{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Hopper-ou-l-elegance-de-l-insignifiant.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Hopper-ou-l-elegance-de-l-insignifiant.html", "title": "Hopper, ou l'\u00e9l\u00e9gance de l'insignifiant", "date_published": "2019-11-28T08:53:39Z", "date_modified": "2025-12-21T08:59:17Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Il y a cette station-service. Seule. Presque vide. \"Gas\", dit le tableau. Un mot. Court. Brut. Et pourtant, tout y est.<\/p>\n
Une lumi\u00e8re diffuse, en bout de journ\u00e9e peut-\u00eatre. Rien ne bouge. Ou si peu. L\u2019homme, silhouette pench\u00e9e, affair\u00e9e \u00e0 quelque chose. Un geste quotidien. R\u00e9p\u00e9t\u00e9 mille fois. Sans int\u00e9r\u00eat. Mais regardez mieux.<\/p>\n
\"Mobilegas\", lit-on sur la pancarte. On pense \u00e0 P\u00e9gase. On ne sait pas pourquoi. Peut-\u00eatre \u00e0 cause du cheval. Ou de l\u2019envol. Une image qui se d\u00e9robe. Hopper ne montre rien, il sugg\u00e8re. C\u2019est sa mani\u00e8re.<\/p>\n
La sc\u00e8ne, prise trop t\u00f4t. Ou trop tard. Un peu comme une photo manqu\u00e9e. Mais volontairement. C\u2019est l\u00e0 tout l\u2019art.<\/p>\n
Il y a chez Hopper un refus. Subtil. \u00c9l\u00e9gant. De raconter. De donner un sens. Il peint l\u2019interstice. Le battement vide entre deux actions. Ce qu\u2019on ignore, d\u2019ordinaire. Ce qu\u2019on oublie.<\/p>\n
Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui inqui\u00e8te.<\/p>\n
L\u2019« inqui\u00e9tante \u00e9tranget\u00e9 », disait Freud. Das Unheimliche. Hitchcock, lui aussi, connaissait \u00e7a. L\u2019homme qui regarde par la fen\u00eatre. Et rien ne se passe. Pas encore. Mais on reste. On attend. Parce qu\u2019on sait. Que quelque chose va arriver.<\/p>\n
Chez Hopper, c\u2019est pareil. L\u2019\u00e9v\u00e9nement est suspendu. Juste hors champ. La tension est dans la lumi\u00e8re. Dans la fixit\u00e9. Dans l\u2019ordinaire trop scrut\u00e9.<\/p>\n
Un bureau. Une femme. Un homme. C\u2019est \"La nuit au bureau\". La sc\u00e8ne pourrait \u00eatre banale. Mais elle ne l\u2019est pas. La femme regarde l\u2019homme. Ou bien c\u2019est l\u2019inverse. Cela d\u00e9pend des esquisses. Hopper h\u00e9site. Puis tranche. Mais laisse le doute.<\/p>\n
Comme dans un flip-book silencieux, les regards s\u2019animent. L\u2019un vers l\u2019autre. L\u2019un contre l\u2019autre. Et rien ne se dit.<\/p>\n
Hopper n\u2019est pas r\u00e9aliste. Il est au-del\u00e0. Il peint ce que nous n\u2019osons plus voir. Ce que nous fuyons : le banal. L\u2019ennui. L\u2019attente.<\/p>\n
Il peint notre vie. Celle que nous ne regardons jamais.<\/p>\n
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>",
"content_text": " Il y a cette station-service. Seule. Presque vide. \"Gas\", dit le tableau. Un mot. Court. Brut. Et pourtant, tout y est. Une lumi\u00e8re diffuse, en bout de journ\u00e9e peut-\u00eatre. Rien ne bouge. Ou si peu. L\u2019homme, silhouette pench\u00e9e, affair\u00e9e \u00e0 quelque chose. Un geste quotidien. R\u00e9p\u00e9t\u00e9 mille fois. Sans int\u00e9r\u00eat. Mais regardez mieux. \"Mobilegas\", lit-on sur la pancarte. On pense \u00e0 P\u00e9gase. On ne sait pas pourquoi. Peut-\u00eatre \u00e0 cause du cheval. Ou de l\u2019envol. Une image qui se d\u00e9robe. Hopper ne montre rien, il sugg\u00e8re. C\u2019est sa mani\u00e8re. La sc\u00e8ne, prise trop t\u00f4t. Ou trop tard. Un peu comme une photo manqu\u00e9e. Mais volontairement. C\u2019est l\u00e0 tout l\u2019art. Il y a chez Hopper un refus. Subtil. \u00c9l\u00e9gant. De raconter. De donner un sens. Il peint l\u2019interstice. Le battement vide entre deux actions. Ce qu\u2019on ignore, d\u2019ordinaire. Ce qu\u2019on oublie. Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui inqui\u00e8te. L\u2019\u00ab inqui\u00e9tante \u00e9tranget\u00e9 \u00bb, disait Freud. Das Unheimliche. Hitchcock, lui aussi, connaissait \u00e7a. L\u2019homme qui regarde par la fen\u00eatre. Et rien ne se passe. Pas encore. Mais on reste. On attend. Parce qu\u2019on sait. Que quelque chose va arriver. Chez Hopper, c\u2019est pareil. L\u2019\u00e9v\u00e9nement est suspendu. Juste hors champ. La tension est dans la lumi\u00e8re. Dans la fixit\u00e9. Dans l\u2019ordinaire trop scrut\u00e9. Un bureau. Une femme. Un homme. C\u2019est \"La nuit au bureau\". La sc\u00e8ne pourrait \u00eatre banale. Mais elle ne l\u2019est pas. La femme regarde l\u2019homme. Ou bien c\u2019est l\u2019inverse. Cela d\u00e9pend des esquisses. Hopper h\u00e9site. Puis tranche. Mais laisse le doute. Comme dans un flip-book silencieux, les regards s\u2019animent. L\u2019un vers l\u2019autre. L\u2019un contre l\u2019autre. Et rien ne se dit. Hopper n\u2019est pas r\u00e9aliste. Il est au-del\u00e0. Il peint ce que nous n\u2019osons plus voir. Ce que nous fuyons : le banal. L\u2019ennui. L\u2019attente. Il peint notre vie. Celle que nous ne regardons jamais. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-novembre-2019.html",
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"title": "24 novembre 2019",
"date_published": "2019-11-24T07:23:00Z",
