{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-octobre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-octobre-2025.html", "title": "26 octobre 2025", "date_published": "2025-10-26T03:51:47Z", "date_modified": "2025-10-26T04:31:38Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Re\u00e7u M. et C. hier soir. Bonne soir\u00e9e. \u00c0 peine ont-ils franchi la porte que M. et S. se ruent sur le sujet des petits-enfants. C., \u00e0 qui je demande des nouvelles de sa sant\u00e9, m\u2019arr\u00eate dans la cuisine : il me parle de sa chimio et m\u2019annonce qu\u2019en fin de compte il y renonce. « Quatre-vingts ans, je n\u2019ai plus envie d\u2019y retourner », me dit-il, et, pour se rassurer sans doute, ajoute que si \u00e7a repart, le temps que la maladie se propage \u00e0 nouveau, ce sera sans doute lent, se rassure-t-il \u00e0 voix haute. Je ne sais quoi r\u00e9pondre. La maladie et la mort sont pour moi des sujets tellement terrifiants que je les exp\u00e9die presque aussit\u00f4t dans l\u2019indicible. J\u2019arrive assez bien, je crois, \u00e0 les \u00e9crire, mais non \u00e0 en parler dans le vif.<\/p>\n

Cela me ram\u00e8ne encore une fois \u00e0 Henri-Mondor, Cr\u00e9teil. Cette salle d\u2019attente o\u00f9 j\u2019attendais des nouvelles de l\u2019op\u00e9ration de mon p\u00e8re : l\u2019ablation d\u2019une partie de son pancr\u00e9as. Je me souviens \u00e0 tel point de cet instant que je pourrais d\u00e9crire cette pi\u00e8ce dans les moindres d\u00e9tails ainsi que les expressions des visages qui la peuplaient. Une famille \u00e9tait l\u00e0, une famille turque : une vieille femme et ses enfants. Il y avait des larmes, des corps prostr\u00e9s, des mains serr\u00e9es dont les jointures blanchies formaient comme de petites montagnes enneig\u00e9es. Il y avait le rythme des sanglots, des reniflements, des raclements de semelles sur le carrelage ; la ponctuation d\u2019un n\u00e9on d\u00e9faillant ; les bips lointains des appareils ; le va-et-vient du personnel derri\u00e8re une porte coulissante, peut-\u00eatre une cloison de plastique dont chaque froissement \u00e9tait \u00e0 la fois l\u2019espoir d\u2019avoir des nouvelles et la d\u00e9ception de n\u2019en pas obtenir.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 que s\u2019est \u00e9vanoui quelque chose que je croyais \u00eatre la r\u00e9alit\u00e9. J\u2019\u00e9tais arriv\u00e9 en imaginant une op\u00e9ration b\u00e9nigne — je voulais surtout continuer \u00e0 y croire —, que mon p\u00e8re ressortirait tel qu\u2019il avait toujours \u00e9t\u00e9 dans mon esprit, indestructible, h\u00e9las. Or non. Ce jour-l\u00e0, en le d\u00e9couvrant vuln\u00e9rable comme tous les autres, je me suis retrouv\u00e9 face \u00e0 ma propre fragilit\u00e9 : ce que je nommais « la r\u00e9alit\u00e9 » devait tenir \u00e0 cela.<\/p>\n

En relisant, je suis tent\u00e9 d\u2019ajouter ce « h\u00e9las » apr\u00e8s indestructible, parce que, s\u2019il avait continu\u00e9 de l\u2019\u00eatre, il est possible que j\u2019aie moi-m\u00eame continu\u00e9 \u00e0 me laisser leurrer par ce mot. En ce sens, puis-je encore me leurrer sur cette notion d\u2019indestructibilit\u00e9, \u00e0 plus de cinquante ans ? Je ne le crois pas. C\u2019\u00e9tait sans doute l\u2019enfant que j\u2019avais \u00e9t\u00e9, battu, qui prit alors le relais de l\u2019homme, cet enfant qui voyait le sujet de sa haine risquer de s\u2019\u00e9vanouir. Et ainsi, voyant cette hargne dispara\u00eetre en m\u00eame temps que son sujet, sa cause, cette sensation d\u2019\u00eatre soudain dans une ignorance totale du monde, de la vie, de soi-m\u00eame, dans la carcasse d\u2019un homme de cinquante ans.<\/p>\n

Je revois le jeune m\u00e9decin m\u2019annoncer le peu de chances qu\u2019avait mon p\u00e8re de s\u2019en sortir. Il d\u00e9bitait lentement ses mots, d\u2019un ton clinique. Quel \u00e2ge pouvait-il avoir ? Moins de quarante ans. Qui \u00e9tait mon p\u00e8re pour lui ? Un patient comme un autre ; et moi, un interlocuteur parmi des centaines, sans doute. Je comprenais que cette froideur \u00e9tait une mani\u00e8re de se prot\u00e9ger derri\u00e8re la blouse blanche, qu\u2019il \u00e9tait difficile d\u2019adopter pour chacun une attitude vraiment personnalis\u00e9e. Je le comprenais parfaitement \u00e0 ce moment-l\u00e0 ; mais, la haine n\u2019ayant soudain plus d\u2019objet \u00e0 l\u2019annonce de cette nouvelle, je sentais que ce jeune m\u00e9decin, puis le corps m\u00e9dical tout entier, l\u2019administration hospitali\u00e8re, la ville de Cr\u00e9teil elle-m\u00eame, pourraient bien devenir le nouvel objet de cette haine.<\/p>\n

M. et C. sont repartis vers vingt deux heures. Et, oui, nous pass\u00e2mes une bonne soir\u00e9e.<\/p>\n

Ces r\u00e9flexions, notamment au sujet du bonheur et de la libert\u00e9, me reviennent. C. est issu d\u2019une famille de huit enfants ;Il d\u00fb assez vite travailler chez Rh\u00f4ne-Poulenc. Il me raconte qu\u2019il aurait pu poursuivre des \u00e9tudes ; des bourses lui \u00e9taient accessibles, bon \u00e9l\u00e8ve qu\u2019il \u00e9tait ; mais le trousseau, le d\u00e9part pour Saint-\u00c9tienne, devenir instituteur, auraient co\u00fbt\u00e9 trop cher \u00e0 la famille. Seul l\u2019a\u00een\u00e9 put aller un peu plus loin. Jusqu’\u00e0 Lyon. Il n\u2019en fut pas malheureux, dit-il ; il accepta d\u2019aller travailler sans rechigner, ne perdit pas son temps en ressentiments ni en ranc\u0153urs, pas davantage en jalousies. Au contraire, il suivit des cours du soir, tenta de s\u2019\u00e9lever \u00e0 force d\u2019efforts et d\u2019obstination. Il monta ainsi en grade et ne s\u2019en glorifie pas pour autant, car c\u2019\u00e9tait, tout compte fait, le seul choix possible \u00e0 ce moment-l\u00e0. Les choses \u00e9taient ainsi : pas d\u2019autre choix qu\u2019accepter le « c\u2019est comme \u00e7a ». Nous \u00e9voqu\u00e2mes alors des moments communs o\u00f9 quelque chose se passait entre coll\u00e8gues de travail : ces petits moments partag\u00e9s, parfois m\u00eame des solidarit\u00e9s inattendues entre « petites gens », que j\u2019ai moi-m\u00eame eu la chance de conna\u00eetre. La vie \u00e9tait diff\u00e9rente, c\u2019est certain : on ne cherchait pas tant \u00e0 \u00eatre libre et heureux qu\u2019\u00e0 assumer des responsabilit\u00e9s et \u00e0 \u00eatre en paix, \u00e0 conserver un c\u0153ur l\u00e9ger.<\/p>\n

En l\u2019\u00e9coutant raconter, je ne pouvais m\u2019emp\u00eacher de penser \u00e0 quel point ma g\u00e9n\u00e9ration, comme tant d\u2019autres, avait pu \u00eatre bern\u00e9e par le d\u00e9versement de grands id\u00e9aux, d\u00e9j\u00e0 produit par une \u00e9lite \u00e0 la solde des fabricants de r\u00e9alit\u00e9. Cette fabrication d\u2019une r\u00e9alit\u00e9, inscrite au fronton des mairies — « Libert\u00e9, \u00c9galit\u00e9, Fraternit\u00e9 » —, avait subi tant de modifications subtiles, imperceptibles, tant d\u2019amendements inaper\u00e7us, qu\u2019elle s\u2019en \u00e9tait trouv\u00e9e totalement chang\u00e9e en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. On nous rabattait encore les oreilles avec de grands mots ; ils tournaient pourtant de plus en plus \u00e0 vide, ne voulaient plus dire grand-chose pour les nouvelles g\u00e9n\u00e9rations, qui, comme il se doit, \u00e9taient tenues — et maintenues — dans l\u2019ignorance, au nom de l\u2019\u00e9ternelle antienne : « n\u2019a pas su, n\u2019a pas souffert ».<\/p>\n


