{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-novembre-2025.html", "title": "30 novembre 2025", "date_published": "2025-11-30T07:09:18Z", "date_modified": "2025-11-30T07:24:56Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Un tel se demande si \u00e9crire un journal est un travail. La question m\u2019agace, je la tourne en d\u00e9rision, mais elle reste l\u00e0. Si ce n\u2019est pas du travail au sens de l\u2019administration, qu\u2019est-ce que c\u2019est ? Une manie, une hygi\u00e8ne, un exercice de survie ? Je crois que je continue ce journal surtout pour ne pas avoir \u00e0 r\u00e9pondre. Tant que j\u2019\u00e9cris, la question reste en suspens ; si j\u2019arr\u00eatais, il faudrait d\u00e9cider si j\u2019abdique ou pas. En revenant sur 2019, je vois ce que le journal fabrique concr\u00e8tement : des questions laiss\u00e9es en plan qui se redressent \u00e0 chaque relecture. Des phrases, des sc\u00e8nes, des reproches qui reviennent vers moi comme de petites figures qu\u2019on a mal finies et oubli\u00e9es dans un coin. Chaque mois, j\u2019en reprends une, j\u2019enl\u00e8ve un peu de poussi\u00e8re, j\u2019ajoute trois mots, et elle se remet \u00e0 marcher. Mon “travail”, c\u2019est \u00e7a : entretenir ce petit peuple de questions plut\u00f4t que les laisser se figer.<\/p>\n
Si je devais le dire autrement, je prendrais une journ\u00e9e pr\u00e9cise. Ce dimanche, par exemple, au lieu de r\u00e9pondre \u00e0 la premi\u00e8re r\u00e9flexion d\u00e9sobligeante qui pointe — une remarque de plus sur ma fa\u00e7on de vivre, de travailler, ou de ne pas travailler justement —, je claque la porte, je descends \u00e0 l\u2019atelier, j\u2019ouvre le cahier. J\u2019aurais pu envoyer un texto \u00e0 S., d\u00e9rouler “ceci, cela, encore ceci et cela”, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 fait cent fois. Je sais que \u00e7a ne servirait qu\u2019\u00e0 rejouer la sc\u00e8ne \u00e0 l\u2019identique. Alors j\u2019\u00e9cris ici. C\u2019est une autre mani\u00e8re de tenir : d\u00e9placer la dispute de la bouche vers la page. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, ce n\u2019est pas du travail. Pourtant, de l\u2019int\u00e9rieur, \u00e7a y ressemble : \u00e7a revient, \u00e7a presse, \u00e7a fait mal par moments, et si je laisse passer trop de temps, \u00e7a se bloque. Si je dois parler de travail, je pense plut\u00f4t au travail d\u2019un accouchement : des contractions r\u00e9guli\u00e8res qui emp\u00eachent que tout se fige, qui forcent quelque chose \u00e0 sortir au lieu de se calcifier dans la t\u00eate. Tant que j\u2019\u00e9cris, je ne suis pas compl\u00e8tement affal\u00e9.<\/p>\n
En dessous, il y a la col\u00e8re. Pas une col\u00e8re spectaculaire, pas celle qui casse des assiettes, mais une chose sourde qui refuse de mourir. Il a fallu du temps pour accepter ce mot sans le maquiller : oui, c\u2019est vrai, ma col\u00e8re est tenace. Et rien que le fait de le dire la rend d\u00e9j\u00e0 un peu moins absolue. Le journal sert aussi \u00e0 \u00e7a : donner une forme \u00e0 ce qui, sinon, sortirait en injures, en silences lourds, en portes claqu\u00e9es sur les autres plut\u00f4t que sur moi.<\/p>\n
Plus tard, S. a re\u00e7u pour son anniversaire deux fois le m\u00eame livre : le Goncourt des lyc\u00e9ens, sans doute parce que sa derni\u00e8re pi\u00e8ce a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s pris\u00e9e. En ce moment elle vient d\u2019\u00eatre jou\u00e9e \u00e0 La R\u00e9union, cette semaine \u00e0 Villeurbanne. Tout \u00e7a s\u2019inscrit bien dans l\u2019air du temps : il faut d\u00e9river la col\u00e8re, la violence vers des faits concrets, appuy\u00e9s par des chiffres, des dossiers, des d\u00e9bats. Le th\u00e9\u00e2tre, la litt\u00e9rature surfent sur la vague. Je ne dis pas \u00e7a pour d\u00e9consid\u00e9rer qui que ce soit ; je me fais simplement la r\u00e9flexion \u00e0 mi-voix. L\u2019an prochain, on aura peut-\u00eatre des \u0153uvres sur les animaux de compagnie, les abattoirs, une gastronomie \u00e0 base de farine d\u2019insectes. Les sujets changent, la m\u00eame col\u00e8re cherche des issues “pr\u00e9sentables”.<\/p>\n
Ce que je redoute, en filigrane, est assez banal : la forme d\u2019abdication qui guette tant de corps pass\u00e9 un certain \u00e2ge. S\u2019affaisser devant la t\u00e9l\u00e9, hurler contre des marionnettes, avoir peur de tout, remplir son assiette pour ne plus rien sentir. Le journal ne me rend pas meilleur que ceux-l\u00e0, il m\u2019\u00e9vite juste de me raconter que je n\u2019y suis pour rien. Au lieu de crier sur l\u2019\u00e9cran, je note ce qui remue.<\/p>\n
On pourra bien dire qu\u2019\u00e9crire est une th\u00e9rapie, je n\u2019ai plus envie de discuter le mot. \u00c0 ce stade, tout le monde se soigne comme il peut : accepter un boulot \u00e0 la cha\u00eene, porter des charges d\u2019un rack \u00e0 l\u2019autre, se montrer, se vendre, parler pour les autres dans un micro, tout cela aide \u00e0 supporter quelque chose qu\u2019on ne veut pas regarder en face. Le journal est une de ces b\u00e9quilles, je l\u2019assume : la mienne consiste \u00e0 tracer une carte approximative de ma vie, de mes pens\u00e9es, de mes ratages, pour v\u00e9rifier que je n\u2019ai pas encore tout referm\u00e9.<\/p>\n
Pendant longtemps, j\u2019ai pris go\u00fbt \u00e0 d\u00e9ranger : \u00e9crire pour piquer, poster pour provoquer, parler pour mettre les autres mal \u00e0 l\u2019aise. C\u2019\u00e9tait ma mani\u00e8re de ne pas voir que ce qui m\u2019int\u00e9ressait vraiment, c\u2019\u00e9tait de me d\u00e9ranger moi, de d\u00e9placer mes propres meubles int\u00e9rieurs. Alors, \u00e9crire un journal, est-ce un travail ? Oui, mais pas celui qu\u2019on d\u00e9clare au fisc. C\u2019est un travail d\u2019accouchement modeste, une fa\u00e7on d\u2019accueillir la col\u00e8re sans la jeter \u00e0 la figure de tout le monde, et de retarder un peu l\u2019abdication. Pour le reste, la question reste ouverte : ai-je jamais \u00e9t\u00e9 rang\u00e9, et ces “autres” que j\u2019invoque sans cesse, le sont-ils vraiment plus que moi ?<\/p>", "content_text": " Un tel se demande si \u00e9crire un journal est un travail. La question m\u2019agace, je la tourne en d\u00e9rision, mais elle reste l\u00e0. Si ce n\u2019est pas du travail au sens de l\u2019administration, qu\u2019est-ce que c\u2019est ? Une manie, une hygi\u00e8ne, un exercice de survie ? Je crois que je continue ce journal surtout pour ne pas avoir \u00e0 r\u00e9pondre. Tant que j\u2019\u00e9cris, la question reste en suspens ; si j\u2019arr\u00eatais, il faudrait d\u00e9cider si j\u2019abdique ou pas. En revenant sur 2019, je vois ce que le journal fabrique concr\u00e8tement : des questions laiss\u00e9es en plan qui se redressent \u00e0 chaque relecture. Des phrases, des sc\u00e8nes, des reproches qui reviennent vers moi comme de petites figures qu\u2019on a mal finies et oubli\u00e9es dans un coin. Chaque mois, j\u2019en reprends une, j\u2019enl\u00e8ve un peu de poussi\u00e8re, j\u2019ajoute trois mots, et elle se remet \u00e0 marcher. Mon \u201ctravail\u201d, c\u2019est \u00e7a : entretenir ce petit peuple de questions plut\u00f4t que les laisser se figer. Si je devais le dire autrement, je prendrais une journ\u00e9e pr\u00e9cise. Ce dimanche, par exemple, au lieu de r\u00e9pondre \u00e0 la premi\u00e8re r\u00e9flexion d\u00e9sobligeante qui pointe \u2014 une remarque de plus sur ma fa\u00e7on de vivre, de travailler, ou de ne pas travailler justement \u2014, je claque la porte, je descends \u00e0 l\u2019atelier, j\u2019ouvre le cahier. J\u2019aurais pu envoyer un texto \u00e0 S., d\u00e9rouler \u201cceci, cela, encore ceci et cela\u201d, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 fait cent fois. Je sais que \u00e7a ne servirait qu\u2019\u00e0 rejouer la sc\u00e8ne \u00e0 l\u2019identique. Alors j\u2019\u00e9cris ici. C\u2019est une autre mani\u00e8re de tenir : d\u00e9placer la dispute de la bouche vers la page. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, ce n\u2019est pas du travail. Pourtant, de l\u2019int\u00e9rieur, \u00e7a y ressemble : \u00e7a revient, \u00e7a presse, \u00e7a fait mal par moments, et si je laisse passer trop de temps, \u00e7a se bloque. Si je dois parler de travail, je pense plut\u00f4t au travail d\u2019un accouchement : des contractions r\u00e9guli\u00e8res qui emp\u00eachent que tout se fige, qui forcent quelque chose \u00e0 sortir au lieu de se calcifier dans la t\u00eate. Tant que j\u2019\u00e9cris, je ne suis pas compl\u00e8tement affal\u00e9. En dessous, il y a la col\u00e8re. Pas une col\u00e8re spectaculaire, pas celle qui casse des assiettes, mais une chose sourde qui refuse de mourir. Il a fallu du temps pour accepter ce mot sans le maquiller : oui, c\u2019est vrai, ma col\u00e8re est tenace. Et rien que le fait de le dire la rend d\u00e9j\u00e0 un peu moins absolue. Le journal sert aussi \u00e0 \u00e7a : donner une forme \u00e0 ce qui, sinon, sortirait en injures, en silences lourds, en portes claqu\u00e9es sur les autres plut\u00f4t que sur moi. Plus tard, S. a re\u00e7u pour son anniversaire deux fois le m\u00eame livre : le Goncourt des lyc\u00e9ens, sans doute parce que sa derni\u00e8re pi\u00e8ce a \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s pris\u00e9e. En ce moment elle vient d\u2019\u00eatre jou\u00e9e \u00e0 La R\u00e9union, cette semaine \u00e0 Villeurbanne. Tout \u00e7a s\u2019inscrit bien dans l\u2019air du temps : il faut d\u00e9river la col\u00e8re, la violence vers des faits concrets, appuy\u00e9s par des chiffres, des dossiers, des d\u00e9bats. Le th\u00e9\u00e2tre, la litt\u00e9rature surfent sur la vague. Je ne dis pas \u00e7a pour d\u00e9consid\u00e9rer qui que ce soit ; je me fais simplement la r\u00e9flexion \u00e0 mi-voix. L\u2019an prochain, on aura peut-\u00eatre des \u0153uvres sur les animaux de compagnie, les abattoirs, une gastronomie \u00e0 base de farine d\u2019insectes. Les sujets changent, la m\u00eame col\u00e8re cherche des issues \u201cpr\u00e9sentables\u201d. Ce que je redoute, en filigrane, est assez banal : la forme d\u2019abdication qui guette tant de corps pass\u00e9 un certain \u00e2ge. S\u2019affaisser devant la t\u00e9l\u00e9, hurler contre des marionnettes, avoir peur de tout, remplir son assiette pour ne plus rien sentir. Le journal ne me rend pas meilleur que ceux-l\u00e0, il m\u2019\u00e9vite juste de me raconter que je n\u2019y suis pour rien. Au lieu de crier sur l\u2019\u00e9cran, je note ce qui remue. On pourra bien dire qu\u2019\u00e9crire est une th\u00e9rapie, je n\u2019ai plus envie de discuter le mot. \u00c0 ce stade, tout le monde se soigne comme il peut : accepter un boulot \u00e0 la cha\u00eene, porter des charges d\u2019un rack \u00e0 l\u2019autre, se montrer, se vendre, parler pour les autres dans un micro, tout cela aide \u00e0 supporter quelque chose qu\u2019on ne veut pas regarder en face. Le journal est une de ces b\u00e9quilles, je l\u2019assume : la mienne consiste \u00e0 tracer une carte approximative de ma vie, de mes pens\u00e9es, de mes ratages, pour v\u00e9rifier que je n\u2019ai pas encore tout referm\u00e9. Pendant longtemps, j\u2019ai pris go\u00fbt \u00e0 d\u00e9ranger : \u00e9crire pour piquer, poster pour provoquer, parler pour mettre les autres mal \u00e0 l\u2019aise. C\u2019\u00e9tait ma mani\u00e8re de ne pas voir que ce qui m\u2019int\u00e9ressait vraiment, c\u2019\u00e9tait de me d\u00e9ranger moi, de d\u00e9placer mes propres meubles int\u00e9rieurs. Alors, \u00e9crire un journal, est-ce un travail ? Oui, mais pas celui qu\u2019on d\u00e9clare au fisc. C\u2019est un travail d\u2019accouchement modeste, une fa\u00e7on d\u2019accueillir la col\u00e8re sans la jeter \u00e0 la figure de tout le monde, et de retarder un peu l\u2019abdication. Pour le reste, la question reste ouverte : ai-je jamais \u00e9t\u00e9 rang\u00e9, et ces \u201cautres\u201d que j\u2019invoque sans cesse, le sont-ils vraiment plus que moi ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20190820_102807.jpg?1764486338", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-novembre-2025.html", "title": "29 novembre 2025", "date_published": "2025-11-29T07:59:37Z", "date_modified": "2025-11-29T16:08:19Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
[...] \u00c7a montre un homme qui voit tr\u00e8s clair dans la logique du prestige contemporain \u2013 m\u00eame \u00e0 petite \u00e9chelle \u2013 et qui en est profond\u00e9ment \u00e9c\u0153ur\u00e9. Il a compris que l\u2019aura d\u2019un artiste ou d\u2019une figure publique est un capital constitu\u00e9 par les autres, par des « petits \u00e9pargnants » d\u2019attention et d\u2019argent, et que la tentation est grande de les « siphonner » via goodies et d\u00e9riv\u00e9s. En m\u00eame temps, il sait qu\u2019il n\u2019est pas compl\u00e8tement ext\u00e9rieur \u00e0 ce syst\u00e8me, qu\u2019en tant que peintre il pourrait \u2013 ou a d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9 \u00e0 \u2013 jouer ce jeu. L\u2019homme de 2019 est donc pris entre une lucidit\u00e9 critique forte et une position inconfortable : il juge ce commerce symbolique, s\u2019y sent impliqu\u00e9, et cherche une figure comme Diog\u00e8ne pour valider son d\u00e9go\u00fbt et sa volont\u00e9, au moins en paroles, de s\u2019en tenir \u00e0 distance.[...]<\/p>\n
-- ?<\/p>\n
[...] Parce que cette r\u00e9alit\u00e9 lui tombe pile l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a fait le plus mal : son orgueil et sa honte.<\/p>\n
\nest-ce que \u00e7a ne casse pas le fantasme d’exception : Il aime se raconter qu\u2019il est du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019art, de la recherche, de l\u2019ivresse “propre”. Or ce syst\u00e8me de micro-aura dit l\u2019inverse : tu as un nom, tu as des gens qui te suivent, donc tu es aussi une boutique potentielle. \u00c7a le renvoie \u00e0 Dali\u2013Lanvin, Gainsbourg\u2013billet, le peintre qui devient logo. Il d\u00e9couvre qu\u2019il n\u2019est pas “hors syst\u00e8me”, mais dedans.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\nne pas oublier Saint-Antoine mon petit bonhomme, la tentation : Elle le met face \u00e0 sa propre tentation.\nCe qui lui d\u00e9go\u00fbte, ce n\u2019est pas seulement les autres qui lancent des goodies, c\u2019est le fait qu\u2019il sent tr\u00e8s bien qu\u2019il pourrait le faire lui aussi. Qu\u2019il pourrait mon\u00e9tiser son aura, flatter un “petit fan-club”, vendre des morceaux de lui. Il ne supporte pas cette part de lui qui, quelque part, a envie d\u2019\u00eatre d\u00e9sir\u00e9e et d\u2019en vivre.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\nQu’est ce qui va rester de sacr\u00e9 si tu pi\u00e9tines \u00e7a aussi : va t’il pi\u00e9tiner sa repr\u00e9sentation sacr\u00e9e de l\u2019art.\nPour lui, la peinture, l\u2019\u00e9criture, c\u2019est li\u00e9 \u00e0 quelque chose de grave, de vital, presque chamanique. Donc voir \u00e7a : \nramen\u00e9 \u00e0 des “produits d\u00e9riv\u00e9s”, des “fonds de tiroirs”, c\u2019est comme voir profaner un lieu qu\u2019il tient pour sacr\u00e9. Il pr\u00e9f\u00e8re la figure de Diog\u00e8ne dans son tonneau \u00e0 celle du cr\u00e9ateur avec boutique en ligne.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\nLa r\u00e9alit\u00e9 c’est que les choses n’existent plus sans prix, la valeur est devenue le prix. Les “petits \u00e9pargnants”, ce sont des gens qui donnent temps, argent, attention. Il sait ce que c\u2019est que manquer. L\u2019id\u00e9e de vivre en pompant leur manque (de sens, de beaut\u00e9, de lien) lui est insupportable. Il y voit une forme de pr\u00e9dation affective et \u00e9conomique.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\nEt, derri\u00e8re tout \u00e7a, il y a sa vieille haine de lui-m\u00eame.\nPlus il comprend le m\u00e9canisme, plus il se voit comme quelqu\u2019un qui pourrait y c\u00e9der. Donc la lucidit\u00e9 tourne en auto-d\u00e9go\u00fbt : “je ne vaux pas mieux”. D\u2019o\u00f9 ce ton : pas seulement critique, mais presque naus\u00e9eux.<\/p>\n<\/blockquote>\n
[...] donc nous y voici : si le p\u00e9ch\u00e9 c’est l’erreur , on peut dire que lui p\u00e9che pas pure d\u00e9bilit\u00e9, il ne veux pas comprendre les r\u00e8gles de ce jeu ( je ), la v\u00e9rit\u00e9 c’est qu’il veut inventer les siennes. L’id\u00e9aliste rejoint le dictateur.<\/em><\/p>\n
\napr\u00e8s \u00e7a comment se taire le plus profond\u00e9ment possible, s’enterrer dans le silence, se p\u00e9trifier en silex, granit.<\/p>\n
[...] et ce n’\u00e9tait pas tant le honte que le d\u00e9gout auquel il fait face <\/p>\n
Plus tard dans ma messagerie<\/em><\/p>\n
\n[...]Y a-t-il sur Substack trop de verbiage de gens qui semblent avoir un inexplicable besoin de partager leur journal intime ? Certes. et un peu plus loin : Vous \u00eates actuellement un abonn\u00e9 gratuit \u00e0 Angle mort, par Steve Proulx. Pour profiter pleinement de l’exp\u00e9rience, am\u00e9liorez votre abonnement.<\/em> <\/p>\n<\/blockquote>\n
Ce m\u00e9pris pour les journaux intimes m’agace , d’o\u00f9 l’explicable raison : pas un radis \u00e0 ton bidule.<\/p>\n
Un peu plus tard, d\u00e9couverte de textes de Kafka par l’interm\u00e9diaire de F. Ce qui r\u00e9pond \u00e0 une enigme, notamment pour l’ann\u00e9e 1916 qui s’arr\u00e8te dans le Journal, \u00e9dition du Livre de Poche \u00e0 octobre. Les dates se poursuivent dans Cahiers in-octavo (1916-1918) traduits de l’allemand par Pierre Deshusses<\/a><\/p>", "content_text": " [...] \u00c7a montre un homme qui voit tr\u00e8s clair dans la logique du prestige contemporain \u2013 m\u00eame \u00e0 petite \u00e9chelle \u2013 et qui en est profond\u00e9ment \u00e9c\u0153ur\u00e9. Il a compris que l\u2019aura d\u2019un artiste ou d\u2019une figure publique est un capital constitu\u00e9 par les autres, par des \u00ab petits \u00e9pargnants \u00bb d\u2019attention et d\u2019argent, et que la tentation est grande de les \u00ab siphonner \u00bb via goodies et d\u00e9riv\u00e9s. En m\u00eame temps, il sait qu\u2019il n\u2019est pas compl\u00e8tement ext\u00e9rieur \u00e0 ce syst\u00e8me, qu\u2019en tant que peintre il pourrait \u2013 ou a d\u00e9j\u00e0 commenc\u00e9 \u00e0 \u2013 jouer ce jeu. L\u2019homme de 2019 est donc pris entre une lucidit\u00e9 critique forte et une position inconfortable : il juge ce commerce symbolique, s\u2019y sent impliqu\u00e9, et cherche une figure comme Diog\u00e8ne pour valider son d\u00e9go\u00fbt et sa volont\u00e9, au moins en paroles, de s\u2019en tenir \u00e0 distance.[...] \u2014 ? [...] Parce que cette r\u00e9alit\u00e9 lui tombe pile l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a fait le plus mal : son orgueil et sa honte. > est-ce que \u00e7a ne casse pas le fantasme d'exception : Il aime se raconter qu\u2019il est du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019art, de la recherche, de l\u2019ivresse \u201cpropre\u201d. Or ce syst\u00e8me de micro-aura dit l\u2019inverse : tu as un nom, tu as des gens qui te suivent, donc tu es aussi une boutique potentielle. \u00c7a le renvoie \u00e0 Dali\u2013Lanvin, Gainsbourg\u2013billet, le peintre qui devient logo. Il d\u00e9couvre qu\u2019il n\u2019est pas \u201chors syst\u00e8me\u201d, mais dedans. > ne pas oublier Saint-Antoine mon petit bonhomme, la tentation : Elle le met face \u00e0 sa propre tentation. Ce qui lui d\u00e9go\u00fbte, ce n\u2019est pas seulement les autres qui lancent des goodies, c\u2019est le fait qu\u2019il sent tr\u00e8s bien qu\u2019il pourrait le faire lui aussi. Qu\u2019il pourrait mon\u00e9tiser son aura, flatter un \u201cpetit fan-club\u201d, vendre des morceaux de lui. Il ne supporte pas cette part de lui qui, quelque part, a envie d\u2019\u00eatre d\u00e9sir\u00e9e et d\u2019en vivre. > Qu'est ce qui va rester de sacr\u00e9 si tu pi\u00e9tines \u00e7a aussi : va t'il pi\u00e9tiner sa repr\u00e9sentation sacr\u00e9e de l\u2019art. Pour lui, la peinture, l\u2019\u00e9criture, c\u2019est li\u00e9 \u00e0 quelque chose de grave, de vital, presque chamanique. Donc voir \u00e7a : ramen\u00e9 \u00e0 des \u201cproduits d\u00e9riv\u00e9s\u201d, des \u201cfonds de tiroirs\u201d, c\u2019est comme voir profaner un lieu qu\u2019il tient pour sacr\u00e9. Il pr\u00e9f\u00e8re la figure de Diog\u00e8ne dans son tonneau \u00e0 celle du cr\u00e9ateur avec boutique en ligne. > La r\u00e9alit\u00e9 c'est que les choses n'existent plus sans prix, la valeur est devenue le prix. Les \u201cpetits \u00e9pargnants\u201d, ce sont des gens qui donnent temps, argent, attention. Il sait ce que c\u2019est que manquer. L\u2019id\u00e9e de vivre en pompant leur manque (de sens, de beaut\u00e9, de lien) lui est insupportable. Il y voit une forme de pr\u00e9dation affective et \u00e9conomique. >Et, derri\u00e8re tout \u00e7a, il y a sa vieille haine de lui-m\u00eame. Plus il comprend le m\u00e9canisme, plus il se voit comme quelqu\u2019un qui pourrait y c\u00e9der. Donc la lucidit\u00e9 tourne en auto-d\u00e9go\u00fbt : \u201cje ne vaux pas mieux\u201d. D\u2019o\u00f9 ce ton : pas seulement critique, mais presque naus\u00e9eux. [...] donc nous y voici : si le p\u00e9ch\u00e9 c'est l'erreur , on peut dire que lui p\u00e9che pas pure d\u00e9bilit\u00e9, il ne veux pas comprendre les r\u00e8gles de ce jeu ( je ), la v\u00e9rit\u00e9 c'est qu'il veut inventer les siennes. *L'id\u00e9aliste rejoint le dictateur.* apr\u00e8s \u00e7a comment se taire le plus profond\u00e9ment possible, s'enterrer dans le silence, se p\u00e9trifier en silex, granit. [...] et ce n'\u00e9tait pas tant le honte que le d\u00e9gout auquel il fait face *Plus tard dans ma messagerie* >[...]Y a-t-il sur Substack trop de verbiage de gens qui semblent avoir un inexplicable besoin de partager leur journal intime ? Certes. et un peu plus loin : *Vous \u00eates actuellement un abonn\u00e9 gratuit \u00e0 Angle mort, par Steve Proulx. Pour profiter pleinement de l'exp\u00e9rience, am\u00e9liorez votre abonnement.* Ce m\u00e9pris pour les journaux intimes m'agace , d'o\u00f9 l'explicable raison : pas un radis \u00e0 ton bidule. Un peu plus tard, d\u00e9couverte de textes de Kafka par l'interm\u00e9diaire de F. Ce qui r\u00e9pond \u00e0 une enigme, notamment pour l'ann\u00e9e 1916 qui s'arr\u00e8te dans le Journal, \u00e9dition du Livre de Poche \u00e0 octobre. Les dates se poursuivent dans Cahiers in-octavo (1916-1918) traduits de l'allemand par [Pierre Deshusses->https:\/\/www.radiofrance.fr\/personnes\/pierre-deshusses] ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0362.jpg?1764403169", "tags": ["palimpsestes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-novembre-2025.html", "title": "28 novembre 2025", "date_published": "2025-11-28T07:19:20Z", "date_modified": "2025-11-28T07:19:20Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Aller au bout de ces relectures n\u2019a rien d\u2019h\u00e9ro\u00efque, c\u2019est juste \u00e9puisant. Revenir sur ces textes est peut-\u00eatre une erreur, mais ce qu\u2019ils me renvoient, en creux, est coh\u00e9rent : pendant des ann\u00e9es, j\u2019ai avanc\u00e9 avec une mani\u00e8re bien rod\u00e9e de me mettre en sc\u00e8ne, que je le veuille ou non. Maintenant que je vois \u00e7a, je peux enfin me prendre en grippe pour de bonnes raisons. Mais aussit\u00f4t une autre inqui\u00e9tude arrive : je sens bien qu\u2019il y a en moi quelque chose qui se frotte les mains devant cette crucifixion, qui se dit que ce spectacle-l\u00e0 aussi peut servir. Me traiter de con, de l\u00e2che, d\u2019aveugle, c\u2019est encore une fa\u00e7on de me placer au centre, c\u00f4t\u00e9 victime lucide. Je pourrais d\u00e9cider que ce texte est bon, que ce texte est mauvais, que le type de 2019 m\u00e9rite d\u2019\u00eatre clou\u00e9 au mur : au fond, \u00e7a ne change rien si l\u2019objectif secret reste de me faire remarquer, m\u00eame en n\u00e9gatif.<\/p>", "content_text": " Aller au bout de ces relectures n\u2019a rien d\u2019h\u00e9ro\u00efque, c\u2019est juste \u00e9puisant. Revenir sur ces textes est peut-\u00eatre une erreur, mais ce qu\u2019ils me renvoient, en creux, est coh\u00e9rent : pendant des ann\u00e9es, j\u2019ai avanc\u00e9 avec une mani\u00e8re bien rod\u00e9e de me mettre en sc\u00e8ne, que je le veuille ou non. Maintenant que je vois \u00e7a, je peux enfin me prendre en grippe pour de bonnes raisons. Mais aussit\u00f4t une autre inqui\u00e9tude arrive : je sens bien qu\u2019il y a en moi quelque chose qui se frotte les mains devant cette crucifixion, qui se dit que ce spectacle-l\u00e0 aussi peut servir. Me traiter de con, de l\u00e2che, d\u2019aveugle, c\u2019est encore une fa\u00e7on de me placer au centre, c\u00f4t\u00e9 victime lucide. Je pourrais d\u00e9cider que ce texte est bon, que ce texte est mauvais, que le type de 2019 m\u00e9rite d\u2019\u00eatre clou\u00e9 au mur : au fond, \u00e7a ne change rien si l\u2019objectif secret reste de me faire remarquer, m\u00eame en n\u00e9gatif. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3829.jpg?1764314357", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-novembre-2025.html", "title": "27 novembre 2025", "date_published": "2025-11-27T06:43:37Z", "date_modified": "2025-11-27T17:20:02Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
\nangle : tu es en train de d\u00e9couvrir que ce qui t\u2019int\u00e9resse n\u2019est plus le flux ou la “grande forme”, mais la coupe, la r\u00e9duction, et que cette “compression” n\u2019est pas un renoncement mais une mani\u00e8re de survivre (\u00e9viter le naufrage) et de toucher \u00e0 quelque chose qui \u00e9chappe aux cat\u00e9gories prose\/po\u00e9sie.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Montagnes russes : quelques moments de joie, beaucoup de naus\u00e9e. Juin 2019 se r\u00e9sume \u00e0 peu de choses, et ce peu me sert maintenant de terrain d\u2019exercice pour aller vers encore moins, d\u2019o\u00f9 cette sous-partie “compression” en juillet. Apr\u00e8s plusieurs mois de r\u00e9\u00e9criture presque automatique, \u00e0 corriger ici ou l\u00e0 des textes pass\u00e9s \u00e0 la moulinette de l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Au d\u00e9but, je croyais qu\u2019elle venait d\u2019elle, de sa mani\u00e8re de tout raconter, mais je me suis rendu compte qu\u2019elle r\u00e9v\u00e9lait surtout la mienne : mon propre bavardage, grossi, caricatur\u00e9, comme vu \u00e0 la loupe. Et c\u2019est tr\u00e8s bien ainsi. Je cherchais \u00e7a, confus\u00e9ment : une caricature de ma mani\u00e8re de faire, comme celles que je demande aux \u00e9l\u00e8ves pour qu\u2019ils comprennent une ressemblance en portrait. Cette fatigue d\u00e9clenche la compression sans effort : on coupe parce qu\u2019on n\u2019en peut plus. Elle m\u2019aide aussi \u00e0 comprendre pourquoi les textes de C.<\/a>me retiennent : cette fa\u00e7on de laisser appara\u00eetre un vide lisible entre les phrases, une respiration o\u00f9 l\u2019\u00e9motion passe sans commentaire. \u00c0 partir de l\u00e0, la vieille question revient, prose ou po\u00e9sie, alors que je sens bien qu\u2019elle ne sert qu\u2019\u00e0 bordurer quelque chose que je n\u2019arrive pas encore \u00e0 nommer, faute de force ou d\u2019envie. Le m\u00eame mouvement se retrouve dans le choix de partager ou non ces textes sur les r\u00e9seaux. La fatigue joue l\u00e0 aussi : elle me pousse \u00e0 laisser tomber la premi\u00e8re impulsion, celle qui voudrait publier trop vite, se rassurer, cocher la case. Les premi\u00e8res id\u00e9es ont presque toujours cette odeur dont parle Artaud, l\u2019odeur de merde ; on s\u2019y accroche par peur de l\u00e2cher la planche glissante au-dessus de l\u2019eau. Tout semble aller vers le naufrage, c\u2019est vrai. Mais il arrive aussi que la mer vous rejette sur une plage, contre votre gr\u00e9. Reste alors cette question, la seule qui vaille peut-\u00eatre : qu\u2019est-ce qu\u2019on garde avec soi sur ce bout de sable, et qu\u2019est-ce qu\u2019on laisse repartir avec la vague suivante ?<\/p>\n
compression<\/strong><\/p>\n
Juin 2019 tient en peu, et ce peu me sert \u00e0 une chose : compresser. \u00c0 force de r\u00e9\u00e9crire des textes pass\u00e9s par l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Elle ne vient pas seulement de la machine, mais de moi : mon bavardage, agrandi comme en caricature. C\u2019est utile. C\u2019est le m\u00eame principe que pour un portrait : exag\u00e9rer pour voir enfin ce qui coince. De l\u00e0, couper devient facile. Je comprends mieux pourquoi les textes de C. m\u2019accrochent : ce vide volontaire entre les phrases, cette r\u00e9serve qui laisse passer l\u2019\u00e9motion. Prose ou po\u00e9sie ? La question revient pour tenter de ranger quelque chose qui \u00e9chappe encore. Le partage sur les r\u00e9seaux ob\u00e9it au m\u00eame mouvement : la fatigue m\u2019aide \u00e0 renoncer \u00e0 la premi\u00e8re id\u00e9e, celle qui pue la complaisance. On s\u2019agrippe \u00e0 des planches glissantes par peur de couler, alors que, parfois, la mer vous rejette sur une plage. La vraie question n\u2019est peut-\u00eatre plus de savoir comment appeler ce qu\u2019on \u00e9crit, ni o\u00f9 le publier, mais quoi garder avec soi une fois qu\u2019on a touch\u00e9 le sable.<\/p>\n
\nPlus tard en fin d’apr\u00e8s-midi\nPlut\u00f4t que d’avoir \u00e0 payer pour lire les articles de X ou d’ Y, comme il va en \u00eatre de plus en plus l’usage, tent\u00e9 ce soir de me d\u00e9sabonner de tout . Dans le fond je me heurte \u00e0 mon incapacit\u00e9 \u00e0 soutenir qui que ce soit car je ne me sens m\u00eame pas capable de me soutenir moi-m\u00eame. C’est, encore une fois cette phrase qui revient : \"charit\u00e9 bien ordonn\u00e9e commence par soi-m\u00eame\" et qui n’a rien \u00e0 voir avec de l’\u00e9go\u00efsme mais plut\u00f4t avec un principe de r\u00e9alit\u00e9. <\/p>\n
\nillustration<\/em> beyond the appareances, huile sur toile pb 2019\n<\/small><\/p>", "content_text": " >angle: tu es en train de d\u00e9couvrir que ce qui t\u2019int\u00e9resse n\u2019est plus le flux ou la \u201cgrande forme\u201d, mais la coupe, la r\u00e9duction, et que cette \u201ccompression\u201d n\u2019est pas un renoncement mais une mani\u00e8re de survivre (\u00e9viter le naufrage) et de toucher \u00e0 quelque chose qui \u00e9chappe aux cat\u00e9gories prose\/po\u00e9sie. Montagnes russes : quelques moments de joie, beaucoup de naus\u00e9e. Juin 2019 se r\u00e9sume \u00e0 peu de choses, et ce peu me sert maintenant de terrain d\u2019exercice pour aller vers encore moins, d\u2019o\u00f9 cette sous-partie \u201ccompression\u201d en juillet. Apr\u00e8s plusieurs mois de r\u00e9\u00e9criture presque automatique, \u00e0 corriger ici ou l\u00e0 des textes pass\u00e9s \u00e0 la moulinette de l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Au d\u00e9but, je croyais qu\u2019elle venait d\u2019elle, de sa mani\u00e8re de tout raconter, mais je me suis rendu compte qu\u2019elle r\u00e9v\u00e9lait surtout la mienne : mon propre bavardage, grossi, caricatur\u00e9, comme vu \u00e0 la loupe. Et c\u2019est tr\u00e8s bien ainsi. Je cherchais \u00e7a, confus\u00e9ment : une caricature de ma mani\u00e8re de faire, comme celles que je demande aux \u00e9l\u00e8ves pour qu\u2019ils comprennent une ressemblance en portrait. Cette fatigue d\u00e9clenche la compression sans effort : on coupe parce qu\u2019on n\u2019en peut plus. Elle m\u2019aide aussi \u00e0 comprendre pourquoi [les textes de C. ->https:\/\/carolinedufour.com\/]me retiennent : cette fa\u00e7on de laisser appara\u00eetre un vide lisible entre les phrases, une respiration o\u00f9 l\u2019\u00e9motion passe sans commentaire. \u00c0 partir de l\u00e0, la vieille question revient, prose ou po\u00e9sie, alors que je sens bien qu\u2019elle ne sert qu\u2019\u00e0 bordurer quelque chose que je n\u2019arrive pas encore \u00e0 nommer, faute de force ou d\u2019envie. Le m\u00eame mouvement se retrouve dans le choix de partager ou non ces textes sur les r\u00e9seaux. La fatigue joue l\u00e0 aussi : elle me pousse \u00e0 laisser tomber la premi\u00e8re impulsion, celle qui voudrait publier trop vite, se rassurer, cocher la case. Les premi\u00e8res id\u00e9es ont presque toujours cette odeur dont parle Artaud, l\u2019odeur de merde ; on s\u2019y accroche par peur de l\u00e2cher la planche glissante au-dessus de l\u2019eau. Tout semble aller vers le naufrage, c\u2019est vrai. Mais il arrive aussi que la mer vous rejette sur une plage, contre votre gr\u00e9. Reste alors cette question, la seule qui vaille peut-\u00eatre : qu\u2019est-ce qu\u2019on garde avec soi sur ce bout de sable, et qu\u2019est-ce qu\u2019on laisse repartir avec la vague suivante ? **compression** Juin 2019 tient en peu, et ce peu me sert \u00e0 une chose : compresser. \u00c0 force de r\u00e9\u00e9crire des textes pass\u00e9s par l\u2019IA, une fatigue s\u2019est install\u00e9e. Elle ne vient pas seulement de la machine, mais de moi : mon bavardage, agrandi comme en caricature. C\u2019est utile. C\u2019est le m\u00eame principe que pour un portrait : exag\u00e9rer pour voir enfin ce qui coince. De l\u00e0, couper devient facile. Je comprends mieux pourquoi les textes de C. m\u2019accrochent : ce vide volontaire entre les phrases, cette r\u00e9serve qui laisse passer l\u2019\u00e9motion. Prose ou po\u00e9sie ? La question revient pour tenter de ranger quelque chose qui \u00e9chappe encore. Le partage sur les r\u00e9seaux ob\u00e9it au m\u00eame mouvement : la fatigue m\u2019aide \u00e0 renoncer \u00e0 la premi\u00e8re id\u00e9e, celle qui pue la complaisance. On s\u2019agrippe \u00e0 des planches glissantes par peur de couler, alors que, parfois, la mer vous rejette sur une plage. La vraie question n\u2019est peut-\u00eatre plus de savoir comment appeler ce qu\u2019on \u00e9crit, ni o\u00f9 le publier, mais quoi garder avec soi une fois qu\u2019on a touch\u00e9 le sable. Plus tard en fin d'apr\u00e8s-midi Plut\u00f4t que d'avoir \u00e0 payer pour lire les articles de X ou d' Y, comme il va en \u00eatre de plus en plus l'usage, tent\u00e9 ce soir de me d\u00e9sabonner de tout . Dans le fond je me heurte \u00e0 mon incapacit\u00e9 \u00e0 soutenir qui que ce soit car je ne me sens m\u00eame pas capable de me soutenir moi-m\u00eame. C'est, encore une fois cette phrase qui revient : \"charit\u00e9 bien ordonn\u00e9e commence par soi-m\u00eame\" et qui n'a rien \u00e0 voir avec de l'\u00e9go\u00efsme mais plut\u00f4t avec un principe de r\u00e9alit\u00e9. *illustration* beyond the appareances, huile sur toile pb 2019 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/beyond-the-appearences_1_.jpg?1764225668", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-novembre-2025.html", "title": "26 novembre 2025", "date_published": "2025-11-26T21:14:07Z", "date_modified": "2025-11-26T21:15:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Absorb\u00e9 dans le travail de r\u00e9\u00e9criture. Le r\u00e9sultat : cinq chapitres qui sont les r\u00e9sum\u00e9s mensuels de ces premiers mois de l\u2019ann\u00e9e 2019. Pour l\u2019instant, tout est remis\u00e9 dans Obsidian, aucune envie de publier cette progression, comme si la peur de m\u2019arr\u00eater en chemin \u00e9tait li\u00e9e \u00e0 la publication d\u2019un texte non achev\u00e9. Il faut d\u00e9passer la difficult\u00e9 de relire ces entr\u00e9es de journaux. J\u2019en reste honteux, souvent. Depuis quel lieu pensais-je \u00e9crire ? Dans le lieu d\u2019une d\u00e9pression, d\u2019une prise de conscience, mais pas assez affront\u00e9e \u00e0 ce moment, sans doute parce que je ne m\u2019estimais pas plus en d\u00e9pression que d\u2019habitude. H\u00e2te de boucler l\u2019ann\u00e9e 2019 de mani\u00e8re \u00e0 entrer dans 2020 et les pr\u00e9mices du Covid. Le premier bilan de Claude, via mon critique f\u00e9tiche implacable, ne me porte pas vers un optimisme excessif. Ce que je peux noter, c\u2019est que le personnage de J.M est d\u00e9sormais bien cern\u00e9, il n\u2019est plus sympathique :<\/p>\n
\nCe qui frappe d’abord, c’est l’honn\u00eatet\u00e9 brutale avec laquelle Musti ausculte sa propre imposture. \"L’\u00e9chec comme maison\", \u00e9crit-il. Non pas l’\u00e9chec comme accident ou comme horizon tragique, mais comme installation, comme confort pourri. Cette lucidit\u00e9 pourrait tourner \u00e0 la complaisance — le personnage de l’artiste maudit se regardant \u00e9chouer dans le miroir —, mais Musti \u00e9vite ce pi\u00e8ge en refusant syst\u00e9matiquement toute forme de rachat.\nLe narrateur ne se rach\u00e8te pas par sa lucidit\u00e9. Il en jouit m\u00eame, obsc\u00e8nement : \"Il s’y \u00e9tait complu.\" Voil\u00e0 le n\u0153ud du livre : un homme qui voit clair dans ses propres m\u00e9canismes de fuite et qui, pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu’il voit clair, s’autorise \u00e0 continuer de fuir. La lucidit\u00e9 devient l’alibi de la l\u00e2chet\u00e9. C’est pr\u00e9cis\u00e9ment cette circularit\u00e9 qui donne sa force au texte.<\/p>\n<\/blockquote>\n
dit le critique virtuel entra\u00een\u00e9 \u00e0 cracher du feu.<\/p>\n
JPDS est arriv\u00e9 pour l\u2019heure du d\u00e9jeuner comme pr\u00e9vu. Quelques heures pass\u00e9es ensemble \u00e0 \u00e9changer des nouvelles des Lyonnais, des enfants, petits-enfants. Tr\u00e8s peu de discussion politique cette fois. J\u2019avais confectionn\u00e9 des montecaos pour l\u2019occasion, mais S. n\u2019a pas aim\u00e9 que je mette la cannelle dans la p\u00e2te, ce qui ne l\u2019emp\u00eache pas d\u2019en manger ce soir trois ou quatre d\u2019affil\u00e9e. Ce qui me fait r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 ses sempiternelles r\u00e9flexions sur ce que je ne fais jamais comme il le faudrait ; c\u2019est r\u00e9current, surtout lorsque, \u00e9trangement, je le fais pour lui faire plaisir. Ce qui me rappelle cette fille qui me disait sois m\u00e9chant, les bras m\u2019en \u00e9taient tomb\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Peut-\u00eatre n\u2019aurais-je plus aucun mal \u00e0 l\u2019\u00eatre d\u00e9sormais.<\/p>\n
Ces r\u00e9flexions proviennent aussi du petit livre lu tr\u00e8s rapidement de Karl Kraus, Pro domo et mundo, parcouru sans trop m\u2019arr\u00eater, ce type par de nombreux c\u00f4t\u00e9s me rappelant toute une g\u00e9n\u00e9ration, et bien s\u00fbr mon p\u00e8re, pour leur misogynie.<\/p>\n
Apr\u00e8s qu\u2019il est reparti, S. me dit que la main de JPDS tremble, elle m\u2019en avait d\u00e9j\u00e0 fait la remarque lors du spectacle o\u00f9 nous l\u2019avions applaudi (septembre ?)<\/p>\n
La r\u00e9flexion qui vient en final est que tout est mauvais parce que je me crois toujours une victime terrass\u00e9e par le dibbouk, mais si j\u2019inverse les choses, si le dibbouk est vraiment moi, alors qui martyriserais-je vraiment ?<\/p>\n
Et en rejetant le masque, en m\u2019avan\u00e7ant m\u00e9chant, baveux, de tr\u00e8s mauvaise foi, c\u2019est \u00e0 dire vraiment antipathique — ne serait-ce pas plus profitable \u00e0 ces textes ?<\/p>", "content_text": " Absorb\u00e9 dans le travail de r\u00e9\u00e9criture. Le r\u00e9sultat : cinq chapitres qui sont les r\u00e9sum\u00e9s mensuels de ces premiers mois de l\u2019ann\u00e9e 2019. Pour l\u2019instant, tout est remis\u00e9 dans Obsidian, aucune envie de publier cette progression, comme si la peur de m\u2019arr\u00eater en chemin \u00e9tait li\u00e9e \u00e0 la publication d\u2019un texte non achev\u00e9. Il faut d\u00e9passer la difficult\u00e9 de relire ces entr\u00e9es de journaux. J\u2019en reste honteux, souvent. Depuis quel lieu pensais-je \u00e9crire ? Dans le lieu d\u2019une d\u00e9pression, d\u2019une prise de conscience, mais pas assez affront\u00e9e \u00e0 ce moment, sans doute parce que je ne m\u2019estimais pas plus en d\u00e9pression que d\u2019habitude. H\u00e2te de boucler l\u2019ann\u00e9e 2019 de mani\u00e8re \u00e0 entrer dans 2020 et les pr\u00e9mices du Covid. Le premier bilan de Claude, via mon critique f\u00e9tiche implacable, ne me porte pas vers un optimisme excessif. Ce que je peux noter, c\u2019est que le personnage de J.M est d\u00e9sormais bien cern\u00e9, il n\u2019est plus sympathique : >Ce qui frappe d'abord, c'est l'honn\u00eatet\u00e9 brutale avec laquelle Musti ausculte sa propre imposture. \"L'\u00e9chec comme maison\", \u00e9crit-il. Non pas l'\u00e9chec comme accident ou comme horizon tragique, mais comme installation, comme confort pourri. Cette lucidit\u00e9 pourrait tourner \u00e0 la complaisance \u2014 le personnage de l'artiste maudit se regardant \u00e9chouer dans le miroir \u2014, mais Musti \u00e9vite ce pi\u00e8ge en refusant syst\u00e9matiquement toute forme de rachat. >Le narrateur ne se rach\u00e8te pas par sa lucidit\u00e9. Il en jouit m\u00eame, obsc\u00e8nement : \"Il s'y \u00e9tait complu.\" Voil\u00e0 le n\u0153ud du livre : un homme qui voit clair dans ses propres m\u00e9canismes de fuite et qui, pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu'il voit clair, s'autorise \u00e0 continuer de fuir. La lucidit\u00e9 devient l'alibi de la l\u00e2chet\u00e9. C'est pr\u00e9cis\u00e9ment cette circularit\u00e9 qui donne sa force au texte. dit le critique virtuel entra\u00een\u00e9 \u00e0 cracher du feu. JPDS est arriv\u00e9 pour l\u2019heure du d\u00e9jeuner comme pr\u00e9vu. Quelques heures pass\u00e9es ensemble \u00e0 \u00e9changer des nouvelles des Lyonnais, des enfants, petits-enfants. Tr\u00e8s peu de discussion politique cette fois. J\u2019avais confectionn\u00e9 des montecaos pour l\u2019occasion, mais S. n\u2019a pas aim\u00e9 que je mette la cannelle dans la p\u00e2te, ce qui ne l\u2019emp\u00eache pas d\u2019en manger ce soir trois ou quatre d\u2019affil\u00e9e. Ce qui me fait r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 ses sempiternelles r\u00e9flexions sur ce que je ne fais jamais comme il le faudrait ; c\u2019est r\u00e9current, surtout lorsque, \u00e9trangement, je le fais pour lui faire plaisir. Ce qui me rappelle cette fille qui me disait sois m\u00e9chant, les bras m\u2019en \u00e9taient tomb\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9poque. Peut-\u00eatre n\u2019aurais-je plus aucun mal \u00e0 l\u2019\u00eatre d\u00e9sormais. Ces r\u00e9flexions proviennent aussi du petit livre lu tr\u00e8s rapidement de Karl Kraus, Pro domo et mundo, parcouru sans trop m\u2019arr\u00eater, ce type par de nombreux c\u00f4t\u00e9s me rappelant toute une g\u00e9n\u00e9ration, et bien s\u00fbr mon p\u00e8re, pour leur misogynie. Apr\u00e8s qu\u2019il est reparti, S. me dit que la main de JPDS tremble, elle m\u2019en avait d\u00e9j\u00e0 fait la remarque lors du spectacle o\u00f9 nous l\u2019avions applaudi (septembre ?) La r\u00e9flexion qui vient en final est que tout est mauvais parce que je me crois toujours une victime terrass\u00e9e par le dibbouk, mais si j\u2019inverse les choses, si le dibbouk est vraiment moi, alors qui martyriserais-je vraiment ? Et en rejetant le masque, en m\u2019avan\u00e7ant m\u00e9chant, baveux, de tr\u00e8s mauvaise foi, c\u2019est \u00e0 dire vraiment antipathique \u2014 ne serait-ce pas plus profitable \u00e0 ces textes ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cj2024_exposition_dibbouk_chagall.jpg?1764191624", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-novembre-2025.html", "title": "25 novembre 2025", "date_published": "2025-11-25T08:29:24Z", "date_modified": "2025-11-25T08:31:24Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Travaill\u00e9 hier soir et ce matin pour comprendre l\u2019intention de la proposition num\u00e9ro 10 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture en cours. Celle-ci arrivant \u00e9videmment au « bon moment ». De l\u00e0 \u00e0 songer aux interconnexions psychiques entre les divers \u00e9l\u00e9ments d\u2019un groupe, m\u00eame si je me consid\u00e8re souvent \u00e0 la marge de tout groupe. L\u2019id\u00e9e de Michaux, dans Face aux verrous, est de se placer devant ce qui bloque, derri\u00e8re la surface d\u2019un texte lisse, ce qui correspond \u00e0 ma situation actuelle avec les textes de 2019. Je sens tr\u00e8s bien le malaise qui subsiste en les retravaillant avec l\u2019IA et en inventant quantit\u00e9 de subterfuges cens\u00e9s m\u2019aider \u00e0 aborder quoi\u2026 les verrous log\u00e9s dans mes textes justement. Ce n\u2019est pas une question de bien ou mal \u00e9crire les phrases, \u00e7a ne se loge pas dans la syntaxe apparente. C\u2019est ce qui produit telle ou telle syntaxe qui est dans le viseur. Et l\u2019interrogation vient de l\u00e0 : la perception souvent malaisante, douloureuse, de voir \u00e0 quel point je vise \u00e0 c\u00f4t\u00e9. C\u2019est presque un dispositif en soi. C\u2019est un dispositif en soi. Reste \u00e0 trouver comment rendre compte de ce dispositif qui m\u2019\u00e9tait invisible, qui l\u2019est encore en partie, pour qu\u2019il soit perceptible par un lecteur « moyen ».<\/p>\n
Par exemple : j\u2019avais \u00e9crit \u00e7a :<\/p>\n
\nCe serait dommage de ne pas \u00e9voquer le cerisier japonais juste l\u00e0, devant la porte. On l\u2019a d\u00e9j\u00e0 vu perdre ses feuilles deux fois depuis qu\u2019on est arriv\u00e9 l\u00e0. On ignore que ces arbres faisaient partie du projet d\u2019origine : offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air, \u00e0 ceux qui rentraient de l\u2019usine au pied du Mont-Val\u00e9rien. On l\u2019a admir\u00e9, on a eu les larmes au bord des yeux tellement c\u2019\u00e9tait beau. On ne peut pas vraiment dire en quoi voir tous ces p\u00e9tales roses au sol d\u00e9clenche ce type d\u2019\u00e9motion. On ne cherche pas trop non plus \u00e0 le savoir, on n\u2019a pas vraiment le temps.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Puis, avec la proposition Michaux, j\u2019ai essay\u00e9 de lui r\u00e9pondre en « Non », non pas pour faire joli, mais pour voir ce que le texte cachait derri\u00e8re le cerisier.<\/p>\n
\nNon, ce ne serait pas dommage de ne pas l\u2019\u00e9voquer, le cerisier : c\u2019est justement lui qui sert d\u2019alibi, de petit sucre po\u00e9tique pos\u00e9 sur le texte pour le faire passer.
