{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/itineraires.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/itineraires.html", "title": "Itin\u00e9raires", "date_published": "2019-09-30T16:24:00Z", "date_modified": "2025-12-20T22:57:13Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Tr\u00e8s t\u00f4t je ressens l’appel de la for\u00eat, c’est plus fort que moi, comme une voix \u00e0 l’int\u00e9rieur qui ne cesse de me dire : vas-y, abandonne tout ce que tu es en train de faire, et rejoins les arbres.<\/p>\n
Je crois que je viens juste d’obtenir mon premier v\u00e9lo quand les premi\u00e8res injonctions int\u00e9rieures d\u00e9butent. Je viens tout juste d’avoir sept ans, ma t\u00eate est en feu, le monde entier me semble \u00eatre un cauchemar permanent, alors je d\u00e9cide de partir.<\/p>\n
La for\u00eat de Tron\u00e7ais est proche dans mon esprit mais il me faut beaucoup de temps et d’efforts n\u00e9anmoins pour parvenir \u00e0 la rejoindre. Il y a tout d’abord cette grande c\u00f4te \u00e0 grimper sur quelques kilom\u00e8tres avant de prendre \u00e0 gauche et rejoindre l’Aumance, \u00e0 la hauteur d’H\u00e9risson dont j’aper\u00e7ois les ruines du ch\u00e2teau, ensuite \u00e7a file \u00e0 peu pr\u00e8s droit mais sur un ruban qui n’en finit pas de s’allonger encore et encore... Peu importe, le soleil traverse le tissu de ma chemise pour me chauffer le corps, je sens la caresse du vent sur ma joue et continue de p\u00e9daler, ivre de libert\u00e9, entre les champs de bl\u00e9, de luzerne, de ma\u00efs, sur la petite d\u00e9partementale.<\/p>\n
Enfin je l’aper\u00e7ois. Une grande masse sombre se d\u00e9coupe \u00e0 l’horizon. La route au loin s’enfonce dans celle-ci.<\/p>\n
Je mets le cap vers le Rond du Tr\u00e9sor, et ce faisant je me r\u00e9p\u00e8te l’histoire que me racontait mon grand-oncle. « Entre le premier coup et le dernier coup de l’horloge de Saint-Bonnet, le village voisin, tu peux venir voir car tout est vrai : le soir de No\u00ebl \u00e0 minuit, la terre s’ouvre exactement ici et laisse alors entrevoir des quantit\u00e9s inou\u00efes de tr\u00e9sors, si tu es rapide, tu peux vite t’engouffrer mais prends garde de ne pas rester enferm\u00e9, car la terre ne s’ouvrira \u00e0 nouveau que l’ann\u00e9e suivante. »<\/p>\n
Cette question me hantera, je crois, toute ma vie. Que faire alors ? Tenter le coup et se d\u00e9p\u00eacher de s’emparer des tr\u00e9sors de la terre ? Ou bien renoncer carr\u00e9ment en les contemplant de loin ?<\/p>\n
\u00c0 presque soixante ans, je dois avouer que je n’ai toujours pas r\u00e9solu cette question.<\/p>\n
Illustration<\/strong>Ch\u00eane de la for\u00eat de Tron\u00e7ais Photographie Philippe Morize<\/p>",
"content_text": " Tr\u00e8s t\u00f4t je ressens l'appel de la for\u00eat, c'est plus fort que moi, comme une voix \u00e0 l'int\u00e9rieur qui ne cesse de me dire : vas-y, abandonne tout ce que tu es en train de faire, et rejoins les arbres. Je crois que je viens juste d'obtenir mon premier v\u00e9lo quand les premi\u00e8res injonctions int\u00e9rieures d\u00e9butent. Je viens tout juste d'avoir sept ans, ma t\u00eate est en feu, le monde entier me semble \u00eatre un cauchemar permanent, alors je d\u00e9cide de partir. La for\u00eat de Tron\u00e7ais est proche dans mon esprit mais il me faut beaucoup de temps et d'efforts n\u00e9anmoins pour parvenir \u00e0 la rejoindre. Il y a tout d'abord cette grande c\u00f4te \u00e0 grimper sur quelques kilom\u00e8tres avant de prendre \u00e0 gauche et rejoindre l'Aumance, \u00e0 la hauteur d'H\u00e9risson dont j'aper\u00e7ois les ruines du ch\u00e2teau, ensuite \u00e7a file \u00e0 peu pr\u00e8s droit mais sur un ruban qui n'en finit pas de s'allonger encore et encore... Peu importe, le soleil traverse le tissu de ma chemise pour me chauffer le corps, je sens la caresse du vent sur ma joue et continue de p\u00e9daler, ivre de libert\u00e9, entre les champs de bl\u00e9, de luzerne, de ma\u00efs, sur la petite d\u00e9partementale. Enfin je l'aper\u00e7ois. Une grande masse sombre se d\u00e9coupe \u00e0 l'horizon. La route au loin s'enfonce dans celle-ci. Je mets le cap vers le Rond du Tr\u00e9sor, et ce faisant je me r\u00e9p\u00e8te l'histoire que me racontait mon grand-oncle. \u00ab Entre le premier coup et le dernier coup de l'horloge de Saint-Bonnet, le village voisin, tu peux venir voir car tout est vrai : le soir de No\u00ebl \u00e0 minuit, la terre s'ouvre exactement ici et laisse alors entrevoir des quantit\u00e9s inou\u00efes de tr\u00e9sors, si tu es rapide, tu peux vite t'engouffrer mais prends garde de ne pas rester enferm\u00e9, car la terre ne s'ouvrira \u00e0 nouveau que l'ann\u00e9e suivante. \u00bb Cette question me hantera, je crois, toute ma vie. Que faire alors ? Tenter le coup et se d\u00e9p\u00eacher de s'emparer des tr\u00e9sors de la terre ? Ou bien renoncer carr\u00e9ment en les contemplant de loin ? \u00c0 presque soixante ans, je dois avouer que je n'ai toujours pas r\u00e9solu cette question. **Illustration**Ch\u00eane de la for\u00eat de Tron\u00e7ais Photographie Philippe Morize ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/arbre-de-tronc3a7ais.jpg?1765992240",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-jauge.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-jauge.html",
"title": "La jauge ",
"date_published": "2019-09-30T16:21:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:57:26Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "<\/md>\n Mon grand-p\u00e8re le faisait d\u00e9j\u00e0, il continuait \u00e0 conduire des bornes et des bornes apr\u00e8s que le t\u00e9moin de la jauge d’essence s’est allum\u00e9. J’ai \u00e9videmment fait mien cet h\u00e9ritage, ce peu, ce presque rien \u00e0 h\u00e9riter m’\u00e9tant devenu, j’imagine, d’autant plus pr\u00e9cieux au fur et \u00e0 mesure des ann\u00e9es que j’ai \u00e9t\u00e9 spoli\u00e9 de tout le reste.<\/p>\n Non pas que j’en conserve une rancune particuli\u00e8re d\u00e9sormais. Non, j’ai tout pardonn\u00e9 bien s\u00fbr, sinon il m’aurait \u00e9t\u00e9 proprement impossible de vivre. La rage et la haine ne durent qu’un temps pour apprendre \u00e0 se construire diff\u00e9remment, il faut cependant \u00e9viter de les conserver comme des alli\u00e9s persistants, car nul doute que ceux-ci auraient t\u00f4t fait de nous d\u00e9vorer les entrailles.<\/p>\n J’allais m’engager sur la route de Vanosc lorsque j’en ai eu marre tout \u00e0 coup de jouer avec le feu. J’ai fait signe aux quatre v\u00e9hicules qui me suivaient de me d\u00e9passer en indiquant sommairement la destination vers laquelle nous nous dirigions, et puis j’ai rebrouss\u00e9 chemin vers la nationale, je me suis engag\u00e9 dans la direction de Saint-Agr\u00e8ve, autrement dit vers l’inconnu, dans la qu\u00eate d’une station d’essence.<\/p>\n La route s’enfon\u00e7ant entre les flancs des collines ard\u00e9choises ne pr\u00e9sageait rien qui vaille, nulle maison, nul village, pendant quelques kilom\u00e8tres je me demandais \u00e0 la fois jusqu’o\u00f9 il allait falloir rouler en m\u00eame temps que je faisais un point rapide sur les cons\u00e9quences d\u00e9sagr\u00e9ables de la sale manie qui m’avait \u00e9t\u00e9 transmise.<\/p>\n Tomber en panne serait tellement ridicule, plusieurs fois j’avais imagin\u00e9 m’arr\u00eater \u00e0 une station, elles \u00e9taient nombreuses dans Annonay tout \u00e0 l’heure, mais \u00e0 l’id\u00e9e d’interrompre le convoi tout entier, j’avais \u00e9lud\u00e9. Entre deux situations ridicules, c’est souvent la pire qu’il s’agit de choisir \u00e9videmment.<\/p>\n Un bref instant, j’aper\u00e7ois la silhouette falote de ce petit gamin sur le dos duquel les parents ont placard\u00e9 leur d\u00e9pit dans le mot « cancre » et qui devait se rendre au village le samedi pour aller qu\u00e9rir le pain et le journal.<\/p>\n C’est derri\u00e8re un nouveau virage que soudain j’aper\u00e7us la station, au d\u00e9but j’ai cru qu’elle \u00e9tait abandonn\u00e9e, tout paraissait si d\u00e9suet, \u00e0 l’abandon, pas m\u00eame d’enseigne lumineuse indiquant les tarifs des carburants. J’allais presque la d\u00e9passer avec d\u00e9pit lorsque j’ai aper\u00e7u la porte du bureau entrouverte. Coup de frein, marche arri\u00e8re, et me voil\u00e0 devant une charmante petite dame qui me demande pour combien je veux de 95.<\/p>\n Le destin une fois de plus aura donc \u00e9t\u00e9 cl\u00e9ment et m’aura pardonn\u00e9 cette nouvelle provocation, quasiment automatique.<\/p>\n Il faudra tout de m\u00eame que je creuse un peu plus un jour d’o\u00f9 me vient cette sensation d’avoir toujours plus ou moins peur d’\u00eatre ridicule. Au volant de la Twingo de mon \u00e9pouse, je roule lentement sur la route \u00e9troite menant vers les hauteurs d’une des mille et une collines de la Dr\u00f4me. Le cap est trac\u00e9 par la pr\u00e9sence, au loin, des gigantesques \u00e9oliennes dont la blancheur se d\u00e9coupe sur fond de ciel bleu profond.<\/p>\n Enfin j’arrive \u00e0 Saint-Martin-des-Rosiers et actionne le clignotant pour indiquer que je vais tourner \u00e0 gauche.<\/p>\n \u00c0 l’angle, les b\u00e2timents de l’\u00e9cole sont d\u00e9serts ce samedi. Alors je tente de me rem\u00e9morer les quelques souvenirs de mes interventions ici en tant que prof d’arts plastiques, mais je comprends que c’est surtout pour calmer l’excitation que j’\u00e9prouve \u00e0 chaque tour de roue suppl\u00e9mentaire.<\/p>\n Aujourd’hui, samedi, je suis invit\u00e9 \u00e0 d\u00e9jeuner par des personnes formidables, Michel et Marie, et je me mets des claques, je me pince, afin de chasser loin de moi les quelques miasmes de d\u00e9pression chronique dont j’aime \u00eatre la victime chaque automne.<\/p>\n \u00c9trangement, toutes les applications de mon smartphone sont en panne, Maps ne donne plus signe de vie. Je dois donc faire confiance \u00e0 mon instinct pour trouver la maison que je cherche. L’entr\u00e9e du village de Fay-le-Clos est un champ de bataille organis\u00e9 par la voirie du coin. Coup de chance, quelques centaines de m\u00e8tres apr\u00e8s avoir emprunt\u00e9 au hasard la route de droite, j’aper\u00e7ois une pancarte qui m’indique l’atelier « MCA ART ».<\/p>\n Me voici en train de me garer devant une vieille b\u00e2tisse avec d\u00e9pendances, deux grands arbres majestueux l’ombragent sur la face avant et je reste un instant pour regarder en contrebas la vall\u00e9e qui s’\u00e9tend. Ici pas d’usine, rien que des champs.<\/p>\n Au sommet de la colline derri\u00e8re la maison, je peux encore apercevoir les immenses pales tourner silencieusement.<\/p>\n D’autres v\u00e9hicules sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, je regarde mon portable, il n’est pas loin d’\u00eatre 13 h, je dois \u00eatre bon dernier \u00e0 l’aune de mes pens\u00e9es d\u00e9pressives que je tente de balayer encore en poussant le portail et en levant la main tout en criant « coucou ».<\/p>\n Michel, bien que toujours calme, a l’air content de me voir et je souffle un peu, et puis tout de suite Marie qui vient \u00e0 ma rencontre et qui m’apprend avec \u00e9motion en m’embrassant combien elle est contente et soulag\u00e9e que je sois venu.<\/p>\n Bon, alors je peux vraiment respirer un bon coup et en finir avec mes angoisses d\u00e9pressives, je me dis : ouf, je vais passer un bon moment, allez.<\/p>\n Je lui tends les g\u00e2teaux et le cadeau que j’ai pr\u00e9par\u00e9s pour mon grand ami Chaman qui est l\u00e0 lui aussi et dont nous devons c\u00e9l\u00e9brer l’anniversaire. Enfin, \u00e7a y est, je les aper\u00e7ois tous, les invit\u00e9s, d\u00e9j\u00e0 attabl\u00e9s, portant les verres \u00e0 leurs l\u00e8vres.<\/p>\n Pendant que Marie dispara\u00eet dans la p\u00e9nombre de la cuisine, je marche vers la grande table, embrasse des visages connus, serre des mains et m’installe. Bon sang, \u00e7a faisait tellement longtemps que je n’avais pas \u00e9t\u00e9 invit\u00e9 que je me f\u00e9liciterais presque de ma prise de d\u00e9cision de ce matin, de m’\u00eatre encourag\u00e9 et de cette attention \u00e0 ne pas me laisser submerger par mes \u00e9motions contradictoires de ces derniers jours.<\/p>\n Apr\u00e8s quelques gorg\u00e9es d’un d\u00e9licieux vin de sureau concoct\u00e9 par la ma\u00eetresse des lieux, je parviens enfin \u00e0 me d\u00e9tendre.<\/p>\n Le soleil est chaud et ach\u00e8ve d’apaiser toutes mes angoisses qui peu \u00e0 peu se dissipent en \u00e9coutant le chant global des multiples sujets de conversation. Je retrouve un peu de ces anciens moments perdus dans le temps que je n’aimais pas cependant, enfant. Ils me reviennent soudain transform\u00e9s de mani\u00e8re in\u00e9dite, peut-\u00eatre par la nostalgie, et cela \u00e9voque tout \u00e0 coup un vrai repas de famille.<\/p>\n Nous abordons le temps comme une plage longue et sablonneuse propice \u00e0 la r\u00eaverie, le luxe du temps avant de repartir vers Vanosc dans l’Ard\u00e8che voisine en fin d’apr\u00e8s-midi pour participer au finissage d’une exposition \u00e0 laquelle deux seulement d’entre nous, Marie et moi, participent.<\/p>\n Le grand chaman ne dit presque rien, il est heureux, cela se voit, de temps en temps je jette un coup d’\u0153il vers lui et il me tire discr\u00e8tement la langue en souriant.<\/p>\n Le grand chien blanc de la maison s’approche de moi et vient poser sa t\u00eate sur ma jambe dans un mouvement d’abandon qui m’\u00e9meut presque aux larmes soudain. En lui caressant le museau et le cr\u00e2ne, je repense \u00e0 toutes les amiti\u00e9s que j’ai laiss\u00e9es filer un bref instant, moi le paria perp\u00e9tuel, le d\u00e9chir\u00e9 de toujours, et ce moment familial m’\u00e9trille en profondeur.<\/p>\n Puis je me reprends vite en lui parlant : « Hum, tu es attir\u00e9 par la bouffe, toi ? »<\/p>\n Sans doute aussi, pour me ressaisir, je me l\u00e8ve tout \u00e0 coup en constatant l’incomp\u00e9tence marqu\u00e9e en mati\u00e8re de d\u00e9coupe de volaille de mon voisin d’en face.<\/p>\n Moi, petit-fils de volailler, je ne peux pas accepter qu’on maltraite ainsi une bestiole.<\/p>\n Et de m’emparer du grand couteau puis de tenter de d\u00e9couper chirurgicalement, et surtout sans perdre mon honneur, le poulet en de jolis morceaux bien pr\u00e9sent\u00e9s.<\/p>\n Encore une chose de bien, c’est le fait d’y arriver, me dis-je en apart\u00e9.<\/p>\n En fait, je ne sais plus vraiment de quoi nous avons parl\u00e9 tout le long du repas. Ce n’est pas cela l’important dans le fond. L’important, c’est cette bouff\u00e9e de chaleur humaine que j’ai pu accueillir \u00e0 c\u0153ur ouvert, courageusement, sans me r\u00e9fugier dans le jugement ou la pitrerie.<\/p>\n Il est possible en fait que tout ce que l’on raconte sur la vall\u00e9e en dessous soit vrai, que tous les gens qui vivent l\u00e0 sont un peu magn\u00e9tiseurs, voyants, connaissent le langage des animaux et savent gu\u00e9rir autrement qu’avec des pilules.<\/p>\n De temps en temps j’aper\u00e7ois un chat qui traverse l’espace du jardin, puis deux, chacun cherchant un lieu ensoleill\u00e9 pour s’allonger et jouir de la caresse chaude de ces premiers jours d’automne.<\/p>\n Je suis si bien d’un coup que lorsque j’entends Marie dire : « Personne ne veut plus de whisky ? », mon sang ne fait qu’un tour et je lui tends mon verre. La chaleur de l’alcool que je sens p\u00e9n\u00e9trer dans mon gosier me fait l’effet d’un shoot pour un drogu\u00e9 en manque depuis longtemps.<\/p>\n Soudain, nous nous apercevons au fil de la discussion, Gr\u00e9gory mon voisin de gauche, Marie et moi, que nous avons tous \u00e9t\u00e9 des gamins maltrait\u00e9s. Cela me fiche un coup qu’on en fasse le constat \u00e0 cet instant pr\u00e9cis o\u00f9 j’\u00e9tais en train justement de ruminer toutes ces choses de fa\u00e7on solitaire.<\/p>\n Un silence tout \u00e0 coup, quelque chose de suspendu, et puis quelqu’un dit : « Bonjour, mossieur Olive Taponade ! » Tous nous nous engouffrons dans un fou rire salvateur, le temps reprend son cours, nous nous \u00e9loignons du n\u0153ud br\u00fblant des souffrances.<\/p>\n Mon attention se porte sur Michel, le calme Michel dont les cheveux repoussent et qui me dit que cela va de mieux en mieux depuis qu’il a arr\u00eat\u00e9 un traitement. Gr\u00e9gory aussi a eu un \u00e9pisode terrible il y a de cela cinq ans et c’est gr\u00e2ce au m\u00eame traitement dont il aura \u00e9t\u00e9 le cobaye \u00e0 l’\u00e9poque qu’il a surv\u00e9cu. Difficile de leur embo\u00eeter le pas dans cette conversation que je laisse se d\u00e9ployer en conservant le silence.<\/p>\n Ils se connaissent depuis longtemps, Michel et Marie, ils semblent avoir bourlingu\u00e9 beaucoup, essuy\u00e9 temp\u00eates et naufrages, j’entends parler de la Nouvelle-Cal\u00e9donie, et d’autres lieux encore au bout du monde. Il me semble surprendre \u00e0 un moment un passage \u00e0 l’acad\u00e9mie navale. Je ne pose pas de question, j’\u00e9coute. Michel s’exprime avec clart\u00e9 et pr\u00e9cision, une ma\u00eetrise qui m’en dit long sur les barri\u00e8res \u00e0 franchir pour conqu\u00e9rir son amiti\u00e9. Marie est chaleureuse, bienveillante, elle ne craint rien, sa confiance en l’autre semble avoir d\u00e9pass\u00e9 le besoin de tout retour, de toute compensation. Je d\u00e9couvre des gens merveilleux au fur et \u00e0 mesure que le repas s’\u00e9tend, ce merveilleux, je le soup\u00e7onnais d\u00e9j\u00e0 un peu mais je me m\u00e9fiais encore tout \u00e0 l’heure qu’il ne f\u00fbt encore l’une de mes inventions habituelles pour embellir la tristesse des jours.<\/p>\n Mais non, cette fois pas besoin d’inventer, les gens ils sont r\u00e9els comme j’aime la r\u00e9alit\u00e9, cette r\u00e9alit\u00e9 qui se loge dans la profondeur du monde et qui ne surgit que trop rarement pour reprendre son souffle.<\/p>\n Le grand chaman est rest\u00e9 silencieux pendant presque tout le repas. Il \u00e9coutait l’ensemble et aussi certainement bien plus encore. Poliment, comme seul lui sait le faire, avec cette extr\u00eame pudeur qui fait pendant \u00e0 son orgueil presque enfantin parfois, il a d\u00e9clar\u00e9 qu’il \u00e9tait touch\u00e9 par cette c\u00e9l\u00e9bration comme jamais il ne l’avait \u00e9t\u00e9.<\/p>\n Peut-\u00eatre que finalement lui aussi a pass\u00e9 une enfance difficile, me suis-je dit, mais nous n’en savons rien, il s’est tu en savourant le verre de champagne qu’il tenait puis il nous a encore une fois tir\u00e9 la langue et j’ai su que tout \u00e9tait parfait, exactement comme il le fallait.<\/p>",
"content_text": " Au volant de la Twingo de mon \u00e9pouse, je roule lentement sur la route \u00e9troite menant vers les hauteurs d'une des mille et une collines de la Dr\u00f4me. Le cap est trac\u00e9 par la pr\u00e9sence, au loin, des gigantesques \u00e9oliennes dont la blancheur se d\u00e9coupe sur fond de ciel bleu profond. Enfin j'arrive \u00e0 Saint-Martin-des-Rosiers et actionne le clignotant pour indiquer que je vais tourner \u00e0 gauche. \u00c0 l'angle, les b\u00e2timents de l'\u00e9cole sont d\u00e9serts ce samedi. Alors je tente de me rem\u00e9morer les quelques souvenirs de mes interventions ici en tant que prof d'arts plastiques, mais je comprends que c'est surtout pour calmer l'excitation que j'\u00e9prouve \u00e0 chaque tour de roue suppl\u00e9mentaire. Aujourd'hui, samedi, je suis invit\u00e9 \u00e0 d\u00e9jeuner par des personnes formidables, Michel et Marie, et je me mets des claques, je me pince, afin de chasser loin de moi les quelques miasmes de d\u00e9pression chronique dont j'aime \u00eatre la victime chaque automne. \u00c9trangement, toutes les applications de mon smartphone sont en panne, Maps ne donne plus signe de vie. Je dois donc faire confiance \u00e0 mon instinct pour trouver la maison que je cherche. L'entr\u00e9e du village de Fay-le-Clos est un champ de bataille organis\u00e9 par la voirie du coin. Coup de chance, quelques centaines de m\u00e8tres apr\u00e8s avoir emprunt\u00e9 au hasard la route de droite, j'aper\u00e7ois une pancarte qui m'indique l'atelier \u00ab MCA ART \u00bb. Me voici en train de me garer devant une vieille b\u00e2tisse avec d\u00e9pendances, deux grands arbres majestueux l'ombragent sur la face avant et je reste un instant pour regarder en contrebas la vall\u00e9e qui s'\u00e9tend. Ici pas d'usine, rien que des champs. Au sommet de la colline derri\u00e8re la maison, je peux encore apercevoir les immenses pales tourner silencieusement. D'autres v\u00e9hicules sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, je regarde mon portable, il n'est pas loin d'\u00eatre 13 h, je dois \u00eatre bon dernier \u00e0 l'aune de mes pens\u00e9es d\u00e9pressives que je tente de balayer encore en poussant le portail et en levant la main tout en criant \u00ab coucou \u00bb. Michel, bien que toujours calme, a l'air content de me voir et je souffle un peu, et puis tout de suite Marie qui vient \u00e0 ma rencontre et qui m'apprend avec \u00e9motion en m'embrassant combien elle est contente et soulag\u00e9e que je sois venu. Bon, alors je peux vraiment respirer un bon coup et en finir avec mes angoisses d\u00e9pressives, je me dis : ouf, je vais passer un bon moment, allez. Je lui tends les g\u00e2teaux et le cadeau que j'ai pr\u00e9par\u00e9s pour mon grand ami Chaman qui est l\u00e0 lui aussi et dont nous devons c\u00e9l\u00e9brer l'anniversaire. Enfin, \u00e7a y est, je les aper\u00e7ois tous, les invit\u00e9s, d\u00e9j\u00e0 attabl\u00e9s, portant les verres \u00e0 leurs l\u00e8vres. Pendant que Marie dispara\u00eet dans la p\u00e9nombre de la cuisine, je marche vers la grande table, embrasse des visages connus, serre des mains et m'installe. Bon sang, \u00e7a faisait tellement longtemps que je n'avais pas \u00e9t\u00e9 invit\u00e9 que je me f\u00e9liciterais presque de ma prise de d\u00e9cision de ce matin, de m'\u00eatre encourag\u00e9 et de cette attention \u00e0 ne pas me laisser submerger par mes \u00e9motions contradictoires de ces derniers jours. Apr\u00e8s quelques gorg\u00e9es d'un d\u00e9licieux vin de sureau concoct\u00e9 par la ma\u00eetresse des lieux, je parviens enfin \u00e0 me d\u00e9tendre. Le soleil est chaud et ach\u00e8ve d'apaiser toutes mes angoisses qui peu \u00e0 peu se dissipent en \u00e9coutant le chant global des multiples sujets de conversation. Je retrouve un peu de ces anciens moments perdus dans le temps que je n'aimais pas cependant, enfant. Ils me reviennent soudain transform\u00e9s de mani\u00e8re in\u00e9dite, peut-\u00eatre par la nostalgie, et cela \u00e9voque tout \u00e0 coup un vrai repas de famille. Nous abordons le temps comme une plage longue et sablonneuse propice \u00e0 la r\u00eaverie, le luxe du temps avant de repartir vers Vanosc dans l'Ard\u00e8che voisine en fin d'apr\u00e8s-midi pour participer au finissage d'une exposition \u00e0 laquelle deux seulement d'entre nous, Marie et moi, participent. Le grand chaman ne dit presque rien, il est heureux, cela se voit, de temps en temps je jette un coup d'\u0153il vers lui et il me tire discr\u00e8tement la langue en souriant. Le grand chien blanc de la maison s'approche de moi et vient poser sa t\u00eate sur ma jambe dans un mouvement d'abandon qui m'\u00e9meut presque aux larmes soudain. En lui caressant le museau et le cr\u00e2ne, je repense \u00e0 toutes les amiti\u00e9s que j'ai laiss\u00e9es filer un bref instant, moi le paria perp\u00e9tuel, le d\u00e9chir\u00e9 de toujours, et ce moment familial m'\u00e9trille en profondeur. Puis je me reprends vite en lui parlant : \u00ab Hum, tu es attir\u00e9 par la bouffe, toi ? \u00bb Sans doute aussi, pour me ressaisir, je me l\u00e8ve tout \u00e0 coup en constatant l'incomp\u00e9tence marqu\u00e9e en mati\u00e8re de d\u00e9coupe de volaille de mon voisin d'en face. Moi, petit-fils de volailler, je ne peux pas accepter qu'on maltraite ainsi une bestiole. - Mais non, pas besoin de d\u00e9couper les os avec une cisaille, les cartilages existent ! Il suffit de les retrouver ! Et de m'emparer du grand couteau puis de tenter de d\u00e9couper chirurgicalement, et surtout sans perdre mon honneur, le poulet en de jolis morceaux bien pr\u00e9sent\u00e9s. Encore une chose de bien, c'est le fait d'y arriver, me dis-je en apart\u00e9. En fait, je ne sais plus vraiment de quoi nous avons parl\u00e9 tout le long du repas. Ce n'est pas cela l'important dans le fond. L'important, c'est cette bouff\u00e9e de chaleur humaine que j'ai pu accueillir \u00e0 c\u0153ur ouvert, courageusement, sans me r\u00e9fugier dans le jugement ou la pitrerie. Il est possible en fait que tout ce que l'on raconte sur la vall\u00e9e en dessous soit vrai, que tous les gens qui vivent l\u00e0 sont un peu magn\u00e9tiseurs, voyants, connaissent le langage des animaux et savent gu\u00e9rir autrement qu'avec des pilules. De temps en temps j'aper\u00e7ois un chat qui traverse l'espace du jardin, puis deux, chacun cherchant un lieu ensoleill\u00e9 pour s'allonger et jouir de la caresse chaude de ces premiers jours d'automne. Je suis si bien d'un coup que lorsque j'entends Marie dire : \u00ab Personne ne veut plus de whisky ? \u00bb, mon sang ne fait qu'un tour et je lui tends mon verre. La chaleur de l'alcool que je sens p\u00e9n\u00e9trer dans mon gosier me fait l'effet d'un shoot pour un drogu\u00e9 en manque depuis longtemps. Soudain, nous nous apercevons au fil de la discussion, Gr\u00e9gory mon voisin de gauche, Marie et moi, que nous avons tous \u00e9t\u00e9 des gamins maltrait\u00e9s. Cela me fiche un coup qu'on en fasse le constat \u00e0 cet instant pr\u00e9cis o\u00f9 j'\u00e9tais en train justement de ruminer toutes ces choses de fa\u00e7on solitaire. Un silence tout \u00e0 coup, quelque chose de suspendu, et puis quelqu'un dit : \u00ab Bonjour, mossieur Olive Taponade ! \u00bb Tous nous nous engouffrons dans un fou rire salvateur, le temps reprend son cours, nous nous \u00e9loignons du n\u0153ud br\u00fblant des souffrances. Mon attention se porte sur Michel, le calme Michel dont les cheveux repoussent et qui me dit que cela va de mieux en mieux depuis qu'il a arr\u00eat\u00e9 un traitement. Gr\u00e9gory aussi a eu un \u00e9pisode terrible il y a de cela cinq ans et c'est gr\u00e2ce au m\u00eame traitement dont il aura \u00e9t\u00e9 le cobaye \u00e0 l'\u00e9poque qu'il a surv\u00e9cu. Difficile de leur embo\u00eeter le pas dans cette conversation que je laisse se d\u00e9ployer en conservant le silence. Ils se connaissent depuis longtemps, Michel et Marie, ils semblent avoir bourlingu\u00e9 beaucoup, essuy\u00e9 temp\u00eates et naufrages, j'entends parler de la Nouvelle-Cal\u00e9donie, et d'autres lieux encore au bout du monde. Il me semble surprendre \u00e0 un moment un passage \u00e0 l'acad\u00e9mie navale. Je ne pose pas de question, j'\u00e9coute. Michel s'exprime avec clart\u00e9 et pr\u00e9cision, une ma\u00eetrise qui m'en dit long sur les barri\u00e8res \u00e0 franchir pour conqu\u00e9rir son amiti\u00e9. Marie est chaleureuse, bienveillante, elle ne craint rien, sa confiance en l'autre semble avoir d\u00e9pass\u00e9 le besoin de tout retour, de toute compensation. Je d\u00e9couvre des gens merveilleux au fur et \u00e0 mesure que le repas s'\u00e9tend, ce merveilleux, je le soup\u00e7onnais d\u00e9j\u00e0 un peu mais je me m\u00e9fiais encore tout \u00e0 l'heure qu'il ne f\u00fbt encore l'une de mes inventions habituelles pour embellir la tristesse des jours. Mais non, cette fois pas besoin d'inventer, les gens ils sont r\u00e9els comme j'aime la r\u00e9alit\u00e9, cette r\u00e9alit\u00e9 qui se loge dans la profondeur du monde et qui ne surgit que trop rarement pour reprendre son souffle. Le grand chaman est rest\u00e9 silencieux pendant presque tout le repas. Il \u00e9coutait l'ensemble et aussi certainement bien plus encore. Poliment, comme seul lui sait le faire, avec cette extr\u00eame pudeur qui fait pendant \u00e0 son orgueil presque enfantin parfois, il a d\u00e9clar\u00e9 qu'il \u00e9tait touch\u00e9 par cette c\u00e9l\u00e9bration comme jamais il ne l'avait \u00e9t\u00e9. Peut-\u00eatre que finalement lui aussi a pass\u00e9 une enfance difficile, me suis-je dit, mais nous n'en savons rien, il s'est tu en savourant le verre de champagne qu'il tenait puis il nous a encore une fois tir\u00e9 la langue et j'ai su que tout \u00e9tait parfait, exactement comme il le fallait. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/p1040750-2.jpg?1765991877",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/maitre-jacques.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/maitre-jacques.html",