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Pr\u00eat d’un livre \u00e0 C. « Soleil Hopi ». Collection Terres Humaines\nD\u00e9cision de se rendre au cin\u00e9ma tous les quatre une fois par mois, le mardi ? Peut-\u00eatre \u00e0 Annonay aussi pour festival premier film. Anniversaire de M. 30\/08.<\/p>", "content_text": " Re\u00e7u M. et C. hier soir. Bonne soir\u00e9e. \u00c0 peine ont-ils franchi la porte que M. et S. se ruent sur le sujet des petits-enfants. C., \u00e0 qui je demande des nouvelles de sa sant\u00e9, m\u2019arr\u00eate dans la cuisine : il me parle de sa chimio et m\u2019annonce qu\u2019en fin de compte il y renonce. \u00ab Quatre-vingts ans, je n\u2019ai plus envie d\u2019y retourner \u00bb, me dit-il, et, pour se rassurer sans doute, ajoute que si \u00e7a repart, le temps que la maladie se propage \u00e0 nouveau, ce sera sans doute lent, se rassure-t-il \u00e0 voix haute. Je ne sais quoi r\u00e9pondre. La maladie et la mort sont pour moi des sujets tellement terrifiants que je les exp\u00e9die presque aussit\u00f4t dans l\u2019indicible. J\u2019arrive assez bien, je crois, \u00e0 les \u00e9crire, mais non \u00e0 en parler dans le vif. Cela me ram\u00e8ne encore une fois \u00e0 Henri-Mondor, Cr\u00e9teil. Cette salle d\u2019attente o\u00f9 j\u2019attendais des nouvelles de l\u2019op\u00e9ration de mon p\u00e8re : l\u2019ablation d\u2019une partie de son pancr\u00e9as. Je me souviens \u00e0 tel point de cet instant que je pourrais d\u00e9crire cette pi\u00e8ce dans les moindres d\u00e9tails ainsi que les expressions des visages qui la peuplaient. Une famille \u00e9tait l\u00e0, une famille turque : une vieille femme et ses enfants. Il y avait des larmes, des corps prostr\u00e9s, des mains serr\u00e9es dont les jointures blanchies formaient comme de petites montagnes enneig\u00e9es. Il y avait le rythme des sanglots, des reniflements, des raclements de semelles sur le carrelage ; la ponctuation d\u2019un n\u00e9on d\u00e9faillant ; les bips lointains des appareils ; le va-et-vient du personnel derri\u00e8re une porte coulissante, peut-\u00eatre une cloison de plastique dont chaque froissement \u00e9tait \u00e0 la fois l\u2019espoir d\u2019avoir des nouvelles et la d\u00e9ception de n\u2019en pas obtenir. C\u2019est l\u00e0 que s\u2019est \u00e9vanoui quelque chose que je croyais \u00eatre la r\u00e9alit\u00e9. J\u2019\u00e9tais arriv\u00e9 en imaginant une op\u00e9ration b\u00e9nigne \u2014 je voulais surtout continuer \u00e0 y croire \u2014, que mon p\u00e8re ressortirait tel qu\u2019il avait toujours \u00e9t\u00e9 dans mon esprit, indestructible, h\u00e9las. Or non. Ce jour-l\u00e0, en le d\u00e9couvrant vuln\u00e9rable comme tous les autres, je me suis retrouv\u00e9 face \u00e0 ma propre fragilit\u00e9 : ce que je nommais \u00ab la r\u00e9alit\u00e9 \u00bb devait tenir \u00e0 cela. En relisant, je suis tent\u00e9 d\u2019ajouter ce \u00ab h\u00e9las \u00bb apr\u00e8s indestructible, parce que, s\u2019il avait continu\u00e9 de l\u2019\u00eatre, il est possible que j\u2019aie moi-m\u00eame continu\u00e9 \u00e0 me laisser leurrer par ce mot. En ce sens, puis-je encore me leurrer sur cette notion d\u2019indestructibilit\u00e9, \u00e0 plus de cinquante ans ? Je ne le crois pas. C\u2019\u00e9tait sans doute l\u2019enfant que j\u2019avais \u00e9t\u00e9, battu, qui prit alors le relais de l\u2019homme, cet enfant qui voyait le sujet de sa haine risquer de s\u2019\u00e9vanouir. Et ainsi, voyant cette hargne dispara\u00eetre en m\u00eame temps que son sujet, sa cause, cette sensation d\u2019\u00eatre soudain dans une ignorance totale du monde, de la vie, de soi-m\u00eame, dans la carcasse d\u2019un homme de cinquante ans. Je revois le jeune m\u00e9decin m\u2019annoncer le peu de chances qu\u2019avait mon p\u00e8re de s\u2019en sortir. Il d\u00e9bitait lentement ses mots, d\u2019un ton clinique. Quel \u00e2ge pouvait-il avoir ? Moins de quarante ans. Qui \u00e9tait mon p\u00e8re pour lui ? Un patient comme un autre ; et moi, un interlocuteur parmi des centaines, sans doute. Je comprenais que cette froideur \u00e9tait une mani\u00e8re de se prot\u00e9ger derri\u00e8re la blouse blanche, qu\u2019il \u00e9tait difficile d\u2019adopter pour chacun une attitude vraiment personnalis\u00e9e. Je le comprenais parfaitement \u00e0 ce moment-l\u00e0 ; mais, la haine n\u2019ayant soudain plus d\u2019objet \u00e0 l\u2019annonce de cette nouvelle, je sentais que ce jeune m\u00e9decin, puis le corps m\u00e9dical tout entier, l\u2019administration hospitali\u00e8re, la ville de Cr\u00e9teil elle-m\u00eame, pourraient bien devenir le nouvel objet de cette haine. M. et C. sont repartis vers vingt deux heures. Et, oui, nous pass\u00e2mes une bonne soir\u00e9e. Ces r\u00e9flexions, notamment au sujet du bonheur et de la libert\u00e9, me reviennent. C. est issu d\u2019une famille de huit enfants ;Il d\u00fb assez vite travailler chez Rh\u00f4ne-Poulenc. Il me raconte qu\u2019il aurait pu poursuivre des \u00e9tudes ; des bourses lui \u00e9taient accessibles, bon \u00e9l\u00e8ve qu\u2019il \u00e9tait ; mais le trousseau, le d\u00e9part pour Saint-\u00c9tienne, devenir instituteur, auraient co\u00fbt\u00e9 trop cher \u00e0 la famille. Seul l\u2019a\u00een\u00e9 put aller un peu plus loin. Jusqu'\u00e0 Lyon. Il n\u2019en fut pas malheureux, dit-il ; il accepta d\u2019aller travailler sans rechigner, ne perdit pas son temps en ressentiments ni en ranc\u0153urs, pas davantage en jalousies. Au contraire, il suivit des cours du soir, tenta de s\u2019\u00e9lever \u00e0 force d\u2019efforts et d\u2019obstination. Il monta ainsi en grade et ne s\u2019en glorifie pas pour autant, car c\u2019\u00e9tait, tout compte fait, le seul choix possible \u00e0 ce moment-l\u00e0. Les choses \u00e9taient ainsi : pas d\u2019autre choix qu\u2019accepter le \u00ab c\u2019est comme \u00e7a \u00bb. Nous \u00e9voqu\u00e2mes alors des moments communs o\u00f9 quelque chose se passait entre coll\u00e8gues de travail : ces petits moments partag\u00e9s, parfois m\u00eame des solidarit\u00e9s inattendues entre \u00ab petites gens \u00bb, que j\u2019ai moi-m\u00eame eu la chance de conna\u00eetre. La vie \u00e9tait diff\u00e9rente, c\u2019est certain : on ne cherchait pas tant \u00e0 \u00eatre libre et heureux qu\u2019\u00e0 assumer des responsabilit\u00e9s et \u00e0 \u00eatre en paix, \u00e0 conserver un c\u0153ur l\u00e9ger. En l\u2019\u00e9coutant raconter, je ne pouvais m\u2019emp\u00eacher de penser \u00e0 quel point ma g\u00e9n\u00e9ration, comme tant d\u2019autres, avait pu \u00eatre bern\u00e9e par le d\u00e9versement de grands id\u00e9aux, d\u00e9j\u00e0 produit par une \u00e9lite \u00e0 la solde des fabricants de r\u00e9alit\u00e9. Cette fabrication d\u2019une r\u00e9alit\u00e9, inscrite au fronton des mairies \u2014 \u00ab Libert\u00e9, \u00c9galit\u00e9, Fraternit\u00e9 \u00bb \u2014, avait subi tant de modifications subtiles, imperceptibles, tant d\u2019amendements inaper\u00e7us, qu\u2019elle s\u2019en \u00e9tait trouv\u00e9e totalement chang\u00e9e en \u00e0 peine quelques d\u00e9cennies. On nous rabattait encore les oreilles avec de grands mots ; ils tournaient pourtant de plus en plus \u00e0 vide, ne voulaient plus dire grand-chose pour les nouvelles g\u00e9n\u00e9rations, qui, comme il se doit, \u00e9taient tenues \u2014 et maintenues \u2014 dans l\u2019ignorance, au nom de l\u2019\u00e9ternelle antienne : \u00ab n\u2019a pas su, n\u2019a pas souffert \u00bb. --- Pr\u00eat d'un livre \u00e0 C. \"Soleil Hopi\". Collection Terres Humaines D\u00e9cision de se rendre au cin\u00e9ma tous les quatre une fois par mois, le mardi ? Peut-\u00eatre \u00e0 Annonay aussi pour festival premier film. Anniversaire de M. 30\/08. 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Le code et la composition des textes se r\u00e9pondent : qu\u2019une seule classe CSS soit modifi\u00e9e et tout l\u2019\u00e9difice, silencieusement, se d\u00e9place ; la marge d\u2019un paragraphe s\u2019agrandit, une grille se resserre, un contraste s\u2019att\u00e9nue, et me voil\u00e0 forc\u00e9 de remonter, de balise en balise, le fil du HTML, comme on remonte une g\u00e9n\u00e9alogie pour comprendre de quelle branche vient l\u2019inclinaison de la bouche. J\u2019ai parfois l\u2019impression de me r\u00e9fugier dans le code par crainte — crainte de quoi, je l\u2019ignore — tout comme jadis je me r\u00e9fugiais dans l\u2019\u00e9criture pour ne pas regarder en face ce que la peinture, d\u2019un seul aplat franc, m\u2019aurait montr\u00e9. Est-ce bien de la peur ? C\u2019est sans doute plus proche du d\u00e9sir : je veux quelque chose et je redoute de l\u2019obtenir, car une fois le d\u00e9sir satisfait, il faudrait lui trouver un successeur, et l\u2019on n\u2019ose pas toujours priver sa journ\u00e9e de ce moteur si commode. J\u2019ai essay\u00e9 d\u2019\u00e9carter le d\u00e9sir ; l\u2019effet fut impr\u00e9vu et, disons-le, d\u00e9primant : le plus attristant fut la disparition de l\u2019humour, car sans d\u00e9sir on perd aussi cette ironie l\u00e9g\u00e8re qui sauve la gravit\u00e9 du s\u00e9rieux ; ne restait qu\u2019une peur nue, embarrassante, \u00e0 laquelle je ne savais que faire, faute m\u00eame d\u2019un d\u00e9sir de lui r\u00e9sister. Alors je me surprenais \u00e0 singer l\u2019\u00e9nergie — taper du pied, tr\u00e9pigner, m\u2019emporter — comme on imite un dialecte sans en comprendre la syntaxe ; j\u2019ai vu tant de gens s\u2019en tirer \u00e0 grand renfort de tr\u00e9pignements que ce pastiche de r\u00e9solution est devenu une langue commune. \u00c0 quoi bon, me dis-je \u00e0 pr\u00e9sent ; mieux vaut, dans ce marasme, chercher \u00e0 faire quelque chose de la peur, lui pr\u00eater attention plut\u00f4t que de la fuir, lui demander de parler au lieu de la r\u00e9duire au silence. Il faut que je me souvienne aussi que je « d\u00e9testais » le code, et que je ne puis plus le dire avec la m\u00eame bonne foi : je ne l\u2019aime ni ne le hais ; il m\u2019est indiff\u00e9rent comme tout outil auquel la crainte avait pr\u00eat\u00e9 un affect. De quoi avais-je peur ? De me tromper, de casser le site — bagatelles si on les mesure \u00e0 la mis\u00e8re du monde, tracas tout au plus, puisqu\u2019il faudra comprendre d\u2019o\u00f9 vient la panne et la r\u00e9parer : juste cela. Le code, au fond, est reposant : binaire, il marche ou ne marche pas, et c\u2019est peut-\u00eatre pour cela qu\u2019on s\u2019y reclus, parce qu\u2019on n\u2019y attend pas de surprise autre que celle, tr\u00e8s franche, du succ\u00e8s ou de l\u2019erreur. La peinture, l\u2019\u00e9criture, elles, r\u00e9servent de vraies surprises, dont la beaut\u00e9 m\u00eame inqui\u00e8te. Et pourtant je me fais encore des id\u00e9es : il n\u2019y a peut-\u00eatre rien \u00e0 attendre de rien, et la s\u00e9cheresse m\u00eame de l\u2019\u00e9nonc\u00e9 lui donne sa chance de v\u00e9rit\u00e9. Alors je continue, pas \u00e0 pas, \u00e0 examiner ces d\u00e9pendances qui font qu\u2019un d\u00e9tail d\u00e9range l\u2019ensemble, et j\u2019essaie, plut\u00f4t que d\u2019ajouter de l\u2019agitation \u00e0 l\u2019agitation, de mettre un peu d\u2019ordre — non pour « repr\u00e9senter » quoi que ce soit, mais pour r\u00e9parer l\u2019\u00e9cart entre ce que je cherche et ce qui, sans bruit, cherche en moi.<\/p>", "content_text": "Le code et la composition des textes se r\u00e9pondent : qu\u2019une seule classe CSS soit modifi\u00e9e et tout l\u2019\u00e9difice, silencieusement, se d\u00e9place ; la marge d\u2019un paragraphe s\u2019agrandit, une grille se resserre, un contraste s\u2019att\u00e9nue, et me voil\u00e0 forc\u00e9 de remonter, de balise en balise, le fil du HTML, comme on remonte une g\u00e9n\u00e9alogie pour comprendre de quelle branche vient l\u2019inclinaison de la bouche. J\u2019ai parfois l\u2019impression de me r\u00e9fugier dans le code par crainte \u2014 crainte de quoi, je l\u2019ignore \u2014 tout comme jadis je me r\u00e9fugiais dans l\u2019\u00e9criture pour ne pas regarder en face ce que la peinture, d\u2019un seul aplat franc, m\u2019aurait montr\u00e9. Est-ce bien de la peur ? C\u2019est sans doute plus proche du d\u00e9sir : je veux quelque chose et je redoute de l\u2019obtenir, car une fois le d\u00e9sir satisfait, il faudrait lui trouver un successeur, et l\u2019on n\u2019ose pas toujours priver sa journ\u00e9e de ce moteur si commode. J\u2019ai essay\u00e9 d\u2019\u00e9carter le d\u00e9sir ; l\u2019effet fut impr\u00e9vu et, disons-le, d\u00e9primant : le plus attristant fut la disparition de l\u2019humour, car sans d\u00e9sir on perd aussi cette ironie l\u00e9g\u00e8re qui sauve la gravit\u00e9 du s\u00e9rieux ; ne restait qu\u2019une peur nue, embarrassante, \u00e0 laquelle je ne savais que faire, faute m\u00eame d\u2019un d\u00e9sir de lui r\u00e9sister. Alors je me surprenais \u00e0 singer l\u2019\u00e9nergie \u2014 taper du pied, tr\u00e9pigner, m\u2019emporter \u2014 comme on imite un dialecte sans en comprendre la syntaxe ; j\u2019ai vu tant de gens s\u2019en tirer \u00e0 grand renfort de tr\u00e9pignements que ce pastiche de r\u00e9solution est devenu une langue commune. \u00c0 quoi bon, me dis-je \u00e0 pr\u00e9sent ; mieux vaut, dans ce marasme, chercher \u00e0 faire quelque chose de la peur, lui pr\u00eater attention plut\u00f4t que de la fuir, lui demander de parler au lieu de la r\u00e9duire au silence. Il faut que je me souvienne aussi que je \u00ab d\u00e9testais \u00bb le code, et que je ne puis plus le dire avec la m\u00eame bonne foi : je ne l\u2019aime ni ne le hais ; il m\u2019est indiff\u00e9rent comme tout outil auquel la crainte avait pr\u00eat\u00e9 un affect. De quoi avais-je peur ? De me tromper, de casser le site \u2014 bagatelles si on les mesure \u00e0 la mis\u00e8re du monde, tracas tout au plus, puisqu\u2019il faudra comprendre d\u2019o\u00f9 vient la panne et la r\u00e9parer : juste cela. Le code, au fond, est reposant : binaire, il marche ou ne marche pas, et c\u2019est peut-\u00eatre pour cela qu\u2019on s\u2019y reclus, parce qu\u2019on n\u2019y attend pas de surprise autre que celle, tr\u00e8s franche, du succ\u00e8s ou de l\u2019erreur. La peinture, l\u2019\u00e9criture, elles, r\u00e9servent de vraies surprises, dont la beaut\u00e9 m\u00eame inqui\u00e8te. Et pourtant je me fais encore des id\u00e9es : il n\u2019y a peut-\u00eatre rien \u00e0 attendre de rien, et la s\u00e9cheresse m\u00eame de l\u2019\u00e9nonc\u00e9 lui donne sa chance de v\u00e9rit\u00e9. Alors je continue, pas \u00e0 pas, \u00e0 examiner ces d\u00e9pendances qui font qu\u2019un d\u00e9tail d\u00e9range l\u2019ensemble, et j\u2019essaie, plut\u00f4t que d\u2019ajouter de l\u2019agitation \u00e0 l\u2019agitation, de mettre un peu d\u2019ordre \u2014 non pour \u00ab repr\u00e9senter \u00bb quoi que ce soit, mais pour r\u00e9parer l\u2019\u00e9cart entre ce que je cherche et ce qui, sans bruit, cherche en moi.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20171013_105005.jpg?1761362109", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-octobre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-octobre-2025.html", "title": "24 octobre 2025", "date_published": "2025-10-24T07:24:47Z", "date_modified": "2025-10-24T07:24:47Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Il est des heures o\u00f9, sans rien d\u00e9cider encore et comme si l\u2019\u00e2me, laissant s\u2019ouvrir d\u2019elle-m\u00eame une porte que l\u2019habitude tenait close, revenait vers ce penchant si ancien que je n\u2019ai jamais su lui donner un autre nom que celui, si simple et pourtant si charg\u00e9 dans ma m\u00e9moire, de ne rien repr\u00e9senter ; et ce mot, qui pour d\u2019autres n\u2019est qu\u2019un terme d\u2019atelier, prend chez moi une r\u00e9sonance singuli\u00e8re, parce que mon p\u00e8re, repr\u00e9sentant de son \u00e9tat, avait inscrit dans notre langage domestique une ambigu\u00eft\u00e9 dont je me d\u00e9fiais, de sorte qu\u2019\u00e0 chaque fois que j\u2019entendais « repr\u00e9senter » je ne pouvais m\u2019emp\u00eacher d\u2019y entendre \u00e0 la fois la politesse des apparences et la fatigue d\u2019un m\u00e9tier, comme si, au moment m\u00eame o\u00f9 je refusais d\u2019orner mes toiles ou mes pages d\u2019une image trop prompte, je refusais aussi, sans l\u2019avouer, la r\u00e9p\u00e9tition d\u2019un geste filial ; car il m\u2019a sembl\u00e9 bien souvent que nous n\u2019h\u00e9ritons pas tant d\u2019objets ou d\u2019id\u00e9aux que d\u2019une mani\u00e8re d\u2019habiter les mots, et que c\u2019est cela, plus encore que les biens, qui p\u00e8se, et que j\u2019appellerais volontiers un anti-h\u00e9ritage, non point par esprit de d\u00e9fi mais parce que ce qui nous est transmis, si l\u2019on n\u2019y prend garde, nous repr\u00e9sente \u00e0 notre place. Lorsque vint le moment de vider la maison, je crus d\u2019abord que la d\u00e9cision serait ais\u00e9e, qu\u2019il suffirait de s\u00e9parer ce qui devait \u00eatre gard\u00e9 de ce qui pouvait \u00eatre donn\u00e9, mais chaque chose — l\u2019horloge qui battait un temps que nous n\u2019entendrions plus, les nappes repass\u00e9es dont l\u2019odeur \u00e9tait celle de dimanches \u00e9teints, les livres aux marges o\u00f9 survivait la patience d\u2019un regard — se mit \u00e0 parler d\u2019une voix douce et t\u00eatue, si bien qu\u2019il m\u2019\u00e9tait \u00e9galement impossible de garder et de jeter, et que m\u00eame la charit\u00e9, qui e\u00fbt pourtant d\u00e9livr\u00e9 ces objets de mon scrupule, me paraissait encore une mani\u00e8re de les d\u00e9savouer ; mon fr\u00e8re prit ce qu\u2019il jugea n\u00e9cessaire (et j\u2019en fus soulag\u00e9 comme on l\u2019est, les jours d\u2019orage, d\u2019un air soudain respirable), mais le reste, quoique vendu, partag\u00e9, dispers\u00e9, ne cessa pas de demeurer en moi, non comme un remords mais comme cette poussi\u00e8re claire qu\u2019on d\u00e9couvre le lendemain sur un meuble qu\u2019on croyait propre, signe que le temps, plus que la possession, a laiss\u00e9 son manteau sur nous. Et peut-\u00eatre ce refus de suivre une voie trac\u00e9e, que j\u2019aurais voulu croire lib\u00e9rateur, n\u2019\u00e9tait-il que la forme la plus obstin\u00e9e d\u2019une fid\u00e9lit\u00e9 dissimul\u00e9e, car il arrive que se d\u00e9tourner de la route des p\u00e8res soit encore se r\u00e9gler sur elle, avec l\u2019exactitude rev\u00eache de ceux qui, pour ne pas faire comme tout le monde, s\u2019astreignent plus durement que lui aux commandements de l\u2019esprit ; on oublie d\u2019ailleurs combien le cadre, le d\u00e9cor, l\u2019air du temps, qui semblent n\u2019\u00eatre rien, instruisent nos humeurs plus s\u00fbrement que notre corps m\u00eame, et qu\u2019une pens\u00e9e que nous croyons n\u00f4tre n\u2019est bien souvent qu\u2019une alliance de souvenirs et de rencontres, ces co\u00efncidences qu\u2019un regard trop press\u00e9 tient pour du hasard alors qu\u2019elles sont, au contraire, les rendez-vous pris par des causes anciennes. De l\u00e0 vient qu\u2019on rejette un jour, sans savoir pourquoi, le plus proche, le semblable, comme si la ressemblance nous exposait \u00e0 une lumi\u00e8re trop crue, et qu\u2019on cherche, dans l\u2019ext\u00e9rieur, l\u2019\u00e9tranger, non pas une nouveaut\u00e9 v\u00e9ritable mais le d\u00e9tour gr\u00e2ce auquel on supportera de se retrouver ; si l\u2019on connaissait le secret de ce mouvement qui nous emporte, peut-\u00eatre en ririons-nous, mais d\u2019un rire qui aurait la puret\u00e9 d\u2019une \u00e9vidence enfin reconnue, tandis que celui qui vient apr\u00e8s coup, quand tout est d\u00e9j\u00e0 jou\u00e9, n\u2019est qu\u2019un sourire de convenance, tardif et mince, o\u00f9 l\u2019on sent qu\u2019on a voulu \u00eatre l\u00e9ger pour ne pas avoir \u00e0 \u00eatre juste.<\/p>\n