"date_modified": "2025-12-21T09:47:28Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "\u00c9crire un livre a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0, une t\u00e2che de fond. J\u2019y ai renonc\u00e9, faute de forme. Roman, essais, nouvelles, autofiction — je tentais de rapprocher ma production d\u2019une forme existante. Une forme rassurante. La question revient en voyant la quantit\u00e9 de textes \u00e9crits ici. Quant \u00e0 moi, je n\u2019en sais rien. J\u2019\u00e9cris au jour le jour, comme un paysan va aux champs. Parce que c\u2019est son quotidien. Parce que sans cela, il ne peut pas vivre. Un paysan vit de peu. De l\u2019amour de son travail, d\u2019eau fra\u00eeche, et d\u2019une r\u00e9gularit\u00e9 t\u00eatue.<\/p>", "content_text": "\u00c9crire un livre a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0, une t\u00e2che de fond. J\u2019y ai renonc\u00e9, faute de forme. Roman, essais, nouvelles, autofiction \u2014 je tentais de rapprocher ma production d\u2019une forme existante. Une forme rassurante. La question revient en voyant la quantit\u00e9 de textes \u00e9crits ici. Quant \u00e0 moi, je n\u2019en sais rien. J\u2019\u00e9cris au jour le jour, comme un paysan va aux champs. Parce que c\u2019est son quotidien. Parce que sans cela, il ne peut pas vivre. Un paysan vit de peu. De l\u2019amour de son travail, d\u2019eau fra\u00eeche, et d\u2019une r\u00e9gularit\u00e9 t\u00eatue. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lu-hui-peintre.jpg?1748065124", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "Autofiction et Introspection", "peintres"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-novembre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-novembre-2019.html", "title": "17 novembre 2019", "date_published": "2019-11-17T07:19:00Z", "date_modified": "2025-12-21T09:47:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nLa nuit existe. Elle est en nous. On peut \u00e9clairer la ville, la rue, la maison, elle ne dispara\u00eet pas. Elle ne dispara\u00eetra jamais.<\/p>\n
Je me souviens d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 par un texte des pr\u00e9socratiques qui soulignait l\u2019importance que certains accordaient \u00e0 la nuit. Elle \u00e9tait l\u00e0 au tout d\u00e9but, et elle sera encore l\u00e0 apr\u00e8s que toute lumi\u00e8re aura disparu.<\/p>\n
La nuit est un territoire sans limite, et ce n\u2019est pas le jour qui p\u00e2lit, \u00e0 l\u2019aube de nos soci\u00e9t\u00e9s exsangues, qui pourra imposer une barri\u00e8re s\u00fbre \u00e0 celle-ci.<\/p>\n
La barbarie, que nous rejetons depuis si longtemps, l\u2019associant inconsciemment \u00e0 la nuit de l\u2019intelligence, \u00e0 la nuit de la bienveillance, \u00e0 la nuit de la civilisation, n\u2019existe pas vraiment.<\/p>\n
Elle n\u2019a jamais vraiment exist\u00e9, pas plus que toutes ces cr\u00e9atures invraisemblables que l\u2019on attribue \u00e0 la nuit.<\/p>\n
La barbarie agit toujours en plein jour, sous un soleil \u00e9clatant, celui-l\u00e0 m\u00eame que l\u2019on ne peut regarder en face, tant il aveugle.<\/p>\n
La nuit, tous les chats sont gris. Ils rev\u00eatent l\u2019uniforme de l\u2019indistinct, de l\u2019indiff\u00e9renci\u00e9, pour entrer dans l\u2019immanence.<\/p>\n
Qu\u2019une souris passe, elle est croqu\u00e9e. Qu\u2019une femelle passe, c\u2019est une femelle comme les autres. Pas besoin d\u2019entretenir de familiarit\u00e9 ou de reconnaissance.<\/p>\n
La nuit gomme les couleurs, tout comme elle gomme les sentiments personnels, et il arrive que nous perdions ainsi nos fameux points de rep\u00e8re.<\/p>\n
\u00c0 moins que l\u2019on ne l\u00e8ve la t\u00eate et que l\u2019on se fie aux constellations. Ces lumi\u00e8res, t\u00e9moins de leur disparition depuis des mill\u00e9naires, traversent la nuit pour guider les voyageurs.<\/p>", "content_text": "La nuit existe. Elle est en nous. On peut \u00e9clairer la ville, la rue, la maison, elle ne dispara\u00eet pas. Elle ne dispara\u00eetra jamais. Je me souviens d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 par un texte des pr\u00e9socratiques qui soulignait l\u2019importance que certains accordaient \u00e0 la nuit. Elle \u00e9tait l\u00e0 au tout d\u00e9but, et elle sera encore l\u00e0 apr\u00e8s que toute lumi\u00e8re aura disparu. La nuit est un territoire sans limite, et ce n\u2019est pas le jour qui p\u00e2lit, \u00e0 l\u2019aube de nos soci\u00e9t\u00e9s exsangues, qui pourra imposer une barri\u00e8re s\u00fbre \u00e0 celle-ci. La barbarie, que nous rejetons depuis si longtemps, l\u2019associant inconsciemment \u00e0 la nuit de l\u2019intelligence, \u00e0 la nuit de la bienveillance, \u00e0 la nuit de la civilisation, n\u2019existe pas vraiment. Elle n\u2019a jamais vraiment exist\u00e9, pas plus que toutes ces cr\u00e9atures invraisemblables que l\u2019on attribue \u00e0 la nuit. La barbarie agit toujours en plein jour, sous un soleil \u00e9clatant, celui-l\u00e0 m\u00eame que l\u2019on ne peut regarder en face, tant il aveugle. La nuit, tous les chats sont gris. Ils rev\u00eatent l\u2019uniforme de l\u2019indistinct, de l\u2019indiff\u00e9renci\u00e9, pour entrer dans l\u2019immanence. Qu\u2019une souris passe, elle est croqu\u00e9e. Qu\u2019une femelle passe, c\u2019est une femelle comme les autres. Pas besoin d\u2019entretenir de familiarit\u00e9 ou de reconnaissance. La nuit gomme les couleurs, tout comme elle gomme les sentiments personnels, et il arrive que nous perdions ainsi nos fameux points de rep\u00e8re. \u00c0 moins que l\u2019on ne l\u00e8ve la t\u00eate et que l\u2019on se fie aux constellations. Ces lumi\u00e8res, t\u00e9moins de leur disparition depuis des mill\u00e9naires, traversent la nuit pour guider les voyageurs. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0150.jpg?1748065120", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/ecrire-968.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/ecrire-968.html", "title": "Ecrire", "date_published": "2019-11-15T07:50:16Z", "date_modified": "2025-12-21T09:47:54Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
J’ai pris l’habitude d’\u00e9crire chaque jour, assez souvent chaque nuit, le jour et la nuit se m\u00e9langeant dans l’acte d’\u00e9crire.<\/p>\n
Je me creuse moins la t\u00eate qu’auparavant plus jeune o\u00f9 je cherchais mes mots, ignorant quoi \u00e9crire \u00e0 chaque fois que j’ouvrais un carnet.<\/p>\n
D\u00e9sormais je n’ai plus qu’\u00e0 ouvrir la page neuve de ce logiciel et poser un mot comme fanal en titre pour que tout coule au fur et \u00e0 mesure comme une eau parfois trouble, parfois vive selon l’humeur.<\/p>\n
