{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-novembre-2025.html", "title": "30 novembre 2025", "date_published": "2025-11-30T07:09:18Z", "date_modified": "2025-11-30T07:24:56Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Un tel se demande si \u00e9crire un journal est un travail. La question m\u2019agace, je la tourne en d\u00e9rision, mais elle reste l\u00e0. Si ce n\u2019est pas du travail au sens de l\u2019administration, qu\u2019est-ce que c\u2019est ? Une manie, une hygi\u00e8ne, un exercice de survie ? Je crois que je continue ce journal surtout pour ne pas avoir \u00e0 r\u00e9pondre. Tant que j\u2019\u00e9cris, la question reste en suspens ; si j\u2019arr\u00eatais, il faudrait d\u00e9cider si j\u2019abdique ou pas. En revenant sur 2019, je vois ce que le journal fabrique concr\u00e8tement : des questions laiss\u00e9es en plan qui se redressent \u00e0 chaque relecture. Des phrases, des sc\u00e8nes, des reproches qui reviennent vers moi comme de petites figures qu\u2019on a mal finies et oubli\u00e9es dans un coin. Chaque mois, j\u2019en reprends une, j\u2019enl\u00e8ve un peu de poussi\u00e8re, j\u2019ajoute trois mots, et elle se remet \u00e0 marcher. Mon “travail”, c\u2019est \u00e7a : entretenir ce petit peuple de questions plut\u00f4t que les laisser se figer.<\/p>\n

Si je devais le dire autrement, je prendrais une journ\u00e9e pr\u00e9cise. Ce dimanche, par exemple, au lieu de r\u00e9pondre \u00e0 la premi\u00e8re r\u00e9flexion d\u00e9sobligeante qui pointe — une remarque de plus sur ma fa\u00e7on de vivre, de travailler, ou de ne pas travailler justement —, je claque la porte, je descends \u00e0 l\u2019atelier, j\u2019ouvre le cahier. J\u2019aurais pu envoyer un texto \u00e0 S., d\u00e9rouler “ceci, cela, encore ceci et cela”, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 fait cent fois. Je sais que \u00e7a ne servirait qu\u2019\u00e0 rejouer la sc\u00e8ne \u00e0 l\u2019identique. Alors j\u2019\u00e9cris ici. C\u2019est une autre mani\u00e8re de tenir : d\u00e9placer la dispute de la bouche vers la page. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, ce n\u2019est pas du travail. Pourtant, de l\u2019int\u00e9rieur, \u00e7a y ressemble : \u00e7a revient, \u00e7a presse, \u00e7a fait mal par moments, et si je laisse passer trop de temps, \u00e7a se bloque. Si je dois parler de travail, je pense plut\u00f4t au travail d\u2019un accouchement : des contractions r\u00e9guli\u00e8res qui emp\u00eachent que tout se fige, qui forcent quelque chose \u00e0 sortir au lieu de se calcifier dans la t\u00eate. Tant que j\u2019\u00e9cris, je ne suis pas compl\u00e8tement affal\u00e9.<\/p>\n

En dessous, il y a la col\u00e8re. Pas une col\u00e8re spectaculaire, pas celle qui casse des assiettes, mais une chose sourde qui refuse de mourir. Il a fallu du temps pour accepter ce mot sans le maquiller : oui, c\u2019est vrai, ma col\u00e8re est tenace. Et rien que le fait de le dire la rend d\u00e9j\u00e0 un peu moins absolue. Le journal sert aussi \u00e0 \u00e7a : donner une forme \u00e0 ce qui, sinon, sortirait en injures, en silences lourds, en portes claqu\u00e9es sur les autres plut\u00f4t que sur moi.<\/p>\n

Plus tard, S. a re\u00e7u pour son anniversaire deux fois le m\u00eame livre : le Goncourt des lyc\u00e9ens, sans doute parce que sa derni\u00e8re pi\u00e8ce a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s pris\u00e9e. En ce moment elle vient d\u2019\u00eatre jou\u00e9e \u00e0 La R\u00e9union, cette semaine \u00e0 Villeurbanne. Tout \u00e7a s\u2019inscrit bien dans l\u2019air du temps : il faut d\u00e9river la col\u00e8re, la violence vers des faits concrets, appuy\u00e9s par des chiffres, des dossiers, des d\u00e9bats. Le th\u00e9\u00e2tre, la litt\u00e9rature surfent sur la vague. Je ne dis pas \u00e7a pour d\u00e9consid\u00e9rer qui que ce soit ; je me fais simplement la r\u00e9flexion \u00e0 mi-voix. L\u2019an prochain, on aura peut-\u00eatre des \u0153uvres sur les animaux de compagnie, les abattoirs, une gastronomie \u00e0 base de farine d\u2019insectes. Les sujets changent, la m\u00eame col\u00e8re cherche des issues “pr\u00e9sentables”.<\/p>\n

Ce que je redoute, en filigrane, est assez banal : la forme d\u2019abdication qui guette tant de corps pass\u00e9 un certain \u00e2ge. S\u2019affaisser devant la t\u00e9l\u00e9, hurler contre des marionnettes, avoir peur de tout, remplir son assiette pour ne plus rien sentir. Le journal ne me rend pas meilleur que ceux-l\u00e0, il m\u2019\u00e9vite juste de me raconter que je n\u2019y suis pour rien. Au lieu de crier sur l\u2019\u00e9cran, je note ce qui remue.<\/p>\n

On pourra bien dire qu\u2019\u00e9crire est une th\u00e9rapie, je n\u2019ai plus envie de discuter le mot. \u00c0 ce stade, tout le monde se soigne comme il peut : accepter un boulot \u00e0 la cha\u00eene, porter des charges d\u2019un rack \u00e0 l\u2019autre, se montrer, se vendre, parler pour les autres dans un micro, tout cela aide \u00e0 supporter quelque chose qu\u2019on ne veut pas regarder en face. Le journal est une de ces b\u00e9quilles, je l\u2019assume : la mienne consiste \u00e0 tracer une carte approximative de ma vie, de mes pens\u00e9es, de mes ratages, pour v\u00e9rifier que je n\u2019ai pas encore tout referm\u00e9.<\/p>\n

Pendant longtemps, j\u2019ai pris go\u00fbt \u00e0 d\u00e9ranger : \u00e9crire pour piquer, poster pour provoquer, parler pour mettre les autres mal \u00e0 l\u2019aise. C\u2019\u00e9tait ma mani\u00e8re de ne pas voir que ce qui m\u2019int\u00e9ressait vraiment, c\u2019\u00e9tait de me d\u00e9ranger moi, de d\u00e9placer mes propres meubles int\u00e9rieurs. Alors, \u00e9crire un journal, est-ce un travail ? Oui, mais pas celui qu\u2019on d\u00e9clare au fisc. C\u2019est un travail d\u2019accouchement modeste, une fa\u00e7on d\u2019accueillir la col\u00e8re sans la jeter \u00e0 la figure de tout le monde, et de retarder un peu l\u2019abdication. Pour le reste, la question reste ouverte : ai-je jamais \u00e9t\u00e9 rang\u00e9, et ces “autres” que j\u2019invoque sans cesse, le sont-ils vraiment plus que moi ?<\/p>", "content_text": " Un tel se demande si \u00e9crire un journal est un travail. La question m\u2019agace, je la tourne en d\u00e9rision, mais elle reste l\u00e0. Si ce n\u2019est pas du travail au sens de l\u2019administration, qu\u2019est-ce que c\u2019est ? Une manie, une hygi\u00e8ne, un exercice de survie ? Je crois que je continue ce journal surtout pour ne pas avoir \u00e0 r\u00e9pondre. Tant que j\u2019\u00e9cris, la question reste en suspens ; si j\u2019arr\u00eatais, il faudrait d\u00e9cider si j\u2019abdique ou pas. En revenant sur 2019, je vois ce que le journal fabrique concr\u00e8tement : des questions laiss\u00e9es en plan qui se redressent \u00e0 chaque relecture. Des phrases, des sc\u00e8nes, des reproches qui reviennent vers moi comme de petites figures qu\u2019on a mal finies et oubli\u00e9es dans un coin. Chaque mois, j\u2019en reprends une, j\u2019enl\u00e8ve un peu de poussi\u00e8re, j\u2019ajoute trois mots, et elle se remet \u00e0 marcher. Mon \u201ctravail\u201d, c\u2019est \u00e7a : entretenir ce petit peuple de questions plut\u00f4t que les laisser se figer. Si je devais le dire autrement, je prendrais une journ\u00e9e pr\u00e9cise. Ce dimanche, par exemple, au lieu de r\u00e9pondre \u00e0 la premi\u00e8re r\u00e9flexion d\u00e9sobligeante qui pointe \u2014 une remarque de plus sur ma fa\u00e7on de vivre, de travailler, ou de ne pas travailler justement \u2014, je claque la porte, je descends \u00e0 l\u2019atelier, j\u2019ouvre le cahier. J\u2019aurais pu envoyer un texto \u00e0 S., d\u00e9rouler \u201cceci, cela, encore ceci et cela\u201d, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 fait cent fois. Je sais que \u00e7a ne servirait qu\u2019\u00e0 rejouer la sc\u00e8ne \u00e0 l\u2019identique. Alors j\u2019\u00e9cris ici. C\u2019est une autre mani\u00e8re de tenir : d\u00e9placer la dispute de la bouche vers la page. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, ce n\u2019est pas du travail. Pourtant, de l\u2019int\u00e9rieur, \u00e7a y ressemble : \u00e7a revient, \u00e7a presse, \u00e7a fait mal par moments, et si je laisse passer trop de temps, \u00e7a se bloque. Si je dois parler de travail, je pense plut\u00f4t au travail d\u2019un accouchement : des contractions r\u00e9guli\u00e8res qui emp\u00eachent que tout se fige, qui forcent quelque chose \u00e0 sortir au lieu de se calcifier dans la t\u00eate. Tant que j\u2019\u00e9cris, je ne suis pas compl\u00e8tement affal\u00e9. En dessous, il y a la col\u00e8re. Pas une col\u00e8re spectaculaire, pas celle qui casse des assiettes, mais une chose sourde qui refuse de mourir. Il a fallu du temps pour accepter ce mot sans le maquiller : oui, c\u2019est vrai, ma col\u00e8re est tenace. Et rien que le fait de le dire la rend d\u00e9j\u00e0 un peu moins absolue. Le journal sert aussi \u00e0 \u00e7a : donner une forme \u00e0 ce qui, sinon, sortirait en injures, en silences lourds, en portes claqu\u00e9es sur les autres plut\u00f4t que sur moi. Plus tard, S. a re\u00e7u pour son anniversaire deux fois le m\u00eame livre : le Goncourt des lyc\u00e9ens, sans doute parce que sa derni\u00e8re pi\u00e8ce a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s pris\u00e9e. En ce moment elle vient d\u2019\u00eatre jou\u00e9e \u00e0 La R\u00e9union, cette semaine \u00e0 Villeurbanne. Tout \u00e7a s\u2019inscrit bien dans l\u2019air du temps : il faut d\u00e9river la col\u00e8re, la violence vers des faits concrets, appuy\u00e9s par des chiffres, des dossiers, des d\u00e9bats. Le th\u00e9\u00e2tre, la litt\u00e9rature surfent sur la vague. Je ne dis pas \u00e7a pour d\u00e9consid\u00e9rer qui que ce soit ; je me fais simplement la r\u00e9flexion \u00e0 mi-voix. L\u2019an prochain, on aura peut-\u00eatre des \u0153uvres sur les animaux de compagnie, les abattoirs, une gastronomie \u00e0 base de farine d\u2019insectes. Les sujets changent, la m\u00eame col\u00e8re cherche des issues \u201cpr\u00e9sentables\u201d. Ce que je redoute, en filigrane, est assez banal : la forme d\u2019abdication qui guette tant de corps pass\u00e9 un certain \u00e2ge. S\u2019affaisser devant la t\u00e9l\u00e9, hurler contre des marionnettes, avoir peur de tout, remplir son assiette pour ne plus rien sentir. Le journal ne me rend pas meilleur que ceux-l\u00e0, il m\u2019\u00e9vite juste de me raconter que je n\u2019y suis pour rien. Au lieu de crier sur l\u2019\u00e9cran, je note ce qui remue. On pourra bien dire qu\u2019\u00e9crire est une th\u00e9rapie, je n\u2019ai plus envie de discuter le mot. \u00c0 ce stade, tout le monde se soigne comme il peut : accepter un boulot \u00e0 la cha\u00eene, porter des charges d\u2019un rack \u00e0 l\u2019autre, se montrer, se vendre, parler pour les autres dans un micro, tout cela aide \u00e0 supporter quelque chose qu\u2019on ne veut pas regarder en face. Le journal est une de ces b\u00e9quilles, je l\u2019assume : la mienne consiste \u00e0 tracer une carte approximative de ma vie, de mes pens\u00e9es, de mes ratages, pour v\u00e9rifier que je n\u2019ai pas encore tout referm\u00e9. Pendant longtemps, j\u2019ai pris go\u00fbt \u00e0 d\u00e9ranger : \u00e9crire pour piquer, poster pour provoquer, parler pour mettre les autres mal \u00e0 l\u2019aise. C\u2019\u00e9tait ma mani\u00e8re de ne pas voir que ce qui m\u2019int\u00e9ressait vraiment, c\u2019\u00e9tait de me d\u00e9ranger moi, de d\u00e9placer mes propres meubles int\u00e9rieurs. Alors, \u00e9crire un journal, est-ce un travail ? Oui, mais pas celui qu\u2019on d\u00e9clare au fisc. C\u2019est un travail d\u2019accouchement modeste, une fa\u00e7on d\u2019accueillir la col\u00e8re sans la jeter \u00e0 la figure de tout le monde, et de retarder un peu l\u2019abdication. Pour le reste, la question reste ouverte : ai-je jamais \u00e9t\u00e9 rang\u00e9, et ces \u201cautres\u201d que j\u2019invoque sans cesse, le sont-ils vraiment plus que moi ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20190820_102807.jpg?1764486338", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-novembre-2025.html", "title": "29 novembre 2025", "date_published": "2025-11-29T07:59:37Z", "date_modified": "2025-11-29T16:08:19Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

[...] \u00c7a montre un homme qui voit tr\u00e8s clair dans la logique du prestige contemporain \u2013 m\u00eame \u00e0 petite \u00e9chelle \u2013 et qui en est profond\u00e9ment \u00e9c\u0153ur\u00e9. Il a compris que l\u2019aura d\u2019un artiste ou d\u2019une figure publique est un capital constitu\u00e9 par les autres, par des « petits \u00e9pargnants » d\u2019attention et d\u2019argent, et que la tentation est grande de les « siphonner » via goodies et d\u00e9riv\u00e9s. En m\u00eame temps, il sait qu\u2019il n\u2019est pas compl\u00e8tement ext\u00e9rieur \u00e0 ce syst\u00e8me, qu\u2019en tant que peintre il pourrait \u2013 ou a d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9 \u00e0 \u2013 jouer ce jeu. L\u2019homme de 2019 est donc pris entre une lucidit\u00e9 critique forte et une position inconfortable : il juge ce commerce symbolique, s\u2019y sent impliqu\u00e9, et cherche une figure comme Diog\u00e8ne pour valider son d\u00e9go\u00fbt et sa volont\u00e9, au moins en paroles, de s\u2019en tenir \u00e0 distance.[...]<\/p>\n

-- ?<\/p>\n

[...] Parce que cette r\u00e9alit\u00e9 lui tombe pile l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a fait le plus mal : son orgueil et sa honte.<\/p>\n

\n

est-ce que \u00e7a ne casse pas le fantasme d’exception : Il aime se raconter qu\u2019il est du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019art, de la recherche, de l\u2019ivresse “propre”. Or ce syst\u00e8me de micro-aura dit l\u2019inverse : tu as un nom, tu as des gens qui te suivent, donc tu es aussi une boutique potentielle. \u00c7a le renvoie \u00e0 Dali\u2013Lanvin, Gainsbourg\u2013billet, le peintre qui devient logo. Il d\u00e9couvre qu\u2019il n\u2019est pas “hors syst\u00e8me”, mais dedans.<\/p>\n<\/blockquote>\n

\n

ne pas oublier Saint-Antoine mon petit bonhomme, la tentation : Elle le met face \u00e0 sa propre tentation.\nCe qui lui d\u00e9go\u00fbte, ce n\u2019est pas seulement les autres qui lancent des goodies, c\u2019est le fait qu\u2019il sent tr\u00e8s bien qu\u2019il pourrait le faire lui aussi. Qu\u2019il pourrait mon\u00e9tiser son aura, flatter un “petit fan-club”, vendre des morceaux de lui. Il ne supporte pas cette part de lui qui, quelque part, a envie d\u2019\u00eatre d\u00e9sir\u00e9e et d\u2019en vivre.<\/p>\n<\/blockquote>\n

\n

Qu’est ce qui va rester de sacr\u00e9 si tu pi\u00e9tines \u00e7a aussi : va t’il pi\u00e9tiner sa repr\u00e9sentation sacr\u00e9e de l\u2019art.\nPour lui, la peinture, l\u2019\u00e9criture, c\u2019est li\u00e9 \u00e0 quelque chose de grave, de vital, presque chamanique. Donc voir \u00e7a : \nramen\u00e9 \u00e0 des “produits d\u00e9riv\u00e9s”, des “fonds de tiroirs”, c\u2019est comme voir profaner un lieu qu\u2019il tient pour sacr\u00e9. Il pr\u00e9f\u00e8re la figure de Diog\u00e8ne dans son tonneau \u00e0 celle du cr\u00e9ateur avec boutique en ligne.<\/p>\n<\/blockquote>\n

\n

La r\u00e9alit\u00e9 c’est que les choses n’existent plus sans prix, la valeur est devenue le prix. Les “petits \u00e9pargnants”, ce sont des gens qui donnent temps, argent, attention. Il sait ce que c\u2019est que manquer. L\u2019id\u00e9e de vivre en pompant leur manque (de sens, de beaut\u00e9, de lien) lui est insupportable. Il y voit une forme de pr\u00e9dation affective et \u00e9conomique.<\/p>\n<\/blockquote>\n

\n

Et, derri\u00e8re tout \u00e7a, il y a sa vieille haine de lui-m\u00eame.\nPlus il comprend le m\u00e9canisme, plus il se voit comme quelqu\u2019un qui pourrait y c\u00e9der. Donc la lucidit\u00e9 tourne en auto-d\u00e9go\u00fbt : “je ne vaux pas mieux”. D\u2019o\u00f9 ce ton : pas seulement critique, mais presque naus\u00e9eux.<\/p>\n<\/blockquote>\n

[...] donc nous y voici : si le p\u00e9ch\u00e9 c’est l’erreur , on peut dire que lui p\u00e9che pas pure d\u00e9bilit\u00e9, il ne veux pas comprendre les r\u00e8gles de ce jeu ( je ), la v\u00e9rit\u00e9 c’est qu’il veut inventer les siennes. L’id\u00e9aliste rejoint le dictateur.<\/em><\/p>\n


\n

apr\u00e8s \u00e7a comment se taire le plus profond\u00e9ment possible, s’enterrer dans le silence, se p\u00e9trifier en silex, granit.<\/p>\n

[...] et ce n’\u00e9tait pas tant le honte que le d\u00e9gout auquel il fait face <\/p>\n

Plus tard dans ma messagerie<\/em><\/p>\n

\n

[...]Y a-t-il sur Substack trop de verbiage de gens qui semblent avoir un inexplicable besoin de partager leur journal intime ? Certes. et un peu plus loin : Vous \u00eates actuellement un abonn\u00e9 gratuit \u00e0 Angle mort, par Steve Proulx. Pour profiter pleinement de l’exp\u00e9rience, am\u00e9liorez votre abonnement.<\/em> <\/p>\n<\/blockquote>\n

Ce m\u00e9pris pour les journaux intimes m’agace , d’o\u00f9 l’explicable raison : pas un radis \u00e0 ton bidule.<\/p>\n