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Je m\u2019\u00e9tais jusqu\u2019ici arr\u00eat\u00e9 au seul mot « repr\u00e9senter », comme si, l\u2019ayant \u00e9clair\u00e9, j\u2019avais pour autant dissip\u00e9 ce que sa famille de termes — « commerce », « \u00e9change » — tra\u00eenait d\u2019ombres autour de lui ; or ces mots-l\u00e0, dans notre maison, n\u2019\u00e9taient pas des abstractions d\u2019\u00e9cole mais des choses presque mat\u00e9rielles, avec leur odeur (\u00e2cre de disputes rentr\u00e9es, sucr\u00e9e de r\u00e9conciliations int\u00e9ress\u00e9es), leur grain (rude sur la langue quand il fallait les prononcer), et la honte bue jusqu\u2019\u00e0 la lie d\u2019avoir vu ce que repr\u00e9senter, commercer, \u00e9changer pouvaient produire de violence minuscule et quotidienne, de mesquinerie patiente autant que de brusques injonctions, si bien qu\u2019ils me sont rest\u00e9s \u00e0 jamais en travers, non que je n\u2019aie d\u00fb, plus d\u2019une fois, par simple n\u00e9cessit\u00e9 de vivre, endosser ces r\u00f4les dont je savais d\u2019avance qu\u2019ils me si\u00e9raient mal — le col me serrait, la manche me battait, je marchais de travers — au point qu\u2019\u00e0 la longue la place devenait intenable, parce que je ne savais plus lequel, du repr\u00e9sentant, du commer\u00e7ant ou de moi-m\u00eame, tenait la parole et lequel ne faisait que pr\u00eater sa voix ; et pourtant, si j\u2019essaie de comprendre sans me d\u00e9fausser ce malaise persistant, je reconnais qu\u2019il tient moins \u00e0 une moralit\u00e9 que je me serais donn\u00e9e qu\u2019\u00e0 une mani\u00e8re, propre au temps o\u00f9 j\u2019ai v\u00e9cu, d\u2019imaginer la « chose vraie » comme une marchandise rare qu\u2019on arracherait d\u2019autant plus jalousement au monde que tant d\u2019autres choses, partout, se r\u00e9v\u00e9laient fausses, et que mon refus, qui se croyait d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9, n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre que la forme scrupuleuse d\u2019un m\u00eame commerce avec l\u2019illusion, de sorte que tout mon effort aura consist\u00e9 non \u00e0 condamner ces mots mais \u00e0 me soustraire \u00e0 leur circulation — repr\u00e9senter, commercer, \u00e9changer — o\u00f9 l\u2019on finit, si l\u2019on n\u2019y prend garde, par \u00eatre \u00e0 son tour repr\u00e9sent\u00e9, marchand\u00e9, \u00e9chang\u00e9 \u00e0 la place de soi-m\u00eame.<\/p>", "content_text": " Il est des heures o\u00f9, sans rien d\u00e9cider encore et comme si l\u2019\u00e2me, laissant s\u2019ouvrir d\u2019elle-m\u00eame une porte que l\u2019habitude tenait close, revenait vers ce penchant si ancien que je n\u2019ai jamais su lui donner un autre nom que celui, si simple et pourtant si charg\u00e9 dans ma m\u00e9moire, de ne rien repr\u00e9senter ; et ce mot, qui pour d\u2019autres n\u2019est qu\u2019un terme d\u2019atelier, prend chez moi une r\u00e9sonance singuli\u00e8re, parce que mon p\u00e8re, repr\u00e9sentant de son \u00e9tat, avait inscrit dans notre langage domestique une ambigu\u00eft\u00e9 dont je me d\u00e9fiais, de sorte qu\u2019\u00e0 chaque fois que j\u2019entendais \u00ab repr\u00e9senter \u00bb je ne pouvais m\u2019emp\u00eacher d\u2019y entendre \u00e0 la fois la politesse des apparences et la fatigue d\u2019un m\u00e9tier, comme si, au moment m\u00eame o\u00f9 je refusais d\u2019orner mes toiles ou mes pages d\u2019une image trop prompte, je refusais aussi, sans l\u2019avouer, la r\u00e9p\u00e9tition d\u2019un geste filial ; car il m\u2019a sembl\u00e9 bien souvent que nous n\u2019h\u00e9ritons pas tant d\u2019objets ou d\u2019id\u00e9aux que d\u2019une mani\u00e8re d\u2019habiter les mots, et que c\u2019est cela, plus encore que les biens, qui p\u00e8se, et que j\u2019appellerais volontiers un anti-h\u00e9ritage, non point par esprit de d\u00e9fi mais parce que ce qui nous est transmis, si l\u2019on n\u2019y prend garde, nous repr\u00e9sente \u00e0 notre place. Lorsque vint le moment de vider la maison, je crus d\u2019abord que la d\u00e9cision serait ais\u00e9e, qu\u2019il suffirait de s\u00e9parer ce qui devait \u00eatre gard\u00e9 de ce qui pouvait \u00eatre donn\u00e9, mais chaque chose \u2014 l\u2019horloge qui battait un temps que nous n\u2019entendrions plus, les nappes repass\u00e9es dont l\u2019odeur \u00e9tait celle de dimanches \u00e9teints, les livres aux marges o\u00f9 survivait la patience d\u2019un regard \u2014 se mit \u00e0 parler d\u2019une voix douce et t\u00eatue, si bien qu\u2019il m\u2019\u00e9tait \u00e9galement impossible de garder et de jeter, et que m\u00eame la charit\u00e9, qui e\u00fbt pourtant d\u00e9livr\u00e9 ces objets de mon scrupule, me paraissait encore une mani\u00e8re de les d\u00e9savouer ; mon fr\u00e8re prit ce qu\u2019il jugea n\u00e9cessaire (et j\u2019en fus soulag\u00e9 comme on l\u2019est, les jours d\u2019orage, d\u2019un air soudain respirable), mais le reste, quoique vendu, partag\u00e9, dispers\u00e9, ne cessa pas de demeurer en moi, non comme un remords mais comme cette poussi\u00e8re claire qu\u2019on d\u00e9couvre le lendemain sur un meuble qu\u2019on croyait propre, signe que le temps, plus que la possession, a laiss\u00e9 son manteau sur nous. Et peut-\u00eatre ce refus de suivre une voie trac\u00e9e, que j\u2019aurais voulu croire lib\u00e9rateur, n\u2019\u00e9tait-il que la forme la plus obstin\u00e9e d\u2019une fid\u00e9lit\u00e9 dissimul\u00e9e, car il arrive que se d\u00e9tourner de la route des p\u00e8res soit encore se r\u00e9gler sur elle, avec l\u2019exactitude rev\u00eache de ceux qui, pour ne pas faire comme tout le monde, s\u2019astreignent plus durement que lui aux commandements de l\u2019esprit ; on oublie d\u2019ailleurs combien le cadre, le d\u00e9cor, l\u2019air du temps, qui semblent n\u2019\u00eatre rien, instruisent nos humeurs plus s\u00fbrement que notre corps m\u00eame, et qu\u2019une pens\u00e9e que nous croyons n\u00f4tre n\u2019est bien souvent qu\u2019une alliance de souvenirs et de rencontres, ces co\u00efncidences qu\u2019un regard trop press\u00e9 tient pour du hasard alors qu\u2019elles sont, au contraire, les rendez-vous pris par des causes anciennes. De l\u00e0 vient qu\u2019on rejette un jour, sans savoir pourquoi, le plus proche, le semblable, comme si la ressemblance nous exposait \u00e0 une lumi\u00e8re trop crue, et qu\u2019on cherche, dans l\u2019ext\u00e9rieur, l\u2019\u00e9tranger, non pas une nouveaut\u00e9 v\u00e9ritable mais le d\u00e9tour gr\u00e2ce auquel on supportera de se retrouver ; si l\u2019on connaissait le secret de ce mouvement qui nous emporte, peut-\u00eatre en ririons-nous, mais d\u2019un rire qui aurait la puret\u00e9 d\u2019une \u00e9vidence enfin reconnue, tandis que celui qui vient apr\u00e8s coup, quand tout est d\u00e9j\u00e0 jou\u00e9, n\u2019est qu\u2019un sourire de convenance, tardif et mince, o\u00f9 l\u2019on sent qu\u2019on a voulu \u00eatre l\u00e9ger pour ne pas avoir \u00e0 \u00eatre juste. --- Je m\u2019\u00e9tais jusqu\u2019ici arr\u00eat\u00e9 au seul mot \u00ab repr\u00e9senter \u00bb, comme si, l\u2019ayant \u00e9clair\u00e9, j\u2019avais pour autant dissip\u00e9 ce que sa famille de termes \u2014 \u00ab commerce \u00bb, \u00ab \u00e9change \u00bb \u2014 tra\u00eenait d\u2019ombres autour de lui ; or ces mots-l\u00e0, dans notre maison, n\u2019\u00e9taient pas des abstractions d\u2019\u00e9cole mais des choses presque mat\u00e9rielles, avec leur odeur (\u00e2cre de disputes rentr\u00e9es, sucr\u00e9e de r\u00e9conciliations int\u00e9ress\u00e9es), leur grain (rude sur la langue quand il fallait les prononcer), et la honte bue jusqu\u2019\u00e0 la lie d\u2019avoir vu ce que repr\u00e9senter, commercer, \u00e9changer pouvaient produire de violence minuscule et quotidienne, de mesquinerie patiente autant que de brusques injonctions, si bien qu\u2019ils me sont rest\u00e9s \u00e0 jamais en travers, non que je n\u2019aie d\u00fb, plus d\u2019une fois, par simple n\u00e9cessit\u00e9 de vivre, endosser ces r\u00f4les dont je savais d\u2019avance qu\u2019ils me si\u00e9raient mal \u2014 le col me serrait, la manche me battait, je marchais de travers \u2014 au point qu\u2019\u00e0 la longue la place devenait intenable, parce que je ne savais plus lequel, du repr\u00e9sentant, du commer\u00e7ant ou de moi-m\u00eame, tenait la parole et lequel ne faisait que pr\u00eater sa voix ; et pourtant, si j\u2019essaie de comprendre sans me d\u00e9fausser ce malaise persistant, je reconnais qu\u2019il tient moins \u00e0 une moralit\u00e9 que je me serais donn\u00e9e qu\u2019\u00e0 une mani\u00e8re, propre au temps o\u00f9 j\u2019ai v\u00e9cu, d\u2019imaginer la \u00ab chose vraie \u00bb comme une marchandise rare qu\u2019on arracherait d\u2019autant plus jalousement au monde que tant d\u2019autres choses, partout, se r\u00e9v\u00e9laient fausses, et que mon refus, qui se croyait d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9, n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre que la forme scrupuleuse d\u2019un m\u00eame commerce avec l\u2019illusion, de sorte que tout mon effort aura consist\u00e9 non \u00e0 condamner ces mots mais \u00e0 me soustraire \u00e0 leur circulation \u2014 repr\u00e9senter, commercer, \u00e9changer \u2014 o\u00f9 l\u2019on finit, si l\u2019on n\u2019y prend garde, par \u00eatre \u00e0 son tour repr\u00e9sent\u00e9, marchand\u00e9, \u00e9chang\u00e9 \u00e0 la place de soi-m\u00eame. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/71ixvllcz4l__uf1000_1000_ql80__1_.jpg?1761290652", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Narration et Exp\u00e9rimentation", "Ateliers d'\u00e9criture"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-octobre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-octobre-2025.html", "title": "23 octobre 2025", "date_published": "2025-10-23T06:26:19Z", "date_modified": "2025-10-23T06:43:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Adorno s\u2019amuse \u00e0 regarder les signes de ponctuation comme des petites figures avec une t\u00eate et un caract\u00e8re : le point d\u2019exclamation qui l\u00e8ve le doigt, le point-virgule moustachu, les guillemets qui se l\u00e8chent les babines. Pour lui, ce ne sont pas que des outils de grammaire, mais des gestes qui r\u00e8glent la respiration du texte, presque comme des indications musicales. Comma = demi-cadence, point = cadence parfaite : la phrase rejoue de la musique sans le dire. Il taille un costard aux points d\u2019exclamation : jadis \u00e9lan, aujourd\u2019hui posture d\u2019autorit\u00e9 — du bruit typographique qui essaie d\u2019imposer l\u2019emphase de l\u2019ext\u00e9rieur. Les avant-gardes en ont abus\u00e9, signe d\u2019une envie d\u2019effet plus que d\u2019un v\u00e9ritable travail de la langue. Le tiret (le vrai, pas le gadget suspensif) marque la cassure utile : il accepte la discontinuit\u00e9 quand deux id\u00e9es se regardent sans vraiment se toucher. Theodor Storm en a fait un art discret ; ses tirets sont des rides qui creusent le r\u00e9cit et ouvrent une distance. Il d\u00e9fend le point-virgule — oui, ce grand malade : sa disparition signale qu\u2019on ne sait plus tenir une p\u00e9riode ample, articul\u00e9e, respirant large. \u00c0 force de tout couper court, la prose capitule devant le simple “constat” et perd sa capacit\u00e9 critique. C\u00f4t\u00e9 parenth\u00e8ses : mieux vaut des tirets pour int\u00e9grer le digressif sans l\u2019exiler ; mais il pardonne \u00e0 Proust ses vraies parenth\u00e8ses, parce que, chez lui, l\u2019incise devient fleuve — il faut des digues solides pour que l\u2019\u00e9difice ne d\u00e9borde pas. Les guillemets ironiques ? \u00c0 proscrire : juger un mot “\u00e0 distance” en le mettant entre crochets typographiques, c\u2019est refuser de faire le boulot dans la phrase elle-m\u00eame. Et les points de suspension en mode ambiance\u2026 typiquement le cache-mis\u00e8re d\u2019une profondeur suppos\u00e9e. \nConclusion d\u2019Adorno<\/strong> : on ne gagne jamais compl\u00e8tement avec la ponctuation — r\u00e8gles trop raides d\u2019un c\u00f4t\u00e9, caprices expressifs de l\u2019autre. Alors on vise l\u2019asc\u00e8se : mieux vaut trop peu que trop, mais intentionnel \u00e0 chaque signe, comme un musicien qui sait quand oser la dissonance<\/p>\n