Ecrire est devenu une addiction tranquille qui ne d\u00e9range personne.<\/p>\n
Ecrire m’aide \u00e0 tenir pour le reste du temps de la journ\u00e9e \u00e0 traverser \u00e0 me resserrer un peu avant de m’\u00e9parpiller.<\/p>\n
Ecrire me donne parfois l’impression de m’\u00eatre utile, ou compl\u00e8tement inutile, cela aussi c’est selon.<\/p>\n
Selon le dernier repas pris<\/p>\n
selon le climat<\/p>\n
Selon ce qui me traverse aussi \u00e0 cet instant ou je d\u00e9cide de m’immobiliser sur la chaise, au bureau pour me mettre \u00e0 table noir sur blanc.<\/p>\n
Je ne sais pas pourquoi je passe par l’\u00e9criture plutot que par la peinture.<\/p>\n
Je pourrais faire la m\u00eame chose avec le dessin, la peinture. Me dire aller \u00e0 table et tous les jours un peu noircis et coloris des feuilles, des toiles, tu sais maintenant que \u00e7a s’accumule<\/p>\n
que chaque jour est une partie \u00e0 produire<\/p>\n
comme la pierre que l’on pose entre deux pierres.<\/p>\n
Cependant que je ne m’y r\u00e9soud pas bien dans le dessin et la peinture.<\/p>\n
Jusqu’\u00e0 me dire aussi que je ne suis pas dessinateur, ni peintre, que j’ai emprunt\u00e9 un personnage encore qui jour le dessinateur et le peintre et qui n’est pas moi.<\/p>\n
C’est une grande question ces jours derniers de savoir quoi dessiner et quoi peindre d\u00e9sormais.<\/p>\n
Un vide encore<\/p>\n
Que je tente de combler maladroitement en remplissant d’autres trous tout autour de celui ci.<\/p>\n
L’\u00e9criture est une pelle sans doute une pelle ou une pioche qui sert \u00e0 la fois \u00e0 creuser et combler ce fichu trou.<\/p>\n
Le trou form\u00e9 par les mensonges, les illusions, leur acidit\u00e9 corrosive.<\/p>\n
Je m’y enfonce chaque jour chaque nuit un peu plus comme dans une sorte d’aveu.<\/p>\n
Et quand je me pose la question de savoir \u00e0 qui cela est adress\u00e9<\/p>\n
Est ce \u00e0 moi ?<\/p>\n
Est ce \u00e0 toi ?<\/p>\n
Je pr\u00e9f\u00e8re m’extraire de la chaise d’un seul coup, et me retrouver dans la cour \u00e0 fumer en regardant les petits paquets de la neige qui fond, qui ne tiennent pas.<\/p>", "content_text": "J'ai pris l'habitude d'\u00e9crire chaque jour, assez souvent chaque nuit, le jour et la nuit se m\u00e9langeant dans l'acte d'\u00e9crire.\n\nJe me creuse moins la t\u00eate qu'auparavant plus jeune o\u00f9 je cherchais mes mots, ignorant quoi \u00e9crire \u00e0 chaque fois que j'ouvrais un carnet.\n\nD\u00e9sormais je n'ai plus qu'\u00e0 ouvrir la page neuve de ce logiciel et poser un mot comme fanal en titre pour que tout coule au fur et \u00e0 mesure comme une eau parfois trouble, parfois vive selon l'humeur.\n\nEcrire est devenu une addiction tranquille qui ne d\u00e9range personne.\n\nEcrire m'aide \u00e0 tenir pour le reste du temps de la journ\u00e9e \u00e0 traverser \u00e0 me resserrer un peu avant de m'\u00e9parpiller.\n\nEcrire me donne parfois l'impression de m'\u00eatre utile, ou compl\u00e8tement inutile, cela aussi c'est selon.\n\nSelon le dernier repas pris\n\nselon le climat \n\nSelon ce qui me traverse aussi \u00e0 cet instant ou je d\u00e9cide de m'immobiliser sur la chaise, au bureau pour me mettre \u00e0 table noir sur blanc.\n\nJe ne sais pas pourquoi je passe par l'\u00e9criture plutot que par la peinture.\n\nJe pourrais faire la m\u00eame chose avec le dessin, la peinture. Me dire aller \u00e0 table et tous les jours un peu noircis et coloris des feuilles, des toiles, tu sais maintenant que \u00e7a s'accumule \n\nque chaque jour est une partie \u00e0 produire\n\ncomme la pierre que l'on pose entre deux pierres.\n\nCependant que je ne m'y r\u00e9soud pas bien dans le dessin et la peinture.\n\nJusqu'\u00e0 me dire aussi que je ne suis pas dessinateur, ni peintre, que j'ai emprunt\u00e9 un personnage encore qui jour le dessinateur et le peintre et qui n'est pas moi.\n\nC'est une grande question ces jours derniers de savoir quoi dessiner et quoi peindre d\u00e9sormais.\n\nUn vide encore\n\nQue je tente de combler maladroitement en remplissant d'autres trous tout autour de celui ci.\n\nL'\u00e9criture est une pelle sans doute une pelle ou une pioche qui sert \u00e0 la fois \u00e0 creuser et combler ce fichu trou.\n\nLe trou form\u00e9 par les mensonges, les illusions, leur acidit\u00e9 corrosive.\n\nJe m'y enfonce chaque jour chaque nuit un peu plus comme dans une sorte d'aveu.\n\nEt quand je me pose la question de savoir \u00e0 qui cela est adress\u00e9\n\nEst ce \u00e0 moi ?\n\nEst ce \u00e0 toi ?\n\nJe pr\u00e9f\u00e8re m'extraire de la chaise d'un seul coup, et me retrouver dans la cour \u00e0 fumer en regardant les petits paquets de la neige qui fond, qui ne tiennent pas.", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-novembre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-novembre-2019.html", "title": "15 novembre 2019", "date_published": "2019-11-15T07:13:00Z", "date_modified": "2025-12-21T09:48:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
J\u2019ai pris l\u2019habitude d\u2019\u00e9crire chaque jour, et souvent chaque nuit. Le jour et la nuit se confondent dans l\u2019acte d\u2019\u00e9crire. Je me creuse moins la t\u00eate qu\u2019avant. Maintenant, il me suffit d\u2019ouvrir une page blanche, de poser un mot en guise de titre, et tout s\u2019\u00e9coule. Parfois trouble, parfois vif. \u00c9crire m\u2019aide \u00e0 tenir. Cela me resserre un peu avant de m\u2019\u00e9parpiller. Parfois utile. Parfois inutile. Selon. Je ne sais pas pourquoi je passe par l\u2019\u00e9criture plut\u00f4t que par la peinture. Je pourrais faire la m\u00eame chose avec le dessin. Me dire : « Allez, \u00e0 table. » Mais je n\u2019y arrive pas. Je me dis que je ne suis ni dessinateur, ni peintre. Que j\u2019ai encore emprunt\u00e9 un personnage. Que ce personnage n\u2019est pas moi. Ces jours-ci, je me pose la question : quoi dessiner ? quoi peindre ? Un vide encore.
