{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/40-jours.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/40-jours.html", "title": "40 jours ", "date_published": "2025-04-06T17:07:08Z", "date_modified": "2025-10-25T02:34:36Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
( 40 jours \/ \u00e9criture quotidienne, \u00e0 partir d’une proposition diff\u00e9rente.<\/a><\/p>\n Patrick B. 2022\nsommaire<\/strong> : Jour 1<\/a> \u00b7 Jour 2<\/a> \u00b7 Jour 3<\/a> \u00b7 Jour 4<\/a> \u00b7 Jour 5<\/a> \u00b7 Jour 6<\/a> \u00b7 Jour 7<\/a> \u00b7 Jour 8<\/a> \u00b7 Jour 9<\/a> \u00b7 Jour 10<\/a> \u00b7 Jour 11<\/a> \u00b7 Jour 12<\/a> \u00b7 Jour 13<\/a> \u00b7 Jour 14<\/a> \u00b7 Jour 15<\/a> \u00b7 Jour 16<\/a> \u00b7 Jour 17<\/a> \u00b7 Jour 18<\/a> \u00b7 Jour 19<\/a> \u00b7 Jour 20<\/a> \u00b7 Jour 21<\/a> \u00b7 Jour 22<\/a> \u00b7 Jour 23<\/a> \u00b7 Jour 24<\/a> \u00b7 Jour 25<\/a> \u00b7 Jour 26<\/a> \u00b7 Jour 27<\/a> \u00b7 Jour 28<\/a> \u00b7 Jour 29<\/a> \u00b7 Jour 30<\/a> \u00b7 Jour 31<\/a> \u00b7 Jour 32<\/a> \u00b7 Jour 33<\/a> \u00b7 Jour 34<\/a> \u00b7 Jour 35<\/a> \u00b7 Jour 36<\/a> \u00b7 Jour 37<\/a> \u00b7 Jour 38<\/a> \u00b7 Jour 39<\/a> \u00b7 Jour 40<\/a><\/em><\/p>\n contrainte<\/strong> : une suite de blocs o\u00f9 chaque fragment commence par une image mentale, d\u00e9crite de fa\u00e7on plastique, g\u00e9om\u00e9trique ou sensorielle sans narration, puis un : qui introduit la l\u00e9gende, l\u2019ancrage, la r\u00e9v\u00e9lation de ce que c\u2019est, ce que \u00e7a dit, ce que \u00e7a cache. C\u2019est un jeu de tension entre ce qu\u2019on voit et ce qu\u2019on comprend — ou pas.<\/em><\/p>\n Une vitrine sans reflet, une surface trop propre, rien n\u2019y accroche, tout y glisse :\nL\u2019ancien marchand de couleurs. Disparu. Un salon l\u2019a remplac\u00e9. Lisse. Anonyme. Aucune odeur ne filtre.<\/p>\n Un cri f\u00e9minin traverse la rue, \u00e9touff\u00e9, tordu. Ce n\u2019est pas pour lui. Il le re\u00e7oit quand m\u00eame :\n« Sophie », dit la voix. Lui entend « Magali ». Une marelle effac\u00e9e, des pigeons qui fuient. Un pass\u00e9 invent\u00e9.<\/p>\n Un paquet de cornets surprises, fan\u00e9s, serr\u00e9s dans un panier de fil plastique, papier jauni, transparents gondol\u00e9s :\nIls sont encore l\u00e0. \u00c0 la boulangerie. Rien n\u2019a boug\u00e9. Il ne les prend pas. Il sait ce qu\u2019il y trouverait : plus rien.<\/p>\n Une ombre dans le m\u00e9tro, visage tourn\u00e9 vers la vitre noire. Rien n\u2019y est visible. Pas m\u00eame soi :\nIl est reparti. Encore une fois. Mais il reviendra. Il manque un d\u00e9tail. Toujours un d\u00e9tail.<\/p>\n <\/a><\/p>\n contrainte<\/strong> \nUn texte qui produise un effet de mouvement par son encha\u00eenement fluide, sa syntaxe transparente, son progressif d\u00e9ploiement spatial.<\/em><\/p>\n Une goutte de sueur perle sur un index — minuscule bulle suspendue, pr\u00eate \u00e0 choir. L\u2019index, droit, appartient \u00e0 une main — elle-m\u00eame rattach\u00e9e \u00e0 un bras qui prolonge un torse, vertical, plant\u00e9 dans une pi\u00e8ce \u00e9troite o\u00f9 l\u2019air colle aux murs. Sur le sol, un linol\u00e9um d\u2019une teinte impossible \u00e0 nommer, entre beige vieilli et gris d\u2019abandon ; un livre cale une table bancale — Camus, en service secondaire. La fen\u00eatre, f\u00eal\u00e9e en haut \u00e0 gauche, laisse passer le souffle discontinu du quartier : rumeurs lointaines, moteur qui tousse, radio oubli\u00e9e dans une cuisine ouverte. Au bout de la rue, la gare laisse \u00e9chapper ses voix synth\u00e9tiques, appels au d\u00e9part \u00e9gren\u00e9s sur les haut-parleurs : voie B, train pour Lyon, quelques minutes de retard. La ville s\u2019ouvre alors, vague tentaculaire, empilement de murs, de silences, de gestes r\u00e9p\u00e9t\u00e9s dans mille autres pi\u00e8ces identiques. Plus loin, le pays — formes floues, limites politiques approximatives, d\u00e9coup\u00e9es comme \u00e0 la r\u00e8gle sur un fond d\u2019ignorance commune. Puis le continent, masse de terres grumeleuse pos\u00e9e sur une plaque tectonique agit\u00e9e d\u2019humeurs invisibles. Et plus loin encore : la plan\u00e8te, bleu pass\u00e9, balanc\u00e9e dans sa rotation, minuscule, caboss\u00e9e, accroch\u00e9e \u00e0 une \u00e9toile quelconque, dans un syst\u00e8me qui n\u2019a rien demand\u00e9 \u00e0 personne — et le cosmos tout autour, sans explication jointe, sans l\u00e9gende en marge, une \u00e9nigme vaste, en suspens, comme cette goutte de sueur au d\u00e9part de tout.<\/p>\n contrainte<\/strong>\nCr\u00e9er une repr\u00e9sentation mentale d\u2019une fa\u00e7ade ouverte, o\u00f9 chaque compartiment de l\u2019espace contient un fragment de vie.\nC\u2019est un texte de dissection urbaine, de curiosit\u00e9 partag\u00e9e, un tableau mental \u00e0 la Perec.<\/em><\/p>\n Dans la premi\u00e8re pi\u00e8ce, un gar\u00e7on, quinze ans peut-\u00eatre, la t\u00eate contre la vitre d\u2019un train. Il regarde le paysage d\u00e9filer sans le voir. Dans ses mains, un livre entrouvert. Il ne lit pas.<\/p>\n Plus haut, dans une autre pi\u00e8ce, la lumi\u00e8re est jaune. Une fille, droite comme une statue, attend devant une maison basse. Dans la cour, un gar\u00e7on l\u2019enlace maladroitement. Leurs visages sont proches, mais il n\u2019y a pas de baiser.<\/p>\n Un \u00e9tage plus bas, une table en bois, un linol\u00e9um froid, une assiette de soupe. Une Gitane se consume dans un cendrier Cinzano. Un vieil homme boit un verre de blanc lim\u00e9. La t\u00e9l\u00e9 est allum\u00e9e, personne ne la regarde.<\/p>\n Au centre, une chambre de pension. Un gar\u00e7on, en uniforme, tente un demi-soleil \u00e0 la barre fixe, en vain. Un pion passe entre les tables avec des lettres \u00e0 distribuer. Le gar\u00e7on ouvre l\u2019enveloppe comme on ouvre un pi\u00e8ge.<\/p>\n \u00c0 gauche, dans une pi\u00e8ce \u00e9troite, un gar\u00e7on relit une lettre au bord de la Viosne. Il marche. Il plisse les yeux. Il cherche un secret derri\u00e8re les mots simples. Il s\u2019accroche \u00e0 cette id\u00e9e-l\u00e0 comme \u00e0 une corde lisse.<\/p>\n \u00c0 droite, dans une autre pi\u00e8ce du m\u00eame \u00e9tage, il r\u00e9dige une r\u00e9ponse. Il froisse. Il recommence. Il d\u00e9chire. Il recommence encore. Une lumi\u00e8re faible tombe sur le bureau. Il gratte le papier jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il ne reste que lui.<\/p>\n Plus haut encore, un atelier pr\u00eat\u00e9. Un \u00e9vier, un paquet de lettres. \u00c0 dix heures trente, il craque une allumette. Le feu ronge l\u2019encre, les plis, les souvenirs. Il regarde sans bouger. Les flammes l\u00e8chent l\u2019\u00e9vier. Rien ne crie.<\/p>\n Sur le toit, il y a la sc\u00e8ne qu\u2019il ne regarde plus : deux corps enlac\u00e9s dans une cour de ferme. Elle rougit, confuse. L\u2019autre gar\u00e7on se retourne : un visage qu\u2019il conna\u00eet, qu\u2019elle avait dit d\u00e9tester. Il sourit, triste. Puis il s\u2019en va.<\/p>\n contrainte<\/strong><\/p>\n Clatskanie, Oregon \u2013 M\u00e9morial Raymond Carver\nUne dalle ovale pos\u00e9e sur une pelouse rase. \u00c0 l\u2019arri\u00e8re, trois prunus en ligne, pench\u00e9s l\u00e9g\u00e8rement vers l\u2019est. Sur la pierre, une phrase grav\u00e9e, en lettres droites : « Pourrais-tu te calmer s\u2019il te pla\u00eet ? » \u00c0 c\u00f4t\u00e9, un visage au trait \u00e9pais, dessin\u00e9, pas photographi\u00e9. Les cheveux cr\u00e9pus, blanch\u00e2tres. Derri\u00e8re, deux b\u00e2timents \u00e0 toit plat, l\u2019un mauve, l\u2019autre vert kaki. Le ciel est bas, l\u2019herbe mate. Aucun chemin ne m\u00e8ne directement \u00e0 la dalle.<\/p>\n<\/li>\n Mississippi \u2013 Carver Middle School\nUne route monte, ligne droite flanqu\u00e9e de deux bandes d\u2019herbe s\u00e8che. \u00c0 gauche, une for\u00eat basse, \u00e0 droite des maisons basses aux volets blancs. Des fils \u00e9lectriques tracent des diagonales dans le ciel, cinq lignes nettes, tendues, qui croisent la verticale d\u2019un poteau unique. Au fond, un b\u00e2timent beige, toit brun, lettre noire sur fond blanc : Carver Middle School. Pas de voiture visible. L\u2019ombre des arbres est pr\u00e9cise : le soleil vient de l\u2019est.<\/p>\n<\/li>\n Paris, Place Clichy \u2013 Librairie Carver (anomalie algorithmique)\nSol dall\u00e9, jointures disjointes. Un bouquet de lilas pos\u00e9 \u00e0 terre. Un homme debout, mains dans les poches, dos \u00e0 une vitrine. Derri\u00e8re lui, un parcm\u00e8tre gris, une caisse en bois, un baluchon \u00e0 carreaux bleus. Dans la vitrine : des rayonnages flous, reflet d\u2019immeubles. Sur le mur \u00e0 gauche, deux petites photos en biais, coll\u00e9es sur un faux marbre beige. Une femme en robe orange se maquille ou photographie, adoss\u00e9e \u00e0 une paroi vitr\u00e9e. Une autre passe, manteau rouge, foulard bleu. Une troisi\u00e8me dispara\u00eet, t\u00eate baiss\u00e9e sur son t\u00e9l\u00e9phone.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n contrainte<\/strong> :\n« Raconter un trajet \u00e0 travers une s\u00e9rie de sols observ\u00e9s \u00e0 ras du sol, sans monter au-dessus du niveau des pieds. Pas de narration, pas de sujet, pas de souvenirs. Juste les textures, les surfaces, les signes. »<\/em><\/p>\n Tapis r\u00e2p\u00e9, laine \u00e9cras\u00e9e, beige sale.\nLatte disjointe, clou rouill\u00e9, vibration s\u00e8che sous la semelle.