{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/comme-c-est-romantique.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/comme-c-est-romantique.html", "title": "Comme c'est romantique !", "date_published": "2021-11-30T07:26:17Z", "date_modified": "2025-11-22T15:17:23Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Comme un con j\u2019avais achet\u00e9 des fleurs au dernier moment, \u00e0 l\u2019angle de sa rue. Je dis « comme un con » parce que vous savez ce que je pense des fleurs coup\u00e9es, toutes ces d\u00e9gueulasseries permanentes que repr\u00e9sente l\u2019accumulation de meurtres comme de preuves. Bref, j\u2019avais mon petit bouquet \u00e0 la main, j\u2019avais acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 le pas pour parvenir \u00e0 sa porte, et l\u00e0 elle s\u2019ouvre, et me voyant avec mon troph\u00e9e, comme si \u00e7a jaillissait de nulle part : « Comme c\u2019est romantique ! Vous m\u2019apportez des fleurs. » Elle savait y faire pour provoquer l\u2019agacement ; elle \u00e9tait dou\u00e9e, naturellement. Tout se termina \u00e0 quatre pattes, \u00e9videmment, comme des b\u00eates. Comment diable les choses auraient-elles pu se terminer autrement ?<\/p>", "content_text": "Comme un con j\u2019avais achet\u00e9 des fleurs au dernier moment, \u00e0 l\u2019angle de sa rue. Je dis \u00ab comme un con \u00bb parce que vous savez ce que je pense des fleurs coup\u00e9es, toutes ces d\u00e9gueulasseries permanentes que repr\u00e9sente l\u2019accumulation de meurtres comme de preuves. Bref, j\u2019avais mon petit bouquet \u00e0 la main, j\u2019avais acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 le pas pour parvenir \u00e0 sa porte, et l\u00e0 elle s\u2019ouvre, et me voyant avec mon troph\u00e9e, comme si \u00e7a jaillissait de nulle part : \u00ab Comme c\u2019est romantique ! Vous m\u2019apportez des fleurs. \u00bb Elle savait y faire pour provoquer l\u2019agacement ; elle \u00e9tait dou\u00e9e, naturellement. Tout se termina \u00e0 quatre pattes, \u00e9videmment, comme des b\u00eates. Comment diable les choses auraient-elles pu se terminer autrement ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/261460239_4635544376532553_7401952390575590334_n.jpg?1763824578", "tags": ["po\u00e9sie du quotidien"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/elle-et-moi.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/elle-et-moi.html", "title": "Elle et moi.", "date_published": "2021-11-30T07:12:58Z", "date_modified": "2025-11-22T15:12:31Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
illustration<\/em> : Asger Jorn \"Looking for a goog tyrant\" 1969<\/p>\n Elle voulait m\u2019attendrir comme un boucher attendrit la viande. Je m\u2019arcboutais des quatre fers sans bien savoir pourquoi, sinon le danger. Quand je retrouvais un peu de solidit\u00e9, je plissais les yeux pour gommer le superflu, les d\u00e9tails distrayants. Elle voulait ma peau, c\u2019\u00e9tait clair. Alors, de sang-froid, je d\u00e9grafais sa robe : elle tomba comme des milliers de voiles l\u00e9gers, toute cette l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, et le corps nu enfin, ce silex \u00e0 l\u2019odeur de feu sur lequel s\u2019\u00e9corcher toujours, comme l\u2019oc\u00e9an aux falaises de craie, s\u2019\u00e9corcher en vain pour cr\u00e9er une dur\u00e9e. La m\u00eame tendresse dans le regard, \u0153il pour \u0153il, dent pour dent. « Et si on arr\u00eatait ? » dit-elle. « Si on arr\u00eatait ce petit jeu. Si on s\u2019aimait comme des adultes. » Nouveau pi\u00e8ge, \u00e9videmment ; je mimai la lassitude. Nous \u00e9clat\u00e2mes de rire de concert, puis nous tord\u00eemes le cou aux poulets du poulailler, \u00e9gorge\u00e2mes quelques lapins, et les f\u00eemes r\u00f4tir en prenant soin que, sous le croustillant, la viande f\u00fbt encore bien juteuse.<\/p>",
"content_text": " *illustration*: Asger Jorn \"Looking for a goog tyrant\" 1969 Elle voulait m\u2019attendrir comme un boucher attendrit la viande. Je m\u2019arcboutais des quatre fers sans bien savoir pourquoi, sinon le danger. Quand je retrouvais un peu de solidit\u00e9, je plissais les yeux pour gommer le superflu, les d\u00e9tails distrayants. Elle voulait ma peau, c\u2019\u00e9tait clair. Alors, de sang-froid, je d\u00e9grafais sa robe : elle tomba comme des milliers de voiles l\u00e9gers, toute cette l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, et le corps nu enfin, ce silex \u00e0 l\u2019odeur de feu sur lequel s\u2019\u00e9corcher toujours, comme l\u2019oc\u00e9an aux falaises de craie, s\u2019\u00e9corcher en vain pour cr\u00e9er une dur\u00e9e. La m\u00eame tendresse dans le regard, \u0153il pour \u0153il, dent pour dent. \u00ab Et si on arr\u00eatait ? \u00bb dit-elle. \u00ab Si on arr\u00eatait ce petit jeu. Si on s\u2019aimait comme des adultes. \u00bb Nouveau pi\u00e8ge, \u00e9videmment ; je mimai la lassitude. Nous \u00e9clat\u00e2mes de rire de concert, puis nous tord\u00eemes le cou aux poulets du poulailler, \u00e9gorge\u00e2mes quelques lapins, et les f\u00eemes r\u00f4tir en prenant soin que, sous le croustillant, la viande f\u00fbt encore bien juteuse. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/telechargement-2.jpg?1763824107",
"tags": ["po\u00e9sie du quotidien"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/mon-petit-vieux.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/mon-petit-vieux.html",
"title": "Mon petit vieux",
"date_published": "2021-11-30T06:36:54Z",
"date_modified": "2025-11-21T21:28:13Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Vous avez trop d\u2019imagination, mon petit vieux, r\u00e9veillez-vous ! Il disait \u00e7a, cet homme, et il devait s\u2019adresser \u00e0 ce gamin qui n\u2019\u00e9tait pas le sien, sans doute un \u00e9l\u00e8ve. Ils \u00e9taient sur le trottoir d\u2019en face, face \u00e0 face. L\u2019adulte, un peu courb\u00e9 sur l\u2019enfant. L\u2019enfant, la t\u00eate dans les \u00e9paules, levant le front. Mon petit vieux\u2026 \u00e7a faisait si longtemps que je n\u2019avais pas entendu \u00e7a. La m\u00eame col\u00e8re m\u2019envahit soudain. L\u2019envie de tout casser, de tuer tout le monde, de sauter \u00e0 la gorge de ce connard d\u2019adulte condescendant. De m\u2019interposer entre les deux. Et puis je me suis souvenu : au bout de l\u2019\u00e9ni\u00e8me fois, on n\u2019entend plus. Mon petit vieux, c\u2019est m\u00eame le d\u00e9clic qui cr\u00e9e la l\u00e9vitation tout enti\u00e8re. On se d\u00e9corpore, on s\u2019en branle, merde \u00e0 tout.<\/p>",
"content_text": " Vous avez trop d\u2019imagination, mon petit vieux, r\u00e9veillez-vous ! Il disait \u00e7a, cet homme, et il devait s\u2019adresser \u00e0 ce gamin qui n\u2019\u00e9tait pas le sien, sans doute un \u00e9l\u00e8ve. Ils \u00e9taient sur le trottoir d\u2019en face, face \u00e0 face. L\u2019adulte, un peu courb\u00e9 sur l\u2019enfant. L\u2019enfant, la t\u00eate dans les \u00e9paules, levant le front. Mon petit vieux\u2026 \u00e7a faisait si longtemps que je n\u2019avais pas entendu \u00e7a. La m\u00eame col\u00e8re m\u2019envahit soudain. L\u2019envie de tout casser, de tuer tout le monde, de sauter \u00e0 la gorge de ce connard d\u2019adulte condescendant. De m\u2019interposer entre les deux. Et puis je me suis souvenu : au bout de l\u2019\u00e9ni\u00e8me fois, on n\u2019entend plus. Mon petit vieux, c\u2019est m\u00eame le d\u00e9clic qui cr\u00e9e la l\u00e9vitation tout enti\u00e8re. On se d\u00e9corpore, on s\u2019en branle, merde \u00e0 tout. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/11.png?1763760482",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/pecher-le-silence.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/pecher-le-silence.html",
"title": "P\u00eacher le silence",
"date_published": "2021-11-28T06:57:45Z",
"date_modified": "2025-11-21T21:20:27Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Hortillonnages, Alfred Manessier<\/small><\/p>\n J\u2019ai connu des temps b\u00e9nis o\u00f9 l\u2019on pouvait manger le poisson que l\u2019on p\u00eachait soi-m\u00eame. De plus, celui-ci avait encore une forme de poisson et non cette chose congel\u00e9e, rectangulaire, enduite d\u2019une couche de chapelure que l\u2019on cuit \u00e0 la va-vite sur un coin de fourneau. Mais \u00e0 vrai dire, ce n\u2019\u00e9tait pas p\u00eacher des poissons qui m\u2019int\u00e9ressait le plus, c\u2019\u00e9tait tout ce qu\u2019il y avait autour durant ces moments de vacances fabuleuses. L\u2019esprit accroch\u00e9 tel une barque \u00e0 quai \u00e0 un rituel immuable, quelque chose comme une sorte de doublure augment\u00e9e de moi, l\u00e9g\u00e8re, pouvait alors voyager dans le ciel et dans les profondeurs du fleuve, dans le bruissement des arbres et le mouvement des reflets. J\u2019arrivais de bonne heure et humais l\u2019air. Puis je d\u00e9ballais mon attirail toujours exactement de la m\u00eame fa\u00e7on. Une fois la canne t\u00e9lescopique d\u00e9ploy\u00e9e, j\u2019y accrochais la ligne, puis je farfouillais dans la bo\u00eete de vers pour en trouver un que je coupais en deux sans le moindre \u00e9moi. Enfin je pla\u00e7ais une plomb\u00e9e pour mesurer le fond, estimais la vitesse, la force du courant, ce qui me donnait les indications suffisantes pour r\u00e9gler la hauteur du bouchon, et enfin tendre la ligne. Une fois tout cela fait, je fixais l\u2019objet comme un moine un point focal, crucifix ou mandala, et j\u2019\u00e9tais pr\u00eat pour un voyage dont je ne savais jamais d\u2019avance ni o\u00f9 ni combien de temps il allait durer. Je pouvais sortir de mon corps de petit gar\u00e7on et rejoindre les territoires des r\u00eaves que j\u2019avais abandonn\u00e9s le matin. Et puis, de temps \u00e0 autre, un poisson mordait \u00e0 l\u2019hame\u00e7on, tout l\u00e0-bas en bas, dans la profondeur, et je suivais le fil d\u2019argent pour retrouver mon corps, la pesanteur de celui-ci et le mouvement, et c\u2019est alors comme m\u00e9caniquement que je ferrais. La plupart de ces petits poissons \u00e9taient de longs gardons et leur odeur me p\u00e9n\u00e9trait les narines comme pour achever de me r\u00e9veiller totalement. Une odeur forte de vase et de quelque chose d\u2019autre que je n\u2019arrivais pas vraiment \u00e0 identifier clairement. Une odeur de gardon. La perche arc-en-ciel que je p\u00eache aussi parfois n\u2019a pas tout \u00e0 fait la m\u00eame odeur ; quant au poisson-chat, n\u2019en parlons pas, c\u2019est une v\u00e9ritable infection, on le p\u00eache plut\u00f4t dans le canal du c\u00f4t\u00e9 des \u00e9gouts. Ce que j\u2019extirpais de ces profondeurs myst\u00e9rieuses, ces poissons de toutes sortes, la p\u00eache, n\u2019\u00e9tait pour moi rien d\u2019autre qu\u2019une conversation silencieuse interrompue par la chance. Et la chance surgissait \u00e0 la fois dans des tons argent\u00e9s et de sales odeurs. Encore que « sales odeurs » est un terme exag\u00e9r\u00e9 qui ne venait pas de moi, mais de ma m\u00e8re. Car lorsque je rentrais avec ma bourriche pleine, elle ne voulait rien savoir : « d\u00e9brouille-toi pour les pr\u00e9parer, moi je m\u2019en lave les mains, \u00e7a pue vraiment trop, tes machins. » C\u2019\u00e9tait \u00e9videmment la contrepartie de ces moments magiques, comme si tout dans cette existence n\u2019\u00e9tait qu\u2019un \u00e9quilibre permanent \u00e0 ajuster entre le merveilleux et le d\u00e9sagr\u00e9able. Je prenais de vieux journaux, La Montagne notamment, et sur les feuilles imprim\u00e9es relatant les faits divers, les dates et \u00e9v\u00e9nements des comices agricoles, les rubriques n\u00e9crologiques, je sacrifiais mes souvenirs encore tout fr\u00e9tillants d\u2019ombres et de lumi\u00e8res, ces agr\u00e9ables moments. Les boyaux sanguinolents se m\u00ealaient \u00e0 l\u2019encre d\u2019imprimerie, ce devaient \u00eatre mes premi\u00e8res peintures cr\u00e9\u00e9es de toutes pi\u00e8ces par le hasard. Je n\u2019ai jamais parl\u00e9 de tout cela : je n\u2019\u00e9tais qu\u2019un gamin et, du reste, sit\u00f4t que j\u2019avais essay\u00e9 de raconter mes r\u00eaves ou mes cauchemars, je n\u2019avais la plupart du temps droit qu\u2019\u00e0 des r\u00e9primandes. « Arr\u00eate donc de vouloir faire ton int\u00e9ressant et va ranger ceci, va ranger cela. » Je me suis tu le plus profond\u00e9ment possible. Puis je suis arriv\u00e9 dans des contr\u00e9es o\u00f9 la p\u00eache ne me disait plus rien. Au bord de l\u2019Oise, en r\u00e9gion parisienne, je voyais les berges souill\u00e9es par des nappes de gasoil que laissaient dans leur sillage les p\u00e9niches, des bouteilles vides en plastique, des petits chats morts dans des bas de soie, je n\u2019avais nulle envie de fourrer ma ligne dans ces eaux-l\u00e0. J\u2019ai pourtant essay\u00e9 une fois ou deux, tant la nostalgie me tenaillait. Mais ce fut d\u00e9cevant : je n\u2019ai p\u00each\u00e9 ces jours-l\u00e0 que des objets mis au rebut dans le ventre du fleuve, une vieille ceinture et une espadrille. J\u2019ai donc rang\u00e9 tout mon fourbi dans un coin du garage et puis j\u2019ai laiss\u00e9 le temps passer, j\u2019ai oubli\u00e9. Durant les 50 ann\u00e9es qui se sont \u00e9coul\u00e9es depuis, j\u2019ai d\u00fb retourner \u00e0 la p\u00eache moins de cinq fois. Au Portugal notamment, o\u00f9 je vivais dans une for\u00eat d\u2019eucalyptus, au-dessus de Chaves, je suis all\u00e9 p\u00eacher pour me nourrir car je n\u2019avais plus le moindre kopeck. C\u2019\u00e9tait une petite rivi\u00e8re, un vao, et j\u2019ai pu retrouver en grande partie le monde des r\u00eaves qui m\u2019\u00e9tait devenu inaccessible depuis l\u2019enfance, et l\u2019abandon de la p\u00eache. Oh bien s\u00fbr, j\u2019avais des r\u00eaves d\u2019adultes d\u00e9sormais, mais ce n\u2019\u00e9tait pas du tout la m\u00eame chose. Dans ces r\u00eaves-l\u00e0, il me semble que j\u2019\u00e9tais d\u00e9muni totalement, je n\u2019avais rien pour mesurer le fond, et tendre ma ligne en toute qui\u00e9tude. Je n\u2019avais d\u00e9sormais plus rien, pas la moindre plomb\u00e9e, pas le plus petit bouchon, pas le moindre petit fil pour p\u00eacher le silence.<\/p>",
"content_text": "Hortillonnages, Alfred Manessier J\u2019ai connu des temps b\u00e9nis o\u00f9 l\u2019on pouvait manger le poisson que l\u2019on p\u00eachait soi-m\u00eame. De plus, celui-ci avait encore une forme de poisson et non cette chose congel\u00e9e, rectangulaire, enduite d\u2019une couche de chapelure que l\u2019on cuit \u00e0 la va-vite sur un coin de fourneau. Mais \u00e0 vrai dire, ce n\u2019\u00e9tait pas p\u00eacher des poissons qui m\u2019int\u00e9ressait le plus, c\u2019\u00e9tait tout ce qu\u2019il y avait autour durant ces moments de vacances fabuleuses. L\u2019esprit accroch\u00e9 tel une barque \u00e0 quai \u00e0 un rituel immuable, quelque chose comme une sorte de doublure augment\u00e9e de moi, l\u00e9g\u00e8re, pouvait alors voyager dans le ciel et dans les profondeurs du fleuve, dans le bruissement des arbres et le mouvement des reflets. J\u2019arrivais de bonne heure et humais l\u2019air. Puis je d\u00e9ballais mon attirail toujours exactement de la m\u00eame fa\u00e7on. Une fois la canne t\u00e9lescopique d\u00e9ploy\u00e9e, j\u2019y accrochais la ligne, puis je farfouillais dans la bo\u00eete de vers pour en trouver un que je coupais en deux sans le moindre \u00e9moi. Enfin je pla\u00e7ais une plomb\u00e9e pour mesurer le fond, estimais la vitesse, la force du courant, ce qui me donnait les indications suffisantes pour r\u00e9gler la hauteur du bouchon, et enfin tendre la ligne. Une fois tout cela fait, je fixais l\u2019objet comme un moine un point focal, crucifix ou mandala, et j\u2019\u00e9tais pr\u00eat pour un voyage dont je ne savais jamais d\u2019avance ni o\u00f9 ni combien de temps il allait durer. Je pouvais sortir de mon corps de petit gar\u00e7on et rejoindre les territoires des r\u00eaves que j\u2019avais abandonn\u00e9s le matin. Et puis, de temps \u00e0 autre, un poisson mordait \u00e0 l\u2019hame\u00e7on, tout l\u00e0-bas en bas, dans la profondeur, et je suivais le fil d\u2019argent pour retrouver mon corps, la pesanteur de celui-ci et le mouvement, et c\u2019est alors comme m\u00e9caniquement que je ferrais. La plupart de ces petits poissons \u00e9taient de longs gardons et leur odeur me p\u00e9n\u00e9trait les narines comme pour achever de me r\u00e9veiller totalement. Une odeur forte de vase et de quelque chose d\u2019autre que je n\u2019arrivais pas vraiment \u00e0 identifier clairement. Une odeur de gardon. La perche arc-en-ciel que je p\u00eache aussi parfois n\u2019a pas tout \u00e0 fait la m\u00eame odeur ; quant au poisson-chat, n\u2019en parlons pas, c\u2019est une v\u00e9ritable infection, on le p\u00eache plut\u00f4t dans le canal du c\u00f4t\u00e9 des \u00e9gouts. Ce que j\u2019extirpais de ces profondeurs myst\u00e9rieuses, ces poissons de toutes sortes, la p\u00eache, n\u2019\u00e9tait pour moi rien d\u2019autre qu\u2019une conversation silencieuse interrompue par la chance. Et la chance surgissait \u00e0 la fois dans des tons argent\u00e9s et de sales odeurs. Encore que \u00ab sales odeurs \u00bb est un terme exag\u00e9r\u00e9 qui ne venait pas de moi, mais de ma m\u00e8re. Car lorsque je rentrais avec ma bourriche pleine, elle ne voulait rien savoir : \u00ab d\u00e9brouille-toi pour les pr\u00e9parer, moi je m\u2019en lave les mains, \u00e7a pue vraiment trop, tes machins. \u00bb C\u2019\u00e9tait \u00e9videmment la contrepartie de ces moments magiques, comme si tout dans cette existence n\u2019\u00e9tait qu\u2019un \u00e9quilibre permanent \u00e0 ajuster entre le merveilleux et le d\u00e9sagr\u00e9able. Je prenais de vieux journaux, La Montagne notamment, et sur les feuilles imprim\u00e9es relatant les faits divers, les dates et \u00e9v\u00e9nements des comices agricoles, les rubriques n\u00e9crologiques, je sacrifiais mes souvenirs encore tout fr\u00e9tillants d\u2019ombres et de lumi\u00e8res, ces agr\u00e9ables moments. Les boyaux sanguinolents se m\u00ealaient \u00e0 l\u2019encre d\u2019imprimerie, ce devaient \u00eatre mes premi\u00e8res peintures cr\u00e9\u00e9es de toutes pi\u00e8ces par le hasard. Je n\u2019ai jamais parl\u00e9 de tout cela : je n\u2019\u00e9tais qu\u2019un gamin et, du reste, sit\u00f4t que j\u2019avais essay\u00e9 de raconter mes r\u00eaves ou mes cauchemars, je n\u2019avais la plupart du temps droit qu\u2019\u00e0 des r\u00e9primandes. \u00ab Arr\u00eate donc de vouloir faire ton int\u00e9ressant et va ranger ceci, va ranger cela. \u00bb Je me suis tu le plus profond\u00e9ment possible. Puis je suis arriv\u00e9 dans des contr\u00e9es o\u00f9 la p\u00eache ne me disait plus rien. Au bord de l\u2019Oise, en r\u00e9gion parisienne, je voyais les berges souill\u00e9es par des nappes de gasoil que laissaient dans leur sillage les p\u00e9niches, des bouteilles vides en plastique, des petits chats morts dans des bas de soie, je n\u2019avais nulle envie de fourrer ma ligne dans ces eaux-l\u00e0. J\u2019ai pourtant essay\u00e9 une fois ou deux, tant la nostalgie me tenaillait. Mais ce fut d\u00e9cevant : je n\u2019ai p\u00each\u00e9 ces jours-l\u00e0 que des objets mis au rebut dans le ventre du fleuve, une vieille ceinture et une espadrille. J\u2019ai donc rang\u00e9 tout mon fourbi dans un coin du garage et puis j\u2019ai laiss\u00e9 le temps passer, j\u2019ai oubli\u00e9. Durant les 50 ann\u00e9es qui se sont \u00e9coul\u00e9es depuis, j\u2019ai d\u00fb retourner \u00e0 la p\u00eache moins de cinq fois. Au Portugal notamment, o\u00f9 je vivais dans une for\u00eat d\u2019eucalyptus, au-dessus de Chaves, je suis all\u00e9 p\u00eacher pour me nourrir car je n\u2019avais plus le moindre kopeck. C\u2019\u00e9tait une petite rivi\u00e8re, un vao, et j\u2019ai pu retrouver en grande partie le monde des r\u00eaves qui m\u2019\u00e9tait devenu inaccessible depuis l\u2019enfance, et l\u2019abandon de la p\u00eache. Oh bien s\u00fbr, j\u2019avais des r\u00eaves d\u2019adultes d\u00e9sormais, mais ce n\u2019\u00e9tait pas du tout la m\u00eame chose. Dans ces r\u00eaves-l\u00e0, il me semble que j\u2019\u00e9tais d\u00e9muni totalement, je n\u2019avais rien pour mesurer le fond, et tendre ma ligne en toute qui\u00e9tude. Je n\u2019avais d\u00e9sormais plus rien, pas la moindre plomb\u00e9e, pas le plus petit bouchon, pas le moindre petit fil pour p\u00eacher le silence. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/manessier-1920x960.jpg?1763759951",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/peindre-sans-ponctuation.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/peindre-sans-ponctuation.html",
"title": "Peindre sans ponctuation",
"date_published": "2021-11-28T05:46:21Z",
"date_modified": "2025-11-21T21:17:28Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Distances prises, Pierre Alechinsky 1960<\/small><\/p>\n Suite \u00e0 un commentaire de la part d\u2019un lecteur concernant l\u2019absence de ponctuation dans la plupart de mes textes, je me suis mis \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir, sans doute parce que j\u2019ai bott\u00e9 en touche un peu trop facilement \u00e0 mon go\u00fbt. Et encore, je me suis retenu. J\u2019aurais pu aller faire quelques recherches sur Google afin de retracer le plus bri\u00e8vement possible une « histoire de la ponctuation » au travers des \u00e2ges, ce qui m\u2019aurait permis en premier lieu de conforter une bonne fois pour toutes les intuitions qui m\u2019auront travers\u00e9 depuis les classes maternelles et primaires sans que jamais je n\u2019ose m\u2019exprimer sur celles-ci. Car ayant l\u2019oreille fine et passant la plupart de mon temps \u00e0 \u00e9couter tous les bruits de la nature, ou de l\u2019\u00eatre, se confondant en une seule et m\u00eame entit\u00e9, j\u2019ai remarqu\u00e9 que celle-ci ne s\u2019octroie jamais la moindre pause. Dans le fond, la m\u00e9lodie continue imperturbablement \u00e0 se jouer, m\u00eame si, de temps \u00e0 autre, l\u2019ou\u00efe du commun des mortels puisse s\u2019imaginer qu\u2019elle dispara\u00eet. Comme en toute chose que nos sens nous repr\u00e9sentent, il y a toujours deux aspects au moins que l\u2019on pourrait nommer le visible et l\u2019invisible. Or la pause, comme le blanc ou le vide entre deux choses distinctes, ne m\u2019a toujours paru n\u2019\u00eatre qu\u2019apparence et artifice. J\u2019imagine qu\u2019au tout d\u00e9but de l\u2019\u00e9criture, \u00e9tant donn\u00e9 que les supports \u00e9taient pr\u00e9cieux, pour des besoins d\u2019\u00e9conomie ou d\u2019\u00e9cologie d\u00e9j\u00e0, l\u2019\u00e9crivain \u00e9vitait de laisser du blanc entre les mots et ne ponctuait pas. D\u2019ailleurs, le mot en lui-m\u00eame n\u2019est qu\u2019un vestige de ces temps oubli\u00e9s o\u00f9 chaque lettre se relie \u00e0 l\u2019autre pour \u00e9voquer un son compr\u00e9hensible distinctif, reconnaissable. Comme si conna\u00eetre ne suffisait pas. Je crois que si je me penchais s\u00e9rieusement sur la langue h\u00e9bra\u00efque et que j\u2019analysais avec force d\u2019exemples, issus comme il se doit de sources s\u00fbres, nul doute que je d\u00e9couvrirais que les mots de celle-ci contiennent des voyelles cach\u00e9es que le lecteur doit deviner suivant le contexte dans lequel chaque mot est plac\u00e9. Chez les Grecs anciens, je vous fiche mon billet qu\u2019on serait stup\u00e9fait de d\u00e9couvrir, sur les manuscrits originaux, une continuit\u00e9 de lettres toutes reli\u00e9es les unes aux autres et dont il faudrait faire un effort pour distinguer chaque mot. C\u2019est pour des besoins oraux, pour se narrer les histoires les plus fameuses, que les conteurs, copains comme cochons avec les copistes, dont les plus joyeux drilles furent probablement ga\u00e9liques ou irlandais, ont \u00e9prouv\u00e9 le besoin de placer du blanc entre les mots, entre les id\u00e9es, entre les sensations et les \u00e9motions. Pour les m\u00eames raisons triviales la plupart du temps : accro\u00eetre la dur\u00e9e de la narration afin que les p\u00e9quins aient la sensation nette d\u2019en avoir pour leurs \u00e9cus. Donc, durant une grande partie de son histoire, avant cela, l\u2019humanit\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral ne se souciait que peu ou pas du tout de la ponctuation, et j\u2019imagine qu\u2019elle ne s\u2019en portait pas plus mal qu\u2019aujourd\u2019hui. Cette observation n\u2019est rien \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un paradoxe que l\u2019on peut apercevoir au Moyen \u00c2ge concernant l\u2019\u00e9volution de la ponctuation au regard de la pauvret\u00e9 de la production litt\u00e9raire de cette \u00e9poque. Comme si on avait voulu \u00e9tirer les caract\u00e8res pour remplir les parchemins ; la fabrication du papier \u00e9tant d\u00e9sormais \u00e0 peu pr\u00e8s ma\u00eetris\u00e9e, on se retrouvait avec des stocks, du surplus qu\u2019il fallait bien \u00e9couler. Peu de production et beaucoup de parchemins : voil\u00e0 une raison aussi valable qu\u2019une autre pour inventer les r\u00e8gles de la ponctuation. Une autre raison sans doute plus s\u00e9rieuse et plus dangereuse \u00e9tait que le sens soit partag\u00e9 par le plus grand nombre, de fa\u00e7on \u00e0 ne laisser que peu de doutes, notamment en mati\u00e8re d\u2019\u00e9crits religieux. Imaginez, il aurait fait beau voir que tout un chacun interpr\u00e8te l\u2019\u00c9vangile \u00e0 sa guise. Avec la ponctuation dispara\u00eet le doute qui, comme on le sait depuis Mathusalem, et plus r\u00e9cemment saint Antoine de Padoue, est le signe que le d\u00e9mon nous tirlipote la mati\u00e8re grise. Du coup, fort de ces toutes premi\u00e8res intuitions dont je vous ai parl\u00e9, je n\u2019ai jamais jug\u00e9 vraiment int\u00e9ressant de me pencher de trop sur la ponctuation, surtout en raison de ma r\u00e9sistance vis-\u00e0-vis de toutes les innombrables mani\u00e8res que l\u2019\u00c9ducation nationale ne l\u00e9sine pas \u00e0 utiliser pour nous bourrer le mou et faire de chacun de nous des moutons. Et puis cette m\u00e9lodie que je ne cesse d\u2019entendre depuis toujours, je ne vois pas de raison valable ou personnelle de m\u2019amuser \u00e0 la trahir ; tout au contraire, j\u2019ai toujours essay\u00e9 de la suivre du mieux qu\u2019il m\u2019\u00e9tait possible de le faire. Aujourd\u2019hui, on veut mettre du sens partout, des raisons, de l\u2019intelligence. De cela aussi je n\u2019ai jamais cess\u00e9 de me m\u00e9fier. Tout d\u2019abord parce que c\u2019est assez fatiguant, mais cela ne serait rien si la raison n\u2019\u00e9tait pas \u00e0 peu pr\u00e8s toujours \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la plaque concernant la r\u00e9alit\u00e9 de ce monde, celle que toute ponctuation, justement, tente de dissimuler en nous \u00e9garant dans la logique. Il y a plus d\u2019un point commun entre cette histoire de ponctuation dans l\u2019\u00e9crit et ce que me dit mon \u00e9pouse lorsqu\u2019elle ouvre la porte de l\u2019atelier et me livre son avis sur la plupart de mes tableaux : « On \u00e9touffe, c\u2019est trop charg\u00e9, mets plus d\u2019air. » \u00c9videmment, je respecte son avis comme je respecte l\u2019avis de ce lecteur me livrant sa g\u00eane concernant ma carence en virgules et en points. Ce qui ne me fait pas d\u00e9vier d\u2019un iota sur ma fa\u00e7on de peindre. Car je suis t\u00eatu et je n\u2019y peux rien. C\u2019est plus que t\u00eatu, je crois : c\u2019est fid\u00e8le. Voil\u00e0, je reste fid\u00e8le \u00e0 mes intuitions de d\u00e9part aussi longtemps que l\u2019on ne me prouvera pas qu\u2019elles sont totalement erron\u00e9es. Et j\u2019ai toutes mes chances de ne pas \u00eatre contredit car, au demeurant, tout le monde s\u2019en tape le coquillard royalement de mes intuitions. La vie ne fait pas de pause, sauf dans le monde des apparences ; alors pourquoi j\u2019essaierais de faire autrement, sinon pour para\u00eetre ce que je sens bien ne pas \u00eatre ? Et puis je vois bien o\u00f9 tout \u00e7a risque de nous mener surtout : de plus en plus d\u2019espace entre les id\u00e9es, entre les \u00e9motions, les mots, une sorte d\u2019expansion du langage, comme de l\u2019humanisme, parall\u00e8le \u00e0 celle de l\u2019univers, qui finira par la nuit noire et sans \u00e9toile \u00e0 terme, ou dans un mutisme profond, comme on voudra. Et « on », je ne sais pas toujours qui c\u2019est ; on dit que c\u2019est un con, je doute aussi pas mal de \u00e7a.<\/p>",