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Bruce Andrews<\/a> soutient que lire Gertrude Stein, c\u2019est l\u00e2cher l\u2019id\u00e9e que les mots “repr\u00e9sentent” : la langue agit directement, par sons et rythmes, en d\u00e9traquant grammaire, r\u00e9cit et expression de soi. La lecture devient une exp\u00e9rience physique et imm\u00e9diate qui nous d\u00e9soriente, fissure l\u2019ego et remplace l\u2019analyse distante par une contagion sensorielle. La “pr\u00e9sence” na\u00eet de micro-chocs mat\u00e9riels des mots : on se fait litt\u00e9ralement proth\u00e8se du texte, emport\u00e9 par ses acc\u00e9l\u00e9rations. Plut\u00f4t qu\u2019expliquer ou contextualiser, il faut accueillir cette \u00e9nergie — plaisir, surprise, excitation — comme une pratique de transformation du lecteur.<\/p>", "content_text": " Adorno s\u2019amuse \u00e0 regarder les signes de ponctuation comme des petites figures avec une t\u00eate et un caract\u00e8re : le point d\u2019exclamation qui l\u00e8ve le doigt, le point-virgule moustachu, les guillemets qui se l\u00e8chent les babines. Pour lui, ce ne sont pas que des outils de grammaire, mais des gestes qui r\u00e8glent la respiration du texte, presque comme des indications musicales. Comma = demi-cadence, point = cadence parfaite : la phrase rejoue de la musique sans le dire. Il taille un costard aux points d\u2019exclamation : jadis \u00e9lan, aujourd\u2019hui posture d\u2019autorit\u00e9 \u2014 du bruit typographique qui essaie d\u2019imposer l\u2019emphase de l\u2019ext\u00e9rieur. Les avant-gardes en ont abus\u00e9, signe d\u2019une envie d\u2019effet plus que d\u2019un v\u00e9ritable travail de la langue. Le tiret (le vrai, pas le gadget suspensif) marque la cassure utile : il accepte la discontinuit\u00e9 quand deux id\u00e9es se regardent sans vraiment se toucher. Theodor Storm en a fait un art discret ; ses tirets sont des rides qui creusent le r\u00e9cit et ouvrent une distance. Il d\u00e9fend le point-virgule \u2014 oui, ce grand malade : sa disparition signale qu\u2019on ne sait plus tenir une p\u00e9riode ample, articul\u00e9e, respirant large. \u00c0 force de tout couper court, la prose capitule devant le simple \u201cconstat\u201d et perd sa capacit\u00e9 critique. C\u00f4t\u00e9 parenth\u00e8ses : mieux vaut des tirets pour int\u00e9grer le digressif sans l\u2019exiler ; mais il pardonne \u00e0 Proust ses vraies parenth\u00e8ses, parce que, chez lui, l\u2019incise devient fleuve \u2014 il faut des digues solides pour que l\u2019\u00e9difice ne d\u00e9borde pas. Les guillemets ironiques ? \u00c0 proscrire : juger un mot \u201c\u00e0 distance\u201d en le mettant entre crochets typographiques, c\u2019est refuser de faire le boulot dans la phrase elle-m\u00eame. Et les points de suspension en mode ambiance\u2026 typiquement le cache-mis\u00e8re d\u2019une profondeur suppos\u00e9e. **Conclusion d\u2019Adorno** : on ne gagne jamais compl\u00e8tement avec la ponctuation \u2014 r\u00e8gles trop raides d\u2019un c\u00f4t\u00e9, caprices expressifs de l\u2019autre. Alors on vise l\u2019asc\u00e8se : mieux vaut trop peu que trop, mais intentionnel \u00e0 chaque signe, comme un musicien qui sait quand oser la dissonance --- [Bruce Andrews->https:\/\/www.ubu.com\/papers\/andrews_stein.html] soutient que lire Gertrude Stein, c\u2019est l\u00e2cher l\u2019id\u00e9e que les mots \u201crepr\u00e9sentent\u201d : la langue agit directement, par sons et rythmes, en d\u00e9traquant grammaire, r\u00e9cit et expression de soi. La lecture devient une exp\u00e9rience physique et imm\u00e9diate qui nous d\u00e9soriente, fissure l\u2019ego et remplace l\u2019analyse distante par une contagion sensorielle. La \u201cpr\u00e9sence\u201d na\u00eet de micro-chocs mat\u00e9riels des mots : on se fait litt\u00e9ralement proth\u00e8se du texte, emport\u00e9 par ses acc\u00e9l\u00e9rations. Plut\u00f4t qu\u2019expliquer ou contextualiser, il faut accueillir cette \u00e9nergie \u2014 plaisir, surprise, excitation \u2014 comme une pratique de transformation du lecteur. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1200x680.jpg?1761200746", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Narration et Exp\u00e9rimentation", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-octobre-2025-3450.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-octobre-2025-3450.html", "title": "22 octobre 2025", "date_published": "2025-10-22T06:15:07Z", "date_modified": "2025-10-22T07:31:32Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Vu la vid\u00e9o de F. B. hier soir et j\u2019ai \u00e9crit sept petits textes d\u2019affil\u00e9e que j\u2019ai rang\u00e9s pour l\u2019instant dans la rubrique Ateliers. Encore une fois, il faut que je parle de l\u2019intention. Quelle intention \u00e9tait \u00e0 cet instant la plus forte ? Me d\u00e9barrasser une premi\u00e8re fois de l\u2019exercice, puis, comme je le fais souvent, y revenir, comme on dit que l\u2019assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Ensuite, lever la main pour dire « je sais » alors qu\u2019il y a probablement de grandes chances que ce soit tout le contraire. Dans ce cas, l\u2019intention, encore une fois, d\u2019appara\u00eetre parfaitement ridicule. Il se peut aussi que cela ait un rapport avec le mot sept comme avec le mot r\u00eaves. \u00c9tant donn\u00e9 que j\u2019ai vraiment cette sensation p\u00e9nible d\u2019\u00eatre dans une suite incessante de r\u00eaves s\u2019embo\u00eetant les uns dans les autres comme des poup\u00e9es russes. \u00c0 chaque fois, l\u2019illusion d\u2019entrer dans un nouveau r\u00eave me procure une sorte de joie tr\u00e8s vite contrari\u00e9e par l\u2019\u00e9troitesse que propose la lucidit\u00e9 quant \u00e0 l\u2019\u00e9troitesse des parois de ce nouveau d\u00e9cor onirique. C\u2019est-\u00e0-dire que, plus le r\u00eave avance, plus il faut se courber, se mettre \u00e0 quatre pattes dans les passages interm\u00e9diaires, sortes de boyaux naus\u00e9abonds, qui souvent inspirent l\u2019effroi, parce qu\u2019on imagine facilement qu\u2019il ne s\u2019agit de rien d\u2019autre que d\u2019impasses. Et qu\u2019on peut y rester bloqu\u00e9 durant des ann\u00e9es. Cela, pour l\u2019avoir d\u00e9j\u00e0 vu ou v\u00e9cu, peut-\u00eatre dix, cent, mille fois. La solution est alors d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 l\u2019injonction inconsciente en premier lieu : \u00e9crire ce qui vient, dict\u00e9 par cette urgence loufoque. Ensuite, il se peut que le publier soit pour s\u2019en d\u00e9barrasser, comme on retourne un tableau contre un mur pour ne plus le voir, se laver les yeux. \u00c0 ce stade, je ne pense pas que l\u2019envie de lever un doigt, d\u2019\u00eatre bon \u00e9l\u00e8ve, soit le propos. J\u2019ai toujours eu une sorte de haine visc\u00e9rale pour les « bons \u00e9l\u00e8ves ». Ensuite, je me suis demand\u00e9 : une fois qu\u2019on a cette mati\u00e8re plein les mains, qu\u2019en fait-on ? Et l\u00e0, j\u2019ai interverti l\u2019ordre des textes, pour commencer. Je ne sais pas du tout o\u00f9 \u00e7a m\u00e8ne. Sans doute \u00e0 une impression de mouvement qui se dissipera devant une autre, comme d\u2019habitude.<\/p>\n


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Pour en revenir au code il suffisait d’aller regarder les statistiques et logs sur le site de l’h\u00e9bergeur. Pas difficile de comprendre qu’un robot r\u00e9f\u00e9renceur s’\u00e9tait balad\u00e9 dans tout le site et avait touch\u00e9 4100 articles en une journ\u00e9e. La solution \u00e9tait donc de le temp\u00e9rer en ajoutant deux lignes de code sur le robot.txt\n:User-agent : AhrefsBot\nCrawl-delay : 5<\/strong>\n\u00e0 suivre...<\/p>", "content_text": "Vu la vid\u00e9o de F. B. hier soir et j\u2019ai \u00e9crit sept petits textes d\u2019affil\u00e9e que j\u2019ai rang\u00e9s pour l\u2019instant dans la rubrique Ateliers. Encore une fois, il faut que je parle de l\u2019intention. Quelle intention \u00e9tait \u00e0 cet instant la plus forte ? Me d\u00e9barrasser une premi\u00e8re fois de l\u2019exercice, puis, comme je le fais souvent, y revenir, comme on dit que l\u2019assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Ensuite, lever la main pour dire \u00ab je sais \u00bb alors qu\u2019il y a probablement de grandes chances que ce soit tout le contraire. Dans ce cas, l\u2019intention, encore une fois, d\u2019appara\u00eetre parfaitement ridicule. Il se peut aussi que cela ait un rapport avec le mot sept comme avec le mot r\u00eaves. \u00c9tant donn\u00e9 que j\u2019ai vraiment cette sensation p\u00e9nible d\u2019\u00eatre dans une suite incessante de r\u00eaves s\u2019embo\u00eetant les uns dans les autres comme des poup\u00e9es russes. \u00c0 chaque fois, l\u2019illusion d\u2019entrer dans un nouveau r\u00eave me procure une sorte de joie tr\u00e8s vite contrari\u00e9e par l\u2019\u00e9troitesse que propose la lucidit\u00e9 quant \u00e0 l\u2019\u00e9troitesse des parois de ce nouveau d\u00e9cor onirique. C\u2019est-\u00e0-dire que, plus le r\u00eave avance, plus il faut se courber, se mettre \u00e0 quatre pattes dans les passages interm\u00e9diaires, sortes de boyaux naus\u00e9abonds, qui souvent inspirent l\u2019effroi, parce qu\u2019on imagine facilement qu\u2019il ne s\u2019agit de rien d\u2019autre que d\u2019impasses. Et qu\u2019on peut y rester bloqu\u00e9 durant des ann\u00e9es. Cela, pour l\u2019avoir d\u00e9j\u00e0 vu ou v\u00e9cu, peut-\u00eatre dix, cent, mille fois. La solution est alors d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 l\u2019injonction inconsciente en premier lieu : \u00e9crire ce qui vient, dict\u00e9 par cette urgence loufoque. Ensuite, il se peut que le publier soit pour s\u2019en d\u00e9barrasser, comme on retourne un tableau contre un mur pour ne plus le voir, se laver les yeux. \u00c0 ce stade, je ne pense pas que l\u2019envie de lever un doigt, d\u2019\u00eatre bon \u00e9l\u00e8ve, soit le propos. J\u2019ai toujours eu une sorte de haine visc\u00e9rale pour les \u00ab bons \u00e9l\u00e8ves \u00bb. Ensuite, je me suis demand\u00e9 : une fois qu\u2019on a cette mati\u00e8re plein les mains, qu\u2019en fait-on ? Et l\u00e0, j\u2019ai interverti l\u2019ordre des textes, pour commencer. Je ne sais pas du tout o\u00f9 \u00e7a m\u00e8ne. Sans doute \u00e0 une impression de mouvement qui se dissipera devant une autre, comme d\u2019habitude. --- Pour en revenir au code il suffisait d'aller regarder les statistiques et logs sur le site de l'h\u00e9bergeur. Pas difficile de comprendre qu'un robot r\u00e9f\u00e9renceur s'\u00e9tait balad\u00e9 dans tout le site et avait touch\u00e9 4100 articles en une journ\u00e9e. La solution \u00e9tait donc de le temp\u00e9rer en ajoutant deux lignes de code sur le robot.txt **:User-agent: AhrefsBot Crawl-delay: 5** \u00e0 suivre... ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_4173.jpg?1761113699", "tags": ["Autofiction et Introspection", "r\u00eaves", "resonance", "Ateliers d'\u00e9criture"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-octobre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-octobre-2025.html", "title": "21 octobre 2025", "date_published": "2025-10-21T04:24:00Z", "date_modified": "2025-10-21T07:44:54Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

J\u2019ai tent\u00e9 de saisir les premi\u00e8res images hypnagogiques surgissant derri\u00e8re mes paupi\u00e8res, mais le produit anesth\u00e9sique m\u2019a pris de vitesse ; au moment m\u00eame o\u00f9 j\u2019essayais de tirer parti de la mauvaise posture dans laquelle je me trouvais, je crois l\u2019avoir juste effleur\u00e9 et puis plus rien, noir total — ou plut\u00f4t blanc total —, car les lumi\u00e8res que je fixais \u00e0 cet instant pr\u00e9cis \u00e9taient totalement aveuglantes. Dommage. J\u2019aurais aim\u00e9 voir appara\u00eetre les falaises d\u2019\u00c9tretat. Il para\u00eetrait qu\u2019elles, ainsi que tout le calcaire de la c\u00f4te environnante, sont constitu\u00e9s de fossiles v\u00e9g\u00e9taux et animaux, peut-\u00eatre m\u00eame de fossiles remontant \u00e0 bien au-del\u00e0 de ce que nous savons reconna\u00eetre \u00e0 pr\u00e9sent comme des fossiles « classiques ». Mais la science ne peut pas trouver ce qu\u2019elle est incapable d\u2019imaginer. Les faits, rien que les faits, toujours les faits, et qui vont dans le sens d\u2019un narratif b\u00e9tonn\u00e9 depuis\u2026 la naissance de la science. Quand je me suis r\u00e9veill\u00e9, il y avait un plafond cr\u00e8me au-dessus de ma t\u00eate, un plafond assez laid, si toutefois on peut \u00e9mettre des avis esth\u00e9tiques \u00e0 l\u2019h\u00f4pital. Et pourquoi ne le pourrait-on pas, comme dans les toilettes turques d\u2019une pizzeria, au demeurant fameuse, de la rue Franklin \u00e0 Lyon. D\u00e9gueulasse, ce d\u00e9cor, m\u2019\u00e9tais-je ainsi surpris \u00e0 penser tout haut apr\u00e8s avoir savour\u00e9 une des meilleures pizzas de ma vie. Vie qui est ainsi faite : le pire et le meilleur se c\u00f4toyant sans cesse. Il para\u00eet aussi — je l\u2019ai lu dans une chronique de jenesaispluso\u00f9 — que l\u2019univers n\u2019a pas seulement de l\u2019humour, il serait aussi conscient. Et \u00e0 part \u00e7a, \u00e0 part le plafond cr\u00e8me, les toilettes \u00e0 la turque et l\u2019univers, je ne trouve gu\u00e8re d\u2019autre sujet pour continuer ce billet d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s ennuyeux. Mais si on ne pointe pas l\u2019ennui, comment savoir qu\u2019il s\u2019agit d\u2019ennui ? Encore une journ\u00e9e d\u2019ennui travers\u00e9e. Mais ce dont je suis \u00e0 peu pr\u00e8s certain, c\u2019est qu\u2019il n\u2019y a pas que l\u2019univers dans la vie<\/em> ; je ne sais m\u00eame plus o\u00f9 j\u2019ai relev\u00e9 cette phrase, il est imp\u00e9ratif que je me donne \u00e0 fond dans l\u2019entra\u00eenement au r\u00eave lucide, car j\u2019ai bien peur que l\u2019Alzheimer me guette. <\/p>\n


