{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/oiseau-momifie.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/oiseau-momifie.html", "title": "Oiseau momifi\u00e9", "date_published": "2021-07-04T07:53:14Z", "date_modified": "2025-11-15T12:17:25Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

On dirait des bandelettes mais il s\u2019en fout<\/p>\n

L\u2019oiseau momifi\u00e9<\/p>\n

Il voyage dans l\u2019immobile<\/p>\n

L\u2019\u0153il ouvert dans l\u2019ombre br\u00fbl\u00e9e par les \u00e9toiles<\/p>", "content_text": "On dirait des bandelettes mais il s\u2019en fout\n\nL\u2019oiseau momifi\u00e9 \n\nIl voyage dans l\u2019immobile \n\nL\u2019\u0153il ouvert dans l\u2019ombre br\u00fbl\u00e9e par les \u00e9toiles ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_2013.jpg?1763208997", "tags": ["po\u00e9sie du quotidien"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/comment-en-venir-aux-mots.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/comment-en-venir-aux-mots.html", "title": "Comment en venir aux mots.", "date_published": "2021-07-04T03:51:28Z", "date_modified": "2025-11-15T12:12:46Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

C’\u00e9tait \u00e0 l’automne de cette ann\u00e9e 1976 peu apr\u00e8s cet \u00e9pisode de grande s\u00e9cheresse qui avait d\u00e9but\u00e9 durant l’\u00e9t\u00e9 75 et que l’on venait de revivre que je fis une d\u00e9couverte extraordinaire. Nous \u00e9tions harass\u00e9s je crois. Mon p\u00e8re notamment n’en pouvait plus de se d\u00e9battre dans son d\u00e9s\u0153uvrement. Le ch\u00f4mage avait frapp\u00e9 notre famille peu apr\u00e8s la crise de 74. Et il se rendait compte \u00e0 quel point tout ce qu’il avait cru avoir b\u00e2ti et dont il avait coutume de s’enorgueillir de vive voix ne valait plus tripette.<\/p>\n

Sans dipl\u00f4me il devait serrer les dents pour passer des tests psychologiques \u00e0 chaque nouvel entretien, lui le vendeur formidable, ce h\u00e9ros issu tout droit des divers faits d’armes de Cor\u00e9e , d’Alg\u00e9rie Du S\u00e9n\u00e9gal ou de Trifouillis les oies, qu’il ne cessait de ressasser pour combler le vide de ses journ\u00e9es.<\/p>\n

L’\u00e9pouvante que repr\u00e9sentait la mis\u00e8re \u00e0 venir il la manifestait par une mauvaise humeur chronique. S’aga\u00e7ant d’un manque de sel, rugissant contre le soleil, la lune et les oiseaux qui, disait-t ’il, ne cessaient de faire du boucan d\u00e9rangeant sa tristesse et son perp\u00e9tuel apitoiement sur lui-m\u00eame.<\/p>\n

Ce fut \u00e0 l’heure du diner peu apr\u00e8s une crise aigue o\u00f9 il s’\u00e9tait empar\u00e9 des ciseaux de couturi\u00e8re de ma m\u00e8re pour trancher net un \u00e9pis que j’arborais et qui l’aga\u00e7ait au plus haut point que nous en v\u00eenmes presque aux mains faute de mots.<\/p>\n

Une discussion politique qui tourne mal \u00e7a arrive. Ce genre de discussion d’autant plus dangereuse qu’elle charrie de nombreux ressentiments sans m\u00eame que l’on en prenne conscience.<\/p>\n

Ainsi en allait-t’il de l’abolition de la peine de mort au Canada , de la d\u00e9valuation du peso de plus de 50% au Mexique, ou bien encore de cette interdiction qu’avait lanc\u00e9e Aparicio Mendez \u00e0 15000 dirigeants des partis traditionnels Uruguayens d’exercer une activit\u00e9 politique pour une dur\u00e9e de 15 ann\u00e9es.<\/p>\n

Je crois qu’\u00e0 cette \u00e9poque je ne m\u00e9nageais aucun effort pour m’insurger contre \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n’importe quoi \u00e0 partir du moment surtout o\u00f9 mon p\u00e8re tentait d’imposer son avis, et invariablement un avis contraire.<\/p>\n

C’\u00e9tait si l’on veut la fin d’une dictature, sa statue \u00e9tait d\u00e9boulonn\u00e9e et mise \u00e0 bas depuis tous ces mois pass\u00e9s durant lesquels, horrifi\u00e9s, nous avions d\u00e9couvert le gamin capricieux qui se dissimulait derri\u00e8re une carrure de g\u00e9ant gonfl\u00e9 de fatuit\u00e9.<\/p>\n

Ma m\u00e8re faisait des aller-retours incessants depuis la cuisine vers la remise attenante pour s’enfiler du blanc directement au goulot. La t\u00e9l\u00e9vision \u00e9tait allum\u00e9e depuis des 5h du matin et ne s’\u00e9teignait pratiquement plus que durant quelques heures au creux des nuits.<\/p>\n

Et malgr\u00e9 tout cela on continuait encore \u00e0 me faire esp\u00e9rer dans un avenir, dans ces r\u00e8gles totalement d\u00e9biles qu’imposent l’\u00e9cole, le monde du travail, alors que d\u00e9sormais tout concordait pour prouver leur vacuit\u00e9.<\/p>\n

Je crois que je souffrais de ces mensonges innombrables comme on peut souffrir de l’absence.<\/p>\n

Il me semblait que je les avais perdu d\u00e9finitivement, qu’ils n’\u00e9taient plus que des fant\u00f4mes d’eux m\u00eames. Et que par ricochet il fallait que j’agisse de mani\u00e8re pressante pour ne pas en devenir un moi aussi.<\/p>\n

C’est peu apr\u00e8s \"la nuit des crayons\" en Argentine ou quelques \u00e9tudiants furent enlev\u00e9s et certains probablement assassin\u00e9s sous le pr\u00e9texte fallacieux d’une manifestation pour les transports, vers la mi septembre, que je fis le parall\u00e8le \u00e0 voix haute entre la dictature militaire et la fa\u00e7on de se comporter de mon p\u00e8re.<\/p>\n

Il y avait des flageolets dans un grand plat de terre je m’en souviens encore tr\u00e8s bien. Le coup de poing formidable que mon p\u00e8re d\u00e9cocha \u00e0 la surface de la table fit l\u00e9viter le tout comme au ralenti. Je vis la l\u00e8vre inf\u00e9rieure de ma m\u00e8re trembler l\u00e9g\u00e8rement puis je fus train\u00e9 par une puissance inou\u00efe vers la porte de la maison. Je fus \u00e9ject\u00e9 ni plus ni moins presque sans un mot.<\/p>\n

Tout cela tombait \u00e0 pic. Nous \u00e9tions parvenu \u00e0 un paroxysme. Il fallait bien qu’un orage enfin \u00e9clate.<\/p>\n

N\u00e9anmoins l’inconfort de me retrouver dehors pieds nus me fit ouvrir la porte et p\u00e9n\u00e9trer \u00e0 nouveau dans la maison. Je me h\u00e2tais d’aller chercher quelques affaires que je fourrais dans un sac tube, je pris soin de chausser aussi une paire de tennis . Et \u00e0 cet instant o\u00f9 j’\u00e9tais enfin par\u00e9 pour l’aventure je les toisais tous les deux et le seul mot qui pu sortir de ma bouche fut \"ciao !\" C’\u00e9tait vraiment bizarre.<\/p>\n

Je refermais la porte soigneusement tout en me demandant o\u00f9 j’allais bien pouvoir aller et j’optais presque aussit\u00f4t pour la gare depuis laquelle je pourrai prendre un RER et me retrouver \u00e0 la Capitale.<\/p>\n

Assis dans le wagon tout me paraissait tellement irr\u00e9el. Je voyais le paysage d\u00e9filer de chaque cot\u00e9 comme si je m’\u00e9tais engag\u00e9 dans un voyage intersid\u00e9ral. Une sorte d’\u00e9tat d’apesanteur o\u00f9 je ne sentais plus du tout le poids de mon corps sauf la rage et la tristesse se m\u00e9langeant pour me donner une consistance sur laquelle m’appuyer un peu.<\/p>\n