"content_text": "Distances prises, Pierre Alechinsky 1960 Suite \u00e0 un commentaire de la part d\u2019un lecteur concernant l\u2019absence de ponctuation dans la plupart de mes textes, je me suis mis \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir, sans doute parce que j\u2019ai bott\u00e9 en touche un peu trop facilement \u00e0 mon go\u00fbt. Et encore, je me suis retenu. J\u2019aurais pu aller faire quelques recherches sur Google afin de retracer le plus bri\u00e8vement possible une \u00ab histoire de la ponctuation \u00bb au travers des \u00e2ges, ce qui m\u2019aurait permis en premier lieu de conforter une bonne fois pour toutes les intuitions qui m\u2019auront travers\u00e9 depuis les classes maternelles et primaires sans que jamais je n\u2019ose m\u2019exprimer sur celles-ci. Car ayant l\u2019oreille fine et passant la plupart de mon temps \u00e0 \u00e9couter tous les bruits de la nature, ou de l\u2019\u00eatre, se confondant en une seule et m\u00eame entit\u00e9, j\u2019ai remarqu\u00e9 que celle-ci ne s\u2019octroie jamais la moindre pause. Dans le fond, la m\u00e9lodie continue imperturbablement \u00e0 se jouer, m\u00eame si, de temps \u00e0 autre, l\u2019ou\u00efe du commun des mortels puisse s\u2019imaginer qu\u2019elle dispara\u00eet. Comme en toute chose que nos sens nous repr\u00e9sentent, il y a toujours deux aspects au moins que l\u2019on pourrait nommer le visible et l\u2019invisible. Or la pause, comme le blanc ou le vide entre deux choses distinctes, ne m\u2019a toujours paru n\u2019\u00eatre qu\u2019apparence et artifice. J\u2019imagine qu\u2019au tout d\u00e9but de l\u2019\u00e9criture, \u00e9tant donn\u00e9 que les supports \u00e9taient pr\u00e9cieux, pour des besoins d\u2019\u00e9conomie ou d\u2019\u00e9cologie d\u00e9j\u00e0, l\u2019\u00e9crivain \u00e9vitait de laisser du blanc entre les mots et ne ponctuait pas. D\u2019ailleurs, le mot en lui-m\u00eame n\u2019est qu\u2019un vestige de ces temps oubli\u00e9s o\u00f9 chaque lettre se relie \u00e0 l\u2019autre pour \u00e9voquer un son compr\u00e9hensible distinctif, reconnaissable. Comme si conna\u00eetre ne suffisait pas. Je crois que si je me penchais s\u00e9rieusement sur la langue h\u00e9bra\u00efque et que j\u2019analysais avec force d\u2019exemples, issus comme il se doit de sources s\u00fbres, nul doute que je d\u00e9couvrirais que les mots de celle-ci contiennent des voyelles cach\u00e9es que le lecteur doit deviner suivant le contexte dans lequel chaque mot est plac\u00e9. Chez les Grecs anciens, je vous fiche mon billet qu\u2019on serait stup\u00e9fait de d\u00e9couvrir, sur les manuscrits originaux, une continuit\u00e9 de lettres toutes reli\u00e9es les unes aux autres et dont il faudrait faire un effort pour distinguer chaque mot. C\u2019est pour des besoins oraux, pour se narrer les histoires les plus fameuses, que les conteurs, copains comme cochons avec les copistes, dont les plus joyeux drilles furent probablement ga\u00e9liques ou irlandais, ont \u00e9prouv\u00e9 le besoin de placer du blanc entre les mots, entre les id\u00e9es, entre les sensations et les \u00e9motions. Pour les m\u00eames raisons triviales la plupart du temps : accro\u00eetre la dur\u00e9e de la narration afin que les p\u00e9quins aient la sensation nette d\u2019en avoir pour leurs \u00e9cus. Donc, durant une grande partie de son histoire, avant cela, l\u2019humanit\u00e9 en g\u00e9n\u00e9ral ne se souciait que peu ou pas du tout de la ponctuation, et j\u2019imagine qu\u2019elle ne s\u2019en portait pas plus mal qu\u2019aujourd\u2019hui. Cette observation n\u2019est rien \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un paradoxe que l\u2019on peut apercevoir au Moyen \u00c2ge concernant l\u2019\u00e9volution de la ponctuation au regard de la pauvret\u00e9 de la production litt\u00e9raire de cette \u00e9poque. Comme si on avait voulu \u00e9tirer les caract\u00e8res pour remplir les parchemins ; la fabrication du papier \u00e9tant d\u00e9sormais \u00e0 peu pr\u00e8s ma\u00eetris\u00e9e, on se retrouvait avec des stocks, du surplus qu\u2019il fallait bien \u00e9couler. Peu de production et beaucoup de parchemins : voil\u00e0 une raison aussi valable qu\u2019une autre pour inventer les r\u00e8gles de la ponctuation. Une autre raison sans doute plus s\u00e9rieuse et plus dangereuse \u00e9tait que le sens soit partag\u00e9 par le plus grand nombre, de fa\u00e7on \u00e0 ne laisser que peu de doutes, notamment en mati\u00e8re d\u2019\u00e9crits religieux. Imaginez, il aurait fait beau voir que tout un chacun interpr\u00e8te l\u2019\u00c9vangile \u00e0 sa guise. Avec la ponctuation dispara\u00eet le doute qui, comme on le sait depuis Mathusalem, et plus r\u00e9cemment saint Antoine de Padoue, est le signe que le d\u00e9mon nous tirlipote la mati\u00e8re grise. Du coup, fort de ces toutes premi\u00e8res intuitions dont je vous ai parl\u00e9, je n\u2019ai jamais jug\u00e9 vraiment int\u00e9ressant de me pencher de trop sur la ponctuation, surtout en raison de ma r\u00e9sistance vis-\u00e0-vis de toutes les innombrables mani\u00e8res que l\u2019\u00c9ducation nationale ne l\u00e9sine pas \u00e0 utiliser pour nous bourrer le mou et faire de chacun de nous des moutons. Et puis cette m\u00e9lodie que je ne cesse d\u2019entendre depuis toujours, je ne vois pas de raison valable ou personnelle de m\u2019amuser \u00e0 la trahir ; tout au contraire, j\u2019ai toujours essay\u00e9 de la suivre du mieux qu\u2019il m\u2019\u00e9tait possible de le faire. Aujourd\u2019hui, on veut mettre du sens partout, des raisons, de l\u2019intelligence. De cela aussi je n\u2019ai jamais cess\u00e9 de me m\u00e9fier. Tout d\u2019abord parce que c\u2019est assez fatiguant, mais cela ne serait rien si la raison n\u2019\u00e9tait pas \u00e0 peu pr\u00e8s toujours \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la plaque concernant la r\u00e9alit\u00e9 de ce monde, celle que toute ponctuation, justement, tente de dissimuler en nous \u00e9garant dans la logique. Il y a plus d\u2019un point commun entre cette histoire de ponctuation dans l\u2019\u00e9crit et ce que me dit mon \u00e9pouse lorsqu\u2019elle ouvre la porte de l\u2019atelier et me livre son avis sur la plupart de mes tableaux : \u00ab On \u00e9touffe, c\u2019est trop charg\u00e9, mets plus d\u2019air. \u00bb \u00c9videmment, je respecte son avis comme je respecte l\u2019avis de ce lecteur me livrant sa g\u00eane concernant ma carence en virgules et en points. Ce qui ne me fait pas d\u00e9vier d\u2019un iota sur ma fa\u00e7on de peindre. Car je suis t\u00eatu et je n\u2019y peux rien. C\u2019est plus que t\u00eatu, je crois : c\u2019est fid\u00e8le. Voil\u00e0, je reste fid\u00e8le \u00e0 mes intuitions de d\u00e9part aussi longtemps que l\u2019on ne me prouvera pas qu\u2019elles sont totalement erron\u00e9es. Et j\u2019ai toutes mes chances de ne pas \u00eatre contredit car, au demeurant, tout le monde s\u2019en tape le coquillard royalement de mes intuitions. La vie ne fait pas de pause, sauf dans le monde des apparences ; alors pourquoi j\u2019essaierais de faire autrement, sinon pour para\u00eetre ce que je sens bien ne pas \u00eatre ? Et puis je vois bien o\u00f9 tout \u00e7a risque de nous mener surtout : de plus en plus d\u2019espace entre les id\u00e9es, entre les \u00e9motions, les mots, une sorte d\u2019expansion du langage, comme de l\u2019humanisme, parall\u00e8le \u00e0 celle de l\u2019univers, qui finira par la nuit noire et sans \u00e9toile \u00e0 terme, ou dans un mutisme profond, comme on voudra. Et \u00ab on \u00bb, je ne sais pas toujours qui c\u2019est ; on dit que c\u2019est un con, je doute aussi pas mal de \u00e7a. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/2018_par_16434_0006_000_pierre_alechinsky_distances_prises095841_.jpg?1763759740",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-conference-des-oiseaux.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-conference-des-oiseaux.html",
"title": "La conf\u00e9rence des oiseaux.",
"date_published": "2021-11-26T08:10:06Z",
"date_modified": "2025-11-21T21:08:07Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Novembre n\u2019est vraiment pas ma tasse de th\u00e9. En plus, je ne bois pas de th\u00e9. Du coup, je tente de me motiver, de trouver du beau, de l\u2019all\u00e9gresse, de l\u2019enthousiasme encore plus durant ce mois-l\u00e0 que durant les autres, pour contrebalancer ma peur, ma col\u00e8re, mon d\u00e9sespoir. C\u2019est un grand mot, le d\u00e9sespoir. Aujourd\u2019hui, on parle plus de d\u00e9prime, parfois aussi de m\u00e9lancolie. Aujourd\u2019hui, on ne voudrait qu\u2019\u00eatre jeune, joyeux, riche et s\u00e9duisant, charismatique si possible : c\u2019est le miroir aux alouettes de l\u2019\u00e9poque qui veut \u00e7a. Placer \u00e0 la marge tout le f\u00e2cheux. Placer \u00e0 la marge le d\u00e9gueulasse. Ce que l\u2019on pense, ou ce que l\u2019on estime \u00eatre, le d\u00e9gueulasse. En tant que peintre, l\u2019ombre m\u2019est aussi n\u00e9cessaire que la lumi\u00e8re. Je les place sur le m\u00eame pi\u00e9destal, au niveau de l\u2019amer comme du sublime. En cherchant un peu sur le Net un livre que je voulais relire, je suis tomb\u00e9 sur cette vid\u00e9o : c\u2019est une r\u00e9\u00e9criture et une r\u00e9citation de La Conf\u00e9rence des oiseaux, \u00e9crite par Farid Al-Din Attar, po\u00e8te persan du XIIe si\u00e8cle. Ce r\u00e9cit, je l\u2019avais d\u00e9couvert alors que j\u2019\u00e9tais marmot et il m\u2019avait \u00e9norm\u00e9ment fait r\u00eaver, il contenait tant de myst\u00e8res \u00e0 \u00e9claircir\u2026 J\u2019ai conserv\u00e9 ce petit bouquin illustr\u00e9 des ann\u00e9es, puis je l\u2019ai perdu dans un de mes nombreux d\u00e9m\u00e9nagements. Sans doute fallait-il que je le perde pour mieux le retrouver : c\u2019est souvent ainsi que les choses fonctionnent.<\/p>",
"content_text": " Novembre n\u2019est vraiment pas ma tasse de th\u00e9. En plus, je ne bois pas de th\u00e9. Du coup, je tente de me motiver, de trouver du beau, de l\u2019all\u00e9gresse, de l\u2019enthousiasme encore plus durant ce mois-l\u00e0 que durant les autres, pour contrebalancer ma peur, ma col\u00e8re, mon d\u00e9sespoir. C\u2019est un grand mot, le d\u00e9sespoir. Aujourd\u2019hui, on parle plus de d\u00e9prime, parfois aussi de m\u00e9lancolie. Aujourd\u2019hui, on ne voudrait qu\u2019\u00eatre jeune, joyeux, riche et s\u00e9duisant, charismatique si possible : c\u2019est le miroir aux alouettes de l\u2019\u00e9poque qui veut \u00e7a. Placer \u00e0 la marge tout le f\u00e2cheux. Placer \u00e0 la marge le d\u00e9gueulasse. Ce que l\u2019on pense, ou ce que l\u2019on estime \u00eatre, le d\u00e9gueulasse. En tant que peintre, l\u2019ombre m\u2019est aussi n\u00e9cessaire que la lumi\u00e8re. Je les place sur le m\u00eame pi\u00e9destal, au niveau de l\u2019amer comme du sublime. En cherchant un peu sur le Net un livre que je voulais relire, je suis tomb\u00e9 sur cette vid\u00e9o : c\u2019est une r\u00e9\u00e9criture et une r\u00e9citation de La Conf\u00e9rence des oiseaux, \u00e9crite par Farid Al-Din Attar, po\u00e8te persan du XIIe si\u00e8cle. Ce r\u00e9cit, je l\u2019avais d\u00e9couvert alors que j\u2019\u00e9tais marmot et il m\u2019avait \u00e9norm\u00e9ment fait r\u00eaver, il contenait tant de myst\u00e8res \u00e0 \u00e9claircir\u2026 J\u2019ai conserv\u00e9 ce petit bouquin illustr\u00e9 des ann\u00e9es, puis je l\u2019ai perdu dans un de mes nombreux d\u00e9m\u00e9nagements. Sans doute fallait-il que je le perde pour mieux le retrouver : c\u2019est souvent ainsi que les choses fonctionnent. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/conference-des-oiseaux.jpg?1763759271",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-esbrouffe.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-esbrouffe.html",
"title": "L'esbrouffe",
"date_published": "2021-11-26T07:25:19Z",
"date_modified": "2025-11-21T21:04:32Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je ressors ce mot dont je ne me suis pas servi depuis belle lurette : l\u2019esbrouffe, qui provient de l\u2019argot ou du patois et qui implique une certaine force, a contrario de l\u2019entourloupette qui, elle, n\u00e9cessite un brin d\u2019intelligence minimum. Le vol \u00e0 l\u2019esbrouffe \u00e9tait bien connu, surtout chez les Allemands (voir Mac\u00e9 dans la chanson de Vidocq, si vous voulez des r\u00e9f\u00e9rences plus pr\u00e9cises). Faire de l\u2019esbrouffe, c\u2019est aussi faire du tapage, pendant qu\u2019un complice vide les poches des victimes dont l\u2019attention est ainsi d\u00e9tourn\u00e9e. Ce n\u2019est pas bien honn\u00eate. Mais comme je ne sais pas ce qu\u2019est l\u2019honn\u00eatet\u00e9, je suppute que j\u2019ai utilis\u00e9 l\u2019esbrouffe beaucoup \u00e0 la seule fin, non pas de d\u00e9trousser qui que ce soit, mais plut\u00f4t d\u2019en avoir le c\u0153ur net. Parce qu\u2019il y a l\u2019honn\u00eatet\u00e9 partag\u00e9e par le plus grand nombre et puis celle que l\u2019on se doit \u00e0 soi-m\u00eame. Et comme j\u2019\u00e9tais d\u00e9biteur vis-\u00e0-vis de cette derni\u00e8re depuis des lustres (ce qui, dans mon esprit, d\u00e9passe probablement belle lurette), ce n\u2019est pas un hasard si le mot esbrouffe a surgi du bol de caf\u00e9 noir pour me p\u00e9n\u00e9trer dans les narines sous forme de vapeur. J\u2019ai toujours pratiqu\u00e9 l\u2019esbrouffe comme un exercice physique, la marche \u00e0 pied ou l\u2019\u00e9pluchage de l\u00e9gumes. Disons que c\u2019est un legs, un h\u00e9ritage, je n\u2019ai absolument rien invent\u00e9 : tout \u00e9tait l\u00e0 d\u00e9j\u00e0 bien avant que je ne pousse mon premier vagissement. Dans ce qu\u2019il me reste de m\u00e9moire, mon grand-p\u00e8re paternel, un fort des Halles, faisait de l\u2019esbrouffe pour un oui pour un non, ce sur quoi il \u00e9tait imm\u00e9diatement suivi par son \u00e9pouse, ma grand-m\u00e8re, qui ne l\u00e9sinait pas sur la pr\u00e9cision des mots pour qu\u2019ils soient les plus percutants possibles ; et enfin, mon p\u00e8re a tout r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 pour me le resservir \u00e0 toutes les sauces, en mettant, si je peux dire, plus que la main \u00e0 la p\u00e2te. Ce qui est bizarre dans une famille de bouchers. Enfin voil\u00e0, mon tour, un jour, est arriv\u00e9 d\u2019empoigner tout ce fatras et, comme j\u2019\u00e9tais jeune, sans le moindre discernement, j\u2019ai cru que \u00e7a m\u2019appartenait, que tout ne venait que de moi, que j\u2019\u00e9tais l\u2019esbrouffe incarn\u00e9e, si l\u2019on veut. \u00c7a m\u2019est presque compl\u00e8tement pass\u00e9 depuis le temps, bien s\u00fbr. Mais une ou deux fois par an, j\u2019ai des rechutes. Comme si je ne voulais pas l\u00e2cher tout \u00e0 fait prise. Comme si j\u2019allais me retrouver parfaitement seul d\u2019un coup, et totalement \u00e0 poil, sans m\u2019appuyer sur cette capacit\u00e9 \u00e0 pratiquer le coup d\u2019\u00c9tat, la provoque, l\u2019outrance. Pour me soigner, parce que c\u2019est une maladie aussi insidieuse que celles appel\u00e9es v\u00e9n\u00e9riennes — parfois, on ne peut mesurer les cons\u00e9quences des d\u00e9bordements que longtemps apr\u00e8s, une fois que c\u2019est trop tard g\u00e9n\u00e9ralement —, j\u2019essaie d\u2019\u00e9crire ou de peindre. \u00c7a me calme beaucoup pendant que je le fais. Apr\u00e8s, \u00e9videmment, je ne devrais sans doute pas montrer tout ce que je produis ainsi : \u00e7a risque de choquer pas mal de gens, les proches surtout, ou encore certains employeurs curieux, ou encore des ex \u00e0 qui je ne donne jamais de nouvelles. Mais bon, comme il y a de fortes chances que ces gens, en g\u00e9n\u00e9ral, ne sachent pas plus qui je suis que moi-m\u00eame, quelle importance. Bien au contraire, toutes les observations, les critiques, les plaintes ne me serviront qu\u2019\u00e0 mieux cerner peut-\u00eatre l\u2019esbrouffe g\u00e9n\u00e9rale ; ce qui, par les temps qui courent, n\u2019est pas rien.<\/p>",
"content_text": " Je ressors ce mot dont je ne me suis pas servi depuis belle lurette : l\u2019esbrouffe, qui provient de l\u2019argot ou du patois et qui implique une certaine force, a contrario de l\u2019entourloupette qui, elle, n\u00e9cessite un brin d\u2019intelligence minimum. Le vol \u00e0 l\u2019esbrouffe \u00e9tait bien connu, surtout chez les Allemands (voir Mac\u00e9 dans la chanson de Vidocq, si vous voulez des r\u00e9f\u00e9rences plus pr\u00e9cises). Faire de l\u2019esbrouffe, c\u2019est aussi faire du tapage, pendant qu\u2019un complice vide les poches des victimes dont l\u2019attention est ainsi d\u00e9tourn\u00e9e. Ce n\u2019est pas bien honn\u00eate. Mais comme je ne sais pas ce qu\u2019est l\u2019honn\u00eatet\u00e9, je suppute que j\u2019ai utilis\u00e9 l\u2019esbrouffe beaucoup \u00e0 la seule fin, non pas de d\u00e9trousser qui que ce soit, mais plut\u00f4t d\u2019en avoir le c\u0153ur net. Parce qu\u2019il y a l\u2019honn\u00eatet\u00e9 partag\u00e9e par le plus grand nombre et puis celle que l\u2019on se doit \u00e0 soi-m\u00eame. Et comme j\u2019\u00e9tais d\u00e9biteur vis-\u00e0-vis de cette derni\u00e8re depuis des lustres (ce qui, dans mon esprit, d\u00e9passe probablement belle lurette), ce n\u2019est pas un hasard si le mot esbrouffe a surgi du bol de caf\u00e9 noir pour me p\u00e9n\u00e9trer dans les narines sous forme de vapeur. J\u2019ai toujours pratiqu\u00e9 l\u2019esbrouffe comme un exercice physique, la marche \u00e0 pied ou l\u2019\u00e9pluchage de l\u00e9gumes. Disons que c\u2019est un legs, un h\u00e9ritage, je n\u2019ai absolument rien invent\u00e9 : tout \u00e9tait l\u00e0 d\u00e9j\u00e0 bien avant que je ne pousse mon premier vagissement. Dans ce qu\u2019il me reste de m\u00e9moire, mon grand-p\u00e8re paternel, un fort des Halles, faisait de l\u2019esbrouffe pour un oui pour un non, ce sur quoi il \u00e9tait imm\u00e9diatement suivi par son \u00e9pouse, ma grand-m\u00e8re, qui ne l\u00e9sinait pas sur la pr\u00e9cision des mots pour qu\u2019ils soient les plus percutants possibles ; et enfin, mon p\u00e8re a tout r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 pour me le resservir \u00e0 toutes les sauces, en mettant, si je peux dire, plus que la main \u00e0 la p\u00e2te. Ce qui est bizarre dans une famille de bouchers. Enfin voil\u00e0, mon tour, un jour, est arriv\u00e9 d\u2019empoigner tout ce fatras et, comme j\u2019\u00e9tais jeune, sans le moindre discernement, j\u2019ai cru que \u00e7a m\u2019appartenait, que tout ne venait que de moi, que j\u2019\u00e9tais l\u2019esbrouffe incarn\u00e9e, si l\u2019on veut. \u00c7a m\u2019est presque compl\u00e8tement pass\u00e9 depuis le temps, bien s\u00fbr. Mais une ou deux fois par an, j\u2019ai des rechutes. Comme si je ne voulais pas l\u00e2cher tout \u00e0 fait prise. Comme si j\u2019allais me retrouver parfaitement seul d\u2019un coup, et totalement \u00e0 poil, sans m\u2019appuyer sur cette capacit\u00e9 \u00e0 pratiquer le coup d\u2019\u00c9tat, la provoque, l\u2019outrance. Pour me soigner, parce que c\u2019est une maladie aussi insidieuse que celles appel\u00e9es v\u00e9n\u00e9riennes \u2014 parfois, on ne peut mesurer les cons\u00e9quences des d\u00e9bordements que longtemps apr\u00e8s, une fois que c\u2019est trop tard g\u00e9n\u00e9ralement \u2014, j\u2019essaie d\u2019\u00e9crire ou de peindre. \u00c7a me calme beaucoup pendant que je le fais. Apr\u00e8s, \u00e9videmment, je ne devrais sans doute pas montrer tout ce que je produis ainsi : \u00e7a risque de choquer pas mal de gens, les proches surtout, ou encore certains employeurs curieux, ou encore des ex \u00e0 qui je ne donne jamais de nouvelles. Mais bon, comme il y a de fortes chances que ces gens, en g\u00e9n\u00e9ral, ne sachent pas plus qui je suis que moi-m\u00eame, quelle importance. Bien au contraire, toutes les observations, les critiques, les plaintes ne me serviront qu\u2019\u00e0 mieux cerner peut-\u00eatre l\u2019esbrouffe g\u00e9n\u00e9rale ; ce qui, par les temps qui courent, n\u2019est pas rien. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/comedia.jpg?1763759048",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/ce-n-est-rien.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/ce-n-est-rien.html",
"title": "Ce n'est rien",
"date_published": "2021-11-26T05:51:45Z",
"date_modified": "2025-11-21T21:00:51Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Ma m\u00e8re disait souvent cela : une fois que j\u2019\u00e9tais au sol, compl\u00e8tement d\u00e9fonc\u00e9 par papa, elle disait : « Ce n\u2019est rien », pour que \u00e7a p\u00e9n\u00e8tre en moi comme dans du beurre. « Ce n\u2019est rien, \u00e7a va aller. » Puis elle m\u2019attrapait par un bras pour m\u2019aider \u00e0 me remettre debout. Je les ai bien s\u00fbr d\u00e9test\u00e9s, la rage me permettant bien plus que ma m\u00e8re de rester debout. Certainement que je n\u2019\u00e9tais pas un gamin facile non plus. Avec le temps, j\u2019ai fini par me dire qu\u2019il convient de faire la part des choses, que l\u2019\u00e9motion aussi nous aveugle beaucoup sur le fondement v\u00e9ritable de toutes ces choses. Mes parents m\u2019aimaient \u00e0 leur fa\u00e7on ; c\u2019\u00e9tait violent, brutal, parfois compl\u00e8tement con, et tout cela ne leur donnait ni tort ni raison, dans le fond. Je ne pouvais rien y changer. Je ne pouvais qu\u2019apprendre \u00e0 me calmer, \u00e0 ne pas rester coll\u00e9 \u00e0 la haine, \u00e0 la col\u00e8re, \u00e0 la rage pour avancer. Pourtant, malgr\u00e9 toutes les ann\u00e9es, \u00e0 chaque fois que j\u2019entends cette expression : « Ce n\u2019est rien », tout me revient. La m\u00eame rage exactement. Cela dure quelques minutes, une heure ou deux parfois, quand je n\u2019ai pas bien dormi, et puis \u00e7a passe. \u00c7a passe comme tout, et je me dis, moi aussi, \u00e0 la fin : « Ce n\u2019est rien. » J\u2019aurais pu aller au fin fond des Indes ou de l\u2019Himalaya encore une fois de plus que cela n\u2019aurait absolument rien chang\u00e9. Parce que cette expression me raccroche \u00e0 mon enfance encore, et encore, \u00e0 mes parents toujours, \u00e0 cette histoire \u00e0 dormir debout que je raconterai peut-\u00eatre un jour sur le ton qui convient, un ton acceptable. Mais « ce n\u2019est rien, \u00e7a va aller » : il suffit de le dire pour que ce soit ainsi.<\/p>",
"content_text": " Ma m\u00e8re disait souvent cela : une fois que j\u2019\u00e9tais au sol, compl\u00e8tement d\u00e9fonc\u00e9 par papa, elle disait : \u00ab Ce n\u2019est rien \u00bb, pour que \u00e7a p\u00e9n\u00e8tre en moi comme dans du beurre. \u00ab Ce n\u2019est rien, \u00e7a va aller. \u00bb Puis elle m\u2019attrapait par un bras pour m\u2019aider \u00e0 me remettre debout. Je les ai bien s\u00fbr d\u00e9test\u00e9s, la rage me permettant bien plus que ma m\u00e8re de rester debout. Certainement que je n\u2019\u00e9tais pas un gamin facile non plus. Avec le temps, j\u2019ai fini par me dire qu\u2019il convient de faire la part des choses, que l\u2019\u00e9motion aussi nous aveugle beaucoup sur le fondement v\u00e9ritable de toutes ces choses. Mes parents m\u2019aimaient \u00e0 leur fa\u00e7on ; c\u2019\u00e9tait violent, brutal, parfois compl\u00e8tement con, et tout cela ne leur donnait ni tort ni raison, dans le fond. Je ne pouvais rien y changer. Je ne pouvais qu\u2019apprendre \u00e0 me calmer, \u00e0 ne pas rester coll\u00e9 \u00e0 la haine, \u00e0 la col\u00e8re, \u00e0 la rage pour avancer. Pourtant, malgr\u00e9 toutes les ann\u00e9es, \u00e0 chaque fois que j\u2019entends cette expression : \u00ab Ce n\u2019est rien \u00bb, tout me revient. La m\u00eame rage exactement. Cela dure quelques minutes, une heure ou deux parfois, quand je n\u2019ai pas bien dormi, et puis \u00e7a passe. \u00c7a passe comme tout, et je me dis, moi aussi, \u00e0 la fin : \u00ab Ce n\u2019est rien. \u00bb J\u2019aurais pu aller au fin fond des Indes ou de l\u2019Himalaya encore une fois de plus que cela n\u2019aurait absolument rien chang\u00e9. Parce que cette expression me raccroche \u00e0 mon enfance encore, et encore, \u00e0 mes parents toujours, \u00e0 cette histoire \u00e0 dormir debout que je raconterai peut-\u00eatre un jour sur le ton qui convient, un ton acceptable. Mais \u00ab ce n\u2019est rien, \u00e7a va aller \u00bb : il suffit de le dire pour que ce soit ainsi. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/heracles_and_the_nemea_lion_pieter_paul_rubens-scaled.jpg?1763758836",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-trois-etapes-d-un-tableau.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/les-trois-etapes-d-un-tableau.html",
"title": "Les trois \u00e9tapes d'un tableau",
"date_published": "2021-11-26T05:20:13Z",
"date_modified": "2025-11-21T20:57:46Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " L\u2019huile est une mati\u00e8re vivante, comme le peintre. Que savons-nous du vivant sinon ce que nous rapporte la rumeur ? Que savons-nous de la peinture qui tienne jusqu\u2019au lendemain ? Jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019on se penche sur le chiffre 3. Jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019on accepte le temps comme un processus de germination dont le but est la floraison. \u00c0 quoi servent les fleurs ? \u00c0 quoi servent les chefs-d\u2019\u0153uvre ? Parfois, lorsque je suis fatigu\u00e9, je me dis que tout \u00e7a ne sert \u00e0 rien. \u00c7a ne dure jamais bien longtemps, la fatigue est un voile qui s\u2019estompe pour laisser place \u00e0 d\u2019autres. Autant de voiles, autant de couches. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019un jour je rencontre mon ma\u00eetre et qu\u2019il me dise : « Il est important de comprendre puis de respecter les trois \u00e9tapes. Alors tu na\u00eetras avec, tu conna\u00eetras. L\u2019huile est une mati\u00e8re vivante, tout comme toi. La premi\u00e8re \u00e9tape est le domaine de la boue, de l\u2019ignorance, du bien et du mal, du beau et du laid. C\u2019est aussi celle de la peur et de la libert\u00e9. C\u2019est dans ce royaume que tu construiras ton \u00e9go \u00e0 coups de hache, \u00e0 coups de couteau, \u00e0 coups de pinceau. Tu te gonfleras d\u2019orgueil et de vanit\u00e9 puis tu retomberas plus bas que terre. Tu n\u2019auras pas d\u2019autre choix que le beau ou le laid et tu d\u00e9testeras l\u2019entre-deux. Tu verras mille mondes merveilleux, mille d\u00e9serts, mille champs de bataille, tu traverseras les couleurs sans les voir, car tu n\u2019auras encore aucune valeur. Tu t\u2019enthousiasmeras le matin pour te d\u00e9sesp\u00e9rer le soir et ainsi durant des jours et des nuits, des mois, des ann\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 ce que la magie d\u00e9cide de te faire gr\u00e2ce et ouvre enfin tes yeux. Et c\u2019est au moment o\u00f9 enfin tu verras, que tout t\u2019\u00e9chappera pour sombrer ensuite dans l\u2019aveuglement. \u00c0 la seconde \u00e9tape tu seras totalement perdu. Tu regarderas la toile et tu ne verras plus rien, tu seras perclus de doutes et si, par hasard, tu r\u00e9ussis un tableau tu diras : ce n\u2019est pas possible, ce n\u2019est pas moi qui ai fait cela. Peut-\u00eatre que tu ne peindras plus durant des semaines, des mois, des ann\u00e9es, tellement le doute te tenaillera. Tu peindras tout de m\u00eame parce que l\u2019habitude est plus forte que tout. Des petites choses insignifiantes, de grandes choses sans int\u00e9r\u00eat, tu commenceras peu \u00e0 peu \u00e0 comprendre que le r\u00e9sultat n\u2019est pas le plus important. Tu commenceras aussi \u00e0 devenir plus attentif \u00e0 tout ce qui se pr\u00e9sente aussi bien venant de l\u2019int\u00e9rieur que de l\u2019ext\u00e9rieur. Au bout de cette \u00e9tape, tu n\u2019arriveras plus vraiment \u00e0 dire qui peint le tableau, \u00e0 dire « je ». Passeront ainsi les jours, les semaines, les mois, peut-\u00eatre les ann\u00e9es. La seule chose \u00e0 laquelle tu pourras t\u2019accrocher est la r\u00e9gularit\u00e9. Tu t\u2019enfonceras dans celle-ci comme dans une tombe. Jusqu\u2019\u00e0 ce que la magie te permette, \u00e0 l\u2019aube d\u2019un matin, de d\u00e9crypter la toile. La troisi\u00e8me \u00e9tape te semblera irr\u00e9elle. Il n\u2019y aura plus de diff\u00e9rence entre la toile, la peinture et toi. Il n\u2019y aura plus que du bien et du beau partout ; m\u00eame au plus sombre du plus sombre tu verras la lumi\u00e8re. Les noirs seront profonds comme la nuit perc\u00e9e d\u2019\u00e9toiles et de galaxies et toutes les n\u00e9buleuses auront pour toi leur raison d\u2019\u00eatre. La finesse des lumi\u00e8res s\u2019\u00e9tendra vers l\u2019infini. Tu ne chercheras plus, tu ne douteras plus, tout simplement parce que tout cela n\u2019aura plus de sens, parce que le doute et l\u2019insens\u00e9 auront disparu de la surface de la toile, comme de sa profondeur. Il n\u2019y aura pas beaucoup de couleurs mais elles seront utilis\u00e9es chacune \u00e0 leur juste valeur sans m\u00eame que tu n\u2019aies \u00e0 te demander pourquoi ou comment. Et une fois le tableau au bord de l\u2019ach\u00e8vement tu pourras rire ou sourire \u00e0 ta guise enfin et dire vraiment tout cela pour rien. Pour rien. Ce sera ta r\u00e9compense pour avoir respect\u00e9 \u00e0 la lettre les trois \u00e9tapes. Pour rien, le vrai but de la peinture comme de toutes choses. »<\/p>",
