{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/investir-sur-soi.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/investir-sur-soi.html", "title": "Investir sur soi.", "date_published": "2019-10-30T09:08:40Z", "date_modified": "2025-12-20T23:16:18Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

\"\"<\/p>\n

Tu l’as surement remarqu\u00e9 mais on ne peut plus surfer deux minutes sur le net sans \u00eatre harponn\u00e9 par une kyrielle d’offres all\u00e9chantes concernant tout un tas de sujets aussi passionnants les uns que les autres.<\/strong> Ma boite mail en est pleine !<\/p>\n

Comment vaincre sa timidit\u00e9<\/p>\n

Comment devenir Charismatique<\/p>\n

Comment \u00e9crire un roman \u00e0 succ\u00e8s<\/p>\n

Comment avoir toutes les filles qu’on veut<\/p>\n

j’en passe et des moins bonnes.<\/p>\n

Evidemment les sujets que j’ai choisis de citer non aucun lien avec les sujets qui m\u2019int\u00e9ressent vraiment dans la vie.<\/p>\n

Mais tout de m\u00eame si j’ai envie de t’en parler c’est que cela a bel et bien attir\u00e9 mon attention pendant quelques secondes.<\/strong><\/p>\n

Le mot clef de tout cela tu l’as compris c’est \"attirer ton attention\"<\/strong>, voir te distraire de la liste de raisons pour lesquelles tu \u00e9tais en train de surfer sur le net.<\/p>\n

Parfois \u00e7a marche vraiment, par exemple quand Antoine BM t’envoie son mail quotidien et qu’il te propose de cr\u00e9er ton \u00e9cole en ligne ben \u00e7a fait mouche.<\/p>\n

J’ai donc d\u00e9cid\u00e9 de me payer la formation d’Antoine que je connais assez bien d\u00e9sormais, cela fait une ann\u00e9e environ que je le suis que j’observe ses strat\u00e9gies, et je ne peux pas \u00eatre autrement qu’admiratif.<\/p>\n

C’est un jeune homme pragmatique qui sait ce qu’il veut et qui sait l’obtenir visiblement. Alors que moi je suis un vieux de 60 berges qui a pass\u00e9 sa vie \u00e0 changer de point de vue, de religion, de femme, de job , \u00e0 errer, bref \u00e0 voyager autrement qu’en charter parce que cela n’allait pas avec mes genoux.<\/p>\n

Un jour un gars m’a dit \"pierre qui roule n’amasse pas mousse\"<\/p>\n

La belle affaire, qu’est ce que j’en ai \u00e0 faire d’\u00eatre plein de mousse lui ai r\u00e9pondu derechef ! je suis venu au monde nu j’en repartirai pareil !<\/p>\n

Mais du coup si je te parle de ce jeune aujourd’hui c’est parce que je suis victime d’une \u00e9trange nostalgie.<\/p>\n

Si j’avais 25 ans aujourd’hui il est certain que je serais dans cette mouvance de vendre mes formations en ligne sur un tas de sujets plus ou moins int\u00e9ressants.<\/p>\n

Si j’avais 25 ans aujourd’hui je ne serais pas salari\u00e9 je serais d\u00e9j\u00e0 \u00e0 mon compte et je ne poss\u00e9derais pas beaucoup plus que ce que je poss\u00e9dais \u00e0 25 ans d\u00e9j\u00e0 , c’est \u00e0 dire que j’aurais en plus un Ipad, un Y\u00e9ti, peut \u00eatre un clavier bluetooth, un hub pour pouvoir utiliser tout \u00e7a et puis un petit sac d’habits. Et je serais souvent en voyage car avec le net on peut bien travailler de partout on s’en fout.<\/p>\n

Si je regarde leur parcours \u00e0 ces jeunes, car il y en a plusieurs que je suis attentivement mais je ne vais pas les citer tous. Une chose qu’il m’ont apprise importante, c’est l’id\u00e9e d’investir sur soi.<\/p>\n

A part dans les ann\u00e9es 90 o\u00f9 j’ai d\u00e9cid\u00e9 de suivre une formation de PNL payante, je n’ai gu\u00e8re investi sur moi par ce biais.<\/p>\n

J’ai investi du temps dans les \u00e9tudes pourtant, dans les biblioth\u00e8ques, , j’ai investi du temps dans mille et un naufrage sentimentaux et professionnels, mais je n’ai jamais eu vraiment envie de me former pour acqu\u00e9rir des m\u00e9thodes rapides et efficaces afin de \"gagner ma vie\"<\/p>\n

C’est ce que proposent tous ces jeunes gens, investir sur soi , c’est \u00e0 dire leur acheter du contenu de la formation pour des sommes relativement modiques.<\/p>\n

Le pack d’Antoine pour cr\u00e9er son \u00e9cole \u00e9tait en promo et dans mes cordes alors j’ai saut\u00e9 le pas.<\/p>\n

C’est vrai que mon plus gros probl\u00e8me c’est de trouver un ordre pour organiser les choses. Un plan d’action, j’ai tendance \u00e0 partir dans plein de directions en m\u00eame temps, un plan en \u00e9toile loin du centre n\u00e9vralgique des choses justement, c’est \u00e0 dire l’action. ou plut\u00f4t je vais dire que je r\u00e9alise des actions d\u00e9sordonn\u00e9es , des actions qui n’ont rien \u00e0 voir les unes avec les autres bien souvent.<\/p>\n

Alors l\u00e0 me suis je dit si je ne passe pas \u00e0 l’action c’est vraiment nul.<\/p>\n

Un peu comme un patient qui entre en psychanalyse, je me suis dit je paie donc je fais gaffe, je suis s\u00e9rieux merde faut rien louper.<\/p>\n

J’ai essay\u00e9 aussi la psychanalyse, une fois. Je me suis tir\u00e9 en quatri\u00e8me vitesse. J’ai \u00e9pous\u00e9 une psychanalyste pour achever d’en finir avec la psychanalyse.<\/p>\n

Dans le fond je pourrais me r\u00e9jouir de n’avoir jamais pris le temps d’\u00e9tablir un vrai plan d’action dans ma vie car je n’aurais tout bonnement pas eu cette vie l\u00e0 dont je ne suis ni fier ni honteux dans le fond.<\/p>\n

Mais bon comme je vais avoir 60 ans en janvier je me suis dit que c’\u00e9tait peut-\u00eatre un soubresaut utile \u00e0 la suite<\/p>\n

Qu’est ce qu’on ne donnerait pas finalement pour s’illusionner encore un peu ..?<\/p>\n

Et tu vois il se pourrait bien que pour passer \u00e0 l’action justement il ne faille pas se poser toutes ces questions, il faudrait avoir 25 ans et foncer m\u00eame si c’est dans un mur, ce n’est pas bien grave.<\/p>\n

Du coup voil\u00e0 une r\u00e9sistance au changement comme j’ai l’habitude d’en fabriquer \u00e0 tour de bras et si tu es un peu dans ce m\u00eame type de fonctionnement inscris toi \u00e0 mes contacts priv\u00e9s pour commencer, tu recevras une liste de bonne raisons que l’on s’invente commun\u00e9ment pour ne pas faire les choses et comment contourner cette manie.<\/p>\n

https:\/\/urlz.fr\/aSST<\/a><\/p>", "content_text": "\n\nTu l'as surement remarqu\u00e9 mais on ne peut plus surfer deux minutes sur le net sans \u00eatre harponn\u00e9 par une kyrielle d'offres all\u00e9chantes concernant tout un tas de sujets aussi passionnants les uns que les autres. Ma boite mail en est pleine !\n\nComment vaincre sa timidit\u00e9 \n\nComment devenir Charismatique\n\nComment \u00e9crire un roman \u00e0 succ\u00e8s\n\nComment avoir toutes les filles qu'on veut\n\nj'en passe et des moins bonnes.\n\nEvidemment les sujets que j'ai choisis de citer non aucun lien avec les sujets qui m\u2019int\u00e9ressent vraiment dans la vie.\n\nMais tout de m\u00eame si j'ai envie de t'en parler c'est que cela a bel et bien attir\u00e9 mon attention pendant quelques secondes.\n\nLe mot clef de tout cela tu l'as compris c'est \"attirer ton attention\", voir te distraire de la liste de raisons pour lesquelles tu \u00e9tais en train de surfer sur le net.\n\nParfois \u00e7a marche vraiment, par exemple quand Antoine BM t'envoie son mail quotidien et qu'il te propose de cr\u00e9er ton \u00e9cole en ligne ben \u00e7a fait mouche.\n\nJ'ai donc d\u00e9cid\u00e9 de me payer la formation d'Antoine que je connais assez bien d\u00e9sormais, cela fait une ann\u00e9e environ que je le suis que j'observe ses strat\u00e9gies, et je ne peux pas \u00eatre autrement qu'admiratif.\n\nC'est un jeune homme pragmatique qui sait ce qu'il veut et qui sait l'obtenir visiblement. Alors que moi je suis un vieux de 60 berges qui a pass\u00e9 sa vie \u00e0 changer de point de vue, de religion, de femme, de job , \u00e0 errer, bref \u00e0 voyager autrement qu'en charter parce que cela n'allait pas avec mes genoux.\n\nUn jour un gars m'a dit \"pierre qui roule n'amasse pas mousse\" \n\nLa belle affaire, qu'est ce que j'en ai \u00e0 faire d'\u00eatre plein de mousse lui ai r\u00e9pondu derechef ! je suis venu au monde nu j'en repartirai pareil !\n\nMais du coup si je te parle de ce jeune aujourd'hui c'est parce que je suis victime d'une \u00e9trange nostalgie.\n\nSi j'avais 25 ans aujourd'hui il est certain que je serais dans cette mouvance de vendre mes formations en ligne sur un tas de sujets plus ou moins int\u00e9ressants.\n\nSi j'avais 25 ans aujourd'hui je ne serais pas salari\u00e9 je serais d\u00e9j\u00e0 \u00e0 mon compte et je ne poss\u00e9derais pas beaucoup plus que ce que je poss\u00e9dais \u00e0 25 ans d\u00e9j\u00e0 , c'est \u00e0 dire que j'aurais en plus un Ipad, un Y\u00e9ti, peut \u00eatre un clavier bluetooth, un hub pour pouvoir utiliser tout \u00e7a et puis un petit sac d'habits. Et je serais souvent en voyage car avec le net on peut bien travailler de partout on s'en fout.\n\nSi je regarde leur parcours \u00e0 ces jeunes, car il y en a plusieurs que je suis attentivement mais je ne vais pas les citer tous. Une chose qu'il m'ont apprise importante, c'est l'id\u00e9e d'investir sur soi.\n\nA part dans les ann\u00e9es 90 o\u00f9 j'ai d\u00e9cid\u00e9 de suivre une formation de PNL payante, je n'ai gu\u00e8re investi sur moi par ce biais.\n\nJ'ai investi du temps dans les \u00e9tudes pourtant, dans les biblioth\u00e8ques, , j'ai investi du temps dans mille et un naufrage sentimentaux et professionnels, mais je n'ai jamais eu vraiment envie de me former pour acqu\u00e9rir des m\u00e9thodes rapides et efficaces afin de \"gagner ma vie\" \n\nC'est ce que proposent tous ces jeunes gens, investir sur soi , c'est \u00e0 dire leur acheter du contenu de la formation pour des sommes relativement modiques.\n\nLe pack d'Antoine pour cr\u00e9er son \u00e9cole \u00e9tait en promo et dans mes cordes alors j'ai saut\u00e9 le pas.\n\nC'est vrai que mon plus gros probl\u00e8me c'est de trouver un ordre pour organiser les choses. Un plan d'action, j'ai tendance \u00e0 partir dans plein de directions en m\u00eame temps, un plan en \u00e9toile loin du centre n\u00e9vralgique des choses justement, c'est \u00e0 dire l'action. ou plut\u00f4t je vais dire que je r\u00e9alise des actions d\u00e9sordonn\u00e9es , des actions qui n'ont rien \u00e0 voir les unes avec les autres bien souvent.\n\nAlors l\u00e0 me suis je dit si je ne passe pas \u00e0 l'action c'est vraiment nul.\n\nUn peu comme un patient qui entre en psychanalyse, je me suis dit je paie donc je fais gaffe, je suis s\u00e9rieux merde faut rien louper.\n\nJ'ai essay\u00e9 aussi la psychanalyse, une fois. Je me suis tir\u00e9 en quatri\u00e8me vitesse. J'ai \u00e9pous\u00e9 une psychanalyste pour achever d'en finir avec la psychanalyse.\n\nDans le fond je pourrais me r\u00e9jouir de n'avoir jamais pris le temps d'\u00e9tablir un vrai plan d'action dans ma vie car je n'aurais tout bonnement pas eu cette vie l\u00e0 dont je ne suis ni fier ni honteux dans le fond. \n\nMais bon comme je vais avoir 60 ans en janvier je me suis dit que c'\u00e9tait peut-\u00eatre un soubresaut utile \u00e0 la suite \n\nQu'est ce qu'on ne donnerait pas finalement pour s'illusionner encore un peu ..?\n\nEt tu vois il se pourrait bien que pour passer \u00e0 l'action justement il ne faille pas se poser toutes ces questions, il faudrait avoir 25 ans et foncer m\u00eame si c'est dans un mur, ce n'est pas bien grave.\n\nDu coup voil\u00e0 une r\u00e9sistance au changement comme j'ai l'habitude d'en fabriquer \u00e0 tour de bras et si tu es un peu dans ce m\u00eame type de fonctionnement inscris toi \u00e0 mes contacts priv\u00e9s pour commencer, tu recevras une liste de bonne raisons que l'on s'invente commun\u00e9ment pour ne pas faire les choses et comment contourner cette manie.\n\nhttps:\/\/urlz.fr\/aSST", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-mensonge-de-l-art.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-mensonge-de-l-art.html", "title": "Le mensonge de l'art.", "date_published": "2019-10-30T06:26:36Z", "date_modified": "2025-12-20T23:16:31Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Ce matin je me r\u00e9veille avec la gueule de bois. Nuit agit\u00e9e \u00e0 \u00e9laborer des argumentaires de vente, des arborescences d’offres de formations, des plans, des listes.<\/p>\n