\nLinol\u00e9um beige, taches de rouille, griffures de chaise, poussi\u00e8re stagnante.<\/p>\n Marche au carreau, seuil carrel\u00e9, f\u00ealures noires dans la blancheur mate.\nPav\u00e9s in\u00e9gaux, joints moussus, flaque longue.\nTraces de pneu, chewing-gum fossilis\u00e9, m\u00e9got incrust\u00e9.<\/p>\n Passage clout\u00e9, peinture us\u00e9e, crat\u00e8re de goudron \u00e0 droite.\nTrottoir granuleux, gencives de b\u00e9ton, herbe fine dans les fissures.\nD\u00e9chets mous, d\u00e9bris secs, traces de pas vers l\u2019arr\u00eat.<\/p>\n Dalles polies, flaque de diesel, reflet de n\u00e9on, traces de pas invers\u00e9es.\nM\u00e9tal stri\u00e9, plaque d\u2019\u00e9gout, odeur montante, gras collant.\nEscalier, grain rugueux, bande podotactile, vis qui sonne sous le pas.<\/p>\n Carrelage du hall, beige ros\u00e9, lignes nettes, nettoyage r\u00e9cent.\nSol mouill\u00e9, panneau jaune, triangle noir, pictogramme glissant.\nGoudron lisse, rainure blanche, d\u00e9marcation pi\u00e9ton-v\u00e9lo.<\/p>\n Surface vitr\u00e9e, grille d\u2019a\u00e9ration, r\u00e9sidu de chaussure.\nPlaque m\u00e9tallique, vibration sourde, lumi\u00e8re au ras du b\u00e9ton.\nBord du trottoir, gorge d\u2019eau pluviale, caniveau aux \u00e9clats de bouteille.<\/p>\n Bitume neuf, flamme du soleil sur les gravillons, biseau du jour en contrebas.\nChauss\u00e9e, vitesse, bord flou, arr\u00eat brutal.\nRien que sol. Sol qui glisse. Sol qui file.<\/p>\n contrainte<\/strong>\nAdopter un point de vue tournant (cam\u00e9ra \u00e0 360°) depuis des points fixes successifs dans un lieu clos, pour d\u00e9crire exhaustivement les objets, volumes, lumi\u00e8res, d\u00e9tails — comme un balayage circulaire visuel, sans d\u00e9placement du corps, depuis un pivot int\u00e9rieur.<\/em><\/p>\n Entr\u00e9e\nCarrelage cr\u00e8me, f\u00ealures en \u00e9toile pr\u00e8s du seuil.\n\u00c0 droite, un porte-manteau m\u00e9tallique, trois pat\u00e8res vides, une \u00e9charpe roul\u00e9e.\nAu sol, un tapis us\u00e9, ourlet d\u00e9cousu, bords relev\u00e9s.\nSur la gauche, un placard encastr\u00e9, porte coulissante, miroir t\u00e2ch\u00e9.\nFace \u00e0 l\u2019entr\u00e9e, la porte du salon entrouverte, \u00e9clat de lumi\u00e8re jaune, ombre port\u00e9e.<\/p>\n<\/li>\n Salon \u2013 chambre de Vania\nTapis bordeaux, motifs slaves, deux coins rong\u00e9s.\n\u00c0 gauche, un lit une place, drap bleu tir\u00e9, coussin carr\u00e9, oreiller en creux.\nAu-dessus, ic\u00f4ne orthodoxe, cadre dor\u00e9, visage ovale, yeux clos.\n\u00c0 droite, \u00e9tag\u00e8re en pin, rang\u00e9es de livres impeccables, dos noirs, rouges, ocres.\nTable de nuit : r\u00e9veil carr\u00e9, verre d\u2019eau, bo\u00eete de m\u00e9dicaments.\nFace \u00e0 la fen\u00eatre, rideaux ferm\u00e9s, plis r\u00e9guliers, \u00e9clat d\u2019une cravate gliss\u00e9e entre deux pans.<\/p>\n<\/li>\n Cuisine\nSol lino beige, irr\u00e9gularit\u00e9s au centre, taches sombres, zone collante.\nMeubles en bois verni, poign\u00e9es dor\u00e9es, \u00e9clats au bord.\nPlaques \u00e9lectriques, po\u00eale grasse, couvercle bomb\u00e9.\nOdeur suspendue. Oignons, ail. Vapeur sur le carreau.\nSur la table : assiettes creuses, pain noir, bocal de cornichons.\nChaises en m\u00e9tal tubulaire, l\u2019une bancale, sous elle une bo\u00eete de conserve vide.<\/p>\n<\/li>\n Salle \u00e0 manger \u2013 chambre de Valentine\nParquet ray\u00e9, lignes obliques d\u2019usure, un clou qui d\u00e9passe.\nTable ronde, napperon de dentelle synth\u00e9tique, fleurs artificielles dans un vase \u00e9pais.\nMachine \u00e0 coudre Singer, housse en plastique semi-transparent, repose-pied en fonte.\nBuffet Henri IV, verres en cristal align\u00e9s, carafe vide, reflet de la fen\u00eatre.\nT\u00e9l\u00e9viseur \u00e0 pi\u00e8ces, \u00e9cran noir, fente m\u00e9tallique, poussi\u00e8re grise sur le sommet.\nCanap\u00e9 repli\u00e9, tissu marron, deux cravates pos\u00e9es, l\u2019une en soie bleue, l\u2019autre en laine.<\/p>\n<\/li>\n Fen\u00eatre sur rue\nVitre l\u00e9g\u00e8rement opaque, coins sales.\nVoilage blanc tir\u00e9 \u00e0 demi.\nVoitures lentes, trottoir mouill\u00e9.\nUn homme passe, veste grise, sans visage.\nPeupliers ou autre essence, feuillage mouvant.\nOmbre du rideau sur le sol, comme une vague stable.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n contrainte<\/strong>\nCr\u00e9er un inventaire fragmentaire, d\u00e9sordonn\u00e9, affectif ou imaginaire autour des cartes, plans, atlas, guides. Ne pas produire un r\u00e9cit abouti, mais plut\u00f4t une bo\u00eete mentale, un vrac actif, un pr\u00e9lude \u00e0 la fiction.<\/em><\/p>\n La bo\u00eete \u00e0 gants d\u2019une Peugeot 504, carte Michelin 72 chiffonn\u00e9e, coin arrach\u00e9, date inconnue.<\/p>\n La carte de Gallipoli, quadrillage d\u2019\u00e9tat-major, lignes rouges, cercles noirs, codes alphab\u00e9tiques, aucune \u00e9motion — sauf au niveau des dents.<\/p>\n Un guide Hachette bleu fonc\u00e9, titre dor\u00e9 effac\u00e9, pages ondul\u00e9es par l\u2019humidit\u00e9, odeur de cave.<\/p>\n Un souvenir : la carte de l\u2019\u00cele au tr\u00e9sor. Le X. Le trait pointill\u00e9. La l\u00e9gende \u00e9crite \u00e0 la plume. Le r\u00eave de creuser.<\/p>\n Une malle en bois sombre, coins m\u00e9talliques, serrure tordue. Dedans : feuilles, cartes, coupons, lettres, pli\u00e9es, repli\u00e9es, certaines coll\u00e9es.<\/p>\n Carte postale de Samarkand, jamais envoy\u00e9e. Carte touristique de Paris avec fl\u00e8che « Vous \u00eates ici ». Faux.<\/p>\n Une carte dessin\u00e9e \u00e0 la main sur peau de gazelle. Reliefs stylis\u00e9s. Inscriptions inconnues. Une ligne bleue. Des points rouges.<\/p>\n Piri Reis. Palais de Topkapi. Fragment retrouv\u00e9. Encombrement de l\u00e9gendes. Invention ou r\u00e9alit\u00e9 ? Peu importe.<\/p>\n Un guide Baedeker, tranche rouge. Une ville disparue. Un itin\u00e9raire \u00e0 suivre au doigt. Le doigt tremble.<\/p>\n Un double fond. Une carte roul\u00e9e. Une attache en rafia. Une impression de chaleur, comme si le cuir respirait encore.<\/p>\n Un r\u00eave de longitude exacte. Une erreur de latitude. Un rivage invers\u00e9. Des lettres effac\u00e9es par la sueur.<\/p>\n Le mensonge des cartes : ce qu\u2019elles cachent. Ce qu\u2019elles pr\u00e9tendent r\u00e9v\u00e9ler. Les fronti\u00e8res dessin\u00e9es \u00e0 la r\u00e8gle, comme des balafres nettes.<\/p>\n Une salle d\u2019\u00e9tat-major. Une main gant\u00e9e. Un compas. Une d\u00e9cision.<\/p>\n Un ticket d\u2019entr\u00e9e pour la BNF : L\u2019\u00e2ge d\u2019or des cartes marines, exposition virtuelle, pas de contact, pas d\u2019odeur, mais des larmes.<\/p>\n La topographie comme m\u00e9moire traumatique. Chaque pli une cicatrice. Chaque annotation un refus d\u2019oublier.<\/p>\n Un atlas sans index. Un plan sans \u00e9chelle. Une carte sans nord. Exactement ce qu\u2019il me faut.<\/p>\n contrainte<\/strong>\nUn texte en descente continue, sans remont\u00e9e ni arr\u00eat, dans des espaces souterrains (r\u00e9els, r\u00eav\u00e9s, imaginaires), chaque fragment ou image doit donner l\u2019impression de p\u00e9n\u00e9trer plus profond\u00e9ment, de basculer un peu plus dans l\u2019\u00e9tranget\u00e9, le silence, le fantastique latent.<\/em><\/p>\n Couloir. Silence feutr\u00e9. Moquette marine. Pas absorb\u00e9s. Une odeur de vieux cuir, bois cir\u00e9. Bureaux d\u00e9serts, fauteuils larges, tables en verre, lueurs de veille bleues.<\/p>\n Un escalier discret, m\u00e9tal mat, sans num\u00e9ro. Mur lisse, peinture grise. Un palier plus bas. Plantes fan\u00e9es, revues \u00e9conomiques, vases vides. La moquette change. Marron, r\u00e2p\u00e9e, ligne noire au centre. Les portes sont closes. Pas de nom. Pas de sonnette.<\/p>\n Encore en bas. Le b\u00e9ton affleure. Froid. Les lumi\u00e8res r\u00e9agissent au mouvement. Un n\u00e9on claque. Odeur d\u2019humidit\u00e9. Un papier jauni au mur, « local technique », d\u00e9chir\u00e9. Une odeur de savon industriel, d\u2019eau stagnante. Sifflement d\u2019un tuyau. Plus bas encore.<\/p>\n Trappe. \u00c9chelle m\u00e9tallique. Gants obligatoires. Poussi\u00e8re. Grille coulissante. Une alarme muette clignote. Dessous : parking d\u00e9saffect\u00e9. Sol luisant. Reflet trouble des pyl\u00f4nes. Une voiture seule, b\u00e2ch\u00e9e. Une tra\u00een\u00e9e de liquide brun\u00e2tre. Le silence devient dense, organique.<\/p>\n Un escalier de secours. En colima\u00e7on. Rampes poisseuses. Odeur de fer rouill\u00e9. Des traces sur les murs. Descente lente, r\u00e9guli\u00e8re. La lumi\u00e8re vient d\u2019un point tr\u00e8s loin en bas. Orange sale.<\/p>\n Sous-sol B7. Couloir \u00e9troit. Voute en b\u00e9ton brut. Tuyaux apparents. Inscriptions techniques illisibles. Porte en acier entreb\u00e2ill\u00e9e. Derri\u00e8re : un sas. Et au fond, une lourde plaque grav\u00e9e.<\/p>\n Un couloir carrel\u00e9, style clinique ann\u00e9es 60. Les murs perlent. Un bip intermittent. L\u2019air est plus lourd, plus humide. Une lampe clignote sans logique. Une forme en plastique couvert d\u2019un drap blanc.<\/p>\n Escaliers en pierre. Us\u00e9s, glissants. Traces noires sur les bords. Un soupirail ouvert au ras du sol, juste de quoi voir la base d\u2019une colonne. Colonne noire, vein\u00e9e. Odeur marine.<\/p>\n Encore en dessous. Crypte. Vo\u00fbte basse. Murs suintants. Des inscriptions effac\u00e9es, en alphabet inconnu. Au centre : bassin carr\u00e9, vide. Une pierre plate au fond. Une fente. Un frisson.