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Toutefois, en fin de journ\u00e9e, un peu de code ne peut pas faire de mal. Mon h\u00e9bergeur m\u2019avertit par email qu\u2019ils ont bloqu\u00e9 1 200 requ\u00eates vers mon site et qu\u2019il faut que je fasse de toute urgence quelque chose<\/em>, sinon, il se pourrait que mon site subisse des ralentissements, voire qu\u2019il soit mis hors service\u2026 Une simple histoire de cache et des boucles un peu plus resserr\u00e9es feront sans doute l\u2019affaire, et, pour le moment, je n\u2019ob\u00e9irai pas \u00e0 l\u2019injonction de m\u2019abonner \u00e0 leur service Webcloud. Surtout qu\u2019il y a de \u00e7a plusieurs mois, ne les avais-je pas interrog\u00e9s sur la possibilit\u00e9 qu\u2019ils puissent bloquer ainsi le site s\u2019ils voyaient des requ\u00eates affluer ? Que nenni, m\u2019avaient-ils r\u00e9pondu\u2026 Donc je subodore presque une sorte de strat\u00e9gie mercantile de leur part en envoyant ce genre de missive, et je pr\u00e9f\u00e8re retrousser les manches, soulever le capot, me salir les mains, seul.<\/p>", "content_text": " J\u2019ai tent\u00e9 de saisir les premi\u00e8res images hypnagogiques surgissant derri\u00e8re mes paupi\u00e8res, mais le produit anesth\u00e9sique m\u2019a pris de vitesse ; au moment m\u00eame o\u00f9 j\u2019essayais de tirer parti de la mauvaise posture dans laquelle je me trouvais, je crois l\u2019avoir juste effleur\u00e9 et puis plus rien, noir total \u2014 ou plut\u00f4t blanc total \u2014, car les lumi\u00e8res que je fixais \u00e0 cet instant pr\u00e9cis \u00e9taient totalement aveuglantes. Dommage. J\u2019aurais aim\u00e9 voir appara\u00eetre les falaises d\u2019\u00c9tretat. Il para\u00eetrait qu\u2019elles, ainsi que tout le calcaire de la c\u00f4te environnante, sont constitu\u00e9s de fossiles v\u00e9g\u00e9taux et animaux, peut-\u00eatre m\u00eame de fossiles remontant \u00e0 bien au-del\u00e0 de ce que nous savons reconna\u00eetre \u00e0 pr\u00e9sent comme des fossiles \u00ab classiques \u00bb. Mais la science ne peut pas trouver ce qu\u2019elle est incapable d\u2019imaginer. Les faits, rien que les faits, toujours les faits, et qui vont dans le sens d\u2019un narratif b\u00e9tonn\u00e9 depuis\u2026 la naissance de la science. Quand je me suis r\u00e9veill\u00e9, il y avait un plafond cr\u00e8me au-dessus de ma t\u00eate, un plafond assez laid, si toutefois on peut \u00e9mettre des avis esth\u00e9tiques \u00e0 l\u2019h\u00f4pital. Et pourquoi ne le pourrait-on pas, comme dans les toilettes turques d\u2019une pizzeria, au demeurant fameuse, de la rue Franklin \u00e0 Lyon. D\u00e9gueulasse, ce d\u00e9cor, m\u2019\u00e9tais-je ainsi surpris \u00e0 penser tout haut apr\u00e8s avoir savour\u00e9 une des meilleures pizzas de ma vie. Vie qui est ainsi faite : le pire et le meilleur se c\u00f4toyant sans cesse. Il para\u00eet aussi \u2014 je l\u2019ai lu dans une chronique de jenesaispluso\u00f9 \u2014 que l\u2019univers n\u2019a pas seulement de l\u2019humour, il serait aussi conscient. Et \u00e0 part \u00e7a, \u00e0 part le plafond cr\u00e8me, les toilettes \u00e0 la turque et l\u2019univers, je ne trouve gu\u00e8re d\u2019autre sujet pour continuer ce billet d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s ennuyeux. Mais si on ne pointe pas l\u2019ennui, comment savoir qu\u2019il s\u2019agit d\u2019ennui ? Encore une journ\u00e9e d\u2019ennui travers\u00e9e. Mais ce dont je suis \u00e0 peu pr\u00e8s certain, *c\u2019est qu\u2019il n\u2019y a pas que l\u2019univers dans la vie* ; je ne sais m\u00eame plus o\u00f9 j\u2019ai relev\u00e9 cette phrase, il est imp\u00e9ratif que je me donne \u00e0 fond dans l\u2019entra\u00eenement au r\u00eave lucide, car j\u2019ai bien peur que l\u2019Alzheimer me guette. --- Toutefois, en fin de journ\u00e9e, un peu de code ne peut pas faire de mal. Mon h\u00e9bergeur m\u2019avertit par email qu\u2019ils ont bloqu\u00e9 1 200 requ\u00eates vers mon site et qu\u2019*il faut que je fasse de toute urgence quelque chose*, sinon, il se pourrait que mon site subisse des ralentissements, voire qu\u2019il soit mis hors service\u2026 Une simple histoire de cache et des boucles un peu plus resserr\u00e9es feront sans doute l\u2019affaire, et, pour le moment, je n\u2019ob\u00e9irai pas \u00e0 l\u2019injonction de m\u2019abonner \u00e0 leur service Webcloud. Surtout qu\u2019il y a de \u00e7a plusieurs mois, ne les avais-je pas interrog\u00e9s sur la possibilit\u00e9 qu\u2019ils puissent bloquer ainsi le site s\u2019ils voyaient des requ\u00eates affluer ? Que nenni, m\u2019avaient-ils r\u00e9pondu\u2026 Donc je subodore presque une sorte de strat\u00e9gie mercantile de leur part en envoyant ce genre de missive, et je pr\u00e9f\u00e8re retrousser les manches, soulever le capot, me salir les mains, seul. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lyon-jour-de-pluie.jpg?1760988227", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-ocotbre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-ocotbre-2025.html", "title": "20 octobre 2025", "date_published": "2025-10-19T23:53:17Z", "date_modified": "2025-10-20T06:39:50Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

L\u2019accumulation des r\u00eaves lucides de ces derniers jours semble corr\u00e9l\u00e9e \u00e0 la nourriture, notamment aux soupes maison<\/em> que je confectionne. En effet, certains l\u00e9gumes riches en vitamine B6, tels que la carotte et la pomme de terre, en contiennent. Int\u00e9ressant aussi de constater que, pour ne rien perdre des vertus de la B6, il est pr\u00e9f\u00e9rable de mixer la soupe, ce que je fais naturellement. \u00c0 noter aussi la consommation de l\u00e9gumineuses comme les lentilles et les pois chiches, et, en ce moment, des ch\u00e2taignes. Mais c\u2019est certainement le poulet qui en contient le plus (environ 0,5 \u00e0 0,6 mg de B6 pour 100 g cuits, soit pr\u00e8s d\u2019un tiers des besoins journaliers ; le foie de volaille monte encore plus haut). Tout ceci d\u00e9coulant des ennuis dentaires, \u00e9videmment. Un mal pour un bien, comme on dit.\nJe note aussi que, au-del\u00e0 de la B6, certaines \u00e9pices que j\u2019utilise ces temps-ci — romarin, sauge, curcuma — pourraient jouer un r\u00f4le d\u2019arri\u00e8re-plan : leurs compos\u00e9s ralentiraient l\u00e9g\u00e8rement la d\u00e9gradation de l\u2019ac\u00e9tylcholine (rien \u00e0 voir avec la force d\u2019une galantamine, mais assez pour compter au quotidien). Et puis il y a les \u0153ufs, riches en choline, ce pr\u00e9curseur de l\u2019ac\u00e9tylcholine qui nourrit la machinerie elle-m\u00eame. Disons que la cuisine fait sa part : elle ne “provoque” pas la lucidit\u00e9, mais elle pr\u00e9pare le terrain, et le terrain aide — surtout quand je combine \u00e7a avec mes routines de r\u00e9veil l\u00e9ger et de prise de notes au matin.<\/p>\n

J\u2019\u00e9cris ces lignes dans la nuit du dix-neuf au vingt octobre ; je n\u2019aurai pas la possibilit\u00e9 d\u2019\u00e9crire beaucoup demain puisque je dois me rendre \u00e0 l\u2019h\u00f4pital pour une intervention (b\u00e9nigne). Ensuite, si tout va bien, le prochain rendez-vous m\u00e9dical sera au mois de d\u00e9cembre, ce qui me laissera un peu de r\u00e9pit.<\/p>\n

Je r\u00e9fl\u00e9chis \u00e0 tous ces textes et \u00e0 la forme, aux formes dans lesquelles les organiser. Aujourd\u2019hui, j\u2019ai pu am\u00e9liorer le flipbook — Livre \u00e0 feuilleter — associ\u00e9 aux diff\u00e9rents mots-cl\u00e9s du site. Notamment la table des mati\u00e8res, qui d\u00e9sormais fonctionne correctement, bien que la mise en page ne me satisfasse pas encore compl\u00e8tement. Lorsque je vois l\u2019\u00e9tendue de mon ignorance en mati\u00e8re d\u2019outils informatiques, il arrive que je me d\u00e9prime. Plus je d\u00e9couvre, plus je m\u2019enfonce dans l\u2019inconnu : \u00e0 la fois excitant et d\u00e9primant, car l\u2019horloge tourne ; je me dis : pourquoi ne t\u2019es-tu pas int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 tout cela plus t\u00f4t ? Et pourtant c\u2019est un plaisir, toujours, presque charnel, de se gratter les cro\u00fbtes. Je crois que ce fonctionnement remonte \u00e0 l\u2019origine du monde — ou de moi —, ce qui est globalement une sorte de pl\u00e9onasme. Cela fait aussi r\u00e9fl\u00e9chir sur la notion de monde et de moi. Ce qui, en outre, permet certaines perspectives in\u00e9dites sur la mani\u00e8re de d\u00e9placer le point d\u2019assemblage, c\u2019est-\u00e0-dire cette soi-disant s\u00e9paration entre le monde et soi.<\/p>\n

De l\u00e0, s\u2019engouffrer dans la fiction corps et \u00e2me. Car, ainsi que le dit Conrad, l\u2019imagination peut aller beaucoup plus loin dans la r\u00e9flexion que la r\u00e9flexion seule. Cependant, il est terriblement difficile de s\u2019y engouffrer comme je le voudrais. L\u2019ennemi principal est le d\u00e9rangement : ne jamais \u00eatre certain d\u2019avoir quelques heures de r\u00e9pit devant soi. La contingence est r\u00e9solument l\u2019ennemie num\u00e9ro un. Et, en m\u00eame temps que j\u2019\u00e9cris ces mots, je sens bien que c\u2019est faux : ce n\u2019est pas ainsi, de mani\u00e8re binaire, que se produit l\u2019\u00e9v\u00e9nement. La contrainte permet aussi de mieux utiliser le temps, une fois certain que nous n\u2019en avons pas beaucoup : une fen\u00eatre spatio-temporelle pour s\u2019engouffrer dans l\u2019onirisme de tout son saoul, r\u00eaver, \u00e9crire des fictions.<\/p>\n

illustration<\/strong> Salvador Dali, le bateau papillon<\/p>", "content_text": " L\u2019accumulation des r\u00eaves lucides de ces derniers jours semble corr\u00e9l\u00e9e \u00e0 la nourriture, notamment aux soupes *maison* que je confectionne. En effet, certains l\u00e9gumes riches en vitamine B6, tels que la carotte et la pomme de terre, en contiennent. Int\u00e9ressant aussi de constater que, pour ne rien perdre des vertus de la B6, il est pr\u00e9f\u00e9rable de mixer la soupe, ce que je fais naturellement. \u00c0 noter aussi la consommation de l\u00e9gumineuses comme les lentilles et les pois chiches, et, en ce moment, des ch\u00e2taignes. Mais c\u2019est certainement le poulet qui en contient le plus (environ 0,5 \u00e0 0,6 mg de B6 pour 100 g cuits, soit pr\u00e8s d\u2019un tiers des besoins journaliers ; le foie de volaille monte encore plus haut). Tout ceci d\u00e9coulant des ennuis dentaires, \u00e9videmment. Un mal pour un bien, comme on dit. Je note aussi que, au-del\u00e0 de la B6, certaines \u00e9pices que j\u2019utilise ces temps-ci \u2014 romarin, sauge, curcuma \u2014 pourraient jouer un r\u00f4le d\u2019arri\u00e8re-plan : leurs compos\u00e9s ralentiraient l\u00e9g\u00e8rement la d\u00e9gradation de l\u2019ac\u00e9tylcholine (rien \u00e0 voir avec la force d\u2019une galantamine, mais assez pour compter au quotidien). Et puis il y a les \u0153ufs, riches en choline, ce pr\u00e9curseur de l\u2019ac\u00e9tylcholine qui nourrit la machinerie elle-m\u00eame. Disons que la cuisine fait sa part : elle ne \u201cprovoque\u201d pas la lucidit\u00e9, mais elle pr\u00e9pare le terrain, et le terrain aide \u2014 surtout quand je combine \u00e7a avec mes routines de r\u00e9veil l\u00e9ger et de prise de notes au matin. J\u2019\u00e9cris ces lignes dans la nuit du dix-neuf au vingt octobre ; je n\u2019aurai pas la possibilit\u00e9 d\u2019\u00e9crire beaucoup demain puisque je dois me rendre \u00e0 l\u2019h\u00f4pital pour une intervention (b\u00e9nigne). Ensuite, si tout va bien, le prochain rendez-vous m\u00e9dical sera au mois de d\u00e9cembre, ce qui me laissera un peu de r\u00e9pit. Je r\u00e9fl\u00e9chis \u00e0 tous ces textes et \u00e0 la forme, aux formes dans lesquelles les organiser. Aujourd\u2019hui, j\u2019ai pu am\u00e9liorer le flipbook \u2014 Livre \u00e0 feuilleter \u2014 associ\u00e9 aux diff\u00e9rents mots-cl\u00e9s du site. Notamment la table des mati\u00e8res, qui d\u00e9sormais fonctionne correctement, bien que la mise en page ne me satisfasse pas encore compl\u00e8tement. Lorsque je vois l\u2019\u00e9tendue de mon ignorance en mati\u00e8re d\u2019outils informatiques, il arrive que je me d\u00e9prime. Plus je d\u00e9couvre, plus je m\u2019enfonce dans l\u2019inconnu : \u00e0 la fois excitant et d\u00e9primant, car l\u2019horloge tourne ; je me dis : pourquoi ne t\u2019es-tu pas int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 tout cela plus t\u00f4t ? Et pourtant c\u2019est un plaisir, toujours, presque charnel, de se gratter les cro\u00fbtes. Je crois que ce fonctionnement remonte \u00e0 l\u2019origine du monde \u2014 ou de moi \u2014, ce qui est globalement une sorte de pl\u00e9onasme. Cela fait aussi r\u00e9fl\u00e9chir sur la notion de monde et de moi. Ce qui, en outre, permet certaines perspectives in\u00e9dites sur la mani\u00e8re de d\u00e9placer le point d\u2019assemblage, c\u2019est-\u00e0-dire cette soi-disant s\u00e9paration entre le monde et soi. De l\u00e0, s\u2019engouffrer dans la fiction corps et \u00e2me. Car, ainsi que le dit Conrad, l\u2019imagination peut aller beaucoup plus loin dans la r\u00e9flexion que la r\u00e9flexion seule. Cependant, il est terriblement difficile de s\u2019y engouffrer comme je le voudrais. L\u2019ennemi principal est le d\u00e9rangement : ne jamais \u00eatre certain d\u2019avoir quelques heures de r\u00e9pit devant soi. La contingence est r\u00e9solument l\u2019ennemie num\u00e9ro un. Et, en m\u00eame temps que j\u2019\u00e9cris ces mots, je sens bien que c\u2019est faux : ce n\u2019est pas ainsi, de mani\u00e8re binaire, que se produit l\u2019\u00e9v\u00e9nement. La contrainte permet aussi de mieux utiliser le temps, une fois certain que nous n\u2019en avons pas beaucoup : une fen\u00eatre spatio-temporelle pour s\u2019engouffrer dans l\u2019onirisme de tout son saoul, r\u00eaver, \u00e9crire des fictions. **illustration** Salvador Dali, le bateau papillon ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dali-caravelle-papillon-1508704194.jpg?1760917851", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Temporalit\u00e9 et Ruptures", "imaginaire"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-octobre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-octobre-2025.html", "title": "19 octobre 2025", "date_published": "2025-10-19T04:58:42Z", "date_modified": "2025-10-19T04:58:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