"title": "Ma\u00eetre-Jacques",
"date_published": "2019-09-29T14:18:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:58:00Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Le local de la confr\u00e9rie se situe tout au bout d’un r\u00e9seau compliqu\u00e9 de galeries. Le sol est brillant comme ceux des parkings et les murs ont \u00e9t\u00e9 creus\u00e9s par des machines puissantes aux m\u00e2choires de titane dans la chair sablonneuse du sous-sol parisien. Nul ne saurait dire en apercevant la pyramide de verre en surface l’immensit\u00e9 des structures qui se dissimulent sous les anciennes b\u00e2tisses \u00e9rig\u00e9es au XIIe si\u00e8cle qui abriteront Fran\u00e7ois 1er puis un peu plus tard le roi Soleil.<\/p>\n Sa forme d’origine s’appuie sur le carr\u00e9 et au milieu de celui-ci s’\u00e9levait la « grosse tour » qui devait servir \u00e0 la fois \u00e0 prot\u00e9ger et probablement plus tard \u00e0 surveiller aussi bien l’ext\u00e9rieur que l’int\u00e9rieur de la ville. Historiquement celle-ci \u00e9voque d\u00e9j\u00e0 la pr\u00e9sence du futur minist\u00e8re des finances car elle sert de « coffre-fort » royal et en m\u00eame temps de prison. Ainsi un de ses plus c\u00e9l\u00e8bres prisonniers sera le Comte Ferrand, adversaire de Philippe Auguste qui restera emprisonn\u00e9 durant treize ann\u00e9es apr\u00e8s sa d\u00e9faite \u00e0 la bataille de Bouvines.<\/p>\n Puis Paris peu \u00e0 peu progresse et les environs du Louvre, \u00e0 l’origine une zone rurale, se peuplent de plus en plus. Un quartier dense s’\u00e9tablit qui fait perdre aux fortifications leur int\u00e9r\u00eat d\u00e9fensif. Les rois de France qui se doivent de visiter fr\u00e9quemment Paris \u00e9tablissent peu \u00e0 peu leur demeure dans le futur mus\u00e9e. Ainsi sous Saint Louis une grande salle \u00e0 piliers est-elle \u00e9tablie dans les sous-sols du ch\u00e2teau qui existe toujours aujourd’hui.<\/p>\n C’est \u00e0 son retour en France, apr\u00e8s sa captivit\u00e9 en Espagne suite \u00e0 la d\u00e9faite de Pavie (1525) que Fran\u00e7ois 1er d\u00e9cide de transformer le Louvre pour en faire sa r\u00e9sidence principale. L’ancienne construction m\u00e9di\u00e9vale sera remise au go\u00fbt du jour et ce n’est qu’\u00e0 la fin de son r\u00e8gne que le ch\u00e2teau sera enti\u00e8rement reconstruit. Cependant ce ne sera que sous Henri II que les principales modifications seront effectu\u00e9es.<\/p>\n C’est en piochant sur internet que j’ai glan\u00e9 les quelques informations au-dessus car \u00e9videmment au moment dans lequel je suis en train d’avancer vers le local technique des ma\u00eetres jacques du mus\u00e9e je ne connais que peu de choses de ce lieu ni m\u00eame en ce qui concerne le job pour lequel j’ai \u00e9t\u00e9 convoqu\u00e9.<\/p>\n Un agent de s\u00e9curit\u00e9 taciturne marche \u00e0 mes c\u00f4t\u00e9s activant des verrous \u00e9lectroniques avec son badge, nous suivons un itin\u00e9raire labyrinthique et soudain j’entends une voix puissante surgir au-del\u00e0 d’un \u00e9ni\u00e8me virage, puis une silhouette massive, un visage \u00e9trange fascinant, le regard bleu qui me happe tout entier, me soup\u00e8se en une fraction de seconde.<\/p>\n « Ah c’est toi le nouveau, bienvenue chez les ma\u00eetres jacques du palais mon jeune ami ! »<\/p>\n Nous nous serrons la main, l’agent de s\u00e9curit\u00e9 est remerci\u00e9 poliment et je p\u00e9n\u00e8tre dans le local, une pi\u00e8ce de quelques m\u00e8tres carr\u00e9s, un peu plus grande qu’une chambre \u00e0 coucher, avec en son centre une grande table et des chaises, la cafeti\u00e8re pos\u00e9e sur une \u00e9tag\u00e8re dans un angle, des tasses, des miettes de pain ou de viennoiserie et au bout de tout cela se confondant dans la p\u00e9nombre car l’\u00e9clairage est chiche, un noir massif qui me regarde tranquillement en portant sa tasse \u00e0 ses l\u00e8vres et \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui presque insignifiant une sorte de copie du personnage de Gollum dans le seigneur des anneaux.<\/p>\n « Tiens je te pr\u00e9sente tes petits camarades, le grand black c’est Odjo et l’autre, zut j’ai oubli\u00e9, mais non je d\u00e9conne, c’est Cohen » et il \u00e9clate d’un grand rire et les deux autres rient aussi.<\/p>\n \u00c7a commence bien, l’ambiance a l’air bonne je me dis.<\/p>\n Martial, c’est le nom que le chef se donne, ouvre alors une porte de vestiaire en fer et saisit une ventouse pour d\u00e9boucher les \u00e9viers.<\/p>\n « Tiens voil\u00e0 ton arme tu l’aimeras plus que ta m\u00e8re, ta s\u0153ur, ta bite » en imitant le personnage d’un film de guerre am\u00e9ricain.<\/p>\n Je re\u00e7ois la ventouse qu’il vient de m’envoyer par-dessus la grande table, ouf elle ne m’\u00e9chappe pas des mains, j’\u00e9vite le ridicule.<\/p>\n « Allez viens petit Jacques que je te fasse visiter... »<\/p>\n Et c’est alors ce jour-l\u00e0 pour la premi\u00e8re fois de ma vie et en \u00e9tant pay\u00e9 que j’ai visit\u00e9 une grande partie du plus beau mus\u00e9e du monde.<\/p>\n Avec tout de m\u00eame l’accent port\u00e9 par Martial sur ce que les gens ne regardent gu\u00e8re : les toilettes des femmes, les toilettes des hommes et c’est en constatant l’\u00e9tat de celles-ci que j’ai compris vraiment ce que pouvait \u00eatre le contraste, pilier \u00e9l\u00e9mentaire de toute vocation de peintre.<\/p>",
"content_text": " Le local de la confr\u00e9rie se situe tout au bout d'un r\u00e9seau compliqu\u00e9 de galeries. Le sol est brillant comme ceux des parkings et les murs ont \u00e9t\u00e9 creus\u00e9s par des machines puissantes aux m\u00e2choires de titane dans la chair sablonneuse du sous-sol parisien. Nul ne saurait dire en apercevant la pyramide de verre en surface l'immensit\u00e9 des structures qui se dissimulent sous les anciennes b\u00e2tisses \u00e9rig\u00e9es au XIIe si\u00e8cle qui abriteront Fran\u00e7ois 1er puis un peu plus tard le roi Soleil. Sa forme d'origine s'appuie sur le carr\u00e9 et au milieu de celui-ci s'\u00e9levait la \u00ab grosse tour \u00bb qui devait servir \u00e0 la fois \u00e0 prot\u00e9ger et probablement plus tard \u00e0 surveiller aussi bien l'ext\u00e9rieur que l'int\u00e9rieur de la ville. Historiquement celle-ci \u00e9voque d\u00e9j\u00e0 la pr\u00e9sence du futur minist\u00e8re des finances car elle sert de \u00ab coffre-fort \u00bb royal et en m\u00eame temps de prison. Ainsi un de ses plus c\u00e9l\u00e8bres prisonniers sera le Comte Ferrand, adversaire de Philippe Auguste qui restera emprisonn\u00e9 durant treize ann\u00e9es apr\u00e8s sa d\u00e9faite \u00e0 la bataille de Bouvines. Puis Paris peu \u00e0 peu progresse et les environs du Louvre, \u00e0 l'origine une zone rurale, se peuplent de plus en plus. Un quartier dense s'\u00e9tablit qui fait perdre aux fortifications leur int\u00e9r\u00eat d\u00e9fensif. Les rois de France qui se doivent de visiter fr\u00e9quemment Paris \u00e9tablissent peu \u00e0 peu leur demeure dans le futur mus\u00e9e. Ainsi sous Saint Louis une grande salle \u00e0 piliers est-elle \u00e9tablie dans les sous-sols du ch\u00e2teau qui existe toujours aujourd'hui. C'est \u00e0 son retour en France, apr\u00e8s sa captivit\u00e9 en Espagne suite \u00e0 la d\u00e9faite de Pavie (1525) que Fran\u00e7ois 1er d\u00e9cide de transformer le Louvre pour en faire sa r\u00e9sidence principale. L'ancienne construction m\u00e9di\u00e9vale sera remise au go\u00fbt du jour et ce n'est qu'\u00e0 la fin de son r\u00e8gne que le ch\u00e2teau sera enti\u00e8rement reconstruit. Cependant ce ne sera que sous Henri II que les principales modifications seront effectu\u00e9es. C'est en piochant sur internet que j'ai glan\u00e9 les quelques informations au-dessus car \u00e9videmment au moment dans lequel je suis en train d'avancer vers le local technique des ma\u00eetres jacques du mus\u00e9e je ne connais que peu de choses de ce lieu ni m\u00eame en ce qui concerne le job pour lequel j'ai \u00e9t\u00e9 convoqu\u00e9. Un agent de s\u00e9curit\u00e9 taciturne marche \u00e0 mes c\u00f4t\u00e9s activant des verrous \u00e9lectroniques avec son badge, nous suivons un itin\u00e9raire labyrinthique et soudain j'entends une voix puissante surgir au-del\u00e0 d'un \u00e9ni\u00e8me virage, puis une silhouette massive, un visage \u00e9trange fascinant, le regard bleu qui me happe tout entier, me soup\u00e8se en une fraction de seconde. \u00ab Ah c'est toi le nouveau, bienvenue chez les ma\u00eetres jacques du palais mon jeune ami ! \u00bb Nous nous serrons la main, l'agent de s\u00e9curit\u00e9 est remerci\u00e9 poliment et je p\u00e9n\u00e8tre dans le local, une pi\u00e8ce de quelques m\u00e8tres carr\u00e9s, un peu plus grande qu'une chambre \u00e0 coucher, avec en son centre une grande table et des chaises, la cafeti\u00e8re pos\u00e9e sur une \u00e9tag\u00e8re dans un angle, des tasses, des miettes de pain ou de viennoiserie et au bout de tout cela se confondant dans la p\u00e9nombre car l'\u00e9clairage est chiche, un noir massif qui me regarde tranquillement en portant sa tasse \u00e0 ses l\u00e8vres et \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui presque insignifiant une sorte de copie du personnage de Gollum dans le seigneur des anneaux. \u00ab Tiens je te pr\u00e9sente tes petits camarades, le grand black c'est Odjo et l'autre, zut j'ai oubli\u00e9, mais non je d\u00e9conne, c'est Cohen \u00bb et il \u00e9clate d'un grand rire et les deux autres rient aussi. \u00c7a commence bien, l'ambiance a l'air bonne je me dis. Martial, c'est le nom que le chef se donne, ouvre alors une porte de vestiaire en fer et saisit une ventouse pour d\u00e9boucher les \u00e9viers. \u00ab Tiens voil\u00e0 ton arme tu l'aimeras plus que ta m\u00e8re, ta s\u0153ur, ta bite \u00bb en imitant le personnage d'un film de guerre am\u00e9ricain. Je re\u00e7ois la ventouse qu'il vient de m'envoyer par-dessus la grande table, ouf elle ne m'\u00e9chappe pas des mains, j'\u00e9vite le ridicule. \u00ab Allez viens petit Jacques que je te fasse visiter... \u00bb Et c'est alors ce jour-l\u00e0 pour la premi\u00e8re fois de ma vie et en \u00e9tant pay\u00e9 que j'ai visit\u00e9 une grande partie du plus beau mus\u00e9e du monde. Avec tout de m\u00eame l'accent port\u00e9 par Martial sur ce que les gens ne regardent gu\u00e8re : les toilettes des femmes, les toilettes des hommes et c'est en constatant l'\u00e9tat de celles-ci que j'ai compris vraiment ce que pouvait \u00eatre le contraste, pilier \u00e9l\u00e9mentaire de toute vocation de peintre. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ventouse.jpg?1765984721",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-scribe.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-scribe.html",
"title": "Le scribe",
"date_published": "2019-09-28T14:14:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:58:12Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Lorsque j’arrivais dans les salles \u00e9gyptiennes du Mus\u00e9e du Louvre dans lequel le hasard m’avait conduit la premi\u00e8re fois, et que je tombais sur la statue du scribe, quelque chose en moi se brisa, nous ne faisions qu’un \u00e0 travers les si\u00e8cles.<\/p>\n Je me rappelais d’un nom que je n’avais plus utilis\u00e9 depuis longtemps, Thot. Ainsi donc j’\u00e9tais \u00e0 nouveau Thot et me d\u00e9couvrais l\u00e0 devant une repr\u00e9sentation de moi-m\u00eame qu’un vieil ami avait autrefois r\u00e9alis\u00e9e de ma personne.<\/p>\n Je pouvais me souvenir du contact de la pierre dans ma paume caressant la sculpture, j’en retrouvais la granularit\u00e9, et la douceur sans m\u00eame avoir \u00e0 m’en rapprocher \u00e0 nouveau.<\/p>\n C’\u00e9tait une chose tr\u00e8s \u00e9trange de me retrouver soudain face \u00e0 cet autre moi-m\u00eame oubli\u00e9, moi le jeune homme perdu dans la confusion de la jeunesse avec un objet \u00e9trange \u00e0 la main. Une ventouse pour d\u00e9boucher les toilettes dans le plus beau mus\u00e9e du monde.<\/p>\n Ainsi je ne manquais certes pas d’humour, moi le seigneur du temps de m’\u00eatre ainsi \u00e9gar\u00e9 dans les m\u00e9andres de celui-ci pour me perdre au plus profond de ses abysses et revenir soudain avec comme nouveau b\u00e2ton cet objet d\u00e9risoire.<\/p>\n Une fois le choc pass\u00e9, je me remis en marche pour me rendre \u00e0 mon travail que je fis avec application. Tout me revenait par vagues successives et j’acceptais finalement cette nouvelle peau, ce nouveau c\u0153ur, ce nouveau transfert de conscience qui m’avait emport\u00e9 non sans humour vers la fin des temps.<\/p>",
"content_text": " Lorsque j'arrivais dans les salles \u00e9gyptiennes du Mus\u00e9e du Louvre dans lequel le hasard m'avait conduit la premi\u00e8re fois, et que je tombais sur la statue du scribe, quelque chose en moi se brisa, nous ne faisions qu'un \u00e0 travers les si\u00e8cles. Je me rappelais d'un nom que je n'avais plus utilis\u00e9 depuis longtemps, Thot. Ainsi donc j'\u00e9tais \u00e0 nouveau Thot et me d\u00e9couvrais l\u00e0 devant une repr\u00e9sentation de moi-m\u00eame qu'un vieil ami avait autrefois r\u00e9alis\u00e9e de ma personne. Je pouvais me souvenir du contact de la pierre dans ma paume caressant la sculpture, j'en retrouvais la granularit\u00e9, et la douceur sans m\u00eame avoir \u00e0 m'en rapprocher \u00e0 nouveau. C'\u00e9tait une chose tr\u00e8s \u00e9trange de me retrouver soudain face \u00e0 cet autre moi-m\u00eame oubli\u00e9, moi le jeune homme perdu dans la confusion de la jeunesse avec un objet \u00e9trange \u00e0 la main. Une ventouse pour d\u00e9boucher les toilettes dans le plus beau mus\u00e9e du monde. Ainsi je ne manquais certes pas d'humour, moi le seigneur du temps de m'\u00eatre ainsi \u00e9gar\u00e9 dans les m\u00e9andres de celui-ci pour me perdre au plus profond de ses abysses et revenir soudain avec comme nouveau b\u00e2ton cet objet d\u00e9risoire. Une fois le choc pass\u00e9, je me remis en marche pour me rendre \u00e0 mon travail que je fis avec application. Tout me revenait par vagues successives et j'acceptais finalement cette nouvelle peau, ce nouveau c\u0153ur, ce nouveau transfert de conscience qui m'avait emport\u00e9 non sans humour vers la fin des temps. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/scribe.jpg?1765984373",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-axe-de-la-confusion.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-axe-de-la-confusion.html",
"title": "l'axe de la confusion",
"date_published": "2019-09-28T14:10:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:58:23Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Il est un territoire dans lequel je reviens r\u00e9guli\u00e8rement parce qu’il me lave en quelque sorte de toutes les tentatives d’ordonnancement, c’est celui de la confusion.<\/p>\n Les tentatives de mise en ordre de ma vie sont l\u00e9gion. Cela peut aller de vouloir arr\u00eater de fumer, d’arr\u00eater de prendre du sucre dans mon caf\u00e9, d’arr\u00eater de regarder la t\u00e9l\u00e9vision, d’arr\u00eater de me connecter aux r\u00e9seaux sociaux. En g\u00e9n\u00e9ral cela se manifeste par un trop-plein, un d\u00e9go\u00fbt de ma propre image en train de r\u00e9aliser toutes ces choses, et je tente de vouloir changer h\u00e9las en vain.<\/p>\n Surgit ainsi une vell\u00e9it\u00e9 et non vraiment une volont\u00e9 d’arr\u00eater un processus, une habitude afin de la remplacer par une autre et dont la r\u00e9compense serait en quelque sorte compensatoire de la perte de la premi\u00e8re.<\/p>\n Arr\u00eater de fumer me donnerait comme r\u00e9compense de mieux respirer, d’\u00eatre en meilleure sant\u00e9, de pouvoir courir ou travailler plus longtemps sans que je ne ressente de fatigue.<\/p>\n Arr\u00eater de prendre du sucre dans mon caf\u00e9 permettrait aussi de prendre soin de mon corps, de perdre du poids, et de retarder ainsi le vieillissement pr\u00e9matur\u00e9 des milliards de cellules qui le composent.<\/p>\n Et ainsi de suite.<\/p>\n Ici un mot important est celui de r\u00e9compense. Si je ne m’offre pas une r\u00e9compense \u00e0 la mesure de cette perte il y a de grandes chances pour que le processus \u00e9choue.<\/p>\n Or les r\u00e9compenses ne m’int\u00e9ressent que moyennement par rapport aux b\u00e9quilles psychologiques que m’offrent mes anciennes habitudes.<\/p>\n Cela signifie peut-\u00eatre que je ne pense pas assez \u00e0 cette notion de r\u00e9compense en profondeur. Celles-ci en tout cas ne sont pas suffisamment puissantes pour m’extraire de ce que j’appelle la fatalit\u00e9. Alors soudain se dresse « l’\u00e0 quoi bon » qui a le pouvoir de faire table rase de tous ces processus et de les faire avorter.<\/p>\n Je me souviens que j’\u00e9prouvais d\u00e9j\u00e0 cela lorsque j’\u00e9tais au coll\u00e8ge et que le professeur de sport nous intimait l’ordre de courir autour d’un stade. Dans mon for int\u00e9rieur je me h\u00e2tais de trouver cette action aussi ridicule que possible et cette conclusion alourdissait ma foul\u00e9e jusqu’\u00e0 la ralentir, et je finissais r\u00e9guli\u00e8rement en marchant bon dernier.<\/p>\n C’est que le go\u00fbt de l’effort ne m’apparaissait pas comme une chose bonne en soi, \u00e0 contrario de mes camarades qui semblaient m\u00eame en \u00e9prouver un vif plaisir, la course d’endurance pour moi s’arr\u00eatait \u00e0 la souffrance enclose dans un espace-temps ennuyeux.<\/p>\n Je serais tout \u00e0 fait d’accord d’\u00e9voquer la paresse si celle-ci pouvait \u00e0 elle seule expliquer mes \u00e9checs r\u00e9p\u00e9t\u00e9s. Or dans ma vie j’ai d\u00e9couvert que je n’\u00e9tais pas paresseux pour tout, au contraire j’ai d\u00e9ploy\u00e9 des efforts souvent surhumains de patience, de temps et de ruse pour effectuer des travaux qui ne servaient \u00e0 rien. Ainsi ces nombreuses nuits \u00e0 d\u00e9couvrir l’usage de la chambre noire, \u00e0 d\u00e9velopper et tirer des photographies en noir et blanc. Ainsi ces heures pass\u00e9es \u00e0 dessiner et peindre sans jamais vouloir montrer mon travail \u00e0 quiconque. Ainsi les pages et les pages noircies que je n’ai jamais voulu publier.<\/p>\n Une r\u00e9ticence inou\u00efe \u00e0 ne pas vouloir go\u00fbter aux fruits de mon travail artistique notamment que je peux aussi constater dans mon alimentation, je ne mange pratiquement jamais de fruits non plus.<\/p>\n J’ai cru pendant pas mal de temps que c’\u00e9tait parce qu’il fallait les \u00e9plucher, notamment les agrumes, mais c’est tellement ridicule que ce ne peut \u00eatre suffisant. Je pense plus \u00e0 un blocage d’enfant fr\u00e9quentant les bancs du cat\u00e9chisme, une sorte de trauma associ\u00e9 \u00e0 la pomme et aux filles qui ne les offraient que contre d’impayables r\u00e9compenses justement.<\/p>\n Ainsi donc ma vie enti\u00e8re est une succession d’\u00e9checs en mati\u00e8re d’ordonnancement dans l’aspect social de celle-ci. J’ai encha\u00een\u00e9 job sur job la plupart du temps alimentaire car je ne pla\u00e7ais pas l’essentiel dans la notion de carri\u00e8re, mon identit\u00e9 je la voulais ailleurs, essentiellement sur le plan cr\u00e9atif.<\/p>\n Cette distance qui s’installe peu \u00e0 peu avec le groupe, dans la d\u00e9viance des objectifs qu’il impose surtout, contraires \u00e0 mon intuition, car je ne peux parler de pens\u00e9e v\u00e9ritablement, cet \u00e9cart, ce pas de c\u00f4t\u00e9 me co\u00fbta une \u00e9nergie formidable et m’offrit en contrepartie une cr\u00e9ativit\u00e9 \u00e9tonnante.<\/p>\n Je ne souhaitais blesser personne \u00e9videmment, et, \u00e0 m\u00e9nager la ch\u00e8vre comme le chou c’est souvent sur moi que mon propre d\u00e9pit tombait.<\/p>\n Alors je me sens nul, coupable de tous les m\u00e9faits, pas \u00e0 la hauteur, une anomalie ambulante. Patiemment je d\u00e9veloppe un complexe d’inf\u00e9riorit\u00e9 \u00e0 la hauteur de ma sup\u00e9riorit\u00e9 inavou\u00e9e. L’un nourrissant l’autre, et toujours d’une fa\u00e7on mal mod\u00e9r\u00e9e bien s\u00fbr.<\/p>",
"content_text": " Il est un territoire dans lequel je reviens r\u00e9guli\u00e8rement parce qu'il me lave en quelque sorte de toutes les tentatives d'ordonnancement, c'est celui de la confusion. Les tentatives de mise en ordre de ma vie sont l\u00e9gion. Cela peut aller de vouloir arr\u00eater de fumer, d'arr\u00eater de prendre du sucre dans mon caf\u00e9, d'arr\u00eater de regarder la t\u00e9l\u00e9vision, d'arr\u00eater de me connecter aux r\u00e9seaux sociaux. En g\u00e9n\u00e9ral cela se manifeste par un trop-plein, un d\u00e9go\u00fbt de ma propre image en train de r\u00e9aliser toutes ces choses, et je tente de vouloir changer h\u00e9las en vain. Surgit ainsi une vell\u00e9it\u00e9 et non vraiment une volont\u00e9 d'arr\u00eater un processus, une habitude afin de la remplacer par une autre et dont la r\u00e9compense serait en quelque sorte compensatoire de la perte de la premi\u00e8re. Arr\u00eater de fumer me donnerait comme r\u00e9compense de mieux respirer, d'\u00eatre en meilleure sant\u00e9, de pouvoir courir ou travailler plus longtemps sans que je ne ressente de fatigue. Arr\u00eater de prendre du sucre dans mon caf\u00e9 permettrait aussi de prendre soin de mon corps, de perdre du poids, et de retarder ainsi le vieillissement pr\u00e9matur\u00e9 des milliards de cellules qui le composent. Et ainsi de suite. Ici un mot important est celui de r\u00e9compense. Si je ne m'offre pas une r\u00e9compense \u00e0 la mesure de cette perte il y a de grandes chances pour que le processus \u00e9choue. Or les r\u00e9compenses ne m'int\u00e9ressent que moyennement par rapport aux b\u00e9quilles psychologiques que m'offrent mes anciennes habitudes. Cela signifie peut-\u00eatre que je ne pense pas assez \u00e0 cette notion de r\u00e9compense en profondeur. Celles-ci en tout cas ne sont pas suffisamment puissantes pour m'extraire de ce que j'appelle la fatalit\u00e9. Alors soudain se dresse \u00ab l'\u00e0 quoi bon \u00bb qui a le pouvoir de faire table rase de tous ces processus et de les faire avorter. Je me souviens que j'\u00e9prouvais d\u00e9j\u00e0 cela lorsque j'\u00e9tais au coll\u00e8ge et que le professeur de sport nous intimait l'ordre de courir autour d'un stade. Dans mon for int\u00e9rieur je me h\u00e2tais de trouver cette action aussi ridicule que possible et cette conclusion alourdissait ma foul\u00e9e jusqu'\u00e0 la ralentir, et je finissais r\u00e9guli\u00e8rement en marchant bon dernier. C'est que le go\u00fbt de l'effort ne m'apparaissait pas comme une chose bonne en soi, \u00e0 contrario de mes camarades qui semblaient m\u00eame en \u00e9prouver un vif plaisir, la course d'endurance pour moi s'arr\u00eatait \u00e0 la souffrance enclose dans un espace-temps ennuyeux. Je serais tout \u00e0 fait d'accord d'\u00e9voquer la paresse si celle-ci pouvait \u00e0 elle seule expliquer mes \u00e9checs r\u00e9p\u00e9t\u00e9s. Or dans ma vie j'ai d\u00e9couvert que je n'\u00e9tais pas paresseux pour tout, au contraire j'ai d\u00e9ploy\u00e9 des efforts souvent surhumains de patience, de temps et de ruse pour effectuer des travaux qui ne servaient \u00e0 rien. Ainsi ces nombreuses nuits \u00e0 d\u00e9couvrir l'usage de la chambre noire, \u00e0 d\u00e9velopper et tirer des photographies en noir et blanc. Ainsi ces heures pass\u00e9es \u00e0 dessiner et peindre sans jamais vouloir montrer mon travail \u00e0 quiconque. Ainsi les pages et les pages noircies que je n'ai jamais voulu publier. Une r\u00e9ticence inou\u00efe \u00e0 ne pas vouloir go\u00fbter aux fruits de mon travail artistique notamment que je peux aussi constater dans mon alimentation, je ne mange pratiquement jamais de fruits non plus. J'ai cru pendant pas mal de temps que c'\u00e9tait parce qu'il fallait les \u00e9plucher, notamment les agrumes, mais c'est tellement ridicule que ce ne peut \u00eatre suffisant. Je pense plus \u00e0 un blocage d'enfant fr\u00e9quentant les bancs du cat\u00e9chisme, une sorte de trauma associ\u00e9 \u00e0 la pomme et aux filles qui ne les offraient que contre d'impayables r\u00e9compenses justement. Ainsi donc ma vie enti\u00e8re est une succession d'\u00e9checs en mati\u00e8re d'ordonnancement dans l'aspect social de celle-ci. J'ai encha\u00een\u00e9 job sur job la plupart du temps alimentaire car je ne pla\u00e7ais pas l'essentiel dans la notion de carri\u00e8re, mon identit\u00e9 je la voulais ailleurs, essentiellement sur le plan cr\u00e9atif. Cette distance qui s'installe peu \u00e0 peu avec le groupe, dans la d\u00e9viance des objectifs qu'il impose surtout, contraires \u00e0 mon intuition, car je ne peux parler de pens\u00e9e v\u00e9ritablement, cet \u00e9cart, ce pas de c\u00f4t\u00e9 me co\u00fbta une \u00e9nergie formidable et m'offrit en contrepartie une cr\u00e9ativit\u00e9 \u00e9tonnante. Je ne souhaitais blesser personne \u00e9videmment, et, \u00e0 m\u00e9nager la ch\u00e8vre comme le chou c'est souvent sur moi que mon propre d\u00e9pit tombait. Alors je me sens nul, coupable de tous les m\u00e9faits, pas \u00e0 la hauteur, une anomalie ambulante. Patiemment je d\u00e9veloppe un complexe d'inf\u00e9riorit\u00e9 \u00e0 la hauteur de ma sup\u00e9riorit\u00e9 inavou\u00e9e. L'un nourrissant l'autre, et toujours d'une fa\u00e7on mal mod\u00e9r\u00e9e bien s\u00fbr. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/laxe-de-la-confusion2.jpg?1765984162",
"tags": ["ce qu'on ignore vouloir"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/rencontre-chamanique.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/rencontre-chamanique.html",
"title": "Rencontre chamanique",