Cela m’avait d\u00e9j\u00e0 fait \u00e7a je m’en souviens lorsque, il y a maintenant presque 30 ans, j’ai commenc\u00e9 \u00e0 jouer aux \u00e9checs. Je r\u00eavais les parties durant la nuit et je me r\u00e9veillais la t\u00eate dans le cul \u00e9videmment.<\/p>\n

Alors peut-\u00eatre que toi aussi tu ne dors pas tr\u00e8s bien en ce moment parce que tu ressasses ta journ\u00e9e pass\u00e9e ou celle \u00e0 venir. Tes r\u00eaves ressemblent \u00e0 de grosses lessiveuses d’o\u00f9 l’on t’extirpe rinc\u00e9, crev\u00e9 au matin.<\/p>\n

J’ai envie de dire que c’est plut\u00f4t une bonne nouvelle pour toi, c’est parce que quelque chose bouge au fond et que ton cerveau lance les d\u00e9s, invente des futurs possibles durant la nuit.<\/p>\n

On dit souvent que lorsqu’on veut trouver la solution \u00e0 un probl\u00e8me il faut s’endormir en y pensant et la solution arrive le matin. C’est vrai !<\/p>\n

Et tu vois, ce matin, la premi\u00e8re chose qui m’est venue \u00e0 l’esprit, avant m\u00eame de prendre mon caf\u00e9, c’est l’art.<\/p>\n

Et je me suis aper\u00e7u que je n’\u00e9tais plus du tout hypnotis\u00e9 par celui-ci d\u00e9sormais.<\/p>\n

Tu sais cet art tel que je l’ai ou que tu as toujours per\u00e7u ou tel qu’on te l’a toujours pr\u00e9sent\u00e9 et qui dans le fond (c’est dur \u00e0 avaler) mais tant pis, allez, je te le dis :<\/p>\n

L’art n’est rien d’autre qu’un gros mensonge de plus.<\/p>\n

Et oui, pendant que la Californie crame, que l’Amazonie crame, que l’Afrique crame, pendant que partout le monde est en train de cramer, de se d\u00e9liter, j’ai bien l’impression que tous les mensonges s’\u00e9ventent en m\u00eame temps et que tout est en train de s’\u00e9vaporer vers le ciel bleu.<\/p>\n

La d\u00e9mocratie, mensonge.<\/p>\n

La r\u00e9publique, mensonge.<\/p>\n

La politique, mensonge.<\/p>\n

Le terrorisme, mensonge.<\/p>\n

Bref, comme tout part en cacahu\u00e8te, pourquoi pas l’art aussi ?<\/p>\n

\u00c9videmment je n’invente pas le fil \u00e0 couper le beurre, l’art est d\u00e9j\u00e0 parti en cacahu\u00e8te depuis belle lurette avec la plupart des cr\u00e9ations inventori\u00e9es avec l’\u00e9tiquette « contemporaines ».<\/p>\n

\u00c9videmment les bidules en plastoque de Jeff Koons pos\u00e9s au centre de la cit\u00e9, c’est le pied de nez ultime \u00e0 toute vell\u00e9it\u00e9 de gravit\u00e9, de s\u00e9rieux dont pouvait encore s’aur\u00e9oler l’art jusqu’\u00e0 peu dans le fond.<\/p>\n

Alors effectivement, vu sous cet angle, comment ne pas rigoler de ceux qui gravement vont te parler d’art. Qui vont pontifier sur l’art.<\/p>\n

Tu auras alors deux solutions : leur rire au nez ou en sourire.<\/p>\n

D’un autre c\u00f4t\u00e9, l’art a toujours exist\u00e9. L’homme ne peut s’en passer.<\/p>\n

L’art du mensonge accompagne la recherche du beau depuis toujours et ce n’est pas un hasard si les deux marchent c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te.<\/p>\n

Peut-\u00eatre n’est-ce plus tant le beau que l’on cherche d\u00e9sormais mais le juste, et cette d\u00e9rive du beau vers la justice est encore une errance j’en ai bien peur.<\/p>\n

Car tout de m\u00eame, lorsque je regarde les statues du pal\u00e9olithique, lorsque je regarde les cariatides \u00e9trusques, lorsque je sombre dans le regard obscur d’un Modigliani, quand je suis secou\u00e9 tout entier par les fronti\u00e8res inou\u00efes que Marc Rothko installe entre ses grands rectangles de peinture. Cette \u00e9motion n’est pas mensong\u00e8re. Elle est \u00e9cho, r\u00e9sonance face \u00e0 un silence, un myst\u00e8re. Est-ce pour autant le « beau », je ne sais pas.<\/p>\n

Et je ne parle m\u00eame pas de « l’\u00e9toilement tot\u00e9mique » des \u0153uvres chamaniques d’un Thierry Lambert qui par la sym\u00e9trie nous ram\u00e8ne \u00e0 un essentiel perdu dans le fond des temps.<\/p>\n

Le beau est devenu presque une banalit\u00e9 d\u00e9sormais. C’est d’ailleurs la seule chose que les gens disent dans mes vernissages globalement.<\/p>\n

Int\u00e9rieurement je leur dis : oui si vous voulez, c’est beau mais \u00e7a ne nourrit pas.<\/p>\n

La beaut\u00e9 ne nourrit pas au sens propre comme au figur\u00e9.<\/p>\n

La beaut\u00e9 des \u0153uvres d’art comme la beaut\u00e9 des femmes comme la beaut\u00e9 des romans, comme la beaut\u00e9 des mensonges, ce qui la rend belle justement c’est le myst\u00e8re qui g\u00e9n\u00e9ralement les accompagne.<\/p>\n

Que ce myst\u00e8re soudain vienne \u00e0 s’\u00e9venter, c’est comme un souffl\u00e9 qui retombe et on n’a plus qu’\u00e0 \u00eatre bienveillant avec la ma\u00eetresse de maison d\u00e9sol\u00e9e tout en n’en pensant pas moins en repartant.<\/p>", "content_text": " Ce matin je me r\u00e9veille avec la gueule de bois. Nuit agit\u00e9e \u00e0 \u00e9laborer des argumentaires de vente, des arborescences d'offres de formations, des plans, des listes. Cela m'avait d\u00e9j\u00e0 fait \u00e7a je m'en souviens lorsque, il y a maintenant presque 30 ans, j'ai commenc\u00e9 \u00e0 jouer aux \u00e9checs. Je r\u00eavais les parties durant la nuit et je me r\u00e9veillais la t\u00eate dans le cul \u00e9videmment. Alors peut-\u00eatre que toi aussi tu ne dors pas tr\u00e8s bien en ce moment parce que tu ressasses ta journ\u00e9e pass\u00e9e ou celle \u00e0 venir. Tes r\u00eaves ressemblent \u00e0 de grosses lessiveuses d'o\u00f9 l'on t'extirpe rinc\u00e9, crev\u00e9 au matin. J'ai envie de dire que c'est plut\u00f4t une bonne nouvelle pour toi, c'est parce que quelque chose bouge au fond et que ton cerveau lance les d\u00e9s, invente des futurs possibles durant la nuit. On dit souvent que lorsqu'on veut trouver la solution \u00e0 un probl\u00e8me il faut s'endormir en y pensant et la solution arrive le matin. C'est vrai ! Et tu vois, ce matin, la premi\u00e8re chose qui m'est venue \u00e0 l'esprit, avant m\u00eame de prendre mon caf\u00e9, c'est l'art. Et je me suis aper\u00e7u que je n'\u00e9tais plus du tout hypnotis\u00e9 par celui-ci d\u00e9sormais. Tu sais cet art tel que je l'ai ou que tu as toujours per\u00e7u ou tel qu'on te l'a toujours pr\u00e9sent\u00e9 et qui dans le fond (c'est dur \u00e0 avaler) mais tant pis, allez, je te le dis : L'art n'est rien d'autre qu'un gros mensonge de plus. Et oui, pendant que la Californie crame, que l'Amazonie crame, que l'Afrique crame, pendant que partout le monde est en train de cramer, de se d\u00e9liter, j'ai bien l'impression que tous les mensonges s'\u00e9ventent en m\u00eame temps et que tout est en train de s'\u00e9vaporer vers le ciel bleu. La d\u00e9mocratie, mensonge. La r\u00e9publique, mensonge. La politique, mensonge. Le terrorisme, mensonge. Bref, comme tout part en cacahu\u00e8te, pourquoi pas l'art aussi ? \u00c9videmment je n'invente pas le fil \u00e0 couper le beurre, l'art est d\u00e9j\u00e0 parti en cacahu\u00e8te depuis belle lurette avec la plupart des cr\u00e9ations inventori\u00e9es avec l'\u00e9tiquette \u00ab contemporaines \u00bb. \u00c9videmment les bidules en plastoque de Jeff Koons pos\u00e9s au centre de la cit\u00e9, c'est le pied de nez ultime \u00e0 toute vell\u00e9it\u00e9 de gravit\u00e9, de s\u00e9rieux dont pouvait encore s'aur\u00e9oler l'art jusqu'\u00e0 peu dans le fond. Alors effectivement, vu sous cet angle, comment ne pas rigoler de ceux qui gravement vont te parler d'art. Qui vont pontifier sur l'art. Tu auras alors deux solutions : leur rire au nez ou en sourire. D'un autre c\u00f4t\u00e9, l'art a toujours exist\u00e9. L'homme ne peut s'en passer. L'art du mensonge accompagne la recherche du beau depuis toujours et ce n'est pas un hasard si les deux marchent c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te. Peut-\u00eatre n'est-ce plus tant le beau que l'on cherche d\u00e9sormais mais le juste, et cette d\u00e9rive du beau vers la justice est encore une errance j'en ai bien peur. Car tout de m\u00eame, lorsque je regarde les statues du pal\u00e9olithique, lorsque je regarde les cariatides \u00e9trusques, lorsque je sombre dans le regard obscur d'un Modigliani, quand je suis secou\u00e9 tout entier par les fronti\u00e8res inou\u00efes que Marc Rothko installe entre ses grands rectangles de peinture. Cette \u00e9motion n'est pas mensong\u00e8re. Elle est \u00e9cho, r\u00e9sonance face \u00e0 un silence, un myst\u00e8re. Est-ce pour autant le \u00ab beau \u00bb, je ne sais pas. Et je ne parle m\u00eame pas de \u00ab l'\u00e9toilement tot\u00e9mique \u00bb des \u0153uvres chamaniques d'un Thierry Lambert qui par la sym\u00e9trie nous ram\u00e8ne \u00e0 un essentiel perdu dans le fond des temps. Le beau est devenu presque une banalit\u00e9 d\u00e9sormais. C'est d'ailleurs la seule chose que les gens disent dans mes vernissages globalement. Int\u00e9rieurement je leur dis : oui si vous voulez, c'est beau mais \u00e7a ne nourrit pas. La beaut\u00e9 ne nourrit pas au sens propre comme au figur\u00e9. La beaut\u00e9 des \u0153uvres d'art comme la beaut\u00e9 des femmes comme la beaut\u00e9 des romans, comme la beaut\u00e9 des mensonges, ce qui la rend belle justement c'est le myst\u00e8re qui g\u00e9n\u00e9ralement les accompagne. Que ce myst\u00e8re soudain vienne \u00e0 s'\u00e9venter, c'est comme un souffl\u00e9 qui retombe et on n'a plus qu'\u00e0 \u00eatre bienveillant avec la ma\u00eetresse de maison d\u00e9sol\u00e9e tout en n'en pensant pas moins en repartant. ", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/mon-ami-paul-3792.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/mon-ami-paul-3792.html", "title": "Mon ami Paul ", "date_published": "2019-10-28T21:39:00Z", "date_modified": "2025-12-20T23:16:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Il s’\u00e9tait endormi avec la chatte sur les genoux et il la prend d\u00e9licatement dans ses mains pour se lever du fauteuil et la reposer. L’animal ronronne de gratitude et se recroqueville douillettement pour s’enfoncer \u00e0 nouveau dans le sommeil. Monsieur Paul remplit alors le po\u00eale de charbon en maugr\u00e9ant : la neige est de retour devant le petit pavillon de banlieue.<\/p>\n