"content_text": " L\u2019huile est une mati\u00e8re vivante, comme le peintre. Que savons-nous du vivant sinon ce que nous rapporte la rumeur ? Que savons-nous de la peinture qui tienne jusqu\u2019au lendemain ? Jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019on se penche sur le chiffre 3. Jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019on accepte le temps comme un processus de germination dont le but est la floraison. \u00c0 quoi servent les fleurs ? \u00c0 quoi servent les chefs-d\u2019\u0153uvre ? Parfois, lorsque je suis fatigu\u00e9, je me dis que tout \u00e7a ne sert \u00e0 rien. \u00c7a ne dure jamais bien longtemps, la fatigue est un voile qui s\u2019estompe pour laisser place \u00e0 d\u2019autres. Autant de voiles, autant de couches. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019un jour je rencontre mon ma\u00eetre et qu\u2019il me dise : \u00ab Il est important de comprendre puis de respecter les trois \u00e9tapes. Alors tu na\u00eetras avec, tu conna\u00eetras. L\u2019huile est une mati\u00e8re vivante, tout comme toi. La premi\u00e8re \u00e9tape est le domaine de la boue, de l\u2019ignorance, du bien et du mal, du beau et du laid. C\u2019est aussi celle de la peur et de la libert\u00e9. C\u2019est dans ce royaume que tu construiras ton \u00e9go \u00e0 coups de hache, \u00e0 coups de couteau, \u00e0 coups de pinceau. Tu te gonfleras d\u2019orgueil et de vanit\u00e9 puis tu retomberas plus bas que terre. Tu n\u2019auras pas d\u2019autre choix que le beau ou le laid et tu d\u00e9testeras l\u2019entre-deux. Tu verras mille mondes merveilleux, mille d\u00e9serts, mille champs de bataille, tu traverseras les couleurs sans les voir, car tu n\u2019auras encore aucune valeur. Tu t\u2019enthousiasmeras le matin pour te d\u00e9sesp\u00e9rer le soir et ainsi durant des jours et des nuits, des mois, des ann\u00e9es jusqu\u2019\u00e0 ce que la magie d\u00e9cide de te faire gr\u00e2ce et ouvre enfin tes yeux. Et c\u2019est au moment o\u00f9 enfin tu verras, que tout t\u2019\u00e9chappera pour sombrer ensuite dans l\u2019aveuglement. \u00c0 la seconde \u00e9tape tu seras totalement perdu. Tu regarderas la toile et tu ne verras plus rien, tu seras perclus de doutes et si, par hasard, tu r\u00e9ussis un tableau tu diras : ce n\u2019est pas possible, ce n\u2019est pas moi qui ai fait cela. Peut-\u00eatre que tu ne peindras plus durant des semaines, des mois, des ann\u00e9es, tellement le doute te tenaillera. Tu peindras tout de m\u00eame parce que l\u2019habitude est plus forte que tout. Des petites choses insignifiantes, de grandes choses sans int\u00e9r\u00eat, tu commenceras peu \u00e0 peu \u00e0 comprendre que le r\u00e9sultat n\u2019est pas le plus important. Tu commenceras aussi \u00e0 devenir plus attentif \u00e0 tout ce qui se pr\u00e9sente aussi bien venant de l\u2019int\u00e9rieur que de l\u2019ext\u00e9rieur. Au bout de cette \u00e9tape, tu n\u2019arriveras plus vraiment \u00e0 dire qui peint le tableau, \u00e0 dire \u00ab je \u00bb. Passeront ainsi les jours, les semaines, les mois, peut-\u00eatre les ann\u00e9es. La seule chose \u00e0 laquelle tu pourras t\u2019accrocher est la r\u00e9gularit\u00e9. Tu t\u2019enfonceras dans celle-ci comme dans une tombe. Jusqu\u2019\u00e0 ce que la magie te permette, \u00e0 l\u2019aube d\u2019un matin, de d\u00e9crypter la toile. La troisi\u00e8me \u00e9tape te semblera irr\u00e9elle. Il n\u2019y aura plus de diff\u00e9rence entre la toile, la peinture et toi. Il n\u2019y aura plus que du bien et du beau partout ; m\u00eame au plus sombre du plus sombre tu verras la lumi\u00e8re. Les noirs seront profonds comme la nuit perc\u00e9e d\u2019\u00e9toiles et de galaxies et toutes les n\u00e9buleuses auront pour toi leur raison d\u2019\u00eatre. La finesse des lumi\u00e8res s\u2019\u00e9tendra vers l\u2019infini. Tu ne chercheras plus, tu ne douteras plus, tout simplement parce que tout cela n\u2019aura plus de sens, parce que le doute et l\u2019insens\u00e9 auront disparu de la surface de la toile, comme de sa profondeur. Il n\u2019y aura pas beaucoup de couleurs mais elles seront utilis\u00e9es chacune \u00e0 leur juste valeur sans m\u00eame que tu n\u2019aies \u00e0 te demander pourquoi ou comment. Et une fois le tableau au bord de l\u2019ach\u00e8vement tu pourras rire ou sourire \u00e0 ta guise enfin et dire vraiment tout cela pour rien. Pour rien. Ce sera ta r\u00e9compense pour avoir respect\u00e9 \u00e0 la lettre les trois \u00e9tapes. Pour rien, le vrai but de la peinture comme de toutes choses. \u00bb ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20211129_130936.jpg?1763758643",
"tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/je-n-ai-jamais-dit.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/je-n-ai-jamais-dit.html",
"title": "Je n'ai jamais dit.",
"date_published": "2021-11-22T08:55:46Z",
"date_modified": "2025-11-21T20:50:18Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je n\u2019ai jamais dit : « Je ne t\u2019aime plus. » Cela m\u2019a toujours paru idiot, et faux surtout. J\u2019ai plut\u00f4t dit : « Tu m\u2019ennuies, tu me mets \u00e0 bout, tu m\u2019emmerdes », des choses de ce genre, pas vraiment sympathiques, mais qui me semblent plus justes, plus spontan\u00e9ment justes, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Parce qu\u2019au-del\u00e0 de cet apparent manque de respect, je t\u2019aime depuis toujours, je ne peux faire autrement ; autrement ce ne serait pas toi, ce ne serait pas moi. Je pourrais m\u2019excuser, dire que c\u2019est \u00e0 cause de la pudeur : \u00e7a ne raviverait pas les cendres des illusions perdues. Je n\u2019ai jamais dit : « Je ne t\u2019aime plus », non par manque de courage ni par peur de te blesser, comme tu n\u2019as pas, toi, h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 le dire pour te blesser. Il fallait que tu le dises pour te lib\u00e9rer de quelque chose d\u2019insupportable, je l\u2019ai compris. Celui que tu aimes est toujours au-del\u00e0 de celui que tu aimais, et peu importe qu\u2019il soit au-dessus ou au-dessous : il n\u2019y a pas de points cardinaux dans mon amour pour toi. Je ne peux que me souvenir de cette fen\u00eatre ouverte comme la porte d\u2019une cage et de l\u2019oiseau qui s\u2019envole vers un ciel incolore. Ce n\u2019est pas \u00e0 moi de dire si cette id\u00e9e est bonne ou mauvaise, tu sais. D\u2019ailleurs, tu l\u2019as compris apr\u00e8s toutes ces ann\u00e9es, et sans doute m\u00eame avant : je ne dis que des choses sans importance v\u00e9ritable pour ne jamais parler de l\u2019essentiel. Je n\u2019ai jamais cru dans l\u2019essentiel, us\u00e9 par tant de bouches, us\u00e9 comme ces amours que l\u2019on se jure, comme des promesses intenables. Et si je jure, ce n\u2019est pas ainsi. J\u2019ai toujours pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 la grossi\u00e8ret\u00e9 au mensonge. Parce que celle-ci me lib\u00e8re, me fait rire ou sourire du mensonge justement. J\u2019allais dire : la grossi\u00e8ret\u00e9 se rit de la vulgarit\u00e9 ; tu vois, je n\u2019ai pas chang\u00e9. Je n\u2019ai jamais dit : « Je ne t\u2019aime plus », parce que je pr\u00e9f\u00e8re l\u2019id\u00e9e d\u2019une cage r\u00e9elle \u00e0 toutes les illusions de libert\u00e9.<\/p>",
"content_text": " Je n\u2019ai jamais dit : \u00ab Je ne t\u2019aime plus. \u00bb Cela m\u2019a toujours paru idiot, et faux surtout. J\u2019ai plut\u00f4t dit : \u00ab Tu m\u2019ennuies, tu me mets \u00e0 bout, tu m\u2019emmerdes \u00bb, des choses de ce genre, pas vraiment sympathiques, mais qui me semblent plus justes, plus spontan\u00e9ment justes, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Parce qu\u2019au-del\u00e0 de cet apparent manque de respect, je t\u2019aime depuis toujours, je ne peux faire autrement ; autrement ce ne serait pas toi, ce ne serait pas moi. Je pourrais m\u2019excuser, dire que c\u2019est \u00e0 cause de la pudeur : \u00e7a ne raviverait pas les cendres des illusions perdues. Je n\u2019ai jamais dit : \u00ab Je ne t\u2019aime plus \u00bb, non par manque de courage ni par peur de te blesser, comme tu n\u2019as pas, toi, h\u00e9sit\u00e9 \u00e0 le dire pour te blesser. Il fallait que tu le dises pour te lib\u00e9rer de quelque chose d\u2019insupportable, je l\u2019ai compris. Celui que tu aimes est toujours au-del\u00e0 de celui que tu aimais, et peu importe qu\u2019il soit au-dessus ou au-dessous : il n\u2019y a pas de points cardinaux dans mon amour pour toi. Je ne peux que me souvenir de cette fen\u00eatre ouverte comme la porte d\u2019une cage et de l\u2019oiseau qui s\u2019envole vers un ciel incolore. Ce n\u2019est pas \u00e0 moi de dire si cette id\u00e9e est bonne ou mauvaise, tu sais. D\u2019ailleurs, tu l\u2019as compris apr\u00e8s toutes ces ann\u00e9es, et sans doute m\u00eame avant : je ne dis que des choses sans importance v\u00e9ritable pour ne jamais parler de l\u2019essentiel. Je n\u2019ai jamais cru dans l\u2019essentiel, us\u00e9 par tant de bouches, us\u00e9 comme ces amours que l\u2019on se jure, comme des promesses intenables. Et si je jure, ce n\u2019est pas ainsi. J\u2019ai toujours pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 la grossi\u00e8ret\u00e9 au mensonge. Parce que celle-ci me lib\u00e8re, me fait rire ou sourire du mensonge justement. J\u2019allais dire : la grossi\u00e8ret\u00e9 se rit de la vulgarit\u00e9 ; tu vois, je n\u2019ai pas chang\u00e9. Je n\u2019ai jamais dit : \u00ab Je ne t\u2019aime plus \u00bb, parce que je pr\u00e9f\u00e8re l\u2019id\u00e9e d\u2019une cage r\u00e9elle \u00e0 toutes les illusions de libert\u00e9. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pascin.jpg?1763758204",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-pauvrete-d-ame.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-pauvrete-d-ame.html",
"title": "La pauvret\u00e9 d'\u00e2me",
"date_published": "2021-11-21T03:09:21Z",
"date_modified": "2025-11-21T20:47:13Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je ne sais pas ce qu\u2019est l\u2019\u00e2me, mais la pauvret\u00e9 d\u2019\u00e2me. L\u2019examen des intentions me reconduit. J\u2019\u00e9coute, me relis, m\u2019\u00e9vanouis. Alors je vois. Le beau pays, l\u2019intensit\u00e9 des ors et des bleus. Et ma soif inextinguible, et toute la somme des emp\u00eachements. Je suis cette b\u00eate de somme. Un \u00e2ne qui se prend pour un aigle. Et le contraire, parfois aussi. Un fou qui aura tout invers\u00e9. L\u2019or vaut la boue. Le bleu du ciel, les ecchymoses. Je peux voir tout cela, et l\u2019\u00e9tendue des pauvret\u00e9s, mais je ne sais pas ce qu\u2019est l\u2019\u00e2me. Je ne veux pas le savoir.<\/p>",
"content_text": "Je ne sais pas ce qu\u2019est l\u2019\u00e2me, mais la pauvret\u00e9 d\u2019\u00e2me. L\u2019examen des intentions me reconduit. J\u2019\u00e9coute, me relis, m\u2019\u00e9vanouis. Alors je vois. Le beau pays, l\u2019intensit\u00e9 des ors et des bleus. Et ma soif inextinguible, et toute la somme des emp\u00eachements. Je suis cette b\u00eate de somme. Un \u00e2ne qui se prend pour un aigle. Et le contraire, parfois aussi. Un fou qui aura tout invers\u00e9. L\u2019or vaut la boue. Le bleu du ciel, les ecchymoses. Je peux voir tout cela, et l\u2019\u00e9tendue des pauvret\u00e9s, mais je ne sais pas ce qu\u2019est l\u2019\u00e2me. Je ne veux pas le savoir. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/paul-klee-grenoble.jpg?1763758010",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/ceux-qui-savent.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/ceux-qui-savent.html",
"title": "Ceux qui savent",
"date_published": "2021-11-21T02:42:25Z",
"date_modified": "2025-11-21T20:43:31Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Ceux qui savent assomment, et je ne voudrais pas devenir ainsi. Comme je ne veux pas tuer de mouches ni \u00e9gorger des lapins. Ils disent : « Enfant, tu ne sais rien. » Et je les ai crus, souvent. Je leur ai donn\u00e9 raison, devenant ainsi mon propre ennemi. C\u2019est \u00e0 bout de souffle qu\u2019on s\u2019interroge sur celui-ci. Quand l\u2019air manque. Ceux qui savent vous le diront : rejoins donc nos rangs ; qu\u2019attends-tu enfin ? Et soudain je me souviens de tous les petits poissons sur le talus, leurs soubresauts idiots dans l\u2019ass\u00e8chement de l\u2019\u0153il. Tout me revient pour m\u2019appauvrir.<\/p>",
"content_text": " Ceux qui savent assomment, et je ne voudrais pas devenir ainsi. Comme je ne veux pas tuer de mouches ni \u00e9gorger des lapins. Ils disent : \u00ab Enfant, tu ne sais rien. \u00bb Et je les ai crus, souvent. Je leur ai donn\u00e9 raison, devenant ainsi mon propre ennemi. C\u2019est \u00e0 bout de souffle qu\u2019on s\u2019interroge sur celui-ci. Quand l\u2019air manque. Ceux qui savent vous le diront : rejoins donc nos rangs ; qu\u2019attends-tu enfin ? Et soudain je me souviens de tous les petits poissons sur le talus, leurs soubresauts idiots dans l\u2019ass\u00e8chement de l\u2019\u0153il. Tout me revient pour m\u2019appauvrir. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/paul-leautaud-le-reclus.jpg?1763757737",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/ombres-et-lumiere.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/ombres-et-lumiere.html",
"title": "Ombres et lumi\u00e8re",
"date_published": "2021-11-21T02:29:16Z",
"date_modified": "2025-11-21T20:40:02Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Chaque jour, ce recommencement du doute. Je n\u2019aurais pas voulu avoir \u00e0 me battre entre les ombres et la lumi\u00e8re. \u00catre sans pr\u00e9f\u00e9rence comme un p\u00e8re avec ses enfants. Mais la nature en va autrement, il faut effectuer des choix, apprendre des renoncements. Idem avec le beau et le laid, avec l\u2019ensemble des cat\u00e9gories. Parce que l\u2019oubli, pour vivre, est n\u00e9cessaire. Mais vivre ainsi dans la peur. Je voulais me souvenir de la moindre chose parce que la moindre chose compte autant que toutes. Cette intuition cr\u00e9e la r\u00e9volte. Les deux camps s\u2019opposent f\u00e9rocement ou forc\u00e9ment : les ombres et leurs richesses par-del\u00e0 la tristesse, et la lumi\u00e8re ind\u00e9fectible, l\u2019amour, la compassion. J\u2019ai v\u00e9cu animal dans des terriers pour explorer les ombres, fuir la lumi\u00e8re, la magnanimit\u00e9. La peur comme une plante s\u2019est \u00e9panouie dans le malentendu. Jusqu\u2019\u00e0 l\u2019instant du pot aux roses. Ici-bas, tout est neutre sauf le regardeur. J\u2019ai essay\u00e9 de fuir dans la neutralit\u00e9. Mais c\u2019est impossible tant que le c\u0153ur bat. S\u2019arracher le c\u0153ur pour voir le responsable des couleurs ne peut \u00eatre une victoire. Mais plus de solitude. Me voici ballot\u00e9 pour quelques heures encore entre les ombres et la lumi\u00e8re. Feuille morte sur le fleuve filant entre le calme et les tourbillons. Pas de rive qui ne soit une illusion. Sauf l\u2019id\u00e9e de la rive. Alors je tente un jour les ombres, l\u2019autre la lumi\u00e8re. Chaque jour, le recommencement du doute m\u2019aide \u00e0 devenir vivant.<\/p>",
"content_text": " Chaque jour, ce recommencement du doute. Je n\u2019aurais pas voulu avoir \u00e0 me battre entre les ombres et la lumi\u00e8re. \u00catre sans pr\u00e9f\u00e9rence comme un p\u00e8re avec ses enfants. Mais la nature en va autrement, il faut effectuer des choix, apprendre des renoncements. Idem avec le beau et le laid, avec l\u2019ensemble des cat\u00e9gories. Parce que l\u2019oubli, pour vivre, est n\u00e9cessaire. Mais vivre ainsi dans la peur. Je voulais me souvenir de la moindre chose parce que la moindre chose compte autant que toutes. Cette intuition cr\u00e9e la r\u00e9volte. Les deux camps s\u2019opposent f\u00e9rocement ou forc\u00e9ment : les ombres et leurs richesses par-del\u00e0 la tristesse, et la lumi\u00e8re ind\u00e9fectible, l\u2019amour, la compassion. J\u2019ai v\u00e9cu animal dans des terriers pour explorer les ombres, fuir la lumi\u00e8re, la magnanimit\u00e9. La peur comme une plante s\u2019est \u00e9panouie dans le malentendu. Jusqu\u2019\u00e0 l\u2019instant du pot aux roses. Ici-bas, tout est neutre sauf le regardeur. J\u2019ai essay\u00e9 de fuir dans la neutralit\u00e9. Mais c\u2019est impossible tant que le c\u0153ur bat. S\u2019arracher le c\u0153ur pour voir le responsable des couleurs ne peut \u00eatre une victoire. Mais plus de solitude. Me voici ballot\u00e9 pour quelques heures encore entre les ombres et la lumi\u00e8re. Feuille morte sur le fleuve filant entre le calme et les tourbillons. Pas de rive qui ne soit une illusion. Sauf l\u2019id\u00e9e de la rive. Alors je tente un jour les ombres, l\u2019autre la lumi\u00e8re. Chaque jour, le recommencement du doute m\u2019aide \u00e0 devenir vivant. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/242019413_4410277632392563_5954558707789414729_n.jpg?1763757587",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/regarder-un-tableau.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/regarder-un-tableau.html",
"title": "Regarder un tableau",
"date_published": "2021-11-20T03:16:28Z",
"date_modified": "2025-11-21T20:38:05Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Hier soir, nous nous sommes rendus, mon \u00e9pouse et moi, \u00e0 un vernissage. Il y avait l\u00e0 les \u0153uvres d\u2019un peintre ami et celles d\u2019un photographe que je ne connaissais pas. Et ce fut une aubaine pour me retrouver dans la peau d\u2019un quidam qui visite une exposition, exercice dont je n\u2019abuse pas tant il d\u00e9clenche chez moi des \u00e9motions souvent antagonistes. En premier lieu, j\u2019effectue un rapide panoramique de l\u2019ensemble des \u0153uvres accroch\u00e9es pour me fabriquer une premi\u00e8re impression. Je tente de d\u00e9couvrir, lorsque celle-ci ne me saute pas aux yeux, une unit\u00e9, une coh\u00e9rence. Puis je m\u2019approche pour zoomer sur chaque pi\u00e8ce afin de la voir dans son isolement par rapport \u00e0 cette unit\u00e9, si je l\u2019ai d\u00e9couverte. Si je ne l\u2019ai pas trouv\u00e9e, je m\u2019approche aussi de toute fa\u00e7on et l\u00e0, que se passe-t-il ? Est-ce que je ne suis pas en train de juger un travail ? Est-ce que je porte une attention \u00e0 l\u2019\u00e9motion que produit ce travail sur moi ? Je me demande ce que veut dire l\u2019artiste ou ce qu\u2019il cherche \u00e0 ne pas dire. Bref, tout un bouclier de pens\u00e9es et d\u2019\u00e9motions se constitue imm\u00e9diatement aussit\u00f4t que je m\u2019approche du tableau ou de la photographie. Et ensuite un jugement est \u00e9tabli, sommairement la plupart du temps, qui consiste \u00e0 me dire j\u2019aime ou je n\u2019aime pas, puis \u00e0 passer au suivant. En cela, je ne suis pas mieux loti que quiconque. Et j\u2019aime cela. J\u2019aime cette partie de moi qui se f\u00e9d\u00e8re \u00e0 ce que l\u2019on nomme « le public ». C\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 ces notions de beau ou de laid, \u00e0 ces clich\u00e9s, et sans doute je m\u2019en imbibe comme un buvard. Puis, une fois toutes les \u0153uvres pass\u00e9es en revue, je vais boire un coup, je discute avec les artistes, avec les autres invit\u00e9s, je pioche dans les petits fours ou les chips, et la soir\u00e9e passe ainsi. Enfin, c\u2019est lorsque je me retrouve seul que je repense \u00e0 tout ce que j\u2019ai vu, \u00e0 tout ce que j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 et pens\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0. J\u2019ai une excellente m\u00e9moire de tous ces petits d\u00e9tails, \u00e0 force d\u2019entra\u00eenement. Et l\u00e0, je d\u00e9cortique. Que puis-je vraiment me dire au terme de cette exposition, qu\u2019ai-je appris ? Car pour moi un bon moment se r\u00e9sume souvent au fait d\u2019apprendre quelque chose. C\u2019est d\u2019ailleurs sans doute un de mes travers, soit dit en passant. Car si je juge n\u2019avoir rien appris de nouveau, j\u2019ai cette tendance \u00e0 penser que j\u2019ai perdu mon temps. Ce qui est une de mes angoisses favorites. Ce qui me pousse \u00e0 \u00e9crire ce texte, car je vois bien \u00e0 quel point il peut \u00eatre compliqu\u00e9 de regarder un tableau, ce qui est paradoxal puisque toute la journ\u00e9e je n\u2019arr\u00eate pas d\u2019en regarder, de donner mon avis, de conseiller mes \u00e9l\u00e8ves sur tel ou tel blocage, tel ou tel d\u00e9s\u00e9quilibre. Comment je peux oser avoir autant de confiance en moi \u00e0 ces moments-l\u00e0 et en manquer parfois tout autant lorsque je me rends dans une exposition. On pourra penser que je ne suis qu\u2019un petit dictateur qui, sit\u00f4t qu\u2019il sort de sa zone de confort et de s\u00e9curit\u00e9, d\u00e9raille totalement. Je pourrais facilement le penser, pour \u00eatre un peu raide avec moi-m\u00eame, sans complaisance. D\u2019ailleurs il n\u2019est pas rare que les profs se permettent ce genre de jugement \u00e0 l\u2019emporte-pi\u00e8ce, je ne citerai pas de noms, et des artistes aussi. Sur quelle base formule-t-on de tels jugements ? Pour rester dans une forme de bien-pensance ou de mal-pensance \u00e0 la mode, la plupart du temps sans doute, pour ne pas s\u2019isoler d\u2019un consensus que l\u2019on per\u00e7oit presque imm\u00e9diatement et qui nous aspire malgr\u00e9 nous ? Cela n\u00e9cessite un effort pour \u00eatre indiff\u00e9rent \u00e0 ce consensus. Pour ne pas y adh\u00e9rer de fa\u00e7on aveugle. Pour tenter de se forger sa propre id\u00e9e. Ce qui revient assez souvent, c\u2019est le mot justesse lorsque je repense \u00e0 ces tableaux, \u00e0 ces photos. Ce ne sont pas des crit\u00e8res de beau ou de laid, ni de bien ou de mal, mais une double question : suis-je juste face \u00e0 l\u2019\u0153uvre, suis-je align\u00e9, bien dans mes baskets ? Cette \u0153uvre est-elle juste de fa\u00e7on autonome ? Ces deux questions sont de vraies questions qui ne n\u00e9cessitent pas forc\u00e9ment une r\u00e9ponse imm\u00e9diate. Mais il faut parfois du temps pour que je me les pose. Et c\u2019est au moment o\u00f9 elles sont enfin pos\u00e9es que je peux me faire une id\u00e9e plus juste de tout ce que j\u2019ai pu regarder et voir. Cela aussi implique une dur\u00e9e qui n\u2019est pas non plus lin\u00e9aire. Une dur\u00e9e circulaire qui transite par de nombreux tableaux ou photographies d\u00e9j\u00e0 vus, c\u2019est-\u00e0-dire sans doute ce que nous appelons des r\u00e9f\u00e9rences. Toute une collection de r\u00e9f\u00e9rences sur laquelle on s\u2019appuie pour associer une cat\u00e9gorie \u00e0 un travail. Ce que je r\u00e9fute \u00e0 tout bout de champ lorsqu\u2019il s\u2019agit de mon propre travail, car cela m\u2019agace qu\u2019on me dise tiens on dirait Modigliani, ou encore Mark Rothko, ou je ne sais qui. Nous ne sommes donc jamais \u00e0 une contradiction pr\u00e8s. Regarder un tableau, \u00e7a veut dire quoi exactement alors ? Qu\u2019est-ce que l\u2019on regarde vraiment ? Est-ce que l\u2019on effectue un inventaire de nos propres connaissances en mati\u00e8re de peinture ? Est-ce que l\u2019on ne fait que penser ce surgissement afin d\u2019ensuite pouvoir parler de cette vision, ne serait-ce qu\u2019\u00e0 soi-m\u00eame ? Ou bien tout cela n\u2019est-il qu\u2019une sorte de pansement pour tenter de combler le vide dans lequel nous sommes aspir\u00e9s sit\u00f4t qu\u2019une \u0153uvre expos\u00e9e en tant qu\u2019\u0153uvre surgit ? Une autre chose \u00e0 laquelle je pense souvent, c\u2019est le cadre dans lequel le tableau est expos\u00e9. Est-ce que le m\u00eame tableau sous les tr\u00e9teaux d\u2019un vide-grenier a le m\u00eame impact que dans une galerie ? Bien s\u00fbr que non. La triste v\u00e9rit\u00e9 est celle-ci : bien s\u00fbr que non. Ce qui explique en grande partie pourquoi je vais rarement \u00e0 des vernissages, visiter des expositions, et pourquoi aussi j\u2019ai renonc\u00e9 aux vide-greniers. Et aussi pourquoi j\u2019ai d\u00e9sert\u00e9 les chapelles et l\u2019\u00c9glise en g\u00e9n\u00e9ral. Et, de plus, pourquoi je me sens si bien dans mes ateliers avec les enfants. Parce que je n\u2019ai absolument pas peur, tout comme eux d\u2019ailleurs, de pousser des cris, des gloussements et des grognements de plaisir lorsque je vois un tableau r\u00e9alis\u00e9 par l\u2019un d\u2019entre eux, et m\u00eame, parfois, j\u2019effectue un petit pas de danse et je frappe dans les mains juste avant d\u2019effectuer un salto avant ou arri\u00e8re pour leur plus grande joie.<\/p>",
"content_text": " Hier soir, nous nous sommes rendus, mon \u00e9pouse et moi, \u00e0 un vernissage. Il y avait l\u00e0 les \u0153uvres d\u2019un peintre ami et celles d\u2019un photographe que je ne connaissais pas. Et ce fut une aubaine pour me retrouver dans la peau d\u2019un quidam qui visite une exposition, exercice dont je n\u2019abuse pas tant il d\u00e9clenche chez moi des \u00e9motions souvent antagonistes. En premier lieu, j\u2019effectue un rapide panoramique de l\u2019ensemble des \u0153uvres accroch\u00e9es pour me fabriquer une premi\u00e8re impression. Je tente de d\u00e9couvrir, lorsque celle-ci ne me saute pas aux yeux, une unit\u00e9, une coh\u00e9rence. Puis je m\u2019approche pour zoomer sur chaque pi\u00e8ce afin de la voir dans son isolement par rapport \u00e0 cette unit\u00e9, si je l\u2019ai d\u00e9couverte. Si je ne l\u2019ai pas trouv\u00e9e, je m\u2019approche aussi de toute fa\u00e7on et l\u00e0, que se passe-t-il ? Est-ce que je ne suis pas en train de juger un travail ? Est-ce que je porte une attention \u00e0 l\u2019\u00e9motion que produit ce travail sur moi ? Je me demande ce que veut dire l\u2019artiste ou ce qu\u2019il cherche \u00e0 ne pas dire. Bref, tout un bouclier de pens\u00e9es et d\u2019\u00e9motions se constitue imm\u00e9diatement aussit\u00f4t que je m\u2019approche du tableau ou de la photographie. Et ensuite un jugement est \u00e9tabli, sommairement la plupart du temps, qui consiste \u00e0 me dire j\u2019aime ou je n\u2019aime pas, puis \u00e0 passer au suivant. En cela, je ne suis pas mieux loti que quiconque. Et j\u2019aime cela. J\u2019aime cette partie de moi qui se f\u00e9d\u00e8re \u00e0 ce que l\u2019on nomme \u00ab le public \u00bb. C\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 ces notions de beau ou de laid, \u00e0 ces clich\u00e9s, et sans doute je m\u2019en imbibe comme un buvard. Puis, une fois toutes les \u0153uvres pass\u00e9es en revue, je vais boire un coup, je discute avec les artistes, avec les autres invit\u00e9s, je pioche dans les petits fours ou les chips, et la soir\u00e9e passe ainsi. Enfin, c\u2019est lorsque je me retrouve seul que je repense \u00e0 tout ce que j\u2019ai vu, \u00e0 tout ce que j\u2019ai \u00e9prouv\u00e9 et pens\u00e9 \u00e0 ce moment-l\u00e0. J\u2019ai une excellente m\u00e9moire de tous ces petits d\u00e9tails, \u00e0 force d\u2019entra\u00eenement. Et l\u00e0, je d\u00e9cortique. Que puis-je vraiment me dire au terme de cette exposition, qu\u2019ai-je appris ? Car pour moi un bon moment se r\u00e9sume souvent au fait d\u2019apprendre quelque chose. C\u2019est d\u2019ailleurs sans doute un de mes travers, soit dit en passant. Car si je juge n\u2019avoir rien appris de nouveau, j\u2019ai cette tendance \u00e0 penser que j\u2019ai perdu mon temps. Ce qui est une de mes angoisses favorites. Ce qui me pousse \u00e0 \u00e9crire ce texte, car je vois bien \u00e0 quel point il peut \u00eatre compliqu\u00e9 de regarder un tableau, ce qui est paradoxal puisque toute la journ\u00e9e je n\u2019arr\u00eate pas d\u2019en regarder, de donner mon avis, de conseiller mes \u00e9l\u00e8ves sur tel ou tel blocage, tel ou tel d\u00e9s\u00e9quilibre. Comment je peux oser avoir autant de confiance en moi \u00e0 ces moments-l\u00e0 et en manquer parfois tout autant lorsque je me rends dans une exposition. On pourra penser que je ne suis qu\u2019un petit dictateur qui, sit\u00f4t qu\u2019il sort de sa zone de confort et de s\u00e9curit\u00e9, d\u00e9raille totalement. Je pourrais facilement le penser, pour \u00eatre un peu raide avec moi-m\u00eame, sans complaisance. D\u2019ailleurs il n\u2019est pas rare que les profs se permettent ce genre de jugement \u00e0 l\u2019emporte-pi\u00e8ce, je ne citerai pas de noms, et des artistes aussi. Sur quelle base formule-t-on de tels jugements ? Pour rester dans une forme de bien-pensance ou de mal-pensance \u00e0 la mode, la plupart du temps sans doute, pour ne pas s\u2019isoler d\u2019un consensus que l\u2019on per\u00e7oit presque imm\u00e9diatement et qui nous aspire malgr\u00e9 nous ? Cela n\u00e9cessite un effort pour \u00eatre indiff\u00e9rent \u00e0 ce consensus. Pour ne pas y adh\u00e9rer de fa\u00e7on aveugle. Pour tenter de se forger sa propre id\u00e9e. Ce qui revient assez souvent, c\u2019est le mot justesse lorsque je repense \u00e0 ces tableaux, \u00e0 ces photos. Ce ne sont pas des crit\u00e8res de beau ou de laid, ni de bien ou de mal, mais une double question : suis-je juste face \u00e0 l\u2019\u0153uvre, suis-je align\u00e9, bien dans mes baskets ? Cette \u0153uvre est-elle juste de fa\u00e7on autonome ? Ces deux questions sont de vraies questions qui ne n\u00e9cessitent pas forc\u00e9ment une r\u00e9ponse imm\u00e9diate. Mais il faut parfois du temps pour que je me les pose. Et c\u2019est au moment o\u00f9 elles sont enfin pos\u00e9es que je peux me faire une id\u00e9e plus juste de tout ce que j\u2019ai pu regarder et voir. Cela aussi implique une dur\u00e9e qui n\u2019est pas non plus lin\u00e9aire. Une dur\u00e9e circulaire qui transite par de nombreux tableaux ou photographies d\u00e9j\u00e0 vus, c\u2019est-\u00e0-dire sans doute ce que nous appelons des r\u00e9f\u00e9rences. Toute une collection de r\u00e9f\u00e9rences sur laquelle on s\u2019appuie pour associer une cat\u00e9gorie \u00e0 un travail. Ce que je r\u00e9fute \u00e0 tout bout de champ lorsqu\u2019il s\u2019agit de mon propre travail, car cela m\u2019agace qu\u2019on me dise tiens on dirait Modigliani, ou encore Mark Rothko, ou je ne sais qui. Nous ne sommes donc jamais \u00e0 une contradiction pr\u00e8s. Regarder un tableau, \u00e7a veut dire quoi exactement alors ? Qu\u2019est-ce que l\u2019on regarde vraiment ? Est-ce que l\u2019on effectue un inventaire de nos propres connaissances en mati\u00e8re de peinture ? Est-ce que l\u2019on ne fait que penser ce surgissement afin d\u2019ensuite pouvoir parler de cette vision, ne serait-ce qu\u2019\u00e0 soi-m\u00eame ? Ou bien tout cela n\u2019est-il qu\u2019une sorte de pansement pour tenter de combler le vide dans lequel nous sommes aspir\u00e9s sit\u00f4t qu\u2019une \u0153uvre expos\u00e9e en tant qu\u2019\u0153uvre surgit ? Une autre chose \u00e0 laquelle je pense souvent, c\u2019est le cadre dans lequel le tableau est expos\u00e9. Est-ce que le m\u00eame tableau sous les tr\u00e9teaux d\u2019un vide-grenier a le m\u00eame impact que dans une galerie ? Bien s\u00fbr que non. La triste v\u00e9rit\u00e9 est celle-ci : bien s\u00fbr que non. Ce qui explique en grande partie pourquoi je vais rarement \u00e0 des vernissages, visiter des expositions, et pourquoi aussi j\u2019ai renonc\u00e9 aux vide-greniers. Et aussi pourquoi j\u2019ai d\u00e9sert\u00e9 les chapelles et l\u2019\u00c9glise en g\u00e9n\u00e9ral. Et, de plus, pourquoi je me sens si bien dans mes ateliers avec les enfants. Parce que je n\u2019ai absolument pas peur, tout comme eux d\u2019ailleurs, de pousser des cris, des gloussements et des grognements de plaisir lorsque je vois un tableau r\u00e9alis\u00e9 par l\u2019un d\u2019entre eux, et m\u00eame, parfois, j\u2019effectue un petit pas de danse et je frappe dans les mains juste avant d\u2019effectuer un salto avant ou arri\u00e8re pour leur plus grande joie. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/257723353_4602440563176268_5509559532410016968_n.jpg?1763757463",