assumer la r\u00e9tractation<\/strong><\/p>\n

Par curiosit\u00e9, je suis all\u00e9 voir l\u2019\u00e9tymologie de « suffoquer » : du latin suffocare, sub- (« sous ») et focare (« exposer \u00e0 la chaleur », de focus). D\u2019abord « \u00e9touffer par la fum\u00e9e », puis « priver d\u2019air », enfin « troubler, oppresser ». Cela m\u2019a ramen\u00e9 \u00e0 l\u2019enfance, aux jeudis et dimanches trop longs o\u00f9 nous braquions le soleil dans une loupe pour voir l\u2019herbe gr\u00e9siller, noircir, s\u2019embraser, pendant que l\u2019ennui commen\u00e7ait, lui, \u00e0 suffoquer. De cette petite combustion \u00e0 une plus vaste, le m\u00e9canisme tient : une chaleur se concentre, l\u2019air se rar\u00e9fie, puis vient l\u2019inflammation. Peut-\u00eatre que l\u2019empilement des taxes et des injustices, cette convergence obstin\u00e9e sur les plus vuln\u00e9rables, produira le m\u00eame effet et fera lever une parole qui dise clairement non. Par « peuple », j\u2019entends l\u2019ensemble dispers\u00e9 des vies ordinaires aux contraintes communes, non un bloc mythique. Reste \u00e0 savoir si cet ensemble tient encore : je vois surtout des communaut\u00e9s, des chapelles qui s\u2019oxyg\u00e8nent entre elles et s\u2019\u00e9touffent entre elles, comme un budget sans recettes d\u2019air. \u00c0 ce point, on voit bien ce qu\u2019il manque : non une manne providentielle, mais faire quelque chose qui change quelque chose. « Travailler » se glisse aussit\u00f4t, et ne dit rien ; produire — de l\u2019usage, du commun — semblerait moins vain. Aussit\u00f4t \u00e9crits, ces mots m\u2019appauvrissent encore. L\u2019individualisme qui me gouverne — comme, je le crains, nous tous — m\u2019inciterait \u00e0 tout raturer, \u00e0 feindre une douleur, un regret, un remords, pour tromper le m\u00eame vieil ennemi. Et voil\u00e0 : une parole qui s\u2019avance en sachant qu\u2019elle retiendra son souffle.<\/p>\n

Tenir l’appel<\/strong><\/p>\n

Par curiosit\u00e9, je suis all\u00e9 voir l\u2019\u00e9tymologie de « suffoquer » : du latin suffocare, « \u00e9touffer par la fum\u00e9e », puis « priver d\u2019air », enfin « oppresser ». L\u2019image m\u2019a renvoy\u00e9 \u00e0 l\u2019enfance : la loupe, l\u2019herbe qui gr\u00e9sille, le point de chaleur qui concentre la lumi\u00e8re jusqu\u2019\u00e0 l\u2019embrasement, et l\u2019ennui qui, un instant, suffoque. Le m\u00e9canisme est simple : la chaleur se concentre, l\u2019air se rar\u00e9fie, vient l\u2019inflammation. Aujourd\u2019hui, l\u2019accumulation des taxes et des injustices concentre \u00e0 son tour : l\u2019iniquit\u00e9 converge sur les plus vuln\u00e9rables. Peut-\u00eatre cela suffira-t-il \u00e0 faire lever une parole qui dise non. Par « peuple », j\u2019appelle l\u2019ensemble dispers\u00e9 des vies ordinaires, pas un bloc mythique. Tient-il encore ? Je vois surtout des chapelles, antagonistes, qui ferment l\u2019air comme on ferme un budget sans recettes. Ce qui manque n\u2019est pas la manne : c\u2019est faire quelque chose qui ouvre l\u2019oxyg\u00e8ne commun. « Travailler » ne r\u00e9pond pas \u00e0 la faille ; produire — de la valeur d\u2019usage, des lieux, des liens — y r\u00e9pond mieux. \u00c9crire ces mots m\u2019expose \u00e0 leur appauvrissement, je le sais, mais je ne les rature pas. Qu\u2019ils fassent au moins ce qu\u2019ils disent : rouvrir un peu d\u2019air, assez pour un nous t\u00e9nu qui ne s\u2019\u00e9touffe pas.<\/p>", "content_text": " **assumer la r\u00e9tractation** Par curiosit\u00e9, je suis all\u00e9 voir l\u2019\u00e9tymologie de \u00ab suffoquer \u00bb : du latin suffocare, sub- (\u00ab sous \u00bb) et focare (\u00ab exposer \u00e0 la chaleur \u00bb, de focus). D\u2019abord \u00ab \u00e9touffer par la fum\u00e9e \u00bb, puis \u00ab priver d\u2019air \u00bb, enfin \u00ab troubler, oppresser \u00bb. Cela m\u2019a ramen\u00e9 \u00e0 l\u2019enfance, aux jeudis et dimanches trop longs o\u00f9 nous braquions le soleil dans une loupe pour voir l\u2019herbe gr\u00e9siller, noircir, s\u2019embraser, pendant que l\u2019ennui commen\u00e7ait, lui, \u00e0 suffoquer. De cette petite combustion \u00e0 une plus vaste, le m\u00e9canisme tient : une chaleur se concentre, l\u2019air se rar\u00e9fie, puis vient l\u2019inflammation. Peut-\u00eatre que l\u2019empilement des taxes et des injustices, cette convergence obstin\u00e9e sur les plus vuln\u00e9rables, produira le m\u00eame effet et fera lever une parole qui dise clairement non. Par \u00ab peuple \u00bb, j\u2019entends l\u2019ensemble dispers\u00e9 des vies ordinaires aux contraintes communes, non un bloc mythique. Reste \u00e0 savoir si cet ensemble tient encore : je vois surtout des communaut\u00e9s, des chapelles qui s\u2019oxyg\u00e8nent entre elles et s\u2019\u00e9touffent entre elles, comme un budget sans recettes d\u2019air. \u00c0 ce point, on voit bien ce qu\u2019il manque : non une manne providentielle, mais faire quelque chose qui change quelque chose. \u00ab Travailler \u00bb se glisse aussit\u00f4t, et ne dit rien ; produire \u2014 de l\u2019usage, du commun \u2014 semblerait moins vain. Aussit\u00f4t \u00e9crits, ces mots m\u2019appauvrissent encore. L\u2019individualisme qui me gouverne \u2014 comme, je le crains, nous tous \u2014 m\u2019inciterait \u00e0 tout raturer, \u00e0 feindre une douleur, un regret, un remords, pour tromper le m\u00eame vieil ennemi. Et voil\u00e0 : une parole qui s\u2019avance en sachant qu\u2019elle retiendra son souffle. **Tenir l'appel** Par curiosit\u00e9, je suis all\u00e9 voir l\u2019\u00e9tymologie de \u00ab suffoquer \u00bb : du latin suffocare, \u00ab \u00e9touffer par la fum\u00e9e \u00bb, puis \u00ab priver d\u2019air \u00bb, enfin \u00ab oppresser \u00bb. L\u2019image m\u2019a renvoy\u00e9 \u00e0 l\u2019enfance : la loupe, l\u2019herbe qui gr\u00e9sille, le point de chaleur qui concentre la lumi\u00e8re jusqu\u2019\u00e0 l\u2019embrasement, et l\u2019ennui qui, un instant, suffoque. Le m\u00e9canisme est simple : la chaleur se concentre, l\u2019air se rar\u00e9fie, vient l\u2019inflammation. Aujourd\u2019hui, l\u2019accumulation des taxes et des injustices concentre \u00e0 son tour : l\u2019iniquit\u00e9 converge sur les plus vuln\u00e9rables. Peut-\u00eatre cela suffira-t-il \u00e0 faire lever une parole qui dise non. Par \u00ab peuple \u00bb, j\u2019appelle l\u2019ensemble dispers\u00e9 des vies ordinaires, pas un bloc mythique. Tient-il encore ? Je vois surtout des chapelles, antagonistes, qui ferment l\u2019air comme on ferme un budget sans recettes. Ce qui manque n\u2019est pas la manne : c\u2019est faire quelque chose qui ouvre l\u2019oxyg\u00e8ne commun. \u00ab Travailler \u00bb ne r\u00e9pond pas \u00e0 la faille ; produire \u2014 de la valeur d\u2019usage, des lieux, des liens \u2014 y r\u00e9pond mieux. \u00c9crire ces mots m\u2019expose \u00e0 leur appauvrissement, je le sais, mais je ne les rature pas. Qu\u2019ils fassent au moins ce qu\u2019ils disent : rouvrir un peu d\u2019air, assez pour un nous t\u00e9nu qui ne s\u2019\u00e9touffe pas. 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\u00c9prouver physiquement la vitesse du temps me terrifie autant qu\u2019elle me soulage. Au bout du compte il faut accepter de crever, de quitter cette cuvette de deuil, d\u2019\u00eatre devenu quantit\u00e9 n\u00e9gligeable : une statistique dans la gueule noire des algorithmes qui nous forent la cervelle, le c\u0153ur, l\u2019\u00e2me, et nous apprennent \u00e0 nous d\u00e9valuer. Nous ne sommes plus tout \u00e0 fait humains mais des laiss\u00e9s-pour-compte d\u2019une minorit\u00e9 assoiff\u00e9e d\u2019argent, de pouvoir et de sexe. Ce qui m\u2019accable, c\u2019est de voir les plus proches ne rien percevoir de l\u2019avachissement g\u00e9n\u00e9ral ; ils n\u2019en saisissent qu\u2019un fragment, souvent par \u00e9go\u00efsme. Persiste alors l\u2019image fant\u00f4me des manuels : d\u00e9mocratie, R\u00e9publique, r\u00e9cit lisse fabriqu\u00e9 par une \u00e9lite d\u2019argent ou de naissance. Le pillage commenc\u00e9 \u00e0 la chute de l\u2019Empire romain n\u2019a jamais cess\u00e9 ; il avance masqu\u00e9, affubl\u00e9 de slogans ternes, mal rejou\u00e9 sur la sc\u00e8ne qu\u2019on appelle encore l\u2019\u00c9tat, l\u2019Assembl\u00e9e, le S\u00e9nat, le Gouvernement. Je me suis \u00e9loign\u00e9, j\u2019ai creus\u00e9 l\u2019\u00e9cart, puis je me suis terr\u00e9. Non par h\u00e9ro\u00efsme : par manque d\u2019insouciance. Pour \u00e9viter les querelles et la douleur d\u2019une vigilance que j\u2019appelle, parfois, lucidit\u00e9. Qu\u2019y a-t-il de plus attristant que voir ce que d\u2019autres ne voient pas et vivre parmi des somnambules ? Cela vous fait aussit\u00f4t douter de l\u2019\u00eatre vous-m\u00eame. La nuit, les r\u00eaves insistent : je marche dans des ruines avec un groupe ; des impasses, des couloirs bouch\u00e9s ; quelqu\u2019un m\u00e8ne et c\u2019est peut-\u00eatre moi, un moi qui sait s\u2019orienter. Nous traversons la cour vide d\u2019un camp d\u2019extermination ; ce moi onirique nous fait grimper sur un \u00e2ne gigantesque qui refuse d\u2019avancer, puis se d\u00e9cide, nous emporte vers un portail. La vitesse devient ahurissante, comme si nous allions passer de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 du monde. Tout s\u2019arr\u00eate. Silence, obscurit\u00e9. La moindre lueur, f\u00fbt-elle d\u2019une imb\u00e9cillit\u00e9 affligeante, nous attire et nous ram\u00e8ne. Au r\u00e9veil, il reste une phrase : tant pis, au moins aurons-nous essay\u00e9.<\/p>", "content_text": " \u00c9prouver physiquement la vitesse du temps me terrifie autant qu\u2019elle me soulage. Au bout du compte il faut accepter de crever, de quitter cette cuvette de deuil, d\u2019\u00eatre devenu quantit\u00e9 n\u00e9gligeable: une statistique dans la gueule noire des algorithmes qui nous forent la cervelle, le c\u0153ur, l\u2019\u00e2me, et nous apprennent \u00e0 nous d\u00e9valuer. Nous ne sommes plus tout \u00e0 fait humains mais des laiss\u00e9s-pour-compte d\u2019une minorit\u00e9 assoiff\u00e9e d\u2019argent, de pouvoir et de sexe. Ce qui m\u2019accable, c\u2019est de voir les plus proches ne rien percevoir de l\u2019avachissement g\u00e9n\u00e9ral; ils n\u2019en saisissent qu\u2019un fragment, souvent par \u00e9go\u00efsme. Persiste alors l\u2019image fant\u00f4me des manuels: d\u00e9mocratie, R\u00e9publique, r\u00e9cit lisse fabriqu\u00e9 par une \u00e9lite d\u2019argent ou de naissance. Le pillage commenc\u00e9 \u00e0 la chute de l\u2019Empire romain n\u2019a jamais cess\u00e9; il avance masqu\u00e9, affubl\u00e9 de slogans ternes, mal rejou\u00e9 sur la sc\u00e8ne qu\u2019on appelle encore l\u2019\u00c9tat, l\u2019Assembl\u00e9e, le S\u00e9nat, le Gouvernement. Je me suis \u00e9loign\u00e9, j\u2019ai creus\u00e9 l\u2019\u00e9cart, puis je me suis terr\u00e9. Non par h\u00e9ro\u00efsme: par manque d\u2019insouciance. Pour \u00e9viter les querelles et la douleur d\u2019une vigilance que j\u2019appelle, parfois, lucidit\u00e9. Qu\u2019y a-t-il de plus attristant que voir ce que d\u2019autres ne voient pas et vivre parmi des somnambules? Cela vous fait aussit\u00f4t douter de l\u2019\u00eatre vous-m\u00eame. La nuit, les r\u00eaves insistent: je marche dans des ruines avec un groupe; des impasses, des couloirs bouch\u00e9s; quelqu\u2019un m\u00e8ne et c\u2019est peut-\u00eatre moi, un moi qui sait s\u2019orienter. Nous traversons la cour vide d\u2019un camp d\u2019extermination; ce moi onirique nous fait grimper sur un \u00e2ne gigantesque qui refuse d\u2019avancer, puis se d\u00e9cide, nous emporte vers un portail. La vitesse devient ahurissante, comme si nous allions passer de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 du monde. Tout s\u2019arr\u00eate. Silence, obscurit\u00e9. La moindre lueur, f\u00fbt-elle d\u2019une imb\u00e9cillit\u00e9 affligeante, nous attire et nous ram\u00e8ne. Au r\u00e9veil, il reste une phrase: tant pis, au moins aurons-nous essay\u00e9. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/o_1907233_65029.jpg?1760770905", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-octobre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-octobre-2025.html", "title": "17 octobre 2025", "date_published": "2025-10-17T05:28:03Z", "date_modified": "2025-10-17T05:29:23Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Je suis reparti en apn\u00e9e. Ce que j’\u00e9cris ne me semble pas partageable, voil\u00e0 le probl\u00e8me. Partageable vers les r\u00e9seaux, ces endroits o\u00f9 l’on partage justement tout, absolument tout, sauf peut-\u00eatre l’essentiel. Pourtant je m’acharne \u00e0 tenir le rythme, \u00e0 publier tous les jours. Comme un gardon qui gigote au bout d’une ligne — l’hame\u00e7on s’enfon\u00e7ant un peu plus dans la m\u00e2choire \u00e0 chaque tentative sans succ\u00e8s.\nSans succ\u00e8s, c’est-\u00e0-dire quoi ? Je ne le sais pas. Trouver une belle phrase, un bon texte ? Non, je ne crois pas que \u00e7a puisse se r\u00e9sumer ainsi. C’est autre chose, de plus cach\u00e9. Essayer d’en finir avec la honte peut-\u00eatre. Boire la coupe jusqu’\u00e0 la lie, comme on dit dans les livres, m\u00eame si personne ne boit plus de coupes depuis belle lurette. On boit des canettes, des gobelets en carton, des bouteilles en plastique. Mais l’expression demeure, tenace comme un vieux meuble qu’on n’arrive pas \u00e0 jeter.\nHier j’ai pens\u00e9 que j’en avais termin\u00e9 avec ce long cycle d’autofiction. Qu’il ne faudrait plus rien ajouter. Relire, d\u00e9couper dans le vif, r\u00e9\u00e9crire une version lisible par quelqu’un qui s’int\u00e9resserait \u00e0 l’autofiction — c’est-\u00e0-dire trois personnes en France, dont deux sont des parents. Mais sit\u00f4t que je me suis mis \u00e0 penser \u00e0 la somme de travail que j’avais devant moi, j’ai \u00e9crit deux petites fictions. Comme pour m’enfuir encore. Je ne sais faire que \u00e7a, je crois.<\/p>\n