"date_published": "2019-09-28T14:06:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:58:33Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " C’est durant l’incendie de la for\u00eat amazonienne que le hasard fit que nous nous rencontr\u00e2mes une fois encore.<\/p>\n Cette fois j’avais emport\u00e9 mon appareil photographique et nous nous m\u00eemes au travail derechef.<\/p>\n Le grand chaman je l’observe, pench\u00e9 sur son smartphone dans la p\u00e9nombre de l’entr\u00e9e, il vient de d\u00e9rouler pour moi le grand rouleau long de 7 m\u00e8tres de sa derni\u00e8re \u0153uvre traitant du drame.<\/p>\n La zone frontale juste au-dessus du nez, pro\u00e9minente, vue de l’angle o\u00f9 je me trouve, les cheveux \u00e9bouriff\u00e9s lui conf\u00e8rent un air de hibou sage. Il raconte ainsi sur papier Lokta, ce papier issu d’une \u00e9corce d’arbre n\u00e9palais, la geste de ses symboles et signes pr\u00e9f\u00e9r\u00e9s, la femme papillon incandescente, le chaman br\u00fblant de col\u00e8re, la main cramoisie, le poumon rempli de cendres, la v\u00e9g\u00e9tation en flamme, les animaux \u00e9perdus.<\/p>\n Enfin il se l\u00e8ve et part dans une pi\u00e8ce pour aller qu\u00e9rir un grand carton format raisin bourr\u00e9 de tr\u00e9sors que nous installons dans le salon \u00e0 m\u00eame le plancher juste devant la fen\u00eatre.<\/p>\n Il feuillette tranquillement, extirpant une \u00e0 une les \u0153uvres color\u00e9es qui repr\u00e9sentent les figures embl\u00e9matiques de son \u0153uvre monumentale. Il calcule le nombre d’ann\u00e9es pass\u00e9es \u00e0 voix haute, \u00e9voque la r\u00e9gularit\u00e9 disciplinaire de son ouvrage, chaque matin depuis 30 ans, il s’est assis et s’est resserr\u00e9 progressivement sur quelques symboles seulement qu’il a d\u00e9clin\u00e9s \u00e0 l’infini.<\/p>\n Je photographie debout pench\u00e9 sur chaque \u0153uvre qu’il fait d\u00e9filer. Il ne lui faut gu\u00e8re de temps pour se rep\u00e9rer au bruit du d\u00e9clencheur et nous adoptons de mieux en mieux un rythme de shoot. Chaque image entrevue l’espace d’un instant dans mon viseur me procure un shoot effectivement, un shoot d’adr\u00e9naline, et chose exceptionnelle, je peux ainsi assister \u00e0 toute l’\u00e9volution du travail de cet homme qui s’est d\u00e9vou\u00e9 totalement \u00e0 son art.<\/p>\n Il m’indique les premi\u00e8res recherches sur la femme papillon, gracile mais d\u00e9j\u00e0 tellement tellurique, les premiers chamans qui n’avaient pas encore sur eux le costume qu’ils emprunteront plus tard aux samoura\u00efs.<\/p>\n Je suis \u00e9merveill\u00e9 car j’assiste en direct et \u00e0 rebours \u00e0 la gen\u00e8se de son \u0153uvre.<\/p>\n Nous ferons ce jour-l\u00e0 plus de 300 photographies et c’est \u00e9reint\u00e9s que nous finirons par nous asseoir dans la cuisine devant un bol de th\u00e9 et quelques g\u00e2teaux pour \u00e9changer quelques mots aimables.<\/p>\n Sur la route du retour, empruntant les plus petites routes pour rejoindre mon atelier tranquillement, je mesurais le cadeau que le grand chaman m’avait offert ce jour-l\u00e0.<\/p>\n Sur la banquette passager je jetais de temps \u00e0 autre un coup d’\u0153il \u00e0 l’appareil photo pos\u00e9 et je r\u00e9fl\u00e9chissais au contenu pr\u00e9cieux de la carte m\u00e9moire log\u00e9e \u00e0 l’int\u00e9rieur.<\/p>\n « Et encore tu n’as rien vu » m’avait-il pr\u00e9cis\u00e9 lorsque je le quittais sur le seuil de sa demeure.<\/p>\n Je me posais bien s\u00fbr la question du but, pourquoi proposer ainsi mes services pour photographier son \u0153uvre ? pourquoi tout ce temps pass\u00e9 \u00e0 venir le rencontrer ?<\/p>\n Dans mon esprit il \u00e9tait le chaman qui avait plut\u00f4t bien tourn\u00e9, qui avait su nourrir son esprit de la bonne mani\u00e8re et ce dernier avait produit du fruit gr\u00e2ce entre autres \u00e0 une humilit\u00e9 formidable et \u00e0 la redoutable t\u00e9nacit\u00e9 de son d\u00e9tenteur.<\/p>\n Quant \u00e0 moi j’\u00e9tais le chaman vagabond, butineur, \u00e9parpill\u00e9 et je sentais confus\u00e9ment que le destin, la chance, l’avait plac\u00e9 sur mon chemin afin de m’apprendre encore quelques fameuses le\u00e7ons.<\/p>\n Le tout \u00e9tait de savoir si j’allais en tenir compte ou bien si, comme d’habitude, j’allais me d\u00e9barrasser tranquillement de tout cela, gratuitement pour ainsi dire, \u00e0 seule fin de satisfaire \u00e0 ma curiosit\u00e9 et aussi apaiser une nouvelle fois mon app\u00e9tit f\u00e9roce de libert\u00e9.<\/p>",
"content_text": " C'est durant l'incendie de la for\u00eat amazonienne que le hasard fit que nous nous rencontr\u00e2mes une fois encore. Cette fois j'avais emport\u00e9 mon appareil photographique et nous nous m\u00eemes au travail derechef. Le grand chaman je l'observe, pench\u00e9 sur son smartphone dans la p\u00e9nombre de l'entr\u00e9e, il vient de d\u00e9rouler pour moi le grand rouleau long de 7 m\u00e8tres de sa derni\u00e8re \u0153uvre traitant du drame. La zone frontale juste au-dessus du nez, pro\u00e9minente, vue de l'angle o\u00f9 je me trouve, les cheveux \u00e9bouriff\u00e9s lui conf\u00e8rent un air de hibou sage. Il raconte ainsi sur papier Lokta, ce papier issu d'une \u00e9corce d'arbre n\u00e9palais, la geste de ses symboles et signes pr\u00e9f\u00e9r\u00e9s, la femme papillon incandescente, le chaman br\u00fblant de col\u00e8re, la main cramoisie, le poumon rempli de cendres, la v\u00e9g\u00e9tation en flamme, les animaux \u00e9perdus. Enfin il se l\u00e8ve et part dans une pi\u00e8ce pour aller qu\u00e9rir un grand carton format raisin bourr\u00e9 de tr\u00e9sors que nous installons dans le salon \u00e0 m\u00eame le plancher juste devant la fen\u00eatre. Il feuillette tranquillement, extirpant une \u00e0 une les \u0153uvres color\u00e9es qui repr\u00e9sentent les figures embl\u00e9matiques de son \u0153uvre monumentale. Il calcule le nombre d'ann\u00e9es pass\u00e9es \u00e0 voix haute, \u00e9voque la r\u00e9gularit\u00e9 disciplinaire de son ouvrage, chaque matin depuis 30 ans, il s'est assis et s'est resserr\u00e9 progressivement sur quelques symboles seulement qu'il a d\u00e9clin\u00e9s \u00e0 l'infini. Je photographie debout pench\u00e9 sur chaque \u0153uvre qu'il fait d\u00e9filer. Il ne lui faut gu\u00e8re de temps pour se rep\u00e9rer au bruit du d\u00e9clencheur et nous adoptons de mieux en mieux un rythme de shoot. Chaque image entrevue l'espace d'un instant dans mon viseur me procure un shoot effectivement, un shoot d'adr\u00e9naline, et chose exceptionnelle, je peux ainsi assister \u00e0 toute l'\u00e9volution du travail de cet homme qui s'est d\u00e9vou\u00e9 totalement \u00e0 son art. Il m'indique les premi\u00e8res recherches sur la femme papillon, gracile mais d\u00e9j\u00e0 tellement tellurique, les premiers chamans qui n'avaient pas encore sur eux le costume qu'ils emprunteront plus tard aux samoura\u00efs. Je suis \u00e9merveill\u00e9 car j'assiste en direct et \u00e0 rebours \u00e0 la gen\u00e8se de son \u0153uvre. Nous ferons ce jour-l\u00e0 plus de 300 photographies et c'est \u00e9reint\u00e9s que nous finirons par nous asseoir dans la cuisine devant un bol de th\u00e9 et quelques g\u00e2teaux pour \u00e9changer quelques mots aimables. Sur la route du retour, empruntant les plus petites routes pour rejoindre mon atelier tranquillement, je mesurais le cadeau que le grand chaman m'avait offert ce jour-l\u00e0. Sur la banquette passager je jetais de temps \u00e0 autre un coup d'\u0153il \u00e0 l'appareil photo pos\u00e9 et je r\u00e9fl\u00e9chissais au contenu pr\u00e9cieux de la carte m\u00e9moire log\u00e9e \u00e0 l'int\u00e9rieur. \u00ab Et encore tu n'as rien vu \u00bb m'avait-il pr\u00e9cis\u00e9 lorsque je le quittais sur le seuil de sa demeure. Je me posais bien s\u00fbr la question du but, pourquoi proposer ainsi mes services pour photographier son \u0153uvre ? pourquoi tout ce temps pass\u00e9 \u00e0 venir le rencontrer ? Dans mon esprit il \u00e9tait le chaman qui avait plut\u00f4t bien tourn\u00e9, qui avait su nourrir son esprit de la bonne mani\u00e8re et ce dernier avait produit du fruit gr\u00e2ce entre autres \u00e0 une humilit\u00e9 formidable et \u00e0 la redoutable t\u00e9nacit\u00e9 de son d\u00e9tenteur. Quant \u00e0 moi j'\u00e9tais le chaman vagabond, butineur, \u00e9parpill\u00e9 et je sentais confus\u00e9ment que le destin, la chance, l'avait plac\u00e9 sur mon chemin afin de m'apprendre encore quelques fameuses le\u00e7ons. Le tout \u00e9tait de savoir si j'allais en tenir compte ou bien si, comme d'habitude, j'allais me d\u00e9barrasser tranquillement de tout cela, gratuitement pour ainsi dire, \u00e0 seule fin de satisfaire \u00e0 ma curiosit\u00e9 et aussi apaiser une nouvelle fois mon app\u00e9tit f\u00e9roce de libert\u00e9. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/rencontre-chamaniques.jpg?1765983946",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/un-jour.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/un-jour.html",
"title": "un jour",
"date_published": "2019-09-27T14:02:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:58:46Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Fatigu\u00e9 de faire moine un jour je me fais clown, et dans une glissade auguste, je d\u00e9vale la grande pente.<\/p>\n Arriv\u00e9 l\u00e0 sur le plancher des vaches voici que j’ai gauchement droit \u00e0 toutes les vacheries, les maigres ne sont pas les moindres.<\/p>\n Mais garde \u00e0 vous nom de Dieu, une fleur entre les dents ramass\u00e9e par hasard je serre avec application les m\u00e2choires,<\/p>\n c’est-\u00e0-dire pas trop comme une chatte emm\u00e8ne son petit<\/p>\n \u00e7a fait tellement bien rire, c’est comme un attentat<\/p>\n Explos\u00e9s les gens se fatiguent comme la viande de boucherie<\/p>\n et en gros tout \u00e7a finit dans un sourire.<\/p>\n C’est tout de suite apr\u00e8s que je me suis d\u00e9cid\u00e9 \u00e0 faire le peintre<\/p>\n pour restituer tout \u00e7a dans de jolies couleurs.<\/p>\n Peut-\u00eatre qu’un jour je ne dirai plus rien je ne ferai plus rien.<\/p>\n Je me tairai enfin.<\/p>",
"content_text": " Fatigu\u00e9 de faire moine un jour je me fais clown, et dans une glissade auguste, je d\u00e9vale la grande pente. Arriv\u00e9 l\u00e0 sur le plancher des vaches voici que j'ai gauchement droit \u00e0 toutes les vacheries, les maigres ne sont pas les moindres. Mais garde \u00e0 vous nom de Dieu, une fleur entre les dents ramass\u00e9e par hasard je serre avec application les m\u00e2choires, c'est-\u00e0-dire pas trop comme une chatte emm\u00e8ne son petit \u00e7a fait tellement bien rire, c'est comme un attentat Explos\u00e9s les gens se fatiguent comme la viande de boucherie et en gros tout \u00e7a finit dans un sourire. C'est tout de suite apr\u00e8s que je me suis d\u00e9cid\u00e9 \u00e0 faire le peintre pour restituer tout \u00e7a dans de jolies couleurs. Peut-\u00eatre qu'un jour je ne dirai plus rien je ne ferai plus rien. Je me tairai enfin. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bram-van-velde_1_.jpg?1765983720",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/sensualite.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/sensualite.html",
"title": "Sensualit\u00e9",
"date_published": "2019-09-26T13:55:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:58:56Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " C’est un mot f\u00e9minin, que le masculin tient \u00e0 distance vis-\u00e0-vis de lui-m\u00eame et qui la plupart du temps s’aur\u00e9ole d’un trouble quand il la d\u00e9tecte lui appartenant, apr\u00e8s en avoir joui confus\u00e9ment.<\/p>\n Personne ne nous apprend la sensualit\u00e9 autrement que par le non-dit, par la sensualit\u00e9 subie, v\u00e9cue. Aucune conversation v\u00e9ritable sur le sujet comme si celle-ci faisait partie de la collection de tabous de laquelle nous devons en tant que m\u00e2les nous tenir \u00e9loign\u00e9s.<\/p>\n La sensualit\u00e9 appartient \u00e0 la femme la plupart du temps et se transmute en « paires de nichons », en « cul magnifique », en « bouche \u00e0 tailler des pipes » chez l’homme qui d\u00e9sire l’\u00e9voquer comme la fuir tout en m\u00eame temps. La grossi\u00e8ret\u00e9 est le timbre maladroitement coll\u00e9 sur l’enveloppe que nous adressons \u00e0 notre propre sensualit\u00e9, en d\u00e9sirant la salir aux fronti\u00e8res de la vulgarit\u00e9 pour ne pas vouloir \u00eatre envahi par celle-ci.<\/p>\n Et pourtant dans son nom m\u00eame s’inscrit le sens. Un sens magistral qui produit l’id\u00e9e que tout \u00e9lan, tout mouvement s’\u00e9lance plus ou moins consciemment vers l’autre, qu’il soit \u00e0 l’ext\u00e9rieur comme \u00e0 l’int\u00e9rieur de nous.<\/p>\n Par le regard, l’ou\u00efe, le go\u00fbt, l’odeur, le toucher, l’autre, le monde entier se distingue par cette attention sensuelle qu’on lui porte, ou pas. N’est-ce pas la seule r\u00e9alit\u00e9 tangible \u00e0 laquelle nous ayons v\u00e9ritablement, homme ou femme, acc\u00e8s ?<\/p>\n S’exprimer sur la sensualit\u00e9 fait rapidement r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 l’\u00e9rotisme \u00e9galement, une certaine pr\u00e9ciosit\u00e9 de la part de l’homme \u00e0 \u00e9voquer le corps f\u00e9minin m’a toujours frapp\u00e9 de stupeur, comme s’il s’agissait d’un objet sacr\u00e9. Sacraliser le corps de la femme ne le tient-il pas \u00e0 nouveau encore \u00e9loign\u00e9 de ce qu’il est vraiment ontologiquement ?<\/p>\n Ainsi la sensualit\u00e9 se tiendrait-elle dans un entre-deux, entre grossi\u00e8ret\u00e9-vulgarit\u00e9 et sacralisation-sublimation, ces deux extr\u00e9mit\u00e9s n’\u00e9tant que fuites, \u00e9vocations de la pr\u00e9sence d’une absence.<\/p>\n Je me souviens d’un ami, po\u00e8te pourtant et qui lorsqu’il \u00e9voquait la relation que l’homme entretient g\u00e9n\u00e9ralement avec la femme, avait d\u00e9clar\u00e9 : « Imagine, tu es avec la plus belle femme du monde et le matin tu vis avec elle dans un petit appartement, les toilettes sont contigu\u00ebs au salon, fine cloison au-del\u00e0 de laquelle vous tenez de part et d’autre et tu l’entends p\u00e9ter et chier... »<\/p>\n C’est exactement de cela dont il parlait : de cet \u00e9cart que nous inventons sans cesse entre le sublime et l’effroi, et qui nous sert sans doute d’instrument maladroit de pes\u00e9e pour tenter de comprendre ce que nous avons oubli\u00e9, le seul vrai sens du monde.<\/p>\n Illustration<\/strong> Le Soleil D\u00e9sir Thierry Lambert 2010<\/p>",
"content_text": " C'est un mot f\u00e9minin, que le masculin tient \u00e0 distance vis-\u00e0-vis de lui-m\u00eame et qui la plupart du temps s'aur\u00e9ole d'un trouble quand il la d\u00e9tecte lui appartenant, apr\u00e8s en avoir joui confus\u00e9ment. Personne ne nous apprend la sensualit\u00e9 autrement que par le non-dit, par la sensualit\u00e9 subie, v\u00e9cue. Aucune conversation v\u00e9ritable sur le sujet comme si celle-ci faisait partie de la collection de tabous de laquelle nous devons en tant que m\u00e2les nous tenir \u00e9loign\u00e9s. La sensualit\u00e9 appartient \u00e0 la femme la plupart du temps et se transmute en \u00ab paires de nichons \u00bb, en \u00ab cul magnifique \u00bb, en \u00ab bouche \u00e0 tailler des pipes \u00bb chez l'homme qui d\u00e9sire l'\u00e9voquer comme la fuir tout en m\u00eame temps. La grossi\u00e8ret\u00e9 est le timbre maladroitement coll\u00e9 sur l'enveloppe que nous adressons \u00e0 notre propre sensualit\u00e9, en d\u00e9sirant la salir aux fronti\u00e8res de la vulgarit\u00e9 pour ne pas vouloir \u00eatre envahi par celle-ci. Et pourtant dans son nom m\u00eame s'inscrit le sens. Un sens magistral qui produit l'id\u00e9e que tout \u00e9lan, tout mouvement s'\u00e9lance plus ou moins consciemment vers l'autre, qu'il soit \u00e0 l'ext\u00e9rieur comme \u00e0 l'int\u00e9rieur de nous. Par le regard, l'ou\u00efe, le go\u00fbt, l'odeur, le toucher, l'autre, le monde entier se distingue par cette attention sensuelle qu'on lui porte, ou pas. N'est-ce pas la seule r\u00e9alit\u00e9 tangible \u00e0 laquelle nous ayons v\u00e9ritablement, homme ou femme, acc\u00e8s ? S'exprimer sur la sensualit\u00e9 fait rapidement r\u00e9f\u00e9rence \u00e0 l'\u00e9rotisme \u00e9galement, une certaine pr\u00e9ciosit\u00e9 de la part de l'homme \u00e0 \u00e9voquer le corps f\u00e9minin m'a toujours frapp\u00e9 de stupeur, comme s'il s'agissait d'un objet sacr\u00e9. Sacraliser le corps de la femme ne le tient-il pas \u00e0 nouveau encore \u00e9loign\u00e9 de ce qu'il est vraiment ontologiquement ? Ainsi la sensualit\u00e9 se tiendrait-elle dans un entre-deux, entre grossi\u00e8ret\u00e9-vulgarit\u00e9 et sacralisation-sublimation, ces deux extr\u00e9mit\u00e9s n'\u00e9tant que fuites, \u00e9vocations de la pr\u00e9sence d'une absence. Je me souviens d'un ami, po\u00e8te pourtant et qui lorsqu'il \u00e9voquait la relation que l'homme entretient g\u00e9n\u00e9ralement avec la femme, avait d\u00e9clar\u00e9 : \u00ab Imagine, tu es avec la plus belle femme du monde et le matin tu vis avec elle dans un petit appartement, les toilettes sont contigu\u00ebs au salon, fine cloison au-del\u00e0 de laquelle vous tenez de part et d'autre et tu l'entends p\u00e9ter et chier... \u00bb C'est exactement de cela dont il parlait : de cet \u00e9cart que nous inventons sans cesse entre le sublime et l'effroi, et qui nous sert sans doute d'instrument maladroit de pes\u00e9e pour tenter de comprendre ce que nous avons oubli\u00e9, le seul vrai sens du monde. **Illustration** Le Soleil D\u00e9sir Thierry Lambert 2010 ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/soleil-dc3a9sir.jpg?1765983311",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-collectionneur.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-collectionneur.html",
"title": "Le collectionneur",
"date_published": "2019-09-25T13:51:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:59:08Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Tu te crois solide, en pleine maturit\u00e9, tu bombes presque le torse et puis un « je ne sais quoi ou un presque rien » dans l’air de ce matin de septembre, une l\u00e9g\u00e8re odeur de feuilles mortes, de d\u00e9composition, d’humus, associ\u00e9e \u00e0 un rafra\u00eechissement soudain et te voici vacillant, colosse aux pieds d’argile. Il s’en faudrait de peu pour que tu t’\u00e9tales de tout ton long sur le carrelage de la petite cour, foudroy\u00e9 par l’\u00e9vidence.<\/p>\n « On se croit flamme on n’est que m\u00e8che » dit le grand Jacques dans une de ses magnifiques chansons et c’est tellement vrai ! Quand on d\u00e9couvre d’un coup \u00e0 l’occasion d’une rencontre combien l’autre nous distance, combien l’autre n’a pas fait les m\u00eames choix, les m\u00eames erreurs et m\u00eame si je n’aime pas me comparer, m\u00eame si j’enseigne \u00e0 mes \u00e9l\u00e8ves de ne surtout pas emprunter cette voie de la comparaison, mortelle pour tout dynamisme cr\u00e9atif, force encore une fois d’avouer : les cordonniers sont toujours les plus mal chauss\u00e9s.<\/p>\n Que s’est-il donc pass\u00e9 sinon une rencontre que j’eus soudainement, sans savoir ni pourquoi, ni comment, d\u00e9cid\u00e9e, d\u00e9termin\u00e9e ? en la timbrant avant de m’exp\u00e9dier dans celle-ci d’une taxe de fantastique, d’inou\u00ef, d’extraordinaire ? Et n’est-ce pas \u00e0 proportion des d\u00e9couvertes morbides de ces derniers jours quant \u00e0 mes certitudes et mes doutes vis-\u00e0-vis de ma peinture que je trouve d\u00e9sormais fade et qui me r\u00e9pugne comme jamais, et aussi ne suis-je pas coutumier des grandes d\u00e9pressions automnales ?<\/p>\n Un \u00e9crivain po\u00e8te peintre chaman que je rencontre par hasard lors d’un vernissage et qui me tape dans l’\u0153il.<\/p>\n Je d\u00e9teste les vernissages et m’y rends le moins possible, ce brouhaha constitu\u00e9 de mille riens, cet ennui perp\u00e9tuel que j’y retrouve syst\u00e9matiquement me rappelant de sombres p\u00e9riodes de ma vie — toute bribe si petite soit-elle de l’ennui me rappelle l’ennui magistral, cette ancienne vision fig\u00e9e de moi quant au monde — qui sans doute subsiste dans les profondeurs encore et encore. Alors ainsi retrouver l’ennui ne serait-ce pas aussi la cause de cette cr\u00e9ation imaginaire subite ?<\/p>\n Mais peu importent les voies qu’emprunte le hasard, le fait est je me suis mis en t\u00eate d’aller \u00e0 sa rencontre, de m’en faire un ami si possible, encore qu’en amiti\u00e9 je sois toujours d’une inconstance crasse. Ai-je besoin d’ajouter que je ne suis pas non plus \u00e0 un paradoxe pr\u00e8s...<\/p>\n En rentrant chez moi ce soir-l\u00e0, une des premi\u00e8res choses que je fais est d’aller sur Facebook pour regarder son profil puisque nous avions \u00e9chang\u00e9 des demandes d’amiti\u00e9s l’un et l’autre.<\/p>\n C’est alors que je re\u00e7ois la premi\u00e8re grande secousse, en voyant ses peintures tellement color\u00e9es, tellement intemporelles, et tout de suite de m’y engouffrer tout entier.<\/p>\n En fait \u00e0 bien y regarder ce qui m’attire est un secret de peintre dont j’ignorais jusque-l\u00e0 l’existence voire m\u00eame la possibilit\u00e9 d’exister et nul doute que de ce secret je veuille alors m’en approcher, peut-\u00eatre le faire mien tout simplement. Les bonnes intentions ne l’oublions pas pavent l’enfer.<\/p>\n Je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Fascin\u00e9 par les magnifiques peintures que j’avais vues sur son profil Facebook, et qui avaient exerc\u00e9 une attraction si puissante, que je m’\u00e9tais mis en t\u00eate d’en extraire la substantifique moelle, je me suis mis \u00e0 dessiner tout \u00e0 coup non pas en le copiant, mais pour m’accaparer son langage, ses mots, son esprit, son \u00e2me, ce qui est encore pire que de copier servilement je l’admets.<\/p>\n Quel impact ces peintures exercent-elles sur moi ? quelle zone profonde de mon \u00eatre \u00e9branlent-elles ? Ce ne sont pas tant les \u0153uvres elles-m\u00eames que je brigue, pas les manifestations mat\u00e9rielles, mais la force, la puissance, l’\u00e2me du peintre en quelque sorte.<\/p>\n En fait c’est la toute premi\u00e8re fois dans ma vie de peintre. M\u00eame si autrefois \u00e9tudiant j’ai beaucoup copi\u00e9 les grands ma\u00eetres, jamais je n’ai voulu m’emparer de leur esprit avec autant de ferveur, cette puissance in\u00e9dite que j’\u00e9prouve, de quoi la rapprocher sinon d’une sensation qui serait celle du vrai « collectionneur ».<\/p>\n Une sensation tellement rare qu’elle se d\u00e9ploie d\u00e9sormais comme un shoot de fa\u00e7on anarchique et morbide dans tout l’assemblage de mes cellules, comme si j’avais ouvert une porte secr\u00e8te au fond de moi et que la puissance formidable qui se trouve depuis longtemps derri\u00e8re celle-ci soudain s’\u00e9batte, s’enivrant de la libert\u00e9 neuve, envahisse tout de l’\u00eatre que je croyais \u00eatre jusque-l\u00e0.<\/p>\n J’ai donc dessin\u00e9 dessin\u00e9 dessin\u00e9 encore pendant des heures, changeant l’ordre des priorit\u00e9s de mon emploi du temps pour que dessiner soit en t\u00eate des activit\u00e9s urgentes \u00e0 r\u00e9aliser.<\/p>\n Je dessine des dizaines d’esquisses dans la h\u00e2te de vouloir saisir quelque chose, emprunter la ligne, la forme, les jeux de couleurs du peintre chaman po\u00e8te. Revenir \u00e0 ces formes simples et souples me procure un plaisir sensuel. Laisser les doigts s’approprier comme jamais le contact avec le corps du crayon, transformant celui-ci en extension, en p\u00e9riph\u00e9rique servile du c\u0153ur. Car c’est par le c\u0153ur que tout cela transite, je me suis install\u00e9 dans ce postulat naturellement, sans m\u00eame y r\u00e9fl\u00e9chir.<\/p>\n Et c’est exactement comme cela que je m’\u00e9vade le temps de cette s\u00e9ance de dessin de ma peau d’homme m\u00fbr, adulte et responsable pour revenir petit \u00e0 petit vers l’enfance de l’art si je puis dire, cette enfance qui ne se soucie de rien sauf d’\u00eatre \u00e0 la t\u00e2che le temps de son accomplissement.<\/p>\n Une fois la s\u00e9ance de dessin termin\u00e9e le r\u00e9sultat me regarde. Quelque chose se produit toujours lorsque je mets ce que je fais \u00e0 distance, quelques m\u00e8tres un peu plus loin sur le chevalet de l’atelier.<\/p>\n Une dr\u00f4le de sensation presque comme un contentement mais qui reste encore comme une interrogation car les dessins que j’observe semblent me dire « mais qui es-tu ? »<\/p>\n Oui c’est cela le r\u00e9sultat comme un sourire qui m’interroge.<\/p>\n Et puis le temps se remet en route brusquement, mon \u00e9pouse me parle d’une ou deux choses urgentes \u00e0 faire pour red\u00e9ployer le quotidien comme une yourte, se mettre \u00e0 l’abri de l’inconnu, cet inconnu qui ne cesse de menacer, de vouloir surgir de toutes parts sous forme de courrier suspect, de factures impayables, d’huissiers aust\u00e8res et de coups de t\u00e9l\u00e9phone intempestifs.<\/p>\n Je m’extirpe en maugr\u00e9ant un peu pour retrouver ma peau de grognon aussi sans doute.<\/p>\n Quelques heures un peu plus tard apr\u00e8s le souper j’ouvre \u00e0 nouveau Facebook et je poste le r\u00e9sultat de ma journ\u00e9e de travail comme j’ai coutume de le faire, je ne r\u00e9fl\u00e9chis pas vraiment comme d’habitude.<\/p>\n Alors les premiers commentaires commencent \u00e0 arriver. On me parle du peintre dont je m’inspire, on me traite de copieur, on s’interroge sur mon acte, une petite pol\u00e9mique s’installe. Et \u00e7a me para\u00eet tellement vain tout cela, je relis une nouvelle fois les commentaires.<\/p>\n Et puis je vais sur le profil du peintre lui-m\u00eame qui a lui aussi \u00e9crit un post :<\/p>\n « Copier un artiste ce n’est pas bien c’est ne pas avoir de talent »<\/p>\n ou quelque chose dans ce go\u00fbt-l\u00e0 et je me sens vis\u00e9 naturellement.<\/p>\n D\u00e9\u00e7u aussi parce que dans le fond n’\u00e9tait-ce pas une offrande que je lui pr\u00e9sentais comme un petit gar\u00e7on r\u00e9alise un dessin pour les adultes ?<\/p>\n Plus que d\u00e9\u00e7u, bless\u00e9 au plus profond mais je ne me trompe pas non plus de cible. Ce n’est pas de sa faute, c’est juste des choses dans les profondeurs du souvenir que j’ai r\u00e9activ\u00e9es en redevenant gamin, j’ai retrouv\u00e9 la joie mais aussi l’horreur d’un seul coup.<\/p>\n Surtout l’annihilation perp\u00e9tuelle de toute vell\u00e9it\u00e9 de cr\u00e9ation contre laquelle je n’ai eu de cesse de lutter toute ma vie.<\/p>\n « Tu n’as aucun talent » et derri\u00e8re encore une fois le « tu n’es rien », c’\u00e9tait exactement cette petite phrase qu’il avait choisie lui le chaman peintre pour que je me confronte encore une fois \u00e0 elle, \u00e0 la d\u00e9flagration qu’elle a toujours produite en moi.<\/p>\n C’est \u00e0 ce moment-l\u00e0 je crois que j’ai form\u00e9 le projet de tout couper, me terrer comme un lapin au fond d’un terrier, d’arr\u00eater Facebook, de ne plus rien dire ou entendre ou voir.<\/p>\n J’ai \u00e0 nouveau tout retravers\u00e9 comme une punition formidable comme salaire du plaisir inou\u00ef que j’avais eu \u00e0 m’emparer de l’esprit du chaman po\u00e8te. Mieux, je me suis puni moi-m\u00eame tout seul quand j’y pense.<\/p>\n Le lendemain il \u00e9tait pr\u00e9vu que je retrouve le peintre pour prendre des photographies de ses \u0153uvres. J’ai emprunt\u00e9 les toutes petites routes t\u00f4t le matin, une pluie fine tombait sur la campagne que je traversais pour me rendre vers la haute muraille du Vercors au loin.<\/p>\n Le portail \u00e9tait ferm\u00e9, il ne m’attendait plus mais j’ai encore pris sur moi de t\u00e9l\u00e9phoner pour dire que j’\u00e9tais l\u00e0 devant chez lui.<\/p>\n Il \u00e9tait \u00e9tonn\u00e9 de me voir l\u00e0, il fit allusion \u00e0 la veille, j’\u00e9clatais de rire en disant « je fais juste une pause, besoin de calme et de silence ». Et comme il n’\u00e9tait pas f\u00e2ch\u00e9 non plus nous nous sommes engouffr\u00e9s dans la maison et avons pass\u00e9 ensemble un merveilleux moment entre chaman peintres qui passent le temps tout simplement.<\/p>\n illustration<\/strong> Ultime r\u00e9v\u00e9rence, sensuel , Thierry Lambert 2008<\/p>",