Il effectue une toilette sommaire, s’habille de v\u00eatements propres, et flanqu\u00e9 de son vieux galurin caboss\u00e9 et de son pardessus, il regarde \u00e0 nouveau la pi\u00e8ce qu’il s’appr\u00eate \u00e0 quitter : un salon chaotique o\u00f9 dorment de multiples animaux, chiens, chats, lapins, et m\u00eame un perroquet \u00e0 l’\u0153il mi-clos sur le perchoir, puis il referme la porte et rejoint la mairie de Fontenay-aux-Roses, dans l’espoir que le 86 sera bien en service malgr\u00e9 les intemp\u00e9ries nocturnes. Nous sommes en 1908, la voirie qu’on paie de nos imp\u00f4ts ce n’est pas pour des pommes, l\u00e2che-t-il pour se rassurer.<\/p>\n

Arriv\u00e9 dans les locaux du Mercure<\/em>, il ne salue personne et trotte jusqu’\u00e0 la petite table du bureau qu’on lui alloue pour r\u00e9diger ses chroniques. Ici, il est plus connu sous le pseudonyme de Maurice Boissard.<\/p>\n

Au d\u00e9but on lui propose de s’occuper de la chronique « dramatique » mais il tourne tout en d\u00e9rision et n’a pas son pareil pour relever le moindre d\u00e9faut de langage, de style, et surtout il avertit de toute absence de style justement, si bien que peu \u00e0 peu les lecteurs se mettent \u00e0 attendre avec impatience la nouvelle saillie de Maurice Boissard, qui ne manque pas de leur faire se tenir les c\u00f4tes ou d’assombrir l’avenir de ses victimes quotidiennes.<\/p>\n

Il tient comme cela quarante-cinq ans de suite, dans un travail mal pay\u00e9 en r\u00e9digeant parall\u00e8lement une \u0153uvre monumentale qui sera connue sous le nom de Journal<\/em>. Il a d\u00e9j\u00e0 obtenu un succ\u00e8s d’estime qui ne d\u00e9passera gu\u00e8re les fronti\u00e8res des cercles litt\u00e9raires, concernant un premier roman, autobiographique comme il se doit, Le Petit Ami<\/em>, mais ce sera dans les ann\u00e9es 50 gr\u00e2ce aux entretiens radiophoniques avec l’\u00e9crivain Robert Mallet...<\/p>\n

Par chance je tombe ce matin sur un podcast de France Culture dont je te donne le lien. Bonne \u00e9coute ! France Culture<\/a><\/p>", "content_text": " Il s'\u00e9tait endormi avec la chatte sur les genoux et il la prend d\u00e9licatement dans ses mains pour se lever du fauteuil et la reposer. L'animal ronronne de gratitude et se recroqueville douillettement pour s'enfoncer \u00e0 nouveau dans le sommeil. Monsieur Paul remplit alors le po\u00eale de charbon en maugr\u00e9ant : la neige est de retour devant le petit pavillon de banlieue. Il effectue une toilette sommaire, s'habille de v\u00eatements propres, et flanqu\u00e9 de son vieux galurin caboss\u00e9 et de son pardessus, il regarde \u00e0 nouveau la pi\u00e8ce qu'il s'appr\u00eate \u00e0 quitter : un salon chaotique o\u00f9 dorment de multiples animaux, chiens, chats, lapins, et m\u00eame un perroquet \u00e0 l'\u0153il mi-clos sur le perchoir, puis il referme la porte et rejoint la mairie de Fontenay-aux-Roses, dans l'espoir que le 86 sera bien en service malgr\u00e9 les intemp\u00e9ries nocturnes. Nous sommes en 1908, la voirie qu'on paie de nos imp\u00f4ts ce n'est pas pour des pommes, l\u00e2che-t-il pour se rassurer. Arriv\u00e9 dans les locaux du *Mercure*, il ne salue personne et trotte jusqu'\u00e0 la petite table du bureau qu'on lui alloue pour r\u00e9diger ses chroniques. Ici, il est plus connu sous le pseudonyme de Maurice Boissard. Au d\u00e9but on lui propose de s'occuper de la chronique \u00ab dramatique \u00bb mais il tourne tout en d\u00e9rision et n'a pas son pareil pour relever le moindre d\u00e9faut de langage, de style, et surtout il avertit de toute absence de style justement, si bien que peu \u00e0 peu les lecteurs se mettent \u00e0 attendre avec impatience la nouvelle saillie de Maurice Boissard, qui ne manque pas de leur faire se tenir les c\u00f4tes ou d'assombrir l'avenir de ses victimes quotidiennes. Il tient comme cela quarante-cinq ans de suite, dans un travail mal pay\u00e9 en r\u00e9digeant parall\u00e8lement une \u0153uvre monumentale qui sera connue sous le nom de *Journal*. Il a d\u00e9j\u00e0 obtenu un succ\u00e8s d'estime qui ne d\u00e9passera gu\u00e8re les fronti\u00e8res des cercles litt\u00e9raires, concernant un premier roman, autobiographique comme il se doit, *Le Petit Ami*, mais ce sera dans les ann\u00e9es 50 gr\u00e2ce aux entretiens radiophoniques avec l'\u00e9crivain Robert Mallet... Par chance je tombe ce matin sur un podcast de France Culture dont je te donne le lien. Bonne \u00e9coute ! [France Culture](https:\/\/www.franceculture.fr\/emissions\/les-nuits-de-france-culture\/entretiens-paul-leautaud-robert-mallet) ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/paul-lc3a9autaud.webp?1766007590", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/loser.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/loser.html", "title": "Loser", "date_published": "2019-10-28T21:36:00Z", "date_modified": "2025-12-20T23:16:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Il avait eu envie de r\u00e9pliquer \u00e0 ce commentaire qu’on lui avait balanc\u00e9 et puis il avait mis un pouce, avait \u00e9crit deux trois bafouilles autour de l’\u00e9crivain qu’il aimait, et aussi de tous les \u00e9crivains qu’il aimait et qui racontaient leur vie de loser dans le fond et maintenant que son \u00e9nervement \u00e9tait retomb\u00e9, il s’apercevait que toute la litt\u00e9rature qu’il pr\u00e9f\u00e9rait tournait effectivement autour de ce th\u00e8me, la chute, la rupture, l’impuissance \u00e0 r\u00e9aliser ses r\u00eaves, ou du moins la grande difficult\u00e9 que chacun d’eux raconte au fil des r\u00e9cits.<\/p>\n

Il descendit fumer dans la cour et malgr\u00e9 le crachin d\u00e9sagr\u00e9able il resta l\u00e0 \u00e0 regarder le ciel de nuit. De gros nuages travers\u00e9s n\u00e9anmoins par l’\u00e9clat de la pleine lune. Il se sentait bien, calme tout \u00e0 coup au terme de cette journ\u00e9e de d\u00e9s\u0153uvrement qui lui avait mis les nerfs en pelote.<\/p>\n

Alors soudain il vit toutes les possibilit\u00e9s de sa vie en une fraction de seconde continuer leur route sans lui. C’\u00e9tait comme si l’univers avait d’une main cl\u00e9mente \u00e9cart\u00e9 tous les voiles qui l’aveuglaient.<\/p>\n

Il vit tous ceux qui \u00e9taient lui et qui avaient, par leurs choix, emprunt\u00e9 une route parall\u00e8le, il y avait l\u00e0 un chanteur qui avait rencontr\u00e9 le succ\u00e8s dans les ann\u00e9es 90 et qui d\u00e9sormais finissait sa carri\u00e8re dans les salles des f\u00eates de communes rurales, il y avait le grand \u00e9crivain qui vivait seul dans un cottage irlandais avec ses chats et ses chiens et un bon feu de bois qui cr\u00e9pite. Il y avait aussi tous ceux qui n’avaient pas fait de connerie, qui \u00e9taient rest\u00e9s avec leurs compagnes vieillissantes d\u00e9sormais dont il s’\u00e9tait m\u00e9thodiquement s\u00e9par\u00e9 au cours du temps.<\/p>\n

Il les voyait au travers des fen\u00eatres \u00e9clair\u00e9es par des luminaires orange, jaune et blancs comme investi soudain d’un \u00e9trange don d’ubiquit\u00e9. Il pouvait aussi bien l\u00e9viter tout en haut d’une tour que jouer aux indiens pour ne pas \u00eatre aper\u00e7u par les occupants des lieux.<\/p>\n

Alors il se mit \u00e0 rire silencieusement avec presque des larmes aux yeux en remerciant le vieil univers. Il voyait toutes les possibilit\u00e9s de lui-m\u00eame, toutes les possibilit\u00e9s des choix qu’il n’avait pas voulu ou pas su faire et tous dans le fond se valaient d\u00e9sormais.<\/p>\n

La soixantaine lui apportait une s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 in\u00e9dite, et il aurait bien voulu appeler son p\u00e8re au t\u00e9l\u00e9phone mais il se souvint qu’il n’avait plus de p\u00e8re. Alors il se d\u00e9couvrit d\u00e9sormais en premi\u00e8re ligne pour la grande d\u00e9gringolade dans le n\u00e9ant.<\/p>\n

Il fit un petit signe amical au chat qui revenait de ses ballades diurnes sur les toits et referma la porte derri\u00e8re lui sans faire de bruit pour ne pas r\u00e9veiller sa compagne qui s’\u00e9tait endormie devant la t\u00e9l\u00e9vision.<\/p>", "content_text": " Il avait eu envie de r\u00e9pliquer \u00e0 ce commentaire qu'on lui avait balanc\u00e9 et puis il avait mis un pouce, avait \u00e9crit deux trois bafouilles autour de l'\u00e9crivain qu'il aimait, et aussi de tous les \u00e9crivains qu'il aimait et qui racontaient leur vie de loser dans le fond et maintenant que son \u00e9nervement \u00e9tait retomb\u00e9, il s'apercevait que toute la litt\u00e9rature qu'il pr\u00e9f\u00e9rait tournait effectivement autour de ce th\u00e8me, la chute, la rupture, l'impuissance \u00e0 r\u00e9aliser ses r\u00eaves, ou du moins la grande difficult\u00e9 que chacun d'eux raconte au fil des r\u00e9cits. Il descendit fumer dans la cour et malgr\u00e9 le crachin d\u00e9sagr\u00e9able il resta l\u00e0 \u00e0 regarder le ciel de nuit. De gros nuages travers\u00e9s n\u00e9anmoins par l'\u00e9clat de la pleine lune. Il se sentait bien, calme tout \u00e0 coup au terme de cette journ\u00e9e de d\u00e9s\u0153uvrement qui lui avait mis les nerfs en pelote. Alors soudain il vit toutes les possibilit\u00e9s de sa vie en une fraction de seconde continuer leur route sans lui. C'\u00e9tait comme si l'univers avait d'une main cl\u00e9mente \u00e9cart\u00e9 tous les voiles qui l'aveuglaient. Il vit tous ceux qui \u00e9taient lui et qui avaient, par leurs choix, emprunt\u00e9 une route parall\u00e8le, il y avait l\u00e0 un chanteur qui avait rencontr\u00e9 le succ\u00e8s dans les ann\u00e9es 90 et qui d\u00e9sormais finissait sa carri\u00e8re dans les salles des f\u00eates de communes rurales, il y avait le grand \u00e9crivain qui vivait seul dans un cottage irlandais avec ses chats et ses chiens et un bon feu de bois qui cr\u00e9pite. Il y avait aussi tous ceux qui n'avaient pas fait de connerie, qui \u00e9taient rest\u00e9s avec leurs compagnes vieillissantes d\u00e9sormais dont il s'\u00e9tait m\u00e9thodiquement s\u00e9par\u00e9 au cours du temps. Il les voyait au travers des fen\u00eatres \u00e9clair\u00e9es par des luminaires orange, jaune et blancs comme investi soudain d'un \u00e9trange don d'ubiquit\u00e9. Il pouvait aussi bien l\u00e9viter tout en haut d'une tour que jouer aux indiens pour ne pas \u00eatre aper\u00e7u par les occupants des lieux. Alors il se mit \u00e0 rire silencieusement avec presque des larmes aux yeux en remerciant le vieil univers. Il voyait toutes les possibilit\u00e9s de lui-m\u00eame, toutes les possibilit\u00e9s des choix qu'il n'avait pas voulu ou pas su faire et tous dans le fond se valaient d\u00e9sormais. La soixantaine lui apportait une s\u00e9r\u00e9nit\u00e9 in\u00e9dite, et il aurait bien voulu appeler son p\u00e8re au t\u00e9l\u00e9phone mais il se souvint qu'il n'avait plus de p\u00e8re. Alors il se d\u00e9couvrit d\u00e9sormais en premi\u00e8re ligne pour la grande d\u00e9gringolade dans le n\u00e9ant. Il fit un petit signe amical au chat qui revenait de ses ballades diurnes sur les toits et referma la porte derri\u00e8re lui sans faire de bruit pour ne pas r\u00e9veiller sa compagne qui s'\u00e9tait endormie devant la t\u00e9l\u00e9vision. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lune.jpg?1766007381", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/savoir-bien-dessiner.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/savoir-bien-dessiner.html", "title": "Savoir bien dessiner", "date_published": "2019-10-28T07:40:12Z", "date_modified": "2025-12-20T23:17:13Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