Un peu mais pas beaucoup non plus.<\/p>\n

Je passerai rapidement sur les diff\u00e9rentes astuces et exp\u00e9dients d\u00e9couverts pour survivre durant les quelques semaines qui suivirent. Et dont la plupart \u00e9videmment ne furent pas nobles. Il m’aura fallu voler, tricher, mentir, trahir, et je n’en ai pas conserver de mirifiques souvenirs.<\/p>\n

Cependant que parall\u00e8lement \u00e0 la d\u00e9bine dans laquelle enfin je p\u00e9n\u00e9trais pour de vr<\/em>ai et que j’allais explorer quasiment sans interruption durant des ann\u00e9es je d\u00e9couvrais le refuge des biblioth\u00e8ques.<\/p>\n

J’avais mis le doigt sur quelque chose qui me semblait plus g\u00eanant que la mis\u00e8re , c’\u00e9tait le manque de vocabulaire, l’impossibilit\u00e9 d’exprimer tout ce qui m’\u00e9touffait et la lecture fut \u00e0 cet instant de ma vie aussi puissante que pour Bernadette Soubirou l’apparition de la Vierge. Je crois m\u00eame que j’en fis une sorte de culte, une religion.<\/p>\n

Apprendre \u00e0 lire cela n’\u00e9tait rien.<\/p>\n

R\u00e9apprendre \u00e0 lire vraiment c’est \u00e0 dire \u00e0 d\u00e9velopper sa propre pens\u00e9e et le discernement fut comme un nouveau pallier.<\/p>\n

Quelques semaines plus tard je passais un coup de fil pour avoir malgr\u00e9 tout quelques nouvelles et tombais sur la voix de ma m\u00e8re qui me dit<\/p>\n

ah c’est toi, ton p\u00e8re est \u00e0 l’h\u00f4pital il vient de faire une crise cardiaque.<\/p>\n

J’ai dit j’arrive.<\/p>\n

Mais je ne suis pas all\u00e9 \u00e0 l’h\u00f4pital. J’en ai profit\u00e9 pour prendre quelques affaires que j’avais oubli\u00e9es dans ma pr\u00e9cipitation, notamment ma guitare. Chanter dans les rues et les caf\u00e9s allait devenir bient\u00f4t mon gagne pain et c’est gr\u00e2ce \u00e0 cette guitare sans doute que je n’ai pas sombrer totalement dans la d\u00e9linquance.<\/p>\n

Je suis retourn\u00e9 presque aussit\u00f4t vers Paris.<\/p>\n

Tu es vraiment sans piti\u00e9 avait l\u00e2ch\u00e9 ma m\u00e8re sur le seuil de la porte en me regardant partir \u00e0 nouveau.<\/p>\n

Ce n’\u00e9tait pas un choix c’\u00e9tait la seule solution que j’avais trouv\u00e9e \u00e0 ce moment l\u00e0 pour ne pas m’emp\u00eatrer dans la compassion ou la piti\u00e9.<\/p>\n

Si j’ avais succomb\u00e9 \u00e0 ces sentiments m’\u00e9tais je dis sans vraiment me le dire, les choses auraient repris leur cours exactement comme avant j’en \u00e9tais persuad\u00e9.<\/p>\n

Si j’avais \u00e9prouv\u00e9 compassion et piti\u00e9 \u00e0 cet instant de ma vie je n’aurais pas eu la m\u00eame vie que celle-ci. Non pas que l’une puisse \u00eatre plus int\u00e9ressante qu’une autre, ni pire ni meilleure. Mais j’en avais tout simplement assez de cet amas de non dits, de ce mauvais silence entre nous tous.<\/p>\n