"content_text": " Tu te crois solide, en pleine maturit\u00e9, tu bombes presque le torse et puis un \u00ab je ne sais quoi ou un presque rien \u00bb dans l'air de ce matin de septembre, une l\u00e9g\u00e8re odeur de feuilles mortes, de d\u00e9composition, d'humus, associ\u00e9e \u00e0 un rafra\u00eechissement soudain et te voici vacillant, colosse aux pieds d'argile. Il s'en faudrait de peu pour que tu t'\u00e9tales de tout ton long sur le carrelage de la petite cour, foudroy\u00e9 par l'\u00e9vidence. \u00ab On se croit flamme on n'est que m\u00e8che \u00bb dit le grand Jacques dans une de ses magnifiques chansons et c'est tellement vrai ! Quand on d\u00e9couvre d'un coup \u00e0 l'occasion d'une rencontre combien l'autre nous distance, combien l'autre n'a pas fait les m\u00eames choix, les m\u00eames erreurs et m\u00eame si je n'aime pas me comparer, m\u00eame si j'enseigne \u00e0 mes \u00e9l\u00e8ves de ne surtout pas emprunter cette voie de la comparaison, mortelle pour tout dynamisme cr\u00e9atif, force encore une fois d'avouer : les cordonniers sont toujours les plus mal chauss\u00e9s. Que s'est-il donc pass\u00e9 sinon une rencontre que j'eus soudainement, sans savoir ni pourquoi, ni comment, d\u00e9cid\u00e9e, d\u00e9termin\u00e9e ? en la timbrant avant de m'exp\u00e9dier dans celle-ci d'une taxe de fantastique, d'inou\u00ef, d'extraordinaire ? Et n'est-ce pas \u00e0 proportion des d\u00e9couvertes morbides de ces derniers jours quant \u00e0 mes certitudes et mes doutes vis-\u00e0-vis de ma peinture que je trouve d\u00e9sormais fade et qui me r\u00e9pugne comme jamais, et aussi ne suis-je pas coutumier des grandes d\u00e9pressions automnales ? Un \u00e9crivain po\u00e8te peintre chaman que je rencontre par hasard lors d'un vernissage et qui me tape dans l'\u0153il. Je d\u00e9teste les vernissages et m'y rends le moins possible, ce brouhaha constitu\u00e9 de mille riens, cet ennui perp\u00e9tuel que j'y retrouve syst\u00e9matiquement me rappelant de sombres p\u00e9riodes de ma vie \u2014 toute bribe si petite soit-elle de l'ennui me rappelle l'ennui magistral, cette ancienne vision fig\u00e9e de moi quant au monde \u2014 qui sans doute subsiste dans les profondeurs encore et encore. Alors ainsi retrouver l'ennui ne serait-ce pas aussi la cause de cette cr\u00e9ation imaginaire subite ? Mais peu importent les voies qu'emprunte le hasard, le fait est je me suis mis en t\u00eate d'aller \u00e0 sa rencontre, de m'en faire un ami si possible, encore qu'en amiti\u00e9 je sois toujours d'une inconstance crasse. Ai-je besoin d'ajouter que je ne suis pas non plus \u00e0 un paradoxe pr\u00e8s... En rentrant chez moi ce soir-l\u00e0, une des premi\u00e8res choses que je fais est d'aller sur Facebook pour regarder son profil puisque nous avions \u00e9chang\u00e9 des demandes d'amiti\u00e9s l'un et l'autre. C'est alors que je re\u00e7ois la premi\u00e8re grande secousse, en voyant ses peintures tellement color\u00e9es, tellement intemporelles, et tout de suite de m'y engouffrer tout entier. En fait \u00e0 bien y regarder ce qui m'attire est un secret de peintre dont j'ignorais jusque-l\u00e0 l'existence voire m\u00eame la possibilit\u00e9 d'exister et nul doute que de ce secret je veuille alors m'en approcher, peut-\u00eatre le faire mien tout simplement. Les bonnes intentions ne l'oublions pas pavent l'enfer. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite. Fascin\u00e9 par les magnifiques peintures que j'avais vues sur son profil Facebook, et qui avaient exerc\u00e9 une attraction si puissante, que je m'\u00e9tais mis en t\u00eate d'en extraire la substantifique moelle, je me suis mis \u00e0 dessiner tout \u00e0 coup non pas en le copiant, mais pour m'accaparer son langage, ses mots, son esprit, son \u00e2me, ce qui est encore pire que de copier servilement je l'admets. Quel impact ces peintures exercent-elles sur moi ? quelle zone profonde de mon \u00eatre \u00e9branlent-elles ? Ce ne sont pas tant les \u0153uvres elles-m\u00eames que je brigue, pas les manifestations mat\u00e9rielles, mais la force, la puissance, l'\u00e2me du peintre en quelque sorte. En fait c'est la toute premi\u00e8re fois dans ma vie de peintre. M\u00eame si autrefois \u00e9tudiant j'ai beaucoup copi\u00e9 les grands ma\u00eetres, jamais je n'ai voulu m'emparer de leur esprit avec autant de ferveur, cette puissance in\u00e9dite que j'\u00e9prouve, de quoi la rapprocher sinon d'une sensation qui serait celle du vrai \u00ab collectionneur \u00bb. Une sensation tellement rare qu'elle se d\u00e9ploie d\u00e9sormais comme un shoot de fa\u00e7on anarchique et morbide dans tout l'assemblage de mes cellules, comme si j'avais ouvert une porte secr\u00e8te au fond de moi et que la puissance formidable qui se trouve depuis longtemps derri\u00e8re celle-ci soudain s'\u00e9batte, s'enivrant de la libert\u00e9 neuve, envahisse tout de l'\u00eatre que je croyais \u00eatre jusque-l\u00e0. J'ai donc dessin\u00e9 dessin\u00e9 dessin\u00e9 encore pendant des heures, changeant l'ordre des priorit\u00e9s de mon emploi du temps pour que dessiner soit en t\u00eate des activit\u00e9s urgentes \u00e0 r\u00e9aliser. Je dessine des dizaines d'esquisses dans la h\u00e2te de vouloir saisir quelque chose, emprunter la ligne, la forme, les jeux de couleurs du peintre chaman po\u00e8te. Revenir \u00e0 ces formes simples et souples me procure un plaisir sensuel. Laisser les doigts s'approprier comme jamais le contact avec le corps du crayon, transformant celui-ci en extension, en p\u00e9riph\u00e9rique servile du c\u0153ur. Car c'est par le c\u0153ur que tout cela transite, je me suis install\u00e9 dans ce postulat naturellement, sans m\u00eame y r\u00e9fl\u00e9chir. Et c'est exactement comme cela que je m'\u00e9vade le temps de cette s\u00e9ance de dessin de ma peau d'homme m\u00fbr, adulte et responsable pour revenir petit \u00e0 petit vers l'enfance de l'art si je puis dire, cette enfance qui ne se soucie de rien sauf d'\u00eatre \u00e0 la t\u00e2che le temps de son accomplissement. Une fois la s\u00e9ance de dessin termin\u00e9e le r\u00e9sultat me regarde. Quelque chose se produit toujours lorsque je mets ce que je fais \u00e0 distance, quelques m\u00e8tres un peu plus loin sur le chevalet de l'atelier. Une dr\u00f4le de sensation presque comme un contentement mais qui reste encore comme une interrogation car les dessins que j'observe semblent me dire \u00ab mais qui es-tu ? \u00bb Oui c'est cela le r\u00e9sultat comme un sourire qui m'interroge. Et puis le temps se remet en route brusquement, mon \u00e9pouse me parle d'une ou deux choses urgentes \u00e0 faire pour red\u00e9ployer le quotidien comme une yourte, se mettre \u00e0 l'abri de l'inconnu, cet inconnu qui ne cesse de menacer, de vouloir surgir de toutes parts sous forme de courrier suspect, de factures impayables, d'huissiers aust\u00e8res et de coups de t\u00e9l\u00e9phone intempestifs. Je m'extirpe en maugr\u00e9ant un peu pour retrouver ma peau de grognon aussi sans doute. Quelques heures un peu plus tard apr\u00e8s le souper j'ouvre \u00e0 nouveau Facebook et je poste le r\u00e9sultat de ma journ\u00e9e de travail comme j'ai coutume de le faire, je ne r\u00e9fl\u00e9chis pas vraiment comme d'habitude. Alors les premiers commentaires commencent \u00e0 arriver. On me parle du peintre dont je m'inspire, on me traite de copieur, on s'interroge sur mon acte, une petite pol\u00e9mique s'installe. Et \u00e7a me para\u00eet tellement vain tout cela, je relis une nouvelle fois les commentaires. Et puis je vais sur le profil du peintre lui-m\u00eame qui a lui aussi \u00e9crit un post : \u00ab Copier un artiste ce n'est pas bien c'est ne pas avoir de talent \u00bb ou quelque chose dans ce go\u00fbt-l\u00e0 et je me sens vis\u00e9 naturellement. D\u00e9\u00e7u aussi parce que dans le fond n'\u00e9tait-ce pas une offrande que je lui pr\u00e9sentais comme un petit gar\u00e7on r\u00e9alise un dessin pour les adultes ? Plus que d\u00e9\u00e7u, bless\u00e9 au plus profond mais je ne me trompe pas non plus de cible. Ce n'est pas de sa faute, c'est juste des choses dans les profondeurs du souvenir que j'ai r\u00e9activ\u00e9es en redevenant gamin, j'ai retrouv\u00e9 la joie mais aussi l'horreur d'un seul coup. Surtout l'annihilation perp\u00e9tuelle de toute vell\u00e9it\u00e9 de cr\u00e9ation contre laquelle je n'ai eu de cesse de lutter toute ma vie. \u00ab Tu n'as aucun talent \u00bb et derri\u00e8re encore une fois le \u00ab tu n'es rien \u00bb, c'\u00e9tait exactement cette petite phrase qu'il avait choisie lui le chaman peintre pour que je me confronte encore une fois \u00e0 elle, \u00e0 la d\u00e9flagration qu'elle a toujours produite en moi. C'est \u00e0 ce moment-l\u00e0 je crois que j'ai form\u00e9 le projet de tout couper, me terrer comme un lapin au fond d'un terrier, d'arr\u00eater Facebook, de ne plus rien dire ou entendre ou voir. J'ai \u00e0 nouveau tout retravers\u00e9 comme une punition formidable comme salaire du plaisir inou\u00ef que j'avais eu \u00e0 m'emparer de l'esprit du chaman po\u00e8te. Mieux, je me suis puni moi-m\u00eame tout seul quand j'y pense. Le lendemain il \u00e9tait pr\u00e9vu que je retrouve le peintre pour prendre des photographies de ses \u0153uvres. J'ai emprunt\u00e9 les toutes petites routes t\u00f4t le matin, une pluie fine tombait sur la campagne que je traversais pour me rendre vers la haute muraille du Vercors au loin. Le portail \u00e9tait ferm\u00e9, il ne m'attendait plus mais j'ai encore pris sur moi de t\u00e9l\u00e9phoner pour dire que j'\u00e9tais l\u00e0 devant chez lui. Il \u00e9tait \u00e9tonn\u00e9 de me voir l\u00e0, il fit allusion \u00e0 la veille, j'\u00e9clatais de rire en disant \u00ab je fais juste une pause, besoin de calme et de silence \u00bb. Et comme il n'\u00e9tait pas f\u00e2ch\u00e9 non plus nous nous sommes engouffr\u00e9s dans la maison et avons pass\u00e9 ensemble un merveilleux moment entre chaman peintres qui passent le temps tout simplement. **illustration** Ultime r\u00e9v\u00e9rence, sensuel , Thierry Lambert 2008 ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ultime-rc3a9vc3a9rence.jpg?1765982989",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/encore-une-fois-tout-larguer.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/encore-une-fois-tout-larguer.html",
"title": "Encore une fois tout larguer ",
"date_published": "2019-09-23T13:46:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:59:18Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " \u00c7a me d\u00e9mange depuis un moment, toutes ces pitreries sur les r\u00e9seaux sociaux, ces affolements multiples pour monter des expositions, rencontrer des notables, \u00e9couter les « c’est beau » sto\u00efquement, tout en conservant dans mon for int\u00e9rieur la notion d’une magistrale supercherie, d’un « \u00e0 quoi bon » monumental. J’ai beaucoup esp\u00e9r\u00e9 mais encore une fois c’est ma responsabilit\u00e9 et je dois l’assumer. Beaucoup d’espoir c’est beaucoup de d\u00e9ception et je ne suis plus un ado mais un homme de 60 ans bient\u00f4t qui ne peut plus gu\u00e8re se mentir \u00e0 lui-m\u00eame ni \u00e0 ses proches.<\/p>\n Alors monte en moi comme un appel, le vieil appel auquel j’ai toujours r\u00e9pondu syst\u00e9matiquement, celui de la fuite, de tout larguer pour imaginer recommencer autre chose comme on d\u00e9chire une feuille de papier pour la jeter \u00e0 la corbeille et en prendre une nouvelle, une jolie feuille blanche qui probablement contiendra la m\u00eame chose que ce qu’on vient de jeter, mais \u00e7a on ne se le dit pas trop, on l’esquive.<\/p>\n Je n’ai pas su construire cette fois un personnage bien solide. Celui de l’artiste peintre se fissure de tous c\u00f4t\u00e9s. Il prend l’eau comme les coquilles de noix sur lesquelles les \u00e9migr\u00e9s du monde \u00e9cart\u00e9, les laiss\u00e9s-pour-compte, s’imaginent eux aussi pouvoir atteindre au salut.<\/p>\n Alors encore une fois, tout effacer, reprendre une nouvelle feuille, un nouveau stylo et repartir vers l’inconnu, cet inconnu que je ne cesse jamais de vouloir fuir autant que de m’en rapprocher.<\/p>\n Supprimer mes comptes Facebook, dans mon esprit c’est revenir \u00e0 l’anonymat, nostalgie de celui-ci depuis le point de vue du peu que je suis envers le rien b\u00e9ant.<\/p>\n Je m’interroge aussi sur le bien-fond\u00e9 de ce blog, sur la valeur r\u00e9elle qu’il peut vraiment apporter \u00e0 quiconque d’autre que moi, possible qu’il finisse \u00e0 la poubelle aussi pour me lib\u00e9rer encore de toute vell\u00e9it\u00e9 de gribouilleur ou d’\u00e9crivailleur. Mais le fait est que je ne peux me passer ni de l’un ni de l’autre, j’ai besoin de dessiner comme j’ai besoin d’\u00e9crire ce qui me passe par la t\u00eate et juste comme \u00e7a sans pr\u00e9tention v\u00e9ritable dans le fond autre que de stabiliser ma journ\u00e9e, du fond des nuits durant lesquelles je s\u00e9vis.<\/p>\n Dans le fond des choses, qu’ai-je donc cherch\u00e9 \u00e0 atteindre ? Sinon assurer de fa\u00e7on in\u00e9dite, plus amusante en tout cas que tous les jobs d\u00e9biles que j’ai pu commettre, le quotidien et rien de plus.<\/p>",
"content_text": " \u00c7a me d\u00e9mange depuis un moment, toutes ces pitreries sur les r\u00e9seaux sociaux, ces affolements multiples pour monter des expositions, rencontrer des notables, \u00e9couter les \u00ab c'est beau \u00bb sto\u00efquement, tout en conservant dans mon for int\u00e9rieur la notion d'une magistrale supercherie, d'un \u00ab \u00e0 quoi bon \u00bb monumental. J'ai beaucoup esp\u00e9r\u00e9 mais encore une fois c'est ma responsabilit\u00e9 et je dois l'assumer. Beaucoup d'espoir c'est beaucoup de d\u00e9ception et je ne suis plus un ado mais un homme de 60 ans bient\u00f4t qui ne peut plus gu\u00e8re se mentir \u00e0 lui-m\u00eame ni \u00e0 ses proches. Alors monte en moi comme un appel, le vieil appel auquel j'ai toujours r\u00e9pondu syst\u00e9matiquement, celui de la fuite, de tout larguer pour imaginer recommencer autre chose comme on d\u00e9chire une feuille de papier pour la jeter \u00e0 la corbeille et en prendre une nouvelle, une jolie feuille blanche qui probablement contiendra la m\u00eame chose que ce qu'on vient de jeter, mais \u00e7a on ne se le dit pas trop, on l'esquive. Je n'ai pas su construire cette fois un personnage bien solide. Celui de l'artiste peintre se fissure de tous c\u00f4t\u00e9s. Il prend l'eau comme les coquilles de noix sur lesquelles les \u00e9migr\u00e9s du monde \u00e9cart\u00e9, les laiss\u00e9s-pour-compte, s'imaginent eux aussi pouvoir atteindre au salut. Alors encore une fois, tout effacer, reprendre une nouvelle feuille, un nouveau stylo et repartir vers l'inconnu, cet inconnu que je ne cesse jamais de vouloir fuir autant que de m'en rapprocher. Supprimer mes comptes Facebook, dans mon esprit c'est revenir \u00e0 l'anonymat, nostalgie de celui-ci depuis le point de vue du peu que je suis envers le rien b\u00e9ant. Je m'interroge aussi sur le bien-fond\u00e9 de ce blog, sur la valeur r\u00e9elle qu'il peut vraiment apporter \u00e0 quiconque d'autre que moi, possible qu'il finisse \u00e0 la poubelle aussi pour me lib\u00e9rer encore de toute vell\u00e9it\u00e9 de gribouilleur ou d'\u00e9crivailleur. Mais le fait est que je ne peux me passer ni de l'un ni de l'autre, j'ai besoin de dessiner comme j'ai besoin d'\u00e9crire ce qui me passe par la t\u00eate et juste comme \u00e7a sans pr\u00e9tention v\u00e9ritable dans le fond autre que de stabiliser ma journ\u00e9e, du fond des nuits durant lesquelles je s\u00e9vis. Dans le fond des choses, qu'ai-je donc cherch\u00e9 \u00e0 atteindre ? Sinon assurer de fa\u00e7on in\u00e9dite, plus amusante en tout cas que tous les jobs d\u00e9biles que j'ai pu commettre, le quotidien et rien de plus. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lexode-des-c3a9parpillc3a9s.webp?1765982757",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/tu-n-es-rien.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/tu-n-es-rien.html",
"title": "Tu n'es rien ",
"date_published": "2019-09-23T13:41:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:59:29Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Cette petite phrase qui tourne depuis toujours dans ma t\u00eate depuis l’enfance, je crois qu’elle a fini par prendre une place centrale. En fait je cherche un axe en peinture et je me disperse sans arr\u00eat pour lui \u00e9chapper. \u00c0 chaque fois c’est un ch\u00e2teau de sable plus ou moins adroitement cr\u00e9\u00e9 avec courage et c\u0153ur — c’est ce que je me dis — mais je pourrais tout autant parler d’une obligation de survie, et qui s’effondre aval\u00e9 par la mer et le temps.<\/p>\n « Tu n’es rien » et puis associ\u00e9 « tu ne vaux rien », « tu ne devrais pas exister », « \u00e0 quelques centim\u00e8tres pr\u00e8s tu n’\u00e9tais qu’une crotte », « tu n’y arriveras jamais ».<\/p>\n \u00c0 quoi ? sinon \u00e0 leur ressembler, \u00e0 \u00eatre comme eux, aussi bon, aussi monstrueux ? myst\u00e8re b\u00e9ant d’o\u00f9 sourd la violence, la haine, le d\u00e9sespoir, toute une vie de d\u00e9sordre.<\/p>\n Bien s\u00fbr mon orgueil en a pris un bon coup. J’en fus conscient plus tard, pas tout de suite cependant. Alors j’ai d\u00e9ploy\u00e9 des strat\u00e9gies, des stratag\u00e8mes pour compenser le vide inou\u00ef.<\/p>\n Mais rien n’y faisait jamais. Que ce soit n’importe qui face \u00e0 moi qui me rappelle ma note fondamentale, mon vide ontologique, tout s’\u00e9croulait en silence irr\u00e9m\u00e9diablement, sans mot dire, et je retournais in petto dans un terrier quelconque pour me d\u00e9sagr\u00e9ger lentement, m’\u00e9roder encore un peu plus, devenir arbre sec dans l’ignorance du fruit, dans le refus du fruit.<\/p>\n L’amour fut longtemps un fanal, un drapeau \u00e0 ne pas perdre du regard durant la boucherie et cela hier encore me donnait de l’espoir.<\/p>\n Parvenir \u00e0 sauver l’amour co\u00fbte que co\u00fbte, n’\u00e9tait-ce pas faire la nique au destin ? pardonner pour rebondir vers les \u00e9toiles, la m\u00e9taphysique, l’art ?<\/p>\n Je n’ai jamais effectu\u00e9 que de p\u00e2les soubresauts de puce. Plus assez de foi, plus assez de vigueur, une fatigue de tout pour me r\u00e9fugier \u00e0 nouveau bien au chaud dans le rien.<\/p>\n Tous ces personnages invent\u00e9s de toutes pi\u00e8ces, du prince charmant \u00e0 l’amant, du bon p\u00e8re de famille au tra\u00eetre sans vergogne, du voyou, de l’escroc, du bon employ\u00e9 servile, du mauvais payeur, du bon professeur et de l’artiste rat\u00e9, tout cela ne fut que passe-temps, diversion pour \u00e9chapper au maelstr\u00f6m du rien.<\/p>\n En explorant tous ces costumes j’ai appris que le rien m’\u00e9tait aussi une force, j’ai \u00e9t\u00e9 surpris par la cr\u00e9dulit\u00e9, la na\u00efvet\u00e9, la confiance qui m’\u00e9taient accord\u00e9es comme des cr\u00e9dits bancaires pratiquement toujours. Et bien s\u00fbr pendant longtemps j’ai oubli\u00e9 de payer les \u00e9ch\u00e9ances, les int\u00e9r\u00eats, combien de fois ai-je d\u00e9m\u00e9nag\u00e9 \u00e0 la cloche de bois de mes amours, de mes amiti\u00e9s ?<\/p>\n Je me suis dit, r\u00e9cit\u00e9, j’ai invent\u00e9 des mantras pour ne pas oublier que le rien m’appartenait. Avec rien j’ai fait bien plus que certains avec tout, sans oublier de m’en enorgueillir copieusement par manque ou exc\u00e8s affreux de confiance en moi, ce qui est du pareil au m\u00eame.<\/p>\n « Tu n’es rien », on ne r\u00e9fl\u00e9chit pas \u00e0 la langue enfant, peu importe la n\u00e9gation et l’affirmation, cela p\u00e9n\u00e8tre directement le subconscient.<\/p>\n Si je me penchais un peu plus aujourd’hui sur cette phrase, si je la d\u00e9cortiquais patiemment sans peur, je me demande si soudain elle ne signifierait pas bien autre chose. Une maladresse cachant une adresse log\u00e9e dans un futur radieux de chaleur et d’amour vrai enfin, car dans le fond celui et celle qui autrefois me la rappelaient sans cesse, n’\u00e9taient pas des linguistes chevronn\u00e9s, ils n’\u00e9taient que mes parents et ils devaient inconsciemment tenter de formuler une affirmation malgr\u00e9 tout.<\/p>\n Car « tu n’es rien » ce n’est pas « tu es rien ». « Tu n’es rien » laisse percevoir un tout que je n’ai jamais voulu voir, aveugl\u00e9 par le vide dans lequel j’ai saut\u00e9 la t\u00eate la premi\u00e8re.<\/p>\n D’un autre c\u00f4t\u00e9, on m’aurait dit « tu es tout », je ne suis pas s\u00fbr du tout que je m’en serais sorti mieux.<\/p>",
"content_text": " Cette petite phrase qui tourne depuis toujours dans ma t\u00eate depuis l'enfance, je crois qu'elle a fini par prendre une place centrale. En fait je cherche un axe en peinture et je me disperse sans arr\u00eat pour lui \u00e9chapper. \u00c0 chaque fois c'est un ch\u00e2teau de sable plus ou moins adroitement cr\u00e9\u00e9 avec courage et c\u0153ur \u2014 c'est ce que je me dis \u2014 mais je pourrais tout autant parler d'une obligation de survie, et qui s'effondre aval\u00e9 par la mer et le temps. \u00ab Tu n'es rien \u00bb et puis associ\u00e9 \u00ab tu ne vaux rien \u00bb, \u00ab tu ne devrais pas exister \u00bb, \u00ab \u00e0 quelques centim\u00e8tres pr\u00e8s tu n'\u00e9tais qu'une crotte \u00bb, \u00ab tu n'y arriveras jamais \u00bb. \u00c0 quoi ? sinon \u00e0 leur ressembler, \u00e0 \u00eatre comme eux, aussi bon, aussi monstrueux ? myst\u00e8re b\u00e9ant d'o\u00f9 sourd la violence, la haine, le d\u00e9sespoir, toute une vie de d\u00e9sordre. Bien s\u00fbr mon orgueil en a pris un bon coup. J'en fus conscient plus tard, pas tout de suite cependant. Alors j'ai d\u00e9ploy\u00e9 des strat\u00e9gies, des stratag\u00e8mes pour compenser le vide inou\u00ef. Mais rien n'y faisait jamais. Que ce soit n'importe qui face \u00e0 moi qui me rappelle ma note fondamentale, mon vide ontologique, tout s'\u00e9croulait en silence irr\u00e9m\u00e9diablement, sans mot dire, et je retournais in petto dans un terrier quelconque pour me d\u00e9sagr\u00e9ger lentement, m'\u00e9roder encore un peu plus, devenir arbre sec dans l'ignorance du fruit, dans le refus du fruit. L'amour fut longtemps un fanal, un drapeau \u00e0 ne pas perdre du regard durant la boucherie et cela hier encore me donnait de l'espoir. Parvenir \u00e0 sauver l'amour co\u00fbte que co\u00fbte, n'\u00e9tait-ce pas faire la nique au destin ? pardonner pour rebondir vers les \u00e9toiles, la m\u00e9taphysique, l'art ? Je n'ai jamais effectu\u00e9 que de p\u00e2les soubresauts de puce. Plus assez de foi, plus assez de vigueur, une fatigue de tout pour me r\u00e9fugier \u00e0 nouveau bien au chaud dans le rien. Tous ces personnages invent\u00e9s de toutes pi\u00e8ces, du prince charmant \u00e0 l'amant, du bon p\u00e8re de famille au tra\u00eetre sans vergogne, du voyou, de l'escroc, du bon employ\u00e9 servile, du mauvais payeur, du bon professeur et de l'artiste rat\u00e9, tout cela ne fut que passe-temps, diversion pour \u00e9chapper au maelstr\u00f6m du rien. En explorant tous ces costumes j'ai appris que le rien m'\u00e9tait aussi une force, j'ai \u00e9t\u00e9 surpris par la cr\u00e9dulit\u00e9, la na\u00efvet\u00e9, la confiance qui m'\u00e9taient accord\u00e9es comme des cr\u00e9dits bancaires pratiquement toujours. Et bien s\u00fbr pendant longtemps j'ai oubli\u00e9 de payer les \u00e9ch\u00e9ances, les int\u00e9r\u00eats, combien de fois ai-je d\u00e9m\u00e9nag\u00e9 \u00e0 la cloche de bois de mes amours, de mes amiti\u00e9s ? Je me suis dit, r\u00e9cit\u00e9, j'ai invent\u00e9 des mantras pour ne pas oublier que le rien m'appartenait. Avec rien j'ai fait bien plus que certains avec tout, sans oublier de m'en enorgueillir copieusement par manque ou exc\u00e8s affreux de confiance en moi, ce qui est du pareil au m\u00eame. \u00ab Tu n'es rien \u00bb, on ne r\u00e9fl\u00e9chit pas \u00e0 la langue enfant, peu importe la n\u00e9gation et l'affirmation, cela p\u00e9n\u00e8tre directement le subconscient. Si je me penchais un peu plus aujourd'hui sur cette phrase, si je la d\u00e9cortiquais patiemment sans peur, je me demande si soudain elle ne signifierait pas bien autre chose. Une maladresse cachant une adresse log\u00e9e dans un futur radieux de chaleur et d'amour vrai enfin, car dans le fond celui et celle qui autrefois me la rappelaient sans cesse, n'\u00e9taient pas des linguistes chevronn\u00e9s, ils n'\u00e9taient que mes parents et ils devaient inconsciemment tenter de formuler une affirmation malgr\u00e9 tout. Car \u00ab tu n'es rien \u00bb ce n'est pas \u00ab tu es rien \u00bb. \u00ab Tu n'es rien \u00bb laisse percevoir un tout que je n'ai jamais voulu voir, aveugl\u00e9 par le vide dans lequel j'ai saut\u00e9 la t\u00eate la premi\u00e8re. D'un autre c\u00f4t\u00e9, on m'aurait dit \u00ab tu es tout \u00bb, je ne suis pas s\u00fbr du tout que je m'en serais sorti mieux. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/la-mc3a8re-des-c3a9parpillc3a9s.jpg?1765982495",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/lutter-contre-l-insignifiance.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/lutter-contre-l-insignifiance.html",
"title": "Lutter contre l'insignifiance",
"date_published": "2019-09-23T13:37:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:59:39Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Quand le fils alla trouver le p\u00e8re pour lui apprendre qu’il d\u00e9sirait \u00eatre \u00e9crivain, ce dernier haussa les \u00e9paules et dit « ce n’est pas un m\u00e9tier », sur quoi il appuya sur le bouton du poste de t\u00e9l\u00e9vision et ils all\u00e8rent s’installer \u00e0 la grande table de la salle \u00e0 manger.<\/p>\n Ni la m\u00e8re ni le fr\u00e8re ne s’aper\u00e7urent de rien. Il y avait eu une d\u00e9flagration silencieuse et nul ne se rendit compte qu’\u00e0 l’int\u00e9rieur de la cervelle du fils, une plaie b\u00e9ante venait tout juste d’appara\u00eetre.<\/p>\n Tout le monde mangea la soupe sans mot dire puis, une fois la table d\u00e9barrass\u00e9e, comme chaque soir, tout le monde alla s’\u00e9chouer sur les fauteuils, les canap\u00e9s pour s’endormir doucement devant un programme soporifique \u00e0 souhait.<\/p>\n Le fils ce soir-l\u00e0 s’endormit le premier.<\/p>\n Dans son r\u00eave il imagina qu’il courait mais ne pouvait avancer d’un seul centim\u00e8tre. En fait, il s’\u00e9veilla au bout d’un moment et constata qu’il \u00e9tait le seul \u00e0 \u00eatre rest\u00e9 au salon, tout le monde \u00e9tait parti se coucher.<\/p>\n Il se leva et aussit\u00f4t un sentiment d’insignifiance formidable s’empara de lui. C’\u00e9tait comme un nouveau costume qu’il venait d’enfiler. En l’espace de quelques minutes, tout au plus une heure, tout ce qui avait eu jusque-l\u00e0 la moindre importance \u00e0 l’ext\u00e9rieur comme \u00e0 l’int\u00e9rieur de lui s’\u00e9tait engouffr\u00e9 dans cette \u00e9trange sensation qu’il \u00e9prouvait d\u00e9sormais.<\/p>\n Pour pallier l’angoisse qu’il \u00e9prouva, il se rendit dans la cuisine et ouvrit le r\u00e9frig\u00e9rateur. Il avala quelques tranches de jambon, puis piocha dans un paquet de pain de mie dont il d\u00e9chira la tranche \u00e0 pleines dents. Il termina sa collation intempestive par deux yaourts qu’il engloutit rapidement en employant une cuill\u00e8re \u00e0 soupe.<\/p>\n Une fois qu’il trouva la sati\u00e9t\u00e9, il s’\u00e9tira sans toutefois \u00e9prouver de contentement v\u00e9ritable. La sensation d’insignifiance \u00e9tait toujours l\u00e0 malgr\u00e9 la nourriture qu’il avait aval\u00e9e, malgr\u00e9 le poids de celle-ci qu’il sentait peser sur son estomac.<\/p>\n Alors il monta l’escalier doucement pour ne r\u00e9veiller personne, s’allongea sur son lit et fit le tour de toutes les images des femmes qui provoquaient en lui du d\u00e9sir.<\/p>\n Il s’arr\u00eata sur celle de la voisine, une h\u00f4tesse de l’air hyst\u00e9rique \u00e0 la poitrine g\u00e9n\u00e9reuse et au langage vulgaire, et se masturba.<\/p>\n Il esp\u00e9rait que le sommeil reviendrait une fois qu’il aurait joui, mais au contraire la sensation d’insignifiance qu’il \u00e9prouvait d\u00e9sormais avait encore augment\u00e9.<\/p>\n Ce fut \u00e0 cet instant probablement qu’il s’empara du petit carnet qu’il venait d’acheter quelques jours auparavant en se promettant de tenir son « journal de bord ».<\/p>\n Il inscrivit la date du jour et l’heure, il \u00e9tait d\u00e9sormais 2h52 du matin, et puis sa main resta en suspens dans l’attente de l’inspiration qui ne vint pas cette nuit-l\u00e0.<\/p>",
