{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-novembre-2025.html", "title": "02 novembre 2025", "date_published": "2025-11-02T06:59:44Z", "date_modified": "2025-11-02T06:59:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

La rage, la col\u00e8re, la violence qui, autrefois, \u00e9taient contenues par un certain nombre d\u2019illusions \u2013 auxquelles on se faisait un devoir de croire passionn\u00e9ment, en usant de mots doux comme « Libert\u00e9, \u00c9galit\u00e9, Fraternit\u00e9 », avant qu\u2019on ne saisisse toute l\u2019\u00e9tendue de l\u2019entourloupe \u2013, sont d\u00e9sormais sorties de leurs gonds.<\/p>\n

Nous voici revenus au temps des hordes et de la foire d\u2019empoigne, maltrait\u00e9s, tabass\u00e9s, d\u00e9trouss\u00e9s par ceux-l\u00e0 m\u00eame qui \u00e9taient cens\u00e9s nous prot\u00e9ger et assurer le bonheur du pays. \u00c0 moins que cette pr\u00e9tention ne soit encore qu\u2019un pompon r\u00e9calcitrant de chenilles foraines. Que l\u2019on ne se soit fait duper depuis bien plus longtemps qu\u2019on ne l\u2019imagine, au mieux depuis la R\u00e9volution, au pire depuis la chute de l\u2019Empire romain.<\/p>\n

Sans doute tout ceci n\u2019est-il d\u00fb qu\u2019\u00e0 une simple op\u00e9ration arithm\u00e9tique. Nourrir et loger des esclaves \u00e9tant devenu hors de prix, on inventa la libert\u00e9 \u00e0 bon escient, accompagn\u00e9e d\u2019un coup de pied au cul pour s\u2019en aller qu\u00e9rir logis et ouvrage \u00e0 l\u2019\u00e9cart des villas juch\u00e9es sur les hauteurs qui cernent la ville. Et nous autres, bons et braves bougres, barbares ontologiques d\u2019un pouvoir qui ne saurait exister sans son reflet contraire, nous avons couru, nous courons encore, pire : nous courons en esp\u00e9rant rejoindre le haut de la colline, et sommes \u00e9tonn\u00e9s de n\u2019y trouver personne, que du vide, du rien, du n\u00e9ant. Car nous aussi, donc, avions besoin de ma\u00eetres pour nous vivre esclaves.<\/p>\n

Ce matin, il s\u2019est \u00e9veill\u00e9 avec cette phrase qui clignotait sans cesse, tel un vieux n\u00e9on gr\u00e9sillant pr\u00e8s de l\u2019araign\u00e9e au plafond : « Le style est l\u2019homme m\u00eame ». — c\u2019est de Buffon, lors de son discours \u00e0 l\u2019Acad\u00e9mie fran\u00e7aise en 1753, souvent attribu\u00e9 \u00e0 tort \u00e0 Boileau — et tout devint lumineux.<\/p>\n

Puis la seconde pens\u00e9e qui l\u2019assaillit fut celle d\u2019\u00eatre un homme d\u2019un autre temps ; non pas un anachronisme, mais un homme qui refuse de se relier au temps pr\u00e9sent en b\u00ealant de concert avec lui et en son sein. Il se d\u00e9couvrait soudain une famille, des gens avec qui, par leur style, il pouvait entretenir un commerce sans f\u00e2cherie. Ils ne risquaient pas de le contredire de fa\u00e7on brouillonne dans une imm\u00e9diatet\u00e9 vaine : ils \u00e9taient tous morts, align\u00e9s sur les rayons de sa biblioth\u00e8que.<\/p>\n