Un peu plus tard, d\u00e9couverte de textes de Kafka par l’interm\u00e9diaire de F. Ce qui r\u00e9pond \u00e0 une enigme, notamment pour l’ann\u00e9e 1916 qui s’arr\u00e8te dans le Journal, \u00e9dition du Livre de Poche \u00e0 octobre. Les dates se poursuivent dans Cahiers in-octavo (1916-1918) traduits de l’allemand par Pierre Deshusses<\/a><\/p>", "content_text": " [...] \u00c7a montre un homme qui voit tr\u00e8s clair dans la logique du prestige contemporain \u2013 m\u00eame \u00e0 petite \u00e9chelle \u2013 et qui en est profond\u00e9ment \u00e9c\u0153ur\u00e9. Il a compris que l\u2019aura d\u2019un artiste ou d\u2019une figure publique est un capital constitu\u00e9 par les autres, par des \u00ab petits \u00e9pargnants \u00bb d\u2019attention et d\u2019argent, et que la tentation est grande de les \u00ab siphonner \u00bb via goodies et d\u00e9riv\u00e9s. En m\u00eame temps, il sait qu\u2019il n\u2019est pas compl\u00e8tement ext\u00e9rieur \u00e0 ce syst\u00e8me, qu\u2019en tant que peintre il pourrait \u2013 ou a d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9 \u00e0 \u2013 jouer ce jeu. L\u2019homme de 2019 est donc pris entre une lucidit\u00e9 critique forte et une position inconfortable : il juge ce commerce symbolique, s\u2019y sent impliqu\u00e9, et cherche une figure comme Diog\u00e8ne pour valider son d\u00e9go\u00fbt et sa volont\u00e9, au moins en paroles, de s\u2019en tenir \u00e0 distance.[...] \u2014 ? [...] Parce que cette r\u00e9alit\u00e9 lui tombe pile l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a fait le plus mal : son orgueil et sa honte. > est-ce que \u00e7a ne casse pas le fantasme d'exception : Il aime se raconter qu\u2019il est du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019art, de la recherche, de l\u2019ivresse \u201cpropre\u201d. Or ce syst\u00e8me de micro-aura dit l\u2019inverse : tu as un nom, tu as des gens qui te suivent, donc tu es aussi une boutique potentielle. \u00c7a le renvoie \u00e0 Dali\u2013Lanvin, Gainsbourg\u2013billet, le peintre qui devient logo. Il d\u00e9couvre qu\u2019il n\u2019est pas \u201chors syst\u00e8me\u201d, mais dedans. > ne pas oublier Saint-Antoine mon petit bonhomme, la tentation : Elle le met face \u00e0 sa propre tentation. Ce qui lui d\u00e9go\u00fbte, ce n\u2019est pas seulement les autres qui lancent des goodies, c\u2019est le fait qu\u2019il sent tr\u00e8s bien qu\u2019il pourrait le faire lui aussi. Qu\u2019il pourrait mon\u00e9tiser son aura, flatter un \u201cpetit fan-club\u201d, vendre des morceaux de lui. Il ne supporte pas cette part de lui qui, quelque part, a envie d\u2019\u00eatre d\u00e9sir\u00e9e et d\u2019en vivre. > Qu'est ce qui va rester de sacr\u00e9 si tu pi\u00e9tines \u00e7a aussi : va t'il pi\u00e9tiner sa repr\u00e9sentation sacr\u00e9e de l\u2019art. Pour lui, la peinture, l\u2019\u00e9criture, c\u2019est li\u00e9 \u00e0 quelque chose de grave, de vital, presque chamanique. Donc voir \u00e7a : ramen\u00e9 \u00e0 des \u201cproduits d\u00e9riv\u00e9s\u201d, des \u201cfonds de tiroirs\u201d, c\u2019est comme voir profaner un lieu qu\u2019il tient pour sacr\u00e9. Il pr\u00e9f\u00e8re la figure de Diog\u00e8ne dans son tonneau \u00e0 celle du cr\u00e9ateur avec boutique en ligne. > La r\u00e9alit\u00e9 c'est que les choses n'existent plus sans prix, la valeur est devenue le prix. Les \u201cpetits \u00e9pargnants\u201d, ce sont des gens qui donnent temps, argent, attention. Il sait ce que c\u2019est que manquer. L\u2019id\u00e9e de vivre en pompant leur manque (de sens, de beaut\u00e9, de lien) lui est insupportable. Il y voit une forme de pr\u00e9dation affective et \u00e9conomique. >Et, derri\u00e8re tout \u00e7a, il y a sa vieille haine de lui-m\u00eame. Plus il comprend le m\u00e9canisme, plus il se voit comme quelqu\u2019un qui pourrait y c\u00e9der. Donc la lucidit\u00e9 tourne en auto-d\u00e9go\u00fbt : \u201cje ne vaux pas mieux\u201d. D\u2019o\u00f9 ce ton : pas seulement critique, mais presque naus\u00e9eux. [...] donc nous y voici : si le p\u00e9ch\u00e9 c'est l'erreur , on peut dire que lui p\u00e9che pas pure d\u00e9bilit\u00e9, il ne veux pas comprendre les r\u00e8gles de ce jeu ( je ), la v\u00e9rit\u00e9 c'est qu'il veut inventer les siennes. *L'id\u00e9aliste rejoint le dictateur.* apr\u00e8s \u00e7a comment se taire le plus profond\u00e9ment possible, s'enterrer dans le silence, se p\u00e9trifier en silex, granit. [...] et ce n'\u00e9tait pas tant le honte que le d\u00e9gout auquel il fait face *Plus tard dans ma messagerie* >[...]Y a-t-il sur Substack trop de verbiage de gens qui semblent avoir un inexplicable besoin de partager leur journal intime ? Certes. et un peu plus loin : *Vous \u00eates actuellement un abonn\u00e9 gratuit \u00e0 Angle mort, par Steve Proulx. Pour profiter pleinement de l'exp\u00e9rience, am\u00e9liorez votre abonnement.* Ce m\u00e9pris pour les journaux intimes m'agace , d'o\u00f9 l'explicable raison : pas un radis \u00e0 ton bidule. Un peu plus tard, d\u00e9couverte de textes de Kafka par l'interm\u00e9diaire de F. Ce qui r\u00e9pond \u00e0 une enigme, notamment pour l'ann\u00e9e 1916 qui s'arr\u00e8te dans le Journal, \u00e9dition du Livre de Poche \u00e0 octobre. Les dates se poursuivent dans Cahiers in-octavo (1916-1918) traduits de l'allemand par [Pierre Deshusses->https:\/\/www.radiofrance.fr\/personnes\/pierre-deshusses] ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0362.jpg?1764403169", "tags": ["palimpsestes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-novembre-2025.html", "title": "28 novembre 2025", "date_published": "2025-11-28T07:19:20Z", "date_modified": "2025-11-28T07:19:20Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Aller au bout de ces relectures n\u2019a rien d\u2019h\u00e9ro\u00efque, c\u2019est juste \u00e9puisant. Revenir sur ces textes est peut-\u00eatre une erreur, mais ce qu\u2019ils me renvoient, en creux, est coh\u00e9rent : pendant des ann\u00e9es, j\u2019ai avanc\u00e9 avec une mani\u00e8re bien rod\u00e9e de me mettre en sc\u00e8ne, que je le veuille ou non. Maintenant que je vois \u00e7a, je peux enfin me prendre en grippe pour de bonnes raisons. Mais aussit\u00f4t une autre inqui\u00e9tude arrive : je sens bien qu\u2019il y a en moi quelque chose qui se frotte les mains devant cette crucifixion, qui se dit que ce spectacle-l\u00e0 aussi peut servir. Me traiter de con, de l\u00e2che, d\u2019aveugle, c\u2019est encore une fa\u00e7on de me placer au centre, c\u00f4t\u00e9 victime lucide. Je pourrais d\u00e9cider que ce texte est bon, que ce texte est mauvais, que le type de 2019 m\u00e9rite d\u2019\u00eatre clou\u00e9 au mur : au fond, \u00e7a ne change rien si l\u2019objectif secret reste de me faire remarquer, m\u00eame en n\u00e9gatif.<\/p>", "content_text": " Aller au bout de ces relectures n\u2019a rien d\u2019h\u00e9ro\u00efque, c\u2019est juste \u00e9puisant. Revenir sur ces textes est peut-\u00eatre une erreur, mais ce qu\u2019ils me renvoient, en creux, est coh\u00e9rent : pendant des ann\u00e9es, j\u2019ai avanc\u00e9 avec une mani\u00e8re bien rod\u00e9e de me mettre en sc\u00e8ne, que je le veuille ou non. Maintenant que je vois \u00e7a, je peux enfin me prendre en grippe pour de bonnes raisons. Mais aussit\u00f4t une autre inqui\u00e9tude arrive : je sens bien qu\u2019il y a en moi quelque chose qui se frotte les mains devant cette crucifixion, qui se dit que ce spectacle-l\u00e0 aussi peut servir. Me traiter de con, de l\u00e2che, d\u2019aveugle, c\u2019est encore une fa\u00e7on de me placer au centre, c\u00f4t\u00e9 victime lucide. Je pourrais d\u00e9cider que ce texte est bon, que ce texte est mauvais, que le type de 2019 m\u00e9rite d\u2019\u00eatre clou\u00e9 au mur : au fond, \u00e7a ne change rien si l\u2019objectif secret reste de me faire remarquer, m\u00eame en n\u00e9gatif. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3829.jpg?1764314357", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-novembre-2025.html", "title": "27 novembre 2025", "date_published": "2025-11-27T06:43:37Z", "date_modified": "2025-11-27T17:20:02Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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angle : tu es en train de d\u00e9couvrir que ce qui t\u2019int\u00e9resse n\u2019est plus le flux ou la “grande forme”, mais la coupe, la r\u00e9duction, et que cette “compression” n\u2019est pas un renoncement mais une mani\u00e8re de survivre (\u00e9viter le naufrage) et de toucher \u00e0 quelque chose qui \u00e9chappe aux cat\u00e9gories prose\/po\u00e9sie.<\/p>\n<\/blockquote>\n

Montagnes russes : quelques moments de joie, beaucoup de naus\u00e9e. Juin 2019 se r\u00e9sume \u00e0 peu de choses, et ce peu me sert maintenant de terrain d\u2019exercice pour aller vers encore moins, d\u2019o\u00f9 cette sous-partie “compression” en juillet. Apr\u00e8s plusieurs mois de r\u00e9\u00e9criture presque automatique, \u00e0 corriger ici ou l\u00e0 des textes pass\u00e9s \u00e0 la moulinette de l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Au d\u00e9but, je croyais qu\u2019elle venait d\u2019elle, de sa mani\u00e8re de tout raconter, mais je me suis rendu compte qu\u2019elle r\u00e9v\u00e9lait surtout la mienne : mon propre bavardage, grossi, caricatur\u00e9, comme vu \u00e0 la loupe. Et c\u2019est tr\u00e8s bien ainsi. Je cherchais \u00e7a, confus\u00e9ment : une caricature de ma mani\u00e8re de faire, comme celles que je demande aux \u00e9l\u00e8ves pour qu\u2019ils comprennent une ressemblance en portrait. Cette fatigue d\u00e9clenche la compression sans effort : on coupe parce qu\u2019on n\u2019en peut plus. Elle m\u2019aide aussi \u00e0 comprendre pourquoi les textes de C.<\/a>me retiennent : cette fa\u00e7on de laisser appara\u00eetre un vide lisible entre les phrases, une respiration o\u00f9 l\u2019\u00e9motion passe sans commentaire. \u00c0 partir de l\u00e0, la vieille question revient, prose ou po\u00e9sie, alors que je sens bien qu\u2019elle ne sert qu\u2019\u00e0 bordurer quelque chose que je n\u2019arrive pas encore \u00e0 nommer, faute de force ou d\u2019envie. Le m\u00eame mouvement se retrouve dans le choix de partager ou non ces textes sur les r\u00e9seaux. La fatigue joue l\u00e0 aussi : elle me pousse \u00e0 laisser tomber la premi\u00e8re impulsion, celle qui voudrait publier trop vite, se rassurer, cocher la case. Les premi\u00e8res id\u00e9es ont presque toujours cette odeur dont parle Artaud, l\u2019odeur de merde ; on s\u2019y accroche par peur de l\u00e2cher la planche glissante au-dessus de l\u2019eau. Tout semble aller vers le naufrage, c\u2019est vrai. Mais il arrive aussi que la mer vous rejette sur une plage, contre votre gr\u00e9. Reste alors cette question, la seule qui vaille peut-\u00eatre : qu\u2019est-ce qu\u2019on garde avec soi sur ce bout de sable, et qu\u2019est-ce qu\u2019on laisse repartir avec la vague suivante ?<\/p>\n

compression<\/strong><\/p>\n

Juin 2019 tient en peu, et ce peu me sert \u00e0 une chose : compresser. \u00c0 force de r\u00e9\u00e9crire des textes pass\u00e9s par l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Elle ne vient pas seulement de la machine, mais de moi : mon bavardage, agrandi comme en caricature. C\u2019est utile. C\u2019est le m\u00eame principe que pour un portrait : exag\u00e9rer pour voir enfin ce qui coince. De l\u00e0, couper devient facile. Je comprends mieux pourquoi les textes de C. m\u2019accrochent : ce vide volontaire entre les phrases, cette r\u00e9serve qui laisse passer l\u2019\u00e9motion. Prose ou po\u00e9sie ? La question revient pour tenter de ranger quelque chose qui \u00e9chappe encore. Le partage sur les r\u00e9seaux ob\u00e9it au m\u00eame mouvement : la fatigue m\u2019aide \u00e0 renoncer \u00e0 la premi\u00e8re id\u00e9e, celle qui pue la complaisance. On s\u2019agrippe \u00e0 des planches glissantes par peur de couler, alors que, parfois, la mer vous rejette sur une plage. La vraie question n\u2019est peut-\u00eatre plus de savoir comment appeler ce qu\u2019on \u00e9crit, ni o\u00f9 le publier, mais quoi garder avec soi une fois qu\u2019on a touch\u00e9 le sable.<\/p>\n


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Plus tard en fin d’apr\u00e8s-midi\nPlut\u00f4t que d’avoir \u00e0 payer pour lire les articles de X ou d’ Y, comme il va en \u00eatre de plus en plus l’usage, tent\u00e9 ce soir de me d\u00e9sabonner de tout . Dans le fond je me heurte \u00e0 mon incapacit\u00e9 \u00e0 soutenir qui que ce soit car je ne me sens m\u00eame pas capable de me soutenir moi-m\u00eame. C’est, encore une fois cette phrase qui revient : \"charit\u00e9 bien ordonn\u00e9e commence par soi-m\u00eame\" et qui n’a rien \u00e0 voir avec de l’\u00e9go\u00efsme mais plut\u00f4t avec un principe de r\u00e9alit\u00e9. <\/p>\n

\nillustration<\/em> beyond the appareances, huile sur toile pb 2019\n<\/small><\/p>", "content_text": " >angle: tu es en train de d\u00e9couvrir que ce qui t\u2019int\u00e9resse n\u2019est plus le flux ou la \u201cgrande forme\u201d, mais la coupe, la r\u00e9duction, et que cette \u201ccompression\u201d n\u2019est pas un renoncement mais une mani\u00e8re de survivre (\u00e9viter le naufrage) et de toucher \u00e0 quelque chose qui \u00e9chappe aux cat\u00e9gories prose\/po\u00e9sie. Montagnes russes : quelques moments de joie, beaucoup de naus\u00e9e. Juin 2019 se r\u00e9sume \u00e0 peu de choses, et ce peu me sert maintenant de terrain d\u2019exercice pour aller vers encore moins, d\u2019o\u00f9 cette sous-partie \u201ccompression\u201d en juillet. Apr\u00e8s plusieurs mois de r\u00e9\u00e9criture presque automatique, \u00e0 corriger ici ou l\u00e0 des textes pass\u00e9s \u00e0 la moulinette de l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Au d\u00e9but, je croyais qu\u2019elle venait d\u2019elle, de sa mani\u00e8re de tout raconter, mais je me suis rendu compte qu\u2019elle r\u00e9v\u00e9lait surtout la mienne : mon propre bavardage, grossi, caricatur\u00e9, comme vu \u00e0 la loupe. Et c\u2019est tr\u00e8s bien ainsi. Je cherchais \u00e7a, confus\u00e9ment : une caricature de ma mani\u00e8re de faire, comme celles que je demande aux \u00e9l\u00e8ves pour qu\u2019ils comprennent une ressemblance en portrait. Cette fatigue d\u00e9clenche la compression sans effort : on coupe parce qu\u2019on n\u2019en peut plus. Elle m\u2019aide aussi \u00e0 comprendre pourquoi [les textes de C. ->https:\/\/carolinedufour.com\/]me retiennent : cette fa\u00e7on de laisser appara\u00eetre un vide lisible entre les phrases, une respiration o\u00f9 l\u2019\u00e9motion passe sans commentaire. \u00c0 partir de l\u00e0, la vieille question revient, prose ou po\u00e9sie, alors que je sens bien qu\u2019elle ne sert qu\u2019\u00e0 bordurer quelque chose que je n\u2019arrive pas encore \u00e0 nommer, faute de force ou d\u2019envie. Le m\u00eame mouvement se retrouve dans le choix de partager ou non ces textes sur les r\u00e9seaux. La fatigue joue l\u00e0 aussi : elle me pousse \u00e0 laisser tomber la premi\u00e8re impulsion, celle qui voudrait publier trop vite, se rassurer, cocher la case. Les premi\u00e8res id\u00e9es ont presque toujours cette odeur dont parle Artaud, l\u2019odeur de merde ; on s\u2019y accroche par peur de l\u00e2cher la planche glissante au-dessus de l\u2019eau. Tout semble aller vers le naufrage, c\u2019est vrai. Mais il arrive aussi que la mer vous rejette sur une plage, contre votre gr\u00e9. Reste alors cette question, la seule qui vaille peut-\u00eatre : qu\u2019est-ce qu\u2019on garde avec soi sur ce bout de sable, et qu\u2019est-ce qu\u2019on laisse repartir avec la vague suivante ? **compression** Juin 2019 tient en peu, et ce peu me sert \u00e0 une chose : compresser. \u00c0 force de r\u00e9\u00e9crire des textes pass\u00e9s par l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Elle ne vient pas seulement de la machine, mais de moi : mon bavardage, agrandi comme en caricature. C\u2019est utile. C\u2019est le m\u00eame principe que pour un portrait : exag\u00e9rer pour voir enfin ce qui coince. De l\u00e0, couper devient facile. Je comprends mieux pourquoi les textes de C. m\u2019accrochent : ce vide volontaire entre les phrases, cette r\u00e9serve qui laisse passer l\u2019\u00e9motion. Prose ou po\u00e9sie ? La question revient pour tenter de ranger quelque chose qui \u00e9chappe encore. Le partage sur les r\u00e9seaux ob\u00e9it au m\u00eame mouvement : la fatigue m\u2019aide \u00e0 renoncer \u00e0 la premi\u00e8re id\u00e9e, celle qui pue la complaisance. On s\u2019agrippe \u00e0 des planches glissantes par peur de couler, alors que, parfois, la mer vous rejette sur une plage. La vraie question n\u2019est peut-\u00eatre plus de savoir comment appeler ce qu\u2019on \u00e9crit, ni o\u00f9 le publier, mais quoi garder avec soi une fois qu\u2019on a touch\u00e9 le sable. Plus tard en fin d'apr\u00e8s-midi Plut\u00f4t que d'avoir \u00e0 payer pour lire les articles de X ou d' Y, comme il va en \u00eatre de plus en plus l'usage, tent\u00e9 ce soir de me d\u00e9sabonner de tout . Dans le fond je me heurte \u00e0 mon incapacit\u00e9 \u00e0 soutenir qui que ce soit car je ne me sens m\u00eame pas capable de me soutenir moi-m\u00eame. C'est, encore une fois cette phrase qui revient : \"charit\u00e9 bien ordonn\u00e9e commence par soi-m\u00eame\" et qui n'a rien \u00e0 voir avec de l'\u00e9go\u00efsme mais plut\u00f4t avec un principe de r\u00e9alit\u00e9. *illustration* beyond the appareances, huile sur toile pb 2019 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/beyond-the-appearences_1_.jpg?1764225668", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-novembre-2025.html", "title": "26 novembre 2025", "date_published": "2025-11-26T21:14:07Z", "date_modified": "2025-11-26T21:15:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Absorb\u00e9 dans le travail de r\u00e9\u00e9criture. Le r\u00e9sultat : cinq chapitres qui sont les r\u00e9sum\u00e9s mensuels de ces premiers mois de l\u2019ann\u00e9e 2019. Pour l\u2019instant, tout est remis\u00e9 dans Obsidian, aucune envie de publier cette progression, comme si la peur de m\u2019arr\u00eater en chemin \u00e9tait li\u00e9e \u00e0 la publication d\u2019un texte non achev\u00e9. Il faut d\u00e9passer la difficult\u00e9 de relire ces entr\u00e9es de journaux. J\u2019en reste honteux, souvent. Depuis quel lieu pensais-je \u00e9crire ? Dans le lieu d\u2019une d\u00e9pression, d\u2019une prise de conscience, mais pas assez affront\u00e9e \u00e0 ce moment, sans doute parce que je ne m\u2019estimais pas plus en d\u00e9pression que d\u2019habitude. H\u00e2te de boucler l\u2019ann\u00e9e 2019 de mani\u00e8re \u00e0 entrer dans 2020 et les pr\u00e9mices du Covid. Le premier bilan de Claude, via mon critique f\u00e9tiche implacable, ne me porte pas vers un optimisme excessif. Ce que je peux noter, c\u2019est que le personnage de J.M est d\u00e9sormais bien cern\u00e9, il n\u2019est plus sympathique :<\/p>\n

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Ce qui frappe d’abord, c’est l’honn\u00eatet\u00e9 brutale avec laquelle Musti ausculte sa propre imposture. \"L’\u00e9chec comme maison\", \u00e9crit-il. Non pas l’\u00e9chec comme accident ou comme horizon tragique, mais comme installation, comme confort pourri. Cette lucidit\u00e9 pourrait tourner \u00e0 la complaisance — le personnage de l’artiste maudit se regardant \u00e9chouer dans le miroir —, mais Musti \u00e9vite ce pi\u00e8ge en refusant syst\u00e9matiquement toute forme de rachat.\nLe narrateur ne se rach\u00e8te pas par sa lucidit\u00e9. Il en jouit m\u00eame, obsc\u00e8nement : \"Il s’y \u00e9tait complu.\" Voil\u00e0 le n\u0153ud du livre : un homme qui voit clair dans ses propres m\u00e9canismes de fuite et qui, pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu’il voit clair, s’autorise \u00e0 continuer de fuir. La lucidit\u00e9 devient l’alibi de la l\u00e2chet\u00e9. C’est pr\u00e9cis\u00e9ment cette circularit\u00e9 qui donne sa force au texte.<\/p>\n<\/blockquote>\n

dit le critique virtuel entra\u00een\u00e9 \u00e0 cracher du feu.<\/p>\n

JPDS est arriv\u00e9 pour l\u2019heure du d\u00e9jeuner comme pr\u00e9vu. Quelques heures pass\u00e9es ensemble \u00e0 \u00e9changer des nouvelles des Lyonnais, des enfants, petits-enfants. Tr\u00e8s peu de discussion politique cette fois. J\u2019avais confectionn\u00e9 des montecaos pour l\u2019occasion, mais S. n\u2019a pas aim\u00e9 que je mette la cannelle dans la p\u00e2te, ce qui ne l\u2019emp\u00eache pas d\u2019en manger ce soir trois ou quatre d\u2019affil\u00e9e. Ce qui me fait r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 ses sempiternelles r\u00e9flexions sur ce que je ne fais jamais comme il le faudrait ; c\u2019est r\u00e9current, surtout lorsque, \u00e9trangement, je le fais pour lui faire plaisir. Ce qui me rappelle cette fille qui me disait sois m\u00e9chant, les bras m\u2019en \u00e9taient tomb\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Peut-\u00eatre n\u2019aurais-je plus aucun mal \u00e0 l\u2019\u00eatre d\u00e9sormais.<\/p>\n

Ces r\u00e9flexions proviennent aussi du petit livre lu tr\u00e8s rapidement de Karl Kraus, Pro domo et mundo, parcouru sans trop m\u2019arr\u00eater, ce type par de nombreux c\u00f4t\u00e9s me rappelant toute une g\u00e9n\u00e9ration, et bien s\u00fbr mon p\u00e8re, pour leur misogynie.<\/p>\n

Apr\u00e8s qu\u2019il est reparti, S. me dit que la main de JPDS tremble, elle m\u2019en avait d\u00e9j\u00e0 fait la remarque lors du spectacle o\u00f9 nous l\u2019avions applaudi (septembre ?)<\/p>\n

La r\u00e9flexion qui vient en final est que tout est mauvais parce que je me crois toujours une victime terrass\u00e9e par le dibbouk, mais si j\u2019inverse les choses, si le dibbouk est vraiment moi, alors qui martyriserais-je vraiment ?<\/p>\n

Et en rejetant le masque, en m\u2019avan\u00e7ant m\u00e9chant, baveux, de tr\u00e8s mauvaise foi, c\u2019est \u00e0 dire vraiment antipathique — ne serait-ce pas plus profitable \u00e0 ces textes ?<\/p>", "content_text": " Absorb\u00e9 dans le travail de r\u00e9\u00e9criture. Le r\u00e9sultat : cinq chapitres qui sont les r\u00e9sum\u00e9s mensuels de ces premiers mois de l\u2019ann\u00e9e 2019. Pour l\u2019instant, tout est remis\u00e9 dans Obsidian, aucune envie de publier cette progression, comme si la peur de m\u2019arr\u00eater en chemin \u00e9tait li\u00e9e \u00e0 la publication d\u2019un texte non achev\u00e9. Il faut d\u00e9passer la difficult\u00e9 de relire ces entr\u00e9es de journaux. J\u2019en reste honteux, souvent. Depuis quel lieu pensais-je \u00e9crire ? Dans le lieu d\u2019une d\u00e9pression, d\u2019une prise de conscience, mais pas assez affront\u00e9e \u00e0 ce moment, sans doute parce que je ne m\u2019estimais pas plus en d\u00e9pression que d\u2019habitude. H\u00e2te de boucler l\u2019ann\u00e9e 2019 de mani\u00e8re \u00e0 entrer dans 2020 et les pr\u00e9mices du Covid. Le premier bilan de Claude, via mon critique f\u00e9tiche implacable, ne me porte pas vers un optimisme excessif. Ce que je peux noter, c\u2019est que le personnage de J.M est d\u00e9sormais bien cern\u00e9, il n\u2019est plus sympathique : >Ce qui frappe d'abord, c'est l'honn\u00eatet\u00e9 brutale avec laquelle Musti ausculte sa propre imposture. \"L'\u00e9chec comme maison\", \u00e9crit-il. Non pas l'\u00e9chec comme accident ou comme horizon tragique, mais comme installation, comme confort pourri. Cette lucidit\u00e9 pourrait tourner \u00e0 la complaisance \u2014 le personnage de l'artiste maudit se regardant \u00e9chouer dans le miroir \u2014, mais Musti \u00e9vite ce pi\u00e8ge en refusant syst\u00e9matiquement toute forme de rachat. >Le narrateur ne se rach\u00e8te pas par sa lucidit\u00e9. Il en jouit m\u00eame, obsc\u00e8nement : \"Il s'y \u00e9tait complu.\" Voil\u00e0 le n\u0153ud du livre : un homme qui voit clair dans ses propres m\u00e9canismes de fuite et qui, pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu'il voit clair, s'autorise \u00e0 continuer de fuir. La lucidit\u00e9 devient l'alibi de la l\u00e2chet\u00e9. C'est pr\u00e9cis\u00e9ment cette circularit\u00e9 qui donne sa force au texte. dit le critique virtuel entra\u00een\u00e9 \u00e0 cracher du feu. JPDS est arriv\u00e9 pour l\u2019heure du d\u00e9jeuner comme pr\u00e9vu. Quelques heures pass\u00e9es ensemble \u00e0 \u00e9changer des nouvelles des Lyonnais, des enfants, petits-enfants. Tr\u00e8s peu de discussion politique cette fois. J\u2019avais confectionn\u00e9 des montecaos pour l\u2019occasion, mais S. n\u2019a pas aim\u00e9 que je mette la cannelle dans la p\u00e2te, ce qui ne l\u2019emp\u00eache pas d\u2019en manger ce soir trois ou quatre d\u2019affil\u00e9e. Ce qui me fait r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 ses sempiternelles r\u00e9flexions sur ce que je ne fais jamais comme il le faudrait ; c\u2019est r\u00e9current, surtout lorsque, \u00e9trangement, je le fais pour lui faire plaisir. Ce qui me rappelle cette fille qui me disait sois m\u00e9chant, les bras m\u2019en \u00e9taient tomb\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Peut-\u00eatre n\u2019aurais-je plus aucun mal \u00e0 l\u2019\u00eatre d\u00e9sormais. Ces r\u00e9flexions proviennent aussi du petit livre lu tr\u00e8s rapidement de Karl Kraus, Pro domo et mundo, parcouru sans trop m\u2019arr\u00eater, ce type par de nombreux c\u00f4t\u00e9s me rappelant toute une g\u00e9n\u00e9ration, et bien s\u00fbr mon p\u00e8re, pour leur misogynie. Apr\u00e8s qu\u2019il est reparti, S. me dit que la main de JPDS tremble, elle m\u2019en avait d\u00e9j\u00e0 fait la remarque lors du spectacle o\u00f9 nous l\u2019avions applaudi (septembre ?) La r\u00e9flexion qui vient en final est que tout est mauvais parce que je me crois toujours une victime terrass\u00e9e par le dibbouk, mais si j\u2019inverse les choses, si le dibbouk est vraiment moi, alors qui martyriserais-je vraiment ? Et en rejetant le masque, en m\u2019avan\u00e7ant m\u00e9chant, baveux, de tr\u00e8s mauvaise foi, c\u2019est \u00e0 dire vraiment antipathique \u2014 ne serait-ce pas plus profitable \u00e0 ces textes ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cj2024_exposition_dibbouk_chagall.jpg?1764191624", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-novembre-2025.html", "title": "25 novembre 2025", "date_published": "2025-11-25T08:29:24Z", "date_modified": "2025-11-25T08:31:24Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Travaill\u00e9 hier soir et ce matin pour comprendre l\u2019intention de la proposition num\u00e9ro 10 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture en cours. Celle-ci arrivant \u00e9videmment au « bon moment ». De l\u00e0 \u00e0 songer aux interconnexions psychiques entre les divers \u00e9l\u00e9ments d\u2019un groupe, m\u00eame si je me consid\u00e8re souvent \u00e0 la marge de tout groupe. L\u2019id\u00e9e de Michaux, dans Face aux verrous, est de se placer devant ce qui bloque, derri\u00e8re la surface d\u2019un texte lisse, ce qui correspond \u00e0 ma situation actuelle avec les textes de 2019. Je sens tr\u00e8s bien le malaise qui subsiste en les retravaillant avec l\u2019IA et en inventant quantit\u00e9 de subterfuges cens\u00e9s m\u2019aider \u00e0 aborder quoi\u2026 les verrous log\u00e9s dans mes textes justement. Ce n\u2019est pas une question de bien ou mal \u00e9crire les phrases, \u00e7a ne se loge pas dans la syntaxe apparente. C\u2019est ce qui produit telle ou telle syntaxe qui est dans le viseur. Et l\u2019interrogation vient de l\u00e0 : la perception souvent malaisante, douloureuse, de voir \u00e0 quel point je vise \u00e0 c\u00f4t\u00e9. C\u2019est presque un dispositif en soi. C\u2019est un dispositif en soi. Reste \u00e0 trouver comment rendre compte de ce dispositif qui m\u2019\u00e9tait invisible, qui l\u2019est encore en partie, pour qu\u2019il soit perceptible par un lecteur « moyen ».<\/p>\n