"content_text": " Quand le fils alla trouver le p\u00e8re pour lui apprendre qu'il d\u00e9sirait \u00eatre \u00e9crivain, ce dernier haussa les \u00e9paules et dit \u00ab ce n'est pas un m\u00e9tier \u00bb, sur quoi il appuya sur le bouton du poste de t\u00e9l\u00e9vision et ils all\u00e8rent s'installer \u00e0 la grande table de la salle \u00e0 manger. Ni la m\u00e8re ni le fr\u00e8re ne s'aper\u00e7urent de rien. Il y avait eu une d\u00e9flagration silencieuse et nul ne se rendit compte qu'\u00e0 l'int\u00e9rieur de la cervelle du fils, une plaie b\u00e9ante venait tout juste d'appara\u00eetre. Tout le monde mangea la soupe sans mot dire puis, une fois la table d\u00e9barrass\u00e9e, comme chaque soir, tout le monde alla s'\u00e9chouer sur les fauteuils, les canap\u00e9s pour s'endormir doucement devant un programme soporifique \u00e0 souhait. Le fils ce soir-l\u00e0 s'endormit le premier. Dans son r\u00eave il imagina qu'il courait mais ne pouvait avancer d'un seul centim\u00e8tre. En fait, il s'\u00e9veilla au bout d'un moment et constata qu'il \u00e9tait le seul \u00e0 \u00eatre rest\u00e9 au salon, tout le monde \u00e9tait parti se coucher. Il se leva et aussit\u00f4t un sentiment d'insignifiance formidable s'empara de lui. C'\u00e9tait comme un nouveau costume qu'il venait d'enfiler. En l'espace de quelques minutes, tout au plus une heure, tout ce qui avait eu jusque-l\u00e0 la moindre importance \u00e0 l'ext\u00e9rieur comme \u00e0 l'int\u00e9rieur de lui s'\u00e9tait engouffr\u00e9 dans cette \u00e9trange sensation qu'il \u00e9prouvait d\u00e9sormais. Pour pallier l'angoisse qu'il \u00e9prouva, il se rendit dans la cuisine et ouvrit le r\u00e9frig\u00e9rateur. Il avala quelques tranches de jambon, puis piocha dans un paquet de pain de mie dont il d\u00e9chira la tranche \u00e0 pleines dents. Il termina sa collation intempestive par deux yaourts qu'il engloutit rapidement en employant une cuill\u00e8re \u00e0 soupe. Une fois qu'il trouva la sati\u00e9t\u00e9, il s'\u00e9tira sans toutefois \u00e9prouver de contentement v\u00e9ritable. La sensation d'insignifiance \u00e9tait toujours l\u00e0 malgr\u00e9 la nourriture qu'il avait aval\u00e9e, malgr\u00e9 le poids de celle-ci qu'il sentait peser sur son estomac. Alors il monta l'escalier doucement pour ne r\u00e9veiller personne, s'allongea sur son lit et fit le tour de toutes les images des femmes qui provoquaient en lui du d\u00e9sir. Il s'arr\u00eata sur celle de la voisine, une h\u00f4tesse de l'air hyst\u00e9rique \u00e0 la poitrine g\u00e9n\u00e9reuse et au langage vulgaire, et se masturba. Il esp\u00e9rait que le sommeil reviendrait une fois qu'il aurait joui, mais au contraire la sensation d'insignifiance qu'il \u00e9prouvait d\u00e9sormais avait encore augment\u00e9. Ce fut \u00e0 cet instant probablement qu'il s'empara du petit carnet qu'il venait d'acheter quelques jours auparavant en se promettant de tenir son \u00ab journal de bord \u00bb. Il inscrivit la date du jour et l'heure, il \u00e9tait d\u00e9sormais 2h52 du matin, et puis sa main resta en suspens dans l'attente de l'inspiration qui ne vint pas cette nuit-l\u00e0. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/c3a9parpillement.jpg?1765982260",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ce-texte-propose-une-reflexion-sur-la-nature-du-cerveau-humain-et-de.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ce-texte-propose-une-reflexion-sur-la-nature-du-cerveau-humain-et-de.html",
"title": "Ce texte propose une r\u00e9flexion sur la nature du cerveau humain et de...",
"date_published": "2019-09-22T19:18:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:59:54Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Notre cerveau, selon les derni\u00e8res d\u00e9couvertes \u00e0 ma disposition, est une entit\u00e9 pour le moins \u00e9trange. Il est froid, insensible \u00e0 la douleur, et n\u2019\u00e9prouve aucune \u00e9motion. Sa structure est d\u2019une telle complexit\u00e9 que nous sommes encore incapables d\u2019en reproduire un mod\u00e8le pr\u00e9cis, que ce soit pour tenter de fabriquer des cerveaux artificiels ou m\u00eame pour approcher leur fonctionnement. Lors du d\u00e9veloppement f\u0153tal, le cerveau de l\u2019enfant g\u00e9n\u00e8re \u00e0 une vitesse stup\u00e9fiante un nombre incalculable de cellules par seconde. Pourtant, le cerveau pr\u00e9frontal, celui qui nous permet de prendre des d\u00e9cisions rationnelles et m\u00fbres, n’atteindrait pas sa pleine maturit\u00e9 avant l\u2019\u00e2ge de trente ans.<\/p>\n Nous ne savons pas grand-chose, comme je te le dis, et notamment, nous ne savons toujours pas si le cerveau et l\u2019esprit sont une seule et m\u00eame chose. Les images m\u00e9dicales qui montrent l\u2019activit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale d\u2019une personne en pleine r\u00e9flexion ne nous \u00e9clairent pas vraiment. Elles ne nous disent pas si c\u2019est bien le cerveau qui pense, ou s\u2019il interagit avec une autre entit\u00e9 que l\u2019on pourrait appeler l\u2019esprit, ce spiritus qui anime tout \u00eatre vivant.<\/p>\n Il est possible que le cerveau ne soit qu\u2019une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique sophistiqu\u00e9, ou peut-\u00eatre m\u00eame une sorte d\u2019antenne. Ce qui est certain, c\u2019est que dans ce cerveau, il existe un centre de commande pour chaque organe de notre corps, et cela reste invisible. Ainsi, nous respirons, souvent inconsciemment, gr\u00e2ce \u00e0 ce centre nerveux, qui r\u00e9gule cette fonction vitale, que nous en soyons conscients ou non. Il suffit que je mentionne la respiration pour que tu en prennes soudainement conscience. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne est un myst\u00e8re fascinant : nous sommes capables de contr\u00f4ler notre respiration volontairement, alors qu\u2019aucun animal, pas m\u00eame les primates, ne poss\u00e8de cette facult\u00e9.<\/p>\n Depuis l\u2019\u00e9poque de Galien, lorsqu\u2019il diss\u00e9quait des cerveaux de singes, pr\u00e8s de 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre le cerveau humain et celui des primates. Il semble donc difficile d\u2019affirmer avec certitude que l\u2019homme descend directement du singe ; il y a manifestement quelque chose qui s\u2019est produit entre les deux.<\/p>\n En revanche, il existe un centre de commande que nous ne contr\u00f4lons pas du tout : celui qui r\u00e9gule notre c\u0153ur. Lorsque ce dernier est gravement d\u00e9t\u00e9rior\u00e9 et qu\u2019il est sur le point de s\u2019arr\u00eater, c\u2019est le cerveau qui envoie le dernier signal pour \u00e9teindre d\u00e9finitivement la machine.<\/p>\n Si l\u2019on prend tous les nerfs et canaux qui parcourent le cerveau et que l\u2019on les \u00e9tendait bout \u00e0 bout, on obtiendrait une longueur \u00e9quivalente \u00e0 deux fois le tour de la Terre.<\/p>\n Envelopp\u00e9 dans une sorte de substance gluante peu rago\u00fbtante, le cerveau se prot\u00e8ge derri\u00e8re cinq couches, formant une v\u00e9ritable forteresse imp\u00e9n\u00e9trable. Qu’est-ce qui rend le cerveau humain si diff\u00e9rent de celui des primates ? Pourquoi le fameux \"cha\u00eenon manquant\" reste-t-il une \u00e9nigme non r\u00e9solue ? On pourrait \u00e9voquer toutes sortes de th\u00e9ories, y compris celle d\u2019une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre, qui ne serait pas la plus farfelue.<\/p>\n Quant \u00e0 l\u2019esprit, \u00e0 la conscience, personne n\u2019a encore r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9finir pr\u00e9cis\u00e9ment ce que ces notions recouvrent. Mais il existe peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante, une hypoth\u00e8se po\u00e9tique qui relie astrophysique et esprit humain.<\/p>\n Si l\u2019on observe de pr\u00e8s le nombre astronomique de cellules, de neurones, et les connexions qui relient chacun de ces neurones, on n\u2019est pas si loin du nombre d\u2019\u00e9toiles et de corps c\u00e9lestes dans l\u2019univers. De plus, on d\u00e9couvre maintenant que tout baigne dans une sorte de mati\u00e8re noire ou d\u2019\u00e9nergie noire. Il est \u00e9trange de constater qu\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne similaire existe dans notre cerveau, qu\u2019on appelle le corps noir.<\/p>\n Il faudrait sans doute revenir \u00e0 l\u2019alchimie pour explorer certaines id\u00e9es qui avaient d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 pens\u00e9es bien avant nos r\u00e9centes « d\u00e9couvertes » scientifiques. Mais je ne vais pas m\u2019\u00e9tendre sur le sujet, cela m\u00e9riterait un livre entier. Cet esprit qui nous anime, les anciens en parlaient d\u00e9j\u00e0 : Paracelse, entre autres, et bien d\u2019autres avant lui. Que l\u2019on parle de l\u2019esprit primordial, du Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou de Dieu, peu importe le nom qu\u2019on lui donne, ce qui importe, c\u2019est que nous ressentons tous sa pr\u00e9sence, sans jamais vraiment pouvoir la d\u00e9finir scientifiquement.<\/p>\n La m\u00eame difficult\u00e9 s’applique \u00e0 la conscience. Aujourd’hui, dans cette \u00e8re o\u00f9 les neurosciences sont en vogue, personne ne peut r\u00e9ellement affirmer ce qu’est la conscience. Est-ce simplement une impulsion \u00e9lectrique g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par le cerveau, ou autre chose ? Nous ne le savons pas encore, mais je suis personnellement convaincu qu\u2019il y a quelque chose de plus profond qu\u2019une simple lumi\u00e8re qui s’allumerait et s’\u00e9teindrait.<\/p>\n Il para\u00eet que le cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, une \u00e9nergie infime pour une machine aussi complexe. Et encore, cette \u00e9lectricit\u00e9, il la produit lui-m\u00eame ! Nous commen\u00e7ons seulement \u00e0 explorer ce ph\u00e9nom\u00e8ne.<\/p>\n Peut-\u00eatre devrions-nous tourner notre regard vers le Tibet, o\u00f9 la m\u00e9ditation de pleine conscience est pratiqu\u00e9e depuis des si\u00e8cles. Certes, cela ne serait pas scientifique au sens o\u00f9 nous l\u2019entendons g\u00e9n\u00e9ralement, mais qu\u2019importe ? Pour comprendre la conscience, il faut parfois prendre du recul et consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Ce mot, consid\u00e9rer, signifie litt\u00e9ralement « regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps ».<\/p>",
"content_text": "Notre cerveau, selon les derni\u00e8res d\u00e9couvertes \u00e0 ma disposition, est une entit\u00e9 pour le moins \u00e9trange. Il est froid, insensible \u00e0 la douleur, et n\u2019\u00e9prouve aucune \u00e9motion. Sa structure est d\u2019une telle complexit\u00e9 que nous sommes encore incapables d\u2019en reproduire un mod\u00e8le pr\u00e9cis, que ce soit pour tenter de fabriquer des cerveaux artificiels ou m\u00eame pour approcher leur fonctionnement. Lors du d\u00e9veloppement f\u0153tal, le cerveau de l\u2019enfant g\u00e9n\u00e8re \u00e0 une vitesse stup\u00e9fiante un nombre incalculable de cellules par seconde. Pourtant, le cerveau pr\u00e9frontal, celui qui nous permet de prendre des d\u00e9cisions rationnelles et m\u00fbres, n'atteindrait pas sa pleine maturit\u00e9 avant l\u2019\u00e2ge de trente ans. Nous ne savons pas grand-chose, comme je te le dis, et notamment, nous ne savons toujours pas si le cerveau et l\u2019esprit sont une seule et m\u00eame chose. Les images m\u00e9dicales qui montrent l\u2019activit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale d\u2019une personne en pleine r\u00e9flexion ne nous \u00e9clairent pas vraiment. Elles ne nous disent pas si c\u2019est bien le cerveau qui pense, ou s\u2019il interagit avec une autre entit\u00e9 que l\u2019on pourrait appeler l\u2019esprit, ce spiritus qui anime tout \u00eatre vivant. Il est possible que le cerveau ne soit qu\u2019une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique sophistiqu\u00e9, ou peut-\u00eatre m\u00eame une sorte d\u2019antenne. Ce qui est certain, c\u2019est que dans ce cerveau, il existe un centre de commande pour chaque organe de notre corps, et cela reste invisible. Ainsi, nous respirons, souvent inconsciemment, gr\u00e2ce \u00e0 ce centre nerveux, qui r\u00e9gule cette fonction vitale, que nous en soyons conscients ou non. Il suffit que je mentionne la respiration pour que tu en prennes soudainement conscience. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne est un myst\u00e8re fascinant : nous sommes capables de contr\u00f4ler notre respiration volontairement, alors qu\u2019aucun animal, pas m\u00eame les primates, ne poss\u00e8de cette facult\u00e9. Depuis l\u2019\u00e9poque de Galien, lorsqu\u2019il diss\u00e9quait des cerveaux de singes, pr\u00e8s de 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre le cerveau humain et celui des primates. Il semble donc difficile d\u2019affirmer avec certitude que l\u2019homme descend directement du singe ; il y a manifestement quelque chose qui s\u2019est produit entre les deux. En revanche, il existe un centre de commande que nous ne contr\u00f4lons pas du tout : celui qui r\u00e9gule notre c\u0153ur. Lorsque ce dernier est gravement d\u00e9t\u00e9rior\u00e9 et qu\u2019il est sur le point de s\u2019arr\u00eater, c\u2019est le cerveau qui envoie le dernier signal pour \u00e9teindre d\u00e9finitivement la machine. Si l\u2019on prend tous les nerfs et canaux qui parcourent le cerveau et que l\u2019on les \u00e9tendait bout \u00e0 bout, on obtiendrait une longueur \u00e9quivalente \u00e0 deux fois le tour de la Terre. Envelopp\u00e9 dans une sorte de substance gluante peu rago\u00fbtante, le cerveau se prot\u00e8ge derri\u00e8re cinq couches, formant une v\u00e9ritable forteresse imp\u00e9n\u00e9trable. Qu'est-ce qui rend le cerveau humain si diff\u00e9rent de celui des primates ? Pourquoi le fameux \"cha\u00eenon manquant\" reste-t-il une \u00e9nigme non r\u00e9solue ? On pourrait \u00e9voquer toutes sortes de th\u00e9ories, y compris celle d\u2019une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre, qui ne serait pas la plus farfelue. Quant \u00e0 l\u2019esprit, \u00e0 la conscience, personne n\u2019a encore r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9finir pr\u00e9cis\u00e9ment ce que ces notions recouvrent. Mais il existe peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante, une hypoth\u00e8se po\u00e9tique qui relie astrophysique et esprit humain. Si l\u2019on observe de pr\u00e8s le nombre astronomique de cellules, de neurones, et les connexions qui relient chacun de ces neurones, on n\u2019est pas si loin du nombre d\u2019\u00e9toiles et de corps c\u00e9lestes dans l\u2019univers. De plus, on d\u00e9couvre maintenant que tout baigne dans une sorte de mati\u00e8re noire ou d\u2019\u00e9nergie noire. Il est \u00e9trange de constater qu\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne similaire existe dans notre cerveau, qu\u2019on appelle le corps noir. Il faudrait sans doute revenir \u00e0 l\u2019alchimie pour explorer certaines id\u00e9es qui avaient d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 pens\u00e9es bien avant nos r\u00e9centes \u00ab d\u00e9couvertes \u00bb scientifiques. Mais je ne vais pas m\u2019\u00e9tendre sur le sujet, cela m\u00e9riterait un livre entier. Cet esprit qui nous anime, les anciens en parlaient d\u00e9j\u00e0 : Paracelse, entre autres, et bien d\u2019autres avant lui. Que l\u2019on parle de l\u2019esprit primordial, du Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou de Dieu, peu importe le nom qu\u2019on lui donne, ce qui importe, c\u2019est que nous ressentons tous sa pr\u00e9sence, sans jamais vraiment pouvoir la d\u00e9finir scientifiquement. La m\u00eame difficult\u00e9 s'applique \u00e0 la conscience. Aujourd'hui, dans cette \u00e8re o\u00f9 les neurosciences sont en vogue, personne ne peut r\u00e9ellement affirmer ce qu'est la conscience. Est-ce simplement une impulsion \u00e9lectrique g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par le cerveau, ou autre chose ? Nous ne le savons pas encore, mais je suis personnellement convaincu qu\u2019il y a quelque chose de plus profond qu\u2019une simple lumi\u00e8re qui s'allumerait et s'\u00e9teindrait. Il para\u00eet que le cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, une \u00e9nergie infime pour une machine aussi complexe. Et encore, cette \u00e9lectricit\u00e9, il la produit lui-m\u00eame ! Nous commen\u00e7ons seulement \u00e0 explorer ce ph\u00e9nom\u00e8ne. Peut-\u00eatre devrions-nous tourner notre regard vers le Tibet, o\u00f9 la m\u00e9ditation de pleine conscience est pratiqu\u00e9e depuis des si\u00e8cles. Certes, cela ne serait pas scientifique au sens o\u00f9 nous l\u2019entendons g\u00e9n\u00e9ralement, mais qu\u2019importe ? Pour comprendre la conscience, il faut parfois prendre du recul et consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Ce mot, consid\u00e9rer, signifie litt\u00e9ralement \u00ab regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps \u00bb. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cerveau.jpg?1748065070",
"tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation", "Esth\u00e9tique et Exp\u00e9rience Sensorielle"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-solitude-insondable-des-femmes.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-solitude-insondable-des-femmes.html",
"title": "La solitude insondable des femmes ",
"date_published": "2019-09-22T13:32:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:00:07Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " C’est en r\u00e9\u00e9coutant une interview de mon ami chaman Luis Ansa qui parlait de la solitude de la femme que \u00e7a a fait tilt. Mais oui, mais c’est bien s\u00fbr, cet attrait extraordinaire qu’elles ont toujours exerc\u00e9 sur ma vie, au-del\u00e0 des premiers stades plastiques et \u00e9motionnels, c’est bien de cette solitude que tout est parti.<\/p>\n \u00c0 commencer par ma m\u00e8re que j’apercevais enfant au-del\u00e0 des vitres de la couveuse dans laquelle je d\u00e9veloppais ce sentiment de solitude moi-m\u00eame et qui, par r\u00e9flexivit\u00e9 ou projection, m’aura aid\u00e9 autant qu’handicap\u00e9 \u00e0 chaque fois que j’aurais eu \u00e0 aborder la pr\u00e9sence de la femme.<\/p>\n Ce serait simple de me dire que c’est en raison de cette pr\u00e9cocit\u00e9 \u00e0 venir au monde que j’aurais invent\u00e9 cette sensation de solitude f\u00e9minine. La petite phrase de Luis m’a lib\u00e9r\u00e9 soudain de cette angoisse, ouvrant ainsi en grand les portes d’une vision bien plus large, et m\u00eame cosmique.<\/p>\n Qu’elle soit prostitu\u00e9e, institutrice, m\u00e9nag\u00e8re, chef d’entreprise, artiste, fille de peu ou fille de rien, la femme exerce une attraction puissante par le gouffre infini que je per\u00e7ois au fond de chacune d’elles et dans lequel je tente syst\u00e9matiquement de m’introduire par l’esprit, par le c\u0153ur, et toujours en vain.<\/p>\n Il en va de m\u00eame de p\u00e9trir un sein et de ne jamais pouvoir atteindre \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de celui-ci, tenu ontologiquement \u00e0 l’\u00e9cart par notre imaginaire, notre d\u00e9sir, notre r\u00eaverie. Tout sein comme toute femme est avant tout une fabrication mentale de l’homme pour l’homme.<\/p>\n Il faudra bien des accidents de parcours pour que l’illusion commence \u00e0 se fissurer, de nombreux renoncements et un amour infini et patient, la foi tout b\u00eatement, pour se rendre enfin compte de l’\u00e9vidence : la solitude de la femme est insondable.<\/p>\n Insondable tant que nous sommes des hommes raisonnant comme des hommes sur les femmes. Les portant aux nues, ou les jetant plus bas que terre.<\/p>\n Entre la putain et la maman, la femme ne se livre que si l’on accepte de regarder sans ciller l’interstice. Et encore, ce n’est pas tant elle qui se livre que notre incapacit\u00e9, notre vertige.<\/p>\n Au fond, c’est souvent une porte que l’on croit ferm\u00e9e tant qu’on veut le croire, parce que cela nous rassure ou nous arrange.<\/p>\n Mais soudain s’aper\u00e7oit-on que cette porte ne poss\u00e8de pas de serrure, et mieux, qu’elle n’existe que dans nos t\u00eates, alors soudain quelque chose se produit, comme un saut quantique. Nous avons travers\u00e9 quelque chose, sans m\u00eame nous en apercevoir, pass\u00e9 de l’autre c\u00f4t\u00e9 de l’imaginaire mill\u00e9naire, nous voici devant la femme \u00e0 nouveau et qu’on ne verra jamais plus de la m\u00eame fa\u00e7on d\u00e9sormais.<\/p>\n La d\u00e9couvrant ainsi au bout du corridor comme au bout d’un nouvel ut\u00e9rus, une renaissance s’op\u00e8re pour toute l’humanit\u00e9 dans son ensemble.<\/p>\n Et l’on d\u00e9couvre alors que la solitude insondable de la femme, c’est la solitude insondable des \u00e9toiles qui n’attendaient que notre visite et notre regard enfin pour briller et se transformer en lumi\u00e8re. Sauf que lorsqu’on les voit, celles-ci ont d\u00e9j\u00e0 disparu.<\/p>",
"content_text": " C'est en r\u00e9\u00e9coutant une interview de mon ami chaman Luis Ansa qui parlait de la solitude de la femme que \u00e7a a fait tilt. Mais oui, mais c'est bien s\u00fbr, cet attrait extraordinaire qu'elles ont toujours exerc\u00e9 sur ma vie, au-del\u00e0 des premiers stades plastiques et \u00e9motionnels, c'est bien de cette solitude que tout est parti. \u00c0 commencer par ma m\u00e8re que j'apercevais enfant au-del\u00e0 des vitres de la couveuse dans laquelle je d\u00e9veloppais ce sentiment de solitude moi-m\u00eame et qui, par r\u00e9flexivit\u00e9 ou projection, m'aura aid\u00e9 autant qu'handicap\u00e9 \u00e0 chaque fois que j'aurais eu \u00e0 aborder la pr\u00e9sence de la femme. Ce serait simple de me dire que c'est en raison de cette pr\u00e9cocit\u00e9 \u00e0 venir au monde que j'aurais invent\u00e9 cette sensation de solitude f\u00e9minine. La petite phrase de Luis m'a lib\u00e9r\u00e9 soudain de cette angoisse, ouvrant ainsi en grand les portes d'une vision bien plus large, et m\u00eame cosmique. Qu'elle soit prostitu\u00e9e, institutrice, m\u00e9nag\u00e8re, chef d'entreprise, artiste, fille de peu ou fille de rien, la femme exerce une attraction puissante par le gouffre infini que je per\u00e7ois au fond de chacune d'elles et dans lequel je tente syst\u00e9matiquement de m'introduire par l'esprit, par le c\u0153ur, et toujours en vain. Il en va de m\u00eame de p\u00e9trir un sein et de ne jamais pouvoir atteindre \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de celui-ci, tenu ontologiquement \u00e0 l'\u00e9cart par notre imaginaire, notre d\u00e9sir, notre r\u00eaverie. Tout sein comme toute femme est avant tout une fabrication mentale de l'homme pour l'homme. Il faudra bien des accidents de parcours pour que l'illusion commence \u00e0 se fissurer, de nombreux renoncements et un amour infini et patient, la foi tout b\u00eatement, pour se rendre enfin compte de l'\u00e9vidence : la solitude de la femme est insondable. Insondable tant que nous sommes des hommes raisonnant comme des hommes sur les femmes. Les portant aux nues, ou les jetant plus bas que terre. Entre la putain et la maman, la femme ne se livre que si l'on accepte de regarder sans ciller l'interstice. Et encore, ce n'est pas tant elle qui se livre que notre incapacit\u00e9, notre vertige. Au fond, c'est souvent une porte que l'on croit ferm\u00e9e tant qu'on veut le croire, parce que cela nous rassure ou nous arrange. Mais soudain s'aper\u00e7oit-on que cette porte ne poss\u00e8de pas de serrure, et mieux, qu'elle n'existe que dans nos t\u00eates, alors soudain quelque chose se produit, comme un saut quantique. Nous avons travers\u00e9 quelque chose, sans m\u00eame nous en apercevoir, pass\u00e9 de l'autre c\u00f4t\u00e9 de l'imaginaire mill\u00e9naire, nous voici devant la femme \u00e0 nouveau et qu'on ne verra jamais plus de la m\u00eame fa\u00e7on d\u00e9sormais. La d\u00e9couvrant ainsi au bout du corridor comme au bout d'un nouvel ut\u00e9rus, une renaissance s'op\u00e8re pour toute l'humanit\u00e9 dans son ensemble. Et l'on d\u00e9couvre alors que la solitude insondable de la femme, c'est la solitude insondable des \u00e9toiles qui n'attendaient que notre visite et notre regard enfin pour briller et se transformer en lumi\u00e8re. Sauf que lorsqu'on les voit, celles-ci ont d\u00e9j\u00e0 disparu. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/la-mc3a8re-des-c3a9parpillc3a9s-4.jpg?1765981648",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-conscience-de-la-conscience.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-conscience-de-la-conscience.html",
"title": "La conscience de la conscience.",