Hier matin, rendu de bonne heure sur le march\u00e9, quelle merveille : des plateaux de l\u00e9gumes \u00e0 1 \u20ac. Je suis revenu avec un sac plein de chou, de poireaux, de navets, de carottes, d\u2019oignons et d\u2019ails. J\u2019ai fait l\u2019emplette d\u2019un gros morceau de poitrine fum\u00e9e afin de confectionner une pot\u00e9e. Elle a cuit tout l\u2019apr\u00e8s-midi et je l\u2019ai mise au four ce matin pour en achever la cuisson \u00e0 l\u2019\u00e9touff\u00e9e.<\/p>", "content_text": " La rage, la col\u00e8re, la violence qui, autrefois, \u00e9taient contenues par un certain nombre d\u2019illusions \u2013 auxquelles on se faisait un devoir de croire passionn\u00e9ment, en usant de mots doux comme \u00ab Libert\u00e9, \u00c9galit\u00e9, Fraternit\u00e9 \u00bb, avant qu\u2019on ne saisisse toute l\u2019\u00e9tendue de l\u2019entourloupe \u2013, sont d\u00e9sormais sorties de leurs gonds. Nous voici revenus au temps des hordes et de la foire d\u2019empoigne, maltrait\u00e9s, tabass\u00e9s, d\u00e9trouss\u00e9s par ceux-l\u00e0 m\u00eame qui \u00e9taient cens\u00e9s nous prot\u00e9ger et assurer le bonheur du pays. \u00c0 moins que cette pr\u00e9tention ne soit encore qu\u2019un pompon r\u00e9calcitrant de chenilles foraines. Que l\u2019on ne se soit fait duper depuis bien plus longtemps qu\u2019on ne l\u2019imagine, au mieux depuis la R\u00e9volution, au pire depuis la chute de l\u2019Empire romain. Sans doute tout ceci n\u2019est-il d\u00fb qu\u2019\u00e0 une simple op\u00e9ration arithm\u00e9tique. Nourrir et loger des esclaves \u00e9tant devenu hors de prix, on inventa la libert\u00e9 \u00e0 bon escient, accompagn\u00e9e d\u2019un coup de pied au cul pour s\u2019en aller qu\u00e9rir logis et ouvrage \u00e0 l\u2019\u00e9cart des villas juch\u00e9es sur les hauteurs qui cernent la ville. Et nous autres, bons et braves bougres, barbares ontologiques d\u2019un pouvoir qui ne saurait exister sans son reflet contraire, nous avons couru, nous courons encore, pire : nous courons en esp\u00e9rant rejoindre le haut de la colline, et sommes \u00e9tonn\u00e9s de n\u2019y trouver personne, que du vide, du rien, du n\u00e9ant. Car nous aussi, donc, avions besoin de ma\u00eetres pour nous vivre esclaves. Ce matin, il s\u2019est \u00e9veill\u00e9 avec cette phrase qui clignotait sans cesse, tel un vieux n\u00e9on gr\u00e9sillant pr\u00e8s de l\u2019araign\u00e9e au plafond : \u00ab Le style est l\u2019homme m\u00eame \u00bb. \u2014 c\u2019est de Buffon, lors de son discours \u00e0 l\u2019Acad\u00e9mie fran\u00e7aise en 1753, souvent attribu\u00e9 \u00e0 tort \u00e0 Boileau \u2014 et tout devint lumineux. Puis la seconde pens\u00e9e qui l\u2019assaillit fut celle d\u2019\u00eatre un homme d\u2019un autre temps ; non pas un anachronisme, mais un homme qui refuse de se relier au temps pr\u00e9sent en b\u00ealant de concert avec lui et en son sein. Il se d\u00e9couvrait soudain une famille, des gens avec qui, par leur style, il pouvait entretenir un commerce sans f\u00e2cherie. Ils ne risquaient pas de le contredire de fa\u00e7on brouillonne dans une imm\u00e9diatet\u00e9 vaine : ils \u00e9taient tous morts, align\u00e9s sur les rayons de sa biblioth\u00e8que. Hier matin, rendu de bonne heure sur le march\u00e9, quelle merveille : des plateaux de l\u00e9gumes \u00e0 1 \u20ac. Je suis revenu avec un sac plein de chou, de poireaux, de navets, de carottes, d\u2019oignons et d\u2019ails. J\u2019ai fait l\u2019emplette d\u2019un gros morceau de poitrine fum\u00e9e afin de confectionner une pot\u00e9e. Elle a cuit tout l\u2019apr\u00e8s-midi et je l\u2019ai mise au four ce matin pour en achever la cuisson \u00e0 l\u2019\u00e9touff\u00e9e. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/recette-potee-au-chou.webp?1762066725", "tags": ["Temporalit\u00e9 et Ruptures", "affects"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/01-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/01-novembre-2025.html", "title": "01 novembre 2025", "date_published": "2025-11-01T08:47:47Z", "date_modified": "2025-11-01T08:47:47Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Hier soir, suis tomb\u00e9 par hasard sur un entretien du blogueur Juan Asensio (Stalker). Pas vraiment un soutien d\u2019Annie Ernaux. Mais touch\u00e9 malgr\u00e9 tout par son attachement \u00e0 une certaine id\u00e9e de la langue.<\/p>\n

De m\u00eame que je peux aussi \u00eatre touch\u00e9 lorsque Louis-Ferdinand C\u00e9line vilipende Proust en le traitant de « prout Proust » — sauf que parfois, ce dernier avoue quand m\u00eame qu\u2019il est un des plus grands \u00e9crivains du si\u00e8cle.<\/p>\n