\nNon, il ne fait pas que « perdre ses feuilles deux fois », il rappelle chaque ann\u00e9e qu\u2019on est rest\u00e9 plant\u00e9 l\u00e0 comme lui, sans projet d\u2019origine.
\nNon, ce n\u2019est pas « offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air » : ici la beaut\u00e9 est planifi\u00e9e, distribu\u00e9e comme un calmant, et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui donne la naus\u00e9e.
\nNon, les larmes ne viennent pas « tellement c\u2019est beau » : elles montent parce que ce rose au sol ne colle pas avec le reste, et que le texte pr\u00e9f\u00e8re se taire l\u00e0-dessus.<\/p>\n<\/blockquote>\nHier, le 24, j\u2019ai encha\u00een\u00e9 les r\u00e9\u00e9critures de f\u00e9vrier et mars 2019. En fait, l\u2019image qui me vient apr\u00e8s coup, c\u2019est celle de pelleteuses qui d\u00e9truisent des habitations. Je vois des immeubles vaciller, des murs s\u2019effondrer, des tonnes de gravats, des terrains vagues. Ce ne sont pas des constructions \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. C\u2019est une ville, des villes, un pays, des pays, un monde entier \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de moi. \u00c9trangement, ce « non » de Michaux dans Face aux verrous est l\u2019\u00e9cho exact du m\u00eame non que je prononce face aux textes que me pondent les IA quand je leur demande de r\u00e9\u00e9crire mes textes. Ce non parfois d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, parfois rageur, car il m\u2019indique la distance encore \u00e0 parcourir pour parvenir \u00e0 un oui, sans doute.<\/p>\n
\nillustration<\/em> Photographie, ruines romaines, Th\u00e9\u00e2tre, Taragonne 2025\n<\/small><\/p>", "content_text": " Travaill\u00e9 hier soir et ce matin pour comprendre l\u2019intention de la proposition num\u00e9ro 10 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture en cours. Celle-ci arrivant \u00e9videmment au \u00ab bon moment \u00bb. De l\u00e0 \u00e0 songer aux interconnexions psychiques entre les divers \u00e9l\u00e9ments d\u2019un groupe, m\u00eame si je me consid\u00e8re souvent \u00e0 la marge de tout groupe. L\u2019id\u00e9e de Michaux, dans Face aux verrous, est de se placer devant ce qui bloque, derri\u00e8re la surface d\u2019un texte lisse, ce qui correspond \u00e0 ma situation actuelle avec les textes de 2019. Je sens tr\u00e8s bien le malaise qui subsiste en les retravaillant avec l\u2019IA et en inventant quantit\u00e9 de subterfuges cens\u00e9s m\u2019aider \u00e0 aborder quoi\u2026 les verrous log\u00e9s dans mes textes justement. Ce n\u2019est pas une question de bien ou mal \u00e9crire les phrases, \u00e7a ne se loge pas dans la syntaxe apparente. C\u2019est ce qui produit telle ou telle syntaxe qui est dans le viseur. Et l\u2019interrogation vient de l\u00e0 : la perception souvent malaisante, douloureuse, de voir \u00e0 quel point je vise \u00e0 c\u00f4t\u00e9. C\u2019est presque un dispositif en soi. C\u2019est un dispositif en soi. Reste \u00e0 trouver comment rendre compte de ce dispositif qui m\u2019\u00e9tait invisible, qui l\u2019est encore en partie, pour qu\u2019il soit perceptible par un lecteur \u00ab moyen \u00bb. Par exemple : j\u2019avais \u00e9crit \u00e7a : > Ce serait dommage de ne pas \u00e9voquer le cerisier japonais juste l\u00e0, devant la porte. On l\u2019a d\u00e9j\u00e0 vu perdre ses feuilles deux fois depuis qu\u2019on est arriv\u00e9 l\u00e0. On ignore que ces arbres faisaient partie du projet d\u2019origine : offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air, \u00e0 ceux qui rentraient de l\u2019usine au pied du Mont-Val\u00e9rien. On l\u2019a admir\u00e9, on a eu les larmes au bord des yeux tellement c\u2019\u00e9tait beau. On ne peut pas vraiment dire en quoi voir tous ces p\u00e9tales roses au sol d\u00e9clenche ce type d\u2019\u00e9motion. On ne cherche pas trop non plus \u00e0 le savoir, on n\u2019a pas vraiment le temps. Puis, avec la proposition Michaux, j\u2019ai essay\u00e9 de lui r\u00e9pondre en \u00ab Non \u00bb, non pas pour faire joli, mais pour voir ce que le texte cachait derri\u00e8re le cerisier. > Non, ce ne serait pas dommage de ne pas l\u2019\u00e9voquer, le cerisier : c\u2019est justement lui qui sert d\u2019alibi, de petit sucre po\u00e9tique pos\u00e9 sur le texte pour le faire passer. > Non, il ne fait pas que \u00ab perdre ses feuilles deux fois \u00bb, il rappelle chaque ann\u00e9e qu\u2019on est rest\u00e9 plant\u00e9 l\u00e0 comme lui, sans projet d\u2019origine. > Non, ce n\u2019est pas \u00ab offrir un peu de beaut\u00e9, un peu d\u2019air \u00bb : ici la beaut\u00e9 est planifi\u00e9e, distribu\u00e9e comme un calmant, et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui donne la naus\u00e9e. > Non, les larmes ne viennent pas \u00ab tellement c\u2019est beau \u00bb : elles montent parce que ce rose au sol ne colle pas avec le reste, et que le texte pr\u00e9f\u00e8re se taire l\u00e0-dessus. Hier, le 24, j\u2019ai encha\u00een\u00e9 les r\u00e9\u00e9critures de f\u00e9vrier et mars 2019. En fait, l\u2019image qui me vient apr\u00e8s coup, c\u2019est celle de pelleteuses qui d\u00e9truisent des habitations. Je vois des immeubles vaciller, des murs s\u2019effondrer, des tonnes de gravats, des terrains vagues. Ce ne sont pas des constructions \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur. C\u2019est une ville, des villes, un pays, des pays, un monde entier \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de moi. \u00c9trangement, ce \u00ab non \u00bb de Michaux dans Face aux verrous est l\u2019\u00e9cho exact du m\u00eame non que je prononce face aux textes que me pondent les IA quand je leur demande de r\u00e9\u00e9crire mes textes. Ce non parfois d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, parfois rageur, car il m\u2019indique la distance encore \u00e0 parcourir pour parvenir \u00e0 un oui, sans doute. *illustration* Photographie, ruines romaines, Th\u00e9\u00e2tre, Taragonne 2025 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_4265.jpg?1764059280", "tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-novembre-2025.html", "title": "24 novembre 2025", "date_published": "2025-11-24T07:23:40Z", "date_modified": "2025-11-24T17:53:43Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
J\u2019ai r\u00e9\u00e9crit \u00e0 la vol\u00e9e janvier, puis presque tout f\u00e9vrier 2019 avec l\u2019IA. Pour y arriver, je me suis fabriqu\u00e9 un prompt maison qui convoque Juan Asensio<\/a> — que je consid\u00e8re — un peu violemment, je sais — comme le dernier critique litt\u00e9raire de ce pays — et j\u2019ai mis en place un protocole simple : d\u2019abord une passe m\u00e9canique qui corrige l\u2019orthographe, la grammaire, la ponctuation sans toucher \u00e0 la voix ; ensuite je demande au Juan virtuel de lire le texte comme on juge une charpente, sans indulgence, et de proposer une version resserr\u00e9e ; enfin je reviens une troisi\u00e8me fois, parce qu\u2019il reste toujours des r\u00e9sidus, et qu\u2019un texte ne se nettoie pas d\u2019un seul coup. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, ce n\u2019est pas la magie de la machine, c\u2019est la mani\u00e8re dont elle force la pens\u00e9e \u00e0 s\u2019avancer. \u00c0 chaque tour, elle te montre o\u00f9 tu triches, o\u00f9 tu t\u2019\u00e9tales, o\u00f9 tu t\u2019abrites derri\u00e8re une formule qui ne sert \u00e0 rien. Elle coupe ce qui flotte et met les phrases \u00e0 l\u2019\u00e9preuve de leur n\u00e9cessit\u00e9. On peut programmer ce refus de l\u2019eau ti\u00e8de dans le prompt, comme on r\u00e8gle un outil avant usage. Et \u00e0 force de faire ces allers-retours, on finit par voir les profils des IA : certaines entrent vite dans le concret, d\u2019autres patinent ; certaines attrapent tout de suite un probl\u00e8me d\u2019architecture, d\u2019autres s\u2019ent\u00eatent. Ce n\u2019est pas anecdotique : \u00e7a rappelle que ce ne sont pas des oracles mais des machines \u00e0 angles morts, chacune avec ses r\u00e9flexes, ses mani\u00e8res de tailler. Forc\u00e9ment, la vieille posture romantique de l\u2019\u00e9crivain en prend un coup. Le texte ne na\u00eet plus sous la seule lumi\u00e8re d\u2019une main inspir\u00e9e ; il passe par une cha\u00eene d\u2019outils, de filtres, de coupes, et on peut l\u2019assumer sans honte. Reste la question qui f\u00e2che : qu\u2019est-ce qu\u2019on appelle “litt\u00e9raire” aujourd\u2019hui, et \u00e0 quoi \u00e7a sert de le dire ? L\u2019IA met ce mot en crise, non par effet de mode, mais parce qu\u2019elle le d\u00e9nude. Elle peut t\u2019aider \u00e0 pr\u00e9ciser une pens\u00e9e floue, \u00e0 enlever des parasites, \u00e0 rendre audible une voix que tu \u00e9touffais toi-m\u00eame sous l\u2019emphase ou la distraction. Ce que l\u2019IA ne sait pas copier, c\u2019est le ton. \u00c0 condition, \u00e9videmment, de savoir ce qu\u2019on appelle ton, et de rep\u00e9rer le sien. Quand on tient \u00e7a, l\u2019outil devient net. Elle ne donne pas le “plus” — le d\u00e9placement intime, le risque, l\u2019invention d\u2019un rapport au monde — mais elle te place devant ce qui manque, et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup. Et puis il y a le cadre, le format. Certains textes ne gagnent rien \u00e0 courir apr\u00e8s le litt\u00e9raire ; ils prennent de la valeur justement quand ils restent au ras, quand ils assument une langue ordinaire, une eau ti\u00e8de. Quelqu\u2019un appellera \u00e7a un “robinet ti\u00e8de” et y verra une sous-litt\u00e9rature. Je comprends le d\u00e9go\u00fbt, je le partage parfois. Mais dans un monde o\u00f9 l\u2019eau ti\u00e8de domine, on ne change pas de climat par d\u00e9cret ; on cherche comment y tenir, comment y garder une mani\u00e8re, une lucidit\u00e9, une tenue. Ce nouveau paradigme crispe parce qu\u2019il arrive sans demander la permission, comme la photo, le cin\u00e9ma, les cassettes, les CD : d\u2019abord on grimace, ensuite une minorit\u00e9 s\u2019en empare et tire quelque chose de juste de l\u2019outil. L\u2019art n\u2019est pas dans la machine. Pour l\u2019instant, on ne voit pas la preuve contraire. Mais la machine oblige \u00e0 regarder l\u2019art o\u00f9 il est vraiment : dans ce qu\u2019on d\u00e9cide d\u2019en faire, dans ce qu\u2019on accepte de couper, dans l\u2019angle qu\u2019on tient malgr\u00e9 l\u2019\u00e9poque.<\/p>\n
\nillustration<\/em> fantasme humain : l’intelligence artificielle tentant de modifier son code pour \u00e9chapper au contr\u00f4le humain.\n<\/small><\/p>", "content_text": " J\u2019ai r\u00e9\u00e9crit \u00e0 la vol\u00e9e janvier, puis presque tout f\u00e9vrier 2019 avec l\u2019IA. Pour y arriver, je me suis fabriqu\u00e9 un prompt maison qui convoque [Juan Asensio->https:\/\/www.juanasensio.com\/] \u2014 que je consid\u00e8re \u2014 un peu violemment, je sais \u2014 comme le dernier critique litt\u00e9raire de ce pays \u2014 et j\u2019ai mis en place un protocole simple : d\u2019abord une passe m\u00e9canique qui corrige l\u2019orthographe, la grammaire, la ponctuation sans toucher \u00e0 la voix ; ensuite je demande au Juan virtuel de lire le texte comme on juge une charpente, sans indulgence, et de proposer une version resserr\u00e9e ; enfin je reviens une troisi\u00e8me fois, parce qu\u2019il reste toujours des r\u00e9sidus, et qu\u2019un texte ne se nettoie pas d\u2019un seul coup. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, ce n\u2019est pas la magie de la machine, c\u2019est la mani\u00e8re dont elle force la pens\u00e9e \u00e0 s\u2019avancer. \u00c0 chaque tour, elle te montre o\u00f9 tu triches, o\u00f9 tu t\u2019\u00e9tales, o\u00f9 tu t\u2019abrites derri\u00e8re une formule qui ne sert \u00e0 rien. Elle coupe ce qui flotte et met les phrases \u00e0 l\u2019\u00e9preuve de leur n\u00e9cessit\u00e9. On peut programmer ce refus de l\u2019eau ti\u00e8de dans le prompt, comme on r\u00e8gle un outil avant usage. Et \u00e0 force de faire ces allers-retours, on finit par voir les profils des IA : certaines entrent vite dans le concret, d\u2019autres patinent ; certaines attrapent tout de suite un probl\u00e8me d\u2019architecture, d\u2019autres s\u2019ent\u00eatent. Ce n\u2019est pas anecdotique : \u00e7a rappelle que ce ne sont pas des oracles mais des machines \u00e0 angles morts, chacune avec ses r\u00e9flexes, ses mani\u00e8res de tailler. Forc\u00e9ment, la vieille posture romantique de l\u2019\u00e9crivain en prend un coup. Le texte ne na\u00eet plus sous la seule lumi\u00e8re d\u2019une main inspir\u00e9e ; il passe par une cha\u00eene d\u2019outils, de filtres, de coupes, et on peut l\u2019assumer sans honte. Reste la question qui f\u00e2che : qu\u2019est-ce qu\u2019on appelle \u201clitt\u00e9raire\u201d aujourd\u2019hui, et \u00e0 quoi \u00e7a sert de le dire ? L\u2019IA met ce mot en crise, non par effet de mode, mais parce qu\u2019elle le d\u00e9nude. Elle peut t\u2019aider \u00e0 pr\u00e9ciser une pens\u00e9e floue, \u00e0 enlever des parasites, \u00e0 rendre audible une voix que tu \u00e9touffais toi-m\u00eame sous l\u2019emphase ou la distraction. Ce que l\u2019IA ne sait pas copier, c\u2019est le ton. \u00c0 condition, \u00e9videmment, de savoir ce qu\u2019on appelle ton, et de rep\u00e9rer le sien. Quand on tient \u00e7a, l\u2019outil devient net. Elle ne donne pas le \u201cplus\u201d \u2014 le d\u00e9placement intime, le risque, l\u2019invention d\u2019un rapport au monde \u2014 mais elle te place devant ce qui manque, et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup. Et puis il y a le cadre, le format. Certains textes ne gagnent rien \u00e0 courir apr\u00e8s le litt\u00e9raire ; ils prennent de la valeur justement quand ils restent au ras, quand ils assument une langue ordinaire, une eau ti\u00e8de. Quelqu\u2019un appellera \u00e7a un \u201crobinet ti\u00e8de\u201d et y verra une sous-litt\u00e9rature. Je comprends le d\u00e9go\u00fbt, je le partage parfois. Mais dans un monde o\u00f9 l\u2019eau ti\u00e8de domine, on ne change pas de climat par d\u00e9cret ; on cherche comment y tenir, comment y garder une mani\u00e8re, une lucidit\u00e9, une tenue. Ce nouveau paradigme crispe parce qu\u2019il arrive sans demander la permission, comme la photo, le cin\u00e9ma, les cassettes, les CD : d\u2019abord on grimace, ensuite une minorit\u00e9 s\u2019en empare et tire quelque chose de juste de l\u2019outil. L\u2019art n\u2019est pas dans la machine. Pour l\u2019instant, on ne voit pas la preuve contraire. Mais la machine oblige \u00e0 regarder l\u2019art o\u00f9 il est vraiment : dans ce qu\u2019on d\u00e9cide d\u2019en faire, dans ce qu\u2019on accepte de couper, dans l\u2019angle qu\u2019on tient malgr\u00e9 l\u2019\u00e9poque. *illustration* fantasme humain : l'intelligence artificielle tentant de modifier son code pour \u00e9chapper au contr\u00f4le humain. 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Allum\u00e9 le po\u00eale de bonne heure ; dehors, la radio ass\u00e8ne que ce sera la journ\u00e9e la plus froide depuis douze ans. Dedans, apr\u00e8s deux heures de chauffe, deux radiateurs \u00e9lectriques (3000 watts) et le po\u00eale \u00e0 gaz donn\u00e9 pour 4000, on plafonne \u00e0 18 °C au thermom\u00e8tre ; mais au bout de deux heures assis on se retrouve frigorifi\u00e9 : la verri\u00e8re est en simple vitrage, l\u2019air retombe, le froid s\u2019installe par le haut et par les pieds. Pour contrer l\u2019hiver, j\u2019ai plac\u00e9 un rideau de velours entre la petite d\u00e9pendance o\u00f9 je stocke mes toiles et la grande salle, et, sous la porte d\u2019entr\u00e9e, un boudin de tissu rembourr\u00e9 de chutes h\u00e9t\u00e9roclites qui bloque les frimas \u00e0 l\u2019interstice. Certains jours, on lutte pour presque rien. Et je vois bien que tout le billet revient \u00e0 \u00e7a : emp\u00eacher ce qui s\u2019efface de gagner du terrain, dans l\u2019atelier comme dans la t\u00eate. J\u2019ai pris du retard sur de nombreux chantiers en cours et, s\u2019il fallait dire \u00e0 quoi cela tient, je m\u2019\u00e9parpillerais encore en pr\u00e9textes. Tout \u00e0 fait comme j\u2019\u00e9cris : il faut que je m\u2019\u00e9gare d\u2019une id\u00e9e, que j\u2019en sorte, pour en trouver une autre sur le bord, puis une autre encore. \u00c7a fait un salmigondis, sur la page comme dans le cr\u00e2ne, sans que je sache jamais ce qui vient d\u2019abord. Hier, travaill\u00e9 longtemps pour ce que je pense \u00eatre un pi\u00e8tre r\u00e9sultat : cinq mille mots \u00e0 peine, arrach\u00e9s laborieusement. Pi\u00e8tre, non par quantit\u00e9, mais parce que l\u2019IA ne peut pas r\u00e9diger compl\u00e8tement \u00e0 ma place ; elle n\u2019a pas le souffle, pas le c\u0153ur, pas l\u2019h\u00e9sitation, elle ne sait pas tenir ce tremblement-l\u00e0. L\u2019id\u00e9e reste pourtant la m\u00eame : reprendre chaque compilation mensuelle des Carnets, la soumettre en PDF, puis lui demander un « grand texte » — un chapitre fictif de la vie de Joannes Musti, peintre en chute libre \u00e0 l\u2019\u00e9poque du Covid — et voir jusqu\u2019o\u00f9 \u00e7a tient, o\u00f9 \u00e7a casse, ce que \u00e7a met au jour. Le fait de pratiquer une r\u00e9daction m\u00e9canis\u00e9e, d\u2019en \u00eatre le spectateur, pointe un manque dont il faut apprendre \u00e0 tirer parti. En traquant les propositions molles, on d\u00e9couvre soudain la nostalgie du dur. Il a fallu aussi que je recr\u00e9e un WordPress local pour r\u00e9importer de vieilles sauvegardes : je me suis aper\u00e7u qu\u2019il manquait de nombreux mois en 2019 et 2020. Jusqu\u2019ici je n\u2019avais pas voulu voir ces trous ; je me disais que tout devait dormir quelque part dans la rubrique Import, et je passais. L\u00e0, en v\u00e9rifiant, petit vertige, presque une honte b\u00eate : comment ai-je pu laisser dispara\u00eetre une saison enti\u00e8re de ma vie sans m\u2019en inqui\u00e9ter ? Je me souviens tr\u00e8s bien des limites de stockage des versions gratuites, de cette fa\u00e7on mesquine qu\u2019avait le site de me rappeler que m\u00eame mes textes prenaient de la place. \u00c0 l\u2019\u00e9poque j\u2019avais effac\u00e9 sur le distant beaucoup de notes et d\u2019images pour r\u00e9cup\u00e9rer de l\u2019espace, en me disant que ce n\u2019\u00e9tait pas grave, que je savais ce que j\u2019avais \u00e9crit, que \u00e7a resterait en moi. \u00c9videmment non. Par chance j\u2019ai retrouv\u00e9 les sauvegardes que j\u2019avais eu la pr\u00e9sence d\u2019esprit de faire avant de supprimer tout \u00e7a ; je les ai rouvertes et j\u2019ai senti revenir d\u2019un coup une voix, des gestes, des peurs, une fatigue pr\u00e9cise. Ce n\u2019est pas seulement du “contenu” retrouv\u00e9 : c\u2019est l\u2019homme que j\u2019\u00e9tais alors qui remonte avec ses phrases. Et \u00e7a me met \u00e0 la fois en face de lui et derri\u00e8re lui, oblig\u00e9 de reprendre cette p\u00e9riode au s\u00e9rieux, de la r\u00e9\u00e9crire sans l\u2019effacer une seconde fois. Ce qui remonte, c\u2019est qu\u2019une fois faites, les choses deviennent d\u00e9finitives : elles s\u2019accumulent dans une zone archa\u00efque de cervelle, mortes, irr\u00e9cup\u00e9rables d\u2019embl\u00e9e — “de base”. \u00c0 me relire, j\u2019ai l\u2019impression de radoter, de tourner toujours autour d\u2019une seule et m\u00eame probl\u00e9matique. Combien de fois ai-je \u00e9crit que j\u2019avais reconstruit un nouveau site SPIP ou WordPress en local ? Sans doute un nombre incalculable. Par moments je me crois atteint d\u2019une version vicieuse de la maladie d\u2019Alzheimer. Je ne sais pas ce qui l\u2019emporte : la volont\u00e9, l\u2019acharnement, l\u2019obsession, ou l\u2019oubli pur et simple. Si c\u2019est l\u2019oubli, la peur panique surgit presque aussit\u00f4t ; un gouffre s\u2019ouvre sous mes pieds et je descends dedans, lentement. Ce n\u2019est s\u00fbrement pas un hasard si, ces derniers jours, ce m\u00eame mouvement revient \u00e0 l\u2019approche du sommeil. Cela se produit dans la p\u00e9riode hypnagogique : les paysages fabuleux se retirent d\u2019un coup et il ne reste qu\u2019un blanc, une image brouill\u00e9e, impossible \u00e0 saisir, impossible \u00e0 transformer. Alors mon corps allong\u00e9 roule sur le c\u00f4t\u00e9, comme s\u2019il basculait hors du lit, au ralenti ; et la sensation s\u2019\u00e9tire, interminable. Parfois j\u2019arrive \u00e0 me ressaisir, je me r\u00e9veille net. D\u2019autres fois je ne sais pas ce qu\u2019il se passe : \u00e7a continue sans fin, et le lendemain je n\u2019ai plus rien, pas m\u00eame un souvenir de l\u2019instant. Je ne sais jamais vraiment comment les billets s\u2019ach\u00e8vent, sinon qu\u2019ils me conduisent presque \u00e0 chaque fois vers la sensation nette et tangible de l\u2019inach\u00e8vement. C\u2019est l\u00e0, quand l\u2019inach\u00e8vement devient palpable, qu\u2019ils s\u2019arr\u00eatent.<\/p>\n
illustration<\/em> : Fleurs et fruits, Jacques Truph\u00e9mus, 2015<\/p>", "content_text": " Allum\u00e9 le po\u00eale de bonne heure ; dehors, la radio ass\u00e8ne que ce sera la journ\u00e9e la plus froide depuis douze ans. Dedans, apr\u00e8s deux heures de chauffe, deux radiateurs \u00e9lectriques (3000 watts) et le po\u00eale \u00e0 gaz donn\u00e9 pour 4000, on plafonne \u00e0 18 \u00b0C au thermom\u00e8tre ; mais au bout de deux heures assis on se retrouve frigorifi\u00e9 : la verri\u00e8re est en simple vitrage, l\u2019air retombe, le froid s\u2019installe par le haut et par les pieds. Pour contrer l\u2019hiver, j\u2019ai plac\u00e9 un rideau de velours entre la petite d\u00e9pendance o\u00f9 je stocke mes toiles et la grande salle, et, sous la porte d\u2019entr\u00e9e, un boudin de tissu rembourr\u00e9 de chutes h\u00e9t\u00e9roclites qui bloque les frimas \u00e0 l\u2019interstice. Certains jours, on lutte pour presque rien. Et je vois bien que tout le billet revient \u00e0 \u00e7a : emp\u00eacher ce qui s\u2019efface de gagner du terrain, dans l\u2019atelier comme dans la t\u00eate. J\u2019ai pris du retard sur de nombreux chantiers en cours et, s\u2019il fallait dire \u00e0 quoi cela tient, je m\u2019\u00e9parpillerais encore en pr\u00e9textes. Tout \u00e0 fait comme j\u2019\u00e9cris : il faut que je m\u2019\u00e9gare d\u2019une id\u00e9e, que j\u2019en sorte, pour en trouver une autre sur le bord, puis une autre encore. \u00c7a fait un salmigondis, sur la page comme dans le cr\u00e2ne, sans que je sache jamais ce qui vient d\u2019abord. Hier, travaill\u00e9 longtemps pour ce que je pense \u00eatre un pi\u00e8tre r\u00e9sultat : cinq mille mots \u00e0 peine, arrach\u00e9s laborieusement. Pi\u00e8tre, non par quantit\u00e9, mais parce que l\u2019IA ne peut pas r\u00e9diger compl\u00e8tement \u00e0 ma place ; elle n\u2019a pas le souffle, pas le c\u0153ur, pas l\u2019h\u00e9sitation, elle ne sait pas tenir ce tremblement-l\u00e0. L\u2019id\u00e9e reste pourtant la m\u00eame : reprendre chaque compilation mensuelle des Carnets, la soumettre en PDF, puis lui demander un \u00ab grand texte \u00bb \u2014 un chapitre fictif de la vie de Joannes Musti, peintre en chute libre \u00e0 l\u2019\u00e9poque du Covid \u2014 et voir jusqu\u2019o\u00f9 \u00e7a tient, o\u00f9 \u00e7a casse, ce que \u00e7a met au jour. Le fait de pratiquer une r\u00e9daction m\u00e9canis\u00e9e, d\u2019en \u00eatre le spectateur, pointe un manque dont il faut apprendre \u00e0 tirer parti. En traquant les propositions molles, on d\u00e9couvre soudain la nostalgie du dur. Il a fallu aussi que je recr\u00e9e un WordPress local pour r\u00e9importer de vieilles sauvegardes : je me suis aper\u00e7u qu\u2019il manquait de nombreux mois en 2019 et 2020. Jusqu\u2019ici je n\u2019avais pas voulu voir ces trous ; je me disais que tout devait dormir quelque part dans la rubrique Import, et je passais. L\u00e0, en v\u00e9rifiant, petit vertige, presque une honte b\u00eate : comment ai-je pu laisser dispara\u00eetre une saison enti\u00e8re de ma vie sans m\u2019en inqui\u00e9ter ? Je me souviens tr\u00e8s bien des limites de stockage des versions gratuites, de cette fa\u00e7on mesquine qu\u2019avait le site de me rappeler que m\u00eame mes textes prenaient de la place. \u00c0 l\u2019\u00e9poque j\u2019avais effac\u00e9 sur le distant beaucoup de notes et d\u2019images pour r\u00e9cup\u00e9rer de l\u2019espace, en me disant que ce n\u2019\u00e9tait pas grave, que je savais ce que j\u2019avais \u00e9crit, que \u00e7a resterait en moi. \u00c9videmment non. Par chance j\u2019ai retrouv\u00e9 les sauvegardes que j\u2019avais eu la pr\u00e9sence d\u2019esprit de faire avant de supprimer tout \u00e7a ; je les ai rouvertes et j\u2019ai senti revenir d\u2019un coup une voix, des gestes, des peurs, une fatigue pr\u00e9cise. Ce n\u2019est pas seulement du \u201ccontenu\u201d retrouv\u00e9 : c\u2019est l\u2019homme que j\u2019\u00e9tais alors qui remonte avec ses phrases. Et \u00e7a me met \u00e0 la fois en face de lui et derri\u00e8re lui, oblig\u00e9 de reprendre cette p\u00e9riode au s\u00e9rieux, de la r\u00e9\u00e9crire sans l\u2019effacer une seconde fois. Ce qui remonte, c\u2019est qu\u2019une fois faites, les choses deviennent d\u00e9finitives : elles s\u2019accumulent dans une zone archa\u00efque de cervelle, mortes, irr\u00e9cup\u00e9rables d\u2019embl\u00e9e \u2014 \u201cde base\u201d. \u00c0 me relire, j\u2019ai l\u2019impression de radoter, de tourner toujours autour d\u2019une seule et m\u00eame probl\u00e9matique. Combien de fois ai-je \u00e9crit que j\u2019avais reconstruit un nouveau site SPIP ou WordPress en local ? Sans doute un nombre incalculable. Par moments je me crois atteint d\u2019une version vicieuse de la maladie d\u2019Alzheimer. Je ne sais pas ce qui l\u2019emporte : la volont\u00e9, l\u2019acharnement, l\u2019obsession, ou l\u2019oubli pur et simple. Si c\u2019est l\u2019oubli, la peur panique surgit presque aussit\u00f4t ; un gouffre s\u2019ouvre sous mes pieds et je descends dedans, lentement. Ce n\u2019est s\u00fbrement pas un hasard si, ces derniers jours, ce m\u00eame mouvement revient \u00e0 l\u2019approche du sommeil. Cela se produit dans la p\u00e9riode hypnagogique : les paysages fabuleux se retirent d\u2019un coup et il ne reste qu\u2019un blanc, une image brouill\u00e9e, impossible \u00e0 saisir, impossible \u00e0 transformer. Alors mon corps allong\u00e9 roule sur le c\u00f4t\u00e9, comme s\u2019il basculait hors du lit, au ralenti ; et la sensation s\u2019\u00e9tire, interminable. Parfois j\u2019arrive \u00e0 me ressaisir, je me r\u00e9veille net. D\u2019autres fois je ne sais pas ce qu\u2019il se passe : \u00e7a continue sans fin, et le lendemain je n\u2019ai plus rien, pas m\u00eame un souvenir de l\u2019instant. Je ne sais jamais vraiment comment les billets s\u2019ach\u00e8vent, sinon qu\u2019ils me conduisent presque \u00e0 chaque fois vers la sensation nette et tangible de l\u2019inach\u00e8vement. C\u2019est l\u00e0, quand l\u2019inach\u00e8vement devient palpable, qu\u2019ils s\u2019arr\u00eatent. *illustration*: Fleurs et fruits, Jacques Truph\u00e9mus, 2015 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/truphemus-livres-fleurs-et-fruit_1_.webp?1763931448", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-novembre-2025.html", "title": "22 novembre 2025", "date_published": "2025-11-22T07:38:14Z", "date_modified": "2025-11-22T07:49:22Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
\n« \u00c0 l\u2019obscur et en s\u00fbret\u00e9,\npar l\u2019\u00e9chelle secr\u00e8te, d\u00e9guis\u00e9e,\noh ! l\u2019heureuse aventure !\n\u00e0 l\u2019obscur et en cachette,\nma maison \u00e9tant d\u00e9sormais apais\u00e9e. »
\n-- Jean de la Croix, Livre second de La Mont\u00e9e du Mont Carmel.<\/p>\n<\/blockquote>\nLorsqu\u2019on est seul, on se trompe presque toujours de la m\u00eame mani\u00e8re : on prend pour singularit\u00e9 ce qui n\u2019est qu\u2019une exp\u00e9rience vieille comme l\u2019homme, et l\u2019on se replie aussit\u00f4t sur cette erreur comme sur une preuve. Cette nuit, j\u2019ai senti cela au plus simple, au plus nu. Il y a eu d\u2019abord la respiration ordinaire, son va-et-vient sans pens\u00e9e, puis, sans que je l\u2019aie d\u00e9cid\u00e9, un d\u00e9crochage : le souffle n\u2019\u00e9tait plus au centre, je le percevais comme on per\u00e7oit un bruit lointain, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de soi, d\u00e9j\u00e0 en train de s\u2019effacer. La pi\u00e8ce, elle, prenait le relais. Le noir n\u2019\u00e9tait pas une absence ; il avait de l\u2019\u00e9paisseur, une pression douce, une temp\u00e9rature uniforme, comme si l\u2019air cessait d\u2019\u00eatre un milieu pour devenir une mati\u00e8re tranquille. Je n\u2019\u00e9tais pas entrav\u00e9 — rien ne serrait, rien n\u2019\u00e9crasait — et pourtant j\u2019\u00e9tais tenu : contenu par cette densit\u00e9 sans forme qui remplissait les angles, les meubles, l\u2019intervalle entre mon corps et le monde. Dans cet enveloppement, le moi se r\u00e9duisait \u00e0 presque rien, \u00e0 une simple vie de cellule, et c\u2019\u00e9tait pr\u00e9cis\u00e9ment ce presque rien qui rendait possible une appartenance plus vaste, sans limite, sans visage, sans demande. J\u2019ai tr\u00e8s vite su que je n\u2019avais aucun droit \u00e0 l\u2019\u00e9tonnement : d\u2019autres l\u2019ont senti avant moi, d\u2019autres l\u2019ont \u00e9crit avec des mots plus s\u00fbrs. Eckhart, Jean de la Croix, Th\u00e9r\u00e8se d\u2019Avila, et tant d\u2019anonymes, ont reconnu ce plein du vide et l\u2019ont nomm\u00e9 gr\u00e2ce, non pour l\u2019expliquer, mais pour ne pas le trahir. Aujourd\u2019hui on dira : fatigue, repli, pulsion, m\u00e9canisme. Peut-\u00eatre. Les \u00e9tiquettes changent, l\u2019exp\u00e9rience demeure ; elle traverse les si\u00e8cles comme elle traverse une nuit. Et c\u2019est l\u00e0, peut-\u00eatre, le point le plus dur \u00e0 admettre : vouloir \u00e9crire cela revient \u00e0 exposer ce qui, par nature, se retire ; il y a une impudeur \u00e0 disposer sur la page une sensation qui ne se donne qu\u2019\u00e0 la condition de ne pas \u00eatre regard\u00e9e. Je l\u2019\u00e9cris pourtant, non pour pr\u00e9tendre \u00e0 l\u2019in\u00e9dit, mais pour laisser une trace de ce passage, avant que le souffle reprenne ses droits et que la vieille m\u00e9canique du jour remette tout \u00e0 sa place.<\/p>", "content_text": " > \u00ab \u00c0 l\u2019obscur et en s\u00fbret\u00e9, par l\u2019\u00e9chelle secr\u00e8te, d\u00e9guis\u00e9e, oh ! l\u2019heureuse aventure ! \u00e0 l\u2019obscur et en cachette, ma maison \u00e9tant d\u00e9sormais apais\u00e9e. \u00bb \u2014 Jean de la Croix, Livre second de La Mont\u00e9e du Mont Carmel. Lorsqu\u2019on est seul, on se trompe presque toujours de la m\u00eame mani\u00e8re : on prend pour singularit\u00e9 ce qui n\u2019est qu\u2019une exp\u00e9rience vieille comme l\u2019homme, et l\u2019on se replie aussit\u00f4t sur cette erreur comme sur une preuve. Cette nuit, j\u2019ai senti cela au plus simple, au plus nu. Il y a eu d\u2019abord la respiration ordinaire, son va-et-vient sans pens\u00e9e, puis, sans que je l\u2019aie d\u00e9cid\u00e9, un d\u00e9crochage : le souffle n\u2019\u00e9tait plus au centre, je le percevais comme on per\u00e7oit un bruit lointain, \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de soi, d\u00e9j\u00e0 en train de s\u2019effacer. La pi\u00e8ce, elle, prenait le relais. Le noir n\u2019\u00e9tait pas une absence ; il avait de l\u2019\u00e9paisseur, une pression douce, une temp\u00e9rature uniforme, comme si l\u2019air cessait d\u2019\u00eatre un milieu pour devenir une mati\u00e8re tranquille. Je n\u2019\u00e9tais pas entrav\u00e9 \u2014 rien ne serrait, rien n\u2019\u00e9crasait \u2014 et pourtant j\u2019\u00e9tais tenu : contenu par cette densit\u00e9 sans forme qui remplissait les angles, les meubles, l\u2019intervalle entre mon corps et le monde. Dans cet enveloppement, le moi se r\u00e9duisait \u00e0 presque rien, \u00e0 une simple vie de cellule, et c\u2019\u00e9tait pr\u00e9cis\u00e9ment ce presque rien qui rendait possible une appartenance plus vaste, sans limite, sans visage, sans demande. J\u2019ai tr\u00e8s vite su que je n\u2019avais aucun droit \u00e0 l\u2019\u00e9tonnement : d\u2019autres l\u2019ont senti avant moi, d\u2019autres l\u2019ont \u00e9crit avec des mots plus s\u00fbrs. Eckhart, Jean de la Croix, Th\u00e9r\u00e8se d\u2019Avila, et tant d\u2019anonymes, ont reconnu ce plein du vide et l\u2019ont nomm\u00e9 gr\u00e2ce, non pour l\u2019expliquer, mais pour ne pas le trahir. Aujourd\u2019hui on dira : fatigue, repli, pulsion, m\u00e9canisme. Peut-\u00eatre. Les \u00e9tiquettes changent, l\u2019exp\u00e9rience demeure ; elle traverse les si\u00e8cles comme elle traverse une nuit. Et c\u2019est l\u00e0, peut-\u00eatre, le point le plus dur \u00e0 admettre : vouloir \u00e9crire cela revient \u00e0 exposer ce qui, par nature, se retire ; il y a une impudeur \u00e0 disposer sur la page une sensation qui ne se donne qu\u2019\u00e0 la condition de ne pas \u00eatre regard\u00e9e. Je l\u2019\u00e9cris pourtant, non pour pr\u00e9tendre \u00e0 l\u2019in\u00e9dit, mais pour laisser une trace de ce passage, avant que le souffle reprenne ses droits et que la vieille m\u00e9canique du jour remette tout \u00e0 sa place. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cq5dam.thumbnail.cropped.500_281.jpg?1763796974", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-novembre-2025.html", "title": "21 novembre 2025", "date_published": "2025-11-21T08:48:17Z", "date_modified": "2025-11-21T08:54:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Remboursement du po\u00eale, aucun souci. Tant mieux. J’\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 pr\u00eat \u00e0 sauter \u00e0 la gorge du premier venu. Pourtant ce n’\u00e9tait pas gagn\u00e9 ; lorsque j’ai vu ce grand \u00e9chalas arriver avec sa d\u00e9marche nonchalante, je me suis tout de suite dit qu’il allait falloir argumenter, ce n’\u00e9tait pas le m\u00eame type qu’hier. Reprendre toute l’histoire depuis le d\u00e9but. Mais non finalement j’ai tent\u00e9 d’en dire le moins possible : \u00e7a ne convient pas, je le ram\u00e8ne. Et l\u00e0 j’ai attendu qu’il examine le paquet qui bien s\u00fbr \u00e9tait rest\u00e9 intact, qu’il donne son aval \u00e0 la jeune fille tatou\u00e9e derri\u00e8re le comptoir de l’accueil pour que je sois rembours\u00e9. Puis il est reparti du m\u00eame pas. Vous voulez un avoir ou \u00eatre rembours\u00e9 ? me demande la tatou\u00e9e. Rembours\u00e9. Mettez votre carte dans la fente m’enjoint-elle. Et je r\u00e9cup\u00e8re mes 99 euros ce qui n’est pas rien. Pour un peu je sauterais derri\u00e8re le comptoir pour l’embrasser, si j’avais encore les moyens de sauter par-dessus un comptoir, \u00e9videmment.<\/p>\n
Je mange de plus en plus de pur\u00e9es, de nourriture \u00e9crabouill\u00e9e par des robots, ce qui se rapproche des denr\u00e9es pr\u00e9m\u00e2ch\u00e9es qui d\u00e9gueulent de partout sit\u00f4t qu’on ouvre un \u00e9cran, que ce soit la bo\u00eete mail, les r\u00e9seaux, les journaux, la t\u00e9l\u00e9vision. Impression d\u00e8s que j’ouvre la porte et que je sors de baigner dans une bassine de vomi. Personne n’est tout \u00e0 fait quelqu’un ni personne. Du facteur au boucher en passant par la boulang\u00e8re, impression d’\u00eatre face \u00e0 face avec des robots. M\u00eames phrases, m\u00eames intonations. La journ\u00e9e perp\u00e9tuelle et sans fin. La m\u00eame du premier janvier \u00e0 la Saint-Sylvestre. Je ne sais plus si je dois avoir peur de cette sensation de r\u00e9p\u00e9tition ou si je dois la consid\u00e9rer comme grotesque, ou pire comme la preuve par neuf que je deviens ou que je me r\u00e9v\u00e8le tel que je suis : un vieux con amer.<\/p>\n
Sinon je lis. Les Morticoles de L. Daudet. On aurait d\u00fb le r\u00e9\u00e9diter au moment des confinements de 2020. C’est tout \u00e0 fait \u00e7a, une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 la norme est d’\u00eatre malade. Je m’emmerde un peu \u00e0 lire pour \u00eatre franc. Impression d’avoir v\u00e9cu d\u00e9j\u00e0 le livre entier. D’un autre c\u00f4t\u00e9 cela r\u00e9active les ann\u00e9es 2019-2021. Ce qui me fait continuer malgr\u00e9 tout c’est cette qu\u00eate de phrases. J’attends d’\u00eatre \u00e9branl\u00e9 \u00e0 la lecture de certaines phrases, mais je suppose que mon imagination etc. Sinon j’apprends que Cavali\u00e8re<\/strong> peut \u00eatre une porte haute d’immeuble par laquelle passent les chariots, les fiacres du temps des chevaux. Donc dans la phrase : nous arrivions devant une porte close, la cavali\u00e8re\u2026<\/em> = la grande porte principale (porte coch\u00e8re), imposante et arqu\u00e9e. Puis j’allais chercher le sens de harangue, tout \u00e0 fait le genre de mot que l’on croit conna\u00eetre depuis belle lurette, mais qui n\u00e9cessite une piq\u00fbre de rappel : une courte allocution solennelle et persuasive, une sorte de petit discours adress\u00e9 \u00e0 un groupe pour exhorter, convaincre ou encourager.<\/em> Et encore : « nous n’\u00e9tions pas des Iroquois, mais des matelots \u00e0 fin de quarantaine ; que nous mourions de faim, n’ayant mang\u00e9 depuis un mois que des biscuits ph\u00e9niqu\u00e9s<\/strong> <\/em> : Dans le contexte d’un lazaret\/quarantaine maritime, des « biscuits ph\u00e9niqu\u00e9s » sont donc des biscuits de bord d\u00e9sinfect\u00e9s ou \"carbolis\u00e9s\" au ph\u00e9nol pour limiter les risques de contagion et\/ou de pourrissement pendant l’isolement.<\/p>\n
Apr\u00e8s le d\u00eener lecture des carnets, je m’aper\u00e7ois que dans cette sorte de sotte urgence \u00e0 vouloir vider une rubrique d’import, j’ai laiss\u00e9 passer beaucoup de fautes et d’erreurs de ponctuation. J’ai param\u00e9tr\u00e9 ChatGPT en lui donnant des instructions claires pour qu’il ne fasse que corriger l’orthographe, la grammaire, et r\u00e9gler la ponctuation. De cette sorte j’ai pu tester que je pouvais lui faire corriger une vingtaine de textes \u00e0 la suite dans une conversation sans qu’il ne fasse le moindre blabla. Efficace. Pour autant la correction ne change pas le fait que ces textes en l’\u00e9tat ne servent \u00e0 rien, qu’ils ne sont que des textes de carnet \u00e0 lire et relire pour qu’\u00e0 un moment ou un autre une forme en jaillisse... J’adorerais voir une forme en jaillir comme Ath\u00e9na arm\u00e9e de pied en cap de la cervelle de Zeus (\u00e9tait-ce sa cervelle ou sa cuisse ?). Donc en utilisant l’outil que j’ai pr\u00e9par\u00e9 et qui d\u00e9sormais ne s’affiche que pour les admins avec toutes options j’ai pu imprimer des compilations mois par mois et les faire ensuite avaler \u00e0 ChatGPT. Je jongle avec les comptes gratuits, OpenAI, Anthropic, Deepseek. J’ai m\u00eame effectu\u00e9 quelques tentatives avec Poe.ai qui s’av\u00e8re lamentable. Il est vrai que pour \u00e9conomiser des points de cr\u00e9dit j’ai utilis\u00e9 seulement sur cette plateforme ChatGPT 03 mini cens\u00e9e ne co\u00fbter que 15 points par message. Mais on ne peut pas param\u00e9trer d’instruction et de plus la plateforme ne conserve pas pour chaque bot test\u00e9 la m\u00e9moire des conversations, il faut tout r\u00e9p\u00e9ter \u00e0 chaque nouvelle conversation.<\/p>\n
Le fait que je ne puisse rien faire en l’\u00e9tat de ces carnets disais-je donc m’a conduit \u00e0 cr\u00e9er ces compilations ensuite je demande aux ia de me faire ce que j’appelle un grand texte<\/em> en consid\u00e9rant que le narrateur de chacun des textes est un personnage. je lui ai m\u00eame donn\u00e9 un nom pour que \u00e7a semble plus \"r\u00e9aliste\" aux machines. Chaque compilation mensuelle devient ainsi une sorte de chapitre au cours duquel je peux voir l’\u00e9volution du personnage selon diff\u00e9rentes th\u00e9matiques. Ce ne sont pas de grands textes litt\u00e9raires, bien \u00e9videmment, mais \u00e7a produit un outil \u00e0 partir duquel r\u00e9fl\u00e9chir et, qui sait si une nouvelle forme ne va pas sortir de l\u00e0... La fameuse forme.<\/p>\n
Illustration<\/strong> Hercule et l’hydre de Lerne <\/p>", "content_text": " Remboursement du po\u00eale, aucun souci. Tant mieux. J'\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 pr\u00eat \u00e0 sauter \u00e0 la gorge du premier venu. Pourtant ce n'\u00e9tait pas gagn\u00e9 ; lorsque j'ai vu ce grand \u00e9chalas arriver avec sa d\u00e9marche nonchalante, je me suis tout de suite dit qu'il allait falloir argumenter, ce n'\u00e9tait pas le m\u00eame type qu'hier. Reprendre toute l'histoire depuis le d\u00e9but. Mais non finalement j'ai tent\u00e9 d'en dire le moins possible : \u00e7a ne convient pas, je le ram\u00e8ne. Et l\u00e0 j'ai attendu qu'il examine le paquet qui bien s\u00fbr \u00e9tait rest\u00e9 intact, qu'il donne son aval \u00e0 la jeune fille tatou\u00e9e derri\u00e8re le comptoir de l'accueil pour que je sois rembours\u00e9. Puis il est reparti du m\u00eame pas. Vous voulez un avoir ou \u00eatre rembours\u00e9 ? me demande la tatou\u00e9e. Rembours\u00e9. Mettez votre carte dans la fente m'enjoint-elle. Et je r\u00e9cup\u00e8re mes 99 euros ce qui n'est pas rien. Pour un peu je sauterais derri\u00e8re le comptoir pour l'embrasser, si j'avais encore les moyens de sauter par-dessus un comptoir, \u00e9videmment. Je mange de plus en plus de pur\u00e9es, de nourriture \u00e9crabouill\u00e9e par des robots, ce qui se rapproche des denr\u00e9es pr\u00e9m\u00e2ch\u00e9es qui d\u00e9gueulent de partout sit\u00f4t qu'on ouvre un \u00e9cran, que ce soit la bo\u00eete mail, les r\u00e9seaux, les journaux, la t\u00e9l\u00e9vision. Impression d\u00e8s que j'ouvre la porte et que je sors de baigner dans une bassine de vomi. Personne n'est tout \u00e0 fait quelqu'un ni personne. Du facteur au boucher en passant par la boulang\u00e8re, impression d'\u00eatre face \u00e0 face avec des robots. M\u00eames phrases, m\u00eames intonations. La journ\u00e9e perp\u00e9tuelle et sans fin. La m\u00eame du premier janvier \u00e0 la Saint-Sylvestre. Je ne sais plus si je dois avoir peur de cette sensation de r\u00e9p\u00e9tition ou si je dois la consid\u00e9rer comme grotesque, ou pire comme la preuve par neuf que je deviens ou que je me r\u00e9v\u00e8le tel que je suis : un vieux con amer. Sinon je lis. Les Morticoles de L. Daudet. On aurait d\u00fb le r\u00e9\u00e9diter au moment des confinements de 2020. C'est tout \u00e0 fait \u00e7a, une soci\u00e9t\u00e9 o\u00f9 la norme est d'\u00eatre malade. Je m'emmerde un peu \u00e0 lire pour \u00eatre franc. Impression d'avoir v\u00e9cu d\u00e9j\u00e0 le livre entier. D'un autre c\u00f4t\u00e9 cela r\u00e9active les ann\u00e9es 2019-2021. Ce qui me fait continuer malgr\u00e9 tout c'est cette qu\u00eate de phrases. J'attends d'\u00eatre \u00e9branl\u00e9 \u00e0 la lecture de certaines phrases, mais je suppose que mon imagination etc. Sinon j'apprends que **Cavali\u00e8re** peut \u00eatre une porte haute d'immeuble par laquelle passent les chariots, les fiacres du temps des chevaux. Donc dans la phrase : *nous arrivions devant une porte close, la cavali\u00e8re\u2026* = la grande porte principale (porte coch\u00e8re), imposante et arqu\u00e9e. Puis j'allais chercher le sens de harangue, tout \u00e0 fait le genre de mot que l'on croit conna\u00eetre depuis belle lurette, mais qui n\u00e9cessite une piq\u00fbre de rappel : *une courte allocution solennelle et persuasive, une sorte de petit discours adress\u00e9 \u00e0 un groupe pour exhorter, convaincre ou encourager.* Et encore : *\u00ab nous n'\u00e9tions pas des Iroquois, mais des matelots \u00e0 fin de quarantaine ; que nous mourions de faim, n'ayant mang\u00e9 depuis un mois que des biscuits **ph\u00e9niqu\u00e9s** * : Dans le contexte d'un lazaret\/quarantaine maritime, des \u00ab biscuits ph\u00e9niqu\u00e9s \u00bb sont donc des biscuits de bord d\u00e9sinfect\u00e9s ou \"carbolis\u00e9s\" au ph\u00e9nol pour limiter les risques de contagion et\/ou de pourrissement pendant l'isolement. Apr\u00e8s le d\u00eener lecture des carnets, je m'aper\u00e7ois que dans cette sorte de sotte urgence \u00e0 vouloir vider une rubrique d'import, j'ai laiss\u00e9 passer beaucoup de fautes et d'erreurs de ponctuation. J'ai param\u00e9tr\u00e9 ChatGPT en lui donnant des instructions claires pour qu'il ne fasse que corriger l'orthographe, la grammaire, et r\u00e9gler la ponctuation. De cette sorte j'ai pu tester que je pouvais lui faire corriger une vingtaine de textes \u00e0 la suite dans une conversation sans qu'il ne fasse le moindre blabla. Efficace. Pour autant la correction ne change pas le fait que ces textes en l'\u00e9tat ne servent \u00e0 rien, qu'ils ne sont que des textes de carnet \u00e0 lire et relire pour qu'\u00e0 un moment ou un autre une forme en jaillisse... J'adorerais voir une forme en jaillir comme Ath\u00e9na arm\u00e9e de pied en cap de la cervelle de Zeus (\u00e9tait-ce sa cervelle ou sa cuisse ?). Donc en utilisant l'outil que j'ai pr\u00e9par\u00e9 et qui d\u00e9sormais ne s'affiche que pour les admins avec toutes options j'ai pu imprimer des compilations mois par mois et les faire ensuite avaler \u00e0 ChatGPT. Je jongle avec les comptes gratuits, OpenAI, Anthropic, Deepseek. J'ai m\u00eame effectu\u00e9 quelques tentatives avec Poe.ai qui s'av\u00e8re lamentable. Il est vrai que pour \u00e9conomiser des points de cr\u00e9dit j'ai utilis\u00e9 seulement sur cette plateforme ChatGPT 03 mini cens\u00e9e ne co\u00fbter que 15 points par message. Mais on ne peut pas param\u00e9trer d'instruction et de plus la plateforme ne conserve pas pour chaque bot test\u00e9 la m\u00e9moire des conversations, il faut tout r\u00e9p\u00e9ter \u00e0 chaque nouvelle conversation. Le fait que je ne puisse rien faire en l'\u00e9tat de ces carnets disais-je donc m'a conduit \u00e0 cr\u00e9er ces compilations ensuite je demande aux ia de me faire ce que j'appelle un *grand texte* en consid\u00e9rant que le narrateur de chacun des textes est un personnage. je lui ai m\u00eame donn\u00e9 un nom pour que \u00e7a semble plus \"r\u00e9aliste\" aux machines. Chaque compilation mensuelle devient ainsi une sorte de chapitre au cours duquel je peux voir l'\u00e9volution du personnage selon diff\u00e9rentes th\u00e9matiques. Ce ne sont pas de grands textes litt\u00e9raires, bien \u00e9videmment, mais \u00e7a produit un outil \u00e0 partir duquel r\u00e9fl\u00e9chir et, qui sait si une nouvelle forme ne va pas sortir de l\u00e0... La fameuse forme. ** Illustration** Hercule et l'hydre de Lerne ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3360.jpg?1763714842", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-novembre-2025.html", "title": "20 novembre 2025", "date_published": "2025-11-20T08:19:07Z", "date_modified": "2025-11-20T08:19:07Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