Hier apr\u00e8s-midi nous nous rendions sur le parking pour apporter la Twingo au contr\u00f4le technique. Ma femme conduisait. Mon regard s’est pos\u00e9 sur des feuilles jaunes qui contrastaient tr\u00e8s fort avec l’asphalte gris. Trois feuilles exactement, dispos\u00e9es en triangle isoc\u00e8le. J’ai pens\u00e9 que cette \u00e9motion que je ressentais soudain \u00e0 leur vision semblait m’emporter vers un autre monde. Un monde o\u00f9 les feuilles mortes auraient de l’importance, o\u00f9 leur arrangement g\u00e9om\u00e9trique signifierait quelque chose.\nJ’imagine qu’\u00e0 un degr\u00e9 particulier de solitude, de d\u00e9sesp\u00e9rance, il est assez ais\u00e9 de trouver des portails vers d’autres mondes. Et m\u00eame, au besoin, de s’en cr\u00e9er un. Par la fiction, ainsi recr\u00e9er une r\u00e9alit\u00e9 plus acceptable sans doute. Sauf que je ne sais pas ce que peut \u00eatre une r\u00e9alit\u00e9 « plus acceptable ». Je vis ici et maintenant, j’ai des cartes en main — un brelan de huit, pour \u00eatre pr\u00e9cis — je ne peux changer la donne en cours de route, me suis-je dit.\nMais je philosophe beaucoup trop. Je fuis certainement encore quelque chose en m’\u00e9garant dans la philosophie, en essayant de chercher je ne sais quelles « raisons ». Les raisons ne sont jamais l\u00e0 o\u00f9 on les cherche. Elles sont derri\u00e8re, sur le c\u00f4t\u00e9, parfois carr\u00e9ment dans l’autre pi\u00e8ce en train de faire la vaisselle. Non, il faut revenir en arri\u00e8re, \u00e0 ces feuilles jaunes sur l’asphalte gris. Se dire : tiens, c’est vraiment chouette, ces couleurs avec le gris. Et puis pas plus.<\/p>\n

Pas plus de ce c\u00f4t\u00e9-l\u00e0. Mais de l’autre, va savoir. Toujours des id\u00e9es qui fourmillent. Pas sp\u00e9cialement bonnes, mais on ne va quand m\u00eame pas se plaindre. Les mauvaises id\u00e9es m\u00e8nent parfois quelque part, c’est leur principal avantage sur les bonnes id\u00e9es qui, elles, savent d\u00e9j\u00e0 o\u00f9 elles vont et deviennent vite ennuyeuses.\nParfois les id\u00e9es ne sont d’ailleurs pas des id\u00e9es, mais de l’information qui parvient \u00e0 sa cervelle avec un temps de retard. Qui entre en gare neuronale et synaptique avec un \u00e9norme nuage de fum\u00e9e, un crissement de m\u00e9tal et une odeur de feu. Une gare du XIXe si\u00e8cle. Certainement pas une de ces gares modernes dans lesquelles on n’entend plus que des retards annonc\u00e9s via des voix melliflu\u00e9es. Des voix qui s’excusent poliment de vous faire perdre votre temps, comme si les excuses pouvaient compenser l’attente sur un quai glac\u00e9.\nComme id\u00e9es, par exemple : s’int\u00e9resser aux noms propres. Non qu’ils soient plus propres que les autres — en r\u00e9alit\u00e9 beaucoup sont sales, porteurs d’histoires douteuses, de collaborations, de trahisons, de faillites. Les patronymes, que n’importe quel substantif, mais qu’ils veuillent bien indiquer, pas leur sonorit\u00e9 d\u00e9j\u00e0, un personnage. Tout comme le nom d’une rue, d’un lieu peut tant \u00eatre porteur de faits divers, de fiction. Ou plus g\u00e9n\u00e9ralement de d\u00e9go\u00fbt.\nEt le d\u00e9go\u00fbt est aussi une mati\u00e8re comme les autres. On peut le travailler, le fa\u00e7onner, lui donner une forme. Le d\u00e9go\u00fbt a sa noblesse, sa texture propre. Il est m\u00eame plus int\u00e9ressant que l’admiration, sentiment trop lisse, trop satisfait de lui-m\u00eame.\nCe qui produit deux pistes : la description des lieux et la description de personnages. Il faudrait accumuler des exemples, des bons et des mauvais. Pour \u00e0 la fin, soupirer, souffler, r\u00e2ler, se dire : ne suivons pas tous ces exemples, ne suivons plus rien du tout, allons seul de l’avant.<\/p>\n

Encore que lorsqu’on est d\u00e9sorient\u00e9, aller de l’avant soit une gageure. Il pourrait tout autant aller en arri\u00e8re que \u00e7a n’y changerait pas grand-chose. Dans le noir complet, toutes les directions se valent. Peut-\u00eatre que l’expression « aller de l’avant » fait semblant d’indiquer une « bonne » direction, et qu’elle n’est, \u00e0 l’instar de toutes les autres directions, qu’une direction. Ni bonne ni mauvaise. Juste une direction avec des obstacles diff\u00e9rents.\nJ’ai \u00e9crit un texte sur la description des paysages il y a longtemps. Je crois que c’\u00e9tait en 1988 ou 89. Il \u00e9tait dans un de mes carnets \u00e9videmment, le premier jet. Un carnet \u00e0 couverture verte, si ma m\u00e9moire est bonne, mais elle ne l’est jamais vraiment. La couverture pouvait tout aussi bien \u00eatre bleue, rouge, ou ne pas exister du tout. J’ai certainement reparl\u00e9 de cette affaire plusieurs fois — pas le genre \u00e0 l\u00e2cher si facilement une id\u00e9e ou une information. Les id\u00e9es sont comme des chiens qu’on prom\u00e8ne : elles reviennent constamment, redemandent de l’attention, vous fixent avec insistance jusqu’\u00e0 ce que vous vous en occupiez \u00e0 nouveau.\nMais le probl\u00e8me, c’est de retrouver l’information. On a beau installer des rubriques, des groupes de mots, des mots-cl\u00e9s, elle s’\u00e9chappe. Elle se faufile entre les cat\u00e9gories comme un poisson entre les mailles d’un filet. Cela vaudrait certainement le coup de s’interroger vraiment sur le pourquoi les choses nous \u00e9chappent \u00e0 ce point qu’on ne les retrouve jamais lorsqu’on en a besoin. Et qu’elles resurgissent comme par miracle lorsqu’on n’en a plus du tout l’int\u00e9r\u00eat.\nC’est une loi physique sans doute. La loi de Murphy appliqu\u00e9e \u00e0 la m\u00e9moire. Ou peut-\u00eatre une forme de mal\u00e9diction douce, supportable, qui nous accompagne depuis toujours. On pourrait l’appeler : syndrome de la cl\u00e9 retrouv\u00e9e apr\u00e8s avoir fait refaire toutes les serrures. Ou : principe de la recette de cuisine qui r\u00e9appara\u00eet juste apr\u00e8s avoir command\u00e9 le plat au restaurant.<\/p>\n

Je viens de relire ces pages. Elles ne valent probablement pas grand-chose. Mais elles existent, c’est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a. Elles occupent de l’espace, du papier, des pixels, de la m\u00e9moire vive. Elles font partie du monde, comme les feuilles jaunes sur l’asphalte gris. Elles t\u00e9moignent d’un passage, d’une tentative, d’une respiration entre deux apn\u00e9es.\nDemain je recommencerai. Pas parce que c’est une bonne id\u00e9e, mais parce que je ne sais pas faire autrement. Le gardon continuera de gigoter au bout de sa ligne. L’hame\u00e7on s’enfoncera un peu plus. Et peut-\u00eatre qu’un jour, par accident, par fatigue ou par chance, quelque chose d’int\u00e9ressant finira par sortir de tout \u00e7a.\nEn attendant, je note : penser \u00e0 retrouver ce texte de 1988 sur les paysages. Chercher dans le carnet vert. Ou bleu. Ou rouge.<\/p>\n

