equilibre.html", "title": "Equilibre", "date_published": "2021-10-14T04:17:52Z", "date_modified": "2025-11-20T22:58:06Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Dans la peinture, la notion d\u2019\u00e9quilibre est importante, mais de quoi parle-t-on vraiment lorsqu\u2019on imagine l\u2019\u00e9quilibre ? Souvent on se r\u00e9f\u00e8re au symbole de la balance, \u00e0 une id\u00e9e d\u2019\u00e9galit\u00e9 entre les deux plateaux de celle-ci. Cet \u00e9quilibre-l\u00e0 est li\u00e9 \u00e0 une sym\u00e9trie : autant de poids de part et d\u2019autre. Il s\u2019agit d\u2019une sorte de compensation. C\u2019est sans doute une cr\u00e9ation purement humaine, car dans la nature je ne vois pas que les choses s\u2019organisent ainsi. L\u2019\u00e9change ne semble pas juste, pas plus qu\u2019\u00e9quitable au sens o\u00f9 nous l\u2019entendons g\u00e9n\u00e9ralement. Je crois que j\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 agac\u00e9 par cette notion de comparaison, d\u2019\u00e9change, d\u2019\u00e9quilibre qui, dans le fond, n\u2019existe nulle part ailleurs que dans notre vision humaine. Car rien n\u2019est v\u00e9ritablement \u00e9gal, et tout l\u2019est en m\u00eame temps. C\u2019est sur ce paradoxe que l\u2019on finit par tomber lorsqu\u2019on se penche sur le probl\u00e8me de l\u2019\u00e9quilibre. Je veux dire qu\u2019une m\u00e9tamorphose incessante ne cesse d\u2019\u00eatre \u00e0 l\u2019\u0153uvre, rebattant sans rel\u00e2che tous les concepts, les pr\u00e9jug\u00e9s et les th\u00e9ories que l\u2019on peut fonder sur cette notion d\u2019\u00e9quilibre. La vie comme la nature, comme un artiste digne de ce nom, ne cessent jamais d\u2019inventer de nouvelles notions d\u2019\u00e9quilibre. Sans doute parce que cette dynamique est un moteur universel. Parce que s\u2019il s\u2019agissait de r\u00e9p\u00e9ter de simples formules, des recettes, tout finirait par s\u2019appauvrir, par mourir. Au cours de notre histoire, la notion de l\u2019\u00e9quilibre n\u2019a jamais cess\u00e9 de changer et, si on peut observer les \u0153uvres r\u00e9alis\u00e9es depuis que l\u2019homme existe, on voit que les pr\u00e9occupations concernant cette notion ne sont pas bas\u00e9es sur les m\u00eames crit\u00e8res. Parfois j\u2019ai l\u2019impression que certains artistes ont m\u00eame utilis\u00e9 ce qu\u2019on nomme le d\u00e9s\u00e9quilibre aujourd\u2019hui pour parvenir \u00e0 leurs fins. Ce qui signifie que cet \u00e9quilibre qu\u2019ils recherchaient n\u2019\u00e9tait pas fond\u00e9 sur une notion d\u2019\u00e9galit\u00e9. Au contraire, ils recherchaient plus une hi\u00e9rarchie d\u2019importance tout en questionnant l\u2019importance en tant que concept. Cette importance n\u2019est pas la m\u00eame lorsqu\u2019il s\u2019agit des choses quotidiennes et des choses sacr\u00e9es, lorsqu\u2019ils veulent \u00e9voquer le profane ou le sacr\u00e9. Dans cette division entre profane et sacr\u00e9, l\u2019\u00e9quilibre, l\u2019importance ne sont plus au m\u00eame niveau que ce que nous, contemporains, pouvons penser de ces deux termes. Sans doute parce que la notion de sacr\u00e9 n\u2019est plus au centre de nos pr\u00e9occupations modernes. Cependant, en rel\u00e9guant celle-ci sur la marge, c\u2019est toute la question du sens, de l\u2019orientation, de la composition et, bien s\u00fbr, de l\u2019\u00e9quilibre qu\u2019il faut alors reb\u00e2tir. Je fais sans doute partie de ces peintres qui tournent en rond autour de cette question de l\u2019\u00e9quilibre. Cela d\u00e9borde le cadre d\u2019un tableau. Depuis que la mort de Dieu nous est parvenue \u00e0 l\u2019oreille, l\u2019art s\u2019en ressent. La notion de sens et d\u2019\u00e9quilibre \u00e9galement. Mais rien ne se perd vraiment non plus : comme on le sait, tout se transforme. Ce que l\u2019on appelait Dieu, ou le sacr\u00e9, est toujours pr\u00e9sent, bien plus qu\u2019on l\u2019imagine, dans nos vies. Simplement, ce sont les mots qui changent sans que l\u2019on fasse attention \u00e0 ce que ces changements entra\u00eenent comme conception du sens sur notre monde. Ainsi le silence, ainsi le vide sont-ils devenus ambigus tant que l\u2019on ne les associe pas \u00e0 cette notion ancienne de sacr\u00e9. Sans le sacr\u00e9, le silence est hostile, tout comme le vide est affreux. Encore faut-il s\u2019entendre sur ce que l\u2019on conna\u00eet vraiment du sacr\u00e9. Peut-\u00eatre faut-il le d\u00e9poussi\u00e9rer, le d\u00e9barrasser de son aura de bondieuseries, en revenir \u00e0 l\u2019\u00eatre tout simplement, qu\u2019on ne voit plus tant l\u2019avoir est une gangue t\u00eatue.<\/p>", "content_text": " Dans la peinture, la notion d\u2019\u00e9quilibre est importante, mais de quoi parle-t-on vraiment lorsqu\u2019on imagine l\u2019\u00e9quilibre ? 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Je veux dire qu\u2019une m\u00e9tamorphose incessante ne cesse d\u2019\u00eatre \u00e0 l\u2019\u0153uvre, rebattant sans rel\u00e2che tous les concepts, les pr\u00e9jug\u00e9s et les th\u00e9ories que l\u2019on peut fonder sur cette notion d\u2019\u00e9quilibre. La vie comme la nature, comme un artiste digne de ce nom, ne cessent jamais d\u2019inventer de nouvelles notions d\u2019\u00e9quilibre. Sans doute parce que cette dynamique est un moteur universel. Parce que s\u2019il s\u2019agissait de r\u00e9p\u00e9ter de simples formules, des recettes, tout finirait par s\u2019appauvrir, par mourir. Au cours de notre histoire, la notion de l\u2019\u00e9quilibre n\u2019a jamais cess\u00e9 de changer et, si on peut observer les \u0153uvres r\u00e9alis\u00e9es depuis que l\u2019homme existe, on voit que les pr\u00e9occupations concernant cette notion ne sont pas bas\u00e9es sur les m\u00eames crit\u00e8res. 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Cependant, en rel\u00e9guant celle-ci sur la marge, c\u2019est toute la question du sens, de l\u2019orientation, de la composition et, bien s\u00fbr, de l\u2019\u00e9quilibre qu\u2019il faut alors reb\u00e2tir. Je fais sans doute partie de ces peintres qui tournent en rond autour de cette question de l\u2019\u00e9quilibre. Cela d\u00e9borde le cadre d\u2019un tableau. Depuis que la mort de Dieu nous est parvenue \u00e0 l\u2019oreille, l\u2019art s\u2019en ressent. La notion de sens et d\u2019\u00e9quilibre \u00e9galement. Mais rien ne se perd vraiment non plus : comme on le sait, tout se transforme. Ce que l\u2019on appelait Dieu, ou le sacr\u00e9, est toujours pr\u00e9sent, bien plus qu\u2019on l\u2019imagine, dans nos vies. Simplement, ce sont les mots qui changent sans que l\u2019on fasse attention \u00e0 ce que ces changements entra\u00eenent comme conception du sens sur notre monde. Ainsi le silence, ainsi le vide sont-ils devenus ambigus tant que l\u2019on ne les associe pas \u00e0 cette notion ancienne de sacr\u00e9. Sans le sacr\u00e9, le silence est hostile, tout comme le vide est affreux. Encore faut-il s\u2019entendre sur ce que l\u2019on conna\u00eet vraiment du sacr\u00e9. Peut-\u00eatre faut-il le d\u00e9poussi\u00e9rer, le d\u00e9barrasser de son aura de bondieuseries, en revenir \u00e0 l\u2019\u00eatre tout simplement, qu\u2019on ne voit plus tant l\u2019avoir est une gangue t\u00eatue. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/3.jpg?1763679474", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-joie-ou-la-serenite.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-joie-ou-la-serenite.html", "title": "La joie ou la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 ?", "date_published": "2021-10-13T05:06:49Z", "date_modified": "2025-11-20T22:55:26Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

C\u2019est un peu comme cette histoire de lampe magique. On buterait dessus par inadvertance, on ramasserait l\u2019objet en le frottant pour le nettoyer et paf ! un g\u00e9nie s\u2019\u00e9tirerait soudain au-dessus de notre t\u00eate et il soupirerait en l\u00e2chant la formule : tu as le droit \u00e0 deux v\u0153ux seulement cette fois-ci parce que je suis fatigu\u00e9 d\u2019\u00eatre un g\u00e9nie. Mieux encore, je te demande de choisir entre la joie ou la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 ! Entre ces deux choses seulement, \u00e0 toi de jouer et, s\u2019il te pla\u00eet, d\u00e9p\u00eache-toi ! \u00c9videmment, vu sous cet angle de l\u2019urgence, on se demanderait, on tenterait de peser le pour et le contre, on ne sait gu\u00e8re faire autre chose que \u00e7a. J\u2019imagine une vie joyeuse, c\u2019est-\u00e0-dire une vie o\u00f9 n\u2019importe quoi pourrait arriver sans entamer le moins du monde la joie. Imm\u00e9diatement, j\u2019ai une image de roue qui tourne \u00e0 vide, pour rien, quelque chose de fonci\u00e8rement autonome, ind\u00e9pendant de tout, sans aucune intersection avec quoi que ce soit d\u2019autre que la joie. Ramenant tout \u00e0 la joie. De prime abord, cela pourrait para\u00eetre s\u00e9duisant tant qu\u2019on n\u2019aper\u00e7oit pas l\u2019entonnoir pos\u00e9 sur sa propre t\u00eate. Puis j\u2019imagine une vie de s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 totale. Quoi qu\u2019il puisse advenir de bon ou de mauvais, je reste zen, en parfaite \u00e9quanimit\u00e9 de sentiment, de sensation, observant seulement tout cela passer comme des nuages dans le ciel. Quel ennui ! Je dis quel ennui parce que, dans le fond, je ne comprends rien ni \u00e0 la joie ni \u00e0 la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9, je crois. Ce sont des mots, des concepts qui viennent de l\u2019ext\u00e9rieur. Il se peut qu\u2019\u00e0 certains moments de ma vie j\u2019aie \u00e9prouv\u00e9 un sentiment proche de ce que l\u2019on appelle la joie ou la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9. Ils ne durent jamais tr\u00e8s longtemps et je crois que cette bri\u00e8vet\u00e9 en fait, pour moi, toute leur importance, toute leur valeur. Ne vivre que dans la joie ou la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9, et m\u00eame dans les deux m\u00eal\u00e9s toute la sainte journ\u00e9e, me flanquerait le bourdon. J\u2019aurais l\u2019impression d\u2019une solitude encore bien plus \u00e9paisse que toutes celles que je n\u2019ai jamais rencontr\u00e9es. Je me demande aussi pourquoi tant de personnes consid\u00e8rent la joie et la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 comme des buts \u00e0 atteindre puisque qu\u2019ils se caract\u00e9risent surtout par leur fugacit\u00e9. Ce qui est utile, c\u2019est d\u2019accepter la diversit\u00e9, le chatoiement de toutes ces \u00e9motions quelles qu\u2019elles soient. Les accepter comme elles viennent sans s\u2019y accrocher de trop. Les \u00e9motions, les sentiments sont comme les pens\u00e9es, finalement : ce ne sont que des \u00e9manations d\u2019un vide que l\u2019on ne comprend pas, auquel, la plupart du temps, on ne s\u2019int\u00e9resse pas parce qu\u2019on l\u2019ignore. Les rares fois o\u00f9 on ressent ce vide, c\u2019est souvent lors d\u2019un coup dur : l\u2019annonce d\u2019une maladie incurable, la mort d\u2019un proche. On s\u2019en trouve chamboul\u00e9, \u00e9branl\u00e9, et \u00e0 ces moments-l\u00e0 aucune pens\u00e9e, aucune \u00e9motion, aucun sentiment ne sont assez forts pour combler ce vide. On reste bras ballants et bouche b\u00e9e. Sonn\u00e9 totalement. Puis la vie reprend son cours, et on se remet \u00e0 rire, \u00e0 pleurer, \u00e0 fumer, \u00e0 boire, avec, de temps \u00e0 autre, un petit moment de joie que l\u2019on peut savourer, ou un moment de paix pour se reposer, et c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce qu\u2019il faut retenir de tout cela. La vie reprend toujours son cours, et on ne sait pas qui elle est, d\u2019o\u00f9 elle vient et o\u00f9 elle va. Elle est comme un fleuve qui jamais ne se tarit et qui charrie en m\u00eame temps les beaux poissons d\u2019argent et les d\u00e9chets des abattoirs. On peut avoir un avis sur la vie, \u00e7a ne veut pas dire pour autant que cet avis est juste ou faux : c\u2019est un avis, pour en dire quelque chose, rien de plus.<\/p>", "content_text": " C\u2019est un peu comme cette histoire de lampe magique. 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Il se peut qu\u2019\u00e0 certains moments de ma vie j\u2019aie \u00e9prouv\u00e9 un sentiment proche de ce que l\u2019on appelle la joie ou la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9. Ils ne durent jamais tr\u00e8s longtemps et je crois que cette bri\u00e8vet\u00e9 en fait, pour moi, toute leur importance, toute leur valeur. Ne vivre que dans la joie ou la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9, et m\u00eame dans les deux m\u00eal\u00e9s toute la sainte journ\u00e9e, me flanquerait le bourdon. J\u2019aurais l\u2019impression d\u2019une solitude encore bien plus \u00e9paisse que toutes celles que je n\u2019ai jamais rencontr\u00e9es. Je me demande aussi pourquoi tant de personnes consid\u00e8rent la joie et la s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 comme des buts \u00e0 atteindre puisque qu\u2019ils se caract\u00e9risent surtout par leur fugacit\u00e9. Ce qui est utile, c\u2019est d\u2019accepter la diversit\u00e9, le chatoiement de toutes ces \u00e9motions quelles qu\u2019elles soient. Les accepter comme elles viennent sans s\u2019y accrocher de trop. Les \u00e9motions, les sentiments sont comme les pens\u00e9es, finalement : ce ne sont que des \u00e9manations d\u2019un vide que l\u2019on ne comprend pas, auquel, la plupart du temps, on ne s\u2019int\u00e9resse pas parce qu\u2019on l\u2019ignore. Les rares fois o\u00f9 on ressent ce vide, c\u2019est souvent lors d\u2019un coup dur : l\u2019annonce d\u2019une maladie incurable, la mort d\u2019un proche. On s\u2019en trouve chamboul\u00e9, \u00e9branl\u00e9, et \u00e0 ces moments-l\u00e0 aucune pens\u00e9e, aucune \u00e9motion, aucun sentiment ne sont assez forts pour combler ce vide. On reste bras ballants et bouche b\u00e9e. Sonn\u00e9 totalement. Puis la vie reprend son cours, et on se remet \u00e0 rire, \u00e0 pleurer, \u00e0 fumer, \u00e0 boire, avec, de temps \u00e0 autre, un petit moment de joie que l\u2019on peut savourer, ou un moment de paix pour se reposer, et c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce qu\u2019il faut retenir de tout cela. La vie reprend toujours son cours, et on ne sait pas qui elle est, d\u2019o\u00f9 elle vient et o\u00f9 elle va. Elle est comme un fleuve qui jamais ne se tarit et qui charrie en m\u00eame temps les beaux poissons d\u2019argent et les d\u00e9chets des abattoirs. On peut avoir un avis sur la vie, \u00e7a ne veut pas dire pour autant que cet avis est juste ou faux : c\u2019est un avis, pour en dire quelque chose, rien de plus. 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Je crois que tout a commenc\u00e9 apr\u00e8s la mort de Flip, le chien loup que mon p\u00e8re avait rapport\u00e9 \u00e0 la maison, un soir d’hiver 1965 ou 66. Mon fr\u00e8re et moi allions r\u00e9guli\u00e8rement au fond du jardin nous agenouiller devant le tas de fumier o\u00f9 il avait \u00e9t\u00e9 enterr\u00e9. Nous inventions des pri\u00e8res bizarres la plupart du temps car je n’\u00e9tais pas encore entr\u00e9 au cat\u00e9chisme.<\/p>\n

Ensuite on regardait en l’air pour tenter d’apercevoir le chien courir dans le ciel. Il suffisait de pas grand chose alors, un cumulus ou un nimbus et tout \u00e0 coup, en plissant bien les yeux, on le voyait comme je vous vois.<\/p>\n

Il avait l’air heureux et \u00e7a nous rassurait. Parce que c’est le v\u00e9t\u00e9rinaire qui avait tu\u00e9 Flip avec une piqure le jour o\u00f9 il avait presque crev\u00e9 un \u0153il \u00e0 mon fr\u00e8re.<\/p>\n

Nous avions pleur\u00e9 comme des Madeleines, puis peu \u00e0 peu nous \u00e9tions pass\u00e9s \u00e0 autre chose. Mais on se r\u00e9servait toujours un petit quart d’heure par ci par l\u00e0 pour aller voir nos morts.<\/p>\n

Sous le tas de fumier il y avait aussi la d\u00e9pouille de Poupougne un cocker qui avait fait long feu. A peine arriv\u00e9 qu’une maladie \u00e9trange l’avait emport\u00e9. Il y avait aussi des animaux sans nom que nous ramassions dans les all\u00e9es du jardin. Des insectes, des oiseaux, et m\u00eame quelques salamandres, l\u00e9zard et musaraignes.<\/p>\n

Mon fr\u00e8re \u00e9tait beaucoup plus jeune que moi et nous avions un mal de chien \u00e0 jouer ensemble. S\u00e9rieusement, Il avait une concentration de poisson rouge si vous voyez ce que je veux dire. Au bout du compte on a finit par prendre de la distance lui et moi. A jouer chacun dans notre coin. Alors c’\u00e9tait aussi une fa\u00e7on de se r\u00e9unir une fois ou deux par semaine, on se recueillait dans tous les sens du terme.<\/p>\n

Je crois que nous pensions \u00e9norm\u00e9ment \u00e0 la mort, bien plus que ce qu’imaginent g\u00e9n\u00e9ralement les adultes lorsqu’ils consid\u00e8rent les pr\u00e9occupations des enfants.<\/p>\n

De temps en temps notre m\u00e8re se rendait au fond du jardin pour tuer un lapin et, lorsqu’elle nous apercevait agenouill\u00e9s devant le tas de fumier , elle haussait les \u00e9paules en soupirant.<\/p>\n

Puis elle m’interpellait en disant : Louis ce sont des v\u00eatements propres n’allez pas vous salir je te d\u00e9signe responsable alors gare si tout est tach\u00e9 ce soir.<\/p>\n

Et le soir assez souvent comme elle \u00e9tait fatigu\u00e9e elle s’emportait un bon coup comme pour se vider de tout un tas de choses d\u00e9sagr\u00e9ables. J’avais fini par m’habituer au rythme de cette vie l\u00e0, de toutes fa\u00e7ons je n’avais pas vraiment le choix, je ne connaissais rien d’autre. Des ann\u00e9es lumi\u00e8res plus tard Bertrand un copain me fera rentrer chez lui et je d\u00e9couvrirai que toutes les familles n’\u00e9taient pas comme la mienne.<\/p>\n

J’ai toujours tent\u00e9 de trouver des raisons, du sens \u00e0 tout, surtout lorsque de toute \u00e9vidence et pour tout le monde ce tout c’\u00e9tait l’insens\u00e9.<\/p>\n

On me traitait de beaucoup de choses dans l’enfance sans doute parce que j’avais les \u00e9paules pour le supporter. Le bon Dieu ne t’en mettra pas plus sur le dos que tu ne peux en supporter disait grand-m\u00e8re et je crois qu’elle avait raison, m\u00eame si je doute que tout cela vienne du bon Dieu \u00e9videmment.<\/p>\n

On me disait aussi que j’avais le diable dans la peau, je dis \"on\" pour ne pas prononcer le mot maman parce que \u00e7a ne va plus tellement bien ensemble dans mon id\u00e9e, une m\u00e8re qui rab\u00e2che \u00e7a \u00e0 son enfant vous voyez.<\/p>\n

J’ai pass\u00e9 des heures cach\u00e9 dans les toilettes \u00e0 cause de cette phrase. Je me disais que tout de m\u00eame le diable, s’il existait, aurait un peu de respect, qu’il me laisserait un moment de r\u00e9pit aux cabinets avant de me retomber sur le paletot sit\u00f4t que j’aurai tir\u00e9 la chasse.<\/p>\n

Et puis finalement le diable est plus probablement \u00e0 l’int\u00e9rieur de chacun de nous que n’importe o\u00f9 ailleurs.<\/p>\n

Il faut s’y faire et discuter avec lui de temps \u00e0 autre parce qu’il n’y a rien de pire que l’ignorance en toutes choses disait mon arri\u00e8re grand p\u00e8re instituteur.<\/p>\n

Sans doute est ce probablement ce que j’imaginais alors \u00eatre mon diable int\u00e9rieur qui me faisait voir des chiens courir dans le ciel, ou des chevaux. J’ai toujours r\u00eav\u00e9 d’avoir un cheval \u00e0 cette \u00e9poque de ma vie, avoir un ami v\u00e9ritable \u00e7a ne pouvait \u00eatre qu’un animal et surtout un cheval.<\/p>\n

J’en apercevait partout sur les murs, dans la boue, dans la forme des nuages mais j’ai vite renonc\u00e9 \u00e0 le dire aux autres.<\/p>\n

A part \u00e0 mon jeune fr\u00e8re qui sans doute par fraternit\u00e9 daignait me croire tout simplement.<\/p>\n

Les ann\u00e9es ont pass\u00e9 par la suite et nous n’en avons jamais plus reparl\u00e9.<\/p>\n

D’ailleurs je me sentirais probablement g\u00ean\u00e9 de lui en reparler d\u00e9sormais \u00e0 plus de 60 ans pass\u00e9s. Ca ne voudrait plus rien dire du tout. D’ailleurs on ne se parle pas beaucoup. On se voit une fois l’an et on parle de choses sans importance v\u00e9ritable, de son job, de sa maison, de ses maladies et puis c’est tout. Des conversations comme on peut en avoir avec tout le monde en fait.<\/p>\n

Ce ph\u00e9nom\u00e8ne de voir des choses lorsqu’il n’y a rien pour la plupart des gens j’ai appris avec le temps qu’il portait un nom : la pareidolie. Ne dirait t’on pas le nom d’une maladie ?<\/p>\n

G\u00e9n\u00e9ralement on l’utilise pour des sortes d’hallucinations visuelles. Mais je crois que j’ai du en abuser et m’exercer \u00e9norm\u00e9ment \u00e0 le d\u00e9velopper \u00e0 l’aide du diable et je crois aussi que le but ultime recherch\u00e9 \u00e9tait par ce biais de tomber un jour sur le bon Dieu. C’\u00e9tait bien mon genre de logique.<\/p>\n

Il y a m\u00eame une p\u00e9riode o\u00f9 \u00e7a gazait tellement, vers la cinquantaine, que j’aurais pu entrer dans les ordres, tout l\u00e2cher pour devenir moine. Je m’\u00e9tais mis \u00e0 voir des anges un peu partout et lorsque je levais les yeux pour regarder les arbres et leurs feuillages j’avais le sentiment d’\u00eatre face aux vitraux des cath\u00e9drales \u00e0 lire toutes les histoires du monde.<\/p>\n

J’aurais pu sans doute continuer \u00e0 voir toutes ces choses si \u00e0 un moment quelqu’un \u00e0 la radio ou \u00e0 la t\u00e9l\u00e9 n’avait pas parl\u00e9 de cette facult\u00e9 qui peut se transformer en maladie.<\/p>\n

A un moment j’ai eu un peu d’espoir parce certains trouvent le moyen d’utiliser \u00e0 bon escient la pareidolie. Il deviennent artistes, et leurs visions sont accept\u00e9es comme \u00e9tant des \u0153uvres d’art que les gens ensuite ach\u00e8tent.<\/p>\n

C’est vraiment \u00e9patant.<\/p>\n

C’est simplement dommage de n’avoir pu y penser plus t\u00f4t , de ne pas m’\u00eatre renseign\u00e9 et de consid\u00e9rer ce ph\u00e9nom\u00e8ne comme une tare, un d\u00e9faut, l’\u0153uvre de ce diable collectivement plac\u00e9 tout au fond de moi.<\/p>", "content_text": "Je crois que tout a commenc\u00e9 apr\u00e8s la mort de Flip, le chien loup que mon p\u00e8re avait rapport\u00e9 \u00e0 la maison, un soir d'hiver 1965 ou 66. Mon fr\u00e8re et moi allions r\u00e9guli\u00e8rement au fond du jardin nous agenouiller devant le tas de fumier o\u00f9 il avait \u00e9t\u00e9 enterr\u00e9. Nous inventions des pri\u00e8res bizarres la plupart du temps car je n'\u00e9tais pas encore entr\u00e9 au cat\u00e9chisme.\n\nEnsuite on regardait en l'air pour tenter d'apercevoir le chien courir dans le ciel. Il suffisait de pas grand chose alors, un cumulus ou un nimbus et tout \u00e0 coup, en plissant bien les yeux, on le voyait comme je vous vois. \n\nIl avait l'air heureux et \u00e7a nous rassurait. Parce que c'est le v\u00e9t\u00e9rinaire qui avait tu\u00e9 Flip avec une piqure le jour o\u00f9 il avait presque crev\u00e9 un \u0153il \u00e0 mon fr\u00e8re.\n\nNous avions pleur\u00e9 comme des Madeleines, puis peu \u00e0 peu nous \u00e9tions pass\u00e9s \u00e0 autre chose. Mais on se r\u00e9servait toujours un petit quart d'heure par ci par l\u00e0 pour aller voir nos morts. \n\nSous le tas de fumier il y avait aussi la d\u00e9pouille de Poupougne un cocker qui avait fait long feu. A peine arriv\u00e9 qu'une maladie \u00e9trange l'avait emport\u00e9. Il y avait aussi des animaux sans nom que nous ramassions dans les all\u00e9es du jardin. Des insectes, des oiseaux, et m\u00eame quelques salamandres, l\u00e9zard et musaraignes.\n\nMon fr\u00e8re \u00e9tait beaucoup plus jeune que moi et nous avions un mal de chien \u00e0 jouer ensemble. S\u00e9rieusement, Il avait une concentration de poisson rouge si vous voyez ce que je veux dire. Au bout du compte on a finit par prendre de la distance lui et moi. A jouer chacun dans notre coin. Alors c'\u00e9tait aussi une fa\u00e7on de se r\u00e9unir une fois ou deux par semaine, on se recueillait dans tous les sens du terme.\n\nJe crois que nous pensions \u00e9norm\u00e9ment \u00e0 la mort, bien plus que ce qu'imaginent g\u00e9n\u00e9ralement les adultes lorsqu'ils consid\u00e8rent les pr\u00e9occupations des enfants.\n\nDe temps en temps notre m\u00e8re se rendait au fond du jardin pour tuer un lapin et, lorsqu'elle nous apercevait agenouill\u00e9s devant le tas de fumier , elle haussait les \u00e9paules en soupirant.\n\nPuis elle m'interpellait en disant : Louis ce sont des v\u00eatements propres n'allez pas vous salir je te d\u00e9signe responsable alors gare si tout est tach\u00e9 ce soir.\n\nEt le soir assez souvent comme elle \u00e9tait fatigu\u00e9e elle s'emportait un bon coup comme pour se vider de tout un tas de choses d\u00e9sagr\u00e9ables. J'avais fini par m'habituer au rythme de cette vie l\u00e0, de toutes fa\u00e7ons je n'avais pas vraiment le choix, je ne connaissais rien d'autre. Des ann\u00e9es lumi\u00e8res plus tard Bertrand un copain me fera rentrer chez lui et je d\u00e9couvrirai que toutes les familles n'\u00e9taient pas comme la mienne.\n\nJ'ai toujours tent\u00e9 de trouver des raisons, du sens \u00e0 tout, surtout lorsque de toute \u00e9vidence et pour tout le monde ce tout c'\u00e9tait l'insens\u00e9.\n\nOn me traitait de beaucoup de choses dans l'enfance sans doute parce que j'avais les \u00e9paules pour le supporter. Le bon Dieu ne t'en mettra pas plus sur le dos que tu ne peux en supporter disait grand-m\u00e8re et je crois qu'elle avait raison, m\u00eame si je doute que tout cela vienne du bon Dieu \u00e9videmment.\n\nOn me disait aussi que j'avais le diable dans la peau, je dis \"on\" pour ne pas prononcer le mot maman parce que \u00e7a ne va plus tellement bien ensemble dans mon id\u00e9e, une m\u00e8re qui rab\u00e2che \u00e7a \u00e0 son enfant vous voyez.\n\nJ'ai pass\u00e9 des heures cach\u00e9 dans les toilettes \u00e0 cause de cette phrase. Je me disais que tout de m\u00eame le diable, s'il existait, aurait un peu de respect, qu'il me laisserait un moment de r\u00e9pit aux cabinets avant de me retomber sur le paletot sit\u00f4t que j'aurai tir\u00e9 la chasse.\n\nEt puis finalement le diable est plus probablement \u00e0 l'int\u00e9rieur de chacun de nous que n'importe o\u00f9 ailleurs. \n\nIl faut s'y faire et discuter avec lui de temps \u00e0 autre parce qu'il n'y a rien de pire que l'ignorance en toutes choses disait mon arri\u00e8re grand p\u00e8re instituteur.\n\nSans doute est ce probablement ce que j'imaginais alors \u00eatre mon diable int\u00e9rieur qui me faisait voir des chiens courir dans le ciel, ou des chevaux. J'ai toujours r\u00eav\u00e9 d'avoir un cheval \u00e0 cette \u00e9poque de ma vie, avoir un ami v\u00e9ritable \u00e7a ne pouvait \u00eatre qu'un animal et surtout un cheval. \n\nJ'en apercevait partout sur les murs, dans la boue, dans la forme des nuages mais j'ai vite renonc\u00e9 \u00e0 le dire aux autres. \n\nA part \u00e0 mon jeune fr\u00e8re qui sans doute par fraternit\u00e9 daignait me croire tout simplement. \n\nLes ann\u00e9es ont pass\u00e9 par la suite et nous n'en avons jamais plus reparl\u00e9. \n\nD'ailleurs je me sentirais probablement g\u00ean\u00e9 de lui en reparler d\u00e9sormais \u00e0 plus de 60 ans pass\u00e9s. Ca ne voudrait plus rien dire du tout. D'ailleurs on ne se parle pas beaucoup. On se voit une fois l'an et on parle de choses sans importance v\u00e9ritable, de son job, de sa maison, de ses maladies et puis c'est tout. Des conversations comme on peut en avoir avec tout le monde en fait.\n\nCe ph\u00e9nom\u00e8ne de voir des choses lorsqu'il n'y a rien pour la plupart des gens j'ai appris avec le temps qu'il portait un nom : la pareidolie. Ne dirait t'on pas le nom d'une maladie ?\n\nG\u00e9n\u00e9ralement on l'utilise pour des sortes d'hallucinations visuelles. Mais je crois que j'ai du en abuser et m'exercer \u00e9norm\u00e9ment \u00e0 le d\u00e9velopper \u00e0 l'aide du diable et je crois aussi que le but ultime recherch\u00e9 \u00e9tait par ce biais de tomber un jour sur le bon Dieu. C'\u00e9tait bien mon genre de logique.\n\nIl y a m\u00eame une p\u00e9riode o\u00f9 \u00e7a gazait tellement, vers la cinquantaine, que j'aurais pu entrer dans les ordres, tout l\u00e2cher pour devenir moine. Je m'\u00e9tais mis \u00e0 voir des anges un peu partout et lorsque je levais les yeux pour regarder les arbres et leurs feuillages j'avais le sentiment d'\u00eatre face aux vitraux des cath\u00e9drales \u00e0 lire toutes les histoires du monde.\n\nJ'aurais pu sans doute continuer \u00e0 voir toutes ces choses si \u00e0 un moment quelqu'un \u00e0 la radio ou \u00e0 la t\u00e9l\u00e9 n'avait pas parl\u00e9 de cette facult\u00e9 qui peut se transformer en maladie.\n\nA un moment j'ai eu un peu d'espoir parce certains trouvent le moyen d'utiliser \u00e0 bon escient la pareidolie. Il deviennent artistes, et leurs visions sont accept\u00e9es comme \u00e9tant des \u0153uvres d'art que les gens ensuite ach\u00e8tent.\n\nC'est vraiment \u00e9patant.\n\nC'est simplement dommage de n'avoir pu y penser plus t\u00f4t , de ne pas m'\u00eatre renseign\u00e9 et de consid\u00e9rer ce ph\u00e9nom\u00e8ne comme une tare, un d\u00e9faut, l'\u0153uvre de ce diable collectivement plac\u00e9 tout au fond de moi.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pareidolie.webp?1762114216", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-retour.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-retour.html", "title": "Le retour", "date_published": "2021-10-12T06:02:33Z", "date_modified": "2025-11-20T22:51:40Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