"tags": ["peinture"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-amour-fou.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-amour-fou.html",
"title": "L'amour fou",
"date_published": "2021-11-16T02:38:53Z",
"date_modified": "2025-11-21T17:57:08Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Ce devait \u00eatre en 1986 ou 1987, certainement \u00e0 la fin de l\u2019automne, une journ\u00e9e maussade tout \u00e0 fait semblable \u00e0 aujourd\u2019hui, et nous venions, une fois de plus, de nous rabibocher avec Maurice. Dans cette ville, j\u2019avais beau tenter de m\u2019\u00e9garer le plus consciencieusement que je le pouvais, mes pas me ramenaient toujours, \u00e0 un moment ou l\u2019autre, vers le quartier des Halles, le boulevard S\u00e9bastopol, la biblioth\u00e8que du centre Georges-Pompidou et les ruelles environnantes peupl\u00e9es de vieilles putes sur le retour. Je ne me souvenais plus de la raison pour laquelle nous nous \u00e9tions brouill\u00e9s la derni\u00e8re fois ; aussi, lorsque je tombai tout \u00e0 coup nez \u00e0 nez avec Maurice, \u00e0 la sortie de l\u2019\u00e9glise Saint-Merry, nous f\u00eemes tout pour \u00e9grener tous les sympt\u00f4mes de la surprise heureuse que nous procurait cette rencontre. « Mais Maurice, c\u2019est toi, vieux p\u00e9d\u00e9 ! Je croyais que tu \u00e9tais en train de bouffer les pissenlits par la racine depuis tout ce temps. — Ah mon chameau, tu n\u2019as rien perdu de ton insolence, mais o\u00f9 donc \u00e9tais-tu pass\u00e9, petit salaud ? \u00c7a fait des mois et des mois que je te cherche dans toute la ville. — C\u2019est parce que j\u2019\u00e9tais ailleurs tout bonnement, ou bien que j\u2019\u00e9vitais le quartier pour ne pas retomber sur ta sale fiole d\u2019aristo inverti », j\u2019ai dit. Puis de se donner l\u2019accolade pour nous renifler d\u2019un peu plus pr\u00e8s afin de savoir, au moins, si on pouvait toujours se sentir plus ou moins. « Comme c\u2019est \u00e9patant, je viens tout juste d\u2019allumer un cierge pour toi, ajouta-t-il. » Et enfin, m\u2019indiquant son cabas rempli ras la gueule, il encha\u00eena par : « Viens manger, je suis s\u00fbr que t\u2019es encore affam\u00e9. » Ce qui, en l\u2019occurrence, \u00e9tait la pure v\u00e9rit\u00e9. Quel plaisir de retrouver son gourbis. Il habitait juste en face des fen\u00eatres de l\u2019oncle de Moli\u00e8re, un quatri\u00e8me sans ascenseur, ce qui probablement \u00e9tait une des causes de sa vigueur. \u00c0 plus de 70 ans, il avalait les marches pratiquement quatre \u00e0 quatre, alors que quelques instants plus t\u00f4t, sur le pav\u00e9 des ruelles, il se tra\u00eenait comme un vieillard s\u2019appuyant sur une canne. La joie des retrouvailles, sans doute. Il enfon\u00e7a la clef dans la lourde porte blind\u00e9e (serrure six points, ils peuvent y aller) et celle-ci s\u2019ouvrit \u00e0 nouveau sur un capharna\u00fcm que je fus \u00e9mu de retrouver. Il y avait l\u00e0 une grande pi\u00e8ce toute encombr\u00e9e de biblioth\u00e8ques, de tables, de gu\u00e9ridons, de consoles, de bancs et de chaises, le tout litt\u00e9ralement envahie par des bouquins sur \u00e0 peu pr\u00e8s tous les sujets. Sur le rebord de la chemin\u00e9e, que nous avions allum\u00e9e une seule fois durant le mois de janvier 1985 et dont l\u2019intensit\u00e9, m\u2019avait appris Maurice, avait atteint celle de 56 mais avait dur\u00e9 moins longtemps, je retrouvais cette bonne vieille L\u00e9da se faisant mettre par son cygne. Rien n\u2019avait vraiment chang\u00e9 depuis les quelque huit mois o\u00f9 nous nous \u00e9tions quitt\u00e9s la derni\u00e8re fois. Juste un peu plus de poussi\u00e8re, et il me semblait que la luminosit\u00e9 provenant des deux grandes fen\u00eatres \u00e0 meneaux per\u00e7ait encore plus difficilement que jamais les voilages douteux que j\u2019avais toujours connus suspendus devant celles-ci. Nous nous fray\u00e2mes un chemin entre les encombrements pour rejoindre la salle \u00e0 manger, \u00e0 peu pr\u00e8s dans le m\u00eame \u00e9tat. Sur la grande table, des bataillons de fioles et de tubes semblaient faire le si\u00e8ge autour d\u2019un compotier rempli de fruits t\u00e2l\u00e9s ; des magazines TV s\u2019amoncelaient p\u00eale-m\u00eale avec des documents administratifs et des pubs pour d\u00e9pannage en tout genre. Bref, c\u2019\u00e9tait le m\u00eame bordel que j\u2019avais toujours connu ici chez Maurice, et je me demandais soudain pourquoi les choses auraient-elles pu changer : n\u2019\u00e9tait-ce pas l\u00e0 seulement mon propre espoir et la d\u00e9ception simultan\u00e9e de l\u2019id\u00e9e m\u00eame de changement que je reprenais en pleine poire et par la bande ? Je me souviens qu\u2019\u00e0 cette p\u00e9riode de ma vie je passais un temps dingue \u00e0 vouloir aider les gens, pour qu\u2019ils changent, alors qu\u2019en fait c\u2019\u00e9tait juste un fantasme d\u00e9riv\u00e9 de ma propre propension au d\u00e9sordre permanent que je tentais de soigner. On d\u00e9boucha une bouteille de vin de pays, et le go\u00fbt \u00e2pre de son contenu, comme celui de la madeleine proustienne, me ramena \u00e0 toute une s\u00e9rie de souvenirs, \u00e0 ces nuits blanches pass\u00e9es l\u00e0 autour de cette m\u00eame table \u00e0 bavarder de tout et de rien, surtout des mots eux-m\u00eames plus que de la fa\u00e7on dont nous pourrions les utiliser intelligemment. On s\u2019appuyait sur des dicos dat\u00e9s — notamment le Bouillet dont j\u2019avais d\u00e9got\u00e9 un exemplaire dans une caisse de bouquiniste et que j\u2019avais pay\u00e9 \u00e0 prix d\u2019or pour f\u00eater l\u2019anniversaire du vieux, il y avait de cela des vies. « Et le deuxi\u00e8me tome, tu ne l\u2019as pas trouv\u00e9 ? C\u2019est celui des noms propres », avait-il d\u00e9clar\u00e9 tout de go, et un peu d\u00e9\u00e7u. Sans doute \u00e9tait-ce un motif suffisant, alors, pour prendre de la distance avec Maurice car j\u2019\u00e9tais extraordinairement susceptible. On s\u2019est mis \u00e0 \u00e9plucher les pommes de terre ensemble, en plaisantant de tout et de rien ; il faisait du l\u00e9ger, je le voyais, et du coup, moi aussi. Quand on est arriv\u00e9s aux carottes et aux oignons, il a commenc\u00e9 malgr\u00e9 tout \u00e0 geindre l\u00e9g\u00e8rement. « J\u2019en ai plus pour bien longtemps, tu sais ; faut pas t\u2019absenter aussi longtemps, un jour je risque de ne plus \u00eatre l\u00e0 du tout. » Je n\u2019ai rien r\u00e9pondu, je connaissais toute la ritournelle par c\u0153ur. Enfin le pot-au-feu fut pr\u00eat et on passa \u00e0 table. Il dut attendre que j\u2019aie le ventre plein et dans une disposition d\u2019esprit emplie de gratitude pour l\u00e2cher : « Et tous ces bouquins, que vont-ils devenir quand je dispara\u00eetrai ? Qu\u2019est-ce qui restera ? Je veux que tu les r\u00e9cup\u00e8res. » On en a d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9, Maurice, comment veux-tu que je r\u00e9cup\u00e8re tes livres, je n\u2019ai pas de domicile fixe, rien ! « Peut-\u00eatre qu\u2019il serait temps de grandir un peu, mon bonhomme », dit-il, et j\u2019ai vu qu\u2019il \u00e9tait contrari\u00e9, qu\u2019il n\u2019allait pas tarder \u00e0 se mettre en col\u00e8re. Alors je me suis lev\u00e9, j\u2019ai dit merci pour le repas, j\u2019ai pris mes cliques et mes claques et je suis parti. Je ne l\u2019ai, \u00e0 ce jour, plus jamais revu. De temps en temps, lorsque je vais faire un tour dans les vide-greniers, n\u2019importe o\u00f9 que ce soit \u00e0 Paris ou en province, j\u2019aper\u00e7ois parfois des livres qui auraient certainement pu appartenir \u00e0 Maurice. Il para\u00eet que la Ville de Paris revend tout aux ench\u00e8res \u00e0 des brocs en cas de d\u00e9c\u00e8s, et lorsqu\u2019aucune famille ne r\u00e9clame. Des livres aux tableaux, c\u2019est un peu le juste retour des choses, je me dis souvent. De tous ces tableaux comme de tous les livres de Maurice, qu\u2019est-ce qui restera finalement ? Et puis je pense \u00e0 autre chose parce que \u00e7a flanque le bourdon pour rien, ces id\u00e9es-l\u00e0.<\/p>",
"content_text": " Ce devait \u00eatre en 1986 ou 1987, certainement \u00e0 la fin de l\u2019automne, une journ\u00e9e maussade tout \u00e0 fait semblable \u00e0 aujourd\u2019hui, et nous venions, une fois de plus, de nous rabibocher avec Maurice. Dans cette ville, j\u2019avais beau tenter de m\u2019\u00e9garer le plus consciencieusement que je le pouvais, mes pas me ramenaient toujours, \u00e0 un moment ou l\u2019autre, vers le quartier des Halles, le boulevard S\u00e9bastopol, la biblioth\u00e8que du centre Georges-Pompidou et les ruelles environnantes peupl\u00e9es de vieilles putes sur le retour. Je ne me souvenais plus de la raison pour laquelle nous nous \u00e9tions brouill\u00e9s la derni\u00e8re fois ; aussi, lorsque je tombai tout \u00e0 coup nez \u00e0 nez avec Maurice, \u00e0 la sortie de l\u2019\u00e9glise Saint-Merry, nous f\u00eemes tout pour \u00e9grener tous les sympt\u00f4mes de la surprise heureuse que nous procurait cette rencontre. \u00ab Mais Maurice, c\u2019est toi, vieux p\u00e9d\u00e9 ! Je croyais que tu \u00e9tais en train de bouffer les pissenlits par la racine depuis tout ce temps. \u2014 Ah mon chameau, tu n\u2019as rien perdu de ton insolence, mais o\u00f9 donc \u00e9tais-tu pass\u00e9, petit salaud ? \u00c7a fait des mois et des mois que je te cherche dans toute la ville. \u2014 C\u2019est parce que j\u2019\u00e9tais ailleurs tout bonnement, ou bien que j\u2019\u00e9vitais le quartier pour ne pas retomber sur ta sale fiole d\u2019aristo inverti \u00bb, j\u2019ai dit. Puis de se donner l\u2019accolade pour nous renifler d\u2019un peu plus pr\u00e8s afin de savoir, au moins, si on pouvait toujours se sentir plus ou moins. \u00ab Comme c\u2019est \u00e9patant, je viens tout juste d\u2019allumer un cierge pour toi, ajouta-t-il. \u00bb Et enfin, m\u2019indiquant son cabas rempli ras la gueule, il encha\u00eena par : \u00ab Viens manger, je suis s\u00fbr que t\u2019es encore affam\u00e9. \u00bb Ce qui, en l\u2019occurrence, \u00e9tait la pure v\u00e9rit\u00e9. Quel plaisir de retrouver son gourbis. Il habitait juste en face des fen\u00eatres de l\u2019oncle de Moli\u00e8re, un quatri\u00e8me sans ascenseur, ce qui probablement \u00e9tait une des causes de sa vigueur. \u00c0 plus de 70 ans, il avalait les marches pratiquement quatre \u00e0 quatre, alors que quelques instants plus t\u00f4t, sur le pav\u00e9 des ruelles, il se tra\u00eenait comme un vieillard s\u2019appuyant sur une canne. La joie des retrouvailles, sans doute. Il enfon\u00e7a la clef dans la lourde porte blind\u00e9e (serrure six points, ils peuvent y aller) et celle-ci s\u2019ouvrit \u00e0 nouveau sur un capharna\u00fcm que je fus \u00e9mu de retrouver. Il y avait l\u00e0 une grande pi\u00e8ce toute encombr\u00e9e de biblioth\u00e8ques, de tables, de gu\u00e9ridons, de consoles, de bancs et de chaises, le tout litt\u00e9ralement envahie par des bouquins sur \u00e0 peu pr\u00e8s tous les sujets. Sur le rebord de la chemin\u00e9e, que nous avions allum\u00e9e une seule fois durant le mois de janvier 1985 et dont l\u2019intensit\u00e9, m\u2019avait appris Maurice, avait atteint celle de 56 mais avait dur\u00e9 moins longtemps, je retrouvais cette bonne vieille L\u00e9da se faisant mettre par son cygne. Rien n\u2019avait vraiment chang\u00e9 depuis les quelque huit mois o\u00f9 nous nous \u00e9tions quitt\u00e9s la derni\u00e8re fois. Juste un peu plus de poussi\u00e8re, et il me semblait que la luminosit\u00e9 provenant des deux grandes fen\u00eatres \u00e0 meneaux per\u00e7ait encore plus difficilement que jamais les voilages douteux que j\u2019avais toujours connus suspendus devant celles-ci. Nous nous fray\u00e2mes un chemin entre les encombrements pour rejoindre la salle \u00e0 manger, \u00e0 peu pr\u00e8s dans le m\u00eame \u00e9tat. Sur la grande table, des bataillons de fioles et de tubes semblaient faire le si\u00e8ge autour d\u2019un compotier rempli de fruits t\u00e2l\u00e9s ; des magazines TV s\u2019amoncelaient p\u00eale-m\u00eale avec des documents administratifs et des pubs pour d\u00e9pannage en tout genre. Bref, c\u2019\u00e9tait le m\u00eame bordel que j\u2019avais toujours connu ici chez Maurice, et je me demandais soudain pourquoi les choses auraient-elles pu changer : n\u2019\u00e9tait-ce pas l\u00e0 seulement mon propre espoir et la d\u00e9ception simultan\u00e9e de l\u2019id\u00e9e m\u00eame de changement que je reprenais en pleine poire et par la bande ? Je me souviens qu\u2019\u00e0 cette p\u00e9riode de ma vie je passais un temps dingue \u00e0 vouloir aider les gens, pour qu\u2019ils changent, alors qu\u2019en fait c\u2019\u00e9tait juste un fantasme d\u00e9riv\u00e9 de ma propre propension au d\u00e9sordre permanent que je tentais de soigner. On d\u00e9boucha une bouteille de vin de pays, et le go\u00fbt \u00e2pre de son contenu, comme celui de la madeleine proustienne, me ramena \u00e0 toute une s\u00e9rie de souvenirs, \u00e0 ces nuits blanches pass\u00e9es l\u00e0 autour de cette m\u00eame table \u00e0 bavarder de tout et de rien, surtout des mots eux-m\u00eames plus que de la fa\u00e7on dont nous pourrions les utiliser intelligemment. On s\u2019appuyait sur des dicos dat\u00e9s \u2014 notamment le Bouillet dont j\u2019avais d\u00e9got\u00e9 un exemplaire dans une caisse de bouquiniste et que j\u2019avais pay\u00e9 \u00e0 prix d\u2019or pour f\u00eater l\u2019anniversaire du vieux, il y avait de cela des vies. \u00ab Et le deuxi\u00e8me tome, tu ne l\u2019as pas trouv\u00e9 ? C\u2019est celui des noms propres \u00bb, avait-il d\u00e9clar\u00e9 tout de go, et un peu d\u00e9\u00e7u. Sans doute \u00e9tait-ce un motif suffisant, alors, pour prendre de la distance avec Maurice car j\u2019\u00e9tais extraordinairement susceptible. On s\u2019est mis \u00e0 \u00e9plucher les pommes de terre ensemble, en plaisantant de tout et de rien ; il faisait du l\u00e9ger, je le voyais, et du coup, moi aussi. Quand on est arriv\u00e9s aux carottes et aux oignons, il a commenc\u00e9 malgr\u00e9 tout \u00e0 geindre l\u00e9g\u00e8rement. \u00ab J\u2019en ai plus pour bien longtemps, tu sais ; faut pas t\u2019absenter aussi longtemps, un jour je risque de ne plus \u00eatre l\u00e0 du tout. \u00bb Je n\u2019ai rien r\u00e9pondu, je connaissais toute la ritournelle par c\u0153ur. Enfin le pot-au-feu fut pr\u00eat et on passa \u00e0 table. Il dut attendre que j\u2019aie le ventre plein et dans une disposition d\u2019esprit emplie de gratitude pour l\u00e2cher : \u00ab Et tous ces bouquins, que vont-ils devenir quand je dispara\u00eetrai ? Qu\u2019est-ce qui restera ? Je veux que tu les r\u00e9cup\u00e8res. \u00bb On en a d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9, Maurice, comment veux-tu que je r\u00e9cup\u00e8re tes livres, je n\u2019ai pas de domicile fixe, rien ! \u00ab Peut-\u00eatre qu\u2019il serait temps de grandir un peu, mon bonhomme \u00bb, dit-il, et j\u2019ai vu qu\u2019il \u00e9tait contrari\u00e9, qu\u2019il n\u2019allait pas tarder \u00e0 se mettre en col\u00e8re. Alors je me suis lev\u00e9, j\u2019ai dit merci pour le repas, j\u2019ai pris mes cliques et mes claques et je suis parti. Je ne l\u2019ai, \u00e0 ce jour, plus jamais revu. De temps en temps, lorsque je vais faire un tour dans les vide-greniers, n\u2019importe o\u00f9 que ce soit \u00e0 Paris ou en province, j\u2019aper\u00e7ois parfois des livres qui auraient certainement pu appartenir \u00e0 Maurice. Il para\u00eet que la Ville de Paris revend tout aux ench\u00e8res \u00e0 des brocs en cas de d\u00e9c\u00e8s, et lorsqu\u2019aucune famille ne r\u00e9clame. Des livres aux tableaux, c\u2019est un peu le juste retour des choses, je me dis souvent. De tous ces tableaux comme de tous les livres de Maurice, qu\u2019est-ce qui restera finalement ? Et puis je pense \u00e0 autre chose parce que \u00e7a flanque le bourdon pour rien, ces id\u00e9es-l\u00e0. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/261215527_4635544203199237_8934638172155218051_n.jpg?1763747604",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/coince-a-la-lettre-q.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/coince-a-la-lettre-q.html",
"title": "Coinc\u00e9 \u00e0 la lettre Q.",
"date_published": "2021-11-11T07:34:34Z",
"date_modified": "2025-11-21T17:47:57Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Certains parviennent \u00e0 r\u00e9citer l\u2019alphabet gentiment, tout comme les tables de multiplication. C\u2019est-\u00e0-dire par habitude, apr\u00e8s avoir appris tout \u00e7a par c\u0153ur, petit doigt pos\u00e9 sur la couture du slip, du pantalon ou de la jupe \u00e0 volants. C\u2019est tr\u00e8s bien et il en faut. Sinon, comment tournerait le monde ? Mais moi, je n\u2019ai jamais pu r\u00e9citer l\u2019alphabet sans me tromper. Je reste obstin\u00e9ment embrouill\u00e9 sit\u00f4t que j\u2019arrive \u00e0 la lettre Q. Et du coup, je me rends r\u00e9guli\u00e8rement sur Google pour tenter de me souvenir de ce qu\u2019il peut bien y avoir apr\u00e8s. C\u2019est un truc qui fait quand m\u00eame r\u00e9fl\u00e9chir au bout d\u2019un moment, et peu importe la dur\u00e9e de ce « au bout ». Car, dans le fond, l\u2019incommensurable confusion dans laquelle j\u2019ai toujours \u00e0 peu pr\u00e8s v\u00e9cu me ram\u00e8ne et me fige encore une fois de plus vers le « Cul », comme le Nord aimante et cale l\u2019aiguille des boussoles. Rien n\u2019est plus r\u00e9el que le sexe, pensais-je na\u00efvement. Et tout ce qui pouvait se produire aussi bien avant ou apr\u00e8s n\u2019avait finalement qu\u2019une importance tout \u00e0 fait relative. Seul l\u2019\u00e9v\u00e8nement des corps qui se rencontrent, se touchent, s\u2019explorent, se chevauchent, se l\u00e8chent et se d\u00e9vorent semblait poss\u00e9der la pertinence n\u00e9cessaire pour se sentir vivant. Tout le reste n\u2019\u00e9tait que du pipi de chat. Pour se sortir de ce p\u00e9trin, j\u2019ai essay\u00e9 un tas de trucs divers et vari\u00e9s dont je vous ferai gr\u00e2ce de les \u00e9noncer. \u00c9chec cuisant \u00e0 chaque fois. Une fois, j\u2019ai eu de l\u2019espoir tout de m\u00eame, et j\u2019ai bien failli arriver au R sans y penser, j\u2019allais enfin me dire ouf. Ce devait \u00eatre au dojo zen de Lausanne, au moment o\u00f9 le coup de gong soudain a produit l\u2019irruption d\u2019un bouchon de c\u00e9rumen depuis mon oreille droite sur le sol. Un peu comme la fleur de cerisier tombe au sol. J\u2019ai \u00e9clat\u00e9 d\u2019un grand rire dans le silence \u00e9tourdissant juste apr\u00e8s, et j\u2019ai tout de go d\u00e9pass\u00e9 le Q en gueulant : « rstuvwyz ». Quelqu\u2019un m\u2019a dit alors : et le x ? Et l\u00e0, j\u2019ai su qu\u2019une nouvelle travers\u00e9e du d\u00e9sert s\u2019annon\u00e7ait.<\/p>",
"content_text": "Certains parviennent \u00e0 r\u00e9citer l\u2019alphabet gentiment, tout comme les tables de multiplication. C\u2019est-\u00e0-dire par habitude, apr\u00e8s avoir appris tout \u00e7a par c\u0153ur, petit doigt pos\u00e9 sur la couture du slip, du pantalon ou de la jupe \u00e0 volants. C\u2019est tr\u00e8s bien et il en faut. Sinon, comment tournerait le monde ? Mais moi, je n\u2019ai jamais pu r\u00e9citer l\u2019alphabet sans me tromper. Je reste obstin\u00e9ment embrouill\u00e9 sit\u00f4t que j\u2019arrive \u00e0 la lettre Q. Et du coup, je me rends r\u00e9guli\u00e8rement sur Google pour tenter de me souvenir de ce qu\u2019il peut bien y avoir apr\u00e8s. C\u2019est un truc qui fait quand m\u00eame r\u00e9fl\u00e9chir au bout d\u2019un moment, et peu importe la dur\u00e9e de ce \u00ab au bout \u00bb. Car, dans le fond, l\u2019incommensurable confusion dans laquelle j\u2019ai toujours \u00e0 peu pr\u00e8s v\u00e9cu me ram\u00e8ne et me fige encore une fois de plus vers le \u00ab Cul \u00bb, comme le Nord aimante et cale l\u2019aiguille des boussoles. Rien n\u2019est plus r\u00e9el que le sexe, pensais-je na\u00efvement. Et tout ce qui pouvait se produire aussi bien avant ou apr\u00e8s n\u2019avait finalement qu\u2019une importance tout \u00e0 fait relative. Seul l\u2019\u00e9v\u00e8nement des corps qui se rencontrent, se touchent, s\u2019explorent, se chevauchent, se l\u00e8chent et se d\u00e9vorent semblait poss\u00e9der la pertinence n\u00e9cessaire pour se sentir vivant. Tout le reste n\u2019\u00e9tait que du pipi de chat. Pour se sortir de ce p\u00e9trin, j\u2019ai essay\u00e9 un tas de trucs divers et vari\u00e9s dont je vous ferai gr\u00e2ce de les \u00e9noncer. \u00c9chec cuisant \u00e0 chaque fois. Une fois, j\u2019ai eu de l\u2019espoir tout de m\u00eame, et j\u2019ai bien failli arriver au R sans y penser, j\u2019allais enfin me dire ouf. Ce devait \u00eatre au dojo zen de Lausanne, au moment o\u00f9 le coup de gong soudain a produit l\u2019irruption d\u2019un bouchon de c\u00e9rumen depuis mon oreille droite sur le sol. Un peu comme la fleur de cerisier tombe au sol. J\u2019ai \u00e9clat\u00e9 d\u2019un grand rire dans le silence \u00e9tourdissant juste apr\u00e8s, et j\u2019ai tout de go d\u00e9pass\u00e9 le Q en gueulant : \u00ab rstuvwyz \u00bb. Quelqu\u2019un m\u2019a dit alors : et le x ? Et l\u00e0, j\u2019ai su qu\u2019une nouvelle travers\u00e9e du d\u00e9sert s\u2019annon\u00e7ait. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/jaune-et-vert.jpg?1763747251",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/de-multiples-realites.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/de-multiples-realites.html",
"title": "De multiples r\u00e9alit\u00e9s",
"date_published": "2021-11-11T06:55:14Z",
"date_modified": "2025-11-21T17:44:35Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Hier encore quelqu\u2019un me parlait de la r\u00e9alit\u00e9, en mettant une majuscule au mot, ce dont je me dispense, \u00e9tant donn\u00e9 que je ne d\u00e9sire pas \u00e9lever ce terme ni sur un pi\u00e9destal ni \u00e0 la hauteur d\u2019une sorte de divinit\u00e9. Car apr\u00e8s tout, \u00e0 plus de 60 ans pass\u00e9s, j\u2019avoue ne pas savoir ce qu\u2019est cette fameuse « R\u00e9alit\u00e9 » que d\u2019aucuns r\u00e9v\u00e8rent. Pas plus que je ne sache ce qu\u2019est Dieu, le diable, le paradis et l\u2019enfer. J\u2019ai tout oubli\u00e9 des campagnes d\u2019Austerlitz et de Waterloo, d\u2019Italie, de Prusse et d\u2019Espagne, de Pontoise et de Landernau, ainsi que le chante le po\u00e8te, et de plus, non sans une petite pointe de regret, j\u2019ai oubli\u00e9 \u00e0 peu pr\u00e8s tout de cette premi\u00e8re fille qu\u2019on prend dans les bras la premi\u00e8re fois. Cette faillite de la m\u00e9moire, je me retrouve nez \u00e0 nez avec elle ce matin au petit d\u00e9jeuner puisque nous avons invit\u00e9 la m\u00e8re de mon \u00e9pouse \u00e0 venir passer quelque temps aupr\u00e8s de nous. Elle a tout oubli\u00e9 ou presque, elle aussi, ce qui me fait \u00e9prouver encore plus que d\u2019ordinaire de la tendresse pour mon \u00e9pouse, qui, je le vois bien, serre les dents, bout, tr\u00e9pigne lorsqu\u2019elle s\u2019aper\u00e7oit que tout ce qui a \u00e9t\u00e9 convenu hier, comme par exemple le troisi\u00e8me rendez-vous pour se faire vacciner, la liste des courses \u00e0 faire, et je ne sais plus quoi d\u2019autre, ne laisse plus la moindre trace le lendemain dans la m\u00e9moire de la vieille dame, accessoirement ma belle-m\u00e8re. Face \u00e0 cette dissipation intempestive des souvenirs, on peut se trouver d\u00e9muni car cela mine profond\u00e9ment \u00e0 la fois le lien superficiel que l\u2019on entretient avec les autres suivant les r\u00f4les que nous attribuons. Cela signifie qu\u2019une r\u00e9alit\u00e9 est en train d\u2019en remplacer une autre, que cette m\u00e9moire commune qui s\u2019\u00e9vanouit chez l\u2019un ou chez l\u2019autre est quelque chose de l\u2019ordre de l\u2019irr\u00e9m\u00e9diable et qui nous fait douter justement, en t\u00e2che de fond, de la « R\u00e9alit\u00e9 » tout enti\u00e8re. Car sans ces souvenirs communs, sans cette m\u00e9moire sur lesquels nous comptons tous pour nous rappeler qui nous sommes, qui sommes-nous vraiment ? L\u2019\u00eatre, tout au fond, est comme un coquillage que les mar\u00e9es successives, la concat\u00e9nation et la d\u00e9sagr\u00e9gation des souvenirs font rouler sur le sable doux des profondeurs oc\u00e9aniques.<\/p>",
"content_text": " Hier encore quelqu\u2019un me parlait de la r\u00e9alit\u00e9, en mettant une majuscule au mot, ce dont je me dispense, \u00e9tant donn\u00e9 que je ne d\u00e9sire pas \u00e9lever ce terme ni sur un pi\u00e9destal ni \u00e0 la hauteur d\u2019une sorte de divinit\u00e9. Car apr\u00e8s tout, \u00e0 plus de 60 ans pass\u00e9s, j\u2019avoue ne pas savoir ce qu\u2019est cette fameuse \u00ab R\u00e9alit\u00e9 \u00bb que d\u2019aucuns r\u00e9v\u00e8rent. Pas plus que je ne sache ce qu\u2019est Dieu, le diable, le paradis et l\u2019enfer. J\u2019ai tout oubli\u00e9 des campagnes d\u2019Austerlitz et de Waterloo, d\u2019Italie, de Prusse et d\u2019Espagne, de Pontoise et de Landernau, ainsi que le chante le po\u00e8te, et de plus, non sans une petite pointe de regret, j\u2019ai oubli\u00e9 \u00e0 peu pr\u00e8s tout de cette premi\u00e8re fille qu\u2019on prend dans les bras la premi\u00e8re fois. Cette faillite de la m\u00e9moire, je me retrouve nez \u00e0 nez avec elle ce matin au petit d\u00e9jeuner puisque nous avons invit\u00e9 la m\u00e8re de mon \u00e9pouse \u00e0 venir passer quelque temps aupr\u00e8s de nous. Elle a tout oubli\u00e9 ou presque, elle aussi, ce qui me fait \u00e9prouver encore plus que d\u2019ordinaire de la tendresse pour mon \u00e9pouse, qui, je le vois bien, serre les dents, bout, tr\u00e9pigne lorsqu\u2019elle s\u2019aper\u00e7oit que tout ce qui a \u00e9t\u00e9 convenu hier, comme par exemple le troisi\u00e8me rendez-vous pour se faire vacciner, la liste des courses \u00e0 faire, et je ne sais plus quoi d\u2019autre, ne laisse plus la moindre trace le lendemain dans la m\u00e9moire de la vieille dame, accessoirement ma belle-m\u00e8re. Face \u00e0 cette dissipation intempestive des souvenirs, on peut se trouver d\u00e9muni car cela mine profond\u00e9ment \u00e0 la fois le lien superficiel que l\u2019on entretient avec les autres suivant les r\u00f4les que nous attribuons. Cela signifie qu\u2019une r\u00e9alit\u00e9 est en train d\u2019en remplacer une autre, que cette m\u00e9moire commune qui s\u2019\u00e9vanouit chez l\u2019un ou chez l\u2019autre est quelque chose de l\u2019ordre de l\u2019irr\u00e9m\u00e9diable et qui nous fait douter justement, en t\u00e2che de fond, de la \u00ab R\u00e9alit\u00e9 \u00bb tout enti\u00e8re. Car sans ces souvenirs communs, sans cette m\u00e9moire sur lesquels nous comptons tous pour nous rappeler qui nous sommes, qui sommes-nous vraiment ? L\u2019\u00eatre, tout au fond, est comme un coquillage que les mar\u00e9es successives, la concat\u00e9nation et la d\u00e9sagr\u00e9gation des souvenirs font rouler sur le sable doux des profondeurs oc\u00e9aniques. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lolabw.jpg?1763747021",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Fais-donc-un-effort.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Fais-donc-un-effort.html",