\nQue je tente de combler maladroitement, en remplissant d\u2019autres trous autour. L\u2019\u00e9criture est sans doute une pelle. Une pelle ou une pioche. Qui creuse, et qui comble. Un aveu. Et quand je me demande \u00e0 qui cela est adress\u00e9, je pr\u00e9f\u00e8re m\u2019extraire d\u2019un coup de la chaise et me retrouver dehors, dans la cour, \u00e0 fumer, en regardant les paquets de neige fondre,sans tenir.<\/p>",
"content_text": "J\u2019ai pris l\u2019habitude d\u2019\u00e9crire chaque jour, et souvent chaque nuit. Le jour et la nuit se confondent dans l\u2019acte d\u2019\u00e9crire. Je me creuse moins la t\u00eate qu\u2019avant. Maintenant, il me suffit d\u2019ouvrir une page blanche, de poser un mot en guise de titre, et tout s\u2019\u00e9coule. Parfois trouble, parfois vif. \u00c9crire m\u2019aide \u00e0 tenir. Cela me resserre un peu avant de m\u2019\u00e9parpiller. Parfois utile. Parfois inutile. Selon. Je ne sais pas pourquoi je passe par l\u2019\u00e9criture plut\u00f4t que par la peinture. Je pourrais faire la m\u00eame chose avec le dessin. Me dire : \u00ab Allez, \u00e0 table. \u00bb Mais je n\u2019y arrive pas. Je me dis que je ne suis ni dessinateur, ni peintre. Que j\u2019ai encore emprunt\u00e9 un personnage. Que ce personnage n\u2019est pas moi. Ces jours-ci, je me pose la question : quoi dessiner ? quoi peindre ? Un vide encore. Que je tente de combler maladroitement, en remplissant d\u2019autres trous autour. L\u2019\u00e9criture est sans doute une pelle. Une pelle ou une pioche. Qui creuse, et qui comble. Un aveu. Et quand je me demande \u00e0 qui cela est adress\u00e9, je pr\u00e9f\u00e8re m\u2019extraire d\u2019un coup de la chaise et me retrouver dehors, dans la cour, \u00e0 fumer, en regardant les paquets de neige fondre,sans tenir.",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0253.jpg?1748065117",
"tags": ["Autofiction et Introspection", "Temporalit\u00e9 et Ruptures"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-novembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-novembre-2019.html",
"title": "12 novembre 2019",
"date_published": "2019-11-12T07:02:00Z",
"date_modified": "2025-12-21T09:48:16Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "
\n<\/figure>\n<\/div>\nDans les couloirs, encore, \u00e7a remonte : \"Qu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ?\"
\nCette perp\u00e9tuelle inqui\u00e9tude, qui chasse tout, du pr\u00e9sent comme du pass\u00e9.
\nUn \u00e9lan pour s\u2019extraire des tranch\u00e9es du moment pr\u00e9sent.<\/p>\n
Pas de petit coup de gnole, non. Juste un \"Qu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ?\",
\nEt \u00e7a repart, comme en 14.<\/p>\n
On ne peut pas savoir,
\nEt c\u2019est bien fait.
\nOn ne peut pas savoir qu\u2019\u00e0 force de cavaler
\nVers les lendemains qui chantent, ou pas,
\nOn abrutit l\u2019avenir.<\/p>\n
On l\u2019\u00e9touffe dans l\u2019\u0153uf,
\nBien proprement.<\/p>\n
Qu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ?
\nC\u2019est un peu qu\u2019est-ce qu\u2019on a \u00e9t\u00e9 ?
\nC\u2019est d\u00e9serter.<\/p>",
"content_text": "Dans les couloirs, encore, \u00e7a remonte : \"Qu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ?\" Cette perp\u00e9tuelle inqui\u00e9tude, qui chasse tout, du pr\u00e9sent comme du pass\u00e9. Un \u00e9lan pour s\u2019extraire des tranch\u00e9es du moment pr\u00e9sent. Pas de petit coup de gnole, non. Juste un \"Qu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ?\", Et \u00e7a repart, comme en 14. On ne peut pas savoir, Et c\u2019est bien fait. On ne peut pas savoir qu\u2019\u00e0 force de cavaler Vers les lendemains qui chantent, ou pas, On abrutit l\u2019avenir. On l\u2019\u00e9touffe dans l\u2019\u0153uf, Bien proprement. Qu\u2019est-ce qu\u2019on va devenir ? C\u2019est un peu qu\u2019est-ce qu\u2019on a \u00e9t\u00e9 ? C\u2019est d\u00e9serter.",
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"title": "Devenir",
"date_published": "2019-11-12T06:01:08Z",
"date_modified": "2025-12-21T09:48:28Z",
"author": {"name": "Auteur"},
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Dans les couloirs encore \u00e7a me remonte : « qu’est-ce qu’on va devenir ? »\nCette perp\u00e9tuelle inqui\u00e9tude qui expulse tout — pr\u00e9sent, pass\u00e9 —\ncet \u00e9lan pour s’extraire des tranch\u00e9es du pr\u00e9sent.\nPas de petit coup de gnole, non. Juste un « qu’est-ce qu’on va devenir ? »\net \u00e7a repart,\ncomme en 14.\nOn ne peut pas savoir.\nEt c’est bien fait.\nOn ne peut pas savoir qu’\u00e0 force de cavaler au feu des lendemains qui chantent ou pas,\non abrutit l’avenir,\non l’\u00e9touffe dans l’\u0153uf,\nbien proprement.\n« Qu’est-ce qu’on va devenir ? »\nC’est un peu « qu’est-ce qu’on a \u00e9t\u00e9 ? »\nC’est d\u00e9serter.<\/p>\n
Dans les couloirs encore \u00e7a me remonte, cette petite phrase qui creuse : « qu’est-ce qu’on va devenir ? »\nCette perp\u00e9tuelle inqui\u00e9tude qui expulse tout du pr\u00e9sent comme du pass\u00e9, cet \u00e9lan d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 pour s’extraire des tranch\u00e9es du pr\u00e9sent, sauter par-dessus aujourd’hui pour atterrir dans un demain forc\u00e9ment meilleur.\nPas de petit coup de gnole pour faire glisser, non. Juste un « qu’est-ce qu’on va devenir ? » machinal, et \u00e7a repart, l’engrenage, comme en 14, comme toujours.\nOn ne peut pas savoir ce qui nous attend.\nEt c’est bien fait pour nos gueules.\nOn ne peut pas savoir qu’\u00e0 force de cavaler au feu des lendemains qui chantent ou qui gueulent, on abrutit l’avenir, on l’\u00e9touffe dans l’\u0153uf, bien proprement, \u00e0 coups de projections anxieuses.\n« Qu’est-ce qu’on va devenir ? »\nAu fond, c’est un peu « qu’est-ce qu’on a \u00e9t\u00e9 ? » retourn\u00e9.\nC’est d\u00e9serter le moment pr\u00e9sent.\nC’est la grande fuite en avant perp\u00e9tuelle.<\/p>\n
Tout porte \u00e0 croire,
\nMais rien n\u2019est s\u00fbr.