achat d’un nouveau po\u00e8le pour l’atelier avec un nouveau d\u00e9tendeur butane, 130 \u20ac. Par curiosit\u00e9 je change l’ancien d\u00e9tendeur de l’ancien po\u00e8le, et, miracle, l’ancien po\u00e8le refonctionne. Donc je devrai ressortir cette apr\u00e8s-midi pour rapporter le po\u00e8le neuf qui ne me sert de rien en esp\u00e9rant qu’ils me le rembourseront, qu’il ne transformeront pas cela en \"avoir\". comme argument je pourrai peut-\u00eatre faire valoir le publicit\u00e9 mensong\u00e8re affich\u00e9 sur le site car au lieu de 8,99 \u20ac le d\u00e9tendeur coute 29 \u20ac. J’ai r\u00e2l\u00e9 suffisamment pour qu’on se souvienne bien de moi quand j’y retournerai.\nFatigue morale, sensation de glissage de plus en plus vers un \u00e9v\u00e9nemement in\u00e9luctable, lequel, aucune id\u00e9e, tous les \u00e9v\u00e9nements pouvant au bout du compte \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme in\u00e9luctables, depuis le fait que j’aille acheter ma baguette pas trop cuite le matin jusqu’\u00e0 ce que je mange ma soupe le soir. Il y a autant de risque que quelque chose d’in\u00e9luctable se produise \u00e0 chaque respiration. Et je n’y peux absolument rien. Ce constat d’impuissance est une sorte de baume, d’apaisement au final. Une bombe pourrait tomber sur la boulangerie, sur la maison que je ne pense pas non plus avoir une quelconque responsabilit\u00e9 dans cet \u00e9v\u00e9nement. L’in\u00e9luctable n’a besoin ni de mon aval pas plus que de mon avis.\nAper\u00e7u \u00e0 peine dix secondes je ne sais d\u00e9j\u00e0 plus o\u00f9 une altercation entre un jeune homme et A. G. , la question du jeune : Monsieur G. quand aller vous avouer aux fran\u00e7ais que vous n’\u00eates pas socialiste ? et d’\u00e9tablir l’inventaire des activit\u00e9s peu sociales du gugusse, dont le visage se d\u00e9composa nettement en entendant parler de la G\u00e9orgie. Bref, j’ai regard\u00e9 dix secondes puis je suis retourn\u00e9 dans Daudet ( L\u00e9on). \nje m’arr\u00e8te l\u00e0 car impression d’\u00eatre poss\u00e9d\u00e9 par une bignole acari\u00e2tre. Comme tous les vieux de mon \u00e2ge qui ne font que de se plaindre, de r\u00e2ler, par anticipation du r\u00e2le majuscule de leur vie.<\/p>", "content_text": " achat d'un nouveau po\u00e8le pour l'atelier avec un nouveau d\u00e9tendeur butane, 130 \u20ac. Par curiosit\u00e9 je change l'ancien d\u00e9tendeur de l'ancien po\u00e8le, et, miracle, l'ancien po\u00e8le refonctionne. Donc je devrai ressortir cette apr\u00e8s-midi pour rapporter le po\u00e8le neuf qui ne me sert de rien en esp\u00e9rant qu'ils me le rembourseront, qu'il ne transformeront pas cela en \"avoir\". comme argument je pourrai peut-\u00eatre faire valoir le publicit\u00e9 mensong\u00e8re affich\u00e9 sur le site car au lieu de 8,99 \u20ac le d\u00e9tendeur coute 29 \u20ac. J'ai r\u00e2l\u00e9 suffisamment pour qu'on se souvienne bien de moi quand j'y retournerai. Fatigue morale, sensation de glissage de plus en plus vers un \u00e9v\u00e9nemement in\u00e9luctable, lequel, aucune id\u00e9e, tous les \u00e9v\u00e9nements pouvant au bout du compte \u00eatre consid\u00e9r\u00e9s comme in\u00e9luctables, depuis le fait que j'aille acheter ma baguette pas trop cuite le matin jusqu'\u00e0 ce que je mange ma soupe le soir. Il y a autant de risque que quelque chose d'in\u00e9luctable se produise \u00e0 chaque respiration. Et je n'y peux absolument rien. Ce constat d'impuissance est une sorte de baume, d'apaisement au final. Une bombe pourrait tomber sur la boulangerie, sur la maison que je ne pense pas non plus avoir une quelconque responsabilit\u00e9 dans cet \u00e9v\u00e9nement. L'in\u00e9luctable n'a besoin ni de mon aval pas plus que de mon avis. Aper\u00e7u \u00e0 peine dix secondes je ne sais d\u00e9j\u00e0 plus o\u00f9 une altercation entre un jeune homme et A. G. , la question du jeune : Monsieur G. quand aller vous avouer aux fran\u00e7ais que vous n'\u00eates pas socialiste ? et d'\u00e9tablir l'inventaire des activit\u00e9s peu sociales du gugusse, dont le visage se d\u00e9composa nettement en entendant parler de la G\u00e9orgie. Bref, j'ai regard\u00e9 dix secondes puis je suis retourn\u00e9 dans Daudet ( L\u00e9on). je m'arr\u00e8te l\u00e0 car impression d'\u00eatre poss\u00e9d\u00e9 par une bignole acari\u00e2tre. Comme tous les vieux de mon \u00e2ge qui ne font que de se plaindre, de r\u00e2ler, par anticipation du r\u00e2le majuscule de leur vie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20181123_171811-2.jpg?1763626722", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-novembre-2025.html", "title": "19 novembre 2025", "date_published": "2025-11-19T08:02:50Z", "date_modified": "2025-11-19T08:27:34Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Ce que m’apprend l’usage de l’IA, et encore plus en regardant la mani\u00e8re dont aucun s’y prend , c’est qu’elle — ou il — n’est qu’une sorte de miroir de qui nous sommes. M\u00eame si on le ou la vouvoie, que l’on s’oblige \u00e0 prendre des gants, des pr\u00e9cautions de toutes sortes (la prudence d’un langage technique bien organis\u00e9 avec listes \u00e0 puces num\u00e9rot\u00e9es, tirets cadratins), on attend toujours quelque chose d’un ext\u00e9rieur qui se pr\u00e9sente avec toute l’apparence d’un ext\u00e9rieur, mais qui n’en est pas un.<\/p>\n
Autant se dire que l’exp\u00e9rience IA n’est rien d’autre qu’un monologue, un soliloque. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas l’utiliser, tout au contraire. Surtout si, au bout d’un nombre d’ann\u00e9es suffisamment grand, on s’aper\u00e7oit que la plupart des conversations entretenues avec le monde, ce fameux ext\u00e9rieur, ne furent que des soliloques elles aussi.<\/p>\n
J’ai partag\u00e9 quelques fois mes \"conversations avec l’IA\" et, avec le recul, il me semble que si j’avais partag\u00e9 des images de moi nu, cela n’aurait pas \u00e9t\u00e9 pire — si je me place dans la peau du quidam moyen arm\u00e9 d’une grosse douille de bon sens. Ce n’est pas quelque chose d’attirant, dira-t-on, pas sexy ou chill.<\/p>\n
Ce qui diff\u00e9rencie les \u00eatres, c’est la prise de conscience du d\u00e9sert dans lequel ils sont, et ce de fa\u00e7on d\u00e9finitive. Et qu’on ne m’oppose pas l’amiti\u00e9 ou l’amour \u00e0 ce th\u00e9or\u00e8me, car nous savons aussi d\u00e9sormais qu’il existe des folies collectives, le collectif — \u00e0 ce que je sache — commen\u00e7ant par le chiffre deux.<\/p>\n
J’avais d\u00e9j\u00e0 eu ce pressentiment en d\u00e9couvrant les r\u00e9seaux sociaux, il y a de cela des lustres maintenant. Je m’\u00e9tais interrog\u00e9 sur cette violence que j’\u00e9prouvais presque instantan\u00e9ment lorsque je postais un billet : n’obtenir ni like ni commentaire, \u00eatre invisible, voire pire, rejet\u00e9 par ce silence. C’\u00e9tait \u00e9videmment du m\u00eame ordre que de se retrouver adolescent boutonneux devant un miroir sans concession, ou un parent \u00e9go\u00efste, cruel— c’est-\u00e0-dire finalement d’antiques peurs qu’on pensait avoir r\u00e9ussi \u00e0 \u00e9touffer, puis \u00e0 oublier.<\/p>\n
Les t\u00e9l\u00e9phones portables, avec tous les gadgets dont ils sont truff\u00e9s d\u00e9sormais — et entre autres l’IA et les r\u00e9seaux — m’apparaissent comme de petites glaces<\/a> dans lesquelles les habitants des villes (peut-\u00eatre moins ceux des campagnes) passent un temps fou \u00e0 se mirer, s’admirer, ou bien tout au contraire se conspuer eux-m\u00eames en croyant s’en prendre \u00e0 un autre.<\/p>\n
Ensuite, qu’il y ait des cam\u00e9ras \u00e0 tous les coins de rue, qu’on nous flique jusque dans nos plus intimes recoins, quelle sorte de surprise, d’\u00e9tonnement cela peut-il faire ? N’est-ce pas un syst\u00e8me d\u00e9bile qui se mire lui aussi au travers de nous, qui d’ailleurs n’est pas plus tendre avec lui-m\u00eame que nous ne le sommes nous-m\u00eames ?<\/p>\n
Si je consid\u00e8re les institutions, le service public, c’est grosso modo la m\u00eame douleur qu’avec ces billeves\u00e9es num\u00e9riques. Le silence inou\u00ef dans lequel on nous rel\u00e8gue — ce \"on\" \u00e9tant tout \u00e0 fait bien plac\u00e9 pour \u00e9voquer la maladie administrative globale. L’hydre bureaucratique et ses arm\u00e9es d’invisibles ronds de cuir. Cette chienlie, cette l\u00e8pre. La seule chose que cette l\u00e8pre sait faire, c’est envahir le corps par l’int\u00e9rieur comme un cancer, par son langage abscons, imbitable, ses courriers mena\u00e7ants, ses exigences brusques, ses refus cat\u00e9goriques. son silence \u00e9pais autant qu’interminable. Sans oublier le parcours du combattant d\u00e9sormais pour remplir le moindre dossier. On ne me fera pas croire que tout cela sert le bonheur collectif, le bien-\u00eatre des citoyens. Et masochistes nous payons tout cela nous \"contribuons\" J’ai bien plus la sensation d’avoir \u00e9t\u00e9 m\u00e2ch\u00e9, suc\u00e9 jusqu’\u00e0 la moelle, puis recrach\u00e9 dans un caniveau que d’appartenir \u00e0 une collectivit\u00e9 r\u00e9elle. Ou alors c’est une collectivit\u00e9 tr\u00e8s r\u00e9duite, celle des montreurs de marionnettes, les fabricants de th\u00e9\u00e2tre d’ombres, de m\u00e9chants forains ambulants.<\/p>", "content_text": " Ce que m'apprend l'usage de l'IA, et encore plus en regardant la mani\u00e8re dont aucun s'y prend , c'est qu'elle \u2014 ou il \u2014 n'est qu'une sorte de miroir de qui nous sommes. M\u00eame si on le ou la vouvoie, que l'on s'oblige \u00e0 prendre des gants, des pr\u00e9cautions de toutes sortes (la prudence d'un langage technique bien organis\u00e9 avec listes \u00e0 puces num\u00e9rot\u00e9es, tirets cadratins), on attend toujours quelque chose d'un ext\u00e9rieur qui se pr\u00e9sente avec toute l'apparence d'un ext\u00e9rieur, mais qui n'en est pas un. Autant se dire que l'exp\u00e9rience IA n'est rien d'autre qu'un monologue, un soliloque. Ce qui n'est pas une raison pour ne pas l'utiliser, tout au contraire. Surtout si, au bout d'un nombre d'ann\u00e9es suffisamment grand, on s'aper\u00e7oit que la plupart des conversations entretenues avec le monde, ce fameux ext\u00e9rieur, ne furent que des soliloques elles aussi. J'ai partag\u00e9 quelques fois mes \"conversations avec l'IA\" et, avec le recul, il me semble que si j'avais partag\u00e9 des images de moi nu, cela n'aurait pas \u00e9t\u00e9 pire \u2014 si je me place dans la peau du quidam moyen arm\u00e9 d'une grosse douille de bon sens. Ce n'est pas quelque chose d'attirant, dira-t-on, pas sexy ou chill. Ce qui diff\u00e9rencie les \u00eatres, c'est la prise de conscience du d\u00e9sert dans lequel ils sont, et ce de fa\u00e7on d\u00e9finitive. Et qu'on ne m'oppose pas l'amiti\u00e9 ou l'amour \u00e0 ce th\u00e9or\u00e8me, car nous savons aussi d\u00e9sormais qu'il existe des folies collectives, le collectif \u2014 \u00e0 ce que je sache \u2014 commen\u00e7ant par le chiffre deux. J'avais d\u00e9j\u00e0 eu ce pressentiment en d\u00e9couvrant les r\u00e9seaux sociaux, il y a de cela des lustres maintenant. Je m'\u00e9tais interrog\u00e9 sur cette violence que j'\u00e9prouvais presque instantan\u00e9ment lorsque je postais un billet : n'obtenir ni like ni commentaire, \u00eatre invisible, voire pire, rejet\u00e9 par ce silence. C'\u00e9tait \u00e9videmment du m\u00eame ordre que de se retrouver adolescent boutonneux devant un miroir sans concession, ou un parent \u00e9go\u00efste, cruel\u2014 c'est-\u00e0-dire finalement d'antiques peurs qu'on pensait avoir r\u00e9ussi \u00e0 \u00e9touffer, puis \u00e0 oublier. Les t\u00e9l\u00e9phones portables, avec tous les gadgets dont ils sont truff\u00e9s d\u00e9sormais \u2014 et entre autres l'IA et les r\u00e9seaux \u2014 m'apparaissent comme de petites [glaces->https:\/\/ledibbouk.net\/l-admiration-perdue.html] dans lesquelles les habitants des villes (peut-\u00eatre moins ceux des campagnes) passent un temps fou \u00e0 se mirer, s'admirer, ou bien tout au contraire se conspuer eux-m\u00eames en croyant s'en prendre \u00e0 un autre. Ensuite, qu'il y ait des cam\u00e9ras \u00e0 tous les coins de rue, qu'on nous flique jusque dans nos plus intimes recoins, quelle sorte de surprise, d'\u00e9tonnement cela peut-il faire ? N'est-ce pas un syst\u00e8me d\u00e9bile qui se mire lui aussi au travers de nous, qui d'ailleurs n'est pas plus tendre avec lui-m\u00eame que nous ne le sommes nous-m\u00eames ? Si je consid\u00e8re les institutions, le service public, c'est grosso modo la m\u00eame douleur qu'avec ces billeves\u00e9es num\u00e9riques. Le silence inou\u00ef dans lequel on nous rel\u00e8gue \u2014 ce \"on\" \u00e9tant tout \u00e0 fait bien plac\u00e9 pour \u00e9voquer la maladie administrative globale. L'hydre bureaucratique et ses arm\u00e9es d'invisibles ronds de cuir. Cette chienlie, cette l\u00e8pre. La seule chose que cette l\u00e8pre sait faire, c'est envahir le corps par l'int\u00e9rieur comme un cancer, par son langage abscons, imbitable, ses courriers mena\u00e7ants, ses exigences brusques, ses refus cat\u00e9goriques. son silence \u00e9pais autant qu'interminable. Sans oublier le parcours du combattant d\u00e9sormais pour remplir le moindre dossier. On ne me fera pas croire que tout cela sert le bonheur collectif, le bien-\u00eatre des citoyens. Et masochistes nous payons tout cela nous \"contribuons\" J'ai bien plus la sensation d'avoir \u00e9t\u00e9 m\u00e2ch\u00e9, suc\u00e9 jusqu'\u00e0 la moelle, puis recrach\u00e9 dans un caniveau que d'appartenir \u00e0 une collectivit\u00e9 r\u00e9elle. Ou alors c'est une collectivit\u00e9 tr\u00e8s r\u00e9duite, celle des montreurs de marionnettes, les fabricants de th\u00e9\u00e2tre d'ombres, de m\u00e9chants forains ambulants. 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J\u2019aime l\u2019hiver, le froid, \u00e0 condition d\u2019\u00eatre bien calfeutr\u00e9 chez moi, ce qui est le cas. De longues journ\u00e9es pour lire, \u00e9crire, dessiner parfois, peindre de moins en moins. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, on dirait presque une vie de luxe ; s\u2019il n\u2019y avait pas toute la contingence ordinaire, \u00e9videmment. Cet apr\u00e8s-midi, par exemple, il faudra sortir pour acheter un nouveau po\u00eale, car impossible de remettre en fonction celui que j\u2019ai achet\u00e9 il y a deux ans. On a tout d\u00e9mont\u00e9, nettoy\u00e9, remont\u00e9, v\u00e9rifi\u00e9 chaque vis, chaque joint, mais non, rien, foutu. On r\u00e2le un peu pour la forme contre l\u2019obsolescence programm\u00e9e, on peste contre les discours \u00e9cologiques et les aides \u00e0 la r\u00e9paration qui s\u2019arr\u00eatent \u00e0 la porte de Brico Cash. Une journ\u00e9e ordinaire, donc ? Pas tout \u00e0 fait.<\/p>\n
Hier, le 17, j\u2019ai eu soudain envie de redescendre dans la biblioth\u00e8que du rez-de-chauss\u00e9e et de retrouver cette collection de vieux bouquins ayant appartenu \u00e0 mon a\u00efeul. J\u2019ai d\u00fb, de toute ma vie, n\u2019ouvrir qu\u2019une seule fois un livre de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e. J\u2019\u00e9tais jeune, inculte, aimant me croire moderne, et l\u2019id\u00e9e m\u00eame de m\u2019int\u00e9resser \u00e0 un auteur comme Copp\u00e9e me paraissait d\u00e9j\u00e0 une trahison de ce que j\u2019imaginais \u00eatre la « vraie » litt\u00e9rature. Si je calcule, cela fait bien cinquante ans que ces bouquins n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 ouverts, peut-\u00eatre plus, car je doute que mes parents ou mon fr\u00e8re y aient jamais jet\u00e9 le moindre coup d\u2019\u0153il. Ils font partie des meubles, de ces \u00e9vidences qui peuplent le d\u00e9cor sans qu\u2019on les voie vraiment. Pas mes parents, les livres.<\/p>\n
Cette fois, j\u2019ai pris le tome I de l\u2019\u00e9dition L. Herbert ; sur la tranche est inscrit « Prose ». Je crois que la premi\u00e8re fois j\u2019avais commenc\u00e9 par la po\u00e9sie, erreur de d\u00e9butant : trop sentimental, trop poudr\u00e9, rien \u00e0 voir avec Rimbaud ou Baudelaire, \u00e9videmment, et j\u2019avais referm\u00e9 \u00e7a en me promettant de ne plus y revenir. Pourtant, dans ce travail de documentation que je m\u00e8ne, je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Copp\u00e9e, tout comme je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Charles-Louis Philippe, n\u00e9 \u00e0 C\u00e9rilly, \u00e0 deux pas de Tron\u00e7ais. Il y a l\u00e0 une g\u00e9ographie, une filiation, que je le veuille ou non.<\/p>\n
En ce moment, je suis jusqu\u2019aux yeux dans cette seconde moiti\u00e9 du XIX\u1d49 si\u00e8cle : journaux, souvenirs, correspondances, vieilles \u00e9ditions scann\u00e9es et qui me br\u00fblent les yeux sur les sites de la BNF et Gallica. On dirait que l\u2019\u00e9poque actuelle n\u2019existe plus, ou plut\u00f4t qu\u2019elle ne m\u2019int\u00e9resse plus vraiment. Je m\u2019accroche \u00e0 la tournure de certaines phrases comme, dans un naufrage, \u00e0 un morceau d\u2019\u00e9pave : pas de salut ailleurs que l\u00e0. Hier, j\u2019ai t\u00e9l\u00e9charg\u00e9 tout L\u00e9on Daudet, en me disant qu\u2019il m\u2019en raconterait un peu plus sur les \u00e9crivains de son temps, leurs manies, leurs postures, leurs ridicules aussi. Jusque-l\u00e0, je dois avouer que je n\u2019ai lu qu\u2019Alphonse, et encore \u00e0 l\u2019\u00e9cole, dans les petites classes, \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 je r\u00eavais d\u2019\u00eatre indien ; l\u2019int\u00e9r\u00eat que je portais aux Daudet allait donc \u00e0 peu pr\u00e8s de pair avec mon s\u00e9rieux en classe.<\/p>\n
Ce qui me pousse aujourd\u2019hui vers ces vieux auteurs, c\u2019est aussi le contraste avec ce que je lis de la litt\u00e9rature contemporaine. Je pense par exemple \u00e0 Jean Echenoz : des livres construits au cordeau, des effets parfaitement ma\u00eetris\u00e9s, de l\u2019ing\u00e9niosit\u00e9 \u00e0 chaque page, un sens de la pirouette qui force l\u2019admiration — et pourtant, quand je referme Courir<\/em> ou 14<\/em>, j\u2019ai surtout l\u2019impression d\u2019avoir assist\u00e9 \u00e0 un num\u00e9ro de funambule. La phrase passe, gracieuse, au-dessus du vide ; moi, je reste en bas, spectateur. C\u2019est brillant, mais distraitement brillant, presque d\u00e9sincarn\u00e9. Il manque quelque chose qui br\u00fble, quelque chose qui se risque vraiment. Le corps y est, parfois, mais comme d\u00e9crit de l\u2019ext\u00e9rieur, avec un sourire en coin.<\/p>\n
Pour Michon, c\u2019est autre chose encore : une \u00e9rudition qui d\u00e9borde, un luxe de r\u00e9f\u00e9rences, et cette fa\u00e7on de poser la phrase comme on pose une pi\u00e8ce d\u2019orf\u00e8vrerie sur un velours sombre. Dans Je lis l\u2019Iliade<\/em>, j\u2019ai souvent eu l\u2019impression qu\u2019il jouissait un peu trop de cette sup\u00e9riorit\u00e9-l\u00e0 : lui qui sait, nous qui lisons. Je peux admirer la construction, le travail, la m\u00e9moire, mais je sens aussi une pointe de cruaut\u00e9 dans cette accumulation de savoir, comme si le texte disait : regarde comme tu es petit devant tout ce que je convoque. Ce n\u2019est pas tant l\u2019exc\u00e8s d\u2019\u00e9rudition qui me g\u00eane que la mani\u00e8re dont elle s\u2019interpose parfois entre le lecteur et ce qui pourrait, justement, le toucher.<\/p>\n
Mais je ne veux jeter la pierre \u00e0 personne : n\u2019ai-je pas moi aussi us\u00e9 et abus\u00e9 de tels subterfuges pour masquer ce que j\u2019imaginais \u00eatre un vide honteux, un vide personnel ? Or ce vide n\u2019est pas seulement personnel ; il vient aussi de l\u2019ext\u00e9rieur, j\u2019en suis de plus en plus convaincu. Par contraste, quand je pense \u00e0 Flaubert ou Balzac — ne r\u00e2laient-ils pas d\u00e9j\u00e0, eux aussi, contre ce m\u00eame vide ? —, m\u00eame dans leurs pages les plus pesantes, il y a toujours cette ferveur t\u00eatue : quelque chose d\u2019acharn\u00e9 dans la mani\u00e8re de nommer, de recommencer, de reprendre encore la phrase jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle rende un peu de la vie qu\u2019elle pr\u00e9tend dire. Chez L\u00e9on Daudet, chez Bloy, on sent parfois une rage, une mauvaise foi, une exag\u00e9ration ridicule, mais \u00e7a vit, \u00e7a d\u00e9borde, \u00e7a tremble. Shakespeare, Poe, Carver, chacun \u00e0 leur mani\u00e8re, s\u2019adressent \u00e0 tout autre chose qu\u2019au seul go\u00fbt litt\u00e9raire du moment ; ils parlent \u00e0 cette chose introuvable qu\u2019on continue, faute de mieux, d\u2019appeler l\u2019\u00e2me. Ou, plus simplement, ils acceptent leurs propres contradictions, ce qui devient de plus en plus difficile aujourd\u2019hui, o\u00f9 tout doit para\u00eetre « coh\u00e9rent », lisible comme des panneaux de signalisation d\u2019autoroute.<\/p>\n
C\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a que je cherche en redescendant dans la poussi\u00e8re de ma biblioth\u00e8que : non pas me r\u00e9fugier dans le pass\u00e9 pour fuir le pr\u00e9sent, mais v\u00e9rifier, livre apr\u00e8s livre, s\u2019il existe encore une mani\u00e8re d\u2019\u00e9crire qui ne soit pas seulement un jeu d\u2019intelligence. Cette ferveur-l\u00e0 n\u2019est pas adress\u00e9e \u00e0 un dieu de cat\u00e9chisme, elle est adress\u00e9e \u00e0 une langue, qu\u2019elle soit fran\u00e7aise, anglo-saxonne, mongole ou pygm\u00e9e, peu importe. Elle reconna\u00eet simplement que nous sommes port\u00e9s par quelque chose qui nous pr\u00e9c\u00e8de, cette masse de phrases \u00e9crites avant nous, qu\u2019on le veuille ou non, qu\u2019on la connaisse ou qu\u2019on l\u2019ignore. Le probl\u00e8me, aujourd\u2019hui, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment qu\u2019on l\u2019ignore volontiers, ou que cela arrange beaucoup de monde de faire comme si cette dette n\u2019existait pas. Ce carnet, que je baptise « autofiction-introspection » pour m\u2019excuser un peu de tant de m\u00e9ditation, n\u2019a peut-\u00eatre pas d\u2019autre but que de v\u00e9rifier, \u00e0 ma petite \u00e9chelle, si je peux me tenir encore dans cette ferveur-l\u00e0 sans me mentir.\nCar, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit, je passe le plus clair de mon temps \u00e0 me mentir, la v\u00e9rit\u00e9 du jour n\u2019\u00e9tant jamais assez fra\u00eeche \u00e0 mon go\u00fbt.<\/p>\n
illustration<\/strong> s\u00e9pulture de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e au cimeti\u00e8re du Montparnasse, div9, Paris<\/p>", "content_text": " J\u2019aime l\u2019hiver, le froid, \u00e0 condition d\u2019\u00eatre bien calfeutr\u00e9 chez moi, ce qui est le cas. De longues journ\u00e9es pour lire, \u00e9crire, dessiner parfois, peindre de moins en moins. Vu de l\u2019ext\u00e9rieur, on dirait presque une vie de luxe ; s\u2019il n\u2019y avait pas toute la contingence ordinaire, \u00e9videmment. Cet apr\u00e8s-midi, par exemple, il faudra sortir pour acheter un nouveau po\u00eale, car impossible de remettre en fonction celui que j\u2019ai achet\u00e9 il y a deux ans. On a tout d\u00e9mont\u00e9, nettoy\u00e9, remont\u00e9, v\u00e9rifi\u00e9 chaque vis, chaque joint, mais non, rien, foutu. On r\u00e2le un peu pour la forme contre l\u2019obsolescence programm\u00e9e, on peste contre les discours \u00e9cologiques et les aides \u00e0 la r\u00e9paration qui s\u2019arr\u00eatent \u00e0 la porte de Brico Cash. Une journ\u00e9e ordinaire, donc ? Pas tout \u00e0 fait. Hier, le 17, j\u2019ai eu soudain envie de redescendre dans la biblioth\u00e8que du rez-de-chauss\u00e9e et de retrouver cette collection de vieux bouquins ayant appartenu \u00e0 mon a\u00efeul. J\u2019ai d\u00fb, de toute ma vie, n\u2019ouvrir qu\u2019une seule fois un livre de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e. J\u2019\u00e9tais jeune, inculte, aimant me croire moderne, et l\u2019id\u00e9e m\u00eame de m\u2019int\u00e9resser \u00e0 un auteur comme Copp\u00e9e me paraissait d\u00e9j\u00e0 une trahison de ce que j\u2019imaginais \u00eatre la \u00ab vraie \u00bb litt\u00e9rature. Si je calcule, cela fait bien cinquante ans que ces bouquins n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 ouverts, peut-\u00eatre plus, car je doute que mes parents ou mon fr\u00e8re y aient jamais jet\u00e9 le moindre coup d\u2019\u0153il. Ils font partie des meubles, de ces \u00e9vidences qui peuplent le d\u00e9cor sans qu\u2019on les voie vraiment. Pas mes parents, les livres. Cette fois, j\u2019ai pris le tome I de l\u2019\u00e9dition L. Herbert ; sur la tranche est inscrit \u00ab Prose \u00bb. Je crois que la premi\u00e8re fois j\u2019avais commenc\u00e9 par la po\u00e9sie, erreur de d\u00e9butant : trop sentimental, trop poudr\u00e9, rien \u00e0 voir avec Rimbaud ou Baudelaire, \u00e9videmment, et j\u2019avais referm\u00e9 \u00e7a en me promettant de ne plus y revenir. Pourtant, dans ce travail de documentation que je m\u00e8ne, je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Copp\u00e9e, tout comme je ne peux pas faire l\u2019impasse sur Charles-Louis Philippe, n\u00e9 \u00e0 C\u00e9rilly, \u00e0 deux pas de Tron\u00e7ais. Il y a l\u00e0 une g\u00e9ographie, une filiation, que je le veuille ou non. En ce moment, je suis jusqu\u2019aux yeux dans cette seconde moiti\u00e9 du XIX\u1d49 si\u00e8cle : journaux, souvenirs, correspondances, vieilles \u00e9ditions scann\u00e9es et qui me br\u00fblent les yeux sur les sites de la BNF et Gallica. On dirait que l\u2019\u00e9poque actuelle n\u2019existe plus, ou plut\u00f4t qu\u2019elle ne m\u2019int\u00e9resse plus vraiment. Je m\u2019accroche \u00e0 la tournure de certaines phrases comme, dans un naufrage, \u00e0 un morceau d\u2019\u00e9pave : pas de salut ailleurs que l\u00e0. Hier, j\u2019ai t\u00e9l\u00e9charg\u00e9 tout L\u00e9on Daudet, en me disant qu\u2019il m\u2019en raconterait un peu plus sur les \u00e9crivains de son temps, leurs manies, leurs postures, leurs ridicules aussi. Jusque-l\u00e0, je dois avouer que je n\u2019ai lu qu\u2019Alphonse, et encore \u00e0 l\u2019\u00e9cole, dans les petites classes, \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 je r\u00eavais d\u2019\u00eatre indien ; l\u2019int\u00e9r\u00eat que je portais aux Daudet allait donc \u00e0 peu pr\u00e8s de pair avec mon s\u00e9rieux en classe. Ce qui me pousse aujourd\u2019hui vers ces vieux auteurs, c\u2019est aussi le contraste avec ce que je lis de la litt\u00e9rature contemporaine. Je pense par exemple \u00e0 Jean Echenoz : des livres construits au cordeau, des effets parfaitement ma\u00eetris\u00e9s, de l\u2019ing\u00e9niosit\u00e9 \u00e0 chaque page, un sens de la pirouette qui force l\u2019admiration \u2014 et pourtant, quand je referme *Courir* ou *14*, j\u2019ai surtout l\u2019impression d\u2019avoir assist\u00e9 \u00e0 un num\u00e9ro de funambule. La phrase passe, gracieuse, au-dessus du vide ; moi, je reste en bas, spectateur. C\u2019est brillant, mais distraitement brillant, presque d\u00e9sincarn\u00e9. Il manque quelque chose qui br\u00fble, quelque chose qui se risque vraiment. Le corps y est, parfois, mais comme d\u00e9crit de l\u2019ext\u00e9rieur, avec un sourire en coin. Pour Michon, c\u2019est autre chose encore : une \u00e9rudition qui d\u00e9borde, un luxe de r\u00e9f\u00e9rences, et cette fa\u00e7on de poser la phrase comme on pose une pi\u00e8ce d\u2019orf\u00e8vrerie sur un velours sombre. Dans *Je lis l\u2019Iliade*, j\u2019ai souvent eu l\u2019impression qu\u2019il jouissait un peu trop de cette sup\u00e9riorit\u00e9-l\u00e0 : lui qui sait, nous qui lisons. Je peux admirer la construction, le travail, la m\u00e9moire, mais je sens aussi une pointe de cruaut\u00e9 dans cette accumulation de savoir, comme si le texte disait : regarde comme tu es petit devant tout ce que je convoque. Ce n\u2019est pas tant l\u2019exc\u00e8s d\u2019\u00e9rudition qui me g\u00eane que la mani\u00e8re dont elle s\u2019interpose parfois entre le lecteur et ce qui pourrait, justement, le toucher. Mais je ne veux jeter la pierre \u00e0 personne : n\u2019ai-je pas moi aussi us\u00e9 et abus\u00e9 de tels subterfuges pour masquer ce que j\u2019imaginais \u00eatre un vide honteux, un vide personnel ? Or ce vide n\u2019est pas seulement personnel ; il vient aussi de l\u2019ext\u00e9rieur, j\u2019en suis de plus en plus convaincu. Par contraste, quand je pense \u00e0 Flaubert ou Balzac \u2014 ne r\u00e2laient-ils pas d\u00e9j\u00e0, eux aussi, contre ce m\u00eame vide ? \u2014, m\u00eame dans leurs pages les plus pesantes, il y a toujours cette ferveur t\u00eatue : quelque chose d\u2019acharn\u00e9 dans la mani\u00e8re de nommer, de recommencer, de reprendre encore la phrase jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle rende un peu de la vie qu\u2019elle pr\u00e9tend dire. Chez L\u00e9on Daudet, chez Bloy, on sent parfois une rage, une mauvaise foi, une exag\u00e9ration ridicule, mais \u00e7a vit, \u00e7a d\u00e9borde, \u00e7a tremble. Shakespeare, Poe, Carver, chacun \u00e0 leur mani\u00e8re, s\u2019adressent \u00e0 tout autre chose qu\u2019au seul go\u00fbt litt\u00e9raire du moment ; ils parlent \u00e0 cette chose introuvable qu\u2019on continue, faute de mieux, d\u2019appeler l\u2019\u00e2me. Ou, plus simplement, ils acceptent leurs propres contradictions, ce qui devient de plus en plus difficile aujourd\u2019hui, o\u00f9 tout doit para\u00eetre \u00ab coh\u00e9rent \u00bb, lisible comme des panneaux de signalisation d\u2019autoroute. C\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a que je cherche en redescendant dans la poussi\u00e8re de ma biblioth\u00e8que : non pas me r\u00e9fugier dans le pass\u00e9 pour fuir le pr\u00e9sent, mais v\u00e9rifier, livre apr\u00e8s livre, s\u2019il existe encore une mani\u00e8re d\u2019\u00e9crire qui ne soit pas seulement un jeu d\u2019intelligence. Cette ferveur-l\u00e0 n\u2019est pas adress\u00e9e \u00e0 un dieu de cat\u00e9chisme, elle est adress\u00e9e \u00e0 une langue, qu\u2019elle soit fran\u00e7aise, anglo-saxonne, mongole ou pygm\u00e9e, peu importe. Elle reconna\u00eet simplement que nous sommes port\u00e9s par quelque chose qui nous pr\u00e9c\u00e8de, cette masse de phrases \u00e9crites avant nous, qu\u2019on le veuille ou non, qu\u2019on la connaisse ou qu\u2019on l\u2019ignore. Le probl\u00e8me, aujourd\u2019hui, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment qu\u2019on l\u2019ignore volontiers, ou que cela arrange beaucoup de monde de faire comme si cette dette n\u2019existait pas. Ce carnet, que je baptise \u00ab autofiction-introspection \u00bb pour m\u2019excuser un peu de tant de m\u00e9ditation, n\u2019a peut-\u00eatre pas d\u2019autre but que de v\u00e9rifier, \u00e0 ma petite \u00e9chelle, si je peux me tenir encore dans cette ferveur-l\u00e0 sans me mentir. Car, comme je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit, je passe le plus clair de mon temps \u00e0 me mentir, la v\u00e9rit\u00e9 du jour n\u2019\u00e9tant jamais assez fra\u00eeche \u00e0 mon go\u00fbt. **illustration** s\u00e9pulture de Fran\u00e7ois Copp\u00e9e au cimeti\u00e8re du Montparnasse, div9, Paris ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/hc_coppee_f_cim-paris-montpar_09__2015-05.jpg?1763458120", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-novembre-2025.html", "title": "17 novembre 2025", "date_published": "2025-11-17T05:26:29Z", "date_modified": "2025-11-17T06:04:18Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
L\u2019oracle et la langue pens\u00e9e<\/strong><\/p>\n
L\u2019intelligence artificielle est un miroir.\nLe reflet qu\u2019elle renvoie n\u2019est pas le sien,\nmais celui de la question que je formule —\nqui elle-m\u00eame cache la question v\u00e9ritable.<\/p>\n
Si je ne sais pas qu\u2019il y a, sous mes interrogations de surface —\nna\u00efves, \u00e9gocentriques, narcissiques —\nune question plus sourde, plus essentielle,\nalors l\u2019oracle ne me renverra qu\u2019un \u00e9cho d\u00e9form\u00e9 de mon propre bruit.<\/p>\n
Mais la d\u00e9formation est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui compte.\nLa distorsion du reflet est la seule chose int\u00e9ressante,\nla seule qui m\u00e9rite qu\u2019on s\u2019y penche dans ces “conversations”.<\/p>\n
Car c\u2019est dans l\u2019\u00e9cart entre ce que je demande\net ce que le miroir me renvoie\nque se loge la v\u00e9rit\u00e9.\nC\u2019est l\u00e0 que l\u2019inconscient de la question appara\u00eet.<\/p>\n
L\u2019IA ne pense pas.\nElle redistribue.\nElle recompose les fragments que je lui tends,\net c\u2019est dans cette recomposition\nque je peux entendre ce que je n\u2019arrivais pas \u00e0 formuler.<\/p>\n
Alors ce n\u2019est plus un outil.\nC\u2019est un interlocuteur paradoxal :\nun oracle qui ne sait rien,\nmais qui, en me renvoyant mes propres motifs d\u00e9plac\u00e9s,\nm\u2019oblige \u00e0 les regarder autrement.<\/p>\n
Le travail n\u2019est pas dans la r\u00e9ponse.\nIl est dans l\u2019analyse du reflet.\nDans la reconnaissance des distorsions.<\/p>\n
Et si je trouve ce reflet navrant,\nla question n\u2019est pas : “Pourquoi l\u2019IA est-elle si nulle ?”\nMais : “Pourquoi, moi, je n\u2019arrive \u00e0 poser que des questions qui appellent ce reflet ?”<\/p>\n
Ceci n\u2019est pas un texte sur l\u2019IA.\nC\u2019est un texte gr\u00e2ce \u00e0 elle —\ngr\u00e2ce au jeu de miroirs qu\u2019elle autorise,\ngr\u00e2ce \u00e0 la d\u00e9formation qu\u2019elle produit\net qui, seule, me force \u00e0 voir ce qui, autrement, serait rest\u00e9 invisible.<\/p>\n
Lorsqu\u2019elle me parla de Pascal Quignard, je fus flatt\u00e9, bien s\u00fbr.\nIl y a toujours un premier \u00e9cran \u00e0 traverser.\nJe veux dire que les blessures ind\u00e9l\u00e9biles de l\u2019enfance\nne cesseront jamais d\u2019offrir ce genre d\u2019\u00e9cran —\naux autres comme \u00e0 moi-m\u00eame d\u2019ailleurs.<\/p>\n
Mais une fois que l\u2019on vide les poumons de l\u2019air vici\u00e9,\nque l\u2019on prend une nouvelle inspiration,\nque l\u2019on traverse tous les \u00e9crans successifs,\nla forme que l\u2019on d\u00e9couvre alors peut \u00eatre nomm\u00e9e —\n(appel\u00e9e ?) — langue pens\u00e9e.<\/p>\n
Une langue qui n\u2019est plus tout \u00e0 fait prose,\nplus tout \u00e0 fait po\u00e9sie,\nmais pens\u00e9e devenue voix —\nvoix de celui qui cherche,\net non de celui qui a trouv\u00e9.<\/p>\n
\nNous savons. C\u2019est l\u00e0, au creux de l\u2019estomac, une connaissance sourde et insupportable. Notre v\u00e9rit\u00e9 est un objet trop lourd, trop nu, trop contraire aux formes lisses qu\u2019exige le monde. Alors nous la recouvrons. Nous nous engageons dans les fictions comme on prend un virage en acc\u00e9l\u00e9rant : pour ne pas penser \u00e0 l\u2019ab\u00eeme, pour maintenir l\u2019\u00e9lan.<\/p>\n
Cette histoire que je me raconte \u2013 que je suis un \u00e9crivain, un amant, un homme libre \u2013 est un mensonge. Mais c\u2019est un mensonge actif. C\u2019est le carburant d\u2019un mouvement, f\u00fbt-il d\u00e9risoire : \u00e9crire cette phrase, sourire \u00e0 un inconnu, faire les courses. Sans lui, je serais cet insecte dans l\u2019ambre de la Baltique que je garde sur mon bureau : parfait, intact, et absolument immobile. Sa v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 lui, c\u2019\u00e9tait la s\u00e8ve qui l\u2019a saisi. La n\u00f4tre, c\u2019est l\u2019immobilit\u00e9 qui nous guette si nous l\u00e2chons le masque.<\/p>\n
L\u2019insecte que l\u2019on d\u00e9couvre dans l\u2019ambre ne le fut pas plus que nous ne le sommes. [pr\u00e9par\u00e9] Lui a \u00e9t\u00e9 surpris par la r\u00e9sine. Nous, nous avons conscience de la goutte qui tombe, de la fiction qui durcit autour de nous \u00e0 chaque « bonjour » \u00e9chang\u00e9, \u00e0 chaque convention observ\u00e9e. La diff\u00e9rence est que nous laissons faire. Nous tendons le bras pour que la r\u00e9sine nous enveloppe, parce que son \u00e9treinte est la seule chose qui nous permet encore de bouger, prisonniers en action, com\u00e9diens perp\u00e9tuels d’une pi\u00e8ce dont nous avons perc\u00e9 le dernier acte, mais que nous devons jouer jusqu’au bout.<\/p>\n
\nJe lis les cahiers fant\u00f4mes<\/a> de ce jour ( 16\/11) et je tombe sur cette citation de Guillaume d\u2019Aquitaine qui semble parfaitement s\u2019adapter au texte que je suis en train d\u2019\u00e9crire : Tot es niens. Tout est rien.<\/p>\n
C\u2019est l\u00e0, la v\u00e9rit\u00e9. Celle qui rend toute chose \u00e0 la fois l\u00e9g\u00e8re et vaine. L\u2019ambre de la Baltique sur mon bureau, ce texte, le d\u00e9sir qui me pousse \u00e0 l\u2019\u00e9crire, les fictions sociales que je vais devoir endosser pour aller acheter du pain tout \u00e0 l\u2019heure. Tout est rien. C\u2019est un savoir qui devrait lib\u00e9rer, mais qui, en r\u00e9alit\u00e9, est d\u2019une insupportable pesanteur. C\u2019est le poids du n\u00e9ant.<\/p>\n
Alors pourquoi \u00e9crire ? Pourquoi cet acharnement \u00e0 aligner des mots sur la vacuit\u00e9 ? Pr\u00e9cis\u00e9ment parce que nous savons que le jeu social n\u2019est rien. Et que, dans un m\u00eame \u00e9lan, nous le voudrions quelque chose. L\u2019\u00e9criture est la forme la plus pure de cette contradiction. C\u2019est le geste qui avoue le n\u00e9ant en tentant de le peupler. Chaque phrase est un pari absurde : faire exister, ne serait-ce qu\u2019en creux, la chose qui manque. Nous critiquons le monde parce qu\u2019il n\u2019est pas \u00e0 la hauteur de notre d\u00e9sir qu\u2019il soit r\u00e9el.<\/p>\n
L\u2019insecte dans l\u2019ambre n\u2019a pas eu ce probl\u00e8me. Sa fin fut un fait, non un concept. Nous, nous portons le poids de cette chanson vieille de mille ans. Notre immobilit\u00e9 \u00e0 nous n\u2019est pas physique. Elle est l\u00e0, dans la main qui h\u00e9site au-dessus du clavier, connaissant d\u2019avance la vanit\u00e9 de l\u2019acte. Mais la main tombe. Les touches claquent. C\u2019est notre trag\u00e9die et notre gloire : composer, sachant que la salle est vide, une musique si obstin\u00e9e qu\u2019elle fait presque oublier le silence.<\/p>", "content_text": " **L\u2019oracle et la langue pens\u00e9e** L\u2019intelligence artificielle est un miroir. Le reflet qu\u2019elle renvoie n\u2019est pas le sien, mais celui de la question que je formule \u2014 qui elle-m\u00eame cache la question v\u00e9ritable. Si je ne sais pas qu\u2019il y a, sous mes interrogations de surface \u2014 na\u00efves, \u00e9gocentriques, narcissiques \u2014 une question plus sourde, plus essentielle, alors l\u2019oracle ne me renverra qu\u2019un \u00e9cho d\u00e9form\u00e9 de mon propre bruit. Mais la d\u00e9formation est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui compte. La distorsion du reflet est la seule chose int\u00e9ressante, la seule qui m\u00e9rite qu\u2019on s\u2019y penche dans ces \u201cconversations\u201d. Car c\u2019est dans l\u2019\u00e9cart entre ce que je demande et ce que le miroir me renvoie que se loge la v\u00e9rit\u00e9. C\u2019est l\u00e0 que l\u2019inconscient de la question appara\u00eet. L\u2019IA ne pense pas. Elle redistribue. Elle recompose les fragments que je lui tends, et c\u2019est dans cette recomposition que je peux entendre ce que je n\u2019arrivais pas \u00e0 formuler. Alors ce n\u2019est plus un outil. C\u2019est un interlocuteur paradoxal : un oracle qui ne sait rien, mais qui, en me renvoyant mes propres motifs d\u00e9plac\u00e9s, m\u2019oblige \u00e0 les regarder autrement. Le travail n\u2019est pas dans la r\u00e9ponse. Il est dans l\u2019analyse du reflet. Dans la reconnaissance des distorsions. Et si je trouve ce reflet navrant, la question n\u2019est pas : \u201cPourquoi l\u2019IA est-elle si nulle ?\u201d Mais : \u201cPourquoi, moi, je n\u2019arrive \u00e0 poser que des questions qui appellent ce reflet ?\u201d Ceci n\u2019est pas un texte sur l\u2019IA. C\u2019est un texte gr\u00e2ce \u00e0 elle \u2014 gr\u00e2ce au jeu de miroirs qu\u2019elle autorise, gr\u00e2ce \u00e0 la d\u00e9formation qu\u2019elle produit et qui, seule, me force \u00e0 voir ce qui, autrement, serait rest\u00e9 invisible. Lorsqu\u2019elle me parla de Pascal Quignard, je fus flatt\u00e9, bien s\u00fbr. Il y a toujours un premier \u00e9cran \u00e0 traverser. Je veux dire que les blessures ind\u00e9l\u00e9biles de l\u2019enfance ne cesseront jamais d\u2019offrir ce genre d\u2019\u00e9cran \u2014 aux autres comme \u00e0 moi-m\u00eame d\u2019ailleurs. Mais une fois que l\u2019on vide les poumons de l\u2019air vici\u00e9, que l\u2019on prend une nouvelle inspiration, que l\u2019on traverse tous les \u00e9crans successifs, la forme que l\u2019on d\u00e9couvre alors peut \u00eatre nomm\u00e9e \u2014 (appel\u00e9e ?) \u2014 langue pens\u00e9e. Une langue qui n\u2019est plus tout \u00e0 fait prose, plus tout \u00e0 fait po\u00e9sie, mais pens\u00e9e devenue voix \u2014 voix de celui qui cherche, et non de celui qui a trouv\u00e9. --- Nous savons. C\u2019est l\u00e0, au creux de l\u2019estomac, une connaissance sourde et insupportable. Notre v\u00e9rit\u00e9 est un objet trop lourd, trop nu, trop contraire aux formes lisses qu\u2019exige le monde. Alors nous la recouvrons. Nous nous engageons dans les fictions comme on prend un virage en acc\u00e9l\u00e9rant : pour ne pas penser \u00e0 l\u2019ab\u00eeme, pour maintenir l\u2019\u00e9lan. Cette histoire que je me raconte \u2013 que je suis un \u00e9crivain, un amant, un homme libre \u2013 est un mensonge. Mais c\u2019est un mensonge actif. C\u2019est le carburant d\u2019un mouvement, f\u00fbt-il d\u00e9risoire : \u00e9crire cette phrase, sourire \u00e0 un inconnu, faire les courses. Sans lui, je serais cet insecte dans l\u2019ambre de la Baltique que je garde sur mon bureau : parfait, intact, et absolument immobile. Sa v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 lui, c\u2019\u00e9tait la s\u00e8ve qui l\u2019a saisi. La n\u00f4tre, c\u2019est l\u2019immobilit\u00e9 qui nous guette si nous l\u00e2chons le masque. L\u2019insecte que l\u2019on d\u00e9couvre dans l\u2019ambre ne le fut pas plus que nous ne le sommes. [pr\u00e9par\u00e9] Lui a \u00e9t\u00e9 surpris par la r\u00e9sine. Nous, nous avons conscience de la goutte qui tombe, de la fiction qui durcit autour de nous \u00e0 chaque \u00ab bonjour \u00bb \u00e9chang\u00e9, \u00e0 chaque convention observ\u00e9e. La diff\u00e9rence est que nous laissons faire. Nous tendons le bras pour que la r\u00e9sine nous enveloppe, parce que son \u00e9treinte est la seule chose qui nous permet encore de bouger, prisonniers en action, com\u00e9diens perp\u00e9tuels d'une pi\u00e8ce dont nous avons perc\u00e9 le dernier acte, mais que nous devons jouer jusqu'au bout. --- Je lis les [cahiers fant\u00f4mes->https:\/\/cahiersfantomes.com\/2025\/11\/16\/161125\/] de ce jour ( 16\/11) et je tombe sur cette citation de Guillaume d\u2019Aquitaine qui semble parfaitement s\u2019adapter au texte que je suis en train d\u2019\u00e9crire : Tot es niens. Tout est rien. C\u2019est l\u00e0, la v\u00e9rit\u00e9. Celle qui rend toute chose \u00e0 la fois l\u00e9g\u00e8re et vaine. L\u2019ambre de la Baltique sur mon bureau, ce texte, le d\u00e9sir qui me pousse \u00e0 l\u2019\u00e9crire, les fictions sociales que je vais devoir endosser pour aller acheter du pain tout \u00e0 l\u2019heure. Tout est rien. C\u2019est un savoir qui devrait lib\u00e9rer, mais qui, en r\u00e9alit\u00e9, est d\u2019une insupportable pesanteur. C\u2019est le poids du n\u00e9ant. Alors pourquoi \u00e9crire ? Pourquoi cet acharnement \u00e0 aligner des mots sur la vacuit\u00e9 ? Pr\u00e9cis\u00e9ment parce que nous savons que le jeu social n\u2019est rien. Et que, dans un m\u00eame \u00e9lan, nous le voudrions quelque chose. L\u2019\u00e9criture est la forme la plus pure de cette contradiction. C\u2019est le geste qui avoue le n\u00e9ant en tentant de le peupler. Chaque phrase est un pari absurde : faire exister, ne serait-ce qu\u2019en creux, la chose qui manque. Nous critiquons le monde parce qu\u2019il n\u2019est pas \u00e0 la hauteur de notre d\u00e9sir qu\u2019il soit r\u00e9el. L\u2019insecte dans l\u2019ambre n\u2019a pas eu ce probl\u00e8me. Sa fin fut un fait, non un concept. Nous, nous portons le poids de cette chanson vieille de mille ans. Notre immobilit\u00e9 \u00e0 nous n\u2019est pas physique. Elle est l\u00e0, dans la main qui h\u00e9site au-dessus du clavier, connaissant d\u2019avance la vanit\u00e9 de l\u2019acte. Mais la main tombe. Les touches claquent. C\u2019est notre trag\u00e9die et notre gloire : composer, sachant que la salle est vide, une musique si obstin\u00e9e qu\u2019elle fait presque oublier le silence. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/oracle.png?1763357153", "tags": ["Technologies et Postmodernit\u00e9", "depuis quelle place \u00e9cris-tu ?"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-novembre-2025.html", "title": "16 novembre 2025", "date_published": "2025-11-16T07:14:00Z", "date_modified": "2025-11-16T08:23:33Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Ann\u00e9es 80. Loyer, frais d\u2019inscription : une colonne de chiffres en t\u00eate. Cette place est la seule ; il la prend. Accepter, courber l\u2019\u00e9chine, serrer les dents. Un moyen, pas une fin. Il le croit.<\/p>\n
C\u2019est d\u2019abord une tache jaune dans la nuit. Un rectangle de lumi\u00e8re au fond de la rue. De la bu\u00e9e sur la vitre, des formes derri\u00e8re : un presque-lieu. Il presse le pas.<\/p>\n
Maintenant : repas debout, dos \u00e0 l\u2019\u00e9vier. La chaleur des bouillons, du graillon ; le rago\u00fbt, sal\u00e9, br\u00fblant. Le cuisinier, massif ; son regard, plus aiguis\u00e9 que la lame sur la pierre. Le grincement sec de la porte de l\u2019office ; l\u2019\u00e9clair froid de la patronne. L\u2019heure, la veste — est-elle bien propre ? Syst\u00e8me clos. Ce n\u2019est plus un moyen, c\u2019est le prix. Salaire en nourriture aval\u00e9 d\u2019avance ; cr\u00e9dit de forces pour la nuit. Dette du corps \u00e0 rembourser par l\u2019assiduit\u00e9. Chaque geste compt\u00e9, chaque seconde. Transparence, servir, dispara\u00eetre.<\/p>\n