"title": "Fais donc un effort",
"date_published": "2021-11-11T06:02:11Z",
"date_modified": "2025-11-21T17:42:16Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Je crois, car je ne suis jamais vraiment s\u00fbr de rien, qu\u2019il pronon\u00e7ait cette locution comme un mantra, une pri\u00e8re. Plut\u00f4t que de p\u00e9n\u00e9trer dans cette culpabilit\u00e9 perp\u00e9tuelle encore une fois, je pr\u00e9f\u00e8re croire que pour mon p\u00e8re cette information qu\u2019il d\u00e9sirait me transmettre \u00e0 tout bout de champ, avec laquelle il me martelait plusieurs fois par jour, notamment le dimanche (ce qui tombait comme un cheveu dans la soupe, il faut le pr\u00e9ciser), cette information \u00e9tait pr\u00e9cieuse, d\u2019autant que lui s\u2019abstenait d\u2019en produire dans les domaines qui me semblaient alors les plus importants. J\u2019aurais admir\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9poque qu\u2019il f\u00eet un effort pour m\u2019emmener avec lui \u00e0 la p\u00eache juste avant le lever du soleil. J\u2019aurais appr\u00e9ci\u00e9 qu\u2019il me parle un peu plus franchement des filles, et aussi qu\u2019il fasse, lui, un effort pour \u00eatre lui-m\u00eame autrement qu\u2019il ne le fit jamais vraiment devant nous. J\u2019aurais appr\u00e9ci\u00e9 qu\u2019il cesse de s\u2019acharner \u00e0 vouloir incarner le bien, modelant en n\u00e9gatif tout ce mal que je me donnais, que nous nous donnions tous afin de tenter de lui plaire, ou tout du moins qu\u2019il nous foute un peu la paix. Il s\u2019\u00e9tait donn\u00e9 beaucoup de mal pour parvenir \u00e0 imiter le plus parfaitement possible tous les codes de la bonne personne, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de chez nous surtout. Il insistait sur l\u2019impeccabilit\u00e9 de ses costumes et de ses pompes, de sa voiture, et de nos toilettes \u00e0 tous, notamment celle de ma m\u00e8re qui ne pouvait pas sortir comme \u00e7a, maquill\u00e9e comme une pute, avec sa jupe trop courte. Fais donc un effort, lui disait-il aussi. L\u2019effort \u00e9tait donc une sorte de culte autour duquel chaque goutte de sueur, chaque renoncement, chaque plaisir et chaque joie \u00e9taient pass\u00e9s au crible afin d\u2019en diminuer l\u2019intensit\u00e9 excessive, pour que toute scorie inutile reste sur le tamis puis soit jet\u00e9e aux orties. On ne pouvait pas lui en vouloir uniquement pour cela. Mais disons que \u00e7a n\u2019arrangeait certainement pas les choses. \u00c9videmment, aussit\u00f4t que je le pus, je pris le contrepoint, je devins h\u00e9r\u00e9tique, je me posais des questions sur l\u2019effort en g\u00e9n\u00e9ral et sa n\u00e9cessit\u00e9 dans ma vie. Jeune adulte, j\u2019allais emprunter, comme quasiment tout le monde, le sch\u00e9ma familial pour la bonne raison que je n\u2019en imaginais pas d\u2019autre, lorsque, soudain, je me retrouvai seul dans cette ville un soir d\u2019hiver \u00e0 contempler la fen\u00eatre du petit appartement sous les toits que nous partagions alors, ma premi\u00e8re amoureuse s\u00e9rieuse et moi-m\u00eame. \u00c9trange sensation que celle d\u2019\u00eatre en couple et d\u2019\u00e9prouver cette solitude immense. Et pratiquement tout de suite je me suis mis \u00e0 songer \u00e0 mon p\u00e8re \u00e0 nouveau. Lorsqu\u2019il rentrait le week-end et qu\u2019il garait son v\u00e9hicule de fonction devant le mur de la maison. Il ne sortait jamais tout de suite, il prenait toujours un moment comme s\u2019il avait besoin d\u2019un sas. Classait-il des documents, finissait-il une de ses sempiternelles cigarettes en attendant le final d\u2019un air d\u2019op\u00e9ra (il adorait l\u2019op\u00e9ra), ou bien un spot d\u2019information avait-il attir\u00e9 son attention ? Nul ne le sut jamais. D\u2019en bas, je voyais donc cette fen\u00eatre allum\u00e9e et, de temps \u00e0 autre, une ombre qui passait au-del\u00e0. Je me souviens que cela m\u2019est arriv\u00e9 plus d\u2019une fois de me retrouver face \u00e0 cette \u00e9tranget\u00e9, je veux dire qu\u2019\u00e0 ce moment-l\u00e0 je ne savais plus qui j\u2019\u00e9tais, o\u00f9 j\u2019\u00e9tais et pourquoi je contemplais cette fen\u00eatre \u00e0 cet instant pr\u00e9cis. Il fallait que je fasse un effort pour me souvenir de cela aussi, de cette vie de couple, de ce quartier, de ces sept \u00e9tages \u00e0 grimper sans ascenseur, d\u2019effectuer les quelques pas ensuite qui m\u2019am\u00e8neraient devant la porte de cet appartement, d\u2019introduire la cl\u00e9 dans la serrure et d\u2019entrer, puis, au final, de constater que cette fille, assise l\u00e0, \u00e0 la table \u00e0 manger en train d\u2019\u00e9tudier, \u00e9tait celle avec qui je vivais alors.<\/p>",
"content_text": "Je crois, car je ne suis jamais vraiment s\u00fbr de rien, qu\u2019il pronon\u00e7ait cette locution comme un mantra, une pri\u00e8re. Plut\u00f4t que de p\u00e9n\u00e9trer dans cette culpabilit\u00e9 perp\u00e9tuelle encore une fois, je pr\u00e9f\u00e8re croire que pour mon p\u00e8re cette information qu\u2019il d\u00e9sirait me transmettre \u00e0 tout bout de champ, avec laquelle il me martelait plusieurs fois par jour, notamment le dimanche (ce qui tombait comme un cheveu dans la soupe, il faut le pr\u00e9ciser), cette information \u00e9tait pr\u00e9cieuse, d\u2019autant que lui s\u2019abstenait d\u2019en produire dans les domaines qui me semblaient alors les plus importants. J\u2019aurais admir\u00e9 \u00e0 l\u2019\u00e9poque qu\u2019il f\u00eet un effort pour m\u2019emmener avec lui \u00e0 la p\u00eache juste avant le lever du soleil. J\u2019aurais appr\u00e9ci\u00e9 qu\u2019il me parle un peu plus franchement des filles, et aussi qu\u2019il fasse, lui, un effort pour \u00eatre lui-m\u00eame autrement qu\u2019il ne le fit jamais vraiment devant nous. J\u2019aurais appr\u00e9ci\u00e9 qu\u2019il cesse de s\u2019acharner \u00e0 vouloir incarner le bien, modelant en n\u00e9gatif tout ce mal que je me donnais, que nous nous donnions tous afin de tenter de lui plaire, ou tout du moins qu\u2019il nous foute un peu la paix. Il s\u2019\u00e9tait donn\u00e9 beaucoup de mal pour parvenir \u00e0 imiter le plus parfaitement possible tous les codes de la bonne personne, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur de chez nous surtout. Il insistait sur l\u2019impeccabilit\u00e9 de ses costumes et de ses pompes, de sa voiture, et de nos toilettes \u00e0 tous, notamment celle de ma m\u00e8re qui ne pouvait pas sortir comme \u00e7a, maquill\u00e9e comme une pute, avec sa jupe trop courte. Fais donc un effort, lui disait-il aussi. L\u2019effort \u00e9tait donc une sorte de culte autour duquel chaque goutte de sueur, chaque renoncement, chaque plaisir et chaque joie \u00e9taient pass\u00e9s au crible afin d\u2019en diminuer l\u2019intensit\u00e9 excessive, pour que toute scorie inutile reste sur le tamis puis soit jet\u00e9e aux orties. On ne pouvait pas lui en vouloir uniquement pour cela. Mais disons que \u00e7a n\u2019arrangeait certainement pas les choses. \u00c9videmment, aussit\u00f4t que je le pus, je pris le contrepoint, je devins h\u00e9r\u00e9tique, je me posais des questions sur l\u2019effort en g\u00e9n\u00e9ral et sa n\u00e9cessit\u00e9 dans ma vie. Jeune adulte, j\u2019allais emprunter, comme quasiment tout le monde, le sch\u00e9ma familial pour la bonne raison que je n\u2019en imaginais pas d\u2019autre, lorsque, soudain, je me retrouvai seul dans cette ville un soir d\u2019hiver \u00e0 contempler la fen\u00eatre du petit appartement sous les toits que nous partagions alors, ma premi\u00e8re amoureuse s\u00e9rieuse et moi-m\u00eame. \u00c9trange sensation que celle d\u2019\u00eatre en couple et d\u2019\u00e9prouver cette solitude immense. Et pratiquement tout de suite je me suis mis \u00e0 songer \u00e0 mon p\u00e8re \u00e0 nouveau. Lorsqu\u2019il rentrait le week-end et qu\u2019il garait son v\u00e9hicule de fonction devant le mur de la maison. Il ne sortait jamais tout de suite, il prenait toujours un moment comme s\u2019il avait besoin d\u2019un sas. Classait-il des documents, finissait-il une de ses sempiternelles cigarettes en attendant le final d\u2019un air d\u2019op\u00e9ra (il adorait l\u2019op\u00e9ra), ou bien un spot d\u2019information avait-il attir\u00e9 son attention ? Nul ne le sut jamais. D\u2019en bas, je voyais donc cette fen\u00eatre allum\u00e9e et, de temps \u00e0 autre, une ombre qui passait au-del\u00e0. Je me souviens que cela m\u2019est arriv\u00e9 plus d\u2019une fois de me retrouver face \u00e0 cette \u00e9tranget\u00e9, je veux dire qu\u2019\u00e0 ce moment-l\u00e0 je ne savais plus qui j\u2019\u00e9tais, o\u00f9 j\u2019\u00e9tais et pourquoi je contemplais cette fen\u00eatre \u00e0 cet instant pr\u00e9cis. Il fallait que je fasse un effort pour me souvenir de cela aussi, de cette vie de couple, de ce quartier, de ces sept \u00e9tages \u00e0 grimper sans ascenseur, d\u2019effectuer les quelques pas ensuite qui m\u2019am\u00e8neraient devant la porte de cet appartement, d\u2019introduire la cl\u00e9 dans la serrure et d\u2019entrer, puis, au final, de constater que cette fille, assise l\u00e0, \u00e0 la table \u00e0 manger en train d\u2019\u00e9tudier, \u00e9tait celle avec qui je vivais alors. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3690-scaled.jpg?1763746921",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-lesbiennitude.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-lesbiennitude.html",
"title": "La lesbiennitude",
"date_published": "2021-11-09T03:06:42Z",
"date_modified": "2025-11-21T17:27:52Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Comment vous dites ? Nous en \u00e9tions \u00e0 peine \u00e0 l\u2019ap\u00e9ro que d\u00e9j\u00e0 \u00e7a commen\u00e7ait sur les chapeaux de roues. Il d\u00e9ploya soudain sa th\u00e9orie sur l\u2019air du temps et de la mode, notamment ou sp\u00e9cifiquement parigote, alors que nous \u00e9tions rue des Marronniers, attabl\u00e9s chez la M\u00e8re Jean, \u00e0 Lyon un soir o\u00f9 le froid commen\u00e7ait \u00e0 devenir mordant et que j\u2019\u00e9tais, comme toujours, affam\u00e9.<\/p>\n Je n\u2019avais pas train\u00e9 \u00e0 accepter son invitation pour cette unique raison d\u2019ailleurs car j\u2019avais rep\u00e9r\u00e9 imm\u00e9diatement derri\u00e8re le vernis bon march\u00e9, ses costards Armani, ses pompes trop bien cir\u00e9es, et son aga\u00e7ant sourire, le prototype de l\u2019emmerdeur, cat\u00e9gorie faux cul, muni d\u2019un premier accessit de connerie en barres.<\/p>\n Sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 semblait sans limite, sa compassion bien pensante \u00e9tait dans les clous tout comme son apparente bienveillance. On sentait qu\u2019il en avait aval\u00e9 des heures de stages de management.<\/p>\n Et c\u2019\u00e9tait pas de bol vraiment d\u2019avoir \u00e0 le trainer ce soir l\u00e0 dans un \"bouchon\" lui le parisien venu nous aider \u00e0 faire d\u00e9coller le site provincial et \u00e9duquer un peu tous les p\u00e8quenauts qui le hantaient.<\/p>\n Il y avait deux jeunes femmes \u00e0 la table voisine qui se touchaient la main. Et soudain au moment de trinquer au Viognier voil\u00e0 t\u2019y pas qu\u2019il me glisse comme une confidence : vous aussi ici \u00e0 Lyon vous \u00eatre touch\u00e9s par la lesbiennitude ?<\/p>\n C\u2019\u00e9tait tellement con et inopin\u00e9, j\u2019avoue ne pas savoir dans quel ordre mettre ces deux mots tout \u00e0 coup,, que je fis mine de ne pas avoir entendu. Et puis c\u2019est vrai il y a tellement de bruit de fond dans ces \u00e9tablissements surtout quand on commence \u00e0 ne plus tr\u00e8s bien entendre comme cela se produit pass\u00e9 la cinquantaine chez le blanc de type eurasien ordinaire un soir d\u2019automne qui plus est, qu\u2019on pourrait effectivement penser \u00e0 un malentendu tout de go.<\/p>\n Mais \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 j\u2019avais tout \u00e0 fait bien relev\u00e9 le coup d\u2019\u0153il que la jolie rousse lui avait lanc\u00e9 \u00e0 la fin de son pr\u00e9lude sur l\u2019homosexualit\u00e9 f\u00e9minine. Je voulais juste qu\u2019il r\u00e9p\u00e8te et un peu plus fort juste pour voir la suite.<\/p>\n La lesbiennitude c\u2019est le nouveau truc \u00e0 la mode comme auparavant on a eu la n\u00e9gritude. Vous savez ce truc de blanc qui veut comprendre le noir. D\u2019ailleurs Senghor est le pur produit de cette culture occidentale totalement soumise au culte du vide qu\u2019il faut remplir d\u2019un tas de conneries, et non seulement le remplir ce vide mais le propager dans le monde entier si possible.<\/p>\n Le jeune serveur slalomait entre les tables et parvint jusqu\u2019\u00e0 nous pile poil au bon moment pour d\u00e9poser la fameuse salade c\u00e9l\u00e8bre dans le monde entier sauf probablement au Bengladesh quand j\u2019y r\u00e9fl\u00e9chis. Personnellement ce n\u2019est pas dans cet \u00e9tablissement que je la d\u00e9gusterais, mais plut\u00f4t chez Abel dans le quartier d\u2019Anay.<\/p>\n La salade de lentilles par contre ici est tout \u00e0 fait acceptable et c\u2019est pourquoi je remerciais le jeune homme qui la d\u00e9posa devant moi tandis que mon interlocuteur n\u2019eut pas m\u00eame un regard envers lui.<\/p>\n Ce qui acheva de confirmer qu\u2019il n\u2019\u00e9tait qu\u2019un mufle.<\/p>\n Senghor a fait ses \u00e9tudes chez nous vous le saviez n\u2019est ce pas ? Je hochais gravement la t\u00eate en avalant ma premi\u00e8re bouch\u00e9e et je plongeais en parall\u00e8le dans mes souvenirs. Ma m\u00e8re n\u2019\u00e9tait pas dou\u00e9e comme m\u00e8re mais elle \u00e9tait excellente cuisini\u00e8re et sa salade de lentilles \u00e9tait incomparable. Du moins je m\u2019en aper\u00e7us aux abords de l\u2019\u00e2ge adulte parce qu\u2019auparavant j\u2019avoue que je n\u2019accordais qu\u2019un int\u00e9r\u00eat r\u00e9duit \u00e0 ce l\u00e9gume. Il aura fallu que je traverse quelques bonnes p\u00e9riodes de vaches maigres pour que soudain j\u2019attribue une valeur nutritive ind\u00e9niable \u00e0 la lentille et surtout \u00e0 son cout modique.<\/p>\n Je me contentais donc jusqu\u2019\u00e0 la fin de l\u2019entr\u00e9e de quelques hum hum tout en m\u00e2chant consciencieusement et en regardant \u00e9videmment la jolie rousse \u00e0 la table d\u2019\u00e0 cot\u00e9 en train de caresser la main d\u2019une brune non moins jolie en face d\u2019elle. Elle avaient toutes les deux command\u00e9 de la t\u00eate de veau. Ca tombait \u00e0 pic j\u2019avais l\u2019impression.<\/p>\n Ensuite sont arriv\u00e9s les tabliers de sapeurs, plat incontournable que doit absolument ing\u00e9rer tout bon touriste qui se respecte. Ce coup l\u00e0 j\u2019avais command\u00e9 comme mon interlocuteur en esp\u00e9rant que \u00e7a acc\u00e9l\u00e9rait surtout la man\u0153uvre et que ce repas s\u2019ach\u00e8verait le plus rapidement possible.<\/p>\n Ah ah ah le tablier de sapeur dit il soudain suffisamment fort pour que les trois quarts de la salle se retourne vers lui.<\/p>\n Je tentais de rester le plus sto\u00efque possible en la circonstance mais en croisant le regard de la jeune brune cette fois qui se contenait pour ne pas rire ouvertement je me suis demand\u00e9 pourquoi je m\u2019obstinais \u00e0 faire preuve d\u2019autant d\u2019h\u00e9ro\u00efsme devant un tel connard.<\/p>\n Je r\u00e9pondis donc le plus s\u00e9rieusement du monde oh oui le tablier de sapeur tant attendu ! et j\u2019explosais de rire tout \u00e0 coup ce qui \u00e9videmment ne se fait pas, je veux dire pas aussi sauvagement dans une relation de travail tranquille entre coll\u00e8gues.<\/p>\n Les deux copines se tenaient les cotes.<\/p>\n Mon interlocuteur attaqua son gras double et j\u2019eus le sentiment qu\u2019il s\u2019en fourrait plein la lampe comme pour que plus rien ne puisse sortir de sa putain de bouche durant un bon moment. Surtout pas le genre de connerie comme lesbiennitude fallait il esp\u00e9rer.<\/p>\n Mais je dis toujours que pour ne pas \u00eatre d\u00e9\u00e7u il faut s\u2019abstenir de trop esp\u00e9rer.<\/p>\n On acheva le tout avec une tarte \u00e0 la praline, \u00e7a ne le fit pas rire, et un caf\u00e9 puis il sortit sa carte bleue, paya sans laisser de pourboire puis, dit-t \u2019il, il se fait tard je suis crev\u00e9.<\/p>\n Je saluais le serveur en lui glissant un peu de monnaie dans la main en passant, bonne nuit mesdemoiselles aux filles d\u2019\u00e0 cot\u00e9, au revoir tout le monde, bonne soir\u00e9e.<\/p>\n Puis nous nous s\u00e9par\u00e2mes rapidement enfin puisque le parisien logeait au Carlton assez proche et que je devais me taper une bonne marche pour parvenir sur le plateau de la Croix rousse.<\/p>\n Plusieurs fois j\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 ce mot \"lesbiennitude\" et dans le fond il y avait peut \u00eatre un peu de sens dans le fond de le rapprocher de n\u00e9gritude. Ce que les hommes peuvent projeter sur les relations des femmes entre elles leur appartient tout autant que la n\u00e9gritude appartient aux blancs qui consid\u00e8rent les noirs, ou les noirs se mirant au travers d\u2019un \u0153il blanc, je ne sais plus.<\/p>\n Dans le fond je crois que tout \u00e7a ne sont que des conneries destin\u00e9es \u00e0 \u00e9crire des livres et pas grand chose de plus.<\/p>",
"content_text": "Comment vous dites ? Nous en \u00e9tions \u00e0 peine \u00e0 l\u2019ap\u00e9ro que d\u00e9j\u00e0 \u00e7a commen\u00e7ait sur les chapeaux de roues. Il d\u00e9ploya soudain sa th\u00e9orie sur l\u2019air du temps et de la mode, notamment ou sp\u00e9cifiquement parigote, alors que nous \u00e9tions rue des Marronniers, attabl\u00e9s chez la M\u00e8re Jean, \u00e0 Lyon un soir o\u00f9 le froid commen\u00e7ait \u00e0 devenir mordant et que j\u2019\u00e9tais, comme toujours, affam\u00e9. Je n\u2019avais pas train\u00e9 \u00e0 accepter son invitation pour cette unique raison d\u2019ailleurs car j\u2019avais rep\u00e9r\u00e9 imm\u00e9diatement derri\u00e8re le vernis bon march\u00e9, ses costards Armani, ses pompes trop bien cir\u00e9es, et son aga\u00e7ant sourire, le prototype de l\u2019emmerdeur, cat\u00e9gorie faux cul, muni d\u2019un premier accessit de connerie en barres. Sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9 semblait sans limite, sa compassion bien pensante \u00e9tait dans les clous tout comme son apparente bienveillance. On sentait qu\u2019il en avait aval\u00e9 des heures de stages de management. Et c\u2019\u00e9tait pas de bol vraiment d\u2019avoir \u00e0 le trainer ce soir l\u00e0 dans un \"bouchon\" lui le parisien venu nous aider \u00e0 faire d\u00e9coller le site provincial et \u00e9duquer un peu tous les p\u00e8quenauts qui le hantaient. Il y avait deux jeunes femmes \u00e0 la table voisine qui se touchaient la main. Et soudain au moment de trinquer au Viognier voil\u00e0 t\u2019y pas qu\u2019il me glisse comme une confidence : vous aussi ici \u00e0 Lyon vous \u00eatre touch\u00e9s par la lesbiennitude ? C\u2019\u00e9tait tellement con et inopin\u00e9, j\u2019avoue ne pas savoir dans quel ordre mettre ces deux mots tout \u00e0 coup,, que je fis mine de ne pas avoir entendu. Et puis c\u2019est vrai il y a tellement de bruit de fond dans ces \u00e9tablissements surtout quand on commence \u00e0 ne plus tr\u00e8s bien entendre comme cela se produit pass\u00e9 la cinquantaine chez le blanc de type eurasien ordinaire un soir d\u2019automne qui plus est, qu\u2019on pourrait effectivement penser \u00e0 un malentendu tout de go. Mais \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9 j\u2019avais tout \u00e0 fait bien relev\u00e9 le coup d\u2019\u0153il que la jolie rousse lui avait lanc\u00e9 \u00e0 la fin de son pr\u00e9lude sur l\u2019homosexualit\u00e9 f\u00e9minine. Je voulais juste qu\u2019il r\u00e9p\u00e8te et un peu plus fort juste pour voir la suite. La lesbiennitude c\u2019est le nouveau truc \u00e0 la mode comme auparavant on a eu la n\u00e9gritude. Vous savez ce truc de blanc qui veut comprendre le noir. D\u2019ailleurs Senghor est le pur produit de cette culture occidentale totalement soumise au culte du vide qu\u2019il faut remplir d\u2019un tas de conneries, et non seulement le remplir ce vide mais le propager dans le monde entier si possible. Le jeune serveur slalomait entre les tables et parvint jusqu\u2019\u00e0 nous pile poil au bon moment pour d\u00e9poser la fameuse salade c\u00e9l\u00e8bre dans le monde entier sauf probablement au Bengladesh quand j\u2019y r\u00e9fl\u00e9chis. Personnellement ce n\u2019est pas dans cet \u00e9tablissement que je la d\u00e9gusterais, mais plut\u00f4t chez Abel dans le quartier d\u2019Anay. La salade de lentilles par contre ici est tout \u00e0 fait acceptable et c\u2019est pourquoi je remerciais le jeune homme qui la d\u00e9posa devant moi tandis que mon interlocuteur n\u2019eut pas m\u00eame un regard envers lui. Ce qui acheva de confirmer qu\u2019il n\u2019\u00e9tait qu\u2019un mufle. Senghor a fait ses \u00e9tudes chez nous vous le saviez n\u2019est ce pas ? Je hochais gravement la t\u00eate en avalant ma premi\u00e8re bouch\u00e9e et je plongeais en parall\u00e8le dans mes souvenirs. Ma m\u00e8re n\u2019\u00e9tait pas dou\u00e9e comme m\u00e8re mais elle \u00e9tait excellente cuisini\u00e8re et sa salade de lentilles \u00e9tait incomparable. Du moins je m\u2019en aper\u00e7us aux abords de l\u2019\u00e2ge adulte parce qu\u2019auparavant j\u2019avoue que je n\u2019accordais qu\u2019un int\u00e9r\u00eat r\u00e9duit \u00e0 ce l\u00e9gume. Il aura fallu que je traverse quelques bonnes p\u00e9riodes de vaches maigres pour que soudain j\u2019attribue une valeur nutritive ind\u00e9niable \u00e0 la lentille et surtout \u00e0 son cout modique. Je me contentais donc jusqu\u2019\u00e0 la fin de l\u2019entr\u00e9e de quelques hum hum tout en m\u00e2chant consciencieusement et en regardant \u00e9videmment la jolie rousse \u00e0 la table d\u2019\u00e0 cot\u00e9 en train de caresser la main d\u2019une brune non moins jolie en face d\u2019elle. Elle avaient toutes les deux command\u00e9 de la t\u00eate de veau. Ca tombait \u00e0 pic j\u2019avais l\u2019impression. Ensuite sont arriv\u00e9s les tabliers de sapeurs, plat incontournable que doit absolument ing\u00e9rer tout bon touriste qui se respecte. Ce coup l\u00e0 j\u2019avais command\u00e9 comme mon interlocuteur en esp\u00e9rant que \u00e7a acc\u00e9l\u00e9rait surtout la man\u0153uvre et que ce repas s\u2019ach\u00e8verait le plus rapidement possible. Ah ah ah le tablier de sapeur dit il soudain suffisamment fort pour que les trois quarts de la salle se retourne vers lui. Je tentais de rester le plus sto\u00efque possible en la circonstance mais en croisant le regard de la jeune brune cette fois qui se contenait pour ne pas rire ouvertement je me suis demand\u00e9 pourquoi je m\u2019obstinais \u00e0 faire preuve d\u2019autant d\u2019h\u00e9ro\u00efsme devant un tel connard. Je r\u00e9pondis donc le plus s\u00e9rieusement du monde oh oui le tablier de sapeur tant attendu ! et j\u2019explosais de rire tout \u00e0 coup ce qui \u00e9videmment ne se fait pas, je veux dire pas aussi sauvagement dans une relation de travail tranquille entre coll\u00e8gues. Les deux copines se tenaient les cotes. Mon interlocuteur attaqua son gras double et j\u2019eus le sentiment qu\u2019il s\u2019en fourrait plein la lampe comme pour que plus rien ne puisse sortir de sa putain de bouche durant un bon moment. Surtout pas le genre de connerie comme lesbiennitude fallait il esp\u00e9rer. Mais je dis toujours que pour ne pas \u00eatre d\u00e9\u00e7u il faut s\u2019abstenir de trop esp\u00e9rer. On acheva le tout avec une tarte \u00e0 la praline, \u00e7a ne le fit pas rire, et un caf\u00e9 puis il sortit sa carte bleue, paya sans laisser de pourboire puis, dit-t \u2019il, il se fait tard je suis crev\u00e9. Je saluais le serveur en lui glissant un peu de monnaie dans la main en passant, bonne nuit mesdemoiselles aux filles d\u2019\u00e0 cot\u00e9, au revoir tout le monde, bonne soir\u00e9e. Puis nous nous s\u00e9par\u00e2mes rapidement enfin puisque le parisien logeait au Carlton assez proche et que je devais me taper une bonne marche pour parvenir sur le plateau de la Croix rousse. Plusieurs fois j\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 ce mot \"lesbiennitude\" et dans le fond il y avait peut \u00eatre un peu de sens dans le fond de le rapprocher de n\u00e9gritude. Ce que les hommes peuvent projeter sur les relations des femmes entre elles leur appartient tout autant que la n\u00e9gritude appartient aux blancs qui consid\u00e8rent les noirs, ou les noirs se mirant au travers d\u2019un \u0153il blanc, je ne sais plus. Dans le fond je crois que tout \u00e7a ne sont que des conneries destin\u00e9es \u00e0 \u00e9crire des livres et pas grand chose de plus. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20181204_084551.jpg?1763746072",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/rencontre-avec-la-fatigue.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/rencontre-avec-la-fatigue.html",
"title": "Rencontre avec la fatigue",
"date_published": "2021-11-09T01:48:49Z",
"date_modified": "2025-11-21T16:56:54Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Si vous voulez, j\u2019adore cette expression qui annonce en m\u00eame temps qu\u2019elle ponctue l\u2019enfumage. Si vous voulez, je ne vous parlerais pas directement de la douleur, mais vous comprendrez tout de m\u00eame qu\u2019on ne peut pas continuer comme \u00e7a jusqu\u2019\u00e0 la saint Glinglin. Si vous voulez, je prendrai des pincettes mais \u00e7a reviendra au m\u00eame. C\u2019est \u00e0 dire que je vais vous amener \u00e0 louper le train, l\u2019occasion, et \u00e0 retourner \u00e0 la case prison sans empocher 20 000 francs, euros, dollars, yen, jetons en plastique \u00e0 fourrer dans la fente des caddies, m\u00e9dailles en chocolats ou monnaie de singe. Si vous voulez, je vais vous distraire afin que vous vous d\u00e9tourniez de la sacro sainte fatigue d\u2019\u00eatre vous, et aussi par charit\u00e9 bien ordonn\u00e9e, de celle d\u2019\u00eatre moi.<\/p>\n Et si vous protestez, que vous d\u00e9clarez de quoi je me m\u00eale, sale petit pr\u00e9tentieux, avec cette mine que je connais tellement bien, la moue offusqu\u00e9e des petites m\u00e9nag\u00e8res de 17 \u00e0 70 ans qui font leurs coups en douce pour ne pas trop risquer de perdre la s\u00e9curit\u00e9 et les avantages comme les inconv\u00e9nients qui vont de pair \u00e0 la conserver coute que coute pour avoir l\u2019air et aussi le beurre, l\u2019argent du beurre et le cr\u00e9mier, vous ne tromperez plus personne \u00e0 cette heure tardive de la nuit. Surtout pas moi qui veille au c\u0153ur de l\u2019insomnie.<\/p>\n Car de quoi est-t \u2019il vraiment question je vous le demande tout en sachant d\u00e9j\u00e0 que je n\u2019obtiendrai pas de r\u00e9ponse franche. Que vous biaiserez \u00e0 tire larigot, que vous vous fatiguerez \u00e0 vouloir encore une fois esquiver l\u2019obstacle, parce que vous n\u2019avez de regard et d\u2019attention que pour celui-ci, que vous \u00eates borgne. Vous ne vous int\u00e9ressez pas \u00e0 l\u2019essentiel, en tous cas jamais avec la concentration n\u00e9cessaire, parce que vous avez peur de ce que vous dira la fatigue tout bonnement de vos failles et de vos emp\u00eachements, de votre l\u00e2chet\u00e9 chronique et de votre t\u00e9m\u00e9rit\u00e9 \u00e0 deux balles.<\/p>\n Alors oui, d\u2019accord, si vous voulez j\u2019emploierai la forme, j\u2019userai de pr\u00e9liminaires. Je connais cette transe aussi de vouloir progressivement vous transformer en somnambule, ou en flipper, afin de vous accompagner, vous aider \u00e0 vous enfouir totalement dans le mouvement et d\u2019y disparaitre si possible. Fr\u00e9n\u00e9tiquement, f\u00e9brilement, s\u2019il le faut absolument.<\/p>\n Vous ne cessez jamais de dire fais moi r\u00eaver, emporte moi vers cet ailleurs que nous n\u2019atteindrons jamais puisqu\u2019en dehors du sommeil et des r\u00eaves justement nous devrons toujours \u00eatre pr\u00eats pour affronter la grande cruaut\u00e9, comme la grande souffrance, comme l\u2019immense violence du monde, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur comme \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de nous.<\/p>\n Si vous voulez j\u2019irais doucement pour traverser la double contrainte, et pour autant, ne serrez pas trop les fesses, soyez pas rosse.<\/p>\n Elle s\u2019est mise \u00e0 rire. Comment aurait il pu en \u00eatre autrement ?<\/p>\n Cela commence toujours de la m\u00eame fa\u00e7on, depuis le temps je sais tout cela par c\u0153ur.<\/p>\n Et aussi qu\u2019\u00e0 un moment o\u00f9 l\u2019autre le rire s\u2019arr\u00eatera, s\u2019\u00e9puisera, s\u2019\u00e9vanouira pour se transformer en cul de poule, en biais, en accent grave ou aigu, voire circonflexe et revenir \u00e0 nouveau en cul de poule.<\/p>\n La patience est importante dans l\u2019affaire, patience et pugnacit\u00e9. Un peu de compassion de temps en temps \u00e9galement, mais pas trop non plus attention. Il ne s\u2019agit pas de conclure un pacte et de prendre ensuite, la chose dite, \u00e9crite, \u00e0 la lettre, la poudre d\u2019escampette encore de plus belle. Rassur\u00e9es, les yeux bord\u00e9s de reconnaissance et puis de se h\u00e2ter comme prises par une envie de pisser , en s\u2019 allant crier un peu partout quelle vie formidable. Il m\u2019adore il m\u2019aime turlututu chapeau pointu.<\/p>\n Oh \u00e7a non.<\/p>\n Si vous voulez, faites moi confiance c\u2019est tout. C\u2019est beaucoup, c\u2019est \u00e9norme. Et surtout \u00e7a ne se fait absolument pas vis-\u00e0-vis d\u2019 un inconnu. Vous \u00eates vous jamais demand\u00e9 pourquoi ? Pourquoi l\u2019inconnu est par essence indigne de toute confiance ?<\/p>\n Moi oui \u00e9videmment. Sinon qu\u2019aurais je pu faire de tout ce temps ? De toutes ces heures d\u2019insomnie, de la vie toute enti\u00e8re \u00e0 rester \u00e9veill\u00e9 pendant que toutes les villes, toutes les campagnes et sans doute aussi les d\u00e9serts, les oc\u00e9ans et les montagnes se seront l\u2019espace d\u2019une tr\u00e8s longue nuit engouffr\u00e9es dans le n\u00e9ant.<\/p>\n Vous ma fatigue, je vous vois telle que vous \u00eates \u00e0 pr\u00e9sent. Le rire s\u2019est dissip\u00e9 comme une robe qui choit comme une feuille morte qui tourbillonne lentement dans la brise nocturne trainant dans le looping et la volute avant la duret\u00e9 des sols.<\/p>\n Si vous voulez vous pouvez poser la t\u00eate sur mon \u00e9paule et prendre un peu de repos telle que vous \u00eates pendant que je vous masse la nuque et le dos.<\/p>\n Et bien sur mes intentions ne sont pas si nobles mais pourquoi le seraient t\u2019elles ? Qu\u2019est ce qui vous g\u00eanerait donc autant \u00e0 ce point de lassitude o\u00f9 nous en sommes que tout cela ne soit pas noble, ou digne, ou saugrenu totalement ?<\/p>\n Elle se renverse en arri\u00e8re les yeux mi clos et elle me fixe. Comme un serpent qui danse je pense. Si vous voulez je vais chercher ma flute pour vous jouer encore un petit air.<\/p>\n Petite lumi\u00e8re dans l\u2019\u0153il noir, le pli d\u2019expression au coin de la l\u00e8vre tremble imperceptiblement si vous voulez \u00e7a fait toujours un peu \u00e7a.<\/p>\n Pas besoin de flute seule la suggestion pour le moment est utile.<\/p>\n On vient enfin de se rencontrer pour de bon, on ne va pas se quitter tout de suite, prenons le temps arr\u00eatons donc avec l\u2019excitation de l\u2019urgence.<\/p>",