« C\u2019est le sort qui lance les d\u00e9s », disait-il. Et, une fois cette affirmation pos\u00e9e, il se taisait durant quelques instants avant de porter le verre \u00e0 ses l\u00e8vres et d\u2019avaler cul sec le contenu. Je ne me souviens plus dans quel boulot nous nous \u00e9tions rencontr\u00e9s. Un travail sans qualification, mal pay\u00e9, et qui su\u00e7ait notre substance de l\u2019aube au cr\u00e9puscule ; un travail qui nous aspirait vers le bas, vers le degr\u00e9 z\u00e9ro de la pens\u00e9e, et nous tentions de nous \u00e9chapper parfois de cette fatalit\u00e9 en allant au bar du coin. On faisait un loto ou un tierc\u00e9 chaque semaine et on restait l\u00e0, accoud\u00e9s au comptoir, la plupart du temps silencieux, anesth\u00e9si\u00e9s, sursautant de temps en temps lorsque la jeune femme, une nouvelle serveuse, \u00e9chappait un plateau. Le bris de verre, tout \u00e0 coup, nous extrayait de quelque chose, de notre lassitude sans doute ; oh, pas longtemps, je dirais \u00e0 peine un quart de seconde, ce qui \u00e9tait suffisant pour saisir l\u2019existence de mondes parall\u00e8les auxquels l\u2019acc\u00e8s nous \u00e9chappait. Lucien appelait cet emp\u00eachement chronique, selon l\u2019humeur, le sort, le destin ou la fatalit\u00e9. Il venait de quelque part en Afrique. Du Cameroun, je crois, encore que je ne sois pas tr\u00e8s s\u00fbr. Des types comme lui, j\u2019en ai rencontr\u00e9s pas mal dans tous ces jobs. \u00c0 la fin, peu importait les noms des pays. Je ne m\u2019encombrais plus la m\u00e9moire. D\u2019ailleurs eux non plus, je crois. Ils ne parlaient gu\u00e8re des d\u00e9parts et encore moins des retours. C\u2019est en prenant le train \u00e0 la gare de l\u2019Est, un soir avec lui, que je vis qu\u2019il n\u2019avait pas d\u2019abonnement. Il achetait ses tickets \u00e0 l\u2019unit\u00e9. Possible que la bo\u00eete ne lui rembours\u00e2t pas la carte cinq zones qui co\u00fbtait un bras. Il achetait au coup par coup de temps en temps, mais, m\u2019avoua-t-il, la plupart du temps il fraudait. « Aux heures de pointe, il n\u2019y a presque jamais de contr\u00f4le », ajoutait-il. Je notais l\u2019info car elle devait r\u00e9sonner avec quelque chose d\u2019important. \u00c0 cette \u00e9poque, pour ne pas me noyer totalement, j\u2019avais comme bou\u00e9es de petits carnets sur lesquels je notais je ne sais plus trop quoi et dans quel but. Mais j\u2019ai fini par comprendre que c\u2019\u00e9tait pour respirer. \u00c9crire m\u2019a toujours sembl\u00e9 \u00eatre li\u00e9 \u00e0 la respiration, respirer autrement, comme ces personnes qui font du jogging \u00e0 petites foul\u00e9es le long du fleuve. Ce qui est dr\u00f4le, c\u2019est que je n\u2019ai pu conserver aucun de ces carnets. Je les ai \u00e9gar\u00e9s dans mes multiples d\u00e9m\u00e9nagements, j\u2019en ai aussi br\u00fbl\u00e9 certains pour tenter de rentrer dans le rang \u00e0 une p\u00e9riode de ma vie, mais je me souviens de quasiment tout ce que j\u2019y avais not\u00e9. Du moins l\u2019essentiel. D\u2019ailleurs je m\u2019\u00e9tais plus ou moins dit \u00e7a, comme si j\u2019avais moi-m\u00eame organis\u00e9 inconsciemment toutes ces pertes : on verra bien ce qui restera quand le temps aura pass\u00e9, ce que j\u2019appelle l\u2019essentiel. Encore qu\u2019aujourd\u2019hui je ne sois pas aussi s\u00fbr des d\u00e9finitions. J\u2019ai souvent l\u2019id\u00e9e de me recoller au travail afin d\u2019en r\u00e9inventer de nouvelles, qui collent un peu mieux \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 que je connais d\u00e9sormais. Si je me souviens de ce type dont j\u2019ai quasiment tout oubli\u00e9, c\u2019est seulement \u00e0 cause de cette rengaine qu\u2019il ne cessait de dire \u00e0 tout bout de champ : « C\u2019est le sort qui lance les d\u00e9s. » Jamais je n\u2019ai entretenu de liens avec toutes ces personnes crois\u00e9es durant quelques jours, quelques mois, parfois quelques ann\u00e9es. Je crois qu\u2019elles incarnent de temps \u00e0 autre une voix qui nous d\u00e9passe tous, une voix hors champ qui s\u2019exprime ainsi pour dire ce que l\u2019on consid\u00e8re comme du bavardage sans importance. Ce bavardage, j\u2019ai toujours pris grand soin \u00e0 le recueillir pour pouvoir l\u2019\u00e9tudier tranquillement, tenter d\u2019en extraire l\u2019essentiel. Mais cet essentiel n\u2019\u00e9tait pas facile \u00e0 trouver. Je crois m\u00eame que c\u2019est le jour o\u00f9 j\u2019ai renonc\u00e9 \u00e0 \u00e9crire toutes ces choses, que j\u2019ai renonc\u00e9 \u00e0 trouver l\u2019essentiel, que peu \u00e0 peu je l\u2019ai rencontr\u00e9 de plus en plus souvent. Dans le silence surtout et dans la solitude, cette voix est comme le vent qui tant\u00f4t hurle, tant\u00f4t murmure, tant\u00f4t chante ou pleure. Ce qui compte, ce ne sont pas tant les manifestations d\u2019humeur que j\u2019attribue \u00e0 cette voix, c\u2019est juste sa pr\u00e9sence. Il y a l\u00e0 quelque chose de l\u2019ordre du retour. Un retour que j\u2019ai toujours jug\u00e9 impossible, sans prendre vraiment le temps de me demander pourquoi. Sans doute parce que le retour est comme cette voix qu\u2019il faut suivre dans la nuit ; elle charrie tant de choses dont il nous faut nous d\u00e9tacher pour parvenir enfin \u00e0 l\u2019entendre dans sa puret\u00e9. Toutes ces \u00e9motions, ces pens\u00e9es qui ne cessent de tourner en boucle nous emp\u00eachent de l\u2019entendre. Alors on peut imaginer mille ersatz, mille excuses, mille raisons pour s\u2019\u00e9loigner d\u2019elle comme du pays natal. Mais ce ne sont jamais que des raisons personnelles que l\u2019on se transmet comme des relais le long d\u2019une course. On se dit tout bas que le retour est impossible car ce que l\u2019on souhaite de toute son \u00e2me, c\u2019est un retour aussi puissant que l\u2019amour, et nous savons, nous pensons, nous croyons, que notre poitrine \u00e9claterait, qu\u2019elle ne serait pas capable de respirer l\u2019air de cet \u00e9v\u00e9nement-l\u00e0. Nous nous faisons s\u00fbrement trop d\u2019illusions sur cette id\u00e9e de retour, ce qui fait sourire l\u2019automne avec tous ses froufrous de jaune et d\u2019orange, de rouille et de brun que de petits tourbillons soul\u00e8vent du sol pour les emporter je ne sais o\u00f9.<\/p>", "content_text": " \u00ab C\u2019est le sort qui lance les d\u00e9s \u00bb, disait-il. Et, une fois cette affirmation pos\u00e9e, il se taisait durant quelques instants avant de porter le verre \u00e0 ses l\u00e8vres et d\u2019avaler cul sec le contenu. Je ne me souviens plus dans quel boulot nous nous \u00e9tions rencontr\u00e9s. Un travail sans qualification, mal pay\u00e9, et qui su\u00e7ait notre substance de l\u2019aube au cr\u00e9puscule ; un travail qui nous aspirait vers le bas, vers le degr\u00e9 z\u00e9ro de la pens\u00e9e, et nous tentions de nous \u00e9chapper parfois de cette fatalit\u00e9 en allant au bar du coin. On faisait un loto ou un tierc\u00e9 chaque semaine et on restait l\u00e0, accoud\u00e9s au comptoir, la plupart du temps silencieux, anesth\u00e9si\u00e9s, sursautant de temps en temps lorsque la jeune femme, une nouvelle serveuse, \u00e9chappait un plateau. Le bris de verre, tout \u00e0 coup, nous extrayait de quelque chose, de notre lassitude sans doute ; oh, pas longtemps, je dirais \u00e0 peine un quart de seconde, ce qui \u00e9tait suffisant pour saisir l\u2019existence de mondes parall\u00e8les auxquels l\u2019acc\u00e8s nous \u00e9chappait. Lucien appelait cet emp\u00eachement chronique, selon l\u2019humeur, le sort, le destin ou la fatalit\u00e9. Il venait de quelque part en Afrique. Du Cameroun, je crois, encore que je ne sois pas tr\u00e8s s\u00fbr. Des types comme lui, j\u2019en ai rencontr\u00e9s pas mal dans tous ces jobs. \u00c0 la fin, peu importait les noms des pays. Je ne m\u2019encombrais plus la m\u00e9moire. D\u2019ailleurs eux non plus, je crois. Ils ne parlaient gu\u00e8re des d\u00e9parts et encore moins des retours. C\u2019est en prenant le train \u00e0 la gare de l\u2019Est, un soir avec lui, que je vis qu\u2019il n\u2019avait pas d\u2019abonnement. Il achetait ses tickets \u00e0 l\u2019unit\u00e9. Possible que la bo\u00eete ne lui rembours\u00e2t pas la carte cinq zones qui co\u00fbtait un bras. Il achetait au coup par coup de temps en temps, mais, m\u2019avoua-t-il, la plupart du temps il fraudait. \u00ab Aux heures de pointe, il n\u2019y a presque jamais de contr\u00f4le \u00bb, ajoutait-il. Je notais l\u2019info car elle devait r\u00e9sonner avec quelque chose d\u2019important. \u00c0 cette \u00e9poque, pour ne pas me noyer totalement, j\u2019avais comme bou\u00e9es de petits carnets sur lesquels je notais je ne sais plus trop quoi et dans quel but. Mais j\u2019ai fini par comprendre que c\u2019\u00e9tait pour respirer. \u00c9crire m\u2019a toujours sembl\u00e9 \u00eatre li\u00e9 \u00e0 la respiration, respirer autrement, comme ces personnes qui font du jogging \u00e0 petites foul\u00e9es le long du fleuve. Ce qui est dr\u00f4le, c\u2019est que je n\u2019ai pu conserver aucun de ces carnets. Je les ai \u00e9gar\u00e9s dans mes multiples d\u00e9m\u00e9nagements, j\u2019en ai aussi br\u00fbl\u00e9 certains pour tenter de rentrer dans le rang \u00e0 une p\u00e9riode de ma vie, mais je me souviens de quasiment tout ce que j\u2019y avais not\u00e9. Du moins l\u2019essentiel. D\u2019ailleurs je m\u2019\u00e9tais plus ou moins dit \u00e7a, comme si j\u2019avais moi-m\u00eame organis\u00e9 inconsciemment toutes ces pertes : on verra bien ce qui restera quand le temps aura pass\u00e9, ce que j\u2019appelle l\u2019essentiel. Encore qu\u2019aujourd\u2019hui je ne sois pas aussi s\u00fbr des d\u00e9finitions. J\u2019ai souvent l\u2019id\u00e9e de me recoller au travail afin d\u2019en r\u00e9inventer de nouvelles, qui collent un peu mieux \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 que je connais d\u00e9sormais. Si je me souviens de ce type dont j\u2019ai quasiment tout oubli\u00e9, c\u2019est seulement \u00e0 cause de cette rengaine qu\u2019il ne cessait de dire \u00e0 tout bout de champ : \u00ab C\u2019est le sort qui lance les d\u00e9s. \u00bb Jamais je n\u2019ai entretenu de liens avec toutes ces personnes crois\u00e9es durant quelques jours, quelques mois, parfois quelques ann\u00e9es. Je crois qu\u2019elles incarnent de temps \u00e0 autre une voix qui nous d\u00e9passe tous, une voix hors champ qui s\u2019exprime ainsi pour dire ce que l\u2019on consid\u00e8re comme du bavardage sans importance. Ce bavardage, j\u2019ai toujours pris grand soin \u00e0 le recueillir pour pouvoir l\u2019\u00e9tudier tranquillement, tenter d\u2019en extraire l\u2019essentiel. Mais cet essentiel n\u2019\u00e9tait pas facile \u00e0 trouver. Je crois m\u00eame que c\u2019est le jour o\u00f9 j\u2019ai renonc\u00e9 \u00e0 \u00e9crire toutes ces choses, que j\u2019ai renonc\u00e9 \u00e0 trouver l\u2019essentiel, que peu \u00e0 peu je l\u2019ai rencontr\u00e9 de plus en plus souvent. Dans le silence surtout et dans la solitude, cette voix est comme le vent qui tant\u00f4t hurle, tant\u00f4t murmure, tant\u00f4t chante ou pleure. Ce qui compte, ce ne sont pas tant les manifestations d\u2019humeur que j\u2019attribue \u00e0 cette voix, c\u2019est juste sa pr\u00e9sence. Il y a l\u00e0 quelque chose de l\u2019ordre du retour. Un retour que j\u2019ai toujours jug\u00e9 impossible, sans prendre vraiment le temps de me demander pourquoi. Sans doute parce que le retour est comme cette voix qu\u2019il faut suivre dans la nuit ; elle charrie tant de choses dont il nous faut nous d\u00e9tacher pour parvenir enfin \u00e0 l\u2019entendre dans sa puret\u00e9. Toutes ces \u00e9motions, ces pens\u00e9es qui ne cessent de tourner en boucle nous emp\u00eachent de l\u2019entendre. Alors on peut imaginer mille ersatz, mille excuses, mille raisons pour s\u2019\u00e9loigner d\u2019elle comme du pays natal. Mais ce ne sont jamais que des raisons personnelles que l\u2019on se transmet comme des relais le long d\u2019une course. On se dit tout bas que le retour est impossible car ce que l\u2019on souhaite de toute son \u00e2me, c\u2019est un retour aussi puissant que l\u2019amour, et nous savons, nous pensons, nous croyons, que notre poitrine \u00e9claterait, qu\u2019elle ne serait pas capable de respirer l\u2019air de cet \u00e9v\u00e9nement-l\u00e0. Nous nous faisons s\u00fbrement trop d\u2019illusions sur cette id\u00e9e de retour, ce qui fait sourire l\u2019automne avec tous ses froufrous de jaune et d\u2019orange, de rouille et de brun que de petits tourbillons soul\u00e8vent du sol pour les emporter je ne sais o\u00f9. 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Une n\u00e9cessit\u00e9 de l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 s\u2019impose apr\u00e8s avoir travers\u00e9 l\u2019\u00e9paisseur, et il ne faut pas s\u2019y opposer, mais au contraire y aller tout entier. De m\u00eame qu\u2019apr\u00e8s le discours s\u2019impose un silence semblable \u00e0 une fr\u00e9quence sur laquelle fl\u00e2ner sans ciller. Cette nuit, je reviens \u00e0 un principe fondamental en peinture : le « je ne sais rien ». J\u2019enfourche donc ce vieux cheval de bataille pour partir \u00e0 l\u2019assaut des moulins \u00e0 vent, la plus intelligente des occupations, quoiqu\u2019on en dise ou pense. Je d\u00e9pose une noisette de bleu, de jaune et de rouge sur la palette et je dilue les teintes tout en les m\u00e9langeant pour cr\u00e9er des orangers, des verts et des violets. Puis je laisse aller la main qui tient le pinceau pour d\u00e9poser les couleurs sur une feuille de papier. Je ne pense \u00e0 rien, je n\u2019ai pas d\u2019id\u00e9e, je cherche juste \u00e0 observer ce qui est en train d\u2019arriver. C\u2019est un exercice que je r\u00e9alise r\u00e9guli\u00e8rement lorsque j\u2019observe que je suis pris dans un d\u00e9sir d\u2019aller plus loin en peinture, quand je me dis : tu peux faire encore plus juste, plus fort, plus ceci ou cela. Bref, je cherche la Dulcin\u00e9e de Toboso. Je sais tr\u00e8s bien qu\u2019elle est \u00e0 cet instant sous mon nez et simultan\u00e9ment ailleurs, partout et nulle part. C\u2019est-\u00e0-dire lorsque, malgr\u00e9 la sensation d\u2019une r\u00e9ussite, un malaise arrive simultan\u00e9ment. Comme si cette r\u00e9ussite, finalement, n\u2019\u00e9tait qu\u2019un coup de chance parmi tant d\u2019\u00e9checs pass\u00e9s. Comme si je me m\u00e9fiais toujours de l\u2019enthousiasme que produit chez moi toute id\u00e9e de r\u00e9ussite. Le malaise provient de cette rupture soudaine d\u2019\u00e9quilibre. Alors je redeviens comme l\u2019enfant que je suis toujours malgr\u00e9 toutes les ann\u00e9es. Je prends plaisir \u00e0 barbouiller comme au d\u00e9but, en explorant les mille et une fa\u00e7ons de diluer les pigments, de les m\u00e9langer et de les d\u00e9poser sur une feuille. Je laisse ainsi couler la vie au hasard comme elle veut et je suis \u00e9merveill\u00e9 de constater \u00e0 quel point, \u00e0 ce moment-l\u00e0, je ne sais plus rien. Mais c\u2019est de ce lieu, du rien, que surgissent les principes des \u0153uvres \u00e0 venir. C\u2019est tout \u00e0 fait semblable aussi \u00e0 une offrande que l\u2019on d\u00e9pose \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la f\u00eate pour que celle-ci se passe bien. Il ne faut rien offenser par une quelconque lourdeur et ainsi se d\u00e9faire de la naturelle pesanteur. Atteindre enfin \u00e0 la l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, assez proche tout \u00e0 coup d\u2019un envol, d\u2019une libert\u00e9.<\/p>", "content_text": " Une n\u00e9cessit\u00e9 de l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 s\u2019impose apr\u00e8s avoir travers\u00e9 l\u2019\u00e9paisseur, et il ne faut pas s\u2019y opposer, mais au contraire y aller tout entier. De m\u00eame qu\u2019apr\u00e8s le discours s\u2019impose un silence semblable \u00e0 une fr\u00e9quence sur laquelle fl\u00e2ner sans ciller. Cette nuit, je reviens \u00e0 un principe fondamental en peinture : le \u00ab je ne sais rien \u00bb. J\u2019enfourche donc ce vieux cheval de bataille pour partir \u00e0 l\u2019assaut des moulins \u00e0 vent, la plus intelligente des occupations, quoiqu\u2019on en dise ou pense. Je d\u00e9pose une noisette de bleu, de jaune et de rouge sur la palette et je dilue les teintes tout en les m\u00e9langeant pour cr\u00e9er des orangers, des verts et des violets. Puis je laisse aller la main qui tient le pinceau pour d\u00e9poser les couleurs sur une feuille de papier. Je ne pense \u00e0 rien, je n\u2019ai pas d\u2019id\u00e9e, je cherche juste \u00e0 observer ce qui est en train d\u2019arriver. C\u2019est un exercice que je r\u00e9alise r\u00e9guli\u00e8rement lorsque j\u2019observe que je suis pris dans un d\u00e9sir d\u2019aller plus loin en peinture, quand je me dis : tu peux faire encore plus juste, plus fort, plus ceci ou cela. Bref, je cherche la Dulcin\u00e9e de Toboso. Je sais tr\u00e8s bien qu\u2019elle est \u00e0 cet instant sous mon nez et simultan\u00e9ment ailleurs, partout et nulle part. C\u2019est-\u00e0-dire lorsque, malgr\u00e9 la sensation d\u2019une r\u00e9ussite, un malaise arrive simultan\u00e9ment. Comme si cette r\u00e9ussite, finalement, n\u2019\u00e9tait qu\u2019un coup de chance parmi tant d\u2019\u00e9checs pass\u00e9s. Comme si je me m\u00e9fiais toujours de l\u2019enthousiasme que produit chez moi toute id\u00e9e de r\u00e9ussite. Le malaise provient de cette rupture soudaine d\u2019\u00e9quilibre. Alors je redeviens comme l\u2019enfant que je suis toujours malgr\u00e9 toutes les ann\u00e9es. Je prends plaisir \u00e0 barbouiller comme au d\u00e9but, en explorant les mille et une fa\u00e7ons de diluer les pigments, de les m\u00e9langer et de les d\u00e9poser sur une feuille. Je laisse ainsi couler la vie au hasard comme elle veut et je suis \u00e9merveill\u00e9 de constater \u00e0 quel point, \u00e0 ce moment-l\u00e0, je ne sais plus rien. Mais c\u2019est de ce lieu, du rien, que surgissent les principes des \u0153uvres \u00e0 venir. C\u2019est tout \u00e0 fait semblable aussi \u00e0 une offrande que l\u2019on d\u00e9pose \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la f\u00eate pour que celle-ci se passe bien. Il ne faut rien offenser par une quelconque lourdeur et ainsi se d\u00e9faire de la naturelle pesanteur. 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Toute soci\u00e9t\u00e9 a les imposteurs qu\u2019elle m\u00e9rite et pas \u00e9tonnant que celle dans laquelle nous vivons les produise en batterie. On est arriv\u00e9 \u00e0 un tel degr\u00e9 d\u2019ineptie d\u00e9sormais, en cr\u00e9ant des processus, des normes, que ce qui faisait autrefois « l\u2019humain » est devenu quasi inexistant. Je pense que si n\u2019importe quel pauvre type de l\u2019Antiquit\u00e9 ou du Moyen \u00c2ge pouvait observer ce que sont devenues nos soci\u00e9t\u00e9s dites modernes, il se d\u00e9p\u00eacherait de s\u2019immoler pour retourner d\u2019o\u00f9 il vient. C\u2019est-\u00e0-dire que, petit \u00e0 petit, la zombification du monde progresse \u00e0 grands pas, d\u2019une fa\u00e7on exponentielle. On ne nous demande plus du tout de penser, mais d\u2019appliquer et surtout de la boucler. Du coup, et de l\u00e0 \u00e0 ce que de plus en plus de petits malins comprennent parfaitement les nouvelles r\u00e8gles du jeu et en profitent \u00e0 outrance, il n\u2019y a pas des kilom\u00e8tres. Le ma\u00eetre mot est donc de s\u2019adapter parfaitement au d\u00e9sir de l\u2019autre. Et donc de le comprendre parfaitement, spontan\u00e9ment, avant m\u00eame que cet autre ouvre la bouche, pour que de celle-ci d\u2019ailleurs ne sorte pas grand-chose d\u2019autre que des clich\u00e9s, des poncifs. Comprendre que d\u00e9sormais chacun est directement abreuv\u00e9 \u00e0 la pens\u00e9e unique : rien de plus facile pour les Tartuffes de tout acabit que de montrer une d\u00e9votion envers celle-ci afin d\u2019obtenir par la bande tout ce qu\u2019ils voudront de pas bien clair. Je pourrais citer des noms, \u00e9videmment, donner des r\u00e9f\u00e9rences, et avoir l\u2019air savant ou cr\u00e9dible dans ce que j\u2019avance, participer moi aussi \u00e0 la grande simagr\u00e9e de l\u2019assembl\u00e9e des singes savants. Mais non, peu importe les d\u00e9tails, ce qui compte c\u2019est l\u2019essence de l\u2019imposture dont il faut absolument parler : c\u2019est l\u2019absence de r\u00e9flexion, l\u2019absence de pens\u00e9e, l\u2019ignorance dans laquelle on barricade les moutons et les porcs en pr\u00e9vision de l\u2019abattoir. On dira que Guy Debord est un peu le Nostradamus ou le Nicolas Flamel de notre \u00e9poque, que la soci\u00e9t\u00e9 du spectacle est un terme amusant, exag\u00e9r\u00e9 sans doute... bref des billeves\u00e9es... et pourtant il n\u2019y a plus que \u00e7a partout aujourd\u2019hui, en politique, en \u00e9conomie, en entreprise, et m\u00eame dans les boudoirs, dans les paddocks... rien que du spectacle et plus grand-chose d\u2019autre. Il n\u2019y a peut-\u00eatre plus que l\u2019art qui peut \u00eatre une sorte de refuge, une arche de No\u00e9 pour affronter le cataclysme ultime et surnager au-dessus de tous ces miasmes. Le seul endroit o\u00f9, sans doute, on peut encore \u00eatre humain sans se faire sauter dessus, puisque c\u2019est bien connu, l\u2019art ne sert \u00e0 rien pour la plupart des gens, \u00e0 part d\u00e9corer les murs et sp\u00e9culer.<\/p>", "content_text": " Toute soci\u00e9t\u00e9 a les imposteurs qu\u2019elle m\u00e9rite et pas \u00e9tonnant que celle dans laquelle nous vivons les produise en batterie. On est arriv\u00e9 \u00e0 un tel degr\u00e9 d\u2019ineptie d\u00e9sormais, en cr\u00e9ant des processus, des normes, que ce qui faisait autrefois \u00ab l\u2019humain \u00bb est devenu quasi inexistant. Je pense que si n\u2019importe quel pauvre type de l\u2019Antiquit\u00e9 ou du Moyen \u00c2ge pouvait observer ce que sont devenues nos soci\u00e9t\u00e9s dites modernes, il se d\u00e9p\u00eacherait de s\u2019immoler pour retourner d\u2019o\u00f9 il vient. C\u2019est-\u00e0-dire que, petit \u00e0 petit, la zombification du monde progresse \u00e0 grands pas, d\u2019une fa\u00e7on exponentielle. On ne nous demande plus du tout de penser, mais d\u2019appliquer et surtout de la boucler. Du coup, et de l\u00e0 \u00e0 ce que de plus en plus de petits malins comprennent parfaitement les nouvelles r\u00e8gles du jeu et en profitent \u00e0 outrance, il n\u2019y a pas des kilom\u00e8tres. Le ma\u00eetre mot est donc de s\u2019adapter parfaitement au d\u00e9sir de l\u2019autre. Et donc de le comprendre parfaitement, spontan\u00e9ment, avant m\u00eame que cet autre ouvre la bouche, pour que de celle-ci d\u2019ailleurs ne sorte pas grand-chose d\u2019autre que des clich\u00e9s, des poncifs. Comprendre que d\u00e9sormais chacun est directement abreuv\u00e9 \u00e0 la pens\u00e9e unique : rien de plus facile pour les Tartuffes de tout acabit que de montrer une d\u00e9votion envers celle-ci afin d\u2019obtenir par la bande tout ce qu\u2019ils voudront de pas bien clair. Je pourrais citer des noms, \u00e9videmment, donner des r\u00e9f\u00e9rences, et avoir l\u2019air savant ou cr\u00e9dible dans ce que j\u2019avance, participer moi aussi \u00e0 la grande simagr\u00e9e de l\u2019assembl\u00e9e des singes savants. Mais non, peu importe les d\u00e9tails, ce qui compte c\u2019est l\u2019essence de l\u2019imposture dont il faut absolument parler : c\u2019est l\u2019absence de r\u00e9flexion, l\u2019absence de pens\u00e9e, l\u2019ignorance dans laquelle on barricade les moutons et les porcs en pr\u00e9vision de l\u2019abattoir. On dira que Guy Debord est un peu le Nostradamus ou le Nicolas Flamel de notre \u00e9poque, que la soci\u00e9t\u00e9 du spectacle est un terme amusant, exag\u00e9r\u00e9 sans doute... bref des billeves\u00e9es... et pourtant il n\u2019y a plus que \u00e7a partout aujourd\u2019hui, en politique, en \u00e9conomie, en entreprise, et m\u00eame dans les boudoirs, dans les paddocks... rien que du spectacle et plus grand-chose d\u2019autre. Il n\u2019y a peut-\u00eatre plus que l\u2019art qui peut \u00eatre une sorte de refuge, une arche de No\u00e9 pour affronter le cataclysme ultime et surnager au-dessus de tous ces miasmes. Le seul endroit o\u00f9, sans doute, on peut encore \u00eatre humain sans se faire sauter dessus, puisque c\u2019est bien connu, l\u2019art ne sert \u00e0 rien pour la plupart des gens, \u00e0 part d\u00e9corer les murs et sp\u00e9culer. 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Le moteur est un moteur \u00e0 combustion tout \u00e0 fait normal et la voiture, bien qu\u2019ancienne, continue \u00e0 rouler cahin-caha par tous les temps. Il n\u2019y a, Dieu merci, pas trop d\u2019\u00e9lectronique, et les vitres se baissent et se rel\u00e8vent manuellement. Mais j\u2019en fais des kilom\u00e8tres, je ne l\u00e9sine pas sur les distances. Alors si, un jour, il y a de cela tr\u00e8s longtemps, j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 un peu d\u2019angoisse \u00e0 conduire cette machine, c\u2019\u00e9tait d\u00fb \u00e0 mon manque d\u2019exp\u00e9rience uniquement ! Je venais tout juste de d\u00e9gotter mon permis dans une obscure caserne et je venais de le faire valider en pr\u00e9fecture. Alors pas \u00e9tonnant que la premi\u00e8re fois que j\u2019ai emprunt\u00e9 le p\u00e9riph\u00e9rique, je crois que j\u2019ai d\u00fb faire un bon litre d\u2019huile avec le grain de ch\u00e8nevis que je m\u2019\u00e9tais plac\u00e9 mentalement entre les fesses. Mais l\u2019habitude, la r\u00e9gularit\u00e9, le fait d\u2019avoir \u00e0 gagner sa vie, peu \u00e0 peu ont transform\u00e9 cette angoisse en indiff\u00e9rence. Aujourd\u2019hui je peux tout \u00e0 fait me rendre d\u2019un point \u00e0 un autre en faisant tout un tas de choses comme allumer une clope, \u00e9couter la radio, me gratter le nez et r\u00eavasser. Parfois j\u2019ai l\u2019impression que je ne sais m\u00eame pas comment j\u2019ai effectu\u00e9 le trajet. J\u2019arrive soudain \u00e0 ma destination un peu \u00e9berlu\u00e9, \u00e7a me dure dix secondes, le temps de reprendre le cours de mes activit\u00e9s. Donc non, plus d\u2019angoisse vraiment \u00e0 utiliser la voiture, pas plus qu\u2019\u00e0 peindre, pas plus qu\u2019\u00e0 \u00e9crire chaque jour mes billeves\u00e9es. Autant dire que je ne me reconnais pas du tout dans ce personnage baroque, compulsif, que l\u2019on m\u2019attribue parfois. Si j\u2019encha\u00eene les trajets comme j\u2019encha\u00eene les tableaux et les textes, c\u2019est parce que je suis mon propre rythme et voil\u00e0 tout. Je suis encore dot\u00e9 d\u2019une formidable \u00e9nergie \u00e0 plus de 60 ans pass\u00e9s et j\u2019en profite. J\u2019en profite mille fois mieux qu\u2019\u00e0 20 ans, qu\u2019\u00e0 30 ou m\u00eame \u00e0 50... p\u00e9riodes o\u00f9 je m\u2019entravais tout seul avec tout un tas de questions, avec un fatras d\u2019\u00e9lucubrations sur la vie, les femmes, le boulot, et les calculs compliqu\u00e9s pour d\u00e9crocher le gros lot au tierc\u00e9 ou au loto. Non, d\u00e9sormais, rien de tout \u00e7a ne me pr\u00e9occupe outre mesure, \u00e0 part lorsque je me rends au caf\u00e9 du coin pour participer de temps \u00e0 autre \u00e0 une conversation. Mais ce n\u2019est pas la m\u00eame chose, le caf\u00e9 du coin, et ce qui se passe dans ma t\u00eate lorsque je conduis, lorsque j\u2019enseigne, lorsque je peins. Si vous voulez le fond de ma pens\u00e9e, je ne pense plus vraiment \u00e0 rien, je ne pr\u00e9pare plus rien, j\u2019arrive et je fais avec ce que me propose l\u2019instant, et c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s tout. J\u2019improvise perp\u00e9tuellement. J\u2019en ai r\u00e9solument fini avec la compulsion de la m\u00eame fa\u00e7on qu\u2019avec le syndrome de l\u2019imposteur. Je ne cherche pas \u00e0 m\u2019adapter au d\u00e9sir des gens, ni m\u00eame aux miens, je colle \u00e0 l\u2019instant et \u00e7a va tr\u00e8s bien comme \u00e7a. Et voyez-vous, ce qui est tr\u00e8s \u00e9trange, c\u2019est qu\u2019en collant \u00e0 cet instant le plus \u00e9troitement que je suis en mesure de coller, d\u2019adh\u00e9rer, je finis par dispara\u00eetre dans celui-ci, ce qui signifie en gros que je cr\u00e8ve et renais \u00e0 chaque instant. Autant dire que toute id\u00e9e farfelue sur ma propre importance appara\u00eet d\u00e9risoire. Qu\u2019esp\u00e9rer de mieux que d\u2019\u00eatre aussi mortel durant toute une \u00e9ternit\u00e9 ? Eh bien je ne vous le demande pas, \u00e7a ne servirait pas \u00e0 grand-chose. Vous chercheriez des r\u00e9ponses pour \u00e9luder la question. Mais non, pas d\u2019angoisse, pas de compulsion, j\u2019en ai bien peur, h\u00e9las.<\/p>", "content_text": " Le moteur est un moteur \u00e0 combustion tout \u00e0 fait normal et la voiture, bien qu\u2019ancienne, continue \u00e0 rouler cahin-caha par tous les temps. Il n\u2019y a, Dieu merci, pas trop d\u2019\u00e9lectronique, et les vitres se baissent et se rel\u00e8vent manuellement. Mais j\u2019en fais des kilom\u00e8tres, je ne l\u00e9sine pas sur les distances. Alors si, un jour, il y a de cela tr\u00e8s longtemps, j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 un peu d\u2019angoisse \u00e0 conduire cette machine, c\u2019\u00e9tait d\u00fb \u00e0 mon manque d\u2019exp\u00e9rience uniquement ! Je venais tout juste de d\u00e9gotter mon permis dans une obscure caserne et je venais de le faire valider en pr\u00e9fecture. Alors pas \u00e9tonnant que la premi\u00e8re fois que j\u2019ai emprunt\u00e9 le p\u00e9riph\u00e9rique, je crois que j\u2019ai d\u00fb faire un bon litre d\u2019huile avec le grain de ch\u00e8nevis que je m\u2019\u00e9tais plac\u00e9 mentalement entre les fesses. Mais l\u2019habitude, la r\u00e9gularit\u00e9, le fait d\u2019avoir \u00e0 gagner sa vie, peu \u00e0 peu ont transform\u00e9 cette angoisse en indiff\u00e9rence. Aujourd\u2019hui je peux tout \u00e0 fait me rendre d\u2019un point \u00e0 un autre en faisant tout un tas de choses comme allumer une clope, \u00e9couter la radio, me gratter le nez et r\u00eavasser. Parfois j\u2019ai l\u2019impression que je ne sais m\u00eame pas comment j\u2019ai effectu\u00e9 le trajet. J\u2019arrive soudain \u00e0 ma destination un peu \u00e9berlu\u00e9, \u00e7a me dure dix secondes, le temps de reprendre le cours de mes activit\u00e9s. Donc non, plus d\u2019angoisse vraiment \u00e0 utiliser la voiture, pas plus qu\u2019\u00e0 peindre, pas plus qu\u2019\u00e0 \u00e9crire chaque jour mes billeves\u00e9es. Autant dire que je ne me reconnais pas du tout dans ce personnage baroque, compulsif, que l\u2019on m\u2019attribue parfois. Si j\u2019encha\u00eene les trajets comme j\u2019encha\u00eene les tableaux et les textes, c\u2019est parce que je suis mon propre rythme et voil\u00e0 tout. Je suis encore dot\u00e9 d\u2019une formidable \u00e9nergie \u00e0 plus de 60 ans pass\u00e9s et j\u2019en profite. J\u2019en profite mille fois mieux qu\u2019\u00e0 20 ans, qu\u2019\u00e0 30 ou m\u00eame \u00e0 50... p\u00e9riodes o\u00f9 je m\u2019entravais tout seul avec tout un tas de questions, avec un fatras d\u2019\u00e9lucubrations sur la vie, les femmes, le boulot, et les calculs compliqu\u00e9s pour d\u00e9crocher le gros lot au tierc\u00e9 ou au loto. Non, d\u00e9sormais, rien de tout \u00e7a ne me pr\u00e9occupe outre mesure, \u00e0 part lorsque je me rends au caf\u00e9 du coin pour participer de temps \u00e0 autre \u00e0 une conversation. Mais ce n\u2019est pas la m\u00eame chose, le caf\u00e9 du coin, et ce qui se passe dans ma t\u00eate lorsque je conduis, lorsque j\u2019enseigne, lorsque je peins. Si vous voulez le fond de ma pens\u00e9e, je ne pense plus vraiment \u00e0 rien, je ne pr\u00e9pare plus rien, j\u2019arrive et je fais avec ce que me propose l\u2019instant, et c\u2019est \u00e0 peu pr\u00e8s tout. J\u2019improvise perp\u00e9tuellement. J\u2019en ai r\u00e9solument fini avec la compulsion de la m\u00eame fa\u00e7on qu\u2019avec le syndrome de l\u2019imposteur. Je ne cherche pas \u00e0 m\u2019adapter au d\u00e9sir des gens, ni m\u00eame aux miens, je colle \u00e0 l\u2019instant et \u00e7a va tr\u00e8s bien comme \u00e7a. Et voyez-vous, ce qui est tr\u00e8s \u00e9trange, c\u2019est qu\u2019en collant \u00e0 cet instant le plus \u00e9troitement que je suis en mesure de coller, d\u2019adh\u00e9rer, je finis par dispara\u00eetre dans celui-ci, ce qui signifie en gros que je cr\u00e8ve et renais \u00e0 chaque instant. Autant dire que toute id\u00e9e farfelue sur ma propre importance appara\u00eet d\u00e9risoire. Qu\u2019esp\u00e9rer de mieux que d\u2019\u00eatre aussi mortel durant toute une \u00e9ternit\u00e9 ? Eh bien je ne vous le demande pas, \u00e7a ne servirait pas \u00e0 grand-chose. Vous chercheriez des r\u00e9ponses pour \u00e9luder la question. 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Arm\u00e9 jusqu\u2019aux dents avec \u00e7a. Presque arrogant. Non, disons-le carr\u00e9ment, tout \u00e0 fait arrogant ! Une sorte de conquistador de la peinture qui s\u2019imagine d\u00e9crocher la timbale d\u2019or, puis, nimb\u00e9 de gloire, gravir les marches d\u2019un hypoth\u00e9tique podium. Et \u00e0 la premi\u00e8re place, je vous prie, quel culot. Vous voulez un nom, j\u2019imagine, vous voulez en savoir plus, \u00e9videmment, mais je ne vous l\u00e2cherai aucun nom. Parce qu\u2019il est encore jeune, parce que je suis vieux, et bienveillant par-dessus le march\u00e9, et que je sais d\u00e9j\u00e0 pertinemment que le jour viendra o\u00f9 toute cette outrecuidance — cherchez dans le dictionnaire si vous ne savez pas —, oui, cette outrecuidance, le fera probablement rougir des orteils aux oreilles et conna\u00eetre enfin la nature du rubicond. Non, je ne parle pas du fleuve, mais j\u2019aurais pu. J\u2019aurais pu dire aussi « alea jacta est » pour prouver mon \u00e9rudition, mais moi, mes petites dames, mes petits messieurs, je m\u2019en tamponne joyeusement le coquillard de toute cette com\u00e9die ; je ne cherche plus depuis belle lurette \u00e0 terrasser les dragons. Car il s\u2019agit bien de \u00e7a. D\u2019un fait d\u2019armes ni plus ni moins, comme quoi la guerre est dans le sang. Que ce soit sur un champ de bataille, dans un plumard, au bureau, \u00e0 l\u2019usine, et m\u00eame sur ces stupides v\u00e9los d\u2019appartement... il faut toujours d\u00e9passer quelque chose, voyez-vous, aller plus loin, vaincre je ne sais quoi... et parvenir ainsi \u00e0 planter le javelot, le pic, la fl\u00e8che, l\u2019\u00e9p\u00e9e ou la saillie dans cette manifestation du mal, insupportable \u00e0 tous ceux qui ne regardent ce monde que par le petit bout de la lorgnette, par la lentille extr\u00eamement polie, quoique d\u00e9formante \u00e0 souhait, du bien. Le pinceau entre les dents, la toile comme bouclier, vas-y que je te chevauche par monts et par vaux en poussant des cris d\u2019orfraie. Non mais quel grotesque ! Et, voyez-vous, cela m\u2019\u00e9nervait d\u00e9j\u00e0 lorsque j\u2019ai commenc\u00e9 ma carri\u00e8re, mais je ne disais mot, je la bouclais. Je ne voyais pas pourquoi j\u2019allais, moi, remettre en question l\u2019ambition, moi qui n\u2019en ai jamais eu ; cela aurait \u00e9t\u00e9 du toupet, n\u2019est-ce pas. J\u2019\u00e9tais m\u00eame totalement marri de ne pas en avoir du tout, de l\u2019ambition. Je ne voyais pas \u00e0 quoi cela pouvait servir pour peindre. Je peignais, j\u2019enseignais, je la bouclais : c\u2019\u00e9tait ma vie. Mais on vieillit, et on sent bien que le tableau ne serait pas tout \u00e0 fait complet sans quelques \u00e9clats de col\u00e8re bien appliqu\u00e9s et aux bons endroits ! De toute ma vie, j\u2019ai vu beaucoup de personnes s\u2019en aller ainsi la fleur au fusil ou au pinceau pour tuer ce qu\u2019elles nomment des dragons et se gargariser ensuite de l\u2019avoir fait en se reposant sur leurs lauriers. En ce qui me concerne, j\u2019ai toujours dans la poche un sachet de graines, et du gros sel pour les jeunes enfants. Lorsqu\u2019ils me demandent comment tuer le dragon, je leur dis : avant de pouvoir le tuer, il faut l\u2019apprivoiser ; prends donc ces graines et ce gros sel pour en d\u00e9poser quelques grains sur sa queue quand tu le verras. Un seul, durant ma longue carri\u00e8re, un seul, m\u2019a pos\u00e9 la question, et voyez-vous, c\u2019est \u00e0 cause de lui, probablement, que j\u2019ai continu\u00e9 sans me lasser. Mais si on l\u2019apprivoise, comment est-ce qu\u2019on peut avoir envie de le tuer ensuite ? Tout est l\u00e0, mes petites dames, mes petits messieurs, tout est dans cette question enfantine \u00e0 laquelle, d\u2019ailleurs, je n\u2019ai jamais daign\u00e9 r\u00e9pondre, car je d\u00e9teste les r\u00e9ponses : elles n\u2019ont jamais fait que des idiots imbus d\u2019eux-m\u00eames, les r\u00e9ponses. Les m\u00eames exactement, arm\u00e9s jusqu\u2019aux dents avec \u00e7a, des arrogants.<\/p>", "content_text": " Arm\u00e9 jusqu\u2019aux dents avec \u00e7a. Presque arrogant. Non, disons-le carr\u00e9ment, tout \u00e0 fait arrogant ! Une sorte de conquistador de la peinture qui s\u2019imagine d\u00e9crocher la timbale d\u2019or, puis, nimb\u00e9 de gloire, gravir les marches d\u2019un hypoth\u00e9tique podium. Et \u00e0 la premi\u00e8re place, je vous prie, quel culot. Vous voulez un nom, j\u2019imagine, vous voulez en savoir plus, \u00e9videmment, mais je ne vous l\u00e2cherai aucun nom. 