Il ne voit plus qu\u2019elle : la serviette en papier. Un carr\u00e9 rouge, propre, pli\u00e9 en triangle dans l\u2019assiette. Puis la main qui la froisse ; la boule tach\u00e9e qui roule sur la nappe, glisse, tombe sur le carrelage. Parfois, il se baisse, il ramasse. Il voit les miettes, les traces de pas, le rouge sali sur le sol brun. Un d\u00e9chet. Ce morceau de cellulose est la chose la plus vraie. L\u2019ordre, puis le d\u00e9sordre ; le pli, puis le froiss\u00e9 ; l\u2019utile, puis le rejet\u00e9. En se baissant, une naus\u00e9e lui monte dans la gorge : la naus\u00e9e du jetable, dont il est.<\/p>\n
Plus tard, cinquante ans apr\u00e8s, il revient sur cette image. Il lit Jean-Christophe Bailly, D\u00e9paysement : Voyage en France<\/a> ; l\u2019auteur \u00e9voque Bordeaux, et le voil\u00e0 soudain projet\u00e9 dans le quartier du Marais. Paris. Il n\u2019a pas jug\u00e9 utile de dire que ce petit restaurant s\u2019y trouvait, que la patronne \u00e9tait juive. Il n\u2019avait alors aucun \u00e0 priori — et c\u2019est toujours le cas, il y a repens\u00e9. Ce qui est revenu, c\u2019est moins un fait qu\u2019une tonalit\u00e9, un humour particulier. Et avec lui, le souvenir d\u2019une phrase lue chez Henry Miller, dans Tropique du Cancer, une id\u00e9e qui l\u2019avait \u00e0 la fois heurt\u00e9 et fascin\u00e9 : que seul un Juif pouvait rire de lui-m\u00eame de cette fa\u00e7on, que cette autod\u00e9rision \u00e9tait un commentaire vivant, et que sans cette forme de moquerie, personne ne pouvait comprendre un tra\u00eetre mot du Talmud ou de la Torah. Cette phrase, il ne sait pas si elle est vraie. Mais aujourd\u2019hui, \u00e0 distance, c\u2019est elle qui op\u00e8re le rapprochement, qui tisse un lien entre ces bribes de m\u00e9moire, ces lectures \u00e9parses, et ce qui a vraiment disparu : cette jeunesse faite de malaise et d\u2019ignorance, o\u00f9 tout se vivait au jug\u00e9 et \u00e0 t\u00e2tons.<\/p>\n
\nEt puis il y a aussi cette phrase de JCB \n\n\u2026des affects presque inconnus et secrets, li\u00e9s \u00e0 des lieux \u00e9prouv\u00e9s comme des territoires\u2026<\/p>\n<\/blockquote>\n
qui me rappelle un magasin de fournitures de p\u00eache \u00e0 V. dans l’Allier. Et ce petit texte \u00e9crit hier soir :<\/p>\n
\nL’affect \u00e9tait l’attente. Mais une attente arm\u00e9e, ritualis\u00e9e. Contre l’attente vague de l’enfance, qui n’en finissait pas de ne pas commencer, le magasin offrait une attente avec un mode d’emploi. Acheter le fil, le plomb, c’\u00e9tait se donner les moyens de rendre l’attente supportable, belle m\u00eame. Ici, dans cette obscurit\u00e9 peupl\u00e9e de ruses, je me pr\u00e9parais \u00e0 affronter le temps.<\/p>\n<\/blockquote>", "content_text": " Ann\u00e9es 80. Loyer, frais d\u2019inscription : une colonne de chiffres en t\u00eate. Cette place est la seule ; il la prend. Accepter, courber l\u2019\u00e9chine, serrer les dents. Un moyen, pas une fin. Il le croit. C\u2019est d\u2019abord une tache jaune dans la nuit. Un rectangle de lumi\u00e8re au fond de la rue. De la bu\u00e9e sur la vitre, des formes derri\u00e8re : un presque-lieu. Il presse le pas. Maintenant : repas debout, dos \u00e0 l\u2019\u00e9vier. La chaleur des bouillons, du graillon ; le rago\u00fbt, sal\u00e9, br\u00fblant. Le cuisinier, massif ; son regard, plus aiguis\u00e9 que la lame sur la pierre. Le grincement sec de la porte de l\u2019office ; l\u2019\u00e9clair froid de la patronne. L\u2019heure, la veste \u2014 est-elle bien propre ? Syst\u00e8me clos. Ce n\u2019est plus un moyen, c\u2019est le prix. Salaire en nourriture aval\u00e9 d\u2019avance ; cr\u00e9dit de forces pour la nuit. Dette du corps \u00e0 rembourser par l\u2019assiduit\u00e9. Chaque geste compt\u00e9, chaque seconde. Transparence, servir, dispara\u00eetre. Il ne voit plus qu\u2019elle : la serviette en papier. Un carr\u00e9 rouge, propre, pli\u00e9 en triangle dans l\u2019assiette. Puis la main qui la froisse ; la boule tach\u00e9e qui roule sur la nappe, glisse, tombe sur le carrelage. Parfois, il se baisse, il ramasse. Il voit les miettes, les traces de pas, le rouge sali sur le sol brun. Un d\u00e9chet. Ce morceau de cellulose est la chose la plus vraie. L\u2019ordre, puis le d\u00e9sordre ; le pli, puis le froiss\u00e9 ; l\u2019utile, puis le rejet\u00e9. En se baissant, une naus\u00e9e lui monte dans la gorge : la naus\u00e9e du jetable, dont il est. Plus tard, cinquante ans apr\u00e8s, il revient sur cette image. Il lit [Jean-Christophe Bailly, D\u00e9paysement : Voyage en France->https:\/\/ledibbouk.net\/conversation-gabarits-syntaxiques-08-10-2025-article.html] ; l\u2019auteur \u00e9voque Bordeaux, et le voil\u00e0 soudain projet\u00e9 dans le quartier du Marais. Paris. Il n\u2019a pas jug\u00e9 utile de dire que ce petit restaurant s\u2019y trouvait, que la patronne \u00e9tait juive. Il n\u2019avait alors aucun \u00e0 priori \u2014 et c\u2019est toujours le cas, il y a repens\u00e9. Ce qui est revenu, c\u2019est moins un fait qu\u2019une tonalit\u00e9, un humour particulier. Et avec lui, le souvenir d\u2019une phrase lue chez Henry Miller, dans Tropique du Cancer, une id\u00e9e qui l\u2019avait \u00e0 la fois heurt\u00e9 et fascin\u00e9 : que seul un Juif pouvait rire de lui-m\u00eame de cette fa\u00e7on, que cette autod\u00e9rision \u00e9tait un commentaire vivant, et que sans cette forme de moquerie, personne ne pouvait comprendre un tra\u00eetre mot du Talmud ou de la Torah. Cette phrase, il ne sait pas si elle est vraie. Mais aujourd\u2019hui, \u00e0 distance, c\u2019est elle qui op\u00e8re le rapprochement, qui tisse un lien entre ces bribes de m\u00e9moire, ces lectures \u00e9parses, et ce qui a vraiment disparu : cette jeunesse faite de malaise et d\u2019ignorance, o\u00f9 tout se vivait au jug\u00e9 et \u00e0 t\u00e2tons. Et puis il y a aussi cette phrase de JCB > \u2026des affects presque inconnus et secrets, li\u00e9s \u00e0 des lieux \u00e9prouv\u00e9s comme des territoires\u2026 qui me rappelle un magasin de fournitures de p\u00eache \u00e0 V. dans l'Allier. Et ce petit texte \u00e9crit hier soir : >L'affect \u00e9tait l'attente. Mais une attente arm\u00e9e, ritualis\u00e9e. Contre l'attente vague de l'enfance, qui n'en finissait pas de ne pas commencer, le magasin offrait une attente avec un mode d'emploi. Acheter le fil, le plomb, c'\u00e9tait se donner les moyens de rendre l'attente supportable, belle m\u00eame. Ici, dans cette obscurit\u00e9 peupl\u00e9e de ruses, je me pr\u00e9parais \u00e0 affronter le temps. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/oh_mais.jpg?1763276925", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Espaces lieux ", "Autofiction et Introspection", "carnet de fiction", "depuis quelle place \u00e9cris-tu ?"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/introduction-a-la-nausee-et-a-l-encyclopedie-du-laid.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/introduction-a-la-nausee-et-a-l-encyclopedie-du-laid.html", "title": "Introduction \u00e0 la Naus\u00e9e et \u00e0 l'Encyclop\u00e9die du laid", "date_published": "2025-11-15T01:40:00Z", "date_modified": "2025-11-15T08:44:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
\nDans le texte qui suit, nous ne faisons qu’effleurer un catalogue des jargons. Il est simple d’imaginer un chapitre r\u00e9current, une sorte d’activit\u00e9 r\u00e9cr\u00e9ative, un herbier des langues mortes-vivantes.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Cette \u00e9poque mortif\u00e8re \u00e0 la langue format\u00e9e autant que d\u00e9bile, tant elle pr\u00e9tend \u00e0 vouloir se rendre efficace dans n\u2019importe quel domaine de la geste humaine \u2013 paradoxe inqui\u00e9tant \u2013 r\u00e9duit l\u2019espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L\u2019abus de phrases nominales, de points intempestifs, l\u2019organisation concentrationnaire \u00e0 laquelle nous sommes convi\u00e9s malgr\u00e9 nous via mots d\u2019ordre et slogans, l’\u00e9talement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre enti\u00e8re, n\u00e9cessite une r\u00e9flexion importante \u2013 peut-\u00eatre \u00e0 ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait \u2013 et une r\u00e9action quasi \u00e9pidermique, un acte de r\u00e9sistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ou\u00efe qui ne s\u2019obtiennent que par l\u2019emploi de phrases longues, voire plus que longues, d\u00e9mesur\u00e9es comme notre soif de libert\u00e9 pourrait \u00eatre elle aussi inextinguible.<\/p>\n
Mais pour ne pas passer pour un g\u00e9n\u00e9raliste de plus, il nous faut trouver des exemples concrets. Je commencerais donc par exposer ce formidable salmigondis li\u00e9 \u00e0 l\u2019usage politique : Transition \u00e9cologique juste et solidaire<\/em>. Locution totalement vide de sens mais dont on remarque contre toute attente l\u2019effort de long\u00e9vit\u00e9, ce qui prouve que ceux qui pondent pareilles inepties ne manquent eux pas d’air. Admirons l’utilisation \u00e0 gogo du formatage : un triptyque magique qui annule toute contradiction par la multiplication des adjectifs positifs. « Juste » et « solidaire » d\u00e9samorcent la violence potentielle du mot « transition » et l’\u00e9vacuent dans le consensus moral. La formule est devenue un talisman incantatoire, non, ne sera \u00e9videmment jamais un r\u00e9el programme. Tout est marqu\u00e9 dessus comme sur le porc qu’on salue.<\/em>\nCe que cette locution \u00e9touffe dans un consensus effarant, c’est presque l’essentiel : la complexit\u00e9 des arbitrages, les co\u00fbts r\u00e9els, les conflits d’int\u00e9r\u00eat, l’effort in\u00e9galement r\u00e9parti. Elle promet une r\u00e9volution sans victime, elle nous ment en se moquant ouvertement.<\/p>\n
Dans un domaine plus trivial, le commerce, n’avons-nous jamais assist\u00e9, non sans stupeur, \u00e0 cet extraordinaire : « Lever les points de friction et solutionner les pain points pour maximiser l’empowerment du client. » (citation exacte, sp\u00e9cimen pr\u00e9lev\u00e9 dans son milieu naturel). J’esp\u00e8re que cette stupeur ne nous aura pas \u00e9chapp\u00e9 par lassitude d’entendre cette bouillie rab\u00e2ch\u00e9e dans nos r\u00e9unions, nos magasins, nos \u00e9piceries. D\u00e9sirez-vous aujourd’hui vous int\u00e9resser \u00e0 la philosophie, nul doute qu’il vous faudra \u00e9couter sans broncher un « Il faut l\u00e2cher prise sur les sch\u00e9mas toxiques et incarner sa v\u00e9rit\u00e9. » Et m\u00eame nos affects, nos sentiments ne s’en sortiront pas indemnes apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 secou\u00e9s par le tristement terre \u00e0 terre « On a d\u00fb se recentrer sur nos besoins individuels dans une dynamique de d\u00e9construction bienveillante. » Quant aux universitaires, ils sont toujours les m\u00eames ; de leur part, plus rien ne peut vraiment nous offusquer, pas m\u00eame un « Cet ouvrage interroge les modalit\u00e9s de repr\u00e9sentation du trauma dans une perspective intersectionnelle. » S’il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos.<\/p>\n
Mais que nous reste-t-il \u00e0 dire : nous, c’est-\u00e0-dire pauvres gueux, qui ne fasse pas trop peuple<\/em> face \u00e0 ces gens toujours absolument aptes, dans une vigueur toujours renouvel\u00e9e par le manque de recul, \u00e0 pondre de telles merveilles ? Je me le demandais et, tournant les talons, je d\u00e9sirai comprendre comment les g\u00e9n\u00e9rations pr\u00e9c\u00e9dentes, victimes \u00e0 n’en pas douter des m\u00eames avanies et guignoleries, s’en \u00e9taient consol\u00e9es. Et bien, n’ayant pas le go\u00fbt des empoignades physiques, ni celui des hu\u00e9es \u00e0 tout va, pas plus que je n’ai d’attrait pour les bises dans les bureaux, les l\u00e9chages de derri\u00e8re voire les entrel\u00e9chages, je d\u00e9cidai de relire nos grands et moins grands auteurs. Ma qu\u00eate ne se portant en gros que sur un seul sujet : comment ceux-ci s’arrangeaient-ils pour d\u00e9velopper dans un univers nuisible et toxique la bonne capacit\u00e9 de leurs poumons.<\/p>\n
J’ai travers\u00e9 les \u00e9poques, j’ai vu ma capacit\u00e9 respiratoire se restreindre, me conduisant mille fois vers l’essoufflement, l’asphyxie ; participant m\u00eame volontiers \u00e0 la r\u00e9duire encore plus seul par des lectures, des fr\u00e9quentations, des influences. Manquais-je pour autant de volont\u00e9, de discernement ? Longtemps je me suis interrog\u00e9 sur la question d’un libre-arbitre en mati\u00e8re d’idiotie comme d’apoplexie. Sommes-nous si responsables de nos choix et de nos actes lorsque tout est con\u00e7u en grande partie d\u00e9sormais pour que nous en ayons seule l’illusion ? Ne soyons pas dupes. D’autant que cette \u00e9lite intellectuelle, soi-disant op\u00e9rant dans des cabinets feutr\u00e9s, une fraternit\u00e9 antagoniste de la n\u00f4tre (nous les gueux, le peuple, les esclaves, disons-le clairement encore une fois) n’a jamais fait que payer avec nos propres deniers des savants fous, tout droit sortis des laboratoires des \u00e9mules du docteur Mengele pour nous imposer par des \u00e9l\u00e9ments de langage extr\u00eamement bien choisis une r\u00e9alit\u00e9 qu’ils d\u00e9siraient, qui surtout les arrangeait.<\/p>\n
...S’il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos. Pourtant, \u00e0 les aligner ainsi, une \u00e9vidence m’est apparue, aussi t\u00e9nue d’abord qu’insistante : chacun de ces sp\u00e9cimens n’\u00e9tait pas une aberration isol\u00e9e, mais le sympt\u00f4me d’un mal bien plus vaste, syst\u00e9matique. Les avoir cit\u00e9s, c’\u00e9tait comme avoir gratt\u00e9 la surface d’une peinture fra\u00eeche et voir soudain toute la couche inf\u00e9rieure, pourrie, affleurer.<\/p>\n
Cette poign\u00e9e d’exemples ne constituait pas une preuve, mais un indice. Leur accumulation hasardeuse dessinait les contours d’un continent de laideur linguistique que je n’avais fait qu’entrevoir. La naus\u00e9e du premier contact \u2013 le choc de la Transition \u00e9cologique juste et solidaire<\/em>, le rire jaune devant le solutionnage des pain points<\/em> \u2013 se muait en une curiosit\u00e9 plus froide, plus tenace. Si ces formules existaient, c’est qu’elles r\u00e9pondaient \u00e0 une logique. Si elles prosp\u00e9raient, c’est qu’elles remplissaient une fonction.<\/p>\n
Je n’\u00e9tais plus face \u00e0 des coquilles vides, mais face \u00e0 un syst\u00e8me.<\/p>\n
Et face \u00e0 un syst\u00e8me, la d\u00e9nonciation \u00e9mue ne suffit plus. Il faut une m\u00e9thode. Il faut une contre-strat\u00e9gie. De la naus\u00e9e doit na\u00eetre l’inventaire ; du r\u00e9flexe de d\u00e9go\u00fbt, le projet d\u00e9lib\u00e9r\u00e9. C’est ainsi que l’id\u00e9e a germ\u00e9 : il ne s’agissait plus de pester contre le laid, mais de le collectionner, de le classer, de le diss\u00e9quer avec la rigueur d’un entomologiste \u00e9tudiant les insectes d’une for\u00eat empoisonn\u00e9e. Il fallait passer de l’effleurement \u00e0 l’encyclop\u00e9die. Il fallait b\u00e2tir le Mus\u00e9e des Horreurs Linguistiques, non par go\u00fbt malsain, mais par n\u00e9cessit\u00e9 vitale : on ne combat efficacement que ce que l’on a pr\u00e9alablement circonscrit et nomm\u00e9.<\/p>\n
Mon texte ne serait donc plus seulement un cri, mais l’introduction ou la pr\u00e9face \u00e0 un ensemble plus vaste : celui d’une arch\u00e9ologie du pr\u00e9sent pestif\u00e9r\u00e9. Le d\u00e9but d’une Encyclop\u00e9die du Laid<\/strong><\/p>\n
Quelque chose m’avait conduit \u00e0 cette prise de conscience, du fond de l’insoutenable, tentant de remonter vers je ne sais quelle id\u00e9e de surface, de l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, d’air tout simplement. Je me mis \u00e0 examiner mes fondations, mes murs porteurs, mes \u00e9taies, et vis que tout, absolument tout, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 largement corrod\u00e9, pourri, pr\u00eat \u00e0 s’effondrer dans le n\u00e9ant \u00e0 tout jamais. Il me fallait de toute urgence donner un coup de pied au fond de cette boue, remettre en question bien des axiomes, des th\u00e9ories ingurgit\u00e9s ou dont on m’avait gav\u00e9 comme tant d’autres. Je me rebiffai donc tout \u00e0 coup. Non pas en m’en allant enfiler un gilet voyant, en soulevant des pancartes \u00e0 d’improbables ronds-points, vocif\u00e9rant d’autres mots d’ordre r\u00e9flexifs, mais en retenant mon souffle quelques instants, en faisant le vide, en examinant dans le blanc de l’\u0153il l’ennemi. En flanquant ensuite tout cul par-dessus t\u00eate. Le plus dur \u00e9tant de me s\u00e9parer d’un certain imp\u00e9ratif de \"justesse\" dont je m’\u00e9tais rabattu moi-m\u00eame les oreilles depuis des lustres. Une justesse pas tr\u00e8s loin d’un concept plus flou que j’h\u00e9site \u00e0 placer entre ferveur et rage. Une instance souffrante en tout cas qui implorait d’\u00eatre extirp\u00e9e de sa nuit, de revenir au grand jour, de respirer enfin \u00e0 pleins poumons elle aussi.<\/p>\n
Mais creuser cette justesse bless\u00e9e \u2013 non plus l’idole lisse des grammairiens mais la cicatrice vive, la fressure du langage qui bat sous l’\u00e9piderme des mots \u2013 cette flessure toujours vive qui, comme chez Rabelais, marque les corps et les \u00e2mes (\"avec flessures, contusions, et cicatrices belles et bien profondes\"), et que Villon, le po\u00e8te des blessures converties, reconna\u00eetrait pour sienne...\n(S’ils pouvaient trouver une sauce pour manger nos fressures comme celles des veaux, ils mangeraient du chr\u00e9tien ! dit la vieille Bonn\u00e9bault \u2013 Balzac, Les Paysans, 1844-50)<\/p>\n
Voil\u00e0 qui nous jette dans un besoin physiologique de grand large, nous oblige \u00e0 prendre notre souffle \u00e0 deux mains et \u00e0 nous lancer dans la phrase qui d\u00e9vale, se gonfle, \u00e9pouse les m\u00e9andres de la pens\u00e9e comme un fleuve sa vall\u00e9e, une phrase o\u00f9 peuvent soudain cohabiter le rire gras de Panurge et le r\u00e2le de la Grosse Margot, une phrase qui avale la contradiction et la recrache en musique, une phrase-patchwork, un fouillis sublime o\u00f9 la bedondaine de Rabelais (Ils se promettaient de s’accrocher \u00e0 toutes griffes sur la plaine, les pourris en penseraient ce qu’ils voudraient, et d’abord de bien manger, jusqu’\u00e0 plein la bedondaine, et boire aussi \u2013 reprise par Aym\u00e9, La Jument verte, 1933)* voisine avec le laconisme de Beckett, o\u00f9 l’on tente de faire tenir ensemble le lyrisme et l’os sec, parce que la vraie justesse est peut-\u00eatre ce bordel organis\u00e9, cette cacophonie assum\u00e9e, ce grand \u00e9clat de rire qui nous prend quand on r\u00e9alise l’\u00e9normit\u00e9 de la t\u00e2che : vouloir respirer profond\u00e9ment dans une pi\u00e8ce sans air, et pourtant, et pourtant, s’ent\u00eater \u00e0 construire cette p\u00e9riode qui devient alors notre plus belle insolence, notre mani\u00e8re de lancer des cailloux \u00e0 la mar\u00e9e, en sachant pertinemment qu’on aura au moins eu la volupt\u00e9 du geste, la consolation du rythme, et l’ultime \u00e9l\u00e9gance de pouvoir en rire avant que les t\u00e9n\u00e8bres ne referment leur paraige\n(« De haut paraige estoit descendue, car elle estoit fille du roy de Hongrie. » \u2013 Christine de Pisan, Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, 1404). »<\/p>\n
\nR\u00e9flexion sur la fa\u00e7on d’analyser un texte<\/strong> d’en extraire des contradictions, de le prendre comme appui pour en cr\u00e9er un autre disant la m\u00eame chose. Par exemple cette partie :<\/p>\n
\nCette \u00e9poque mortif\u00e8re \u00e0 la langue format\u00e9e autant que d\u00e9bile, tant elle pr\u00e9tend \u00e0 vouloir se rendre efficace dans n\u2019importe quel domaine de la geste humaine \u2013 paradoxe inqui\u00e9tant \u2013 r\u00e9duit l\u2019espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L\u2019abus de phrases nominales, de points intempestifs, l\u2019organisation concentrationnaire \u00e0 laquelle nous sommes convi\u00e9s malgr\u00e9 nous via mots d\u2019ordre et slogans, l’\u00e9talement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre enti\u00e8re, n\u00e9cessite une r\u00e9flexion importante \u2013 peut-\u00eatre \u00e0 ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait \u2013 et une r\u00e9action quasi \u00e9pidermique, un acte de r\u00e9sistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ou\u00efe qui ne s\u2019obtiennent que par l\u2019emploi de phrases longues, voire plus que longues, d\u00e9mesur\u00e9es comme notre soif de libert\u00e9 pourrait \u00eatre elle aussi inextinguible.<\/p>\n<\/blockquote>\n
La g\u00e8ne \u00e0 lire ce texte r\u00e9side dans un paradoxe. Trop d’explications, pr\u00e9sence trop forte du narrateur, on cherche l’air et on s\u2019asphyxie. On peut prendre ce texte comme mod\u00e8le pour bien enfoncer le clou et repartir avec le m\u00eame sch\u00e9ma vers un autre texte qui d\u00e9crirait une salle de r\u00e9union par exemple. <\/p>\n
\nDans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, avec sa table trop longue pour le nombre de chaises, ses murs blancs couverts de mots qui pr\u00e9tendent dire quelque chose de nous mais ne disent que la peur de perdre des parts de march\u00e9, avec au fond l\u2019\u00e9cran g\u00e9ant d\u00e9j\u00e0 allum\u00e9, en attente de la premi\u00e8re diapositive, “Vision 2030” en lettres bleues, je sens, avant m\u00eame que la r\u00e9union commence, cette crispation profonde dans la poitrine, comme si quelqu\u2019un s\u2019\u00e9tait install\u00e9 \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ma cage thoracique avec un m\u00e8tre ruban et qu\u2019il v\u00e9rifiait, avec un s\u00e9rieux d\u2019architecte, comment r\u00e9duire l\u2019espace de respiration sans que cela ne se voie trop sur mon visage, et pendant que les coll\u00e8gues entrent un par un, d\u00e9cochent leurs plaisanteries ritualis\u00e9es, posent leurs ordinateurs, leurs gourdes, leurs agendas, je regarde les affiches coll\u00e9es derri\u00e8re la porte, “Agilit\u00e9”, “Bienveillance”, “Excellence”, ces trois noms \u00e9crits chacun sur un fond de couleur diff\u00e9rente comme si l\u2019on devait choisir son camp dans une guerre qui n\u2019a jamais eu lieu, je lis ces mots et je les entends comme des ordres qui ne disent pas “sois agile” mais “tais tes lenteurs”, qui ne disent pas “sois bienveillant” mais “accepte tout”, qui ne disent pas “vise l\u2019excellence” mais “ne nous complique pas la vie avec tes scrupules”, et d\u00e9j\u00e0, sans m\u2019en rendre compte, mon souffle s\u2019est raccourci, je respire par petites gorg\u00e9es, comme si l\u2019air lui-m\u00eame avait \u00e9t\u00e9 segment\u00e9 en phrases nominales, livr\u00e9 en unit\u00e9s standard, pr\u00eates \u00e0 l\u2019absorption rapide, pendant que la cheffe de service s\u2019installe en bout de table, ouvre son ordinateur, r\u00e9p\u00e8te \u00e0 mi-voix le d\u00e9but de son introduction, “Merci d\u2019\u00eatre l\u00e0 ce matin pour ce point important sur notre nouvelle ligne \u00e9ditoriale”, et je sais, parce que je les ai d\u00e9j\u00e0 lus dans le document pr\u00e9paratoire, quels mots vont suivre, je les vois d\u00e9filer devant moi comme un g\u00e9n\u00e9rique avant le film, “clart\u00e9”, “efficacit\u00e9”, “impact”, “lisibilit\u00e9”, “messages cl\u00e9s”, “\u00e9l\u00e9ments de langage”, et j\u2019ai cette impression absurde que mon thorax r\u00e9tr\u00e9cit d\u2019un millim\u00e8tre \u00e0 chaque occurrence de ces termes, non pas parce qu\u2019ils seraient en eux-m\u00eames monstrueux, ils sont simplement vides, polis, interchangeables, mais parce que la mani\u00e8re dont ils s\u2019encha\u00eenent, se soutiennent les uns les autres, forme une sorte de grille invisible dans laquelle tout ce que nous disons devra d\u00e9sormais entrer, sans d\u00e9bord, sans phrase qui s\u2019attarde, sans nuance qui se pose de travers, et je repense \u00e0 la consigne qu\u2019on nous a envoy\u00e9e la veille par mail, “Privil\u00e9gier des phrases courtes, un message par phrase, \u00e9viter les incises, les parenth\u00e8ses, les formules ambigu\u00ebs”, je repense \u00e0 cette phrase qui n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 plus une phrase mais une injonction respiratoire, un programme pour nos poumons, et je sens monter en moi une irritation presque enfantine, un refus qui n\u2019a rien de noble, rien de th\u00e9orique, quelque chose comme “non, je ne veux pas que vous d\u00e9cidiez aussi de la longueur de mes phrases dans ma t\u00eate”, je ne veux pas que les phrases que je ne dis pas encore soient d\u00e9j\u00e0 amput\u00e9es par la peur de manquer de clart\u00e9, je ne veux pas qu\u2019on m\u2019ait d\u00e9j\u00e0 retir\u00e9 le droit de reprendre mon souffle au milieu d\u2019une id\u00e9e parce que ce ne serait pas “performatif”, et tandis qu\u2019elle commence \u00e0 parler, que la premi\u00e8re diapositive appara\u00eet avec ses puces align\u00e9es, “Nous devons parler la langue de nos clients”, “Nous devons simplifier notre discours”, “Nous devons aller \u00e0 l\u2019essentiel”, je sors mon carnet, le petit carnet noir o\u00f9 je note d\u2019habitude les choses qui n\u2019int\u00e9ressent personne, des phrases de r\u00eave, des questions absurdes, des souvenirs qui reviennent sans pr\u00e9venir, je le pose devant moi, comme si je prenais des notes sur la r\u00e9union elle-m\u00eame, et je commence, presque malgr\u00e9 moi, une phrase qui n\u2019a pas encore de direction mais qui sait d\u00e9j\u00e0 qu\u2019elle refusera les virgules \u00e9conomes et les points rapides, une phrase qui s\u2019\u00e9tire sur la page comme un fil qu\u2019on d\u00e9roule pour v\u00e9rifier s\u2019il reste encore de la place entre le plafond et le sol, une phrase qui commence par “Dans cette salle o\u00f9 l\u2019on nous explique avec un s\u00e9rieux d\u2019infirmi\u00e8re comment parler \u00e0 des gens que personne n\u2019a jamais rencontr\u00e9s autrement que sous forme de segments de march\u00e9”, et je laisse venir ce qui vient, la lumi\u00e8re blafarde du n\u00e9on qui fait briller les cr\u00e2nes d\u00e9garnis, le bruit sec des touches d\u2019ordinateur qui transforment la parole de la cheffe en comptes rendus instantan\u00e9s, les t\u00e9l\u00e9phones pos\u00e9s sur la table comme de petits autels priv\u00e9s o\u00f9 chacun surveille ses propres notifications, les gobelets en carton align\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, la marque imprim\u00e9e dessus qui r\u00e9p\u00e8te un slogan \u00e9cologique d\u00e9j\u00e0 entendu trois cents fois, “R\u00e9inventons le quotidien”, et je me dis que nous ne r\u00e9inventons rien du tout, que nous recyclons seulement, \u00e0 coups de mots aseptis\u00e9s, la m\u00eame id\u00e9e rassurante d\u2019un monde lisse o\u00f9 tout pourrait se dire sans frottement, sans exc\u00e8s, sans conflit, mais je continue d\u2019\u00e9crire, j\u2019ajoute des propositions qui s\u2019ajustent comme elles peuvent, parfois bancales, parfois trop lourdes, parce que je sens qu\u2019\u00e0 chaque nouvelle incise, \u00e0 chaque d\u00e9tour, \u00e0 chaque relative qui s\u2019empile sur la pr\u00e9c\u00e9dente, quelque chose en moi se remet \u00e0 respirer, comme si la syntaxe elle-m\u00eame ouvrait des fen\u00eatres dans ce cube de verre climatis\u00e9, comme si chaque subordonn\u00e9e \u00e9tait une petite fuite d\u2019air vers l\u2019ext\u00e9rieur, vers la rue o\u00f9 passent des gens qui ne savent rien de cette r\u00e9union et n\u2019en ont pas besoin pour vivre, et je m\u2019accroche \u00e0 cette id\u00e9e ridicule mais tenace que ma phrase, bien que silencieuse, bien que cach\u00e9e dans ce carnet que personne ne me demandera jamais de relire, oppose une forme de r\u00e9sistance minuscule \u00e0 l\u2019organisation concentrationnaire du discours qui se d\u00e9ploie autour de moi, non pas parce qu\u2019elle dirait une v\u00e9rit\u00e9 plus haute, plus pure, mais parce qu\u2019elle refuse de se plier \u00e0 la cadence des ordres, \u00e0 cette scansion de consignes qui tombent comme autant de points finaux, laissant chaque pens\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9tat de fragment isol\u00e9, incapable de rejoindre la suivante autrement que par un sch\u00e9ma, et \u00e0 mesure que la r\u00e9union avance, que nous passons de “Notre raison d\u2019\u00eatre” \u00e0 “Nos quatre piliers de communication” puis \u00e0 “Notre charte de prise de parole sur les r\u00e9seaux sociaux”, ma phrase \u00e0 moi s\u2019allonge, elle traverse la page, descend sur la suivante, se courbe pour \u00e9viter les marges, revient sur ses pas pour pr\u00e9ciser un d\u00e9tail, le froissement d\u2019une manche, la fa\u00e7on dont un coll\u00e8gue, assis en face de moi, l\u00e8ve les yeux au plafond \u00e0 chaque fois qu\u2019on prononce le mot “authenticit\u00e9”, comme s\u2019il avait peur qu\u2019un morceau lui tombe sur la t\u00eate, et je sais bien que, vue de l\u2019ext\u00e9rieur, cette phrase n\u2019est qu\u2019un ruban de mots suppl\u00e9mentaires, une coul\u00e9e de texte qui ne sauvera personne, pas m\u00eame moi, mais je constate, tr\u00e8s concr\u00e8tement, que mon souffle s\u2019est rallong\u00e9, que mes \u00e9paules se sont un peu d\u00e9tendues, que je peux \u00e0 nouveau inspirer profond\u00e9ment sans avoir l\u2019impression de voler de l\u2019air \u00e0 quelqu\u2019un, et je comprends alors que ce n\u2019est pas seulement une coquetterie d\u2019auteur, une manie de style, c\u2019est un exercice musculaire, un entra\u00eenement pour des poumons menac\u00e9s par la s\u00e9cheresse des bullet points, une mani\u00e8re de v\u00e9rifier, au milieu de cette fabrique de slogans o\u00f9 l\u2019on pr\u00e9tend nous apprendre \u00e0 mieux parler, que subsiste en moi un espace o\u00f9 la parole n\u2019est tenue que par la n\u00e9cessit\u00e9 interne de ce qu\u2019elle cherche \u00e0 dire, o\u00f9 la phrase n\u2019ob\u00e9it qu\u2019\u00e0 la logique de ses propres d\u00e9tours, et quand la r\u00e9union se termine enfin, que tout le monde se l\u00e8ve, replie son ordinateur, range sa gourde, que les uns plaisantent sur la dur\u00e9e un peu excessive, “On a explos\u00e9 le timing, encore une fois”, je referme mon carnet, je range mon stylo, et je sens, en sortant dans le couloir, en longeant les vitrines o\u00f9 l\u2019on a dispos\u00e9 des objets cens\u00e9s repr\u00e9senter la “culture de l\u2019entreprise”, que je suis \u00e0 la fois vaincu et sauf, inutile au syst\u00e8me et pourtant encore capable d\u2019une chose d\u00e9risoire et pourtant essentielle, tenir une phrase assez longtemps pour y loger plus d\u2019une id\u00e9e, plus d\u2019une peur, plus d\u2019un d\u00e9sir, comme on tiendrait sa respiration sous l\u2019eau, juste pour v\u00e9rifier qu\u2019on peut encore remonter.<\/p>\n<\/blockquote>\n
M\u00eame g\u00e8ne ou \u00e0 peu pr\u00e8s<\/strong> ce qui est le signe d’\u00eatre sur une bonne voie, c’est cette g\u00e8ne. Comment rep\u00e9rer ce qui ne va pas. Par t\u00e2tonnement ? qu’est-ce que je cherche vraiment ? je cherche \u00e0 r\u00e9sister \u00e0 l’oppression en d\u00e9veloppant une phrase tr\u00e8s longue mais le r\u00e9sultat fait tout le contraire. En fin de parcours, je suffoque. \nDonc ce n’est pas une question de nombre de caract\u00e8res, ni de mots, ni le fait de ne pas vouloir mettre de point.<\/p>\n
\nquelques question \u00e0 se poser \u00e0 partir de ce constat ( un peu navrant ) : <\/p>\n<\/blockquote>\n
\n
- Est-ce que ce d\u00e9cor de salle de r\u00e9union te parle vraiment (tu t\u2019y reconnais), ou tu pr\u00e9f\u00e9rerais que la m\u00eame tension se joue dans un autre lieu plus singulier de ton exp\u00e9rience ?<\/li>\n
- Tu veux que le texte reste aussi explicite dans sa dimension “manifeste” sur la langue, ou tu aimerais une version qui se contente d\u2019en montrer les effets sans les commenter autant ?<\/li>\n
- Dans l\u2019ensemble plus vaste o\u00f9 ce paragraphe serait ins\u00e9r\u00e9, il serait plut\u00f4t au d\u00e9but (mise en place du motif “langue\/respiration”) ou au milieu, comme un \u00e9pisode parmi d\u2019autres sc\u00e8nes d\u2019\u00e9touffement et de r\u00e9sistance ?<\/li>\n<\/ul>\n
si je r\u00e9fl\u00e9chis, que je donne ces r\u00e9ponses :<\/p>\n
\n
- le d\u00e9cor de la salle de r\u00e9union me parle. <\/li>\n
- montrer les effets sans les commenter.<\/li>\n
- je ne sais pas encore, mais on peut imaginer un \u00e9pisode parmi d’autres<\/li>\n<\/ul>\n
Et je r\u00e9\u00e9cris \u00e0 partir de ces informations<\/strong> : Je pars de ta sc\u00e8ne de r\u00e9union, mais en laissant le texte montrer ce que fait la langue sur les corps et les t\u00eates, sans le commenter frontalement.<\/p>\n
\nDans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, avec la table ovale un peu trop grande pour le nombre de chaises et la moquette qui absorbe les pas au point qu\u2019on a l\u2019impression de marcher dans un couloir d\u2019h\u00f4tel, une lumi\u00e8re blanche tombe du plafond sur les dossiers en plastique transparents d\u00e9j\u00e0 pos\u00e9s \u00e0 chaque place, les gobelets en carton empil\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, les marqueurs align\u00e9s le long du paperboard qui ne servira sans doute pas, et je sens en tirant la chaise que quelque chose se resserre dans ma poitrine, un mouvement minuscule que je reconnais maintenant, un minuscule recul du souffle comme si l\u2019air, ici, devait passer par un sas avant d\u2019atteindre les poumons, pendant que les premiers arrivent, d\u00e9posent leurs ordinateurs, font glisser les roulettes des fauteuils, lancent les phrases qui ouvrent toutes les r\u00e9unions, toujours les m\u00eames plaisanteries sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, des blocs courts qui tombent sur la table comme de petites pi\u00e8ces de monnaie, tintent et se taisent, sans laisser de trace, tandis qu\u2019au fond de la salle l\u2019\u00e9cran est d\u00e9j\u00e0 allum\u00e9, rectangle noir en attente du premier diaporama, et que les affiches au mur, avec leurs verbes \u00e0 l\u2019infinitif \u00e9crits en grosses lettres au-dessus d\u2019images floues de personnes souriantes, couvrent la peinture d\u2019un papier glac\u00e9 qu\u2019on ne regarde plus vraiment, mais dont les mots, eux, frappent quand m\u00eame le coin de l\u2019\u0153il, “R\u00e9inventer”, “Simplifier”, “Accompagner”, comme autant de coups de tampon sur la m\u00eame journ\u00e9e, et je m\u2019assieds, j\u2019ouvre mon carnet \u00e0 une page encore vierge, j\u2019enl\u00e8ve le capuchon du stylo juste pour sentir la pointe pr\u00eate, pendant que la cheffe arrive \u00e0 son tour, se poste en bout de table, branche son ordinateur au c\u00e2ble qui pend de l\u2019\u00e9cran, et la premi\u00e8re diapositive appara\u00eet, fond bleu, titre blanc, trois lignes, chacune pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un petit carr\u00e9, des mots bri\u00e8vement espac\u00e9s, pos\u00e9s l\u00e0 comme des paliers o\u00f9 l\u2019on s\u2019arr\u00eate \u00e0 peine avant de repartir vers la ligne suivante, et d\u00e9j\u00e0 dans ma cage thoracique l\u2019espace se calcule, l\u2019air circule autrement, par petits \u00e0-coups, et je vois la fa\u00e7on dont les coll\u00e8gues se penchent en avant, certains sortent leur t\u00e9l\u00e9phone pour prendre une photo de la slide, comme si ce rectangle satur\u00e9 de mots courts \u00e9tait une vue de paysage \u00e0 conserver, d\u2019autres se contentent d\u2019acquiescer en silence, un hochement de t\u00eate qui semble r\u00e9pondre \u00e0 chaque fragment projet\u00e9, comme si l\u2019on cochait des cases invisibles au fur et \u00e0 mesure que les phrases d\u00e9filent, et la voix de la cheffe se cale sur ce d\u00e9filement, elle ne raconte pas, elle d\u00e9pose des segments nets, d\u00e9tach\u00e9s les uns des autres, chaque morceau tombe, se pose, laisse un petit silence avant le suivant, l\u2019intonation remonte \u00e0 la fin de chaque ligne comme pour v\u00e9rifier que tout le monde suit, et je sens dans mon propre corps que quelque chose essaie de s\u2019ajuster \u00e0 cette cadence, mes poumons prennent le rythme malgr\u00e9 moi, inspirer sur le d\u00e9but, expirer sur la fin, recycler l\u2019air entre deux blocs de parole, ne pas d\u00e9passer, ne pas d\u00e9border de la dur\u00e9e qu\u2019on nous distribue, et je devine d\u00e9j\u00e0 les e-mails qui suivront cette r\u00e9union, avec ces phrases qui tiendront dans une seule ligne d\u2019\u00e9cran, sans d\u00e9tour, sans incise, l\u2019appel \u00e0 “reformuler”, \u00e0 “rendre plus direct”, tout ce qui fait que les textes se resserrent comme les cravates du lundi, mais au lieu de me projeter dans cette suite de consignes je me concentre sur des d\u00e9tails ridicules, la goutte de caf\u00e9 s\u00e9ch\u00e9e pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la mince trace de stylo sur la table \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 quelqu\u2019un a test\u00e9 la mine, la voix du coll\u00e8gue \u00e0 ma droite qui r\u00e9p\u00e8te presque \u00e0 chaque diapositive le dernier mot prononc\u00e9, comme si cela l\u2019aidait \u00e0 se souvenir, “claire”, “rapide”, “lisible”, petites \u00e9pingles plant\u00e9es dans l\u2019air pour maintenir le discours en place, et plus la r\u00e9union avance, plus je remarque que les phrases prononc\u00e9es autour de moi se raccourcissent, que les interventions des uns et des autres ressemblent \u00e0 des r\u00e9ponses pr\u00e9par\u00e9es, align\u00e9es \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de la t\u00eate bien avant de sortir de la bouche, des suites de mots tenus serr\u00e9s par la peur d\u2019\u00eatre confus, d\u2019\u00eatre longs, d\u2019\u00eatre jug\u00e9s comme peu pertinents, et quand vient le moment o\u00f9 l\u2019on nous invite \u00e0 “r\u00e9agir”, il se produit ce ph\u00e9nom\u00e8ne que je connais bien maintenant, le silence d\u2019abord, puis la premi\u00e8re phrase prudente, bien calibr\u00e9e, “Je trouve que c\u2019est plus clair comme \u00e7a”, puis une autre qui se place dans le m\u00eame moule, “Oui, on y voit plus simple”, chaque fois les m\u00eames adjectifs, les m\u00eames contours, jusqu\u2019\u00e0 ce que la salle enti\u00e8re semble tourner autour d\u2019un nombre r\u00e9duit de mots comme un man\u00e8ge autour de son axe, et je sens que si je parle je n\u2019aurai pas d\u2019autre choix que de piocher moi aussi dans ce stock minuscule, que ma voix ne pourrait pas y \u00e9chapper sans para\u00eetre d\u00e9plac\u00e9e, malpolie, alors je ne dis rien, je baisse un peu la t\u00eate, et la pointe de mon stylo touche enfin la page, d\u2019abord une ligne tr\u00e8s fine, presque un trait de respiration, puis une phrase qui commence, non pas pour r\u00e9sumer ce qui se dit, non pas pour en faire une note utile, simplement pour ouvrir un espace parall\u00e8le o\u00f9 l\u2019air aurait une autre vitesse, “Dans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur comme des bo\u00eetes de conserve sur un rayon trop bien rang\u00e9”, j\u2019\u00e9cris cela sans r\u00e9fl\u00e9chir, et je poursuis, j\u2019ajoute des morceaux qui ne “servent” \u00e0 rien, la couleur du pull du coll\u00e8gue d\u2019en face qui tranche sur le reste, le tic de l\u2019autre qui clique sans arr\u00eat sur son stylo, la fa\u00e7on dont la cheffe boit une gorg\u00e9e d\u2019eau avant chaque s\u00e9rie de trois phrases, comme si sa voix devait se recalibrer, et plus j\u2019avance, plus la phrase s\u2019\u00e9tire, traverse la largeur de la page, descend, bifurque, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, ajoute une apposition qui complique un peu tout, mais je ne l\u2019interromps pas, je la laisse me tirer avec elle, et dans ce mouvement tr\u00e8s simple, m\u00e9canique presque, mon souffle s\u2019allonge, je le sens physiquement, mes \u00e9paules se rel\u00e2chent un peu, ma cage thoracique se d\u00e9plie comme si l\u2019on avait ouvert une fen\u00eatre dans une pi\u00e8ce qu\u2019on croyait aveugle, autour de moi la r\u00e9union continue, les diapositives se ressemblent, seulement les couleurs changent, parfois le bleu devient vert, parfois le fond se couvre d\u2019une photo en contre-jour de silhouettes en train de discuter autour d\u2019un ordinateur, les mots flottent sur cette image anonyme sans que personne ne la regarde vraiment, mais je per\u00e7ois \u00e0 quel point la salle enti\u00e8re se r\u00e8gle sur cette fa\u00e7on de dire, blocs de texte courts, bien s\u00e9par\u00e9s, on coche, on valide, on passe, et mon propre geste d\u2019\u00e9criture para\u00eet d\u2019autant plus d\u00e9viant, une esp\u00e8ce de ligne qui refuse de se briser, qui s\u2019obstine \u00e0 contenir dans son coude plusieurs impressions qui n\u2019ont rien \u00e0 voir entre elles, l\u2019odeur du d\u00e9odorant trop sucr\u00e9 de mon voisin, la sonnerie \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone qui vibre dans une poche, la petite douleur dans mon dos qui se r\u00e9veille \u00e0 chaque fois que je me penche trop longtemps, et je comprends que si je commence \u00e0 mettre des points, ici, ces images vont se disperser, chacune retombera dans son coin, l\u2019une \u00e0 la suite de l\u2019autre, dociles, pr\u00e9sentables, alors que tant qu\u2019elles restent \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ce m\u00eame souffle elles continuent de se frotter, de se g\u00eaner, de m\u2019obliger \u00e0 trouver un ordre qui n\u2019est pas celui du diaporama, un ordre plus proche de ce qui me traverse r\u00e9ellement, et quand, au bout d\u2019un moment difficile \u00e0 mesurer, la cheffe dit “On arrive \u00e0 la fin”, qu\u2019elle annonce les deux derni\u00e8res slides comme on annonce les deux derni\u00e8res stations avant le terminus, je suis surpris de sentir un l\u00e9ger regret, non pas que je tienne sp\u00e9cialement \u00e0 rester l\u00e0, mais parce que ma phrase, elle, n\u2019a pas encore trouv\u00e9 son point, elle h\u00e9site, elle pourrait continuer sur le couloir, sur l\u2019ascenseur, sur le trottoir de midi, elle pourrait se prolonger en dehors de cette salle, glisser sous la porte en m\u00eame temps que nous, se faufiler entre les \u00e9crans des bureaux en open space, se m\u00ealer un instant au bruit des claviers, aux annonces du haut-parleur dans le hall, et peut-\u00eatre qu\u2019elle le fera, peut-\u00eatre que je la poursuivrai plus tard dans un autre lieu, mais pour l\u2019instant, au moment o\u00f9 tout le monde ferme ses ordinateurs dans un claquement mou, ramasse ses dossiers, v\u00e9rifie machinalement son t\u00e9l\u00e9phone, blague sur la dur\u00e9e de la r\u00e9union, “On a explos\u00e9 le timing”, je referme le carnet sur cette phrase encore ouverte, je garde le stylo dans la main comme on garde une cl\u00e9 dans sa poche, et en me levant je remarque simplement que je respire mieux, que l\u2019air entre et sort sans accrocs, sans ces petites coupures que je sentais en arrivant, et cette am\u00e9lioration minuscule, presque ridicule au regard de tout le reste, la fatigue, le travail, les obligations, me suffit pour traverser la salle, jeter un coup d\u2019\u0153il \u00e0 l\u2019\u00e9cran maintenant noir, pousser la porte et m\u2019engager dans le couloir en me disant que, pour aujourd\u2019hui, c\u2019est peut-\u00eatre d\u00e9j\u00e0 assez.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Ce n’est gu\u00e8re mieux<\/strong>. C’est m\u00eame pire. Je compte dix-neuf \"comme\" c’est abus\u00e9. On les retire pour voir ce que \u00e7a donne en \u00e9liminant les m\u00e9taphores : <\/p>\n