"content_text": " Si vous voulez, j\u2019adore cette expression qui annonce en m\u00eame temps qu\u2019elle ponctue l\u2019enfumage. Si vous voulez, je ne vous parlerais pas directement de la douleur, mais vous comprendrez tout de m\u00eame qu\u2019on ne peut pas continuer comme \u00e7a jusqu\u2019\u00e0 la saint Glinglin. Si vous voulez, je prendrai des pincettes mais \u00e7a reviendra au m\u00eame. C\u2019est \u00e0 dire que je vais vous amener \u00e0 louper le train, l\u2019occasion, et \u00e0 retourner \u00e0 la case prison sans empocher 20 000 francs, euros, dollars, yen, jetons en plastique \u00e0 fourrer dans la fente des caddies, m\u00e9dailles en chocolats ou monnaie de singe. Si vous voulez, je vais vous distraire afin que vous vous d\u00e9tourniez de la sacro sainte fatigue d\u2019\u00eatre vous, et aussi par charit\u00e9 bien ordonn\u00e9e, de celle d\u2019\u00eatre moi. Et si vous protestez, que vous d\u00e9clarez de quoi je me m\u00eale, sale petit pr\u00e9tentieux, avec cette mine que je connais tellement bien, la moue offusqu\u00e9e des petites m\u00e9nag\u00e8res de 17 \u00e0 70 ans qui font leurs coups en douce pour ne pas trop risquer de perdre la s\u00e9curit\u00e9 et les avantages comme les inconv\u00e9nients qui vont de pair \u00e0 la conserver coute que coute pour avoir l\u2019air et aussi le beurre, l\u2019argent du beurre et le cr\u00e9mier, vous ne tromperez plus personne \u00e0 cette heure tardive de la nuit. Surtout pas moi qui veille au c\u0153ur de l\u2019insomnie. Car de quoi est-t \u2019il vraiment question je vous le demande tout en sachant d\u00e9j\u00e0 que je n\u2019obtiendrai pas de r\u00e9ponse franche. Que vous biaiserez \u00e0 tire larigot, que vous vous fatiguerez \u00e0 vouloir encore une fois esquiver l\u2019obstacle, parce que vous n\u2019avez de regard et d\u2019attention que pour celui-ci, que vous \u00eates borgne. Vous ne vous int\u00e9ressez pas \u00e0 l\u2019essentiel, en tous cas jamais avec la concentration n\u00e9cessaire, parce que vous avez peur de ce que vous dira la fatigue tout bonnement de vos failles et de vos emp\u00eachements, de votre l\u00e2chet\u00e9 chronique et de votre t\u00e9m\u00e9rit\u00e9 \u00e0 deux balles. Alors oui, d\u2019accord, si vous voulez j\u2019emploierai la forme, j\u2019userai de pr\u00e9liminaires. Je connais cette transe aussi de vouloir progressivement vous transformer en somnambule, ou en flipper, afin de vous accompagner, vous aider \u00e0 vous enfouir totalement dans le mouvement et d\u2019y disparaitre si possible. Fr\u00e9n\u00e9tiquement, f\u00e9brilement, s\u2019il le faut absolument. Vous ne cessez jamais de dire fais moi r\u00eaver, emporte moi vers cet ailleurs que nous n\u2019atteindrons jamais puisqu\u2019en dehors du sommeil et des r\u00eaves justement nous devrons toujours \u00eatre pr\u00eats pour affronter la grande cruaut\u00e9, comme la grande souffrance, comme l\u2019immense violence du monde, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur comme \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de nous. Si vous voulez j\u2019irais doucement pour traverser la double contrainte, et pour autant, ne serrez pas trop les fesses, soyez pas rosse. Elle s\u2019est mise \u00e0 rire. Comment aurait il pu en \u00eatre autrement ? Cela commence toujours de la m\u00eame fa\u00e7on, depuis le temps je sais tout cela par c\u0153ur. Et aussi qu\u2019\u00e0 un moment o\u00f9 l\u2019autre le rire s\u2019arr\u00eatera, s\u2019\u00e9puisera, s\u2019\u00e9vanouira pour se transformer en cul de poule, en biais, en accent grave ou aigu, voire circonflexe et revenir \u00e0 nouveau en cul de poule. La patience est importante dans l\u2019affaire, patience et pugnacit\u00e9. Un peu de compassion de temps en temps \u00e9galement, mais pas trop non plus attention. Il ne s\u2019agit pas de conclure un pacte et de prendre ensuite, la chose dite, \u00e9crite, \u00e0 la lettre, la poudre d\u2019escampette encore de plus belle. Rassur\u00e9es, les yeux bord\u00e9s de reconnaissance et puis de se h\u00e2ter comme prises par une envie de pisser , en s\u2019 allant crier un peu partout quelle vie formidable. Il m\u2019adore il m\u2019aime turlututu chapeau pointu. Oh \u00e7a non. Si vous voulez, faites moi confiance c\u2019est tout. C\u2019est beaucoup, c\u2019est \u00e9norme. Et surtout \u00e7a ne se fait absolument pas vis-\u00e0-vis d\u2019 un inconnu. Vous \u00eates vous jamais demand\u00e9 pourquoi ? Pourquoi l\u2019inconnu est par essence indigne de toute confiance ? Moi oui \u00e9videmment. Sinon qu\u2019aurais je pu faire de tout ce temps ? De toutes ces heures d\u2019insomnie, de la vie toute enti\u00e8re \u00e0 rester \u00e9veill\u00e9 pendant que toutes les villes, toutes les campagnes et sans doute aussi les d\u00e9serts, les oc\u00e9ans et les montagnes se seront l\u2019espace d\u2019une tr\u00e8s longue nuit engouffr\u00e9es dans le n\u00e9ant. Vous ma fatigue, je vous vois telle que vous \u00eates \u00e0 pr\u00e9sent. Le rire s\u2019est dissip\u00e9 comme une robe qui choit comme une feuille morte qui tourbillonne lentement dans la brise nocturne trainant dans le looping et la volute avant la duret\u00e9 des sols. Si vous voulez vous pouvez poser la t\u00eate sur mon \u00e9paule et prendre un peu de repos telle que vous \u00eates pendant que je vous masse la nuque et le dos. Et bien sur mes intentions ne sont pas si nobles mais pourquoi le seraient t\u2019elles ? Qu\u2019est ce qui vous g\u00eanerait donc autant \u00e0 ce point de lassitude o\u00f9 nous en sommes que tout cela ne soit pas noble, ou digne, ou saugrenu totalement ? Elle se renverse en arri\u00e8re les yeux mi clos et elle me fixe. Comme un serpent qui danse je pense. Si vous voulez je vais chercher ma flute pour vous jouer encore un petit air. Petite lumi\u00e8re dans l\u2019\u0153il noir, le pli d\u2019expression au coin de la l\u00e8vre tremble imperceptiblement si vous voulez \u00e7a fait toujours un peu \u00e7a. Pas besoin de flute seule la suggestion pour le moment est utile. On vient enfin de se rencontrer pour de bon, on ne va pas se quitter tout de suite, prenons le temps arr\u00eatons donc avec l\u2019excitation de l\u2019urgence. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7035.jpg?1763744176",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-peinture-medianimique-notes-sur-l-art-brut.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-peinture-medianimique-notes-sur-l-art-brut.html",
"title": "La peinture \"m\u00e9dianimique\"(notes sur l'art brut)",
"date_published": "2021-11-07T05:01:56Z",
"date_modified": "2025-11-03T14:59:22Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Pour en revenir \u00e0 l’art brut Je me suis mis en t\u00eate de trouver diff\u00e9rents angles d’attaque non pour d\u00e9finir ce qu’est celui-ci, mais afin de sugg\u00e9rer un certain nombre de pistes qui me paraissent f\u00e9condes dans ma fa\u00e7on d’aborder la peinture aujourd’hui.<\/p>\n Si d\u00e9sormais le mot hasard<\/em> revient de plus en plus dans ce que je peux recueillir des processus (les miens et aussi ceux de nombreux autres artistes dont j’ai pu d\u00e9chiffrer la d\u00e9marche) concernant la peinture abstraite, je me demande ce que recouvre v\u00e9ritablement ce mot.<\/p>\n Car dans le fond et \u00e0 la vue de la pudibonderie de notre temps recouvrant d’un voile de pens\u00e9e mainstream<\/em> tout ce qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 explor\u00e9 dans les mines des hauts de France par ce qu’Andr\u00e9 Breton nommait des peintres m\u00e9dianimiques<\/strong>, notamment Augustin Lesage, j’ai des doutes tout \u00e0 coup, et je me demande si ce terme facile de hasard<\/em> n’est pas en quelque sorte de la pudeur plus que tout autre chose. Et lorsque j’emploie ce mot je parle \u00e9videmment du paradoxe excitation-g\u00e8ne<\/em> qui finit par le rendre addictif<\/p>\n Il ferait beau voir que je me targue de peindre, en public et en plein jour, \u00e0 l’\u00e9coute de voix qui me dicteraient tel rouge ou tel jaune, qui s’empareraient de mes mains pour tenir le pinceau et lui faire dessiner et peindre des \u0153uvres directement issues de l’Au-del\u00e0.<\/p>\n J’avoue que j’aurais bien du mal \u00e0 tenir longtemps ce discours sans pouffer \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, idiot que je suis , contamin\u00e9 par la raison bulldozer le rouleau compresseur de la sainte pens\u00e9e unique. Voici pourquoi le hasard convient mieux essentiellement, il ne sert qu’\u00e0 rester dans le groupe, \u00e0 ne pas \u00eatre expulser \u00e0 la marge.<\/p>\n Je pourrais aller chercher des arguments concernant ce fameux hasard que l’on utilise d\u00e9sormais \u00e0 toutes les sauces dans le domaine de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychiatrie, ce ne serait encore que science sans conscience, et donc ruine de l’\u00e2me par ricochet.<\/p>\n J’entends ici la conscience au sens le plus large, c’est \u00e0 dire la perception<\/em> et qui d\u00e9passe de mille coud\u00e9es l’entendement et tout le bric \u00e0 brac raisonnable justement qui l’accompagne.<\/p>\n Suivant l’adage rien ne peut venir \u00e0 la raison sans provenir avant tout de la perception. Encore faut-il s’entendre sur la d\u00e9finition de ces deux mots \u00e9videmment.<\/p>\n Si le but de la raison est seulement d’avoir raison, autant se jeter dans la perception totalement. C’est d’ailleurs la motivation principale de ce projet de textes autour de l’art brut.<\/p>\n Mon intuition est qu’il est une porte ouverte sur la perception \u00e0 l’\u00e9tat pur (brut ?) et que tout le discours que l’on peut tisser pour tenter de l’emprisonner, notamment le discours habituel de l’\u00e9lite lorsqu’elle invente comme cela l’arrange des th\u00e9ories fumeuses sur tel ou tel artiste ne sert encore qu’\u00e0 dissimuler en grande partie ses sources les plus vives.<\/p>\n Nous nous sommes coup\u00e9s de par cette fameuse raison avec sa logique mondialis\u00e9e et blas\u00e9e et d\u00e9sormais par crainte du ridicule aussi, de bien des conversations que les intellectuels, les \u00e9crivains, les artistes du 19eme si\u00e8cle, abordaient notamment sur le spiritisme.<\/p>\n Serions nous aujourd’hui plus intelligents au 21\u00e8me pour d\u00e9clarer que les th\u00e9ories du hasard , de la psychanalyse, de l’inconscient valent mieux que ce sur quoi s’appuyaient de nombreux \u00e9crivains du 19\u00e8me pour cerner le fantastique, le myst\u00e8re, l’ineffable ?<\/p>\n Aujourd’hui on voudrait que tout soit logique tellement que cette qu\u00eate en devient insens\u00e9e et ne produit plus qu’un chaos g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9.<\/p>\n Il peut alors \u00eatre sage, et c’est un pas de g\u00e9ant sans doute vers l’humilit\u00e9 que d’accepter que ce que nous appelons le hasard aujourd’hui est synonyme d’inconnaissable.<\/p>\n Un inconnaissable qui continue \u00e0 attirer vers lui de nombreuses personnes pas toujours bien intentionn\u00e9es et qui chercheraient \u00e9videmment encore \u00e0 contr\u00f4ler quelque chose au travers lui. A contr\u00f4ler les autres \u00e9videmment.<\/p>\n C’est \u00e0 dire qu’il repr\u00e9sente peut-\u00eatre le m\u00eame genre de Nouveau Monde vers lequel voguaient les caravelles, presque en m\u00eame temps que la Peste Noire envahissait l’Europe, sauf l’Italie ce qui permit \u00e0 la Renaissance d’y germer puis de se d\u00e9ployer peu \u00e0 peu dans une Europe convalescence en qu\u00eate d’un sens nouveau.<\/p>\n La gr\u00e2ce ne s’avance pas seule h\u00e9las, elle s’accompagne de ph\u00e9nom\u00e8nes p\u00e9riph\u00e9riques li\u00e9s le plus souvent \u00e0 la vanit\u00e9 et \u00e0 l’orgueil, au profit que l’individu esp\u00e8re tirer de l’inconnaissable pour gouverner et exercer son pouvoir sur l’autre.<\/p>\n Ainsi la d\u00e9couverte du Nouveau Monde, par une nuit du mois d’octobre 1492, s’effectua t’elle totalement \"par hasard\" lorsque les deux caravelles, la Pinta, la Nina et une caraque, \u00e0 la recherche d’une route vers les Indes Orientales, abord\u00e8rent la petite \u00eele de Guanahani, actuel Salvador, dans les Cara\u00efbes. La raison pour laquelle Christophe Colomb dont le projet \u00e9tait de d\u00e9couvrir cette fameuse route, apr\u00e8s plusieurs \u00e9checs de financement fut finalement commandit\u00e9 par la reine Isabelle 1\u00e8re de Castille ( elle fut financ\u00e9e en grande partie, cette exp\u00e9dition , par les taxes et les amendes impos\u00e9s alors aux juifs et musulmans du royaume) \u00e9tait de toute \u00e9vidence principalement commerciale, et dans l’espoir d’augmenter les profits.<\/p>\n Les psychanalystes justement parleraient d’un ph\u00e9nom\u00e8ne r\u00e9current, de r\u00e9p\u00e9tition qui s’effectue aussi longtemps que l’on n’a pas r\u00e9solu le conflit qui en est \u00e0 l’origine.<\/p>\n Ce r\u00eave permanent qui traverse l’histoire de l’humanit\u00e9 selon les \u00e9poques se dissimule sous des couches superficielles que l’on peut appeler l’int\u00e9r\u00eat, le profit, le pouvoir, c’est \u00e0 partir de ces couches les plus superficielles dont s’entoure ce r\u00eave que nait l’histoire telle qu’on veut nous l’enseigner.<\/p>\n Il me semble que nous sommes certainement la partie du monde, occidentale, qui a le plus besoin de revenir \u00e0 ce r\u00eave sans rel\u00e2che du fait que notre pens\u00e9e contemporaine se d\u00e9veloppe d\u00e9sormais totalement coup\u00e9e elle aussi de ses racines sacr\u00e9es. La pens\u00e9e se d\u00e9veloppant en occultant une grande partie de la perception du sacr\u00e9. Le rel\u00e9guant comme ph\u00e9nom\u00e8ne mineur, p\u00e9riph\u00e9rique, anecdotique, ce qui est sans doute une grande erreur provenant de notre individualisme.<\/p>\n Le besoin de croire, d’imaginer, de r\u00eaver, n’est ce pas cela l’essence m\u00eame d’\u00eatre humain avant tout ? Et tous ceux qui en ont profit\u00e9 depuis la nuit des temps le savent et continue d’en profiter tous les jours. Si ce n’est plus par la religion, c’est par le marketing, par la pub, par l’art, par le sexe, par l’amour. Tout est bon d\u00e9sormais pour vendre du r\u00eave, mais ce ne sont plus que des r\u00eaves en toc.<\/p>\n Et avec l’inflation de nos r\u00eaves est directement atteinte notre force vitale.<\/p>\n Ce projet de m’int\u00e9resser de fa\u00e7on s\u00e9rieuse, document\u00e9e, \u00e0 l’art brut ne date pas d’hier. Sans doute parce qu’en grande partie je me sens moi-m\u00eame comme un \u00e9lectron libre face \u00e0 l’Art, \u00e0 la peinture notamment, malgr\u00e9 tout le savoir engrang\u00e9, malgr\u00e9 les \u00e9tudes, malgr\u00e9 l’exp\u00e9rience acquise, le mot autodidacte me colle \u00e0 la peau.<\/p>\n En refusant le cheminement classique qui sans doute d\u00e9j\u00e0 repr\u00e9sentait ce que l’on appelle aujourd’hui la pens\u00e9e unique, sans vraiment le savoir je m’engageais dans le risque, dans l’inconnu, avec une croyance na\u00efve propre \u00e0 tous les jeunes gens de faire du \"nouveau\", \"du neuf\", \"de l’original\".<\/p>\n Encore que lorsque je pense \u00e0 cette na\u00efvet\u00e9 aujourd’hui les mots dont je l’entourais ne me servaient sans doute qu’\u00e0 pr\u00e9server, ou \u00e9prouver celle-ci.<\/p>\n Lorsque j’ai vraiment commenc\u00e9 \u00e0 peindre, je ne parle pas des ann\u00e9es de formation, mais de cet instant o\u00f9 justement j’ai accept\u00e9 de ne rien savoir pour d\u00e9poser mes premi\u00e8res taches sur le papier et sur la toile, j’ai senti quelque chose s’emparer de mon crayon, de mes pinceaux et que j’ai presque aussit\u00f4t mis de cot\u00e9 tant cette chose m’effrayait.<\/p>\n Je me souviens d’une grande feuille de papier de 2m par 1m que j’avais punais\u00e9 au mur de la chambre o\u00f9 j’avais \u00e9chou\u00e9 et sur laquelle avaient surgit des formes et des visages du type Maori. Je peignais d\u00e9j\u00e0 comme je le fais aujourd’hui, en refusant de prendre des mod\u00e8les, je me disais que tout devait venir de l’imagination ou rien.<\/p>\n Cela m’a beaucoup intrigu\u00e9 de voir apparaitre ces visages, des femmes aux formes g\u00e9n\u00e9reuses, r\u00e9alis\u00e9es \u00e0 la gouache. A un moment du tableau j’ai m\u00eame eu une \u00e9trange sensation de familiarit\u00e9 avec le personnage principal du tableau. Et je me souviens de m’\u00eatre dit c’est moi dans une autre vie.<\/p>\n Cela parait \u00e9videment totalement loufoque \u00e0 la lumi\u00e8re de la raison.<\/p>\n Et puis je ne mangeais pas tous les jours \u00e0 ma faim, et puis j’\u00e9tais tout seul durant des jours \u00e0 ne parler \u00e0 personne, sans doute peut on attribuer toute cette histoire au malheur et \u00e0 un besoin compr\u00e9hensible de sublimation.<\/p>\n Bref, en comprenant que je glissais vers une douce folie, j’ai d\u00e9cid\u00e9 de m’imposer une plus grande discipline. Je me suis int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 la fa\u00e7on de gagner de l’argent pour pouvoir me nourrir correctement, j’ai fait de l’exercice, principalement de la marche, et je me suis rendu dans de nombreuses biblioth\u00e8ques de la ville pour c\u00f4toyer du monde, sans pour autant avoir \u00e0 lui parler.<\/p>\n Enfin j’ai \u00f4t\u00e9 du mur ce grand tableau que j’ai roul\u00e9 et rang\u00e9 sous le lit. Pour remettre aussit\u00f4t une autre feuille du m\u00eame format au mur et recommencer.<\/p>\n A ma grande stup\u00e9faction je vis apparaitre alors un personnage de l’ancienne Egypte, puis un autre et tout un d\u00e9cor \u00e9trange que je n’avais de m\u00e9moire jamais vu et qui pourtant me parut aussit\u00f4t familier. Il s’agissait d’un couple dont j’\u00e9tais le serviteur, peut-\u00eatre un modeste scribe.<\/p>\n Quelques ann\u00e9es plus tard je travaillais au mus\u00e9e du Louvres comme ma\u00eetre Jacques et je tombai tout \u00e0 coup sur le Scribe accroupi dans les salles Egyptiennes. Le choc fut d’une violence telle que je faillais tomber dans les pommes. C’\u00e9tait comme si je me voyais soudain dans un miroir, mais dans la peau d’un autre. Et aussit\u00f4t je repensais \u00e0 cette peinture que j’avais effectu\u00e9 comme en transe dans ma petite chambre d’h\u00f4tel et qui repr\u00e9sentait une sc\u00e8ne de l’ancienne Egypte.<\/p>\n Il y a donc bien malgr\u00e9 toute la raison que je me targue de poss\u00e9der une porosit\u00e9 certaine par laquelle le myst\u00e8re l’\u00e9trange, l’inconnu se fraie depuis toujours un chemin pour tenter de parvenir \u00e0 ma conscience.<\/p>\n Et \u00e0 chaque fois le m\u00eame sc\u00e9nario recommence, je me dis que je deviens cingl\u00e9, que j’ai des hallus, que c’est probablement une carence en potassium ou en magn\u00e9sium. Bref j’\u00e9lude.<\/p>\n Et en m\u00eame temps je ne peux me d\u00e9tacher totalement de cette part de moi-m\u00eame vuln\u00e9rable, enfantine, qui semble attir\u00e9e obstin\u00e9ment vers tous les contes \u00e0 dormir debout, vers le surnaturel, vers le hasard.<\/p>\n C’est l\u00e0 sans doute l’essence m\u00eame du conflit qui m’habite depuis toujours, cette lutte permanente entre raison et d\u00e9raison et je ne saurais dire laquelle de ces deux forces en pr\u00e9sence a le dessus tant elles sont \u00e9quivalentes dans leur puissance.<\/p>\n La lucidit\u00e9 me sert \u00e0 examiner ce que l’on appelle facilement la folie et cette derni\u00e8re ne cesse de remettre en question la fiction que repr\u00e9sente pour elle la pens\u00e9e logique, rationnelle. C’est ainsi que j’avance et recule sans arr\u00eat dans ce jeu de l’oie. Avec parfois la sensation d’atteindre \u00e0 la clart\u00e9 tandis que d’autres fois je m’enfonce comme un bouchon dans les profondeurs les plus troubles, les plus sombres, les moins explicables.<\/p>\n Par ce projet d’\u00e9tudier l’art brut, j’esp\u00e8re r\u00e9soudre sans doute un peu plus ce conflit mais je vois d\u00e9j\u00e0 qu’il ne s’agit pas de trouver une solution plut\u00f4t que d’effectuer un choix comme dans le film \"les aventuriers de l’Arche perdue\" o\u00f9 le h\u00e9ros doit emprunter un pont invisible. Poser le premier pas dans le vide c’est faire acte de foi envers cette folie, cet inconnu. C’est aussi selon les r\u00e8gles poss\u00e9der un \"c\u0153ur pur\".<\/p>\n Est ce que ce que j’imagine de ces artistes de l’art brut n’est pas tout simplement encore une sorte de fantasme ? Est ce qu’ils ont v\u00e9ritablement le c\u0153ur pur ? C’est \u00e0 dire est ce qu’ils ont pr\u00e9serv\u00e9 en eux la meilleure part de cette enfance que nous regrettons souvent nostalgiquement et qui sans doute n’est rien d’autre qu’une fiction comme tout le reste ?<\/p>\n Souvent je repense \u00e0 mes d\u00e9buts en informatique et je me dis qu’ils ressemblent beaucoup \u00e0 mes d\u00e9buts en peinture. Je crois que j’ai pass\u00e9 de nombreuses ann\u00e9es \u00e0 reformater mes disques durs lorsque je d\u00e9couvrais tout \u00e0 coup que j’avais rempli leur m\u00e9moire de tout un fatras de choses inutiles. De m\u00eame que j’ai recouvert d’innombrables toiles d’enduit pour ne plus voir les sottises que j’y avais dessin\u00e9 ou peint.<\/p>\n Cela fait longtemps que je ne formate plus et que je recouvre beaucoup moins d’enduit qu’auparavant. Je crois que ce besoin d’ordre, de perfection, comme de cette fameuse puret\u00e9 m’ont quitt\u00e9 avec l’\u00e2ge. Je suis plus tol\u00e9rant envers moi-m\u00eame. Encore que tr\u00e8s exigeant toujours. C’est \u00e0 dire que cette exigence s’appuie sur autre chose d\u00e9sormais. Peut-\u00eatre pas tant d’avoir un c\u0153ur reformat\u00e9 , un soi disant c\u0153ur pur, ce genre de c\u0153ur qui m\u00e8ne \u00e0 l’inquisition et au fascisme sans m\u00eame que l’on s’en rende compte. Je crois que c’est plus une notion musicale de justesse qui m’oblige \u00e0 cette exigence.<\/p>\n Si la note n’est pas juste c’est que l’instrument est mal accord\u00e9 ou que le joueur s’\u00e9coute encore trop jouer.<\/p>\n Il est possible alors que ces artistes qui ne s’appuient pas sur la pens\u00e9e, sur la logique, la rationalit\u00e9 pour cr\u00e9er, ces artistes de l’art brut, ces artistes m\u00e9dianimiques <\/em>ont trouv\u00e9 une solution en prenant ce qu’ils nomment les esprits<\/em> pour se laisser aller \u00e0 cr\u00e9er ce qui de toutes fa\u00e7ons doit se cr\u00e9er.<\/p>\n En cela il s’agit encore une fois d’univers particuliers avec des grilles de lectures particuli\u00e8res du monde. J’ai toujours pens\u00e9 que c’\u00e9tait cela l’essentiel \u00e0 comprendre, ces langages, ces grilles de lecture. Qu’elles soient pertinemment per\u00e7ues par le plus grand nombre comme la religion, la politique, la psychanalyse, o\u00f9 bien par une minorit\u00e9 comme le spiritisme, le chamanisme, la peinture intuitive, cela ne remet pas vraiment en question leur r\u00f4le de m\u00e9diatrice avec l’inconnaissable.<\/p>\n Hier je me disais encore que j’aimerais voir une chose simple, une feuille, une goutte d’eau, un pot sans tout ce que je ne cesse de coller dessus comme interpr\u00e9tation, que ce soit par le mental et par mes propres perceptions. Je me posais cette question de savoir si ces choses simples existaient vraiment en dehors de moi, sans moi, et comment elles apparaitraient alors dans ce qu’imagine \u00eatre encore un \"absolu\". Dans leur essence.<\/p>\n C’est l\u00e0 l’extr\u00eame de mon orgueil encore tr\u00e8s certainement que de vouloir voir au del\u00e0 de l’\u00eatre, sans doute au del\u00e0 de Dieu \u00e9galement. C’est voir ce que Castan\u00e9da nomme le nagual au del\u00e0 du tonal.<\/p>\n Est ce vraiment de l’orgueil d’ailleurs, je crois qu’on utilise aussi ce mot comme on utilise le mot hasard.<\/p>\n Ce que dissimule l’orgueil est encore autre chose, au del\u00e0 de la superficialit\u00e9 que l’on attribue \u00e0 la b\u00eatise, au besoin d’\u00eatre aim\u00e9, \u00e0 la reconnaissance, \u00e0 l’envie de dominer, \u00e0 la peur d’\u00eatre nu.<\/p>\n Chez les grecs anciens, on n’aurait pas compris qu’un h\u00e9ros ne soit pas orgueilleux au m\u00eame titre que les dieux eux-m\u00eames l’\u00e9taient. C’est de cet orgueil l\u00e0 dont il faudrait parler, un orgueil comme une force et qui n’aurait pas d’autre profit de celui de pouvoir se d\u00e9ployer comme la mer se d\u00e9ploie, comme le tonnerre tonne, comme le vent parcours le monde.<\/p>\n Je demande pardon au lecteur pour la longueur inconsid\u00e9r\u00e9 de cet article que je devrais sans doute remanier comme de nombreux autres. Mais cela me semble aussi honn\u00eate de montrer la naissance d’une pens\u00e9e, d’un projet \u00e0 ses d\u00e9buts. C’est aussi montrer d’une certaine mani\u00e8re un d\u00e9but d’ob\u00e9issance \u00e0 quelque chose qui s’\u00e9crit au travers de ce personnage de blogueur. Parce qu’il n’y a \u00e9videmment pas qu’en peinture que la possibilit\u00e9 m\u00e9dianimique s’op\u00e8re, dans l’\u00e9criture aussi, cela je le sais depuis le d\u00e9but.<\/p>",