<\/p>\n Une autre trappe. Ancienne. Bois clout\u00e9. Elle grince. En dessous, l\u2019eau. Noire. Lisse. Une passerelle m\u00e9tallique rouill\u00e9e, fine comme une lame. Elle conduit \u00e0 un escalier h\u00e9lico\u00efdal immerg\u00e9.<\/p>\n Marche apr\u00e8s marche. L\u2019eau monte. Jusqu\u2019aux genoux. Jusqu\u2019\u00e0 la taille. On continue. Plus d\u2019air. Plus de lumi\u00e8re. Juste la sensation de descendre.<\/p>\n Au bout : un sol de verre. En dessous, le regard de M\u00e9duse. Immobilit\u00e9. Vertige. Un battement sourd.<\/p>\n On continue.<\/p>\n contrainte<\/strong>\nUne suite de points urbains discontinus, chacun visit\u00e9 par un protocole arbitraire (sortir du m\u00e9tro, du bus, marcher, etc.), sans lien logique entre eux, pour fabriquer une autre image de la ville par sauts fragmentaires, en s\u2019en tenant \u00e0 ce que l\u2019on per\u00e7oit sur place, avec intensit\u00e9 de d\u00e9tail mais sans fil narratif.<\/em><\/p>\n Arr\u00eat Nation \u2013 sortie avenue du Tr\u00f4ne\nChaleur en nappe sur l\u2019asphalte. Deux colonnes, deux lions, circulation lente. Odeur de k\u00e9ros\u00e8ne, de goudron frais. Une vendeuse de glaces, robe \u00e0 fleurs, regard vide. Des cris d\u2019enfants dans un square enclav\u00e9. Les bancs sont chauds. Un homme dort l\u00e0, b\u00e9ret sur les yeux, bouteille de soda vide \u00e0 ses pieds. Une valise oubli\u00e9e \u00e0 moiti\u00e9 ouverte, remplie de livres de poche, certains sans couverture. Un tram passe, vide. Le temps est en boucle, il ne se passe rien, mais tout insiste.<\/p>\n<\/li>\n M\u00e9tro Louise Michel \u2013 sortie place Charras\nFa\u00e7ades 70s, briques rouges, baies vitr\u00e9es. Centre commercial \u00e9touff\u00e9, rideaux \u00e0 moiti\u00e9 baiss\u00e9s. Odeur de friture sucr\u00e9e. Un homme parle seul devant la vitrine d\u2019un opticien. Une \u00e9cole maternelle dans le dos, cris flous. Le ciel est bas, stri\u00e9 de c\u00e2bles. Une vieille dame s\u2019approche de la borne Velib, pose son cabas, touche les \u00e9crans, repart sans v\u00e9lo. Une publicit\u00e9 arrach\u00e9e, ne reste qu\u2019un mot : \u00c9CHAPPER.<\/p>\n<\/li>\n Ligne 3 \u2013 arr\u00eat Saint-Maur\nTrois marches, un couloir, une grille. Soleil horizontal. Rue anim\u00e9e, fourmillante, mais l\u2019oreille ne capte que la r\u00e9p\u00e9tition : boulangerie, boucherie, kebab, pressing. Une femme fume accroupie contre le mur de la laverie. Un graffiti : JE T\u2019ATTENDS PLUS. Un homme entre dans une boutique de fripes avec un landau vide. Une guirlande lumineuse reste allum\u00e9e en plein jour. Le bruit des freins d\u2019un bus, comme un r\u00e2le.<\/p>\n<\/li>\n RER D \u2013 arr\u00eat Le Vert de Maisons\nSortie lente dans un no man\u2019s land de b\u00e9ton. Un parking vide, un Lidl ferm\u00e9, un chat errant. Panneau publicitaire renvers\u00e9, fl\u00e8che vers rien. Le ciel sans d\u00e9tails. Une pluie fine commence. Une cabine t\u00e9l\u00e9phonique sans combin\u00e9, sans c\u00e2ble. L\u2019arri\u00e8re d\u2019un entrep\u00f4t, tagu\u00e9, rong\u00e9. Un camion gar\u00e9 l\u00e0, moteur \u00e9teint, mais encore chaud. Rien \u00e0 faire ici. Mais il faut attendre le train suivant. Alors on reste.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n contrainte <\/strong>\nUne succession de figures prises dans la ville en mouvement, chacune aper\u00e7ue, capt\u00e9e, imag\u00e9e, puis abandonn\u00e9e, sans suite, comme une s\u00e9rie de miniatures romanesques.<\/em><\/p>\n Femme verte, Lyon Part-Dieu\nTout en elle \u00e9tait vert : manteau, sac, ongles, m\u00eame l\u2019\u00e9charpe, un vert de mousse mouill\u00e9e. Elle tournait en rond dans le hall, silhouette nette au milieu du flou. Elle consultait son t\u00e9l\u00e9phone, remettait son \u00e9charpe, v\u00e9rifiait un sac, puis recommen\u00e7ait. Un homme l\u2019a rejointe, ils se sont serr\u00e9 la main. Trop poliment pour de l\u2019amour.<\/p>\n<\/li>\n L\u2019homme au m\u00e9gaphone, Bellecour\nIl criait en allemand. Aucun accent. Un m\u00e9gaphone \u00e0 piles et des tracts mal d\u00e9coup\u00e9s. Il d\u00e9non\u00e7ait l\u2019Union europ\u00e9enne ou les extraterrestres, je n\u2019ai pas compris. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9 : ses chaussures. Tr\u00e8s propres. Comme cir\u00e9es pour un entretien. Il avait dans les yeux une sorte de fiert\u00e9 tragique. C\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre son dernier discours.<\/p>\n<\/li>\n Sur le parvis de Perrache\nElle mangeait un sandwich debout, avec rage. Une fille de vingt ans ? Trente ? Difficile \u00e0 dire. Son sac au sol, large ouvert, un doudou d\u00e9passait. Elle mordait dans son sandwich comme dans un poing. Un jeune homme est pass\u00e9, elle a fait semblant de ne pas le voir. Il a dit quelque chose, elle n\u2019a pas r\u00e9pondu. Elle a continu\u00e9 de m\u00e2cher.<\/p>\n<\/li>\n Le gardien du parking R\u00e9publique\nAssis dans sa gu\u00e9rite vitr\u00e9e. 23h13, pluie fine. Il lisait un polar, \u00e0 la lumi\u00e8re d\u2019une lampe \u00e0 pince. On aurait dit une sc\u00e8ne de th\u00e9\u00e2tre. Il avait le visage parfaitement calme, d\u00e9tendu comme un moine. Derri\u00e8re lui, les cam\u00e9ras clignotaient. Je suis rest\u00e9 l\u00e0 un moment. J\u2019ai cru qu\u2019il allait lever les yeux. Mais non.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n contrainte<\/strong>\n\u00c9crire non pas ce dont on se souvient bien, mais ce qui r\u00e9siste au souvenir, ce qui \u00e9chappe ou est devenu trou noir, trou de m\u00e9moire, lieu oubli\u00e9, temps dissous.\nCr\u00e9er un texte sur ce manque m\u00eame, et en faire mati\u00e8re litt\u00e9raire.<\/em><\/p>\n Je n\u2019ai pas cherch\u00e9 \u00e0 savoir qui \u00e9tait Pierre Valdo. Pourtant j\u2019ai habit\u00e9 cette maison, dans cette rue qui portait son nom, pendant 554 jours. Avant, j\u2019\u00e9tais \u00e0 Tassin-la-Demi-Lune. 35 jours. En provenance de Paris.<\/p>\n Je ne me suis pas demand\u00e9 pourquoi De Nuit \u00e9tait le nom d\u2019une rue de la Croix-Rousse. J\u2019y ai v\u00e9cu 345 jours.<\/p>\n J\u2019ai \u00e9t\u00e9 n\u00e9gligent. Je ne sais toujours pas d\u2019o\u00f9 vient ce nom : Sans-Soucis. Pourtant, j\u2019y suis pass\u00e9 deux fois par jour pendant 1250 jours ouvr\u00e9s, plus quelques week-ends. De 1997 \u00e0 2000. Croix-Rousse > Sans-Soucis. Parfois \u00e0 pied.<\/p>\n Je n\u2019ai pas su qui \u00e9tait Henri Pensier, alors m\u00eame que j\u2019ai v\u00e9cu une ann\u00e9e dans cette rue, en 2003. J\u2019\u00e9tais revenu de Suisse. J\u2019avais repris le m\u00eame boulot, avec les m\u00eames coll\u00e8gues. Ce n\u2019\u00e9tait ni \u00e0 faire ni \u00e0 refaire. Et j\u2019ai laiss\u00e9 un gros carton de textes dans la cave. Le proprio a d\u00fb le foutre \u00e0 la benne. Tant pis.<\/p>\n Je ne sais pas qui \u00e9taient les Archers de la rue des Archers, angle Zola, Presqu\u2019\u00eele. J\u2019y ai v\u00e9cu deux ans. J\u2019y ai f\u00eat\u00e9 mes 50 ans.<\/p>\n Je me suis fichu de savoir qui \u00e9tait Ferrer. Sa rue longe l\u2019Yseron \u00e0 Oullins. La rivi\u00e8re d\u00e9borde souvent. L\u00e0, nous avons \u00e9t\u00e9 heureux trois ans. J\u2019ai essay\u00e9 de faire pousser des tomates. En vain.<\/p>\n Je n\u2019ai jamais su qui \u00e9tait Laurent Nivoley. Pourtant, au 8 de cette rue, il y a la maison que nous habitons aujourd\u2019hui.<\/p>\n contrainte<\/strong>\n\u00c9crire depuis un \u00e9tat de perdition. Non pas raconter comment on se perd, mais partir d\u2019embl\u00e9e perdu, comme chez Kafka ou Jacques Abeille. Le monde est d\u00e9j\u00e0 flou, le lieu incompr\u00e9hensible, les rep\u00e8res effac\u00e9s.<\/em><\/p>\n Tout est de la faute de la distraction.<\/p>\n J\u2019\u00e9tais dans ce caf\u00e9 — il allait fermer — et je tra\u00eenais. Pas envie de rentrer. Alors je l\u2019ai regard\u00e9. Machinalement. Et lui, bien s\u00fbr, il a vu \u00e7a. Il a tout compris.<\/p>\n Il s\u2019est lev\u00e9. Il est venu s\u2019asseoir. Juste en face.<\/p>\n Et l\u00e0 : « J\u2019ai tout perdu ! » qu\u2019il me hurle.<\/p>\n -- Tout quoi ? j\u2019ai r\u00e9pondu, histoire de me donner une contenance.<\/p>\n -- Tout, absolument tout ! Tu comprends ?<\/p>\n C\u2019\u00e9tait intenable. Lui, sa voix, sa t\u00eate. Et les serveurs qui nous fixaient. Moi, j\u2019\u00e9tais dans un \u00e9tat\u2026 Ce type, c\u2019\u00e9tait ma caricature. L\u2019image de ma propre fragilit\u00e9.<\/p>\n Et bien s\u00fbr, il n\u2019allait pas me l\u00e2cher. Je le savais. Il voulait d\u00e9verser. D\u00e9verser en toute s\u00e9curit\u00e9. Parce qu\u2019il avait compris — que je n\u2019allais pas l\u2019envoyer pa\u00eetre. Parce que j\u2019allais culpabiliser.<\/p>\n -- Ah, la bonne heure, tu m\u2019\u00e9coutes ! a-t-il soupir\u00e9.<\/p>\n Et c\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai agi. Je me suis lev\u00e9, j\u2019ai brandi un billet de 10, h\u00e9l\u00e9 le serveur. M\u00e9canique parfaite. Puis, direction rue Saint-Andr\u00e9 des Arts. Pas un regard en arri\u00e8re. Rue de Seine, \u00e0 gauche. Disparu.<\/p>\n \u00c0 partir de cette rencontre absurde, ma vie a bascul\u00e9. J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 me perdre dans la ville. Volontairement. Scientifiquement.