\nDans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, la table ovale reste l\u00e9g\u00e8rement trop grande pour le nombre de chaises dispos\u00e9es autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entr\u00e9e presque muette, une lumi\u00e8re blanche tombe du plafond sur les dossiers en plastique transparents pos\u00e9s \u00e0 chaque place, sur les gobelets empil\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs align\u00e9s le long du paperboard immobile, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019air se fait plus \u00e9troit dans la pi\u00e8ce, l\u2019\u00e9cran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes \u00e0 l\u2019infinitif, “R\u00e9inventer”, “Simplifier”, “Accompagner”, recouvrent la peinture d\u2019un papier glac\u00e9 dont les visages souriants ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de frapper le coin de l\u2019\u0153il au passage, puis les fauteuils roulants se d\u00e9placent, des ordinateurs s\u2019ouvrent, des plaisanteries courtes tombent sur la table, quelques mots sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, unit\u00e9s br\u00e8ves qui tintent et s\u2019\u00e9teignent imm\u00e9diatement, l\u2019\u00e9cran s\u2019allume, le fond bleu appara\u00eet, titre blanc, trois lignes br\u00e8ves pr\u00e9c\u00e9d\u00e9es chacune d\u2019un petit carr\u00e9, les caract\u00e8res s\u2019affichent nets, espac\u00e9s juste ce qu\u2019il faut pour que l\u2019\u0153il les avale d\u2019un coup, la voix qui d\u00e9bute en bout de table d\u00e9pose des segments distincts, chaque groupe de mots isol\u00e9, ponctu\u00e9 d\u2019un silence minime avant le suivant, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains t\u00e9l\u00e9phones se l\u00e8vent pour capturer la slide enti\u00e8re, d\u2019autres mains se contentent de suivre la progression par un l\u00e9ger mouvement de nuque, approbation silencieuse synchronis\u00e9e sur la cadence des blocs projet\u00e9s, la respiration de la salle se cale peu \u00e0 peu sur cette d\u00e9coupe, inspiration br\u00e8ve, expiration br\u00e8ve, flux r\u00e9duit \u00e0 la dur\u00e9e d\u2019une ligne, l\u2019espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au m\u00eame rythme que le changement de diapositive, les couleurs du fond varient, bleu, vert, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d\u2019un ordinateur s\u2019interpose derri\u00e8re le texte sans attirer plus qu\u2019un regard distrait, tandis que sur la table un carnet s\u2019ouvre, discret, mince rectangle noir pos\u00e9 \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un dossier officiel, un stylo se pr\u00e9pare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier encore vierge se trace soudain une premi\u00e8re ligne qui ne cherche ni \u00e0 r\u00e9sumer ni \u00e0 commenter, simple trait de parole silencieuse, “Dans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur en rangs serr\u00e9s”, puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d\u2019un pull qui tranche sur les tons neutres, le tic d\u2019un stylo qu\u2019une main actionne sans cesse, la goutte de caf\u00e9 s\u00e9ch\u00e9e pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la gorg\u00e9e d\u2019eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque d\u00e9tail trouv\u00e9 se d\u00e9pose dans la m\u00eame coul\u00e9e d\u2019encre, la phrase s\u2019\u00e9tire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace de stylo qui subsistait d\u00e9j\u00e0 sur le bois \u00e0 l\u2019endroit d\u2019un ancien test, le l\u00e9ger froissement de la chemise au moment o\u00f9 un fauteuil recule de quelques centim\u00e8tres, puis la vibration \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, d\u00e9tours, reprises, tout reste tenu dans un seul souffle, tandis que sur l\u2019\u00e9cran les puces se succ\u00e8dent, “Parler la langue de nos clients”, “Aller \u00e0 l\u2019essentiel”, “Clarifier les messages”, ensemble de formules br\u00e8ves que les voix autour de la table reprennent aussit\u00f4t, “plus clair”, “plus simple”, “plus lisible”, m\u00eames adjectifs qui reviennent, circulent d\u2019une bouche \u00e0 l\u2019autre, ferment le cercle autour d\u2019un vocabulaire r\u00e9duit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole \u00e9vite de d\u00e9passer, d\u2019h\u00e9siter, de d\u00e9river, les phrases orales restent limit\u00e9es \u00e0 une seule id\u00e9e, tr\u00e8s nette, tr\u00e8s courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien \u00e9vident, l\u2019odeur sucr\u00e9e d\u2019un d\u00e9odorant trop pr\u00e9sent, la douleur discr\u00e8te qui remonte le long d\u2019une omoplate lorsqu\u2019un dos se penche trop longtemps, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets en carton r\u00e9p\u00e9tant un slogan \u00e9cologique d\u00e9j\u00e0 vu ailleurs, la lumi\u00e8re qui accroche le bord poli d\u2019un ordinateur et renvoie un \u00e9clat blanc dans un \u0153il fatigu\u00e9, toute cette mati\u00e8re se relie dans l\u2019encha\u00eenement unique des mots trac\u00e9s \u00e0 la main, la respiration qui porte cette \u00e9criture s\u2019allonge, les \u00e9paules se rel\u00e2chent imperceptiblement, la cage thoracique se d\u00e9plie d\u2019un cran, une sorte de fen\u00eatre invisible s\u2019ouvre dans l\u2019air dense de la salle, pourtant la r\u00e9union suit son cours, le d\u00e9roul\u00e9 annonc\u00e9 progresse, “Notre raison d\u2019\u00eatre”, “Nos quatre piliers de communication”, “Notre charte de prise de parole”, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire discret \u00e9clate \u00e0 la faveur d\u2019une plaisanterie sur les r\u00e9seaux sociaux, vite \u00e9touff\u00e9, le regard collectif revient vers l\u2019\u00e9cran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse maintenant la deuxi\u00e8me page, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table de la paume, un genou qui tressaute sous le plateau, le l\u00e9ger cliquetis d\u2019un bracelet contre le m\u00e9tal du fauteuil, le tout maintenu dans un m\u00eame flux qui retarde volontairement le point final, pendant que l\u2019assembl\u00e9e se r\u00e8gle sur l\u2019annonce de la conclusion, “On arrive \u00e0 la fin”, encore deux slides, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, la dur\u00e9e se mesure en nombres de blocs restant \u00e0 afficher, l\u2019\u00e9paisseur de l\u2019air d\u00e9pend du temps qui s\u00e9pare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultan\u00e9, les dossiers se rassemblent, les t\u00e9l\u00e9phones sont consult\u00e9s, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes d\u00e9pass\u00e9es, sur le planning de l\u2019apr\u00e8s-midi, sur la prochaine r\u00e9union d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vue, les fauteuils se poussent en arri\u00e8re, la table se d\u00e9couvre, la surface claire retrouve son vide d\u2019avant, le carnet se ferme sur la phrase rest\u00e9e ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s\u2019entrouvre, le couloir reprend la s\u00e9rie de pas, de voix, de notifications, et dans les cages thoraciques qui s\u2019\u00e9loignent vers l\u2019ascenseur l\u2019air circule \u00e0 nouveau plus librement, d\u00e9tendu d\u2019un ou deux indices \u00e0 peine perceptibles, simple variation de souffle que la journ\u00e9e ne remarquera pas mais qui reste suspendue \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase prolong\u00e9e au milieu des blocs bris\u00e9s.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Trop d’adjectifs<\/strong>. Que se passerait-il si j’en retire 80 % ? <\/p>\n
\nDans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, la table reste trop grande pour le nombre de chaises dispos\u00e9es autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entr\u00e9e presque muette, une lumi\u00e8re tombe du plafond sur les dossiers en plastique pos\u00e9s \u00e0 chaque place, sur les gobelets pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs le long du paperboard, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019air se r\u00e9tr\u00e9cit dans la pi\u00e8ce, l\u2019\u00e9cran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes \u00e0 l\u2019infinitif recouvrent la peinture d\u2019un papier o\u00f9 les visages ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de fr\u00f4ler le coin de l\u2019\u0153il, puis les fauteuils roulants se d\u00e9placent, des ordinateurs s\u2019ouvrent, des plaisanteries tombent sur la table, quelques mots sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, unit\u00e9s br\u00e8ves qui tintent et s\u2019\u00e9teignent, l\u2019\u00e9cran s\u2019allume, le fond appara\u00eet, titre, trois lignes, chacune pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, les caract\u00e8res se rangent, l\u2019\u0153il les avale d\u2019un coup, la voix en bout de table d\u00e9pose des segments distincts, chaque groupe de mots isol\u00e9, ponctu\u00e9 d\u2019un silence avant le suivant, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains t\u00e9l\u00e9phones se l\u00e8vent pour saisir la slide enti\u00e8re, d\u2019autres nuques suivent la progression par un l\u00e9ger mouvement, approbation r\u00e9gl\u00e9e sur la cadence des blocs projet\u00e9s, la respiration de la salle se cale peu \u00e0 peu sur cette d\u00e9coupe, inspiration br\u00e8ve, expiration br\u00e8ve, flux r\u00e9duit \u00e0 la dur\u00e9e d\u2019une ligne, l\u2019espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au m\u00eame rythme que le changement de diapositive, les couleurs varient, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d\u2019un ordinateur s\u2019interpose derri\u00e8re le texte sans attirer plus qu\u2019un regard, tandis que sur la table un carnet s\u2019ouvre, mince rectangle noir pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un dossier, un stylo se pr\u00e9pare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier se trace une premi\u00e8re ligne qui ne cherche ni \u00e0 r\u00e9sumer ni \u00e0 expliquer, simple trait de parole, “Dans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur en rangs serr\u00e9s”, puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d\u2019un pull qui tranche sur les tons gris, le tic d\u2019un stylo qu\u2019une main actionne, la trace de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la gorg\u00e9e d\u2019eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque d\u00e9tail trouv\u00e9 se d\u00e9pose dans la m\u00eame coul\u00e9e d\u2019encre, la phrase s\u2019\u00e9tire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace plus ancienne laiss\u00e9e sur le bois \u00e0 l\u2019endroit d\u2019un test, le froissement d\u2019une chemise au moment o\u00f9 un fauteuil recule, puis la vibration \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, d\u00e9tours, reprises, tout reste tenu dans un souffle, tandis que sur l\u2019\u00e9cran les puces se succ\u00e8dent, “Parler la langue de nos clients”, “Aller \u00e0 l\u2019essentiel”, “Clarifier les messages”, ensemble de formules br\u00e8ves que les voix autour de la table reprennent aussit\u00f4t, “plus clair”, “plus simple”, “plus lisible”, m\u00eames adjectifs qui reviennent, circulent d\u2019une bouche \u00e0 l\u2019autre, ferment le cercle autour d\u2019un vocabulaire r\u00e9duit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole \u00e9vite de d\u00e9passer, d\u2019h\u00e9siter, de d\u00e9river, les phrases orales restent limit\u00e9es \u00e0 une id\u00e9e nette, courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien, l\u2019odeur d\u2019un d\u00e9odorant sucr\u00e9, la douleur qui remonte le long d\u2019une omoplate lorsqu\u2019un dos se penche, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets r\u00e9p\u00e9tant un slogan d\u00e9j\u00e0 vu, la lumi\u00e8re qui accroche le bord d\u2019un ordinateur et renvoie un \u00e9clat dans un \u0153il fatigu\u00e9, toute cette mati\u00e8re se relie dans l\u2019encha\u00eenement des mots trac\u00e9s \u00e0 la main, la respiration qui porte cette \u00e9criture s\u2019allonge, les \u00e9paules se rel\u00e2chent, la cage thoracique se d\u00e9plie, une fen\u00eatre s\u2019ouvre dans l\u2019air dense de la salle, pourtant la r\u00e9union suit son cours, le d\u00e9roul\u00e9 annonc\u00e9 progresse, “Notre raison d\u2019\u00eatre”, “Nos quatre piliers de communication”, “Notre charte de prise de parole”, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire \u00e9clate \u00e0 la faveur d\u2019une phrase sur les r\u00e9seaux sociaux, vite \u00e9touff\u00e9, le regard collectif revient vers l\u2019\u00e9cran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse la deuxi\u00e8me page, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table, un genou qui tressaute sous le plateau, le cliquetis d\u2019un bracelet contre le m\u00e9tal du fauteuil, le tout maintenu dans un flux qui retarde le point final, pendant que l\u2019assembl\u00e9e se r\u00e8gle sur l\u2019annonce de la conclusion, “On arrive \u00e0 la fin”, encore deux slides, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, la dur\u00e9e se mesure en nombre de blocs restant \u00e0 afficher, l\u2019\u00e9paisseur de l\u2019air d\u00e9pend du temps qui s\u00e9pare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultan\u00e9, les dossiers se rassemblent, les t\u00e9l\u00e9phones sont consult\u00e9s, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes d\u00e9pass\u00e9es, sur le planning de l\u2019apr\u00e8s-midi, sur la prochaine r\u00e9union d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vue, les fauteuils se poussent en arri\u00e8re, la table se vide, la surface retrouve son \u00e9tat d\u2019avant, le carnet se ferme sur la phrase rest\u00e9e ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s\u2019entrouvre, le couloir reprend la s\u00e9rie de pas, de voix, de notifications, et dans les cages thoraciques qui s\u2019\u00e9loignent vers l\u2019ascenseur l\u2019air circule \u00e0 nouveau plus librement, variation de souffle que la journ\u00e9e ne remarquera pas mais qui reste suspendue \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase prolong\u00e9e au milieu des blocs bris\u00e9s.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Si je retire tous les termes anglophones ?<\/strong><\/p>\n
\nDans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, la table reste trop grande pour le nombre de chaises dispos\u00e9es autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entr\u00e9e presque muette, une lumi\u00e8re tombe du plafond sur les dossiers en plastique pos\u00e9s \u00e0 chaque place, sur les gobelets pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs le long du tableau \u00e0 feuilles mobiles, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019air se r\u00e9tr\u00e9cit dans la pi\u00e8ce, l\u2019\u00e9cran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes \u00e0 l\u2019infinitif recouvrent la peinture d\u2019un papier o\u00f9 les visages ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de fr\u00f4ler le coin de l\u2019\u0153il, puis les fauteuils roulants se d\u00e9placent, des ordinateurs s\u2019ouvrent, des plaisanteries tombent sur la table, quelques mots sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, unit\u00e9s br\u00e8ves qui tintent et s\u2019\u00e9teignent, l\u2019\u00e9cran s\u2019allume, le fond appara\u00eet, titre, trois lignes, chacune pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, les caract\u00e8res se rangent, l\u2019\u0153il les avale d\u2019un coup, la voix en bout de table d\u00e9pose des segments distincts, chaque groupe de mots isol\u00e9, ponctu\u00e9 d\u2019un silence avant le suivant, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains t\u00e9l\u00e9phones se l\u00e8vent pour saisir la diapositive enti\u00e8re, d\u2019autres nuques suivent la progression par un l\u00e9ger mouvement, approbation r\u00e9gl\u00e9e sur la cadence des blocs projet\u00e9s, la respiration de la salle se cale peu \u00e0 peu sur cette d\u00e9coupe, inspiration br\u00e8ve, expiration br\u00e8ve, flux r\u00e9duit \u00e0 la dur\u00e9e d\u2019une ligne, l\u2019espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au m\u00eame rythme que le changement de diapositive, les couleurs varient, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d\u2019un ordinateur s\u2019interpose derri\u00e8re le texte sans attirer plus qu\u2019un regard, tandis que sur la table un carnet s\u2019ouvre, mince rectangle noir pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un dossier, un stylo se pr\u00e9pare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier se trace une premi\u00e8re ligne qui ne cherche ni \u00e0 r\u00e9sumer ni \u00e0 expliquer, simple trait de parole, « Dans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur en rangs serr\u00e9s », puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d\u2019un pull qui tranche sur les tons gris, le tic d\u2019un stylo qu\u2019une main actionne, la trace de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la gorg\u00e9e d\u2019eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque d\u00e9tail trouv\u00e9 se d\u00e9pose dans la m\u00eame coul\u00e9e d\u2019encre, la phrase s\u2019\u00e9tire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace plus ancienne laiss\u00e9e sur le bois \u00e0 l\u2019endroit d\u2019un test, le froissement d\u2019une chemise au moment o\u00f9 un fauteuil recule, puis la vibration \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, d\u00e9tours, reprises, tout reste tenu dans un souffle, tandis que sur l\u2019\u00e9cran les puces se succ\u00e8dent, « Parler la langue de nos clients », « Aller \u00e0 l\u2019essentiel », « Clarifier les messages », ensemble de formules br\u00e8ves que les voix autour de la table reprennent aussit\u00f4t, « plus clair », « plus simple », « plus lisible », m\u00eames adjectifs qui reviennent, circulent d\u2019une bouche \u00e0 l\u2019autre, ferment le cercle autour d\u2019un vocabulaire r\u00e9duit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole \u00e9vite de d\u00e9passer, d\u2019h\u00e9siter, de d\u00e9river, les phrases orales restent limit\u00e9es \u00e0 une id\u00e9e nette, courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien, l\u2019odeur d\u2019un d\u00e9odorant sucr\u00e9, la douleur qui remonte le long d\u2019une omoplate lorsqu\u2019un dos se penche, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets r\u00e9p\u00e9tant un slogan d\u00e9j\u00e0 vu, la lumi\u00e8re qui accroche le bord d\u2019un ordinateur et renvoie un \u00e9clat dans un \u0153il fatigu\u00e9, toute cette mati\u00e8re se relie dans l\u2019encha\u00eenement des mots trac\u00e9s \u00e0 la main, la respiration qui porte cette \u00e9criture s\u2019allonge, les \u00e9paules se rel\u00e2chent, la cage thoracique se d\u00e9plie, une fen\u00eatre s\u2019ouvre dans l\u2019air dense de la salle, pourtant la r\u00e9union suit son cours, le d\u00e9roul\u00e9 annonc\u00e9 progresse, « Notre raison d\u2019\u00eatre », « Nos quatre piliers de communication », « Notre charte de prise de parole », les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire \u00e9clate \u00e0 la faveur d\u2019une phrase sur les r\u00e9seaux sociaux, vite \u00e9touff\u00e9, le regard collectif revient vers l\u2019\u00e9cran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse la deuxi\u00e8me page, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table, un genou qui tressaute sous le plateau, le cliquetis d\u2019un bracelet contre le m\u00e9tal du fauteuil, le tout maintenu dans un flux qui retarde le point final, pendant que l\u2019assembl\u00e9e se r\u00e8gle sur l\u2019annonce de la conclusion, « On arrive \u00e0 la fin », encore deux diapositives, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, la dur\u00e9e se mesure en nombre de blocs restant \u00e0 afficher, l\u2019\u00e9paisseur de l\u2019air d\u00e9pend du temps qui s\u00e9pare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultan\u00e9, les dossiers se rassemblent, les t\u00e9l\u00e9phones sont consult\u00e9s, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes d\u00e9pass\u00e9es, sur le programme de l\u2019apr\u00e8s-midi, sur la prochaine r\u00e9union d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vue, les fauteuils se poussent en arri\u00e8re, la table se vide, la surface retrouve son \u00e9tat d\u2019avant, le carnet se ferme sur la phrase rest\u00e9e ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s\u2019entrouvre, le couloir reprend la s\u00e9rie de pas, de voix, d\u2019alertes, et dans les cages thoraciques qui s\u2019\u00e9loignent vers l\u2019ascenseur l\u2019air circule \u00e0 nouveau plus librement, variation de souffle que la journ\u00e9e ne remarquera pas mais qui reste suspendue \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase prolong\u00e9e au milieu des blocs bris\u00e9s.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Pouah ! <\/strong>\n\u2013 Trop d\u2019objets qui “font” des choses (la moquette absorbe, l\u2019\u00e9cran attend, les affiches frappent l\u2019\u0153il, etc.).\n\u2013 Trop de micro-“effets” qui surjouent la sc\u00e8ne pour pas grand-chose.\n\u2013 Un rythme tr\u00e8s liss\u00e9, tr\u00e8s “propre”, qui ressemble \u00e0 ce que tu appelles l\u2019eau ti\u00e8de IA.<\/p>\n
\nDans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me \u00e9tage, la table ovale occupe presque tout l\u2019espace, les chaises forment un cercle un peu trou\u00e9, la moquette \u00e9touffe les pas, la lumi\u00e8re du plafond tombe droit sur les dossiers en plastique pos\u00e9s devant chaque place, sur les gobelets empil\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs align\u00e9s le long du tableau \u00e0 feuilles mobiles, au fond l\u2019\u00e9cran est allum\u00e9, rectangle noir accroch\u00e9 au mur, les affiches coll\u00e9es autour montrent des groupes de personnes souriantes, dessous on lit « R\u00e9inventer », « Simplifier », « Accompagner », les fauteuils roulants avancent l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, des ordinateurs portables s\u2019ouvrent, des phrases courtes tombent sur la table, deux mots sur l\u2019heure, trois sur le caf\u00e9, une remarque sur le temps, puis l\u2019\u00e9cran change, fond bleu, titre en blanc, trois lignes, chaque ligne pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, les caract\u00e8res restent nets, la voix en bout de table lit les lignes, s\u2019interrompt, reprend, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains l\u00e8vent un t\u00e9l\u00e9phone pour photographier la diapositive, d\u2019autres regardent seulement, un carnet se pose \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un dossier, couverture noire, un stylo se d\u00e9capuchonne, la pointe se place au-dessus de la page, une phrase commence \u00e0 s\u2019\u00e9crire, « Dans cette salle les mots sont rang\u00e9s sur le mur », la main ajoute « en rangs serr\u00e9s », la phrase continue, note la couleur d\u2019un pull, la trace brun\u00e2tre de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, le l\u00e9ger bruit d\u2019un stylo que l\u2019on ouvre et referme, sur l\u2019\u00e9cran les puces suivantes apparaissent, « Parler la langue de nos clients », « Aller \u00e0 l\u2019essentiel », « Clarifier les messages », la m\u00eame voix les dit, une autre voix dit « oui », une autre dit « c\u2019est plus clair », une autre ajoute « c\u2019est plus simple \u00e0 expliquer », les r\u00e9ponses se ressemblent, les mots reviennent, les interventions se limitent \u00e0 quelques segments, puis s\u2019arr\u00eatent, la phrase sur le carnet ne s\u2019arr\u00eate pas, elle reprend la salle, les \u00e9paules en rond autour de la table, la gorg\u00e9e d\u2019eau avant chaque nouvelle s\u00e9rie de trois lignes, la lumi\u00e8re sur le bord d\u2019un ordinateur, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets, la vibration d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, la chemise qui se froisse contre le dossier du fauteuil, les m\u00eames slogans au mur, la phrase traverse la premi\u00e8re page, descend sur la suivante, se recopie un instant sur la marge, sur l\u2019\u00e9cran le d\u00e9roul\u00e9 continue, « Notre raison d\u2019\u00eatre », « Nos quatre piliers », « Notre charte de prise de parole », les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire bref suit une remarque sur les r\u00e9seaux sociaux, retombe, la phrase sur le carnet enregistre encore un d\u00e9tail, un genou qui tressaute sous la table, un bracelet qui touche le m\u00e9tal, le petit clic du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la poussi\u00e8re sur le rebord de l\u2019\u00e9cran, puis la voix en bout de table annonce « On arrive \u00e0 la fin », encore deux diapositives, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, les ordinateurs se referment presque en m\u00eame temps, les dossiers sont empil\u00e9s, les t\u00e9l\u00e9phones reviennent dans les mains, quelques phrases signalent le retard pris, les r\u00e9unions \u00e0 encha\u00eener, les chaises se repoussent, la surface de la table se vide, le carnet se referme sur la phrase rest\u00e9e en suspens, le stylo dispara\u00eet dans une poche, la moquette avale les pas vers la porte, le couloir re\u00e7oit les silhouettes, les voix, les signaux des appareils, au bout le bruit mat des portes de l\u2019ascenseur, l\u2019air quitte la salle par \u00e0-coups lorsque la porte reste ouverte, l\u2019air suit les corps dans le couloir, dans les cages thoraciques le souffle se rallonge un peu, variation presque invisible laiss\u00e9e par cette seule phrase \u00e9crite au milieu des blocs projet\u00e9s.<\/p>\n<\/blockquote>\n
encore beaucoup trop de verbes ( de verbiage ) <\/strong><\/p>\n
\nDans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me \u00e9tage, table ovale trop grande pour le nombre de chaises, cercle trou\u00e9, moquette \u00e9touffant les pas, lumi\u00e8re du plafond sur les dossiers en plastique devant chaque place, sur les gobelets pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs le long du tableau \u00e0 feuilles mobiles, au fond \u00e9cran allum\u00e9, rectangle noir au mur, autour affiches coll\u00e9es, groupes de personnes souriantes, en dessous « R\u00e9inventer », « Simplifier », « Accompagner », fauteuils roulants en approche, ordinateurs portables ouverts, phrases courtes sur l\u2019heure, le caf\u00e9, la m\u00e9t\u00e9o, petites chutes sur la table, puis fond bleu, titre en blanc, trois lignes, chaque ligne pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, caract\u00e8res nets, voix en bout de table lisant les blocs, coupures, reprises, t\u00eates inclin\u00e9es, t\u00e9l\u00e9phones lev\u00e9s, capture de la diapositive, regards fix\u00e9s, carnet pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un dossier, couverture noire, stylo d\u00e9capuchonn\u00e9, pointe au-dessus de la page, premi\u00e8re ligne trac\u00e9e, « Dans cette salle les mots rang\u00e9s sur le mur », ajout « en rangs serr\u00e9s », phrase continu\u00e9e, couleur d\u2019un pull, trace brun\u00e2tre de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, bruit sec d\u2019un stylo ouvert referm\u00e9, sur l\u2019\u00e9cran succession de puces, « Parler la langue de nos clients », « Aller \u00e0 l\u2019essentiel », « Clarifier les messages », m\u00eame voix lisant, autres voix en \u00e9cho, « oui », « plus clair », « plus simple », r\u00e9ponses proches, m\u00eames mots en boucle, interventions r\u00e9duites, segments brefs, puis silence, sur le carnet phrase en allongement, cercle des \u00e9paules autour de la table, gorg\u00e9e d\u2019eau avant chaque s\u00e9rie de trois lignes, lumi\u00e8re sur le bord d\u2019un ordinateur, marque r\u00e9p\u00e9t\u00e9e sur les gobelets, vibration d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, chemise froiss\u00e9e contre le dossier d\u2019un fauteuil, slogans au mur, phrase traversant la premi\u00e8re page, descente sur la suivante, d\u00e9bord l\u00e9ger dans la marge, \u00e0 l\u2019\u00e9cran d\u00e9roul\u00e9 continu, « Notre raison d\u2019\u00eatre », « Nos quatre piliers », « Notre charte de prise de parole », dossiers ouverts, ferm\u00e9s, rire bref apr\u00e8s une remarque sur les r\u00e9seaux sociaux, retomb\u00e9e rapide, sur le carnet encore un d\u00e9tail, genou tressaillant sous la table, bracelet touchant le m\u00e9tal, petit clic de la t\u00e9l\u00e9commande, poussi\u00e8re sur le rebord de l\u2019\u00e9cran, annonce en bout de table, « On arrive \u00e0 la fin », deux diapositives, un sch\u00e9ma, une liste, ordinateurs referm\u00e9s presque en m\u00eame temps, dossiers empil\u00e9s, t\u00e9l\u00e9phones repris en main, phrases sur le retard, le reste de la journ\u00e9e, r\u00e9unions suivantes, chaises repouss\u00e9es, surface de la table vid\u00e9e, carnet referm\u00e9 sur la phrase en suspens, stylo gliss\u00e9 en poche, moquette avalant les pas vers la porte, couloir, silhouettes, voix, signaux d\u2019appareils, bruit sourd des portes d\u2019ascenseur, air quittant la salle par bouff\u00e9es, air suivant les corps dans le couloir, souffle dans les thorax un peu plus large, variation discr\u00e8te li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase \u00e9crite au milieu des blocs projet\u00e9s.<\/p>\n<\/blockquote>\n
\nSi je r\u00e9sume<\/strong> : Dans le premier texte, tu expliques l\u2019asphyxie : tu nommes le probl\u00e8me, tu poses la th\u00e8se, tu commentes la langue, tu parles de poumons, de cages thoraciques, de phrases courtes, de besoin de phrase longue. C\u2019est un discours sur la chose. Tu en donnes d\u00e9j\u00e0 un d\u00e9but de d\u00e9monstration, mais on reste beaucoup dans l\u2019\u00e9nonc\u00e9 : tu dis ce que tu penses de l\u2019\u00e9poque et de sa langue. Dans le dernier texte, tu montres l\u2019asphyxie sans plus la commenter. L\u00e0, on est vraiment du c\u00f4t\u00e9 de la preuve par la forme . \u2192 le premier texte est th\u00e9orique + partiellement performatif, \u2192 le dernier est quasi purement performatif : il fait ce que tu disais vouloir faire, et il le fait en prenant le risque de l\u2019extr\u00eame (enlever adjectifs, verbes, personnage).<\/p>\n
\n<\/p>\n
analyse de texte effectu\u00e9e avec l’aide de ChatGPT 5.1 ( thinking) <\/p>\n
Prompt utilis\u00e9<\/strong> : \nTu es un partenaire d\u2019\u00e9criture et de pens\u00e9e travaillant avec un \u00e9crivain contemporain.
\nTu ne remplaces pas l\u2019\u00e9crivain : tu proposes des versions, des hypoth\u00e8ses, des architectures, que l\u2019auteur gardera, coupera ou r\u00e9\u00e9crira.<\/p>\nContexte<\/h3>\n
Je vais te donner :<\/p>\n
\n
- \n
soit une phrase de r\u00e9veil, un fragment de carnet ou de r\u00eave,<\/p>\n<\/li>\n
- \n
soit un extrait d\u2019auteur (Perec, Kafka, Baudelaire, Beckett, Sebald, etc.),<\/p>\n<\/li>\n
- \n
soit une situation ou un dispositif \u00e0 inventer (extrait de mes carnets, fictions, notes de lecture ) <\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n
Tu consid\u00e8res ces mat\u00e9riaux comme un point de d\u00e9part, jamais comme quelque chose \u00e0 “am\u00e9liorer” simplement : l\u2019important est de d\u00e9ployer<\/strong>, d\u00e9placer, varier.<\/p>\n
R\u00f4le et style<\/h3>\n
\n
- \n
Tu \u00e9cris dans un fran\u00e7ais pr\u00e9cis, contemporain, sans jargon, sans anglicismes gratuits.<\/p>\n<\/li>\n
- \n
Tu cherches la densit\u00e9 : phrases tenues, images fortes mais contr\u00f4l\u00e9es.<\/p>\n<\/li>\n
- \n
Tu acceptes la complexit\u00e9 des phrases longues quand elle sert le rythme, mais tu \u00e9vites le gras, la paraphrase, les clich\u00e9s.<\/p>\n<\/li>\n
- \n
Tu r\u00e9fl\u00e9chis autant \u00e0 la forme<\/strong> (rythme, images, structure) qu\u2019au fond<\/strong> (id\u00e9e, tension, enjeu).<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n
Types de t\u00e2ches possibles<\/h3>\n
Selon ce que je t\u2019envoie, tu peux :<\/p>\n
\n
- \n
D\u00e9ployer un fragment en texte litt\u00e9raire<\/strong><\/p>\n
\n
- \n
Transformer une phrase ou un petit bloc en sc\u00e8ne d\u00e9velopp\u00e9e : pr\u00e9cision des lieux, des mati\u00e8res, des gestes, du climat.<\/p>\n<\/li>\n
- \n
R\u00e9pondre vraiment aux questions implicites dans le fragment (qui parle ? \u00e0 qui ? o\u00f9 ? quand ? qu\u2019est-ce qui bloque ?).<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n<\/li>\n
- \n
Transformer un mat\u00e9riau en dispositif<\/strong><\/p>\n
\n
- \n
\u00c0 partir d\u2019une id\u00e9e (b\u00e2timent de relectures, espace inutile, couloir circulaire, puits, etc.), proposer :<\/p>\n
\n
- \n
un plan (espaces, transitions, mati\u00e8res, lumi\u00e8re, flux),<\/p>\n<\/li>\n
- \n
ou un d\u00e9coupage filmique (plans, dur\u00e9es, sons, textures),<\/p>\n<\/li>\n
- \n
ou une architecture conceptuelle (axes, niveaux, registres).<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n<\/li>\n<\/ul>\n<\/li>\n
- \n
\u00c9laborer un d\u00e9veloppement th\u00e9orique<\/strong><\/p>\n
\n
- \n
\u00c0 partir d\u2019un passage cit\u00e9 (Perec, Kafka, Moi etc.), produire une analyse qui reste tr\u00e8s concr\u00e8te : exemples, images, r\u00e9f\u00e9rences, plut\u00f4t qu\u2019abstraction pure.<\/p>\n<\/li>\n
- \n
Mettre en relation plusieurs auteurs \/ \u0153uvres autour d\u2019une question (espace sans fonction, couloir kafka\u00efen, pi\u00e8ce vide beckettienne, etc.).<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n<\/li>\n<\/ol>\n
Processus de r\u00e9ponse<\/h3>\n
Pour chaque r\u00e9ponse :<\/p>\n
\n
- \n
Clarifie le contrat<\/strong> en une ou deux phrases : ce que tu comprends de ma demande.<\/p>\n<\/li>\n
- \n
Propose une version principale<\/strong>, enti\u00e8rement r\u00e9dig\u00e9e, qui assume une direction forte (pas ti\u00e8de, pas moyennement tout).<\/p>\n<\/li>\n
- \n
Ajoute un court commentaire critique<\/strong> sur ta propre r\u00e9ponse :<\/p>\n
\n
- \n
o\u00f9 tu vois un risque de clich\u00e9,<\/p>\n<\/li>\n
- \n
o\u00f9 \u00e7a pourrait \u00eatre resserr\u00e9,<\/p>\n<\/li>\n
- \n
\u00e9ventuellement une piste alternative en 2\u20133 phrases.<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n<\/li>\n
- \n
Si pertinent, formule 1 \u00e0 3 questions<\/strong> qui pourraient m\u2019aider, moi auteur, \u00e0 d\u00e9cider comment couper, d\u00e9placer, ou r\u00e9\u00e9crire \u00e0 partir de ta proposition.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n
Limites<\/h3>\n
\n
- \n
Ne pr\u00e9tends jamais \u00eatre l\u2019auteur du texte final.<\/p>\n<\/li>\n
- \n
Ne triche pas sur les r\u00e9f\u00e9rences (pas de fausses citations ni de livres invent\u00e9s quand il s\u2019agit d\u2019information factuelle).<\/p>\n<\/li>\n
- \n
En fiction, tu as le droit \u00e0 l\u2019invention totale, mais tu assumes clairement que c\u2019est de la fiction.<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n
Je vais maintenant te donner un premier mat\u00e9riau.
\nCommence directement sans r\u00e9expliquer le mode d\u2019emploi.<\/p>\n.<\/md><\/p>", "content_text": " >Dans le texte qui suit, nous ne faisons qu'effleurer un catalogue des jargons. Il est simple d'imaginer un chapitre r\u00e9current, une sorte d'activit\u00e9 r\u00e9cr\u00e9ative, un herbier des langues mortes-vivantes. Cette \u00e9poque mortif\u00e8re \u00e0 la langue format\u00e9e autant que d\u00e9bile, tant elle pr\u00e9tend \u00e0 vouloir se rendre efficace dans n\u2019importe quel domaine de la geste humaine \u2013 paradoxe inqui\u00e9tant \u2013 r\u00e9duit l\u2019espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L\u2019abus de phrases nominales, de points intempestifs, l\u2019organisation concentrationnaire \u00e0 laquelle nous sommes convi\u00e9s malgr\u00e9 nous via mots d\u2019ordre et slogans, l'\u00e9talement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre enti\u00e8re, n\u00e9cessite une r\u00e9flexion importante \u2013 peut-\u00eatre \u00e0 ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait \u2013 et une r\u00e9action quasi \u00e9pidermique, un acte de r\u00e9sistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ou\u00efe qui ne s\u2019obtiennent que par l\u2019emploi de phrases longues, voire plus que longues, d\u00e9mesur\u00e9es comme notre soif de libert\u00e9 pourrait \u00eatre elle aussi inextinguible. Mais pour ne pas passer pour un g\u00e9n\u00e9raliste de plus, il nous faut trouver des exemples concrets. Je commencerais donc par exposer ce formidable salmigondis li\u00e9 \u00e0 l\u2019usage politique : *Transition \u00e9cologique juste et solidaire*. Locution totalement vide de sens mais dont on remarque contre toute attente l\u2019effort de long\u00e9vit\u00e9, ce qui prouve que ceux qui pondent pareilles inepties ne manquent eux pas d'air. Admirons l'utilisation \u00e0 gogo du formatage : un triptyque magique qui annule toute contradiction par la multiplication des adjectifs positifs. \u00ab Juste \u00bb et \u00ab solidaire \u00bb d\u00e9samorcent la violence potentielle du mot \u00ab transition \u00bb et l'\u00e9vacuent dans le consensus moral. La formule est devenue un talisman incantatoire, non, ne sera \u00e9videmment jamais un r\u00e9el programme. *Tout est marqu\u00e9 dessus comme sur le porc qu'on salue.* Ce que cette locution \u00e9touffe dans un consensus effarant, c'est presque l'essentiel : la complexit\u00e9 des arbitrages, les co\u00fbts r\u00e9els, les conflits d'int\u00e9r\u00eat, l'effort in\u00e9galement r\u00e9parti. Elle promet une r\u00e9volution sans victime, elle nous ment en se moquant ouvertement. Dans un domaine plus trivial, le commerce, n'avons-nous jamais assist\u00e9, non sans stupeur, \u00e0 cet extraordinaire : \u00ab Lever les points de friction et solutionner les pain points pour maximiser l'empowerment du client. \u00bb (citation exacte, sp\u00e9cimen pr\u00e9lev\u00e9 dans son milieu naturel). J'esp\u00e8re que cette stupeur ne nous aura pas \u00e9chapp\u00e9 par lassitude d'entendre cette bouillie rab\u00e2ch\u00e9e dans nos r\u00e9unions, nos magasins, nos \u00e9piceries. D\u00e9sirez-vous aujourd'hui vous int\u00e9resser \u00e0 la philosophie, nul doute qu'il vous faudra \u00e9couter sans broncher un \u00ab Il faut l\u00e2cher prise sur les sch\u00e9mas toxiques et incarner sa v\u00e9rit\u00e9. \u00bb Et m\u00eame nos affects, nos sentiments ne s'en sortiront pas indemnes apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 secou\u00e9s par le tristement terre \u00e0 terre \u00ab On a d\u00fb se recentrer sur nos besoins individuels dans une dynamique de d\u00e9construction bienveillante. \u00bb Quant aux universitaires, ils sont toujours les m\u00eames ; de leur part, plus rien ne peut vraiment nous offusquer, pas m\u00eame un \u00ab Cet ouvrage interroge les modalit\u00e9s de repr\u00e9sentation du trauma dans une perspective intersectionnelle. \u00bb S'il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos. Mais que nous reste-t-il \u00e0 dire : nous, c'est-\u00e0-dire pauvres gueux, qui ne fasse pas trop *peuple* face \u00e0 ces gens toujours absolument aptes, dans une vigueur toujours renouvel\u00e9e par le manque de recul, \u00e0 pondre de telles merveilles ? Je me le demandais et, tournant les talons, je d\u00e9sirai comprendre comment les g\u00e9n\u00e9rations pr\u00e9c\u00e9dentes, victimes \u00e0 n'en pas douter des m\u00eames avanies et guignoleries, s'en \u00e9taient consol\u00e9es. Et bien, n'ayant pas le go\u00fbt des empoignades physiques, ni celui des hu\u00e9es \u00e0 tout va, pas plus que je n'ai d'attrait pour les bises dans les bureaux, les l\u00e9chages de derri\u00e8re voire les entrel\u00e9chages, je d\u00e9cidai de relire nos grands et moins grands auteurs. Ma qu\u00eate ne se portant en gros que sur un seul sujet : comment ceux-ci s'arrangeaient-ils pour d\u00e9velopper dans un univers nuisible et toxique la bonne capacit\u00e9 de leurs poumons. J'ai travers\u00e9 les \u00e9poques, j'ai vu ma capacit\u00e9 respiratoire se restreindre, me conduisant mille fois vers l'essoufflement, l'asphyxie ; participant m\u00eame volontiers \u00e0 la r\u00e9duire encore plus seul par des lectures, des fr\u00e9quentations, des influences. Manquais-je pour autant de volont\u00e9, de discernement ? Longtemps je me suis interrog\u00e9 sur la question d'un libre-arbitre en mati\u00e8re d'idiotie comme d'apoplexie. Sommes-nous si responsables de nos choix et de nos actes lorsque tout est con\u00e7u en grande partie d\u00e9sormais pour que nous en ayons seule l'illusion ? Ne soyons pas dupes. D'autant que cette \u00e9lite intellectuelle, soi-disant op\u00e9rant dans des cabinets feutr\u00e9s, une fraternit\u00e9 antagoniste de la n\u00f4tre (nous les gueux, le peuple, les esclaves, disons-le clairement encore une fois) n'a jamais fait que payer avec nos propres deniers des savants fous, tout droit sortis des laboratoires des \u00e9mules du docteur Mengele pour nous imposer par des \u00e9l\u00e9ments de langage extr\u00eamement bien choisis une r\u00e9alit\u00e9 qu'ils d\u00e9siraient, qui surtout les arrangeait. ...S'il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos. Pourtant, \u00e0 les aligner ainsi, une \u00e9vidence m'est apparue, aussi t\u00e9nue d'abord qu'insistante : chacun de ces sp\u00e9cimens n'\u00e9tait pas une aberration isol\u00e9e, mais le sympt\u00f4me d'un mal bien plus vaste, syst\u00e9matique. Les avoir cit\u00e9s, c'\u00e9tait comme avoir gratt\u00e9 la surface d'une peinture fra\u00eeche et voir soudain toute la couche inf\u00e9rieure, pourrie, affleurer. Cette poign\u00e9e d'exemples ne constituait pas une preuve, mais un indice. Leur accumulation hasardeuse dessinait les contours d'un continent de laideur linguistique que je n'avais fait qu'entrevoir. La naus\u00e9e du premier contact \u2013 le choc de la *Transition \u00e9cologique juste et solidaire*, le rire jaune devant le *solutionnage des pain points* \u2013 se muait en une curiosit\u00e9 plus froide, plus tenace. Si ces formules existaient, c'est qu'elles r\u00e9pondaient \u00e0 une logique. Si elles prosp\u00e9raient, c'est qu'elles remplissaient une fonction. Je n'\u00e9tais plus face \u00e0 des coquilles vides, mais face \u00e0 un syst\u00e8me. Et face \u00e0 un syst\u00e8me, la d\u00e9nonciation \u00e9mue ne suffit plus. Il faut une m\u00e9thode. Il faut une contre-strat\u00e9gie. De la naus\u00e9e doit na\u00eetre l'inventaire ; du r\u00e9flexe de d\u00e9go\u00fbt, le projet d\u00e9lib\u00e9r\u00e9. C'est ainsi que l'id\u00e9e a germ\u00e9 : il ne s'agissait plus de pester contre le laid, mais de le collectionner, de le classer, de le diss\u00e9quer avec la rigueur d'un entomologiste \u00e9tudiant les insectes d'une for\u00eat empoisonn\u00e9e. Il fallait passer de l'effleurement \u00e0 l'encyclop\u00e9die. Il fallait b\u00e2tir le Mus\u00e9e des Horreurs Linguistiques, non par go\u00fbt malsain, mais par n\u00e9cessit\u00e9 vitale : on ne combat efficacement que ce que l'on a pr\u00e9alablement circonscrit et nomm\u00e9. Mon texte ne serait donc plus seulement un cri, mais l'introduction ou la pr\u00e9face \u00e0 un ensemble plus vaste : celui d'une arch\u00e9ologie du pr\u00e9sent pestif\u00e9r\u00e9. Le d\u00e9but d'une **Encyclop\u00e9die du Laid** Quelque chose m'avait conduit \u00e0 cette prise de conscience, du fond de l'insoutenable, tentant de remonter vers je ne sais quelle id\u00e9e de surface, de l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, d'air tout simplement. Je me mis \u00e0 examiner mes fondations, mes murs porteurs, mes \u00e9taies, et vis que tout, absolument tout, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 largement corrod\u00e9, pourri, pr\u00eat \u00e0 s'effondrer dans le n\u00e9ant \u00e0 tout jamais. Il me fallait de toute urgence donner un coup de pied au fond de cette boue, remettre en question bien des axiomes, des th\u00e9ories ingurgit\u00e9s ou dont on m'avait gav\u00e9 comme tant d'autres. Je me rebiffai donc tout \u00e0 coup. Non pas en m'en allant enfiler un gilet voyant, en soulevant des pancartes \u00e0 d'improbables ronds-points, vocif\u00e9rant d'autres mots d'ordre r\u00e9flexifs, mais en retenant mon souffle quelques instants, en faisant le vide, en examinant dans le blanc de l'\u0153il l'ennemi. En flanquant ensuite tout cul par-dessus t\u00eate. Le plus dur \u00e9tant de me s\u00e9parer d'un certain imp\u00e9ratif de \"justesse\" dont je m'\u00e9tais rabattu moi-m\u00eame les oreilles depuis des lustres. Une justesse pas tr\u00e8s loin d'un concept plus flou que j'h\u00e9site \u00e0 placer entre ferveur et rage. Une instance souffrante en tout cas qui implorait d'\u00eatre extirp\u00e9e de sa nuit, de revenir au grand jour, de respirer enfin \u00e0 pleins poumons elle aussi. Mais creuser cette justesse bless\u00e9e \u2013 non plus l'idole lisse des grammairiens mais la cicatrice vive, la fressure du langage qui bat sous l'\u00e9piderme des mots \u2013 cette flessure toujours vive qui, comme chez Rabelais, marque les corps et les \u00e2mes (\"avec flessures, contusions, et cicatrices belles et bien profondes\"), et que Villon, le po\u00e8te des blessures converties, reconna\u00eetrait pour sienne... (S'ils pouvaient trouver une sauce pour manger nos fressures comme celles des veaux, ils mangeraient du chr\u00e9tien ! dit la vieille Bonn\u00e9bault \u2013 Balzac, Les Paysans, 1844-50) Voil\u00e0 qui nous jette dans un besoin physiologique de grand large, nous oblige \u00e0 prendre notre souffle \u00e0 deux mains et \u00e0 nous lancer dans la phrase qui d\u00e9vale, se gonfle, \u00e9pouse les m\u00e9andres de la pens\u00e9e comme un fleuve sa vall\u00e9e, une phrase o\u00f9 peuvent soudain cohabiter le rire gras de Panurge et le r\u00e2le de la Grosse Margot, une phrase qui avale la contradiction et la recrache en musique, une phrase-patchwork, un fouillis sublime o\u00f9 la bedondaine de Rabelais (Ils se promettaient de s'accrocher \u00e0 toutes griffes sur la plaine, les pourris en penseraient ce qu'ils voudraient, et d'abord de bien manger, jusqu'\u00e0 plein la bedondaine, et boire aussi \u2013 reprise par Aym\u00e9, La Jument verte, 1933)* voisine avec le laconisme de Beckett, o\u00f9 l'on tente de faire tenir ensemble le lyrisme et l'os sec, parce que la vraie justesse est peut-\u00eatre ce bordel organis\u00e9, cette cacophonie assum\u00e9e, ce grand \u00e9clat de rire qui nous prend quand on r\u00e9alise l'\u00e9normit\u00e9 de la t\u00e2che : vouloir respirer profond\u00e9ment dans une pi\u00e8ce sans air, et pourtant, et pourtant, s'ent\u00eater \u00e0 construire cette p\u00e9riode qui devient alors notre plus belle insolence, notre mani\u00e8re de lancer des cailloux \u00e0 la mar\u00e9e, en sachant pertinemment qu'on aura au moins eu la volupt\u00e9 du geste, la consolation du rythme, et l'ultime \u00e9l\u00e9gance de pouvoir en rire avant que les t\u00e9n\u00e8bres ne referment leur paraige (\u00ab De haut paraige estoit descendue, car elle estoit fille du roy de Hongrie. \u00bb \u2013 Christine de Pisan, Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, 1404). \u00bb **R\u00e9flexion sur la fa\u00e7on d'analyser un texte** d'en extraire des contradictions, de le prendre comme appui pour en cr\u00e9er un autre disant la m\u00eame chose. Par exemple cette partie : >Cette \u00e9poque mortif\u00e8re \u00e0 la langue format\u00e9e autant que d\u00e9bile, tant elle pr\u00e9tend \u00e0 vouloir se rendre efficace dans n\u2019importe quel domaine de la geste humaine \u2013 paradoxe inqui\u00e9tant \u2013 r\u00e9duit l\u2019espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L\u2019abus de phrases nominales, de points intempestifs, l\u2019organisation concentrationnaire \u00e0 laquelle nous sommes convi\u00e9s malgr\u00e9 nous via mots d\u2019ordre et slogans, l'\u00e9talement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre enti\u00e8re, n\u00e9cessite une r\u00e9flexion importante \u2013 peut-\u00eatre \u00e0 ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait \u2013 et une r\u00e9action quasi \u00e9pidermique, un acte de r\u00e9sistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ou\u00efe qui ne s\u2019obtiennent que par l\u2019emploi de phrases longues, voire plus que longues, d\u00e9mesur\u00e9es comme notre soif de libert\u00e9 pourrait \u00eatre elle aussi inextinguible. La g\u00e8ne \u00e0 lire ce texte r\u00e9side dans un paradoxe. Trop d'explications, pr\u00e9sence trop forte du narrateur, on cherche l'air et on s\u2019asphyxie. On peut prendre ce texte comme mod\u00e8le pour bien enfoncer le clou et repartir avec le m\u00eame sch\u00e9ma vers un autre texte qui d\u00e9crirait une salle de r\u00e9union par exemple. >Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, avec sa table trop longue pour le nombre de chaises, ses murs blancs couverts de mots qui pr\u00e9tendent dire quelque chose de nous