"content_text": "Du spiritisme aux th\u00e9ories sur le hasard.Le hasard est comme un iceberg, on n'en voit que la partie visible, celle du temps pr\u00e9sent.\n\nPour en revenir \u00e0 l'art brut Je me suis mis en t\u00eate de trouver diff\u00e9rents angles d'attaque non pour d\u00e9finir ce qu'est celui-ci, mais afin de sugg\u00e9rer un certain nombre de pistes qui me paraissent f\u00e9condes dans ma fa\u00e7on d'aborder la peinture aujourd'hui.\n\nSi d\u00e9sormais le mot hasard revient de plus en plus dans ce que je peux recueillir des processus (les miens et aussi ceux de nombreux autres artistes dont j'ai pu d\u00e9chiffrer la d\u00e9marche) concernant la peinture abstraite, je me demande ce que recouvre v\u00e9ritablement ce mot.\n\nCar dans le fond et \u00e0 la vue de la pudibonderie de notre temps recouvrant d'un voile de pens\u00e9e mainstream tout ce qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 explor\u00e9 dans les mines des hauts de France par ce qu'Andr\u00e9 Breton nommait des peintres m\u00e9dianimiques, notamment Augustin Lesage, j'ai des doutes tout \u00e0 coup, et je me demande si ce terme facile de hasard n'est pas en quelque sorte de la pudeur plus que tout autre chose. Et lorsque j'emploie ce mot je parle \u00e9videmment du paradoxe excitation-g\u00e8ne qui finit par le rendre addictif\n\nIl ferait beau voir que je me targue de peindre, en public et en plein jour, \u00e0 l'\u00e9coute de voix qui me dicteraient tel rouge ou tel jaune, qui s'empareraient de mes mains pour tenir le pinceau et lui faire dessiner et peindre des \u0153uvres directement issues de l'Au-del\u00e0.\n\nJ'avoue que j'aurais bien du mal \u00e0 tenir longtemps ce discours sans pouffer \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, idiot que je suis , contamin\u00e9 par la raison bulldozer le rouleau compresseur de la sainte pens\u00e9e unique. Voici pourquoi le hasard convient mieux essentiellement, il ne sert qu'\u00e0 rester dans le groupe, \u00e0 ne pas \u00eatre expulser \u00e0 la marge.\n\nJe pourrais aller chercher des arguments concernant ce fameux hasard que l'on utilise d\u00e9sormais \u00e0 toutes les sauces dans le domaine de la psychologie, de la psychanalyse, de la psychiatrie, ce ne serait encore que science sans conscience, et donc ruine de l'\u00e2me par ricochet.\n\nJ'entends ici la conscience au sens le plus large, c'est \u00e0 dire la perception et qui d\u00e9passe de mille coud\u00e9es l'entendement et tout le bric \u00e0 brac raisonnable justement qui l'accompagne. Il n'y a pas de raison sans perception\n\nSuivant l'adage rien ne peut venir \u00e0 la raison sans provenir avant tout de la perception. Encore faut-il s'entendre sur la d\u00e9finition de ces deux mots \u00e9videmment.\n\nSi le but de la raison est seulement d'avoir raison, autant se jeter dans la perception totalement. C'est d'ailleurs la motivation principale de ce projet de textes autour de l'art brut.\n\nMon intuition est qu'il est une porte ouverte sur la perception \u00e0 l'\u00e9tat pur (brut?) et que tout le discours que l'on peut tisser pour tenter de l'emprisonner, notamment le discours habituel de l'\u00e9lite lorsqu'elle invente comme cela l'arrange des th\u00e9ories fumeuses sur tel ou tel artiste ne sert encore qu'\u00e0 dissimuler en grande partie ses sources les plus vives.\n\nNous nous sommes coup\u00e9s de par cette fameuse raison avec sa logique mondialis\u00e9e et blas\u00e9e et d\u00e9sormais par crainte du ridicule aussi, de bien des conversations que les intellectuels, les \u00e9crivains, les artistes du 19eme si\u00e8cle, abordaient notamment sur le spiritisme.Serions nous plus intelligents que nos pr\u00e9d\u00e9cesseurs o\u00f9 plus d\u00e9sabus\u00e9s ?\n\nSerions nous aujourd'hui plus intelligents au 21\u00e8me pour d\u00e9clarer que les th\u00e9ories du hasard , de la psychanalyse, de l'inconscient valent mieux que ce sur quoi s'appuyaient de nombreux \u00e9crivains du 19\u00e8me pour cerner le fantastique, le myst\u00e8re, l'ineffable ?\n\nAujourd'hui on voudrait que tout soit logique tellement que cette qu\u00eate en devient insens\u00e9e et ne produit plus qu'un chaos g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9.\n\nIl peut alors \u00eatre sage, et c'est un pas de g\u00e9ant sans doute vers l'humilit\u00e9 que d'accepter que ce que nous appelons le hasard aujourd'hui est synonyme d'inconnaissable. \n\nUn inconnaissable qui continue \u00e0 attirer vers lui de nombreuses personnes pas toujours bien intentionn\u00e9es et qui chercheraient \u00e9videmment encore \u00e0 contr\u00f4ler quelque chose au travers lui. A contr\u00f4ler les autres \u00e9videmment. \n\nC'est \u00e0 dire qu'il repr\u00e9sente peut-\u00eatre le m\u00eame genre de Nouveau Monde vers lequel voguaient les caravelles, presque en m\u00eame temps que la Peste Noire envahissait l'Europe, sauf l'Italie ce qui permit \u00e0 la Renaissance d'y germer puis de se d\u00e9ployer peu \u00e0 peu dans une Europe convalescence en qu\u00eate d'un sens nouveau.\n\nLa gr\u00e2ce ne s'avance pas seule h\u00e9las, elle s'accompagne de ph\u00e9nom\u00e8nes p\u00e9riph\u00e9riques li\u00e9s le plus souvent \u00e0 la vanit\u00e9 et \u00e0 l'orgueil, au profit que l'individu esp\u00e8re tirer de l'inconnaissable pour gouverner et exercer son pouvoir sur l'autre.\n\nAinsi la d\u00e9couverte du Nouveau Monde, par une nuit du mois d'octobre 1492, s'effectua t'elle totalement \"par hasard\" lorsque les deux caravelles, la Pinta, la Nina et une caraque, \u00e0 la recherche d'une route vers les Indes Orientales, abord\u00e8rent la petite \u00eele de Guanahani, actuel Salvador, dans les Cara\u00efbes. La raison pour laquelle Christophe Colomb dont le projet \u00e9tait de d\u00e9couvrir cette fameuse route, apr\u00e8s plusieurs \u00e9checs de financement fut finalement commandit\u00e9 par la reine Isabelle 1\u00e8re de Castille ( elle fut financ\u00e9e en grande partie, cette exp\u00e9dition , par les taxes et les amendes impos\u00e9s alors aux juifs et musulmans du royaume) \u00e9tait de toute \u00e9vidence principalement commerciale, et dans l'espoir d'augmenter les profits.Possible que chaque \u00e9poque r\u00eave d'un nouveau monde \n\nLes psychanalystes justement parleraient d'un ph\u00e9nom\u00e8ne r\u00e9current, de r\u00e9p\u00e9tition qui s'effectue aussi longtemps que l'on n'a pas r\u00e9solu le conflit qui en est \u00e0 l'origine.\n\nCe r\u00eave permanent qui traverse l'histoire de l'humanit\u00e9 selon les \u00e9poques se dissimule sous des couches superficielles que l'on peut appeler l'int\u00e9r\u00eat, le profit, le pouvoir, c'est \u00e0 partir de ces couches les plus superficielles dont s'entoure ce r\u00eave que nait l'histoire telle qu'on veut nous l'enseigner.\n\nIl me semble que nous sommes certainement la partie du monde, occidentale, qui a le plus besoin de revenir \u00e0 ce r\u00eave sans rel\u00e2che du fait que notre pens\u00e9e contemporaine se d\u00e9veloppe d\u00e9sormais totalement coup\u00e9e elle aussi de ses racines sacr\u00e9es. La pens\u00e9e se d\u00e9veloppant en occultant une grande partie de la perception du sacr\u00e9. Le rel\u00e9guant comme ph\u00e9nom\u00e8ne mineur, p\u00e9riph\u00e9rique, anecdotique, ce qui est sans doute une grande erreur provenant de notre individualisme.\n\nLe besoin de croire, d'imaginer, de r\u00eaver, n'est ce pas cela l'essence m\u00eame d'\u00eatre humain avant tout ? Et tous ceux qui en ont profit\u00e9 depuis la nuit des temps le savent et continue d'en profiter tous les jours. Si ce n'est plus par la religion, c'est par le marketing, par la pub, par l'art, par le sexe, par l'amour. Tout est bon d\u00e9sormais pour vendre du r\u00eave, mais ce ne sont plus que des r\u00eaves en toc.\n\nEt avec l'inflation de nos r\u00eaves est directement atteinte notre force vitale.C'est pourquoi l'art brut me semble aussi \u00eatre une voie, un sentier sur lequel cheminer dans la brume de cet automne occidental. \n\nCe projet de m'int\u00e9resser de fa\u00e7on s\u00e9rieuse, document\u00e9e, \u00e0 l'art brut ne date pas d'hier. Sans doute parce qu'en grande partie je me sens moi-m\u00eame comme un \u00e9lectron libre face \u00e0 l'Art, \u00e0 la peinture notamment, malgr\u00e9 tout le savoir engrang\u00e9, malgr\u00e9 les \u00e9tudes, malgr\u00e9 l'exp\u00e9rience acquise, le mot autodidacte me colle \u00e0 la peau.\n\nEn refusant le cheminement classique qui sans doute d\u00e9j\u00e0 repr\u00e9sentait ce que l'on appelle aujourd'hui la pens\u00e9e unique, sans vraiment le savoir je m'engageais dans le risque, dans l'inconnu, avec une croyance na\u00efve propre \u00e0 tous les jeunes gens de faire du \"nouveau\", \"du neuf\", \"de l'original\".\n\nEncore que lorsque je pense \u00e0 cette na\u00efvet\u00e9 aujourd'hui les mots dont je l'entourais ne me servaient sans doute qu'\u00e0 pr\u00e9server, ou \u00e9prouver celle-ci.\n\nLorsque j'ai vraiment commenc\u00e9 \u00e0 peindre, je ne parle pas des ann\u00e9es de formation, mais de cet instant o\u00f9 justement j'ai accept\u00e9 de ne rien savoir pour d\u00e9poser mes premi\u00e8res taches sur le papier et sur la toile, j'ai senti quelque chose s'emparer de mon crayon, de mes pinceaux et que j'ai presque aussit\u00f4t mis de cot\u00e9 tant cette chose m'effrayait.\n\nJe me souviens d'une grande feuille de papier de 2m par 1m que j'avais punais\u00e9 au mur de la chambre o\u00f9 j'avais \u00e9chou\u00e9 et sur laquelle avaient surgit des formes et des visages du type Maori. Je peignais d\u00e9j\u00e0 comme je le fais aujourd'hui, en refusant de prendre des mod\u00e8les, je me disais que tout devait venir de l'imagination ou rien.\n\nCela m'a beaucoup intrigu\u00e9 de voir apparaitre ces visages, des femmes aux formes g\u00e9n\u00e9reuses, r\u00e9alis\u00e9es \u00e0 la gouache. A un moment du tableau j'ai m\u00eame eu une \u00e9trange sensation de familiarit\u00e9 avec le personnage principal du tableau. Et je me souviens de m'\u00eatre dit c'est moi dans une autre vie.\n\nCela parait \u00e9videment totalement loufoque \u00e0 la lumi\u00e8re de la raison.\n\nEt puis je ne mangeais pas tous les jours \u00e0 ma faim, et puis j'\u00e9tais tout seul durant des jours \u00e0 ne parler \u00e0 personne, sans doute peut on attribuer toute cette histoire au malheur et \u00e0 un besoin compr\u00e9hensible de sublimation.\n\nBref, en comprenant que je glissais vers une douce folie, j'ai d\u00e9cid\u00e9 de m'imposer une plus grande discipline. Je me suis int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 la fa\u00e7on de gagner de l'argent pour pouvoir me nourrir correctement, j'ai fait de l'exercice, principalement de la marche, et je me suis rendu dans de nombreuses biblioth\u00e8ques de la ville pour c\u00f4toyer du monde, sans pour autant avoir \u00e0 lui parler.\n\nEnfin j'ai \u00f4t\u00e9 du mur ce grand tableau que j'ai roul\u00e9 et rang\u00e9 sous le lit. Pour remettre aussit\u00f4t une autre feuille du m\u00eame format au mur et recommencer.\n\nA ma grande stup\u00e9faction je vis apparaitre alors un personnage de l'ancienne Egypte, puis un autre et tout un d\u00e9cor \u00e9trange que je n'avais de m\u00e9moire jamais vu et qui pourtant me parut aussit\u00f4t familier. Il s'agissait d'un couple dont j'\u00e9tais le serviteur, peut-\u00eatre un modeste scribe. \n\nQuelques ann\u00e9es plus tard je travaillais au mus\u00e9e du Louvres comme ma\u00eetre Jacques et je tombai tout \u00e0 coup sur le Scribe accroupi dans les salles Egyptiennes. Le choc fut d'une violence telle que je faillais tomber dans les pommes. C'\u00e9tait comme si je me voyais soudain dans un miroir, mais dans la peau d'un autre. Et aussit\u00f4t je repensais \u00e0 cette peinture que j'avais effectu\u00e9 comme en transe dans ma petite chambre d'h\u00f4tel et qui repr\u00e9sentait une sc\u00e8ne de l'ancienne Egypte.\n\nIl y a donc bien malgr\u00e9 toute la raison que je me targue de poss\u00e9der une porosit\u00e9 certaine par laquelle le myst\u00e8re l'\u00e9trange, l'inconnu se fraie depuis toujours un chemin pour tenter de parvenir \u00e0 ma conscience.\n\nEt \u00e0 chaque fois le m\u00eame sc\u00e9nario recommence, je me dis que je deviens cingl\u00e9, que j'ai des hallus, que c'est probablement une carence en potassium ou en magn\u00e9sium. Bref j'\u00e9lude.\n\nEt en m\u00eame temps je ne peux me d\u00e9tacher totalement de cette part de moi-m\u00eame vuln\u00e9rable, enfantine, qui semble attir\u00e9e obstin\u00e9ment vers tous les contes \u00e0 dormir debout, vers le surnaturel, vers le hasard.\n\nC'est l\u00e0 sans doute l'essence m\u00eame du conflit qui m'habite depuis toujours, cette lutte permanente entre raison et d\u00e9raison et je ne saurais dire laquelle de ces deux forces en pr\u00e9sence a le dessus tant elles sont \u00e9quivalentes dans leur puissance.\n\nLa lucidit\u00e9 me sert \u00e0 examiner ce que l'on appelle facilement la folie et cette derni\u00e8re ne cesse de remettre en question la fiction que repr\u00e9sente pour elle la pens\u00e9e logique, rationnelle. C'est ainsi que j'avance et recule sans arr\u00eat dans ce jeu de l'oie. Avec parfois la sensation d'atteindre \u00e0 la clart\u00e9 tandis que d'autres fois je m'enfonce comme un bouchon dans les profondeurs les plus troubles, les plus sombres, les moins explicables.Le fantasme de retrouver un c\u0153ur pur \n\nPar ce projet d'\u00e9tudier l'art brut, j'esp\u00e8re r\u00e9soudre sans doute un peu plus ce conflit mais je vois d\u00e9j\u00e0 qu'il ne s'agit pas de trouver une solution plut\u00f4t que d'effectuer un choix comme dans le film \"les aventuriers de l'Arche perdue\" o\u00f9 le h\u00e9ros doit emprunter un pont invisible. Poser le premier pas dans le vide c'est faire acte de foi envers cette folie, cet inconnu. C'est aussi selon les r\u00e8gles poss\u00e9der un \"c\u0153ur pur\".\n\nEst ce que ce que j'imagine de ces artistes de l'art brut n'est pas tout simplement encore une sorte de fantasme ? Est ce qu'ils ont v\u00e9ritablement le c\u0153ur pur ? C'est \u00e0 dire est ce qu'ils ont pr\u00e9serv\u00e9 en eux la meilleure part de cette enfance que nous regrettons souvent nostalgiquement et qui sans doute n'est rien d'autre qu'une fiction comme tout le reste ?\n\nSouvent je repense \u00e0 mes d\u00e9buts en informatique et je me dis qu'ils ressemblent beaucoup \u00e0 mes d\u00e9buts en peinture. Je crois que j'ai pass\u00e9 de nombreuses ann\u00e9es \u00e0 reformater mes disques durs lorsque je d\u00e9couvrais tout \u00e0 coup que j'avais rempli leur m\u00e9moire de tout un fatras de choses inutiles. De m\u00eame que j'ai recouvert d'innombrables toiles d'enduit pour ne plus voir les sottises que j'y avais dessin\u00e9 ou peint.\n\nCela fait longtemps que je ne formate plus et que je recouvre beaucoup moins d'enduit qu'auparavant. Je crois que ce besoin d'ordre, de perfection, comme de cette fameuse puret\u00e9 m'ont quitt\u00e9 avec l'\u00e2ge. Je suis plus tol\u00e9rant envers moi-m\u00eame. Encore que tr\u00e8s exigeant toujours. C'est \u00e0 dire que cette exigence s'appuie sur autre chose d\u00e9sormais. Peut-\u00eatre pas tant d'avoir un c\u0153ur reformat\u00e9 , un soi disant c\u0153ur pur, ce genre de c\u0153ur qui m\u00e8ne \u00e0 l'inquisition et au fascisme sans m\u00eame que l'on s'en rende compte. Je crois que c'est plus une notion musicale de justesse qui m'oblige \u00e0 cette exigence.\n\nSi la note n'est pas juste c'est que l'instrument est mal accord\u00e9 ou que le joueur s'\u00e9coute encore trop jouer.\n\nIl est possible alors que ces artistes qui ne s'appuient pas sur la pens\u00e9e, sur la logique, la rationalit\u00e9 pour cr\u00e9er, ces artistes de l'art brut, ces artistes m\u00e9dianimiques ont trouv\u00e9 une solution en prenant ce qu'ils nomment les esprits pour se laisser aller \u00e0 cr\u00e9er ce qui de toutes fa\u00e7ons doit se cr\u00e9er.\n\nEn cela il s'agit encore une fois d'univers particuliers avec des grilles de lectures particuli\u00e8res du monde. J'ai toujours pens\u00e9 que c'\u00e9tait cela l'essentiel \u00e0 comprendre, ces langages, ces grilles de lecture. Qu'elles soient pertinemment per\u00e7ues par le plus grand nombre comme la religion, la politique, la psychanalyse, o\u00f9 bien par une minorit\u00e9 comme le spiritisme, le chamanisme, la peinture intuitive, cela ne remet pas vraiment en question leur r\u00f4le de m\u00e9diatrice avec l'inconnaissable.L'inconnaissable. \n\nHier je me disais encore que j'aimerais voir une chose simple, une feuille, une goutte d'eau, un pot sans tout ce que je ne cesse de coller dessus comme interpr\u00e9tation, que ce soit par le mental et par mes propres perceptions. Je me posais cette question de savoir si ces choses simples existaient vraiment en dehors de moi, sans moi, et comment elles apparaitraient alors dans ce qu'imagine \u00eatre encore un \"absolu\". Dans leur essence.\n\nC'est l\u00e0 l'extr\u00eame de mon orgueil encore tr\u00e8s certainement que de vouloir voir au del\u00e0 de l'\u00eatre, sans doute au del\u00e0 de Dieu \u00e9galement. C'est voir ce que Castan\u00e9da nomme le nagual au del\u00e0 du tonal.\n\nEst ce vraiment de l'orgueil d'ailleurs, je crois qu'on utilise aussi ce mot comme on utilise le mot hasard.\n\nCe que dissimule l'orgueil est encore autre chose, au del\u00e0 de la superficialit\u00e9 que l'on attribue \u00e0 la b\u00eatise, au besoin d'\u00eatre aim\u00e9, \u00e0 la reconnaissance, \u00e0 l'envie de dominer, \u00e0 la peur d'\u00eatre nu.\n\nChez les grecs anciens, on n'aurait pas compris qu'un h\u00e9ros ne soit pas orgueilleux au m\u00eame titre que les dieux eux-m\u00eames l'\u00e9taient. C'est de cet orgueil l\u00e0 dont il faudrait parler, un orgueil comme une force et qui n'aurait pas d'autre profit de celui de pouvoir se d\u00e9ployer comme la mer se d\u00e9ploie, comme le tonnerre tonne, comme le vent parcours le monde.\n\nJe demande pardon au lecteur pour la longueur inconsid\u00e9r\u00e9 de cet article que je devrais sans doute remanier comme de nombreux autres. Mais cela me semble aussi honn\u00eate de montrer la naissance d'une pens\u00e9e, d'un projet \u00e0 ses d\u00e9buts. C'est aussi montrer d'une certaine mani\u00e8re un d\u00e9but d'ob\u00e9issance \u00e0 quelque chose qui s'\u00e9crit au travers de ce personnage de blogueur. Parce qu'il n'y a \u00e9videmment pas qu'en peinture que la possibilit\u00e9 m\u00e9dianimique s'op\u00e8re, dans l'\u00e9criture aussi, cela je le sais depuis le d\u00e9but.",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lesage1.webp?1762181826",
"tags": ["peinture", "r\u00e9flexions sur l'art"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-empechement.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-empechement.html",
"title": "L\u2019emp\u00eachement",
"date_published": "2021-11-06T02:34:52Z",
"date_modified": "2025-11-21T16:30:00Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Il suffit que je me dise : me voici en vacances pour que, tout \u00e0 coup, tout se d\u00e9glingue. C\u2019est, avec l\u2019exp\u00e9rience, l\u2019une des raisons pour lesquelles je maintiens mes cours, en g\u00e9n\u00e9ral, la premi\u00e8re semaine. Soit je tombe malade, soit je d\u00e9prime. Le plus souvent les deux ensemble. J\u2019ai beau chercher \u00e0 me souvenir, il faut que je remonte vraiment tr\u00e8s loin pour ne pas retrouver le m\u00eame processus. Et lorsque, tout \u00e0 coup, je me retrouve face \u00e0 la vacance, sept jours o\u00f9 je suis totalement libre de faire ou de ne rien faire, patatra, je vois les jours filer, t\u00e9tanis\u00e9, sans rien foutre. \u00c0 peine quelques dessins sur la tablette et quelques textes, le tout extrait au forceps. Il y a cette sorte d\u2019emp\u00eachement magistral qui, sit\u00f4t qu\u2019il trouve une faille, envahit tout. Une sorte d\u2019« \u00e0 quoi bon » qui provient \u00e0 la fois de l\u2019exc\u00e8s et du manque de confiance. Confiance en quoi, je n\u2019en sais rien. Dans la vie en g\u00e9n\u00e9ral, probablement. Je veux dire que c\u2019est une lutte permanente, hors des p\u00e9riodes de vacance justement, pour trouver un sens \u00e0 tout cela, sachant pertinemment qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une fiction, n\u2019en d\u00e9mordant que lorsque soudain le d\u00e9s\u0153uvrement me rattrape. Et d\u00e8s que la m\u00e2choire se desserre s\u2019engouffre toute la grisaille du monde comme une entit\u00e9 maligne qui n\u2019attendrait que ce moment propice, celui du repos, de l\u2019inattention. C\u2019est au bord d\u2019\u00eatre surnaturel. C\u2019est-\u00e0-dire que tout ce que j\u2019ai pu apprendre, conqu\u00e9rir pour m\u2019assurer une quelconque solidit\u00e9 s\u2019effrite d\u2019un seul coup sit\u00f4t que la vacance surgit. Ce genre de vacance, surtout, o\u00f9 le seul projet que je ne cesse de formuler est de profiter des vacances pour peindre, pour remettre un peu d\u2019ordre dans l\u2019atelier, dans mes textes. Quelque chose de l\u2019ordre de la malignit\u00e9 d\u00e9joue tranquillement tout \u00e7a sans que je ne puisse broncher. En vrai, je crois que je donne carte blanche \u00e0 cette stupeur qui m\u2019envahit tranquillement. C\u2019est quasi imperceptible au d\u00e9but, sauf le l\u00e9ger vertige qui s\u2019empare de moi au premier jour, et \u00e7a se termine en se cognant la t\u00eate contre les murs. Ce n\u2019est sans doute rien d\u2019autre qu\u2019une mise en sc\u00e8ne, une pi\u00e8ce de th\u00e9\u00e2tre intime qui profite de l\u2019opportunit\u00e9 pour se rejouer sit\u00f4t qu\u2019elle peut et avec mon accord, \u00e9videmment. Car en m\u00eame temps, je suis tout \u00e0 la fois l\u2019acteur, le metteur en sc\u00e8ne et mon seul public. Mon \u00e9pouse, qui est loin d\u2019\u00eatre b\u00eate, ne me dit plus rien lorsque cela se produit. Elle reste dans les rails de son emploi du temps et nous nous retrouvons \u00e0 certains moments cl\u00e9s de la journ\u00e9e sans qu\u2019elle ne me demande quoi que ce soit sur ce que je fais. Elle a d\u00fb finir par saisir l\u2019importance que je conf\u00e8re \u00e0 l\u2019emp\u00eachement comme substance vitale. Par contre, ajoute-t-elle, cet \u00e9t\u00e9 nous allons en Gr\u00e8ce, c\u2019est pr\u00e9vu, et nous irons voir les M\u00e9t\u00e9ores et tous les lieux que tu as pr\u00e9vu d\u2019aller voir, tu t\u2019en souviens. Elle me le rappelle r\u00e9guli\u00e8rement pour pas que je l\u2019oublie. Et en y pensant je peux me projeter vers l\u2019\u00e9t\u00e9, me dire le bleu et les blancs de ces vacances \u00e0 venir. Celles-ci ne m\u2019inqui\u00e8tent pas, \u00e9tonnamment, je n\u2019y pr\u00e9vois aucun emp\u00eachement.<\/p>",
"content_text": " Il suffit que je me dise : me voici en vacances pour que, tout \u00e0 coup, tout se d\u00e9glingue. C\u2019est, avec l\u2019exp\u00e9rience, l\u2019une des raisons pour lesquelles je maintiens mes cours, en g\u00e9n\u00e9ral, la premi\u00e8re semaine. Soit je tombe malade, soit je d\u00e9prime. Le plus souvent les deux ensemble. J\u2019ai beau chercher \u00e0 me souvenir, il faut que je remonte vraiment tr\u00e8s loin pour ne pas retrouver le m\u00eame processus. Et lorsque, tout \u00e0 coup, je me retrouve face \u00e0 la vacance, sept jours o\u00f9 je suis totalement libre de faire ou de ne rien faire, patatra, je vois les jours filer, t\u00e9tanis\u00e9, sans rien foutre. \u00c0 peine quelques dessins sur la tablette et quelques textes, le tout extrait au forceps. Il y a cette sorte d\u2019emp\u00eachement magistral qui, sit\u00f4t qu\u2019il trouve une faille, envahit tout. Une sorte d\u2019\u00ab \u00e0 quoi bon \u00bb qui provient \u00e0 la fois de l\u2019exc\u00e8s et du manque de confiance. Confiance en quoi, je n\u2019en sais rien. Dans la vie en g\u00e9n\u00e9ral, probablement. Je veux dire que c\u2019est une lutte permanente, hors des p\u00e9riodes de vacance justement, pour trouver un sens \u00e0 tout cela, sachant pertinemment qu\u2019il s\u2019agit d\u2019une fiction, n\u2019en d\u00e9mordant que lorsque soudain le d\u00e9s\u0153uvrement me rattrape. Et d\u00e8s que la m\u00e2choire se desserre s\u2019engouffre toute la grisaille du monde comme une entit\u00e9 maligne qui n\u2019attendrait que ce moment propice, celui du repos, de l\u2019inattention. C\u2019est au bord d\u2019\u00eatre surnaturel. C\u2019est-\u00e0-dire que tout ce que j\u2019ai pu apprendre, conqu\u00e9rir pour m\u2019assurer une quelconque solidit\u00e9 s\u2019effrite d\u2019un seul coup sit\u00f4t que la vacance surgit. Ce genre de vacance, surtout, o\u00f9 le seul projet que je ne cesse de formuler est de profiter des vacances pour peindre, pour remettre un peu d\u2019ordre dans l\u2019atelier, dans mes textes. Quelque chose de l\u2019ordre de la malignit\u00e9 d\u00e9joue tranquillement tout \u00e7a sans que je ne puisse broncher. En vrai, je crois que je donne carte blanche \u00e0 cette stupeur qui m\u2019envahit tranquillement. C\u2019est quasi imperceptible au d\u00e9but, sauf le l\u00e9ger vertige qui s\u2019empare de moi au premier jour, et \u00e7a se termine en se cognant la t\u00eate contre les murs. Ce n\u2019est sans doute rien d\u2019autre qu\u2019une mise en sc\u00e8ne, une pi\u00e8ce de th\u00e9\u00e2tre intime qui profite de l\u2019opportunit\u00e9 pour se rejouer sit\u00f4t qu\u2019elle peut et avec mon accord, \u00e9videmment. Car en m\u00eame temps, je suis tout \u00e0 la fois l\u2019acteur, le metteur en sc\u00e8ne et mon seul public. Mon \u00e9pouse, qui est loin d\u2019\u00eatre b\u00eate, ne me dit plus rien lorsque cela se produit. Elle reste dans les rails de son emploi du temps et nous nous retrouvons \u00e0 certains moments cl\u00e9s de la journ\u00e9e sans qu\u2019elle ne me demande quoi que ce soit sur ce que je fais. Elle a d\u00fb finir par saisir l\u2019importance que je conf\u00e8re \u00e0 l\u2019emp\u00eachement comme substance vitale. Par contre, ajoute-t-elle, cet \u00e9t\u00e9 nous allons en Gr\u00e8ce, c\u2019est pr\u00e9vu, et nous irons voir les M\u00e9t\u00e9ores et tous les lieux que tu as pr\u00e9vu d\u2019aller voir, tu t\u2019en souviens. Elle me le rappelle r\u00e9guli\u00e8rement pour pas que je l\u2019oublie. Et en y pensant je peux me projeter vers l\u2019\u00e9t\u00e9, me dire le bleu et les blancs de ces vacances \u00e0 venir. Celles-ci ne m\u2019inqui\u00e8tent pas, \u00e9tonnamment, je n\u2019y pr\u00e9vois aucun emp\u00eachement. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3702.jpg?1763742572",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/charles-trenet.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/charles-trenet.html",
"title": "Charles Trenet",
"date_published": "2021-11-04T09:42:51Z",
"date_modified": "2025-11-21T16:27:06Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Ce devait s\u00fbrement se passer en novembre et probablement le dimanche apr\u00e8s-midi quand, apr\u00e8s le repas pantagru\u00e9lique que mon p\u00e8re avait pr\u00e9par\u00e9 bien avant l\u2019aube — une daube, un cassoulet, un bourguignon, une choucroute, une blanquette de veau — toute la famille se h\u00e2tait d\u2019aller se vautrer sur les fauteuils, les canap\u00e9s, en face du poste de t\u00e9l\u00e9vision. J\u2019avais en horreur ces dimanches et c\u2019\u00e9tait g\u00e9n\u00e9ralement \u00e0 l\u2019apog\u00e9e de ces interminables siestes, lorsque l\u2019un de nous l\u00e2chait un pet sonore, que le chien, affal\u00e9 lui aussi sur le tapis de laine \u00e9paisse du salon, r\u00eavait intens\u00e9ment de courses folles en remuant les pattes et la queue, que Charles Trenet, comme un diable, surgissait d\u2019on ne sait o\u00f9, qu\u2019il se mettait \u00e0 gesticuler dans tous les sens en beuglant : « Y a d\u2019la joie, bonjour bonjour les hirondelles. » \u00c0 ce moment-l\u00e0, j\u2019entrouvrais les paupi\u00e8res l\u00e9g\u00e8rement pour constater l\u2019absurdit\u00e9 qui m\u2019entourait et dont ce bon vieux Charles, avec son galurin sur le cr\u00e2ne, se chargeait de renforcer l\u2019\u00e9paisseur en chantant. Cet aspect solaire contrastait avec la p\u00e9nombre de notre existence et je crois que, sans nous passer le mot, le chanteur passait pour un ravi, un fou, en un mot l\u2019incarnation de tout le d\u00e9testable que l\u2019on attribue g\u00e9n\u00e9ralement, de p\u00e8re en fils dans notre famille, aux artistes. « De plus, il doit \u00eatre homosexuel », avait un jour ajout\u00e9 mon p\u00e8re lorsque l\u2019une des rares discussions que nous e\u00fbmes \u00e0 propos de la chanson fran\u00e7aise m\u2019avait malencontreusement entra\u00een\u00e9 \u00e0 placer Trenet au m\u00eame niveau que Georges Brassens, ce qui \u00e9videmment, pour le vieux, \u00e9tait la pire des inepties. « Y a du soleil dans les ruelles » \u00e9tait pour lui une rime pauvre. Un genre de facilit\u00e9 po\u00e9tique inacceptable, d\u2019autant qu\u2019il avait connu la mis\u00e8re et que le fait d\u2019\u00e9clairer celle-ci, f\u00fbt-ce par l\u2019astre du jour, lui paraissait d\u2019une futilit\u00e9 crasse. Du coup, entra\u00een\u00e9 par laa d\u00e9r\u00e9liction dans laquelle le pauvre Trenet se retrouva rel\u00e9gu\u00e9 par ma famille, et surtout pour maintenir la paix dans le foyer, j\u2019ai \u00e9vit\u00e9 d\u2019acheter ses 33 tours. Et cette habitude se poursuivit le plus tard possible dans ma vie, m\u00eame une fois toute la famille disloqu\u00e9e, enterr\u00e9e, oubli\u00e9e. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019\u00e0 mon tour je traverse toute la mis\u00e8re, certainement pour marcher sur les traces de mon paternel, pour comprendre \u00e0 quel point celle-ci lui avait procur\u00e9 toujours la plus grande frayeur et d\u00e9go\u00fbt. Au centre m\u00eame de cette mis\u00e8re, dans l\u2019\u0153il du cyclone, j\u2019avais r\u00e9ussi malgr\u00e9 tout \u00e0 conserver un petit transistor. Apr\u00e8s une pl\u00e2tr\u00e9e de p\u00e2tes, un dimanche de novembre o\u00f9 je m\u2019\u00e9tais assoupi comme il se devait pour perp\u00e9trer la tradition, « le soleil dans les ruelles », « les hirondelles » et « y a de la joie » sont revenus, transport\u00e9s par les ondes, pour parvenir jusqu\u2019au plus profond de ma sieste. Je me suis assis sur le bord du lit, j\u2019ai regard\u00e9 par la fen\u00eatre : il faisait effectivement soleil et, tout \u00e0 coup, alors que je ne m\u2019y attendais plus, je me suis mis \u00e0 sangloter comme un couillon.<\/p>",
