{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/itineraires.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/itineraires.html", "title": "Itin\u00e9raires", "date_published": "2019-09-30T16:24:00Z", "date_modified": "2025-12-20T22:57:13Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Tr\u00e8s t\u00f4t je ressens l’appel de la for\u00eat, c’est plus fort que moi, comme une voix \u00e0 l’int\u00e9rieur qui ne cesse de me dire : vas-y, abandonne tout ce que tu es en train de faire, et rejoins les arbres.<\/p>\n

Je crois que je viens juste d’obtenir mon premier v\u00e9lo quand les premi\u00e8res injonctions int\u00e9rieures d\u00e9butent. Je viens tout juste d’avoir sept ans, ma t\u00eate est en feu, le monde entier me semble \u00eatre un cauchemar permanent, alors je d\u00e9cide de partir.<\/p>\n

La for\u00eat de Tron\u00e7ais est proche dans mon esprit mais il me faut beaucoup de temps et d’efforts n\u00e9anmoins pour parvenir \u00e0 la rejoindre. Il y a tout d’abord cette grande c\u00f4te \u00e0 grimper sur quelques kilom\u00e8tres avant de prendre \u00e0 gauche et rejoindre l’Aumance, \u00e0 la hauteur d’H\u00e9risson dont j’aper\u00e7ois les ruines du ch\u00e2teau, ensuite \u00e7a file \u00e0 peu pr\u00e8s droit mais sur un ruban qui n’en finit pas de s’allonger encore et encore... Peu importe, le soleil traverse le tissu de ma chemise pour me chauffer le corps, je sens la caresse du vent sur ma joue et continue de p\u00e9daler, ivre de libert\u00e9, entre les champs de bl\u00e9, de luzerne, de ma\u00efs, sur la petite d\u00e9partementale.<\/p>\n

Enfin je l’aper\u00e7ois. Une grande masse sombre se d\u00e9coupe \u00e0 l’horizon. La route au loin s’enfonce dans celle-ci.<\/p>\n

Je mets le cap vers le Rond du Tr\u00e9sor, et ce faisant je me r\u00e9p\u00e8te l’histoire que me racontait mon grand-oncle. « Entre le premier coup et le dernier coup de l’horloge de Saint-Bonnet, le village voisin, tu peux venir voir car tout est vrai : le soir de No\u00ebl \u00e0 minuit, la terre s’ouvre exactement ici et laisse alors entrevoir des quantit\u00e9s inou\u00efes de tr\u00e9sors, si tu es rapide, tu peux vite t’engouffrer mais prends garde de ne pas rester enferm\u00e9, car la terre ne s’ouvrira \u00e0 nouveau que l’ann\u00e9e suivante. »<\/p>\n

Cette question me hantera, je crois, toute ma vie. Que faire alors ? Tenter le coup et se d\u00e9p\u00eacher de s’emparer des tr\u00e9sors de la terre ? Ou bien renoncer carr\u00e9ment en les contemplant de loin ?<\/p>\n

\u00c0 presque soixante ans, je dois avouer que je n’ai toujours pas r\u00e9solu cette question.<\/p>\n