\"\"<\/p>\n

Parmi ces trois mots deux ne servent \u00e0 rien et je vais t’expliquer pourquoi<\/strong>.<\/p>\n

La plupart des gens pensent qu’il faut savoir dessiner<\/em>, et donc que \u00e7a s’apprend.<\/p>\n

Mais rappelle toi quand tu \u00e9tais gamin tu t’en fichais compl\u00e8tement, de savoir dessiner, tu dessinais et puis voil\u00e0 !<\/p>\n

Ensuite que peut bien vouloir dire \"bien dessiner\"<\/em><\/strong> par rapport \u00e0 qui ? par rapport \u00e0 quoi ? Savoir bien dessiner implique aussit\u00f4t un savoir mal dessiner .. oh mon crayon balance entre les deux p\u00f4les j’ai les chocottes maman !<\/p>\n

Bon ok si tu feuillettes les carnets de croquis de L\u00e9onard de Vinci, et que tu as comme ambition de dessiner comme \u00e7a, il va te falloir bosser un peu.<\/p>\n

Mais pourquoi voudrais tu dessiner comme L\u00e9onard de Vinci, puisque c’est d\u00e9j\u00e0 fait, pli\u00e9, enterr\u00e9, il n’y a qu’un L\u00e9onard et puis voil\u00e0 !<\/p>\n

Ensuite rappelle toi aussi qu’\u00e0 son \u00e9poque il n’y avait pas les smartphones ni les reflex num\u00e9riques qui permettent d\u00e9sormais d’avoir des photographies nettes et sans bavure, de jolis portraits, de jolis paysages.<\/p>\n

Alors tu peux prendre \u00e7a comme un challenge de dessiner aussi bien que L\u00e9onard bien sur, tu peux copier sa mani\u00e8re, mais est ce que \u00e7a va vraiment t’apprendre \u00e0 dessiner je ne le crois pas.<\/p>\n

Car pour moi dessiner c’est avant tout s’exprimer avec justesse, montrer qui on est, donc la seule chose que tu peux faire c’est dessiner comme toi tu le sens. Et pour \u00e7a tu n’auras besoin que de temps chaque jour pour t’y mettre et r\u00e9fl\u00e9chir sur ce que tu as fait au bout d’un moment.<\/p>\n

Au d\u00e9but ton \u0153il sera pratiquement aveugle, tu ne verras pas grand chose, et tu auras tendance \u00e0 dire bof, c’est pas terrible, aller corbeille...<\/p>\n

C’est une erreur, garde tout au contraire, dans un pochette, et mets bien la date \u00e0 chaque fois que tu r\u00e9alises un dessin, ta signature et la date. Parce que tout ce que tu fais en dessin compte, tout ce que tu fais en dessin est pr\u00e9cieux. Parce que si tu mets ce que tu dessines \u00e0 la corbeille cela veut dire que tu as perdu ton temps et que tu n’estimes pas ton effort.<\/p>\n

L’estime de soi est importante ( sans en abuser non plus ) alors conserve, chouchoute tout ce que tu produis et tu m’en diras des nouvelles dans quelques ann\u00e9es quand ton \u0153il sera plus ouvert quand sur ces premi\u00e8res esquisses tu comprendras qu’il y a avait d\u00e9j\u00e0 la trace, les pr\u00e9misses d’un talent \u00e0 venir.<\/p>\n

Concernant le \"bien dessiner\" c’est souvent un avis qui provient des autres. C’est assez facile dans le fond de \"bien dessiner\" quand tes dessins correspondent \u00e0 ce qu’attendent le plupart des gens concernant un visage, un paysage.<\/p>\n

Mais dans le fond \"bien dessiner\" est souvent un mensonge que tu commences par te faire \u00e0 toi-m\u00eame.<\/p>\n

Alors peut-\u00eatre que \"savoir bien dessiner\" n’est rien d’autre qu’un faux probl\u00e8me que tu places sur ton chemin pour ne pas te mettre \u00e0 dessiner vraiment.<\/strong><\/p>\n

C’est \u00e0 dire dessiner comme tu es comme personne .. et voil\u00e0 ce qu’a super bien compris Mac Donald quand il t’invite \u00e0 venir \"comme tu es\" dans ses \u00e9tablissements.<\/p>\n

Si ma mani\u00e8re de voir les choses dans ce domaine te plait, n’h\u00e9site pas \u00e0 t’abonner \u00e0 mon blog, et puis il y a aussi un lien que je place juste en dessous pour faire partie de mes contacts priv\u00e9s<\/p>\n

https:\/\/urlz.fr\/aSST<\/a><\/p>", "content_text": "\n\nParmi ces trois mots deux ne servent \u00e0 rien et je vais t'expliquer pourquoi.\n\nLa plupart des gens pensent qu'il faut savoir dessiner, et donc que \u00e7a s'apprend.\n\nMais rappelle toi quand tu \u00e9tais gamin tu t'en fichais compl\u00e8tement, de savoir dessiner, tu dessinais et puis voil\u00e0 !\n\nEnsuite que peut bien vouloir dire \"bien dessiner\" par rapport \u00e0 qui ? par rapport \u00e0 quoi ? Savoir bien dessiner implique aussit\u00f4t un savoir mal dessiner .. oh mon crayon balance entre les deux p\u00f4les j'ai les chocottes maman !\n\nBon ok si tu feuillettes les carnets de croquis de L\u00e9onard de Vinci, et que tu as comme ambition de dessiner comme \u00e7a, il va te falloir bosser un peu.\n\nMais pourquoi voudrais tu dessiner comme L\u00e9onard de Vinci, puisque c'est d\u00e9j\u00e0 fait, pli\u00e9, enterr\u00e9, il n'y a qu'un L\u00e9onard et puis voil\u00e0 !\n\nEnsuite rappelle toi aussi qu'\u00e0 son \u00e9poque il n'y avait pas les smartphones ni les reflex num\u00e9riques qui permettent d\u00e9sormais d'avoir des photographies nettes et sans bavure, de jolis portraits, de jolis paysages.\n\nAlors tu peux prendre \u00e7a comme un challenge de dessiner aussi bien que L\u00e9onard bien sur, tu peux copier sa mani\u00e8re, mais est ce que \u00e7a va vraiment t'apprendre \u00e0 dessiner je ne le crois pas.\n\nCar pour moi dessiner c'est avant tout s'exprimer avec justesse, montrer qui on est, donc la seule chose que tu peux faire c'est dessiner comme toi tu le sens. Et pour \u00e7a tu n'auras besoin que de temps chaque jour pour t'y mettre et r\u00e9fl\u00e9chir sur ce que tu as fait au bout d'un moment. \n\nAu d\u00e9but ton \u0153il sera pratiquement aveugle, tu ne verras pas grand chose, et tu auras tendance \u00e0 dire bof, c'est pas terrible, aller corbeille... \n\nC'est une erreur, garde tout au contraire, dans un pochette, et mets bien la date \u00e0 chaque fois que tu r\u00e9alises un dessin, ta signature et la date. Parce que tout ce que tu fais en dessin compte, tout ce que tu fais en dessin est pr\u00e9cieux. Parce que si tu mets ce que tu dessines \u00e0 la corbeille cela veut dire que tu as perdu ton temps et que tu n'estimes pas ton effort. \n\nL'estime de soi est importante ( sans en abuser non plus ) alors conserve, chouchoute tout ce que tu produis et tu m'en diras des nouvelles dans quelques ann\u00e9es quand ton \u0153il sera plus ouvert quand sur ces premi\u00e8res esquisses tu comprendras qu'il y a avait d\u00e9j\u00e0 la trace, les pr\u00e9misses d'un talent \u00e0 venir.\n\nConcernant le \"bien dessiner\" c'est souvent un avis qui provient des autres. C'est assez facile dans le fond de \"bien dessiner\" quand tes dessins correspondent \u00e0 ce qu'attendent le plupart des gens concernant un visage, un paysage.\n\nMais dans le fond \"bien dessiner\" est souvent un mensonge que tu commences par te faire \u00e0 toi-m\u00eame.\n\nAlors peut-\u00eatre que \"savoir bien dessiner\" n'est rien d'autre qu'un faux probl\u00e8me que tu places sur ton chemin pour ne pas te mettre \u00e0 dessiner vraiment. \n\nC'est \u00e0 dire dessiner comme tu es comme personne .. et voil\u00e0 ce qu'a super bien compris Mac Donald quand il t'invite \u00e0 venir \"comme tu es\" dans ses \u00e9tablissements.\n\nSi ma mani\u00e8re de voir les choses dans ce domaine te plait, n'h\u00e9site pas \u00e0 t'abonner \u00e0 mon blog, et puis il y a aussi un lien que je place juste en dessous pour faire partie de mes contacts priv\u00e9s \n\nhttps:\/\/urlz.fr\/aSST", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-octobre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-octobre-2019.html", "title": "28 octobre 2019", "date_published": "2019-10-28T06:41:00Z", "date_modified": "2025-12-20T23:17:25Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