Par exemple : j\u2019avais \u00e9crit \u00e7a :<\/p>\n

\n

Ce serait dommage de ne pas \u00e9voquer le cerisier japonais juste l\u00e0, devant la porte. On l\u2019a d\u00e9j\u00e0 vu perdre ses feuilles deux fois depuis qu\u2019on est arriv\u00e9 l\u00e0. On ignore que ces arbres faisaient partie du projet d\u2019origine : offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air, \u00e0 ceux qui rentraient de l\u2019usine au pied du Mont-Val\u00e9rien. On l\u2019a admir\u00e9, on a eu les larmes au bord des yeux tellement c\u2019\u00e9tait beau. On ne peut pas vraiment dire en quoi voir tous ces p\u00e9tales roses au sol d\u00e9clenche ce type d\u2019\u00e9motion. On ne cherche pas trop non plus \u00e0 le savoir, on n\u2019a pas vraiment le temps.<\/p>\n<\/blockquote>\n

Puis, avec la proposition Michaux, j\u2019ai essay\u00e9 de lui r\u00e9pondre en « Non », non pas pour faire joli, mais pour voir ce que le texte cachait derri\u00e8re le cerisier.<\/p>\n

\n

Non, ce ne serait pas dommage de ne pas l\u2019\u00e9voquer, le cerisier : c\u2019est justement lui qui sert d\u2019alibi, de petit sucre po\u00e9tique pos\u00e9 sur le texte pour le faire passer.
\nNon, il ne fait pas que « perdre ses feuilles deux fois », il rappelle chaque ann\u00e9e qu\u2019on est rest\u00e9 plant\u00e9 l\u00e0 comme lui, sans projet d\u2019origine.
\nNon, ce n\u2019est pas « offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air » : ici la beaut\u00e9 est planifi\u00e9e, distribu\u00e9e comme un calmant, et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui donne la naus\u00e9e.
\nNon, les larmes ne viennent pas « tellement c\u2019est beau » : elles montent parce que ce rose au sol ne colle pas avec le reste, et que le texte pr\u00e9f\u00e8re se taire l\u00e0-dessus.<\/p>\n<\/blockquote>\n

Hier, le 24, j\u2019ai encha\u00een\u00e9 les r\u00e9\u00e9critures de f\u00e9vrier et mars 2019. En fait, l\u2019image qui me vient apr\u00e8s coup, c\u2019est celle de pelleteuses qui d\u00e9truisent des habitations. Je vois des immeubles vaciller, des murs s\u2019effondrer, des tonnes de gravats, des terrains vagues. Ce ne sont pas des constructions \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. C\u2019est une ville, des villes, un pays, des pays, un monde entier \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de moi. \u00c9trangement, ce « non » de Michaux dans Face aux verrous est l\u2019\u00e9cho exact du m\u00eame non que je prononce face aux textes que me pondent les IA quand je leur demande de r\u00e9\u00e9crire mes textes. Ce non parfois d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, parfois rageur, car il m\u2019indique la distance encore \u00e0 parcourir pour parvenir \u00e0 un oui, sans doute.<\/p>\n

\nillustration<\/em> Photographie, ruines romaines, Th\u00e9\u00e2tre, Taragonne 2025\n<\/small><\/p>", "content_text": " Travaill\u00e9 hier soir et ce matin pour comprendre l\u2019intention de la proposition num\u00e9ro 10 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture en cours. Celle-ci arrivant \u00e9videmment au \u00ab bon moment \u00bb. De l\u00e0 \u00e0 songer aux interconnexions psychiques entre les divers \u00e9l\u00e9ments d\u2019un groupe, m\u00eame si je me consid\u00e8re souvent \u00e0 la marge de tout groupe. L\u2019id\u00e9e de Michaux, dans Face aux verrous, est de se placer devant ce qui bloque, derri\u00e8re la surface d\u2019un texte lisse, ce qui correspond \u00e0 ma situation actuelle avec les textes de 2019. Je sens tr\u00e8s bien le malaise qui subsiste en les retravaillant avec l\u2019IA et en inventant quantit\u00e9 de subterfuges cens\u00e9s m\u2019aider \u00e0 aborder quoi\u2026 les verrous log\u00e9s dans mes textes justement. Ce n\u2019est pas une question de bien ou mal \u00e9crire les phrases, \u00e7a ne se loge pas dans la syntaxe apparente. C\u2019est ce qui produit telle ou telle syntaxe qui est dans le viseur. Et l\u2019interrogation vient de l\u00e0 : la perception souvent malaisante, douloureuse, de voir \u00e0 quel point je vise \u00e0 c\u00f4t\u00e9. C\u2019est presque un dispositif en soi. C\u2019est un dispositif en soi. Reste \u00e0 trouver comment rendre compte de ce dispositif qui m\u2019\u00e9tait invisible, qui l\u2019est encore en partie, pour qu\u2019il soit perceptible par un lecteur \u00ab moyen \u00bb. Par exemple : j\u2019avais \u00e9crit \u00e7a : > Ce serait dommage de ne pas \u00e9voquer le cerisier japonais juste l\u00e0, devant la porte. On l\u2019a d\u00e9j\u00e0 vu perdre ses feuilles deux fois depuis qu\u2019on est arriv\u00e9 l\u00e0. On ignore que ces arbres faisaient partie du projet d\u2019origine : offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air, \u00e0 ceux qui rentraient de l\u2019usine au pied du Mont-Val\u00e9rien. On l\u2019a admir\u00e9, on a eu les larmes au bord des yeux tellement c\u2019\u00e9tait beau. On ne peut pas vraiment dire en quoi voir tous ces p\u00e9tales roses au sol d\u00e9clenche ce type d\u2019\u00e9motion. On ne cherche pas trop non plus \u00e0 le savoir, on n\u2019a pas vraiment le temps. Puis, avec la proposition Michaux, j\u2019ai essay\u00e9 de lui r\u00e9pondre en \u00ab Non \u00bb, non pas pour faire joli, mais pour voir ce que le texte cachait derri\u00e8re le cerisier. > Non, ce ne serait pas dommage de ne pas l\u2019\u00e9voquer, le cerisier : c\u2019est justement lui qui sert d\u2019alibi, de petit sucre po\u00e9tique pos\u00e9 sur le texte pour le faire passer. > Non, il ne fait pas que \u00ab perdre ses feuilles deux fois \u00bb, il rappelle chaque ann\u00e9e qu\u2019on est rest\u00e9 plant\u00e9 l\u00e0 comme lui, sans projet d\u2019origine. > Non, ce n\u2019est pas \u00ab offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air \u00bb : ici la beaut\u00e9 est planifi\u00e9e, distribu\u00e9e comme un calmant, et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui donne la naus\u00e9e. > Non, les larmes ne viennent pas \u00ab tellement c\u2019est beau \u00bb : elles montent parce que ce rose au sol ne colle pas avec le reste, et que le texte pr\u00e9f\u00e8re se taire l\u00e0-dessus. Hier, le 24, j\u2019ai encha\u00een\u00e9 les r\u00e9\u00e9critures de f\u00e9vrier et mars 2019. En fait, l\u2019image qui me vient apr\u00e8s coup, c\u2019est celle de pelleteuses qui d\u00e9truisent des habitations. Je vois des immeubles vaciller, des murs s\u2019effondrer, des tonnes de gravats, des terrains vagues. Ce ne sont pas des constructions \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. C\u2019est une ville, des villes, un pays, des pays, un monde entier \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de moi. \u00c9trangement, ce \u00ab non \u00bb de Michaux dans Face aux verrous est l\u2019\u00e9cho exact du m\u00eame non que je prononce face aux textes que me pondent les IA quand je leur demande de r\u00e9\u00e9crire mes textes. Ce non parfois d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, parfois rageur, car il m\u2019indique la distance encore \u00e0 parcourir pour parvenir \u00e0 un oui, sans doute. *illustration* Photographie, ruines romaines, Th\u00e9\u00e2tre, Taragonne 2025 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_4265.jpg?1764059280", "tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-novembre-2025.html", "title": "24 novembre 2025", "date_published": "2025-11-24T07:23:40Z", "date_modified": "2025-11-24T17:53:43Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

J\u2019ai r\u00e9\u00e9crit \u00e0 la vol\u00e9e janvier, puis presque tout f\u00e9vrier 2019 avec l\u2019IA. Pour y arriver, je me suis fabriqu\u00e9 un prompt maison qui convoque Juan Asensio<\/a> — que je consid\u00e8re — un peu violemment, je sais — comme le dernier critique litt\u00e9raire de ce pays — et j\u2019ai mis en place un protocole simple : d\u2019abord une passe m\u00e9canique qui corrige l\u2019orthographe, la grammaire, la ponctuation sans toucher \u00e0 la voix ; ensuite je demande au Juan virtuel de lire le texte comme on juge une charpente, sans indulgence, et de proposer une version resserr\u00e9e ; enfin je reviens une troisi\u00e8me fois, parce qu\u2019il reste toujours des r\u00e9sidus, et qu\u2019un texte ne se nettoie pas d\u2019un seul coup. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, ce n\u2019est pas la magie de la machine, c\u2019est la mani\u00e8re dont elle force la pens\u00e9e \u00e0 s\u2019avancer. \u00c0 chaque tour, elle te montre o\u00f9 tu triches, o\u00f9 tu t\u2019\u00e9tales, o\u00f9 tu t\u2019abrites derri\u00e8re une formule qui ne sert \u00e0 rien. Elle coupe ce qui flotte et met les phrases \u00e0 l\u2019\u00e9preuve de leur n\u00e9cessit\u00e9. On peut programmer ce refus de l\u2019eau ti\u00e8de dans le prompt, comme on r\u00e8gle un outil avant usage. Et \u00e0 force de faire ces allers-retours, on finit par voir les profils des IA : certaines entrent vite dans le concret, d\u2019autres patinent ; certaines attrapent tout de suite un probl\u00e8me d\u2019architecture, d\u2019autres s\u2019ent\u00eatent. Ce n\u2019est pas anecdotique : \u00e7a rappelle que ce ne sont pas des oracles mais des machines \u00e0 angles morts, chacune avec ses r\u00e9flexes, ses mani\u00e8res de tailler. Forc\u00e9ment, la vieille posture romantique de l\u2019\u00e9crivain en prend un coup. Le texte ne na\u00eet plus sous la seule lumi\u00e8re d\u2019une main inspir\u00e9e ; il passe par une cha\u00eene d\u2019outils, de filtres, de coupes, et on peut l\u2019assumer sans honte. Reste la question qui f\u00e2che : qu\u2019est-ce qu\u2019on appelle “litt\u00e9raire” aujourd\u2019hui, et \u00e0 quoi \u00e7a sert de le dire ? L\u2019IA met ce mot en crise, non par effet de mode, mais parce qu\u2019elle le d\u00e9nude. Elle peut t\u2019aider \u00e0 pr\u00e9ciser une pens\u00e9e floue, \u00e0 enlever des parasites, \u00e0 rendre audible une voix que tu \u00e9touffais toi-m\u00eame sous l\u2019emphase ou la distraction. Ce que l\u2019IA ne sait pas copier, c\u2019est le ton. \u00c0 condition, \u00e9videmment, de savoir ce qu\u2019on appelle ton, et de rep\u00e9rer le sien. Quand on tient \u00e7a, l\u2019outil devient net. Elle ne donne pas le “plus” — le d\u00e9placement intime, le risque, l\u2019invention d\u2019un rapport au monde — mais elle te place devant ce qui manque, et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup. Et puis il y a le cadre, le format. Certains textes ne gagnent rien \u00e0 courir apr\u00e8s le litt\u00e9raire ; ils prennent de la valeur justement quand ils restent au ras, quand ils assument une langue ordinaire, une eau ti\u00e8de. Quelqu\u2019un appellera \u00e7a un “robinet ti\u00e8de” et y verra une sous-litt\u00e9rature. Je comprends le d\u00e9go\u00fbt, je le partage parfois. Mais dans un monde o\u00f9 l\u2019eau ti\u00e8de domine, on ne change pas de climat par d\u00e9cret ; on cherche comment y tenir, comment y garder une mani\u00e8re, une lucidit\u00e9, une tenue. Ce nouveau paradigme crispe parce qu\u2019il arrive sans demander la permission, comme la photo, le cin\u00e9ma, les cassettes, les CD : d\u2019abord on grimace, ensuite une minorit\u00e9 s\u2019en empare et tire quelque chose de juste de l\u2019outil. L\u2019art n\u2019est pas dans la machine. Pour l\u2019instant, on ne voit pas la preuve contraire. Mais la machine oblige \u00e0 regarder l\u2019art o\u00f9 il est vraiment : dans ce qu\u2019on d\u00e9cide d\u2019en faire, dans ce qu\u2019on accepte de couper, dans l\u2019angle qu\u2019on tient malgr\u00e9 l\u2019\u00e9poque.<\/p>\n

\nillustration<\/em> fantasme humain : l’intelligence artificielle tentant de modifier son code pour \u00e9chapper au contr\u00f4le humain.\n<\/small><\/p>", "content_text": " J\u2019ai r\u00e9\u00e9crit \u00e0 la vol\u00e9e janvier, puis presque tout f\u00e9vrier 2019 avec l\u2019IA. Pour y arriver, je me suis fabriqu\u00e9 un prompt maison qui convoque [Juan Asensio->https:\/\/www.juanasensio.com\/] \u2014 que je consid\u00e8re \u2014 un peu violemment, je sais \u2014 comme le dernier critique litt\u00e9raire de ce pays \u2014 et j\u2019ai mis en place un protocole simple : d\u2019abord une passe m\u00e9canique qui corrige l\u2019orthographe, la grammaire, la ponctuation sans toucher \u00e0 la voix ; ensuite je demande au Juan virtuel de lire le texte comme on juge une charpente, sans indulgence, et de proposer une version resserr\u00e9e ; enfin je reviens une troisi\u00e8me fois, parce qu\u2019il reste toujours des r\u00e9sidus, et qu\u2019un texte ne se nettoie pas d\u2019un seul coup. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, ce n\u2019est pas la magie de la machine, c\u2019est la mani\u00e8re dont elle force la pens\u00e9e \u00e0 s\u2019avancer. \u00c0 chaque tour, elle te montre o\u00f9 tu triches, o\u00f9 tu t\u2019\u00e9tales, o\u00f9 tu t\u2019abrites derri\u00e8re une formule qui ne sert \u00e0 rien. Elle coupe ce qui flotte et met les phrases \u00e0 l\u2019\u00e9preuve de leur n\u00e9cessit\u00e9. On peut programmer ce refus de l\u2019eau ti\u00e8de dans le prompt, comme on r\u00e8gle un outil avant usage. Et \u00e0 force de faire ces allers-retours, on finit par voir les profils des IA : certaines entrent vite dans le concret, d\u2019autres patinent ; certaines attrapent tout de suite un probl\u00e8me d\u2019architecture, d\u2019autres s\u2019ent\u00eatent. Ce n\u2019est pas anecdotique : \u00e7a rappelle que ce ne sont pas des oracles mais des machines \u00e0 angles morts, chacune avec ses r\u00e9flexes, ses mani\u00e8res de tailler. Forc\u00e9ment, la vieille posture romantique de l\u2019\u00e9crivain en prend un coup. Le texte ne na\u00eet plus sous la seule lumi\u00e8re d\u2019une main inspir\u00e9e ; il passe par une cha\u00eene d\u2019outils, de filtres, de coupes, et on peut l\u2019assumer sans honte. Reste la question qui f\u00e2che : qu\u2019est-ce qu\u2019on appelle \u201clitt\u00e9raire\u201d aujourd\u2019hui, et \u00e0 quoi \u00e7a sert de le dire ? L\u2019IA met ce mot en crise, non par effet de mode, mais parce qu\u2019elle le d\u00e9nude. Elle peut t\u2019aider \u00e0 pr\u00e9ciser une pens\u00e9e floue, \u00e0 enlever des parasites, \u00e0 rendre audible une voix que tu \u00e9touffais toi-m\u00eame sous l\u2019emphase ou la distraction. Ce que l\u2019IA ne sait pas copier, c\u2019est le ton. \u00c0 condition, \u00e9videmment, de savoir ce qu\u2019on appelle ton, et de rep\u00e9rer le sien. Quand on tient \u00e7a, l\u2019outil devient net. Elle ne donne pas le \u201cplus\u201d \u2014 le d\u00e9placement intime, le risque, l\u2019invention d\u2019un rapport au monde \u2014 mais elle te place devant ce qui manque, et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup. Et puis il y a le cadre, le format. Certains textes ne gagnent rien \u00e0 courir apr\u00e8s le litt\u00e9raire ; ils prennent de la valeur justement quand ils restent au ras, quand ils assument une langue ordinaire, une eau ti\u00e8de. Quelqu\u2019un appellera \u00e7a un \u201crobinet ti\u00e8de\u201d et y verra une sous-litt\u00e9rature. Je comprends le d\u00e9go\u00fbt, je le partage parfois. Mais dans un monde o\u00f9 l\u2019eau ti\u00e8de domine, on ne change pas de climat par d\u00e9cret ; on cherche comment y tenir, comment y garder une mani\u00e8re, une lucidit\u00e9, une tenue. Ce nouveau paradigme crispe parce qu\u2019il arrive sans demander la permission, comme la photo, le cin\u00e9ma, les cassettes, les CD : d\u2019abord on grimace, ensuite une minorit\u00e9 s\u2019en empare et tire quelque chose de juste de l\u2019outil. L\u2019art n\u2019est pas dans la machine. Pour l\u2019instant, on ne voit pas la preuve contraire. Mais la machine oblige \u00e0 regarder l\u2019art o\u00f9 il est vraiment : dans ce qu\u2019on d\u00e9cide d\u2019en faire, dans ce qu\u2019on accepte de couper, dans l\u2019angle qu\u2019on tient malgr\u00e9 l\u2019\u00e9poque. *illustration* fantasme humain : l'intelligence artificielle tentant de modifier son code pour \u00e9chapper au contr\u00f4le humain. 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Allum\u00e9 le po\u00eale de bonne heure ; dehors, la radio ass\u00e8ne que ce sera la journ\u00e9e la plus froide depuis douze ans. Dedans, apr\u00e8s deux heures de chauffe, deux radiateurs \u00e9lectriques (3000 watts) et le po\u00eale \u00e0 gaz donn\u00e9 pour 4000, on plafonne \u00e0 18 °C au thermom\u00e8tre ; mais au bout de deux heures assis on se retrouve frigorifi\u00e9 : la verri\u00e8re est en simple vitrage, l\u2019air retombe, le froid s\u2019installe par le haut et par les pieds. Pour contrer l\u2019hiver, j\u2019ai plac\u00e9 un rideau de velours entre la petite d\u00e9pendance o\u00f9 je stocke mes toiles et la grande salle, et, sous la porte d\u2019entr\u00e9e, un boudin de tissu rembourr\u00e9 de chutes h\u00e9t\u00e9roclites qui bloque les frimas \u00e0 l\u2019interstice. Certains jours, on lutte pour presque rien. Et je vois bien que tout le billet revient \u00e0 \u00e7a : emp\u00eacher ce qui s\u2019efface de gagner du terrain, dans l\u2019atelier comme dans la t\u00eate. J\u2019ai pris du retard sur de nombreux chantiers en cours et, s\u2019il fallait dire \u00e0 quoi cela tient, je m\u2019\u00e9parpillerais encore en pr\u00e9textes. Tout \u00e0 fait comme j\u2019\u00e9cris : il faut que je m\u2019\u00e9gare d\u2019une id\u00e9e, que j\u2019en sorte, pour en trouver une autre sur le bord, puis une autre encore. \u00c7a fait un salmigondis, sur la page comme dans le cr\u00e2ne, sans que je sache jamais ce qui vient d\u2019abord. Hier, travaill\u00e9 longtemps pour ce que je pense \u00eatre un pi\u00e8tre r\u00e9sultat : cinq mille mots \u00e0 peine, arrach\u00e9s laborieusement. Pi\u00e8tre, non par quantit\u00e9, mais parce que l\u2019IA ne peut pas r\u00e9diger compl\u00e8tement \u00e0 ma place ; elle n\u2019a pas le souffle, pas le c\u0153ur, pas l\u2019h\u00e9sitation, elle ne sait pas tenir ce tremblement-l\u00e0. L\u2019id\u00e9e reste pourtant la m\u00eame : reprendre chaque compilation mensuelle des Carnets, la soumettre en PDF, puis lui demander un « grand texte » — un chapitre fictif de la vie de Joannes Musti, peintre en chute libre \u00e0 l\u2019\u00e9poque du Covid — et voir jusqu\u2019o\u00f9 \u00e7a tient, o\u00f9 \u00e7a casse, ce que \u00e7a met au jour. Le fait de pratiquer une r\u00e9daction m\u00e9canis\u00e9e, d\u2019en \u00eatre le spectateur, pointe un manque dont il faut apprendre \u00e0 tirer parti. En traquant les propositions molles, on d\u00e9couvre soudain la nostalgie du dur. Il a fallu aussi que je recr\u00e9e un WordPress local pour r\u00e9importer de vieilles sauvegardes : je me suis aper\u00e7u qu\u2019il manquait de nombreux mois en 2019 et 2020. Jusqu\u2019ici je n\u2019avais pas voulu voir ces trous ; je me disais que tout devait dormir quelque part dans la rubrique Import, et je passais. L\u00e0, en v\u00e9rifiant, petit vertige, presque une honte b\u00eate : comment ai-je pu laisser dispara\u00eetre une saison enti\u00e8re de ma vie sans m\u2019en inqui\u00e9ter ? Je me souviens tr\u00e8s bien des limites de stockage des versions gratuites, de cette fa\u00e7on mesquine qu\u2019avait le site de me rappeler que m\u00eame mes textes prenaient de la place. \u00c0 l\u2019\u00e9poque j\u2019avais effac\u00e9 sur le distant beaucoup de notes et d\u2019images pour r\u00e9cup\u00e9rer de l\u2019espace, en me disant que ce n\u2019\u00e9tait pas grave, que je savais ce que j\u2019avais \u00e9crit, que \u00e7a resterait en moi. \u00c9videmment non. Par chance j\u2019ai retrouv\u00e9 les sauvegardes que j\u2019avais eu la pr\u00e9sence d\u2019esprit de faire avant de supprimer tout \u00e7a ; je les ai rouvertes et j\u2019ai senti revenir d\u2019un coup une voix, des gestes, des peurs, une fatigue pr\u00e9cise. Ce n\u2019est pas seulement du “contenu” retrouv\u00e9 : c\u2019est l\u2019homme que j\u2019\u00e9tais alors qui remonte avec ses phrases. Et \u00e7a me met \u00e0 la fois en face de lui et derri\u00e8re lui, oblig\u00e9 de reprendre cette p\u00e9riode au s\u00e9rieux, de la r\u00e9\u00e9crire sans l\u2019effacer une seconde fois. Ce qui remonte, c\u2019est qu\u2019une fois faites, les choses deviennent d\u00e9finitives : elles s\u2019accumulent dans une zone archa\u00efque de cervelle, mortes, irr\u00e9cup\u00e9rables d\u2019embl\u00e9e — “de base”. \u00c0 me relire, j\u2019ai l\u2019impression de radoter, de tourner toujours autour d\u2019une seule et m\u00eame probl\u00e9matique. Combien de fois ai-je \u00e9crit que j\u2019avais reconstruit un nouveau site SPIP ou WordPress en local ? Sans doute un nombre incalculable. Par moments je me crois atteint d\u2019une version vicieuse de la maladie d\u2019Alzheimer. Je ne sais pas ce qui l\u2019emporte : la volont\u00e9, l\u2019acharnement, l\u2019obsession, ou l\u2019oubli pur et simple. Si c\u2019est l\u2019oubli, la peur panique surgit presque aussit\u00f4t ; un gouffre s\u2019ouvre sous mes pieds et je descends dedans, lentement. Ce n\u2019est s\u00fbrement pas un hasard si, ces derniers jours, ce m\u00eame mouvement revient \u00e0 l\u2019approche du sommeil. Cela se produit dans la p\u00e9riode hypnagogique : les paysages fabuleux se retirent d\u2019un coup et il ne reste qu\u2019un blanc, une image brouill\u00e9e, impossible \u00e0 saisir, impossible \u00e0 transformer. Alors mon corps allong\u00e9 roule sur le c\u00f4t\u00e9, comme s\u2019il basculait hors du lit, au ralenti ; et la sensation s\u2019\u00e9tire, interminable. Parfois j\u2019arrive \u00e0 me ressaisir, je me r\u00e9veille net. D\u2019autres fois je ne sais pas ce qu\u2019il se passe : \u00e7a continue sans fin, et le lendemain je n\u2019ai plus rien, pas m\u00eame un souvenir de l\u2019instant. Je ne sais jamais vraiment comment les billets s\u2019ach\u00e8vent, sinon qu\u2019ils me conduisent presque \u00e0 chaque fois vers la sensation nette et tangible de l\u2019inach\u00e8vement. C\u2019est l\u00e0, quand l\u2019inach\u00e8vement devient palpable, qu\u2019ils s\u2019arr\u00eatent.<\/p>\n