Illustration<\/strong>Ch\u00eane de la for\u00eat de Tron\u00e7ais Photographie Philippe Morize<\/p>", "content_text": " Tr\u00e8s t\u00f4t je ressens l'appel de la for\u00eat, c'est plus fort que moi, comme une voix \u00e0 l'int\u00e9rieur qui ne cesse de me dire : vas-y, abandonne tout ce que tu es en train de faire, et rejoins les arbres. Je crois que je viens juste d'obtenir mon premier v\u00e9lo quand les premi\u00e8res injonctions int\u00e9rieures d\u00e9butent. Je viens tout juste d'avoir sept ans, ma t\u00eate est en feu, le monde entier me semble \u00eatre un cauchemar permanent, alors je d\u00e9cide de partir. La for\u00eat de Tron\u00e7ais est proche dans mon esprit mais il me faut beaucoup de temps et d'efforts n\u00e9anmoins pour parvenir \u00e0 la rejoindre. Il y a tout d'abord cette grande c\u00f4te \u00e0 grimper sur quelques kilom\u00e8tres avant de prendre \u00e0 gauche et rejoindre l'Aumance, \u00e0 la hauteur d'H\u00e9risson dont j'aper\u00e7ois les ruines du ch\u00e2teau, ensuite \u00e7a file \u00e0 peu pr\u00e8s droit mais sur un ruban qui n'en finit pas de s'allonger encore et encore... Peu importe, le soleil traverse le tissu de ma chemise pour me chauffer le corps, je sens la caresse du vent sur ma joue et continue de p\u00e9daler, ivre de libert\u00e9, entre les champs de bl\u00e9, de luzerne, de ma\u00efs, sur la petite d\u00e9partementale. Enfin je l'aper\u00e7ois. Une grande masse sombre se d\u00e9coupe \u00e0 l'horizon. La route au loin s'enfonce dans celle-ci. Je mets le cap vers le Rond du Tr\u00e9sor, et ce faisant je me r\u00e9p\u00e8te l'histoire que me racontait mon grand-oncle. \u00ab Entre le premier coup et le dernier coup de l'horloge de Saint-Bonnet, le village voisin, tu peux venir voir car tout est vrai : le soir de No\u00ebl \u00e0 minuit, la terre s'ouvre exactement ici et laisse alors entrevoir des quantit\u00e9s inou\u00efes de tr\u00e9sors, si tu es rapide, tu peux vite t'engouffrer mais prends garde de ne pas rester enferm\u00e9, car la terre ne s'ouvrira \u00e0 nouveau que l'ann\u00e9e suivante. \u00bb Cette question me hantera, je crois, toute ma vie. Que faire alors ? Tenter le coup et se d\u00e9p\u00eacher de s'emparer des tr\u00e9sors de la terre ? Ou bien renoncer carr\u00e9ment en les contemplant de loin ? \u00c0 presque soixante ans, je dois avouer que je n'ai toujours pas r\u00e9solu cette question. **Illustration**Ch\u00eane de la for\u00eat de Tron\u00e7ais Photographie Philippe Morize ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/arbre-de-tronc3a7ais.jpg?1765992240", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-jauge.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/la-jauge.html", "title": "La jauge ", "date_published": "2019-09-30T16:21:00Z", "date_modified": "2025-12-20T22:57:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/md>\n

Mon grand-p\u00e8re le faisait d\u00e9j\u00e0, il continuait \u00e0 conduire des bornes et des bornes apr\u00e8s que le t\u00e9moin de la jauge d’essence s’est allum\u00e9. J’ai \u00e9videmment fait mien cet h\u00e9ritage, ce peu, ce presque rien \u00e0 h\u00e9riter m’\u00e9tant devenu, j’imagine, d’autant plus pr\u00e9cieux au fur et \u00e0 mesure des ann\u00e9es que j’ai \u00e9t\u00e9 spoli\u00e9 de tout le reste.<\/p>\n

Non pas que j’en conserve une rancune particuli\u00e8re d\u00e9sormais. Non, j’ai tout pardonn\u00e9 bien s\u00fbr, sinon il m’aurait \u00e9t\u00e9 proprement impossible de vivre. La rage et la haine ne durent qu’un temps pour apprendre \u00e0 se construire diff\u00e9remment, il faut cependant \u00e9viter de les conserver comme des alli\u00e9s persistants, car nul doute que ceux-ci auraient t\u00f4t fait de nous d\u00e9vorer les entrailles.<\/p>\n

J’allais m’engager sur la route de Vanosc lorsque j’en ai eu marre tout \u00e0 coup de jouer avec le feu. J’ai fait signe aux quatre v\u00e9hicules qui me suivaient de me d\u00e9passer en indiquant sommairement la destination vers laquelle nous nous dirigions, et puis j’ai rebrouss\u00e9 chemin vers la nationale, je me suis engag\u00e9 dans la direction de Saint-Agr\u00e8ve, autrement dit vers l’inconnu, dans la qu\u00eate d’une station d’essence.<\/p>\n

La route s’enfon\u00e7ant entre les flancs des collines ard\u00e9choises ne pr\u00e9sageait rien qui vaille, nulle maison, nul village, pendant quelques kilom\u00e8tres je me demandais \u00e0 la fois jusqu’o\u00f9 il allait falloir rouler en m\u00eame temps que je faisais un point rapide sur les cons\u00e9quences d\u00e9sagr\u00e9ables de la sale manie qui m’avait \u00e9t\u00e9 transmise.<\/p>\n