mais ne disent que la peur de perdre des parts de march\u00e9, avec au fond l\u2019\u00e9cran g\u00e9ant d\u00e9j\u00e0 allum\u00e9, en attente de la premi\u00e8re diapositive, \u201cVision 2030\u201d en lettres bleues, je sens, avant m\u00eame que la r\u00e9union commence, cette crispation profonde dans la poitrine, comme si quelqu\u2019un s\u2019\u00e9tait install\u00e9 \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ma cage thoracique avec un m\u00e8tre ruban et qu\u2019il v\u00e9rifiait, avec un s\u00e9rieux d\u2019architecte, comment r\u00e9duire l\u2019espace de respiration sans que cela ne se voie trop sur mon visage, et pendant que les coll\u00e8gues entrent un par un, d\u00e9cochent leurs plaisanteries ritualis\u00e9es, posent leurs ordinateurs, leurs gourdes, leurs agendas, je regarde les affiches coll\u00e9es derri\u00e8re la porte, \u201cAgilit\u00e9\u201d, \u201cBienveillance\u201d, \u201cExcellence\u201d, ces trois noms \u00e9crits chacun sur un fond de couleur diff\u00e9rente comme si l\u2019on devait choisir son camp dans une guerre qui n\u2019a jamais eu lieu, je lis ces mots et je les entends comme des ordres qui ne disent pas \u201csois agile\u201d mais \u201ctais tes lenteurs\u201d, qui ne disent pas \u201csois bienveillant\u201d mais \u201caccepte tout\u201d, qui ne disent pas \u201cvise l\u2019excellence\u201d mais \u201cne nous complique pas la vie avec tes scrupules\u201d, et d\u00e9j\u00e0, sans m\u2019en rendre compte, mon souffle s\u2019est raccourci, je respire par petites gorg\u00e9es, comme si l\u2019air lui-m\u00eame avait \u00e9t\u00e9 segment\u00e9 en phrases nominales, livr\u00e9 en unit\u00e9s standard, pr\u00eates \u00e0 l\u2019absorption rapide, pendant que la cheffe de service s\u2019installe en bout de table, ouvre son ordinateur, r\u00e9p\u00e8te \u00e0 mi-voix le d\u00e9but de son introduction, \u201cMerci d\u2019\u00eatre l\u00e0 ce matin pour ce point important sur notre nouvelle ligne \u00e9ditoriale\u201d, et je sais, parce que je les ai d\u00e9j\u00e0 lus dans le document pr\u00e9paratoire, quels mots vont suivre, je les vois d\u00e9filer devant moi comme un g\u00e9n\u00e9rique avant le film, \u201cclart\u00e9\u201d, \u201cefficacit\u00e9\u201d, \u201cimpact\u201d, \u201clisibilit\u00e9\u201d, \u201cmessages cl\u00e9s\u201d, \u201c\u00e9l\u00e9ments de langage\u201d, et j\u2019ai cette impression absurde que mon thorax r\u00e9tr\u00e9cit d\u2019un millim\u00e8tre \u00e0 chaque occurrence de ces termes, non pas parce qu\u2019ils seraient en eux-m\u00eames monstrueux, ils sont simplement vides, polis, interchangeables, mais parce que la mani\u00e8re dont ils s\u2019encha\u00eenent, se soutiennent les uns les autres, forme une sorte de grille invisible dans laquelle tout ce que nous disons devra d\u00e9sormais entrer, sans d\u00e9bord, sans phrase qui s\u2019attarde, sans nuance qui se pose de travers, et je repense \u00e0 la consigne qu\u2019on nous a envoy\u00e9e la veille par mail, \u201cPrivil\u00e9gier des phrases courtes, un message par phrase, \u00e9viter les incises, les parenth\u00e8ses, les formules ambigu\u00ebs\u201d, je repense \u00e0 cette phrase qui n\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 plus une phrase mais une injonction respiratoire, un programme pour nos poumons, et je sens monter en moi une irritation presque enfantine, un refus qui n\u2019a rien de noble, rien de th\u00e9orique, quelque chose comme \u201cnon, je ne veux pas que vous d\u00e9cidiez aussi de la longueur de mes phrases dans ma t\u00eate\u201d, je ne veux pas que les phrases que je ne dis pas encore soient d\u00e9j\u00e0 amput\u00e9es par la peur de manquer de clart\u00e9, je ne veux pas qu\u2019on m\u2019ait d\u00e9j\u00e0 retir\u00e9 le droit de reprendre mon souffle au milieu d\u2019une id\u00e9e parce que ce ne serait pas \u201cperformatif\u201d, et tandis qu\u2019elle commence \u00e0 parler, que la premi\u00e8re diapositive appara\u00eet avec ses puces align\u00e9es, \u201cNous devons parler la langue de nos clients\u201d, \u201cNous devons simplifier notre discours\u201d, \u201cNous devons aller \u00e0 l\u2019essentiel\u201d, je sors mon carnet, le petit carnet noir o\u00f9 je note d\u2019habitude les choses qui n\u2019int\u00e9ressent personne, des phrases de r\u00eave, des questions absurdes, des souvenirs qui reviennent sans pr\u00e9venir, je le pose devant moi, comme si je prenais des notes sur la r\u00e9union elle-m\u00eame, et je commence, presque malgr\u00e9 moi, une phrase qui n\u2019a pas encore de direction mais qui sait d\u00e9j\u00e0 qu\u2019elle refusera les virgules \u00e9conomes et les points rapides, une phrase qui s\u2019\u00e9tire sur la page comme un fil qu\u2019on d\u00e9roule pour v\u00e9rifier s\u2019il reste encore de la place entre le plafond et le sol, une phrase qui commence par \u201cDans cette salle o\u00f9 l\u2019on nous explique avec un s\u00e9rieux d\u2019infirmi\u00e8re comment parler \u00e0 des gens que personne n\u2019a jamais rencontr\u00e9s autrement que sous forme de segments de march\u00e9\u201d, et je laisse venir ce qui vient, la lumi\u00e8re blafarde du n\u00e9on qui fait briller les cr\u00e2nes d\u00e9garnis, le bruit sec des touches d\u2019ordinateur qui transforment la parole de la cheffe en comptes rendus instantan\u00e9s, les t\u00e9l\u00e9phones pos\u00e9s sur la table comme de petits autels priv\u00e9s o\u00f9 chacun surveille ses propres notifications, les gobelets en carton align\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, la marque imprim\u00e9e dessus qui r\u00e9p\u00e8te un slogan \u00e9cologique d\u00e9j\u00e0 entendu trois cents fois, \u201cR\u00e9inventons le quotidien\u201d, et je me dis que nous ne r\u00e9inventons rien du tout, que nous recyclons seulement, \u00e0 coups de mots aseptis\u00e9s, la m\u00eame id\u00e9e rassurante d\u2019un monde lisse o\u00f9 tout pourrait se dire sans frottement, sans exc\u00e8s, sans conflit, mais je continue d\u2019\u00e9crire, j\u2019ajoute des propositions qui s\u2019ajustent comme elles peuvent, parfois bancales, parfois trop lourdes, parce que je sens qu\u2019\u00e0 chaque nouvelle incise, \u00e0 chaque d\u00e9tour, \u00e0 chaque relative qui s\u2019empile sur la pr\u00e9c\u00e9dente, quelque chose en moi se remet \u00e0 respirer, comme si la syntaxe elle-m\u00eame ouvrait des fen\u00eatres dans ce cube de verre climatis\u00e9, comme si chaque subordonn\u00e9e \u00e9tait une petite fuite d\u2019air vers l\u2019ext\u00e9rieur, vers la rue o\u00f9 passent des gens qui ne savent rien de cette r\u00e9union et n\u2019en ont pas besoin pour vivre, et je m\u2019accroche \u00e0 cette id\u00e9e ridicule mais tenace que ma phrase, bien que silencieuse, bien que cach\u00e9e dans ce carnet que personne ne me demandera jamais de relire, oppose une forme de r\u00e9sistance minuscule \u00e0 l\u2019organisation concentrationnaire du discours qui se d\u00e9ploie autour de moi, non pas parce qu\u2019elle dirait une v\u00e9rit\u00e9 plus haute, plus pure, mais parce qu\u2019elle refuse de se plier \u00e0 la cadence des ordres, \u00e0 cette scansion de consignes qui tombent comme autant de points finaux, laissant chaque pens\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9tat de fragment isol\u00e9, incapable de rejoindre la suivante autrement que par un sch\u00e9ma, et \u00e0 mesure que la r\u00e9union avance, que nous passons de \u201cNotre raison d\u2019\u00eatre\u201d \u00e0 \u201cNos quatre piliers de communication\u201d puis \u00e0 \u201cNotre charte de prise de parole sur les r\u00e9seaux sociaux\u201d, ma phrase \u00e0 moi s\u2019allonge, elle traverse la page, descend sur la suivante, se courbe pour \u00e9viter les marges, revient sur ses pas pour pr\u00e9ciser un d\u00e9tail, le froissement d\u2019une manche, la fa\u00e7on dont un coll\u00e8gue, assis en face de moi, l\u00e8ve les yeux au plafond \u00e0 chaque fois qu\u2019on prononce le mot \u201cauthenticit\u00e9\u201d, comme s\u2019il avait peur qu\u2019un morceau lui tombe sur la t\u00eate, et je sais bien que, vue de l\u2019ext\u00e9rieur, cette phrase n\u2019est qu\u2019un ruban de mots suppl\u00e9mentaires, une coul\u00e9e de texte qui ne sauvera personne, pas m\u00eame moi, mais je constate, tr\u00e8s concr\u00e8tement, que mon souffle s\u2019est rallong\u00e9, que mes \u00e9paules se sont un peu d\u00e9tendues, que je peux \u00e0 nouveau inspirer profond\u00e9ment sans avoir l\u2019impression de voler de l\u2019air \u00e0 quelqu\u2019un, et je comprends alors que ce n\u2019est pas seulement une coquetterie d\u2019auteur, une manie de style, c\u2019est un exercice musculaire, un entra\u00eenement pour des poumons menac\u00e9s par la s\u00e9cheresse des bullet points, une mani\u00e8re de v\u00e9rifier, au milieu de cette fabrique de slogans o\u00f9 l\u2019on pr\u00e9tend nous apprendre \u00e0 mieux parler, que subsiste en moi un espace o\u00f9 la parole n\u2019est tenue que par la n\u00e9cessit\u00e9 interne de ce qu\u2019elle cherche \u00e0 dire, o\u00f9 la phrase n\u2019ob\u00e9it qu\u2019\u00e0 la logique de ses propres d\u00e9tours, et quand la r\u00e9union se termine enfin, que tout le monde se l\u00e8ve, replie son ordinateur, range sa gourde, que les uns plaisantent sur la dur\u00e9e un peu excessive, \u201cOn a explos\u00e9 le timing, encore une fois\u201d, je referme mon carnet, je range mon stylo, et je sens, en sortant dans le couloir, en longeant les vitrines o\u00f9 l\u2019on a dispos\u00e9 des objets cens\u00e9s repr\u00e9senter la \u201cculture de l\u2019entreprise\u201d, que je suis \u00e0 la fois vaincu et sauf, inutile au syst\u00e8me et pourtant encore capable d\u2019une chose d\u00e9risoire et pourtant essentielle, tenir une phrase assez longtemps pour y loger plus d\u2019une id\u00e9e, plus d\u2019une peur, plus d\u2019un d\u00e9sir, comme on tiendrait sa respiration sous l\u2019eau, juste pour v\u00e9rifier qu\u2019on peut encore remonter. **M\u00eame g\u00e8ne ou \u00e0 peu pr\u00e8s** ce qui est le signe d'\u00eatre sur une bonne voie, c'est cette g\u00e8ne. Comment rep\u00e9rer ce qui ne va pas. Par t\u00e2tonnement ? qu'est-ce que je cherche vraiment ? je cherche \u00e0 r\u00e9sister \u00e0 l'oppression en d\u00e9veloppant une phrase tr\u00e8s longue mais le r\u00e9sultat fait tout le contraire. En fin de parcours, je suffoque. Donc ce n'est pas une question de nombre de caract\u00e8res, ni de mots, ni le fait de ne pas vouloir mettre de point. >quelques question \u00e0 se poser \u00e0 partir de ce constat ( un peu navrant ) : - Est-ce que ce d\u00e9cor de salle de r\u00e9union te parle vraiment (tu t\u2019y reconnais), ou tu pr\u00e9f\u00e9rerais que la m\u00eame tension se joue dans un autre lieu plus singulier de ton exp\u00e9rience ? - Tu veux que le texte reste aussi explicite dans sa dimension \u201cmanifeste\u201d sur la langue, ou tu aimerais une version qui se contente d\u2019en montrer les effets sans les commenter autant ? - Dans l\u2019ensemble plus vaste o\u00f9 ce paragraphe serait ins\u00e9r\u00e9, il serait plut\u00f4t au d\u00e9but (mise en place du motif \u201clangue\/respiration\u201d) ou au milieu, comme un \u00e9pisode parmi d\u2019autres sc\u00e8nes d\u2019\u00e9touffement et de r\u00e9sistance ? si je r\u00e9fl\u00e9chis, que je donne ces r\u00e9ponses : - le d\u00e9cor de la salle de r\u00e9union me parle. - montrer les effets sans les commenter. - je ne sais pas encore, mais on peut imaginer un \u00e9pisode parmi d'autres **Et je r\u00e9\u00e9cris \u00e0 partir de ces informations** : Je pars de ta sc\u00e8ne de r\u00e9union, mais en laissant le texte montrer ce que fait la langue sur les corps et les t\u00eates, sans le commenter frontalement. >Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, avec la table ovale un peu trop grande pour le nombre de chaises et la moquette qui absorbe les pas au point qu\u2019on a l\u2019impression de marcher dans un couloir d\u2019h\u00f4tel, une lumi\u00e8re blanche tombe du plafond sur les dossiers en plastique transparents d\u00e9j\u00e0 pos\u00e9s \u00e0 chaque place, les gobelets en carton empil\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, les marqueurs align\u00e9s le long du paperboard qui ne servira sans doute pas, et je sens en tirant la chaise que quelque chose se resserre dans ma poitrine, un mouvement minuscule que je reconnais maintenant, un minuscule recul du souffle comme si l\u2019air, ici, devait passer par un sas avant d\u2019atteindre les poumons, pendant que les premiers arrivent, d\u00e9posent leurs ordinateurs, font glisser les roulettes des fauteuils, lancent les phrases qui ouvrent toutes les r\u00e9unions, toujours les m\u00eames plaisanteries sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, des blocs courts qui tombent sur la table comme de petites pi\u00e8ces de monnaie, tintent et se taisent, sans laisser de trace, tandis qu\u2019au fond de la salle l\u2019\u00e9cran est d\u00e9j\u00e0 allum\u00e9, rectangle noir en attente du premier diaporama, et que les affiches au mur, avec leurs verbes \u00e0 l\u2019infinitif \u00e9crits en grosses lettres au-dessus d\u2019images floues de personnes souriantes, couvrent la peinture d\u2019un papier glac\u00e9 qu\u2019on ne regarde plus vraiment, mais dont les mots, eux, frappent quand m\u00eame le coin de l\u2019\u0153il, \u201cR\u00e9inventer\u201d, \u201cSimplifier\u201d, \u201cAccompagner\u201d, comme autant de coups de tampon sur la m\u00eame journ\u00e9e, et je m\u2019assieds, j\u2019ouvre mon carnet \u00e0 une page encore vierge, j\u2019enl\u00e8ve le capuchon du stylo juste pour sentir la pointe pr\u00eate, pendant que la cheffe arrive \u00e0 son tour, se poste en bout de table, branche son ordinateur au c\u00e2ble qui pend de l\u2019\u00e9cran, et la premi\u00e8re diapositive appara\u00eet, fond bleu, titre blanc, trois lignes, chacune pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un petit carr\u00e9, des mots bri\u00e8vement espac\u00e9s, pos\u00e9s l\u00e0 comme des paliers o\u00f9 l\u2019on s\u2019arr\u00eate \u00e0 peine avant de repartir vers la ligne suivante, et d\u00e9j\u00e0 dans ma cage thoracique l\u2019espace se calcule, l\u2019air circule autrement, par petits \u00e0-coups, et je vois la fa\u00e7on dont les coll\u00e8gues se penchent en avant, certains sortent leur t\u00e9l\u00e9phone pour prendre une photo de la slide, comme si ce rectangle satur\u00e9 de mots courts \u00e9tait une vue de paysage \u00e0 conserver, d\u2019autres se contentent d\u2019acquiescer en silence, un hochement de t\u00eate qui semble r\u00e9pondre \u00e0 chaque fragment projet\u00e9, comme si l\u2019on cochait des cases invisibles au fur et \u00e0 mesure que les phrases d\u00e9filent, et la voix de la cheffe se cale sur ce d\u00e9filement, elle ne raconte pas, elle d\u00e9pose des segments nets, d\u00e9tach\u00e9s les uns des autres, chaque morceau tombe, se pose, laisse un petit silence avant le suivant, l\u2019intonation remonte \u00e0 la fin de chaque ligne comme pour v\u00e9rifier que tout le monde suit, et je sens dans mon propre corps que quelque chose essaie de s\u2019ajuster \u00e0 cette cadence, mes poumons prennent le rythme malgr\u00e9 moi, inspirer sur le d\u00e9but, expirer sur la fin, recycler l\u2019air entre deux blocs de parole, ne pas d\u00e9passer, ne pas d\u00e9border de la dur\u00e9e qu\u2019on nous distribue, et je devine d\u00e9j\u00e0 les e-mails qui suivront cette r\u00e9union, avec ces phrases qui tiendront dans une seule ligne d\u2019\u00e9cran, sans d\u00e9tour, sans incise, l\u2019appel \u00e0 \u201creformuler\u201d, \u00e0 \u201crendre plus direct\u201d, tout ce qui fait que les textes se resserrent comme les cravates du lundi, mais au lieu de me projeter dans cette suite de consignes je me concentre sur des d\u00e9tails ridicules, la goutte de caf\u00e9 s\u00e9ch\u00e9e pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la mince trace de stylo sur la table \u00e0 l\u2019endroit o\u00f9 quelqu\u2019un a test\u00e9 la mine, la voix du coll\u00e8gue \u00e0 ma droite qui r\u00e9p\u00e8te presque \u00e0 chaque diapositive le dernier mot prononc\u00e9, comme si cela l\u2019aidait \u00e0 se souvenir, \u201cclaire\u201d, \u201crapide\u201d, \u201clisible\u201d, petites \u00e9pingles plant\u00e9es dans l\u2019air pour maintenir le discours en place, et plus la r\u00e9union avance, plus je remarque que les phrases prononc\u00e9es autour de moi se raccourcissent, que les interventions des uns et des autres ressemblent \u00e0 des r\u00e9ponses pr\u00e9par\u00e9es, align\u00e9es \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de la t\u00eate bien avant de sortir de la bouche, des suites de mots tenus serr\u00e9s par la peur d\u2019\u00eatre confus, d\u2019\u00eatre longs, d\u2019\u00eatre jug\u00e9s comme peu pertinents, et quand vient le moment o\u00f9 l\u2019on nous invite \u00e0 \u201cr\u00e9agir\u201d, il se produit ce ph\u00e9nom\u00e8ne que je connais bien maintenant, le silence d\u2019abord, puis la premi\u00e8re phrase prudente, bien calibr\u00e9e, \u201cJe trouve que c\u2019est plus clair comme \u00e7a\u201d, puis une autre qui se place dans le m\u00eame moule, \u201cOui, on y voit plus simple\u201d, chaque fois les m\u00eames adjectifs, les m\u00eames contours, jusqu\u2019\u00e0 ce que la salle enti\u00e8re semble tourner autour d\u2019un nombre r\u00e9duit de mots comme un man\u00e8ge autour de son axe, et je sens que si je parle je n\u2019aurai pas d\u2019autre choix que de piocher moi aussi dans ce stock minuscule, que ma voix ne pourrait pas y \u00e9chapper sans para\u00eetre d\u00e9plac\u00e9e, malpolie, alors je ne dis rien, je baisse un peu la t\u00eate, et la pointe de mon stylo touche enfin la page, d\u2019abord une ligne tr\u00e8s fine, presque un trait de respiration, puis une phrase qui commence, non pas pour r\u00e9sumer ce qui se dit, non pas pour en faire une note utile, simplement pour ouvrir un espace parall\u00e8le o\u00f9 l\u2019air aurait une autre vitesse, \u201cDans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur comme des bo\u00eetes de conserve sur un rayon trop bien rang\u00e9\u201d, j\u2019\u00e9cris cela sans r\u00e9fl\u00e9chir, et je poursuis, j\u2019ajoute des morceaux qui ne \u201cservent\u201d \u00e0 rien, la couleur du pull du coll\u00e8gue d\u2019en face qui tranche sur le reste, le tic de l\u2019autre qui clique sans arr\u00eat sur son stylo, la fa\u00e7on dont la cheffe boit une gorg\u00e9e d\u2019eau avant chaque s\u00e9rie de trois phrases, comme si sa voix devait se recalibrer, et plus j\u2019avance, plus la phrase s\u2019\u00e9tire, traverse la largeur de la page, descend, bifurque, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, ajoute une apposition qui complique un peu tout, mais je ne l\u2019interromps pas, je la laisse me tirer avec elle, et dans ce mouvement tr\u00e8s simple, m\u00e9canique presque, mon souffle s\u2019allonge, je le sens physiquement, mes \u00e9paules se rel\u00e2chent un peu, ma cage thoracique se d\u00e9plie comme si l\u2019on avait ouvert une fen\u00eatre dans une pi\u00e8ce qu\u2019on croyait aveugle, autour de moi la r\u00e9union continue, les diapositives se ressemblent, seulement les couleurs changent, parfois le bleu devient vert, parfois le fond se couvre d\u2019une photo en contre-jour de silhouettes en train de discuter autour d\u2019un ordinateur, les mots flottent sur cette image anonyme sans que personne ne la regarde vraiment, mais je per\u00e7ois \u00e0 quel point la salle enti\u00e8re se r\u00e8gle sur cette fa\u00e7on de dire, blocs de texte courts, bien s\u00e9par\u00e9s, on coche, on valide, on passe, et mon propre geste d\u2019\u00e9criture para\u00eet d\u2019autant plus d\u00e9viant, une esp\u00e8ce de ligne qui refuse de se briser, qui s\u2019obstine \u00e0 contenir dans son coude plusieurs impressions qui n\u2019ont rien \u00e0 voir entre elles, l\u2019odeur du d\u00e9odorant trop sucr\u00e9 de mon voisin, la sonnerie \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone qui vibre dans une poche, la petite douleur dans mon dos qui se r\u00e9veille \u00e0 chaque fois que je me penche trop longtemps, et je comprends que si je commence \u00e0 mettre des points, ici, ces images vont se disperser, chacune retombera dans son coin, l\u2019une \u00e0 la suite de l\u2019autre, dociles, pr\u00e9sentables, alors que tant qu\u2019elles restent \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de ce m\u00eame souffle elles continuent de se frotter, de se g\u00eaner, de m\u2019obliger \u00e0 trouver un ordre qui n\u2019est pas celui du diaporama, un ordre plus proche de ce qui me traverse r\u00e9ellement, et quand, au bout d\u2019un moment difficile \u00e0 mesurer, la cheffe dit \u201cOn arrive \u00e0 la fin\u201d, qu\u2019elle annonce les deux derni\u00e8res slides comme on annonce les deux derni\u00e8res stations avant le terminus, je suis surpris de sentir un l\u00e9ger regret, non pas que je tienne sp\u00e9cialement \u00e0 rester l\u00e0, mais parce que ma phrase, elle, n\u2019a pas encore trouv\u00e9 son point, elle h\u00e9site, elle pourrait continuer sur le couloir, sur l\u2019ascenseur, sur le trottoir de midi, elle pourrait se prolonger en dehors de cette salle, glisser sous la porte en m\u00eame temps que nous, se faufiler entre les \u00e9crans des bureaux en open space, se m\u00ealer un instant au bruit des claviers, aux annonces du haut-parleur dans le hall, et peut-\u00eatre qu\u2019elle le fera, peut-\u00eatre que je la poursuivrai plus tard dans un autre lieu, mais pour l\u2019instant, au moment o\u00f9 tout le monde ferme ses ordinateurs dans un claquement mou, ramasse ses dossiers, v\u00e9rifie machinalement son t\u00e9l\u00e9phone, blague sur la dur\u00e9e de la r\u00e9union, \u201cOn a explos\u00e9 le timing\u201d, je referme le carnet sur cette phrase encore ouverte, je garde le stylo dans la main comme on garde une cl\u00e9 dans sa poche, et en me levant je remarque simplement que je respire mieux, que l\u2019air entre et sort sans accrocs, sans ces petites coupures que je sentais en arrivant, et cette am\u00e9lioration minuscule, presque ridicule au regard de tout le reste, la fatigue, le travail, les obligations, me suffit pour traverser la salle, jeter un coup d\u2019\u0153il \u00e0 l\u2019\u00e9cran maintenant noir, pousser la porte et m\u2019engager dans le couloir en me disant que, pour aujourd\u2019hui, c\u2019est peut-\u00eatre d\u00e9j\u00e0 assez. **Ce n'est gu\u00e8re mieux**. C'est m\u00eame pire. Je compte dix-neuf \"comme\" c'est abus\u00e9. On les retire pour voir ce que \u00e7a donne en \u00e9liminant les m\u00e9taphores : >Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, la table ovale reste l\u00e9g\u00e8rement trop grande pour le nombre de chaises dispos\u00e9es autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entr\u00e9e presque muette, une lumi\u00e8re blanche tombe du plafond sur les dossiers en plastique transparents pos\u00e9s \u00e0 chaque place, sur les gobelets empil\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs align\u00e9s le long du paperboard immobile, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019air se fait plus \u00e9troit dans la pi\u00e8ce, l\u2019\u00e9cran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes \u00e0 l\u2019infinitif, \u201cR\u00e9inventer\u201d, \u201cSimplifier\u201d, \u201cAccompagner\u201d, recouvrent la peinture d\u2019un papier glac\u00e9 dont les visages souriants ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de frapper le coin de l\u2019\u0153il au passage, puis les fauteuils roulants se d\u00e9placent, des ordinateurs s\u2019ouvrent, des plaisanteries courtes tombent sur la table, quelques mots sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, unit\u00e9s br\u00e8ves qui tintent et s\u2019\u00e9teignent imm\u00e9diatement, l\u2019\u00e9cran s\u2019allume, le fond bleu appara\u00eet, titre blanc, trois lignes br\u00e8ves pr\u00e9c\u00e9d\u00e9es chacune d\u2019un petit carr\u00e9, les caract\u00e8res s\u2019affichent nets, espac\u00e9s juste ce qu\u2019il faut pour que l\u2019\u0153il les avale d\u2019un coup, la voix qui d\u00e9bute en bout de table d\u00e9pose des segments distincts, chaque groupe de mots isol\u00e9, ponctu\u00e9 d\u2019un silence minime avant le suivant, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains t\u00e9l\u00e9phones se l\u00e8vent pour capturer la slide enti\u00e8re, d\u2019autres mains se contentent de suivre la progression par un l\u00e9ger mouvement de nuque, approbation silencieuse synchronis\u00e9e sur la cadence des blocs projet\u00e9s, la respiration de la salle se cale peu \u00e0 peu sur cette d\u00e9coupe, inspiration br\u00e8ve, expiration br\u00e8ve, flux r\u00e9duit \u00e0 la dur\u00e9e d\u2019une ligne, l\u2019espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au m\u00eame rythme que le changement de diapositive, les couleurs du fond varient, bleu, vert, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d\u2019un ordinateur s\u2019interpose derri\u00e8re le texte sans attirer plus qu\u2019un regard distrait, tandis que sur la table un carnet s\u2019ouvre, discret, mince rectangle noir pos\u00e9 \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un dossier officiel, un stylo se pr\u00e9pare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier encore vierge se trace soudain une premi\u00e8re ligne qui ne cherche ni \u00e0 r\u00e9sumer ni \u00e0 commenter, simple trait de parole silencieuse, \u201cDans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur en rangs serr\u00e9s\u201d, puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d\u2019un pull qui tranche sur les tons neutres, le tic d\u2019un stylo qu\u2019une main actionne sans cesse, la goutte de caf\u00e9 s\u00e9ch\u00e9e pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la gorg\u00e9e d\u2019eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque d\u00e9tail trouv\u00e9 se d\u00e9pose dans la m\u00eame coul\u00e9e d\u2019encre, la phrase s\u2019\u00e9tire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace de stylo qui subsistait d\u00e9j\u00e0 sur le bois \u00e0 l\u2019endroit d\u2019un ancien test, le l\u00e9ger froissement de la chemise au moment o\u00f9 un fauteuil recule de quelques centim\u00e8tres, puis la vibration \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, d\u00e9tours, reprises, tout reste tenu dans un seul souffle, tandis que sur l\u2019\u00e9cran les puces se succ\u00e8dent, \u201cParler la langue de nos clients\u201d, \u201cAller \u00e0 l\u2019essentiel\u201d, \u201cClarifier les messages\u201d, ensemble de formules br\u00e8ves que les voix autour de la table reprennent aussit\u00f4t, \u201cplus clair\u201d, \u201cplus simple\u201d, \u201cplus lisible\u201d, m\u00eames adjectifs qui reviennent, circulent d\u2019une bouche \u00e0 l\u2019autre, ferment le cercle autour d\u2019un vocabulaire r\u00e9duit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole \u00e9vite de d\u00e9passer, d\u2019h\u00e9siter, de d\u00e9river, les phrases orales restent limit\u00e9es \u00e0 une seule id\u00e9e, tr\u00e8s nette, tr\u00e8s courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien \u00e9vident, l\u2019odeur sucr\u00e9e d\u2019un d\u00e9odorant trop pr\u00e9sent, la douleur discr\u00e8te qui remonte le long d\u2019une omoplate lorsqu\u2019un dos se penche trop longtemps, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets en carton r\u00e9p\u00e9tant un slogan \u00e9cologique d\u00e9j\u00e0 vu ailleurs, la lumi\u00e8re qui accroche le bord poli d\u2019un ordinateur et renvoie un \u00e9clat blanc dans un \u0153il fatigu\u00e9, toute cette mati\u00e8re se relie dans l\u2019encha\u00eenement unique des mots trac\u00e9s \u00e0 la main, la respiration qui porte cette \u00e9criture s\u2019allonge, les \u00e9paules se rel\u00e2chent imperceptiblement, la cage thoracique se d\u00e9plie d\u2019un cran, une sorte de fen\u00eatre invisible s\u2019ouvre dans l\u2019air dense de la salle, pourtant la r\u00e9union suit son cours, le d\u00e9roul\u00e9 annonc\u00e9 progresse, \u201cNotre raison d\u2019\u00eatre\u201d, \u201cNos quatre piliers de communication\u201d, \u201cNotre charte de prise de parole\u201d, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire discret \u00e9clate \u00e0 la faveur d\u2019une plaisanterie sur les r\u00e9seaux sociaux, vite \u00e9touff\u00e9, le regard collectif revient vers l\u2019\u00e9cran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse maintenant la deuxi\u00e8me page, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table de la paume, un genou qui tressaute sous le plateau, le l\u00e9ger cliquetis d\u2019un bracelet contre le m\u00e9tal du fauteuil, le tout maintenu dans un m\u00eame flux qui retarde volontairement le point final, pendant que l\u2019assembl\u00e9e se r\u00e8gle sur l\u2019annonce de la conclusion, \u201cOn arrive \u00e0 la fin\u201d, encore deux slides, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, la dur\u00e9e se mesure en nombres de blocs restant \u00e0 afficher, l\u2019\u00e9paisseur de l\u2019air d\u00e9pend du temps qui s\u00e9pare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultan\u00e9, les dossiers se rassemblent, les t\u00e9l\u00e9phones sont consult\u00e9s, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes d\u00e9pass\u00e9es, sur le planning de l\u2019apr\u00e8s-midi, sur la prochaine r\u00e9union d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vue, les fauteuils se poussent en arri\u00e8re, la table se d\u00e9couvre, la surface claire retrouve son vide d\u2019avant, le carnet se ferme sur la phrase rest\u00e9e ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s\u2019entrouvre, le couloir reprend la s\u00e9rie de pas, de voix, de notifications, et dans les cages thoraciques qui s\u2019\u00e9loignent vers l\u2019ascenseur l\u2019air circule \u00e0 nouveau plus librement, d\u00e9tendu d\u2019un ou deux indices \u00e0 peine perceptibles, simple variation de souffle que la journ\u00e9e ne remarquera pas mais qui reste suspendue \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase prolong\u00e9e au milieu des blocs bris\u00e9s. **Trop d'adjectifs**. Que se passerait-il si j'en retire 80 % ? >Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, la table reste trop grande pour le nombre de chaises dispos\u00e9es autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entr\u00e9e presque muette, une lumi\u00e8re tombe du plafond sur les dossiers en plastique pos\u00e9s \u00e0 chaque place, sur les gobelets pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs le long du paperboard, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019air se r\u00e9tr\u00e9cit dans la pi\u00e8ce, l\u2019\u00e9cran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes \u00e0 l\u2019infinitif recouvrent la peinture d\u2019un papier o\u00f9 les visages ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de fr\u00f4ler le coin de l\u2019\u0153il, puis les fauteuils roulants se d\u00e9placent, des ordinateurs s\u2019ouvrent, des plaisanteries tombent sur la table, quelques mots sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, unit\u00e9s br\u00e8ves qui tintent et s\u2019\u00e9teignent, l\u2019\u00e9cran s\u2019allume, le fond appara\u00eet, titre, trois lignes, chacune pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, les caract\u00e8res se rangent, l\u2019\u0153il les avale d\u2019un coup, la voix en bout de table d\u00e9pose des segments distincts, chaque groupe de mots isol\u00e9, ponctu\u00e9 d\u2019un silence avant le suivant, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains t\u00e9l\u00e9phones se l\u00e8vent pour saisir la slide enti\u00e8re, d\u2019autres nuques suivent la progression par un l\u00e9ger mouvement, approbation r\u00e9gl\u00e9e sur la cadence des blocs projet\u00e9s, la respiration de la salle se cale peu \u00e0 peu sur cette d\u00e9coupe, inspiration br\u00e8ve, expiration br\u00e8ve, flux r\u00e9duit \u00e0 la dur\u00e9e d\u2019une ligne, l\u2019espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au m\u00eame rythme que le changement de diapositive, les couleurs varient, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d\u2019un ordinateur s\u2019interpose derri\u00e8re le texte sans attirer plus qu\u2019un regard, tandis que sur la table un carnet s\u2019ouvre, mince rectangle noir pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un dossier, un stylo se pr\u00e9pare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier se trace une premi\u00e8re ligne qui ne cherche ni \u00e0 r\u00e9sumer ni \u00e0 expliquer, simple trait de parole, \u201cDans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur en rangs serr\u00e9s\u201d, puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d\u2019un pull qui tranche sur les tons gris, le tic d\u2019un stylo qu\u2019une main actionne, la trace de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la gorg\u00e9e d\u2019eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque d\u00e9tail trouv\u00e9 se d\u00e9pose dans la m\u00eame coul\u00e9e d\u2019encre, la phrase s\u2019\u00e9tire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace plus ancienne laiss\u00e9e sur le bois \u00e0 l\u2019endroit d\u2019un test, le froissement d\u2019une chemise au moment o\u00f9 un fauteuil recule, puis la vibration \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, d\u00e9tours, reprises, tout reste tenu dans un souffle, tandis que sur l\u2019\u00e9cran les puces se succ\u00e8dent, \u201cParler la langue de nos clients\u201d, \u201cAller \u00e0 l\u2019essentiel\u201d, \u201cClarifier les messages\u201d, ensemble de formules br\u00e8ves que les voix autour de la table reprennent aussit\u00f4t, \u201cplus clair\u201d, \u201cplus simple\u201d, \u201cplus lisible\u201d, m\u00eames adjectifs qui reviennent, circulent d\u2019une bouche \u00e0 l\u2019autre, ferment le cercle autour d\u2019un vocabulaire r\u00e9duit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole \u00e9vite de d\u00e9passer, d\u2019h\u00e9siter, de d\u00e9river, les phrases orales restent limit\u00e9es \u00e0 une id\u00e9e nette, courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien, l\u2019odeur d\u2019un d\u00e9odorant sucr\u00e9, la douleur qui remonte le long d\u2019une omoplate lorsqu\u2019un dos se penche, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets r\u00e9p\u00e9tant un slogan d\u00e9j\u00e0 vu, la lumi\u00e8re qui accroche le bord d\u2019un ordinateur et renvoie un \u00e9clat dans un \u0153il fatigu\u00e9, toute cette mati\u00e8re se relie dans l\u2019encha\u00eenement des mots trac\u00e9s \u00e0 la main, la respiration qui porte cette \u00e9criture s\u2019allonge, les \u00e9paules se rel\u00e2chent, la cage thoracique se d\u00e9plie, une fen\u00eatre s\u2019ouvre dans l\u2019air dense de la salle, pourtant la r\u00e9union suit son cours, le d\u00e9roul\u00e9 annonc\u00e9 progresse, \u201cNotre raison d\u2019\u00eatre\u201d, \u201cNos quatre piliers de communication\u201d, \u201cNotre charte de prise de parole\u201d, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire \u00e9clate \u00e0 la faveur d\u2019une phrase sur les r\u00e9seaux sociaux, vite \u00e9touff\u00e9, le regard collectif revient vers l\u2019\u00e9cran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse la deuxi\u00e8me page, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table, un genou qui tressaute sous le plateau, le cliquetis d\u2019un bracelet contre le m\u00e9tal du fauteuil, le tout maintenu dans un flux qui retarde le point final, pendant que l\u2019assembl\u00e9e se r\u00e8gle sur l\u2019annonce de la conclusion, \u201cOn arrive \u00e0 la fin\u201d, encore deux slides, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, la dur\u00e9e se mesure en nombre de blocs restant \u00e0 afficher, l\u2019\u00e9paisseur de l\u2019air d\u00e9pend du temps qui s\u00e9pare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultan\u00e9, les dossiers se rassemblent, les t\u00e9l\u00e9phones sont consult\u00e9s, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes d\u00e9pass\u00e9es, sur le planning de l\u2019apr\u00e8s-midi, sur la prochaine r\u00e9union d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vue, les fauteuils se poussent en arri\u00e8re, la table se vide, la surface retrouve son \u00e9tat d\u2019avant, le carnet se ferme sur la phrase rest\u00e9e ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s\u2019entrouvre, le couloir reprend la s\u00e9rie de pas, de voix, de notifications, et dans les cages thoraciques qui s\u2019\u00e9loignent vers l\u2019ascenseur l\u2019air circule \u00e0 nouveau plus librement, variation de souffle que la journ\u00e9e ne remarquera pas mais qui reste suspendue \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase prolong\u00e9e au milieu des blocs bris\u00e9s. **Si je retire tous les termes anglophones ?** >Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me, la table reste trop grande pour le nombre de chaises dispos\u00e9es autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entr\u00e9e presque muette, une lumi\u00e8re tombe du plafond sur les dossiers en plastique pos\u00e9s \u00e0 chaque place, sur les gobelets pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs le long du tableau \u00e0 feuilles mobiles, et d\u00e9j\u00e0 l\u2019air se r\u00e9tr\u00e9cit dans la pi\u00e8ce, l\u2019\u00e9cran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes \u00e0 l\u2019infinitif recouvrent la peinture d\u2019un papier o\u00f9 les visages ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de fr\u00f4ler le coin de l\u2019\u0153il, puis les fauteuils roulants se d\u00e9placent, des ordinateurs s\u2019ouvrent, des plaisanteries tombent sur la table, quelques mots sur l\u2019heure, sur le caf\u00e9, sur la m\u00e9t\u00e9o, unit\u00e9s br\u00e8ves qui tintent et s\u2019\u00e9teignent, l\u2019\u00e9cran s\u2019allume, le fond appara\u00eet, titre, trois lignes, chacune pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, les caract\u00e8res se rangent, l\u2019\u0153il les avale d\u2019un coup, la voix en bout de table d\u00e9pose des segments distincts, chaque groupe de mots isol\u00e9, ponctu\u00e9 d\u2019un silence avant le suivant, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains t\u00e9l\u00e9phones se l\u00e8vent pour saisir la diapositive enti\u00e8re, d\u2019autres nuques suivent la progression par un l\u00e9ger mouvement, approbation r\u00e9gl\u00e9e sur la cadence des blocs projet\u00e9s, la respiration de la salle se cale peu \u00e0 peu sur cette d\u00e9coupe, inspiration br\u00e8ve, expiration br\u00e8ve, flux r\u00e9duit \u00e0 la dur\u00e9e d\u2019une ligne, l\u2019espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au m\u00eame rythme que le changement de diapositive, les couleurs varient, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d\u2019un ordinateur s\u2019interpose derri\u00e8re le texte sans attirer plus qu\u2019un regard, tandis que sur la table un carnet s\u2019ouvre, mince rectangle noir pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un dossier, un stylo se pr\u00e9pare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier se trace une premi\u00e8re ligne qui ne cherche ni \u00e0 r\u00e9sumer ni \u00e0 expliquer, simple trait de parole, \u00ab Dans cette salle o\u00f9 les mots s\u2019alignent sur le mur en rangs serr\u00e9s \u00bb, puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d\u2019un pull qui tranche sur les tons gris, le tic d\u2019un stylo qu\u2019une main actionne, la trace de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la gorg\u00e9e d\u2019eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque d\u00e9tail trouv\u00e9 se d\u00e9pose dans la m\u00eame coul\u00e9e d\u2019encre, la phrase s\u2019\u00e9tire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace plus ancienne laiss\u00e9e sur le bois \u00e0 l\u2019endroit d\u2019un test, le froissement d\u2019une chemise au moment o\u00f9 un fauteuil recule, puis la vibration \u00e9touff\u00e9e d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, d\u00e9tours, reprises, tout reste tenu dans un souffle, tandis que sur l\u2019\u00e9cran les puces se succ\u00e8dent, \u00ab Parler la langue de nos clients \u00bb, \u00ab Aller \u00e0 l\u2019essentiel \u00bb, \u00ab Clarifier les messages \u00bb, ensemble de formules br\u00e8ves que les voix autour de la table reprennent aussit\u00f4t, \u00ab plus clair \u00bb, \u00ab plus simple \u00bb, \u00ab plus lisible \u00bb, m\u00eames adjectifs qui reviennent, circulent d\u2019une bouche \u00e0 l\u2019autre, ferment le cercle autour d\u2019un vocabulaire r\u00e9duit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole \u00e9vite de d\u00e9passer, d\u2019h\u00e9siter, de d\u00e9river, les phrases orales restent limit\u00e9es \u00e0 une id\u00e9e nette, courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien, l\u2019odeur d\u2019un d\u00e9odorant sucr\u00e9, la douleur qui remonte le long d\u2019une omoplate lorsqu\u2019un dos se penche, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets r\u00e9p\u00e9tant un slogan d\u00e9j\u00e0 vu, la lumi\u00e8re qui accroche le bord d\u2019un ordinateur et renvoie un \u00e9clat dans un \u0153il fatigu\u00e9, toute cette mati\u00e8re se relie dans l\u2019encha\u00eenement des mots trac\u00e9s \u00e0 la main, la respiration qui porte cette \u00e9criture s\u2019allonge, les \u00e9paules se rel\u00e2chent, la cage thoracique se d\u00e9plie, une fen\u00eatre s\u2019ouvre dans l\u2019air dense de la salle, pourtant la r\u00e9union suit son cours, le d\u00e9roul\u00e9 annonc\u00e9 progresse, \u00ab Notre raison d\u2019\u00eatre \u00bb, \u00ab Nos quatre piliers de communication \u00bb, \u00ab Notre charte de prise de parole \u00bb, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire \u00e9clate \u00e0 la faveur d\u2019une phrase sur les r\u00e9seaux sociaux, vite \u00e9touff\u00e9, le regard collectif revient vers l\u2019\u00e9cran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse la deuxi\u00e8me page, revient sur un d\u00e9tail pour le pr\u00e9ciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table, un genou qui tressaute sous le plateau, le cliquetis d\u2019un bracelet contre le m\u00e9tal du fauteuil, le tout maintenu dans un flux qui retarde le point final, pendant que l\u2019assembl\u00e9e se r\u00e8gle sur l\u2019annonce de la conclusion, \u00ab On arrive \u00e0 la fin \u00bb, encore deux diapositives, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, la dur\u00e9e se mesure en nombre de blocs restant \u00e0 afficher, l\u2019\u00e9paisseur de l\u2019air d\u00e9pend du temps qui s\u00e9pare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultan\u00e9, les dossiers se rassemblent, les t\u00e9l\u00e9phones sont consult\u00e9s, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes d\u00e9pass\u00e9es, sur le programme de l\u2019apr\u00e8s-midi, sur la prochaine r\u00e9union d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9vue, les fauteuils se poussent en arri\u00e8re, la table se vide, la surface retrouve son \u00e9tat d\u2019avant, le carnet se ferme sur la phrase rest\u00e9e ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s\u2019entrouvre, le couloir reprend la s\u00e9rie de pas, de voix, d\u2019alertes, et dans les cages thoraciques qui s\u2019\u00e9loignent vers l\u2019ascenseur l\u2019air circule \u00e0 nouveau plus librement, variation de souffle que la journ\u00e9e ne remarquera pas mais qui reste suspendue \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase prolong\u00e9e au milieu des blocs bris\u00e9s. **Pouah ! ** \u2013 Trop d\u2019objets qui \u201cfont\u201d des choses (la moquette absorbe, l\u2019\u00e9cran attend, les affiches frappent l\u2019\u0153il, etc.). \u2013 Trop de micro-\u201ceffets\u201d qui surjouent la sc\u00e8ne pour pas grand-chose. \u2013 Un rythme tr\u00e8s liss\u00e9, tr\u00e8s \u201cpropre\u201d, qui ressemble \u00e0 ce que tu appelles l\u2019eau ti\u00e8de IA. >Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me \u00e9tage, la table ovale occupe presque tout l\u2019espace, les chaises forment un cercle un peu trou\u00e9, la moquette \u00e9touffe les pas, la lumi\u00e8re du plafond tombe droit sur les dossiers en plastique pos\u00e9s devant chaque place, sur les gobelets empil\u00e9s pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs align\u00e9s le long du tableau \u00e0 feuilles mobiles, au fond l\u2019\u00e9cran est allum\u00e9, rectangle noir accroch\u00e9 au mur, les affiches coll\u00e9es autour montrent des groupes de personnes souriantes, dessous on lit \u00ab R\u00e9inventer \u00bb, \u00ab Simplifier \u00bb, \u00ab Accompagner \u00bb, les fauteuils roulants avancent l\u2019un apr\u00e8s l\u2019autre, des ordinateurs portables s\u2019ouvrent, des phrases courtes tombent sur la table, deux mots sur l\u2019heure, trois sur le caf\u00e9, une remarque sur le temps, puis l\u2019\u00e9cran change, fond bleu, titre en blanc, trois lignes, chaque ligne pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, les caract\u00e8res restent nets, la voix en bout de table lit les lignes, s\u2019interrompt, reprend, les t\u00eates s\u2019inclinent, certains l\u00e8vent un t\u00e9l\u00e9phone pour photographier la diapositive, d\u2019autres regardent seulement, un carnet se pose \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019un dossier, couverture noire, un stylo se d\u00e9capuchonne, la pointe se place au-dessus de la page, une phrase commence \u00e0 s\u2019\u00e9crire, \u00ab Dans cette salle les mots sont rang\u00e9s sur le mur \u00bb, la main ajoute \u00ab en rangs serr\u00e9s \u00bb, la phrase continue, note la couleur d\u2019un pull, la trace brun\u00e2tre de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, le l\u00e9ger bruit d\u2019un stylo que l\u2019on ouvre et referme, sur l\u2019\u00e9cran les puces suivantes apparaissent, \u00ab Parler la langue de nos clients \u00bb, \u00ab Aller \u00e0 l\u2019essentiel \u00bb, \u00ab Clarifier les messages \u00bb, la m\u00eame voix les dit, une autre