"date_published": "2019-09-22T03:16:58Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:00:26Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Notre cerveau, d’apr\u00e8s les derni\u00e8res informations dont je dispose, est une bien \u00e9trange entit\u00e9. Il est froid, il n’\u00e9prouve aucune \u00e9motion, aucune douleur, et sa constitution est extraordinairement complexe, si bien qu’on ne sait toujours pas rivaliser avec celui-ci, notamment pour le mod\u00e9liser, pour cr\u00e9er des cerveaux, doter les machines de ceux-ci, ou m\u00eame s’en approcher. Lors de son d\u00e9veloppement, le cerveau de l’enfant, dans le ventre de la m\u00e8re, produit \u00e0 une vitesse sid\u00e9rante un nombre de cellules chaque seconde. En revanche le cerveau pr\u00e9frontal ne serait pas achev\u00e9 avant l’\u00e2ge de trente ans.<\/p>\n On ne sait pas grand-chose comme je te le dis et surtout on ne sait pas si le cerveau et l’esprit ne sont qu’une seule et m\u00eame chose, on n’en sait absolument rien. On a beau faire de jolis films d’imagerie m\u00e9dicale de quelqu’un qui serait en train de penser, \u00e7a n’explique pas du tout si c’est le cerveau qui pense ou s’il entre en interaction avec autre chose, qu’on peut appeler l’esprit, en latin spiritus, qui anime.<\/p>\n Possible que le cerveau ne soit qu’une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique tout simplement ou une antenne pourquoi pas. Il existe en lui un centre de commandes (qu’on ne voit pas) pour chaque organe. Ainsi nous avons la possibilit\u00e9 de respirer durant 75 % de notre existence gr\u00e2ce \u00e0 ce centre de commande qui prend en charge, que nous le voulions ou pas, cette fonction vitale. Il suffirait que je t’en parle pour que tu te mettes \u00e0 pr\u00eater attention \u00e0 ta respiration et c’est l\u00e0 un myst\u00e8re encore : nous avons cette possibilit\u00e9 en tant qu’\u00eatre humain d’\u00eatre conscient du fait de respirer, et nous pouvons m\u00eame contr\u00f4ler notre respiration, ce que ne peut pas faire un animal. Le primate notamment est incapable de contr\u00f4ler sa respiration. Depuis Galien et ses dissections de cerveau de singe, environ 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre un cerveau de singe et un cerveau humain. On ne saurait donc vraiment dire que l’homme descend naturellement du singe, il s’est pass\u00e9 quelque chose entre les deux assur\u00e9ment.<\/p>\n En revanche il existe un centre de commande sur lequel nous n’avons pas la main, celui du c\u0153ur. En cas de d\u00e9t\u00e9rioration grave de celui-ci, lorsqu’il est clair que tout va se terminer, quelques millisecondes avant l’arr\u00eat cardiaque d\u00e9finitif, c’est bel et bien du cerveau que provient le signal de couper la machinerie.<\/p>\n 16 millions de cellules dans un cerveau de singe, 75 millions de cellules dans un cerveau humain. Bon, des fois on se demande \u00e0 quoi \u00e7a nous sert vu le r\u00e9sultat.<\/p>\n Si on mettait bout \u00e0 bout l’ensemble des nerfs, des canaux du cerveau, on obtiendrait une distance \u00e9gale \u00e0 deux fois le tour de la terre.<\/p>\n Entour\u00e9 par une glue pas tr\u00e8s rago\u00fbtante, le cerveau ne se laisse pas explorer ais\u00e9ment. Avec ses 5 \u00e9tages, il ressemble \u00e0 une forteresse imprenable.<\/p>\n Qu’est-ce qui fait une telle diff\u00e9rence entre un cerveau de primate et un cerveau humain, pourquoi le cha\u00eenon manquant reste-t-il introuvable ? On peut \u00e9voquer tout un tas de th\u00e9ories y compris une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre pourquoi pas, et celle-ci ne serait pas la plus loufoque de toutes.<\/p>\n Quant \u00e0 l’esprit, \u00e0 la conscience, nul ne saurait expliquer ce que sont ces deux entit\u00e9s mais, peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante par la po\u00e9sie li\u00e9e \u00e0 l’astrophysique.<\/p>\n En effet, si l’on observe la quantit\u00e9 inimaginable de cellules, de neurones et les connexions innombrables de chaque neurone avec les autres, si on fait le compte nous ne sommes pas loin du nombre d’\u00e9toiles, de corps c\u00e9lestes que nous sommes en mesure de compter dans l’univers connu... De plus on d\u00e9couvre d\u00e9sormais que tout est plus ou moins baignant dans l’\u00e9nergie noire ou la mati\u00e8re noire. Comme c’est \u00e9trange, nous avons aussi la m\u00eame \u00e9nigme dans notre cerveau, on appelle cela le corps noir...<\/p>\n Il faut remonter \u00e0 l’alchimie sans doute pour effleurer quelques id\u00e9es d\u00e9j\u00e0 pens\u00e9es bien en amont de nos soi-disant d\u00e9couvertes scientifiques. Je ne vais pas en dire bien plus sur ce sujet car cela m\u00e9riterait un livre entier, mais cet esprit qui nous anime est familier de Paracelse notamment, mais de bien d’autres. L’esprit primordial, ou le Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou encore Dieu, nous pouvons l’appeler par de multiples noms. Cela signifie juste que nous sentons bel et bien sa pr\u00e9sence sans toutefois pouvoir d\u00e9finir scientifiquement ce que c’est.<\/p>\n Il en va un peu de m\u00eame pour la conscience. Aujourd’hui nous vivons une \u00e9poque formidable o\u00f9 les neurosciences, les neuroscientifiques sont \u00e0 la mode. Cependant aucun ne peut non plus vraiment dire ce qu’est la conscience. Est-ce un ph\u00e9nom\u00e8ne \u00e9lectrique produit par le cerveau ou autre chose ? On ne peut pas encore le dire mais je penche bien s\u00fbr pour autre chose qu’une ampoule qui s’allume et s’\u00e9teint.<\/p>\n 20 watts je crois, c’est la puissance dont le cerveau a besoin pour faire fonctionner toute la machinerie. Encore bien \u00e9trange qu’une si faible puissance puisse tant produire... De plus l’\u00e9lectricit\u00e9 dont il a besoin, il la produit lui-m\u00eame, on commence tout juste \u00e0 se pencher l\u00e0-dessus aussi.<\/p>\n Il serait peut-\u00eatre bon de se tourner alors vers le Tibet qui pratique la m\u00e9ditation pleine conscience depuis belle lurette pour en savoir plus sur la conscience, sur l’esprit et le cerveau. Non, \u00e7a ne sera pas scientifique comme on a l’habitude de le concevoir, la belle affaire ! Pour avoir conscience de la conscience, il est n\u00e9cessaire d’avoir du recul comme de la consid\u00e9ration, ce mot formidable qui veut dire voir toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps.<\/p>",
"content_text": " Notre cerveau, d'apr\u00e8s les derni\u00e8res informations dont je dispose, est une bien \u00e9trange entit\u00e9. Il est froid, il n'\u00e9prouve aucune \u00e9motion, aucune douleur, et sa constitution est extraordinairement complexe, si bien qu'on ne sait toujours pas rivaliser avec celui-ci, notamment pour le mod\u00e9liser, pour cr\u00e9er des cerveaux, doter les machines de ceux-ci, ou m\u00eame s'en approcher. Lors de son d\u00e9veloppement, le cerveau de l'enfant, dans le ventre de la m\u00e8re, produit \u00e0 une vitesse sid\u00e9rante un nombre de cellules chaque seconde. En revanche le cerveau pr\u00e9frontal ne serait pas achev\u00e9 avant l'\u00e2ge de trente ans. On ne sait pas grand-chose comme je te le dis et surtout on ne sait pas si le cerveau et l'esprit ne sont qu'une seule et m\u00eame chose, on n'en sait absolument rien. On a beau faire de jolis films d'imagerie m\u00e9dicale de quelqu'un qui serait en train de penser, \u00e7a n'explique pas du tout si c'est le cerveau qui pense ou s'il entre en interaction avec autre chose, qu'on peut appeler l'esprit, en latin spiritus, qui anime. Possible que le cerveau ne soit qu'une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique tout simplement ou une antenne pourquoi pas. Il existe en lui un centre de commandes (qu'on ne voit pas) pour chaque organe. Ainsi nous avons la possibilit\u00e9 de respirer durant 75 % de notre existence gr\u00e2ce \u00e0 ce centre de commande qui prend en charge, que nous le voulions ou pas, cette fonction vitale. Il suffirait que je t'en parle pour que tu te mettes \u00e0 pr\u00eater attention \u00e0 ta respiration et c'est l\u00e0 un myst\u00e8re encore : nous avons cette possibilit\u00e9 en tant qu'\u00eatre humain d'\u00eatre conscient du fait de respirer, et nous pouvons m\u00eame contr\u00f4ler notre respiration, ce que ne peut pas faire un animal. Le primate notamment est incapable de contr\u00f4ler sa respiration. Depuis Galien et ses dissections de cerveau de singe, environ 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre un cerveau de singe et un cerveau humain. On ne saurait donc vraiment dire que l'homme descend naturellement du singe, il s'est pass\u00e9 quelque chose entre les deux assur\u00e9ment. En revanche il existe un centre de commande sur lequel nous n'avons pas la main, celui du c\u0153ur. En cas de d\u00e9t\u00e9rioration grave de celui-ci, lorsqu'il est clair que tout va se terminer, quelques millisecondes avant l'arr\u00eat cardiaque d\u00e9finitif, c'est bel et bien du cerveau que provient le signal de couper la machinerie. 16 millions de cellules dans un cerveau de singe, 75 millions de cellules dans un cerveau humain. Bon, des fois on se demande \u00e0 quoi \u00e7a nous sert vu le r\u00e9sultat. Si on mettait bout \u00e0 bout l'ensemble des nerfs, des canaux du cerveau, on obtiendrait une distance \u00e9gale \u00e0 deux fois le tour de la terre. Entour\u00e9 par une glue pas tr\u00e8s rago\u00fbtante, le cerveau ne se laisse pas explorer ais\u00e9ment. Avec ses 5 \u00e9tages, il ressemble \u00e0 une forteresse imprenable. Qu'est-ce qui fait une telle diff\u00e9rence entre un cerveau de primate et un cerveau humain, pourquoi le cha\u00eenon manquant reste-t-il introuvable ? On peut \u00e9voquer tout un tas de th\u00e9ories y compris une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre pourquoi pas, et celle-ci ne serait pas la plus loufoque de toutes. Quant \u00e0 l'esprit, \u00e0 la conscience, nul ne saurait expliquer ce que sont ces deux entit\u00e9s mais, peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante par la po\u00e9sie li\u00e9e \u00e0 l'astrophysique. En effet, si l'on observe la quantit\u00e9 inimaginable de cellules, de neurones et les connexions innombrables de chaque neurone avec les autres, si on fait le compte nous ne sommes pas loin du nombre d'\u00e9toiles, de corps c\u00e9lestes que nous sommes en mesure de compter dans l'univers connu... De plus on d\u00e9couvre d\u00e9sormais que tout est plus ou moins baignant dans l'\u00e9nergie noire ou la mati\u00e8re noire. Comme c'est \u00e9trange, nous avons aussi la m\u00eame \u00e9nigme dans notre cerveau, on appelle cela le corps noir... Il faut remonter \u00e0 l'alchimie sans doute pour effleurer quelques id\u00e9es d\u00e9j\u00e0 pens\u00e9es bien en amont de nos soi-disant d\u00e9couvertes scientifiques. Je ne vais pas en dire bien plus sur ce sujet car cela m\u00e9riterait un livre entier, mais cet esprit qui nous anime est familier de Paracelse notamment, mais de bien d'autres. L'esprit primordial, ou le Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou encore Dieu, nous pouvons l'appeler par de multiples noms. Cela signifie juste que nous sentons bel et bien sa pr\u00e9sence sans toutefois pouvoir d\u00e9finir scientifiquement ce que c'est. Il en va un peu de m\u00eame pour la conscience. Aujourd'hui nous vivons une \u00e9poque formidable o\u00f9 les neurosciences, les neuroscientifiques sont \u00e0 la mode. Cependant aucun ne peut non plus vraiment dire ce qu'est la conscience. Est-ce un ph\u00e9nom\u00e8ne \u00e9lectrique produit par le cerveau ou autre chose ? On ne peut pas encore le dire mais je penche bien s\u00fbr pour autre chose qu'une ampoule qui s'allume et s'\u00e9teint. 20 watts je crois, c'est la puissance dont le cerveau a besoin pour faire fonctionner toute la machinerie. Encore bien \u00e9trange qu'une si faible puissance puisse tant produire... De plus l'\u00e9lectricit\u00e9 dont il a besoin, il la produit lui-m\u00eame, on commence tout juste \u00e0 se pencher l\u00e0-dessus aussi. Il serait peut-\u00eatre bon de se tourner alors vers le Tibet qui pratique la m\u00e9ditation pleine conscience depuis belle lurette pour en savoir plus sur la conscience, sur l'esprit et le cerveau. Non, \u00e7a ne sera pas scientifique comme on a l'habitude de le concevoir, la belle affaire ! Pour avoir conscience de la conscience, il est n\u00e9cessaire d'avoir du recul comme de la consid\u00e9ration, ce mot formidable qui veut dire voir toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps. ",
"image": "",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-septembre-2019.html",
"title": "16 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-16T19:08:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:00:35Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Il y a quelques ann\u00e9es, une exposition magistrale se tient \u00e0 Lyon, une r\u00e9trospective des fr\u00e8res peintres Bram et Geer Van Velde.<\/p>\n Sur des voies parall\u00e8les, les deux fr\u00e8res ne se rejoignent qu\u2019\u00e0 la limite que propose la fratrie, \u00e0 l\u2019horizon de sa volont\u00e9 de trouver des « points communs ». Il suit le parcours propos\u00e9 par le mus\u00e9e des Beaux-Arts, sous la direction de la commissaire Sylvie Ramond et de l\u2019historien d\u2019art Rainer Michael Mason.<\/p>\n \u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, il retrouve une sensation qui lui est ch\u00e8re, peut-\u00eatre m\u00eame le moteur invisible de la naissance de ces deux \u0153uvres enfin r\u00e9unies c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : le d\u00e9racinement.<\/p>\n Hollandais d\u2019origine, les deux fr\u00e8res entretiennent une relation \u00e9troite, marqu\u00e9e par l\u2019exil et la distance avec leur pays natal. Cela lui permet de saisir quelque chose d\u2019important : l\u2019inconnu dans lequel ils se plongent, laissant derri\u00e8re eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs rep\u00e8res, et de leur identit\u00e9.<\/p>\n Employ\u00e9s tous deux dans une entreprise de peinture et de d\u00e9coration \u00e0 La Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour apprendre les techniques de peinture. Nous sommes entre les ann\u00e9es 1915 et 1920.<\/p>\n C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne, propos\u00e9 par son patron, que Bram continue \u00e0 d\u00e9velopper sa culture artistique, dans un village o\u00f9 il c\u00f4toie de nombreux artistes. Ses inspirations viennent alors de Van Gogh, de Munch — \u00e0 l\u2019origine de l\u2019expressionnisme — et d\u2019Emil Nolde, qui lui apprend \u00e0 placer la subjectivit\u00e9 au centre de toute repr\u00e9sentation.<\/p>\n Plus tard, Bram se rend \u00e0 Paris, o\u00f9 il t\u00e2tonne en s\u2019essayant \u00e0 plusieurs genres, jusqu\u2019\u00e0 recevoir la « le\u00e7on de Matisse » et la « r\u00e9v\u00e9lation » de ses couleurs, un peu comme un indien qui apprend son nom en passant \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Mais c\u2019est en Corse qu\u2019il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage.<\/p>\n Geer rejoint son fr\u00e8re \u00e0 Paris et tente lui aussi de trouver son propre langage pictural en explorant divers genres, dont l\u2019art na\u00eff. Les deux fr\u00e8res commencent alors \u00e0 exposer ensemble, ins\u00e9parables.<\/p>\n Dans les ann\u00e9es 30, Bram s\u2019installe \u00e0 Majorque, o\u00f9 il restera jusqu\u2019\u00e0 la guerre d\u2019Espagne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019\u00e9loigne d\u00e9finitivement de la figuration tout en continuant \u00e0 peindre ce qu\u2019il voit, tel qu\u2019il le voit. Il trouve alors les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui d\u00e9finiront son style pour toujours. Son langage pictural devient l\u2019expression d\u2019une peinture pure, un fait plastique authentique fond\u00e9 sur une vision int\u00e9rioris\u00e9e du monde.<\/p>\n Il lui semble important de raconter ce parcours, car il indique plusieurs choses essentielles \u00e0 ses yeux.<\/p>\n D\u2019une part, il faut la faim, celle de peindre, celle de s\u2019exprimer. Malheureusement, Bram ne conna\u00eet pas que cette faim artistique, mais aussi la vraie faim, celle qui tord les boyaux. D\u2019autre part, il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore, s\u2019\u00e9garer pour mieux se trouver. Nul ne sait comment survient v\u00e9ritablement la r\u00e9v\u00e9lation d\u2019une palette de couleurs ou d\u2019un langage formel, mais une chose est certaine : elle n\u2019arrive pas par hasard. Il faut travailler \u00e9norm\u00e9ment pour cela.<\/p>\n Personne ne peut dire pourquoi certains artistes passent \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9. Pourquoi Bram devient-il plus « c\u00e9l\u00e8bre » que Geer, sans doute jug\u00e9 trop conventionnel par les gardiens du temple de l\u2019art ? Pourtant, les choses changent avec le temps : ceux qui \u00e9taient c\u00e9l\u00e8bres jadis peuvent tomber dans l\u2019oubli, et vice versa, au gr\u00e9 des humeurs des politiques, des marchands, et surtout de l\u2019air du temps.<\/p>\n Loin de lui l\u2019id\u00e9e de jouer les critiques d\u2019art \u00e0 travers ces petits textes sur les peintres qui ont compt\u00e9 dans son parcours. Non, \u00e9crire lui permet avant tout de clarifier ses pens\u00e9es, de les hi\u00e9rarchiser, d\u2019en comprendre l\u2019importance, et peut-\u00eatre, par ricochet, de les faire saisir \u00e0 d\u2019autres. Ce qui serait d\u00e9j\u00e0 un petit miracle en soi.<\/p>\n Il reviendra sur la peinture de Bram Van Velde, car il est tard et il doit aller peindre. Et ce besoin soudain de s\u2019\u00e9loigner du sujet lui fait comprendre combien ce peintre a \u00e9t\u00e9 d\u2019une importance capitale dans son parcours.<\/p>",
"content_text": "Il y a quelques ann\u00e9es, une exposition magistrale se tient \u00e0 Lyon, une r\u00e9trospective des fr\u00e8res peintres Bram et Geer Van Velde. Sur des voies parall\u00e8les, les deux fr\u00e8res ne se rejoignent qu\u2019\u00e0 la limite que propose la fratrie, \u00e0 l\u2019horizon de sa volont\u00e9 de trouver des \u00ab points communs \u00bb. Il suit le parcours propos\u00e9 par le mus\u00e9e des Beaux-Arts, sous la direction de la commissaire Sylvie Ramond et de l\u2019historien d\u2019art Rainer Michael Mason. \u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, il retrouve une sensation qui lui est ch\u00e8re, peut-\u00eatre m\u00eame le moteur invisible de la naissance de ces deux \u0153uvres enfin r\u00e9unies c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : le d\u00e9racinement. Hollandais d\u2019origine, les deux fr\u00e8res entretiennent une relation \u00e9troite, marqu\u00e9e par l\u2019exil et la distance avec leur pays natal. Cela lui permet de saisir quelque chose d\u2019important : l\u2019inconnu dans lequel ils se plongent, laissant derri\u00e8re eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs rep\u00e8res, et de leur identit\u00e9. Employ\u00e9s tous deux dans une entreprise de peinture et de d\u00e9coration \u00e0 La Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour apprendre les techniques de peinture. Nous sommes entre les ann\u00e9es 1915 et 1920. C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne, propos\u00e9 par son patron, que Bram continue \u00e0 d\u00e9velopper sa culture artistique, dans un village o\u00f9 il c\u00f4toie de nombreux artistes. Ses inspirations viennent alors de Van Gogh, de Munch \u2014 \u00e0 l\u2019origine de l\u2019expressionnisme \u2014 et d\u2019Emil Nolde, qui lui apprend \u00e0 placer la subjectivit\u00e9 au centre de toute repr\u00e9sentation. Plus tard, Bram se rend \u00e0 Paris, o\u00f9 il t\u00e2tonne en s\u2019essayant \u00e0 plusieurs genres, jusqu\u2019\u00e0 recevoir la \u00ab le\u00e7on de Matisse \u00bb et la \u00ab r\u00e9v\u00e9lation \u00bb de ses couleurs, un peu comme un indien qui apprend son nom en passant \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Mais c\u2019est en Corse qu\u2019il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage. Geer rejoint son fr\u00e8re \u00e0 Paris et tente lui aussi de trouver son propre langage pictural en explorant divers genres, dont l\u2019art na\u00eff. Les deux fr\u00e8res commencent alors \u00e0 exposer ensemble, ins\u00e9parables. Dans les ann\u00e9es 30, Bram s\u2019installe \u00e0 Majorque, o\u00f9 il restera jusqu\u2019\u00e0 la guerre d\u2019Espagne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019\u00e9loigne d\u00e9finitivement de la figuration tout en continuant \u00e0 peindre ce qu\u2019il voit, tel qu\u2019il le voit. Il trouve alors les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui d\u00e9finiront son style pour toujours. Son langage pictural devient l\u2019expression d\u2019une peinture pure, un fait plastique authentique fond\u00e9 sur une vision int\u00e9rioris\u00e9e du monde. Il lui semble important de raconter ce parcours, car il indique plusieurs choses essentielles \u00e0 ses yeux. D\u2019une part, il faut la faim, celle de peindre, celle de s\u2019exprimer. Malheureusement, Bram ne conna\u00eet pas que cette faim artistique, mais aussi la vraie faim, celle qui tord les boyaux. D\u2019autre part, il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore, s\u2019\u00e9garer pour mieux se trouver. Nul ne sait comment survient v\u00e9ritablement la r\u00e9v\u00e9lation d\u2019une palette de couleurs ou d\u2019un langage formel, mais une chose est certaine : elle n\u2019arrive pas par hasard. Il faut travailler \u00e9norm\u00e9ment pour cela. Personne ne peut dire pourquoi certains artistes passent \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9. Pourquoi Bram devient-il plus \u00ab c\u00e9l\u00e8bre \u00bb que Geer, sans doute jug\u00e9 trop conventionnel par les gardiens du temple de l\u2019art ? Pourtant, les choses changent avec le temps : ceux qui \u00e9taient c\u00e9l\u00e8bres jadis peuvent tomber dans l\u2019oubli, et vice versa, au gr\u00e9 des humeurs des politiques, des marchands, et surtout de l\u2019air du temps. Loin de lui l\u2019id\u00e9e de jouer les critiques d\u2019art \u00e0 travers ces petits textes sur les peintres qui ont compt\u00e9 dans son parcours. Non, \u00e9crire lui permet avant tout de clarifier ses pens\u00e9es, de les hi\u00e9rarchiser, d\u2019en comprendre l\u2019importance, et peut-\u00eatre, par ricochet, de les faire saisir \u00e0 d\u2019autres. Ce qui serait d\u00e9j\u00e0 un petit miracle en soi. Il reviendra sur la peinture de Bram Van Velde, car il est tard et il doit aller peindre. Et ce besoin soudain de s\u2019\u00e9loigner du sujet lui fait comprendre combien ce peintre a \u00e9t\u00e9 d\u2019une importance capitale dans son parcours.",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bram-van-velde.jpg?1748065063",
"tags": ["peintres", "r\u00e9flexions sur l'art", "affects"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/La-peinture-de-Patrick-Robbe-Grillet.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/La-peinture-de-Patrick-Robbe-Grillet.html",
"title": "La peinture de Patrick Robbe-Grillet",
"date_published": "2019-09-16T04:05:24Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:00:49Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne — non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas.<\/p>\n Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes.<\/p>\n Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri — alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes.<\/p>\n On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse.<\/p>\n J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus.<\/p>\n Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre.<\/p>\n Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai.<\/p>\n S\u2019absenter — non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence.<\/p>\n On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 — Patrick le discret, Willem le fracas — me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre.<\/p>\n Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir.\nIllustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet<\/p>",
"content_text": " Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne \u2014 non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas. Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes. Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri \u2014 alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes. On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse. J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus. Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre. Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai. S\u2019absenter \u2014 non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence. On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 \u2014 Patrick le discret, Willem le fracas \u2014 me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre. Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir. Illustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/envolee-lyrique-prg.jpg?1748065147",
"tags": ["peintres"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/impeccabilite.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/impeccabilite.html",
"title": "Impeccabilit\u00e9",
"date_published": "2019-09-15T20:30:07Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:01:01Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " En tant que peintre, il suit une voie qu\u2019il n\u2019a pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne lui a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l\u2019\u00e9loigne de ce que l\u2019on appelle « la vie active ». Il met des ann\u00e9es \u00e0 se d\u00e9barrasser de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de ses travaux les plus importants. En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une « perte de temps » — \u00e9crire, peindre — me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle « la vie active ». Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : « Ne te berne pas toi-m\u00eame. » En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e « l\u2019impeccabilit\u00e9 », en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : « Oui, c\u2019est exactement cela. » Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin — le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : « la petite voix » suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce « \u00e0 quoi bon » d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. « Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus », dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie.<\/p>",
"content_text": " En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une \u00ab perte de temps \u00bb \u2014 \u00e9crire, peindre \u2014 me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle \u00ab la vie active \u00bb. Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : \u00ab Ne te berne pas toi-m\u00eame. \u00bb En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e \u00ab l\u2019impeccabilit\u00e9 \u00bb, en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : \u00ab Oui, c\u2019est exactement cela. \u00bb Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin \u2014 le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : \u00ab la petite voix \u00bb suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce \u00ab \u00e0 quoi bon \u00bb d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. \u00ab Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus \u00bb, dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/plume-2.webp?1748065064",
"tags": ["Autofiction et Introspection", "id\u00e9es"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-septembre-2019.html",
"title": "12 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-12T02:36:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:01:30Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Le d\u00e9part se fait dans la bourse paternelle, starting-blocks gluants. Puis le coup de feu. L’autoroute. Certains restent au bord, essouffl\u00e9s avant d’avoir couru. D’autres se font d\u00e9passer, \u00e9cras\u00e9s par le flux. Des milliards de concurrents au d\u00e9part, un seul arrive : toi.<\/p>\n Tu es le champion. Celui qui a tenu. Tous ceux que tu croises sont des champions comme toi \u2013 cicatrices aux genoux, souffle court, mais debout.<\/p>\n Avant, tu courais par instinct. Maintenant tu sais que tu cours. Conscience : ce cadeau \u00e9trange d’\u00eatre \u00e0 la fois le coureur et le spectateur de sa propre course.<\/p>\n Tu perds du temps \u00e0 te plaindre ? La course continue. Elle continue m\u00eame si tu t’arr\u00eates, m\u00eame si tu crois reculer. L’important n’est pas la vitesse, mais l’angle du regard.<\/p>\n Ce que tu dois apprendre est d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit quelque part. Mais ton c\u0153ur \u2013 ce muscle qui bat depuis le premier coup de feu \u2013 peut infl\u00e9chir le trac\u00e9. Donner sens au parcours. Changer, m\u00eame l\u00e9g\u00e8rement, la pente de l’autoroute.<\/p>\n Je r\u00e9ecris ce texte en 2025 et il ne parle pas de la peur v\u00e9ritable qui en est le moteur, la n\u00e9c\u00e9ssit\u00e9. C’est une peur banale, la peur de l’insignifiance. Si je devais r\u00e9ecrire ce texte aujourd’hui, j’essaierais de le reposer en trois parties <\/p>\n L’esquive de la banalit\u00e9 de l’existence : Que la plupart des vies ne sont ni des \u00e9pop\u00e9es ni des courses effr\u00e9n\u00e9es, mais des s\u00e9quences de routines, de petites joies, de souffrances ordinaires.<\/p>\n<\/li>\n La responsabilit\u00e9 personnelle : Que nos choix ont des cons\u00e9quences, que nous ne sommes pas seulement des \"champions s\u00e9lectionn\u00e9s\" mais aussi des acteurs responsables.<\/p>\n<\/li>\n La souffrance sp\u00e9cifique : La douleur singuli\u00e8re, non m\u00e9taphorique.<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n Et surtout j’essaierais de trouver une transition honn\u00eate entre la violence de la s\u00e9lection naturelle et la dignit\u00e9 de l’existence consciente. Car Le texte fait un saut magique de l’un \u00e0 l’autre, \u00e9vitant la question difficile : Comment devient-on un \"champion conscient\" dans un syst\u00e8me qui produit m\u00e9caniquement des \"victimes\" ?<\/p>\n Version 2025 — Sans m\u00e9taphore de course<\/strong><\/p>\n Je suis n\u00e9 d’une course. Des milliards de concurrents, un seul gagnant : moi. Cette statistique devrait m’\u00e9merveiller. Pourtant, je me r\u00e9veille chaque matin avec la m\u00eame lassitude.<\/p>\n La v\u00e9rit\u00e9 est que la grande course, c’est le m\u00e9tro, le travail, les courses \u00e0 faire, l’envie de se recoucher. Des routines, pas une \u00e9pop\u00e9e.<\/p>\n Hier, j’ai parl\u00e9 s\u00e8chement \u00e0 S.. Elle a pleur\u00e9. J’\u00e9tais fatigu\u00e9. Le \"champion\" s\u00e9lectionn\u00e9 parmi des milliards peut \u00eatre cruel par fatigue. La responsabilit\u00e9 n’est pas dans la grandeur, mais dans ces moments-l\u00e0.<\/p>\n Je pense \u00e0 mon cousin, mort \u00e0 vingt ans. Lui n’a pas \"tenu\". \u00c0 quoi bon lui dire qu’il \u00e9tait un champion ? Sa souffrance \u00e9tait sp\u00e9cifique : une chambre d’h\u00f4pital, des tubes, l’odeur du d\u00e9sinfectant. Pas une m\u00e9taphore.<\/p>\n Alors comment concilier ? Comment \u00eatre \u00e0 la fois le miracul\u00e9 statistique et l’homme qui p\u00e8te les plombs par fatigue ?<\/p>\n Peut-\u00eatre en arr\u00eatant de chercher des champions et des victimes. En acceptant que nous sommes tous, simplement, des survivants. Avec nos cicatrices, nos l\u00e2chet\u00e9s, nos moments de gr\u00e2ce.<\/p>\n Le vrai courage n’est pas de gagner la course, mais de regarder en face la banalit\u00e9 de sa propre vie, d’assumer la douleur qu’on cause, de se souvenir des visages de ceux qui n’ont pas tenu.<\/p>\n Et de continuer, malgr\u00e9 tout, \u00e0 mettre un pied devant l’autre.<\/p>",