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Que ce soit sur un champ de bataille, dans un plumard, au bureau, \u00e0 l\u2019usine, et m\u00eame sur ces stupides v\u00e9los d\u2019appartement... il faut toujours d\u00e9passer quelque chose, voyez-vous, aller plus loin, vaincre je ne sais quoi... et parvenir ainsi \u00e0 planter le javelot, le pic, la fl\u00e8che, l\u2019\u00e9p\u00e9e ou la saillie dans cette manifestation du mal, insupportable \u00e0 tous ceux qui ne regardent ce monde que par le petit bout de la lorgnette, par la lentille extr\u00eamement polie, quoique d\u00e9formante \u00e0 souhait, du bien. Le pinceau entre les dents, la toile comme bouclier, vas-y que je te chevauche par monts et par vaux en poussant des cris d\u2019orfraie. Non mais quel grotesque ! Et, voyez-vous, cela m\u2019\u00e9nervait d\u00e9j\u00e0 lorsque j\u2019ai commenc\u00e9 ma carri\u00e8re, mais je ne disais mot, je la bouclais. Je ne voyais pas pourquoi j\u2019allais, moi, remettre en question l\u2019ambition, moi qui n\u2019en ai jamais eu ; cela aurait \u00e9t\u00e9 du toupet, n\u2019est-ce pas. J\u2019\u00e9tais m\u00eame totalement marri de ne pas en avoir du tout, de l\u2019ambition. Je ne voyais pas \u00e0 quoi cela pouvait servir pour peindre. Je peignais, j\u2019enseignais, je la bouclais : c\u2019\u00e9tait ma vie. Mais on vieillit, et on sent bien que le tableau ne serait pas tout \u00e0 fait complet sans quelques \u00e9clats de col\u00e8re bien appliqu\u00e9s et aux bons endroits ! De toute ma vie, j\u2019ai vu beaucoup de personnes s\u2019en aller ainsi la fleur au fusil ou au pinceau pour tuer ce qu\u2019elles nomment des dragons et se gargariser ensuite de l\u2019avoir fait en se reposant sur leurs lauriers. En ce qui me concerne, j\u2019ai toujours dans la poche un sachet de graines, et du gros sel pour les jeunes enfants. Lorsqu\u2019ils me demandent comment tuer le dragon, je leur dis : avant de pouvoir le tuer, il faut l\u2019apprivoiser ; prends donc ces graines et ce gros sel pour en d\u00e9poser quelques grains sur sa queue quand tu le verras. Un seul, durant ma longue carri\u00e8re, un seul, m\u2019a pos\u00e9 la question, et voyez-vous, c\u2019est \u00e0 cause de lui, probablement, que j\u2019ai continu\u00e9 sans me lasser. Mais si on l\u2019apprivoise, comment est-ce qu\u2019on peut avoir envie de le tuer ensuite ? Tout est l\u00e0, mes petites dames, mes petits messieurs, tout est dans cette question enfantine \u00e0 laquelle, d\u2019ailleurs, je n\u2019ai jamais daign\u00e9 r\u00e9pondre, car je d\u00e9teste les r\u00e9ponses : elles n\u2019ont jamais fait que des idiots imbus d\u2019eux-m\u00eames, les r\u00e9ponses. Les m\u00eames exactement, arm\u00e9s jusqu\u2019aux dents avec \u00e7a, des arrogants. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3252.jpg?1763678562", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-nouvelles-dictatures.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-nouvelles-dictatures.html", "title": "Les nouvelles dictatures", "date_published": "2021-10-09T03:48:58Z", "date_modified": "2025-11-20T22:39:29Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Plus insidieuses que tout ce que nous avons d\u00e9j\u00e0 subi, les nouvelles dictatures surgissent comme des boutons sur le front des ados attard\u00e9s. Regardez : ceci est une belle personne et celui-l\u00e0 une mauvaise. Et puis il faut aimer, aimer en se mirant \u00e0 tout bout de champ dans chaque reflet. On y perd son bon sens, et c\u2019est tout \u00e0 fait voulu. Comme si dans les jardins ne poussaient que des roses. Comme si le jour ne venait pas de la nuit. Mon Dieu, si tu existes, qu\u2019ils sont lassants \u00e0 force, tous ces poncifs. Rejoue-nous un D\u00e9luge, balance donc un cheveu dans la soupe, r\u00e9veille-nous par un s\u00e9isme majeur... Il faut \u00eatre ceci ou cela et ne pas faire ainsi ; faites plut\u00f4t comme \u00e7a. Des conseils comme des averses de mars en giboul\u00e9es, m\u00eame en octobre, s\u00fbrement toute l\u2019ann\u00e9e. M\u00e9m\u00e9 disait : « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs », et c\u2019est bel et bien toujours d\u2019actualit\u00e9. Les bruits de bottes dans la t\u00eate, la peur que l\u2019on attise comme un foyer, tout \u00e7a va encore certainement nous attirer des bricoles. Tout \u00e7a pourquoi, au final ? Pour tout reprendre depuis le d\u00e9but, recommencer \u00e0 z\u00e9ro comme il se doit. C\u2019est toujours ainsi, perp\u00e9tuellement, \u00e0 la pendule des \u00e9toiles. Et nous, le nez dans la vase, on pense, on pense qu\u2019un jour tout \u00e7a va s\u2019arranger dans l\u2019ordre d\u00e9sir\u00e9, sans savoir que l\u2019ordre d\u00e9sir\u00e9 est le plus haut niveau de ce mal qui aboie tout au fond de notre nuit, \u00e0 la lune, \u00e0 l\u2019infini, comme un petit \u00eatre mal sevr\u00e9.<\/p>", "content_text": " Plus insidieuses que tout ce que nous avons d\u00e9j\u00e0 subi, les nouvelles dictatures surgissent comme des boutons sur le front des ados attard\u00e9s. Regardez : ceci est une belle personne et celui-l\u00e0 une mauvaise. Et puis il faut aimer, aimer en se mirant \u00e0 tout bout de champ dans chaque reflet. On y perd son bon sens, et c\u2019est tout \u00e0 fait voulu. Comme si dans les jardins ne poussaient que des roses. Comme si le jour ne venait pas de la nuit. Mon Dieu, si tu existes, qu\u2019ils sont lassants \u00e0 force, tous ces poncifs. Rejoue-nous un D\u00e9luge, balance donc un cheveu dans la soupe, r\u00e9veille-nous par un s\u00e9isme majeur... Il faut \u00eatre ceci ou cela et ne pas faire ainsi ; faites plut\u00f4t comme \u00e7a. Des conseils comme des averses de mars en giboul\u00e9es, m\u00eame en octobre, s\u00fbrement toute l\u2019ann\u00e9e. M\u00e9m\u00e9 disait : \u00ab Les conseilleurs ne sont pas les payeurs \u00bb, et c\u2019est bel et bien toujours d\u2019actualit\u00e9. Les bruits de bottes dans la t\u00eate, la peur que l\u2019on attise comme un foyer, tout \u00e7a va encore certainement nous attirer des bricoles. Tout \u00e7a pourquoi, au final ? Pour tout reprendre depuis le d\u00e9but, recommencer \u00e0 z\u00e9ro comme il se doit. C\u2019est toujours ainsi, perp\u00e9tuellement, \u00e0 la pendule des \u00e9toiles. Et nous, le nez dans la vase, on pense, on pense qu\u2019un jour tout \u00e7a va s\u2019arranger dans l\u2019ordre d\u00e9sir\u00e9, sans savoir que l\u2019ordre d\u00e9sir\u00e9 est le plus haut niveau de ce mal qui aboie tout au fond de notre nuit, \u00e0 la lune, \u00e0 l\u2019infini, comme un petit \u00eatre mal sevr\u00e9. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3251.jpg?1763678355", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/secret-silence-solitude.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/secret-silence-solitude.html", "title": "Secret, silence, solitude.", "date_published": "2021-10-08T02:50:39Z", "date_modified": "2025-11-20T22:52:26Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Une tentative de d\u00e9finition rat\u00e9e d\u2019avance. Cela fait maintenant quelques ann\u00e9es que je tourne autour d\u2019une d\u00e9finition possible, compr\u00e9hensible de l\u2019art brut. Une d\u00e9finition personnelle tout d\u2019abord qui me permettrait de l\u2019enfermer dans quelque chose, semblable \u00e0 un paragraphe proche de ceux que l\u2019on trouve dans un dictionnaire. Mais, quelle que soit la fa\u00e7on dont je veux m\u2019y prendre, je sens bien qu\u2019une r\u00e9sistance m\u2019en emp\u00eache. C\u2019est comme vouloir enfermer un oiseau en cage. Aujourd\u2019hui je vais remettre l\u2019ouvrage sur le m\u00e9tier, encore une fois, essayer de comprendre \u00e0 la fois ce qui r\u00e9siste \u00e0 cette tentative de d\u00e9finition. Et pour cela j\u2019ai choisi trois mots, le secret, le silence, la solitude, puisque le plaisir que j\u2019imagine rechercher tiendrait \u00e0 pouvoir dire en trois mots ce qu\u2019est l\u2019art brut. S\u2019il est possible de d\u00e9finir la source de l\u2019art brut en trois mots, j\u2019aimerais probablement que ce soient ces mots-l\u00e0. Le terme d\u2019art brut est attribu\u00e9 \u00e0 Jean Dubuffet. Encore que l\u2019art brut, \u00e7a ne veuille plus dire grand-chose d\u00e9sormais. Encore que je sache qu\u2019il faille rater encore une fois de plus. On ne peut pas cantonner l\u2019art brut \u00e0 un art des fous, \u00e0 un art de la marge uniquement. L\u2019art brut, finalement, est une appellation g\u00e9n\u00e9rique commode pour le march\u00e9 de l\u2019art, destin\u00e9e \u00e0 identifier tout ce qui n\u2019est pas l\u2019art classique, acad\u00e9mique, et qui n\u2019est pas non plus abstrait, le but \u00e9tant, dans la logique marchande, de nommer un produit pour le placer en t\u00eate de gondole ou bien dans les multiples rayons de son magasin. L\u2019art brut est avant tout un art d\u2019autodidacte ; d\u2019ailleurs on ne parle pas d\u2019\u0153uvres, on parle de cr\u00e9ations lorsque Jean Dubuffet est le premier \u00e0 utiliser le terme (en 1945). Dubuffet s\u2019int\u00e9resse cependant \u00e0 ce type d\u2019art bien avant cette date. D\u00e8s 1922 il conna\u00eet d\u00e9j\u00e0 les travaux d\u2019un m\u00e9decin allemand, Hans Prinzhorn, qui s\u2019est constitu\u00e9 une sorte de mus\u00e9e d\u2019art pathologique \u00e0 Heidelberg. Dubuffet conna\u00eet \u00e9galement les travaux du Suisse Walter Morgenthaler, m\u00e9decin-chef \u00e0 la clinique de Waldau, pr\u00e8s de Berne. Ce dernier s\u2019int\u00e9resse particuli\u00e8rement aux cr\u00e9ations d\u2019un patient : Adolf W\u00f6lfli. Et si Adolf W\u00f6lfli n\u2019\u00e9tait qu\u2019un caricaturiste de notre propre monde ? L\u2019\u00e9crivain d\u2019origine suisse Blaise Cendrars a eu l\u2019occasion de se rendre \u00e0 Waldau et sans doute de rencontrer le travail d\u2019Adolf W\u00f6lfli, et l\u2019on peut bien s\u00fbr penser qu\u2019il s\u2019en inspirera pour cr\u00e9er son criminel fou dans le roman Moravagine. Ce qui caract\u00e9rise l\u2019ensemble de l\u2019\u0153uvre d\u2019Adolf W\u00f6lfli, c\u2019est la profusion. Durant 30 ans il va r\u00e9aliser 1 300 dessins, 44 cahiers, et sa biographie imaginaire compte plus de 25 000 pages. Il invente son propre univers, avec ses mythes et un langage : tout un univers qu\u2019il semble ma\u00eetriser parfaitement, et sur lequel il est intarissable, un peu \u00e0 la fa\u00e7on d\u2019un encyclop\u00e9diste de l\u2019\u00e9poque de Diderot. Ce qui, \u00e0 mon sens, est un pied de nez plus ou moins conscient \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019encyclop\u00e9die, et \u00e0 la pr\u00e9tendue richesse que le savoir semble proposer \u00e0 ses d\u00e9tenteurs en g\u00e9n\u00e9ral. C\u2019est sans doute logique que lorsqu\u2019on pense \u00e0 l\u2019art brut on imagine qu\u2019il provient en premier lieu d\u2019h\u00f4pitaux psychiatriques, qu\u2019il est un art des fous. Mais ce serait, \u00e0 mon avis, une erreur de r\u00e9duire l\u2019art brut au produit d\u2019un d\u00e9r\u00e8glement mental, ou tout du moins \u00e0 une inaptitude de ses cr\u00e9ateurs \u00e0 vivre de fa\u00e7on dite « normale » en soci\u00e9t\u00e9. S\u2019il doit \u00eatre le fruit de la folie, ce serait celle dont parle Michel Foucault, c\u2019est-\u00e0-dire celle n\u00e9cessaire, impos\u00e9e par la raison qui d\u00e9sire co\u00fbte que co\u00fbte se maintenir et r\u00e9gner. L\u2019art brut : un enjeu politique autant que mercantile. Il y aurait donc, en de\u00e7\u00e0 de la d\u00e9finition de ce qu\u2019est l\u2019art brut, un enjeu politique et mercantile. Car dans ces deux zones on cherche \u00e0 identifier ce qu\u2019il est, ou plut\u00f4t ce qu\u2019il doit \u00eatre selon les buts recherch\u00e9s, qui n\u2019ont pas de v\u00e9ritable affinit\u00e9 avec sa raison d\u2019\u00eatre principale, je veux parler d\u2019un art du secret, du silence, de la solitude. Le fait que cet art soit un art d\u2019autodidacte la plupart du temps, en opposition avec d\u2019autres formes d\u2019art issues d\u2019un h\u00e9ritage, d\u2019un patrimoine, d\u2019un enseignement acad\u00e9mique ou autre, signifie \u00e9galement que le cr\u00e9ateur est tout \u00e0 fait capable de s\u2019inventer ses propres r\u00e8gles, son propre univers. Il n\u2019a besoin de personne pour l\u2019aider ni pour d\u00e9cider du beau et du laid en celui-ci. Le cr\u00e9ateur d\u2019art brut est en premier lieu son propre spectacle comme son propre spectateur. Il n\u2019a besoin d\u2019aucun public, sauf peut-\u00eatre afin de le consid\u00e9rer comme l\u2019Autre hostile, pour le vilipender et ainsi renforcer plus encore, r\u00e9\u00e9nergiser si l\u2019on veut les trois sources de son travail. La notion de secret r\u00e9currente dans l\u2019art brut. Le secret : il n\u2019y a que l\u2019auteur qui peut savoir ce dont il s\u2019agit, et personne d\u2019autre. La notion de secret est le ferment d\u2019une codification dont l\u2019auteur seul conna\u00eet la r\u00e8gle, le chiffrement. Hier, par exemple, je suis tomb\u00e9 sur une vid\u00e9o de YouTube relatant le myst\u00e8re d\u2019un manuscrit remontant au XVe ou XVIe si\u00e8cle, attribu\u00e9 certainement \u00e0 tort \u00e0 Roger Bacon (1214-1294), mais aussi \u00e0 L\u00e9onard de Vinci et Athanasius Kircher, plus contemporains de la nature du v\u00e9lin sur lequel il est r\u00e9dig\u00e9. Bref, il s\u2019agit d\u2019un ouvrage de 234 pages \u00e9crit dans une langue inconnue \u00e0 ce jour et sur lequel ont \u00e9t\u00e9 dessin\u00e9es d\u2019\u00e9tranges esquisses traitant de la flore, de la faune et aussi de figures \u00e0 l\u2019apparence mythique. On peut imaginer qu\u2019il s\u2019agit de l\u2019\u0153uvre d\u2019un soi-disant fou, qu\u2019il s\u2019agit, au m\u00eame titre que l\u2019\u0153uvre de W\u00f6lfli, d\u2019une pi\u00e8ce d\u2019art brut. Mais comme elle ne se situe pas dans le m\u00eame contexte, qu\u2019on imagine une pi\u00e8ce arch\u00e9ologique, et que celle-ci doit receler un secret important, on l\u2019\u00e9tudie depuis des ann\u00e9es, en vain. \u00c0 ce jour, personne n\u2019a r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9chiffrer cet ouvrage. Si on le consid\u00e9rait comme l\u2019\u0153uvre d\u2019un fou, on ne perdrait pas autant de temps, certainement, et cet ouvrage trouverait sa place au mus\u00e9e d\u2019art brut de Lausanne. Il y a \u00e9videmment quelque chose de fascinant \u00e0 consid\u00e9rer un univers \u00e9tranger au n\u00f4tre et c\u2019est humain d\u2019imaginer qu\u2019il poss\u00e8de des r\u00e8gles, des codes, au m\u00eame titre que le n\u00f4tre. Le fait est que les cr\u00e9ateurs dits fous ou marginaux ne cr\u00e9ent pas sans raison de tels univers, mais ce peut \u00eatre aussi temps perdu que de vouloir y trouver les m\u00eames lois, les m\u00eames principes que dans le n\u00f4tre. Et m\u00eame si tel \u00e9tait le cas, je crois que ce serait effrayant de constater \u00e0 quel point notre univers dit normal est tout aussi vertigineux de d\u00e9raison, justement pondue par la raison, que l\u2019univers d\u2019un W\u00f6lfli. Ce qu\u2019il ne faut pas non plus oublier, je crois, c\u2019est que c\u2019est seulement celui qui observe la cr\u00e9ation d\u2019art brut qui lui attribue la notion de « secret », sans doute tout autant que son cr\u00e9ateur. Il n\u2019y aurait donc pas un seul secret, mais au moins deux, et qui s\u2019attireraient ou se repousseraient comme des forces \u00e9lectromagn\u00e9tiques suivant les circonstances. Pas de musique sans silence. Le silence, c\u2019est le monde tout autour qui devient incompr\u00e9hensible, le monde r\u00e9duit \u00e0 la taille du brouhaha ; et donc le cr\u00e9ateur est oblig\u00e9 de s\u2019\u00e9loigner pour trouver sa propre qualit\u00e9 de silence comme sa petite m\u00e9lodie personnelle. Et \u00e9videmment la solitude, encore que celle-ci soit peupl\u00e9e d\u2019autre chose que ce dont on la peuple ordinairement. Cette solitude peut, par exemple, renforcer la connexion avec des \u00eatres surnaturels, et l\u00e0 aussi il n\u2019est pas rare de voir toute une mythologie personnelle s\u2019inventer dans cette solitude. Dans le fond, les artistes de l\u2019art brut, ces marginaux, ces soi-disant fous ne sont pas si \u00e9loign\u00e9s de chacun de nous. Ils ne sont la plupart du temps qu\u2019une version exag\u00e9r\u00e9e de qui nous sommes, mais que nous avons oubli\u00e9e car nous avons peur de quitter la norme apr\u00e8s l\u2019avoir remise en question. Est-ce que ce blog, finalement, n\u2019est pas une sorte de cr\u00e9ation d\u2019art brut ? Si l\u2019art brut me fascine autant, et depuis des ann\u00e9es, il y a sans doute un certain nombre de raisons \u00e0 cela, et que j\u2019ignorais encore jusqu\u2019\u00e0 ces derniers jours. Car il n\u2019y a pas beaucoup de diff\u00e9rences entre le travail effectu\u00e9 par W\u00f6lfli, par exemple, ou celui de mon ami Thierry Lambert qui se revendique plut\u00f4t de la Neuve Invention, c\u2019est-\u00e0-dire d\u2019un art « pas tout \u00e0 fait brut », et cette profusion de textes r\u00e9dig\u00e9s sur ce blog. Tous les ingr\u00e9dients, finalement, s\u2019y retrouvent, et notamment les trois mots dont je parle dans cet article. Le secret, car souvent je me sers de r\u00e9f\u00e9rences personnelles et dont je ne cite pas vraiment les sources. Le silence, car c\u2019est souvent en m\u2019extrayant du brouhaha de la pens\u00e9e, comme du quotidien, au creux de la nuit que j\u2019\u00e9cris ces articles, ces r\u00e9cits, ces po\u00e8mes. Et la solitude essentielle, enfin, celle que j\u2019ai fini par accepter totalement et amicalement en renon\u00e7ant \u00e0 l\u2019id\u00e9e de groupe, de chapelle, d\u2019\u00e9glise, souvent cristallis\u00e9s autour d\u2019une raison, d\u2019une id\u00e9e, d\u2019une pens\u00e9e unique. Il n\u2019y a pas non plus de volont\u00e9 de reconnaissance qui me pousse \u00e0 \u00e9crire ces textes. C\u2019est bien plus une \u00e9laboration lente, patiente d\u2019un univers personnel, je crois, avec ses tentatives de d\u00e9finitions, son vocabulaire presque semblable \u00e0 celui du dictionnaire. Presque semblable, c\u2019est-\u00e0-dire un tantinet monstrueux, \u00e9videmment, ou fabuleux, comme on le voudra.<\/p>", "content_text": " Une tentative de d\u00e9finition rat\u00e9e d\u2019avance. Cela fait maintenant quelques ann\u00e9es que je tourne autour d\u2019une d\u00e9finition possible, compr\u00e9hensible de l\u2019art brut. Une d\u00e9finition personnelle tout d\u2019abord qui me permettrait de l\u2019enfermer dans quelque chose, semblable \u00e0 un paragraphe proche de ceux que l\u2019on trouve dans un dictionnaire. Mais, quelle que soit la fa\u00e7on dont je veux m\u2019y prendre, je sens bien qu\u2019une r\u00e9sistance m\u2019en emp\u00eache. C\u2019est comme vouloir enfermer un oiseau en cage. Aujourd\u2019hui je vais remettre l\u2019ouvrage sur le m\u00e9tier, encore une fois, essayer de comprendre \u00e0 la fois ce qui r\u00e9siste \u00e0 cette tentative de d\u00e9finition. Et pour cela j\u2019ai choisi trois mots, le secret, le silence, la solitude, puisque le plaisir que j\u2019imagine rechercher tiendrait \u00e0 pouvoir dire en trois mots ce qu\u2019est l\u2019art brut. S\u2019il est possible de d\u00e9finir la source de l\u2019art brut en trois mots, j\u2019aimerais probablement que ce soient ces mots-l\u00e0. Le terme d\u2019art brut est attribu\u00e9 \u00e0 Jean Dubuffet. Encore que l\u2019art brut, \u00e7a ne veuille plus dire grand-chose d\u00e9sormais. Encore que je sache qu\u2019il faille rater encore une fois de plus. On ne peut pas cantonner l\u2019art brut \u00e0 un art des fous, \u00e0 un art de la marge uniquement. L\u2019art brut, finalement, est une appellation g\u00e9n\u00e9rique commode pour le march\u00e9 de l\u2019art, destin\u00e9e \u00e0 identifier tout ce qui n\u2019est pas l\u2019art classique, acad\u00e9mique, et qui n\u2019est pas non plus abstrait, le but \u00e9tant, dans la logique marchande, de nommer un produit pour le placer en t\u00eate de gondole ou bien dans les multiples rayons de son magasin. L\u2019art brut est avant tout un art d\u2019autodidacte ; d\u2019ailleurs on ne parle pas d\u2019\u0153uvres, on parle de cr\u00e9ations lorsque Jean Dubuffet est le premier \u00e0 utiliser le terme (en 1945). Dubuffet s\u2019int\u00e9resse cependant \u00e0 ce type d\u2019art bien avant cette date. D\u00e8s 1922 il conna\u00eet d\u00e9j\u00e0 les travaux d\u2019un m\u00e9decin allemand, Hans Prinzhorn, qui s\u2019est constitu\u00e9 une sorte de mus\u00e9e d\u2019art pathologique \u00e0 Heidelberg. Dubuffet conna\u00eet \u00e9galement les travaux du Suisse Walter Morgenthaler, m\u00e9decin-chef \u00e0 la clinique de Waldau, pr\u00e8s de Berne. Ce dernier s\u2019int\u00e9resse particuli\u00e8rement aux cr\u00e9ations d\u2019un patient : Adolf W\u00f6lfli. Et si Adolf W\u00f6lfli n\u2019\u00e9tait qu\u2019un caricaturiste de notre propre monde ? L\u2019\u00e9crivain d\u2019origine suisse Blaise Cendrars a eu l\u2019occasion de se rendre \u00e0 Waldau et sans doute de rencontrer le travail d\u2019Adolf W\u00f6lfli, et l\u2019on peut bien s\u00fbr penser qu\u2019il s\u2019en inspirera pour cr\u00e9er son criminel fou dans le roman Moravagine. Ce qui caract\u00e9rise l\u2019ensemble de l\u2019\u0153uvre d\u2019Adolf W\u00f6lfli, c\u2019est la profusion. Durant 30 ans il va r\u00e9aliser 1 300 dessins, 44 cahiers, et sa biographie imaginaire compte plus de 25 000 pages. Il invente son propre univers, avec ses mythes et un langage : tout un univers qu\u2019il semble ma\u00eetriser parfaitement, et sur lequel il est intarissable, un peu \u00e0 la fa\u00e7on d\u2019un encyclop\u00e9diste de l\u2019\u00e9poque de Diderot. Ce qui, \u00e0 mon sens, est un pied de nez plus ou moins conscient \u00e0 l\u2019id\u00e9e d\u2019encyclop\u00e9die, et \u00e0 la pr\u00e9tendue richesse que le savoir semble proposer \u00e0 ses d\u00e9tenteurs en g\u00e9n\u00e9ral. C\u2019est sans doute logique que lorsqu\u2019on pense \u00e0 l\u2019art brut on imagine qu\u2019il provient en premier lieu d\u2019h\u00f4pitaux psychiatriques, qu\u2019il est un art des fous. Mais ce serait, \u00e0 mon avis, une erreur de r\u00e9duire l\u2019art brut au produit d\u2019un d\u00e9r\u00e8glement mental, ou tout du moins \u00e0 une inaptitude de ses cr\u00e9ateurs \u00e0 vivre de fa\u00e7on dite \u00ab normale \u00bb en soci\u00e9t\u00e9. S\u2019il doit \u00eatre le fruit de la folie, ce serait celle dont parle Michel Foucault, c\u2019est-\u00e0-dire celle n\u00e9cessaire, impos\u00e9e par la raison qui d\u00e9sire co\u00fbte que co\u00fbte se maintenir et r\u00e9gner. L\u2019art brut : un enjeu politique autant que mercantile. Il y aurait donc, en de\u00e7\u00e0 de la d\u00e9finition de ce qu\u2019est l\u2019art brut, un enjeu politique et mercantile. Car dans ces deux zones on cherche \u00e0 identifier ce qu\u2019il est, ou plut\u00f4t ce qu\u2019il doit \u00eatre selon les buts recherch\u00e9s, qui n\u2019ont pas de v\u00e9ritable affinit\u00e9 avec sa raison d\u2019\u00eatre principale, je veux parler d\u2019un art du secret, du silence, de la solitude. Le fait que cet art soit un art d\u2019autodidacte la plupart du temps, en opposition avec d\u2019autres formes d\u2019art issues d\u2019un h\u00e9ritage, d\u2019un patrimoine, d\u2019un enseignement acad\u00e9mique ou autre, signifie \u00e9galement que le cr\u00e9ateur est tout \u00e0 fait capable de s\u2019inventer ses propres r\u00e8gles, son propre univers. Il n\u2019a besoin de personne pour l\u2019aider ni pour d\u00e9cider du beau et du laid en celui-ci. Le cr\u00e9ateur d\u2019art brut est en premier lieu son propre spectacle comme son propre spectateur. Il n\u2019a besoin d\u2019aucun public, sauf peut-\u00eatre afin de le consid\u00e9rer comme l\u2019Autre hostile, pour le vilipender et ainsi renforcer plus encore, r\u00e9\u00e9nergiser si l\u2019on veut les trois sources de son travail. La notion de secret r\u00e9currente dans l\u2019art brut. Le secret : il n\u2019y a que l\u2019auteur qui peut savoir ce dont il s\u2019agit, et personne d\u2019autre. La notion de secret est le ferment d\u2019une codification dont l\u2019auteur seul conna\u00eet la r\u00e8gle, le chiffrement. Hier, par exemple, je suis tomb\u00e9 sur une vid\u00e9o de YouTube relatant le myst\u00e8re d\u2019un manuscrit remontant au XVe ou XVIe si\u00e8cle, attribu\u00e9 certainement \u00e0 tort \u00e0 Roger Bacon (1214-1294), mais aussi \u00e0 L\u00e9onard de Vinci et Athanasius Kircher, plus contemporains de la nature du v\u00e9lin sur lequel il est r\u00e9dig\u00e9. Bref, il s\u2019agit d\u2019un ouvrage de 234 pages \u00e9crit dans une langue inconnue \u00e0 ce jour et sur lequel ont \u00e9t\u00e9 dessin\u00e9es d\u2019\u00e9tranges esquisses traitant de la flore, de la faune et aussi de figures \u00e0 l\u2019apparence mythique. On peut imaginer qu\u2019il s\u2019agit de l\u2019\u0153uvre d\u2019un soi-disant fou, qu\u2019il s\u2019agit, au m\u00eame titre que l\u2019\u0153uvre de W\u00f6lfli, d\u2019une pi\u00e8ce d\u2019art brut. Mais comme elle ne se situe pas dans le m\u00eame contexte, qu\u2019on imagine une pi\u00e8ce arch\u00e9ologique, et que celle-ci doit receler un secret important, on l\u2019\u00e9tudie depuis des ann\u00e9es, en vain. \u00c0 ce jour, personne n\u2019a r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9chiffrer cet ouvrage. Si on le consid\u00e9rait comme l\u2019\u0153uvre d\u2019un fou, on ne perdrait pas autant de temps, certainement, et cet ouvrage trouverait sa place au mus\u00e9e d\u2019art brut de Lausanne. Il y a \u00e9videmment quelque chose de fascinant \u00e0 consid\u00e9rer un univers \u00e9tranger au n\u00f4tre et c\u2019est humain d\u2019imaginer qu\u2019il poss\u00e8de des r\u00e8gles, des codes, au m\u00eame titre que le n\u00f4tre. Le fait est que les cr\u00e9ateurs dits fous ou marginaux ne cr\u00e9ent pas sans raison de tels univers, mais ce peut \u00eatre aussi temps perdu que de vouloir y trouver les m\u00eames lois, les m\u00eames principes que dans le n\u00f4tre. Et m\u00eame si tel \u00e9tait le cas, je crois que ce serait effrayant de constater \u00e0 quel point notre univers dit normal est tout aussi vertigineux de d\u00e9raison, justement pondue par la raison, que l\u2019univers d\u2019un W\u00f6lfli. Ce qu\u2019il ne faut pas non plus oublier, je crois, c\u2019est que c\u2019est seulement celui qui observe la cr\u00e9ation d\u2019art brut qui lui attribue la notion de \u00ab secret \u00bb, sans doute tout autant que son cr\u00e9ateur. Il n\u2019y aurait donc pas un seul secret, mais au moins deux, et qui s\u2019attireraient ou se repousseraient comme des forces \u00e9lectromagn\u00e9tiques suivant les circonstances. Pas de musique sans silence. Le silence, c\u2019est le monde tout autour qui devient incompr\u00e9hensible, le monde r\u00e9duit \u00e0 la taille du brouhaha ; et donc le cr\u00e9ateur est oblig\u00e9 de s\u2019\u00e9loigner pour trouver sa propre qualit\u00e9 de silence comme sa petite m\u00e9lodie personnelle. Et \u00e9videmment la solitude, encore que celle-ci soit peupl\u00e9e d\u2019autre chose que ce dont on la peuple ordinairement. Cette solitude peut, par exemple, renforcer la connexion avec des \u00eatres surnaturels, et l\u00e0 aussi il n\u2019est pas rare de voir toute une mythologie personnelle s\u2019inventer dans cette solitude. Dans le fond, les artistes de l\u2019art brut, ces marginaux, ces soi-disant fous ne sont pas si \u00e9loign\u00e9s de chacun de nous. Ils ne sont la plupart du temps qu\u2019une version exag\u00e9r\u00e9e de qui nous sommes, mais que nous avons oubli\u00e9e car nous avons peur de quitter la norme apr\u00e8s l\u2019avoir remise en question. Est-ce que ce blog, finalement, n\u2019est pas une sorte de cr\u00e9ation d\u2019art brut ? Si l\u2019art brut me fascine autant, et depuis des ann\u00e9es, il y a sans doute un certain nombre de raisons \u00e0 cela, et que j\u2019ignorais encore jusqu\u2019\u00e0 ces derniers jours. Car il n\u2019y a pas beaucoup de diff\u00e9rences entre le travail effectu\u00e9 par W\u00f6lfli, par exemple, ou celui de mon ami Thierry Lambert qui se revendique plut\u00f4t de la Neuve Invention, c\u2019est-\u00e0-dire d\u2019un art \u00ab pas tout \u00e0 fait brut \u00bb, et cette profusion de textes r\u00e9dig\u00e9s sur ce blog. Tous les ingr\u00e9dients, finalement, s\u2019y retrouvent, et notamment les trois mots dont je parle dans cet article. Le secret, car souvent je me sers de r\u00e9f\u00e9rences personnelles et dont je ne cite pas vraiment les sources. Le silence, car c\u2019est souvent en m\u2019extrayant du brouhaha de la pens\u00e9e, comme du quotidien, au creux de la nuit que j\u2019\u00e9cris ces articles, ces r\u00e9cits, ces po\u00e8mes. Et la solitude essentielle, enfin, celle que j\u2019ai fini par accepter totalement et amicalement en renon\u00e7ant \u00e0 l\u2019id\u00e9e de groupe, de chapelle, d\u2019\u00e9glise, souvent cristallis\u00e9s autour d\u2019une raison, d\u2019une id\u00e9e, d\u2019une pens\u00e9e unique. Il n\u2019y a pas non plus de volont\u00e9 de reconnaissance qui me pousse \u00e0 \u00e9crire ces textes. C\u2019est bien plus une \u00e9laboration lente, patiente d\u2019un univers personnel, je crois, avec ses tentatives de d\u00e9finitions, son vocabulaire presque semblable \u00e0 celui du dictionnaire. Presque semblable, c\u2019est-\u00e0-dire un tantinet monstrueux, \u00e9videmment, ou fabuleux, comme on le voudra. 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\u00c0 chaque fois c\u2019est la m\u00eame chose : \u00e0 chaque fois que j\u2019apprends la nouvelle d\u2019un d\u00e9c\u00e8s, je tombe dans le mutisme. Je veux dire que je ne dis absolument rien, aucune condol\u00e9ance, aucun message de soutien, pas le moindre geste, pas le moindre signe ; aussi sec je rentre dans ma coquille, je calfeutre portes et fen\u00eatres et je mets des boules Quies ! J\u2019attends que \u00e7a se passe. Que l\u2019on parle d\u2019autre chose surtout. Je ne supporte pas les t\u00e9moignages d\u2019affection, les embrassades, les \u00e9treintes. C\u2019est un peu comme un No\u00ebl \u00e0 l\u2019envers, chaque veill\u00e9e fun\u00e8bre, chaque enterrement, cela n\u2019a vraiment rien d\u2019un cadeau. Je ne crois pas \u00eatre un monstre pour autant. Simplement le tragique m\u2019horripile au plus haut point et je trouve qu\u2019il vire g\u00e9n\u00e9ralement \u00e0 la com\u00e9die \u00e0 ces moments-l\u00e0, une com\u00e9die avec des fous rires qui tombent toujours au mauvais moment. Il n\u2019en a pas toujours \u00e9t\u00e9 ainsi. Je me souviens de tellement de poign\u00e9es de mains, d\u2019embrassades, de phrases que l\u2019on dit \u00e0 ces moments-l\u00e0 pour prouver je ne sais quoi \u00e0 je ne sais qui. Je me souviens de toutes les larmes qui roulaient et que je ne pouvais pas retenir. Et puis un jour, je crois que c\u2019est suite \u00e0 la disparition brutale de mon p\u00e8re, je n\u2019ai plus voulu entendre parler des d\u00e9parts. Je suis rest\u00e9 sur la touche \u00e0 chaque fois que l\u2019on m\u2019annon\u00e7ait ce genre de nouvelle. C\u2019\u00e9tait plus fort que moi. Incompr\u00e9hensible. Un blocage total. J\u2019ai perdu des tas d\u2019amis ainsi. Parce qu\u2019allez donc vous expliquer, vous excuser d\u2019un tel manquement \u00e0 l\u2019ordre g\u00e9n\u00e9ral des vivants et des morts... La mort, toute mort me laisse muet et bras ballants. D\u2019ailleurs je ne dis pas la mort, je dis les d\u00e9parts. Et en m\u00eame temps quelque chose au fond de moi ne cesse de protester contre la mise en sc\u00e8ne de la mort. Je suis contre tout \u00e7a, r\u00e9sistant encore une fois de plus. La mort, c\u2019est la vie, je me dis vraiment. \u00c7a fait partie des choses quotidiennes, naturelles. Pas de quoi en faire tout un pataqu\u00e8s. Pour le mort, quelle importance, je me dis aussi : il est mort, il est tranquille, il a accompli ce qui devait s\u2019accomplir. Est-ce qu\u2019on va pleurer pour chaque brin d\u2019herbe, chaque feuille, chaque escargot qu\u2019on \u00e9crabouille, chaque p\u00e2querette qui se fane et dispara\u00eet ? Au-del\u00e0 de ma tr\u00e8s petite personne et des turpitudes humaines, de ces trag\u00e9dies et com\u00e9dies de notre nature humaine, la mort est quelque chose de commun et, en m\u00eame temps, paisible dans mon for int\u00e9rieur. Aucun besoin, pas la plus petite n\u00e9cessit\u00e9 de prouver que je suis l\u00e0 pour participer d\u00e9sormais \u00e0 la moindre clownerie fun\u00e8bre. Sans doute parce que les morts, chez moi, ne meurent jamais. Ils sont toujours l\u00e0 et nous nous entretenons souvent \u00e0 propos de choses insignifiantes, parce que l\u2019on rit et que l\u2019on pleure ensemble \u00e0 chaque instant de la vie. Alors que dire de ces d\u00e9parts, puisqu\u2019il n\u2019y a pas vraiment de d\u00e9part v\u00e9ritable ? Je crois surtout qu\u2019il y a beaucoup de peur et de m\u00e9chancet\u00e9 dans toutes ces affaires funestes. Il faut enterrer quelque chose soudain, de toute urgence, comme pour s\u2019en d\u00e9barrasser, et aussi pour savoir o\u00f9 il g\u00eet \u00e0 tout jamais, pour qu\u2019on n\u2019y pense plus et qu\u2019aucun fant\u00f4me ne surgisse soudain au pied du lit.<\/p>", "content_text": " \u00c0 chaque fois c\u2019est la m\u00eame chose : \u00e0 chaque fois que j\u2019apprends la nouvelle d\u2019un d\u00e9c\u00e8s, je tombe dans le mutisme. Je veux dire que je ne dis absolument rien, aucune condol\u00e9ance, aucun message de soutien, pas le moindre geste, pas le moindre signe ; aussi sec je rentre dans ma coquille, je calfeutre portes et fen\u00eatres et je mets des boules Quies ! J\u2019attends que \u00e7a se passe. Que l\u2019on parle d\u2019autre chose surtout. Je ne supporte pas les t\u00e9moignages d\u2019affection, les embrassades, les \u00e9treintes. C\u2019est un peu comme un No\u00ebl \u00e0 l\u2019envers, chaque veill\u00e9e fun\u00e8bre, chaque enterrement, cela n\u2019a vraiment rien d\u2019un cadeau. Je ne crois pas \u00eatre un monstre pour autant. Simplement le tragique m\u2019horripile au plus haut point et je trouve qu\u2019il vire g\u00e9n\u00e9ralement \u00e0 la com\u00e9die \u00e0 ces moments-l\u00e0, une com\u00e9die avec des fous rires qui tombent toujours au mauvais moment. Il n\u2019en a pas toujours \u00e9t\u00e9 ainsi. Je me souviens de tellement de poign\u00e9es de mains, d\u2019embrassades, de phrases que l\u2019on dit \u00e0 ces moments-l\u00e0 pour prouver je ne sais quoi \u00e0 je ne sais qui. Je me souviens de toutes les larmes qui roulaient et que je ne pouvais pas retenir. Et puis un jour, je crois que c\u2019est suite \u00e0 la disparition brutale de mon p\u00e8re, je n\u2019ai plus voulu entendre parler des d\u00e9parts. Je suis rest\u00e9 sur la touche \u00e0 chaque fois que l\u2019on m\u2019annon\u00e7ait ce genre de nouvelle. C\u2019\u00e9tait plus fort que moi. Incompr\u00e9hensible. Un blocage total. J\u2019ai perdu des tas d\u2019amis ainsi. Parce qu\u2019allez donc vous expliquer, vous excuser d\u2019un tel manquement \u00e0 l\u2019ordre g\u00e9n\u00e9ral des vivants et des morts... La mort, toute mort me laisse muet et bras ballants. D\u2019ailleurs je ne dis pas la mort, je dis les d\u00e9parts. Et en m\u00eame temps quelque chose au fond de moi ne cesse de protester contre la mise en sc\u00e8ne de la mort. Je suis contre tout \u00e7a, r\u00e9sistant encore une fois de plus. La mort, c\u2019est la vie, je me dis vraiment. \u00c7a fait partie des choses quotidiennes, naturelles. Pas de quoi en faire tout un pataqu\u00e8s. Pour le mort, quelle importance, je me dis aussi : il est mort, il est tranquille, il a accompli ce qui devait s\u2019accomplir. Est-ce qu\u2019on va pleurer pour chaque brin d\u2019herbe, chaque feuille, chaque escargot qu\u2019on \u00e9crabouille, chaque p\u00e2querette qui se fane et dispara\u00eet ? Au-del\u00e0 de ma tr\u00e8s petite personne et des turpitudes humaines, de ces trag\u00e9dies et com\u00e9dies de notre nature humaine, la mort est quelque chose de commun et, en m\u00eame temps, paisible dans mon for int\u00e9rieur. Aucun besoin, pas la plus petite n\u00e9cessit\u00e9 de prouver que je suis l\u00e0 pour participer d\u00e9sormais \u00e0 la moindre clownerie fun\u00e8bre. Sans doute parce que les morts, chez moi, ne meurent jamais. Ils sont toujours l\u00e0 et nous nous entretenons souvent \u00e0 propos de choses insignifiantes, parce que l\u2019on rit et que l\u2019on pleure ensemble \u00e0 chaque instant de la vie. Alors que dire de ces d\u00e9parts, puisqu\u2019il n\u2019y a pas vraiment de d\u00e9part v\u00e9ritable ? Je crois surtout qu\u2019il y a beaucoup de peur et de m\u00e9chancet\u00e9 dans toutes ces affaires funestes. Il faut enterrer quelque chose soudain, de toute urgence, comme pour s\u2019en d\u00e9barrasser, et aussi pour savoir o\u00f9 il g\u00eet \u00e0 tout jamais, pour qu\u2019on n\u2019y pense plus et qu\u2019aucun fant\u00f4me ne surgisse soudain au pied du lit. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3246.jpg?1763678038", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-iles-de-la-tranquillite.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-iles-de-la-tranquillite.html", "title": "Les iles de la Tranquillit\u00e9.", "date_published": "2021-10-06T05:54:01Z", "date_modified": "2025-11-03T15:12:29Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Soudain je me penchai sur cet art qui consiste \u00e0 porter une attention particuli\u00e8re \u00e0 la plus petite peccadille afin de s’entrainer \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer.<\/p>\n