C’est ainsi que j’en suis venu aux mots.<\/p>", "content_text": "C'\u00e9tait \u00e0 l'automne de cette ann\u00e9e 1976 peu apr\u00e8s cet \u00e9pisode de grande s\u00e9cheresse qui avait d\u00e9but\u00e9 durant l'\u00e9t\u00e9 75 et que l'on venait de revivre que je fis une d\u00e9couverte extraordinaire. Nous \u00e9tions harass\u00e9s je crois. Mon p\u00e8re notamment n'en pouvait plus de se d\u00e9battre dans son d\u00e9s\u0153uvrement. Le ch\u00f4mage avait frapp\u00e9 notre famille peu apr\u00e8s la crise de 74. Et il se rendait compte \u00e0 quel point tout ce qu'il avait cru avoir b\u00e2ti et dont il avait coutume de s'enorgueillir de vive voix ne valait plus tripette.\n\nSans dipl\u00f4me il devait serrer les dents pour passer des tests psychologiques \u00e0 chaque nouvel entretien, lui le vendeur formidable, ce h\u00e9ros issu tout droit des divers faits d'armes de Cor\u00e9e , d'Alg\u00e9rie Du S\u00e9n\u00e9gal ou de Trifouillis les oies, qu'il ne cessait de ressasser pour combler le vide de ses journ\u00e9es. \n\nL'\u00e9pouvante que repr\u00e9sentait la mis\u00e8re \u00e0 venir il la manifestait par une mauvaise humeur chronique. S'aga\u00e7ant d'un manque de sel, rugissant contre le soleil, la lune et les oiseaux qui, disait-t 'il, ne cessaient de faire du boucan d\u00e9rangeant sa tristesse et son perp\u00e9tuel apitoiement sur lui-m\u00eame.\n\nCe fut \u00e0 l'heure du diner peu apr\u00e8s une crise aigue o\u00f9 il s'\u00e9tait empar\u00e9 des ciseaux de couturi\u00e8re de ma m\u00e8re pour trancher net un \u00e9pis que j'arborais et qui l'aga\u00e7ait au plus haut point que nous en v\u00eenmes presque aux mains faute de mots.\n\nUne discussion politique qui tourne mal \u00e7a arrive. Ce genre de discussion d'autant plus dangereuse qu'elle charrie de nombreux ressentiments sans m\u00eame que l'on en prenne conscience.\n\nAinsi en allait-t'il de l'abolition de la peine de mort au Canada , de la d\u00e9valuation du peso de plus de 50% au Mexique, ou bien encore de cette interdiction qu'avait lanc\u00e9e Aparicio Mendez \u00e0 15000 dirigeants des partis traditionnels Uruguayens d'exercer une activit\u00e9 politique pour une dur\u00e9e de 15 ann\u00e9es.\n\nJe crois qu'\u00e0 cette \u00e9poque je ne m\u00e9nageais aucun effort pour m'insurger contre \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n'importe quoi \u00e0 partir du moment surtout o\u00f9 mon p\u00e8re tentait d'imposer son avis, et invariablement un avis contraire.\n\nC'\u00e9tait si l'on veut la fin d'une dictature, sa statue \u00e9tait d\u00e9boulonn\u00e9e et mise \u00e0 bas depuis tous ces mois pass\u00e9s durant lesquels, horrifi\u00e9s, nous avions d\u00e9couvert le gamin capricieux qui se dissimulait derri\u00e8re une carrure de g\u00e9ant gonfl\u00e9 de fatuit\u00e9.\n\nMa m\u00e8re faisait des aller-retours incessants depuis la cuisine vers la remise attenante pour s'enfiler du blanc directement au goulot. La t\u00e9l\u00e9vision \u00e9tait allum\u00e9e depuis des 5h du matin et ne s'\u00e9teignait pratiquement plus que durant quelques heures au creux des nuits.\n\nEt malgr\u00e9 tout cela on continuait encore \u00e0 me faire esp\u00e9rer dans un avenir, dans ces r\u00e8gles totalement d\u00e9biles qu'imposent l'\u00e9cole, le monde du travail, alors que d\u00e9sormais tout concordait pour prouver leur vacuit\u00e9.\n\nJe crois que je souffrais de ces mensonges innombrables comme on peut souffrir de l'absence.\n\nIl me semblait que je les avais perdu d\u00e9finitivement, qu'ils n'\u00e9taient plus que des fant\u00f4mes d'eux m\u00eames. Et que par ricochet il fallait que j'agisse de mani\u00e8re pressante pour ne pas en devenir un moi aussi.\n\nC'est peu apr\u00e8s \"la nuit des crayons\" en Argentine ou quelques \u00e9tudiants furent enlev\u00e9s et certains probablement assassin\u00e9s sous le pr\u00e9texte fallacieux d'une manifestation pour les transports, vers la mi septembre, que je fis le parall\u00e8le \u00e0 voix haute entre la dictature militaire et la fa\u00e7on de se comporter de mon p\u00e8re.\n\nIl y avait des flageolets dans un grand plat de terre je m'en souviens encore tr\u00e8s bien. Le coup de poing formidable que mon p\u00e8re d\u00e9cocha \u00e0 la surface de la table fit l\u00e9viter le tout comme au ralenti. Je vis la l\u00e8vre inf\u00e9rieure de ma m\u00e8re trembler l\u00e9g\u00e8rement puis je fus train\u00e9 par une puissance inou\u00efe vers la porte de la maison. Je fus \u00e9ject\u00e9 ni plus ni moins presque sans un mot.\n\nTout cela tombait \u00e0 pic. Nous \u00e9tions parvenu \u00e0 un paroxysme. Il fallait bien qu'un orage enfin \u00e9clate.\n\nN\u00e9anmoins l'inconfort de me retrouver dehors pieds nus me fit ouvrir la porte et p\u00e9n\u00e9trer \u00e0 nouveau dans la maison. Je me h\u00e2tais d'aller chercher quelques affaires que je fourrais dans un sac tube, je pris soin de chausser aussi une paire de tennis . Et \u00e0 cet instant o\u00f9 j'\u00e9tais enfin par\u00e9 pour l'aventure je les toisais tous les deux et le seul mot qui pu sortir de ma bouche fut \"ciao!\" C'\u00e9tait vraiment bizarre.\n\nJe refermais la porte soigneusement tout en me demandant o\u00f9 j'allais bien pouvoir aller et j'optais presque aussit\u00f4t pour la gare depuis laquelle je pourrai prendre un RER et me retrouver \u00e0 la Capitale.\n\nAssis dans le wagon tout me paraissait tellement irr\u00e9el. Je voyais le paysage d\u00e9filer de chaque cot\u00e9 comme si je m'\u00e9tais engag\u00e9 dans un voyage intersid\u00e9ral. Une sorte d'\u00e9tat d'apesanteur o\u00f9 je ne sentais plus du tout le poids de mon corps sauf la rage et la tristesse se m\u00e9langeant pour me donner une consistance sur laquelle m'appuyer un peu.\n\nUn peu mais pas beaucoup non plus.\n\nJe passerai rapidement sur les diff\u00e9rentes astuces et exp\u00e9dients d\u00e9couverts pour survivre durant les quelques semaines qui suivirent. Et dont la plupart \u00e9videmment ne furent pas nobles. Il m'aura fallu voler, tricher, mentir, trahir, et je n'en ai pas conserver de mirifiques souvenirs.\n\nCependant que parall\u00e8lement \u00e0 la d\u00e9bine dans laquelle enfin je p\u00e9n\u00e9trais pour de vrai et que j'allais explorer quasiment sans interruption durant des ann\u00e9es je d\u00e9couvrais le refuge des biblioth\u00e8ques.\n\nJ'avais mis le doigt sur quelque chose qui me semblait plus g\u00eanant que la mis\u00e8re , c'\u00e9tait le manque de vocabulaire, l'impossibilit\u00e9 d'exprimer tout ce qui m'\u00e9touffait et la lecture fut \u00e0 cet instant de ma vie aussi puissante que pour Bernadette Soubirou l'apparition de la Vierge. Je crois m\u00eame que j'en fis une sorte de culte, une religion.\n\nApprendre \u00e0 lire cela n'\u00e9tait rien.\n\nR\u00e9apprendre \u00e0 lire vraiment c'est \u00e0 dire \u00e0 d\u00e9velopper sa propre pens\u00e9e et le discernement fut comme un nouveau pallier.\n\nQuelques semaines plus tard je passais un coup de fil pour avoir malgr\u00e9 tout quelques nouvelles et tombais sur la voix de ma m\u00e8re qui me dit \n\nah c'est toi, ton p\u00e8re est \u00e0 l'h\u00f4pital il vient de faire une crise cardiaque.\n\nJ'ai dit j'arrive.\n\nMais je ne suis pas all\u00e9 \u00e0 l'h\u00f4pital. J'en ai profit\u00e9 pour prendre quelques affaires que j'avais oubli\u00e9es dans ma pr\u00e9cipitation, notamment ma guitare. Chanter dans les rues et les caf\u00e9s allait devenir bient\u00f4t mon gagne pain et c'est gr\u00e2ce \u00e0 cette guitare sans doute que je n'ai pas sombrer totalement dans la d\u00e9linquance.\n\nJe suis retourn\u00e9 presque aussit\u00f4t vers Paris.\n\nTu es vraiment sans piti\u00e9 avait l\u00e2ch\u00e9 ma m\u00e8re sur le seuil de la porte en me regardant partir \u00e0 nouveau.\n\nCe n'\u00e9tait pas un choix c'\u00e9tait la seule solution que j'avais trouv\u00e9e \u00e0 ce moment l\u00e0 pour ne pas m'emp\u00eatrer dans la compassion ou la piti\u00e9.\n\nSi j' avais succomb\u00e9 \u00e0 ces sentiments m'\u00e9tais je dis sans vraiment me le dire, les choses auraient repris leur cours exactement comme avant j'en \u00e9tais persuad\u00e9.\n\nSi j'avais \u00e9prouv\u00e9 compassion et piti\u00e9 \u00e0 cet instant de ma vie je n'aurais pas eu la m\u00eame vie que celle-ci. Non pas que l'une puisse \u00eatre plus int\u00e9ressante qu'une autre, ni pire ni meilleure. 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Depuis plusieurs jours je ne cesse de penser \u00e0 mille petites choses qui d’ordinaire me paraitraient insignifiantes. Lorsque je dis \"penser\" c’est un bien grand mot. Car \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9, elles se pr\u00e9sentent \u00e0 ma conscience sous forme de petits flashs, comme ces \u00e9toiles filantes dans le ciel nocturne de la mi aout. Il y a toujours un doute sur leur apparition et leur disparition. A un tel point que le spectateur lui-m\u00eame pourrait , \u00e0 ce moment l\u00e0, douter de qui il est.<\/p>\n

Ce sont de petites choses comme par exemple le fait que tr\u00e8s r\u00e9cemment quelqu’un sur le parking a \u00e9prouv\u00e9 le besoin pressant de s’emparer des essuie-glace de mon vieux Kangoo. Ou encore le fait que mon attention se soit soudain fix\u00e9 sur une anfractuosit\u00e9 du grand mur bordant la cour \u00e0 l’Est. Cela m’arrive r\u00e9guli\u00e8rement d’examiner les murs, je pourrais presque parler de manie, ou d’habitude. Alors pourquoi est-ce que mon esprit rejoue r\u00e9guli\u00e8rement la sc\u00e8ne de cet instant l\u00e0 particuli\u00e8rement ? Comme s’il repr\u00e9sentait une sorte de synth\u00e8se de toutes les anfractuosit\u00e9s d\u00e9j\u00e0 observ\u00e9es tout au long de ma vie. Comme si aussi ce vol d’essuie-glace n’\u00e9tait pas seulement un vol d’essuie-glace mais le symbole de nombreux larcins dont j’ai \u00e9t\u00e9 la victime, et m\u00eame le coupable finalement.<\/p>\n

C’est comme si ces micro \u00e9v\u00e8nements \u00e9taient des punaises qui \u00e0 un moment donn\u00e9 \u00e9pinglent la conscience dans un instant particulier, la focalisent sur celui-ci et que simultan\u00e9ment il n’existe plus que cette sc\u00e9nette, que tout le reste tout autour s’\u00e9vanouisse myst\u00e9rieusement.<\/p>\n

Cela forme une sorte de galaxie mais en fait je pourrais aussi bien parler d’un espace clos \u00e0 l’instar d’un bocal dans lequel ma conscience aurait \u00e0 peu de chose pr\u00e8s la forme d’un poisson rouge.<\/p>\n