La plupart des gens pensent qu\u2019il faut savoir dessiner, et que \u00e7a s\u2019apprend. Mais souviens-toi : enfant, tu ne te souciais pas de savoir dessiner ; tu dessinais, tout simplement. Et puis, que veut dire « bien dessiner » ? Par rapport \u00e0 qui, par rapport \u00e0 quoi ? Si « bien dessiner » existe, cela implique aussi « mal dessiner »\u2026 Mon crayon oscille entre les deux : j\u2019ai les chocottes, maman ! D\u2019accord, si tu feuillettes les carnets de croquis de L\u00e9onard de Vinci et que tu r\u00eaves de dessiner comme lui, il va falloir bosser un peu. Mais pourquoi voudrais-tu dessiner comme L\u00e9onard, puisque c\u2019est d\u00e9j\u00e0 fait, pli\u00e9, termin\u00e9 ? Il n\u2019y a qu\u2019un seul L\u00e9onard, et voil\u00e0. \u00c0 son \u00e9poque, il n\u2019y avait ni smartphones ni appareils photo num\u00e9riques pour capturer portraits ou paysages sans bavure. Aujourd\u2019hui, c\u2019est diff\u00e9rent. Tu peux bien s\u00fbr prendre \u00e7a comme un d\u00e9fi de dessiner aussi bien que lui, mais est-ce vraiment cela qui t\u2019apprendra \u00e0 dessiner ? Je ne le crois pas. Pour moi, dessiner, c\u2019est d\u2019abord s\u2019exprimer avec justesse, montrer qui l\u2019on est. La seule chose que tu puisses faire, c\u2019est dessiner comme tu le ressens. Et pour \u00e7a, il te faudra du temps, chaque jour, pour t\u2019y mettre et r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 ce que tu as produit. Au d\u00e9but, ton \u0153il sera presque aveugle : tu ne verras pas grand-chose et tu te diras peut-\u00eatre « bof, c\u2019est pas terrible, \u00e0 la corbeille\u2026 ». Erreur. Garde tout. Mets tes dessins dans une pochette, note la date et ta signature \u00e0 chaque fois. Tout ce que tu fais en dessin compte, tout est pr\u00e9cieux. Jeter tes dessins, c\u2019est dire que tu as perdu ton temps, que ton effort n\u2019a aucune valeur. L\u2019estime de soi est importante (sans en abuser, bien s\u00fbr). Ch\u00e9ris ce que tu produis et, dans quelques ann\u00e9es, ton \u0153il plus aiguis\u00e9 te montrera que ces premi\u00e8res esquisses portaient d\u00e9j\u00e0 la trace, les pr\u00e9mices d\u2019un talent \u00e0 venir. Quant \u00e0 « bien dessiner », c\u2019est souvent l\u2019avis des autres : c\u2019est facile de « bien dessiner » quand tes dessins ressemblent \u00e0 ce que la plupart attendent d\u2019un visage ou d\u2019un paysage. Mais au fond, « bien dessiner » est souvent un mensonge qu\u2019on se raconte \u00e0 soi-m\u00eame. Peut-\u00eatre que « savoir bien dessiner » n\u2019est qu\u2019un faux probl\u00e8me, une excuse pour ne pas se lancer vraiment. Dessiner, c\u2019est avant tout dessiner comme tu es, sans chercher \u00e0 imiter qui que ce soit. Et c\u2019est exactement ce que mart\u00e8le McDonald\u2019s quand il r\u00e9p\u00e8te « venez comme vous \u00eates ».<\/p>", "content_text": "La plupart des gens pensent qu\u2019il faut savoir dessiner, et que \u00e7a s\u2019apprend. Mais souviens-toi : enfant, tu ne te souciais pas de savoir dessiner ; tu dessinais, tout simplement. Et puis, que veut dire \u00ab bien dessiner \u00bb ? Par rapport \u00e0 qui, par rapport \u00e0 quoi ? Si \u00ab bien dessiner \u00bb existe, cela implique aussi \u00ab mal dessiner \u00bb\u2026 Mon crayon oscille entre les deux : j\u2019ai les chocottes, maman ! D\u2019accord, si tu feuillettes les carnets de croquis de L\u00e9onard de Vinci et que tu r\u00eaves de dessiner comme lui, il va falloir bosser un peu. Mais pourquoi voudrais-tu dessiner comme L\u00e9onard, puisque c\u2019est d\u00e9j\u00e0 fait, pli\u00e9, termin\u00e9 ? 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Mets tes dessins dans une pochette, note la date et ta signature \u00e0 chaque fois. Tout ce que tu fais en dessin compte, tout est pr\u00e9cieux. Jeter tes dessins, c\u2019est dire que tu as perdu ton temps, que ton effort n\u2019a aucune valeur. L\u2019estime de soi est importante (sans en abuser, bien s\u00fbr). Ch\u00e9ris ce que tu produis et, dans quelques ann\u00e9es, ton \u0153il plus aiguis\u00e9 te montrera que ces premi\u00e8res esquisses portaient d\u00e9j\u00e0 la trace, les pr\u00e9mices d\u2019un talent \u00e0 venir. Quant \u00e0 \u00ab bien dessiner \u00bb, c\u2019est souvent l\u2019avis des autres : c\u2019est facile de \u00ab bien dessiner \u00bb quand tes dessins ressemblent \u00e0 ce que la plupart attendent d\u2019un visage ou d\u2019un paysage. Mais au fond, \u00ab bien dessiner \u00bb est souvent un mensonge qu\u2019on se raconte \u00e0 soi-m\u00eame. Peut-\u00eatre que \u00ab savoir bien dessiner \u00bb n\u2019est qu\u2019un faux probl\u00e8me, une excuse pour ne pas se lancer vraiment. Dessiner, c\u2019est avant tout dessiner comme tu es, sans chercher \u00e0 imiter qui que ce soit. Et c\u2019est exactement ce que mart\u00e8le McDonald\u2019s quand il r\u00e9p\u00e8te \u00ab venez comme vous \u00eates \u00bb.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dessin-de-leonard.webp?1748065170", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-usure.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-usure.html", "title": "L'usure", "date_published": "2019-10-27T21:32:00Z", "date_modified": "2025-12-20T23:17:35Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Tous les mois \u00e0 partir du 15 c’est la m\u00eame ritournelle qui revient, tu es \u00e0 combien de d\u00e9couvert toi ? Et lui, il continue \u00e0 tapoter sur son clavier comme si de rien n’\u00e9tait juste avant de descendre prendre le caf\u00e9.<\/p>\n

Tu viens, elle s’impatiente en bas, elle a en horreur de d\u00e9jeuner seule. Et lui prend un malin plaisir \u00e0 la laisser tr\u00e9pigner un petit moment. C’est le rituel du matin, ils ne changeraient pas \u00e7a pour rien au monde. \u00c0 part les quelques jours de vacances qu’ils prennent chaque ann\u00e9e, l\u00e0 c’est diff\u00e9rent, il dort bien, il n’a pas d’ordinateur, juste un carnet et il se sent plus d\u00e9tendu.<\/p>\n

Quand il descend il la prend dans ses bras et ils restent ainsi un petit moment bien au chaud l’un dans l’autre. Elle ne dit rien, elle fourre sa t\u00eate sous son bras \u00e0 lui et ils dansent un peu sans musique.<\/p>\n

Et puis ils boivent le caf\u00e9, lui tr\u00e8s vite s’en va car il sait qu’elle va \u00e0 nouveau parler d’argent, des factures qui s’accumulent, et \u00e7a va vite d\u00e9river sur les maux de hanche, de pieds et de genoux, et il se sent impuissant, ou plut\u00f4t une rage insens\u00e9e qui resurgit toujours point\u00e9e contre lui-m\u00eame et il casserait tout dans la baraque.<\/p>\n

Alors il pr\u00e9f\u00e8re prendre sa veste et sortir de la maison.<\/p>\n

Au tabac, \u00e0 l’angle de la rue, les deux jeunes qui ont repris le commerce ne rigolent plus trop. Il se souvient de la joie sur leurs visages il y a quelques mois de \u00e7a, juste apr\u00e8s le d\u00e9part des gros fachos qui tenaient le tabac avant. Ils \u00e9taient tout frais tout neufs, des jeunes qui en veulent, il s’\u00e9tait r\u00e9joui pour eux.<\/p>\n

Ils ont gal\u00e9r\u00e9 pas loin de six mois pour avoir le pr\u00eat de la banque, tu penses bien, des Turcs, \u00e7a ne fait pas de diff\u00e9rence avec les Arabes ici. Et puis de toute fa\u00e7on les banques ne pr\u00eatent qu’aux riches. Alors turc, jeune et pas riche, c’est forc\u00e9ment le tierc\u00e9 perdant.<\/p>\n

Ils sont l\u00e0 coinc\u00e9s dans ce tabac d\u00e9sormais de l’aube au matin sept sur sept sans jamais prendre de vacances. Ils m\u00e9riteraient une m\u00e9daille, pense-t-il en tentant le passage sans fil de la carte bleue sur la machine. Des munitions pour deux jours \u00e0 peine, il s’est remis \u00e0 fumer plus fort encore mais d’un autre c\u00f4t\u00e9 il se dit qu’il n’a gu\u00e8re que \u00e7a, ses clopes et son caf\u00e9 comme addiction et puis il n’a pas la force, voil\u00e0 tout.<\/p>\n

Hier encore il y avait la peinture mais bon, depuis des semaines les pinceaux sont rest\u00e9s dans les pots, la table de l’atelier est en bordel et il ne rentre plus dans celui-ci que pour filer \u00e0 bouffer au chat.<\/p>\n

C’\u00e9tait bient\u00f4t la fin du mois d’octobre, le retour des morts, l’antique f\u00eate de Samain, rebaptis\u00e9e d\u00e9sormais par les vendeurs de hamburgers d\u00e9goulinants et il se demande s’il ne va pas aller sur la tombe du p\u00e8re l\u00e0-bas \u00e0 la fronti\u00e8re du Cher et de l’Allier.<\/p>\n

Puis il se souvint que le vieux Kangoo est refus\u00e9 au contr\u00f4le technique, il est d\u00e9sormais parqu\u00e9 en attendant des jours meilleurs, \u00e0 l’abri des regards. Le p\u00e8lerinage ne se fera pas encore cette ann\u00e9e.<\/p>\n

Le froid arrive, pense-t-il, le brouillard montre d\u00e9j\u00e0 son nez au coin de la rue. Il va bient\u00f4t faire jour mais le soleil sera absent. Il rel\u00e8ve son col de veste et se dirige vers le grand caf\u00e9 qui ouvre dans un bruit grin\u00e7ant son rideau de fer.<\/p>", "content_text": " Tous les mois \u00e0 partir du 15 c'est la m\u00eame ritournelle qui revient, tu es \u00e0 combien de d\u00e9couvert toi ? Et lui, il continue \u00e0 tapoter sur son clavier comme si de rien n'\u00e9tait juste avant de descendre prendre le caf\u00e9. Tu viens, elle s'impatiente en bas, elle a en horreur de d\u00e9jeuner seule. Et lui prend un malin plaisir \u00e0 la laisser tr\u00e9pigner un petit moment. C'est le rituel du matin, ils ne changeraient pas \u00e7a pour rien au monde. \u00c0 part les quelques jours de vacances qu'ils prennent chaque ann\u00e9e, l\u00e0 c'est diff\u00e9rent, il dort bien, il n'a pas d'ordinateur, juste un carnet et il se sent plus d\u00e9tendu. Quand il descend il la prend dans ses bras et ils restent ainsi un petit moment bien au chaud l'un dans l'autre. Elle ne dit rien, elle fourre sa t\u00eate sous son bras \u00e0 lui et ils dansent un peu sans musique. Et puis ils boivent le caf\u00e9, lui tr\u00e8s vite s'en va car il sait qu'elle va \u00e0 nouveau parler d'argent, des factures qui s'accumulent, et \u00e7a va vite d\u00e9river sur les maux de hanche, de pieds et de genoux, et il se sent impuissant, ou plut\u00f4t une rage insens\u00e9e qui resurgit toujours point\u00e9e contre lui-m\u00eame et il casserait tout dans la baraque. Alors il pr\u00e9f\u00e8re prendre sa veste et sortir de la maison. Au tabac, \u00e0 l'angle de la rue, les deux jeunes qui ont repris le commerce ne rigolent plus trop. Il se souvient de la joie sur leurs visages il y a quelques mois de \u00e7a, juste apr\u00e8s le d\u00e9part des gros fachos qui tenaient le tabac avant. Ils \u00e9taient tout frais tout neufs, des jeunes qui en veulent, il s'\u00e9tait r\u00e9joui pour eux. Ils ont gal\u00e9r\u00e9 pas loin de six mois pour avoir le pr\u00eat de la banque, tu penses bien, des Turcs, \u00e7a ne fait pas de diff\u00e9rence avec les Arabes ici. Et puis de toute fa\u00e7on les banques ne pr\u00eatent qu'aux riches. Alors turc, jeune et pas riche, c'est forc\u00e9ment le tierc\u00e9 perdant. Ils sont l\u00e0 coinc\u00e9s dans ce tabac d\u00e9sormais de l'aube au matin sept sur sept sans jamais prendre de vacances. Ils m\u00e9riteraient une m\u00e9daille, pense-t-il en tentant le passage sans fil de la carte bleue sur la machine. Des munitions pour deux jours \u00e0 peine, il s'est remis \u00e0 fumer plus fort encore mais d'un autre c\u00f4t\u00e9 il se dit qu'il n'a gu\u00e8re que \u00e7a, ses clopes et son caf\u00e9 comme addiction et puis il n'a pas la force, voil\u00e0 tout. Hier encore il y avait la peinture mais bon, depuis des semaines les pinceaux sont rest\u00e9s dans les pots, la table de l'atelier est en bordel et il ne rentre plus dans celui-ci que pour filer \u00e0 bouffer au chat. C'\u00e9tait bient\u00f4t la fin du mois d'octobre, le retour des morts, l'antique f\u00eate de Samain, rebaptis\u00e9e d\u00e9sormais par les vendeurs de hamburgers d\u00e9goulinants et il se demande s'il ne va pas aller sur la tombe du p\u00e8re l\u00e0-bas \u00e0 la fronti\u00e8re du Cher et de l'Allier. Puis il se souvint que le vieux Kangoo est refus\u00e9 au contr\u00f4le technique, il est d\u00e9sormais parqu\u00e9 en attendant des jours meilleurs, \u00e0 l'abri des regards. Le p\u00e8lerinage ne se fera pas encore cette ann\u00e9e. Le froid arrive, pense-t-il, le brouillard montre d\u00e9j\u00e0 son nez au coin de la rue. Il va bient\u00f4t faire jour mais le soleil sera absent. Il rel\u00e8ve son col de veste et se dirige vers le grand caf\u00e9 qui ouvre dans un bruit grin\u00e7ant son rideau de fer. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/rue-brouillard.jpg?1766007160", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/nabuchodonosor-suite.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/nabuchodonosor-suite.html", "title": "Nabuchodonosor suite ", "date_published": "2019-10-25T20:28:00Z", "date_modified": "2025-12-20T23:17:48Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