"content_text": " Le d\u00e9part se fait dans la bourse paternelle, starting-blocks gluants. Puis le coup de feu. L'autoroute. Certains restent au bord, essouffl\u00e9s avant d'avoir couru. D'autres se font d\u00e9passer, \u00e9cras\u00e9s par le flux. Des milliards de concurrents au d\u00e9part, un seul arrive : toi. Tu es le champion. Celui qui a tenu. Tous ceux que tu croises sont des champions comme toi \u2013 cicatrices aux genoux, souffle court, mais debout. Avant, tu courais par instinct. Maintenant tu sais que tu cours. Conscience : ce cadeau \u00e9trange d'\u00eatre \u00e0 la fois le coureur et le spectateur de sa propre course. Tu perds du temps \u00e0 te plaindre ? La course continue. Elle continue m\u00eame si tu t'arr\u00eates, m\u00eame si tu crois reculer. L'important n'est pas la vitesse, mais l'angle du regard. Ce que tu dois apprendre est d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit quelque part. Mais ton c\u0153ur \u2013 ce muscle qui bat depuis le premier coup de feu \u2013 peut infl\u00e9chir le trac\u00e9. Donner sens au parcours. Changer, m\u00eame l\u00e9g\u00e8rement, la pente de l'autoroute. Je r\u00e9ecris ce texte en 2025 et il ne parle pas de la peur v\u00e9ritable qui en est le moteur, la n\u00e9c\u00e9ssit\u00e9. C'est une peur banale, la peur de l'insignifiance. Si je devais r\u00e9ecrire ce texte aujourd'hui, j'essaierais de le reposer en trois parties - L'esquive de la banalit\u00e9 de l'existence : Que la plupart des vies ne sont ni des \u00e9pop\u00e9es ni des courses effr\u00e9n\u00e9es, mais des s\u00e9quences de routines, de petites joies, de souffrances ordinaires. - La responsabilit\u00e9 personnelle : Que nos choix ont des cons\u00e9quences, que nous ne sommes pas seulement des \"champions s\u00e9lectionn\u00e9s\" mais aussi des acteurs responsables. - La souffrance sp\u00e9cifique : La douleur singuli\u00e8re, non m\u00e9taphorique. Et surtout j'essaierais de trouver une transition honn\u00eate entre la violence de la s\u00e9lection naturelle et la dignit\u00e9 de l'existence consciente. Car Le texte fait un saut magique de l'un \u00e0 l'autre, \u00e9vitant la question difficile : Comment devient-on un \"champion conscient\" dans un syst\u00e8me qui produit m\u00e9caniquement des \"victimes\" ? **Version 2025 \u2014 Sans m\u00e9taphore de course** Je suis n\u00e9 d'une course. Des milliards de concurrents, un seul gagnant : moi. Cette statistique devrait m'\u00e9merveiller. Pourtant, je me r\u00e9veille chaque matin avec la m\u00eame lassitude. La v\u00e9rit\u00e9 est que la grande course, c'est le m\u00e9tro, le travail, les courses \u00e0 faire, l'envie de se recoucher. Des routines, pas une \u00e9pop\u00e9e. Hier, j'ai parl\u00e9 s\u00e8chement \u00e0 S.. Elle a pleur\u00e9. J'\u00e9tais fatigu\u00e9. Le \"champion\" s\u00e9lectionn\u00e9 parmi des milliards peut \u00eatre cruel par fatigue. La responsabilit\u00e9 n'est pas dans la grandeur, mais dans ces moments-l\u00e0. Je pense \u00e0 mon cousin, mort \u00e0 vingt ans. Lui n'a pas \"tenu\". \u00c0 quoi bon lui dire qu'il \u00e9tait un champion ? Sa souffrance \u00e9tait sp\u00e9cifique : une chambre d'h\u00f4pital, des tubes, l'odeur du d\u00e9sinfectant. Pas une m\u00e9taphore. Alors comment concilier ? Comment \u00eatre \u00e0 la fois le miracul\u00e9 statistique et l'homme qui p\u00e8te les plombs par fatigue ? Peut-\u00eatre en arr\u00eatant de chercher des champions et des victimes. En acceptant que nous sommes tous, simplement, des survivants. Avec nos cicatrices, nos l\u00e2chet\u00e9s, nos moments de gr\u00e2ce. Le vrai courage n'est pas de gagner la course, mais de regarder en face la banalit\u00e9 de sa propre vie, d'assumer la douleur qu'on cause, de se souvenir des visages de ceux qui n'ont pas tenu. Et de continuer, malgr\u00e9 tout, \u00e0 mettre un pied devant l'autre. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bord-du-rhc3b4ne-sablons.webp?1764992211",
"tags": ["palimpsestes"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-septembre-2019.html",
"title": "11 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-11T02:07:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:01:52Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Reprise du texte en 2025. \u00c0 relecture tout me para\u00eet grandiloquent, pas faux compl\u00e8tement mais reconstruit na\u00efvement. Je reviens donc en arri\u00e8re pour r\u00e9examiner la sc\u00e8ne et j’\u00e9cris un tout autre texte.<\/p>\n<\/blockquote>\n Je me souviens de cette journ\u00e9e o\u00f9 j\u2019ai rendu visite \u00e0 Thierry Lambert.\nAujourd\u2019hui, je vois clairement ce que je cherchais : moins \u00e0 rencontrer un homme qu\u2019\u00e0 trouver un miroir qui me renvoie l\u2019image d\u2019un artiste.<\/p>\n J\u2019\u00e9tais fatigu\u00e9. J\u2019avais encha\u00een\u00e9 les ateliers pour enfants, le d\u00e9jeuner rapide. J\u2019arrivais avec l\u2019espoir confus qu\u2019un « grand » me reconnaisse, me donne une cl\u00e9, ou simplement me regarde comme un \u00e9gal.<\/p>\n Sa maison \u00e9tait pleine d\u2019\u0153uvres. Des piles de toiles, des sculptures. Je me suis perdu dans les noms, les r\u00e9f\u00e9rences. Je voulais tout retenir, prouver que j\u2019\u00e9tais digne de comprendre. Puis j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 prise — ou j\u2019ai cru l\u00e2cher prise. En r\u00e9alit\u00e9, je jouais au disciple \u00e9merveill\u00e9. Je me suis mis \u00e0 parler de chamanisme, d\u2019art sacr\u00e9, de transmission ancestrale. De Luis Hansa que j’avais connu lorsque j’habitais Paris. Des mots trop grands pour une simple rencontre.<\/p>\n Je crois que j\u2019avais peur que ce moment soit banal. Alors je l\u2019ai enrob\u00e9 de myst\u00e8re. J\u2019ai fait de Thierry un chamane, de sa maison une for\u00eat, de sa collection un chemin initiatique.<\/p>\n Nous avons bu du th\u00e9. Parl\u00e9 peinture, march\u00e9 de l\u2019art, parcours. C\u2019\u00e9tait concret, simple. Mais dans ma t\u00eate, je dramatise d\u00e9j\u00e0. Je me voyais en train de vivre quelque chose d\u2019important.<\/p>\n Aujourd\u2019hui, je sais ce qui \u00e9tait vrai : sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, le partage d\u2019un g\u00e2teau, la lumi\u00e8re dans la cuisine, les chats derri\u00e8re la vitre. Le reste — le vocabulaire initiatique, l\u2019insistance sur le caract\u00e8re unique — \u00e9tait de la construction. Une tentative de me grandir par procuration.<\/p>\n Parfois, on se raconte des histoires pour traverser le doute. Ce jour-l\u00e0, j\u2019avais besoin de croire que l\u2019art \u00e9tait une voie sacr\u00e9e, et moi, un p\u00e8lerin. J\u2019avais besoin de Thierry comme guide.<\/p>\n Je ne suis plus ce p\u00e8lerin. Je n\u2019ai plus besoin de chamanes.<\/p>",
"content_text": " >Reprise du texte en 2025. \u00c0 relecture tout me para\u00eet grandiloquent, pas faux compl\u00e8tement mais reconstruit na\u00efvement. Je reviens donc en arri\u00e8re pour r\u00e9examiner la sc\u00e8ne et j'\u00e9cris un tout autre texte. Je me souviens de cette journ\u00e9e o\u00f9 j\u2019ai rendu visite \u00e0 Thierry Lambert. Aujourd\u2019hui, je vois clairement ce que je cherchais : moins \u00e0 rencontrer un homme qu\u2019\u00e0 trouver un miroir qui me renvoie l\u2019image d\u2019un artiste. J\u2019\u00e9tais fatigu\u00e9. J\u2019avais encha\u00een\u00e9 les ateliers pour enfants, le d\u00e9jeuner rapide. J\u2019arrivais avec l\u2019espoir confus qu\u2019un \u00ab grand \u00bb me reconnaisse, me donne une cl\u00e9, ou simplement me regarde comme un \u00e9gal. Sa maison \u00e9tait pleine d\u2019\u0153uvres. Des piles de toiles, des sculptures. Je me suis perdu dans les noms, les r\u00e9f\u00e9rences. Je voulais tout retenir, prouver que j\u2019\u00e9tais digne de comprendre. Puis j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 prise \u2014 ou j\u2019ai cru l\u00e2cher prise. En r\u00e9alit\u00e9, je jouais au disciple \u00e9merveill\u00e9. Je me suis mis \u00e0 parler de chamanisme, d\u2019art sacr\u00e9, de transmission ancestrale. De Luis Hansa que j'avais connu lorsque j'habitais Paris. Des mots trop grands pour une simple rencontre. Je crois que j\u2019avais peur que ce moment soit banal. Alors je l\u2019ai enrob\u00e9 de myst\u00e8re. J\u2019ai fait de Thierry un chamane, de sa maison une for\u00eat, de sa collection un chemin initiatique. Nous avons bu du th\u00e9. Parl\u00e9 peinture, march\u00e9 de l\u2019art, parcours. C\u2019\u00e9tait concret, simple. Mais dans ma t\u00eate, je dramatise d\u00e9j\u00e0. Je me voyais en train de vivre quelque chose d\u2019important. Aujourd\u2019hui, je sais ce qui \u00e9tait vrai : sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, le partage d\u2019un g\u00e2teau, la lumi\u00e8re dans la cuisine, les chats derri\u00e8re la vitre. Le reste \u2014 le vocabulaire initiatique, l\u2019insistance sur le caract\u00e8re unique \u2014 \u00e9tait de la construction. Une tentative de me grandir par procuration. Parfois, on se raconte des histoires pour traverser le doute. Ce jour-l\u00e0, j\u2019avais besoin de croire que l\u2019art \u00e9tait une voie sacr\u00e9e, et moi, un p\u00e8lerin. J\u2019avais besoin de Thierry comme guide. Je ne suis plus ce p\u00e8lerin. Je n\u2019ai plus besoin de chamanes. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/la-rc3a9serve-de-dessins-de-thierry.jpg?1764990465",
"tags": ["peintres", "r\u00e9flexions sur l'art"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-septembre-2019.html",
"title": "10 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-10T07:48:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:02:09Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Quand Georges Bataille abandonne son p\u00e8re malade et handicap\u00e9 \u00e0 Reims pendant la guerre, il accomplit un acte qui nourrira toute son \u0153uvre. On peut le traiter de salaud. Mais le jugement moral est une facilit\u00e9 qui \u00e9loigne du c\u0153ur des choses.\nCe que cet abandon r\u00e9v\u00e8le, c\u2019est que nous sommes parfois pouss\u00e9s par le futur — un futur encore invisible — \u00e0 briser les trajectoires pr\u00e9vues. La loi, la morale, le bon go\u00fbt : tout peut voler en \u00e9clats en un instant. Nous ne savons pas, sur le coup, d\u2019o\u00f9 vient cette force qui modifie la formule chimique de nos cellules dans un \u00e9clair d\u2019inadvertance.\nIl faut attendre des ann\u00e9es, parfois une vie enti\u00e8re, pour que quelqu\u2019un — nous-m\u00eames ou un ex\u00e9g\u00e8te — commence \u00e0 d\u00e9nouer le fil des actes et de leurs cons\u00e9quences.<\/p>\n Sommes-nous responsables ? Oui, mais la conscience n\u2019est qu\u2019une partie du jeu. Il faut explorer la m\u00e9moire comme une jungle, sans s\u2019attarder sur chaque d\u00e9tail, mais en aiguisant son regard \u00e0 mesure qu\u2019on d\u00e9couvre les sentiers.\nLes chamans, quand ils op\u00e8rent un nettoyage, commencent par la m\u00e9moire. En remontant \u00e0 rebours, ils comprennent que l\u2019histoire personnelle est peu de chose face aux forces qui nous traversent : \u00e9l\u00e9ments, cosmogonies, lumi\u00e8res et ombres qui luttent en nous. Notre mission, si mission il y a, est de fonder une harmonie — pas seulement un \u00e9quilibre. \nL\u2019\u00e9quilibre, c\u2019est un pas apr\u00e8s l\u2019autre, avec le risque permanent de chuter. L\u2019harmonie, c\u2019est un nouveau monde o\u00f9 les contraires ne s\u2019annulent plus, mais chantent ensemble.\nLes grands voyageurs cherchent d\u2019abord l\u2019\u00e9quilibre, puis se dirigent vers l\u2019harmonie. D’autres encore marchent en somnambules. On ne peut que souhaiter qu\u2019un r\u00eave de chute les r\u00e9veille — mais s\u2019ils n\u2019ont pas programm\u00e9 ce r\u00eave \u00e0 l\u2019avance, peu de chances qu\u2019il survienne.<\/p>",
"content_text": " Quand Georges Bataille abandonne son p\u00e8re malade et handicap\u00e9 \u00e0 Reims pendant la guerre, il accomplit un acte qui nourrira toute son \u0153uvre. On peut le traiter de salaud. Mais le jugement moral est une facilit\u00e9 qui \u00e9loigne du c\u0153ur des choses. Ce que cet abandon r\u00e9v\u00e8le, c\u2019est que nous sommes parfois pouss\u00e9s par le futur \u2014 un futur encore invisible \u2014 \u00e0 briser les trajectoires pr\u00e9vues. La loi, la morale, le bon go\u00fbt : tout peut voler en \u00e9clats en un instant. Nous ne savons pas, sur le coup, d\u2019o\u00f9 vient cette force qui modifie la formule chimique de nos cellules dans un \u00e9clair d\u2019inadvertance. Il faut attendre des ann\u00e9es, parfois une vie enti\u00e8re, pour que quelqu\u2019un \u2014 nous-m\u00eames ou un ex\u00e9g\u00e8te \u2014 commence \u00e0 d\u00e9nouer le fil des actes et de leurs cons\u00e9quences. Sommes-nous responsables ? Oui, mais la conscience n\u2019est qu\u2019une partie du jeu. Il faut explorer la m\u00e9moire comme une jungle, sans s\u2019attarder sur chaque d\u00e9tail, mais en aiguisant son regard \u00e0 mesure qu\u2019on d\u00e9couvre les sentiers. Les chamans, quand ils op\u00e8rent un nettoyage, commencent par la m\u00e9moire. En remontant \u00e0 rebours, ils comprennent que l\u2019histoire personnelle est peu de chose face aux forces qui nous traversent : \u00e9l\u00e9ments, cosmogonies, lumi\u00e8res et ombres qui luttent en nous. Notre mission, si mission il y a, est de fonder une harmonie \u2014 pas seulement un \u00e9quilibre. L\u2019\u00e9quilibre, c\u2019est un pas apr\u00e8s l\u2019autre, avec le risque permanent de chuter. L\u2019harmonie, c\u2019est un nouveau monde o\u00f9 les contraires ne s\u2019annulent plus, mais chantent ensemble. Les grands voyageurs cherchent d\u2019abord l\u2019\u00e9quilibre, puis se dirigent vers l\u2019harmonie. D'autres encore marchent en somnambules. On ne peut que souhaiter qu\u2019un r\u00eave de chute les r\u00e9veille \u2014 mais s\u2019ils n\u2019ont pas programm\u00e9 ce r\u00eave \u00e0 l\u2019avance, peu de chances qu\u2019il survienne. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20180626_183159negvibsat.webp?1765010881",
"tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "r\u00e9flexions sur l'art"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-septembre-2019.html",
"title": "9 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-09T01:20:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:02:29Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " S. a rel\u00e9gu\u00e9 ses b\u00e9quilles dans un angle. Elle n’y pense plus. Moi, j’y pense. Pas aux siennes. Aux miennes : ces verres fum\u00e9s, ce masque qui me permet de travailler sans \u00eatre aveugl\u00e9.<\/p>\n Je les ai d\u00e9test\u00e9es, bien s\u00fbr. Toute cette col\u00e8re d’\u00eatre handicap\u00e9. Aujourd’hui, je leur \u00e9crirais un mot. L’homme que j’\u00e9tais, je ne le suis plus. Il m’a fallu des ann\u00e9es \u00e0 bourlinguer avec pour comprendre.<\/p>\n Quand ma m\u00e8re s’\u00e9poumonait, le manche du martinet \u00e0 la main \u2013 j’en avais coup\u00e9 les lani\u00e8res \u2013, ma grand-m\u00e8re Valentine grognait : « Tu te fatigues pour rien. Il ne comprend pas. Il ne peut pas. » M\u00eame dans la temp\u00eate, cette phrase : un point fixe, sorti d’une bouche \u00e9dent\u00e9e qui puait le tabac froid. Quand mon p\u00e8re me cinglait les reins, la voix de ma m\u00e8re : « Non, Claude, pas la t\u00eate. » J’ai collect\u00e9 ces phrases comme des bouts de m\u00e9tal tordu. Mati\u00e8re premi\u00e8re.<\/p>\n Ces haines enfantines, ces col\u00e8res, ces mensonges, ces vols, ces fugues \u2013 tout cela est devenu mon stock. La col\u00e8re, mon chalumeau. La haine, ma pince. Bien plus s\u00fbrement que tout amour factice. Je les ai am\u00e9lior\u00e9es, aff\u00fbt\u00e9es, comme on affine un geste d’atelier.<\/p>\n S. vend au petit matin, dans des lieux improbables, des objets devenus inutiles. Je suis \u00e9tonn\u00e9 que ces b\u00e9quilles bleues ne soient pas d\u00e9j\u00e0 parties. Moi, j’\u00e9cris ces textes au jour le jour. Ma mani\u00e8re d’\u00e9couler mon stock \u2013 le souvenir et la r\u00e9flexion qui va avec. Une fa\u00e7on de dire adieu aux vieilles b\u00e9quilles, et de reconna\u00eetre qu’elles m’ont, malgr\u00e9 tout, tenu debout. Qu’elles me tiennent encore, maintenant que je soude.<\/p>\n \n Je viens de me souvenir d\u2019un roman de Gabriel Garcia Marquez, L\u2019Automne du patriarche. Ne me demande pas pourquoi. Je ne sais plus identifier la source de mes pens\u00e9es, ni de mes sensations. J\u2019ai cess\u00e9 de ruminer. Je ne veux plus que rassembler les derni\u00e8res forces vives pour t\u2019offrir encore un petit texte, un petit tableau. L\u2019important est d\u2019offrir, comprends-tu ? Peu importe quoi. Comment saurait-on la valeur de ce qu\u2019on donne ? Car chaque automne, cette qualit\u00e9 de lumi\u00e8re qui revient, me parle de la fin et de l\u2019h\u00e9ritage.<\/p>\n D\u00e9j\u00e0 gamin, vers la mi-ao\u00fbt, une certaine clart\u00e9 sollicitait la prunelle, la r\u00e9tine. Une nostalgie invraisemblable pour mon \u00e2ge remontait par le nerf optique. Sur la peau des joues, du front, se d\u00e9posait comme une bu\u00e9e, un tatouage invisible : cette fra\u00eecheur subtile au fond de l\u2019air, qui sent la craie et l\u2019encre. Aussit\u00f4t, le go\u00fbt vient sur la langue. Craie. Encre.<\/p>\n Cela ouvre un grand vide. Une aspiration de l\u2019instant pr\u00e9sent, qui emporte avec elle toute vell\u00e9it\u00e9, toute priorit\u00e9. L\u2019instant aspire tout, rend tout \u00e9gal d\u2019un coup de baguette magique, laisse la personnalit\u00e9 sans capitaine, comme un vaisseau fant\u00f4me.<\/p>\n Les premi\u00e8res fois, cela me plongeait dans une tristesse magnifique, seul \u00eelot pour \u00e9chapper au naufrage. Avec le temps, l\u2019automne est devenu synonyme de blues, de d\u00e9pression chronique. Mais en v\u00e9rit\u00e9, je n\u2019y crois plus qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9. J\u2019y crois par habitude, pour ne pas plonger d\u2019un coup dans l\u2019eau glac\u00e9e.<\/p>\n Dans L\u2019Automne du patriarche, il y a un personnage incroyable : le sosie du dictateur, Patricio Aragon\u00e9s, qui le remplace \u00e0 toutes les c\u00e9r\u00e9monies. Comme ce dictateur, j\u2019ai moi aussi mon Patricio \u00e0 mon service. Il officie presque tout le temps, car je n\u2019aime plus appara\u00eetre en public. En automne, cette volont\u00e9 de retraite atteint son comble. Je le laisse en roue libre. Il conna\u00eet son r\u00f4le par c\u0153ur.<\/p>\n Je n\u2019irai pas jusqu\u2019\u00e0 faire canoniser ma m\u00e8re, comme dans le roman. Mais cette trouvaille de l\u2019auteur m\u2019a glac\u00e9 : cette m\u00e8re pauvre, pour qui le fils est devenu dictateur, \u00e0 qui il veut offrir les richesses du pays, et qui meurt sans jamais le savoir. Tout ce que nous r\u00e9alisons dans notre vie ne serait-il que des cadeaux mal adress\u00e9s ?<\/p>\n Je pourrais aligner les personnages, leur trouver une fonction pr\u00e9cise dans l\u2019organisation d\u2019une psych\u00e9. Mais si tu n\u2019as pas lu le roman, je ne veux pas te g\u00e2ter le plaisir. D\u2019ailleurs, je me demande si je n\u2019ai pas tout invent\u00e9 de ce roman \u00e0 partir de la quatri\u00e8me de couverture. Je m\u2019en crois capable. Tellement, d\u00e9sormais, je ne parviens plus \u00e0 lire trois lignes sans que l\u2019ennui ne me tombe dessus.<\/p>\n Que n\u2019inventerais-je pas, pour me divertir de l\u2019arriv\u00e9e soudaine de l\u2019automne, aujourd\u2019hui ?<\/p>",
"content_text": " Je viens de me souvenir d\u2019un roman de Gabriel Garcia Marquez, L\u2019Automne du patriarche. Ne me demande pas pourquoi. Je ne sais plus identifier la source de mes pens\u00e9es, ni de mes sensations. J\u2019ai cess\u00e9 de ruminer. Je ne veux plus que rassembler les derni\u00e8res forces vives pour t\u2019offrir encore un petit texte, un petit tableau. L\u2019important est d\u2019offrir, comprends-tu ? Peu importe quoi. Comment saurait-on la valeur de ce qu\u2019on donne ? Car chaque automne, cette qualit\u00e9 de lumi\u00e8re qui revient, me parle de la fin et de l\u2019h\u00e9ritage. D\u00e9j\u00e0 gamin, vers la mi-ao\u00fbt, une certaine clart\u00e9 sollicitait la prunelle, la r\u00e9tine. Une nostalgie invraisemblable pour mon \u00e2ge remontait par le nerf optique. Sur la peau des joues, du front, se d\u00e9posait comme une bu\u00e9e, un tatouage invisible : cette fra\u00eecheur subtile au fond de l\u2019air, qui sent la craie et l\u2019encre. Aussit\u00f4t, le go\u00fbt vient sur la langue. Craie. Encre. Cela ouvre un grand vide. Une aspiration de l\u2019instant pr\u00e9sent, qui emporte avec elle toute vell\u00e9it\u00e9, toute priorit\u00e9. L\u2019instant aspire tout, rend tout \u00e9gal d\u2019un coup de baguette magique, laisse la personnalit\u00e9 sans capitaine, comme un vaisseau fant\u00f4me. Les premi\u00e8res fois, cela me plongeait dans une tristesse magnifique, seul \u00eelot pour \u00e9chapper au naufrage. Avec le temps, l\u2019automne est devenu synonyme de blues, de d\u00e9pression chronique. Mais en v\u00e9rit\u00e9, je n\u2019y crois plus qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9. J\u2019y crois par habitude, pour ne pas plonger d\u2019un coup dans l\u2019eau glac\u00e9e. Dans L\u2019Automne du patriarche, il y a un personnage incroyable : le sosie du dictateur, Patricio Aragon\u00e9s, qui le remplace \u00e0 toutes les c\u00e9r\u00e9monies. Comme ce dictateur, j\u2019ai moi aussi mon Patricio \u00e0 mon service. Il officie presque tout le temps, car je n\u2019aime plus appara\u00eetre en public. En automne, cette volont\u00e9 de retraite atteint son comble. Je le laisse en roue libre. Il conna\u00eet son r\u00f4le par c\u0153ur. Je n\u2019irai pas jusqu\u2019\u00e0 faire canoniser ma m\u00e8re, comme dans le roman. Mais cette trouvaille de l\u2019auteur m\u2019a glac\u00e9 : cette m\u00e8re pauvre, pour qui le fils est devenu dictateur, \u00e0 qui il veut offrir les richesses du pays, et qui meurt sans jamais le savoir. Tout ce que nous r\u00e9alisons dans notre vie ne serait-il que des cadeaux mal adress\u00e9s ? Je pourrais aligner les personnages, leur trouver une fonction pr\u00e9cise dans l\u2019organisation d\u2019une psych\u00e9. Mais si tu n\u2019as pas lu le roman, je ne veux pas te g\u00e2ter le plaisir. D\u2019ailleurs, je me demande si je n\u2019ai pas tout invent\u00e9 de ce roman \u00e0 partir de la quatri\u00e8me de couverture. Je m\u2019en crois capable. Tellement, d\u00e9sormais, je ne parviens plus \u00e0 lire trois lignes sans que l\u2019ennui ne me tombe dessus. Que n\u2019inventerais-je pas, pour me divertir de l\u2019arriv\u00e9e soudaine de l\u2019automne, aujourd\u2019hui ? ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/eli-eli.jpg?1764959691",
"tags": ["fictions br\u00e8ves"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/8-septembre-2019-3722.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/8-septembre-2019-3722.html",
"title": "8 septembre 2019-2",
"date_published": "2019-09-08T01:28:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:02:49Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Il faut que Cheng trace au moins quatre ou cinq traits \u00e0 l’encre pour se sentir \u00e9veill\u00e9. Ensuite, il peut se r\u00e9compenser d’avoir effectu\u00e9 cette action par une tasse de th\u00e9 noir sans sucre. Dans la petite masure o\u00f9 il vit, il n’y a aucun luxe. Cheng n’est pas pauvre, il est peintre lettr\u00e9, et de temps en temps les peintures qu’il vend ou que des notables lui commandent suffisent \u00e0 subvenir \u00e0 ses maigres besoins.<\/p>\n Il vient tout juste d’atteindre la soixantaine et, s’il poss\u00e8de d\u00e9j\u00e0 une bonne ma\u00eetrise de son art, il reste toutefois modeste et sait qu’il lui manque encore l’essentiel. Aussi reste-t-il concentr\u00e9 sur une discipline r\u00e9guli\u00e8re. D\u00e8s qu’il se l\u00e8ve de sa natte pos\u00e9e sur le sol, il s’installe aussit\u00f4t \u00e0 la petite table install\u00e9e devant la fen\u00eatre qui donne sur la vall\u00e9e. L\u00e0, il ferme les yeux quelques instants, prend une respiration r\u00e9guli\u00e8re et trempe l’extr\u00e9mit\u00e9 souple du pinceau dans l’encre, puis laisse sa main suivre son mouvement naturel, emport\u00e9e par l’expire.<\/p>\n Quatre ou cinq traits seulement, mais r\u00e9alis\u00e9s avec la plus grande concentration. Sentir la moindre feuille bruisser, entendre chaque cri d’oiseau traverser l’azur, sentir jusqu’au poids des petites pattes des fourmis qui traversent son vieux plancher, \u00eatre tout entier m\u00eal\u00e9 \u00e0 ces premiers instants de son \u00e9veil conf\u00e8re \u00e0 ses gestes une solennit\u00e9 presque burlesque pour n’importe quel observateur.<\/p>\n Ainsi, chaque matin, Cheng s’enfonce-t-il dans la discipline de ces quatre ou cinq coups de pinceau afin d’oublier l’\u00e9veil et de p\u00e9n\u00e9trer dans l’espace de sa feuille blanche.<\/p>",
"content_text": " Il faut que Cheng trace au moins quatre ou cinq traits \u00e0 l'encre pour se sentir \u00e9veill\u00e9. Ensuite, il peut se r\u00e9compenser d'avoir effectu\u00e9 cette action par une tasse de th\u00e9 noir sans sucre. Dans la petite masure o\u00f9 il vit, il n'y a aucun luxe. Cheng n'est pas pauvre, il est peintre lettr\u00e9, et de temps en temps les peintures qu'il vend ou que des notables lui commandent suffisent \u00e0 subvenir \u00e0 ses maigres besoins. Il vient tout juste d'atteindre la soixantaine et, s'il poss\u00e8de d\u00e9j\u00e0 une bonne ma\u00eetrise de son art, il reste toutefois modeste et sait qu'il lui manque encore l'essentiel. Aussi reste-t-il concentr\u00e9 sur une discipline r\u00e9guli\u00e8re. D\u00e8s qu'il se l\u00e8ve de sa natte pos\u00e9e sur le sol, il s'installe aussit\u00f4t \u00e0 la petite table install\u00e9e devant la fen\u00eatre qui donne sur la vall\u00e9e. L\u00e0, il ferme les yeux quelques instants, prend une respiration r\u00e9guli\u00e8re et trempe l'extr\u00e9mit\u00e9 souple du pinceau dans l'encre, puis laisse sa main suivre son mouvement naturel, emport\u00e9e par l'expire. Quatre ou cinq traits seulement, mais r\u00e9alis\u00e9s avec la plus grande concentration. Sentir la moindre feuille bruisser, entendre chaque cri d'oiseau traverser l'azur, sentir jusqu'au poids des petites pattes des fourmis qui traversent son vieux plancher, \u00eatre tout entier m\u00eal\u00e9 \u00e0 ces premiers instants de son \u00e9veil conf\u00e8re \u00e0 ses gestes une solennit\u00e9 presque burlesque pour n'importe quel observateur. Ainsi, chaque matin, Cheng s'enfonce-t-il dans la discipline de ces quatre ou cinq coups de pinceau afin d'oublier l'\u00e9veil et de p\u00e9n\u00e9trer dans l'espace de sa feuille blanche. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_20190126_110446-2043x2048.jpg?1764988082",