Et \u00e9videmment ce poisson se heurte perp\u00e9tuellement aux parois de verre du bocal. Il ne peut avoir acc\u00e8s \u00e0 l’au-del\u00e0 de celui-ci.<\/p>\n

Ce qui me fait r\u00e9fl\u00e9chir sur l’attention que l’on porte \u00e0 certains pans de notre existence, \u00e0 certains pans de la r\u00e9alit\u00e9 qui nous entoure, et pas \u00e0 d’autres.<\/p>\n

N’est-ce pas cette attention seule qui cr\u00e9e ce que nous nommons la vie, la r\u00e9alit\u00e9, le monde, et je ne sais quoi d’autre encore ?<\/p>\n

Et nous faisons exactement l\u00e0 m\u00eame chose avec la notion de temps.<\/p>\n

Nous attribuons de l’importance, de l’attention \u00e0 certains instants et tr\u00e8s peu \u00e0 d’autres. C’est comme si nous vivions dans une large proportion de notre existence totalement inconscients et du temps et de la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n

Aussi loin que je puisse me souvenir de qui je suis j’ai toujours \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 par cette \u00e9vidence : l’inconscience dans laquelle nous baignons tous et en m\u00eame temps ce genre de folie d’attacher une attention souvent d\u00e9mesur\u00e9e \u00e0 ce que nous nommons \"important\".<\/p>\n

Peut-\u00eatre que ma r\u00e9volte \u00e0 l’origine ne provient que d’une indignation profonde et qui concerne en grande partie cette indiff\u00e9rence que la plupart des gens entretiennent avec le monde et eux-m\u00eames.<\/p>\n

J’ai perdu si je peux dire un temps formidable, des ann\u00e9es \u00e0 m’insurger contre l’\u00e9vidence.<\/p>\n

Mais dans le fond je ne suis pas si diff\u00e9rent que tout \u00e0 chacun. Je n’attribue pas non plus de l’importance \u00e0 tout. Parfois m\u00eame en ayant pouss\u00e9 jusqu’\u00e0 l’extr\u00eame l’indignation je n’en ai plus attribu\u00e9 \u00e0 rien.<\/p>\n

J’ai pass\u00e9 aussi un temps fou \u00e0 me foutre royalement de tout et surtout de moi-m\u00eame.<\/p>\n

Aujourd’hui j’ai explor\u00e9 \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce qui \u00e9tait en mon pouvoir en mati\u00e8re d’attention ou d’inattention et j’en reviens encore une fois \u00e0 la position du milieu. En esp\u00e9rant qu’il soit juste.<\/p>\n

Juste pour ne faire pencher le fl\u00e9au de la balance ni vers l’une ni vers l’autre.<\/p>\n

Parvenir \u00e0 une \u00e9quanimit\u00e9 quasi totale.<\/p>\n

Mais c’est une folie \u00e9videmment et pour m’en pr\u00e9server \u00e0 un moment donn\u00e9 j’ai du avoir l’intuition que je parviendrai \u00e0 cette conclusion un jour ou un autre, et je me suis pr\u00e9par\u00e9 un antidote.<\/p>\n

Le fait de me marier.<\/p>\n

C’est extraordinaire le mariage quand on y pense. A deux on se corrige perp\u00e9tuellement en mati\u00e8re d’attention.<\/p>\n

Lorsque mon \u00e9pouse par exemple me dit \"tu ne fais attention \u00e0 rien\" j’entends tu ne fais pas assez attention \u00e0 moi.<\/p>\n

Et vice versa \u00e9videmment.<\/p>\n

On a toujours de quoi corriger le tir. Par t\u00e2tonnement peut-on dire, on appr\u00e9hende ce que peut \u00eatre la paix du foyer, quand on est fatigu\u00e9 des guerres.<\/p>\n

Cette fatigue pour autant qu’on s’y int\u00e9resse, que l’on puisse aussi lui accorder de l’attention repr\u00e9sente souvent ce que l’on nomme la fatigue du quotidien.<\/p>\n

C’est \u00e0 dire toute cette attention que l’on porte \u00e0 des habitudes comme aux parois du bocal. Ces habitudes qui cr\u00e9ent le bocal dans lequel il n’y a plus seulement un poisson rouge mais deux.<\/p>\n

On se plaint parfois de cette fatigue, lorsqu’on lui porte une attention trop importante. C’est \u00e0 dire que l’on ne voit pas les b\u00e9n\u00e9fices qu’elle dissimule, qu’on ne veut pas les voir sans doute.<\/p>\n

Pourtant ces deux poissons rouges ne sont pas l\u00e0 par hasard autant qu’on puisse le croire.<\/p>\n

J’\u00e9tais en train d’\u00e9crire ce texte lorsque soudain mon \u00e9pouse m’appelle. Un probl\u00e8me avec son ordinateur \u00e0 r\u00e9soudre de fa\u00e7on urgente.<\/p>\n

La premi\u00e8re chose qui me vient est bien sur l’agacement. Je d\u00e9teste \u00eatre interrompu pendant que j’\u00e9cris. je maugr\u00e9e, je r\u00e2le plusieurs fois, je fais \u00e7a aussi par habitude. Mais je sais aussi qu’\u00e0 un moment ou \u00e0 un autre je vais me lever et me diriger vers son bureau, et examiner le probl\u00e8me.<\/p>\n

C’est toujours le m\u00eame sch\u00e9ma mais j’\u00e9prouve cette n\u00e9cessit\u00e9 de r\u00e2ler malgr\u00e9 tout, de m’attarder quelques instants pour m’apitoyer sur mon propre sort. Le genre \"pourquoi moi ?\" on connait tous plus ou moins cela n’est-ce pas.<\/p>\n

Cet instant, la conscience de cet instant o\u00f9 soudain on baisse les bras et o\u00f9 l’on se dit que ce qu’on est en train de faire n’a pas plus d’importance finalement que le vol d’une paire d’essuie-glace ou bien l’attention que l’on porte \u00e0 un trou dans une paroi.<\/p>\n