\nM\u2019aimeras-tu encore demain,
\nComme je t\u2019aime aujourd\u2019hui ?<\/p>\n
Cet entre-deux pour \u00eatre Un,
\nSans toi ni moi,
\nEst-ce une pr\u00e9sence,
\nOu une absence ?<\/p>\n
Laissons la question en suspens,
\nEt profitons de ces instants,
\nO\u00f9 toi et moi,
\nC\u2019est entre nous.<\/p>\n
Plongeons dans ce naufrage,
\nPr\u00e9m\u00e9dit\u00e9 de l\u2019\u00eele.<\/p>\n
Tout porte \u00e0 croire,
\nMais rien n\u2019est s\u00fbr.
\nEt nos absences respectives
\nRempliront nos regards,
\nRedonnant \u00e0 la pr\u00e9sence de nos 20 ans
\nL\u2019amer secret
\nDes esp\u00e9rances.<\/p>",
"content_text": "Tout porte \u00e0 croire, Mais rien n\u2019est s\u00fbr. M\u2019aimeras-tu encore demain, Comme je t\u2019aime aujourd\u2019hui ? Cet entre-deux pour \u00eatre Un, Sans toi ni moi, Est-ce une pr\u00e9sence, Ou une absence ? Laissons la question en suspens, Et profitons de ces instants, O\u00f9 toi et moi, C\u2019est entre nous. Plongeons dans ce naufrage, Pr\u00e9m\u00e9dit\u00e9 de l\u2019\u00eele. Tout porte \u00e0 croire, Mais rien n\u2019est s\u00fbr. Et nos absences respectives Rempliront nos regards, Redonnant \u00e0 la pr\u00e9sence de nos 20 ans L\u2019amer secret Des esp\u00e9rances.",
"image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/femme-en-rouge-1.jpg?1748065082",
"tags": ["Autofiction et Introspection", "Temporalit\u00e9 et Ruptures", "Esth\u00e9tique et Exp\u00e9rience Sensorielle"]
}
,{
"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-novembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-novembre-2019.html",
"title": "08 novembre 2019",
"date_published": "2019-11-08T08:56:00Z",
"date_modified": "2025-12-21T08:56:53Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "
Ce matin, je conduisais pour me rendre \u00e0 la banque quand, tout \u00e0 coup, je ne sais pas pourquoi, je me suis demand\u00e9 combien d\u2019orgasmes j\u2019avais pu vraiment vivre dans ma vie.<\/p>\n
Le tout premier qui m\u2019est revenu \u00e0 l\u2019esprit fut extr\u00eamement tardif : je devais avoir une quarantaine d\u2019ann\u00e9es, et jusque-l\u00e0 je dois avouer que l\u2019exp\u00e9rience du sexe avec mes partenaires n\u2019\u00e9tait gu\u00e8re plus excitante qu\u2019une transaction de fonds.<\/p>\n
Le contr\u00f4le que j\u2019exer\u00e7ais perp\u00e9tuellement dans ma vie sur le moindre de mes actes se poursuivait au lit et, la plupart du temps, je n\u2019\u00e9tais jamais parvenu \u00e0 faire confiance \u00e0 l\u2019autre pour d\u00e9couvrir l\u2019au-del\u00e0 des interdits ; et l\u2019interdit principal \u00e9tait cet abandon n\u00e9cessaire qui permet de rejoindre les \u00e9toiles, le cosmos tout entier.<\/p>\n
Ce jour-l\u00e0, M. et moi avions fum\u00e9 un joint, et sans doute cela valait-il autant que d\u2019avoir partag\u00e9 le calumet de la paix.<\/p>\n
Au bout de nombreuses ann\u00e9es de guerre entre nous, quelque chose avait c\u00e9d\u00e9, et une infinie tendresse nous tomba dessus d\u2019un seul coup.<\/p>\n
\u00c9tait-ce d\u00fb au haschisch, \u00e0 la fatigue ? Nous oubli\u00e2mes soudain tous les enjeux anciens ; le champ de bataille se d\u00e9roba pour devenir un grand lit frais qui nous accueillait.<\/p>\n
Tous les interdits avaient disparu, comme par enchantement.<\/p>\n
Ne s\u2019\u00e9tendait plus alors que l\u2019immensit\u00e9 de l\u2019univers, dans laquelle nos caresses, nos baisers, nos \u00e9treintes nous projet\u00e8rent soudain.<\/p>\n
Cette nuit-l\u00e0, nous ne parv\u00eenmes pas \u00e0 trouver le sommeil. Nous nous racont\u00e2mes, en riant comme des enfants, des histoires de nouveau-n\u00e9s aux yeux graves.<\/p>\n
Au d\u00e9but, c\u2019est un caillou, un vulgaire caillou.<\/p>\n
Quelque chose d\u2019\u00e9perdu, comme une luminosit\u00e9 enclose, qui cherche \u00e0 se s\u00e9parer de l\u2019insupportable mati\u00e8re.<\/p>\n
Alors s\u2019am\u00e8ne l\u2019envie.<\/p>\n
Et c\u2019est par ce vecteur que la lumi\u00e8re jaillit peu \u00e0 peu.<\/p>\n
Tout ce qu\u2019a l\u2019autre est cet aimant que l\u2019envie frotte, excite, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019insomnie, la d\u00e9voration du temps et de ses pr\u00e9occupations.<\/p>\n
L\u2019usure, l\u2019\u00e9rosion — celle des vents, des eaux, des plaisirs vite satisfaits, mal satisfaits — font na\u00eetre la guerre peu \u00e0 peu.<\/p>\n
Pour un oui.