<\/p>\n Ma strat\u00e9gie ? Tourner cinq fois \u00e0 gauche, marcher 500 m\u00e8tres, bifurquer. Recommencer. Une m\u00e9thode. Presque une chor\u00e9graphie.<\/p>\n Et plus j\u2019affinais l\u2019art de me perdre, plus je me lib\u00e9rais. La peur de se perdre devient supportable \u00e0 force d\u2019exercice. Comme entrer dans une eau glac\u00e9e. \u00c0 la fin, on y prend go\u00fbt.<\/p>\n Et puis un jour, je n\u2019ai plus eu besoin des rues. Ni de la ville. J\u2019\u00e9tais si bien perdu que je pouvais les inventer. Les noms, les carrefours, les myst\u00e8res.<\/p>\n Et tout revenait. Intact. <\/p>\n Cendrier \u00e9maill\u00e9, bleu sale, deux m\u00e9gots.<\/p>\n Gobelet vide renvers\u00e9. Caf\u00e9 fig\u00e9 au fond.<\/p>\n Voix. Pas la sienne. Celle de la terrasse d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9.<\/p>\n Feuilles en spirale, aspir\u00e9es par l\u2019ombre.<\/p>\n Rayure sur la table.<\/p>\n R\u00e2pe du bord de chaise contre l\u2019anorak.<\/p>\n Main lev\u00e9e. Trop blanche. Trop s\u00fbre.<\/p>\n Mouvement de t\u00eate — trop sec — pour dire « tu vois ? »<\/p>\n La voix qui dit Castaneda. La bouche qui dit Castaneda.<\/p>\n Les pigeons s\u2019\u00e9brouent. Le sucre tombe.<\/p>\n La chaise grince.<\/p>\n Le corps recule.<\/p>\n La tape dans le dos.<\/p>\n L\u2019air qui reste apr\u00e8s.<\/p>\n Mur de fa\u00e7ade, bulle de condensation au coin d\u2019une vitre.<\/p>\n La bouche rit. Les yeux ne rient pas.<\/p>\n Le froid qui revient. La ride au front.<\/p>\n La m\u00eame rue. Mais tout d\u00e9cal\u00e9.<\/p>\n Hypnose num\u00e9ro deux.<\/p>\n Ciel bas.<\/p>\n Tic-tac sur une montre qui n\u2019est pas \u00e0 toi.<\/p>\n contrainte<\/strong> : il s’agit d’\u00e9crire depuis une couleur, \u00e0 la mani\u00e8re de Christophe Tarkos, en s\u2019appuyant sur sa mani\u00e8re de faire surgir une mat\u00e9rialit\u00e9 du r\u00e9el uniquement \u00e0 travers l\u2019insistance, le rythme, l\u2019attention sensorielle.<\/em><\/p>\n Le laboratoire dans la cuisine. Cuves, cuvettes. Jaune pour le r\u00e9v\u00e9lateur, rouge pour le fixateur, bleu pour l’entre-deux. Lumi\u00e8re rouge. Odeur de vinaigre, de produit, de secrets. Le noir d\u00e9clenche la lumi\u00e8re. Le blanc retient l’image. Et le reste ? Le reste est nuance, le reste est travail, le reste est \u00e9chelle de gris.<\/p>\n Les visages ressortent en noir et blanc. L’\u00e2me, dit-on. Moins de distraction. Plus de v\u00e9rit\u00e9. Les mains, les rides, les regards. Les villes aussi : Paris, Quetta, Bercy. Qu’importe. Le noir et blanc avale les noms. Le Leica au poing, silencieux, sans moteur, sans miroir. On marche. On cadre. On attend. Click.<\/p>\n La photo du soldat br\u00fbl\u00e9. H\u00f4pital de Quetta. Peau grise, trous sombres, cro\u00fbtes noires. Pas de rose. Pas de chair. Juste des \u00e9clats d’argent. Un tirage mat, un format carr\u00e9. Un silence. La br\u00fblure ne parle pas la langue des couleurs. Elle parle celle du contraste.<\/p>\n Noir et blanc, parce que la couleur ment. Trop d’effets. Trop de beaut\u00e9. Noir et blanc parce que c’est une d\u00e9cision. Une discipline. Une mani\u00e8re d’\u00e9crire. Parce que la couleur n’\u00e9tait pas \u00e0 sa place. Parce que la couleur \u00e9tait trop belle pour ce qu’on avait \u00e0 dire.<\/p>\n Et maintenant ? Noir et blanc encore. Dans la t\u00eate, dans les souvenirs, dans les toiles parfois. La couleur existe, oui, mais on ne s’y fie pas. On la regarde venir, prudents. Noir et blanc pour filtrer. Noir et blanc pour construire. Noir et blanc, comme un langage avant le langage. Noir et blanc, comme une promesse de v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n contrainte<\/strong>\nPartir d\u2019un objet pr\u00e9cis : le trousseau de cl\u00e9s, comme point d\u2019ancrage.<\/em><\/p>\n D\u2019en faire \u00e9merger un personnage, une situation spatiale, temporelle, affective, presque existentielle.<\/em><\/p>\n D\u2019accumuler des \u00e9l\u00e9ments concrets (\u00e0 la mani\u00e8re de Tarkos dans Anachronisme ou Po\u00e8me de l\u2019enfance), li\u00e9s \u00e0 l\u2019identit\u00e9, l\u2019administration, le domestique, le quotidien.<\/em><\/p>\n De travailler dans une \u00e9criture cumulative, avec une tension narrative construite par la profusion, la pr\u00e9cision, la liste.<\/em><\/p>\n Je suis assis \u00e0 la table de la cuisine. Le trousseau de cl\u00e9s est pos\u00e9 l\u00e0, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9 du bol vide. Une grande cl\u00e9, un pass, une plus petite avec un bout de plastique rouge, une cl\u00e9 de bo\u00eete aux lettres que j\u2019utilise rarement. La cl\u00e9 du garage je ne sais plus laquelle c\u2019est. Un petit mousqueton rouill\u00e9 les rassemble, plus pour dire que pour tenir. Je les regarde, je me demande laquelle aurait ouvert sa porte, l\u00e0-bas, \u00e0 Vallon-en-Sully.<\/p>\n Je me suis souvenu de cette plaque, pas vraiment en marbre, pos\u00e9e \u00e0 m\u00eame le sol. Je crois que je la vois encore, mais ce que je vois surtout, c\u2019est tout ce qu\u2019il a fallu pour la trouver. Le plan griffonn\u00e9 par l\u2019employ\u00e9 de mairie, la pochette plastique avec les papiers du cimeti\u00e8re, l\u2019adresse barr\u00e9e, r\u00e9\u00e9crite. Dans la bo\u00eete \u00e0 gants, les indications, le plan, la carte IGN, le livret de famille, la carte d\u2019identit\u00e9, celle du d\u00e9c\u00e8s avec le num\u00e9ro de concession, le re\u00e7u des pompes fun\u00e8bres. \u00c0 la maison, j\u2019avais tout mis dans une enveloppe kraft : extrait d\u2019acte de d\u00e9c\u00e8s, certificat d\u2019inhumation, la liste des ayants droit.<\/p>\n Je me demande s\u2019il aurait gard\u00e9 tout \u00e7a lui. Probablement pas. Le genre \u00e0 n\u2019avoir jamais sur lui que ses cl\u00e9s, un briquet, et quelques pi\u00e8ces. Et encore. Pas de carte bleue, pas de papiers, pas de permis. On disait toujours : un voyou gentil, mais un voyou quand m\u00eame. Pas la peine de lui demander ses papiers, il n\u2019en avait jamais.<\/p>\n Je revois cette bouteille de bi\u00e8re, verte, plant\u00e9e comme un vase de fortune au pied de la tombe. Une marguerite, ou une p\u00e2querette, plant\u00e9e dedans. Une autre main que la mienne. Quelqu\u2019un que je ne connais pas. Quelqu\u2019un avec son propre trousseau, ses propres souvenirs, ses propres papiers. Peut-\u00eatre une femme, une s\u0153ur, un ami perdu de vue, un compagnon de nuit, de route, de cellule.<\/p>\n Sur la table aussi, il y a l\u2019enveloppe blanche avec le double des clefs de chez lui. Je l\u2019avais prise dans le tiroir du buffet, avec les autres, les anciennes, les cl\u00e9s sans serrure. C\u2019est celle-l\u00e0, la cl\u00e9 de son appartement, je crois. Mais je ne suis m\u00eame plus s\u00fbr. La serrure a \u00e9t\u00e9 chang\u00e9e depuis. Par qui ? L\u2019agence ? Un cousin ?<\/p>\n Je me dis que j\u2019ai une liste, moi aussi. Une autre forme de trousseau. Une liste d\u2019adjectifs, une litanie que je trimballe depuis toujours : impr\u00e9visible, insupportable, violent, dr\u00f4le, charmeur, menteur. Une liste qui ne sert \u00e0 rien, qui ne ferme aucune porte, n\u2019ouvre aucun acc\u00e8s.<\/p>\n Le probl\u00e8me avec les morts, c\u2019est qu\u2019ils changent de serrure sans pr\u00e9venir.<\/p>\n contrainte<\/strong>\nCapturer un moment de confrontation \u00e0 la ville, \u00e0 un fragment du r\u00e9el qui provoque une r\u00e9action imm\u00e9diate et inarticul\u00e9e — « C\u2019est quoi ? »<\/em><\/p>\n Ne jamais d\u00e9signer directement ce que l\u2019on voit : le texte se d\u00e9veloppe dans le flou, le b\u00e9gaiement, la perplexit\u00e9.<\/em><\/p>\n Refuser la ponctuation, ou n\u2019en faire qu\u2019un usage minimal, pour suivre une logique d\u2019encha\u00eenement mental, rythmique, hypnotique.<\/em><\/p>\n L\u2019important est la sensation brute, la d\u00e9sorientation, l\u2019accumulation d\u2019une interrogation avant les mots, ou malgr\u00e9 eux.<\/em><\/p>\n alors je descends je descends j\u2019ai vu \u00e7a et je descends je dois descendre je ne peux pas ne pas descendre c\u2019est quoi ce besoin c\u2019est quoi ce geste ce mouvement cette d\u00e9cision de bifurquer de chercher l\u2019escalier de descendre encore je descends je veux voir je veux savoir ce que j\u2019ai vu ce que j\u2019ai cru voir ce que je crois avoir vu je veux voir si c\u2019est encore l\u00e0 ou si c\u2019est moi c\u2019est moi peut-\u00eatre c\u2019est moi que j\u2019ai vu je veux me voir je veux me rejoindre me retrouver me comprendre c\u2019est flou<\/p>\n je reconnais cet endroit je crois je suis pass\u00e9 ici souvent avant autrefois avant toi avant que je sois avec toi ici l\u00e0 maintenant sur ce pont ou sous ce pont je ne sais plus si c\u2019est moi au-dessus ou en dessous et lui c\u2019est moi ou un autre ou un autre moi ou un moi autre je ne sais plus c\u2019est flou je suis flou c\u2019est flou flou flou<\/p>\n c\u2019est quoi cette ville qui laisse faire \u00e7a ces ponts ces dessous ces oubli\u00e9s ces bras ces bouteilles ces morceaux de corps qui surgissent qui d\u00e9passent \u00e0 peine qui disent tout sans rien dire c\u2019est quoi cette ville qui regarde pas qui marche au-dessus qui traverse et regarde pas jamais pas une fois jamais jamais sauf moi sauf moi aujourd\u2019hui sauf moi ce jour<\/p>\n je vais jusqu\u2019en bas jusqu\u2019\u00e0 l\u2019eau jusqu\u2019au quai je m\u2019assois je prends sa place ou ma place ou une place que je reconnais que je me reconnais une place qui me ressemble je m\u2019assois et je tends le doigt comme lui comme moi comme un autre doigt tendu pour rien pour personne ou pour celui qui viendra pour celui qui descend lui aussi qui verra lui aussi ce que j\u2019ai vu ce que j\u2019ai cru voir ce que je suis peut-\u00eatre ce que je suis encore<\/p>\n c\u2019est quoi ce pont c\u2019est quoi ce moi c\u2019est quoi ce toi que j\u2019attends que j\u2019esp\u00e8re c\u2019est quoi ce monde o\u00f9 il faut descendre pour se reconna\u00eetre c\u2019est quoi cette ville qu\u2019on traverse sans rien voir c\u2019est quoi cette ville<\/p>\n contrainte<\/strong>\nPoint de d\u00e9part : l\u2019exp\u00e9rience de l\u2019\u00e9criture dans une ville donn\u00e9e.