On se l\u00e8ve et l’on plonge dans l’inconnu que repr\u00e9sente cette nouvelle panne informatique et on ne se rend m\u00eame pas compte que c’est une chance de traverser enfin la paroi d’un bocal o\u00f9 d’une relation que l’on a install\u00e9e malgr\u00e9 nous ou \u00e0 cause de nous. Que c’est une chance qui s’offre pour voir un peu plus loin que le bout de ses nageoires.<\/p>", "content_text": "Depuis plusieurs jours je ne cesse de penser \u00e0 mille petites choses qui d'ordinaire me paraitraient insignifiantes. Lorsque je dis \"penser\" c'est un bien grand mot. Car \u00e0 la v\u00e9rit\u00e9, elles se pr\u00e9sentent \u00e0 ma conscience sous forme de petits flashs, comme ces \u00e9toiles filantes dans le ciel nocturne de la mi aout. Il y a toujours un doute sur leur apparition et leur disparition. A un tel point que le spectateur lui-m\u00eame pourrait , \u00e0 ce moment l\u00e0, douter de qui il est.\n\nCe sont de petites choses comme par exemple le fait que tr\u00e8s r\u00e9cemment quelqu'un sur le parking a \u00e9prouv\u00e9 le besoin pressant de s'emparer des essuie-glace de mon vieux Kangoo. Ou encore le fait que mon attention se soit soudain fix\u00e9 sur une anfractuosit\u00e9 du grand mur bordant la cour \u00e0 l'Est. Cela m'arrive r\u00e9guli\u00e8rement d'examiner les murs, je pourrais presque parler de manie, ou d'habitude. Alors pourquoi est-ce que mon esprit rejoue r\u00e9guli\u00e8rement la sc\u00e8ne de cet instant l\u00e0 particuli\u00e8rement ? Comme s'il repr\u00e9sentait une sorte de synth\u00e8se de toutes les anfractuosit\u00e9s d\u00e9j\u00e0 observ\u00e9es tout au long de ma vie. Comme si aussi ce vol d'essuie-glace n'\u00e9tait pas seulement un vol d'essuie-glace mais le symbole de nombreux larcins dont j'ai \u00e9t\u00e9 la victime, et m\u00eame le coupable finalement.\n\nC'est comme si ces micro \u00e9v\u00e8nements \u00e9taient des punaises qui \u00e0 un moment donn\u00e9 \u00e9pinglent la conscience dans un instant particulier, la focalisent sur celui-ci et que simultan\u00e9ment il n'existe plus que cette sc\u00e9nette, que tout le reste tout autour s'\u00e9vanouisse myst\u00e9rieusement. \n\nCela forme une sorte de galaxie mais en fait je pourrais aussi bien parler d'un espace clos \u00e0 l'instar d'un bocal dans lequel ma conscience aurait \u00e0 peu de chose pr\u00e8s la forme d'un poisson rouge.\n\nEt \u00e9videmment ce poisson se heurte perp\u00e9tuellement aux parois de verre du bocal. Il ne peut avoir acc\u00e8s \u00e0 l'au-del\u00e0 de celui-ci.\n\nCe qui me fait r\u00e9fl\u00e9chir sur l'attention que l'on porte \u00e0 certains pans de notre existence, \u00e0 certains pans de la r\u00e9alit\u00e9 qui nous entoure, et pas \u00e0 d'autres.\n\nN'est-ce pas cette attention seule qui cr\u00e9e ce que nous nommons la vie, la r\u00e9alit\u00e9, le monde, et je ne sais quoi d'autre encore ?\n\nEt nous faisons exactement l\u00e0 m\u00eame chose avec la notion de temps.\n\nNous attribuons de l'importance, de l'attention \u00e0 certains instants et tr\u00e8s peu \u00e0 d'autres. C'est comme si nous vivions dans une large proportion de notre existence totalement inconscients et du temps et de la r\u00e9alit\u00e9.\n\nAussi loin que je puisse me souvenir de qui je suis j'ai toujours \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 par cette \u00e9vidence: l'inconscience dans laquelle nous baignons tous et en m\u00eame temps ce genre de folie d'attacher une attention souvent d\u00e9mesur\u00e9e \u00e0 ce que nous nommons \"important\".\n\nPeut-\u00eatre que ma r\u00e9volte \u00e0 l'origine ne provient que d'une indignation profonde et qui concerne en grande partie cette indiff\u00e9rence que la plupart des gens entretiennent avec le monde et eux-m\u00eames.\n\nJ'ai perdu si je peux dire un temps formidable, des ann\u00e9es \u00e0 m'insurger contre l'\u00e9vidence.\n\nMais dans le fond je ne suis pas si diff\u00e9rent que tout \u00e0 chacun. Je n'attribue pas non plus de l'importance \u00e0 tout. Parfois m\u00eame en ayant pouss\u00e9 jusqu'\u00e0 l'extr\u00eame l'indignation je n'en ai plus attribu\u00e9 \u00e0 rien.\n\nJ'ai pass\u00e9 aussi un temps fou \u00e0 me foutre royalement de tout et surtout de moi-m\u00eame.\n\nAujourd'hui j'ai explor\u00e9 \u00e0 peu pr\u00e8s tout ce qui \u00e9tait en mon pouvoir en mati\u00e8re d'attention ou d'inattention et j'en reviens encore une fois \u00e0 la position du milieu. En esp\u00e9rant qu'il soit juste.\n\nJuste pour ne faire pencher le fl\u00e9au de la balance ni vers l'une ni vers l'autre.\n\nParvenir \u00e0 une \u00e9quanimit\u00e9 quasi totale.\n\nMais c'est une folie \u00e9videmment et pour m'en pr\u00e9server \u00e0 un moment donn\u00e9 j'ai du avoir l'intuition que je parviendrai \u00e0 cette conclusion un jour ou un autre, et je me suis pr\u00e9par\u00e9 un antidote.\n\nLe fait de me marier.\n\nC'est extraordinaire le mariage quand on y pense. A deux on se corrige perp\u00e9tuellement en mati\u00e8re d'attention.\n\nLorsque mon \u00e9pouse par exemple me dit \"tu ne fais attention \u00e0 rien\" j'entends tu ne fais pas assez attention \u00e0 moi.\n\nEt vice versa \u00e9videmment.\n\nOn a toujours de quoi corriger le tir. Par t\u00e2tonnement peut-on dire, on appr\u00e9hende ce que peut \u00eatre la paix du foyer, quand on est fatigu\u00e9 des guerres.\n\nCette fatigue pour autant qu'on s'y int\u00e9resse, que l'on puisse aussi lui accorder de l'attention repr\u00e9sente souvent ce que l'on nomme la fatigue du quotidien.\n\nC'est \u00e0 dire toute cette attention que l'on porte \u00e0 des habitudes comme aux parois du bocal. Ces habitudes qui cr\u00e9ent le bocal dans lequel il n'y a plus seulement un poisson rouge mais deux.\n\nOn se plaint parfois de cette fatigue, lorsqu'on lui porte une attention trop importante. C'est \u00e0 dire que l'on ne voit pas les b\u00e9n\u00e9fices qu'elle dissimule, qu'on ne veut pas les voir sans doute.\n\nPourtant ces deux poissons rouges ne sont pas l\u00e0 par hasard autant qu'on puisse le croire.\n\nJ'\u00e9tais en train d'\u00e9crire ce texte lorsque soudain mon \u00e9pouse m'appelle. Un probl\u00e8me avec son ordinateur \u00e0 r\u00e9soudre de fa\u00e7on urgente.\n\nLa premi\u00e8re chose qui me vient est bien sur l'agacement. Je d\u00e9teste \u00eatre interrompu pendant que j'\u00e9cris. je maugr\u00e9e, je r\u00e2le plusieurs fois, je fais \u00e7a aussi par habitude. Mais je sais aussi qu'\u00e0 un moment ou \u00e0 un autre je vais me lever et me diriger vers son bureau, et examiner le probl\u00e8me.\n\nC'est toujours le m\u00eame sch\u00e9ma mais j'\u00e9prouve cette n\u00e9cessit\u00e9 de r\u00e2ler malgr\u00e9 tout, de m'attarder quelques instants pour m'apitoyer sur mon propre sort. Le genre \"pourquoi moi ?\" on connait tous plus ou moins cela n'est-ce pas.\n\nCet instant, la conscience de cet instant o\u00f9 soudain on baisse les bras et o\u00f9 l'on se dit que ce qu'on est en train de faire n'a pas plus d'importance finalement que le vol d'une paire d'essuie-glace ou bien l'attention que l'on porte \u00e0 un trou dans une paroi.\n\nOn se l\u00e8ve et l'on plonge dans l'inconnu que repr\u00e9sente cette nouvelle panne informatique et on ne se rend m\u00eame pas compte que c'est une chance de traverser enfin la paroi d'un bocal o\u00f9 d'une relation que l'on a install\u00e9e malgr\u00e9 nous ou \u00e0 cause de nous. 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\"Pour PRG quelques \u00e9l\u00e9ments qui me sont venus suite \u00e0 une question pos\u00e9e sur la notion d’auto-sabotage.\"<\/p>\n

De la pulsion \u00e0 la pens\u00e9e.<\/h2>\n

Pour illustrer ce voyage de la pulsion \u00e0 la pens\u00e9e j\u2019aimerais parler du refus. Un refus magistral tout d\u2019abord qui se manifeste dans la r\u00e9volte, dans un « non » cat\u00e9gorique et ce d\u00e8s les premiers pas.<\/p>\n

Si le but premier, fut interpr\u00e9t\u00e9 par le simple fait de se tenir debout et d\u2019appartenir ainsi \u00e0 l\u2019esp\u00e8ce, tous les efforts \u00e0 produire pour tenter d\u2019y parvenir me parurent absurdes presque imm\u00e9diatement.<\/p>\n

Ces premiers \u00e9checs \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition furent comme pr\u00e9monitoires d\u2019un avenir tiraill\u00e9 entre l\u2019envie de r\u00e9ussir quoique ce soit et celle de syst\u00e9matiquement tout rater.<\/p>\n

C’est-\u00e0-dire que dans mon for int\u00e9rieur d\u00e9j\u00e0 pesait lourd le pour et le contre.<\/p>\n