Ce qui m\u2019am\u00e8ne \u00e0 relire L\u00e9on Bloy, lecture de jeunesse. En reparcourant certains passages, je vois bien l\u2019effort qui porte sur la phrase, sur une certaine id\u00e9e du style avant tout. Et comment ne pas \u00eatre attendri par le moteur de ses hargnes, par ses envol\u00e9es lyriques sur la foi — ce dont je suis h\u00e9las absolument d\u00e9pourvu. J\u2019en serais presque envieux, parfois. M\u00eame si l\u2019objet de cette ferveur, la pr\u00e9cision de l\u2019engouement, exag\u00e9r\u00e9, me laisse toujours quelques doutes.<\/p>\n

Ce que je veux dire, c\u2019est qu\u2019importe au final les id\u00e9es des bonshommes, ce qu\u2019ils pensent vraiment. Ce n\u2019est pas \u00e7a qui compte une fois le temps pass\u00e9 et que l\u2019on se penche sur les textes. C\u2019est m\u00eame amusant parfois, sans sombrer dans l\u2019ironie. Attendrissant, oui, comme peut l\u2019\u00eatre un Hemingway, par exemple.<\/p>\n

Je ne sais pas si je dois classer ce billet dans « autofiction » ou « propos sur l\u2019art ». Peut-\u00eatre que tout ne n\u00e9cessite pas d\u2019\u00eatre class\u00e9.<\/p>\n

Ce qui m\u2019am\u00e8ne aussi \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur ce que j\u2019appelle vraiment « autofiction », et me demander si ce n\u2019est pas une sorte de carapace pu\u00e9rile pour ne pas dire v\u00e9ritablement tout haut, parfois, ce que je pense vraiment.<\/p>\n

Mais, est-ce que je pense vraiment quelque chose par moi-m\u00eame ?<\/p>\n

Question qui reste pour l\u2019instant en suspens.<\/p>", "content_text": " Hier soir, suis tomb\u00e9 par hasard sur un entretien du blogueur Juan Asensio (Stalker). Pas vraiment un soutien d\u2019Annie Ernaux. Mais touch\u00e9 malgr\u00e9 tout par son attachement \u00e0 une certaine id\u00e9e de la langue. De m\u00eame que je peux aussi \u00eatre touch\u00e9 lorsque Louis-Ferdinand C\u00e9line vilipende Proust en le traitant de \u00ab prout Proust \u00bb \u2014 sauf que parfois, ce dernier avoue quand m\u00eame qu\u2019il est un des plus grands \u00e9crivains du si\u00e8cle. Ce qui m\u2019am\u00e8ne \u00e0 relire L\u00e9on Bloy, lecture de jeunesse. En reparcourant certains passages, je vois bien l\u2019effort qui porte sur la phrase, sur une certaine id\u00e9e du style avant tout. Et comment ne pas \u00eatre attendri par le moteur de ses hargnes, par ses envol\u00e9es lyriques sur la foi \u2014 ce dont je suis h\u00e9las absolument d\u00e9pourvu. J\u2019en serais presque envieux, parfois. M\u00eame si l\u2019objet de cette ferveur, la pr\u00e9cision de l\u2019engouement, exag\u00e9r\u00e9, me laisse toujours quelques doutes. Ce que je veux dire, c\u2019est qu\u2019importe au final les id\u00e9es des bonshommes, ce qu\u2019ils pensent vraiment. Ce n\u2019est pas \u00e7a qui compte une fois le temps pass\u00e9 et que l\u2019on se penche sur les textes. C\u2019est m\u00eame amusant parfois, sans sombrer dans l\u2019ironie. Attendrissant, oui, comme peut l\u2019\u00eatre un Hemingway, par exemple. Je ne sais pas si je dois classer ce billet dans \u00ab autofiction \u00bb ou \u00ab propos sur l\u2019art \u00bb. Peut-\u00eatre que tout ne n\u00e9cessite pas d\u2019\u00eatre class\u00e9. Ce qui m\u2019am\u00e8ne aussi \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur ce que j\u2019appelle vraiment \u00ab autofiction \u00bb, et me demander si ce n\u2019est pas une sorte de carapace pu\u00e9rile pour ne pas dire v\u00e9ritablement tout haut, parfois, ce que je pense vraiment. Mais, est-ce que je pense vraiment quelque chose par moi-m\u00eame ? Question qui reste pour l\u2019instant en suspens. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/leon_bloy_-_dornac.jpg?1761986859", "tags": [] } ] }