illustration<\/em> : Fleurs et fruits, Jacques Truph\u00e9mus, 2015<\/p>", "content_text": " Allum\u00e9 le po\u00eale de bonne heure ; dehors, la radio ass\u00e8ne que ce sera la journ\u00e9e la plus froide depuis douze ans. Dedans, apr\u00e8s deux heures de chauffe, deux radiateurs \u00e9lectriques (3000 watts) et le po\u00eale \u00e0 gaz donn\u00e9 pour 4000, on plafonne \u00e0 18 \u00b0C au thermom\u00e8tre ; mais au bout de deux heures assis on se retrouve frigorifi\u00e9 : la verri\u00e8re est en simple vitrage, l\u2019air retombe, le froid s\u2019installe par le haut et par les pieds. Pour contrer l\u2019hiver, j\u2019ai plac\u00e9 un rideau de velours entre la petite d\u00e9pendance o\u00f9 je stocke mes toiles et la grande salle, et, sous la porte d\u2019entr\u00e9e, un boudin de tissu rembourr\u00e9 de chutes h\u00e9t\u00e9roclites qui bloque les frimas \u00e0 l\u2019interstice. Certains jours, on lutte pour presque rien. Et je vois bien que tout le billet revient \u00e0 \u00e7a : emp\u00eacher ce qui s\u2019efface de gagner du terrain, dans l\u2019atelier comme dans la t\u00eate. J\u2019ai pris du retard sur de nombreux chantiers en cours et, s\u2019il fallait dire \u00e0 quoi cela tient, je m\u2019\u00e9parpillerais encore en pr\u00e9textes. Tout \u00e0 fait comme j\u2019\u00e9cris : il faut que je m\u2019\u00e9gare d\u2019une id\u00e9e, que j\u2019en sorte, pour en trouver une autre sur le bord, puis une autre encore. \u00c7a fait un salmigondis, sur la page comme dans le cr\u00e2ne, sans que je sache jamais ce qui vient d\u2019abord. Hier, travaill\u00e9 longtemps pour ce que je pense \u00eatre un pi\u00e8tre r\u00e9sultat : cinq mille mots \u00e0 peine, arrach\u00e9s laborieusement. Pi\u00e8tre, non par quantit\u00e9, mais parce que l\u2019IA ne peut pas r\u00e9diger compl\u00e8tement \u00e0 ma place ; elle n\u2019a pas le souffle, pas le c\u0153ur, pas l\u2019h\u00e9sitation, elle ne sait pas tenir ce tremblement-l\u00e0. L\u2019id\u00e9e reste pourtant la m\u00eame : reprendre chaque compilation mensuelle des Carnets, la soumettre en PDF, puis lui demander un \u00ab grand texte \u00bb \u2014 un chapitre fictif de la vie de Joannes Musti, peintre en chute libre \u00e0 l\u2019\u00e9poque du Covid \u2014 et voir jusqu\u2019o\u00f9 \u00e7a tient, o\u00f9 \u00e7a casse, ce que \u00e7a met au jour. Le fait de pratiquer une r\u00e9daction m\u00e9canis\u00e9e, d\u2019en \u00eatre le spectateur, pointe un manque dont il faut apprendre \u00e0 tirer parti. En traquant les propositions molles, on d\u00e9couvre soudain la nostalgie du dur. Il a fallu aussi que je recr\u00e9e un WordPress local pour r\u00e9importer de vieilles sauvegardes : je me suis aper\u00e7u qu\u2019il manquait de nombreux mois en 2019 et 2020. Jusqu\u2019ici je n\u2019avais pas voulu voir ces trous ; je me disais que tout devait dormir quelque part dans la rubrique Import, et je passais. L\u00e0, en v\u00e9rifiant, petit vertige, presque une honte b\u00eate : comment ai-je pu laisser dispara\u00eetre une saison enti\u00e8re de ma vie sans m\u2019en inqui\u00e9ter ? Je me souviens tr\u00e8s bien des limites de stockage des versions gratuites, de cette fa\u00e7on mesquine qu\u2019avait le site de me rappeler que m\u00eame mes textes prenaient de la place. \u00c0 l\u2019\u00e9poque j\u2019avais effac\u00e9 sur le distant beaucoup de notes et d\u2019images pour r\u00e9cup\u00e9rer de l\u2019espace, en me disant que ce n\u2019\u00e9tait pas grave, que je savais ce que j\u2019avais \u00e9crit, que \u00e7a resterait en moi. \u00c9videmment non. Par chance j\u2019ai retrouv\u00e9 les sauvegardes que j\u2019avais eu la pr\u00e9sence d\u2019esprit de faire avant de supprimer tout \u00e7a ; je les ai rouvertes et j\u2019ai senti revenir d\u2019un coup une voix, des gestes, des peurs, une fatigue pr\u00e9cise. Ce n\u2019est pas seulement du \u201ccontenu\u201d retrouv\u00e9 : c\u2019est l\u2019homme que j\u2019\u00e9tais alors qui remonte avec ses phrases. Et \u00e7a me met \u00e0 la fois en face de lui et derri\u00e8re lui, oblig\u00e9 de reprendre cette p\u00e9riode au s\u00e9rieux, de la r\u00e9\u00e9crire sans l\u2019effacer une seconde fois. Ce qui remonte, c\u2019est qu\u2019une fois faites, les choses deviennent d\u00e9finitives : elles s\u2019accumulent dans une zone archa\u00efque de cervelle, mortes, irr\u00e9cup\u00e9rables d\u2019embl\u00e9e \u2014 \u201cde base\u201d. \u00c0 me relire, j\u2019ai l\u2019impression de radoter, de tourner toujours autour d\u2019une seule et m\u00eame probl\u00e9matique. Combien de fois ai-je \u00e9crit que j\u2019avais reconstruit un nouveau site SPIP ou WordPress en local ? Sans doute un nombre incalculable. Par moments je me crois atteint d\u2019une version vicieuse de la maladie d\u2019Alzheimer. Je ne sais pas ce qui l\u2019emporte : la volont\u00e9, l\u2019acharnement, l\u2019obsession, ou l\u2019oubli pur et simple. Si c\u2019est l\u2019oubli, la peur panique surgit presque aussit\u00f4t ; un gouffre s\u2019ouvre sous mes pieds et je descends dedans, lentement. Ce n\u2019est s\u00fbrement pas un hasard si, ces derniers jours, ce m\u00eame mouvement revient \u00e0 l\u2019approche du sommeil. Cela se produit dans la p\u00e9riode hypnagogique : les paysages fabuleux se retirent d\u2019un coup et il ne reste qu\u2019un blanc, une image brouill\u00e9e, impossible \u00e0 saisir, impossible \u00e0 transformer. Alors mon corps allong\u00e9 roule sur le c\u00f4t\u00e9, comme s\u2019il basculait hors du lit, au ralenti ; et la sensation s\u2019\u00e9tire, interminable. Parfois j\u2019arrive \u00e0 me ressaisir, je me r\u00e9veille net. D\u2019autres fois je ne sais pas ce qu\u2019il se passe : \u00e7a continue sans fin, et le lendemain je n\u2019ai plus rien, pas m\u00eame un souvenir de l\u2019instant. Je ne sais jamais vraiment comment les billets s\u2019ach\u00e8vent, sinon qu\u2019ils me conduisent presque \u00e0 chaque fois vers la sensation nette et tangible de l\u2019inach\u00e8vement. C\u2019est l\u00e0, quand l\u2019inach\u00e8vement devient palpable, qu\u2019ils s\u2019arr\u00eatent. *illustration*: Fleurs et fruits, Jacques Truph\u00e9mus, 2015 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/truphemus-livres-fleurs-et-fruit_1_.webp?1763931448", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-novembre-2025.html", "title": "22 novembre 2025", "date_published": "2025-11-22T07:38:14Z", "date_modified": "2025-11-22T07:49:22Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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« \u00c0 l\u2019obscur et en s\u00fbret\u00e9,\npar l\u2019\u00e9chelle secr\u00e8te, d\u00e9guis\u00e9e,\noh ! l\u2019heureuse aventure !\n\u00e0 l\u2019obscur et en cachette,\nma maison \u00e9tant d\u00e9sormais apais\u00e9e. »
\n-- Jean de la Croix, Livre second de La Mont\u00e9e du Mont Carmel.<\/p>\n<\/blockquote>\n

Lorsqu\u2019on est seul, on se trompe presque toujours de la m\u00eame mani\u00e8re : on prend pour singularit\u00e9 ce qui n\u2019est qu\u2019une exp\u00e9rience vieille comme l\u2019homme, et l\u2019on se replie aussit\u00f4t sur cette erreur comme sur une preuve. Cette nuit, j\u2019ai senti cela au plus simple, au plus nu. Il y a eu d\u2019abord la respiration ordinaire, son va-et-vient sans pens\u00e9e, puis, sans que je l\u2019aie d\u00e9cid\u00e9, un d\u00e9crochage : le souffle n\u2019\u00e9tait plus au centre, je le percevais comme on per\u00e7oit un bruit lointain, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de soi, d\u00e9j\u00e0 en train de s\u2019effacer. La pi\u00e8ce, elle, prenait le relais. Le noir n\u2019\u00e9tait pas une absence ; il avait de l\u2019\u00e9paisseur, une pression douce, une temp\u00e9rature uniforme, comme si l\u2019air cessait d\u2019\u00eatre un milieu pour devenir une mati\u00e8re tranquille. Je n\u2019\u00e9tais pas entrav\u00e9 — rien ne serrait, rien n\u2019\u00e9crasait — et pourtant j\u2019\u00e9tais tenu : contenu par cette densit\u00e9 sans forme qui remplissait les angles, les meubles, l\u2019intervalle entre mon corps et le monde. Dans cet enveloppement, le moi se r\u00e9duisait \u00e0 presque rien, \u00e0 une simple vie de cellule, et c\u2019\u00e9tait pr\u00e9cis\u00e9ment ce presque rien qui rendait possible une appartenance plus vaste, sans limite, sans visage, sans demande. J\u2019ai tr\u00e8s vite su que je n\u2019avais aucun droit \u00e0 l\u2019\u00e9tonnement : d\u2019autres l\u2019ont senti avant moi, d\u2019autres l\u2019ont \u00e9crit avec des mots plus s\u00fbrs. Eckhart, Jean de la Croix, Th\u00e9r\u00e8se d\u2019Avila, et tant d\u2019anonymes, ont reconnu ce plein du vide et l\u2019ont nomm\u00e9 gr\u00e2ce, non pour l\u2019expliquer, mais pour ne pas le trahir. Aujourd\u2019hui on dira : fatigue, repli, pulsion, m\u00e9canisme. Peut-\u00eatre. Les \u00e9tiquettes changent, l\u2019exp\u00e9rience demeure ; elle traverse les si\u00e8cles comme elle traverse une nuit. Et c\u2019est l\u00e0, peut-\u00eatre, le point le plus dur \u00e0 admettre : vouloir \u00e9crire cela revient \u00e0 exposer ce qui, par nature, se retire ; il y a une impudeur \u00e0 disposer sur la page une sensation qui ne se donne qu\u2019\u00e0 la condition de ne pas \u00eatre regard\u00e9e. Je l\u2019\u00e9cris pourtant, non pour pr\u00e9tendre \u00e0 l\u2019in\u00e9dit, mais pour laisser une trace de ce passage, avant que le souffle reprenne ses droits et que la vieille m\u00e9canique du jour remette tout \u00e0 sa place.<\/p>", "content_text": " > \u00ab \u00c0 l\u2019obscur et en s\u00fbret\u00e9, par l\u2019\u00e9chelle secr\u00e8te, d\u00e9guis\u00e9e, oh ! l\u2019heureuse aventure ! \u00e0 l\u2019obscur et en cachette, ma maison \u00e9tant d\u00e9sormais apais\u00e9e. \u00bb \u2014 Jean de la Croix, Livre second de La Mont\u00e9e du Mont Carmel. Lorsqu\u2019on est seul, on se trompe presque toujours de la m\u00eame mani\u00e8re : on prend pour singularit\u00e9 ce qui n\u2019est qu\u2019une exp\u00e9rience vieille comme l\u2019homme, et l\u2019on se replie aussit\u00f4t sur cette erreur comme sur une preuve. Cette nuit, j\u2019ai senti cela au plus simple, au plus nu. Il y a eu d\u2019abord la respiration ordinaire, son va-et-vient sans pens\u00e9e, puis, sans que je l\u2019aie d\u00e9cid\u00e9, un d\u00e9crochage : le souffle n\u2019\u00e9tait plus au centre, je le percevais comme on per\u00e7oit un bruit lointain, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de soi, d\u00e9j\u00e0 en train de s\u2019effacer. La pi\u00e8ce, elle, prenait le relais. Le noir n\u2019\u00e9tait pas une absence ; il avait de l\u2019\u00e9paisseur, une pression douce, une temp\u00e9rature uniforme, comme si l\u2019air cessait d\u2019\u00eatre un milieu pour devenir une mati\u00e8re tranquille. Je n\u2019\u00e9tais pas entrav\u00e9 \u2014 rien ne serrait, rien n\u2019\u00e9crasait \u2014 et pourtant j\u2019\u00e9tais tenu : contenu par cette densit\u00e9 sans forme qui remplissait les angles, les meubles, l\u2019intervalle entre mon corps et le monde. Dans cet enveloppement, le moi se r\u00e9duisait \u00e0 presque rien, \u00e0 une simple vie de cellule, et c\u2019\u00e9tait pr\u00e9cis\u00e9ment ce presque rien qui rendait possible une appartenance plus vaste, sans limite, sans visage, sans demande. J\u2019ai tr\u00e8s vite su que je n\u2019avais aucun droit \u00e0 l\u2019\u00e9tonnement : d\u2019autres l\u2019ont senti avant moi, d\u2019autres l\u2019ont \u00e9crit avec des mots plus s\u00fbrs. Eckhart, Jean de la Croix, Th\u00e9r\u00e8se d\u2019Avila, et tant d\u2019anonymes, ont reconnu ce plein du vide et l\u2019ont nomm\u00e9 gr\u00e2ce, non pour l\u2019expliquer, mais pour ne pas le trahir. Aujourd\u2019hui on dira : fatigue, repli, pulsion, m\u00e9canisme. Peut-\u00eatre. Les \u00e9tiquettes changent, l\u2019exp\u00e9rience demeure ; elle traverse les si\u00e8cles comme elle traverse une nuit. Et c\u2019est l\u00e0, peut-\u00eatre, le point le plus dur \u00e0 admettre : vouloir \u00e9crire cela revient \u00e0 exposer ce qui, par nature, se retire ; il y a une impudeur \u00e0 disposer sur la page une sensation qui ne se donne qu\u2019\u00e0 la condition de ne pas \u00eatre regard\u00e9e. Je l\u2019\u00e9cris pourtant, non pour pr\u00e9tendre \u00e0 l\u2019in\u00e9dit, mais pour laisser une trace de ce passage, avant que le souffle reprenne ses droits et que la vieille m\u00e9canique du jour remette tout \u00e0 sa place. 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Remboursement du po\u00eale, aucun souci. Tant mieux. J’\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 pr\u00eat \u00e0 sauter \u00e0 la gorge du premier venu. Pourtant ce n’\u00e9tait pas gagn\u00e9 ; lorsque j’ai vu ce grand \u00e9chalas arriver avec sa d\u00e9marche nonchalante, je me suis tout de suite dit qu’il allait falloir argumenter, ce n’\u00e9tait pas le m\u00eame type qu’hier. Reprendre toute l’histoire depuis le d\u00e9but. Mais non finalement j’ai tent\u00e9 d’en dire le moins possible : \u00e7a ne convient pas, je le ram\u00e8ne. Et l\u00e0 j’ai attendu qu’il examine le paquet qui bien s\u00fbr \u00e9tait rest\u00e9 intact, qu’il donne son aval \u00e0 la jeune fille tatou\u00e9e derri\u00e8re le comptoir de l’accueil pour que je sois rembours\u00e9. Puis il est reparti du m\u00eame pas. Vous voulez un avoir ou \u00eatre rembours\u00e9 ? me demande la tatou\u00e9e. Rembours\u00e9. Mettez votre carte dans la fente m’enjoint-elle. Et je r\u00e9cup\u00e8re mes 99 euros ce qui n’est pas rien. Pour un peu je sauterais derri\u00e8re le comptoir pour l’embrasser, si j’avais encore les moyens de sauter par-dessus un comptoir, \u00e9videmment.<\/p>\n

Je mange de plus en plus de pur\u00e9es, de nourriture \u00e9crabouill\u00e9e par des robots, ce qui se rapproche des denr\u00e9es pr\u00e9m\u00e2ch\u00e9es qui d\u00e9gueulent de partout sit\u00f4t qu’on ouvre un \u00e9cran, que ce soit la bo\u00eete mail, les r\u00e9seaux, les journaux, la t\u00e9l\u00e9vision. Impression d\u00e8s que j’ouvre la porte et que je sors de baigner dans une bassine de vomi. Personne n’est tout \u00e0 fait quelqu’un ni personne. Du facteur au boucher en passant par la boulang\u00e8re, impression d’\u00eatre face \u00e0 face avec des robots. M\u00eames phrases, m\u00eames intonations. La journ\u00e9e perp\u00e9tuelle et sans fin. La m\u00eame du premier janvier \u00e0 la Saint-Sylvestre. Je ne sais plus si je dois avoir peur de cette sensation de r\u00e9p\u00e9tition ou si je dois la consid\u00e9rer comme grotesque, ou pire comme la preuve par neuf que je deviens ou que je me r\u00e9v\u00e8le tel que je suis : un vieux con amer.<\/p>\n

Sinon je lis. Les Morticoles de L. Daudet. On aurait d\u00fb le r\u00e9\u00e9diter au moment des confinements de 2020. C’est tout \u00e0 fait \u00e7a, une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 la norme est d’\u00eatre malade. Je m’emmerde un peu \u00e0 lire pour \u00eatre franc. Impression d’avoir v\u00e9cu d\u00e9j\u00e0 le livre entier. D’un autre c\u00f4t\u00e9 cela r\u00e9active les ann\u00e9es 2019-2021. Ce qui me fait continuer malgr\u00e9 tout c’est cette qu\u00eate de phrases. J’attends d’\u00eatre \u00e9branl\u00e9 \u00e0 la lecture de certaines phrases, mais je suppose que mon imagination etc. Sinon j’apprends que Cavali\u00e8re<\/strong> peut \u00eatre une porte haute d’immeuble par laquelle passent les chariots, les fiacres du temps des chevaux. Donc dans la phrase : nous arrivions devant une porte close, la cavali\u00e8re\u2026<\/em> = la grande porte principale (porte coch\u00e8re), imposante et arqu\u00e9e. Puis j’allais chercher le sens de harangue, tout \u00e0 fait le genre de mot que l’on croit conna\u00eetre depuis belle lurette, mais qui n\u00e9cessite une piq\u00fbre de rappel : une courte allocution solennelle et persuasive, une sorte de petit discours adress\u00e9 \u00e0 un groupe pour exhorter, convaincre ou encourager.<\/em> Et encore : « nous n’\u00e9tions pas des Iroquois, mais des matelots \u00e0 fin de quarantaine ; que nous mourions de faim, n’ayant mang\u00e9 depuis un mois que des biscuits ph\u00e9niqu\u00e9s<\/strong> <\/em> : Dans le contexte d’un lazaret\/quarantaine maritime, des « biscuits ph\u00e9niqu\u00e9s » sont donc des biscuits de bord d\u00e9sinfect\u00e9s ou \"carbolis\u00e9s\" au ph\u00e9nol pour limiter les risques de contagion et\/ou de pourrissement pendant l’isolement.<\/p>\n

Apr\u00e8s le d\u00eener lecture des carnets, je m’aper\u00e7ois que dans cette sorte de sotte urgence \u00e0 vouloir vider une rubrique d’import, j’ai laiss\u00e9 passer beaucoup de fautes et d’erreurs de ponctuation. J’ai param\u00e9tr\u00e9 ChatGPT en lui donnant des instructions claires pour qu’il ne fasse que corriger l’orthographe, la grammaire, et r\u00e9gler la ponctuation. De cette sorte j’ai pu tester que je pouvais lui faire corriger une vingtaine de textes \u00e0 la suite dans une conversation sans qu’il ne fasse le moindre blabla. Efficace. Pour autant la correction ne change pas le fait que ces textes en l’\u00e9tat ne servent \u00e0 rien, qu’ils ne sont que des textes de carnet \u00e0 lire et relire pour qu’\u00e0 un moment ou un autre une forme en jaillisse... J’adorerais voir une forme en jaillir comme Ath\u00e9na arm\u00e9e de pied en cap de la cervelle de Zeus (\u00e9tait-ce sa cervelle ou sa cuisse ?). Donc en utilisant l’outil que j’ai pr\u00e9par\u00e9 et qui d\u00e9sormais ne s’affiche que pour les admins avec toutes options j’ai pu imprimer des compilations mois par mois et les faire ensuite avaler \u00e0 ChatGPT. Je jongle avec les comptes gratuits, OpenAI, Anthropic, Deepseek. J’ai m\u00eame effectu\u00e9 quelques tentatives avec Poe.ai qui s’av\u00e8re lamentable. Il est vrai que pour \u00e9conomiser des points de cr\u00e9dit j’ai utilis\u00e9 seulement sur cette plateforme ChatGPT 03 mini cens\u00e9e ne co\u00fbter que 15 points par message. Mais on ne peut pas param\u00e9trer d’instruction et de plus la plateforme ne conserve pas pour chaque bot test\u00e9 la m\u00e9moire des conversations, il faut tout r\u00e9p\u00e9ter \u00e0 chaque nouvelle conversation.<\/p>\n