J\u2019avais beau me creuser la cervelle je ne comprenais pas grand-chose \u00e0 ces id\u00e9es de r\u00e9ussite qui ne m\u2019appartenaient en rien et que je sentais imp\u00e9rieuses comme un h\u00e9ritage laiss\u00e9 en jach\u00e8re dont j\u2019avais en charge l\u2019entretien et surtout l\u2019injonction silencieuse d\u2019une fructification.<\/p>\n

Il fallait faire mieux. C\u2019\u00e9tait ce mot d\u2019ordre certainement qui n\u2019\u00e9tait jamais prononc\u00e9 clairement qu\u2019il fallait capter.<\/p>\n

Que j\u2019ai capt\u00e9 comme un buvard boit l\u2019encre.<\/p>\n

Faire mieux \u00e9tait un non-dit, un implicite et tout ce qui n\u2019\u00e9tait que « bien » ne pesait pas bien lourd dans cette balance invisible.<\/p>\n

Je crois que mes tous premiers refus tirent leur origine de cette injonction invisible qui, par son importance, son omnipr\u00e9sence, \u00e9tait une b\u00e9ance trouant le monde tranquille que l\u2019on me pr\u00e9sentait sans rel\u00e2che comme une r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 accepter les yeux ferm\u00e9s.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui avec le recul les choses se sont complexifi\u00e9es car les ann\u00e9es et l\u2019exp\u00e9rience m\u2019auront contraint \u00e0 appr\u00e9cier ou d\u00e9tester la nuance.<\/p>\n

\u00c9videmment que rien n\u2019est noir ou blanc, qu\u2019entre ces deux extr\u00eames s\u2019\u00e9talent l\u2019immense gamme des gris.<\/p>\n

Un marais boueux dans lequel on s\u2019engage pour chercher quelque chose que l\u2019on ne trouve jamais.<\/p>\n

Parce que tout bonnement l\u2019important n\u2019est pas de trouver mais de traverser.<\/p>\n

Toutes ces pens\u00e9es semblables \u00e0 des poup\u00e9es russes dont l\u2019ultime est si infime, si insignifiante qu\u2019elle se confond \u00e0 l\u2019extr\u00eame avec l\u2019incoh\u00e9rence.<\/p>\n

Comme si la coh\u00e9rence naissait de la pr\u00e9sence invisible elle aussi cette graine folle.<\/p>\n

Comme si la coh\u00e9rence \u00e9tait la seule et unique n\u00e9cessit\u00e9 que des g\u00e9n\u00e9rations pass\u00e9es nous avaient l\u00e9gu\u00e9e comme on l\u00e9guait la braise et la flamme pour permettre au groupe de s\u2019\u00e9clairer dans l\u2019obscur, de traverser la nuit, tout en se r\u00e9chauffant \u00e0 l\u2019abri des vents glacials.<\/p>\n

La sauvagerie dont je parle remonte \u00e0 une \u00e9poque d\u2019avant la d\u00e9couverte du feu, d\u2019avant la d\u00e9couverte de cette coh\u00e9rence.<\/p>\n

Cette sauvagerie animale prise au pi\u00e8ge si l\u2019on veut, dans les filets de la logique incompr\u00e9hensible n\u00e9cessitant de se lever, de marcher, de se tenir enfin debout comme tout le monde.<\/p>\n

Je ne me souviens pas de mes premiers pas.<\/p>\n

Je ne me souviens que de l\u2019effroi provoqu\u00e9 par le fait de ne pas y parvenir, de cette d\u00e9sesp\u00e9rance apportant avec elle la col\u00e8re, la haine, l\u2019envie de me terrer \u00e0 jamais sous terre, la preuve de ma faillite comme si quelqu\u2019un ou quelque chose n\u2019attendait que celle-ci.<\/p>\n

Cette attente indicible de la chute \u00e0 venir comme une clause \u00e9crite en minuscules dans un contrat illisible.<\/p>\n

L\u2019ambition ne pouvait provenir que d\u2019un sentiment de revanche, du ressentiment. L\u2019ambition \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 souill\u00e9e avant m\u00eame qu\u2019elle ne se pr\u00e9sente comme but \u00e0 atteindre comme un chemin sans emb\u00fbche.<\/p>\n

Et je n\u2019\u00e9tais pas d\u2019accord avec cette ambition-l\u00e0, je n\u2019ai jamais cess\u00e9 de lutter contre sans m\u00eame conna\u00eetre le mot.<\/p>\n

Cette ambition \u00e9tait un fardeau qui amoindrissait l\u2019\u00eatre qui le recroquevillait sur lui-m\u00eame, qui ne rendait rien heureux, mais au contraire posait sur un pi\u00e9destal l\u2019effort le difficile, la souffrance et le p\u00e9nible comme des passages oblig\u00e9s dans le labyrinthe que repr\u00e9sente toute id\u00e9e de r\u00e9ussite.<\/p>\n

Au mieux j\u2019\u00e9prouvais de la compassion au pire la sensation du ridicule qu\u2019entrainait un tel postulat.<\/p>\n

Et je ne me d\u00e9cidais jamais \u00e0 prendre parti pour l\u2019une ou l\u2019autre. La meilleure position que j\u2019ai toujours choisie \u00e9tait de me tenir dans l\u2019\u00e9quidistance de ces deux extr\u00eames.<\/p>\n

Entre l\u2019amour fou et la d\u00e9rision la plus totale.<\/p>\n

Si je puis \u00e9crire tout cela aujourd\u2019hui c\u2019est que malgr\u00e9 tout j\u2019ai effectu\u00e9 un chemin qui s\u2019\u00e9lance depuis la pulsion jusqu\u2019\u00e0 la pens\u00e9e en passant sans doute par le kal\u00e9idoscope de toutes les \u00e9motions, de tous les sentiments.<\/p>\n

Je me suis \u00e9loign\u00e9 du centre n\u00e9vralgique sans pour autant jamais le quitter du regard.<\/p>\n

A bien y r\u00e9fl\u00e9chir je ne suis pas peintre pour rien.<\/p>\n

Je ne peux voir un tableau comme une obsession qu\u2019en prenant de la distance avec ceux-ci, en multipliant les points de vue. En me d\u00e9tachant des \u00e9motions des pulsions basiques comme des id\u00e9es toutes faites.<\/p>\n

A bien y r\u00e9fl\u00e9chir aussi ce n\u2019est pas ce qu\u2019il y a sur le tableau qui m\u2019int\u00e9resse le plus.<\/p>\n

C\u2019est bien plus le cheminement pour parvenir \u00e0 accepter qu\u2019il y a quelque chose \u00e0 voir, et que je suis en partie responsable de ce quelque chose. Que sans moi il n\u2019y aurait qu\u2019une toile vierge.<\/p>\n

Que sans moi il n\u2019y aurait qu\u2019une attente silencieuse s\u2019\u00e9tendant aux confins de l\u2019univers comme une faim, une soif qui ne s\u2019apaisent jamais.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que je peins aussi pour cela pour calmer la faim et la soif, pour leur donner une raison d\u2019\u00eatre si ce n\u2019est une raison v\u00e9ritable, partageable, \u00e9changeable. Un \u00eatre plus qu\u2019un avoir, une possession, une propri\u00e9t\u00e9, un bien.<\/p>\n

La peinture est d\u2019abord un m\u00e9dium. Un outil. Ce n\u2019est jamais une fin en soi. Mais c\u2019est l\u2019outil que j\u2019ai choisi pour cheminer entre la pulsion et la pens\u00e9e. Ce qui est \u00e9tonnant c\u2019est la facult\u00e9 que poss\u00e8de la peinture pour faire taire la pens\u00e9e tout en la nourrissant de silence et de calme. Comme un enfant que calmerait une m\u00e8re en lui donnant le sein pour qu\u2019il s\u2019arr\u00eate de brailler.<\/p>\n

Mes tableaux sont ils vraiment repr\u00e9sentatifs de ce cheminement ? Et quand bien m\u00eame en quoi cela int\u00e9resserait il les gens ? c\u2019est ce que je me demande de plus en plus d\u00e9sormais.<\/p>\n