"tags": ["fictions br\u00e8ves"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-septembre-2019.html",
"title": "7 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-07T01:54:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:03:07Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " \"Texte r\u00e9\u00e9crit en 2025 \u00e0 partir de carnets de 2019. Le temps a permis de nuancer certaines affirmations trop absolues, tout en conservant l’intuition premi\u00e8re : la cr\u00e9ation exige de s’effacer.\"<\/p>\n<\/blockquote>\n La jalousie est une difficult\u00e9. En peinture surtout, qui est mon domaine, ce sentiment m’est p\u00e9nible. Quand je vois un talent que je n’ai pas, je pr\u00e9f\u00e8re admirer. Mes engouements pour les \u0153uvres vont et viennent comme les nuages. Et si parfois j’\u00e9prouve cette douleur, j’essaie de la chasser par l’admiration — moins co\u00fbteux en \u00e9nergie, plus f\u00e9cond en inspiration.<\/p>\n Cette \u00e9conomie du c\u0153ur, je l’ai apprise en peinture. La technique ne suffit pas. Pour \u00eatre le peintre que je veux \u00eatre, il faut accepter que des flux nous traversent — inconnus et familiers \u00e0 la fois — sans y faire obstacle. La c\u00e9l\u00e9brit\u00e9, je m’en m\u00e9fie : je ne veux pas \u00eatre un nom sur une affiche, mais un moyen. Un moyen pour la vie de s’exprimer. Ma joie est totale quand, soudain, tous les obstacles que j’oppose — comme tout humain — \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9 s’effacent, et que la toile jaillit. Non par magie, mais par ce renoncement pr\u00e9alable qui ouvre la voie.<\/p>\n \u00c0 soixante ans, je reste un enfant devant ce miracle. Je peux glisser dans le narcissisme, bien s\u00fbr, mais je n’oublie jamais comment mes meilleurs tableaux sont n\u00e9s. Ils sont n\u00e9s de l’absence : absence de jalousie, d’orgueil, de fausse humilit\u00e9. Ils sont n\u00e9s quand je cessais d’\u00eatre \"quelqu’un\" pour n’\u00eatre qu’un passage.<\/p>\n Quand j’entends des critiques m\u00e9chantes sur d’autres artistes, j’\u00e9coute en silence. Ces critiques m’apprennent plus sur leurs auteurs que sur les \u0153uvres. Critiquer, pour certains, est une fa\u00e7on d’exister. Je ne les bl\u00e2me pas. La jalousie est une prison, et chacun construit la sienne — certains avec des murs de mots ac\u00e9r\u00e9s.<\/p>\n Parfois je pense \u00e0 ceux qui ont peint dans les camps. \u00c0 Zoran Mu\u0161i\u010d, \u00e0 Emil Nolde. Eux savaient que la vraie prison n’est pas celle des barbel\u00e9s, mais celle du c\u0153ur qui se compare, qui envie, qui poss\u00e8de. La cr\u00e9ation, quand elle vient, est une \u00e9vasion perp\u00e9tuelle. Il suffit de laisser passer le flux, et de n’\u00eatre, humblement, qu’un moyen.<\/p>",
"content_text": " >\"Texte r\u00e9\u00e9crit en 2025 \u00e0 partir de carnets de 2019. Le temps a permis de nuancer certaines affirmations trop absolues, tout en conservant l'intuition premi\u00e8re : la cr\u00e9ation exige de s'effacer.\" La jalousie est une difficult\u00e9. En peinture surtout, qui est mon domaine, ce sentiment m'est p\u00e9nible. Quand je vois un talent que je n'ai pas, je pr\u00e9f\u00e8re admirer. Mes engouements pour les \u0153uvres vont et viennent comme les nuages. Et si parfois j'\u00e9prouve cette douleur, j'essaie de la chasser par l'admiration \u2014 moins co\u00fbteux en \u00e9nergie, plus f\u00e9cond en inspiration. Cette \u00e9conomie du c\u0153ur, je l'ai apprise en peinture. La technique ne suffit pas. Pour \u00eatre le peintre que je veux \u00eatre, il faut accepter que des flux nous traversent \u2014 inconnus et familiers \u00e0 la fois \u2014 sans y faire obstacle. La c\u00e9l\u00e9brit\u00e9, je m'en m\u00e9fie : je ne veux pas \u00eatre un nom sur une affiche, mais un moyen. Un moyen pour la vie de s'exprimer. Ma joie est totale quand, soudain, tous les obstacles que j'oppose \u2014 comme tout humain \u2014 \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9 s'effacent, et que la toile jaillit. Non par magie, mais par ce renoncement pr\u00e9alable qui ouvre la voie. \u00c0 soixante ans, je reste un enfant devant ce miracle. Je peux glisser dans le narcissisme, bien s\u00fbr, mais je n'oublie jamais comment mes meilleurs tableaux sont n\u00e9s. Ils sont n\u00e9s de l'absence : absence de jalousie, d'orgueil, de fausse humilit\u00e9. Ils sont n\u00e9s quand je cessais d'\u00eatre \"quelqu'un\" pour n'\u00eatre qu'un passage. Quand j'entends des critiques m\u00e9chantes sur d'autres artistes, j'\u00e9coute en silence. Ces critiques m'apprennent plus sur leurs auteurs que sur les \u0153uvres. Critiquer, pour certains, est une fa\u00e7on d'exister. Je ne les bl\u00e2me pas. La jalousie est une prison, et chacun construit la sienne \u2014 certains avec des murs de mots ac\u00e9r\u00e9s. Parfois je pense \u00e0 ceux qui ont peint dans les camps. \u00c0 Zoran Mu\u0161i\u010d, \u00e0 Emil Nolde. Eux savaient que la vraie prison n'est pas celle des barbel\u00e9s, mais celle du c\u0153ur qui se compare, qui envie, qui poss\u00e8de. La cr\u00e9ation, quand elle vient, est une \u00e9vasion perp\u00e9tuelle. Il suffit de laisser passer le flux, et de n'\u00eatre, humblement, qu'un moyen. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/toutes-mes-amitic3a9s-monsieur-nolde.jpg?1764989695",
"tags": ["r\u00e9flexions sur l'art", "affects"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-septembre-2019.html",
"title": "6 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-06T17:25:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:03:16Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Une migraine terrible depuis l\u2019aube. J\u2019ai pass\u00e9 la nuit \u00e0 d\u00e9velopper mes films dans la chambre \u00e9touffante de l\u2019h\u00f4tel. Une fois les n\u00e9gatifs accroch\u00e9s \u00e0 la ficelle, j\u2019ai fui. Les mouches, affol\u00e9es par la chaleur montante, se cognaient sans fin contre la vitre.<\/p>\n C\u2019est en cherchant une pharmacie que je l\u2019ai vue, de dos. Des \u00e9paules fr\u00eales. Une nuque p\u00e2le. Un chignon brouillon de cheveux roux. Elle fixait une affiche illisible sur le mur, immobile au milieu du flux du trottoir. C\u2019est cette immobilit\u00e9, peut-\u00eatre, qui m\u2019a fait l\u2019aborder.<\/p>\n Elle venait de Birmingham. Se rendait en Inde pour un an. Son bus \u00e9tait gar\u00e9 \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la ville, les autres voyageurs affal\u00e9s dans un parc, d\u00e9j\u00e0 claqu\u00e9s par le haschisch local. Je lui ai propos\u00e9 un caf\u00e9 \u00e0 l\u2019Intercontinental. Elle n\u2019aimait que le th\u00e9, mais a accept\u00e9.<\/p>\n Sous les pales lentes des ventilateurs, j\u2019ai vu ses yeux. Verts, et d\u2019une gravit\u00e9 qui semblait ant\u00e9rieure \u00e0 tout. \u00c0 cet instant, j\u2019ai su une chose : il serait inutile d\u2019\u00eatre gentil avec elle. La gentillesse est une monnaie qui ne circulait pas dans son pays. Elle exigeait autre chose, de plus direct, ou peut-\u00eatre de plus r\u00e9sign\u00e9.<\/p>\n Nous sommes rest\u00e9s silencieux un long moment. Je lui ai dit que je partais pour Lahore le soir m\u00eame, en train. Elle a fait une moue vague en parlant de ses compagnons d\u2019aventure. Je ne sais pas ce qui m\u2019a pris \u2013 la migraine, la fatigue des images d\u00e9velopp\u00e9es, l\u2019\u00e9clat de ses yeux \u2013, mais je lui ai propos\u00e9 de venir.<\/p>\n Nous nous sommes quitt\u00e9s rapidement. Je lui ai laiss\u00e9 l\u2019heure et le num\u00e9ro du train. Elle a fini son th\u00e9. Je suis parti.<\/p>\n Quelques stations plus loin, tard dans la nuit, le train s\u2019est arr\u00eat\u00e9. Le cort\u00e8ge habituel : mendiants tendant la main vers nos culpabilit\u00e9s, vendeurs de th\u00e9 et de cacahu\u00e8tes. Nous avons pris un th\u00e9 au lait br\u00fblant, \u00e9pic\u00e9 \u00e0 la cardamome. Elle a alors pos\u00e9 sa t\u00eate contre mon \u00e9paule, sans un mot d\u2019avertissement, et a murmur\u00e9 dans le noir :\n« C\u2019est bien. \u00catre l\u00e0. Dans la nuit, dans ce train. »<\/p>\n Je n\u2019ai pas boug\u00e9. La migraine avait enfin c\u00e9d\u00e9, remplac\u00e9e par le poids chaud de sa tempe contre ma veste. Nous n\u2019\u00e9tions plus deux \u00e9trangers. Nous \u00e9tions deux passagers du m\u00eame wagon, fuyant chacun quelque chose, et faisant semblant, pour une nuit, que cette fuite n’\u00e9tait pas solitaire.<\/p>",
"content_text": " Une migraine terrible depuis l\u2019aube. J\u2019ai pass\u00e9 la nuit \u00e0 d\u00e9velopper mes films dans la chambre \u00e9touffante de l\u2019h\u00f4tel. Une fois les n\u00e9gatifs accroch\u00e9s \u00e0 la ficelle, j\u2019ai fui. Les mouches, affol\u00e9es par la chaleur montante, se cognaient sans fin contre la vitre. C\u2019est en cherchant une pharmacie que je l\u2019ai vue, de dos. Des \u00e9paules fr\u00eales. Une nuque p\u00e2le. Un chignon brouillon de cheveux roux. Elle fixait une affiche illisible sur le mur, immobile au milieu du flux du trottoir. C\u2019est cette immobilit\u00e9, peut-\u00eatre, qui m\u2019a fait l\u2019aborder. Elle venait de Birmingham. Se rendait en Inde pour un an. Son bus \u00e9tait gar\u00e9 \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la ville, les autres voyageurs affal\u00e9s dans un parc, d\u00e9j\u00e0 claqu\u00e9s par le haschisch local. Je lui ai propos\u00e9 un caf\u00e9 \u00e0 l\u2019Intercontinental. Elle n\u2019aimait que le th\u00e9, mais a accept\u00e9. Sous les pales lentes des ventilateurs, j\u2019ai vu ses yeux. Verts, et d\u2019une gravit\u00e9 qui semblait ant\u00e9rieure \u00e0 tout. \u00c0 cet instant, j\u2019ai su une chose : il serait inutile d\u2019\u00eatre gentil avec elle. La gentillesse est une monnaie qui ne circulait pas dans son pays. Elle exigeait autre chose, de plus direct, ou peut-\u00eatre de plus r\u00e9sign\u00e9. Nous sommes rest\u00e9s silencieux un long moment. Je lui ai dit que je partais pour Lahore le soir m\u00eame, en train. Elle a fait une moue vague en parlant de ses compagnons d\u2019aventure. Je ne sais pas ce qui m\u2019a pris \u2013 la migraine, la fatigue des images d\u00e9velopp\u00e9es, l\u2019\u00e9clat de ses yeux \u2013, mais je lui ai propos\u00e9 de venir. Nous nous sommes quitt\u00e9s rapidement. Je lui ai laiss\u00e9 l\u2019heure et le num\u00e9ro du train. Elle a fini son th\u00e9. Je suis parti. Quelques stations plus loin, tard dans la nuit, le train s\u2019est arr\u00eat\u00e9. Le cort\u00e8ge habituel : mendiants tendant la main vers nos culpabilit\u00e9s, vendeurs de th\u00e9 et de cacahu\u00e8tes. Nous avons pris un th\u00e9 au lait br\u00fblant, \u00e9pic\u00e9 \u00e0 la cardamome. Elle a alors pos\u00e9 sa t\u00eate contre mon \u00e9paule, sans un mot d\u2019avertissement, et a murmur\u00e9 dans le noir : \u00ab C\u2019est bien. \u00catre l\u00e0. Dans la nuit, dans ce train. \u00bb Je n\u2019ai pas boug\u00e9. La migraine avait enfin c\u00e9d\u00e9, remplac\u00e9e par le poids chaud de sa tempe contre ma veste. Nous n\u2019\u00e9tions plus deux \u00e9trangers. Nous \u00e9tions deux passagers du m\u00eame wagon, fuyant chacun quelque chose, et faisant semblant, pour une nuit, que cette fuite n'\u00e9tait pas solitaire. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img180.jpg?1764959103",
"tags": ["carnet de voyage", "fictions br\u00e8ves"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/3-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/3-septembre-2019.html",
"title": "3 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-03T17:05:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:03:26Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " L\u2019air est dor\u00e9, charg\u00e9 du sable du Baloutchistan. Sur le seuil de l\u2019h\u00f4tel Osmani, face au terminal des bus, le kebabi remplit son auge de bois pour la braise de midi. Depuis une heure, les haut-parleurs des \u00e9choppes d\u00e9versent des chants sirupeux, ent\u00eatants. \u00c7a donne envie de marcher, de fuir ce point n\u00e9vralgique.<\/p>\n \u00c0 l\u2019Intercontinental, \u00e0 l\u2019est de la ville, je prends mon caf\u00e9 soluble du matin. Rahim, le jeune Afghan, revient avec mes cigarettes. J\u2019avale un pain rond, une th\u00e9i\u00e8re de breuvage noir. Puis je sors, le Leica en bandouli\u00e8re.<\/p>\n La route poudreuse vers Quetta. \u00c0 droite, des campements de fortune. Je photographie des enfants maigres, aux regards \u00e9tincelants. Il n\u2019y a que des femmes et des enfants. Les hommes sont partis depuis des jours dans les montagnes, repousser l\u2019ennemi. Cet ennemi qui revient toujours, pour une terre que personne ne contr\u00f4lera jamais mieux qu\u2019eux.<\/p>\n Au retour, dans un carrefour du bazar, un jeune homme m\u2019aborde.\n-- Mister, where are you from ?\n-- France.\nIl a un sourire de soulagement. M\u2019invite \u00e0 prendre le th\u00e9, pour me montrer sa collection. « J\u2019ai des amis partout. Des cartes postales de partout. »<\/p>\n Je le suis dans les m\u00e9andres du march\u00e9. Sa chambre est minuscule. Sur les murs, des centaines de cartes punais\u00e9es : Melbourne, Tokyo, Paris. Nous nous sourions, ne parlons pas beaucoup. La porte s\u2019ouvre : sa s\u0153ur, magnifique, apporte un plateau de th\u00e9 et de g\u00e2teaux, dispara\u00eet.<\/p>\n Je reste une heure. Au moment de partir, il note son nom et son adresse sur un bout de papier que je glisse dans mon portefeuille. Je prends quelques photos de lui, promet de les envoyer. Je dois attraper un train pour Lahore.<\/p>\n Avant la gare, un crochet. J\u2019ai une autorisation pour l\u2019h\u00f4pital. Photographier des victimes br\u00fbl\u00e9s au napalm.<\/p>\n La pi\u00e8ce est baign\u00e9e d\u2019une lumi\u00e8re crue. Sur un lit, \u00e0 contre-jour, une masse sombre. Mes yeux s\u2019habituent : un homme assis au bord du matelas. Son corps est d\u00e9labr\u00e9. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, un \u00e9tonnement infini recouvre une fatigue infinie. Il est br\u00fbl\u00e9 de partout. Des linges douteux collent \u00e0 ses plaies. Plus de sourcils, plus de cils. Juste des yeux ronds, grands ouverts, qui me jaugent depuis la p\u00e9nombre.<\/p>",
"content_text": " L\u2019air est dor\u00e9, charg\u00e9 du sable du Baloutchistan. Sur le seuil de l\u2019h\u00f4tel Osmani, face au terminal des bus, le kebabi remplit son auge de bois pour la braise de midi. Depuis une heure, les haut-parleurs des \u00e9choppes d\u00e9versent des chants sirupeux, ent\u00eatants. \u00c7a donne envie de marcher, de fuir ce point n\u00e9vralgique. \u00c0 l\u2019Intercontinental, \u00e0 l\u2019est de la ville, je prends mon caf\u00e9 soluble du matin. Rahim, le jeune Afghan, revient avec mes cigarettes. J\u2019avale un pain rond, une th\u00e9i\u00e8re de breuvage noir. Puis je sors, le Leica en bandouli\u00e8re. La route poudreuse vers Quetta. \u00c0 droite, des campements de fortune. Je photographie des enfants maigres, aux regards \u00e9tincelants. Il n\u2019y a que des femmes et des enfants. Les hommes sont partis depuis des jours dans les montagnes, repousser l\u2019ennemi. Cet ennemi qui revient toujours, pour une terre que personne ne contr\u00f4lera jamais mieux qu\u2019eux. Au retour, dans un carrefour du bazar, un jeune homme m\u2019aborde. \u2014 Mister, where are you from ? \u2014 France. Il a un sourire de soulagement. M\u2019invite \u00e0 prendre le th\u00e9, pour me montrer sa collection. \u00ab J\u2019ai des amis partout. Des cartes postales de partout. \u00bb Je le suis dans les m\u00e9andres du march\u00e9. Sa chambre est minuscule. Sur les murs, des centaines de cartes punais\u00e9es : Melbourne, Tokyo, Paris. Nous nous sourions, ne parlons pas beaucoup. La porte s\u2019ouvre : sa s\u0153ur, magnifique, apporte un plateau de th\u00e9 et de g\u00e2teaux, dispara\u00eet. Je reste une heure. Au moment de partir, il note son nom et son adresse sur un bout de papier que je glisse dans mon portefeuille. Je prends quelques photos de lui, promet de les envoyer. Je dois attraper un train pour Lahore. Avant la gare, un crochet. J\u2019ai une autorisation pour l\u2019h\u00f4pital. Photographier des victimes br\u00fbl\u00e9s au napalm. La pi\u00e8ce est baign\u00e9e d\u2019une lumi\u00e8re crue. Sur un lit, \u00e0 contre-jour, une masse sombre. Mes yeux s\u2019habituent : un homme assis au bord du matelas. Son corps est d\u00e9labr\u00e9. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, un \u00e9tonnement infini recouvre une fatigue infinie. Il est br\u00fbl\u00e9 de partout. Des linges douteux collent \u00e0 ses plaies. Plus de sourcils, plus de cils. Juste des yeux ronds, grands ouverts, qui me jaugent depuis la p\u00e9nombre. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/correction_img311.jpg?1764957864",
"tags": ["carnet de voyage", "fictions br\u00e8ves"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/1-septembre-2019-2.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/1-septembre-2019-2.html",
"title": "1 septembre 2019-2",
"date_published": "2019-09-01T06:49:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:03:38Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Depuis quelques jours, la lumi\u00e8re a chang\u00e9. Au-dessus du Pilat, des nuages se forment et se d\u00e9font, impr\u00e9visibles. Je roule dans la Twingo de mon \u00e9pouse, vitre baiss\u00e9e. L\u2019air frais entre \u00e0 flots. Pas de radio. Juste le bruit du moteur qui peine dans les mont\u00e9es vers Saint-Julien-Molin-Molette. Les champs sont nus, la moisson faite. Seules ondulent, sur les bas-c\u00f4t\u00e9s, quelques herbes folles.<\/p>\n C\u2019est mon dernier jour. L\u2019atelier m\u2019attend, vide depuis une semaine. J\u2019ai rang\u00e9 les petites toiles, pli\u00e9 les emballages. Quand le couple est apparu sur le seuil, vers trois heures, j\u2019ai vu tout de suite la diff\u00e9rence : lui, droit, le regard calme ; elle, en retrait, presque transparente. Ils ont demand\u00e9 s\u2019il \u00e9tait trop tard.<\/p>\n Je les ai laiss\u00e9s entrer, faisant mine de m\u2019occuper. Le silence, dans la pi\u00e8ce, \u00e9tait \u00e9pais. La plupart des visiteurs le percent d\u2019un « c\u2019est beau » poli et repartent. Lui, regardait. Il a mis longtemps avant de parler.<\/p>\n Nous avons parl\u00e9 de ce qui ne se voit pas. De la peinture comme passage, pas comme image. Je ne sais plus comment le mot « silence » est venu — ce que je cherche, peut-\u00eatre, c\u2019est de le partager.<\/p>\n Ses yeux se sont mis \u00e0 briller, d\u2019un coup.\n« Ce que vous appelez le silence, c\u2019est la vie et l\u2019amour, en fait. »\nIl a marqu\u00e9 une pause. La voix plus basse :\n« Le v\u00e9ritable amour est sans \u00e9motion. Comme l\u2019univers. Il r\u00e9pond, c\u2019est tout. Peu importe la demande. »<\/p>\n Nous sommes rest\u00e9s un moment sans rien dire. Le tableau entre nous — une toile sur le premier d\u00e9part, la nigredo — semblait vibrer d\u2019une autre fr\u00e9quence.<\/p>\n Avant de partir, il a demand\u00e9 le prix. Nous avons \u00e9chang\u00e9 nos cartes. Une promesse de se revoir, quelque part, un jour.<\/p>\n En redescendant, le ciel \u00e9tait toujours aussi changeant. Mon appareil photo \u00e9tait sur le si\u00e8ge \u00e0 c\u00f4t\u00e9. J\u2019avais rep\u00e9r\u00e9 des angles, des lumi\u00e8res, ces derniers jours. Je l\u2019ai laiss\u00e9 l\u00e0. J\u2019ai roul\u00e9 lentement, les fen\u00eatres ouvertes, pour garder en moi la couleur de l\u2019air, la forme des nuages, le go\u00fbt de cet \u00e9t\u00e9 finissant, et cette parole qui r\u00e9sonnait encore : Le silence, c\u2019est la vie et l\u2019amour.<\/p>\n
\n<\/md><\/p>",
"content_text": " Mon grand-p\u00e8re le faisait d\u00e9j\u00e0, il continuait \u00e0 conduire des bornes et des bornes apr\u00e8s que le t\u00e9moin de la jauge d'essence s'est allum\u00e9. J'ai \u00e9videmment fait mien cet h\u00e9ritage, ce peu, ce presque rien \u00e0 h\u00e9riter m'\u00e9tant devenu, j'imagine, d'autant plus pr\u00e9cieux au fur et \u00e0 mesure des ann\u00e9es que j'ai \u00e9t\u00e9 spoli\u00e9 de tout le reste. Non pas que j'en conserve une rancune particuli\u00e8re d\u00e9sormais. Non, j'ai tout pardonn\u00e9 bien s\u00fbr, sinon il m'aurait \u00e9t\u00e9 proprement impossible de vivre. La rage et la haine ne durent qu'un temps pour apprendre \u00e0 se construire diff\u00e9remment, il faut cependant \u00e9viter de les conserver comme des alli\u00e9s persistants, car nul doute que ceux-ci auraient t\u00f4t fait de nous d\u00e9vorer les entrailles. J'allais m'engager sur la route de Vanosc lorsque j'en ai eu marre tout \u00e0 coup de jouer avec le feu. J'ai fait signe aux quatre v\u00e9hicules qui me suivaient de me d\u00e9passer en indiquant sommairement la destination vers laquelle nous nous dirigions, et puis j'ai rebrouss\u00e9 chemin vers la nationale, je me suis engag\u00e9 dans la direction de Saint-Agr\u00e8ve, autrement dit vers l'inconnu, dans la qu\u00eate d'une station d'essence. La route s'enfon\u00e7ant entre les flancs des collines ard\u00e9choises ne pr\u00e9sageait rien qui vaille, nulle maison, nul village, pendant quelques kilom\u00e8tres je me demandais \u00e0 la fois jusqu'o\u00f9 il allait falloir rouler en m\u00eame temps que je faisais un point rapide sur les cons\u00e9quences d\u00e9sagr\u00e9ables de la sale manie qui m'avait \u00e9t\u00e9 transmise. Tomber en panne serait tellement ridicule, plusieurs fois j'avais imagin\u00e9 m'arr\u00eater \u00e0 une station, elles \u00e9taient nombreuses dans Annonay tout \u00e0 l'heure, mais \u00e0 l'id\u00e9e d'interrompre le convoi tout entier, j'avais \u00e9lud\u00e9. Entre deux situations ridicules, c'est souvent la pire qu'il s'agit de choisir \u00e9videmment. Un bref instant, j'aper\u00e7ois la silhouette falote de ce petit gamin sur le dos duquel les parents ont placard\u00e9 leur d\u00e9pit dans le mot \u00ab cancre \u00bb et qui devait se rendre au village le samedi pour aller qu\u00e9rir le pain et le journal. C'est derri\u00e8re un nouveau virage que soudain j'aper\u00e7us la station, au d\u00e9but j'ai cru qu'elle \u00e9tait abandonn\u00e9e, tout paraissait si d\u00e9suet, \u00e0 l'abandon, pas m\u00eame d'enseigne lumineuse indiquant les tarifs des carburants. J'allais presque la d\u00e9passer avec d\u00e9pit lorsque j'ai aper\u00e7u la porte du bureau entrouverte. Coup de frein, marche arri\u00e8re, et me voil\u00e0 devant une charmante petite dame qui me demande pour combien je veux de 95. Le destin une fois de plus aura donc \u00e9t\u00e9 cl\u00e9ment et m'aura pardonn\u00e9 cette nouvelle provocation, quasiment automatique. Il faudra tout de m\u00eame que je creuse un peu plus un jour d'o\u00f9 me vient cette sensation d'avoir toujours plus ou moins peur d'\u00eatre ridicule. ",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/jauge.jpg?1765992094",
"tags": []
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-invitation-merveilleuse.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-invitation-merveilleuse.html",
"title": "L'invitation merveilleuse ",
"date_published": "2019-09-30T16:18:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T22:57:39Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "\n
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n
\nIl ne sait pas exactement ce qui l\u2019aide \u00e0 assumer ce r\u00f4le. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi. Pourtant, c\u2019est l\u2019ensemble de ces d\u00e9tours qui lui r\u00e9v\u00e8le qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : « Ne te berne pas toi-m\u00eame. » Il apprend \u00e0 l\u2019\u00e9couter. Il l\u2019appelle l\u2019impeccabilit\u00e9. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle ne s\u2019atteint pas. On ne peut que vouloir l\u2019\u00eatre. Pour cela, deux outils : devenir excellent et ma\u00eetriser son art. Il faut cesser d\u2019ob\u00e9ir. Non seulement aux autres, mais aussi \u00e0 nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se d\u00e9leste, plus la petite voix devient claire. Elle n\u2019a pas besoin d\u2019emphase. « La petite voix », cela suffit. \u00catre impeccable, ce n\u2019est pas vivre en ermite. C\u2019est \u00eatre pleinement engag\u00e9. On peut vivre dans la soci\u00e9t\u00e9 en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend \u00e0 le savourer. Il enseigne l\u2019humilit\u00e9. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l\u2019on tente de s\u2019\u00e9loigner, la vie nous ram\u00e8ne. Il n\u2019y a pas de quoi s\u2019inqui\u00e9ter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but \u00e0 tout cela.<\/p>",
"content_text": "En tant que peintre, il suit une voie qu\u2019il n\u2019a pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne lui a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l\u2019\u00e9loigne de ce que l\u2019on appelle \u00ab la vie active \u00bb. Il met des ann\u00e9es \u00e0 se d\u00e9barrasser de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de ses travaux les plus importants. Il ne sait pas exactement ce qui l\u2019aide \u00e0 assumer ce r\u00f4le. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi. Pourtant, c\u2019est l\u2019ensemble de ces d\u00e9tours qui lui r\u00e9v\u00e8le qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : \u00ab Ne te berne pas toi-m\u00eame. \u00bb Il apprend \u00e0 l\u2019\u00e9couter. Il l\u2019appelle l\u2019impeccabilit\u00e9. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle ne s\u2019atteint pas. On ne peut que vouloir l\u2019\u00eatre. Pour cela, deux outils : devenir excellent et ma\u00eetriser son art. Il faut cesser d\u2019ob\u00e9ir. Non seulement aux autres, mais aussi \u00e0 nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se d\u00e9leste, plus la petite voix devient claire. Elle n\u2019a pas besoin d\u2019emphase. \u00ab La petite voix \u00bb, cela suffit. \u00catre impeccable, ce n\u2019est pas vivre en ermite. C\u2019est \u00eatre pleinement engag\u00e9. On peut vivre dans la soci\u00e9t\u00e9 en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend \u00e0 le savourer. Il enseigne l\u2019humilit\u00e9. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l\u2019on tente de s\u2019\u00e9loigner, la vie nous ram\u00e8ne. Il n\u2019y a pas de quoi s\u2019inqui\u00e9ter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but \u00e0 tout cela. ",
"image": "",
"tags": ["peinture"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-septembre-2019.html",
"title": "15 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-15T18:55:00Z",
"date_modified": "2025-12-20T23:01:14Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "\n
\n
\nLes b\u00e9quilles de S. sont d’un bleu profond, presque neuves. Elles s’adossent au mur depuis l’op\u00e9ration. S. vit dans le pr\u00e9sent. Moi, je fais des allers-retours constants. Le pr\u00e9sent est une lumi\u00e8re blanche qui br\u00fble \u2013 il me faut ces lunettes de soudeur pour seulement regarder. Sculpter un sens tol\u00e9rable. Je pars en qu\u00eate de bribes, ferraille rouill\u00e9e, et je les soude comme je peux. Urgence. Sans cela, je resterais bras ballants dans l’incendie.<\/p>\n\n