On laisse filer tellement de choses par inattention. On les regarde sans les voir. Ou alors on les regarde pour en retenir quelque chose \u00e0 profit, avec int\u00e9r\u00eat dans un espoir d’en recevoir des dividendes.<\/p>\n

L’attention command\u00e9e par l’int\u00e9r\u00eat sans doute.<\/p>\n

Mais cette attention l\u00e0, celle dont je suis en ce moment m\u00eame en train de vous parler, elle n’enl\u00e8ve pas les doutes. Elle en fait une mati\u00e8re, que l’on peut d\u00e9poser dans un creuset.<\/p>\n

C’est au travers d’elle en la chauffant d’innombrables fois \u00e0 la flamme du doute, de l’h\u00e9sitation que l’on parvient enfin \u00e0 percer sa gangue confuse, boueuse. C’est alors que la croute se fendille, qu’elle laisse \u00e9chapper quelques \u00e9tincelles de clart\u00e9, et dont on ne sait la plupart du temps que faire tant qu’on est jeune et inexp\u00e9riment\u00e9 dans cet art.<\/p>\n

L’ultime \u00e9tape est donc d’installer une estrade, de la d\u00e9corer de lampions, voire de jolis bouquets, asperger le tout ensuite d’un brin de v\u00e9tiver, Enfin, mettez vos plus beaux atours et grimpez ensuite au beau milieu !<\/p>\n

Une fois tout cela effectu\u00e9 plus ou moins dans le bon ordre, essayez vous \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer.<\/p>\n

Sans doute n’y parviendrez vous pas du premier coup, peut-\u00eatre aurez vous un ton trop perch\u00e9, des tremblements dans la glotte, des sueurs froides, ou serez vous pris d’ivresse et d\u00e9blat\u00e9rez des b\u00eatises aussi grosses que vous.<\/p>\n

Ce n’est pas grave du tout !<\/p>\n

Osez c\u00e9l\u00e9brer. Pour un oui et pour un non.<\/p>\n

C\u00e9l\u00e9brer un instant c’est tirer le fil t\u00e9nu de l’\u00e9tincelle pour extraire un soleil, une \u00e9toile.<\/p>\n

Il faut savoir le doute comme la nuit, ces nids.<\/p>\n

Et apr\u00e8s des ann\u00e9es, un jour sans doute, accepter<\/p>\n

que quelque chose prenne son envol, sans regret.<\/p>\n

l’accompagner ainsi \u00e0 l’aide d’une pierre blanche, marquer le coup.<\/p>\n

Oh on s’int\u00e9resse aux grands faits d’armes, \u00e0 l’extraordinaire invent\u00e9 par l’ennui pour se distraire de l’ordinaire.<\/p>\n