Le fait que je ne puisse rien faire en l’\u00e9tat de ces carnets disais-je donc m’a conduit \u00e0 cr\u00e9er ces compilations ensuite je demande aux ia de me faire ce que j’appelle un grand texte<\/em> en consid\u00e9rant que le narrateur de chacun des textes est un personnage. je lui ai m\u00eame donn\u00e9 un nom pour que \u00e7a semble plus \"r\u00e9aliste\" aux machines. Chaque compilation mensuelle devient ainsi une sorte de chapitre au cours duquel je peux voir l’\u00e9volution du personnage selon diff\u00e9rentes th\u00e9matiques. Ce ne sont pas de grands textes litt\u00e9raires, bien \u00e9videmment, mais \u00e7a produit un outil \u00e0 partir duquel r\u00e9fl\u00e9chir et, qui sait si une nouvelle forme ne va pas sortir de l\u00e0... La fameuse forme.<\/p>\n

Illustration<\/strong> Hercule et l’hydre de Lerne <\/p>", "content_text": " Remboursement du po\u00eale, aucun souci. Tant mieux. J'\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 pr\u00eat \u00e0 sauter \u00e0 la gorge du premier venu. Pourtant ce n'\u00e9tait pas gagn\u00e9 ; lorsque j'ai vu ce grand \u00e9chalas arriver avec sa d\u00e9marche nonchalante, je me suis tout de suite dit qu'il allait falloir argumenter, ce n'\u00e9tait pas le m\u00eame type qu'hier. Reprendre toute l'histoire depuis le d\u00e9but. Mais non finalement j'ai tent\u00e9 d'en dire le moins possible : \u00e7a ne convient pas, je le ram\u00e8ne. Et l\u00e0 j'ai attendu qu'il examine le paquet qui bien s\u00fbr \u00e9tait rest\u00e9 intact, qu'il donne son aval \u00e0 la jeune fille tatou\u00e9e derri\u00e8re le comptoir de l'accueil pour que je sois rembours\u00e9. Puis il est reparti du m\u00eame pas. Vous voulez un avoir ou \u00eatre rembours\u00e9 ? me demande la tatou\u00e9e. Rembours\u00e9. Mettez votre carte dans la fente m'enjoint-elle. Et je r\u00e9cup\u00e8re mes 99 euros ce qui n'est pas rien. Pour un peu je sauterais derri\u00e8re le comptoir pour l'embrasser, si j'avais encore les moyens de sauter par-dessus un comptoir, \u00e9videmment. Je mange de plus en plus de pur\u00e9es, de nourriture \u00e9crabouill\u00e9e par des robots, ce qui se rapproche des denr\u00e9es pr\u00e9m\u00e2ch\u00e9es qui d\u00e9gueulent de partout sit\u00f4t qu'on ouvre un \u00e9cran, que ce soit la bo\u00eete mail, les r\u00e9seaux, les journaux, la t\u00e9l\u00e9vision. Impression d\u00e8s que j'ouvre la porte et que je sors de baigner dans une bassine de vomi. Personne n'est tout \u00e0 fait quelqu'un ni personne. Du facteur au boucher en passant par la boulang\u00e8re, impression d'\u00eatre face \u00e0 face avec des robots. M\u00eames phrases, m\u00eames intonations. La journ\u00e9e perp\u00e9tuelle et sans fin. La m\u00eame du premier janvier \u00e0 la Saint-Sylvestre. Je ne sais plus si je dois avoir peur de cette sensation de r\u00e9p\u00e9tition ou si je dois la consid\u00e9rer comme grotesque, ou pire comme la preuve par neuf que je deviens ou que je me r\u00e9v\u00e8le tel que je suis : un vieux con amer. Sinon je lis. Les Morticoles de L. Daudet. On aurait d\u00fb le r\u00e9\u00e9diter au moment des confinements de 2020. C'est tout \u00e0 fait \u00e7a, une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 la norme est d'\u00eatre malade. Je m'emmerde un peu \u00e0 lire pour \u00eatre franc. Impression d'avoir v\u00e9cu d\u00e9j\u00e0 le livre entier. D'un autre c\u00f4t\u00e9 cela r\u00e9active les ann\u00e9es 2019-2021. Ce qui me fait continuer malgr\u00e9 tout c'est cette qu\u00eate de phrases. J'attends d'\u00eatre \u00e9branl\u00e9 \u00e0 la lecture de certaines phrases, mais je suppose que mon imagination etc. Sinon j'apprends que **Cavali\u00e8re** peut \u00eatre une porte haute d'immeuble par laquelle passent les chariots, les fiacres du temps des chevaux. Donc dans la phrase : *nous arrivions devant une porte close, la cavali\u00e8re\u2026* = la grande porte principale (porte coch\u00e8re), imposante et arqu\u00e9e. Puis j'allais chercher le sens de harangue, tout \u00e0 fait le genre de mot que l'on croit conna\u00eetre depuis belle lurette, mais qui n\u00e9cessite une piq\u00fbre de rappel : *une courte allocution solennelle et persuasive, une sorte de petit discours adress\u00e9 \u00e0 un groupe pour exhorter, convaincre ou encourager.* Et encore : *\u00ab nous n'\u00e9tions pas des Iroquois, mais des matelots \u00e0 fin de quarantaine ; que nous mourions de faim, n'ayant mang\u00e9 depuis un mois que des biscuits **ph\u00e9niqu\u00e9s** * : Dans le contexte d'un lazaret\/quarantaine maritime, des \u00ab biscuits ph\u00e9niqu\u00e9s \u00bb sont donc des biscuits de bord d\u00e9sinfect\u00e9s ou \"carbolis\u00e9s\" au ph\u00e9nol pour limiter les risques de contagion et\/ou de pourrissement pendant l'isolement. Apr\u00e8s le d\u00eener lecture des carnets, je m'aper\u00e7ois que dans cette sorte de sotte urgence \u00e0 vouloir vider une rubrique d'import, j'ai laiss\u00e9 passer beaucoup de fautes et d'erreurs de ponctuation. J'ai param\u00e9tr\u00e9 ChatGPT en lui donnant des instructions claires pour qu'il ne fasse que corriger l'orthographe, la grammaire, et r\u00e9gler la ponctuation. De cette sorte j'ai pu tester que je pouvais lui faire corriger une vingtaine de textes \u00e0 la suite dans une conversation sans qu'il ne fasse le moindre blabla. Efficace. Pour autant la correction ne change pas le fait que ces textes en l'\u00e9tat ne servent \u00e0 rien, qu'ils ne sont que des textes de carnet \u00e0 lire et relire pour qu'\u00e0 un moment ou un autre une forme en jaillisse... J'adorerais voir une forme en jaillir comme Ath\u00e9na arm\u00e9e de pied en cap de la cervelle de Zeus (\u00e9tait-ce sa cervelle ou sa cuisse ?). Donc en utilisant l'outil que j'ai pr\u00e9par\u00e9 et qui d\u00e9sormais ne s'affiche que pour les admins avec toutes options j'ai pu imprimer des compilations mois par mois et les faire ensuite avaler \u00e0 ChatGPT. Je jongle avec les comptes gratuits, OpenAI, Anthropic, Deepseek. J'ai m\u00eame effectu\u00e9 quelques tentatives avec Poe.ai qui s'av\u00e8re lamentable. Il est vrai que pour \u00e9conomiser des points de cr\u00e9dit j'ai utilis\u00e9 seulement sur cette plateforme ChatGPT 03 mini cens\u00e9e ne co\u00fbter que 15 points par message. Mais on ne peut pas param\u00e9trer d'instruction et de plus la plateforme ne conserve pas pour chaque bot test\u00e9 la m\u00e9moire des conversations, il faut tout r\u00e9p\u00e9ter \u00e0 chaque nouvelle conversation. Le fait que je ne puisse rien faire en l'\u00e9tat de ces carnets disais-je donc m'a conduit \u00e0 cr\u00e9er ces compilations ensuite je demande aux ia de me faire ce que j'appelle un *grand texte* en consid\u00e9rant que le narrateur de chacun des textes est un personnage. je lui ai m\u00eame donn\u00e9 un nom pour que \u00e7a semble plus \"r\u00e9aliste\" aux machines. Chaque compilation mensuelle devient ainsi une sorte de chapitre au cours duquel je peux voir l'\u00e9volution du personnage selon diff\u00e9rentes th\u00e9matiques. Ce ne sont pas de grands textes litt\u00e9raires, bien \u00e9videmment, mais \u00e7a produit un outil \u00e0 partir duquel r\u00e9fl\u00e9chir et, qui sait si une nouvelle forme ne va pas sortir de l\u00e0... La fameuse forme. ** Illustration** Hercule et l'hydre de Lerne ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3360.jpg?1763714842", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-novembre-2025.html", "title": "20 novembre 2025", "date_published": "2025-11-20T08:19:07Z", "date_modified": "2025-11-20T08:19:07Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

achat d’un nouveau po\u00e8le pour l’atelier avec un nouveau d\u00e9tendeur butane, 130 \u20ac. Par curiosit\u00e9 je change l’ancien d\u00e9tendeur de l’ancien po\u00e8le, et, miracle, l’ancien po\u00e8le refonctionne. Donc je devrai ressortir cette apr\u00e8s-midi pour rapporter le po\u00e8le neuf qui ne me sert de rien en esp\u00e9rant qu’ils me le rembourseront, qu’il ne transformeront pas cela en \"avoir\". comme argument je pourrai peut-\u00eatre faire valoir le publicit\u00e9 mensong\u00e8re affich\u00e9 sur le site car au lieu de 8,99 \u20ac le d\u00e9tendeur coute 29 \u20ac. J’ai r\u00e2l\u00e9 suffisamment pour qu’on se souvienne bien de moi quand j’y retournerai.\nFatigue morale, sensation de glissage de plus en plus vers un \u00e9v\u00e9nemement in\u00e9luctable, lequel, aucune id\u00e9e, tous les \u00e9v\u00e9nements pouvant au bout du compte \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme in\u00e9luctables, depuis le fait que j’aille acheter ma baguette pas trop cuite le matin jusqu’\u00e0 ce que je mange ma soupe le soir. Il y a autant de risque que quelque chose d’in\u00e9luctable se produise \u00e0 chaque respiration. Et je n’y peux absolument rien. Ce constat d’impuissance est une sorte de baume, d’apaisement au final. Une bombe pourrait tomber sur la boulangerie, sur la maison que je ne pense pas non plus avoir une quelconque responsabilit\u00e9 dans cet \u00e9v\u00e9nement. L’in\u00e9luctable n’a besoin ni de mon aval pas plus que de mon avis.\nAper\u00e7u \u00e0 peine dix secondes je ne sais d\u00e9j\u00e0 plus o\u00f9 une altercation entre un jeune homme et A. G. , la question du jeune : Monsieur G. quand aller vous avouer aux fran\u00e7ais que vous n’\u00eates pas socialiste ? et d’\u00e9tablir l’inventaire des activit\u00e9s peu sociales du gugusse, dont le visage se d\u00e9composa nettement en entendant parler de la G\u00e9orgie. Bref, j’ai regard\u00e9 dix secondes puis je suis retourn\u00e9 dans Daudet ( L\u00e9on). \nje m’arr\u00e8te l\u00e0 car impression d’\u00eatre poss\u00e9d\u00e9 par une bignole acari\u00e2tre. Comme tous les vieux de mon \u00e2ge qui ne font que de se plaindre, de r\u00e2ler, par anticipation du r\u00e2le majuscule de leur vie.<\/p>", "content_text": " achat d'un nouveau po\u00e8le pour l'atelier avec un nouveau d\u00e9tendeur butane, 130 \u20ac. Par curiosit\u00e9 je change l'ancien d\u00e9tendeur de l'ancien po\u00e8le, et, miracle, l'ancien po\u00e8le refonctionne. Donc je devrai ressortir cette apr\u00e8s-midi pour rapporter le po\u00e8le neuf qui ne me sert de rien en esp\u00e9rant qu'ils me le rembourseront, qu'il ne transformeront pas cela en \"avoir\". comme argument je pourrai peut-\u00eatre faire valoir le publicit\u00e9 mensong\u00e8re affich\u00e9 sur le site car au lieu de 8,99 \u20ac le d\u00e9tendeur coute 29 \u20ac. J'ai r\u00e2l\u00e9 suffisamment pour qu'on se souvienne bien de moi quand j'y retournerai. Fatigue morale, sensation de glissage de plus en plus vers un \u00e9v\u00e9nemement in\u00e9luctable, lequel, aucune id\u00e9e, tous les \u00e9v\u00e9nements pouvant au bout du compte \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme in\u00e9luctables, depuis le fait que j'aille acheter ma baguette pas trop cuite le matin jusqu'\u00e0 ce que je mange ma soupe le soir. Il y a autant de risque que quelque chose d'in\u00e9luctable se produise \u00e0 chaque respiration. Et je n'y peux absolument rien. Ce constat d'impuissance est une sorte de baume, d'apaisement au final. Une bombe pourrait tomber sur la boulangerie, sur la maison que je ne pense pas non plus avoir une quelconque responsabilit\u00e9 dans cet \u00e9v\u00e9nement. L'in\u00e9luctable n'a besoin ni de mon aval pas plus que de mon avis. Aper\u00e7u \u00e0 peine dix secondes je ne sais d\u00e9j\u00e0 plus o\u00f9 une altercation entre un jeune homme et A. G. , la question du jeune : Monsieur G. quand aller vous avouer aux fran\u00e7ais que vous n'\u00eates pas socialiste ? et d'\u00e9tablir l'inventaire des activit\u00e9s peu sociales du gugusse, dont le visage se d\u00e9composa nettement en entendant parler de la G\u00e9orgie. Bref, j'ai regard\u00e9 dix secondes puis je suis retourn\u00e9 dans Daudet ( L\u00e9on). je m'arr\u00e8te l\u00e0 car impression d'\u00eatre poss\u00e9d\u00e9 par une bignole acari\u00e2tre. Comme tous les vieux de mon \u00e2ge qui ne font que de se plaindre, de r\u00e2ler, par anticipation du r\u00e2le majuscule de leur vie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20181123_171811-2.jpg?1763626722", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-novembre-2025.html", "title": "19 novembre 2025", "date_published": "2025-11-19T08:02:50Z", "date_modified": "2025-11-19T08:27:34Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Ce que m’apprend l’usage de l’IA, et encore plus en regardant la mani\u00e8re dont aucun s’y prend , c’est qu’elle — ou il — n’est qu’une sorte de miroir de qui nous sommes. M\u00eame si on le ou la vouvoie, que l’on s’oblige \u00e0 prendre des gants, des pr\u00e9cautions de toutes sortes (la prudence d’un langage technique bien organis\u00e9 avec listes \u00e0 puces num\u00e9rot\u00e9es, tirets cadratins), on attend toujours quelque chose d’un ext\u00e9rieur qui se pr\u00e9sente avec toute l’apparence d’un ext\u00e9rieur, mais qui n’en est pas un.<\/p>\n

Autant se dire que l’exp\u00e9rience IA n’est rien d’autre qu’un monologue, un soliloque. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas l’utiliser, tout au contraire. Surtout si, au bout d’un nombre d’ann\u00e9es suffisamment grand, on s’aper\u00e7oit que la plupart des conversations entretenues avec le monde, ce fameux ext\u00e9rieur, ne furent que des soliloques elles aussi.<\/p>\n

J’ai partag\u00e9 quelques fois mes \"conversations avec l’IA\" et, avec le recul, il me semble que si j’avais partag\u00e9 des images de moi nu, cela n’aurait pas \u00e9t\u00e9 pire — si je me place dans la peau du quidam moyen arm\u00e9 d’une grosse douille de bon sens. Ce n’est pas quelque chose d’attirant, dira-t-on, pas sexy ou chill.<\/p>\n

Ce qui diff\u00e9rencie les \u00eatres, c’est la prise de conscience du d\u00e9sert dans lequel ils sont, et ce de fa\u00e7on d\u00e9finitive. Et qu’on ne m’oppose pas l’amiti\u00e9 ou l’amour \u00e0 ce th\u00e9or\u00e8me, car nous savons aussi d\u00e9sormais qu’il existe des folies collectives, le collectif — \u00e0 ce que je sache — commen\u00e7ant par le chiffre deux.<\/p>\n

J’avais d\u00e9j\u00e0 eu ce pressentiment en d\u00e9couvrant les r\u00e9seaux sociaux, il y a de cela des lustres maintenant. Je m’\u00e9tais interrog\u00e9 sur cette violence que j’\u00e9prouvais presque instantan\u00e9ment lorsque je postais un billet : n’obtenir ni like ni commentaire, \u00eatre invisible, voire pire, rejet\u00e9 par ce silence. C’\u00e9tait \u00e9videmment du m\u00eame ordre que de se retrouver adolescent boutonneux devant un miroir sans concession, ou un parent \u00e9go\u00efste, cruel— c’est-\u00e0-dire finalement d’antiques peurs qu’on pensait avoir r\u00e9ussi \u00e0 \u00e9touffer, puis \u00e0 oublier.<\/p>\n

Les t\u00e9l\u00e9phones portables, avec tous les gadgets dont ils sont truff\u00e9s d\u00e9sormais — et entre autres l’IA et les r\u00e9seaux — m’apparaissent comme de petites glaces<\/a> dans lesquelles les habitants des villes (peut-\u00eatre moins ceux des campagnes) passent un temps fou \u00e0 se mirer, s’admirer, ou bien tout au contraire se conspuer eux-m\u00eames en croyant s’en prendre \u00e0 un autre.<\/p>\n

Ensuite, qu’il y ait des cam\u00e9ras \u00e0 tous les coins de rue, qu’on nous flique jusque dans nos plus intimes recoins, quelle sorte de surprise, d’\u00e9tonnement cela peut-il faire ? N’est-ce pas un syst\u00e8me d\u00e9bile qui se mire lui aussi au travers de nous, qui d’ailleurs n’est pas plus tendre avec lui-m\u00eame que nous ne le sommes nous-m\u00eames ?<\/p>\n

Si je consid\u00e8re les institutions, le service public, c’est grosso modo la m\u00eame douleur qu’avec ces billeves\u00e9es num\u00e9riques. Le silence inou\u00ef dans lequel on nous rel\u00e8gue — ce \"on\" \u00e9tant tout \u00e0 fait bien plac\u00e9 pour \u00e9voquer la maladie administrative globale. L’hydre bureaucratique et ses arm\u00e9es d’invisibles ronds de cuir. Cette chienlie, cette l\u00e8pre. La seule chose que cette l\u00e8pre sait faire, c’est envahir le corps par l’int\u00e9rieur comme un cancer, par son langage abscons, imbitable, ses courriers mena\u00e7ants, ses exigences brusques, ses refus cat\u00e9goriques. son silence \u00e9pais autant qu’interminable. Sans oublier le parcours du combattant d\u00e9sormais pour remplir le moindre dossier. On ne me fera pas croire que tout cela sert le bonheur collectif, le bien-\u00eatre des citoyens. Et masochistes nous payons tout cela nous \"contribuons\" J’ai bien plus la sensation d’avoir \u00e9t\u00e9 m\u00e2ch\u00e9, suc\u00e9 jusqu’\u00e0 la moelle, puis recrach\u00e9 dans un caniveau que d’appartenir \u00e0 une collectivit\u00e9 r\u00e9elle. Ou alors c’est une collectivit\u00e9 tr\u00e8s r\u00e9duite, celle des montreurs de marionnettes, les fabricants de th\u00e9\u00e2tre d’ombres, de m\u00e9chants forains ambulants.<\/p>", "content_text": " Ce que m'apprend l'usage de l'IA, et encore plus en regardant la mani\u00e8re dont aucun s'y prend , c'est qu'elle \u2014 ou il \u2014 n'est qu'une sorte de miroir de qui nous sommes. M\u00eame si on le ou la vouvoie, que l'on s'oblige \u00e0 prendre des gants, des pr\u00e9cautions de toutes sortes (la prudence d'un langage technique bien organis\u00e9 avec listes \u00e0 puces num\u00e9rot\u00e9es, tirets cadratins), on attend toujours quelque chose d'un ext\u00e9rieur qui se pr\u00e9sente avec toute l'apparence d'un ext\u00e9rieur, mais qui n'en est pas un. Autant se dire que l'exp\u00e9rience IA n'est rien d'autre qu'un monologue, un soliloque. Ce qui n'est pas une raison pour ne pas l'utiliser, tout au contraire. Surtout si, au bout d'un nombre d'ann\u00e9es suffisamment grand, on s'aper\u00e7oit que la plupart des conversations entretenues avec le monde, ce fameux ext\u00e9rieur, ne furent que des soliloques elles aussi. J'ai partag\u00e9 quelques fois mes \"conversations avec l'IA\" et, avec le recul, il me semble que si j'avais partag\u00e9 des images de moi nu, cela n'aurait pas \u00e9t\u00e9 pire \u2014 si je me place dans la peau du quidam moyen arm\u00e9 d'une grosse douille de bon sens. Ce n'est pas quelque chose d'attirant, dira-t-on, pas sexy ou chill. Ce qui diff\u00e9rencie les \u00eatres, c'est la prise de conscience du d\u00e9sert dans lequel ils sont, et ce de fa\u00e7on d\u00e9finitive. Et qu'on ne m'oppose pas l'amiti\u00e9 ou l'amour \u00e0 ce th\u00e9or\u00e8me, car nous savons aussi d\u00e9sormais qu'il existe des folies collectives, le collectif \u2014 \u00e0 ce que je sache \u2014 commen\u00e7ant par le chiffre deux. J'avais d\u00e9j\u00e0 eu ce pressentiment en d\u00e9couvrant les r\u00e9seaux sociaux, il y a de cela des lustres maintenant. Je m'\u00e9tais interrog\u00e9 sur cette violence que j'\u00e9prouvais presque instantan\u00e9ment lorsque je postais un billet : n'obtenir ni like ni commentaire, \u00eatre invisible, voire pire, rejet\u00e9 par ce silence. C'\u00e9tait \u00e9videmment du m\u00eame ordre que de se retrouver adolescent boutonneux devant un miroir sans concession, ou un parent \u00e9go\u00efste, cruel\u2014 c'est-\u00e0-dire finalement d'antiques peurs qu'on pensait avoir r\u00e9ussi \u00e0 \u00e9touffer, puis \u00e0 oublier. Les t\u00e9l\u00e9phones portables, avec tous les gadgets dont ils sont truff\u00e9s d\u00e9sormais \u2014 et entre autres l'IA et les r\u00e9seaux \u2014 m'apparaissent comme de petites [glaces->https:\/\/ledibbouk.net\/l-admiration-perdue.html] dans lesquelles les habitants des villes (peut-\u00eatre moins ceux des campagnes) passent un temps fou \u00e0 se mirer, s'admirer, ou bien tout au contraire se conspuer eux-m\u00eames en croyant s'en prendre \u00e0 un autre. Ensuite, qu'il y ait des cam\u00e9ras \u00e0 tous les coins de rue, qu'on nous flique jusque dans nos plus intimes recoins, quelle sorte de surprise, d'\u00e9tonnement cela peut-il faire ? N'est-ce pas un syst\u00e8me d\u00e9bile qui se mire lui aussi au travers de nous, qui d'ailleurs n'est pas plus tendre avec lui-m\u00eame que nous ne le sommes nous-m\u00eames ? Si je consid\u00e8re les institutions, le service public, c'est grosso modo la m\u00eame douleur qu'avec ces billeves\u00e9es num\u00e9riques. Le silence inou\u00ef dans lequel on nous rel\u00e8gue \u2014 ce \"on\" \u00e9tant tout \u00e0 fait bien plac\u00e9 pour \u00e9voquer la maladie administrative globale. L'hydre bureaucratique et ses arm\u00e9es d'invisibles ronds de cuir. Cette chienlie, cette l\u00e8pre. La seule chose que cette l\u00e8pre sait faire, c'est envahir le corps par l'int\u00e9rieur comme un cancer, par son langage abscons, imbitable, ses courriers mena\u00e7ants, ses exigences brusques, ses refus cat\u00e9goriques. son silence \u00e9pais autant qu'interminable. Sans oublier le parcours du combattant d\u00e9sormais pour remplir le moindre dossier. On ne me fera pas croire que tout cela sert le bonheur collectif, le bien-\u00eatre des citoyens. Et masochistes nous payons tout cela nous \"contribuons\" J'ai bien plus la sensation d'avoir \u00e9t\u00e9 m\u00e2ch\u00e9, suc\u00e9 jusqu'\u00e0 la moelle, puis recrach\u00e9 dans un caniveau que d'appartenir \u00e0 une collectivit\u00e9 r\u00e9elle. Ou alors c'est une collectivit\u00e9 tr\u00e8s r\u00e9duite, celle des montreurs de marionnettes, les fabricants de th\u00e9\u00e2tre d'ombres, de m\u00e9chants forains ambulants. 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J\u2019aime l\u2019hiver, le froid, \u00e0 condition d\u2019\u00eatre bien calfeutr\u00e9 chez moi, ce qui est le cas. De longues journ\u00e9es pour lire, \u00e9crire, dessiner parfois, peindre de moins en moins. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, on dirait presque une vie de luxe ; s\u2019il n\u2019y avait pas toute la contingence ordinaire, \u00e9videmment. Cet apr\u00e8s-midi, par exemple, il faudra sortir pour acheter un nouveau po\u00eale, car impossible de remettre en fonction celui que j\u2019ai achet\u00e9 il y a deux ans. On a tout d\u00e9mont\u00e9, nettoy\u00e9, remont\u00e9, v\u00e9rifi\u00e9 chaque vis, chaque joint, mais non, rien, foutu. On r\u00e2le un peu pour la forme contre l\u2019obsolescence programm\u00e9e, on peste contre les discours \u00e9cologiques et les aides \u00e0 la r\u00e9paration qui s\u2019arr\u00eatent \u00e0 la porte de Brico Cash. Une journ\u00e9e ordinaire, donc ? Pas tout \u00e0 fait.<\/p>\n