<\/em><\/p>\n Contexte narratif<\/strong> : quelqu\u2019un qui \u00e9crit dans une ville, souvent \u00e9trang\u00e8re, sur un temps long (bourse, r\u00e9sidence), avec bistrots, biblioth\u00e8que, trajets, atmosph\u00e8res, rythmes.<\/em><\/p>\n Structure attendue<\/strong> : introspection au pr\u00e9sent du processus d\u2019\u00e9crire, ancr\u00e9e dans un temps, une ville, un rythme de vie r\u00e9el, parfois fictionnel.<\/em><\/p>\n \u00c9cho implicite<\/strong> : Nevermore de Wajsbrot — la narratrice ne traduit pas Virginia Woolf, elle s\u2019immerge dans les effets mentaux de l\u2019\u00e9criture dans une ville \u00e9trang\u00e8re, puis glisse vers une narration d\u00e9doubl\u00e9e, trouble, hant\u00e9e.<\/em><\/p>\n Tonalit\u00e9<\/strong> : m\u00e9lancolique, lucide, r\u00e9flexive.<\/em><\/p>\n On ne croyait pas que j\u2019\u00e9crivais. Pas vraiment. Il aurait fallu une preuve. Un livre dans une vitrine. Mon nom dans un journal. Un vernissage, des verres, des gens. C\u2019est \u00e7a qu\u2019ils imaginent, ceux qui me sont proches. \u00c9crire, peindre : chim\u00e8res. Il faut leur pardonner. J\u2019\u00e9tais comme eux, avant. Avant de comprendre que les verbes comptent plus que les noms. Que « peindre », « \u00e9crire », vivent mieux sans majuscule. J\u2019avais juste un sac. Dedans, toujours les m\u00eames livres, un carnet, parfois deux. Les lieux s\u2019effa\u00e7aient, les pages restaient.<\/p>\n Je notais dans les trains, dans les parcs, dans les arri\u00e8re-salles des caf\u00e9s de la rue Quincampoix ou de la Verrerie. J\u2019aimais Pompidou, cette clart\u00e9 studieuse, l\u2019id\u00e9e d\u2019un havre o\u00f9 le temps se tord un peu pour t\u2019en laisser. Mais souvent, je n\u2019\u00e9crivais pas. Je pouvais, mais je ne le faisais pas. Il suffisait que ce soit possible. Il suffisait que \u00e7a tienne \u00e0 \u00e7a, un seul geste retard\u00e9. Une r\u00e9sistance.<\/p>\n J\u2019avais 17 ans. Je ne voulais rien poss\u00e9der. Ni abonnement, ni portable, ni ordinateur. Surtout pas d\u2019ordinateur. Le copier-coller, je disais, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 la fin. Mais je mentais un peu : j\u2019en voulais un. Pas maintenant. Plus tard. Quand le d\u00e9sir ne serait plus un pi\u00e8ge. Je r\u00e9sistais. Par principe. Par pauvret\u00e9 aussi. Par peur d\u2019\u00eatre emport\u00e9. Et pendant ce temps-l\u00e0, j\u2019entassais des feuilles, des classeurs, des mots maladroits.<\/p>\n Je faisais des boulots \u00e0 la con, juste pour survivre. L\u2019\u00e9nergie que \u00e7a prenait, il fallait bien la voler quelque part. Alors je volais. Du temps. De l\u2019air. Du silence. J\u2019essayais de sauver un peu de cette journ\u00e9e, d\u2019y loger une ligne, un croquis, un pas de c\u00f4t\u00e9. Il fallait que \u00e7a serve \u00e0 quelque chose. Ne serait-ce qu\u2019\u00e0 rester vivant autrement.<\/p>\n Et eux, autour de moi, ils me regardaient. Ils demandaient : mais c\u2019est quoi \u00e9crire, c\u2019est quoi peindre ? Ils ne le demandaient pas vraiment. Ils savaient d\u00e9j\u00e0 que ce n\u2019\u00e9tait pas pour eux. Une chim\u00e8re. Une perte de temps. Moi, je r\u00e9pondais quand m\u00eame. J\u2019\u00e9crivais, je peignais. M\u00eame si \u00e7a faisait sourire.<\/p>\n Je revenais plus tranquille quand j\u2019avais sauv\u00e9 une phrase. Pas une grande. Une ligne. Un geste. Un doute bien formul\u00e9. Quelque chose arrach\u00e9 \u00e0 l\u2019idiotie du monde. C\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 \u00e7a. Une atmosph\u00e8re. Une ambiance. L\u2019ambiance, toujours, que je tentais de construire \u00e0 d\u00e9faut d\u2019une \u0153uvre. Une ambiance int\u00e9rieure. Une ambiance pour r\u00e9sister.<\/p>\n contrainte<\/strong> : Chaque fragment doit faire entre 70 et 90 mots maximum.<\/em><\/p>\n Chaque texte doit \u00eatre autonome, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il doit fonctionner ind\u00e9pendamment des autres.<\/em><\/p>\n On doit y percevoir une pr\u00e9sence corporelle, une situation de travail, un rapport de pouvoir ou de domination (sociale, genr\u00e9e...).<\/em><\/p>\n L\u2019\u00e9criture doit privil\u00e9gier la densit\u00e9, la compression, l\u2019allusif, l\u2019incisif — \u00e0 l\u2019image du style de Fabienne Swiatly dans Elles sont en service.<\/em><\/p>\n Le prisme du f\u00e9minin est central (le livre originel est un hommage aux figures f\u00e9minines invisibilis\u00e9es ou assign\u00e9es).<\/em><\/p>\n Le regard port\u00e9 sur ces figures est politique, mais sans d\u00e9monstration : c\u2019est par le fragment, la sc\u00e8ne, le d\u00e9tail juste, que surgit la critique ou l\u2019hommage.<\/em><\/p>\n Elle fait le plus vieux m\u00e9tier du monde. Plus toute jeune. On boit le caf\u00e9 aux Lombards, pas loin de son bureau. Elle appelle tout le monde mon ch\u00e9ri, parle comme Gabin, comme Audiard. Chaque matin, elle m\u2019invente une ville natale : Morbihan, Clermont, Marseille. Je souris. Derri\u00e8re la gouaille, je vois une pudeur. Un reste de secret. « \u00c7a reste entre nous, hein ? » dit-elle. Et chaque fois, j\u2019acquiesce, comme si c\u2019\u00e9tait la premi\u00e8re.<\/p>\n Elle est presse \u00e0 imprimer, taille-douce. L\u2019homme la conduit, l\u2019\u00e9coute, la bichonne. Il conna\u00eet sa matrice, ses cliquetis. Vingt ans ensemble. Demain ils se quittent. Progr\u00e8s oblige. La Marinoni sera bris\u00e9e. L\u2019homme, vid\u00e9. Il ne restera que la Bullocks Pat, \u00e9norme, bruyante. Des hommes grimperont sur ses montants, lustreront ses dents, surveilleront ses m\u00e2choires. Et au pied du jeune receveur, les affiches tomberont, plus lourdes, moins tendres. Une autre cadence, un autre monde. Il faudra bien suivre.<\/p>\n Dans les bureaux du Centre Europ\u00e9en de Commerce et de je-ne-sais-plus-quoi, elles sont trois. Brunes, jupes courtes, poitrines retouch\u00e9es. Le patron les choisit selon des crit\u00e8res bien \u00e0 lui, hors comp\u00e9tence. Chaque matin, l\u2019une soupire, ajuste sa jupe, entre chez lui. Dur\u00e9e ind\u00e9termin\u00e9e. Leur b\u00eatise para\u00eet d\u00e9sesp\u00e9rante, mais la vie, le boulot, temp\u00e8rent ce jugement. \u00c0 la machine \u00e0 caf\u00e9, elles rient trop fort. On se tait quand elles passent. Le pouvoir, ici, porte des talons.<\/p>\n Elle est nue, entre deux \u00e2ges. Un corps qui accroche l\u2019\u0153il, \u00e9chappe aux normes. Fesses sur serviette bleue, elle pose. Immobile sous les regards, sous les mains qui tracent, crayonnent, soup\u00e8sent. Elle ne sourit pas. Se tourne, se tord, s\u2019allonge, oblique. Trois quarts, de dos, \u00e0 demi assise. Habitude ou pudeur, difficile \u00e0 dire. Puis elle se rhabille, sans un mot. Cinq euros la s\u00e9ance, ap\u00e9ritif compris. Rue Sainte-Catherine, \u00e0 Lyon. Un soir comme un autre.<\/p>\n Elle est au rayon liquides, Grisot de l\u2019Isle-Adam. Le patron lui tourne autour. Deux mots, un sourire, elle sait faire. Elle est l\u00e0 depuis trop longtemps. Elle chante. On lui a dit qu\u2019elle avait du talent, elle y a cru, elle ferait un disque. Deux ans ont pass\u00e9. Elle est toujours l\u00e0. Elle chante moins. Parfois, elle sourit, tristement. Le patron tourne autour de la nouvelle, \u00e0 la poissonnerie. Rien n\u2019a chang\u00e9. Elle s\u2019en va, sans se retourner.<\/p>\n Elle fait l\u2019amour au t\u00e9l\u00e9phone, cent francs la carte bancaire. Elle est aussi grand-m\u00e8re. Quand \u00e7a sonne, elle l\u00e8ve un doigt, bouche ferm\u00e9e. Sa belle-fille comprend, emm\u00e8ne les enfants. Plus un mot, juste ce man\u00e8ge muet, rod\u00e9, pr\u00e9cis. Elle se racle la gorge, d\u00e9croche. Voix douce, aguicheuse. Apr\u00e8s, elle reviendra, servira le go\u00fbter. Personne ne dit rien. Personne ne sait vraiment, ou alors tout le monde fait semblant.<\/p>\n Elle, grande, noire, belle comme un c\u0153ur, vient d\u2019arriver \u00e0 Lyon. Tutoiement facile, mais r\u00e8gles strictes. Le boulot, c\u2019est le boulot. Directrice ou pas, elle doit rendre des comptes. En r\u00e9union, elle sait : pas de question quand le DG de Paris vient faire son show. Elle a le cul entre deux chaises, oui, mais elle s\u2019accroche. On salue son \u00e9l\u00e9gance, sa mani\u00e8re de m\u00e9nager la ch\u00e8vre, le chou, et le reste du troupeau.<\/p>\n Elle a longtemps intrigu\u00e9 pour ce poste sur le site de Lyon. Puis les bonjours ont chang\u00e9. Plus froids. La direction se fichait d\u2019elle, elle l\u2019a compris. Elle a parl\u00e9 de reconnaissance, de manque de respect. Elle r\u00e9p\u00e9tait que c\u2019\u00e9tait injuste. On ne la reconnaissait plus. Elle s\u2019est mise en maladie. Elle n\u2019est jamais revenue. On a d\u00e9plac\u00e9 son nom sur la porte. Puis on a retir\u00e9 son nom. Puis on a oubli\u00e9 son nom.