\nPour un non.<\/p>\n
L\u2019envie grandit, se transforme en jalousie.<\/p>\n
La jalousie a un app\u00e9tit d\u2019ogre. Sans arr\u00eat. Partout o\u00f9 le regard se porte, le caillou devient pierre de taille, traverse la douleur de l\u2019\u00eatre confondu dans l\u2019avoir.<\/p>\n
Poss\u00e9der devient le ma\u00eetre mot de la jalousie.<\/p>\n
Des courses folles dans la nuit noire.<\/p>\n
Des m\u00e9tamorphoses sans rel\u00e2che conduisent l\u2019enfant vers la d\u00e9voration, vers l\u2019idole et l\u2019insulte, pour s\u2019approprier le sexe d\u2019un immense p\u00e8re cosmique r\u00eav\u00e9 — et jalous\u00e9.<\/p>\n
Puis les mill\u00e9naires passent.<\/p>\n
Le caillou dort entre les mondes.<\/p>\n
Dans la banalit\u00e9 des mondes, il s\u2019\u00e9rode encore et encore, et un matin, on ne sait pourquoi, na\u00eet la premi\u00e8re admiration.<\/p>\n
Comme un crocus en plein hiver.<\/p>\n
Un crocus qui retrouve le beau Narcisse, qui admire et s\u2019admire tant et tant, au travers de toutes les admirations.<\/p>\n
Une jouissance \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition, un prisme d\u00e9composant l\u2019admiration en mille et un regards.<\/p>\n
Une jouissance du vent qui fait trembler le cheveu, le poil, la l\u00e8vre sup\u00e9rieure.<\/p>\n
Encore du temps \u00e0 regarder la surface cr\u00e9\u00e9e par toutes les admirations.<\/p>\n
Puis tombe l\u2019ennui, \u00e9pais, soudain.<\/p>\n
L\u2019hiver du diamant est cette attente qui le f\u00e9conde encore plus loin, qui l\u2019emporte dans le fil des jours, ce formidable joaillier.<\/p>\n
Toutes les admirations, dans un dernier \u00e9clat, fusionnent alors dans un abandon de garce ou de salaud.<\/p>\n
La lumi\u00e8re sourd de toutes parts, sans raison ni but.<\/p>\n
Elle est juste la lumi\u00e8re.<\/p>\n
La cause et la n\u00e9cessit\u00e9 de tout diamant artistiquement taill\u00e9.<\/p>", "content_text": " Ce matin, je conduisais pour me rendre \u00e0 la banque quand, tout \u00e0 coup, je ne sais pas pourquoi, je me suis demand\u00e9 combien d\u2019orgasmes j\u2019avais pu vraiment vivre dans ma vie. Le tout premier qui m\u2019est revenu \u00e0 l\u2019esprit fut extr\u00eamement tardif : je devais avoir une quarantaine d\u2019ann\u00e9es, et jusque-l\u00e0 je dois avouer que l\u2019exp\u00e9rience du sexe avec mes partenaires n\u2019\u00e9tait gu\u00e8re plus excitante qu\u2019une transaction de fonds. Le contr\u00f4le que j\u2019exer\u00e7ais perp\u00e9tuellement dans ma vie sur le moindre de mes actes se poursuivait au lit et, la plupart du temps, je n\u2019\u00e9tais jamais parvenu \u00e0 faire confiance \u00e0 l\u2019autre pour d\u00e9couvrir l\u2019au-del\u00e0 des interdits ; et l\u2019interdit principal \u00e9tait cet abandon n\u00e9cessaire qui permet de rejoindre les \u00e9toiles, le cosmos tout entier. Ce jour-l\u00e0, M. et moi avions fum\u00e9 un joint, et sans doute cela valait-il autant que d\u2019avoir partag\u00e9 le calumet de la paix. Au bout de nombreuses ann\u00e9es de guerre entre nous, quelque chose avait c\u00e9d\u00e9, et une infinie tendresse nous tomba dessus d\u2019un seul coup. \u00c9tait-ce d\u00fb au haschisch, \u00e0 la fatigue ? Nous oubli\u00e2mes soudain tous les enjeux anciens ; le champ de bataille se d\u00e9roba pour devenir un grand lit frais qui nous accueillait. Tous les interdits avaient disparu, comme par enchantement. Ne s\u2019\u00e9tendait plus alors que l\u2019immensit\u00e9 de l\u2019univers, dans laquelle nos caresses, nos baisers, nos \u00e9treintes nous projet\u00e8rent soudain. Cette nuit-l\u00e0, nous ne parv\u00eenmes pas \u00e0 trouver le sommeil. Nous nous racont\u00e2mes, en riant comme des enfants, des histoires de nouveau-n\u00e9s aux yeux graves. Au d\u00e9but, c\u2019est un caillou, un vulgaire caillou. Quelque chose d\u2019\u00e9perdu, comme une luminosit\u00e9 enclose, qui cherche \u00e0 se s\u00e9parer de l\u2019insupportable mati\u00e8re. Alors s\u2019am\u00e8ne l\u2019envie. Et c\u2019est par ce vecteur que la lumi\u00e8re jaillit peu \u00e0 peu. Tout ce qu\u2019a l\u2019autre est cet aimant que l\u2019envie frotte, excite, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019insomnie, la d\u00e9voration du temps et de ses pr\u00e9occupations. L\u2019usure, l\u2019\u00e9rosion \u2014 celle des vents, des eaux, des plaisirs vite satisfaits, mal satisfaits \u2014 font na\u00eetre la guerre peu \u00e0 peu. Pour un oui. Pour un non. L\u2019envie grandit, se transforme en jalousie. La jalousie a un app\u00e9tit d\u2019ogre. Sans arr\u00eat. Partout o\u00f9 le regard se porte, le caillou devient pierre de taille, traverse la douleur de l\u2019\u00eatre confondu dans l\u2019avoir. Poss\u00e9der devient le ma\u00eetre mot de la jalousie. Des courses folles dans la nuit noire. Des m\u00e9tamorphoses sans rel\u00e2che conduisent l\u2019enfant vers la d\u00e9voration, vers l\u2019idole et l\u2019insulte, pour s\u2019approprier le sexe d\u2019un immense p\u00e8re cosmique r\u00eav\u00e9 \u2014 et jalous\u00e9. Puis les mill\u00e9naires passent. Le caillou dort entre les mondes. Dans la banalit\u00e9 des mondes, il s\u2019\u00e9rode encore et encore, et un matin, on ne sait pourquoi, na\u00eet la premi\u00e8re admiration. Comme un crocus en plein hiver. Un crocus qui retrouve le beau Narcisse, qui admire et s\u2019admire tant et tant, au travers de toutes les admirations. Une jouissance \u00e0 r\u00e9p\u00e9tition, un prisme d\u00e9composant l\u2019admiration en mille et un regards. Une jouissance du vent qui fait trembler le cheveu, le poil, la l\u00e8vre sup\u00e9rieure. Encore du temps \u00e0 regarder la surface cr\u00e9\u00e9e par toutes les admirations. Puis tombe l\u2019ennui, \u00e9pais, soudain. L\u2019hiver du diamant est cette attente qui le f\u00e9conde encore plus loin, qui l\u2019emporte dans le fil des jours, ce formidable joaillier. Toutes les admirations, dans un dernier \u00e9clat, fusionnent alors dans un abandon de garce ou de salaud. La lumi\u00e8re sourd de toutes parts, sans raison ni but. Elle est juste la lumi\u00e8re. La cause et la n\u00e9cessit\u00e9 de tout diamant artistiquement taill\u00e9. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/crocus-1.jpg?1766307394", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-novembre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-novembre-2019.html", "title": "07 novembre 2019", "date_published": "2019-11-07T08:50:00Z", "date_modified": "2025-12-21T08:51:19Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
C\u2019est une t\u00e2che de fond qui ne s\u2019arr\u00eate pas. M\u00eame dans ta solitude, tu continues \u00e0 vouloir maintenir, co\u00fbte que co\u00fbte, cette id\u00e9e — et pourtant tu vois bien qu\u2019elle ne tient pas, qu\u2019elle ne fonctionne pas.<\/p>\n
Tu attendais tellement de la part des autres : leur reconnaissance, et peut-\u00eatre aussi leur amour, sous forme de baisers, de regards et d\u2019argent.<\/p>\n
Car, bien s\u00fbr, tu te fais aussi des id\u00e9es sur tout \u00e7a.<\/p>\n
Mais regarde un peu cette longue errance que tu as cr\u00e9\u00e9e tout seul, juste en partant d\u2019une id\u00e9e — une id\u00e9e de toi qui n\u2019est pas toi, qui n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9, et ne sera jamais toi.<\/p>\n
C\u2019est comme en dessin, finalement : tu commences par un d\u00e9tail, puis un autre, et encore un autre, et au final ce n\u2019est plus qu\u2019une accumulation h\u00e9t\u00e9roclite de signes sans tenue, presque informe.<\/p>\n
Oui, tu peux te braquer, monter sur tes ergots, invoquer ta soumission absolue au hasard : \u00e7a ne change pas grand-chose au fait que, dans ton for int\u00e9rieur, tu sais tr\u00e8s bien la v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n
La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que cela manque d\u2019unit\u00e9.
\nLa v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que \u00e7a ne fonctionne pas.
\nLa v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que tu aimes t\u2019\u00e9garer, dans le fond, en d\u00e9pit de la forme.<\/p>\n
Et ensuite tu t\u2019inventes une belle id\u00e9e de toi : chamane, clairvoyant, donneur de le\u00e7ons.<\/p>\n
Peut-\u00eatre est-il temps de t\u2019emparer de la gomme et d\u2019effacer un peu ce qui ne va pas.<\/p>\n
Revenir \u00e0 tout ce que tu t\u2019obstines \u00e0 mettre en travers de toi.<\/p>\n
Effacer.
\nEffacer.
\nEffacer.<\/p>\n
Oh, pas pour \u00eatre une « belle personne », non.
\nPas pour faire un « beau dessin », non.<\/p>\n
Pour \u00f4ter du chemin tout ce qui n\u2019est pas toi et qui t\u2019emp\u00eache d\u2019\u00eatre toi.<\/p>\n
Je t\u2019entends d\u00e9j\u00e0 me dire : ce n\u2019est pas possible, c\u2019est trop vide.<\/p>\n
Bien s\u00fbr que c\u2019est vide. C\u2019est m\u00eame \u00e0 souhait, justement.<\/p>\n
N\u2019est-il pas temps de regarder ce vide en face ?
\nN\u2019est-il pas temps de sentir la pr\u00e9sence qui se tient au-del\u00e0 ?<\/p>\n
C\u2019est peut-\u00eatre en traversant l\u2019aridit\u00e9 apparente de ce long tunnel que tu parviendras \u00e0 rejoindre ce que, depuis toujours, tu as eu peur de rejoindre.<\/p>\n
La pr\u00e9sence de plus en plus forte de cette absence, ne le comprends-tu pas encore ?<\/p>\n
Ce n\u2019est que toi, rien que toi, encore et toujours, et \u00e0 jamais.<\/p>\n
Le canal \u00e9tait noir, la surface de l\u2019eau \u00e9tait noire. Ce matin-l\u00e0, je n\u2019apercevais pas les beaux \u00e9clats argent\u00e9s des perches arc-en-ciel qui troublaient, en profondeur, mon \u00e2me de gamin p\u00eacheur.<\/p>\n
Le temps \u00e9tait maussade, sans aucun vent, et l\u2019\u00e9cho des trains arrivant en gare, au-dessus, me revenait en grin\u00e7ant m\u00e9chamment, murmurant des mots m\u00e9talliques et froids.<\/p>\n
Pourtant, je m\u2019installais : j\u2019avais d\u00e9cid\u00e9 que la matin\u00e9e serait toute enti\u00e8re consacr\u00e9e \u00e0 mon envie.<\/p>\n
Au lieu d\u2019\u00e9tudier sagement, j\u2019avais saisi les cannes, les lignes et l\u2019\u00e9puisette, puis j\u2019\u00e9tais parti sans bruit, sans pr\u00e9venir, pour rejoindre les talus du canal du Berry.<\/p>\n
Une sensation de vide affreux m\u2019envahissait depuis t\u00f4t le matin, et j\u2019avais effectu\u00e9 mon choix comme un soldat charge son fusil en vue de tuer : j\u2019avais pr\u00e9f\u00e9r\u00e9.<\/p>\n
Et, sans le savoir, cette pr\u00e9f\u00e9rence \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 l\u2019augure d\u2019une p\u00eache m\u00e9diocre.<\/p>\n
Une facilit\u00e9 de fatigue surgit du vide que je cherchais d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment \u00e0 tuer.<\/p>\n
Cependant, je d\u00e9cidai par bravade que c\u2019\u00e9tait bon de s\u2019asseoir l\u00e0 et de tendre la ligne, regarder flotter le bouchon,<\/p>\n
en esp\u00e9rant — tout en sachant profond\u00e9ment — que rien n\u2019y changerait rien,<\/p>\n
dans le fond.<\/p>\n
D\u00e9j\u00e0, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, j\u2019avais install\u00e9 des rochers, des remparts, des occupations, pour lutter contre la pr\u00e9sence insistante de l\u2019absence.<\/p>\n