Lorsque je regarde l\u2019ensemble je ne vois gu\u00e8re qu\u2019un fouillis, un d\u00e9sordre. Des scories r\u00e9sultant du creusement d\u2019un filon laiss\u00e9 \u00e0 ciel ouvert par les mineurs.<\/p>\n

Il faut alors que je me pose la bonne question : Qu\u2019est ce qui est vraiment important ?<\/p>\n

Est-ce la d\u00e9ception de ne pas avoir r\u00e9alis\u00e9 une \u0153uvre digne de ce nom et rejoindre ainsi l\u2019amertume familiale pour jouir enfin de tout mon saoul du leg ?<\/p>\n

Ou bien est-ce la reconnaissance de poss\u00e9der un c\u0153ur vraiment contre toute attente. D\u2019\u00eatre parvenu finalement \u00e0 trouver cette fameuse pierre philosophale capable de transmuter le plomb en or et de garantir une \u00e9ternelle jeunesse ?<\/p>\n

L\u00e0 encore je ne prendrais pas position. Je me dirais encore que la modestie vaut bien tous les tr\u00e9sors tous les legs du monde.<\/p>\n

L\u2019entre-deux m\u2019a toujours aid\u00e9 finalement \u00e0 ne pas sombrer dans la folie c’est-\u00e0-dire \u00e0 revenir tout entier dans la pulsion ni \u00e0 m\u2019\u00e9garer \u00e0 jamais dans la sublimation.<\/p>\n

C\u2019est comme cela que j\u2019ai compris qu\u2019il fallait marcher au bout du compte, je ne suis pas fichu de dire si c\u2019est la meilleure ou la pire fa\u00e7on de se tenir debout et d\u2019appartenir \u00e0 l\u2019esp\u00e8ce.<\/p>\n

Mais c\u2019est celle qui me convient et qui me m\u00e8nera sans aucun doute \u00e0 la destination finale le plus na\u00efvement lucide que possible. Pour \u00e7a je crois que j’aurais fait de mon mieux<\/em> comme on dit. A ne pas confondre je ne le crois plus avec du d\u00e9sespoir ou de l’auto-sabotage, il me semble que c’est tout le contraire. Sans doute que pour la plupart ce ne sera pas limpide mais je mettrais ma main au feu, c’est serein et joyeux me concernant.<\/p>\n

Le raffinement \u00e0 venir.<\/h2>\n

Peut-\u00eatre faut il consid\u00e9rer le raffinement comme l\u2019extraction d\u2019une essence plut\u00f4t que de m\u2019essayer \u00e0 devenir dandy. Le laboratoire me convient mieux que n\u2019importe quelle mondanit\u00e9. Je suis bien, plus \u00e0 l\u2019aise, avec les alambics et les cornues qu\u2019avec n\u2019importe quel \u00eatre humain qui exprimerait cette n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019avoir \u00e0 parler, \u00e0 partager, \u00e0 expliquer \u00e9changer, bref qui se donnerait une raison d\u2019exister.<\/p>\n

Un autre moi insupportable plus encore que je m\u2019insupporte moi-m\u00eame.<\/p>\n

Le raffinement passe aussi par la solitude, celle de l\u2019atelier, celle de la page de traitement de texte.<\/p>\n

Au bout du compte ce sont les seuls lieux o\u00f9 je me sens bien, o\u00f9 j\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00eatre totalement pr\u00e9sent et de marcher sans produire trop d\u2019effort. Mieux que de marcher m\u00eame car c\u2019est autre chose que simplement le corps qui est en mouvement.<\/p>\n