Essayer l’infime peut a\u00e9rer l’esprit.<\/p>\n

Et surtout am\u00e9liorer le ton le timbre des discours<\/p>\n

Et vous verrez, en c\u00e9l\u00e9brant ainsi mille petites choses que la magie existe, qu’elles vous le rendront mille fois !<\/p>\n

Vous croyez que c’est encore trop peu ? vous dites : temps perdu ...<\/p>\n

tout cela parce que vous croyez poss\u00e9der le temps alors que ce n’est que l’illusion qui souvent vous poss\u00e8de.<\/p>\n

Le r\u00e9sultat de cet art n’est pas visible \u00e0 l’\u0153il, il est sans tapage, ni fanfare.<\/p>\n

Cette estrade est \u00e9videmment int\u00e9rieure.<\/p>\n

C’est l\u00e0 qu’en tant que capitaine vous dirigerez au mieux le navire.<\/p>\n

Fendant l’ennui, la paresse, toute l’apparente m\u00e9diocrit\u00e9 des jours, pour atteindre de plus en plus souvent les \u00eeles de la Tranquillit\u00e9.<\/p>\n

Je ne dis pas que c’est facile, ni difficile.<\/p>\n

Je vous dis juste : essayez pers\u00e9v\u00e9rez et vous verrez !<\/p>", "content_text": "Soudain je me penchai sur cet art qui consiste \u00e0 porter une attention particuli\u00e8re \u00e0 la plus petite peccadille afin de s'entrainer \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer.\n\nOn laisse filer tellement de choses par inattention. On les regarde sans les voir. Ou alors on les regarde pour en retenir quelque chose \u00e0 profit, avec int\u00e9r\u00eat dans un espoir d'en recevoir des dividendes.\n\nL'attention command\u00e9e par l'int\u00e9r\u00eat sans doute.\n\nMais cette attention l\u00e0, celle dont je suis en ce moment m\u00eame en train de vous parler, elle n'enl\u00e8ve pas les doutes. Elle en fait une mati\u00e8re, que l'on peut d\u00e9poser dans un creuset.\n\nC'est au travers d'elle en la chauffant d'innombrables fois \u00e0 la flamme du doute, de l'h\u00e9sitation que l'on parvient enfin \u00e0 percer sa gangue confuse, boueuse. C'est alors que la croute se fendille, qu'elle laisse \u00e9chapper quelques \u00e9tincelles de clart\u00e9, et dont on ne sait la plupart du temps que faire tant qu'on est jeune et inexp\u00e9riment\u00e9 dans cet art.\n\nL'ultime \u00e9tape est donc d'installer une estrade, de la d\u00e9corer de lampions, voire de jolis bouquets, asperger le tout ensuite d'un brin de v\u00e9tiver, Enfin, mettez vos plus beaux atours et grimpez ensuite au beau milieu !\n\nUne fois tout cela effectu\u00e9 plus ou moins dans le bon ordre, essayez vous \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer.\n\nSans doute n'y parviendrez vous pas du premier coup, peut-\u00eatre aurez vous un ton trop perch\u00e9, des tremblements dans la glotte, des sueurs froides, ou serez vous pris d'ivresse et d\u00e9blat\u00e9rez des b\u00eatises aussi grosses que vous. \n\nCe n'est pas grave du tout !\n\nOsez c\u00e9l\u00e9brer. Pour un oui et pour un non. \n\nC\u00e9l\u00e9brer un instant c'est tirer le fil t\u00e9nu de l'\u00e9tincelle pour extraire un soleil, une \u00e9toile.\n\nIl faut savoir le doute comme la nuit, ces nids. \n\nEt apr\u00e8s des ann\u00e9es, un jour sans doute, accepter \n\nque quelque chose prenne son envol, sans regret.\n\nl'accompagner ainsi \u00e0 l'aide d'une pierre blanche, marquer le coup.\n\nOh on s'int\u00e9resse aux grands faits d'armes, \u00e0 l'extraordinaire invent\u00e9 par l'ennui pour se distraire de l'ordinaire.\n\nEssayer l'infime peut a\u00e9rer l'esprit.\n\nEt surtout am\u00e9liorer le ton le timbre des discours \n\nEt vous verrez, en c\u00e9l\u00e9brant ainsi mille petites choses que la magie existe, qu'elles vous le rendront mille fois !\n\nVous croyez que c'est encore trop peu ? vous dites : temps perdu ...\n\ntout cela parce que vous croyez poss\u00e9der le temps alors que ce n'est que l'illusion qui souvent vous poss\u00e8de.\n\nLe r\u00e9sultat de cet art n'est pas visible \u00e0 l'\u0153il, il est sans tapage, ni fanfare.\n\nCette estrade est \u00e9videmment int\u00e9rieure.\n\nC'est l\u00e0 qu'en tant que capitaine vous dirigerez au mieux le navire.\n\nFendant l'ennui, la paresse, toute l'apparente m\u00e9diocrit\u00e9 des jours, pour atteindre de plus en plus souvent les \u00eeles de la Tranquillit\u00e9.\n\nJe ne dis pas que c'est facile, ni difficile.\n\nJe vous dis juste : essayez pers\u00e9v\u00e9rez et vous verrez !", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ile-de-pangkor-2.jpg?1762182749", "tags": ["carnet de fiction"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/abondance-et-prolixite.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/abondance-et-prolixite.html", "title": "Abondance et prolixit\u00e9.", "date_published": "2021-10-05T02:53:24Z", "date_modified": "2025-11-20T22:31:45Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Juin couvre de fleurs les sommets, Et dit partout les m\u00eames choses ; Mais est-ce qu\u2019on se plaint jamais De la prolixit\u00e9 des roses ? (Hugo, Chans. rues et bois). Trouver l\u2019\u00e9quilibre entre l\u2019abondance et la prolixit\u00e9 n\u2019est pas une mince affaire, en peinture comme dans le reste. L\u2019abondance \u00e9merveille tandis que la prolixit\u00e9 agace, c\u2019est le revers de toute m\u00e9daille. On pourrait aussi dire plus simplement : aller du tout au rien, et aussi tout ou rien, comme s\u2019il s\u2019agissait de bornes \u00e0 ne pas d\u00e9passer, \u00e0 ne pas franchir, une sorte de cadre. C\u2019est aussi une fa\u00e7on d\u2019exprimer l\u2019emploi que nous faisons de l\u2019\u00e9nergie. Sans canalisation, elle s\u2019\u00e9parpille dans les champs et s\u2019enfonce rapidement sous la terre pour rejoindre la nappe phr\u00e9atique. Parfois elle n\u2019a m\u00eame pas le temps d\u2019atteindre la bonne profondeur ; le jour se l\u00e8ve, avec lui la chaleur, et l\u2019\u00e9vaporation. Pourquoi cette b\u00eatise d\u2019\u00f4ter les haies, les arbres, les bocages, si ce n\u2019est pour courir vers la prolixit\u00e9 des moissons, et le profit ? L\u2019ignorance est souvent prolixe car, ne sachant rien, elle ne cesse de t\u00e2tonner dans toutes les directions sans jamais pouvoir se satisfaire d\u2019un lieu, d\u2019un temps o\u00f9 se poser. S\u2019en rendre compte et crier Eur\u00eaka ne r\u00e8gle qu\u2019une petite partie du probl\u00e8me. On peut comprendre tellement de choses avant de les conna\u00eetre. L\u2019abondance est souvent repr\u00e9sent\u00e9e par une corne en spirale, large \u00e0 la sortie, mince \u00e0 son d\u00e9but. C\u2019est exactement ce que disait mon bon ma\u00eetre Eckhart : « Il faut qu\u2019un homme devienne v\u00e9ritablement pauvre et aussi libre \u00e0 l\u2019\u00e9gard de sa propre volont\u00e9 de cr\u00e9ature qu\u2019il l\u2019\u00e9tait lors de la naissance. Et je vous le dis, par la v\u00e9rit\u00e9 \u00e9ternelle, aussi longtemps que vous d\u00e9sirerez accomplir la volont\u00e9 de Dieu, et que vous soupirerez apr\u00e8s l\u2019\u00e9ternit\u00e9 et apr\u00e8s Dieu — tant qu\u2019il en sera ainsi —, vous ne serez pas v\u00e9ritablement pauvres. Celui-l\u00e0 seul a la v\u00e9ritable pauvret\u00e9 spirituelle, qui ne veut rien, ne sait rien, ne d\u00e9sire rien. » Mince \u00e0 son d\u00e9but, la corne d\u2019abondance s\u2019\u00e9largit en effectuant une spirale pour s\u2019achever en une ouverture large. C\u2019est en empruntant cette spirale, semblable \u00e0 celle utilis\u00e9e pour le jeu de l\u2019Oie, que la prolixit\u00e9 s\u2019affaiblit peu \u00e0 peu pour se m\u00e9tamorphoser en silence, en vide. C\u2019est ainsi, s\u00fbrement, que na\u00eet la po\u00e9sie, ce mot moderne de la Gr\u00e2ce. \u00c0 cet instant, il suffirait de presque rien pour qu\u2019un Big Bang explose et que tout recommence, encore et encore.<\/p>", "content_text": " Juin couvre de fleurs les sommets, Et dit partout les m\u00eames choses ; Mais est-ce qu\u2019on se plaint jamais De la prolixit\u00e9 des roses ? (Hugo, Chans. rues et bois). Trouver l\u2019\u00e9quilibre entre l\u2019abondance et la prolixit\u00e9 n\u2019est pas une mince affaire, en peinture comme dans le reste. L\u2019abondance \u00e9merveille tandis que la prolixit\u00e9 agace, c\u2019est le revers de toute m\u00e9daille. On pourrait aussi dire plus simplement : aller du tout au rien, et aussi tout ou rien, comme s\u2019il s\u2019agissait de bornes \u00e0 ne pas d\u00e9passer, \u00e0 ne pas franchir, une sorte de cadre. C\u2019est aussi une fa\u00e7on d\u2019exprimer l\u2019emploi que nous faisons de l\u2019\u00e9nergie. Sans canalisation, elle s\u2019\u00e9parpille dans les champs et s\u2019enfonce rapidement sous la terre pour rejoindre la nappe phr\u00e9atique. Parfois elle n\u2019a m\u00eame pas le temps d\u2019atteindre la bonne profondeur ; le jour se l\u00e8ve, avec lui la chaleur, et l\u2019\u00e9vaporation. Pourquoi cette b\u00eatise d\u2019\u00f4ter les haies, les arbres, les bocages, si ce n\u2019est pour courir vers la prolixit\u00e9 des moissons, et le profit ? L\u2019ignorance est souvent prolixe car, ne sachant rien, elle ne cesse de t\u00e2tonner dans toutes les directions sans jamais pouvoir se satisfaire d\u2019un lieu, d\u2019un temps o\u00f9 se poser. S\u2019en rendre compte et crier Eur\u00eaka ne r\u00e8gle qu\u2019une petite partie du probl\u00e8me. On peut comprendre tellement de choses avant de les conna\u00eetre. L\u2019abondance est souvent repr\u00e9sent\u00e9e par une corne en spirale, large \u00e0 la sortie, mince \u00e0 son d\u00e9but. C\u2019est exactement ce que disait mon bon ma\u00eetre Eckhart : \u00ab Il faut qu\u2019un homme devienne v\u00e9ritablement pauvre et aussi libre \u00e0 l\u2019\u00e9gard de sa propre volont\u00e9 de cr\u00e9ature qu\u2019il l\u2019\u00e9tait lors de la naissance. Et je vous le dis, par la v\u00e9rit\u00e9 \u00e9ternelle, aussi longtemps que vous d\u00e9sirerez accomplir la volont\u00e9 de Dieu, et que vous soupirerez apr\u00e8s l\u2019\u00e9ternit\u00e9 et apr\u00e8s Dieu \u2014 tant qu\u2019il en sera ainsi \u2014, vous ne serez pas v\u00e9ritablement pauvres. Celui-l\u00e0 seul a la v\u00e9ritable pauvret\u00e9 spirituelle, qui ne veut rien, ne sait rien, ne d\u00e9sire rien. \u00bb Mince \u00e0 son d\u00e9but, la corne d\u2019abondance s\u2019\u00e9largit en effectuant une spirale pour s\u2019achever en une ouverture large. C\u2019est en empruntant cette spirale, semblable \u00e0 celle utilis\u00e9e pour le jeu de l\u2019Oie, que la prolixit\u00e9 s\u2019affaiblit peu \u00e0 peu pour se m\u00e9tamorphoser en silence, en vide. C\u2019est ainsi, s\u00fbrement, que na\u00eet la po\u00e9sie, ce mot moderne de la Gr\u00e2ce. \u00c0 cet instant, il suffirait de presque rien pour qu\u2019un Big Bang explose et que tout recommence, encore et encore. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3249.jpg?1763677891", "tags": ["peinture"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/on-ne-sait-jamais.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/on-ne-sait-jamais.html", "title": "On ne sait jamais", "date_published": "2021-10-05T02:04:56Z", "date_modified": "2025-11-20T22:29:43Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Mais on peut le pr\u00e9voir, vous savez, on peut se pr\u00e9parer \u00e0 cet instant en \u00e9vitant de se faire \u00e0 l\u2019avance la plus petite id\u00e9e. \u00catre vide pour accueillir ce qui vient, pour accueillir ce maelstr\u00f6m qui nous cueille et nous emporte. On ne sait jamais : c\u2019est une locution ancienne, \u00e0 dire, \u00e0 murmurer, \u00e0 chuchoter, assis sur un banc devant les petits tourbillons de feuilles qui s\u2019\u00e9l\u00e8vent soudain du sol. On ne sait jamais. S\u2019il faut se pr\u00e9parer, c\u2019est seulement \u00e0 cela, \u00e0 \u00eatre vide, et c\u2019est exactement ainsi qu\u2019on peut observer ensuite comment tout se remplit, comme si la coupe n\u2019avait pas de bord, \u00e0 l\u2019infini. J\u2019avais pr\u00e9par\u00e9 tout un tas de choses car il faut occuper l\u2019esprit, lui faire croire. Puis, en poussant la porte, je me suis dit : merci, maintenant, chacun pour soi. Et ce fut ainsi exactement : tous arriv\u00e8rent sous la pluie, tous avaient fait le chemin. Chacun de son c\u00f4t\u00e9 pour se retrouver l\u00e0, ce soir, \u00e0 partager le grand vide que je rapportais de ce voyage. Tous avaient les yeux grands ouverts ; j\u2019ai bien pris le temps de voir. Au moment du discours, j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vu que \u00e7a se passerait comme \u00e7a. J\u2019avais oubli\u00e9, et j\u2019ai d\u00fb improviser avec l\u2019instant. Ce fut l\u00e9ger et bref. Un cr\u00e9pitement d\u2019applaudissements s\u2019est engouffr\u00e9 \u00e0 l\u2019infini. Puis nous avons bu plusieurs coups, il faut bien \u00e7a. C\u2019\u00e9tait chouette : je me suis retrouv\u00e9 en les retrouvant. Vous voyez bien, on ne sait jamais.<\/p>", "content_text": " Mais on peut le pr\u00e9voir, vous savez, on peut se pr\u00e9parer \u00e0 cet instant en \u00e9vitant de se faire \u00e0 l\u2019avance la plus petite id\u00e9e. \u00catre vide pour accueillir ce qui vient, pour accueillir ce maelstr\u00f6m qui nous cueille et nous emporte. On ne sait jamais : c\u2019est une locution ancienne, \u00e0 dire, \u00e0 murmurer, \u00e0 chuchoter, assis sur un banc devant les petits tourbillons de feuilles qui s\u2019\u00e9l\u00e8vent soudain du sol. On ne sait jamais. S\u2019il faut se pr\u00e9parer, c\u2019est seulement \u00e0 cela, \u00e0 \u00eatre vide, et c\u2019est exactement ainsi qu\u2019on peut observer ensuite comment tout se remplit, comme si la coupe n\u2019avait pas de bord, \u00e0 l\u2019infini. J\u2019avais pr\u00e9par\u00e9 tout un tas de choses car il faut occuper l\u2019esprit, lui faire croire. Puis, en poussant la porte, je me suis dit : merci, maintenant, chacun pour soi. Et ce fut ainsi exactement : tous arriv\u00e8rent sous la pluie, tous avaient fait le chemin. Chacun de son c\u00f4t\u00e9 pour se retrouver l\u00e0, ce soir, \u00e0 partager le grand vide que je rapportais de ce voyage. Tous avaient les yeux grands ouverts ; j\u2019ai bien pris le temps de voir. Au moment du discours, j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vu que \u00e7a se passerait comme \u00e7a. J\u2019avais oubli\u00e9, et j\u2019ai d\u00fb improviser avec l\u2019instant. Ce fut l\u00e9ger et bref. Un cr\u00e9pitement d\u2019applaudissements s\u2019est engouffr\u00e9 \u00e0 l\u2019infini. Puis nous avons bu plusieurs coups, il faut bien \u00e7a. C\u2019\u00e9tait chouette : je me suis retrouv\u00e9 en les retrouvant. Vous voyez bien, on ne sait jamais. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3242.jpg?1763677736", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/encore-une-tentative-de-discours-note-pour-le-vernissage-de-l-exposition.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/encore-une-tentative-de-discours-note-pour-le-vernissage-de-l-exposition.html", "title": "Encore une tentative de discours. ( note pour le vernissage de l'exposition)", "date_published": "2021-10-04T00:12:00Z", "date_modified": "2025-11-03T14:55:29Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

En tant que peintre il faut que je me souvienne d’une chose importante, tout comme un commer\u00e7ant devrait encore s’en souvenir aujourd’hui : Le public comme le client est roi !<\/p>\n

C’est \u00e0 dire qu’il peut r\u00e9gner un instant sur ma notori\u00e9t\u00e9, mon prestige, et m\u00eame pour me le prouver parfois m’acheter quelques \u0153uvres comme cela s’est d\u00e9j\u00e0 produit , et j’esp\u00e8re bien que cela arrivera encore.<\/p>\n

Mais tout roi qu’il est il ne r\u00e8gne pas sur la source de cette peinture, j’ai mis un certain temps \u00e0 comprendre le mot libert\u00e9.<\/p>\n

Je ne suis pas obs\u00e9d\u00e9 par la notori\u00e9t\u00e9, pas plus que par le prestige, et mon travail de professeur me permettant de vivre je ne cours pas non plus outre mesure vers le \"chaland\"<\/p>\n

Ce qui me pr\u00e9occupe souvent en revanche c’est de trouver dans le particulier de ma propre vie, dans l’extraordinaire comme dans la banalit\u00e9 de ma propre vie quelque chose pouvant se d\u00e9cliner de fa\u00e7on universelle.<\/p>\n

Dans une \u00e9poque o\u00f9 l’humanisme n’a plus vraiment le vent en poupe c’est assez gonfl\u00e9 je vous l’accorde.<\/p>\n

Ce soir c’est le vernissage de cette exposition que j’ai voulu nommer \"voyage int\u00e9rieur\". Et si j’ai des doutes ils ne portent que sur la qualit\u00e9 de cette transmission du particulier vers l’universel, cet universel qui s’incarne en toi ( public ch\u00e9ri) venu malgr\u00e9 la pluie voir mes tableaux.<\/p>\n

Peut-\u00eatre parlera t’on d’esth\u00e9tique, de composition, de beau et de laid, de force ou de faiblesse, ce ne sera comme d’habitude que le brouhaha naturel accompagnant tout vernissage.<\/p>\n

Je ne me r\u00e9jouis pas plus que je ne m’offusque . .et certainement j’essaierai de faire attention \u00e0 la qualit\u00e9 de silence sous ce brouhaha, pour savoir si c’est un silence paisible ou autre chose. Car c’est \u00e0 partir de ce silence que la musique, l’harmonie, peut naitre ou pas.<\/p>\n

Que dire vraiment \u00e0 haute voix d’un tableau ? Comment dire l’intime ? C’est pour cela que la plupart d’entre nous utilisions les termes j’aime<\/em> ou je n’aime pas<\/em>, c’est beau<\/em>, c’est moche<\/em>. Quelque chose nous touche en bien ou en mal et nous avons souvent du mal \u00e0 l’exprimer autrement qu’ainsi.<\/p>\n

Il n’est pas question pour moi de juger ce brouhaha, ni de me l’approprier en bien ou en mal, c’est l’\u00e9manation de cet universel tel qu’il arrive au monde par l’interm\u00e9diaire des personnes r\u00e9unies dans une pi\u00e8ce face \u00e0 un \u00e9v\u00e9nement.<\/p>\n

Car c’est un \u00e9v\u00e9nement, en tous cas pour moi que de montrer mon travail ici, au centre culturel de Champvillard, \u00e0 Irigny. C’est un \u00e9v\u00e9nement pour moi de montrer quelques \u00e9tapes de ce voyage int\u00e9rieur qu’est ma vie de peintre, ma vie tout simplement.<\/p>\n

Je pr\u00e9pare cette exposition depuis longtemps et je l’imaginais exhaustive comme une esp\u00e8ce de r\u00e9trospective tant cela me tient \u00e0 c\u0153ur de partager enfin toutes ces d\u00e9couvertes , ces difficult\u00e9s, ces \u00e9cueils aussi. C’\u00e9tait \u00e9videmment exag\u00e9r\u00e9.<\/p>\n

C’est l\u00e0 un d\u00e9faut majeur de cette volont\u00e9 de partage et probablement aussi des mes doutes perp\u00e9tuels que de vouloir tout expliquer dans le menu.<\/p>\n

Ma compagne r\u00e9sume cela beaucoup plus simplement d’habitude , elle me donne un coup de coude discret accompagn\u00e9 d’un <\/em>\"arr\u00eate d’en faire des tonnes.\"<\/p>\n

J’ai r\u00e9dig\u00e9 de nombreux textes depuis plus de deux ans d\u00e9sormais autour de ce moment sans pour autant parvenir \u00e0 la satisfaction de toucher vraiment au but par les mots.<\/p>\n

Et c’est normal finalement puisque je passe plus de temps \u00e0 peindre qu’\u00e0 \u00e9crire.<\/p>\n

Parmi toutes ces tentatives qui forment \u00e0 elles seules un voyage int\u00e9rieur<\/em> du m\u00eame tonneau que ce travail de peinture, je retiens un moment tout particulier : les retrouvailles avec l’Estonie, les retrouvailles avec ma m\u00e8re, les retrouvailles avec cette branche de la famille, maternelle, que je tais parce que je sens, et je ne sais pas si c’est \u00e0 tort ou raison, que c’est une patate chaude qui arrive de tr\u00e8s loin, de bien avant ma naissance.<\/p>\n

Cette sensibilit\u00e9 exacerb\u00e9e, l’effusion tout comme la profusion d’amabilit\u00e9, de gentillesse, la gesticulation font partie de la culture de mes anc\u00eatres baltes tels que je les imagine pour le meilleur et le pire \u00e0 partir de bribes d’informations re\u00e7ues dans l’enfance.<\/p>\n

Sans doute auront ils exag\u00e9r\u00e9 en arrivant sur le sol fran\u00e7ais parce que l’exag\u00e9ration leur permettait \u00e0 ce moment l\u00e0 de mieux estimer la distance \u00e0 parcourir avec la langue fran\u00e7aise, tellement riche de sens, de subtilit\u00e9, de pr\u00e9cision pour accompagner la clart\u00e9 dans le mouvement de la pens\u00e9e.<\/p>\n

Sans doute qu’\u00e0 un moment donn\u00e9 en auront ils fait eux aussi des tonnes pour trouver leur place ici dans notre beau pays. Ce pays qui fait r\u00eaver tous ceux qui d\u00e9cident de voyager vers lui, de tout quitter pour aller vers lui. Ce pays qui se d\u00e9signe encore comme le pays des droits de l’homme<\/em> malgr\u00e9 tout ce que l’on peut en dire. Ce pays qui est une id\u00e9e formidable tellement forte encore malgr\u00e9 le marasme qu’il traverserait et que l’on ne cesse de nous d\u00e9crire.<\/p>\n

C’est en ayant \u00e0 nommer mes tableaux pour des raisons d’assurance, ici m\u00eame, au centre culturel d’Irigny, que j’ai eu cette id\u00e9e de trouver des titres en estonien.<\/p>\n

Car d’ordinaire les titres que je donne \u00e0 mes tableaux pour les classer sont arides, je n’\u00e9prouve pas la n\u00e9cessit\u00e9 d’orienter vers un sens par un titre. je voudrais toujours que le tableau se suffise \u00e0 lui-m\u00eame.<\/p>\n

Encore une vanit\u00e9 de peintre certainement.<\/p>\n

Mais je me suis pr\u00eat\u00e9 \u00e0 l’exercice de bonne volont\u00e9.<\/p>\n

Et d’ailleurs lorsqu’en fran\u00e7ais il faut parfois quatre mots, une phrase pour dire quelque chose, je me suis aper\u00e7u gr\u00e2ce au traducteur de Google qu’en Estonien il n’en n\u00e9cessitait que 1 ou 2.<\/p>\n

Autant dire que tout \u00e0 coup je suis tomb\u00e9 sur un paradoxe.<\/p>\n

Comment un peuple qui r\u00e9duit autant le nombre de mots pour dire une id\u00e9e peut il \u00eatre aussi extraverti ?<\/p>\n

Puis je me suis souvenu que la seule v\u00e9ritablement extravertie \u00e9tait ma m\u00e8re.<\/p>\n

Ma grand m\u00e8re que j’ai connue lorsque j’\u00e9tais enfant \u00e9tait une taiseuse, elle avait beaucoup de difficult\u00e9s \u00e0 s’exprimer en fran\u00e7ais.<\/p>\n

Par contre avait t’elle soudain l’occasion de s’exprimer en estonien elle poss\u00e9dait aussit\u00f4t le m\u00eame d\u00e9bit qu’une italienne.<\/p>\n

Elle devenait soudain intarissable. Une fois aussi je l’ai vue parler en allemand, et en russe, avec une aisance que je n’aurais jamais pu soup\u00e7onner.<\/p>\n

Ce fut une question importante autrefois de comprendre pourquoi une femme ayant autant d’aptitudes \u00e0 parler plusieurs langues \u00e9tait r\u00e9calcitrante \u00e0 s’exprimer dans la mienne. Je n’ai pas trouv\u00e9 de r\u00e9ponse satisfaisante \u00e0 cette question non plus. Peut-\u00eatre parce que la question se suffit \u00e0 elle-m\u00eame, parce qu’elle m’aura entrain\u00e9 \u00e0 m’interroger sur cette grand-m\u00e8re bizarre et c’est d\u00e9j\u00e0 formidable.<\/p>\n

Il ne faut pas que mon discours soit trop long pour r\u00e9pondre aux r\u00e8gles de l’\u00e9l\u00e9gance \u00e0 la fran\u00e7aise.<\/p>\n

il faut que je conserve cette contrainte dans un petit coin de ma t\u00eate.<\/p>\n

Mes tableaux parlent exactement de \u00e7a pour r\u00e9sumer, de cette question essentielle : comment dire quelque chose qui ne soit pas trop pesant, ou ridicule, ou qui ne soit pas seulement dans l’emphase, la s\u00e9duction. Je veux dire quelque chose qui parte du c\u0153ur pour rejoindre le c\u0153ur et si possible simplement.<\/p>\n

Il faudrait que je sois po\u00e8te pour y parvenir ce qui est loin d’\u00eatre le cas.<\/p>\n

Parfois je trouvais ma grand-m\u00e8re peu chaleureuse en comparaison de ma m\u00e8re. Elle n’exprimait pas ses sentiments et je crois que j’ai mis un certain temps \u00e0 saisir que ce n’\u00e9tait pas parce qu’elle n’en avait pas \u00e0 notre \u00e9gard mon fr\u00e8re et moi, mais parce que sans doute les dire en fran\u00e7ais, pour elle n’aurait pas signifi\u00e9 la m\u00eame chose qu’en estonien. il devait y avoir quelque chose de l’ordre de l’\u00e0 quoi bon<\/em> pour elle \u00e0 user du fran\u00e7ais pour parler de sentiment. Ce qui est aussi la preuve d’une grande intelligence de sa part envers notre langue.<\/p>\n

Je n’ai pas pu tout mettre, le hasard qui fait toujours tr\u00e8s bien les choses se sera servi d’une confusion pour que, dans l’urgence, j’ai encore \u00e0 tout retrier le jour de l’accrochage.<\/p>\n

Car une exposition c’est aussi un langage que l’on construit, c’est un choix de vocabulaire, de syntaxe, de conjugaison.<\/p>\n

Je n’ai pas pu tout dire tout montrer j’ai du refaire un choix dans l’urgence et lorsque j’y pense c’est une chance. Une centaine de tableaux aurait \u00e9t\u00e9 de trop, et m\u00eame aujourd’hui que je revisite en pens\u00e9e cette expo apr\u00e8s avoir \u00e9lagu\u00e9 la moiti\u00e9 c’est encore excessif. Je ne dis pas \u00e7a \u00e0 la l\u00e9g\u00e8re ou par effet de style.<\/p>\n

J’\u00e9cris ce discours comme je peins. D’une fa\u00e7on r\u00e9solument brouillonne pour me venger des annotations dans la marge d’autrefois aussi. <\/em><\/p>\n

El\u00e8ve brouillon.<\/em><\/p>\n

je peux bien en sourire aussi d\u00e9sormais que je comprends d’o\u00f9 provient la majeure partie de la confusion dans laquelle je r\u00e9sidais \u00e0 l’\u00e9cole, notamment en Fran\u00e7ais.<\/p>\n

J’ai donc r\u00e9sum\u00e9 un r\u00e9sum\u00e9. Exercice difficile de par le renoncement et l’humilit\u00e9 qu’il faut dans la h\u00e2te r\u00e9unir.<\/p>\n

Dans ce que j’avais pr\u00e9par\u00e9 je voulais montrer un parcours qui s’\u00e9tend depuis cette immense confusion, ce besoin d’amour, de reconnaissance, qui n’appartiennent pas qu’\u00e0 moi mais \u00e0 ceux qui un jour dans ma famille ont du tout quitter pour essayer de se faire accepter ici.<\/p>\n

Je voulais parler de mes d\u00e9buts, de mes errances en usant de la s\u00e9duction, de l’exag\u00e9ration comme de la performance en peinture, pour parvenir \u00e0 la fin \u00e0 quelque chose de plus brut mais de plus sinc\u00e8re. De plus humble aussi.<\/p>\n

Quelque chose qui m’appartienne vraiment. Ce voyage int\u00e9rieur<\/em> parle aussi d’identit\u00e9, pas seulement de la mienne, mais de ce que peut \u00eatre l’identit\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral, de fa\u00e7on universelle, et qui n’a rien \u00e0 voir avec l’identique.<\/p>\n

En m\u00eame temps cette exposition n’est pas la premi\u00e8re que je fais, j’allais sans doute refaire les m\u00eames erreurs qu’habituellement, parce qu’il est difficile d’exposer des \u0153uvres, de les d\u00e9fendre lorsqu’elles ont \u00e9t\u00e9 peintes il y a longtemps, que l’on est pass\u00e9 \u00e0 autre chose. Le d\u00e9dain ou la honte voil\u00e0 aussi ce qui fabrique certaines habitudes par facilit\u00e9.<\/p>\n