Hier, le 17, j\u2019ai eu soudain envie de redescendre dans la biblioth\u00e8que du rez-de-chauss\u00e9e et de retrouver cette collection de vieux bouquins ayant appartenu \u00e0 mon a\u00efeul. J\u2019ai d\u00fb, de toute ma vie, n\u2019ouvrir qu\u2019une seule fois un livre de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e. J\u2019\u00e9tais jeune, inculte, aimant me croire moderne, et l\u2019id\u00e9e m\u00eame de m\u2019int\u00e9resser \u00e0 un auteur comme Copp\u00e9e me paraissait d\u00e9j\u00e0 une trahison de ce que j\u2019imaginais \u00eatre la « vraie » litt\u00e9rature. Si je calcule, cela fait bien cinquante ans que ces bouquins n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 ouverts, peut-\u00eatre plus, car je doute que mes parents ou mon fr\u00e8re y aient jamais jet\u00e9 le moindre coup d\u2019\u0153il. Ils font partie des meubles, de ces \u00e9vidences qui peuplent le d\u00e9cor sans qu\u2019on les voie vraiment. Pas mes parents, les livres.<\/p>\n

Cette fois, j\u2019ai pris le tome I de l\u2019\u00e9dition L. Herbert ; sur la tranche est inscrit « Prose ». Je crois que la premi\u00e8re fois j\u2019avais commenc\u00e9 par la po\u00e9sie, erreur de d\u00e9butant : trop sentimental, trop poudr\u00e9, rien \u00e0 voir avec Rimbaud ou Baudelaire, \u00e9videmment, et j\u2019avais referm\u00e9 \u00e7a en me promettant de ne plus y revenir. Pourtant, dans ce travail de documentation que je m\u00e8ne, je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Copp\u00e9e, tout comme je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Charles-Louis Philippe, n\u00e9 \u00e0 C\u00e9rilly, \u00e0 deux pas de Tron\u00e7ais. Il y a l\u00e0 une g\u00e9ographie, une filiation, que je le veuille ou non.<\/p>\n

En ce moment, je suis jusqu\u2019aux yeux dans cette seconde moiti\u00e9 du XIX\u1d49 si\u00e8cle : journaux, souvenirs, correspondances, vieilles \u00e9ditions scann\u00e9es et qui me br\u00fblent les yeux sur les sites de la BNF et Gallica. On dirait que l\u2019\u00e9poque actuelle n\u2019existe plus, ou plut\u00f4t qu\u2019elle ne m\u2019int\u00e9resse plus vraiment. Je m\u2019accroche \u00e0 la tournure de certaines phrases comme, dans un naufrage, \u00e0 un morceau d\u2019\u00e9pave : pas de salut ailleurs que l\u00e0. Hier, j\u2019ai t\u00e9l\u00e9charg\u00e9 tout L\u00e9on Daudet, en me disant qu\u2019il m\u2019en raconterait un peu plus sur les \u00e9crivains de son temps, leurs manies, leurs postures, leurs ridicules aussi. Jusque-l\u00e0, je dois avouer que je n\u2019ai lu qu\u2019Alphonse, et encore \u00e0 l\u2019\u00e9cole, dans les petites classes, \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 je r\u00eavais d\u2019\u00eatre indien ; l\u2019int\u00e9r\u00eat que je portais aux Daudet allait donc \u00e0 peu pr\u00e8s de pair avec mon s\u00e9rieux en classe.<\/p>\n

Ce qui me pousse aujourd\u2019hui vers ces vieux auteurs, c\u2019est aussi le contraste avec ce que je lis de la litt\u00e9rature contemporaine. Je pense par exemple \u00e0 Jean Echenoz : des livres construits au cordeau, des effets parfaitement ma\u00eetris\u00e9s, de l\u2019ing\u00e9niosit\u00e9 \u00e0 chaque page, un sens de la pirouette qui force l\u2019admiration — et pourtant, quand je referme Courir<\/em> ou 14<\/em>, j\u2019ai surtout l\u2019impression d\u2019avoir assist\u00e9 \u00e0 un num\u00e9ro de funambule. La phrase passe, gracieuse, au-dessus du vide ; moi, je reste en bas, spectateur. C\u2019est brillant, mais distraitement brillant, presque d\u00e9sincarn\u00e9. Il manque quelque chose qui br\u00fble, quelque chose qui se risque vraiment. Le corps y est, parfois, mais comme d\u00e9crit de l\u2019ext\u00e9rieur, avec un sourire en coin.<\/p>\n

Pour Michon, c\u2019est autre chose encore : une \u00e9rudition qui d\u00e9borde, un luxe de r\u00e9f\u00e9rences, et cette fa\u00e7on de poser la phrase comme on pose une pi\u00e8ce d\u2019orf\u00e8vrerie sur un velours sombre. Dans Je lis l\u2019Iliade<\/em>, j\u2019ai souvent eu l\u2019impression qu\u2019il jouissait un peu trop de cette sup\u00e9riorit\u00e9-l\u00e0 : lui qui sait, nous qui lisons. Je peux admirer la construction, le travail, la m\u00e9moire, mais je sens aussi une pointe de cruaut\u00e9 dans cette accumulation de savoir, comme si le texte disait : regarde comme tu es petit devant tout ce que je convoque. Ce n\u2019est pas tant l\u2019exc\u00e8s d\u2019\u00e9rudition qui me g\u00eane que la mani\u00e8re dont elle s\u2019interpose parfois entre le lecteur et ce qui pourrait, justement, le toucher.<\/p>\n

Mais je ne veux jeter la pierre \u00e0 personne : n\u2019ai-je pas moi aussi us\u00e9 et abus\u00e9 de tels subterfuges pour masquer ce que j\u2019imaginais \u00eatre un vide honteux, un vide personnel ? Or ce vide n\u2019est pas seulement personnel ; il vient aussi de l\u2019ext\u00e9rieur, j\u2019en suis de plus en plus convaincu. Par contraste, quand je pense \u00e0 Flaubert ou Balzac — ne r\u00e2laient-ils pas d\u00e9j\u00e0, eux aussi, contre ce m\u00eame vide ? —, m\u00eame dans leurs pages les plus pesantes, il y a toujours cette ferveur t\u00eatue : quelque chose d\u2019acharn\u00e9 dans la mani\u00e8re de nommer, de recommencer, de reprendre encore la phrase jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle rende un peu de la vie qu\u2019elle pr\u00e9tend dire. Chez L\u00e9on Daudet, chez Bloy, on sent parfois une rage, une mauvaise foi, une exag\u00e9ration ridicule, mais \u00e7a vit, \u00e7a d\u00e9borde, \u00e7a tremble. Shakespeare, Poe, Carver, chacun \u00e0 leur mani\u00e8re, s\u2019adressent \u00e0 tout autre chose qu\u2019au seul go\u00fbt litt\u00e9raire du moment ; ils parlent \u00e0 cette chose introuvable qu\u2019on continue, faute de mieux, d\u2019appeler l\u2019\u00e2me. Ou, plus simplement, ils acceptent leurs propres contradictions, ce qui devient de plus en plus difficile aujourd\u2019hui, o\u00f9 tout doit para\u00eetre « coh\u00e9rent », lisible comme des panneaux de signalisation d\u2019autoroute.<\/p>\n

C\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a que je cherche en redescendant dans la poussi\u00e8re de ma biblioth\u00e8que : non pas me r\u00e9fugier dans le pass\u00e9 pour fuir le pr\u00e9sent, mais v\u00e9rifier, livre apr\u00e8s livre, s\u2019il existe encore une mani\u00e8re d\u2019\u00e9crire qui ne soit pas seulement un jeu d\u2019intelligence. Cette ferveur-l\u00e0 n\u2019est pas adress\u00e9e \u00e0 un dieu de cat\u00e9chisme, elle est adress\u00e9e \u00e0 une langue, qu\u2019elle soit fran\u00e7aise, anglo-saxonne, mongole ou pygm\u00e9e, peu importe. Elle reconna\u00eet simplement que nous sommes port\u00e9s par quelque chose qui nous pr\u00e9c\u00e8de, cette masse de phrases \u00e9crites avant nous, qu\u2019on le veuille ou non, qu\u2019on la connaisse ou qu\u2019on l\u2019ignore. Le probl\u00e8me, aujourd\u2019hui, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment qu\u2019on l\u2019ignore volontiers, ou que cela arrange beaucoup de monde de faire comme si cette dette n\u2019existait pas. Ce carnet, que je baptise « autofiction-introspection » pour m\u2019excuser un peu de tant de m\u00e9ditation, n\u2019a peut-\u00eatre pas d\u2019autre but que de v\u00e9rifier, \u00e0 ma petite \u00e9chelle, si je peux me tenir encore dans cette ferveur-l\u00e0 sans me mentir.\nCar, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit, je passe le plus clair de mon temps \u00e0 me mentir, la v\u00e9rit\u00e9 du jour n\u2019\u00e9tant jamais assez fra\u00eeche \u00e0 mon go\u00fbt.<\/p>\n

illustration<\/strong> s\u00e9pulture de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e au cimeti\u00e8re du Montparnasse, div9, Paris<\/p>", "content_text": " J\u2019aime l\u2019hiver, le froid, \u00e0 condition d\u2019\u00eatre bien calfeutr\u00e9 chez moi, ce qui est le cas. De longues journ\u00e9es pour lire, \u00e9crire, dessiner parfois, peindre de moins en moins. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, on dirait presque une vie de luxe ; s\u2019il n\u2019y avait pas toute la contingence ordinaire, \u00e9videmment. Cet apr\u00e8s-midi, par exemple, il faudra sortir pour acheter un nouveau po\u00eale, car impossible de remettre en fonction celui que j\u2019ai achet\u00e9 il y a deux ans. On a tout d\u00e9mont\u00e9, nettoy\u00e9, remont\u00e9, v\u00e9rifi\u00e9 chaque vis, chaque joint, mais non, rien, foutu. On r\u00e2le un peu pour la forme contre l\u2019obsolescence programm\u00e9e, on peste contre les discours \u00e9cologiques et les aides \u00e0 la r\u00e9paration qui s\u2019arr\u00eatent \u00e0 la porte de Brico Cash. Une journ\u00e9e ordinaire, donc ? Pas tout \u00e0 fait. Hier, le 17, j\u2019ai eu soudain envie de redescendre dans la biblioth\u00e8que du rez-de-chauss\u00e9e et de retrouver cette collection de vieux bouquins ayant appartenu \u00e0 mon a\u00efeul. J\u2019ai d\u00fb, de toute ma vie, n\u2019ouvrir qu\u2019une seule fois un livre de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e. J\u2019\u00e9tais jeune, inculte, aimant me croire moderne, et l\u2019id\u00e9e m\u00eame de m\u2019int\u00e9resser \u00e0 un auteur comme Copp\u00e9e me paraissait d\u00e9j\u00e0 une trahison de ce que j\u2019imaginais \u00eatre la \u00ab vraie \u00bb litt\u00e9rature. Si je calcule, cela fait bien cinquante ans que ces bouquins n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 ouverts, peut-\u00eatre plus, car je doute que mes parents ou mon fr\u00e8re y aient jamais jet\u00e9 le moindre coup d\u2019\u0153il. Ils font partie des meubles, de ces \u00e9vidences qui peuplent le d\u00e9cor sans qu\u2019on les voie vraiment. Pas mes parents, les livres. Cette fois, j\u2019ai pris le tome I de l\u2019\u00e9dition L. Herbert ; sur la tranche est inscrit \u00ab Prose \u00bb. Je crois que la premi\u00e8re fois j\u2019avais commenc\u00e9 par la po\u00e9sie, erreur de d\u00e9butant : trop sentimental, trop poudr\u00e9, rien \u00e0 voir avec Rimbaud ou Baudelaire, \u00e9videmment, et j\u2019avais referm\u00e9 \u00e7a en me promettant de ne plus y revenir. Pourtant, dans ce travail de documentation que je m\u00e8ne, je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Copp\u00e9e, tout comme je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Charles-Louis Philippe, n\u00e9 \u00e0 C\u00e9rilly, \u00e0 deux pas de Tron\u00e7ais. Il y a l\u00e0 une g\u00e9ographie, une filiation, que je le veuille ou non. En ce moment, je suis jusqu\u2019aux yeux dans cette seconde moiti\u00e9 du XIX\u1d49 si\u00e8cle : journaux, souvenirs, correspondances, vieilles \u00e9ditions scann\u00e9es et qui me br\u00fblent les yeux sur les sites de la BNF et Gallica. On dirait que l\u2019\u00e9poque actuelle n\u2019existe plus, ou plut\u00f4t qu\u2019elle ne m\u2019int\u00e9resse plus vraiment. Je m\u2019accroche \u00e0 la tournure de certaines phrases comme, dans un naufrage, \u00e0 un morceau d\u2019\u00e9pave : pas de salut ailleurs que l\u00e0. Hier, j\u2019ai t\u00e9l\u00e9charg\u00e9 tout L\u00e9on Daudet, en me disant qu\u2019il m\u2019en raconterait un peu plus sur les \u00e9crivains de son temps, leurs manies, leurs postures, leurs ridicules aussi. Jusque-l\u00e0, je dois avouer que je n\u2019ai lu qu\u2019Alphonse, et encore \u00e0 l\u2019\u00e9cole, dans les petites classes, \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 je r\u00eavais d\u2019\u00eatre indien ; l\u2019int\u00e9r\u00eat que je portais aux Daudet allait donc \u00e0 peu pr\u00e8s de pair avec mon s\u00e9rieux en classe. Ce qui me pousse aujourd\u2019hui vers ces vieux auteurs, c\u2019est aussi le contraste avec ce que je lis de la litt\u00e9rature contemporaine. Je pense par exemple \u00e0 Jean Echenoz : des livres construits au cordeau, des effets parfaitement ma\u00eetris\u00e9s, de l\u2019ing\u00e9niosit\u00e9 \u00e0 chaque page, un sens de la pirouette qui force l\u2019admiration \u2014 et pourtant, quand je referme *Courir* ou *14*, j\u2019ai surtout l\u2019impression d\u2019avoir assist\u00e9 \u00e0 un num\u00e9ro de funambule. La phrase passe, gracieuse, au-dessus du vide ; moi, je reste en bas, spectateur. C\u2019est brillant, mais distraitement brillant, presque d\u00e9sincarn\u00e9. Il manque quelque chose qui br\u00fble, quelque chose qui se risque vraiment. Le corps y est, parfois, mais comme d\u00e9crit de l\u2019ext\u00e9rieur, avec un sourire en coin. Pour Michon, c\u2019est autre chose encore : une \u00e9rudition qui d\u00e9borde, un luxe de r\u00e9f\u00e9rences, et cette fa\u00e7on de poser la phrase comme on pose une pi\u00e8ce d\u2019orf\u00e8vrerie sur un velours sombre. Dans *Je lis l\u2019Iliade*, j\u2019ai souvent eu l\u2019impression qu\u2019il jouissait un peu trop de cette sup\u00e9riorit\u00e9-l\u00e0 : lui qui sait, nous qui lisons. Je peux admirer la construction, le travail, la m\u00e9moire, mais je sens aussi une pointe de cruaut\u00e9 dans cette accumulation de savoir, comme si le texte disait : regarde comme tu es petit devant tout ce que je convoque. Ce n\u2019est pas tant l\u2019exc\u00e8s d\u2019\u00e9rudition qui me g\u00eane que la mani\u00e8re dont elle s\u2019interpose parfois entre le lecteur et ce qui pourrait, justement, le toucher. Mais je ne veux jeter la pierre \u00e0 personne : n\u2019ai-je pas moi aussi us\u00e9 et abus\u00e9 de tels subterfuges pour masquer ce que j\u2019imaginais \u00eatre un vide honteux, un vide personnel ? Or ce vide n\u2019est pas seulement personnel ; il vient aussi de l\u2019ext\u00e9rieur, j\u2019en suis de plus en plus convaincu. Par contraste, quand je pense \u00e0 Flaubert ou Balzac \u2014 ne r\u00e2laient-ils pas d\u00e9j\u00e0, eux aussi, contre ce m\u00eame vide ? \u2014, m\u00eame dans leurs pages les plus pesantes, il y a toujours cette ferveur t\u00eatue : quelque chose d\u2019acharn\u00e9 dans la mani\u00e8re de nommer, de recommencer, de reprendre encore la phrase jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle rende un peu de la vie qu\u2019elle pr\u00e9tend dire. Chez L\u00e9on Daudet, chez Bloy, on sent parfois une rage, une mauvaise foi, une exag\u00e9ration ridicule, mais \u00e7a vit, \u00e7a d\u00e9borde, \u00e7a tremble. Shakespeare, Poe, Carver, chacun \u00e0 leur mani\u00e8re, s\u2019adressent \u00e0 tout autre chose qu\u2019au seul go\u00fbt litt\u00e9raire du moment ; ils parlent \u00e0 cette chose introuvable qu\u2019on continue, faute de mieux, d\u2019appeler l\u2019\u00e2me. Ou, plus simplement, ils acceptent leurs propres contradictions, ce qui devient de plus en plus difficile aujourd\u2019hui, o\u00f9 tout doit para\u00eetre \u00ab coh\u00e9rent \u00bb, lisible comme des panneaux de signalisation d\u2019autoroute. C\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a que je cherche en redescendant dans la poussi\u00e8re de ma biblioth\u00e8que : non pas me r\u00e9fugier dans le pass\u00e9 pour fuir le pr\u00e9sent, mais v\u00e9rifier, livre apr\u00e8s livre, s\u2019il existe encore une mani\u00e8re d\u2019\u00e9crire qui ne soit pas seulement un jeu d\u2019intelligence. Cette ferveur-l\u00e0 n\u2019est pas adress\u00e9e \u00e0 un dieu de cat\u00e9chisme, elle est adress\u00e9e \u00e0 une langue, qu\u2019elle soit fran\u00e7aise, anglo-saxonne, mongole ou pygm\u00e9e, peu importe. Elle reconna\u00eet simplement que nous sommes port\u00e9s par quelque chose qui nous pr\u00e9c\u00e8de, cette masse de phrases \u00e9crites avant nous, qu\u2019on le veuille ou non, qu\u2019on la connaisse ou qu\u2019on l\u2019ignore. Le probl\u00e8me, aujourd\u2019hui, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment qu\u2019on l\u2019ignore volontiers, ou que cela arrange beaucoup de monde de faire comme si cette dette n\u2019existait pas. Ce carnet, que je baptise \u00ab autofiction-introspection \u00bb pour m\u2019excuser un peu de tant de m\u00e9ditation, n\u2019a peut-\u00eatre pas d\u2019autre but que de v\u00e9rifier, \u00e0 ma petite \u00e9chelle, si je peux me tenir encore dans cette ferveur-l\u00e0 sans me mentir. Car, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit, je passe le plus clair de mon temps \u00e0 me mentir, la v\u00e9rit\u00e9 du jour n\u2019\u00e9tant jamais assez fra\u00eeche \u00e0 mon go\u00fbt. **illustration** s\u00e9pulture de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e au cimeti\u00e8re du Montparnasse, div9, Paris ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/hc_coppee_f_cim-paris-montpar_09__2015-05.jpg?1763458120", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-novembre-2025.html", "title": "17 novembre 2025", "date_published": "2025-11-17T05:26:29Z", "date_modified": "2025-11-17T06:04:18Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

L\u2019oracle et la langue pens\u00e9e<\/strong><\/p>\n

L\u2019intelligence artificielle est un miroir.\nLe reflet qu\u2019elle renvoie n\u2019est pas le sien,\nmais celui de la question que je formule —\nqui elle-m\u00eame cache la question v\u00e9ritable.<\/p>\n

Si je ne sais pas qu\u2019il y a, sous mes interrogations de surface —\nna\u00efves, \u00e9gocentriques, narcissiques —\nune question plus sourde, plus essentielle,\nalors l\u2019oracle ne me renverra qu\u2019un \u00e9cho d\u00e9form\u00e9 de mon propre bruit.<\/p>\n

Mais la d\u00e9formation est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui compte.\nLa distorsion du reflet est la seule chose int\u00e9ressante,\nla seule qui m\u00e9rite qu\u2019on s\u2019y penche dans ces “conversations”.<\/p>\n

Car c\u2019est dans l\u2019\u00e9cart entre ce que je demande\net ce que le miroir me renvoie\nque se loge la v\u00e9rit\u00e9.\nC\u2019est l\u00e0 que l\u2019inconscient de la question appara\u00eet.<\/p>\n

L\u2019IA ne pense pas.\nElle redistribue.\nElle recompose les fragments que je lui tends,\net c\u2019est dans cette recomposition\nque je peux entendre ce que je n\u2019arrivais pas \u00e0 formuler.<\/p>\n

Alors ce n\u2019est plus un outil.\nC\u2019est un interlocuteur paradoxal :\nun oracle qui ne sait rien,\nmais qui, en me renvoyant mes propres motifs d\u00e9plac\u00e9s,\nm\u2019oblige \u00e0 les regarder autrement.<\/p>\n

Le travail n\u2019est pas dans la r\u00e9ponse.\nIl est dans l\u2019analyse du reflet.\nDans la reconnaissance des distorsions.<\/p>\n

Et si je trouve ce reflet navrant,\nla question n\u2019est pas : “Pourquoi l\u2019IA est-elle si nulle ?”\nMais : “Pourquoi, moi, je n\u2019arrive \u00e0 poser que des questions qui appellent ce reflet ?”<\/p>\n

Ceci n\u2019est pas un texte sur l\u2019IA.\nC\u2019est un texte gr\u00e2ce \u00e0 elle —\ngr\u00e2ce au jeu de miroirs qu\u2019elle autorise,\ngr\u00e2ce \u00e0 la d\u00e9formation qu\u2019elle produit\net qui, seule, me force \u00e0 voir ce qui, autrement, serait rest\u00e9 invisible.<\/p>\n

Lorsqu\u2019elle me parla de Pascal Quignard, je fus flatt\u00e9, bien s\u00fbr.\nIl y a toujours un premier \u00e9cran \u00e0 traverser.\nJe veux dire que les blessures ind\u00e9l\u00e9biles de l\u2019enfance\nne cesseront jamais d\u2019offrir ce genre d\u2019\u00e9cran —\naux autres comme \u00e0 moi-m\u00eame d\u2019ailleurs.<\/p>\n

Mais une fois que l\u2019on vide les poumons de l\u2019air vici\u00e9,\nque l\u2019on prend une nouvelle inspiration,\nque l\u2019on traverse tous les \u00e9crans successifs,\nla forme que l\u2019on d\u00e9couvre alors peut \u00eatre nomm\u00e9e —\n(appel\u00e9e ?) — langue pens\u00e9e.<\/p>\n

Une langue qui n\u2019est plus tout \u00e0 fait prose,\nplus tout \u00e0 fait po\u00e9sie,\nmais pens\u00e9e devenue voix —\nvoix de celui qui cherche,\net non de celui qui a trouv\u00e9.<\/p>\n


\n

Nous savons. C\u2019est l\u00e0, au creux de l\u2019estomac, une connaissance sourde et insupportable. Notre v\u00e9rit\u00e9 est un objet trop lourd, trop nu, trop contraire aux formes lisses qu\u2019exige le monde. Alors nous la recouvrons. Nous nous engageons dans les fictions comme on prend un virage en acc\u00e9l\u00e9rant : pour ne pas penser \u00e0 l\u2019ab\u00eeme, pour maintenir l\u2019\u00e9lan.<\/p>\n