illustration<\/strong> trouv\u00e9e sur le site actiroute.com, par hasard. « La couleur jaune peut indiquer un marquage temporaire, un arr\u00eat ou un stationnement interdit. »<\/p>", "content_text": " Je suis reparti en apn\u00e9e. Ce que j'\u00e9cris ne me semble pas partageable, voil\u00e0 le probl\u00e8me. Partageable vers les r\u00e9seaux, ces endroits o\u00f9 l'on partage justement tout, absolument tout, sauf peut-\u00eatre l'essentiel. Pourtant je m'acharne \u00e0 tenir le rythme, \u00e0 publier tous les jours. Comme un gardon qui gigote au bout d'une ligne \u2014 l'hame\u00e7on s'enfon\u00e7ant un peu plus dans la m\u00e2choire \u00e0 chaque tentative sans succ\u00e8s. Sans succ\u00e8s, c'est-\u00e0-dire quoi ? Je ne le sais pas. Trouver une belle phrase, un bon texte ? Non, je ne crois pas que \u00e7a puisse se r\u00e9sumer ainsi. C'est autre chose, de plus cach\u00e9. Essayer d'en finir avec la honte peut-\u00eatre. Boire la coupe jusqu'\u00e0 la lie, comme on dit dans les livres, m\u00eame si personne ne boit plus de coupes depuis belle lurette. On boit des canettes, des gobelets en carton, des bouteilles en plastique. Mais l'expression demeure, tenace comme un vieux meuble qu'on n'arrive pas \u00e0 jeter. Hier j'ai pens\u00e9 que j'en avais termin\u00e9 avec ce long cycle d'autofiction. Qu'il ne faudrait plus rien ajouter. Relire, d\u00e9couper dans le vif, r\u00e9\u00e9crire une version lisible par quelqu'un qui s'int\u00e9resserait \u00e0 l'autofiction \u2014 c'est-\u00e0-dire trois personnes en France, dont deux sont des parents. Mais sit\u00f4t que je me suis mis \u00e0 penser \u00e0 la somme de travail que j'avais devant moi, j'ai \u00e9crit deux petites fictions. Comme pour m'enfuir encore. Je ne sais faire que \u00e7a, je crois. Hier apr\u00e8s-midi nous nous rendions sur le parking pour apporter la Twingo au contr\u00f4le technique. Ma femme conduisait. Mon regard s'est pos\u00e9 sur des feuilles jaunes qui contrastaient tr\u00e8s fort avec l'asphalte gris. Trois feuilles exactement, dispos\u00e9es en triangle isoc\u00e8le. J'ai pens\u00e9 que cette \u00e9motion que je ressentais soudain \u00e0 leur vision semblait m'emporter vers un autre monde. Un monde o\u00f9 les feuilles mortes auraient de l'importance, o\u00f9 leur arrangement g\u00e9om\u00e9trique signifierait quelque chose. J'imagine qu'\u00e0 un degr\u00e9 particulier de solitude, de d\u00e9sesp\u00e9rance, il est assez ais\u00e9 de trouver des portails vers d'autres mondes. Et m\u00eame, au besoin, de s'en cr\u00e9er un. Par la fiction, ainsi recr\u00e9er une r\u00e9alit\u00e9 plus acceptable sans doute. Sauf que je ne sais pas ce que peut \u00eatre une r\u00e9alit\u00e9 \"plus acceptable\". Je vis ici et maintenant, j'ai des cartes en main \u2014 un brelan de huit, pour \u00eatre pr\u00e9cis \u2014 je ne peux changer la donne en cours de route, me suis-je dit. Mais je philosophe beaucoup trop. Je fuis certainement encore quelque chose en m'\u00e9garant dans la philosophie, en essayant de chercher je ne sais quelles \"raisons\". Les raisons ne sont jamais l\u00e0 o\u00f9 on les cherche. Elles sont derri\u00e8re, sur le c\u00f4t\u00e9, parfois carr\u00e9ment dans l'autre pi\u00e8ce en train de faire la vaisselle. Non, il faut revenir en arri\u00e8re, \u00e0 ces feuilles jaunes sur l'asphalte gris. Se dire : tiens, c'est vraiment chouette, ces couleurs avec le gris. Et puis pas plus. Pas plus de ce c\u00f4t\u00e9-l\u00e0. Mais de l'autre, va savoir. Toujours des id\u00e9es qui fourmillent. Pas sp\u00e9cialement bonnes, mais on ne va quand m\u00eame pas se plaindre. Les mauvaises id\u00e9es m\u00e8nent parfois quelque part, c'est leur principal avantage sur les bonnes id\u00e9es qui, elles, savent d\u00e9j\u00e0 o\u00f9 elles vont et deviennent vite ennuyeuses. Parfois les id\u00e9es ne sont d'ailleurs pas des id\u00e9es, mais de l'information qui parvient \u00e0 sa cervelle avec un temps de retard. Qui entre en gare neuronale et synaptique avec un \u00e9norme nuage de fum\u00e9e, un crissement de m\u00e9tal et une odeur de feu. Une gare du XIXe si\u00e8cle. Certainement pas une de ces gares modernes dans lesquelles on n'entend plus que des retards annonc\u00e9s via des voix melliflu\u00e9es. Des voix qui s'excusent poliment de vous faire perdre votre temps, comme si les excuses pouvaient compenser l'attente sur un quai glac\u00e9. Comme id\u00e9es, par exemple : s'int\u00e9resser aux noms propres. Non qu'ils soient plus propres que les autres \u2014 en r\u00e9alit\u00e9 beaucoup sont sales, porteurs d'histoires douteuses, de collaborations, de trahisons, de faillites. Les patronymes, que n'importe quel substantif, mais qu'ils veuillent bien indiquer, pas leur sonorit\u00e9 d\u00e9j\u00e0, un personnage. Tout comme le nom d'une rue, d'un lieu peut tant \u00eatre porteur de faits divers, de fiction. Ou plus g\u00e9n\u00e9ralement de d\u00e9go\u00fbt. Et le d\u00e9go\u00fbt est aussi une mati\u00e8re comme les autres. On peut le travailler, le fa\u00e7onner, lui donner une forme. Le d\u00e9go\u00fbt a sa noblesse, sa texture propre. Il est m\u00eame plus int\u00e9ressant que l'admiration, sentiment trop lisse, trop satisfait de lui-m\u00eame. Ce qui produit deux pistes : la description des lieux et la description de personnages. Il faudrait accumuler des exemples, des bons et des mauvais. Pour \u00e0 la fin, soupirer, souffler, r\u00e2ler, se dire : ne suivons pas tous ces exemples, ne suivons plus rien du tout, allons seul de l'avant. Encore que lorsqu'on est d\u00e9sorient\u00e9, aller de l'avant soit une gageure. Il pourrait tout autant aller en arri\u00e8re que \u00e7a n'y changerait pas grand-chose. Dans le noir complet, toutes les directions se valent. Peut-\u00eatre que l'expression \"aller de l'avant\" fait semblant d'indiquer une \"bonne\" direction, et qu'elle n'est, \u00e0 l'instar de toutes les autres directions, qu'une direction. Ni bonne ni mauvaise. Juste une direction avec des obstacles diff\u00e9rents. J'ai \u00e9crit un texte sur la description des paysages il y a longtemps. Je crois que c'\u00e9tait en 1988 ou 89. Il \u00e9tait dans un de mes carnets \u00e9videmment, le premier jet. Un carnet \u00e0 couverture verte, si ma m\u00e9moire est bonne, mais elle ne l'est jamais vraiment. La couverture pouvait tout aussi bien \u00eatre bleue, rouge, ou ne pas exister du tout. J'ai certainement reparl\u00e9 de cette affaire plusieurs fois \u2014 pas le genre \u00e0 l\u00e2cher si facilement une id\u00e9e ou une information. Les id\u00e9es sont comme des chiens qu'on prom\u00e8ne : elles reviennent constamment, redemandent de l'attention, vous fixent avec insistance jusqu'\u00e0 ce que vous vous en occupiez \u00e0 nouveau. Mais le probl\u00e8me, c'est de retrouver l'information. On a beau installer des rubriques, des groupes de mots, des mots-cl\u00e9s, elle s'\u00e9chappe. Elle se faufile entre les cat\u00e9gories comme un poisson entre les mailles d'un filet. Cela vaudrait certainement le coup de s'interroger vraiment sur le pourquoi les choses nous \u00e9chappent \u00e0 ce point qu'on ne les retrouve jamais lorsqu'on en a besoin. Et qu'elles resurgissent comme par miracle lorsqu'on n'en a plus du tout l'int\u00e9r\u00eat. C'est une loi physique sans doute. La loi de Murphy appliqu\u00e9e \u00e0 la m\u00e9moire. Ou peut-\u00eatre une forme de mal\u00e9diction douce, supportable, qui nous accompagne depuis toujours. On pourrait l'appeler : syndrome de la cl\u00e9 retrouv\u00e9e apr\u00e8s avoir fait refaire toutes les serrures. Ou : principe de la recette de cuisine qui r\u00e9appara\u00eet juste apr\u00e8s avoir command\u00e9 le plat au restaurant. Je viens de relire ces pages. Elles ne valent probablement pas grand-chose. Mais elles existent, c'est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a. Elles occupent de l'espace, du papier, des pixels, de la m\u00e9moire vive. Elles font partie du monde, comme les feuilles jaunes sur l'asphalte gris. Elles t\u00e9moignent d'un passage, d'une tentative, d'une respiration entre deux apn\u00e9es. Demain je recommencerai. Pas parce que c'est une bonne id\u00e9e, mais parce que je ne sais pas faire autrement. Le gardon continuera de gigoter au bout de sa ligne. L'hame\u00e7on s'enfoncera un peu plus. Et peut-\u00eatre qu'un jour, par accident, par fatigue ou par chance, quelque chose d'int\u00e9ressant finira par sortir de tout \u00e7a. En attendant, je note : penser \u00e0 retrouver ce texte de 1988 sur les paysages. Chercher dans le carnet vert. Ou bleu. 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Il regarde, et ce n\u2019est jamais le m\u00eame monde. Ce qu\u2019il a vu hier n\u2019est pas ce qu\u2019il voit aujourd\u2019hui, ni ce qu\u2019il verra demain. Trois personnes devant la m\u00eame fen\u00eatre produiraient trois paysages. Pourtant la vitre reste froide, la paume r\u00e2pe le rebord, et la tasse revient toujours au m\u00eame point sur la soucoupe. Quand tout passe, que reste-t-il de lui ? Non un moi sauf, plut\u00f4t le corps rendu \u00e0 la mati\u00e8re. Les mots tristesse, joie, douleur, plaisir ne lui appartiennent pas : des \u00e9tats le traversent puis se retirent. L\u2019\u00e9nigme demeure.<\/p>\n

Il serre les dents. La col\u00e8re entre par les \u00e9paules, p\u00e8se sur les mains. Le point est minuscule, une asp\u00e9rit\u00e9 qui grippe. Avant, il croit \u00e0 la sc\u00e8ne. Apr\u00e8s, il sait. Parfois un bruit suffit : les cuill\u00e8res qui s\u2019entrechoquent, la tasse qui touche la soucoupe. Il joue les dupes : souffle r\u00e9gulier, gestes r\u00e9p\u00e9t\u00e9s. Le fil blanc se montre \u00e0 la lumi\u00e8re. Inutile de tirer.<\/p>\n

Elle arrive. Caf\u00e9. Sujet : mati\u00e8res et collages. Elle choisit une photographie. Il dit : prends les masses, les lignes, les formes. Au fusain, bouillie. Collage, plus sec. Puis : « Oublie tout. Peins le moment. » Elle fabrique sa palette, peint. Ils regardent sans parler. Il pose la tasse sur la soucoupe, exactement au point. L\u00e0 o\u00f9, tout \u00e0 l\u2019heure, il avait cru que la place bougeait.<\/p>", "content_text": " Il regarde, et ce n\u2019est jamais le m\u00eame monde. Ce qu\u2019il a vu hier n\u2019est pas ce qu\u2019il voit aujourd\u2019hui, ni ce qu\u2019il verra demain. Trois personnes devant la m\u00eame fen\u00eatre produiraient trois paysages. Pourtant la vitre reste froide, la paume r\u00e2pe le rebord, et la tasse revient toujours au m\u00eame point sur la soucoupe. Quand tout passe, que reste-t-il de lui ? Non un moi sauf, plut\u00f4t le corps rendu \u00e0 la mati\u00e8re. Les mots tristesse, joie, douleur, plaisir ne lui appartiennent pas : des \u00e9tats le traversent puis se retirent. L\u2019\u00e9nigme demeure. Il serre les dents. La col\u00e8re entre par les \u00e9paules, p\u00e8se sur les mains. Le point est minuscule, une asp\u00e9rit\u00e9 qui grippe. Avant, il croit \u00e0 la sc\u00e8ne. Apr\u00e8s, il sait. Parfois un bruit suffit : les cuill\u00e8res qui s\u2019entrechoquent, la tasse qui touche la soucoupe. Il joue les dupes : souffle r\u00e9gulier, gestes r\u00e9p\u00e9t\u00e9s. Le fil blanc se montre \u00e0 la lumi\u00e8re. Inutile de tirer. Elle arrive. Caf\u00e9. Sujet : mati\u00e8res et collages. Elle choisit une photographie. Il dit : prends les masses, les lignes, les formes. Au fusain, bouillie. Collage, plus sec. Puis : \u00ab Oublie tout. Peins le moment. \u00bb Elle fabrique sa palette, peint. Ils regardent sans parler. Il pose la tasse sur la soucoupe, exactement au point. L\u00e0 o\u00f9, tout \u00e0 l\u2019heure, il avait cru que la place bougeait. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bureau-2.jpg?1760580354", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-octobre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-octobre-2025.html", "title": "15 octobre 2025", "date_published": "2025-10-15T02:20:09Z", "date_modified": "2025-10-15T03:39:28Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

L\u2019\u00e9picerie a un nouveau toit. Nous pensons revendre la maison qui nous co\u00fbte trop cher, trouver un appartement, peut-\u00eatre dans Vienne. Pas de tristesse. Avoir un projet tient. Nous avons commenc\u00e9 \u00e0 nous projeter. Les toiles rang\u00e9es dans l\u2019atelier. Les meubles. Les livres de mon p\u00e8re \u00e0 l\u2019\u00e9tage et au grenier. Toutes ces choses dont il faudra se d\u00e9faire. Repartir sur une nouvelle tranche de vie. Ce ne sera pas la premi\u00e8re fois. Il me faudra une solution pour les livres. Personne ne nous aidera \u00e0 d\u00e9m\u00e9nager. A. et L. ont pr\u00e9venu : « Ne comptez pas sur nous. » Sur la route, en longeant la Sa\u00f4ne, je me suis dit qu\u2019il y avait plus de morts que de vivants. Vertige. Puis la concession que S. a achet\u00e9e \u00e0 Caluire. J\u2019essaie d\u2019imaginer ma tombe, S. venant d\u00e9poser un pot de fleurs de temps \u00e0 autre. J\u2019ai toujours pens\u00e9 partir le premier. Ce serait trop triste autrement. Les silhouettes sur les trottoirs marchent vers leur fin, et moi, d\u00e9j\u00e0 un peu mort, je regarde sans rien dire. La route gr\u00e9sille. Klaxons, appels de phares, nervosit\u00e9. Un 4x4 arrive par la gauche, plaque boueuse, antenne tordue, clignotant oubli\u00e9, il se rabat au dernier moment sous les fl\u00e8ches du r\u00e9tr\u00e9cissement. \u00c0 Feyzin, palissades et tags criards sur ciel gris. Plus haut, Arkema. \u00c0 Pierre-B\u00e9nite, on \u00e9vite les \u0153ufs. On dit que les femmes enceintes s\u2019inqui\u00e8tent. Produits partout : air, sols, bouffe, jusque dans le lait maternel. On continue, parce que la cha\u00eene tourne et que certains y tiennent leur mesure. La col\u00e8re baisse. \u00c0 Caluire, je revois la dalle vide et, pos\u00e9 de travers, un pot de chrysanth\u00e8mes.<\/p>\n


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Livraison d’un toit en pi\u00e8ces d\u00e9tach\u00e9es<\/p>\n


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La colline qui prie<\/p>\n


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La colline qui travaille<\/p>\n


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Sinon, en rentrant j’ai pu r\u00e9gler le bug de la mise \u00e0 jour 4.4.6 de SPIP. J’ai cr\u00e9e un patch, envoy\u00e9 au forum spip dev ( Patrick.B.)<\/p>\n

Titre : [statistiques] table_objet_sql() re\u00e7oit un array dans referenceurs.php \u2192 fatal PHP 8<\/p>\n

Contexte<\/p>\n

SPIP : x.y.z (prod)\nPHP : 8.x\nPlugins noyau : statistiques (version livr\u00e9e avec x.y.z)\nPlugins : statsobjets 2.1.0, referer_spam 1.2.1\nH\u00e9bergeur\/OS : \u2026\nReproduction<\/p>\n

Activer Statistiques et StatsObjets.\nAller dans : Activit\u00e9s \u2192 Statistiques \u2192 Liens entrants.\nAvec certains objets pass\u00e9s par l\u2019interface, l\u2019erreur survient.\nR\u00e9sultat obtenu<\/p>\n

table_objet_sql() : Argument #1 ($type) must be of type string, array given\n\u2026\/ecrire\/base\/objets.php:1074\nappel\u00e9 depuis \u2026\/plugins-dist\/statistiques\/inc\/referenceurs.php:191\nR\u00e9sultat attendu\nAffichage normal des r\u00e9f\u00e9rents.<\/p>\n

Analyse\nreferenceurs.php::referes() peut recevoir $objets sous forme de tableau (extraction depuis spip_referers_objets ou appels externes). La boucle foreach ($objets as $objet) envoie ensuite un \u00e9l\u00e9ment potentiellement tableau \u00e0 table_objet_sql($objet), qui attend une cha\u00eene.<\/p>\n

Correctif propos\u00e9 (d\u00e9fensif)<\/p>\n

Extraire proprement la colonne objet depuis sql_allfetsel.\nAplatir\/normaliser $objets en tableau de cha\u00eenes.\nPasser chaque $objet par objet_type() avant table_objet_sql().\nDiff minimal sur plugins-dist\/statistiques\/inc\/referenceurs.php :<\/p>\n

--- a\/plugins-dist\/statistiques\/inc\/referenceurs.php\n+++ b\/plugins-dist\/statistiques\/inc\/referenceurs.php\n@@ function referes(string $referermd5, $objets = null, string $serveur = ’’) : string {<\/p>\n