<\/p>\n Marie Blacher, Chanas. Midi quinze. Elle est seule derri\u00e8re le comptoir. Elle pi\u00e9tine. Coiffe bleue, tenue r\u00e9glementaire. Presque invisible. Sa voix nasillarde guide les clients. — Tomate mozzarella ? — Bouteille d\u2019eau ? Le sandwich est froid. L\u2019\u00e9change, encore plus. 6,90 euros sans-contact. Le client repart vite. Elle ne sourit pas. Il ne dit pas merci. Elle non plus. Il y a peu de monde, peu de sandwichs. Et encore moins de regards. Elle est l\u00e0. Et pourtant personne ne la voit.<\/p>\n Dimanche, 14h30, Mornant. Elle tient la permanence \u00e0 la Maison de Pays. Une b\u00e9n\u00e9vole. Un chemisier boutonn\u00e9 jusqu\u2019au cou, mains tachet\u00e9es, doigts tremblants au-dessus du clavier. — C\u2019est l\u2019enfer, ces machines. Elle sourit, une cha\u00eene glisse de son col, une croix au bout. Elle dit que le directeur va venir, que lui saura. Elle ne sait pas quoi faire, mais reste l\u00e0. Pr\u00e9sente, assise, \u00e0 son poste. Le silence p\u00e8se entre elle, l\u2019\u00e9cran noir, et les tableaux aux murs.<\/p>\n contrainte<\/strong> : Th\u00e8me central : le trajet du retour, qu\u2019il soit quotidien ou exceptionnel, proche ou lointain dans le temps, dans un lieu actuel ou disparu. Ce qui compte, c\u2019est qu\u2019on rentre chez soi.<\/em><\/p>\n Objectif d\u2019\u00e9criture :<\/strong><\/p>\n \u00c9crire le r\u00e9cit d\u2019un trajet retour, d\u2019un point A vers chez soi.<\/em><\/p>\n Ce trajet devient une accumulation de perceptions, une suite de d\u00e9tails et de micro-\u00e9v\u00e9nements qui composent une narration fragmentaire mais fluide.<\/em><\/p>\n Ce n\u2019est pas un journal, ni un r\u00e9cit introspectif, ni un r\u00e9cit au pass\u00e9, mais un texte en pr\u00e9sent du regard.<\/em><\/p>\n *R\u00e9f\u00e9rences litt\u00e9raires \u00e9voqu\u00e9es :<\/em><\/p>\n Jean Rolin (Le pont de Bezons, Zones, Savannah)<\/p>\n Georges Perec (Esp\u00e8ces d\u2019espaces)<\/p>\n Claude Simon, Danielle Collobert<\/p>\n Forme :<\/strong><\/p>\n Narration fluide, sans effets, avec une accumulation de notations concr\u00e8tes.<\/em><\/p>\n Pas de psychologie : la subjectivit\u00e9 passe uniquement par le choix des d\u00e9tails, pas par le commentaire.<\/em><\/p>\n Ancrage dans le r\u00e9el, mais avec effacement progressif du « je »<\/em><\/p>\n Un samedi, la porte du 15 bis \u00e9tait ouverte. Dans le couloir, deux glaces — on disait encore glaces, pas miroirs — refl\u00e9taient un homme mal ras\u00e9, regard cave, \u00e9paules basses. On aurait attendu un enfant, on croisa un inconnu. C\u2019est \u00e0 ce moment-l\u00e0 que le trajet s\u2019interrompt. Retour \u00e0 la rue Dombasle. Le distributeur de chewing-gums a disparu. Le corps s\u2019all\u00e8ge, le pas s\u2019acc\u00e9l\u00e8re. Convention, puis ailleurs. Et plus tard, parfois, un autre retour : rue des Poissonniers, 18e arrondissement. M\u00eames effets. Autres seuils. Le trajet, toujours, s\u2019ach\u00e8ve devant une porte close.<\/p>\n contrainte : <\/strong> D\u00e9crire un lieu public d\u2019attente, fig\u00e9 dans le temps, o\u00f9 la contrainte d\u2019attendre r\u00e9v\u00e8le — par la pr\u00e9cision des perceptions, l’immobilit\u00e9 des corps et l\u2019absence d\u2019enjeu narratif — une all\u00e9gorie du r\u00e9el, dans l\u2019esprit radical et descriptif du D\u00e9peupleur de Beckett.<\/em><\/p>\n La porte s\u2019ouvre. On dit : « Entrez. Attendez l\u00e0. » Le couloir m\u00e8ne \u00e0 une salle vide, tr\u00e8s vaste, au sol gris, aux murs blancs sans ouverture. Autour, des chaises. Toutes identiques. Align\u00e9es avec exactitude, espac\u00e9es \u00e0 distance r\u00e9guli\u00e8re. On s\u2019assoit. D\u2019autres sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0. Assis. T\u00eates basses. Mains crois\u00e9es ou \u00e0 plat sur les cuisses. Personne ne parle. Personne ne bouge. Rien sur les murs, pas de montre, pas de fen\u00eatre. Le silence p\u00e8se. Il n\u2019y a rien \u00e0 faire. L\u2019air est ti\u00e8de. Odeur de poussi\u00e8re propre. On baisse les yeux vers ses chaussures. On regarde celles des autres. Des noires, des beiges, une paire blanche, sale. On compte les chaises. Une libre. Puis plus aucune. Quelqu\u2019un respire fort. On l\u00e8ve les yeux. On baisse la t\u00eate. Une femme passe. Un homme la suit. Ils ne parlent pas. Ils ressortent. Personne ne les regarde. Une autre femme arrive. Elle s\u2019assoit. \u00c0 la place vide. Puis plus rien. Rien d\u2019autre que le gris, les t\u00eates baiss\u00e9es, l\u2019attente.<\/p>\n contrainte<\/strong> : \u00c9crire un texte enti\u00e8rement compos\u00e9 d\u2019interactions, de transactions ou de gestes d\u2019\u00e9change, dans ou avec la ville, en s\u2019inspirant du mot « donne », \u00e0 la mani\u00e8re du po\u00e8me de Christophe Tarkos.<\/em><\/p>\n Objectifs<\/strong> : \nLe texte ne d\u00e9crit pas un lieu ou une situation ext\u00e9rieure, mais l\u2019interaction elle-m\u00eame devient mati\u00e8re po\u00e9tique et narrative.<\/em><\/p>\n Ce « donne » peut \u00eatre un geste, un mot, une demande, un \u00e9change, mat\u00e9riel ou symbolique.<\/em><\/p>\n C\u2019est \u00e0 la ville qu\u2019on prend ce « donne » : dans les transports, les rues, les march\u00e9s, les silences ou les regards.<\/em><\/p>\n Le mot « donne » (ou ses d\u00e9riv\u00e9s : donner, donn\u00e9, se donne, etc.) doit structurer l\u2019ensemble, soit de fa\u00e7on visible, soit en filigrane.<\/em><\/p>\n Aucune forme impos\u00e9e : libert\u00e9 compl\u00e8te de ton et de forme, mais le texte doit faire corps avec cette id\u00e9e d\u2019\u00e9change.<\/em><\/p>\n L\u2019intention cach\u00e9e : le « donne » comme conjuration du r\u00e9el, un fragment de r\u00e9ponse \u00e0 l\u2019obscurit\u00e9 contemporaine, un geste de partage ou de refus de la violence du monde.<\/em><\/p>\n \u00c7a va donner mais quoi c\u2019est encore \u00e0 voir, \u00e0 deviner peut-\u00eatre, puis ce jeune type passe, il fredonne \u00e0 un moment donn\u00e9 sur un air connu, un bout de Ravel ou autre chose, pas certain, juste une boucle lancinante, et \u00e7a me donne soudain envie de l\u2019accompagner, bouche en percussion, ta-rata-ta, \u00e7a claque bien, \u00e7a vibre, c\u2019est pas donn\u00e9 de faire \u00e7a juste avec la bouche, sans honte, sans frein, et le moment donn\u00e9 devient une sorte d\u2019instant tenu, suspendu, jusqu\u2019\u00e0 ce que le flic dise stop, contr\u00f4le, donne tes papiers, alors je m\u2019arr\u00eate, mais dans ma t\u00eate \u00e7a continue, le rythme, le souffle, et l\u00e0 une fille donne un coup de pied dans une canette, un vrai shoot, elle s\u2019en donne \u00e0 c\u0153ur joie, \u00e7a rebondit, \u00e7a passe pr\u00e8s du flic qui me rend mes papiers sans mot, on se regarde, ils se regardent, personne ne parle, et le gar\u00e7on a tourn\u00e9 l\u2019angle de la rue, sa voix se perd dans un murmure \u00e0 un moment donn\u00e9, on reste l\u00e0 un peu, et puis la canette revient, on se la donne de pied en pied, on relance, moi je montre comment faire le bruit de bouche, ta-rata-ta, on se le donne pour de vrai, puis la sc\u00e8ne s\u2019effiloche, la fille, le flic, quelques autres s\u2019\u00e9loignent, et moi, je donne ma langue au chat, il fait presque nuit, on s\u2019est tous donn\u00e9s la permission de rentrer chez soi.<\/p>\n contrainte<\/strong> : \u00c9crire \u00e0 partir d\u2019un protocole simple et concret, une action r\u00e9p\u00e9t\u00e9e dans l\u2019espace public qui, en agissant sur le r\u00e9el, produit un r\u00e9cit transform\u00e9 — non pas pour mieux voir, mais pour d\u00e9ranger l\u2019ordinaire et en r\u00e9v\u00e9ler une part invisible.<\/em><\/p>\n Je le glisse dans ma poche. Chez moi, je l\u2019ajoute aux autres. Ils s\u2019empilent. Une tour de gestes minuscules, inutile pour tout le monde sauf pour moi. J\u2019y lis une chose comme une pri\u00e8re mat\u00e9rialis\u00e9e. Ce n\u2019est pas de l\u2019art, ce n\u2019est pas politique. C\u2019est peut-\u00eatre un refus discret. Une ob\u00e9issance invers\u00e9e.<\/p>\n Le r\u00e9el ne bronche pas. Mais moi, je sais que j\u2019ai d\u00e9pos\u00e9 un contre-signe. Une marque. J\u2019agis l\u00e0 o\u00f9 on ne m\u2019attend pas. Il y aura cent cubes. Deux cents. On ne saura pas pourquoi. Moi non plus, \u00e0 vrai dire. Mais ils seront l\u00e0. Et moi, avec eux.<\/p>\n contrainte<\/strong> : Choisir un minuscule fragment du r\u00e9el urbain (votre « timbre-poste »), et en faire le compte rendu fragmentaire, \u00e9clat\u00e9 ou tourbillonnant, comme un journal d\u2019observation travers\u00e9 de variations, incidents, saisons, d\u00e9r\u00e8glements — o\u00f9 le temps tremble, acc\u00e9l\u00e8re ou ralentit.<\/em><\/p>\n 1er juillet, 6h.<\/strong><\/p>\n L\u2019atelier s\u2019ouvre sur la cour. Le coq chante. Les n\u00e9ons h\u00e9sitent, puis s\u2019allument. Le mur blanc de dix m\u00e8tres expose onze tableaux sans signature. Formats vari\u00e9s, couleurs m\u00eal\u00e9es. Devant, un meuble en bois et des \u00e9tag\u00e8res : mannequins d\u2019\u00e9tude, pinceaux, c\u00e2bles, appareil photo, rubans, cartes postales. L\u2019ordre s\u2019use doucement.