Tomber en panne serait tellement ridicule, plusieurs fois j’avais imagin\u00e9 m’arr\u00eater \u00e0 une station, elles \u00e9taient nombreuses dans Annonay tout \u00e0 l’heure, mais \u00e0 l’id\u00e9e d’interrompre le convoi tout entier, j’avais \u00e9lud\u00e9. Entre deux situations ridicules, c’est souvent la pire qu’il s’agit de choisir \u00e9videmment.<\/p>\n

Un bref instant, j’aper\u00e7ois la silhouette falote de ce petit gamin sur le dos duquel les parents ont placard\u00e9 leur d\u00e9pit dans le mot « cancre » et qui devait se rendre au village le samedi pour aller qu\u00e9rir le pain et le journal.<\/p>\n

C’est derri\u00e8re un nouveau virage que soudain j’aper\u00e7us la station, au d\u00e9but j’ai cru qu’elle \u00e9tait abandonn\u00e9e, tout paraissait si d\u00e9suet, \u00e0 l’abandon, pas m\u00eame d’enseigne lumineuse indiquant les tarifs des carburants. J’allais presque la d\u00e9passer avec d\u00e9pit lorsque j’ai aper\u00e7u la porte du bureau entrouverte. Coup de frein, marche arri\u00e8re, et me voil\u00e0 devant une charmante petite dame qui me demande pour combien je veux de 95.<\/p>\n

Le destin une fois de plus aura donc \u00e9t\u00e9 cl\u00e9ment et m’aura pardonn\u00e9 cette nouvelle provocation, quasiment automatique.<\/p>\n

Il faudra tout de m\u00eame que je creuse un peu plus un jour d’o\u00f9 me vient cette sensation d’avoir toujours plus ou moins peur d’\u00eatre ridicule.
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Au volant de la Twingo de mon \u00e9pouse, je roule lentement sur la route \u00e9troite menant vers les hauteurs d’une des mille et une collines de la Dr\u00f4me. Le cap est trac\u00e9 par la pr\u00e9sence, au loin, des gigantesques \u00e9oliennes dont la blancheur se d\u00e9coupe sur fond de ciel bleu profond.<\/p>\n

Enfin j’arrive \u00e0 Saint-Martin-des-Rosiers et actionne le clignotant pour indiquer que je vais tourner \u00e0 gauche.<\/p>\n

\u00c0 l’angle, les b\u00e2timents de l’\u00e9cole sont d\u00e9serts ce samedi. Alors je tente de me rem\u00e9morer les quelques souvenirs de mes interventions ici en tant que prof d’arts plastiques, mais je comprends que c’est surtout pour calmer l’excitation que j’\u00e9prouve \u00e0 chaque tour de roue suppl\u00e9mentaire.<\/p>\n

Aujourd’hui, samedi, je suis invit\u00e9 \u00e0 d\u00e9jeuner par des personnes formidables, Michel et Marie, et je me mets des claques, je me pince, afin de chasser loin de moi les quelques miasmes de d\u00e9pression chronique dont j’aime \u00eatre la victime chaque automne.<\/p>\n

\u00c9trangement, toutes les applications de mon smartphone sont en panne, Maps ne donne plus signe de vie. Je dois donc faire confiance \u00e0 mon instinct pour trouver la maison que je cherche. L’entr\u00e9e du village de Fay-le-Clos est un champ de bataille organis\u00e9 par la voirie du coin. Coup de chance, quelques centaines de m\u00e8tres apr\u00e8s avoir emprunt\u00e9 au hasard la route de droite, j’aper\u00e7ois une pancarte qui m’indique l’atelier « MCA ART ».<\/p>\n

Me voici en train de me garer devant une vieille b\u00e2tisse avec d\u00e9pendances, deux grands arbres majestueux l’ombragent sur la face avant et je reste un instant pour regarder en contrebas la vall\u00e9e qui s’\u00e9tend. Ici pas d’usine, rien que des champs.<\/p>\n

Au sommet de la colline derri\u00e8re la maison, je peux encore apercevoir les immenses pales tourner silencieusement.<\/p>\n