De la fuite, de l’errance, du l\u00e2cher-prise, et du sabotage il semble que j’en connaisse un rayon et ce dans \u00e0 peu pr\u00e8s tous les domaines et \u00e7a me rappelle un r\u00eave bizarre que je fais enfant r\u00e9guli\u00e8rement.<\/p>\n

Un monde gris sans relief dans lequel je tombe lentement \u00e0 la renverse dans un temps ralenti. Me voici au sol immobile enfin. C’est alors qu’ils arrivent : toute la foule de petits personnages informes \u00e0 la voix \u00e9raill\u00e9e qui applaudissent d\u00e9sormais mon retour parmi eux.<\/p>\n

Ils m’entravent, me ligotent, jusqu’au point o\u00f9 je ne peux plus du tout bouger. Et \u00e0 chaque fois le m\u00eame sc\u00e9nario recommence :<\/p>\n

« Bon les gars, assez rigol\u00e9, je sais pertinemment que c’est un r\u00eave et que vous n’existez pas. » Je leur souris malignement et hop, je m’\u00e9vade en me r\u00e9veillant.<\/p>\n

Une seule fois, en changeant de c\u00f4t\u00e9 dans le lit, je suis presque aussit\u00f4t retomb\u00e9 dans le m\u00eame r\u00eave, mais j’ai compl\u00e8tement oubli\u00e9 la fin. Il ne m’en est rest\u00e9 qu’une amertume extraordinaire, in\u00e9dite, une sorte de capsule contenant toutes les amertumes pass\u00e9es et \u00e0 venir par la suite. L’essence de toutes les amertumes, une sorte d’\u00e9veil \u00e0 rebours.<\/p>\n

Dans cette chambre que je viens de trouver je me sens bien, je viens d’ouvrir la fen\u00eatre en grand, c’est l’automne et un air vif p\u00e9n\u00e8tre dans la pi\u00e8ce. Il ne doit pas \u00eatre plus de quatre heures du matin. Presque pas de bruit, aucune lumi\u00e8re sur la fa\u00e7ade de l’immeuble d’en face. Le caf\u00e9 coule dans la cafeti\u00e8re neuve que je viens d’acheter chez Tati, \u00e0 deux pas de l’h\u00f4tel.<\/p>\n

Une grande table ronde en bois tr\u00f4ne au milieu de la pi\u00e8ce, j’y ai pos\u00e9 ma pile de feuilles et un peu plus loin mes crayons, mes stylos dans une bo\u00eete de conserve en fer-blanc. Je vais me mettre au boulot sit\u00f4t le caf\u00e9 bu et la premi\u00e8re cigarette du matin allum\u00e9e. L’urgence est de mettre de l’ordre noir sur blanc, de ne pas se laisser aller, d’installer des rambardes, des garde-fous.<\/p>\n

J’\u00e9cris ainsi le matin de tr\u00e8s bonne heure en noircissant des pages et des pages sans me relire. Dans ces textes d\u00e9sormais perdus j’aligne \u00e0 la fois mes souvenirs douloureux, en tentant de trouver des issues philosophiques, scientifiques, mystiques \u00e0 ma col\u00e8re et ma violence et je songe \u00e0 Nabucho r\u00e9guli\u00e8rement.<\/p>\n

Que m’a-t-il dit peu avant mon d\u00e9part pour Paris ? Un soir o\u00f9, tellement ivre, j’avais tout cass\u00e9 dans leur appartement dans une rage et un d\u00e9sespoir minable ?<\/p>\n

« Ton esprit est malheureux mec, il faut que tu le nourrisses, que tu t’en occupes ! »<\/p>\n

J’avais fondu en larmes quand il avait prononc\u00e9 ces mots de sa voix grave et douce, lui attribuant tout \u00e0 coup la plus s\u00e9rieuse expertise sur la situation g\u00e9n\u00e9rale de mon \u00eatre.<\/p>\n

Alors c’\u00e9tait donc \u00e7a le probl\u00e8me, dans le fond je jouissais de la vie sans vergogne depuis des lustres et je ne donnais rien \u00e0 faire, rien \u00e0 manger \u00e0 mon esprit et donc je ne commettais rien de moins que la plus grande des fautes, des erreurs suivant mon bon ami initi\u00e9 aux saints du candombl\u00e9 de Bahia. Mon esprit ignor\u00e9, humili\u00e9 sans doute, se vengeait de ma personne en me faisant traverser et retraverser mille d\u00e9boires tant que je ne comprendrai pas enfin la le\u00e7on.<\/p>\n

Je ne suis plus tr\u00e8s s\u00fbr d\u00e9sormais que cette phrase qu’il pronon\u00e7a entre un whisky bien tass\u00e9 et une vodka ne fut pas adress\u00e9e \u00e0 lui tout autant qu’\u00e0 moi. Lui le po\u00e8te exil\u00e9 venu s’\u00e9chouer ici dans cette banlieue grise parisienne, assailli par des obligations familiales d\u00e9sormais, par l’alcool, et par le personnage qu’il avait d\u00fb inventer afin de survivre \u00e0 son propre g\u00e9nie destructeur.<\/p>\n

Pendant plusieurs mois je vais \u00e9crire ainsi en reprenant toutes les bribes, toutes les scories de mon existence et avec une sorte de d\u00e9go\u00fbt au final de ne pas \u00eatre capable de glisser vers la fiction pure, ce que j’imaginais \u00eatre une « vraie \u00e9criture », de l’art en quelque sorte, et donc je vais encore me d\u00e9sesp\u00e9rer et me traiter d’impuissant et de minable.<\/p>\n

J’ai quitt\u00e9 le magasin param\u00e9dical depuis quelques mois et je me suis inscrit au ch\u00f4mage. Je suis compl\u00e8tement seul et libre et une fois que j’ai achev\u00e9 d’\u00e9crire pendant trois heures chaque matin, la journ\u00e9e s’offre comme une \u00e9tendue infinie.<\/p>\n

En g\u00e9n\u00e9ral je m’allonge sur le lit pour me calmer, me d\u00e9tendre, j’esp\u00e8re dormir aussi mais en vain. Sans le savoir vraiment j’ai mis au point une technique respiratoire pour me calmer en inspirant par le ventre. Je plonge ainsi pendant quelques heures dans un \u00e9tat de non-\u00eatre, un oubli domestiquant peu \u00e0 peu le bruit incessant qui ne cesse de p\u00e9n\u00e9trer dans la petite pi\u00e8ce.<\/p>\n

En bas dans la rue, dans la journ\u00e9e le bruit est formidable, perp\u00e9tuel. La vie cogne aux vitres de la fen\u00eatre mais je l’absorbe peu \u00e0 peu comme une constance sans importance en respirant.<\/p>\n

Et le soir je quitte la chambre, je vais marcher par les rues, attir\u00e9 par Montmartre proche j’en gravis ses pentes en regardant les passants attabl\u00e9s aux comptoirs des caf\u00e9s ou sur les terrasses pas encore rentr\u00e9es.<\/p>\n

Un besoin de chaleur humaine sans doute me fait visiter tous les bars sur le parcours r\u00e9gulier que j’emprunte, je bois quelques verres et pour finir je rentre en titubant vers l’h\u00f4tel, plus d\u00e9go\u00fbt\u00e9 encore que jamais de cette compromission que je dois effectuer pour tenir dans mon existence merdique de solitaire d\u00e9sormais.<\/p>\n

L’alcool me d\u00e9sinhibe, me donne du courage pour aborder l’autre, dans le fond j’ai toujours \u00e9t\u00e9 d’une timidit\u00e9 maladive. Je pontifie, d\u00e9blat\u00e8re, vocif\u00e8re et conspue en public dans une toute-puissance de pacotille qui s’\u00e9vanouit \u00e0 l’aube d\u00e8s que j’entreprends d’aligner mes pauvres mots sur la feuille blanche.<\/p>\n

Comment donc s’appelait cette foutue garce de prof de fran\u00e7ais qui m’avait d\u00e9clar\u00e9 que je n’\u00e9tais qu’un nul en orthographe, en conjugaison, en tout ce qu’il faut en fait pour r\u00e9diger... son nom m’aura \u00e9chapp\u00e9. Et puis il y a aussi cette r\u00e9miniscence perp\u00e9tuelle de la voix du p\u00e8re qui ne cesse de m’affliger de tous ces « tu n’y arriveras jamais, tu n’es pas assez endurant, tu te fais des illusions, tu ne vaux pas tripette, tu es d\u00e9cevant ».<\/p>\n

La nuit je ressors pour aller chercher des cartons et des vieux journaux. Avec de la farine et de l’eau je fabrique de la colle et je fais des personnages en papier m\u00e2ch\u00e9, des masques. \u00c7a me d\u00e9tend et \u00e7a me regarde d’une fa\u00e7on neuve, une famili\u00e8re \u00e9tranget\u00e9 qui peu \u00e0 peu balbutie dans le silence de la chambre.<\/p>\n

En commen\u00e7ant \u00e0 \u00e9crire il y a maintenant des ann\u00e9es de cela j’ai l’impression d’\u00eatre parti un jour pour m’attaquer \u00e0 un Everest imaginaire. Je ne saurai dire aujourd’hui si j’ai jamais atteint son sommet, probablement pas et peu importe dans le fond. Mais j’ai s\u00fbrement b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 d’une gr\u00e2ce due de fa\u00e7on collat\u00e9rale \u00e0 l’\u00e9criture et \u00e0 la discipline qu’elle m’a toujours impos\u00e9e de chercher : la justesse. Et puis j’ai pu, et ce n’est pas la moindre des choses, remonter le fil de nombreux mensonges, ceux que je me suis invent\u00e9s moi-m\u00eame et ceux des autres bien s\u00fbr.<\/p>\n

La trace de Nabucho s’\u00e9vanouit peu \u00e0 peu, les mois et les ann\u00e9es pass\u00e8rent et je me retrouvai \u00e0 Montrouge dans un nouveau job quand je reconnus une voix famili\u00e8re qui m’appelait dans la rue un soir.<\/p>\n