<\/p>\n<\/li>\n Le m\u00eame matin, dans l\u2019atelier de menuiserie : machines \u00e0 bois, meubles sur tr\u00e9teaux, le journal titre sur l\u2019ind\u00e9pendance du Congo. Un homme entre. Le froid pique. Il est t\u00f4t, mais il faut d\u00e9j\u00e0 vernir, charger.<\/p>\n<\/li>\n Un jeune homme traverse l\u2019\u00e9curie, lumi\u00e8re mince par les fentes du bardage. Odeur de cuir, de crottin. Il s\u2019assoit, allume une cigarette, lit un pulp am\u00e9ricain. \u00c0 midi, l\u2019\u00e9curie br\u00fblera. Les chevaux fuiront. Le gar\u00e7on, lui, dispara\u00eet. On retrouvera son nom bien plus tard, griffonn\u00e9 sur une traduction improbable.<\/p>\n<\/li>\n Une femme traverse la cour. Les tableaux sont emball\u00e9s, empil\u00e9s. Le peintre est mort. L\u2019entreprise du mus\u00e9e des \u0153uvres inachev\u00e9es viendra les chercher. Elle \u00e9teint la lumi\u00e8re. Une derni\u00e8re fois. Puis referme la porte.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n contrainte<\/strong> : *\u00c9crire un texte o\u00f9 l\u2019on traverse la ville en ligne droite, sans s\u2019arr\u00eater.<\/p>\n Le texte doit incarner une progression continue, et traverser successivement des strates urbaines, des couches de r\u00e9el.<\/em><\/p>\n S\u2019inspirer de la d\u00e9marche de Zbigniew Rybczy\u0144ski : travers\u00e9e frontale, radicale, libre.<\/em><\/p>\n Accepter que cette travers\u00e9e soit fantastique, irr\u00e9elle, absurde ou mythique.<\/em><\/p>\n Important<\/strong> : c\u2019est l\u2019effet de « coupe » dans le r\u00e9el qui compte — les couches sociales, les espaces, les corps, les obstacles, les symboles, les impressions.\nIl partit sans se retourner. Pas m\u00eame le temps de refermer la porte. Quelque chose en lui avait c\u00e9d\u00e9 net — un claquement int\u00e9rieur, irr\u00e9versible. Trahi, une fois de trop. Il d\u00e9vala les sept \u00e9tages comme on se jette d\u2019un pont. <\/em><\/p>\n Il est sorti sans claquer la porte, le corps en avant, le c\u0153ur en vrac. Devant lui : la Bastille. Il ne regarde ni \u00e0 droite ni \u00e0 gauche, coupe les lignes, traverse les flux, feinte les phares. Les pneus crissent, les bras se l\u00e8vent, les voix hurlent, mais lui passe. Il traverse. Rue du Faubourg-Saint-Antoine : rideaux baiss\u00e9s, enseignes fan\u00e9es, visages flous \u00e0 travers les vitrines. Il traverse. \u00c0 Nation, le carrousel tourne vide, les pigeons l\u2019observent d\u2019un \u0153il fixe. Il traverse. Des haies, des cl\u00f4tures, des squares : il fend, il fend tout droit. Le bois de Vincennes se l\u00e8ve devant lui. Il entre. La lumi\u00e8re tombe \u00e0 pic. L\u2019air sent l\u2019eau croupie et la mousse. Les cygnes le fr\u00f4lent. Il passe. Il ne s\u2019arr\u00eate pas. Pas encore. Il traverse. Les arbres s\u2019ouvrent sur une plaine. Il coupe. Il file. Les barres de Cr\u00e9teil, les friches, les p\u00e9riph\u00e9ries. Il traverse. Toujours plus droit, toujours plus loin. Jusqu\u2019\u00e0 ce que la ville se taise. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il n\u2019y ait plus rien \u00e0 traverser. Alors seulement, il s\u2019assoit. Pas pour se reposer. Pour regarder le vide en face.<\/p>\n contrainte<\/strong> : \u00c9tablis un r\u00e9cit compact, centr\u00e9 sur un lieu ou un d\u00e9placement urbain pr\u00e9cis, en y int\u00e9grant — de mani\u00e8re sensible, litt\u00e9raire ou fictionnelle — la masse invisible mais omnipr\u00e9sente des flux de donn\u00e9es qui traversent et fa\u00e7onnent cet espace.<\/em><\/p>\n Caf\u00e9. 8h42.<\/strong> contrainte<\/strong> : revenir sur les lieux d\u2019un fait divers oubli\u00e9, comme un visiteur du lendemain, pour constater l\u2019absence de traces, et faire r\u00e9cit de cette disparition dans le r\u00e9el, sans jamais nommer directement le fait divers, \u00e0 la mani\u00e8re du photographe Bruno Serralongue.<\/em> <\/p>\n Il fait doux, l\u2019air sent la pluie \u00e9vapor\u00e9e. Louis s\u2019arr\u00eate au coin de la rue. Il n\u2019est pas revenu ici depuis des ann\u00e9es. Le restaurant a chang\u00e9 de nom. Nouvelle devanture, nouveau logo. On ne reconna\u00eet plus rien.<\/p>\n Il s\u2019avance. Devant lui, la fa\u00e7ade blanche et lisse, refaite. Aucune plaque comm\u00e9morative. Pas de trace. Seulement un vague sentiment de trop bien repeint, de propre trop r\u00e9cent. Il reste quelques secondes devant la vitrine. Il regarde \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur. Un jeune couple mange des sushis. Un serveur passe l\u2019aspirateur sur le seuil.<\/p>\n Il se souvient d\u2019un cri. Il se souvient des pompiers. Du silence qui a suivi. Il avait sept ans. C\u2019\u00e9tait en bas de chez lui. Il \u00e9tait seul dans l\u2019appartement, sa m\u00e8re \u00e9tait partie au travail, mission d\u2019int\u00e9rim, loin, \u00e0 l\u2019autre bout de la ville. Il avait hurl\u00e9. Depuis, il ne dort plus tr\u00e8s bien.<\/p>\n Il fait le tour du p\u00e2t\u00e9 de maisons. Cherche une inscription, une marque, un d\u00e9tail. Rien. M\u00eame les arbres ont chang\u00e9. Sur son t\u00e9l\u00e9phone, il cherche l\u2019adresse exacte, l\u2019archive d\u2019un article. Rien ne remonte. Aucune mention. C\u2019est comme si cela n\u2019avait jamais eu lieu.<\/p>\n Il prend une photo. Simplement la vitrine, \u00e0 la verticale. Pas pour se souvenir. Pour attester. Qu\u2019il est revenu. Que le lieu existe. Et qu\u2019il n\u2019a rien dit.<\/p>\n contrainte<\/strong> : - Partir du lieu du texte pr\u00e9c\u00e9dent<\/strong>, celui que d\u00e9crit dans la consigne #25 — un appartement, une rue, un \u00e9v\u00e9nement disparu, l\u2019inqui\u00e9tude d\u2019une m\u00e8re, l\u2019amn\u00e9sie d\u2019un fils.<\/em>\n- Y greffer une histoire racont\u00e9e<\/strong>, qui n\u2019est pas la vie compl\u00e8te d\u2019un personnage<\/strong>, mais un fragment, un \u00e9pisode<\/strong>, avec une \u00e9tranget\u00e9 ou une singularit\u00e9, comme l\u2019« histoire du tueur de mots » chez Perec.<\/em>\n- Travailler une forme qui ne soit pas trop classique : une syntaxe vive, une langue souple, \u00e0 la mani\u00e8re du LXXIV de La vie mode d\u2019emploi<\/strong>, ou de certains fragments des « Machines \u00e0 ascenseur » — plus de souffle, plus de rythme, moins de lin\u00e9arit\u00e9<\/strong>.<\/em>\n- Enfin, que cette histoire racont\u00e9e<\/strong> donne du sens au lieu, ou le transforme \u00e0 nos yeux<\/strong>.<\/em><\/p>\n Il y eut un boum, le passant h\u00e9las ou heureusement avait d\u00e9j\u00e0 tourn\u00e9 au coin de la rue.<\/p>\n 2.l\u2019histoire du photographe qui ne tirait rien de positif de ses n\u00e9gatifs.<\/p>\n Au moment pr\u00e9cis o\u00f9 la bombe explosa le photographe venait de refermer sa fen\u00eatre apr\u00e8s avoir photographi\u00e9 un pigeon. Il eut un petit espoir, tr\u00e8s fugace d\u2019avoir photographi\u00e9 la sc\u00e8ne mais non comme d\u2019habitude il ne vit appara\u00eetre dans le bain de r\u00e9v\u00e9lateur que la silhouette approximative d\u2019un pigeon prenant son envol, encore flou.<\/p>\n 3.l\u2019histoire de l\u2019homme qui ne voulait pas vieillir trop vite.<\/p>\n Au moment du boum il se regardait dans la glace et il vit avec horreur une nouvelle ride.<\/p>\n 4.l\u2019histoire de la femme qui ne voulait pas chanter<\/p>\n Au moment de l\u2019explosion tout le monde la priait avec insistance de chanter, elle ouvrit la bouche \u00e0 peine une seconde puis la referma.<\/p>\n 5.l\u2019histoire d\u2019un adolescent qui s\u2019entra\u00eene \u00e0 jouer jeux interdit <\/p>\n La chanterelle peta net de fa\u00e7on tellement synchrone avec l\u2019explosion que l\u2019adolescent fit un bond dans sa mansarde , 5 points de suture.<\/p>\n 6.l\u2019histoire de Martine int\u00e9rimaire heureuse d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 appel\u00e9e pour une mission <\/p>\n Elle commencerait demain, elle le savait depuis deux jours et depuis deux jours elle \u00e9tait heureuse, l\u2019explosion la cueillit ainsi alors qu\u2019elle se souriait a elle m\u00eame.<\/p>\n 7.l\u2019histoire de Louis le fils de Martine <\/p>\n Louis avait copie sur un copain \u00e0 l\u2019\u00e9cole le matin meme, aussi quand il regarda par la fen\u00eatre l\u2019explosion, les corps d\u00e9chiquettes, la fum\u00e9e tout lui sembla \u00eatre la cons\u00e9quence de son m\u00e9fait, c\u2019\u00e9tait forc\u00e9ment \u00e0 cause de lui.<\/p>\n 8.l\u2019histoire du chat qui avait du flair<\/p>\n Une minute avant que la bombe n\u2019explose un chat gris qui marchait normalement dans la rue acc\u00e9l\u00e9ra le pas puis se mit \u00e0 courir comme un d\u00e9rat\u00e9.<\/p>\n 9.l\u2019histoire de l\u2019homme qui rate tous les \u00e9v\u00e9nements importants du quartier<\/p>\n Il s\u2019appr\u00eatait \u00e0 d\u00e9m\u00e9nager au moment meme o\u00f9 un bruit assourdissant fit voler en \u00e9clats toutes les vitres de la rue. Mais il n\u2019habitait pas dans cette rue l\u00e0. Il referma sa malle avec d\u00e9termination et s\u2019assit dessus pour pleurer.<\/p>\n 10.l\u2019histoire de la femme qui voit toujours tout<\/p>\n Ce coup l\u00e0 ce fut une premi\u00e8re dans sa vie, elle ne vit rien car elle \u00e9tait en train de raconter \u00e0 une voisine de palier ce qu\u2019elle avait vu la veille.