Mais l’accident a du bon et gr\u00e2ce \u00e0 celui-ci non seulement je renoue avec l’Estonie mais aussi je d\u00e9couvre toute une po\u00e9tique associ\u00e9e \u00e0 mon travail.<\/p>\n

Ce voyage de peintre au travers la peinture je crois que chacun le vit dans son travail quel qu’il soit, j’en suis persuad\u00e9 depuis toujours, depuis les murs que j’ai \u00e9lev\u00e9s sur les chantiers dans ma jeunesse, depuis la vie de bureau \u00e0 laquelle j’ai particip\u00e9. Mais tout cela s’\u00e9vanouit presque aussit\u00f4t que c’est v\u00e9cu, on en ressort souvent comme un \u00e9tranger comme si cela avait \u00e9t\u00e9 une sorte de r\u00eave.<\/p>\n

Le seul avantage c’est qu’avec la peinture on en garde une trace, on peut l’accrocher au mur.<\/p>\n

On peut sentir la justesse et l’\u00e9cart et avec l’exp\u00e9rience d\u00e9velopper un instinct, une intuition et pourquoi pas au final de l’inspiration.<\/p>\n

Ce n’est rien d’autre que cela ce voyage int\u00e9rieur<\/em> : un voyage qui d\u00e9marre dans le clich\u00e9, ce que j’appelle la s\u00e9duction, l’\u00e9gotisme de tout individu qui se perd dans un miroir aux alouettes par instinct gr\u00e9gaire le plus souvent.<\/p>\n

Puis qui fatigu\u00e9 se mettrait alors \u00e0 glisser vers l’insolite, \u00e0 s’\u00e9loigner des reflets pour parvenir \u00e0 cet ext\u00e9rieur, ce dehors souvent par maladresse, par accident.<\/p>\n

Le d\u00e9paysement.<\/p>\n

Dont l’attention \u00e0 la maladresse \u00e0 l’accident comme au banal s’aiguiserait au fil du temps.<\/p>\n

Ce voyage est un d\u00e9paysement finalement qui ram\u00e8ne au pays.<\/p>\n

J’avais d\u00e9j\u00e0 compris cela il y a longtemps lorsque jeune homme j’\u00e9tais parti avec mon appareil photo en Iran, puis au Pakistan, en Afghanistan, d\u00e9j\u00e0 en guerre \u00e0 l’\u00e9poque.<\/p>\n

Ma peinture parle de ce d\u00e9paysement de cet \u00e9cart par rapport au confort d’une habitude d’habiter de ce manque d’attention n\u00e9cessaire pour s’engouffrer dans ce confort qui finit par couter cher, qui coute m\u00eame parfois la vie toute enti\u00e8re.<\/p>\n

Et \u00e0 la fin j’ai de plus en plus la sensation que ce voyage int\u00e9rieur<\/em>, m\u00eame r\u00e9duit \u00e0 sa plus simple expression constitue un pays, Le d\u00e9paysement aura \u00e9t\u00e9 le ciment tout comme l’exploration de la maladresse de l’accident, et du hasard.<\/p>\n

C’est d\u00e9sormais un pays tranquille, bienveillant , un pays o\u00f9 nous avons d\u00e9cid\u00e9 qu’il faisait bon vivre.<\/p>", "content_text": "En tant que peintre il faut que je me souvienne d'une chose importante, tout comme un commer\u00e7ant devrait encore s'en souvenir aujourd'hui: Le public comme le client est roi !\n\nC'est \u00e0 dire qu'il peut r\u00e9gner un instant sur ma notori\u00e9t\u00e9, mon prestige, et m\u00eame pour me le prouver parfois m'acheter quelques \u0153uvres comme cela s'est d\u00e9j\u00e0 produit , et j'esp\u00e8re bien que cela arrivera encore.\n\nMais tout roi qu'il est il ne r\u00e8gne pas sur la source de cette peinture, j'ai mis un certain temps \u00e0 comprendre le mot libert\u00e9.\n\nJe ne suis pas obs\u00e9d\u00e9 par la notori\u00e9t\u00e9, pas plus que par le prestige, et mon travail de professeur me permettant de vivre je ne cours pas non plus outre mesure vers le \"chaland\"\n\nCe qui me pr\u00e9occupe souvent en revanche c'est de trouver dans le particulier de ma propre vie, dans l'extraordinaire comme dans la banalit\u00e9 de ma propre vie quelque chose pouvant se d\u00e9cliner de fa\u00e7on universelle.\n\nDans une \u00e9poque o\u00f9 l'humanisme n'a plus vraiment le vent en poupe c'est assez gonfl\u00e9 je vous l'accorde.\n\nCe soir c'est le vernissage de cette exposition que j'ai voulu nommer \"voyage int\u00e9rieur\". Et si j'ai des doutes ils ne portent que sur la qualit\u00e9 de cette transmission du particulier vers l'universel, cet universel qui s'incarne en toi ( public ch\u00e9ri) venu malgr\u00e9 la pluie voir mes tableaux.\n\nPeut-\u00eatre parlera t'on d'esth\u00e9tique, de composition, de beau et de laid, de force ou de faiblesse, ce ne sera comme d'habitude que le brouhaha naturel accompagnant tout vernissage. \n\nJe ne me r\u00e9jouis pas plus que je ne m'offusque . .et certainement j'essaierai de faire attention \u00e0 la qualit\u00e9 de silence sous ce brouhaha, pour savoir si c'est un silence paisible ou autre chose. Car c'est \u00e0 partir de ce silence que la musique, l'harmonie, peut naitre ou pas.\n\nQue dire vraiment \u00e0 haute voix d'un tableau ? Comment dire l'intime ? C'est pour cela que la plupart d'entre nous utilisions les termes j'aime ou je n'aime pas, c'est beau, c'est moche. Quelque chose nous touche en bien ou en mal et nous avons souvent du mal \u00e0 l'exprimer autrement qu'ainsi.\n\nIl n'est pas question pour moi de juger ce brouhaha, ni de me l'approprier en bien ou en mal, c'est l'\u00e9manation de cet universel tel qu'il arrive au monde par l'interm\u00e9diaire des personnes r\u00e9unies dans une pi\u00e8ce face \u00e0 un \u00e9v\u00e9nement.\n\nCar c'est un \u00e9v\u00e9nement, en tous cas pour moi que de montrer mon travail ici, au centre culturel de Champvillard, \u00e0 Irigny. C'est un \u00e9v\u00e9nement pour moi de montrer quelques \u00e9tapes de ce voyage int\u00e9rieur qu'est ma vie de peintre, ma vie tout simplement.\n\nJe pr\u00e9pare cette exposition depuis longtemps et je l'imaginais exhaustive comme une esp\u00e8ce de r\u00e9trospective tant cela me tient \u00e0 c\u0153ur de partager enfin toutes ces d\u00e9couvertes , ces difficult\u00e9s, ces \u00e9cueils aussi. C'\u00e9tait \u00e9videmment exag\u00e9r\u00e9.\n\nC'est l\u00e0 un d\u00e9faut majeur de cette volont\u00e9 de partage et probablement aussi des mes doutes perp\u00e9tuels que de vouloir tout expliquer dans le menu.\n\nMa compagne r\u00e9sume cela beaucoup plus simplement d'habitude , elle me donne un coup de coude discret accompagn\u00e9 d'un \"arr\u00eate d'en faire des tonnes.\"\n\nJ'ai r\u00e9dig\u00e9 de nombreux textes depuis plus de deux ans d\u00e9sormais autour de ce moment sans pour autant parvenir \u00e0 la satisfaction de toucher vraiment au but par les mots. \n\nEt c'est normal finalement puisque je passe plus de temps \u00e0 peindre qu'\u00e0 \u00e9crire.\n\nParmi toutes ces tentatives qui forment \u00e0 elles seules un voyage int\u00e9rieur du m\u00eame tonneau que ce travail de peinture, je retiens un moment tout particulier: les retrouvailles avec l'Estonie, les retrouvailles avec ma m\u00e8re, les retrouvailles avec cette branche de la famille, maternelle, que je tais parce que je sens, et je ne sais pas si c'est \u00e0 tort ou raison, que c'est une patate chaude qui arrive de tr\u00e8s loin, de bien avant ma naissance.\n\nCette sensibilit\u00e9 exacerb\u00e9e, l'effusion tout comme la profusion d'amabilit\u00e9, de gentillesse, la gesticulation font partie de la culture de mes anc\u00eatres baltes tels que je les imagine pour le meilleur et le pire \u00e0 partir de bribes d'informations re\u00e7ues dans l'enfance.\n\nSans doute auront ils exag\u00e9r\u00e9 en arrivant sur le sol fran\u00e7ais parce que l'exag\u00e9ration leur permettait \u00e0 ce moment l\u00e0 de mieux estimer la distance \u00e0 parcourir avec la langue fran\u00e7aise, tellement riche de sens, de subtilit\u00e9, de pr\u00e9cision pour accompagner la clart\u00e9 dans le mouvement de la pens\u00e9e. \n\nSans doute qu'\u00e0 un moment donn\u00e9 en auront ils fait eux aussi des tonnes pour trouver leur place ici dans notre beau pays. Ce pays qui fait r\u00eaver tous ceux qui d\u00e9cident de voyager vers lui, de tout quitter pour aller vers lui. Ce pays qui se d\u00e9signe encore comme le pays des droits de l'homme malgr\u00e9 tout ce que l'on peut en dire. Ce pays qui est une id\u00e9e formidable tellement forte encore malgr\u00e9 le marasme qu'il traverserait et que l'on ne cesse de nous d\u00e9crire.\n\nC'est en ayant \u00e0 nommer mes tableaux pour des raisons d'assurance, ici m\u00eame, au centre culturel d'Irigny, que j'ai eu cette id\u00e9e de trouver des titres en estonien.\n\nCar d'ordinaire les titres que je donne \u00e0 mes tableaux pour les classer sont arides, je n'\u00e9prouve pas la n\u00e9cessit\u00e9 d'orienter vers un sens par un titre. je voudrais toujours que le tableau se suffise \u00e0 lui-m\u00eame. \n\nEncore une vanit\u00e9 de peintre certainement.\n\nMais je me suis pr\u00eat\u00e9 \u00e0 l'exercice de bonne volont\u00e9.\n\nEt d'ailleurs lorsqu'en fran\u00e7ais il faut parfois quatre mots, une phrase pour dire quelque chose, je me suis aper\u00e7u gr\u00e2ce au traducteur de Google qu'en Estonien il n'en n\u00e9cessitait que 1 ou 2. \n\nAutant dire que tout \u00e0 coup je suis tomb\u00e9 sur un paradoxe.\n\nComment un peuple qui r\u00e9duit autant le nombre de mots pour dire une id\u00e9e peut il \u00eatre aussi extraverti ?\n\nPuis je me suis souvenu que la seule v\u00e9ritablement extravertie \u00e9tait ma m\u00e8re.\n\nMa grand m\u00e8re que j'ai connue lorsque j'\u00e9tais enfant \u00e9tait une taiseuse, elle avait beaucoup de difficult\u00e9s \u00e0 s'exprimer en fran\u00e7ais.\n\nPar contre avait t'elle soudain l'occasion de s'exprimer en estonien elle poss\u00e9dait aussit\u00f4t le m\u00eame d\u00e9bit qu'une italienne. \n\nElle devenait soudain intarissable. Une fois aussi je l'ai vue parler en allemand, et en russe, avec une aisance que je n'aurais jamais pu soup\u00e7onner.\n\nCe fut une question importante autrefois de comprendre pourquoi une femme ayant autant d'aptitudes \u00e0 parler plusieurs langues \u00e9tait r\u00e9calcitrante \u00e0 s'exprimer dans la mienne. Je n'ai pas trouv\u00e9 de r\u00e9ponse satisfaisante \u00e0 cette question non plus. Peut-\u00eatre parce que la question se suffit \u00e0 elle-m\u00eame, parce qu'elle m'aura entrain\u00e9 \u00e0 m'interroger sur cette grand-m\u00e8re bizarre et c'est d\u00e9j\u00e0 formidable.\n\nIl ne faut pas que mon discours soit trop long pour r\u00e9pondre aux r\u00e8gles de l'\u00e9l\u00e9gance \u00e0 la fran\u00e7aise.\n\nil faut que je conserve cette contrainte dans un petit coin de ma t\u00eate.\n\nMes tableaux parlent exactement de \u00e7a pour r\u00e9sumer, de cette question essentielle : comment dire quelque chose qui ne soit pas trop pesant, ou ridicule, ou qui ne soit pas seulement dans l'emphase, la s\u00e9duction. Je veux dire quelque chose qui parte du c\u0153ur pour rejoindre le c\u0153ur et si possible simplement.\n\nIl faudrait que je sois po\u00e8te pour y parvenir ce qui est loin d'\u00eatre le cas.\n\nParfois je trouvais ma grand-m\u00e8re peu chaleureuse en comparaison de ma m\u00e8re. Elle n'exprimait pas ses sentiments et je crois que j'ai mis un certain temps \u00e0 saisir que ce n'\u00e9tait pas parce qu'elle n'en avait pas \u00e0 notre \u00e9gard mon fr\u00e8re et moi, mais parce que sans doute les dire en fran\u00e7ais, pour elle n'aurait pas signifi\u00e9 la m\u00eame chose qu'en estonien. il devait y avoir quelque chose de l'ordre de l'\u00e0 quoi bon pour elle \u00e0 user du fran\u00e7ais pour parler de sentiment. Ce qui est aussi la preuve d'une grande intelligence de sa part envers notre langue.\n\nJe n'ai pas pu tout mettre, le hasard qui fait toujours tr\u00e8s bien les choses se sera servi d'une confusion pour que, dans l'urgence, j'ai encore \u00e0 tout retrier le jour de l'accrochage. \n\nCar une exposition c'est aussi un langage que l'on construit, c'est un choix de vocabulaire, de syntaxe, de conjugaison. \n\nJe n'ai pas pu tout dire tout montrer j'ai du refaire un choix dans l'urgence et lorsque j'y pense c'est une chance. Une centaine de tableaux aurait \u00e9t\u00e9 de trop, et m\u00eame aujourd'hui que je revisite en pens\u00e9e cette expo apr\u00e8s avoir \u00e9lagu\u00e9 la moiti\u00e9 c'est encore excessif. Je ne dis pas \u00e7a \u00e0 la l\u00e9g\u00e8re ou par effet de style. \n\nJ'\u00e9cris ce discours comme je peins. D'une fa\u00e7on r\u00e9solument brouillonne pour me venger des annotations dans la marge d'autrefois aussi. \n\nEl\u00e8ve brouillon. \n\nje peux bien en sourire aussi d\u00e9sormais que je comprends d'o\u00f9 provient la majeure partie de la confusion dans laquelle je r\u00e9sidais \u00e0 l'\u00e9cole, notamment en Fran\u00e7ais.\n\nJ'ai donc r\u00e9sum\u00e9 un r\u00e9sum\u00e9. Exercice difficile de par le renoncement et l'humilit\u00e9 qu'il faut dans la h\u00e2te r\u00e9unir.\n\nDans ce que j'avais pr\u00e9par\u00e9 je voulais montrer un parcours qui s'\u00e9tend depuis cette immense confusion, ce besoin d'amour, de reconnaissance, qui n'appartiennent pas qu'\u00e0 moi mais \u00e0 ceux qui un jour dans ma famille ont du tout quitter pour essayer de se faire accepter ici.\n\nJe voulais parler de mes d\u00e9buts, de mes errances en usant de la s\u00e9duction, de l'exag\u00e9ration comme de la performance en peinture, pour parvenir \u00e0 la fin \u00e0 quelque chose de plus brut mais de plus sinc\u00e8re. De plus humble aussi.\n\nQuelque chose qui m'appartienne vraiment. Ce voyage int\u00e9rieur parle aussi d'identit\u00e9, pas seulement de la mienne, mais de ce que peut \u00eatre l'identit\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral, de fa\u00e7on universelle, et qui n'a rien \u00e0 voir avec l'identique.\n\nEn m\u00eame temps cette exposition n'est pas la premi\u00e8re que je fais, j'allais sans doute refaire les m\u00eames erreurs qu'habituellement, parce qu'il est difficile d'exposer des \u0153uvres, de les d\u00e9fendre lorsqu'elles ont \u00e9t\u00e9 peintes il y a longtemps, que l'on est pass\u00e9 \u00e0 autre chose. Le d\u00e9dain ou la honte voil\u00e0 aussi ce qui fabrique certaines habitudes par facilit\u00e9.\n\nMais l'accident a du bon et gr\u00e2ce \u00e0 celui-ci non seulement je renoue avec l'Estonie mais aussi je d\u00e9couvre toute une po\u00e9tique associ\u00e9e \u00e0 mon travail.\n\nCe voyage de peintre au travers la peinture je crois que chacun le vit dans son travail quel qu'il soit, j'en suis persuad\u00e9 depuis toujours, depuis les murs que j'ai \u00e9lev\u00e9s sur les chantiers dans ma jeunesse, depuis la vie de bureau \u00e0 laquelle j'ai particip\u00e9. Mais tout cela s'\u00e9vanouit presque aussit\u00f4t que c'est v\u00e9cu, on en ressort souvent comme un \u00e9tranger comme si cela avait \u00e9t\u00e9 une sorte de r\u00eave.\n\nLe seul avantage c'est qu'avec la peinture on en garde une trace, on peut l'accrocher au mur.\n\nOn peut sentir la justesse et l'\u00e9cart et avec l'exp\u00e9rience d\u00e9velopper un instinct, une intuition et pourquoi pas au final de l'inspiration.\n\nCe n'est rien d'autre que cela ce voyage int\u00e9rieur: un voyage qui d\u00e9marre dans le clich\u00e9, ce que j'appelle la s\u00e9duction, l'\u00e9gotisme de tout individu qui se perd dans un miroir aux alouettes par instinct gr\u00e9gaire le plus souvent.\n\nPuis qui fatigu\u00e9 se mettrait alors \u00e0 glisser vers l'insolite, \u00e0 s'\u00e9loigner des reflets pour parvenir \u00e0 cet ext\u00e9rieur, ce dehors souvent par maladresse, par accident. \n\nLe d\u00e9paysement.\n\nDont l'attention \u00e0 la maladresse \u00e0 l'accident comme au banal s'aiguiserait au fil du temps.\n\nCe voyage est un d\u00e9paysement finalement qui ram\u00e8ne au pays.\n\nJ'avais d\u00e9j\u00e0 compris cela il y a longtemps lorsque jeune homme j'\u00e9tais parti avec mon appareil photo en Iran, puis au Pakistan, en Afghanistan, d\u00e9j\u00e0 en guerre \u00e0 l'\u00e9poque.\n\nMa peinture parle de ce d\u00e9paysement de cet \u00e9cart par rapport au confort d'une habitude d'habiter de ce manque d'attention n\u00e9cessaire pour s'engouffrer dans ce confort qui finit par couter cher, qui coute m\u00eame parfois la vie toute enti\u00e8re.\n\nEt \u00e0 la fin j'ai de plus en plus la sensation que ce voyage int\u00e9rieur, m\u00eame r\u00e9duit \u00e0 sa plus simple expression constitue un pays, Le d\u00e9paysement aura \u00e9t\u00e9 le ciment tout comme l'exploration de la maladresse de l'accident, et du hasard.\n\nC'est d\u00e9sormais un pays tranquille, bienveillant , un pays o\u00f9 nous avons d\u00e9cid\u00e9 qu'il faisait bon vivre.", "image": "", "tags": ["peinture"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Resistance.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Resistance.html", "title": "R\u00e9sistance", "date_published": "2021-10-03T06:53:08Z", "date_modified": "2025-11-20T22:26:52Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