"content_text": " Ce devait s\u00fbrement se passer en novembre et probablement le dimanche apr\u00e8s-midi quand, apr\u00e8s le repas pantagru\u00e9lique que mon p\u00e8re avait pr\u00e9par\u00e9 bien avant l\u2019aube \u2014 une daube, un cassoulet, un bourguignon, une choucroute, une blanquette de veau \u2014 toute la famille se h\u00e2tait d\u2019aller se vautrer sur les fauteuils, les canap\u00e9s, en face du poste de t\u00e9l\u00e9vision. J\u2019avais en horreur ces dimanches et c\u2019\u00e9tait g\u00e9n\u00e9ralement \u00e0 l\u2019apog\u00e9e de ces interminables siestes, lorsque l\u2019un de nous l\u00e2chait un pet sonore, que le chien, affal\u00e9 lui aussi sur le tapis de laine \u00e9paisse du salon, r\u00eavait intens\u00e9ment de courses folles en remuant les pattes et la queue, que Charles Trenet, comme un diable, surgissait d\u2019on ne sait o\u00f9, qu\u2019il se mettait \u00e0 gesticuler dans tous les sens en beuglant : \u00ab Y a d\u2019la joie, bonjour bonjour les hirondelles. \u00bb \u00c0 ce moment-l\u00e0, j\u2019entrouvrais les paupi\u00e8res l\u00e9g\u00e8rement pour constater l\u2019absurdit\u00e9 qui m\u2019entourait et dont ce bon vieux Charles, avec son galurin sur le cr\u00e2ne, se chargeait de renforcer l\u2019\u00e9paisseur en chantant. Cet aspect solaire contrastait avec la p\u00e9nombre de notre existence et je crois que, sans nous passer le mot, le chanteur passait pour un ravi, un fou, en un mot l\u2019incarnation de tout le d\u00e9testable que l\u2019on attribue g\u00e9n\u00e9ralement, de p\u00e8re en fils dans notre famille, aux artistes. \u00ab De plus, il doit \u00eatre homosexuel \u00bb, avait un jour ajout\u00e9 mon p\u00e8re lorsque l\u2019une des rares discussions que nous e\u00fbmes \u00e0 propos de la chanson fran\u00e7aise m\u2019avait malencontreusement entra\u00een\u00e9 \u00e0 placer Trenet au m\u00eame niveau que Georges Brassens, ce qui \u00e9videmment, pour le vieux, \u00e9tait la pire des inepties. \u00ab Y a du soleil dans les ruelles \u00bb \u00e9tait pour lui une rime pauvre. Un genre de facilit\u00e9 po\u00e9tique inacceptable, d\u2019autant qu\u2019il avait connu la mis\u00e8re et que le fait d\u2019\u00e9clairer celle-ci, f\u00fbt-ce par l\u2019astre du jour, lui paraissait d\u2019une futilit\u00e9 crasse. Du coup, entra\u00een\u00e9 par laa d\u00e9r\u00e9liction dans laquelle le pauvre Trenet se retrouva rel\u00e9gu\u00e9 par ma famille, et surtout pour maintenir la paix dans le foyer, j\u2019ai \u00e9vit\u00e9 d\u2019acheter ses 33 tours. Et cette habitude se poursuivit le plus tard possible dans ma vie, m\u00eame une fois toute la famille disloqu\u00e9e, enterr\u00e9e, oubli\u00e9e. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019\u00e0 mon tour je traverse toute la mis\u00e8re, certainement pour marcher sur les traces de mon paternel, pour comprendre \u00e0 quel point celle-ci lui avait procur\u00e9 toujours la plus grande frayeur et d\u00e9go\u00fbt. Au centre m\u00eame de cette mis\u00e8re, dans l\u2019\u0153il du cyclone, j\u2019avais r\u00e9ussi malgr\u00e9 tout \u00e0 conserver un petit transistor. Apr\u00e8s une pl\u00e2tr\u00e9e de p\u00e2tes, un dimanche de novembre o\u00f9 je m\u2019\u00e9tais assoupi comme il se devait pour perp\u00e9trer la tradition, \u00ab le soleil dans les ruelles \u00bb, \u00ab les hirondelles \u00bb et \u00ab y a de la joie \u00bb sont revenus, transport\u00e9s par les ondes, pour parvenir jusqu\u2019au plus profond de ma sieste. Je me suis assis sur le bord du lit, j\u2019ai regard\u00e9 par la fen\u00eatre : il faisait effectivement soleil et, tout \u00e0 coup, alors que je ne m\u2019y attendais plus, je me suis mis \u00e0 sangloter comme un couillon. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3660.jpg?1763742379",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-marteau-et-le-clou.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-marteau-et-le-clou.html",
"title": "Le marteau et le clou",
"date_published": "2021-11-03T07:04:06Z",
"date_modified": "2025-11-21T16:23:56Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " En tant que professeur, je me r\u00eave parfois menuisier ou charpentier, enfin un truc qui me permettrait d\u2019avoir un marteau et de taper sur un clou. Je veux dire que ce serait s\u00fbrement plus efficace que de rab\u00e2cher toute la sainte journ\u00e9e ce que sont les valeurs, le contraste, la profondeur et tout un tas d\u2019autres choses du m\u00eame acabit. C\u2019est sans doute d\u00fb, malgr\u00e9 mon grand \u00e2ge, \u00e0 cette sorte d\u2019impatience qui ne m\u2019a jamais quitt\u00e9. C\u2019est-\u00e0-dire que j\u2019ai l\u2019habitude de comprendre vite, je dirais au quart de tour, tout un tas de choses. Cependant, dans la pratique, il faut bien avouer que je suis tout aussi d\u00e9muni que le pire de mes \u00e9l\u00e8ves (je ne donnerai pas de nom, n\u2019insistez pas). En fait, je suis sans arr\u00eat en qu\u00eate de subterfuges, ce qui me permet d\u2019\u00eatre cr\u00e9atif en mati\u00e8re de p\u00e9dagogie, si je ne le suis pas toujours en peinture. Je raconte des histoires, je donne une ou deux citations incongrues la plupart du temps, je tourne autour de la table comme un derviche, je chante, je crie, des fois m\u00eame je pleure. Mais ce que je n\u2019ai jamais encore fait, c\u2019est prendre un marteau et un clou, puis m\u2019approcher du cr\u00e2ne d\u2019un \u00e9l\u00e8ve et tenter de l\u2019enfoncer. Pourtant, j\u2019y pense r\u00e9guli\u00e8rement. C\u2019est l\u00e0 le n\u0153ud du probl\u00e8me p\u00e9dagogique dans tout m\u00e9tier manuel : la cervelle peut assimiler quantit\u00e9 de th\u00e9ories, de lois, de trucs et de bidules, mais si \u00e7a ne va pas jusqu\u2019\u00e0 la main, \u00e7a ne sert \u00e0 rien. La pratique poss\u00e8de sa propre intelligence, qui se passe de tout le reste, y compris d\u2019outils de bricolo.<\/p>",
"content_text": " En tant que professeur, je me r\u00eave parfois menuisier ou charpentier, enfin un truc qui me permettrait d\u2019avoir un marteau et de taper sur un clou. Je veux dire que ce serait s\u00fbrement plus efficace que de rab\u00e2cher toute la sainte journ\u00e9e ce que sont les valeurs, le contraste, la profondeur et tout un tas d\u2019autres choses du m\u00eame acabit. C\u2019est sans doute d\u00fb, malgr\u00e9 mon grand \u00e2ge, \u00e0 cette sorte d\u2019impatience qui ne m\u2019a jamais quitt\u00e9. C\u2019est-\u00e0-dire que j\u2019ai l\u2019habitude de comprendre vite, je dirais au quart de tour, tout un tas de choses. Cependant, dans la pratique, il faut bien avouer que je suis tout aussi d\u00e9muni que le pire de mes \u00e9l\u00e8ves (je ne donnerai pas de nom, n\u2019insistez pas). En fait, je suis sans arr\u00eat en qu\u00eate de subterfuges, ce qui me permet d\u2019\u00eatre cr\u00e9atif en mati\u00e8re de p\u00e9dagogie, si je ne le suis pas toujours en peinture. Je raconte des histoires, je donne une ou deux citations incongrues la plupart du temps, je tourne autour de la table comme un derviche, je chante, je crie, des fois m\u00eame je pleure. Mais ce que je n\u2019ai jamais encore fait, c\u2019est prendre un marteau et un clou, puis m\u2019approcher du cr\u00e2ne d\u2019un \u00e9l\u00e8ve et tenter de l\u2019enfoncer. Pourtant, j\u2019y pense r\u00e9guli\u00e8rement. C\u2019est l\u00e0 le n\u0153ud du probl\u00e8me p\u00e9dagogique dans tout m\u00e9tier manuel : la cervelle peut assimiler quantit\u00e9 de th\u00e9ories, de lois, de trucs et de bidules, mais si \u00e7a ne va pas jusqu\u2019\u00e0 la main, \u00e7a ne sert \u00e0 rien. La pratique poss\u00e8de sa propre intelligence, qui se passe de tout le reste, y compris d\u2019outils de bricolo. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3644.jpg?1763742198",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/du-manque-de-suite-dans-les-idees.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/du-manque-de-suite-dans-les-idees.html",
"title": "Du manque de suite dans les id\u00e9es.",
"date_published": "2021-11-03T05:53:59Z",
"date_modified": "2025-11-21T16:10:56Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " J\u2019aurais pu \u00eatre riche, conduire une Lamborghini, une par jour de la semaine et de couleur diff\u00e9rente, s\u00e9duire Monica Bellucci, et m\u00eame l\u2019\u00e9pouser, mais ce ne devait pas \u00eatre mon d\u00e9sir le plus profond, en fin de compte. Tout \u00e7a n\u2019\u00e9tait que de petits desiderata de surface, du copiage, du plagiat et rien de plus. Le fait est que j\u2019ai mis des ann\u00e9es \u00e0 me flanquer des baffes et \u00e0 baver des ronds de chapeau parce que je ne parvenais pas \u00e0 suivre ce genre d\u2019id\u00e9e qui tra\u00eene un peu partout dans les bas-fonds de l\u2019\u00e2me humaine. Au lieu de \u00e7a je me suis lanc\u00e9 dans la recherche fondamentale, notamment la scission du poil de cul en un nombre infini de parties. Et puis apr\u00e8s l\u2019excitation, l\u2019enthousiasme de comprendre \u00e0 quel point j\u2019\u00e9tais plut\u00f4t dou\u00e9 dans l\u2019art de me faire tout seul des n\u0153uds au cerveau, je me suis lanc\u00e9 dans l\u2019\u00e9tude du d\u00e9nouement. M\u00eame excitation, m\u00eame enthousiasme. Cependant, avec toujours cette cruelle absence au centre de moi-m\u00eame, je veux parler de ce manque total de suite dans les id\u00e9es. J\u2019ai saut\u00e9 mille \u00e2nes et je ne sais plus combien de coqs dans un sens puis dans l\u2019autre sans me faire attraper par la clique de Brigitte Bardot sans compter tout le reste. Ce dont j\u2019aurais aussi pu \u00eatre fier, comme ces v\u00e9t\u00e9rans dont les pens\u00e9es ne cessent de tourner en boucle sur les bordels de Sa\u00efgon, de Tombouctou, ou de Tizi Ouzou, en ne cessant de me souvenir du « bon vieux temps » o\u00f9 l\u2019on pouvait s\u2019\u00e9clater sans vergogne. Mais voici qu\u2019au manque de suite dans les id\u00e9es je me retrouve avec des trous dans la m\u00e9moire. De grands pans de celle-ci se d\u00e9tachent d\u2019une banquise imaginaire et s\u2019\u00e9gaient sous forme de gla\u00e7ons g\u00e9ants dans la mer bleu marine. Je crois que les deux sont li\u00e9s d\u2019une fa\u00e7on atomique, \u00e9lectronique, mol\u00e9culaire. Quand on d\u00e9couvre que l\u2019on marchait sur une route imaginaire qui ne m\u00e8ne \u00e0 rien, quand on en prend r\u00e9ellement connaissance ou conscience, alors tout ce qui se rattachait \u00e0 celle-ci, le d\u00e9cor, les personnages, les \u00e9v\u00e9nements, glisse doucement vers le n\u00e9ant que l\u2019on nomme faute de mieux l\u2019oubli. Ce qui est ballot car j\u2019aurais au moins pu prendre quelques notes, cela m\u2019aurait permis d\u2019\u00e9crire deux ou trois Don Quichotte. Si le d\u00e9sir d\u2019en \u00e9crire eut \u00e9t\u00e9 v\u00e9ritable, ce dont je doute \u00e9galement. Le doute joue d\u2019ailleurs son petit r\u00f4le de souffleur dans toute cette histoire. Il est toujours planqu\u00e9 dans son trou \u00e0 deux pas du narrateur. Il est l\u00e0 pour freiner l\u2019excitation et l\u2019enthousiasme, \u00e9videmment. Sinon, imaginez : \u00e7a continuerait comme \u00e7a jusqu\u2019\u00e0 la Saint-Glinglin. Si l\u2019\u00c9ducation nationale voulait vraiment \u00e9duquer les gens plut\u00f4t que d\u2019en faire des moutons ob\u00e9issants, elle mettrait le paquet sur la qu\u00eate d\u2019authenticit\u00e9 des d\u00e9sirs. Tout commencerait d\u00e8s la maternelle par un « qu\u2019est-ce que tu veux vraiment ». Mais j\u2019imagine qu\u2019on n\u2019a pas encore trouv\u00e9 une soci\u00e9t\u00e9 digne de ce nom fond\u00e9e sur un tel principe. Pour le moment, il n\u2019y a qu\u2019un tout petit groupe de personnes qui sait ce qu\u2019il veut, et ce qu\u2019il veut ne fait pas vraiment r\u00eaver. Car voil\u00e0 le ma\u00eetre mot de toute cette histoire \u00e0 dormir debout : r\u00eaver. Une fois qu\u2019on y a go\u00fbt\u00e9, comment peut-on ne pas vouloir recommencer, et ce tous les jours autant qu\u2019on le peut ? Le probl\u00e8me, c\u2019est que les r\u00eaves sont volatiles, et qu\u2019ils sont aussi \u00e0 trous comme le fromage helv\u00e8te. Il faut patienter un sacr\u00e9 long moment, une vie enti\u00e8re s\u00fbrement, pour constater qu\u2019en fin de compte tout, ou \u00e0 peu pr\u00e8s, est muni d\u2019un orifice central qui aspire la p\u00e9riph\u00e9rie. Que ce soit le d\u00e9sir, les id\u00e9es, l\u2019amour, le r\u00eave, et m\u00eame le quotidien avec ses fins de mois. Du coup, voil\u00e0 pourquoi certainement j\u2019ai ce fabuleux manque de suite dans les id\u00e9es depuis toujours : c\u2019est la pr\u00e9sence du trou qui sans cesse me fait bifurquer pour ne pas tomber dedans trop vite, assur\u00e9ment. Je suis comme cette estafette qui court comme un d\u00e9rat\u00e9 sur le champ de bataille parmi les obus qui \u00e9clatent, les copains qui cr\u00e8vent et un sale con qui gueule l\u00e0-bas, planqu\u00e9 derri\u00e8re un talus : « \u00c0 l\u2019assaut ! » J\u2019esquive le pire, je zigzague sans rel\u00e2che pour ne pas me retourner et me transformer en statue de sel, j\u2019invente sans arr\u00eat des jours meilleurs que je jette au feu par temps calme et puis c\u2019est tout.<\/p>",
"content_text": " J\u2019aurais pu \u00eatre riche, conduire une Lamborghini, une par jour de la semaine et de couleur diff\u00e9rente, s\u00e9duire Monica Bellucci, et m\u00eame l\u2019\u00e9pouser, mais ce ne devait pas \u00eatre mon d\u00e9sir le plus profond, en fin de compte. Tout \u00e7a n\u2019\u00e9tait que de petits desiderata de surface, du copiage, du plagiat et rien de plus. Le fait est que j\u2019ai mis des ann\u00e9es \u00e0 me flanquer des baffes et \u00e0 baver des ronds de chapeau parce que je ne parvenais pas \u00e0 suivre ce genre d\u2019id\u00e9e qui tra\u00eene un peu partout dans les bas-fonds de l\u2019\u00e2me humaine. Au lieu de \u00e7a je me suis lanc\u00e9 dans la recherche fondamentale, notamment la scission du poil de cul en un nombre infini de parties. Et puis apr\u00e8s l\u2019excitation, l\u2019enthousiasme de comprendre \u00e0 quel point j\u2019\u00e9tais plut\u00f4t dou\u00e9 dans l\u2019art de me faire tout seul des n\u0153uds au cerveau, je me suis lanc\u00e9 dans l\u2019\u00e9tude du d\u00e9nouement. M\u00eame excitation, m\u00eame enthousiasme. Cependant, avec toujours cette cruelle absence au centre de moi-m\u00eame, je veux parler de ce manque total de suite dans les id\u00e9es. J\u2019ai saut\u00e9 mille \u00e2nes et je ne sais plus combien de coqs dans un sens puis dans l\u2019autre sans me faire attraper par la clique de Brigitte Bardot sans compter tout le reste. Ce dont j\u2019aurais aussi pu \u00eatre fier, comme ces v\u00e9t\u00e9rans dont les pens\u00e9es ne cessent de tourner en boucle sur les bordels de Sa\u00efgon, de Tombouctou, ou de Tizi Ouzou, en ne cessant de me souvenir du \u00ab bon vieux temps \u00bb o\u00f9 l\u2019on pouvait s\u2019\u00e9clater sans vergogne. Mais voici qu\u2019au manque de suite dans les id\u00e9es je me retrouve avec des trous dans la m\u00e9moire. De grands pans de celle-ci se d\u00e9tachent d\u2019une banquise imaginaire et s\u2019\u00e9gaient sous forme de gla\u00e7ons g\u00e9ants dans la mer bleu marine. Je crois que les deux sont li\u00e9s d\u2019une fa\u00e7on atomique, \u00e9lectronique, mol\u00e9culaire. Quand on d\u00e9couvre que l\u2019on marchait sur une route imaginaire qui ne m\u00e8ne \u00e0 rien, quand on en prend r\u00e9ellement connaissance ou conscience, alors tout ce qui se rattachait \u00e0 celle-ci, le d\u00e9cor, les personnages, les \u00e9v\u00e9nements, glisse doucement vers le n\u00e9ant que l\u2019on nomme faute de mieux l\u2019oubli. Ce qui est ballot car j\u2019aurais au moins pu prendre quelques notes, cela m\u2019aurait permis d\u2019\u00e9crire deux ou trois Don Quichotte. Si le d\u00e9sir d\u2019en \u00e9crire eut \u00e9t\u00e9 v\u00e9ritable, ce dont je doute \u00e9galement. Le doute joue d\u2019ailleurs son petit r\u00f4le de souffleur dans toute cette histoire. Il est toujours planqu\u00e9 dans son trou \u00e0 deux pas du narrateur. Il est l\u00e0 pour freiner l\u2019excitation et l\u2019enthousiasme, \u00e9videmment. Sinon, imaginez : \u00e7a continuerait comme \u00e7a jusqu\u2019\u00e0 la Saint-Glinglin. Si l\u2019\u00c9ducation nationale voulait vraiment \u00e9duquer les gens plut\u00f4t que d\u2019en faire des moutons ob\u00e9issants, elle mettrait le paquet sur la qu\u00eate d\u2019authenticit\u00e9 des d\u00e9sirs. Tout commencerait d\u00e8s la maternelle par un \u00ab qu\u2019est-ce que tu veux vraiment \u00bb. Mais j\u2019imagine qu\u2019on n\u2019a pas encore trouv\u00e9 une soci\u00e9t\u00e9 digne de ce nom fond\u00e9e sur un tel principe. Pour le moment, il n\u2019y a qu\u2019un tout petit groupe de personnes qui sait ce qu\u2019il veut, et ce qu\u2019il veut ne fait pas vraiment r\u00eaver. Car voil\u00e0 le ma\u00eetre mot de toute cette histoire \u00e0 dormir debout : r\u00eaver. Une fois qu\u2019on y a go\u00fbt\u00e9, comment peut-on ne pas vouloir recommencer, et ce tous les jours autant qu\u2019on le peut ? Le probl\u00e8me, c\u2019est que les r\u00eaves sont volatiles, et qu\u2019ils sont aussi \u00e0 trous comme le fromage helv\u00e8te. Il faut patienter un sacr\u00e9 long moment, une vie enti\u00e8re s\u00fbrement, pour constater qu\u2019en fin de compte tout, ou \u00e0 peu pr\u00e8s, est muni d\u2019un orifice central qui aspire la p\u00e9riph\u00e9rie. Que ce soit le d\u00e9sir, les id\u00e9es, l\u2019amour, le r\u00eave, et m\u00eame le quotidien avec ses fins de mois. Du coup, voil\u00e0 pourquoi certainement j\u2019ai ce fabuleux manque de suite dans les id\u00e9es depuis toujours : c\u2019est la pr\u00e9sence du trou qui sans cesse me fait bifurquer pour ne pas tomber dedans trop vite, assur\u00e9ment. Je suis comme cette estafette qui court comme un d\u00e9rat\u00e9 sur le champ de bataille parmi les obus qui \u00e9clatent, les copains qui cr\u00e8vent et un sale con qui gueule l\u00e0-bas, planqu\u00e9 derri\u00e8re un talus : \u00ab \u00c0 l\u2019assaut ! \u00bb J\u2019esquive le pire, je zigzague sans rel\u00e2che pour ne pas me retourner et me transformer en statue de sel, j\u2019invente sans arr\u00eat des jours meilleurs que je jette au feu par temps calme et puis c\u2019est tout. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3827.jpg?1763741456",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/avancer-reculer-recommencer.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/avancer-reculer-recommencer.html",
"title": "Avancer, reculer, recommencer.",
"date_published": "2021-11-01T07:12:03Z",
"date_modified": "2025-11-21T16:17:35Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " L\u2019art est un labyrinthe dont le but est n\u00e9cessairement l\u2019\u00e9garement. Sinon, \u00e0 quoi bon y p\u00e9n\u00e9trer ? Et quand bien m\u00eame placerait-on un minotaure comme pr\u00e9texte \u00e0 l\u2019action, il ne serait rien \u00e0 proportion de ce que produit la perte de rep\u00e8res. Le h\u00e9ros s\u2019affrontant lui-m\u00eame int\u00e9resse-t-il encore qui que ce soit, mis \u00e0 part les enfants amateurs de contes et de l\u00e9gendes ? Quand Hercule se rend compte qu\u2019aucune de ses armes ne peut entamer le cuir du lion de N\u00e9m\u00e9e, il l\u2019enlace dans une sorte de danse qui oscille entre l\u2019\u00e9touffement et l\u2019accolade. R\u00e9cup\u00e9rer ensuite la peau du lion, une fois vaincu, et s\u2019en rev\u00eatir, l\u2019arborer sans pour autant parader, est le pr\u00e9misse que quelque chose enfin s\u2019est pass\u00e9, que l\u2019histoire d\u00e9bute r\u00e9ellement : celle de l\u2019artiste qui a enfin compris la n\u00e9cessit\u00e9 de « sauter par-dessus lui-m\u00eame » pour reprendre la formule de Paul Klee parlant du gris. La travers\u00e9e d\u2019un miroir est toujours quelque chose qui tient \u00e0 la fois de l\u2019ordinaire et du miracle. Ordinaire parce qu\u2019autrefois cela s\u2019apprenait \u00e0 l\u2019adolescence au travers de rituels que l\u2019on pouvait consid\u00e9rer \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte comme « banals ». Miracle dans notre monde moderne o\u00f9, justement, on fait \u00e0 peu pr\u00e8s tout pour que cette travers\u00e9e ne s\u2019effectue plus, pour conserver le plus longtemps possible l\u2019homme dans une enfance \u00e9gocentr\u00e9e. Bien s\u00fbr on peut se rendre \u00e0 l\u2019\u00e9cole, \u00e0 l\u2019universit\u00e9 pour apprendre quelque chose sur l\u2019art. Surtout tout ce qui tourne autour de celui-ci comme un r\u00e9cit tourne autour d\u2019une absence. Bien s\u00fbr le savoir remplit, comme la denr\u00e9e, le r\u00e9frig\u00e9rateur et produit une illusion d\u2019autorit\u00e9. Tout juste de quoi alimenter la conversation, \u00e9crire des livres, remplir les rayons des librairies, des biblioth\u00e8ques, \u00e9crire des articles de blogue. Mais cette autorit\u00e9 ne produit gu\u00e8re d\u2019impact sur l\u2019individu isol\u00e9, l\u2019artiste, qui intuitivement sent bien qu\u2019il faut effectuer un pas dans le vide et que le moindre filet ne sert \u00e0 rien, qu\u2019il n\u2019est que perte de temps. L\u2019artiste aujourd\u2019hui est un individu isol\u00e9. Ce n\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9 le cas et nous avons encore parfois l\u2019impression que cet isolement est une posture provenant d\u2019une \u00e9poque r\u00e9volue teint\u00e9e de « romantisme ». L\u2019artiste soi-disant « maudit » de par cette n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019isolement contre laquelle il ne peut rien tant qu\u2019il n\u2019a pas franchi le Rubicon — se d\u00e9passer, d\u00e9passer sa petite personne — ce qui souvent l\u2019entra\u00eene \u00e0 se rapprocher du plus ordinaire des hommes, \u00e0 perdre d\u2019un c\u00f4t\u00e9 sa propre id\u00e9e d\u2019importance pour, de l\u2019autre, d\u00e9couvrir l\u2019immensit\u00e9 de son ignorance. Tout commence avec cette immensit\u00e9-l\u00e0. Avec cet infini des possibles tenu dans un regard qui ne cille plus. Ce qui se passe ensuite, pour un regard profane, tient de la folie, de l\u2019inepte, du ridicule, comme de l\u2019admirable. Les mots eux-m\u00eames manqueront pour qualifier l\u2019action effectu\u00e9e par l\u2019artiste. Pourtant cette action est simple, elle ne tient qu\u2019en deux mots : avancer, reculer, recommencer. Ce que l\u2019on per\u00e7oit alors c\u2019est une nouvelle vision du chaos qui, d\u2019ailleurs, ne peut plus se nommer ainsi. L\u2019artiste se rend compte qu\u2019il a franchi une fronti\u00e8re lorsqu\u2019il n\u2019a plus besoin d\u2019ordre pour se r\u00e9f\u00e9rer au chaos, et vice versa. Cette immensit\u00e9 de l\u2019ignorance clairement entrevue s\u2019accompagne simultan\u00e9ment d\u2019une connaissance de la clart\u00e9 qui ne sert \u00e0 rien, parfaitement inutile car elle ne produit rien en tant que telle. On peut alors comprendre pourquoi tant d\u2019artistes, de peintres, auront repr\u00e9sent\u00e9 des croix, des crucifixions. Ce n\u2019est pas tellement pour c\u00e9l\u00e9brer un \u00e9v\u00e9nement qui, du reste, n\u2019a pas vraiment de raison de l\u2019\u00eatre que d\u2019\u00e9noncer ce qu\u2019est v\u00e9ritablement la passion humaine crucifi\u00e9e, mais en m\u00eame temps tenant temps et lieu de carrefour. Juste un point de rep\u00e8re dans le labyrinthe \u00e0 partir duquel on continue, on avance, on recule, sur le chemin de la connaissance de ce qu\u2019est l\u2019art.<\/p>",
"content_text": " L\u2019art est un labyrinthe dont le but est n\u00e9cessairement l\u2019\u00e9garement. Sinon, \u00e0 quoi bon y p\u00e9n\u00e9trer ? Et quand bien m\u00eame placerait-on un minotaure comme pr\u00e9texte \u00e0 l\u2019action, il ne serait rien \u00e0 proportion de ce que produit la perte de rep\u00e8res. Le h\u00e9ros s\u2019affrontant lui-m\u00eame int\u00e9resse-t-il encore qui que ce soit, mis \u00e0 part les enfants amateurs de contes et de l\u00e9gendes ? Quand Hercule se rend compte qu\u2019aucune de ses armes ne peut entamer le cuir du lion de N\u00e9m\u00e9e, il l\u2019enlace dans une sorte de danse qui oscille entre l\u2019\u00e9touffement et l\u2019accolade. R\u00e9cup\u00e9rer ensuite la peau du lion, une fois vaincu, et s\u2019en rev\u00eatir, l\u2019arborer sans pour autant parader, est le pr\u00e9misse que quelque chose enfin s\u2019est pass\u00e9, que l\u2019histoire d\u00e9bute r\u00e9ellement : celle de l\u2019artiste qui a enfin compris la n\u00e9cessit\u00e9 de \u00ab sauter par-dessus lui-m\u00eame \u00bb pour reprendre la formule de Paul Klee parlant du gris. La travers\u00e9e d\u2019un miroir est toujours quelque chose qui tient \u00e0 la fois de l\u2019ordinaire et du miracle. Ordinaire parce qu\u2019autrefois cela s\u2019apprenait \u00e0 l\u2019adolescence au travers de rituels que l\u2019on pouvait consid\u00e9rer \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte comme \u00ab banals \u00bb. Miracle dans notre monde moderne o\u00f9, justement, on fait \u00e0 peu pr\u00e8s tout pour que cette travers\u00e9e ne s\u2019effectue plus, pour conserver le plus longtemps possible l\u2019homme dans une enfance \u00e9gocentr\u00e9e. Bien s\u00fbr on peut se rendre \u00e0 l\u2019\u00e9cole, \u00e0 l\u2019universit\u00e9 pour apprendre quelque chose sur l\u2019art. Surtout tout ce qui tourne autour de celui-ci comme un r\u00e9cit tourne autour d\u2019une absence. Bien s\u00fbr le savoir remplit, comme la denr\u00e9e, le r\u00e9frig\u00e9rateur et produit une illusion d\u2019autorit\u00e9. Tout juste de quoi alimenter la conversation, \u00e9crire des livres, remplir les rayons des librairies, des biblioth\u00e8ques, \u00e9crire des articles de blogue. Mais cette autorit\u00e9 ne produit gu\u00e8re d\u2019impact sur l\u2019individu isol\u00e9, l\u2019artiste, qui intuitivement sent bien qu\u2019il faut effectuer un pas dans le vide et que le moindre filet ne sert \u00e0 rien, qu\u2019il n\u2019est que perte de temps. L\u2019artiste aujourd\u2019hui est un individu isol\u00e9. Ce n\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9 le cas et nous avons encore parfois l\u2019impression que cet isolement est une posture provenant d\u2019une \u00e9poque r\u00e9volue teint\u00e9e de \u00ab romantisme \u00bb. L\u2019artiste soi-disant \u00ab maudit \u00bb de par cette n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019isolement contre laquelle il ne peut rien tant qu\u2019il n\u2019a pas franchi le Rubicon \u2014 se d\u00e9passer, d\u00e9passer sa petite personne \u2014 ce qui souvent l\u2019entra\u00eene \u00e0 se rapprocher du plus ordinaire des hommes, \u00e0 perdre d\u2019un c\u00f4t\u00e9 sa propre id\u00e9e d\u2019importance pour, de l\u2019autre, d\u00e9couvrir l\u2019immensit\u00e9 de son ignorance. Tout commence avec cette immensit\u00e9-l\u00e0. Avec cet infini des possibles tenu dans un regard qui ne cille plus. Ce qui se passe ensuite, pour un regard profane, tient de la folie, de l\u2019inepte, du ridicule, comme de l\u2019admirable. Les mots eux-m\u00eames manqueront pour qualifier l\u2019action effectu\u00e9e par l\u2019artiste. Pourtant cette action est simple, elle ne tient qu\u2019en deux mots : avancer, reculer, recommencer. Ce que l\u2019on per\u00e7oit alors c\u2019est une nouvelle vision du chaos qui, d\u2019ailleurs, ne peut plus se nommer ainsi. L\u2019artiste se rend compte qu\u2019il a franchi une fronti\u00e8re lorsqu\u2019il n\u2019a plus besoin d\u2019ordre pour se r\u00e9f\u00e9rer au chaos, et vice versa. Cette immensit\u00e9 de l\u2019ignorance clairement entrevue s\u2019accompagne simultan\u00e9ment d\u2019une connaissance de la clart\u00e9 qui ne sert \u00e0 rien, parfaitement inutile car elle ne produit rien en tant que telle. On peut alors comprendre pourquoi tant d\u2019artistes, de peintres, auront repr\u00e9sent\u00e9 des croix, des crucifixions. Ce n\u2019est pas tellement pour c\u00e9l\u00e9brer un \u00e9v\u00e9nement qui, du reste, n\u2019a pas vraiment de raison de l\u2019\u00eatre que d\u2019\u00e9noncer ce qu\u2019est v\u00e9ritablement la passion humaine crucifi\u00e9e, mais en m\u00eame temps tenant temps et lieu de carrefour. Juste un point de rep\u00e8re dans le labyrinthe \u00e0 partir duquel on continue, on avance, on recule, sur le chemin de la connaissance de ce qu\u2019est l\u2019art. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20211129_092920.jpg?1763741817",
"tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"]
}
]
}
\nDu spiritisme aux th\u00e9ories sur le hasard.<\/h2>
Le hasard est comme un iceberg, on n’en voit que la partie visible, celle du temps pr\u00e9sent.<\/h3>\n
Il n’y a pas de raison sans perception<\/h3>\n
Serions nous plus intelligents que nos pr\u00e9d\u00e9cesseurs o\u00f9 plus d\u00e9sabus\u00e9s ?<\/h3>\n
Possible que chaque \u00e9poque r\u00eave d’un nouveau monde <\/h3>\n
C’est pourquoi l’art brut me semble aussi \u00eatre une voie, un sentier sur lequel cheminer dans la brume de cet automne occidental. <\/h3>\n
Le fantasme de retrouver un c\u0153ur pur <\/h3>\n
L’inconnaissable. <\/h3>\n