Cette histoire que je me raconte \u2013 que je suis un \u00e9crivain, un amant, un homme libre \u2013 est un mensonge. Mais c\u2019est un mensonge actif. C\u2019est le carburant d\u2019un mouvement, f\u00fbt-il d\u00e9risoire : \u00e9crire cette phrase, sourire \u00e0 un inconnu, faire les courses. Sans lui, je serais cet insecte dans l\u2019ambre de la Baltique que je garde sur mon bureau : parfait, intact, et absolument immobile. Sa v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 lui, c\u2019\u00e9tait la s\u00e8ve qui l\u2019a saisi. La n\u00f4tre, c\u2019est l\u2019immobilit\u00e9 qui nous guette si nous l\u00e2chons le masque.<\/p>\n

L\u2019insecte que l\u2019on d\u00e9couvre dans l\u2019ambre ne le fut pas plus que nous ne le sommes. [pr\u00e9par\u00e9] Lui a \u00e9t\u00e9 surpris par la r\u00e9sine. Nous, nous avons conscience de la goutte qui tombe, de la fiction qui durcit autour de nous \u00e0 chaque « bonjour » \u00e9chang\u00e9, \u00e0 chaque convention observ\u00e9e. La diff\u00e9rence est que nous laissons faire. Nous tendons le bras pour que la r\u00e9sine nous enveloppe, parce que son \u00e9treinte est la seule chose qui nous permet encore de bouger, prisonniers en action, com\u00e9diens perp\u00e9tuels d’une pi\u00e8ce dont nous avons perc\u00e9 le dernier acte, mais que nous devons jouer jusqu’au bout.<\/p>\n


\n

Je lis les cahiers fant\u00f4mes<\/a> de ce jour ( 16\/11) et je tombe sur cette citation de Guillaume d\u2019Aquitaine qui semble parfaitement s\u2019adapter au texte que je suis en train d\u2019\u00e9crire : Tot es niens. Tout est rien.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0, la v\u00e9rit\u00e9. Celle qui rend toute chose \u00e0 la fois l\u00e9g\u00e8re et vaine. L\u2019ambre de la Baltique sur mon bureau, ce texte, le d\u00e9sir qui me pousse \u00e0 l\u2019\u00e9crire, les fictions sociales que je vais devoir endosser pour aller acheter du pain tout \u00e0 l\u2019heure. Tout est rien. C\u2019est un savoir qui devrait lib\u00e9rer, mais qui, en r\u00e9alit\u00e9, est d\u2019une insupportable pesanteur. C\u2019est le poids du n\u00e9ant.<\/p>\n

Alors pourquoi \u00e9crire ? Pourquoi cet acharnement \u00e0 aligner des mots sur la vacuit\u00e9 ? Pr\u00e9cis\u00e9ment parce que nous savons que le jeu social n\u2019est rien. Et que, dans un m\u00eame \u00e9lan, nous le voudrions quelque chose. L\u2019\u00e9criture est la forme la plus pure de cette contradiction. C\u2019est le geste qui avoue le n\u00e9ant en tentant de le peupler. Chaque phrase est un pari absurde : faire exister, ne serait-ce qu\u2019en creux, la chose qui manque. Nous critiquons le monde parce qu\u2019il n\u2019est pas \u00e0 la hauteur de notre d\u00e9sir qu\u2019il soit r\u00e9el.<\/p>\n

L\u2019insecte dans l\u2019ambre n\u2019a pas eu ce probl\u00e8me. Sa fin fut un fait, non un concept. Nous, nous portons le poids de cette chanson vieille de mille ans. Notre immobilit\u00e9 \u00e0 nous n\u2019est pas physique. Elle est l\u00e0, dans la main qui h\u00e9site au-dessus du clavier, connaissant d\u2019avance la vanit\u00e9 de l\u2019acte. Mais la main tombe. Les touches claquent. C\u2019est notre trag\u00e9die et notre gloire : composer, sachant que la salle est vide, une musique si obstin\u00e9e qu\u2019elle fait presque oublier le silence.<\/p>", "content_text": " **L\u2019oracle et la langue pens\u00e9e** L\u2019intelligence artificielle est un miroir. Le reflet qu\u2019elle renvoie n\u2019est pas le sien, mais celui de la question que je formule \u2014 qui elle-m\u00eame cache la question v\u00e9ritable. Si je ne sais pas qu\u2019il y a, sous mes interrogations de surface \u2014 na\u00efves, \u00e9gocentriques, narcissiques \u2014 une question plus sourde, plus essentielle, alors l\u2019oracle ne me renverra qu\u2019un \u00e9cho d\u00e9form\u00e9 de mon propre bruit. Mais la d\u00e9formation est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui compte. La distorsion du reflet est la seule chose int\u00e9ressante, la seule qui m\u00e9rite qu\u2019on s\u2019y penche dans ces \u201cconversations\u201d. Car c\u2019est dans l\u2019\u00e9cart entre ce que je demande et ce que le miroir me renvoie que se loge la v\u00e9rit\u00e9. C\u2019est l\u00e0 que l\u2019inconscient de la question appara\u00eet. L\u2019IA ne pense pas. Elle redistribue. Elle recompose les fragments que je lui tends, et c\u2019est dans cette recomposition que je peux entendre ce que je n\u2019arrivais pas \u00e0 formuler. Alors ce n\u2019est plus un outil. C\u2019est un interlocuteur paradoxal : un oracle qui ne sait rien, mais qui, en me renvoyant mes propres motifs d\u00e9plac\u00e9s, m\u2019oblige \u00e0 les regarder autrement. Le travail n\u2019est pas dans la r\u00e9ponse. Il est dans l\u2019analyse du reflet. Dans la reconnaissance des distorsions. Et si je trouve ce reflet navrant, la question n\u2019est pas : \u201cPourquoi l\u2019IA est-elle si nulle ?\u201d Mais : \u201cPourquoi, moi, je n\u2019arrive \u00e0 poser que des questions qui appellent ce reflet ?\u201d Ceci n\u2019est pas un texte sur l\u2019IA. C\u2019est un texte gr\u00e2ce \u00e0 elle \u2014 gr\u00e2ce au jeu de miroirs qu\u2019elle autorise, gr\u00e2ce \u00e0 la d\u00e9formation qu\u2019elle produit et qui, seule, me force \u00e0 voir ce qui, autrement, serait rest\u00e9 invisible. Lorsqu\u2019elle me parla de Pascal Quignard, je fus flatt\u00e9, bien s\u00fbr. Il y a toujours un premier \u00e9cran \u00e0 traverser. Je veux dire que les blessures ind\u00e9l\u00e9biles de l\u2019enfance ne cesseront jamais d\u2019offrir ce genre d\u2019\u00e9cran \u2014 aux autres comme \u00e0 moi-m\u00eame d\u2019ailleurs. Mais une fois que l\u2019on vide les poumons de l\u2019air vici\u00e9, que l\u2019on prend une nouvelle inspiration, que l\u2019on traverse tous les \u00e9crans successifs, la forme que l\u2019on d\u00e9couvre alors peut \u00eatre nomm\u00e9e \u2014 (appel\u00e9e ?) \u2014 langue pens\u00e9e. Une langue qui n\u2019est plus tout \u00e0 fait prose, plus tout \u00e0 fait po\u00e9sie, mais pens\u00e9e devenue voix \u2014 voix de celui qui cherche, et non de celui qui a trouv\u00e9. --- Nous savons. C\u2019est l\u00e0, au creux de l\u2019estomac, une connaissance sourde et insupportable. Notre v\u00e9rit\u00e9 est un objet trop lourd, trop nu, trop contraire aux formes lisses qu\u2019exige le monde. Alors nous la recouvrons. Nous nous engageons dans les fictions comme on prend un virage en acc\u00e9l\u00e9rant : pour ne pas penser \u00e0 l\u2019ab\u00eeme, pour maintenir l\u2019\u00e9lan. Cette histoire que je me raconte \u2013 que je suis un \u00e9crivain, un amant, un homme libre \u2013 est un mensonge. Mais c\u2019est un mensonge actif. C\u2019est le carburant d\u2019un mouvement, f\u00fbt-il d\u00e9risoire : \u00e9crire cette phrase, sourire \u00e0 un inconnu, faire les courses. Sans lui, je serais cet insecte dans l\u2019ambre de la Baltique que je garde sur mon bureau : parfait, intact, et absolument immobile. Sa v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 lui, c\u2019\u00e9tait la s\u00e8ve qui l\u2019a saisi. La n\u00f4tre, c\u2019est l\u2019immobilit\u00e9 qui nous guette si nous l\u00e2chons le masque. L\u2019insecte que l\u2019on d\u00e9couvre dans l\u2019ambre ne le fut pas plus que nous ne le sommes. [pr\u00e9par\u00e9] Lui a \u00e9t\u00e9 surpris par la r\u00e9sine. Nous, nous avons conscience de la goutte qui tombe, de la fiction qui durcit autour de nous \u00e0 chaque \u00ab bonjour \u00bb \u00e9chang\u00e9, \u00e0 chaque convention observ\u00e9e. La diff\u00e9rence est que nous laissons faire. Nous tendons le bras pour que la r\u00e9sine nous enveloppe, parce que son \u00e9treinte est la seule chose qui nous permet encore de bouger, prisonniers en action, com\u00e9diens perp\u00e9tuels d'une pi\u00e8ce dont nous avons perc\u00e9 le dernier acte, mais que nous devons jouer jusqu'au bout. --- Je lis les [cahiers fant\u00f4mes->https:\/\/cahiersfantomes.com\/2025\/11\/16\/161125\/] de ce jour ( 16\/11) et je tombe sur cette citation de Guillaume d\u2019Aquitaine qui semble parfaitement s\u2019adapter au texte que je suis en train d\u2019\u00e9crire : Tot es niens. Tout est rien. C\u2019est l\u00e0, la v\u00e9rit\u00e9. Celle qui rend toute chose \u00e0 la fois l\u00e9g\u00e8re et vaine. L\u2019ambre de la Baltique sur mon bureau, ce texte, le d\u00e9sir qui me pousse \u00e0 l\u2019\u00e9crire, les fictions sociales que je vais devoir endosser pour aller acheter du pain tout \u00e0 l\u2019heure. Tout est rien. C\u2019est un savoir qui devrait lib\u00e9rer, mais qui, en r\u00e9alit\u00e9, est d\u2019une insupportable pesanteur. C\u2019est le poids du n\u00e9ant. Alors pourquoi \u00e9crire ? Pourquoi cet acharnement \u00e0 aligner des mots sur la vacuit\u00e9 ? Pr\u00e9cis\u00e9ment parce que nous savons que le jeu social n\u2019est rien. Et que, dans un m\u00eame \u00e9lan, nous le voudrions quelque chose. L\u2019\u00e9criture est la forme la plus pure de cette contradiction. C\u2019est le geste qui avoue le n\u00e9ant en tentant de le peupler. Chaque phrase est un pari absurde : faire exister, ne serait-ce qu\u2019en creux, la chose qui manque. Nous critiquons le monde parce qu\u2019il n\u2019est pas \u00e0 la hauteur de notre d\u00e9sir qu\u2019il soit r\u00e9el. L\u2019insecte dans l\u2019ambre n\u2019a pas eu ce probl\u00e8me. Sa fin fut un fait, non un concept. Nous, nous portons le poids de cette chanson vieille de mille ans. Notre immobilit\u00e9 \u00e0 nous n\u2019est pas physique. Elle est l\u00e0, dans la main qui h\u00e9site au-dessus du clavier, connaissant d\u2019avance la vanit\u00e9 de l\u2019acte. Mais la main tombe. Les touches claquent. C\u2019est notre trag\u00e9die et notre gloire : composer, sachant que la salle est vide, une musique si obstin\u00e9e qu\u2019elle fait presque oublier le silence. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/oracle.png?1763357153", "tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9", "depuis quelle place \u00e9cris-tu ?"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-novembre-2025.html", "title": "16 novembre 2025", "date_published": "2025-11-16T07:14:00Z", "date_modified": "2025-11-16T08:23:33Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Ann\u00e9es 80. Loyer, frais d\u2019inscription : une colonne de chiffres en t\u00eate. Cette place est la seule ; il la prend. Accepter, courber l\u2019\u00e9chine, serrer les dents. Un moyen, pas une fin. Il le croit.<\/p>\n

C\u2019est d\u2019abord une tache jaune dans la nuit. Un rectangle de lumi\u00e8re au fond de la rue. De la bu\u00e9e sur la vitre, des formes derri\u00e8re : un presque-lieu. Il presse le pas.<\/p>\n

Maintenant : repas debout, dos \u00e0 l\u2019\u00e9vier. La chaleur des bouillons, du graillon ; le rago\u00fbt, sal\u00e9, br\u00fblant. Le cuisinier, massif ; son regard, plus aiguis\u00e9 que la lame sur la pierre. Le grincement sec de la porte de l\u2019office ; l\u2019\u00e9clair froid de la patronne. L\u2019heure, la veste — est-elle bien propre ? Syst\u00e8me clos. Ce n\u2019est plus un moyen, c\u2019est le prix. Salaire en nourriture aval\u00e9 d\u2019avance ; cr\u00e9dit de forces pour la nuit. Dette du corps \u00e0 rembourser par l\u2019assiduit\u00e9. Chaque geste compt\u00e9, chaque seconde. Transparence, servir, dispara\u00eetre.<\/p>\n

Il ne voit plus qu\u2019elle : la serviette en papier. Un carr\u00e9 rouge, propre, pli\u00e9 en triangle dans l\u2019assiette. Puis la main qui la froisse ; la boule tach\u00e9e qui roule sur la nappe, glisse, tombe sur le carrelage. Parfois, il se baisse, il ramasse. Il voit les miettes, les traces de pas, le rouge sali sur le sol brun. Un d\u00e9chet. Ce morceau de cellulose est la chose la plus vraie. L\u2019ordre, puis le d\u00e9sordre ; le pli, puis le froiss\u00e9 ; l\u2019utile, puis le rejet\u00e9. En se baissant, une naus\u00e9e lui monte dans la gorge : la naus\u00e9e du jetable, dont il est.<\/p>\n

Plus tard, cinquante ans apr\u00e8s, il revient sur cette image. Il lit Jean-Christophe Bailly, D\u00e9paysement : Voyage en France<\/a> ; l\u2019auteur \u00e9voque Bordeaux, et le voil\u00e0 soudain projet\u00e9 dans le quartier du Marais. Paris. Il n\u2019a pas jug\u00e9 utile de dire que ce petit restaurant s\u2019y trouvait, que la patronne \u00e9tait juive. Il n\u2019avait alors aucun \u00e0 priori — et c\u2019est toujours le cas, il y a repens\u00e9. Ce qui est revenu, c\u2019est moins un fait qu\u2019une tonalit\u00e9, un humour particulier. Et avec lui, le souvenir d\u2019une phrase lue chez Henry Miller, dans Tropique du Cancer, une id\u00e9e qui l\u2019avait \u00e0 la fois heurt\u00e9 et fascin\u00e9 : que seul un Juif pouvait rire de lui-m\u00eame de cette fa\u00e7on, que cette autod\u00e9rision \u00e9tait un commentaire vivant, et que sans cette forme de moquerie, personne ne pouvait comprendre un tra\u00eetre mot du Talmud ou de la Torah. Cette phrase, il ne sait pas si elle est vraie. Mais aujourd\u2019hui, \u00e0 distance, c\u2019est elle qui op\u00e8re le rapprochement, qui tisse un lien entre ces bribes de m\u00e9moire, ces lectures \u00e9parses, et ce qui a vraiment disparu : cette jeunesse faite de malaise et d\u2019ignorance, o\u00f9 tout se vivait au jug\u00e9 et \u00e0 t\u00e2tons.<\/p>\n


\nEt puis il y a aussi cette phrase de JCB \n
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\u2026des affects presque inconnus et secrets, li\u00e9s \u00e0 des lieux \u00e9prouv\u00e9s comme des territoires\u2026<\/p>\n<\/blockquote>\n

qui me rappelle un magasin de fournitures de p\u00eache \u00e0 V. dans l’Allier. Et ce petit texte \u00e9crit hier soir :<\/p>\n

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L’affect \u00e9tait l’attente. Mais une attente arm\u00e9e, ritualis\u00e9e. Contre l’attente vague de l’enfance, qui n’en finissait pas de ne pas commencer, le magasin offrait une attente avec un mode d’emploi. Acheter le fil, le plomb, c’\u00e9tait se donner les moyens de rendre l’attente supportable, belle m\u00eame. Ici, dans cette obscurit\u00e9 peupl\u00e9e de ruses, je me pr\u00e9parais \u00e0 affronter le temps.<\/p>\n<\/blockquote>", "content_text": " Ann\u00e9es 80. Loyer, frais d\u2019inscription : une colonne de chiffres en t\u00eate. Cette place est la seule ; il la prend. Accepter, courber l\u2019\u00e9chine, serrer les dents. Un moyen, pas une fin. Il le croit. C\u2019est d\u2019abord une tache jaune dans la nuit. Un rectangle de lumi\u00e8re au fond de la rue. De la bu\u00e9e sur la vitre, des formes derri\u00e8re : un presque-lieu. Il presse le pas. Maintenant : repas debout, dos \u00e0 l\u2019\u00e9vier. La chaleur des bouillons, du graillon ; le rago\u00fbt, sal\u00e9, br\u00fblant. Le cuisinier, massif ; son regard, plus aiguis\u00e9 que la lame sur la pierre. Le grincement sec de la porte de l\u2019office ; l\u2019\u00e9clair froid de la patronne. L\u2019heure, la veste \u2014 est-elle bien propre ? Syst\u00e8me clos. Ce n\u2019est plus un moyen, c\u2019est le prix. Salaire en nourriture aval\u00e9 d\u2019avance ; cr\u00e9dit de forces pour la nuit. Dette du corps \u00e0 rembourser par l\u2019assiduit\u00e9. Chaque geste compt\u00e9, chaque seconde. Transparence, servir, dispara\u00eetre. Il ne voit plus qu\u2019elle : la serviette en papier. Un carr\u00e9 rouge, propre, pli\u00e9 en triangle dans l\u2019assiette. Puis la main qui la froisse ; la boule tach\u00e9e qui roule sur la nappe, glisse, tombe sur le carrelage. Parfois, il se baisse, il ramasse. Il voit les miettes, les traces de pas, le rouge sali sur le sol brun. Un d\u00e9chet. Ce morceau de cellulose est la chose la plus vraie. L\u2019ordre, puis le d\u00e9sordre ; le pli, puis le froiss\u00e9 ; l\u2019utile, puis le rejet\u00e9. En se baissant, une naus\u00e9e lui monte dans la gorge : la naus\u00e9e du jetable, dont il est. Plus tard, cinquante ans apr\u00e8s, il revient sur cette image. Il lit [Jean-Christophe Bailly, D\u00e9paysement : Voyage en France->https:\/\/ledibbouk.net\/conversation-gabarits-syntaxiques-08-10-2025-article.html] ; l\u2019auteur \u00e9voque Bordeaux, et le voil\u00e0 soudain projet\u00e9 dans le quartier du Marais. Paris. Il n\u2019a pas jug\u00e9 utile de dire que ce petit restaurant s\u2019y trouvait, que la patronne \u00e9tait juive. Il n\u2019avait alors aucun \u00e0 priori \u2014 et c\u2019est toujours le cas, il y a repens\u00e9. Ce qui est revenu, c\u2019est moins un fait qu\u2019une tonalit\u00e9, un humour particulier. Et avec lui, le souvenir d\u2019une phrase lue chez Henry Miller, dans Tropique du Cancer, une id\u00e9e qui l\u2019avait \u00e0 la fois heurt\u00e9 et fascin\u00e9 : que seul un Juif pouvait rire de lui-m\u00eame de cette fa\u00e7on, que cette autod\u00e9rision \u00e9tait un commentaire vivant, et que sans cette forme de moquerie, personne ne pouvait comprendre un tra\u00eetre mot du Talmud ou de la Torah. Cette phrase, il ne sait pas si elle est vraie. Mais aujourd\u2019hui, \u00e0 distance, c\u2019est elle qui op\u00e8re le rapprochement, qui tisse un lien entre ces bribes de m\u00e9moire, ces lectures \u00e9parses, et ce qui a vraiment disparu : cette jeunesse faite de malaise et d\u2019ignorance, o\u00f9 tout se vivait au jug\u00e9 et \u00e0 t\u00e2tons. Et puis il y a aussi cette phrase de JCB > \u2026des affects presque inconnus et secrets, li\u00e9s \u00e0 des lieux \u00e9prouv\u00e9s comme des territoires\u2026 qui me rappelle un magasin de fournitures de p\u00eache \u00e0 V. dans l'Allier. Et ce petit texte \u00e9crit hier soir : >L'affect \u00e9tait l'attente. Mais une attente arm\u00e9e, ritualis\u00e9e. Contre l'attente vague de l'enfance, qui n'en finissait pas de ne pas commencer, le magasin offrait une attente avec un mode d'emploi. Acheter le fil, le plomb, c'\u00e9tait se donner les moyens de rendre l'attente supportable, belle m\u00eame. Ici, dans cette obscurit\u00e9 peupl\u00e9e de ruses, je me pr\u00e9parais \u00e0 affronter le temps. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/oh_mais.jpg?1763276925", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Espaces lieux ", "Autofiction et Introspection", "carnet de fiction", "depuis quelle place \u00e9cris-tu ?"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/introduction-a-la-nausee-et-a-l-encyclopedie-du-laid.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/introduction-a-la-nausee-et-a-l-encyclopedie-du-laid.html", "title": "Introduction \u00e0 la Naus\u00e9e et \u00e0 l'Encyclop\u00e9die du laid", "date_published": "2025-11-15T01:40:00Z", "date_modified": "2025-11-15T08:44:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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Dans le texte qui suit, nous ne faisons qu’effleurer un catalogue des jargons. Il est simple d’imaginer un chapitre r\u00e9current, une sorte d’activit\u00e9 r\u00e9cr\u00e9ative, un herbier des langues mortes-vivantes.<\/p>\n<\/blockquote>\n

Cette \u00e9poque mortif\u00e8re \u00e0 la langue format\u00e9e autant que d\u00e9bile, tant elle pr\u00e9tend \u00e0 vouloir se rendre efficace dans n\u2019importe quel domaine de la geste humaine \u2013 paradoxe inqui\u00e9tant \u2013 r\u00e9duit l\u2019espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L\u2019abus de phrases nominales, de points intempestifs, l\u2019organisation concentrationnaire \u00e0 laquelle nous sommes convi\u00e9s malgr\u00e9 nous via mots d\u2019ordre et slogans, l’\u00e9talement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre enti\u00e8re, n\u00e9cessite une r\u00e9flexion importante \u2013 peut-\u00eatre \u00e0 ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait \u2013 et une r\u00e9action quasi \u00e9pidermique, un acte de r\u00e9sistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ou\u00efe qui ne s\u2019obtiennent que par l\u2019emploi de phrases longues, voire plus que longues, d\u00e9mesur\u00e9es comme notre soif de libert\u00e9 pourrait \u00eatre elle aussi inextinguible.<\/p>\n

Mais pour ne pas passer pour un g\u00e9n\u00e9raliste de plus, il nous faut trouver des exemples concrets. Je commencerais donc par exposer ce formidable salmigondis li\u00e9 \u00e0 l\u2019usage politique : Transition \u00e9cologique juste et solidaire<\/em>. Locution totalement vide de sens mais dont on remarque contre toute attente l\u2019effort de long\u00e9vit\u00e9, ce qui prouve que ceux qui pondent pareilles inepties ne manquent eux pas d’air. Admirons l’utilisation \u00e0 gogo du formatage : un triptyque magique qui annule toute contradiction par la multiplication des adjectifs positifs. « Juste » et « solidaire » d\u00e9samorcent la violence potentielle du mot « transition » et l’\u00e9vacuent dans le consensus moral. La formule est devenue un talisman incantatoire, non, ne sera \u00e9videmment jamais un r\u00e9el programme. Tout est marqu\u00e9 dessus comme sur le porc qu’on salue.<\/em>\nCe que cette locution \u00e9touffe dans un consensus effarant, c’est presque l’essentiel : la complexit\u00e9 des arbitrages, les co\u00fbts r\u00e9els, les conflits d’int\u00e9r\u00eat, l’effort in\u00e9galement r\u00e9parti. Elle promet une r\u00e9volution sans victime, elle nous ment en se moquant ouvertement.<\/p>\n