C\u2019est la sauvagerie et la pens\u00e9e enfin alli\u00e9es pour une \u00e9ternit\u00e9 d\u2019instants, deux contraintes qui forment un pont une passerelle, une libert\u00e9.<\/p>", "content_text": "\"Pour PRG quelques \u00e9l\u00e9ments qui me sont venus suite \u00e0 une question pos\u00e9e sur la notion d'auto-sabotage.\"De la pulsion \u00e0 la pens\u00e9e.\n\nPour illustrer ce voyage de la pulsion \u00e0 la pens\u00e9e j\u2019aimerais parler du refus. Un refus magistral tout d\u2019abord qui se manifeste dans la r\u00e9volte, dans un \u00ab non \u00bb cat\u00e9gorique et ce d\u00e8s les premiers pas.\n\nSi le but premier, fut interpr\u00e9t\u00e9 par le simple fait de se tenir debout et d\u2019appartenir ainsi \u00e0 l\u2019esp\u00e8ce, tous les efforts \u00e0 produire pour tenter d\u2019y parvenir me parurent absurdes presque imm\u00e9diatement.\n\nCes premiers \u00e9checs \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition furent comme pr\u00e9monitoires d\u2019un avenir tiraill\u00e9 entre l\u2019envie de r\u00e9ussir quoique ce soit et celle de syst\u00e9matiquement tout rater.\n\nC'est-\u00e0-dire que dans mon for int\u00e9rieur d\u00e9j\u00e0 pesait lourd le pour et le contre.\n\nJ\u2019avais beau me creuser la cervelle je ne comprenais pas grand-chose \u00e0 ces id\u00e9es de r\u00e9ussite qui ne m\u2019appartenaient en rien et que je sentais imp\u00e9rieuses comme un h\u00e9ritage laiss\u00e9 en jach\u00e8re dont j\u2019avais en charge l\u2019entretien et surtout l\u2019injonction silencieuse d\u2019une fructification.\n\nIl fallait faire mieux. C\u2019\u00e9tait ce mot d\u2019ordre certainement qui n\u2019\u00e9tait jamais prononc\u00e9 clairement qu\u2019il fallait capter.\n\nQue j\u2019ai capt\u00e9 comme un buvard boit l\u2019encre.\n\nFaire mieux \u00e9tait un non-dit, un implicite et tout ce qui n\u2019\u00e9tait que \u00ab bien \u00bb ne pesait pas bien lourd dans cette balance invisible.\n\nJe crois que mes tous premiers refus tirent leur origine de cette injonction invisible qui, par son importance, son omnipr\u00e9sence, \u00e9tait une b\u00e9ance trouant le monde tranquille que l\u2019on me pr\u00e9sentait sans rel\u00e2che comme une r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 accepter les yeux ferm\u00e9s.\n\nAujourd\u2019hui avec le recul les choses se sont complexifi\u00e9es car les ann\u00e9es et l\u2019exp\u00e9rience m\u2019auront contraint \u00e0 appr\u00e9cier ou d\u00e9tester la nuance.\n\n\u00c9videmment que rien n\u2019est noir ou blanc, qu\u2019entre ces deux extr\u00eames s\u2019\u00e9talent l\u2019immense gamme des gris.\n\nUn marais boueux dans lequel on s\u2019engage pour chercher quelque chose que l\u2019on ne trouve jamais.\n\nParce que tout bonnement l\u2019important n\u2019est pas de trouver mais de traverser.\n\nToutes ces pens\u00e9es semblables \u00e0 des poup\u00e9es russes dont l\u2019ultime est si infime, si insignifiante qu\u2019elle se confond \u00e0 l\u2019extr\u00eame avec l\u2019incoh\u00e9rence.\n\nComme si la coh\u00e9rence naissait de la pr\u00e9sence invisible elle aussi cette graine folle.\n\nComme si la coh\u00e9rence \u00e9tait la seule et unique n\u00e9cessit\u00e9 que des g\u00e9n\u00e9rations pass\u00e9es nous avaient l\u00e9gu\u00e9e comme on l\u00e9guait la braise et la flamme pour permettre au groupe de s\u2019\u00e9clairer dans l\u2019obscur, de traverser la nuit, tout en se r\u00e9chauffant \u00e0 l\u2019abri des vents glacials.\n\nLa sauvagerie dont je parle remonte \u00e0 une \u00e9poque d\u2019avant la d\u00e9couverte du feu, d\u2019avant la d\u00e9couverte de cette coh\u00e9rence.\n\nCette sauvagerie animale prise au pi\u00e8ge si l\u2019on veut, dans les filets de la logique incompr\u00e9hensible n\u00e9cessitant de se lever, de marcher, de se tenir enfin debout comme tout le monde.\n\nJe ne me souviens pas de mes premiers pas.\n\nJe ne me souviens que de l\u2019effroi provoqu\u00e9 par le fait de ne pas y parvenir, de cette d\u00e9sesp\u00e9rance apportant avec elle la col\u00e8re, la haine, l\u2019envie de me terrer \u00e0 jamais sous terre, la preuve de ma faillite comme si quelqu\u2019un ou quelque chose n\u2019attendait que celle-ci.\n\nCette attente indicible de la chute \u00e0 venir comme une clause \u00e9crite en minuscules dans un contrat illisible.\n\nL\u2019ambition ne pouvait provenir que d\u2019un sentiment de revanche, du ressentiment. L\u2019ambition \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 souill\u00e9e avant m\u00eame qu\u2019elle ne se pr\u00e9sente comme but \u00e0 atteindre comme un chemin sans emb\u00fbche.\n\nEt je n\u2019\u00e9tais pas d\u2019accord avec cette ambition-l\u00e0, je n\u2019ai jamais cess\u00e9 de lutter contre sans m\u00eame conna\u00eetre le mot.\n\nCette ambition \u00e9tait un fardeau qui amoindrissait l\u2019\u00eatre qui le recroquevillait sur lui-m\u00eame, qui ne rendait rien heureux, mais au contraire posait sur un pi\u00e9destal l\u2019effort le difficile, la souffrance et le p\u00e9nible comme des passages oblig\u00e9s dans le labyrinthe que repr\u00e9sente toute id\u00e9e de r\u00e9ussite.\n\nAu mieux j\u2019\u00e9prouvais de la compassion au pire la sensation du ridicule qu\u2019entrainait un tel postulat.\n\nEt je ne me d\u00e9cidais jamais \u00e0 prendre parti pour l\u2019une ou l\u2019autre. La meilleure position que j\u2019ai toujours choisie \u00e9tait de me tenir dans l\u2019\u00e9quidistance de ces deux extr\u00eames.\n\nEntre l\u2019amour fou et la d\u00e9rision la plus totale.\n\nSi je puis \u00e9crire tout cela aujourd\u2019hui c\u2019est que malgr\u00e9 tout j\u2019ai effectu\u00e9 un chemin qui s\u2019\u00e9lance depuis la pulsion jusqu\u2019\u00e0 la pens\u00e9e en passant sans doute par le kal\u00e9idoscope de toutes les \u00e9motions, de tous les sentiments.\n\nJe me suis \u00e9loign\u00e9 du centre n\u00e9vralgique sans pour autant jamais le quitter du regard.\n\nA bien y r\u00e9fl\u00e9chir je ne suis pas peintre pour rien.\n\nJe ne peux voir un tableau comme une obsession qu\u2019en prenant de la distance avec ceux-ci, en multipliant les points de vue. En me d\u00e9tachant des \u00e9motions des pulsions basiques comme des id\u00e9es toutes faites.\n\nA bien y r\u00e9fl\u00e9chir aussi ce n\u2019est pas ce qu\u2019il y a sur le tableau qui m\u2019int\u00e9resse le plus.\n\nC\u2019est bien plus le cheminement pour parvenir \u00e0 accepter qu\u2019il y a quelque chose \u00e0 voir, et que je suis en partie responsable de ce quelque chose. Que sans moi il n\u2019y aurait qu\u2019une toile vierge.\n\nQue sans moi il n\u2019y aurait qu\u2019une attente silencieuse s\u2019\u00e9tendant aux confins de l\u2019univers comme une faim, une soif qui ne s\u2019apaisent jamais.\n\nPeut-\u00eatre que je peins aussi pour cela pour calmer la faim et la soif, pour leur donner une raison d\u2019\u00eatre si ce n\u2019est une raison v\u00e9ritable, partageable, \u00e9changeable. Un \u00eatre plus qu\u2019un avoir, une possession, une propri\u00e9t\u00e9, un bien.\n\nLa peinture est d\u2019abord un m\u00e9dium. Un outil. Ce n\u2019est jamais une fin en soi. Mais c\u2019est l\u2019outil que j\u2019ai choisi pour cheminer entre la pulsion et la pens\u00e9e. Ce qui est \u00e9tonnant c\u2019est la facult\u00e9 que poss\u00e8de la peinture pour faire taire la pens\u00e9e tout en la nourrissant de silence et de calme. Comme un enfant que calmerait une m\u00e8re en lui donnant le sein pour qu\u2019il s\u2019arr\u00eate de brailler.\n\nMes tableaux sont ils vraiment repr\u00e9sentatifs de ce cheminement ? Et quand bien m\u00eame en quoi cela int\u00e9resserait il les gens ? c\u2019est ce que je me demande de plus en plus d\u00e9sormais.\n\nLorsque je regarde l\u2019ensemble je ne vois gu\u00e8re qu\u2019un fouillis, un d\u00e9sordre. Des scories r\u00e9sultant du creusement d\u2019un filon laiss\u00e9 \u00e0 ciel ouvert par les mineurs.\n\nIl faut alors que je me pose la bonne question : Qu\u2019est ce qui est vraiment important ?\n\nEst-ce la d\u00e9ception de ne pas avoir r\u00e9alis\u00e9 une \u0153uvre digne de ce nom et rejoindre ainsi l\u2019amertume familiale pour jouir enfin de tout mon saoul du leg ?\n\nOu bien est-ce la reconnaissance de poss\u00e9der un c\u0153ur vraiment contre toute attente. D\u2019\u00eatre parvenu finalement \u00e0 trouver cette fameuse pierre philosophale capable de transmuter le plomb en or et de garantir une \u00e9ternelle jeunesse ?\n\nL\u00e0 encore je ne prendrais pas position. Je me dirais encore que la modestie vaut bien tous les tr\u00e9sors tous les legs du monde.\n\nL\u2019entre-deux m\u2019a toujours aid\u00e9 finalement \u00e0 ne pas sombrer dans la folie c'est-\u00e0-dire \u00e0 revenir tout entier dans la pulsion ni \u00e0 m\u2019\u00e9garer \u00e0 jamais dans la sublimation.\n\nC\u2019est comme cela que j\u2019ai compris qu\u2019il fallait marcher au bout du compte, je ne suis pas fichu de dire si c\u2019est la meilleure ou la pire fa\u00e7on de se tenir debout et d\u2019appartenir \u00e0 l\u2019esp\u00e8ce.\n\nMais c\u2019est celle qui me convient et qui me m\u00e8nera sans aucun doute \u00e0 la destination finale le plus na\u00efvement lucide que possible. Pour \u00e7a je crois que j'aurais fait de mon mieux comme on dit. A ne pas confondre je ne le crois plus avec du d\u00e9sespoir ou de l'auto-sabotage, il me semble que c'est tout le contraire. Sans doute que pour la plupart ce ne sera pas limpide mais je mettrais ma main au feu, c'est serein et joyeux me concernant.Le raffinement \u00e0 venir.\n\nPeut-\u00eatre faut il consid\u00e9rer le raffinement comme l\u2019extraction d\u2019une essence plut\u00f4t que de m\u2019essayer \u00e0 devenir dandy. Le laboratoire me convient mieux que n\u2019importe quelle mondanit\u00e9. Je suis bien, plus \u00e0 l\u2019aise, avec les alambics et les cornues qu\u2019avec n\u2019importe quel \u00eatre humain qui exprimerait cette n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019avoir \u00e0 parler, \u00e0 partager, \u00e0 expliquer \u00e9changer, bref qui se donnerait une raison d\u2019exister.\n\nUn autre moi insupportable plus encore que je m\u2019insupporte moi-m\u00eame.\n\nLe raffinement passe aussi par la solitude, celle de l\u2019atelier, celle de la page de traitement de texte.\n\nAu bout du compte ce sont les seuls lieux o\u00f9 je me sens bien, o\u00f9 j\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00eatre totalement pr\u00e9sent et de marcher sans produire trop d\u2019effort. Mieux que de marcher m\u00eame car c\u2019est autre chose que simplement le corps qui est en mouvement.\n\nC\u2019est la sauvagerie et la pens\u00e9e enfin alli\u00e9es pour une \u00e9ternit\u00e9 d\u2019instants, deux contraintes qui forment un pont une passerelle, une libert\u00e9.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_1959.jpg?1763208494", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ] }