C’\u00e9tait son \u00e9pouse qui habitait l\u00e0 d\u00e9sormais avec son petit dernier. Elle m’invita \u00e0 boire le th\u00e9 pour conna\u00eetre la fin de l’histoire.<\/p>", "content_text": " De la fuite, de l'errance, du l\u00e2cher-prise, et du sabotage il semble que j'en connaisse un rayon et ce dans \u00e0 peu pr\u00e8s tous les domaines et \u00e7a me rappelle un r\u00eave bizarre que je fais enfant r\u00e9guli\u00e8rement. Un monde gris sans relief dans lequel je tombe lentement \u00e0 la renverse dans un temps ralenti. Me voici au sol immobile enfin. C'est alors qu'ils arrivent : toute la foule de petits personnages informes \u00e0 la voix \u00e9raill\u00e9e qui applaudissent d\u00e9sormais mon retour parmi eux. Ils m'entravent, me ligotent, jusqu'au point o\u00f9 je ne peux plus du tout bouger. Et \u00e0 chaque fois le m\u00eame sc\u00e9nario recommence : \u00ab Bon les gars, assez rigol\u00e9, je sais pertinemment que c'est un r\u00eave et que vous n'existez pas. \u00bb Je leur souris malignement et hop, je m'\u00e9vade en me r\u00e9veillant. Une seule fois, en changeant de c\u00f4t\u00e9 dans le lit, je suis presque aussit\u00f4t retomb\u00e9 dans le m\u00eame r\u00eave, mais j'ai compl\u00e8tement oubli\u00e9 la fin. Il ne m'en est rest\u00e9 qu'une amertume extraordinaire, in\u00e9dite, une sorte de capsule contenant toutes les amertumes pass\u00e9es et \u00e0 venir par la suite. L'essence de toutes les amertumes, une sorte d'\u00e9veil \u00e0 rebours. Dans cette chambre que je viens de trouver je me sens bien, je viens d'ouvrir la fen\u00eatre en grand, c'est l'automne et un air vif p\u00e9n\u00e8tre dans la pi\u00e8ce. Il ne doit pas \u00eatre plus de quatre heures du matin. Presque pas de bruit, aucune lumi\u00e8re sur la fa\u00e7ade de l'immeuble d'en face. Le caf\u00e9 coule dans la cafeti\u00e8re neuve que je viens d'acheter chez Tati, \u00e0 deux pas de l'h\u00f4tel. Une grande table ronde en bois tr\u00f4ne au milieu de la pi\u00e8ce, j'y ai pos\u00e9 ma pile de feuilles et un peu plus loin mes crayons, mes stylos dans une bo\u00eete de conserve en fer-blanc. Je vais me mettre au boulot sit\u00f4t le caf\u00e9 bu et la premi\u00e8re cigarette du matin allum\u00e9e. L'urgence est de mettre de l'ordre noir sur blanc, de ne pas se laisser aller, d'installer des rambardes, des garde-fous. J'\u00e9cris ainsi le matin de tr\u00e8s bonne heure en noircissant des pages et des pages sans me relire. Dans ces textes d\u00e9sormais perdus j'aligne \u00e0 la fois mes souvenirs douloureux, en tentant de trouver des issues philosophiques, scientifiques, mystiques \u00e0 ma col\u00e8re et ma violence et je songe \u00e0 Nabucho r\u00e9guli\u00e8rement. Que m'a-t-il dit peu avant mon d\u00e9part pour Paris ? Un soir o\u00f9, tellement ivre, j'avais tout cass\u00e9 dans leur appartement dans une rage et un d\u00e9sespoir minable ? \u00ab Ton esprit est malheureux mec, il faut que tu le nourrisses, que tu t'en occupes ! \u00bb J'avais fondu en larmes quand il avait prononc\u00e9 ces mots de sa voix grave et douce, lui attribuant tout \u00e0 coup la plus s\u00e9rieuse expertise sur la situation g\u00e9n\u00e9rale de mon \u00eatre. Alors c'\u00e9tait donc \u00e7a le probl\u00e8me, dans le fond je jouissais de la vie sans vergogne depuis des lustres et je ne donnais rien \u00e0 faire, rien \u00e0 manger \u00e0 mon esprit et donc je ne commettais rien de moins que la plus grande des fautes, des erreurs suivant mon bon ami initi\u00e9 aux saints du candombl\u00e9 de Bahia. Mon esprit ignor\u00e9, humili\u00e9 sans doute, se vengeait de ma personne en me faisant traverser et retraverser mille d\u00e9boires tant que je ne comprendrai pas enfin la le\u00e7on. Je ne suis plus tr\u00e8s s\u00fbr d\u00e9sormais que cette phrase qu'il pronon\u00e7a entre un whisky bien tass\u00e9 et une vodka ne fut pas adress\u00e9e \u00e0 lui tout autant qu'\u00e0 moi. Lui le po\u00e8te exil\u00e9 venu s'\u00e9chouer ici dans cette banlieue grise parisienne, assailli par des obligations familiales d\u00e9sormais, par l'alcool, et par le personnage qu'il avait d\u00fb inventer afin de survivre \u00e0 son propre g\u00e9nie destructeur. Pendant plusieurs mois je vais \u00e9crire ainsi en reprenant toutes les bribes, toutes les scories de mon existence et avec une sorte de d\u00e9go\u00fbt au final de ne pas \u00eatre capable de glisser vers la fiction pure, ce que j'imaginais \u00eatre une \u00ab vraie \u00e9criture \u00bb, de l'art en quelque sorte, et donc je vais encore me d\u00e9sesp\u00e9rer et me traiter d'impuissant et de minable. J'ai quitt\u00e9 le magasin param\u00e9dical depuis quelques mois et je me suis inscrit au ch\u00f4mage. Je suis compl\u00e8tement seul et libre et une fois que j'ai achev\u00e9 d'\u00e9crire pendant trois heures chaque matin, la journ\u00e9e s'offre comme une \u00e9tendue infinie. En g\u00e9n\u00e9ral je m'allonge sur le lit pour me calmer, me d\u00e9tendre, j'esp\u00e8re dormir aussi mais en vain. Sans le savoir vraiment j'ai mis au point une technique respiratoire pour me calmer en inspirant par le ventre. Je plonge ainsi pendant quelques heures dans un \u00e9tat de non-\u00eatre, un oubli domestiquant peu \u00e0 peu le bruit incessant qui ne cesse de p\u00e9n\u00e9trer dans la petite pi\u00e8ce. En bas dans la rue, dans la journ\u00e9e le bruit est formidable, perp\u00e9tuel. La vie cogne aux vitres de la fen\u00eatre mais je l'absorbe peu \u00e0 peu comme une constance sans importance en respirant. Et le soir je quitte la chambre, je vais marcher par les rues, attir\u00e9 par Montmartre proche j'en gravis ses pentes en regardant les passants attabl\u00e9s aux comptoirs des caf\u00e9s ou sur les terrasses pas encore rentr\u00e9es. Un besoin de chaleur humaine sans doute me fait visiter tous les bars sur le parcours r\u00e9gulier que j'emprunte, je bois quelques verres et pour finir je rentre en titubant vers l'h\u00f4tel, plus d\u00e9go\u00fbt\u00e9 encore que jamais de cette compromission que je dois effectuer pour tenir dans mon existence merdique de solitaire d\u00e9sormais. L'alcool me d\u00e9sinhibe, me donne du courage pour aborder l'autre, dans le fond j'ai toujours \u00e9t\u00e9 d'une timidit\u00e9 maladive. Je pontifie, d\u00e9blat\u00e8re, vocif\u00e8re et conspue en public dans une toute-puissance de pacotille qui s'\u00e9vanouit \u00e0 l'aube d\u00e8s que j'entreprends d'aligner mes pauvres mots sur la feuille blanche. Comment donc s'appelait cette foutue garce de prof de fran\u00e7ais qui m'avait d\u00e9clar\u00e9 que je n'\u00e9tais qu'un nul en orthographe, en conjugaison, en tout ce qu'il faut en fait pour r\u00e9diger... son nom m'aura \u00e9chapp\u00e9. Et puis il y a aussi cette r\u00e9miniscence perp\u00e9tuelle de la voix du p\u00e8re qui ne cesse de m'affliger de tous ces \u00ab tu n'y arriveras jamais, tu n'es pas assez endurant, tu te fais des illusions, tu ne vaux pas tripette, tu es d\u00e9cevant \u00bb. La nuit je ressors pour aller chercher des cartons et des vieux journaux. Avec de la farine et de l'eau je fabrique de la colle et je fais des personnages en papier m\u00e2ch\u00e9, des masques. \u00c7a me d\u00e9tend et \u00e7a me regarde d'une fa\u00e7on neuve, une famili\u00e8re \u00e9tranget\u00e9 qui peu \u00e0 peu balbutie dans le silence de la chambre. En commen\u00e7ant \u00e0 \u00e9crire il y a maintenant des ann\u00e9es de cela j'ai l'impression d'\u00eatre parti un jour pour m'attaquer \u00e0 un Everest imaginaire. Je ne saurai dire aujourd'hui si j'ai jamais atteint son sommet, probablement pas et peu importe dans le fond. Mais j'ai s\u00fbrement b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 d'une gr\u00e2ce due de fa\u00e7on collat\u00e9rale \u00e0 l'\u00e9criture et \u00e0 la discipline qu'elle m'a toujours impos\u00e9e de chercher : la justesse. Et puis j'ai pu, et ce n'est pas la moindre des choses, remonter le fil de nombreux mensonges, ceux que je me suis invent\u00e9s moi-m\u00eame et ceux des autres bien s\u00fbr. La trace de Nabucho s'\u00e9vanouit peu \u00e0 peu, les mois et les ann\u00e9es pass\u00e8rent et je me retrouvai \u00e0 Montrouge dans un nouveau job quand je reconnus une voix famili\u00e8re qui m'appelait dans la rue un soir. C'\u00e9tait son \u00e9pouse qui habitait l\u00e0 d\u00e9sormais avec son petit dernier. 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Pour gagner sa vie de po\u00e8te exil\u00e9, Nabucho intervenait dans les \u00e9coles et apprenait aux enfants \u00e0 r\u00e9aliser des masques en papier m\u00e2ch\u00e9. Il ressemblait \u00e0 un gros nounours noir et sa voix \u00e9tait douce comme une caresse lascive et qui charriait pourtant des armes tranchantes aux gamins des cit\u00e9s.<\/p>\n

Il avait pass\u00e9 son enfance dans une famille modeste de Salvador de Bahia, oh pas une famille pauvre, il ne marchait pas pieds nus tous les jours. Quand il allait \u00e0 la maison des Saints, il mettait ses belles chaussures du dimanche et sa veste aux manches un peu trop courtes. D\u00e9j\u00e0 \u00e0 l’\u00e9poque il affectionnait d’appara\u00eetre un peu ridicule.<\/p>\n

Certains soirs de mai, il prenait sa guitare pour honorer Iemanja, la nature incarn\u00e9e dans ce dr\u00f4le de syncr\u00e9tisme cathoyorubesque, m\u00e9lange de vierge Marie et de Lilith africaine.<\/p>\n

Mais alors sa voix vous attrapait l’\u00e2me tout enti\u00e8re en vous cajolant de son intonation parfois enfantine.<\/p>\n

Il \u00e9tait ami avec toute la diaspora br\u00e9silienne et lorsque Gilberto Gil, de passage \u00e0 Paris, l’appela au t\u00e9l\u00e9phone alors que nous \u00e9tions en train de d\u00e9guster une de ses succulentes feijoadas, il m’invita \u00e0 l’accompagner.<\/p>\n

\u00c0 la v\u00e9rit\u00e9, j’ai oubli\u00e9 le lieu o\u00f9 se jouait le spectacle depuis, j’ai oubli\u00e9 le concert aussi. Non, tout ce qui m’est rest\u00e9 de ce soir-l\u00e0, ce sont leurs deux regards d’amiti\u00e9. Une tendresse \u00e9norme et une intelligence du c\u0153ur accompagn\u00e9e \u00e9videmment des d\u00e9bordements n\u00e9cessaires afin de conserver un semblant de pudeur.<\/p>\n

Ce fut ce jour-l\u00e0 que je compris que tout ce que Nabucho disait n’\u00e9tait pas toujours des histoires, des inventions, des mensonges et je me surpris \u00e0 l’admirer, moi qui n’admire pas grand monde en g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n

La pauvret\u00e9 qui accablait le foyer provoquait des crises conjugales \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition et toutes se soldaient g\u00e9n\u00e9ralement par une porte qui claquait et qui conduisait Nabucho au bistrot.<\/p>\n

Quand le boxeur fit son arriv\u00e9e, ma vie changea. Je payais une petite fortune pour la chambre que j’occupais \u00e0 l’h\u00f4tel voisin et il me proposa une chambre dans leur appartement. Le boxeur, sa compagne, une Serbe de dix ans son a\u00een\u00e9e, et un adolescent taciturne qu’elle avait eu d’un premier mariage, vivaient non loin de l\u00e0 dans des immeubles modernes, code de s\u00e9curit\u00e9, parking vid\u00e9osurveill\u00e9, ascenseur en bon \u00e9tat de fonctionnement.<\/p>\n

J’\u00e9tais tellement l\u00e9ger d’argent \u00e0 ce moment-l\u00e0 que ce fut une b\u00e9n\u00e9diction en apparence et je n’oubliai pas de remercier la providence. Mais en fait ce fut vraiment l\u00e0 que je compris totalement l’expression « il vaut mieux un petit chez soi qu’un grand chez les autres ».<\/p>\n

Car \u00e0 peine avais-je pos\u00e9 mon sac dans cette nouvelle chambre que je compris le but recherch\u00e9 par le boxeur. Il ne d\u00e9sirait pas moins que je satisfasse sexuellement sa compagne qui avait en cette mati\u00e8re un app\u00e9tit d’ogresse.<\/p>\n

En tout cas cela me permit, je veux dire cette \u00e9conomie sur mon maigre budget, de remonter une pente financi\u00e8rement abrupte. Peu de temps apr\u00e8s, je changeai de job en m\u00eame temps que je levai le pied sur l’alcool. J’avais trouv\u00e9 un job de responsable commercial dans un magasin de mat\u00e9riel param\u00e9dical \u00e0 deux pas.<\/p>\n

Je ne voyais plus gu\u00e8re mon ami Nabucho \u00e9tant rentr\u00e9 dans le ronronnement des semaines qui s’enfilent selon un rythme laborieux, les saisons passaient et je ne les voyais gu\u00e8re que par les vitres de l’autobus qui me conduisait \u00e0 mon nouvel emploi.<\/p>\n

Les deux acolytes qui \u00e9taient alors mes patrons avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9pat\u00e9s \u00e0 l’embauche par le simple fait que je ne me d\u00e9monte de rien. Ils avaient pourtant essay\u00e9 en m’assaillant de questions loufoques juste pour voir si je perdais ou non mon calme. Une sorte de test paramilitaire qui m’avait surpris bien s\u00fbr mais bon, j’avoue que d\u00e9sormais il n’y a plus vraiment de r\u00e8gles pour l’embauche, c’est la foire d’empoigne et puis voil\u00e0.<\/p>\n