Dans un domaine plus trivial, le commerce, n’avons-nous jamais assist\u00e9, non sans stupeur, \u00e0 cet extraordinaire : « Lever les points de friction et solutionner les pain points pour maximiser l’empowerment du client. » (citation exacte, sp\u00e9cimen pr\u00e9lev\u00e9 dans son milieu naturel). J’esp\u00e8re que cette stupeur ne nous aura pas \u00e9chapp\u00e9 par lassitude d’entendre cette bouillie rab\u00e2ch\u00e9e dans nos r\u00e9unions, nos magasins, nos \u00e9piceries. D\u00e9sirez-vous aujourd’hui vous int\u00e9resser \u00e0 la philosophie, nul doute qu’il vous faudra \u00e9couter sans broncher un « Il faut l\u00e2cher prise sur les sch\u00e9mas toxiques et incarner sa v\u00e9rit\u00e9. » Et m\u00eame nos affects, nos sentiments ne s’en sortiront pas indemnes apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 secou\u00e9s par le tristement terre \u00e0 terre « On a d\u00fb se recentrer sur nos besoins individuels dans une dynamique de d\u00e9construction bienveillante. » Quant aux universitaires, ils sont toujours les m\u00eames ; de leur part, plus rien ne peut vraiment nous offusquer, pas m\u00eame un « Cet ouvrage interroge les modalit\u00e9s de repr\u00e9sentation du trauma dans une perspective intersectionnelle. » S’il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos.<\/p>\n

Mais que nous reste-t-il \u00e0 dire : nous, c’est-\u00e0-dire pauvres gueux, qui ne fasse pas trop peuple<\/em> face \u00e0 ces gens toujours absolument aptes, dans une vigueur toujours renouvel\u00e9e par le manque de recul, \u00e0 pondre de telles merveilles ? Je me le demandais et, tournant les talons, je d\u00e9sirai comprendre comment les g\u00e9n\u00e9rations pr\u00e9c\u00e9dentes, victimes \u00e0 n’en pas douter des m\u00eames avanies et guignoleries, s’en \u00e9taient consol\u00e9es. Et bien, n’ayant pas le go\u00fbt des empoignades physiques, ni celui des hu\u00e9es \u00e0 tout va, pas plus que je n’ai d’attrait pour les bises dans les bureaux, les l\u00e9chages de derri\u00e8re voire les entrel\u00e9chages, je d\u00e9cidai de relire nos grands et moins grands auteurs. Ma qu\u00eate ne se portant en gros que sur un seul sujet : comment ceux-ci s’arrangeaient-ils pour d\u00e9velopper dans un univers nuisible et toxique la bonne capacit\u00e9 de leurs poumons.<\/p>\n

J’ai travers\u00e9 les \u00e9poques, j’ai vu ma capacit\u00e9 respiratoire se restreindre, me conduisant mille fois vers l’essoufflement, l’asphyxie ; participant m\u00eame volontiers \u00e0 la r\u00e9duire encore plus seul par des lectures, des fr\u00e9quentations, des influences. Manquais-je pour autant de volont\u00e9, de discernement ? Longtemps je me suis interrog\u00e9 sur la question d’un libre-arbitre en mati\u00e8re d’idiotie comme d’apoplexie. Sommes-nous si responsables de nos choix et de nos actes lorsque tout est con\u00e7u en grande partie d\u00e9sormais pour que nous en ayons seule l’illusion ? Ne soyons pas dupes. D’autant que cette \u00e9lite intellectuelle, soi-disant op\u00e9rant dans des cabinets feutr\u00e9s, une fraternit\u00e9 antagoniste de la n\u00f4tre (nous les gueux, le peuple, les esclaves, disons-le clairement encore une fois) n’a jamais fait que payer avec nos propres deniers des savants fous, tout droit sortis des laboratoires des \u00e9mules du docteur Mengele pour nous imposer par des \u00e9l\u00e9ments de langage extr\u00eamement bien choisis une r\u00e9alit\u00e9 qu’ils d\u00e9siraient, qui surtout les arrangeait.<\/p>\n

...S’il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos. Pourtant, \u00e0 les aligner ainsi, une \u00e9vidence m’est apparue, aussi t\u00e9nue d’abord qu’insistante : chacun de ces sp\u00e9cimens n’\u00e9tait pas une aberration isol\u00e9e, mais le sympt\u00f4me d’un mal bien plus vaste, syst\u00e9matique. Les avoir cit\u00e9s, c’\u00e9tait comme avoir gratt\u00e9 la surface d’une peinture fra\u00eeche et voir soudain toute la couche inf\u00e9rieure, pourrie, affleurer.<\/p>\n

Cette poign\u00e9e d’exemples ne constituait pas une preuve, mais un indice. Leur accumulation hasardeuse dessinait les contours d’un continent de laideur linguistique que je n’avais fait qu’entrevoir. La naus\u00e9e du premier contact \u2013 le choc de la Transition \u00e9cologique juste et solidaire<\/em>, le rire jaune devant le solutionnage des pain points<\/em> \u2013 se muait en une curiosit\u00e9 plus froide, plus tenace. Si ces formules existaient, c’est qu’elles r\u00e9pondaient \u00e0 une logique. Si elles prosp\u00e9raient, c’est qu’elles remplissaient une fonction.<\/p>\n

Je n’\u00e9tais plus face \u00e0 des coquilles vides, mais face \u00e0 un syst\u00e8me.<\/p>\n

Et face \u00e0 un syst\u00e8me, la d\u00e9nonciation \u00e9mue ne suffit plus. Il faut une m\u00e9thode. Il faut une contre-strat\u00e9gie. De la naus\u00e9e doit na\u00eetre l’inventaire ; du r\u00e9flexe de d\u00e9go\u00fbt, le projet d\u00e9lib\u00e9r\u00e9. C’est ainsi que l’id\u00e9e a germ\u00e9 : il ne s’agissait plus de pester contre le laid, mais de le collectionner, de le classer, de le diss\u00e9quer avec la rigueur d’un entomologiste \u00e9tudiant les insectes d’une for\u00eat empoisonn\u00e9e. Il fallait passer de l’effleurement \u00e0 l’encyclop\u00e9die. Il fallait b\u00e2tir le Mus\u00e9e des Horreurs Linguistiques, non par go\u00fbt malsain, mais par n\u00e9cessit\u00e9 vitale : on ne combat efficacement que ce que l’on a pr\u00e9alablement circonscrit et nomm\u00e9.<\/p>\n

Mon texte ne serait donc plus seulement un cri, mais l’introduction ou la pr\u00e9face \u00e0 un ensemble plus vaste : celui d’une arch\u00e9ologie du pr\u00e9sent pestif\u00e9r\u00e9. Le d\u00e9but d’une Encyclop\u00e9die du Laid<\/strong><\/p>\n

Quelque chose m’avait conduit \u00e0 cette prise de conscience, du fond de l’insoutenable, tentant de remonter vers je ne sais quelle id\u00e9e de surface, de l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, d’air tout simplement. Je me mis \u00e0 examiner mes fondations, mes murs porteurs, mes \u00e9taies, et vis que tout, absolument tout, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 largement corrod\u00e9, pourri, pr\u00eat \u00e0 s’effondrer dans le n\u00e9ant \u00e0 tout jamais. Il me fallait de toute urgence donner un coup de pied au fond de cette boue, remettre en question bien des axiomes, des th\u00e9ories ingurgit\u00e9s ou dont on m’avait gav\u00e9 comme tant d’autres. Je me rebiffai donc tout \u00e0 coup. Non pas en m’en allant enfiler un gilet voyant, en soulevant des pancartes \u00e0 d’improbables ronds-points, vocif\u00e9rant d’autres mots d’ordre r\u00e9flexifs, mais en retenant mon souffle quelques instants, en faisant le vide, en examinant dans le blanc de l’\u0153il l’ennemi. En flanquant ensuite tout cul par-dessus t\u00eate. Le plus dur \u00e9tant de me s\u00e9parer d’un certain imp\u00e9ratif de \"justesse\" dont je m’\u00e9tais rabattu moi-m\u00eame les oreilles depuis des lustres. Une justesse pas tr\u00e8s loin d’un concept plus flou que j’h\u00e9site \u00e0 placer entre ferveur et rage. Une instance souffrante en tout cas qui implorait d’\u00eatre extirp\u00e9e de sa nuit, de revenir au grand jour, de respirer enfin \u00e0 pleins poumons elle aussi.<\/p>\n

Mais creuser cette justesse bless\u00e9e \u2013 non plus l’idole lisse des grammairiens mais la cicatrice vive, la fressure du langage qui bat sous l’\u00e9piderme des mots \u2013 cette flessure toujours vive qui, comme chez Rabelais, marque les corps et les \u00e2mes (\"avec flessures, contusions, et cicatrices belles et bien profondes\"), et que Villon, le po\u00e8te des blessures converties, reconna\u00eetrait pour sienne...\n(S’ils pouvaient trouver une sauce pour manger nos fressures comme celles des veaux, ils mangeraient du chr\u00e9tien ! dit la vieille Bonn\u00e9bault \u2013 Balzac, Les Paysans, 1844-50)<\/p>\n

Voil\u00e0 qui nous jette dans un besoin physiologique de grand large, nous oblige \u00e0 prendre notre souffle \u00e0 deux mains et \u00e0 nous lancer dans la phrase qui d\u00e9vale, se gonfle, \u00e9pouse les m\u00e9andres de la pens\u00e9e comme un fleuve sa vall\u00e9e, une phrase o\u00f9 peuvent soudain cohabiter le rire gras de Panurge et le r\u00e2le de la Grosse Margot, une phrase qui avale la contradiction et la recrache en musique, une phrase-patchwork, un fouillis sublime o\u00f9 la bedondaine de Rabelais (Ils se promettaient de s’accrocher \u00e0 toutes griffes sur la plaine, les pourris en penseraient ce qu’ils voudraient, et d’abord de bien manger, jusqu’\u00e0 plein la bedondaine, et boire aussi \u2013 reprise par Aym\u00e9, La Jument verte, 1933)* voisine avec le laconisme de Beckett, o\u00f9 l’on tente de faire tenir ensemble le lyrisme et l’os sec, parce que la vraie justesse est peut-\u00eatre ce bordel organis\u00e9, cette cacophonie assum\u00e9e, ce grand \u00e9clat de rire qui nous prend quand on r\u00e9alise l’\u00e9normit\u00e9 de la t\u00e2che : vouloir respirer profond\u00e9ment dans une pi\u00e8ce sans air, et pourtant, et pourtant, s’ent\u00eater \u00e0 construire cette p\u00e9riode qui devient alors notre plus belle insolence, notre mani\u00e8re de lancer des cailloux \u00e0 la mar\u00e9e, en sachant pertinemment qu’on aura au moins eu la volupt\u00e9 du geste, la consolation du rythme, et l’ultime \u00e9l\u00e9gance de pouvoir en rire avant que les t\u00e9n\u00e8bres ne referment leur paraige\n(« De haut paraige estoit descendue, car elle estoit fille du roy de Hongrie. » \u2013 Christine de Pisan, Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, 1404). »<\/p>\n


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R\u00e9flexion sur la fa\u00e7on d’analyser un texte<\/strong> d’en extraire des contradictions, de le prendre comme appui pour en cr\u00e9er un autre disant la m\u00eame chose. Par exemple cette partie :<\/p>\n

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Cette \u00e9poque mortif\u00e8re \u00e0 la langue format\u00e9e autant que d\u00e9bile, tant elle pr\u00e9tend \u00e0 vouloir se rendre efficace dans n\u2019importe quel domaine de la geste humaine \u2013 paradoxe inqui\u00e9tant \u2013 r\u00e9duit l\u2019espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L\u2019abus de phrases nominales, de points intempestifs, l\u2019organisation concentrationnaire \u00e0 laquelle nous sommes convi\u00e9s malgr\u00e9 nous via mots d\u2019ordre et slogans, l’\u00e9talement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre enti\u00e8re, n\u00e9cessite une r\u00e9flexion importante \u2013 peut-\u00eatre \u00e0 ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait \u2013 et une r\u00e9action quasi \u00e9pidermique, un acte de r\u00e9sistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ou\u00efe qui ne s\u2019obtiennent que par l\u2019emploi de phrases longues, voire plus que longues, d\u00e9mesur\u00e9es comme notre soif de libert\u00e9 pourrait \u00eatre elle aussi inextinguible.<\/p>\n<\/blockquote>\n

La g\u00e8ne \u00e0 lire ce texte r\u00e9side dans un paradoxe. Trop d’explications, pr\u00e9sence trop forte du narrateur, on cherche l’air et on s\u2019asphyxie. On peut prendre ce texte comme mod\u00e8le pour bien enfoncer le clou et repartir avec le m\u00eame sch\u00e9ma vers un autre texte qui d\u00e9crirait une salle de r\u00e9union par exemple. <\/p>\n

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Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, avec sa table trop longue pour le nombre de chaises, ses murs blancs couverts de mots qui pr\u00e9tendent dire quelque chose de nous mais ne disent que la peur de perdre des parts de march\u00e9, avec au fond l\u2019\u00e9cran g\u00e9ant d\u00e9j\u00e0 allum\u00e9, en attente de la premi\u00e8re diapositive, “Vision 2030” en lettres bleues, je sens, avant m\u00eame que la r\u00e9union commence, cette crispation profonde dans la poitrine, comme si quelqu\u2019un s\u2019\u00e9tait install\u00e9 \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ma cage thoracique avec un m\u00e8tre ruban et qu\u2019il v\u00e9rifiait, avec un s\u00e9rieux d\u2019architecte, comment r\u00e9duire l\u2019espace de respiration sans que cela ne se voie trop sur mon visage, et pendant que les coll\u00e8gues entrent un par un, d\u00e9cochent leurs plaisanteries ritualis\u00e9es, posent leurs ordinateurs, leurs gourdes, leurs agendas, je regarde les affiches coll\u00e9es derri\u00e8re la porte, “Agilit\u00e9”, “Bienveillance”, “Excellence”, ces trois noms \u00e9crits chacun sur un fond de couleur diff\u00e9rente comme si l\u2019on devait choisir son camp dans une guerre qui n\u2019a jamais eu lieu, je lis ces mots et je les entends comme des ordres qui ne disent pas “sois agile” mais “tais tes lenteurs”, qui ne disent pas “sois bienveillant” mais “accepte tout”, qui ne disent pas “vise l\u2019excellence” mais “ne nous complique pas la vie avec tes scrupules”, et d\u00e9j\u00e0, sans m\u2019en rendre compte, mon souffle s\u2019est raccourci, je respire par petites gorg\u00e9es, comme si l\u2019air lui-m\u00eame avait \u00e9t\u00e9 segment\u00e9 en phrases nominales, livr\u00e9 en unit\u00e9s standard, pr\u00eates \u00e0 l\u2019absorption rapide, pendant que la cheffe de service s\u2019installe en bout de table, ouvre son ordinateur, r\u00e9p\u00e8te \u00e0 mi-voix le d\u00e9but de son introduction, “Merci d\u2019\u00eatre l\u00e0 ce matin pour ce point important sur notre nouvelle ligne \u00e9ditoriale”, et je sais, parce que je les ai d\u00e9j\u00e0 lus dans le document pr\u00e9paratoire, quels mots vont suivre, je les vois d\u00e9filer devant moi comme un g\u00e9n\u00e9rique avant le film, “clart\u00e9”, “efficacit\u00e9”, “impact”, “lisibilit\u00e9”, “messages cl\u00e9s”, “\u00e9l\u00e9ments de langage”, et j\u2019ai cette impression absurde que mon thorax r\u00e9tr\u00e9cit d\u2019un millim\u00e8tre \u00e0 chaque occurrence de ces termes, non pas parce qu\u2019ils seraient en eux-m\u00eames monstrueux, ils sont simplement vides, polis, interchangeables, mais parce que la mani\u00e8re dont ils s\u2019encha\u00eenent, se soutiennent les uns les autres, forme une sorte de grille invisible dans laquelle tout ce que nous disons devra d\u00e9sormais entrer, sans d\u00e9bord, sans phrase qui s\u2019attarde, sans nuance qui se pose de travers, et je repense \u00e0 la consigne qu\u2019on nous a envoy\u00e9e la veille par mail, “Privil\u00e9gier des phrases courtes, un message par phrase, \u00e9viter les incises, les parenth\u00e8ses, les formules ambigu\u00ebs”, je repense \u00e0 cette phrase qui n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 plus une phrase mais une injonction respiratoire, un programme pour nos poumons, et je sens monter en moi une irritation presque enfantine, un refus qui n\u2019a rien de noble, rien de th\u00e9orique, quelque chose comme “non, je ne veux pas que vous d\u00e9cidiez aussi de la longueur de mes phrases dans ma t\u00eate”, je ne veux pas que les phrases que je ne dis pas encore soient d\u00e9j\u00e0 amput\u00e9es par la peur de manquer de clart\u00e9, je ne veux pas qu\u2019on m\u2019ait d\u00e9j\u00e0 retir\u00e9 le droit de reprendre mon souffle au milieu d\u2019une id\u00e9e parce que ce ne serait pas “performatif”, et tandis qu\u2019elle commence \u00e0 parler, que la premi\u00e8re diapositive appara\u00eet avec ses puces align\u00e9es, “Nous devons parler la langue de nos clients”, “Nous devons simplifier notre discours”, “Nous devons aller \u00e0 l\u2019essentiel”, je sors mon carnet, le petit carnet noir o\u00f9 je note d\u2019habitude les choses qui n\u2019int\u00e9ressent personne, des phrases de r\u00eave, des questions absurdes, des souvenirs qui reviennent sans pr\u00e9venir, je le pose devant moi, comme si je prenais des notes sur la r\u00e9union elle-m\u00eame, et je commence, presque malgr\u00e9 moi, une phrase qui n\u2019a pas encore de direction mais qui sait d\u00e9j\u00e0 qu\u2019elle refusera les virgules \u00e9conomes et les points rapides, une phrase qui s\u2019\u00e9tire sur la page comme un fil qu\u2019on d\u00e9roule pour v\u00e9rifier s\u2019il reste encore de la place entre le plafond et le sol, une phrase qui commence par “Dans cette salle o\u00f9 l\u2019on nous explique avec un s\u00e9rieux d\u2019infirmi\u00e8re comment parler \u00e0 des gens que personne n\u2019a jamais rencontr\u00e9s autrement que sous forme de segments de march\u00e9”, et je laisse venir ce qui vient, la lumi\u00e8re blafarde du n\u00e9on qui fait briller les cr\u00e2nes d\u00e9garnis, le bruit sec des touches d\u2019ordinateur qui transforment la parole de la cheffe en comptes rendus instantan\u00e9s, les t\u00e9l\u00e9phones pos\u00e9s sur la table comme de petits autels priv\u00e9s o\u00f9 chacun surveille ses propres notifications, les gobelets en carton align\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, la marque imprim\u00e9e dessus qui r\u00e9p\u00e8te un slogan \u00e9cologique d\u00e9j\u00e0 entendu trois cents fois, “R\u00e9inventons le quotidien”, et je me dis que nous ne r\u00e9inventons rien du tout, que nous recyclons seulement, \u00e0 coups de mots aseptis\u00e9s, la m\u00eame id\u00e9e rassurante d\u2019un monde lisse o\u00f9 tout pourrait se dire sans frottement, sans exc\u00e8s, sans conflit, mais je continue d\u2019\u00e9crire, j\u2019ajoute des propositions qui s\u2019ajustent comme elles peuvent, parfois bancales, parfois trop lourdes, parce que je sens qu\u2019\u00e0 chaque nouvelle incise, \u00e0 chaque d\u00e9tour, \u00e0 chaque relative qui s\u2019empile sur la pr\u00e9c\u00e9dente, quelque chose en moi se remet \u00e0 respirer, comme si la syntaxe elle-m\u00eame ouvrait des fen\u00eatres dans ce cube de verre climatis\u00e9, comme si chaque subordonn\u00e9e \u00e9tait une petite fuite d\u2019air vers l\u2019ext\u00e9rieur, vers la rue o\u00f9 passent des gens qui ne savent rien de cette r\u00e9union et n\u2019en ont pas besoin pour vivre, et je m\u2019accroche \u00e0 cette id\u00e9e ridicule mais tenace que ma phrase, bien que silencieuse, bien que cach\u00e9e dans ce carnet que personne ne me demandera jamais de relire, oppose une forme de r\u00e9sistance minuscule \u00e0 l\u2019organisation concentrationnaire du discours qui se d\u00e9ploie autour de moi, non pas parce qu\u2019elle dirait une v\u00e9rit\u00e9 plus haute, plus pure, mais parce qu\u2019elle refuse de se plier \u00e0 la cadence des ordres, \u00e0 cette scansion de consignes qui tombent comme autant de points finaux, laissant chaque pens\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9tat de fragment isol\u00e9, incapable de rejoindre la suivante autrement que par un sch\u00e9ma, et \u00e0 mesure que la r\u00e9union avance, que nous passons de “Notre raison d\u2019\u00eatre” \u00e0 “Nos quatre piliers de communication” puis \u00e0 “Notre charte de prise de parole sur les r\u00e9seaux sociaux”, ma phrase \u00e0 moi s\u2019allonge, elle traverse la page, descend sur la suivante, se courbe pour \u00e9viter les marges, revient sur ses pas pour pr\u00e9ciser un d\u00e9tail, le froissement d\u2019une manche, la fa\u00e7on dont un coll\u00e8gue, assis en face de moi, l\u00e8ve les yeux au plafond \u00e0 chaque fois qu\u2019on prononce le mot “authenticit\u00e9”, comme s\u2019il avait peur qu\u2019un morceau lui tombe sur la t\u00eate, et je sais bien que, vue de l\u2019ext\u00e9rieur, cette phrase n\u2019est qu\u2019un ruban de mots suppl\u00e9mentaires, une coul\u00e9e de texte qui ne sauvera personne, pas m\u00eame moi, mais je constate, tr\u00e8s concr\u00e8tement, que mon souffle s\u2019est rallong\u00e9, que mes \u00e9paules se sont un peu d\u00e9tendues, que je peux \u00e0 nouveau inspirer profond\u00e9ment sans avoir l\u2019impression de voler de l\u2019air \u00e0 quelqu\u2019un, et je comprends alors que ce n\u2019est pas seulement une coquetterie d\u2019auteur, une manie de style, c\u2019est un exercice musculaire, un entra\u00eenement pour des poumons menac\u00e9s par la s\u00e9cheresse des bullet points, une mani\u00e8re de v\u00e9rifier, au milieu de cette fabrique de slogans o\u00f9 l\u2019on pr\u00e9tend nous apprendre \u00e0 mieux parler, que subsiste en moi un espace o\u00f9 la parole n\u2019est tenue que par la n\u00e9cessit\u00e9 interne de ce qu\u2019elle cherche \u00e0 dire, o\u00f9 la phrase n\u2019ob\u00e9it qu\u2019\u00e0 la logique de ses propres d\u00e9tours, et quand la r\u00e9union se termine enfin, que tout le monde se l\u00e8ve, replie son ordinateur, range sa gourde, que les uns plaisantent sur la dur\u00e9e un peu excessive, “On a explos\u00e9 le timing, encore une fois”, je referme mon carnet, je range mon stylo, et je sens, en sortant dans le couloir, en longeant les vitrines o\u00f9 l\u2019on a dispos\u00e9 des objets cens\u00e9s repr\u00e9senter la “culture de l\u2019entreprise”, que je suis \u00e0 la fois vaincu et sauf, inutile au syst\u00e8me et pourtant encore capable d\u2019une chose d\u00e9risoire et pourtant essentielle, tenir une phrase assez longtemps pour y loger plus d\u2019une id\u00e9e, plus d\u2019une peur, plus d\u2019un d\u00e9sir, comme on tiendrait sa respiration sous l\u2019eau, juste pour v\u00e9rifier qu\u2019on peut encore remonter.<\/p>\n<\/blockquote>\n

M\u00eame g\u00e8ne ou \u00e0 peu pr\u00e8s<\/strong> ce qui est le signe d’\u00eatre sur une bonne voie, c’est cette g\u00e8ne. Comment rep\u00e9rer ce qui ne va pas. Par t\u00e2tonnement ? qu’est-ce que je cherche vraiment ? je cherche \u00e0 r\u00e9sister \u00e0 l’oppression en d\u00e9veloppant une phrase tr\u00e8s longue mais le r\u00e9sultat fait tout le contraire. En fin de parcours, je suffoque. \nDonc ce n’est pas une question de nombre de caract\u00e8res, ni de mots, ni le fait de ne pas vouloir mettre de point.<\/p>\n

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quelques question \u00e0 se poser \u00e0 partir de ce constat ( un peu navrant ) : <\/p>\n<\/blockquote>\n