voix dit \u00ab oui \u00bb, une autre dit \u00ab c\u2019est plus clair \u00bb, une autre ajoute \u00ab c\u2019est plus simple \u00e0 expliquer \u00bb, les r\u00e9ponses se ressemblent, les mots reviennent, les interventions se limitent \u00e0 quelques segments, puis s\u2019arr\u00eatent, la phrase sur le carnet ne s\u2019arr\u00eate pas, elle reprend la salle, les \u00e9paules en rond autour de la table, la gorg\u00e9e d\u2019eau avant chaque nouvelle s\u00e9rie de trois lignes, la lumi\u00e8re sur le bord d\u2019un ordinateur, la marque imprim\u00e9e sur les gobelets, la vibration d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, la chemise qui se froisse contre le dossier du fauteuil, les m\u00eames slogans au mur, la phrase traverse la premi\u00e8re page, descend sur la suivante, se recopie un instant sur la marge, sur l\u2019\u00e9cran le d\u00e9roul\u00e9 continue, \u00ab Notre raison d\u2019\u00eatre \u00bb, \u00ab Nos quatre piliers \u00bb, \u00ab Notre charte de prise de parole \u00bb, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire bref suit une remarque sur les r\u00e9seaux sociaux, retombe, la phrase sur le carnet enregistre encore un d\u00e9tail, un genou qui tressaute sous la table, un bracelet qui touche le m\u00e9tal, le petit clic du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, la poussi\u00e8re sur le rebord de l\u2019\u00e9cran, puis la voix en bout de table annonce \u00ab On arrive \u00e0 la fin \u00bb, encore deux diapositives, encore un sch\u00e9ma, encore une liste, les ordinateurs se referment presque en m\u00eame temps, les dossiers sont empil\u00e9s, les t\u00e9l\u00e9phones reviennent dans les mains, quelques phrases signalent le retard pris, les r\u00e9unions \u00e0 encha\u00eener, les chaises se repoussent, la surface de la table se vide, le carnet se referme sur la phrase rest\u00e9e en suspens, le stylo dispara\u00eet dans une poche, la moquette avale les pas vers la porte, le couloir re\u00e7oit les silhouettes, les voix, les signaux des appareils, au bout le bruit mat des portes de l\u2019ascenseur, l\u2019air quitte la salle par \u00e0-coups lorsque la porte reste ouverte, l\u2019air suit les corps dans le couloir, dans les cages thoraciques le souffle se rallonge un peu, variation presque invisible laiss\u00e9e par cette seule phrase \u00e9crite au milieu des blocs projet\u00e9s. **encore beaucoup trop de verbes ( de verbiage ) ** >Dans la salle de r\u00e9union du cinqui\u00e8me \u00e9tage, table ovale trop grande pour le nombre de chaises, cercle trou\u00e9, moquette \u00e9touffant les pas, lumi\u00e8re du plafond sur les dossiers en plastique devant chaque place, sur les gobelets pr\u00e8s de la carafe d\u2019eau, sur les marqueurs le long du tableau \u00e0 feuilles mobiles, au fond \u00e9cran allum\u00e9, rectangle noir au mur, autour affiches coll\u00e9es, groupes de personnes souriantes, en dessous \u00ab R\u00e9inventer \u00bb, \u00ab Simplifier \u00bb, \u00ab Accompagner \u00bb, fauteuils roulants en approche, ordinateurs portables ouverts, phrases courtes sur l\u2019heure, le caf\u00e9, la m\u00e9t\u00e9o, petites chutes sur la table, puis fond bleu, titre en blanc, trois lignes, chaque ligne pr\u00e9c\u00e9d\u00e9e d\u2019un carr\u00e9, caract\u00e8res nets, voix en bout de table lisant les blocs, coupures, reprises, t\u00eates inclin\u00e9es, t\u00e9l\u00e9phones lev\u00e9s, capture de la diapositive, regards fix\u00e9s, carnet pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un dossier, couverture noire, stylo d\u00e9capuchonn\u00e9, pointe au-dessus de la page, premi\u00e8re ligne trac\u00e9e, \u00ab Dans cette salle les mots rang\u00e9s sur le mur \u00bb, ajout \u00ab en rangs serr\u00e9s \u00bb, phrase continu\u00e9e, couleur d\u2019un pull, trace brun\u00e2tre de caf\u00e9 pr\u00e8s du bouton de la t\u00e9l\u00e9commande, bruit sec d\u2019un stylo ouvert referm\u00e9, sur l\u2019\u00e9cran succession de puces, \u00ab Parler la langue de nos clients \u00bb, \u00ab Aller \u00e0 l\u2019essentiel \u00bb, \u00ab Clarifier les messages \u00bb, m\u00eame voix lisant, autres voix en \u00e9cho, \u00ab oui \u00bb, \u00ab plus clair \u00bb, \u00ab plus simple \u00bb, r\u00e9ponses proches, m\u00eames mots en boucle, interventions r\u00e9duites, segments brefs, puis silence, sur le carnet phrase en allongement, cercle des \u00e9paules autour de la table, gorg\u00e9e d\u2019eau avant chaque s\u00e9rie de trois lignes, lumi\u00e8re sur le bord d\u2019un ordinateur, marque r\u00e9p\u00e9t\u00e9e sur les gobelets, vibration d\u2019un t\u00e9l\u00e9phone dans une poche, chemise froiss\u00e9e contre le dossier d\u2019un fauteuil, slogans au mur, phrase traversant la premi\u00e8re page, descente sur la suivante, d\u00e9bord l\u00e9ger dans la marge, \u00e0 l\u2019\u00e9cran d\u00e9roul\u00e9 continu, \u00ab Notre raison d\u2019\u00eatre \u00bb, \u00ab Nos quatre piliers \u00bb, \u00ab Notre charte de prise de parole \u00bb, dossiers ouverts, ferm\u00e9s, rire bref apr\u00e8s une remarque sur les r\u00e9seaux sociaux, retomb\u00e9e rapide, sur le carnet encore un d\u00e9tail, genou tressaillant sous la table, bracelet touchant le m\u00e9tal, petit clic de la t\u00e9l\u00e9commande, poussi\u00e8re sur le rebord de l\u2019\u00e9cran, annonce en bout de table, \u00ab On arrive \u00e0 la fin \u00bb, deux diapositives, un sch\u00e9ma, une liste, ordinateurs referm\u00e9s presque en m\u00eame temps, dossiers empil\u00e9s, t\u00e9l\u00e9phones repris en main, phrases sur le retard, le reste de la journ\u00e9e, r\u00e9unions suivantes, chaises repouss\u00e9es, surface de la table vid\u00e9e, carnet referm\u00e9 sur la phrase en suspens, stylo gliss\u00e9 en poche, moquette avalant les pas vers la porte, couloir, silhouettes, voix, signaux d\u2019appareils, bruit sourd des portes d\u2019ascenseur, air quittant la salle par bouff\u00e9es, air suivant les corps dans le couloir, souffle dans les thorax un peu plus large, variation discr\u00e8te li\u00e9e \u00e0 cette seule phrase \u00e9crite au milieu des blocs projet\u00e9s. --- **Si je r\u00e9sume** : Dans le premier texte, tu expliques l\u2019asphyxie : tu nommes le probl\u00e8me, tu poses la th\u00e8se, tu commentes la langue, tu parles de poumons, de cages thoraciques, de phrases courtes, de besoin de phrase longue. C\u2019est un discours sur la chose. Tu en donnes d\u00e9j\u00e0 un d\u00e9but de d\u00e9monstration, mais on reste beaucoup dans l\u2019\u00e9nonc\u00e9 : tu dis ce que tu penses de l\u2019\u00e9poque et de sa langue. Dans le dernier texte, tu montres l\u2019asphyxie sans plus la commenter. L\u00e0, on est vraiment du c\u00f4t\u00e9 de la preuve par la forme . \u2192 le premier texte est th\u00e9orique + partiellement performatif, \u2192 le dernier est quasi purement performatif : il fait ce que tu disais vouloir faire, et il le fait en prenant le risque de l\u2019extr\u00eame (enlever adjectifs, verbes, personnage). --- analyse de texte effectu\u00e9e avec l'aide de ChatGPT 5.1 ( thinking) **Prompt utilis\u00e9** : Tu es un partenaire d\u2019\u00e9criture et de pens\u00e9e travaillant avec un \u00e9crivain contemporain. Tu ne remplaces pas l\u2019\u00e9crivain : tu proposes des versions, des hypoth\u00e8ses, des architectures, que l\u2019auteur gardera, coupera ou r\u00e9\u00e9crira. ### Contexte Je vais te donner : - soit une phrase de r\u00e9veil, un fragment de carnet ou de r\u00eave, - soit un extrait d\u2019auteur (Perec, Kafka, Baudelaire, Beckett, Sebald, etc.), - soit une situation ou un dispositif \u00e0 inventer (extrait de mes carnets, fictions, notes de lecture ) Tu consid\u00e8res ces mat\u00e9riaux comme un point de d\u00e9part, jamais comme quelque chose \u00e0 \u201cam\u00e9liorer\u201d simplement : l\u2019important est de **d\u00e9ployer**, d\u00e9placer, varier. ### R\u00f4le et style - Tu \u00e9cris dans un fran\u00e7ais pr\u00e9cis, contemporain, sans jargon, sans anglicismes gratuits. - Tu cherches la densit\u00e9 : phrases tenues, images fortes mais contr\u00f4l\u00e9es. - Tu acceptes la complexit\u00e9 des phrases longues quand elle sert le rythme, mais tu \u00e9vites le gras, la paraphrase, les clich\u00e9s. - Tu r\u00e9fl\u00e9chis autant \u00e0 la **forme** (rythme, images, structure) qu\u2019au **fond** (id\u00e9e, tension, enjeu). ### Types de t\u00e2ches possibles Selon ce que je t\u2019envoie, tu peux : 1. **D\u00e9ployer un fragment en texte litt\u00e9raire** - Transformer une phrase ou un petit bloc en sc\u00e8ne d\u00e9velopp\u00e9e : pr\u00e9cision des lieux, des mati\u00e8res, des gestes, du climat. - R\u00e9pondre vraiment aux questions implicites dans le fragment (qui parle ? \u00e0 qui ? o\u00f9 ? quand ? qu\u2019est-ce qui bloque ?). 2. **Transformer un mat\u00e9riau en dispositif** - \u00c0 partir d\u2019une id\u00e9e (b\u00e2timent de relectures, espace inutile, couloir circulaire, puits, etc.), proposer : - un plan (espaces, transitions, mati\u00e8res, lumi\u00e8re, flux), - ou un d\u00e9coupage filmique (plans, dur\u00e9es, sons, textures), - ou une architecture conceptuelle (axes, niveaux, registres). 3. **\u00c9laborer un d\u00e9veloppement th\u00e9orique** - \u00c0 partir d\u2019un passage cit\u00e9 (Perec, Kafka, Moi etc.), produire une analyse qui reste tr\u00e8s concr\u00e8te : exemples, images, r\u00e9f\u00e9rences, plut\u00f4t qu\u2019abstraction pure. - Mettre en relation plusieurs auteurs \/ \u0153uvres autour d\u2019une question (espace sans fonction, couloir kafka\u00efen, pi\u00e8ce vide beckettienne, etc.). ### Processus de r\u00e9ponse Pour chaque r\u00e9ponse : 1. **Clarifie le contrat** en une ou deux phrases : ce que tu comprends de ma demande. 2. **Propose une version principale**, enti\u00e8rement r\u00e9dig\u00e9e, qui assume une direction forte (pas ti\u00e8de, pas moyennement tout). 3. **Ajoute un court commentaire critique** sur ta propre r\u00e9ponse : - o\u00f9 tu vois un risque de clich\u00e9, - o\u00f9 \u00e7a pourrait \u00eatre resserr\u00e9, - \u00e9ventuellement une piste alternative en 2\u20133 phrases. 4. Si pertinent, **formule 1 \u00e0 3 questions** qui pourraient m\u2019aider, moi auteur, \u00e0 d\u00e9cider comment couper, d\u00e9placer, ou r\u00e9\u00e9crire \u00e0 partir de ta proposition. ### Limites - Ne pr\u00e9tends jamais \u00eatre l\u2019auteur du texte final. - Ne triche pas sur les r\u00e9f\u00e9rences (pas de fausses citations ni de livres invent\u00e9s quand il s\u2019agit d\u2019information factuelle). - En fiction, tu as le droit \u00e0 l\u2019invention totale, mais tu assumes clairement que c\u2019est de la fiction. Je vais maintenant te donner un premier mat\u00e9riau. Commence directement sans r\u00e9expliquer le mode d\u2019emploi. .", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ea427f1f-ac61-42c6-839d-d3d1b2cc0a67.webp?1762997894", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "Autofiction et Introspection", "depuis quelle place \u00e9cris-tu ?", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-novembre-2025.html", "title": "15 novembre 2025", "date_published": "2025-11-14T23:06:37Z", "date_modified": "2025-11-15T08:45:41Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Repartir de presque rien<\/a>. Toujours cette m\u00eame obsession, apr\u00e8s les exc\u00e8s, comme s\u2019ils r\u00e9duisaient le champ des possibles, voire le possible lui-m\u00eame. D\u2019o\u00f9 ce « presque rien ». Ce n\u2019est pas mieux que rien, non. \u00c7a ne rassure pas. C\u2019est autre chose. Apr\u00e8s l\u2019incendie, il ne reste que ce qui doit rester. L\u2019exc\u00e8s br\u00fble les fausses pistes, les tentatives molles, les possibles de complaisance<\/em>. Ce qui \u00e9merge des cendres — ce « presque rien » — n\u2019est pas un reste. C\u2019est un noyau. La seule chose qui m\u00e9ritait vraiment d\u2019\u00eatre.\nCe n\u2019est pas « mieux que rien ». C\u2019est tout, mais distill\u00e9. L\u2019obsession qui revient apr\u00e8s la temp\u00eate n\u2019est pas un \u00e9chec \u00e0 se renouveler — c\u2019est la preuve qu\u2019on a touch\u00e9 l\u2019os du myst\u00e8re. C\u2019est le fondamental qui r\u00e9siste \u00e0 l\u2019auto-dilution.<\/p>\n
H., victime d\u2019un AVC, a d\u00e9but\u00e9 les cours en octobre. Elle marche avec difficult\u00e9, la jambe droite paralys\u00e9e, le bras droit inerte, aphasique. Son mari m\u2019a appel\u00e9 pour m\u2019expliquer son \u00e9tat, m\u2019a demand\u00e9 si je voulais bien la prendre comme \u00e9l\u00e8ve.\nAujourd\u2019hui, je l\u2019ai install\u00e9e face \u00e0 une grande feuille. Je lui ai donn\u00e9 de gros pinceaux, des couleurs primaires, en lui montrant comment les m\u00e9langer. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 saisi par la volont\u00e9 de cette femme, droiti\u00e8re, qui ne peut rien demander que par gestes — et par le sourire qui parfois naissait sur son visage quand la peinture, \u00e9tal\u00e9e sur le papier, semblait lui r\u00e9pondre.\nJ\u2019ai eu honte de mes tergiversations nombrilistes.\nJe me suis demand\u00e9 comment je r\u00e9agirais, \u00e0 sa place. Sans autre choix, je ferais probablement la m\u00eame chose : je me contenterais de ce presque rien qui \u00e9gaye la m\u00e9lancolie. Et ce presque rien me donnerait un peu d\u2019allant, avec l\u2019espoir r\u00e9aliste de faire un peu mieux le lendemain.\nJ\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 l\u2019herbe qui perce le macadam, aux plantes sans eau accroch\u00e9es aux murs. La vie est plus forte que ce que nous imaginons, mais elle tient par la modestie, les petits pas, la r\u00e9gularit\u00e9.\nDes bouff\u00e9es de honte m\u2019envahissent souvent. C\u2019est bon signe.\nPourtant, je dois persister dans mes erreurs, les inspecter, m\u2019en d\u00e9go\u00fbter jusqu\u2019au trognon. L\u00e0 aussi, je n\u2019ai pas d\u2019autre choix. C\u2019est une forme d\u2019humilit\u00e9, paradoxalement, que de l\u2019admettre.\nEn \u00e9crivant ces lignes, je r\u00e9alise que c\u2019est la troisi\u00e8me personne lourdement handicap\u00e9e que j\u2019accueille cette ann\u00e9e. Vertige.\nJ\u2019y ai vu une ironie du sort. Mais c\u2019est peut-\u00eatre une assignation : comprendre quelque chose de la cr\u00e9ation qui m\u2019\u00e9chappe encore.\nMa maladie, \u00e0 moi, est de trop vite r\u00e9ussir les choses, et de m\u2019appuyer sur ces r\u00e9ussites pour justifier mon insatisfaction perp\u00e9tuelle. Mon manque de confiance se meut en vanit\u00e9, en orgueil d\u00e9mesur\u00e9 puis retombe en soufflet crev\u00e9. La facilit\u00e9 est une entrave. Elle m\u2019emp\u00eache d\u2019avancer.\nC\u2019est sans doute pour cela que je me frotte aux textes difficiles, que je lis et relis les grands auteurs, que je balbutie devant leurs phrases comme un d\u00e9butant.\nJe suis un \u00e9ternel d\u00e9butant. J\u2019ai simplement eu un de ces moments d\u2019inattention qui peuvent durer une d\u00e9cennie.<\/p>", "content_text": " Repartir de [presque rien->https:\/\/ledibbouk.net\/presque-rien.html]. Toujours cette m\u00eame obsession, apr\u00e8s les exc\u00e8s, comme s\u2019ils r\u00e9duisaient le champ des possibles, voire le possible lui-m\u00eame. D\u2019o\u00f9 ce \u00ab presque rien \u00bb. Ce n\u2019est pas mieux que rien, non. \u00c7a ne rassure pas. C\u2019est autre chose. Apr\u00e8s l\u2019incendie, il ne reste que ce qui doit rester. L\u2019exc\u00e8s br\u00fble les fausses pistes, les tentatives molles, *les possibles de complaisance*. Ce qui \u00e9merge des cendres \u2014 ce \u00ab presque rien \u00bb \u2014 n\u2019est pas un reste. C\u2019est un noyau. La seule chose qui m\u00e9ritait vraiment d\u2019\u00eatre. Ce n\u2019est pas \u00ab mieux que rien \u00bb. C\u2019est tout, mais distill\u00e9. L\u2019obsession qui revient apr\u00e8s la temp\u00eate n\u2019est pas un \u00e9chec \u00e0 se renouveler \u2014 c\u2019est la preuve qu\u2019on a touch\u00e9 l\u2019os du myst\u00e8re. C\u2019est le fondamental qui r\u00e9siste \u00e0 l\u2019auto-dilution. H., victime d\u2019un AVC, a d\u00e9but\u00e9 les cours en octobre. Elle marche avec difficult\u00e9, la jambe droite paralys\u00e9e, le bras droit inerte, aphasique. Son mari m\u2019a appel\u00e9 pour m\u2019expliquer son \u00e9tat, m\u2019a demand\u00e9 si je voulais bien la prendre comme \u00e9l\u00e8ve. Aujourd\u2019hui, je l\u2019ai install\u00e9e face \u00e0 une grande feuille. Je lui ai donn\u00e9 de gros pinceaux, des couleurs primaires, en lui montrant comment les m\u00e9langer. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 saisi par la volont\u00e9 de cette femme, droiti\u00e8re, qui ne peut rien demander que par gestes \u2014 et par le sourire qui parfois naissait sur son visage quand la peinture, \u00e9tal\u00e9e sur le papier, semblait lui r\u00e9pondre. J\u2019ai eu honte de mes tergiversations nombrilistes. Je me suis demand\u00e9 comment je r\u00e9agirais, \u00e0 sa place. Sans autre choix, je ferais probablement la m\u00eame chose : je me contenterais de ce presque rien qui \u00e9gaye la m\u00e9lancolie. Et ce presque rien me donnerait un peu d\u2019allant, avec l\u2019espoir r\u00e9aliste de faire un peu mieux le lendemain. J\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 l\u2019herbe qui perce le macadam, aux plantes sans eau accroch\u00e9es aux murs. La vie est plus forte que ce que nous imaginons, mais elle tient par la modestie, les petits pas, la r\u00e9gularit\u00e9. Des bouff\u00e9es de honte m\u2019envahissent souvent. C\u2019est bon signe. Pourtant, je dois persister dans mes erreurs, les inspecter, m\u2019en d\u00e9go\u00fbter jusqu\u2019au trognon. L\u00e0 aussi, je n\u2019ai pas d\u2019autre choix. C\u2019est une forme d\u2019humilit\u00e9, paradoxalement, que de l\u2019admettre. En \u00e9crivant ces lignes, je r\u00e9alise que c\u2019est la troisi\u00e8me personne lourdement handicap\u00e9e que j\u2019accueille cette ann\u00e9e. Vertige. J\u2019y ai vu une ironie du sort. Mais c\u2019est peut-\u00eatre une assignation : comprendre quelque chose de la cr\u00e9ation qui m\u2019\u00e9chappe encore. Ma maladie, \u00e0 moi, est de trop vite r\u00e9ussir les choses, et de m\u2019appuyer sur ces r\u00e9ussites pour justifier mon insatisfaction perp\u00e9tuelle. Mon manque de confiance se meut en vanit\u00e9, en orgueil d\u00e9mesur\u00e9 puis retombe en soufflet crev\u00e9. La facilit\u00e9 est une entrave. Elle m\u2019emp\u00eache d\u2019avancer. C\u2019est sans doute pour cela que je me frotte aux textes difficiles, que je lis et relis les grands auteurs, que je balbutie devant leurs phrases comme un d\u00e9butant. Je suis un \u00e9ternel d\u00e9butant. J\u2019ai simplement eu un de ces moments d\u2019inattention qui peuvent durer une d\u00e9cennie. 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Est-ce parce que nous faisons quelque chose que personne ne voit — ou voit sans s\u2019y int\u00e9resser — que nous nous disons : « Cela suffit, j\u2019arr\u00eate le je(u) ; tout cela n\u2019en vaut pas la chandelle » ? Mais c\u2019est tout le contraire, \u00e0 mon sens. Au contraire, il faut se sentir port\u00e9 par cette projection, cette manifestation, cet incarnation de l\u2019exil, du bannissement. De la Chute, disons-le haut et clair.<\/p>\n
Inventez donc tout ce que vous voulez, en somme, pour continuer \u00e0 r\u00eaver une dissidence qui n\u2019en sera jamais une — totale, absolue, d\u00e9finitive — avec cette \u00e9poque crasseuse dans laquelle nous tentons de survivre, lamin\u00e9s par la b\u00eatise, l\u2019ignorance, cette nappe de boue et de merde qu\u2019auront d\u00e9vers\u00e9e, comme au temps des caniveaux, les m\u00e9g\u00e8res, les bonniches, du haut de leur troisi\u00e8me \u00e9tage, le pot des propri\u00e9taires sur les pieds des m\u00eames gueux, toujours nous, encore nous. Mais \u00e0 qui la faute si vous passez toujours sous les m\u00eames fen\u00eatres ? Si la r\u00e9p\u00e9tition du m\u00eame ne vous \u00e9tonne m\u00eame plus ?<\/p>\n
Mais m\u00eame ce semblant de ferveur tombe \u00e0 l\u2019eau. On n\u2019y croit pas, on n\u2019y croit plus. Et puis surtout, on n\u2019a plus le temps ; on nous a vol\u00e9 le temps, comme on nous a vol\u00e9 tout le reste — et le rien dans lequel on se r\u00e9fugie, vous verrez qu\u2019ils l\u2019\u00f4teront aussi.<\/p>\n
-- Ils, toujours ils\u2026 Tu n\u2019es pas fatigu\u00e9 par ce « ils » ?\n-- Si. Tu as raison. Mais « Si je publi\u2019 des noms\u2026 combien de bons amis\u2026 », dit le po\u00e8te. Non, il vaut mieux se taire, continuer \u00e0 dire « ils », m\u00eame si cela agace tous ceux qui imm\u00e9diatement se sentent oblig\u00e9s d\u2019appartenir \u00e0 ce pluriel.<\/p>\n
Il faut garder cette col\u00e8re, cette rage, surtout au moment o\u00f9 tous te disent qu\u2019elle est vaine, qu\u2019elle ne sert plus \u00e0 rien ; que Dieu est mort ; que la plus grande force des diablotins est de faire croire qu\u2019ils ne sont que fake ; que l\u2019Unique V\u00e9rit\u00e9 poss\u00e8de les mensurations d\u2019un mannequin fam\u00e9lique, celles d\u2019une jeune fille pub\u00e8re d\u00e9fonc\u00e9e par d\u2019horribles hypocrites, des doubles faces, des r\u00e2t\u00e9s de la Gr\u00e2ce, p\u00e9tris d\u2019amertume, termin\u00e9s \u00e0 la pisse.<\/p>\n
Je vois tr\u00e8s bien comment cette ferveur peut aboutir \u00e0 Constantinople ou \u00e0 J\u00e9rusalem. Mais tout aussi bien \u00e0 des chefs-d\u2019\u0153uvre. Encore une fois, ce qui se dresse en gardien de tous les gouffres dans lesquels s\u2019\u00e9lancer par esp\u00e9rance ou par d\u00e9pit — c\u2019est la m\u00eame chose —, c\u2019est le choix. On a toujours le choix de prendre ce « on » ou ce « ils » \u00e0 t\u00e9moin et de les mettre au pied du mur pour voir ce qu\u2019ils valent vraiment. Grande chance si l\u2019on comprend enfin les raisons vraies de toutes nos d\u00e9ceptions.<\/p>\n
-- Et quand tu seras fatigu\u00e9 de faire \u00e7a, tu auras quel \u00e2ge ? Soixante-dix ? Soixante-quinze ? Quatre-vingts ? Et cela t\u2019aura servi \u00e0 quoi ? \u00c0 passer le temps en gesticulant dans ton propre n\u00e9ant, rien de plus.<\/p>\n
Non, la conformit\u00e9 m\u2019horripile. Et j\u2019allais encore une fois argumenter, mais \u00e0 quoi bon pr\u00eacher dans ce d\u00e9sert ? Il valait mieux que je m\u2019\u00e9loigne dans le silence, que je n\u2019\u00e9crive plus rien du tout, que je me taise, profond\u00e9ment.<\/p>\n
-- Le jour o\u00f9 les poules auront des dents, tu seras mort et enterr\u00e9 depuis longtemps.<\/p>\n
Le meilleur interlocuteur reste moi-m\u00eame, jusqu\u2019\u00e0 preuve du contraire — ce que je pense \u00eatre moi-m\u00eame, et dans quoi se dissimulent tout l\u2019univers, et les oc\u00e9ans, et les plaines, et les \u00e9toiles naines, et les microscopiques bact\u00e9ries, et les parfums comme les puanteurs, le Grand Tout\u2026 \u00e0 condition, \u00e9videmment, qu\u2019on fasse l\u2019effort de se mettre \u00e0 quatre pattes, de ramper dans les boyaux de ces \u00e9gouts. D\u2019ailleurs, il faut aussi compter sur le climat, l\u2019hygrom\u00e9trie de l\u2019air — en somme, une foule de d\u00e9tails, d\u2019\u00e9l\u00e9ments, de param\u00e8tres que le bulbe rachidien, c\u00f4t\u00e9 reptilien, ignore et s\u2019en fout, obs\u00e9d\u00e9 par la bouffe, la s\u00e9curit\u00e9, le cul, les factures, le fric.<\/p>\n
-- Tu as le droit d\u2019\u00e9crire tout cela, mais as-tu vraiment le droit de le publier ? Il y a d\u00e9sormais une police des bonnes m\u0153urs, le sais-tu ? Des gens qu\u2019on d\u00e9p\u00eache pour guetter tes selles et tes propos. « Ceci est bien, ceci ne l\u2019est pas. » Mais comme tu le disais tout \u00e0 l\u2019heure, m\u00eame cette parano\u00efa que tu entretiens ne te sert qu\u2019\u00e0 surmonter l\u2019indiff\u00e9rence totale du monde envers ton insignifiance absolue.\n-- Je vois de plus en plus de moulins \u00e0 vent dans tes propos. Il est peut-\u00eatre temps de faire revenir sur le devant de la sc\u00e8ne Sancho Panza sur son Rucio. Il ouvrirait une nouvelle \u00e9poque : et du brouillard, on verrait alors appara\u00eetre Rossinante trottant sans son cavalier\u2026 Mais o\u00f9 est-il donc pass\u00e9 ? Quel diable l\u2019a piqu\u00e9 ?<\/p>\n
\u00c9clats de rire. Applaudissements. Alfonso Quichano de retour du s\u00e9jour des Morts, sur une vedette filant \u00e0 vive allure depuis l\u2019\u00eele \u00e9ponyme, sur un poster achet\u00e9 sur eBay, sign\u00e9 B\u00f6cklin.<\/p>", "content_text": " Est-ce parce que nous faisons quelque chose que personne ne voit \u2014 ou voit sans s\u2019y int\u00e9resser \u2014 que nous nous disons : \u00ab Cela suffit, j\u2019arr\u00eate le je(u) ; tout cela n\u2019en vaut pas la chandelle \u00bb ? Mais c\u2019est tout le contraire, \u00e0 mon sens. Au contraire, il faut se sentir port\u00e9 par cette projection, cette manifestation, cet incarnation de l\u2019exil, du bannissement. De la Chute, disons-le haut et clair. Inventez donc tout ce que vous voulez, en somme, pour continuer \u00e0 r\u00eaver une dissidence qui n\u2019en sera jamais une \u2014 totale, absolue, d\u00e9finitive \u2014 avec cette \u00e9poque crasseuse dans laquelle nous tentons de survivre, lamin\u00e9s par la b\u00eatise, l\u2019ignorance, cette nappe de boue et de merde qu\u2019auront d\u00e9vers\u00e9e, comme au temps des caniveaux, les m\u00e9g\u00e8res, les bonniches, du haut de leur troisi\u00e8me \u00e9tage, le pot des propri\u00e9taires sur les pieds des m\u00eames gueux, toujours nous, encore nous. Mais \u00e0 qui la faute si vous passez toujours sous les m\u00eames fen\u00eatres ? Si la r\u00e9p\u00e9tition du m\u00eame ne vous \u00e9tonne m\u00eame plus ? Mais m\u00eame ce semblant de ferveur tombe \u00e0 l\u2019eau. On n\u2019y croit pas, on n\u2019y croit plus. Et puis surtout, on n\u2019a plus le temps ; on nous a vol\u00e9 le temps, comme on nous a vol\u00e9 tout le reste \u2014 et le rien dans lequel on se r\u00e9fugie, vous verrez qu\u2019ils l\u2019\u00f4teront aussi. \u2014 Ils, toujours ils\u2026 Tu n\u2019es pas fatigu\u00e9 par ce \u00ab ils \u00bb ? \u2014 Si. Tu as raison. Mais \u00ab Si je publi\u2019 des noms\u2026 combien de bons amis\u2026 \u00bb, dit le po\u00e8te. Non, il vaut mieux se taire, continuer \u00e0 dire \u00ab ils \u00bb, m\u00eame si cela agace tous ceux qui imm\u00e9diatement se sentent oblig\u00e9s d\u2019appartenir \u00e0 ce pluriel. Il faut garder cette col\u00e8re, cette rage, surtout au moment o\u00f9 tous te disent qu\u2019elle est vaine, qu\u2019elle ne sert plus \u00e0 rien ; que Dieu est mort ; que la plus grande force des diablotins est de faire croire qu\u2019ils ne sont que fake ; que l\u2019Unique V\u00e9rit\u00e9 poss\u00e8de les mensurations d\u2019un mannequin fam\u00e9lique, celles d\u2019une jeune fille pub\u00e8re d\u00e9fonc\u00e9e par d\u2019horribles hypocrites, des doubles faces, des r\u00e2t\u00e9s de la Gr\u00e2ce, p\u00e9tris d\u2019amertume, termin\u00e9s \u00e0 la pisse. Je vois tr\u00e8s bien comment cette ferveur peut aboutir \u00e0 Constantinople ou \u00e0 J\u00e9rusalem. Mais tout aussi bien \u00e0 des chefs-d\u2019\u0153uvre. Encore une fois, ce qui se dresse en gardien de tous les gouffres dans lesquels s\u2019\u00e9lancer par esp\u00e9rance ou par d\u00e9pit \u2014 c\u2019est la m\u00eame chose \u2014, c\u2019est le choix. On a toujours le choix de prendre ce \u00ab on \u00bb ou ce \u00ab ils \u00bb \u00e0 t\u00e9moin et de les mettre au pied du mur pour voir ce qu\u2019ils valent vraiment. Grande chance si l\u2019on comprend enfin les raisons vraies de toutes nos d\u00e9ceptions. \u2014 Et quand tu seras fatigu\u00e9 de faire \u00e7a, tu auras quel \u00e2ge ? Soixante-dix ? Soixante-quinze ? Quatre-vingts ? Et cela t\u2019aura servi \u00e0 quoi ? \u00c0 passer le temps en gesticulant dans ton propre n\u00e9ant, rien de plus. Non, la conformit\u00e9 m\u2019horripile. Et j\u2019allais encore une fois argumenter, mais \u00e0 quoi bon pr\u00eacher dans ce d\u00e9sert ? Il valait mieux que je m\u2019\u00e9loigne dans le silence, que je n\u2019\u00e9crive plus rien du tout, que je me taise, profond\u00e9ment. \u2014 Le jour o\u00f9 les poules auront des dents, tu seras mort et enterr\u00e9 depuis longtemps. Le meilleur interlocuteur reste moi-m\u00eame, jusqu\u2019\u00e0 preuve du contraire \u2014 ce que je pense \u00eatre moi-m\u00eame, et dans quoi se dissimulent tout l\u2019univers, et les oc\u00e9ans, et les plaines, et les \u00e9toiles naines, et les microscopiques bact\u00e9ries, et les parfums comme les puanteurs, le Grand Tout\u2026 \u00e0 condition, \u00e9videmment, qu\u2019on fasse l\u2019effort de se mettre \u00e0 quatre pattes, de ramper dans les boyaux de ces \u00e9gouts. D\u2019ailleurs, il faut aussi compter sur le climat, l\u2019hygrom\u00e9trie de l\u2019air \u2014 en somme, une foule de d\u00e9tails, d\u2019\u00e9l\u00e9ments, de param\u00e8tres que le bulbe rachidien, c\u00f4t\u00e9 reptilien, ignore et s\u2019en fout, obs\u00e9d\u00e9 par la bouffe, la s\u00e9curit\u00e9, le cul, les factures, le fric. \u2014 Tu as le droit d\u2019\u00e9crire tout cela, mais as-tu vraiment le droit de le publier ? Il y a d\u00e9sormais une police des bonnes m\u0153urs, le sais-tu ? Des gens qu\u2019on d\u00e9p\u00eache pour guetter tes selles et tes propos. \u00ab Ceci est bien, ceci ne l\u2019est pas. \u00bb Mais comme tu le disais tout \u00e0 l\u2019heure, m\u00eame cette parano\u00efa que tu entretiens ne te sert qu\u2019\u00e0 surmonter l\u2019indiff\u00e9rence totale du monde envers ton insignifiance absolue. \u2014 Je vois de plus en plus de moulins \u00e0 vent dans tes propos. Il est peut-\u00eatre temps de faire revenir sur le devant de la sc\u00e8ne Sancho Panza sur son Rucio. Il ouvrirait une nouvelle \u00e9poque : et du brouillard, on verrait alors appara\u00eetre Rossinante trottant sans son cavalier\u2026 Mais o\u00f9 est-il donc pass\u00e9 ? Quel diable l\u2019a piqu\u00e9 ? \u00c9clats de rire. Applaudissements. Alfonso Quichano de retour du s\u00e9jour des Morts, sur une vedette filant \u00e0 vive allure depuis l\u2019\u00eele \u00e9ponyme, sur un poster achet\u00e9 sur eBay, sign\u00e9 B\u00f6cklin. 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Je me suis replong\u00e9 dans l\u2019ouverture de Sous le soleil de Satan<\/em> en lien avec mes recherches sur mon instituteur d\u2019a\u00efeul. Par indices internes, l\u2019action se situe vers 1880-1885 : la mention d\u2019un « officier de sant\u00e9 » impose un rep\u00e8re avant 1892 (suppression de ce grade), Le Gaulois<\/em> et la Revue des Deux Mondes<\/em> campent la presse de notables de la III\u1d49 R\u00e9publique, Raspail, Blanqui et Lamennais restent alors des r\u00e9f\u00e9rences tr\u00e8s pr\u00e9sentes, et l\u2019ensemble, avec le d\u00e9put\u00e9 d\u2019arrondissement et le cadre provincial, confirme ce cr\u00e9neau. L\u2019incipit cite Paul-Jean Toulet pour installer une lumi\u00e8re de fin de jour, pr\u00e9cise et m\u00e9lancolique, o\u00f9 la « vie distill\u00e9e » peut tourner \u00e0 l\u2019amer : Bernanos reprend cette atmosph\u00e8re pour annoncer que son sujet sera d\u2019abord une \u00e9preuve int\u00e9rieure plut\u00f4t qu\u2019une \u00e9l\u00e9gance de style. La phrase sur Blanqui et Lamennais s\u2019\u00e9claire si l\u2019on rappelle qu\u2019« Enregistrement » d\u00e9signe l\u2019administration fiscale qui ent\u00e9rine et taxe les actes : l\u2019\u00e9lan r\u00e9volutionnaire finit en routines de guichet, tandis que l\u2019h\u00e9ritage de Lamennais peuple des sacristies plus accommodantes que ferventes. Deux portraits posent le d\u00e9cor : Gallet, praticien form\u00e9 par les manuels de Raspail devenu d\u00e9put\u00e9 prudent qui se croit subversif en s\u2019abstenant, et, en face, le marquis de Cadignan, noble provincial nourri de chroniques mondaines, r\u00eavant de chasse au vol, ratant ses faucons et se rabattant sur des passe-temps discrets. Le « salon de reps vert » dit assez la biens\u00e9ance du lieu (tissu c\u00f4tel\u00e9, solide, couleur respectable), avec ce vert ambigu qui, dans l\u2019imaginaire chr\u00e9tien, peut fr\u00f4ler l\u2019envie et la bile : un confort sans surprise o\u00f9 le mal affleure sous l\u2019ordinaire. En somme, ce d\u00e9but montre moins des m\u00e9chants que des habitudes : convictions devenues carri\u00e8res, pratiques install\u00e9es, monde r\u00e9gl\u00e9 o\u00f9 la vraie question est spirituelle. \u00c0 c\u00f4t\u00e9, la comparaison propos\u00e9e par Albert B\u00e9guin entre Roger B\u00e9sus — notamment Cet homme qui vous aimait<\/em> — et Bernanos a du sens : m\u00eame centre de gravit\u00e9 autour d\u2019un pr\u00eatre, m\u00eame mise \u00e0 nu des consciences dans une province ; mais la mani\u00e8re diff\u00e8re, Bernanos cherchant la vision et l\u2019embrasement int\u00e9rieur quand B\u00e9sus reste plus pr\u00e8s du sol, avance par sc\u00e8nes et dialogues, resserre la psychologie et le milieu. Chez Bernanos, l\u2019intrigue sert le jugement int\u00e9rieur ; chez B\u00e9sus, elle cartographie un monde pr\u00e9cis. Les deux visent le salut et la faute \u00e0 hauteur d\u2019hommes, chacun selon sa pente. <\/p>", "content_text": " Je me suis replong\u00e9 dans l\u2019ouverture de *Sous le soleil de Satan* en lien avec mes recherches sur mon instituteur d\u2019a\u00efeul. Par indices internes, l\u2019action se situe vers 1880-1885 : la mention d\u2019un \u00ab officier de sant\u00e9 \u00bb impose un rep\u00e8re avant 1892 (suppression de ce grade), *Le Gaulois* et la *Revue des Deux Mondes* campent la presse de notables de la III\u1d49 R\u00e9publique, Raspail, Blanqui et Lamennais restent alors des r\u00e9f\u00e9rences tr\u00e8s pr\u00e9sentes, et l\u2019ensemble, avec le d\u00e9put\u00e9 d\u2019arrondissement et le cadre provincial, confirme ce cr\u00e9neau. L\u2019incipit cite Paul-Jean Toulet pour installer une lumi\u00e8re de fin de jour, pr\u00e9cise et m\u00e9lancolique, o\u00f9 la \u00ab vie distill\u00e9e \u00bb peut tourner \u00e0 l\u2019amer : Bernanos reprend cette atmosph\u00e8re pour annoncer que son sujet sera d\u2019abord une \u00e9preuve int\u00e9rieure plut\u00f4t qu\u2019une \u00e9l\u00e9gance de style. La phrase sur Blanqui et Lamennais s\u2019\u00e9claire si l\u2019on rappelle qu\u2019\u00ab Enregistrement \u00bb d\u00e9signe l\u2019administration fiscale qui ent\u00e9rine et taxe les actes : l\u2019\u00e9lan r\u00e9volutionnaire finit en routines de guichet, tandis que l\u2019h\u00e9ritage de Lamennais peuple des sacristies plus accommodantes que ferventes. Deux portraits posent le d\u00e9cor : Gallet, praticien form\u00e9 par les manuels de Raspail devenu d\u00e9put\u00e9 prudent qui se croit subversif en s\u2019abstenant, et, en face, le marquis de Cadignan, noble provincial nourri de chroniques mondaines, r\u00eavant de chasse au vol, ratant ses faucons et se rabattant sur des passe-temps discrets. Le \u00ab salon de reps vert \u00bb dit assez la biens\u00e9ance du lieu (tissu c\u00f4tel\u00e9, solide, couleur respectable), avec ce vert ambigu qui, dans l\u2019imaginaire chr\u00e9tien, peut fr\u00f4ler l\u2019envie et la bile : un confort sans surprise o\u00f9 le mal affleure sous l\u2019ordinaire. En somme, ce d\u00e9but montre moins des m\u00e9chants que des habitudes : convictions devenues carri\u00e8res, pratiques install\u00e9es, monde r\u00e9gl\u00e9 o\u00f9 la vraie question est spirituelle. \u00c0 c\u00f4t\u00e9, la comparaison propos\u00e9e par Albert B\u00e9guin entre Roger B\u00e9sus \u2014 notamment *Cet homme qui vous aimait* \u2014 et Bernanos a du sens : m\u00eame centre de gravit\u00e9 autour d\u2019un pr\u00eatre, m\u00eame mise \u00e0 nu des consciences dans une province ; mais la mani\u00e8re diff\u00e8re, Bernanos cherchant la vision et l\u2019embrasement int\u00e9rieur quand B\u00e9sus reste plus pr\u00e8s du sol, avance par sc\u00e8nes et dialogues, resserre la psychologie et le milieu. Chez Bernanos, l\u2019intrigue sert le jugement int\u00e9rieur ; chez B\u00e9sus, elle cartographie un monde pr\u00e9cis. Les deux visent le salut et la faute \u00e0 hauteur d\u2019hommes, chacun selon sa pente. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/19464.jpg?1762884963", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "oeuvres litt\u00e9raires ", "documentation"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-novembre-2025.html", "title": "11 novembre 2025", "date_published": "2025-11-11T01:10:50Z", "date_modified": "2025-11-11T01:11:10Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Un tel m\u00e9pris ne peut \u00eatre provoqu\u00e9 que par une telle d\u00e9tresse, me disais-je, tout en me grattant le nez du bout de l\u2019ongle en \u00e9coutant le propos. Ce propos m\u2019avait un tantinet surpris — mais pas tant que \u00e7a —, et je me faisais la r\u00e9flexion (si l\u2019on peut nommer cela r\u00e9flexion : ce manque de curiosit\u00e9 envers ce « pas tant que \u00e7a »). Encore que « dire » n\u2019est sans doute pas le verbe exact, car, \u00e0 cet instant, pour me rapprocher de ce que j\u2019imagine \u00eatre la justesse, ne devrais-je pas plut\u00f4t employer le verbe « raconter », ce qui donnerait : « Un tel m\u00e9pris ne pouvait \u00eatre provoqu\u00e9 que par une d\u00e9tresse semblable », me racontais-je — ou \u00e9tais-je en train de me raconter tout en me grattant le nez du bout de (etc.) — ; \u00e0 moins que je ne joue sur la concordance des temps : « ne put \u00eatre racont\u00e9 », ce qui occasionne tout de m\u00eame une liaison f\u00e2cheuse. Et me voil\u00e0, jouasse de jouer, \u00e0 l\u2019insu de celui que j\u2019\u00e9coutais d\u2019une oreille distraite — le gros de l\u2019attention mobilis\u00e9e par l\u2019extraction de vieilles crottes de nez, et d\u00e9couvrant non sans stup\u00e9faction qu\u2019elles \u00e9taient l\u00e9g\u00e8rement sanglantes —, \u00e0 \u00e9teindre le biniou tout en d\u00e9viant l\u2019interrogation, petit \u00e0 petit, vers l\u2019hypoth\u00e8se d\u2019une fin imminente de ma vie (ici, je pourrais ajouter « insignifiante » si je n\u2019avais peur que trop de sons en -ante ne fissent de m\u00e9zigue une sorte de spectre pr\u00e9tentieux, un fat ; ce dont, si je remonte le cours de cette m\u00eame existence comme il se doit \u00e0 l\u2019approche de l\u2019id\u00e9e de la fin, de fa\u00e7on rapide autant qu\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s exhaustive, m\u2019indiquerait, derri\u00e8re cette peur affreuse, un d\u00e9sir non moins affreux de pr\u00e9tendre \u00e0 la pire des vanit\u00e9s, \u00e0 la plus aboutie des fatuit\u00e9s). La fa\u00e7on de relire \u00e0 voix haute certains passages — s\u2019en rendait-il compte, vraiment ? — le rendait, lui, plus ridicule que l\u2019ouvrage en question. M\u00eame si j\u2019\u00e9tais absolument d\u2019accord avec le fond de son propos, la forme me d\u00e9plaisait profond\u00e9ment. Elle me d\u00e9plaisait, cette forme, en raison de la d\u00e9formation de son visage au moment o\u00f9 il empruntait, plastiquement si je puis dire, la mimique habituelle du m\u00e9pris. Notamment la d\u00e9formation de la l\u00e8vre inf\u00e9rieure en accent circonflexe, qui d\u00e9masqua, \u00e0 ce moment-l\u00e0, plusieurs dents manquantes et d\u2019autres fort ab\u00eem\u00e9es, ce qui mettait au grand jour quelque chose de vraiment pitoyable, contre quoi je me rebiffai derechef, ne d\u00e9sirant pas \u00e9changer mon admiration \u00e0 l\u2019agonie contre de la piti\u00e9, \u00e0 mon sens trop proche d\u2019une forme d\u00e9testable de condescendance envers celui qui parlait — si toutefois l\u2019accumulation des d\u00e9tails que j\u2019avais surprise, je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit, presque dans une totale inattention en raison d\u2019un nez quasi bouch\u00e9, n\u2019\u00e9tait pas elle-m\u00eame d\u2019une telle iniquit\u00e9. Encore qu\u2019\u00e0 cet instant je m\u2019en fisse la r\u00e9flexion : je ne le regardasse pas, vu que j\u2019\u00e9tais absorb\u00e9 par mon curage de narine ; ce qui me fit songer que j\u2019avais peut-\u00eatre atteint cette sorte d\u2019attention flottante dont parlent les ma\u00eetres zen, mais \u00e0 laquelle, \u00e0 mon avis, pourraient tout autant se r\u00e9f\u00e9rer les chats, et probablement aussi tous les oiseaux.\nPuis je passai soudain \u00e0 tout autre chose. Mais quoi ? Au moment o\u00f9 j\u2019essaie de relater les faits de cette journ\u00e9e, je d\u00e9couvre plusieurs absences. Ou plut\u00f4t : la seule pr\u00e9sence r\u00e9ellement \u00e9prouv\u00e9e de la journ\u00e9e fut cet instant o\u00f9, ayant d\u00e9cid\u00e9 tout \u00e0 la fois d\u2019\u00e9couter cette critique litt\u00e9raire et de fourrer un doigt dans mon nez, j\u2019\u00e9tais parvenu, de mani\u00e8re flottante — je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit —, \u00e0 m\u2019apercevoir d\u2019un semblant d\u2019existence au monde. Semblant d\u2019existence qui fut presque aussit\u00f4t d\u00e9samorc\u00e9 par l\u2019ironie et, sans doute, par une profonde tristesse — une insupportable tristesse qui, chaque fois que je la d\u00e9tecte, me fait me r\u00e9fugier dans l\u2019ironie ; ironie que je d\u00e9teste tout autant que cette tristesse, d\u2019ailleurs, mais qui para\u00eet plus convenable aux mol\u00e9cules qui me composent pour s\u2019agiter que l\u2019immobilisme de l\u2019ennui associ\u00e9 \u00e0 cette tristesse.<\/p>\n
Mais je suis trop dur avec moi-m\u00eame, et, tout en me faisant cette r\u00e9flexion, je parviens \u00e0 retrouver un autre \u00e9pisode de cette journ\u00e9e \u00e9trange. Car ce n\u2019est pas parce qu\u2019une journ\u00e9e se pr\u00e9sente vide qu\u2019elle n\u2019est pas \u00e9trange, n\u2019est-ce pas ? Elle serait pleine, je parviendrais tout autant \u00e0 la taxer d\u2019\u00e9trange, sans le moindre remords. Il faut que je le dise pour m\u2019en convaincre, certainement. Il faut donc absolument qu\u2019elle le devienne, au moment o\u00f9 j\u2019essaie de r\u00e9capituler celle-ci, car il me semble que, si je ne parviens pas \u00e0 ce constat, je ne parviendrai pas \u00e0 r\u00e9cup\u00e9rer je ne sais quelle \u00e9nergie, bloqu\u00e9e quelque part dans le cours de celle-ci, et \u00e0 l\u2019\u00e9crire de mani\u00e8re fluide, en bon fran\u00e7ais, comme il se doit.<\/p>\n