« Il y a plusieurs sortes de r\u00e9sistances, mais aujourd\u2019hui je me concentrerai seulement sur deux que je suis parvenu \u00e0 identifier. » Je me retins de ne pas pouffer de rire tout de suite parce que je savais qu\u2019on allait encore avoir affaire \u00e0 une esp\u00e8ce de cours magistral dont il avait le secret. « La premi\u00e8re et non la moindre est ce que l\u2019on pourrait appeler une r\u00e9sistance inconsciente. Ce sont toutes ces petites choses qui surgissent comme par inadvertance et qui semblent se mettre en travers de nos intentions. Cela peut aller de la simple \u00e9tourderie \u00e0 la b\u00e9vue magistrale et on ne s\u2019en rend compte qu\u2019une fois que l\u2019on tente d\u2019effectuer le bilan d\u2019un cheminement, la plupart du temps pour voir ce qui ne s\u2019est pas pass\u00e9 comme on le d\u00e9sirait. » En regardant ses chaussures, je vis que l\u2019un de ses lacets \u00e9tait d\u00e9fait, comme \u00e0 l\u2019ordinaire. On pouvait le rencontrer en toutes circonstances, au march\u00e9, \u00e0 la messe, au bistrot, c\u2019\u00e9tait toujours ainsi : il ne semblait pas pouvoir supporter les n\u0153uds. Une sorte de manie \u00e0 l\u2019envers, si on veut... « Dans ce domaine, je crois que je m\u00e9rite souvent le pompon, reprit-il. Mais avec le temps, ce que j\u2019en retire comme enseignement, c\u2019est de m\u2019interroger encore plus sur la fameuse intention de d\u00e9part, tout cet imaginaire qui, chez moi, accompagne presque toujours toute intention. C\u2019est arriver avant d\u2019\u00eatre parti, en quelque sorte. On tire des plans sur la com\u00e8te, on se demande ce que l\u2019on va faire avec tout le gain obtenu avec le petit pot au lait qu\u2019on trimballe vers le march\u00e9 et puis l\u00e0, patatras ! on bute sur une pierre et on se vautre, le pot au lait se brise, circulez, il n\u2019y a plus rien \u00e0 voir. J\u2019imagine que l\u2019inconscient parvient \u00e0 d\u00e9coder formidablement bien la nature v\u00e9ritable de nos intentions et que, s\u2019il nous propose des emb\u00fbches, c\u2019est la plupart du temps pour atteindre ce but qu\u2019on ne s\u2019avoue pas clairement. En ce qui me concerne, il m\u2019est arriv\u00e9 de nombreuses fois de me tromper d\u2019intention. C\u2019est-\u00e0-dire de rester sur une couche superficielle de celle-ci. Comme, par exemple, vouloir \u00eatre reconnu pour mon art, c\u2019est-\u00e0-dire vouloir \u00eatre accept\u00e9 ou aim\u00e9 suivant les diverses nuances que l\u2019on peut accorder \u00e0 ces termes. » J\u2019ai retenu ma respiration car, \u00e0 un moment, j\u2019ai bien cru qu\u2019il allait se vautrer en marchant sur le lacet d\u00e9fait, mais, par un r\u00e9tablissement \u00e9trange, il \u00e9carta l\u2019autre jambe et trouva un \u00e9quilibre nouveau. « Mais si je r\u00e9fl\u00e9chis \u00e0 toutes les emb\u00fbches que je me serais plac\u00e9es tout seul pour rater ce but, c\u2019est qu\u2019au fond il y avait bel et bien quelque chose de confus dans l\u2019intention. L\u2019incident, l\u2019accident, l\u2019\u00e9tourderie et la b\u00e9vue ne sont que des outils qu\u2019une part de soi utilise pour renseigner l\u2019autre, c\u2019est-\u00e0-dire cette infime partie qu\u2019on appelle conscience. Au bout du compte, comment savoir si une intention est juste sans passer par tout ce parcours de jeu de l\u2019oie ? On peut tenter de r\u00e9fl\u00e9chir en amont, pr\u00e9voir, \u00e9laborer une strat\u00e9gie, planifier tout une s\u00e9rie de t\u00e2ches, et suivre au pied de la lettre chaque to-do list que l\u2019on punaise sur son mur, \u00e7a ne change pas vraiment grand-chose. Sans doute parce que tout ce que l\u2019on imagine, m\u00eame au plus pr\u00e8s de ce que nous appelons la r\u00e9alit\u00e9, en est toujours extr\u00eamement \u00e9loign\u00e9. » Il va au tableau, le lacet tra\u00eene : l\u2019atteindra-t-il ? mais oui, encore un jeu de jambe ; il s\u2019empare de la craie et note TODO sur le tableau noir. « Et les emb\u00fbches, finalement, ne servent qu\u2019\u00e0 comprendre \u00e0 quel point nous sommes souvent trop compliqu\u00e9s dans notre interpr\u00e9tation de cette r\u00e9alit\u00e9. Pour parvenir \u00e0 la simplicit\u00e9, voire \u00e0 l\u2019efficacit\u00e9, \u00e0 la clart\u00e9, il ne faut pas compter sur tout ce que l\u2019on pense mais plus sur ce que l\u2019on fait v\u00e9ritablement. Or j\u2019ai remarqu\u00e9 que nous en faisons souvent bien moins qu\u2019on l\u2019imagine. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019on n\u2019arrive pas \u00e0 trier par la pens\u00e9e l\u2019enroulement le plus simple des actions \u00e0 effectuer et qui doivent \u00eatre parfaitement en accord avec l\u2019intention de d\u00e9part. On pense trop et mal. Parce qu\u2019on ne voit souvent que l\u2019aspect n\u00e9gatif de tel ou tel choix, en imaginant que si on avait fait un autre choix, cela aurait \u00e9t\u00e9 mieux. En fait, peu importe le choix que l\u2019on effectue, il n\u2019y a pas de chemin sans emb\u00fbche. Mais on peut avoir un point de vue diff\u00e9rent que celui qui nous entra\u00eene dans la plainte, l\u2019accablement, \u00e0 chaque fois que l\u2019on tr\u00e9buche sur un caillou. Dans l\u2019intention d\u2019\u00eatre accept\u00e9 ou aim\u00e9, qui est certainement la premi\u00e8re de toutes les intentions de tout \u00e0 chacun, on \u00e9labore des strat\u00e9gies sur des on-dit. C\u2019est-\u00e0-dire que l\u2019on copie ce que nous pensons b\u00e9n\u00e9fique \u00e0 partir de canevas, de mod\u00e8les, sans nous rendre vraiment compte qu\u2019il s\u2019agit bien plus de diplomatie, de politesse, que d\u2019affection authentique. Par exemple, le fait de ne pas savoir dire non. Cela a toujours \u00e9t\u00e9 un probl\u00e8me pour moi ; la plupart du temps, plut\u00f4t qu\u2019avoir \u00e0 expliquer mon refus, j\u2019ai dit oui sans vraiment r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 toutes les cons\u00e9quences de ce hochement de t\u00eate affirmatif. Si vous voulez, de l\u2019\u00e2ge de 10 ans jusqu\u2019\u00e0 la cinquantaine, j\u2019aurais trouv\u00e9 ma place parfaite sur le haillon arri\u00e8re d\u2019un v\u00e9hicule, \u00e0 l\u2019instar de ces petits chiens qui hochent la t\u00eate toute la sainte journ\u00e9e. Je disais oui puis j\u2019oubliais, tout \u00e7a pour ne pas entrer en conflit, pour me faire accepter, pour me rendre aimable. Ce ne m\u2019a apport\u00e9 que des d\u00e9boires en pagaille. Et j\u2019ai \u00e9t\u00e9 le plus mis\u00e9rable des hommes en me rasant le matin devant ma glace, devant l\u2019\u00e9norme tas de trahisons que j\u2019imaginais avoir ainsi entass\u00e9es par le seul fait d\u2019avoir dit oui \u00e0 la l\u00e9g\u00e8re. Lorsqu\u2019\u00e0 la cinquantaine m\u2019est venue l\u2019id\u00e9e fameuse du non, \u00e9tant novice en la mati\u00e8re, il ne m\u2019aura fallu pas moins de 10 ann\u00e9es encore pour comprendre que je faisais exactement la m\u00eame chose qu\u2019avec le oui. Je disais non pour me d\u00e9barrasser des g\u00eaneurs de la m\u00eame mani\u00e8re. N\u2019est-ce pas ironique ? Et tout \u00e7a \u00e0 cause d\u2019une intention mal plac\u00e9e. Une intention d\u2019\u00eatre aimable, ou bien une intention de ne plus prendre d\u2019engagements foireux qui me desserviraient aux yeux des autres. Et si on soul\u00e8ve encore le tapis plus loin, l\u2019intention qui se dissimule derri\u00e8re tout cela, ce n\u2019est pas d\u2019\u00eatre accept\u00e9 par les autres, pas d\u2019\u00eatre aim\u00e9 non plus, mais juste acqu\u00e9rir un peu de confiance en qui je suis v\u00e9ritablement. Pouvoir compter sur soi, ce n\u2019est pas compter uniquement sur l\u2019intelligence, sur l\u2019habilet\u00e9, c\u2019est aussi accepter toutes ces choses que l\u2019on commet inconsciemment, que l\u2019on appelle des b\u00eatises, des b\u00e9vues, de l\u2019\u00e9tourderie, et qui, si l\u2019on prend le temps de d\u00e9cortiquer tout cela, sont d\u2019un enseignement incroyable sur ce que j\u2019appelle la justesse, la clart\u00e9, l\u2019impeccabilit\u00e9. Avec un humour de potache, l\u2019inconscient se moque magistralement, \u00e0 l\u2019aide de la maladresse, pour que l\u2019on saisisse peu \u00e0 peu la douceur d\u2019un sourire sous la violence d\u2019un rire. Quelle que soit l\u2019habilet\u00e9 que j\u2019ai pu penser, \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, poss\u00e9der dans un domaine, il y a toujours eu un moment o\u00f9 l\u2019inconscient a surgi comme un diable d\u2019une bo\u00eete pour tout flanquer par terre et me dire : “Alors, mon petit pote, tu te crois plus fort que qui, d\u00e9j\u00e0 ?” Ce qui force l\u2019humilit\u00e9 \u00e0 la longue, s\u2019il nous reste un peu de jugeote. L\u2019autre type de r\u00e9sistance serait consciente, logiquement. C\u2019est-\u00e0-dire que l\u2019on s\u2019opposerait volontairement \u00e0 quelque chose. On peut manifester, descendre dans la rue pour brandir des pancartes contre telle ou telle r\u00e9forme, tel ou tel scandale. On fait acte de r\u00e9sistance. C\u2019est ce que l\u2019on imagine facilement. Quelle intention se cache derri\u00e8re la r\u00e9sistance du militantisme ? Pourquoi s\u2019insurge-t-on, se r\u00e9volte-t-on vraiment ? \u00c0 quoi cela nous sert-il sinon \u00e0 d\u00e9clarer que nous ne sommes pas d\u2019accord avec ceci ou cela, en imaginant que nous poss\u00e9dons une importance quelconque pour changer quoi que ce soit ? Je crois m\u00eame qu\u2019il peut y avoir une mode qui revient r\u00e9guli\u00e8rement de r\u00e9sister pour r\u00e9sister tout simplement. Comme une mode pour dire non apr\u00e8s s\u2019\u00eatre trop longtemps fatigu\u00e9 \u00e0 dire oui. Mais que l\u2019on r\u00e9siste ou pas \u00e0 quelque chose, je me demande si, au final, \u00e7a change profond\u00e9ment les choses. Sans doute que \u00e7a peut les retarder un moment, sans plus. Les r\u00e9sistants auxquels j\u2019ai pens\u00e9 le plus furent des personnes comme Jean Moulin, par exemple, qui ne voulait pas que la France devienne l\u2019Allemagne. Bien s\u00fbr, il y a eu cette victoire mais, lorsqu\u2019on regarde les choses attentivement d\u00e9sormais, c\u2019est bel et bien l\u2019Allemagne qui donne le la \u00e0 l\u2019Europe tout enti\u00e8re, et nous, Fran\u00e7ais, sommes tellement engag\u00e9s dans ces relations franco-allemandes qu\u2019on ne remarque m\u00eame pas l\u2019ironie provoqu\u00e9e par une sorte d\u2019inconscience europ\u00e9enne qui tirerait toutes les ficelles d\u2019une Europe \u00e0 venir qui, probablement, une fois r\u00e9gl\u00e9es toutes les difficult\u00e9s, sera un grand pays. » Un peu de plus et il va nous passer la cassette habituelle, l\u2019enregistrement de la voix de Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panth\u00e9on... JEEEANN MOUUUUULIN.... « Voir plus loin que le bout de son nez, cela n\u00e9cessite avant tout de comprendre o\u00f9 il s\u2019interrompt pour laisser place au monde comme \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9. S\u2019il faut r\u00e9sister \u00e0 quelque chose, en final, c\u2019est bel et bien \u00e0 notre ignorance cong\u00e9nitale, surtout lorsqu\u2019elle se pare des v\u00eatements doctes du savoir. C\u2019est cette r\u00e9sistance-l\u00e0 qui m\u2019int\u00e9resse le plus d\u00e9sormais en peinture comme dans tous les domaines de la vie. Continuer \u00e0 r\u00e9sister contre toute vell\u00e9it\u00e9 de possession en mati\u00e8re de savoir. Et vois-tu, depuis que j\u2019ai pris les armes, que j\u2019ai saut\u00e9 derri\u00e8re la barricade, je ne m\u2019en porte pas plus mal : cela me fait voir le monde diff\u00e9remment, \u00e7a me change et, probablement, qu\u2019au bout du compte \u00e7a finira par le changer lui aussi, \u00e0 force de r\u00e9sister. »<\/p>", "content_text": " \u00ab Il y a plusieurs sortes de r\u00e9sistances, mais aujourd\u2019hui je me concentrerai seulement sur deux que je suis parvenu \u00e0 identifier. \u00bb Je me retins de ne pas pouffer de rire tout de suite parce que je savais qu\u2019on allait encore avoir affaire \u00e0 une esp\u00e8ce de cours magistral dont il avait le secret. \u00ab La premi\u00e8re et non la moindre est ce que l\u2019on pourrait appeler une r\u00e9sistance inconsciente. Ce sont toutes ces petites choses qui surgissent comme par inadvertance et qui semblent se mettre en travers de nos intentions. Cela peut aller de la simple \u00e9tourderie \u00e0 la b\u00e9vue magistrale et on ne s\u2019en rend compte qu\u2019une fois que l\u2019on tente d\u2019effectuer le bilan d\u2019un cheminement, la plupart du temps pour voir ce qui ne s\u2019est pas pass\u00e9 comme on le d\u00e9sirait. \u00bb En regardant ses chaussures, je vis que l\u2019un de ses lacets \u00e9tait d\u00e9fait, comme \u00e0 l\u2019ordinaire. On pouvait le rencontrer en toutes circonstances, au march\u00e9, \u00e0 la messe, au bistrot, c\u2019\u00e9tait toujours ainsi : il ne semblait pas pouvoir supporter les n\u0153uds. Une sorte de manie \u00e0 l\u2019envers, si on veut... \u00ab Dans ce domaine, je crois que je m\u00e9rite souvent le pompon, reprit-il. Mais avec le temps, ce que j\u2019en retire comme enseignement, c\u2019est de m\u2019interroger encore plus sur la fameuse intention de d\u00e9part, tout cet imaginaire qui, chez moi, accompagne presque toujours toute intention. C\u2019est arriver avant d\u2019\u00eatre parti, en quelque sorte. On tire des plans sur la com\u00e8te, on se demande ce que l\u2019on va faire avec tout le gain obtenu avec le petit pot au lait qu\u2019on trimballe vers le march\u00e9 et puis l\u00e0, patatras ! on bute sur une pierre et on se vautre, le pot au lait se brise, circulez, il n\u2019y a plus rien \u00e0 voir. J\u2019imagine que l\u2019inconscient parvient \u00e0 d\u00e9coder formidablement bien la nature v\u00e9ritable de nos intentions et que, s\u2019il nous propose des emb\u00fbches, c\u2019est la plupart du temps pour atteindre ce but qu\u2019on ne s\u2019avoue pas clairement. En ce qui me concerne, il m\u2019est arriv\u00e9 de nombreuses fois de me tromper d\u2019intention. C\u2019est-\u00e0-dire de rester sur une couche superficielle de celle-ci. Comme, par exemple, vouloir \u00eatre reconnu pour mon art, c\u2019est-\u00e0-dire vouloir \u00eatre accept\u00e9 ou aim\u00e9 suivant les diverses nuances que l\u2019on peut accorder \u00e0 ces termes. \u00bb J\u2019ai retenu ma respiration car, \u00e0 un moment, j\u2019ai bien cru qu\u2019il allait se vautrer en marchant sur le lacet d\u00e9fait, mais, par un r\u00e9tablissement \u00e9trange, il \u00e9carta l\u2019autre jambe et trouva un \u00e9quilibre nouveau. \u00ab Mais si je r\u00e9fl\u00e9chis \u00e0 toutes les emb\u00fbches que je me serais plac\u00e9es tout seul pour rater ce but, c\u2019est qu\u2019au fond il y avait bel et bien quelque chose de confus dans l\u2019intention. L\u2019incident, l\u2019accident, l\u2019\u00e9tourderie et la b\u00e9vue ne sont que des outils qu\u2019une part de soi utilise pour renseigner l\u2019autre, c\u2019est-\u00e0-dire cette infime partie qu\u2019on appelle conscience. Au bout du compte, comment savoir si une intention est juste sans passer par tout ce parcours de jeu de l\u2019oie ? On peut tenter de r\u00e9fl\u00e9chir en amont, pr\u00e9voir, \u00e9laborer une strat\u00e9gie, planifier tout une s\u00e9rie de t\u00e2ches, et suivre au pied de la lettre chaque to-do list que l\u2019on punaise sur son mur, \u00e7a ne change pas vraiment grand-chose. Sans doute parce que tout ce que l\u2019on imagine, m\u00eame au plus pr\u00e8s de ce que nous appelons la r\u00e9alit\u00e9, en est toujours extr\u00eamement \u00e9loign\u00e9. \u00bb Il va au tableau, le lacet tra\u00eene : l\u2019atteindra-t-il ? mais oui, encore un jeu de jambe ; il s\u2019empare de la craie et note TODO sur le tableau noir. \u00ab Et les emb\u00fbches, finalement, ne servent qu\u2019\u00e0 comprendre \u00e0 quel point nous sommes souvent trop compliqu\u00e9s dans notre interpr\u00e9tation de cette r\u00e9alit\u00e9. Pour parvenir \u00e0 la simplicit\u00e9, voire \u00e0 l\u2019efficacit\u00e9, \u00e0 la clart\u00e9, il ne faut pas compter sur tout ce que l\u2019on pense mais plus sur ce que l\u2019on fait v\u00e9ritablement. Or j\u2019ai remarqu\u00e9 que nous en faisons souvent bien moins qu\u2019on l\u2019imagine. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019on n\u2019arrive pas \u00e0 trier par la pens\u00e9e l\u2019enroulement le plus simple des actions \u00e0 effectuer et qui doivent \u00eatre parfaitement en accord avec l\u2019intention de d\u00e9part. On pense trop et mal. Parce qu\u2019on ne voit souvent que l\u2019aspect n\u00e9gatif de tel ou tel choix, en imaginant que si on avait fait un autre choix, cela aurait \u00e9t\u00e9 mieux. En fait, peu importe le choix que l\u2019on effectue, il n\u2019y a pas de chemin sans emb\u00fbche. Mais on peut avoir un point de vue diff\u00e9rent que celui qui nous entra\u00eene dans la plainte, l\u2019accablement, \u00e0 chaque fois que l\u2019on tr\u00e9buche sur un caillou. Dans l\u2019intention d\u2019\u00eatre accept\u00e9 ou aim\u00e9, qui est certainement la premi\u00e8re de toutes les intentions de tout \u00e0 chacun, on \u00e9labore des strat\u00e9gies sur des on-dit. C\u2019est-\u00e0-dire que l\u2019on copie ce que nous pensons b\u00e9n\u00e9fique \u00e0 partir de canevas, de mod\u00e8les, sans nous rendre vraiment compte qu\u2019il s\u2019agit bien plus de diplomatie, de politesse, que d\u2019affection authentique. Par exemple, le fait de ne pas savoir dire non. Cela a toujours \u00e9t\u00e9 un probl\u00e8me pour moi ; la plupart du temps, plut\u00f4t qu\u2019avoir \u00e0 expliquer mon refus, j\u2019ai dit oui sans vraiment r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 toutes les cons\u00e9quences de ce hochement de t\u00eate affirmatif. Si vous voulez, de l\u2019\u00e2ge de 10 ans jusqu\u2019\u00e0 la cinquantaine, j\u2019aurais trouv\u00e9 ma place parfaite sur le haillon arri\u00e8re d\u2019un v\u00e9hicule, \u00e0 l\u2019instar de ces petits chiens qui hochent la t\u00eate toute la sainte journ\u00e9e. Je disais oui puis j\u2019oubliais, tout \u00e7a pour ne pas entrer en conflit, pour me faire accepter, pour me rendre aimable. Ce ne m\u2019a apport\u00e9 que des d\u00e9boires en pagaille. Et j\u2019ai \u00e9t\u00e9 le plus mis\u00e9rable des hommes en me rasant le matin devant ma glace, devant l\u2019\u00e9norme tas de trahisons que j\u2019imaginais avoir ainsi entass\u00e9es par le seul fait d\u2019avoir dit oui \u00e0 la l\u00e9g\u00e8re. Lorsqu\u2019\u00e0 la cinquantaine m\u2019est venue l\u2019id\u00e9e fameuse du non, \u00e9tant novice en la mati\u00e8re, il ne m\u2019aura fallu pas moins de 10 ann\u00e9es encore pour comprendre que je faisais exactement la m\u00eame chose qu\u2019avec le oui. Je disais non pour me d\u00e9barrasser des g\u00eaneurs de la m\u00eame mani\u00e8re. N\u2019est-ce pas ironique ? Et tout \u00e7a \u00e0 cause d\u2019une intention mal plac\u00e9e. Une intention d\u2019\u00eatre aimable, ou bien une intention de ne plus prendre d\u2019engagements foireux qui me desserviraient aux yeux des autres. Et si on soul\u00e8ve encore le tapis plus loin, l\u2019intention qui se dissimule derri\u00e8re tout cela, ce n\u2019est pas d\u2019\u00eatre accept\u00e9 par les autres, pas d\u2019\u00eatre aim\u00e9 non plus, mais juste acqu\u00e9rir un peu de confiance en qui je suis v\u00e9ritablement. Pouvoir compter sur soi, ce n\u2019est pas compter uniquement sur l\u2019intelligence, sur l\u2019habilet\u00e9, c\u2019est aussi accepter toutes ces choses que l\u2019on commet inconsciemment, que l\u2019on appelle des b\u00eatises, des b\u00e9vues, de l\u2019\u00e9tourderie, et qui, si l\u2019on prend le temps de d\u00e9cortiquer tout cela, sont d\u2019un enseignement incroyable sur ce que j\u2019appelle la justesse, la clart\u00e9, l\u2019impeccabilit\u00e9. Avec un humour de potache, l\u2019inconscient se moque magistralement, \u00e0 l\u2019aide de la maladresse, pour que l\u2019on saisisse peu \u00e0 peu la douceur d\u2019un sourire sous la violence d\u2019un rire. Quelle que soit l\u2019habilet\u00e9 que j\u2019ai pu penser, \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, poss\u00e9der dans un domaine, il y a toujours eu un moment o\u00f9 l\u2019inconscient a surgi comme un diable d\u2019une bo\u00eete pour tout flanquer par terre et me dire : \u201cAlors, mon petit pote, tu te crois plus fort que qui, d\u00e9j\u00e0 ?\u201d Ce qui force l\u2019humilit\u00e9 \u00e0 la longue, s\u2019il nous reste un peu de jugeote. L\u2019autre type de r\u00e9sistance serait consciente, logiquement. C\u2019est-\u00e0-dire que l\u2019on s\u2019opposerait volontairement \u00e0 quelque chose. On peut manifester, descendre dans la rue pour brandir des pancartes contre telle ou telle r\u00e9forme, tel ou tel scandale. On fait acte de r\u00e9sistance. C\u2019est ce que l\u2019on imagine facilement. Quelle intention se cache derri\u00e8re la r\u00e9sistance du militantisme ? Pourquoi s\u2019insurge-t-on, se r\u00e9volte-t-on vraiment ? \u00c0 quoi cela nous sert-il sinon \u00e0 d\u00e9clarer que nous ne sommes pas d\u2019accord avec ceci ou cela, en imaginant que nous poss\u00e9dons une importance quelconque pour changer quoi que ce soit ? Je crois m\u00eame qu\u2019il peut y avoir une mode qui revient r\u00e9guli\u00e8rement de r\u00e9sister pour r\u00e9sister tout simplement. Comme une mode pour dire non apr\u00e8s s\u2019\u00eatre trop longtemps fatigu\u00e9 \u00e0 dire oui. Mais que l\u2019on r\u00e9siste ou pas \u00e0 quelque chose, je me demande si, au final, \u00e7a change profond\u00e9ment les choses. Sans doute que \u00e7a peut les retarder un moment, sans plus. Les r\u00e9sistants auxquels j\u2019ai pens\u00e9 le plus furent des personnes comme Jean Moulin, par exemple, qui ne voulait pas que la France devienne l\u2019Allemagne. Bien s\u00fbr, il y a eu cette victoire mais, lorsqu\u2019on regarde les choses attentivement d\u00e9sormais, c\u2019est bel et bien l\u2019Allemagne qui donne le la \u00e0 l\u2019Europe tout enti\u00e8re, et nous, Fran\u00e7ais, sommes tellement engag\u00e9s dans ces relations franco-allemandes qu\u2019on ne remarque m\u00eame pas l\u2019ironie provoqu\u00e9e par une sorte d\u2019inconscience europ\u00e9enne qui tirerait toutes les ficelles d\u2019une Europe \u00e0 venir qui, probablement, une fois r\u00e9gl\u00e9es toutes les difficult\u00e9s, sera un grand pays. \u00bb Un peu de plus et il va nous passer la cassette habituelle, l\u2019enregistrement de la voix de Malraux lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panth\u00e9on... JEEEANN MOUUUUULIN.... \u00ab Voir plus loin que le bout de son nez, cela n\u00e9cessite avant tout de comprendre o\u00f9 il s\u2019interrompt pour laisser place au monde comme \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9. 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Je crois qu\u2019il existait autrefois un terme pour d\u00e9signer la fatuit\u00e9 : on disait d\u2019une telle ou d\u2019un tel qu\u2019il arborait un « air satisfait ». \u00c7a ne s\u2019utilise plus qu\u2019en litt\u00e9rature et encore ; un « air con » fonctionne sans doute beaucoup mieux d\u00e9sormais. Le terme de con \u00e9tant tellement g\u00e9n\u00e9rique dans la langue que l\u2019on pourrait consid\u00e9rer qu\u2019il fr\u00f4le le surnaturel. Suivant l\u2019intonation avec laquelle il sera prononc\u00e9, il sert de synonyme \u00e0 une kyrielle de termes plus ou moins oubli\u00e9s. Il y avait aussi le terme de « ravi » qui me faisait sourire \u00e0 propos de Michel Rocard, notamment. Ou encore un « air b\u00e9at » comme celui qu\u2019adoptait ma voisine Michelle lorsque, soudain, elle constatait que je n\u2019\u00e9tais pas le gentil gar\u00e7on qu\u2019elle avait d\u00e9daign\u00e9 par ennui. Sans doute est-ce en partie la raison pour laquelle je me suis toujours m\u00e9fi\u00e9 de la satisfaction ? Que sit\u00f4t celle-ci atteinte, je m\u2019empressais de passer \u00e0 autre chose pour ne pas rester englu\u00e9 dedans. Et comme ce n\u2019\u00e9tait pas normal, j\u2019ai eu de nombreuses fois l\u2019id\u00e9e de consulter. Mais \u00e0 la pens\u00e9e de r\u00e9gler ce petit souci, d\u2019\u00eatre satisfait de comprendre pourquoi je n\u2019\u00e9tais jamais enti\u00e8rement satisfait, \u00e9videmment, j\u2019ai bott\u00e9 en touche. En ce qui concerne l\u2019id\u00e9e de la r\u00e9ussite, c\u2019est exactement la m\u00eame chose. Il suffit que l\u2019on me dise : « Tu es \u00e0 deux doigts d\u2019y arriver » pour que le trouble, le malaise naissent. D\u2019ailleurs, il m\u2019arrive de m\u2019effrayer r\u00e9guli\u00e8rement tout seul \u00e0 cette pens\u00e9e ; je n\u2019ai pas vraiment besoin de quiconque. Et si soudain je r\u00e9ussissais, et si soudain j\u2019\u00e9tais satisfait\u2026 quelle catastrophe ! J\u2019en plaisante bien s\u00fbr, car je ne vois pas vraiment que faire d\u2019autre que d\u2019en sourire. La v\u00e9rit\u00e9 est que, tout bien pes\u00e9, tout bien consid\u00e9r\u00e9, la satisfaction comme la r\u00e9ussite ne m\u2019ont jamais vraiment appartenu. Ce ne sont rien d\u2019autre que des opinions ext\u00e9rieures que j\u2019ai d\u00fb faire miennes \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre lorsque j\u2019atteignais un r\u00e9sultat dans une suite d\u2019op\u00e9rations. Cette suite d\u2019op\u00e9rations n\u2019avait pas pour but la r\u00e9ussite ou la satisfaction : c\u2019\u00e9tait bien plus g\u00e9n\u00e9ralement l\u2019envie de pr\u00e9ciser une d\u00e9finition, d\u2019explorer une th\u00e9orie personnelle, de tenter quelque chose dont je n\u2019avais pas vraiment la nettet\u00e9 mais que je devinais au-del\u00e0 de la confusion. Or le sentiment de satisfaction ou de r\u00e9ussite m\u2019auront toujours entrav\u00e9, me barrant la route, me frappant en plein vol tel un col-vert but\u00e9 par un chasseur. Il me semble que c\u2019est vers le soleil, la lumi\u00e8re, la clart\u00e9 que je fais route maintenant, apr\u00e8s avoir travers\u00e9 toute la noirceur de la nuit, ses chim\u00e8res et ses d\u00e9sirs troubles. Comme si, au final, un choix tout de m\u00eame s\u2019\u00e9tait op\u00e9r\u00e9 entre l\u2019ombre et la lumi\u00e8re. C\u2019est ce choix qui est important, sans doute le plus important de tous les choix ! Et il serait vraiment dommage de le perdre de vue d\u00e9sormais en accordant un cr\u00e9dit exag\u00e9r\u00e9 \u00e0 toute id\u00e9e de satisfaction comme de r\u00e9ussite. Il n\u2019y a pas d\u2019oasis, pas de halte qui tienne, comme il n\u2019y a pas de vieillesse, pas de fatigue. Il n\u2019y a que des vues de l\u2019esprit. Cet esprit qui se r\u00e9fugie parfois dans la paresse par peur d\u2019\u00eatre aveugl\u00e9 par la lumi\u00e8re, de se dissoudre totalement en elle.<\/p>", "content_text": " Je crois qu\u2019il existait autrefois un terme pour d\u00e9signer la fatuit\u00e9 : on disait d\u2019une telle ou d\u2019un tel qu\u2019il arborait un \u00ab air satisfait \u00bb. \u00c7a ne s\u2019utilise plus qu\u2019en litt\u00e9rature et encore ; un \u00ab air con \u00bb fonctionne sans doute beaucoup mieux d\u00e9sormais. Le terme de con \u00e9tant tellement g\u00e9n\u00e9rique dans la langue que l\u2019on pourrait consid\u00e9rer qu\u2019il fr\u00f4le le surnaturel. Suivant l\u2019intonation avec laquelle il sera prononc\u00e9, il sert de synonyme \u00e0 une kyrielle de termes plus ou moins oubli\u00e9s. Il y avait aussi le terme de \u00ab ravi \u00bb qui me faisait sourire \u00e0 propos de Michel Rocard, notamment. Ou encore un \u00ab air b\u00e9at \u00bb comme celui qu\u2019adoptait ma voisine Michelle lorsque, soudain, elle constatait que je n\u2019\u00e9tais pas le gentil gar\u00e7on qu\u2019elle avait d\u00e9daign\u00e9 par ennui. Sans doute est-ce en partie la raison pour laquelle je me suis toujours m\u00e9fi\u00e9 de la satisfaction ? Que sit\u00f4t celle-ci atteinte, je m\u2019empressais de passer \u00e0 autre chose pour ne pas rester englu\u00e9 dedans. Et comme ce n\u2019\u00e9tait pas normal, j\u2019ai eu de nombreuses fois l\u2019id\u00e9e de consulter. Mais \u00e0 la pens\u00e9e de r\u00e9gler ce petit souci, d\u2019\u00eatre satisfait de comprendre pourquoi je n\u2019\u00e9tais jamais enti\u00e8rement satisfait, \u00e9videmment, j\u2019ai bott\u00e9 en touche. En ce qui concerne l\u2019id\u00e9e de la r\u00e9ussite, c\u2019est exactement la m\u00eame chose. Il suffit que l\u2019on me dise : \u00ab Tu es \u00e0 deux doigts d\u2019y arriver \u00bb pour que le trouble, le malaise naissent. D\u2019ailleurs, il m\u2019arrive de m\u2019effrayer r\u00e9guli\u00e8rement tout seul \u00e0 cette pens\u00e9e ; je n\u2019ai pas vraiment besoin de quiconque. Et si soudain je r\u00e9ussissais, et si soudain j\u2019\u00e9tais satisfait\u2026 quelle catastrophe ! J\u2019en plaisante bien s\u00fbr, car je ne vois pas vraiment que faire d\u2019autre que d\u2019en sourire. La v\u00e9rit\u00e9 est que, tout bien pes\u00e9, tout bien consid\u00e9r\u00e9, la satisfaction comme la r\u00e9ussite ne m\u2019ont jamais vraiment appartenu. Ce ne sont rien d\u2019autre que des opinions ext\u00e9rieures que j\u2019ai d\u00fb faire miennes \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre lorsque j\u2019atteignais un r\u00e9sultat dans une suite d\u2019op\u00e9rations. Cette suite d\u2019op\u00e9rations n\u2019avait pas pour but la r\u00e9ussite ou la satisfaction : c\u2019\u00e9tait bien plus g\u00e9n\u00e9ralement l\u2019envie de pr\u00e9ciser une d\u00e9finition, d\u2019explorer une th\u00e9orie personnelle, de tenter quelque chose dont je n\u2019avais pas vraiment la nettet\u00e9 mais que je devinais au-del\u00e0 de la confusion. Or le sentiment de satisfaction ou de r\u00e9ussite m\u2019auront toujours entrav\u00e9, me barrant la route, me frappant en plein vol tel un col-vert but\u00e9 par un chasseur. Il me semble que c\u2019est vers le soleil, la lumi\u00e8re, la clart\u00e9 que je fais route maintenant, apr\u00e8s avoir travers\u00e9 toute la noirceur de la nuit, ses chim\u00e8res et ses d\u00e9sirs troubles. Comme si, au final, un choix tout de m\u00eame s\u2019\u00e9tait op\u00e9r\u00e9 entre l\u2019ombre et la lumi\u00e8re. C\u2019est ce choix qui est important, sans doute le plus important de tous les choix ! Et il serait vraiment dommage de le perdre de vue d\u00e9sormais en accordant un cr\u00e9dit exag\u00e9r\u00e9 \u00e0 toute id\u00e9e de satisfaction comme de r\u00e9ussite. Il n\u2019y a pas d\u2019oasis, pas de halte qui tienne, comme il n\u2019y a pas de vieillesse, pas de fatigue. Il n\u2019y a que des vues de l\u2019esprit. Cet esprit qui se r\u00e9fugie parfois dans la paresse par peur d\u2019\u00eatre aveugl\u00e9 par la lumi\u00e8re, de se dissoudre totalement en elle. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3240.jpg?1763677447", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-temps-sont-en-train-de-changer.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-temps-sont-en-train-de-changer.html", "title": "Les temps sont en train de changer.", "date_published": "2021-10-02T02:56:03Z", "date_modified": "2025-11-04T10:58:47Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

R\u00e9veil de bonne heure avec arri\u00e8re gout de splif. Une remont\u00e9e bizarre puisque cela fait bien 25 ans que je ne touche plus \u00e0 rien. Est-ce qu’on peut avoir des hallucinations aussi de ce cot\u00e9 l\u00e0\u2026 ? bizarre bizarre et cette chanson qui tourne en boucle pour accompagner l’odeur de cannabis comme il se doit :<\/p>\n

“The Times They Are A-Changin\" de Bob.<\/p>\n

Les temps sont en train de changer.<\/p>\n

Est ce le temps qui change ou bien les \u00eatres ?, on pourrait se poser la question.<\/p>\n

Si j’avais du temps \u00e0 perdre comme on dilapide un h\u00e9ritage.<\/p>\n

Mais non j’ai un tas de choses \"\u00e0 faire\", il faudrait que je m’y mette de toute urgence. Et c’est justement \u00e0 cause de \u00e7a que je m’installe devant mon clavier pour \u00e9crire ma bafouille matinale.<\/p>\n

C’est toujours comme \u00e7a, l’urgence cr\u00e9e la r\u00e9sistance.<\/p>\n

Sans urgence, sans menace, personnellement je ne ferais probablement pas grand chose en dehors des clous. Je crois que je vivrais \"au ralenti\" comme une marmotte sous la neige.<\/p>\n

Le danger m’oppresse et en m\u00eame temps m’inspire.<\/p>\n

Et \u00e9videmment tout cela influe terriblement sur la perception du temps, cela donne m\u00eame parfois l’impression de le contr\u00f4ler.<\/p>\n

Mais je n’ai pas envie de contr\u00f4ler le temps pas plus que d’\u00eatre contr\u00f4l\u00e9 par celui-ci.<\/p>\n

Alors si les temps doivent vraiment changer c’est justement sur la perception que nous en avons, pas vraiment sur quoi que ce soit d’autre.<\/p>\n

Je pense \u00e0 tout \u00e7a en triant des photos de mes tableaux, ce qui me plonge dans une multiplicit\u00e9 de moments justement \u00e0 chaque fois.<\/p>\n

Ces tableaux peints \u00e0 diff\u00e9rents moments de ma vie, je leur trouve une unit\u00e9 d\u00e9sormais alors qu’auparavant je cherchais cette notion d’unit\u00e9 \u00e0 l’ext\u00e9rieur de moi-m\u00eame.<\/p>\n

C’est \u00e0 dire que je ne me posais pas la question vraiment de savoir ce que pouvait repr\u00e9senter cette unit\u00e9 pour moi. Je faisais confiance \u00e0 la notion d’unit\u00e9 collective comme on faisait confiance \u00e0 un m\u00e9decin qui diagnostique un cancer.<\/p>\n

vous savez suivant le m\u00e9decin les chances de s’en sortir peuvent varier de 1 \u00e0 600... c’est dire comment on nous a pris et comment on nous prend encore pour des couillons.<\/p>\n

Rien qu’un exemple, ma m\u00e8re, son g\u00e9n\u00e9raliste lui avait dit d’avaler du charbon car elle se plaignait de flatulences \u00e0 r\u00e9p\u00e9titions. Cela a dur\u00e9 quelques ann\u00e9es comme \u00e7a jusqu’\u00e0 ce que finalement elle ose aller voir un autre toubib qui lui n’a pas l\u00e9sin\u00e9 sur les examens. Au final on lui a diagnostiqu\u00e9 un cancer du colon au stade 4. Autant dire qu’elle n’avait plus la moindre chance d’en sortir indemne.<\/p>\n

Au del\u00e0 de la col\u00e8re on peut r\u00e9fl\u00e9chir sur cette confiance aveugle que l’on accorde aux mots comme \u00e0 certains experts. C’est en cela que les temps sont en train de changer aussi je crois.<\/p>\n

Gr\u00e2ce \u00e0 internet notamment.<\/p>\n

Attention je ne parle pas des r\u00e9seaux sociaux et des mille et un avis de tout \u00e0 chacun sur une pand\u00e9mie. Non je parle d’un acc\u00e8s libre \u00e0 un savoir v\u00e9ritable.<\/p>\n

Doctissimo, Wikip\u00e9dia pour ne citer qu’eux voil\u00e0 ce qui va probablement provoquer des changements, qui les provoque d\u00e9j\u00e0. L’ordre des m\u00e9decins, comme tous les ordres du m\u00eame acabit, c’est \u00e0 dire les lobbies n’ont plus qu’\u00e0 bien se tenir.<\/p>\n

internet, c’est le dernier bastion de la d\u00e9mocratie. N’importe qui peut acc\u00e9der au savoir d\u00e9sormais quasiment gratuitement, n’importe qui peut prendre la parole et s’exprimer, donner son avis. Tout le monde est au m\u00eame niveau sur internet. Tu peux dire que ce restaurant est d\u00e9gueulasse dans un avis, que le pain de cette boulangerie est fabuleux, tu peux dire que ce m\u00e9decin est un charlatan ou qu’il est excellent. Ton avis compte au m\u00eame titre que n’importe quel compte d’entreprise.<\/p>\n

A condition de savoir comment faire \u00e9videmment, mais cela aussi s’apprend gratuitement.<\/p>\n

En France par contre donner son avis c’est souvent dire que \u00e7a ne va pas si on remarque bien.<\/p>\n

Parfois je me dis que je suis pareil, je vois les choses en noir, en n\u00e9gatif, mais ce n’est pas moi seul c’est toute la population fran\u00e7aise je crois qui adore se baigner dans la fange des critiques. On doit avoir \u00e7a dans le sang comme un cancer qui nous ronge petit \u00e0 petit.<\/p>\n

Du coup c’est ainsi qu’on a invent\u00e9 le minitel tandis que les autres pariaient sur internet.... Parce que des ing\u00e9nieurs avaient eu une id\u00e9e de g\u00e9nie, des experts en qui on faisait une confiance aveugle.<\/p>\n