D’autres v\u00e9hicules sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, je regarde mon portable, il n’est pas loin d’\u00eatre 13 h, je dois \u00eatre bon dernier \u00e0 l’aune de mes pens\u00e9es d\u00e9pressives que je tente de balayer encore en poussant le portail et en levant la main tout en criant « coucou ».<\/p>\n

Michel, bien que toujours calme, a l’air content de me voir et je souffle un peu, et puis tout de suite Marie qui vient \u00e0 ma rencontre et qui m’apprend avec \u00e9motion en m’embrassant combien elle est contente et soulag\u00e9e que je sois venu.<\/p>\n

Bon, alors je peux vraiment respirer un bon coup et en finir avec mes angoisses d\u00e9pressives, je me dis : ouf, je vais passer un bon moment, allez.<\/p>\n

Je lui tends les g\u00e2teaux et le cadeau que j’ai pr\u00e9par\u00e9s pour mon grand ami Chaman qui est l\u00e0 lui aussi et dont nous devons c\u00e9l\u00e9brer l’anniversaire. Enfin, \u00e7a y est, je les aper\u00e7ois tous, les invit\u00e9s, d\u00e9j\u00e0 attabl\u00e9s, portant les verres \u00e0 leurs l\u00e8vres.<\/p>\n

Pendant que Marie dispara\u00eet dans la p\u00e9nombre de la cuisine, je marche vers la grande table, embrasse des visages connus, serre des mains et m’installe. Bon sang, \u00e7a faisait tellement longtemps que je n’avais pas \u00e9t\u00e9 invit\u00e9 que je me f\u00e9liciterais presque de ma prise de d\u00e9cision de ce matin, de m’\u00eatre encourag\u00e9 et de cette attention \u00e0 ne pas me laisser submerger par mes \u00e9motions contradictoires de ces derniers jours.<\/p>\n

Apr\u00e8s quelques gorg\u00e9es d’un d\u00e9licieux vin de sureau concoct\u00e9 par la ma\u00eetresse des lieux, je parviens enfin \u00e0 me d\u00e9tendre.<\/p>\n

Le soleil est chaud et ach\u00e8ve d’apaiser toutes mes angoisses qui peu \u00e0 peu se dissipent en \u00e9coutant le chant global des multiples sujets de conversation. Je retrouve un peu de ces anciens moments perdus dans le temps que je n’aimais pas cependant, enfant. Ils me reviennent soudain transform\u00e9s de mani\u00e8re in\u00e9dite, peut-\u00eatre par la nostalgie, et cela \u00e9voque tout \u00e0 coup un vrai repas de famille.<\/p>\n

Nous abordons le temps comme une plage longue et sablonneuse propice \u00e0 la r\u00eaverie, le luxe du temps avant de repartir vers Vanosc dans l’Ard\u00e8che voisine en fin d’apr\u00e8s-midi pour participer au finissage d’une exposition \u00e0 laquelle deux seulement d’entre nous, Marie et moi, participent.<\/p>\n

Le grand chaman ne dit presque rien, il est heureux, cela se voit, de temps en temps je jette un coup d’\u0153il vers lui et il me tire discr\u00e8tement la langue en souriant.<\/p>\n

Le grand chien blanc de la maison s’approche de moi et vient poser sa t\u00eate sur ma jambe dans un mouvement d’abandon qui m’\u00e9meut presque aux larmes soudain. En lui caressant le museau et le cr\u00e2ne, je repense \u00e0 toutes les amiti\u00e9s que j’ai laiss\u00e9es filer un bref instant, moi le paria perp\u00e9tuel, le d\u00e9chir\u00e9 de toujours, et ce moment familial m’\u00e9trille en profondeur.<\/p>\n

Puis je me reprends vite en lui parlant : « Hum, tu es attir\u00e9 par la bouffe, toi ? »<\/p>\n

Sans doute aussi, pour me ressaisir, je me l\u00e8ve tout \u00e0 coup en constatant l’incomp\u00e9tence marqu\u00e9e en mati\u00e8re de d\u00e9coupe de volaille de mon voisin d’en face.<\/p>\n

Moi, petit-fils de volailler, je ne peux pas accepter qu’on maltraite ainsi une bestiole.<\/p>\n