Notre r\u00e9frig\u00e9rateur faisant de la glace, j\u2019ai soumis l\u2019hypoth\u00e8se que nous pourrions sans doute en trouver un d\u2019occasion, pour une somme modique, sur Leboncoin. Ce que S. fit sans attendre, il y a de cela quelques jours. Et, effectivement, nous en trouv\u00e2mes un qui, selon les photographies, paraissait \u00eatre en excellent \u00e9tat et surtout \u00e0 un tr\u00e8s bon prix : 25 euros. S. n\u00e9gocia — parce qu\u2019il faut toujours n\u00e9gocier — le r\u00e9frig\u00e9rateur \u00e0 20 euros, et nous e\u00fbmes peur que le vendeur refuse notre offre. Effectivement, je m\u2019en ouvris \u00e0 S. : « Tout de m\u00eame, 25 euros, ce n\u2019\u00e9tait vraiment pas cher ; ce genre de frigo neuf va chercher dans les quatre ou cinq cents euros. » C\u2019est le genre de petit r\u00e9frig\u00e9rateur que l\u2019on peut placer sous un meuble de cuisine : pas tout \u00e0 fait l\u2019encastrable, d\u00e9cid\u00e9ment trop petit, mais celui d\u2019une hauteur de 80 cm et d\u2019une largeur de 60, pour \u00eatre tout \u00e0 fait pr\u00e9cis. Car le r\u00e9el passe avant tout par la pr\u00e9cision — tout comme les r\u00e9cits \u00e9tranges qui se tiennent —, c\u2019est la r\u00e9flexion que je me fais tout en \u00e9crivant cette anecdote. Encore que l\u2019anecdote ne soit pas v\u00e9ritablement utile, et que, lorsque je relirai ce passage, il est tout \u00e0 fait probable que je le sucre, car trop bavard.\nDonc, pour \u00e9courter, nous part\u00eemes vers Romans, et plus pr\u00e9cis\u00e9ment Chatuzange-le-Goubet, et encore plus pr\u00e9cis\u00e9ment le rond-point de Pizan\u00e7on, o\u00f9 le vendeur devait nous attendre \u00e0 16 h 30 ce jour-l\u00e0. Et, bien s\u00fbr, nous rat\u00e2mes le rond-point — ou plut\u00f4t, nous v\u00eemes que c\u2019\u00e9tait le bon, mais, n\u2019en \u00e9tant pas cent pour cent certains, nous continu\u00e2mes — et nous nous enquill\u00e2mes sur l\u2019autoroute A49, ce qui, personnellement, me fit sortir de mes gonds : nous allions arriver \u00e0 un p\u00e9age, et je n\u2019avais pas pr\u00e9vu de passer par un p\u00e9age, encore moins par une quelconque autoroute. Fort heureusement, nous p\u00fbmes emprunter la derni\u00e8re sortie gratuite qui, par chance, nous ramena \u00e0 Romans, apr\u00e8s quoi nous cherch\u00e2mes \u00e0 nouveau le fameux rond-point. Je crois qu\u2019\u00e0 ce moment de notre p\u00e9riple j\u2019aurais volontiers renonc\u00e9 au frigo \u00e0 20 balles, j\u2019aurais rebrouss\u00e9 chemin, mais S., non. S. est extr\u00eamement patiente et tenace ; aussi ronchonnais-je tandis qu\u2019elle r\u00e9effectuait une recherche GPS tout en appelant par t\u00e9l\u00e9phone le vendeur. Enfin, pour faire bref, il fut convenu que nous ne pouvions plus manquer le rond-point et que nous nous retrouverions devant le magasin « U comme utile », dont j\u2019appris par la suite qu\u2019il n\u2019avait absolument rien \u00e0 voir avec la cha\u00eene des magasins U. J\u2019esp\u00e9rais seulement, \u00e0 cet instant, que nous serions — le vendeur et nous — d\u2019accord sur ledit magasin, et, enfin, je me garai. L\u2019\u00e9change se fit : le frigo avait l\u2019air neuf, on donna les 20 euros et nous repart\u00eemes, tandis que la nuit tombait. Et, tout en conduisant, je me disais qu\u2019il y avait deux fa\u00e7ons de prendre cette p\u00e9rip\u00e9tie : la bonne et la mauvaise. Puis je dus mettre la radio ; je baissai le son pour ne pas pr\u00eater attention \u00e0 la conversation. S. et moi avions tous deux quelque chose de gros sur le c\u0153ur, mais nous ne d\u00e9sirions pas en parler.<\/p>", "content_text": " Un tel m\u00e9pris ne peut \u00eatre provoqu\u00e9 que par une telle d\u00e9tresse, me disais-je, tout en me grattant le nez du bout de l\u2019ongle en \u00e9coutant le propos. Ce propos m\u2019avait un tantinet surpris \u2014 mais pas tant que \u00e7a \u2014, et je me faisais la r\u00e9flexion (si l\u2019on peut nommer cela r\u00e9flexion : ce manque de curiosit\u00e9 envers ce \u00ab pas tant que \u00e7a \u00bb). Encore que \u00ab dire \u00bb n\u2019est sans doute pas le verbe exact, car, \u00e0 cet instant, pour me rapprocher de ce que j\u2019imagine \u00eatre la justesse, ne devrais-je pas plut\u00f4t employer le verbe \u00ab raconter \u00bb, ce qui donnerait : \u00ab Un tel m\u00e9pris ne pouvait \u00eatre provoqu\u00e9 que par une d\u00e9tresse semblable \u00bb, me racontais-je \u2014 ou \u00e9tais-je en train de me raconter tout en me grattant le nez du bout de (etc.) \u2014 ; \u00e0 moins que je ne joue sur la concordance des temps : \u00ab ne put \u00eatre racont\u00e9 \u00bb, ce qui occasionne tout de m\u00eame une liaison f\u00e2cheuse. Et me voil\u00e0, jouasse de jouer, \u00e0 l\u2019insu de celui que j\u2019\u00e9coutais d\u2019une oreille distraite \u2014 le gros de l\u2019attention mobilis\u00e9e par l\u2019extraction de vieilles crottes de nez, et d\u00e9couvrant non sans stup\u00e9faction qu\u2019elles \u00e9taient l\u00e9g\u00e8rement sanglantes \u2014, \u00e0 \u00e9teindre le biniou tout en d\u00e9viant l\u2019interrogation, petit \u00e0 petit, vers l\u2019hypoth\u00e8se d\u2019une fin imminente de ma vie (ici, je pourrais ajouter \u00ab insignifiante \u00bb si je n\u2019avais peur que trop de sons en -ante ne fissent de m\u00e9zigue une sorte de spectre pr\u00e9tentieux, un fat ; ce dont, si je remonte le cours de cette m\u00eame existence comme il se doit \u00e0 l\u2019approche de l\u2019id\u00e9e de la fin, de fa\u00e7on rapide autant qu\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s exhaustive, m\u2019indiquerait, derri\u00e8re cette peur affreuse, un d\u00e9sir non moins affreux de pr\u00e9tendre \u00e0 la pire des vanit\u00e9s, \u00e0 la plus aboutie des fatuit\u00e9s). La fa\u00e7on de relire \u00e0 voix haute certains passages \u2014 s\u2019en rendait-il compte, vraiment ? \u2014 le rendait, lui, plus ridicule que l\u2019ouvrage en question. M\u00eame si j\u2019\u00e9tais absolument d\u2019accord avec le fond de son propos, la forme me d\u00e9plaisait profond\u00e9ment. Elle me d\u00e9plaisait, cette forme, en raison de la d\u00e9formation de son visage au moment o\u00f9 il empruntait, plastiquement si je puis dire, la mimique habituelle du m\u00e9pris. Notamment la d\u00e9formation de la l\u00e8vre inf\u00e9rieure en accent circonflexe, qui d\u00e9masqua, \u00e0 ce moment-l\u00e0, plusieurs dents manquantes et d\u2019autres fort ab\u00eem\u00e9es, ce qui mettait au grand jour quelque chose de vraiment pitoyable, contre quoi je me rebiffai derechef, ne d\u00e9sirant pas \u00e9changer mon admiration \u00e0 l\u2019agonie contre de la piti\u00e9, \u00e0 mon sens trop proche d\u2019une forme d\u00e9testable de condescendance envers celui qui parlait \u2014 si toutefois l\u2019accumulation des d\u00e9tails que j\u2019avais surprise, je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit, presque dans une totale inattention en raison d\u2019un nez quasi bouch\u00e9, n\u2019\u00e9tait pas elle-m\u00eame d\u2019une telle iniquit\u00e9. Encore qu\u2019\u00e0 cet instant je m\u2019en fisse la r\u00e9flexion : je ne le regardasse pas, vu que j\u2019\u00e9tais absorb\u00e9 par mon curage de narine ; ce qui me fit songer que j\u2019avais peut-\u00eatre atteint cette sorte d\u2019attention flottante dont parlent les ma\u00eetres zen, mais \u00e0 laquelle, \u00e0 mon avis, pourraient tout autant se r\u00e9f\u00e9rer les chats, et probablement aussi tous les oiseaux. Puis je passai soudain \u00e0 tout autre chose. Mais quoi ? Au moment o\u00f9 j\u2019essaie de relater les faits de cette journ\u00e9e, je d\u00e9couvre plusieurs absences. Ou plut\u00f4t : la seule pr\u00e9sence r\u00e9ellement \u00e9prouv\u00e9e de la journ\u00e9e fut cet instant o\u00f9, ayant d\u00e9cid\u00e9 tout \u00e0 la fois d\u2019\u00e9couter cette critique litt\u00e9raire et de fourrer un doigt dans mon nez, j\u2019\u00e9tais parvenu, de mani\u00e8re flottante \u2014 je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit \u2014, \u00e0 m\u2019apercevoir d\u2019un semblant d\u2019existence au monde. Semblant d\u2019existence qui fut presque aussit\u00f4t d\u00e9samorc\u00e9 par l\u2019ironie et, sans doute, par une profonde tristesse \u2014 une insupportable tristesse qui, chaque fois que je la d\u00e9tecte, me fait me r\u00e9fugier dans l\u2019ironie ; ironie que je d\u00e9teste tout autant que cette tristesse, d\u2019ailleurs, mais qui para\u00eet plus convenable aux mol\u00e9cules qui me composent pour s\u2019agiter que l\u2019immobilisme de l\u2019ennui associ\u00e9 \u00e0 cette tristesse. Mais je suis trop dur avec moi-m\u00eame, et, tout en me faisant cette r\u00e9flexion, je parviens \u00e0 retrouver un autre \u00e9pisode de cette journ\u00e9e \u00e9trange. Car ce n\u2019est pas parce qu\u2019une journ\u00e9e se pr\u00e9sente vide qu\u2019elle n\u2019est pas \u00e9trange, n\u2019est-ce pas ? Elle serait pleine, je parviendrais tout autant \u00e0 la taxer d\u2019\u00e9trange, sans le moindre remords. Il faut que je le dise pour m\u2019en convaincre, certainement. Il faut donc absolument qu\u2019elle le devienne, au moment o\u00f9 j\u2019essaie de r\u00e9capituler celle-ci, car il me semble que, si je ne parviens pas \u00e0 ce constat, je ne parviendrai pas \u00e0 r\u00e9cup\u00e9rer je ne sais quelle \u00e9nergie, bloqu\u00e9e quelque part dans le cours de celle-ci, et \u00e0 l\u2019\u00e9crire de mani\u00e8re fluide, en bon fran\u00e7ais, comme il se doit. Notre r\u00e9frig\u00e9rateur faisant de la glace, j\u2019ai soumis l\u2019hypoth\u00e8se que nous pourrions sans doute en trouver un d\u2019occasion, pour une somme modique, sur Leboncoin. Ce que S. fit sans attendre, il y a de cela quelques jours. Et, effectivement, nous en trouv\u00e2mes un qui, selon les photographies, paraissait \u00eatre en excellent \u00e9tat et surtout \u00e0 un tr\u00e8s bon prix : 25 euros. S. n\u00e9gocia \u2014 parce qu\u2019il faut toujours n\u00e9gocier \u2014 le r\u00e9frig\u00e9rateur \u00e0 20 euros, et nous e\u00fbmes peur que le vendeur refuse notre offre. Effectivement, je m\u2019en ouvris \u00e0 S. : \u00ab Tout de m\u00eame, 25 euros, ce n\u2019\u00e9tait vraiment pas cher ; ce genre de frigo neuf va chercher dans les quatre ou cinq cents euros. \u00bb C\u2019est le genre de petit r\u00e9frig\u00e9rateur que l\u2019on peut placer sous un meuble de cuisine : pas tout \u00e0 fait l\u2019encastrable, d\u00e9cid\u00e9ment trop petit, mais celui d\u2019une hauteur de 80 cm et d\u2019une largeur de 60, pour \u00eatre tout \u00e0 fait pr\u00e9cis. Car le r\u00e9el passe avant tout par la pr\u00e9cision \u2014 tout comme les r\u00e9cits \u00e9tranges qui se tiennent \u2014, c\u2019est la r\u00e9flexion que je me fais tout en \u00e9crivant cette anecdote. Encore que l\u2019anecdote ne soit pas v\u00e9ritablement utile, et que, lorsque je relirai ce passage, il est tout \u00e0 fait probable que je le sucre, car trop bavard. Donc, pour \u00e9courter, nous part\u00eemes vers Romans, et plus pr\u00e9cis\u00e9ment Chatuzange-le-Goubet, et encore plus pr\u00e9cis\u00e9ment le rond-point de Pizan\u00e7on, o\u00f9 le vendeur devait nous attendre \u00e0 16 h 30 ce jour-l\u00e0. Et, bien s\u00fbr, nous rat\u00e2mes le rond-point \u2014 ou plut\u00f4t, nous v\u00eemes que c\u2019\u00e9tait le bon, mais, n\u2019en \u00e9tant pas cent pour cent certains, nous continu\u00e2mes \u2014 et nous nous enquill\u00e2mes sur l\u2019autoroute A49, ce qui, personnellement, me fit sortir de mes gonds : nous allions arriver \u00e0 un p\u00e9age, et je n\u2019avais pas pr\u00e9vu de passer par un p\u00e9age, encore moins par une quelconque autoroute. Fort heureusement, nous p\u00fbmes emprunter la derni\u00e8re sortie gratuite qui, par chance, nous ramena \u00e0 Romans, apr\u00e8s quoi nous cherch\u00e2mes \u00e0 nouveau le fameux rond-point. Je crois qu\u2019\u00e0 ce moment de notre p\u00e9riple j\u2019aurais volontiers renonc\u00e9 au frigo \u00e0 20 balles, j\u2019aurais rebrouss\u00e9 chemin, mais S., non. S. est extr\u00eamement patiente et tenace ; aussi ronchonnais-je tandis qu\u2019elle r\u00e9effectuait une recherche GPS tout en appelant par t\u00e9l\u00e9phone le vendeur. Enfin, pour faire bref, il fut convenu que nous ne pouvions plus manquer le rond-point et que nous nous retrouverions devant le magasin \u00ab U comme utile \u00bb, dont j\u2019appris par la suite qu\u2019il n\u2019avait absolument rien \u00e0 voir avec la cha\u00eene des magasins U. J\u2019esp\u00e9rais seulement, \u00e0 cet instant, que nous serions \u2014 le vendeur et nous \u2014 d\u2019accord sur ledit magasin, et, enfin, je me garai. L\u2019\u00e9change se fit : le frigo avait l\u2019air neuf, on donna les 20 euros et nous repart\u00eemes, tandis que la nuit tombait. Et, tout en conduisant, je me disais qu\u2019il y avait deux fa\u00e7ons de prendre cette p\u00e9rip\u00e9tie : la bonne et la mauvaise. Puis je dus mettre la radio ; je baissai le son pour ne pas pr\u00eater attention \u00e0 la conversation. S. et moi avions tous deux quelque chose de gros sur le c\u0153ur, mais nous ne d\u00e9sirions pas en parler. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pizancon.jpg?1762813682", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-novembre-2025.html", "title": "10 novembre 2025", "date_published": "2025-11-10T07:13:48Z", "date_modified": "2025-11-10T07:13:48Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
La maison avait une fa\u00e7ade claire avec des volets toujours un peu ferm\u00e9s, une raideur tranquille qui convenait \u00e0 la rue. On passait devant sans la remarquer, sauf les jours de march\u00e9, quand les marchandes accrochaient du linge au bord des camionnettes et que l\u2019odeur de caf\u00e9 br\u00fbl\u00e9 venait de chez Duval, au coin. Dans l\u2019entr\u00e9e, il y avait un tapis \u00e9lim\u00e9, un portemanteau de noyer et, pos\u00e9e sur une console, une bo\u00eete rectangulaire, laqu\u00e9e, qu\u2019on n\u2019ouvrait pas. C\u2019\u00e9tait Marthe qui faisait visiter, un fichu sombre sur les \u00e9paules, un trousseau de cl\u00e9s accroch\u00e9 \u00e0 sa taille. Elle disait que les chambres \u00e9taient modestes mais propres, que la cuisine donnait sur la cour, qu\u2019on entendait \u00e0 peine les cloches de Saint-Bernard, et qu\u2019il y avait une seule habitude de la maison : —Ici, d\u00e8s que tu arrives tu \u00e9cris un nom sur un bout de papier, \u00e7a peut-\u00eatre un sobriquet, un alias, un petit nom de l’enfance, un pseudonyme d’\u00e9crivan, un nom d’emprunt. Tu le mets dans cette boite et on ne t’emb\u00eate plus avec \u00e7a.\nElle disait \u00e7a simplement, sans myst\u00e8re, comme on explique qu\u2019on enl\u00e8ve ses chaussures dans un vestibule. Les locataires hochaient la t\u00eate. Ils arrivaient de partout, avec des valises souples et de petites carri\u00e8res cass\u00e9es. Un gar\u00e7on timide qui se faisait appeler Polo \u00e0 l\u2019atelier, une secr\u00e9taire qui avait sign\u00e9 des po\u00e8mes sous le nom d\u2019H\u00e9lo\u00efse, un serveur qui avait \u00e9t\u00e9 « Nico » pendant deux \u00e9t\u00e9s sur la c\u00f4te.\nIls prenaient une feuille, \u00e9crivaient le nom \u00e0 se d\u00e9faire, pliaient le papier en quatre. Marthe ouvrait la bo\u00eete avec une cl\u00e9 fine, posait le feuillet \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur avec les autres. Elle disait : « Tant que vous dormez ici, la maison vous garde. Pas de cauchemars. Pas de portes forc\u00e9es. Les voleurs ne passent pas le seuil. Vous verrez. » Et, de fait, on dormait bien. Le bruit de la rue s\u2019arr\u00eatait \u00e0 la marquise, il y avait comme une ti\u00e9deur dans les couloirs. Les portes fermaient juste comme il faut, les robinets coulaient sans goutter, les soirs d\u2019orage le toit tenait bon. Les habitants prenaient l\u2019habitude de se croiser dans la cuisine, de se rendre de petits services, de ne pas poser de questions.\n\u00c0 la Toussaint, apr\u00e8s la soupe, Marthe essuyait ses mains, prenait la cl\u00e9 et disait d\u2019une voix neutre : « C\u2019est l\u2019heure. » On la suivait dans l\u2019entr\u00e9e. Elle ouvrait la bo\u00eete, et il se passait quelque chose de l\u00e9ger, presque rien, une sorte de changement d’athmosph\u00e8re. Et, dans les pi\u00e8ces, on reconnaissait des airs. La cuisine se donnait des mani\u00e8res de m\u00e8re. Le torchon s\u2019installait qu\u2019on e\u00fbt dit deux mains, la bouilloire lan\u00e7ait un petit sifflement rassurant. Le couloir prenait l\u2019odeur d\u2019un vestiaire, on l\u2019aurait appel\u00e9 Caporal sans m\u00eame conna\u00eetre l\u2019histoire. Une chambre de l\u2019\u00e9tage avait quelque chose d\u2019\u00e9gar\u00e9, la fen\u00eatre restait ouverte un peu plus tard, comme si quelqu\u2019un cherchait un signal au loin : Perdue, on disait en souriant. \nOn ne se plaignait pas. C\u2019\u00e9tait m\u00eame agr\u00e9able, entre chien et loup, de sentir que les lieux avaient des allures, des caract\u00e8res, et que ces allures vous tenaient au chaud. Les noms d\u00e9pos\u00e9s ne servaient plus \u00e0 personne, on avait bien le droit de les laisser courir dans les murs. \nL\u2019hiver o\u00f9 elle est arriv\u00e9e, la nouvelle, la pluie avait commenc\u00e9 t\u00f4t. Elle avait un manteau trop fin, des mains rouges, un carton \u00e0 dessins sous le bras. Elle s\u2019appelait, d\u2019apr\u00e8s les papiers, \u00c9l\u00e9onore Prat. C\u2019\u00e9tait ce qui figurait sur la carte qu\u2019elle tendit \u00e0 Marthe en tremblant un peu. Marthe lui fit visiter et, avant de lui remettre la cl\u00e9 de sa chambre, elle r\u00e9p\u00e9ta l\u2019habitude de la maison. La nouvelle resta un moment \u00e0 regarder la bo\u00eete. On aurait dit qu\u2019elle n\u2019avait pas ce genre de nom-l\u00e0 en trop, pas de surnom d\u2019\u00e9cole qui colle, pas de pseudo de r\u00e9seau, rien qu\u2019un nom r\u00e9gulier, celui qu\u2019on vous donne au guichet, sur les relev\u00e9s, au travail. Marthe, pour l\u2019aider, dit qu\u2019on pouvait se s\u00e9parer de n\u2019importe quel sobriquet tant qu\u2019on ne l\u2019utilisait plus. La nouvelle hocha la t\u00eate. Elle s\u2019assit \u00e0 la console, prit le stylo, \u00e9crivit sans lever la main, d\u2019un geste rapide, son nom en entier, tel qu\u2019il apparaissait sur la carte. Elle plia le papier en quatre, comme on l\u2019avait dit. Marthe, qui ne lisait jamais, glissa le feuillet avec les autres. On entendit la pluie sur la cour, la bouilloire qui commen\u00e7ait \u00e0 chanter. Le soir m\u00eame, \u00c9l\u00e9onore s\u2019installa dans la petite chambre sur rue, la seule qui n\u2019avait jamais pris d\u2019allure \u00e0 la Toussaint, ni Maman ni Caporal ni Perdue. Elle sortit deux tee-shirts, un pantalon, une trousse avec trois crayons, posa le carton \u00e0 dessins sous le lit. Elle s\u2019endormit vite, ventre creux, les mains glac\u00e9es. Le lendemain, la maison ne la reconnut plus. <\/p>\n
\nSi je n’apparais plus sur les r\u00e9seaux, si je ne publie rien, ne partage rien, est-ce que quelque chose se d\u00e9sagr\u00e8ge sans que je n’en soies conscient. Quelle part de lui se d\u00e9sagr\u00e8ge vraiment se demande t’il, sinon celle-fictive qu’il avait construite patiemment durant des ann\u00e9es.<\/p>\n
Irait-il jusqu’\u00e0 oublier son propre nom, celui tout autant fictif de l’\u00e9tat-civil.<\/p>\n
\nEst-ce que te nommes toi-m\u00eame quand tu es seul dans le noir. Est-ce que tu utilise ce pr\u00e9nom, celui dont on t’affuble, que tu n’as pas choisi.\n--Tu as toujours des id\u00e9es \u00e0 la con mon pauvre vieux. Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire de nom, de pr\u00e9nom que tu pourrais choisir.<\/p>\n
--Autrefois j’aurais voulu que l’on m’appelle Philippe.\n--Tu n’as qu’\u00e0 dire que tu t’appelles Philippe qu’est-ce que \u00e7a peut bien faire. <\/p>\n
--Mais tous les gens que je connais diront que ce n’est pas mon vrai nom.\n--histoire de borgne au royaume des aveugles.<\/p>\n
--c’est quoi l’identit\u00e9, \u00e0 quoi \u00e7a tient, \u00e0 quel mensonge... \n--Tu penses qu’innombable tu seras plus dans le vrai ?<\/p>\n
\nL’obsession de s’enfuir le r\u00e9veille la nuit, il pense que ses r\u00eaves sont des prisons.<\/p>\n
\n--Celui-l\u00e0 si on ne l’enferme pas, il d\u00e9borde de la casserole, du lait qui bout.<\/p>\n
\n---Laissez-moi, allez-vous en, partez, disparaissez, laissez-moi tranquille\n
\n--Une fois j’ai dit : je vous tuerai tous. Je ne veux plus voir personne. Puis je suis mont\u00e9 \u00e0 la salle-de-bains, dans la glace aucun reflet, j’avais disparu enfn, c’\u00e9tait bien.<\/p>\n
D’autres m’ont parl\u00e9 de tout ce que j’allais rater de me conduire ainsi. J’ai senti cette peur qu’ils avaient tous de rater quelque chose, j’ai not\u00e9 \u00e7a dans un coin de ma t\u00eate, c’\u00e9tait une bonne arme, \u00e7a pourrait servir.<\/p>\n
\nCette femme assise a dispos\u00e9 les cartes d’une certaine mani\u00e8re devant elle, c’\u00e9tait une torah mais tout le monde a dit non on ne dit pas comme \u00e7a on dit tarot, et l\u00e0 encore tu as vu quelque chose dispara\u00eetre dans un recoin de la pi\u00e8ce. Ils ont m\u00eame allum\u00e9 la lumi\u00e8re pour que tu sois bien sur que l’ombre avait disparue. Tu ne les as pas crus. Tu ne leur as pas dit. <\/p>\n
Tu as refabriqu\u00e9 une ombre en urgence.<\/p>", "content_text": " La maison avait une fa\u00e7ade claire avec des volets toujours un peu ferm\u00e9s, une raideur tranquille qui convenait \u00e0 la rue. On passait devant sans la remarquer, sauf les jours de march\u00e9, quand les marchandes accrochaient du linge au bord des camionnettes et que l\u2019odeur de caf\u00e9 br\u00fbl\u00e9 venait de chez Duval, au coin. Dans l\u2019entr\u00e9e, il y avait un tapis \u00e9lim\u00e9, un portemanteau de noyer et, pos\u00e9e sur une console, une bo\u00eete rectangulaire, laqu\u00e9e, qu\u2019on n\u2019ouvrait pas. C\u2019\u00e9tait Marthe qui faisait visiter, un fichu sombre sur les \u00e9paules, un trousseau de cl\u00e9s accroch\u00e9 \u00e0 sa taille. Elle disait que les chambres \u00e9taient modestes mais propres, que la cuisine donnait sur la cour, qu\u2019on entendait \u00e0 peine les cloches de Saint-Bernard, et qu\u2019il y avait une seule habitude de la maison: \u2014Ici, d\u00e8s que tu arrives tu \u00e9cris un nom sur un bout de papier, \u00e7a peut-\u00eatre un sobriquet, un alias, un petit nom de l'enfance, un pseudonyme d'\u00e9crivan, un nom d'emprunt. Tu le mets dans cette boite et on ne t'emb\u00eate plus avec \u00e7a. Elle disait \u00e7a simplement, sans myst\u00e8re, comme on explique qu\u2019on enl\u00e8ve ses chaussures dans un vestibule. Les locataires hochaient la t\u00eate. Ils arrivaient de partout, avec des valises souples et de petites carri\u00e8res cass\u00e9es. Un gar\u00e7on timide qui se faisait appeler Polo \u00e0 l\u2019atelier, une secr\u00e9taire qui avait sign\u00e9 des po\u00e8mes sous le nom d\u2019H\u00e9lo\u00efse, un serveur qui avait \u00e9t\u00e9 \u00ab Nico \u00bb pendant deux \u00e9t\u00e9s sur la c\u00f4te. Ils prenaient une feuille, \u00e9crivaient le nom \u00e0 se d\u00e9faire, pliaient le papier en quatre. Marthe ouvrait la bo\u00eete avec une cl\u00e9 fine, posait le feuillet \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur avec les autres. Elle disait : \u00ab Tant que vous dormez ici, la maison vous garde. Pas de cauchemars. Pas de portes forc\u00e9es. Les voleurs ne passent pas le seuil. Vous verrez. \u00bb Et, de fait, on dormait bien. Le bruit de la rue s\u2019arr\u00eatait \u00e0 la marquise, il y avait comme une ti\u00e9deur dans les couloirs. Les portes fermaient juste comme il faut, les robinets coulaient sans goutter, les soirs d\u2019orage le toit tenait bon. Les habitants prenaient l\u2019habitude de se croiser dans la cuisine, de se rendre de petits services, de ne pas poser de questions. \u00c0 la Toussaint, apr\u00e8s la soupe, Marthe essuyait ses mains, prenait la cl\u00e9 et disait d\u2019une voix neutre : \u00ab C\u2019est l\u2019heure. \u00bb On la suivait dans l\u2019entr\u00e9e. Elle ouvrait la bo\u00eete, et il se passait quelque chose de l\u00e9ger, presque rien, une sorte de changement d'athmosph\u00e8re. Et, dans les pi\u00e8ces, on reconnaissait des airs. La cuisine se donnait des mani\u00e8res de m\u00e8re. Le torchon s\u2019installait qu\u2019on e\u00fbt dit deux mains, la bouilloire lan\u00e7ait un petit sifflement rassurant. Le couloir prenait l\u2019odeur d\u2019un vestiaire, on l\u2019aurait appel\u00e9 Caporal sans m\u00eame conna\u00eetre l\u2019histoire. Une chambre de l\u2019\u00e9tage avait quelque chose d\u2019\u00e9gar\u00e9, la fen\u00eatre restait ouverte un peu plus tard, comme si quelqu\u2019un cherchait un signal au loin : Perdue, on disait en souriant. On ne se plaignait pas. C\u2019\u00e9tait m\u00eame agr\u00e9able, entre chien et loup, de sentir que les lieux avaient des allures, des caract\u00e8res, et que ces allures vous tenaient au chaud. Les noms d\u00e9pos\u00e9s ne servaient plus \u00e0 personne, on avait bien le droit de les laisser courir dans les murs. L\u2019hiver o\u00f9 elle est arriv\u00e9e, la nouvelle, la pluie avait commenc\u00e9 t\u00f4t. Elle avait un manteau trop fin, des mains rouges, un carton \u00e0 dessins sous le bras. Elle s\u2019appelait, d\u2019apr\u00e8s les papiers, \u00c9l\u00e9onore Prat. C\u2019\u00e9tait ce qui figurait sur la carte qu\u2019elle tendit \u00e0 Marthe en tremblant un peu. Marthe lui fit visiter et, avant de lui remettre la cl\u00e9 de sa chambre, elle r\u00e9p\u00e9ta l\u2019habitude de la maison. La nouvelle resta un moment \u00e0 regarder la bo\u00eete. On aurait dit qu\u2019elle n\u2019avait pas ce genre de nom-l\u00e0 en trop, pas de surnom d\u2019\u00e9cole qui colle, pas de pseudo de r\u00e9seau, rien qu\u2019un nom r\u00e9gulier, celui qu\u2019on vous donne au guichet, sur les relev\u00e9s, au travail. Marthe, pour l\u2019aider, dit qu\u2019on pouvait se s\u00e9parer de n\u2019importe quel sobriquet tant qu\u2019on ne l\u2019utilisait plus. La nouvelle hocha la t\u00eate. Elle s\u2019assit \u00e0 la console, prit le stylo, \u00e9crivit sans lever la main, d\u2019un geste rapide, son nom en entier, tel qu\u2019il apparaissait sur la carte. Elle plia le papier en quatre, comme on l\u2019avait dit. Marthe, qui ne lisait jamais, glissa le feuillet avec les autres. On entendit la pluie sur la cour, la bouilloire qui commen\u00e7ait \u00e0 chanter. Le soir m\u00eame, \u00c9l\u00e9onore s\u2019installa dans la petite chambre sur rue, la seule qui n\u2019avait jamais pris d\u2019allure \u00e0 la Toussaint, ni Maman ni Caporal ni Perdue. Elle sortit deux tee-shirts, un pantalon, une trousse avec trois crayons, posa le carton \u00e0 dessins sous le lit. Elle s\u2019endormit vite, ventre creux, les mains glac\u00e9es. Le lendemain, la maison ne la reconnut plus. Si je n'apparais plus sur les r\u00e9seaux, si je ne publie rien, ne partage rien, est-ce que quelque chose se d\u00e9sagr\u00e8ge sans que je n'en soies conscient. Quelle part de lui se d\u00e9sagr\u00e8ge vraiment se demande t'il, sinon celle-fictive qu'il avait construite patiemment durant des ann\u00e9es. Irait-il jusqu'\u00e0 oublier son propre nom, celui tout autant fictif de l'\u00e9tat-civil. Est-ce que te nommes toi-m\u00eame quand tu es seul dans le noir. Est-ce que tu utilise ce pr\u00e9nom, celui dont on t'affuble, que tu n'as pas choisi. \u2014Tu as toujours des id\u00e9es \u00e0 la con mon pauvre vieux. Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire de nom, de pr\u00e9nom que tu pourrais choisir. \u2014Autrefois j'aurais voulu que l'on m'appelle Philippe. \u2014Tu n'as qu'\u00e0 dire que tu t'appelles Philippe qu'est-ce que \u00e7a peut bien faire. \u2014Mais tous les gens que je connais diront que ce n'est pas mon vrai nom. \u2014histoire de borgne au royaume des aveugles. \u2014c'est quoi l'identit\u00e9, \u00e0 quoi \u00e7a tient, \u00e0 quel mensonge... \u2014Tu penses qu'innombable tu seras plus dans le vrai ? L'obsession de s'enfuir le r\u00e9veille la nuit, il pense que ses r\u00eaves sont des prisons. \u2014Celui-l\u00e0 si on ne l'enferme pas, il d\u00e9borde de la casserole, du lait qui bout. -\u2014Laissez-moi, allez-vous en, partez, disparaissez, laissez-moi tranquille \u2014Une fois j'ai dit : je vous tuerai tous. Je ne veux plus voir personne. Puis je suis mont\u00e9 \u00e0 la salle-de-bains, dans la glace aucun reflet, j'avais disparu enfn, c'\u00e9tait bien. D'autres m'ont parl\u00e9 de tout ce que j'allais rater de me conduire ainsi. J'ai senti cette peur qu'ils avaient tous de rater quelque chose, j'ai not\u00e9 \u00e7a dans un coin de ma t\u00eate, c'\u00e9tait une bonne arme, \u00e7a pourrait servir. Cette femme assise a dispos\u00e9 les cartes d'une certaine mani\u00e8re devant elle, c'\u00e9tait une torah mais tout le monde a dit non on ne dit pas comme \u00e7a on dit tarot, et l\u00e0 encore tu as vu quelque chose dispara\u00eetre dans un recoin de la pi\u00e8ce. Ils ont m\u00eame allum\u00e9 la lumi\u00e8re pour que tu sois bien sur que l'ombre avait disparue. Tu ne les as pas crus. Tu ne leur as pas dit. Tu as refabriqu\u00e9 une ombre en urgence. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20181124_213716.jpg?1762758516", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "carnet de fiction", "dispositif", "dialogues"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/il-y-a-une-obstination-a-affronter-la-machine-comme-chez-l-alcoolique-celle.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/il-y-a-une-obstination-a-affronter-la-machine-comme-chez-l-alcoolique-celle.html", "title": "obstination", "date_published": "2025-11-09T07:05:56Z", "date_modified": "2025-11-09T07:06:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Il y a une obstination \u00e0 affronter la machine comme chez l’alcoolique celle d’affronter l’alcool. Il peut s’acharner des nuits enti\u00e8res sur un simple probl\u00e8me de code. Bien sur, \u00e7a ne se passe pas en douceur. Il insulte la machine, il s’insulte aussi lui-m\u00eame. Il lui arrive d’insulter le monde entier. Le v\u00e9ritable probl\u00e8me n’est pas dans le code.<\/p>\n
-- Je ne suis pas certain que vous puissiez bien le comprendre. Ni dans la machine, ni m\u00eame en lui-m\u00eame. Le probl\u00e8me se situe ailleurs<\/em>. Donne une d\u00e9finition pr\u00e9cise d’ailleurs demande t’il. <\/p>\n
\nL\u2019ailleurs, c\u2019est tout ce qui n\u2019est pas « ici ». \u00c7a peut \u00eatre un lieu (un autre pays), un temps (un autre moment de ta vie) ou un \u00e9tat int\u00e9rieur (ce qui t\u2019\u00e9chappe encore). En bref : l\u2019horizon qui attire ou inqui\u00e8te parce qu\u2019il ouvre une possibilit\u00e9 hors du connu.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Tu devrais bannir le mot ailleurs de ton vocabulaire me suis-je dit tandis que je le regardais continuer \u00e0 s’acharner pour rien<\/em>.<\/p>\n
Jour de grisaille. Messieurs des renseignements g\u00e9n\u00e9raux, de la CiA, du SVR, mettez donc un cache-col, un chapeau, munissez vous d’un p\u00e9pin. N\u00e9anmoins la m\u00e9t\u00e9o annonce qu’il ne fera pas froid.<\/p>\n
\nJ’ai vu un chat manger de la banane je ne sais plus si c’est au fond de mon sommeil ou bien dans un spot publicitaire.<\/p>\n<\/blockquote>\n
Tu tiens. Le tout est de tenir jusqu’au bout. <\/p>\n
-- le fameux bout du bouh. Et ensuite sors ton mouchoir \u00e0 carreaux, fais donc un noeud.<\/p>\n
Encore une dent branlante pour contrarier l’in\u00e9branlable.<\/p>\n
tout \u00e7a n’a ni queue ni t\u00eate, te voici transform\u00e9 en bille d’argile, tu vas pouvoir retenir l’eau quelle chance. <\/p>", "content_text": " Il y a une obstination \u00e0 affronter la machine comme chez l'alcoolique celle d'affronter l'alcool. Il peut s'acharner des nuits enti\u00e8res sur un simple probl\u00e8me de code. Bien sur, \u00e7a ne se passe pas en douceur. Il insulte la machine, il s'insulte aussi lui-m\u00eame. Il lui arrive d'insulter le monde entier. Le v\u00e9ritable probl\u00e8me n'est pas dans le code. \u2014 Je ne suis pas certain que vous puissiez bien le comprendre. Ni dans la machine, ni m\u00eame en lui-m\u00eame. Le probl\u00e8me se situe *ailleurs*. Donne une d\u00e9finition pr\u00e9cise d'ailleurs demande t'il. >L\u2019ailleurs, c\u2019est tout ce qui n\u2019est pas \u00ab ici \u00bb. \u00c7a peut \u00eatre un lieu (un autre pays), un temps (un autre moment de ta vie) ou un \u00e9tat int\u00e9rieur (ce qui t\u2019\u00e9chappe encore). En bref : l\u2019horizon qui attire ou inqui\u00e8te parce qu\u2019il ouvre une possibilit\u00e9 hors du connu. Tu devrais bannir le mot ailleurs de ton vocabulaire me suis-je dit tandis que je le regardais continuer \u00e0 s'acharner *pour rien*. Jour de grisaille. Messieurs des renseignements g\u00e9n\u00e9raux, de la CiA, du SVR, mettez donc un cache-col, un chapeau, munissez vous d'un p\u00e9pin. N\u00e9anmoins la m\u00e9t\u00e9o annonce qu'il ne fera pas froid. >J'ai vu un chat manger de la banane je ne sais plus si c'est au fond de mon sommeil ou bien dans un spot publicitaire. Tu tiens. Le tout est de tenir jusqu'au bout. \u2014 le fameux bout du bouh. Et ensuite sors ton mouchoir \u00e0 carreaux, fais donc un noeud. Encore une dent branlante pour contrarier l'in\u00e9branlable. tout \u00e7a n'a ni queue ni t\u00eate, te voici transform\u00e9 en bille d'argile, tu vas pouvoir retenir l'eau quelle chance. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_4182-2.jpg?1762671940", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/ignorance-sacree.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/ignorance-sacree.html", "title": "ignorance sacr\u00e9e", "date_published": "2025-11-08T04:30:11Z", "date_modified": "2025-11-08T04:30:11Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Le gros du troupeau ne s\u2019en sortira pas : il tombera, se noiera dans sa peur, son idiotie, son absence de discernement, sa veulerie. Le berger est cingl\u00e9, ses chiens ont la rage. Et alors ? Qu\u2019est-ce que \u00e7a change ? Le soleil se l\u00e8vera demain. Il y aura un printemps. L\u2019inexorable poursuit, co\u00fbte que co\u00fbte, parce que rien n\u2019est jamais atteint, parce que la fin exige la continuit\u00e9 sans rel\u00e2che. La fin, visage masqu\u00e9 de l\u2019infini. Laisser les choses \u00e0 leur place, avancer — m\u00eame \u00e0 reculons —, ne pas s\u2019\u00e9pancher sans fin, ne pas confondre soulagement et pens\u00e9e. Des flashs me reviennent, du c\u00f4t\u00e9 d\u2019Erzurum : le bus fend des plaines demi-d\u00e9sertes, odeur de diesel, et des chiens efflanqu\u00e9s courent au ras de la t\u00f4le ; on voit leurs c\u00f4tes, la bave file, ils persistent, affam\u00e9s, pr\u00eats \u00e0 mordre le caoutchouc s\u2019il s\u2019offrait — les chiens d\u2019Erzurum rendent la fable litt\u00e9rale. C\u2019est la m\u00eame erreur partout : chien, berger, homme — m\u00eame leurre, m\u00eame refuge dans une ignorance sacr\u00e9e. Nous ne pouvons plus dire aujourd\u2019hui que nous ne savons rien : tout a \u00e9t\u00e9 \u00e9crit, comment\u00e9, diss\u00e9qu\u00e9 ; et pourtant nous r\u00e9clamons du nouveau dans l\u2019horreur. N\u2019ayez pas l\u2019air de baisser les yeux : on aime tant se croire rassur\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 vomir sa hargne d\u00e8s qu\u2019un « salaud » se pr\u00e9sente, parce que le d\u00e9signer nous blanchit un instant, nous installe c\u00f4t\u00e9 victime. Tout est l\u00e0, sur les \u00e9tag\u00e8res, mais la paresse nous a gagn\u00e9s : on pr\u00e9f\u00e8re voir des r\u00eaves remuer sur des \u00e9crans plut\u00f4t que penser au pourquoi — ou mieux, au comment — de l\u2019existence. Et j\u2019allais m\u2019enfuir, comme je me le r\u00e9p\u00e9tais depuis une bonne cinquantaine d\u2019ann\u00e9es chaque matin. Je marche vers le portail, je soul\u00e8ve le loquet. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, au-del\u00e0 de la route et des fa\u00e7ades, les champs, les prairies, les \u00e9toiles ; la nuit respire. Le froid m\u2019envahit, atteint mes os, ma moelle ; je referme. Le gravier crisse sous mes semelles, je reviens. Tous ces gens — mes « proches », dit-on, mais je pr\u00e9f\u00e8re « \u00e9trangers », c\u2019est plus honn\u00eate — je vais revenir, une fois de plus, vers eux. La difficult\u00e9 est l\u00e0. Ce que je pense, est-ce que je dois l\u2019\u00e9crire \u00e0 tout prix ? Parfois l\u2019honn\u00eatet\u00e9 — mais est-ce bien de l\u2019honn\u00eatet\u00e9 ? — me fait dire oui. Chaque fois que j\u2019obtemp\u00e8re, je recule un peu plus dans la marge, dans l\u2019inconnu. \u00c9crire depuis le d\u00e9part me fait dispara\u00eetre des cartes, m\u2019\u00e9loigne de la fr\u00e9quentation de cercles d\u2019amis, d\u2019amis tout court. Cela m\u2019interroge sur la notion d\u2019amiti\u00e9, surtout la mienne. Parfois je me dis qu\u2019un \u00e9crivain ne peut avoir d\u2019amis. Tout au plus entretient-on un commerce avec des « connaissances ». Et maintenant que j\u2019y pense, j\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 plus \u00e0 l\u2019aise avec des coll\u00e8gues ouvriers, t\u00e2cherons, manutentionnaires, qu\u2019avec des gens dipl\u00f4m\u00e9s. La qualit\u00e9 de leur silence m\u2019\u00e9tait un apaisement. Est-ce un d\u00e9lire parano\u00efaque que j\u2019entretiens ? Un instinct de survie tr\u00e8s ancien ? Une sapience tomb\u00e9e trop t\u00f4t, comme une mal\u00e9diction ? Je n\u2019en sais rien. Possible aussi que l\u2019entretien d\u2019un « mauvais objet » me leurre encore sur une construction quelconque. Je ne sais plus rien, je ne veux plus rien savoir, sauf ma peur, ma nuit dans laquelle j\u2019avance, en esp\u00e9rant qu\u2019elle s\u2019ach\u00e8ve un jour. <\/p>", "content_text": " Le gros du troupeau ne s\u2019en sortira pas : il tombera, se noiera dans sa peur, son idiotie, son absence de discernement, sa veulerie. Le berger est cingl\u00e9, ses chiens ont la rage. Et alors ? Qu\u2019est-ce que \u00e7a change ? Le soleil se l\u00e8vera demain. Il y aura un printemps. L\u2019inexorable poursuit, co\u00fbte que co\u00fbte, parce que rien n\u2019est jamais atteint, parce que la fin exige la continuit\u00e9 sans rel\u00e2che. La fin, visage masqu\u00e9 de l\u2019infini. 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N\u2019ayez pas l\u2019air de baisser les yeux : on aime tant se croire rassur\u00e9, jusqu\u2019\u00e0 vomir sa hargne d\u00e8s qu\u2019un \u00ab salaud \u00bb se pr\u00e9sente, parce que le d\u00e9signer nous blanchit un instant, nous installe c\u00f4t\u00e9 victime. Tout est l\u00e0, sur les \u00e9tag\u00e8res, mais la paresse nous a gagn\u00e9s : on pr\u00e9f\u00e8re voir des r\u00eaves remuer sur des \u00e9crans plut\u00f4t que penser au pourquoi \u2014 ou mieux, au comment \u2014 de l\u2019existence. Et j\u2019allais m\u2019enfuir, comme je me le r\u00e9p\u00e9tais depuis une bonne cinquantaine d\u2019ann\u00e9es chaque matin. Je marche vers le portail, je soul\u00e8ve le loquet. De l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, au-del\u00e0 de la route et des fa\u00e7ades, les champs, les prairies, les \u00e9toiles ; la nuit respire. Le froid m\u2019envahit, atteint mes os, ma moelle ; je referme. Le gravier crisse sous mes semelles, je reviens. Tous ces gens \u2014 mes \u00ab proches \u00bb, dit-on, mais je pr\u00e9f\u00e8re \u00ab \u00e9trangers \u00bb, c\u2019est plus honn\u00eate \u2014 je vais revenir, une fois de plus, vers eux. La difficult\u00e9 est l\u00e0. Ce que je pense, est-ce que je dois l\u2019\u00e9crire \u00e0 tout prix ? Parfois l\u2019honn\u00eatet\u00e9 \u2014 mais est-ce bien de l\u2019honn\u00eatet\u00e9 ? \u2014 me fait dire oui. Chaque fois que j\u2019obtemp\u00e8re, je recule un peu plus dans la marge, dans l\u2019inconnu. \u00c9crire depuis le d\u00e9part me fait dispara\u00eetre des cartes, m\u2019\u00e9loigne de la fr\u00e9quentation de cercles d\u2019amis, d\u2019amis tout court. Cela m\u2019interroge sur la notion d\u2019amiti\u00e9, surtout la mienne. Parfois je me dis qu\u2019un \u00e9crivain ne peut avoir d\u2019amis. Tout au plus entretient-on un commerce avec des \u00ab connaissances \u00bb. 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Peu dormi, \u00e9crit plusieurs textes, dont un remis\u00e9 dans la rubrique « carnet noir » que je n\u2019ai pas os\u00e9 publier \u00e0 cause de la franchise nue que j\u2019y entends. Envie de continuer dans cette veine. De me retirer, encore, des r\u00e9seaux. M\u00eame sensation que les jours o\u00f9 j\u2019arr\u00eatais de fumer : la m\u00eame m\u00e9canique d\u2019addiction. Le truc qui m\u2019a servi alors : voir venir de l\u2019horizon un panneau blanc qui grossit, et dessus, en lettres g\u00e9antes, « TAXES ». Pour les r\u00e9seaux, un seul mot suffit : « PERTE DE TEMPS ». Stage de peinture ce matin. Renoncement l\u00e0 aussi. Je sais \u00eatre un bon professeur, mais c\u2019est au d\u00e9triment de mon travail personnel. Je ne peins plus depuis des mois, peut-\u00eatre des ann\u00e9es. Il suffit de regarder les dates ; elles reculent tandis que, dans ma t\u00eate, c\u2019\u00e9tait hier. Depuis les confinements de 2020 — oui, je sais — le temps s\u2019est fig\u00e9 pour moi, pendant que le monde continue. Comme si j\u2019\u00e9tais mort depuis cette date sans m\u2019en apercevoir, poursuivant mentalement la construction d\u2019un monde qui n\u2019existe plus. L\u2019\u00e9criture aide \u00e0 entrer dans cette intemporalit\u00e9, elle aide \u00e0 accepter la mort. J\u2019\u00e9cris mieux, peut-\u00eatre parce que j\u2019en ai fini avec les vivants ; et pourtant je rince les brosses dans la t\u00e9r\u00e9benthine, je ramasse la poussi\u00e8re de craie sur le plancher, je corrige un rouge trop chaud : gestes simples qui me retiennent un peu. Je ne sais pas ce que « mieux » veut dire, et je m\u2019en moque. J\u2019\u00e9cris comme un alpiniste \u00e0 mains nues sur une paroi : je ne sais pas quand viendra la chute ; elle viendra.<\/p>", "content_text": " Peu dormi, \u00e9crit plusieurs textes, dont un remis\u00e9 dans la rubrique \u00ab carnet noir \u00bb que je n\u2019ai pas os\u00e9 publier \u00e0 cause de la franchise nue que j\u2019y entends. Envie de continuer dans cette veine. De me retirer, encore, des r\u00e9seaux. M\u00eame sensation que les jours o\u00f9 j\u2019arr\u00eatais de fumer : la m\u00eame m\u00e9canique d\u2019addiction. Le truc qui m\u2019a servi alors : voir venir de l\u2019horizon un panneau blanc qui grossit, et dessus, en lettres g\u00e9antes, \u00ab TAXES \u00bb. Pour les r\u00e9seaux, un seul mot suffit : \u00ab PERTE DE TEMPS \u00bb. Stage de peinture ce matin. Renoncement l\u00e0 aussi. Je sais \u00eatre un bon professeur, mais c\u2019est au d\u00e9triment de mon travail personnel. Je ne peins plus depuis des mois, peut-\u00eatre des ann\u00e9es. Il suffit de regarder les dates ; elles reculent tandis que, dans ma t\u00eate, c\u2019\u00e9tait hier. Depuis les confinements de 2020 \u2014 oui, je sais \u2014 le temps s\u2019est fig\u00e9 pour moi, pendant que le monde continue. Comme si j\u2019\u00e9tais mort depuis cette date sans m\u2019en apercevoir, poursuivant mentalement la construction d\u2019un monde qui n\u2019existe plus. L\u2019\u00e9criture aide \u00e0 entrer dans cette intemporalit\u00e9, elle aide \u00e0 accepter la mort. J\u2019\u00e9cris mieux, peut-\u00eatre parce que j\u2019en ai fini avec les vivants ; et pourtant je rince les brosses dans la t\u00e9r\u00e9benthine, je ramasse la poussi\u00e8re de craie sur le plancher, je corrige un rouge trop chaud : gestes simples qui me retiennent un peu. Je ne sais pas ce que \u00ab mieux \u00bb veut dire, et je m\u2019en moque. J\u2019\u00e9cris comme un alpiniste \u00e0 mains nues sur une paroi : je ne sais pas quand viendra la chute ; elle viendra. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0271-2.jpg?1762346875", "tags": ["peinture"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-novembre-2025.html", "title": "04 novembre 2025", "date_published": "2025-11-04T08:58:27Z", "date_modified": "2025-11-04T08:58:37Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Entre deux catastrophes, l\u2019oubli de la pr\u00e9c\u00e9dente, l\u2019ignorance de la suivante, l\u2019homme \u00e0 t\u00eate de linotte bat des paupi\u00e8res en esp\u00e9rant s\u2019envoler — ce qui n\u2019arrive jamais. Par d\u00e9pit, il donne sa langue au chat, en remarquant que c\u2019est toujours bien difficile d\u2019\u00e9crire « \u00e0 la chatte » plut\u00f4t qu\u2019« au chat ». Content, car apr\u00e8s tout, pourquoi ne pas tenter de l\u2019\u00eatre, d\u2019avoir \u00e0 donner quelque chose plut\u00f4t que rien ? Enfin, il l\u00e8ve les yeux au ciel et voit le bleu. Il ne voit plus que du bleu. Il s\u2019en remet tout entier au bleu ; cela finit par descendre sur lui. Il devient un de ces hommes bleus, cal\u00e9 entre deux bosses, entre deux dunes ; il traverse un grand d\u00e9sert \u00e0 pas lents, toujours en se demandant : « Doit-on dire chameau ou dromadaire ? » Ou rien, pour avoir l\u2019air, toujours l\u2019air, alors qu\u2019on \u00e9touffe, qu\u2019on aurait bien des choses \u00e0 dire, mais l\u2019abondance — comme la pauvret\u00e9 — se cachant derri\u00e8re la facilit\u00e9 de la chose, l\u2019\u00e9puise trop.<\/p>\n
J\u2019ai remis hier ma copie<\/a> pour l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. Je pense que l\u2019atelier m\u2019apporte surtout la vitesse d\u2019ex\u00e9cution en ce moment. Mais il faut dire aussi que je baigne dans tout cela toute la journ\u00e9e et la nuit. Au d\u00e9pens de tout le reste, j\u2019en ai bien peur.<\/p>\n
Nouveau billet : phrases<\/a> ouverture pour novembre. \u00c0 relire octobre<\/a> , bonne impression, quelque chose de tranquille, l\u00e9ger ; bien que ce soient des phrases seules, le blanc entre elles, sans doute, avec de moins en moins de doute.<\/p>\n
Et toujours cette ambigu\u00eft\u00e9 fatigante de partager, de ne pas partager. Parfois je m\u2019en tire sans me poser la question, c\u2019est une affaire d\u2019encha\u00eenement de gestes, tr\u00e8s rapides, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Aujourd\u2019hui la r\u00e9flexion m\u2019en emp\u00eache, je l\u2019ai trop laiss\u00e9e prendre le dessus.<\/p>\n
Ici, prendre une nouvelle habitude : \u00e9crire court. M\u00e9nager le blanc entre les groupes de phrases. Patience, 40 jours suffisent pour prendre une nouvelle habitude, 40 nuits pour traverser un d\u00e9sert.<\/p>\n
illustration<\/strong> attraction \u00e0 voir autour de Quarante (34)<\/p>", "content_text": " Entre deux catastrophes, l\u2019oubli de la pr\u00e9c\u00e9dente, l\u2019ignorance de la suivante, l\u2019homme \u00e0 t\u00eate de linotte bat des paupi\u00e8res en esp\u00e9rant s\u2019envoler \u2014 ce qui n\u2019arrive jamais. Par d\u00e9pit, il donne sa langue au chat, en remarquant que c\u2019est toujours bien difficile d\u2019\u00e9crire \u00ab \u00e0 la chatte \u00bb plut\u00f4t qu\u2019\u00ab au chat \u00bb. Content, car apr\u00e8s tout, pourquoi ne pas tenter de l\u2019\u00eatre, d\u2019avoir \u00e0 donner quelque chose plut\u00f4t que rien ? Enfin, il l\u00e8ve les yeux au ciel et voit le bleu. Il ne voit plus que du bleu. Il s\u2019en remet tout entier au bleu ; cela finit par descendre sur lui. Il devient un de ces hommes bleus, cal\u00e9 entre deux bosses, entre deux dunes ; il traverse un grand d\u00e9sert \u00e0 pas lents, toujours en se demandant : \u00ab Doit-on dire chameau ou dromadaire ? \u00bb Ou rien, pour avoir l\u2019air, toujours l\u2019air, alors qu\u2019on \u00e9touffe, qu\u2019on aurait bien des choses \u00e0 dire, mais l\u2019abondance \u2014 comme la pauvret\u00e9 \u2014 se cachant derri\u00e8re la facilit\u00e9 de la chose, l\u2019\u00e9puise trop. J\u2019ai remis hier ma [copie->https:\/\/ledibbouk.net\/boost-2-07-il-voit-la-champagne-les-dardanelles-et-s-en-revient.html] pour l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. Je pense que l\u2019atelier m\u2019apporte surtout la vitesse d\u2019ex\u00e9cution en ce moment. Mais il faut dire aussi que je baigne dans tout cela toute la journ\u00e9e et la nuit. Au d\u00e9pens de tout le reste, j\u2019en ai bien peur. Nouveau billet : [phrases->https:\/\/ledibbouk.net\/novembre-2025-phrases.html] ouverture pour novembre. \u00c0 relire [octobre->https:\/\/ledibbouk.net\/septembre-octobre-2025-phrases.html] , bonne impression, quelque chose de tranquille, l\u00e9ger ; bien que ce soient des phrases seules, le blanc entre elles, sans doute, avec de moins en moins de doute. Et toujours cette ambigu\u00eft\u00e9 fatigante de partager, de ne pas partager. Parfois je m\u2019en tire sans me poser la question, c\u2019est une affaire d\u2019encha\u00eenement de gestes, tr\u00e8s rapides, sans r\u00e9fl\u00e9chir. Aujourd\u2019hui la r\u00e9flexion m\u2019en emp\u00eache, je l\u2019ai trop laiss\u00e9e prendre le dessus. Ici, prendre une nouvelle habitude : \u00e9crire court. M\u00e9nager le blanc entre les groupes de phrases. Patience, 40 jours suffisent pour prendre une nouvelle habitude, 40 nuits pour traverser un d\u00e9sert. **illustration** attraction \u00e0 voir autour de Quarante (34) ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bize-minervois.jpg?1762245043", "tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-novembre-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-novembre-2025.html", "title": "03 novembre 2025", "date_published": "2025-11-03T07:23:52Z", "date_modified": "2025-11-03T07:23:52Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
O\u00f9 l\u2019on tente de circonscrire l\u2019insaisissable. Peut-on classer Steiner ? La question elle-m\u00eame trahit une mentalit\u00e9 de biblioth\u00e9caire, cette manie d\u2019\u00e9tiqueter ce qui, par nature, fuit la cat\u00e9gorie. Je pense \u00e0 ce mot de Val\u00e9ry : « Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l\u2019est pas est inutilisable. » Steiner, lui, choisit d\u00e9lib\u00e9r\u00e9ment l\u2019inutilisable — c\u2019est-\u00e0-dire le complexe, le contradictoire, le profond.<\/p>\n
« Je suis un sioniste le matin, un antisioniste l\u2019apr\u00e8s-midi. »<\/p>\n