Mon boulot demandait effectivement des nerfs. Je voyais arriver l\u00e0 tous les culs-de-jatte du monde, quand ce n’\u00e9tait pas les m\u00e8res pondeuses \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition qui s’enqu\u00e9raient r\u00e9guli\u00e8rement des prix des couches. De temps en temps je l\u00e2chais une ou deux canules entre quelques ventes de fauteuils roulants ou de lits m\u00e9dicalis\u00e9s. Mais le pire \u00e0 endurer \u00e9tait la livraison des bonbonnes d’oxyg\u00e8ne aux presque mourants du coin.<\/p>\n

J’en ai vu des jeunes et des moins jeunes m’accueillir avec des r\u00e2les de joie et des regards mouill\u00e9s de soulagement. J’\u00e9tais le pourvoyeur d’air pur dans des univers \u00e0 l’atmosph\u00e8re \u00e9paisse \u00e9pic\u00e9s d’odeur de merde et de pisse.<\/p>\n

J’ai d\u00fb tenir une bonne ann\u00e9e par tous les temps et je serais s\u00fbrement rest\u00e9 si mes patrons ne s’\u00e9taient pas soudain ouverts \u00e0 moi d’une lubie que je n’avais pas encore relev\u00e9e chez eux.<\/p>\n

En effet, un soir, alors que je faisais les comptes du magasin, le plus jeune poussa ma porte avec un sourire de faux cul magnifique et me demanda si je m’int\u00e9ressais \u00e0 la religion.<\/p>\n

Je r\u00e9pondis que je n’\u00e9tais pas pratiquant de rien mais qu’accessoirement je croyais \u00e0 une sorte d’au-del\u00e0. Du moins vu le merdier de l’ici, \u00e7a aidait \u00e0 tenir qu’il puisse exister un ailleurs fabuleux.<\/p>\n

Et le voil\u00e0 \u00e0 me narrer tout de go qu’ils appartiennent tous les deux \u00e0 un groupe de personnes qui « savent » parce qu’ils sont conduits par une magicienne incroyable qui aurait le pouvoir de lire les \u00e2mes, d\u00e9nouer tous les n\u0153uds \u00e9nerg\u00e9tiques, j’en passe et des meilleures, pour arriver au fait : ils voudraient, ces deux-l\u00e0, que je puisse les accompagner un soir pour me pr\u00e9senter.<\/p>\n

Ce que j’ai compris, c’est qu’il fallait qu’ils m’am\u00e8nent pour \u00eatre auscult\u00e9 par leur mentor et savoir si j’\u00e9tais tellement une personne de confiance que \u00e7a.<\/p>\n

Ils n’avaient pas compl\u00e8tement tort \u00e0 vrai dire vu que j’empochais quand m\u00eame un billet par-ci un billet par-l\u00e0 que je ne fourrais pas dans leur putain de caisse enregistreuse.<\/p>", "content_text": " Pour gagner sa vie de po\u00e8te exil\u00e9, Nabucho intervenait dans les \u00e9coles et apprenait aux enfants \u00e0 r\u00e9aliser des masques en papier m\u00e2ch\u00e9. Il ressemblait \u00e0 un gros nounours noir et sa voix \u00e9tait douce comme une caresse lascive et qui charriait pourtant des armes tranchantes aux gamins des cit\u00e9s. Il avait pass\u00e9 son enfance dans une famille modeste de Salvador de Bahia, oh pas une famille pauvre, il ne marchait pas pieds nus tous les jours. Quand il allait \u00e0 la maison des Saints, il mettait ses belles chaussures du dimanche et sa veste aux manches un peu trop courtes. D\u00e9j\u00e0 \u00e0 l'\u00e9poque il affectionnait d'appara\u00eetre un peu ridicule. Certains soirs de mai, il prenait sa guitare pour honorer Iemanja, la nature incarn\u00e9e dans ce dr\u00f4le de syncr\u00e9tisme cathoyorubesque, m\u00e9lange de vierge Marie et de Lilith africaine. Mais alors sa voix vous attrapait l'\u00e2me tout enti\u00e8re en vous cajolant de son intonation parfois enfantine. Il \u00e9tait ami avec toute la diaspora br\u00e9silienne et lorsque Gilberto Gil, de passage \u00e0 Paris, l'appela au t\u00e9l\u00e9phone alors que nous \u00e9tions en train de d\u00e9guster une de ses succulentes feijoadas, il m'invita \u00e0 l'accompagner. \u00c0 la v\u00e9rit\u00e9, j'ai oubli\u00e9 le lieu o\u00f9 se jouait le spectacle depuis, j'ai oubli\u00e9 le concert aussi. Non, tout ce qui m'est rest\u00e9 de ce soir-l\u00e0, ce sont leurs deux regards d'amiti\u00e9. Une tendresse \u00e9norme et une intelligence du c\u0153ur accompagn\u00e9e \u00e9videmment des d\u00e9bordements n\u00e9cessaires afin de conserver un semblant de pudeur. Ce fut ce jour-l\u00e0 que je compris que tout ce que Nabucho disait n'\u00e9tait pas toujours des histoires, des inventions, des mensonges et je me surpris \u00e0 l'admirer, moi qui n'admire pas grand monde en g\u00e9n\u00e9ral. La pauvret\u00e9 qui accablait le foyer provoquait des crises conjugales \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition et toutes se soldaient g\u00e9n\u00e9ralement par une porte qui claquait et qui conduisait Nabucho au bistrot. Quand le boxeur fit son arriv\u00e9e, ma vie changea. Je payais une petite fortune pour la chambre que j'occupais \u00e0 l'h\u00f4tel voisin et il me proposa une chambre dans leur appartement. Le boxeur, sa compagne, une Serbe de dix ans son a\u00een\u00e9e, et un adolescent taciturne qu'elle avait eu d'un premier mariage, vivaient non loin de l\u00e0 dans des immeubles modernes, code de s\u00e9curit\u00e9, parking vid\u00e9osurveill\u00e9, ascenseur en bon \u00e9tat de fonctionnement. J'\u00e9tais tellement l\u00e9ger d'argent \u00e0 ce moment-l\u00e0 que ce fut une b\u00e9n\u00e9diction en apparence et je n'oubliai pas de remercier la providence. Mais en fait ce fut vraiment l\u00e0 que je compris totalement l'expression \u00ab il vaut mieux un petit chez soi qu'un grand chez les autres \u00bb. Car \u00e0 peine avais-je pos\u00e9 mon sac dans cette nouvelle chambre que je compris le but recherch\u00e9 par le boxeur. Il ne d\u00e9sirait pas moins que je satisfasse sexuellement sa compagne qui avait en cette mati\u00e8re un app\u00e9tit d'ogresse. En tout cas cela me permit, je veux dire cette \u00e9conomie sur mon maigre budget, de remonter une pente financi\u00e8rement abrupte. Peu de temps apr\u00e8s, je changeai de job en m\u00eame temps que je levai le pied sur l'alcool. J'avais trouv\u00e9 un job de responsable commercial dans un magasin de mat\u00e9riel param\u00e9dical \u00e0 deux pas. Je ne voyais plus gu\u00e8re mon ami Nabucho \u00e9tant rentr\u00e9 dans le ronronnement des semaines qui s'enfilent selon un rythme laborieux, les saisons passaient et je ne les voyais gu\u00e8re que par les vitres de l'autobus qui me conduisait \u00e0 mon nouvel emploi. Les deux acolytes qui \u00e9taient alors mes patrons avaient \u00e9t\u00e9 \u00e9pat\u00e9s \u00e0 l'embauche par le simple fait que je ne me d\u00e9monte de rien. Ils avaient pourtant essay\u00e9 en m'assaillant de questions loufoques juste pour voir si je perdais ou non mon calme. Une sorte de test paramilitaire qui m'avait surpris bien s\u00fbr mais bon, j'avoue que d\u00e9sormais il n'y a plus vraiment de r\u00e8gles pour l'embauche, c'est la foire d'empoigne et puis voil\u00e0. Mon boulot demandait effectivement des nerfs. Je voyais arriver l\u00e0 tous les culs-de-jatte du monde, quand ce n'\u00e9tait pas les m\u00e8res pondeuses \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition qui s'enqu\u00e9raient r\u00e9guli\u00e8rement des prix des couches. De temps en temps je l\u00e2chais une ou deux canules entre quelques ventes de fauteuils roulants ou de lits m\u00e9dicalis\u00e9s. Mais le pire \u00e0 endurer \u00e9tait la livraison des bonbonnes d'oxyg\u00e8ne aux presque mourants du coin. J'en ai vu des jeunes et des moins jeunes m'accueillir avec des r\u00e2les de joie et des regards mouill\u00e9s de soulagement. J'\u00e9tais le pourvoyeur d'air pur dans des univers \u00e0 l'atmosph\u00e8re \u00e9paisse \u00e9pic\u00e9s d'odeur de merde et de pisse. J'ai d\u00fb tenir une bonne ann\u00e9e par tous les temps et je serais s\u00fbrement rest\u00e9 si mes patrons ne s'\u00e9taient pas soudain ouverts \u00e0 moi d'une lubie que je n'avais pas encore relev\u00e9e chez eux. En effet, un soir, alors que je faisais les comptes du magasin, le plus jeune poussa ma porte avec un sourire de faux cul magnifique et me demanda si je m'int\u00e9ressais \u00e0 la religion. Je r\u00e9pondis que je n'\u00e9tais pas pratiquant de rien mais qu'accessoirement je croyais \u00e0 une sorte d'au-del\u00e0. Du moins vu le merdier de l'ici, \u00e7a aidait \u00e0 tenir qu'il puisse exister un ailleurs fabuleux. Et le voil\u00e0 \u00e0 me narrer tout de go qu'ils appartiennent tous les deux \u00e0 un groupe de personnes qui \u00ab savent \u00bb parce qu'ils sont conduits par une magicienne incroyable qui aurait le pouvoir de lire les \u00e2mes, d\u00e9nouer tous les n\u0153uds \u00e9nerg\u00e9tiques, j'en passe et des meilleures, pour arriver au fait : ils voudraient, ces deux-l\u00e0, que je puisse les accompagner un soir pour me pr\u00e9senter. Ce que j'ai compris, c'est qu'il fallait qu'ils m'am\u00e8nent pour \u00eatre auscult\u00e9 par leur mentor et savoir si j'\u00e9tais tellement une personne de confiance que \u00e7a. Ils n'avaient pas compl\u00e8tement tort \u00e0 vrai dire vu que j'empochais quand m\u00eame un billet par-ci un billet par-l\u00e0 que je ne fourrais pas dans leur putain de caisse enregistreuse. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/mg_1084.webp?1766005851", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/traverser-le-miroir.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/traverser-le-miroir.html", "title": "Traverser le miroir", "date_published": "2019-10-20T20:07:00Z", "date_modified": "2025-12-20T23:18:13Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Pour la plupart des gens, quand ils voient un type en guenilles, un clodo, ils regardent leur montre, leur portable, le sol ou je ne sais quoi du moment que ce n’est pas justement ce type. Ils ne prennent m\u00eame pas un instant pour y penser, ils zappent. Ils continuent leur trajectoire pour se rendre \u00e0 un lieu plus ou moins d\u00e9termin\u00e9 dans leur esprit, le seul fait d’avoir une destination les r\u00e9conforte, si on peut dire.<\/p>\n

C’est comme \u00e7a que j’ai aper\u00e7u le type sur le banc en train de s’enfiler une bi\u00e8re \u00e0 haute teneur en alcool, une grosse canette noire et argent\u00e9e et quand je passe \u00e0 sa port\u00e9e, \u00e9videmment, il me h\u00e8le pour me r\u00e9clamer deux ronds. Du coup, c’est pas le jour, je me dis, je continue ma route sauf que moi je n’ai pas vraiment de destination ce matin-l\u00e0 pr\u00e9cis\u00e9ment. Du coup je me retourne et je lui fais un joli doigt d’honneur. Y a des matins comme \u00e7a o\u00f9 je ne suis pas \u00e0 prendre avec des pincettes.<\/p>\n

Et puis je l’entends gueuler \u00e9videmment, « connard » et l\u00e0 j’ai envie de revenir sur mes pas pour lui en flanquer une mais bon je me dis : ce pauvre type n’y est franchement pour rien si tu t’es s\u00e9par\u00e9 d’avec Fran\u00e7oise.<\/p>\n

Du coup c’est une petite \u00e9claircie et je me sens g\u00e9n\u00e9reux rien que pour \u00e7a, alors j’y retourne et je m’assieds m\u00eame \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de lui.<\/p>\n