<\/p>\n contrainte<\/strong> : \u00c9crire un texte o\u00f9 un personnage est sculpt\u00e9 uniquement par une succession de questions multiples et crois\u00e9es<\/strong>, pos\u00e9es par des voix diverses, sans y r\u00e9pondre, \u00e0 la mani\u00e8re de Nathalie Sarraute, pour faire \u00e9merger sa v\u00e9rit\u00e9 par la pression du questionnement<\/strong>. <\/em> <\/p>\n Ils parlent \u00e0 trois. \u00c0 deux, vraiment, car le troisi\u00e8me, Louis, n\u2019est pas l\u00e0. Ou plus l\u00e0. Mais il s\u2019invite. Il les hante.<\/p>\n -- On ne le reconna\u00eet plus, dit le p\u00e8re.\n-- Il n\u2019est pas si diff\u00e9rent, nuance la m\u00e8re. Il lui faut du temps, \u00e0 nous aussi.<\/p>\n Mais Louis les entend. Ou ils croient qu\u2019il les entend. Peut-\u00eatre qu\u2019ils parlent pour lui.<\/p>\n Louis, mordant : « Que je sois l\u00e0 ou non, vous continuez, n\u2019est-ce pas ? Toujours \u00e0 tourner autour de l\u2019essentiel. Ce n\u2019est m\u00eame pas une question de reconnaissance, c\u2019est bien pire. »<\/p>\n Le p\u00e8re s\u2019accroche aux souvenirs : « Ce d\u00e9m\u00e9nagement, tu te souviens, La Grave ? Et cette histoire de montre... »<\/p>\n La m\u00e8re corrige : « Ce n\u2019\u00e9tait pas la sienne. Celle de la petite Magnard. Il s\u2019est tromp\u00e9 d\u2019objet. »<\/p>\n Louis r\u00e9plique : « Vous n\u2019avez jamais compris. Ce n\u2019\u00e9tait pas la montre. C\u2019\u00e9tait tout ce qu\u2019elle symbolisait. Le d\u00e9part. Le manque. Le vide. Ce foutu trou que vous refusez de nommer. »<\/p>\n Le p\u00e8re se d\u00e9fend : « On a toujours fait au mieux. »<\/p>\n La m\u00e8re soupire : « Toujours les m\u00eames mots. »<\/p>\n La tension monte. Les bras s\u2019agitent. Les rancunes \u00e9clatent.<\/p>\n Louis encourage : « Vas-y, maman, cogne. Fais-lui sentir ce qu\u2019il n\u2019a jamais voulu entendre. »<\/p>\n Le p\u00e8re, bless\u00e9 : « Pourquoi \u00eatre rest\u00e9e, alors ? Victime commode, non ? »<\/p>\n La m\u00e8re, tranchante : « Tu voulais \u00eatre un homme comme ton p\u00e8re, mais tu n\u2019as \u00e9t\u00e9 qu\u2019un r\u00f4le, une imposture. »<\/p>\n Louis, spectateur attendri : « Quelle sc\u00e8ne ! Quel th\u00e9\u00e2tre ! Si j\u2019\u00e9tais encore l\u00e0, je vous embrasserais. Mais je suis ailleurs, dig\u00e9r\u00e9 par la ville, un lambeau dans les entrailles d\u2019un monde souterrain. »<\/p>\n Rideau. Silence.<\/p>\n contrainte<\/strong> : Choisir un objet achet\u00e9 par votre personnage (m\u00eame anodin), et d\u00e9plier tout ce que cet achat convoque de symbolique, de tensions sociales, de d\u00e9sirs, de contexte urbain, \u00e9conomique ou affectif, en suivant la mani\u00e8re fragmentaire et ironique d\u2019
\nJour 1<\/a><\/h2>\n
\nUne enfilade de fen\u00eatres bl\u00eames, des rectangles r\u00e9p\u00e9t\u00e9s, identiques, sur un ciel sourd, un jour sans lumi\u00e8re :\nRue entre Morillons et Dombasle, Paris 15e. Aucun nom. Il revient toujours. Pour voir s\u2019il est encore l\u00e0.\nJour 2<\/h2>\n
\nJour 3<\/a><\/h2>\n
\nJour 4<\/a><\/h2>\n
\n
\n<\/li>\n<\/ul>\n\n
Jour 5<\/a><\/h2>\n
\nJour 6<\/a><\/h2>\n
\n\n
Jour 7<\/a><\/h2>\n
\nUn plan du m\u00e9tro de Tokyo, repli\u00e9 \u00e0 l\u2019envers, illisible, couleurs trop vives, lignes trop courbes.\nJour 8<\/a><\/h2>\n
\nUne cl\u00e9. Un badge. Une porte qui se referme doucement dans un chuintement \u00e9tanche. L\u2019ascenseur est l\u00e0. Miroir gris, lumi\u00e8re verte, fl\u00e8che rouge : bas.\nJour 9<\/a><\/h2>\n
\n1. Terminus Bastille\nEscalator hors service. Mont\u00e9e lente, pieds qui frottent les marches de pierre. \u00c0 mi-chemin, le grondement des rames en bas se m\u00eale aux klaxons en haut. Sortie. Face \u00e0 la Banque de France, coupole ardois\u00e9e, \u0153ils-de-b\u0153uf ferm\u00e9s, noirs, pas de rideau. Trottoir d\u2019en face : lever les yeux, calculer la hauteur, suivre la sym\u00e9trie des fen\u00eatres. \u00c0 droite, bar-tabac : flipper, bruit de vaisselle, caf\u00e9 ti\u00e8de. Miroirs, carrelage beige, un homme seul, lunettes sur le nez, cravate desserr\u00e9e. Mitterrand en une des quotidiens. Dehors, le g\u00e9nie de la Bastille semble vouloir fuir, mais la colonne le retient.\n\n
Jour 10<\/a><\/h2>\n
\n1. Le vieil homme du tram D\nAssis au bout du wagon, il tenait une bo\u00eete de chocolats entre les genoux. Pas un paquet neuf, non, une vieille bo\u00eete en m\u00e9tal caboss\u00e9e, ann\u00e9es 70, un enfant blond y riait encore. Il ne regardait personne, mais surveillait la bo\u00eete comme s\u2019il y avait dedans un c\u0153ur battant. Il descendait \u00e0 Debourg, sans se retourner.\n\n
Jour 11<\/a><\/h2>\n
\nJour 12<\/a><\/h2>\n
\nJour 13<\/a>contrainte<\/strong> : Fragmenter radicalement le r\u00e9el. Saisir la ville non pas comme d\u00e9cor continu, mais comme une succession de blocs autonomes, d\u2019objets \u00e0 regarder s\u00e9par\u00e9ment, comme dans un plan de cin\u00e9ma B-roll.<\/em><\/h2>\n
\nCarr\u00e9 de lumi\u00e8re sur la vitre.\nJour 14<\/a><\/h2>\n
\nNoir et blanc, noir et blanc, noir et blanc. La couleur est venue d’abord. Une pellicule couleur, 36 poses, un appareil achet\u00e9 \u00e0 cr\u00e9dit chez Prophot, boulevard Beaumarchais. Le d\u00e9part pour l’Irlande. Cork, Galway, les verts infinis, le vent dans les haies, les maisons basses, un vert humide, un vert peluche, un vert algue, un vert menthe fan\u00e9e. Puis retour. Et alors, noir et blanc. Une d\u00e9cision. Le Nikormat reste, mais les pellicules changent. Tri-X, 400 ASA. Noir et blanc.\nJour 15<\/a><\/h2>\n
\nJour 16<\/a><\/h2>\n
\nc\u2019est quoi ce bras juste un bras un bras qui d\u00e9passe \u00e0 peine un bras et un doigt une bouteille tenue par une main attach\u00e9e au bras c\u2019est quoi ce bras l\u00e0 c\u2019est tout ce que je vois tout ce que je crois voir depuis le haut du pont mais quel pont c\u2019est quoi ce pont je ne sais pas ou je ne veux pas savoir c\u2019est quoi ce bras cette main ce doigt cette bouteille ce reste d\u2019homme c\u2019est un reste un fragment quelque chose une chose humaine peut-\u00eatre ou pas ou plus peut-\u00eatre c\u2019est flou et \u00e7a reste l\u00e0 \u00e7a tient l\u00e0 c\u2019est fich\u00e9 dans l\u2019image mentale que je ne l\u00e2che pas que je ne peux pas l\u00e2cher que je n\u2019arrive pas \u00e0 l\u00e2cher\nJour 16<\/a><\/h2>\n
\nSi j\u2019\u00e9crivais non, ce serait \u00e0 Paris, ville fendue de part en part par le doute. Une ville o\u00f9 je m\u2019\u00e9tais donn\u00e9 pour seul luxe ce refus : celui de ne pas c\u00e9der tout de suite, pas tout \u00e0 fait, \u00e0 ce qu\u2019ils appellent la vie normale. Si j\u2019\u00e9crivais non, ce serait depuis les biblioth\u00e8ques, les caf\u00e9s, les rues o\u00f9 j\u2019ai habit\u00e9, arpent\u00e9, travers\u00e9 \u00e0 17 ans comme on \u00e9crit un premier mot sans savoir si quelqu\u2019un va le lire.\nJour 17<\/a><\/h2>\n
\nJour 18<\/a><\/h2>\n
\nHeureux qui s\u2019est retrouv\u00e9 un matin rue Jobb\u00e9 Duval, sans pr\u00e9m\u00e9ditation, entre la boulangerie en haut de la pente et le parc Georges Brassens dont les grilles \u00e9taient encore ferm\u00e9es. Pas de raison valable pour y revenir, pourtant les pas y ram\u00e8nent parfois, d\u00e9tournant les itin\u00e9raires convenus. Au coin de la rue Dombasle, la silhouette du 15 bis s\u2019impose comme une \u00e9vidence, aussit\u00f4t oubli\u00e9e. La porte ne s\u2019ouvre pas, il n\u2019est plus question d\u2019entrer. Devant le seuil, un bref flottement. Le regard glisse sur les bo\u00eetes aux lettres, s\u2019attarde sur l\u2019interphone. Puis rebrousser chemin, d\u00e9river jusqu\u2019au march\u00e9 du livre ancien, longer les pelouses paisibles o\u00f9 paissent des fant\u00f4mes d\u2019agneaux et de b\u0153ufs.\nJour 19<\/a><\/h2>\n
\nJour 20<\/a><\/h2>\n
\nJour 21<\/a><\/h2>\n
\nChaque jour, \u00e0 l\u2019aller comme au retour, je plie un ticket de m\u00e9tro. Une seule consigne : le transformer en cube. Petit, r\u00e9gulier, \u00e0 peu pr\u00e8s stable. Il me faut les deux mains. Parfois, les plis c\u00e8dent, la mati\u00e8re r\u00e9siste. Mais j\u2019insiste, toujours, jusqu\u2019\u00e0 former ce cube approximatif.\nJour 22<\/a><\/h2>\n
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Jour 23<\/a><\/h2>\n
\nJour 24<\/a><\/h2>\n
\n
\nBrouhaha, tasse, cuill\u00e8re, table d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9. Notification : j\u2019aurai un peu de retard<\/em>. Doigt glisse, \u00e9cran s\u2019ouvre.
\nTable d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9, une femme — autre notification : Votre nouvelle carte de s\u00e9curit\u00e9 sociale est disponible<\/em> — arnaque ?
\nServeur passe, tablette en sangle, tapote, esquive, collecte. Clic, clac, plateau.
\nMail : nouveau document disponible dans votre espace client<\/em>. Suppression. Poubelle. Nettoyage. Rangement mental.
\nEffacer pubs, messages lus, non lus, trop lus. Comble l\u2019attente. Optimisation.
\nTicket de caisse d\u00e9passe de la soucoupe : 2,50 \u20ac. Carte. Sans contact.
\nNotification : papo cible venir accident Cambronne te rap<\/em>. Pause.
\nImaginer l\u2019accident. Rechercher. Google. Cambronne. Pas de r\u00e9seau. Frustration.
\n\u00c0 droite, femme boit caf\u00e9. Regarde son t\u00e9l\u00e9phone.
\nComment fait-elle sans r\u00e9seau ?<\/p>\nJour 25<\/a><\/h2>\n
\nJour 26<\/a><\/h2>\n
\n1.l\u2019histoire du passant qui tourne au coin de la rue \nJour 27<\/a><\/h2>\n
\nJour 28<\/a><\/h2>\n