3615 Domina \u00e9videmment y avait de quoi casser 3 pattes \u00e0 un canard.<\/p>\n

Du coup on a pris un peu de retard \u00e0 force de se regarder le nombril \u00e9videmment.<\/p>\n

Je suis descendu me resservir une tasse de caf\u00e9, machinalement je mets la radio.... Bla bla bla les \u00e9lections, le ch\u00f4mage, il faut cr\u00e9er des emplois, l’\u00e9cologie va tous nous sauver et caetera.<\/p>\n

Le boniment des camelots de la foire d’empoigne.<\/p>\n

Je ne crois plus vraiment \u00e0 l’emploi. Je crois qu’il va y en avoir de moins en moins des emplois. Quelqu’un a d\u00e9j\u00e0 invent\u00e9 l’aqueduc qui mettra un terme au m\u00e9tier de porteur d’eau. Comme Uber met un terme \u00e0 la profession de chauffeur de taxi. C’est comme \u00e7a c’est la vie.<\/p>\n

Les temps sont en train de changer. Les mentalit\u00e9s avec. Cela a toujours \u00e9t\u00e9 ainsi et on pousse des cris d’orfraie \u00e0 chaque fois.<\/p>\n

\u00e7a doit venir du cerveau pas de doute, tu sais , le truc qui existe entre les deux oreilles et qui ne sert \u00e0 rien pour la plupart des gens parce qu’ils l’ont remplac\u00e9 par l’habitude, la routine, le train train.<\/p>\n

Lorsque \u00e7a d\u00e9raille \u00e7a fait mal. T\u00f4le froiss\u00e9e, pleurs d’enfants, sans compter la clameur des camelots qui se fait d’autant plus forte que le silence apr\u00e8s l’accident est insupportable.<\/p>\n

https:\/\/youtu.be\/90WD_ats6eE<\/a><\/p>", "content_text": "R\u00e9veil de bonne heure avec arri\u00e8re gout de splif. Une remont\u00e9e bizarre puisque cela fait bien 25 ans que je ne touche plus \u00e0 rien. Est-ce qu'on peut avoir des hallucinations aussi de ce cot\u00e9 l\u00e0\u2026 ? bizarre bizarre et cette chanson qui tourne en boucle pour accompagner l'odeur de cannabis comme il se doit :\n\n\u201cThe Times They Are A-Changin\" de Bob.\n\nLes temps sont en train de changer.\n\nEst ce le temps qui change ou bien les \u00eatres ?, on pourrait se poser la question.\n\nSi j'avais du temps \u00e0 perdre comme on dilapide un h\u00e9ritage.\n\nMais non j'ai un tas de choses \"\u00e0 faire\", il faudrait que je m'y mette de toute urgence. Et c'est justement \u00e0 cause de \u00e7a que je m'installe devant mon clavier pour \u00e9crire ma bafouille matinale.\n\nC'est toujours comme \u00e7a, l'urgence cr\u00e9e la r\u00e9sistance.\n\nSans urgence, sans menace, personnellement je ne ferais probablement pas grand chose en dehors des clous. Je crois que je vivrais \"au ralenti\" comme une marmotte sous la neige.\n\nLe danger m'oppresse et en m\u00eame temps m'inspire.\n\nEt \u00e9videmment tout cela influe terriblement sur la perception du temps, cela donne m\u00eame parfois l'impression de le contr\u00f4ler. \n\nMais je n'ai pas envie de contr\u00f4ler le temps pas plus que d'\u00eatre contr\u00f4l\u00e9 par celui-ci.\n\nAlors si les temps doivent vraiment changer c'est justement sur la perception que nous en avons, pas vraiment sur quoi que ce soit d'autre.\n\nJe pense \u00e0 tout \u00e7a en triant des photos de mes tableaux, ce qui me plonge dans une multiplicit\u00e9 de moments justement \u00e0 chaque fois.\n\nCes tableaux peints \u00e0 diff\u00e9rents moments de ma vie, je leur trouve une unit\u00e9 d\u00e9sormais alors qu'auparavant je cherchais cette notion d'unit\u00e9 \u00e0 l'ext\u00e9rieur de moi-m\u00eame.\n\nC'est \u00e0 dire que je ne me posais pas la question vraiment de savoir ce que pouvait repr\u00e9senter cette unit\u00e9 pour moi. Je faisais confiance \u00e0 la notion d'unit\u00e9 collective comme on faisait confiance \u00e0 un m\u00e9decin qui diagnostique un cancer.\n\nvous savez suivant le m\u00e9decin les chances de s'en sortir peuvent varier de 1 \u00e0 600... c'est dire comment on nous a pris et comment on nous prend encore pour des couillons. \n\nRien qu'un exemple, ma m\u00e8re, son g\u00e9n\u00e9raliste lui avait dit d'avaler du charbon car elle se plaignait de flatulences \u00e0 r\u00e9p\u00e9titions. Cela a dur\u00e9 quelques ann\u00e9es comme \u00e7a jusqu'\u00e0 ce que finalement elle ose aller voir un autre toubib qui lui n'a pas l\u00e9sin\u00e9 sur les examens. Au final on lui a diagnostiqu\u00e9 un cancer du colon au stade 4. Autant dire qu'elle n'avait plus la moindre chance d'en sortir indemne.\n\nAu del\u00e0 de la col\u00e8re on peut r\u00e9fl\u00e9chir sur cette confiance aveugle que l'on accorde aux mots comme \u00e0 certains experts. C'est en cela que les temps sont en train de changer aussi je crois.\n\nGr\u00e2ce \u00e0 internet notamment. \n\nAttention je ne parle pas des r\u00e9seaux sociaux et des mille et un avis de tout \u00e0 chacun sur une pand\u00e9mie. Non je parle d'un acc\u00e8s libre \u00e0 un savoir v\u00e9ritable.\n\nDoctissimo, Wikip\u00e9dia pour ne citer qu'eux voil\u00e0 ce qui va probablement provoquer des changements, qui les provoque d\u00e9j\u00e0. L'ordre des m\u00e9decins, comme tous les ordres du m\u00eame acabit, c'est \u00e0 dire les lobbies n'ont plus qu'\u00e0 bien se tenir.\n\ninternet, c'est le dernier bastion de la d\u00e9mocratie. N'importe qui peut acc\u00e9der au savoir d\u00e9sormais quasiment gratuitement, n'importe qui peut prendre la parole et s'exprimer, donner son avis. Tout le monde est au m\u00eame niveau sur internet. Tu peux dire que ce restaurant est d\u00e9gueulasse dans un avis, que le pain de cette boulangerie est fabuleux, tu peux dire que ce m\u00e9decin est un charlatan ou qu'il est excellent. Ton avis compte au m\u00eame titre que n'importe quel compte d'entreprise.\n\nA condition de savoir comment faire \u00e9videmment, mais cela aussi s'apprend gratuitement.\n\nEn France par contre donner son avis c'est souvent dire que \u00e7a ne va pas si on remarque bien.\n\nParfois je me dis que je suis pareil, je vois les choses en noir, en n\u00e9gatif, mais ce n'est pas moi seul c'est toute la population fran\u00e7aise je crois qui adore se baigner dans la fange des critiques. On doit avoir \u00e7a dans le sang comme un cancer qui nous ronge petit \u00e0 petit.\n\nDu coup c'est ainsi qu'on a invent\u00e9 le minitel tandis que les autres pariaient sur internet.... Parce que des ing\u00e9nieurs avaient eu une id\u00e9e de g\u00e9nie, des experts en qui on faisait une confiance aveugle.\n\n3615 Domina \u00e9videmment y avait de quoi casser 3 pattes \u00e0 un canard. \n\nDu coup on a pris un peu de retard \u00e0 force de se regarder le nombril \u00e9videmment.\n\nJe suis descendu me resservir une tasse de caf\u00e9, machinalement je mets la radio.... Bla bla bla les \u00e9lections, le ch\u00f4mage, il faut cr\u00e9er des emplois, l'\u00e9cologie va tous nous sauver et caetera.\n\nLe boniment des camelots de la foire d'empoigne.\n\nJe ne crois plus vraiment \u00e0 l'emploi. Je crois qu'il va y en avoir de moins en moins des emplois. Quelqu'un a d\u00e9j\u00e0 invent\u00e9 l'aqueduc qui mettra un terme au m\u00e9tier de porteur d'eau. Comme Uber met un terme \u00e0 la profession de chauffeur de taxi. C'est comme \u00e7a c'est la vie.\n\nLes temps sont en train de changer. Les mentalit\u00e9s avec. Cela a toujours \u00e9t\u00e9 ainsi et on pousse des cris d'orfraie \u00e0 chaque fois.\n\n\u00e7a doit venir du cerveau pas de doute, tu sais , le truc qui existe entre les deux oreilles et qui ne sert \u00e0 rien pour la plupart des gens parce qu'ils l'ont remplac\u00e9 par l'habitude, la routine, le train train. \n\nLorsque \u00e7a d\u00e9raille \u00e7a fait mal. T\u00f4le froiss\u00e9e, pleurs d'enfants, sans compter la clameur des camelots qui se fait d'autant plus forte que le silence apr\u00e8s l'accident est insupportable.https:\/\/youtu.be\/90WD_ats6eE", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bob-dylan.jpg?1762253884", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-publicite.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-publicite.html", "title": "La publicit\u00e9", "date_published": "2021-10-01T02:38:55Z", "date_modified": "2025-11-20T22:21:07Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Encore un voyage vers Lyon et j\u2019allume le poste de radio pour tomber sur une \u00e9mission de France Culture. Une interview de Mercedes Erra. Pr\u00e9sidente ex\u00e9cutive de Havas Worldwide, sp\u00e9cialis\u00e9e dans la gestion des grands comptes. Elle fonde en 1995, avec R\u00e9mi Babinet et \u00c9ric Tong Cuong, l\u2019agence BETC Euro RSCG, sp\u00e9cialis\u00e9e dans la communication et la publicit\u00e9. Elle est aussi notamment : membre actif du Comit\u00e9 fran\u00e7ais de Human Rights Watch ; l\u2019une des membres fondatrices du Women\u2019s Forum for the Economy and Society ; membre permanent de la Commission sur l\u2019image des femmes dans les m\u00e9dias ; pr\u00e9sidente du conseil d\u2019administration du mus\u00e9e national de l\u2019Histoire de l\u2019immigration. Bon, \u00e7a va parler de publicit\u00e9, ce qui n\u2019est d\u2019embl\u00e9e pas ma tasse de th\u00e9, et je m\u2019appr\u00eate \u00e0 changer de station lorsque, apr\u00e8s quelques phrases prononc\u00e9es par la dame, je ne trouve pas b\u00eate ce qu\u2019elle dit. Je n\u2019aime pas le mot marketing, je pr\u00e9f\u00e8re parler de communication. Une entreprise qui ne communique pas ne va pas bien. On peut faire de quelque chose de petit, a priori, quelque chose de bien plus grand. Les anglo-saxons \u00e9taient partout, je me suis battue pour imposer une autre vision... Du coup, tiens, o\u00f9 en suis-je avec mes difficult\u00e9s personnelles en mati\u00e8re de communication ? Suivent quelques anecdotes, notamment sur la promotion de la Peugeot 106 qui, a priori, \u00e9tait consid\u00e9r\u00e9e par les hommes comme une voiture de femme d\u2019une fa\u00e7on p\u00e9jorative, ce qui, du coup, donne une piste de campagne surprenante et qui fonctionnera au-del\u00e0 des attentes. Montrer tout \u00e0 coup que m\u00eame les hommes sont pr\u00eats \u00e0 tout pour utiliser cette voiture — placer des sentiments comme l\u2019envie, la jalousie, attribu\u00e9s g\u00e9n\u00e9ralement aux femmes, comme motivation masculine — c\u2019\u00e9tait \u00e9videmment tr\u00e8s fort. Voil\u00e0 bien la fonction de la cr\u00e9ativit\u00e9. Celle de r\u00e9soudre un probl\u00e8me avant toute autre chose. Sur quelques signaux faibles, imaginer un autre monde qui pourrait advenir, comme un changement de mentalit\u00e9, par exemple. On \u00e9voquera \u00e9galement la campagne pour Air France : « FAIRE DU CIEL LE PLUS BEL ENDROIT DE LA TERRE ». Et la dame ajoute : imaginez une h\u00f4tesse de l\u2019air qui tend une assiette \u00e0 un passager, avec un tel slogan, avec les valeurs que ce slogan induit, c\u2019est autre chose que d\u2019\u00eatre seulement dans un avion \u00e0 servir la soupe. Bon. Je ne sais pas si les h\u00f4tesses ont appr\u00e9ci\u00e9 tant que \u00e7a, si cela a v\u00e9ritablement chang\u00e9 leurs vies. Ce qui est certain, c\u2019est que la direction d\u2019Air France a \u00e9t\u00e9 s\u00e9duite et c\u2019est \u00e9videmment tout ce qui compte puisque un client satisfait, c\u2019est un client qui revient. Par contre, sur la m\u00e9ritocratie que madame Erra pr\u00f4ne, je suis mi-figue mi-raisin. Sans doute parce que je n\u2019ai jamais march\u00e9 dans cette combine-l\u00e0 depuis l\u2019\u00e9cole. Sans doute parce que m\u00e9riter quelque chose par la production d\u2019efforts a surtout entra\u00een\u00e9 l\u2019effet inverse chez moi : des trempes quand j\u2019avais de mauvaises notes. Et sans doute que tout mon masochisme aura pris sa source dans ce constat que j\u2019\u00e9tais plus dou\u00e9 pour rater les choses que pour les r\u00e9ussir, d\u2019apr\u00e8s les dires de mes parents, tr\u00e8s \u00e0 cheval sur cette notion d\u2019effort et de r\u00e9ussite, \u00e0 s\u2019en gangr\u00e9ner la sant\u00e9 d\u2019une fa\u00e7on exag\u00e9r\u00e9e. Sans doute aussi parce que, plus tard, j\u2019ai voulu rattraper le temps perdu et que j\u2019ai mis les bouch\u00e9es quadruples en travaillant comme un d\u00e9rat\u00e9, ce qui n\u2019am\u00e8ne rien de bon justement, \u00e0 part la jalousie, la m\u00e9fiance chez les coll\u00e8gues comme chez les sup\u00e9rieurs. Pourtant, gamin, j\u2019avais senti rapidement que faire des efforts pour r\u00e9ussir appartenait \u00e0 une \u00e9poque r\u00e9volue, que ma g\u00e9n\u00e9ration allait devoir payer les pots cass\u00e9s de cette facilit\u00e9 avec laquelle la g\u00e9n\u00e9ration de mes grands-parents, de mes parents, s\u2019en allaient \u00e0 la guerre avec des \u00e9toiles dans les yeux. Cet arsenal d\u2019outils afin de cultiver en soi le belliqueux, le rageur — on dirait aujourd\u2019hui le mindset du winner — \u00e9tait gard\u00e9 par des lieutenants inflexibles : la discipline et la volont\u00e9. Tout ce qui me faisait cruellement d\u00e9faut, m\u00eame en ayant essay\u00e9 de m\u2019y employer de tout mon c\u0153ur, de toute ma ferveur enfantine, pour faire « plaisir » \u00e0 papa et maman. \u00c7a ne me faisait pas plaisir du tout, voil\u00e0 la v\u00e9rit\u00e9. \u00c7a m\u2019emmerdait m\u00eame absolument de faire des efforts. Je n\u2019en faisais donc que le moins possible afin de conserver mon int\u00e9grit\u00e9. \u00c0 c\u00f4t\u00e9 de \u00e7a, je d\u00e9veloppais autre chose, s\u00fbrement, sans que je n\u2019en prenne v\u00e9ritablement conscience. Hasard et n\u00e9cessit\u00e9, j\u2019ai depuis longtemps fait la paix avec tous ces troubles. C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 cette r\u00e9sistance \u00e0 l\u2019effort, finalement, que je me suis tant int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 ce qu\u2019il \u00e9tait vraiment, ses motivations profondes, et aussi la notion de r\u00e9sultat — cette fameuse r\u00e9ussite — que l\u2019on se passe comme un t\u00e9moin sans jamais remettre en question la forme. Des g\u00e9n\u00e9rations de somnambules qui, pour r\u00e9ussir, seront pass\u00e9es \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de leurs vies. Il y a quelque chose d\u2019ingrat, tout de m\u00eame, \u00e0 \u00e9crire ces choses. J\u2019ai b\u00e9n\u00e9fici\u00e9, dans ce mouvement vers l\u2019Eldorado, d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 log\u00e9, nourri, blanchi, privil\u00e8ges que d\u2019autres n\u2019ont pas eus. Ce qui, en outre, aura provoqu\u00e9 ce sentiment de culpabilit\u00e9, de trahison d\u2019un membre qui rejette son groupe, sa caste, qui ne fait rien pour continuer \u00e0 porter le flambeau. Quelle publicit\u00e9 pourrais-je faire sur moi-m\u00eame qui ne me ferait pas vomir dans la foul\u00e9e ? Quel slogan inventer pour reconstruire toute une histoire mal lue, sans doute ? Je n\u2019ai plus l\u2019\u00e2ge, voil\u00e0 ce que je me dis, il est trop tard, c\u2019est fichu. Voil\u00e0 ce que dit une voix probablement paternelle. Tandis qu\u2019une autre, f\u00e9minine, lui r\u00e9pond : tu te trompes, tu y as mis le temps mais te voil\u00e0 enfin pr\u00eat. La conviction : voil\u00e0 \u00e9galement un mot cl\u00e9 important pour r\u00e9aliser une campagne publicitaire. Il faut un alignement authentique, incontestable, \u00eatre convaincu que l\u2019histoire \u00e0 vendre tient debout. Et le miracle, c\u2019est qu\u2019une fois que l\u2019on s\u2019en convainc, elle devient la seule histoire, celle qui balaie toutes les autres. J\u2019ai \u00e9teint le poste de radio sans \u00e9couter la suite ; je me suis dit qu\u2019il y avait l\u00e0 d\u00e9j\u00e0 suffisamment de mati\u00e8re \u00e0 r\u00e9flexion pour la journ\u00e9e.<\/p>", "content_text": " Encore un voyage vers Lyon et j\u2019allume le poste de radio pour tomber sur une \u00e9mission de France Culture. Une interview de Mercedes Erra. Pr\u00e9sidente ex\u00e9cutive de Havas Worldwide, sp\u00e9cialis\u00e9e dans la gestion des grands comptes. Elle fonde en 1995, avec R\u00e9mi Babinet et \u00c9ric Tong Cuong, l\u2019agence BETC Euro RSCG, sp\u00e9cialis\u00e9e dans la communication et la publicit\u00e9. Elle est aussi notamment : membre actif du Comit\u00e9 fran\u00e7ais de Human Rights Watch ; l\u2019une des membres fondatrices du Women\u2019s Forum for the Economy and Society ; membre permanent de la Commission sur l\u2019image des femmes dans les m\u00e9dias ; pr\u00e9sidente du conseil d\u2019administration du mus\u00e9e national de l\u2019Histoire de l\u2019immigration. Bon, \u00e7a va parler de publicit\u00e9, ce qui n\u2019est d\u2019embl\u00e9e pas ma tasse de th\u00e9, et je m\u2019appr\u00eate \u00e0 changer de station lorsque, apr\u00e8s quelques phrases prononc\u00e9es par la dame, je ne trouve pas b\u00eate ce qu\u2019elle dit. Je n\u2019aime pas le mot marketing, je pr\u00e9f\u00e8re parler de communication. Une entreprise qui ne communique pas ne va pas bien. On peut faire de quelque chose de petit, a priori, quelque chose de bien plus grand. Les anglo-saxons \u00e9taient partout, je me suis battue pour imposer une autre vision... Du coup, tiens, o\u00f9 en suis-je avec mes difficult\u00e9s personnelles en mati\u00e8re de communication ? Suivent quelques anecdotes, notamment sur la promotion de la Peugeot 106 qui, a priori, \u00e9tait consid\u00e9r\u00e9e par les hommes comme une voiture de femme d\u2019une fa\u00e7on p\u00e9jorative, ce qui, du coup, donne une piste de campagne surprenante et qui fonctionnera au-del\u00e0 des attentes. Montrer tout \u00e0 coup que m\u00eame les hommes sont pr\u00eats \u00e0 tout pour utiliser cette voiture \u2014 placer des sentiments comme l\u2019envie, la jalousie, attribu\u00e9s g\u00e9n\u00e9ralement aux femmes, comme motivation masculine \u2014 c\u2019\u00e9tait \u00e9videmment tr\u00e8s fort. Voil\u00e0 bien la fonction de la cr\u00e9ativit\u00e9. Celle de r\u00e9soudre un probl\u00e8me avant toute autre chose. Sur quelques signaux faibles, imaginer un autre monde qui pourrait advenir, comme un changement de mentalit\u00e9, par exemple. On \u00e9voquera \u00e9galement la campagne pour Air France : \u00ab FAIRE DU CIEL LE PLUS BEL ENDROIT DE LA TERRE \u00bb. Et la dame ajoute : imaginez une h\u00f4tesse de l\u2019air qui tend une assiette \u00e0 un passager, avec un tel slogan, avec les valeurs que ce slogan induit, c\u2019est autre chose que d\u2019\u00eatre seulement dans un avion \u00e0 servir la soupe. Bon. Je ne sais pas si les h\u00f4tesses ont appr\u00e9ci\u00e9 tant que \u00e7a, si cela a v\u00e9ritablement chang\u00e9 leurs vies. Ce qui est certain, c\u2019est que la direction d\u2019Air France a \u00e9t\u00e9 s\u00e9duite et c\u2019est \u00e9videmment tout ce qui compte puisque un client satisfait, c\u2019est un client qui revient. Par contre, sur la m\u00e9ritocratie que madame Erra pr\u00f4ne, je suis mi-figue mi-raisin. Sans doute parce que je n\u2019ai jamais march\u00e9 dans cette combine-l\u00e0 depuis l\u2019\u00e9cole. Sans doute parce que m\u00e9riter quelque chose par la production d\u2019efforts a surtout entra\u00een\u00e9 l\u2019effet inverse chez moi : des trempes quand j\u2019avais de mauvaises notes. Et sans doute que tout mon masochisme aura pris sa source dans ce constat que j\u2019\u00e9tais plus dou\u00e9 pour rater les choses que pour les r\u00e9ussir, d\u2019apr\u00e8s les dires de mes parents, tr\u00e8s \u00e0 cheval sur cette notion d\u2019effort et de r\u00e9ussite, \u00e0 s\u2019en gangr\u00e9ner la sant\u00e9 d\u2019une fa\u00e7on exag\u00e9r\u00e9e. Sans doute aussi parce que, plus tard, j\u2019ai voulu rattraper le temps perdu et que j\u2019ai mis les bouch\u00e9es quadruples en travaillant comme un d\u00e9rat\u00e9, ce qui n\u2019am\u00e8ne rien de bon justement, \u00e0 part la jalousie, la m\u00e9fiance chez les coll\u00e8gues comme chez les sup\u00e9rieurs. 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La chose est assez simple \u00e0 comprendre, tellement simple que tout le monde s\u2019en fout. C\u2019est comme si c\u2019\u00e9tait entendu depuis le d\u00e9part, comme pas mal de choses que l\u2019on fait ainsi, sans y penser. Et pourtant j\u2019ai beau le r\u00e9p\u00e9ter, \u00e7a rentre par une oreille et \u00e7a ressort intact de l\u2019autre. Pas un pli, pas une strie, propre comme un sou neuf, l\u2019information est comme une assiette d\u2019amoureux transis. C\u2019est juste un peu plus froid \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e. Et \u00e0 chaque fois je rencontre des yeux ronds et une bouche b\u00e9e. Tu es s\u00fbr ? Tu nous l\u2019avais vraiment dit ? Oh ben je l\u2019ai dit d\u00e9j\u00e0 1 000 fois au moins, comme tout un tas d\u2019autres choses ; il se peut m\u00eame que sur ces 1 000 fois tu m\u2019aies \u00e9cout\u00e9 pratiquement tout le temps. Le probl\u00e8me, c\u2019est que l\u2019information n\u2019a pas d\u00fb passer par le cerveau. Si tu as un truc \u00e0 dire, pense au format dans lequel tu vas le dire. \u00c7a ne sert pas \u00e0 grand-chose de peindre une tasse \u00e0 caf\u00e9 sur un tableau de 1 m sur 2. Encore que d\u00e9sormais on nous ferait croire que tout est possible, et m\u00eame pire. Si tu veux provoquer, oui, tu peux. Tu peux faire une fresque sur le mur est de la mairie en ne peignant que des poils de cul vus au microscope si \u00e7a te chante. On vit une p\u00e9riode o\u00f9 il faut surprendre co\u00fbte que co\u00fbte et surtout, alors vas-y, ne te g\u00eane pas. Par contre, moi, je reste sur ma position, par respect envers tous ceux qui ont r\u00e9fl\u00e9chi un tant soit peu \u00e0 cette question. Le format est important, je n\u2019en d\u00e9mords pas. Et puis il y a une histoire, on ne peut pas balayer l\u2019histoire d\u2019un revers de manche \u00e0 sa guise, nom de Dieu ! Imagine un peu le Sacre de Napol\u00e9on sur un timbre-poste pour prendre les choses \u00e0 l\u2019envers... Comment ? Ce serait rigolo ? RIGOLO ???? Et les Nymph\u00e9as en pin\u2019s, pardi, hilarant ! Mais bon, je ne dois plus vraiment \u00eatre dans le vent, t\u2019as raison ; apr\u00e8s tout, aujourd\u2019hui, tout est comme \u00e7a. On parle de tout et de rien n\u2019importe comment, n\u2019importe o\u00f9, tout est sans dessus-dessous. Comment ? Je parle comme un vieux r\u00e9ac ? Mais c\u2019est quoi, pour toi, un r\u00e9ac ? Juste quelqu\u2019un qui te rappelle qu\u2019il existe quelques r\u00e8gles de base dans la vie... voil\u00e0 tout. Le r\u00e9ac, comme tu dis, c\u2019est le dernier bastion avant la foire d\u2019empoigne totale, avant la boucherie g\u00e9n\u00e9rale : le lib\u00e9ralisme 3.0. Le format est une r\u00e9sistance au chaos depuis que l\u2019on trouve des troisi\u00e8mes voies partout pour tout embrouiller. Et \u00e0 dessein ! D\u2019ailleurs, il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 regarder ce que propose cette troisi\u00e8me voie en g\u00e9n\u00e9ral : c\u2019est le chaos et pas grand-chose d\u2019autre. Les Tony Blair, les Macron et tous ces petits malins profitant de la confusion g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e entre fond et forme en politique comme dans l\u2019art contemporain, tu vois o\u00f9 \u00e7a nous m\u00e8ne ? Au bordel ! Ce qui ne sert plus \u00e0 grand-chose vu qu\u2019on a ferm\u00e9 les maisons closes. Ah, \u00e7a te fait rire ? T\u2019as raison, esclaffe-toi, rira bien qui rira le dernier !<\/p>", "content_text": " La chose est assez simple \u00e0 comprendre, tellement simple que tout le monde s\u2019en fout. C\u2019est comme si c\u2019\u00e9tait entendu depuis le d\u00e9part, comme pas mal de choses que l\u2019on fait ainsi, sans y penser. Et pourtant j\u2019ai beau le r\u00e9p\u00e9ter, \u00e7a rentre par une oreille et \u00e7a ressort intact de l\u2019autre. Pas un pli, pas une strie, propre comme un sou neuf, l\u2019information est comme une assiette d\u2019amoureux transis. C\u2019est juste un peu plus froid \u00e0 l\u2019arriv\u00e9e. Et \u00e0 chaque fois je rencontre des yeux ronds et une bouche b\u00e9e. Tu es s\u00fbr ? Tu nous l\u2019avais vraiment dit ? Oh ben je l\u2019ai dit d\u00e9j\u00e0 1 000 fois au moins, comme tout un tas d\u2019autres choses ; il se peut m\u00eame que sur ces 1 000 fois tu m\u2019aies \u00e9cout\u00e9 pratiquement tout le temps. Le probl\u00e8me, c\u2019est que l\u2019information n\u2019a pas d\u00fb passer par le cerveau. Si tu as un truc \u00e0 dire, pense au format dans lequel tu vas le dire. \u00c7a ne sert pas \u00e0 grand-chose de peindre une tasse \u00e0 caf\u00e9 sur un tableau de 1 m sur 2. Encore que d\u00e9sormais on nous ferait croire que tout est possible, et m\u00eame pire. Si tu veux provoquer, oui, tu peux. Tu peux faire une fresque sur le mur est de la mairie en ne peignant que des poils de cul vus au microscope si \u00e7a te chante. On vit une p\u00e9riode o\u00f9 il faut surprendre co\u00fbte que co\u00fbte et surtout, alors vas-y, ne te g\u00eane pas. Par contre, moi, je reste sur ma position, par respect envers tous ceux qui ont r\u00e9fl\u00e9chi un tant soit peu \u00e0 cette question. Le format est important, je n\u2019en d\u00e9mords pas. Et puis il y a une histoire, on ne peut pas balayer l\u2019histoire d\u2019un revers de manche \u00e0 sa guise, nom de Dieu ! Imagine un peu le Sacre de Napol\u00e9on sur un timbre-poste pour prendre les choses \u00e0 l\u2019envers... Comment ? Ce serait rigolo ? RIGOLO ???? Et les Nymph\u00e9as en pin\u2019s, pardi, hilarant ! Mais bon, je ne dois plus vraiment \u00eatre dans le vent, t\u2019as raison ; apr\u00e8s tout, aujourd\u2019hui, tout est comme \u00e7a. On parle de tout et de rien n\u2019importe comment, n\u2019importe o\u00f9, tout est sans dessus-dessous. Comment ? Je parle comme un vieux r\u00e9ac ? Mais c\u2019est quoi, pour toi, un r\u00e9ac ? Juste quelqu\u2019un qui te rappelle qu\u2019il existe quelques r\u00e8gles de base dans la vie... voil\u00e0 tout. Le r\u00e9ac, comme tu dis, c\u2019est le dernier bastion avant la foire d\u2019empoigne totale, avant la boucherie g\u00e9n\u00e9rale : le lib\u00e9ralisme 3.0. Le format est une r\u00e9sistance au chaos depuis que l\u2019on trouve des troisi\u00e8mes voies partout pour tout embrouiller. Et \u00e0 dessein ! D\u2019ailleurs, il n\u2019y a qu\u2019\u00e0 regarder ce que propose cette troisi\u00e8me voie en g\u00e9n\u00e9ral : c\u2019est le chaos et pas grand-chose d\u2019autre. Les Tony Blair, les Macron et tous ces petits malins profitant de la confusion g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9e entre fond et forme en politique comme dans l\u2019art contemporain, tu vois o\u00f9 \u00e7a nous m\u00e8ne ? Au bordel ! Ce qui ne sert plus \u00e0 grand-chose vu qu\u2019on a ferm\u00e9 les maisons closes. Ah, \u00e7a te fait rire ? T\u2019as raison, esclaffe-toi, rira bien qui rira le dernier ! ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3238.jpg?1763677009", "tags": [] } ] }