M\u00eame si je savais qu\u2019il fallait attendre un peu avant que le poisson ne soit ferr\u00e9 adroitement, irr\u00e9m\u00e9diablement, ce matin-l\u00e0 j\u2019avais tout oubli\u00e9, peut-\u00eatre parce que, justement, j\u2019avais choisi de perdre mon temps : j\u2019avais \u00e9tabli une id\u00e9e de moi, une pr\u00e9f\u00e9rence.<\/p>\n
Il y a de cela plusieurs ann\u00e9es, mes tableaux ne me convenaient pas. Les couleurs chatoyantes que j\u2019y d\u00e9posais ne formaient qu\u2019une accumulation de fausses notes.<\/p>\n
Le sentiment qui me venait alors se rapprochait de celui qui m\u2019insupporte g\u00e9n\u00e9ralement au contact de toute cacophonie.<\/p>\n
Cependant, je me suis acharn\u00e9 de nombreuses fois, voulant lutter contre cette aversion syst\u00e9matique sans savoir bien pourquoi.<\/p>\n
Mon \u00e9pouse, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, avait beau me dire que c\u2019\u00e9tait « trop charg\u00e9 » \u00e0 son go\u00fbt, je persistais n\u00e9anmoins \u00e0 r\u00e9aliser de grandes cro\u00fbtes multicolores, tout en \u00e9tant certain d\u2019\u00eatre profond\u00e9ment d\u00e9\u00e7u du r\u00e9sultat \u00e0 venir.<\/p>\n
\u00c0 l\u2019\u00e9poque, je n\u2019en ai pas pris conscience comme je t\u2019en parle aujourd\u2019hui, \u00e9videmment.<\/p>\n
Plong\u00e9 dans une sorte de stupeur, de fascination, aveugl\u00e9 par celle-ci, il n\u2019y avait rien \u00e0 faire : je ne cessais de m\u2019obstiner.<\/p>\n
Cela dura pendant des mois, presque une ann\u00e9e, je crois. Et puis, un jour, quelque chose se brisa soudain, et j\u2019eus la perception tr\u00e8s nette, \u00e9vidente, de ce trop-plein — le m\u00eame que je posais sur ma toile, et le mien.<\/p>\n
Alors j\u2019\u00e9prouvai tout le contraire. Un virage complet, comme une fulgurance, et je m\u2019emparai tout \u00e0 coup du tube de blanc et me mis \u00e0 effacer ainsi de larges pans des tableaux que j\u2019avais r\u00e9alis\u00e9s durant cette \u00e9trange p\u00e9riode.<\/p>\n
Je ne conservais des premi\u00e8res couches color\u00e9es que tr\u00e8s peu. Le blanc, sa lumi\u00e8re, envahissait peu \u00e0 peu toutes les surfaces, et plus j\u2019installais du vide, plus cela me plaisait. Et chance suppl\u00e9mentaire : mon \u00e9pouse trouvait cela chouette aussi.<\/p>\n
J\u2019ai ainsi r\u00e9alis\u00e9 une trentaine de tableaux en deux temps.<\/p>\n
D\u2019abord, je les ai remplis \u00e0 ras bord, et ensuite je les ai vid\u00e9s d\u2019une grande partie de leur substance.<\/p>\n
L\u2019exposition qui s\u2019en suivit, et \u00e0 laquelle j\u2019ai donn\u00e9 le nom « Errances », rencontra un franc succ\u00e8s. On y voyait d\u00e9j\u00e0 des voyageurs avec leurs valises, perdus dans une sorte de brouillard blanc : tant\u00f4t une brume, tant\u00f4t un brouillard, quelques points de solidit\u00e9 \u00e0 peine au sein d\u2019une \u00e9vanescence r\u00e9p\u00e9t\u00e9e.<\/p>\n
Dans le fond, je ne pouvais pas trouver meilleur mot pour qualifier ce mouvement qui s\u2019\u00e9tait op\u00e9r\u00e9 en moi comme sur les toiles.<\/p>\n
M\u00eame si le pr\u00e9texte \u00e9tait ces silhouettes sombres rehauss\u00e9es de fusain et de bribes color\u00e9es \u00e9voquant l\u2019exil, je m\u2019emp\u00eachais, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, d\u2019aller plus profond\u00e9ment encore vers la v\u00e9ritable raison d\u2019\u00eatre de ces tableaux.<\/p>\n
Car il s\u2019agissait vraiment d\u2019une errance personnelle, que je parvenais ainsi \u00e0 ressentir \u00e0 la fois dans la peinture et dans ma propre vie.<\/p>\n
Cette accumulation de couleurs \u00e9tait comme cette accumulation de savoir, constitu\u00e9e de bric et de broc, d\u2019opinions tranch\u00e9es sur ceci ou cela, ces milliers de r\u00e9f\u00e9rences, parfois contradictoires, sur lesquelles je m\u2019appuyais pour « para\u00eetre » en public lors des vernissages, des d\u00eeners mondains ou pas.<\/p>\n
Dans le fond, je m\u2019\u00e9tais servi du savoir pour me constituer un personnage proche d\u2019Arlequin : bigarr\u00e9, et cacophonique surtout ; et en l\u2019apercevant sur la toile, comme en miroir, je n\u2019ai pas eu d\u2019autre choix que de remettre du calme, du vide, une forme d\u2019ordre et d\u2019harmonie sur celle-ci.<\/p>\n
C\u2019est \u00e0 partir de cette r\u00e9flexion que je me suis de plus en plus rapproch\u00e9 de l\u2019id\u00e9e de vide qui me hantait tellement. Je me suis aper\u00e7u peu \u00e0 peu combien j\u2019avais d\u00e9pens\u00e9 d\u2019\u00e9nergie, durant toute mon existence, pour tenter de combler ce vide.<\/p>\n
Le vide, l\u2019ennui, l\u2019absence se sont confondus souvent et atteignaient une zone de douleur aux limites de l\u2019intol\u00e9rable. Alors je me d\u00e9p\u00eachais de remplir, comme je le pouvais et souvent maladroitement, ce que j\u2019imaginais, aux yeux des autres, \u00eatre une carence absolue.<\/p>\n
Dans ma na\u00efvet\u00e9, je m\u2019\u00e9tais fabriqu\u00e9 de l\u2019autre une image de « plein » qui n\u2019\u00e9tait pas moi, qui ne pouvait \u00eatre moi, qui n\u2019\u00e9tait que vide.<\/p>\n
J\u2019ai report\u00e9 souvent sur l\u2019autre la rage de d\u00e9couvrir ce vide personnel ; et ma col\u00e8re, comme mon d\u00e9sespoir, furent souvent terribles de constater que l\u2019autre ne pouvait combler quoi que ce soit, n\u2019\u00e9tant qu\u2019une projection imaginaire d\u2019un plein id\u00e9alis\u00e9.<\/p>\n
Pourtant, la science moderne d\u00e9couvre de plus en plus de qualit\u00e9s \u00e0 ce vide qui semble occuper une place d\u00e9mesur\u00e9e dans l\u2019univers.<\/p>\n
Ce vide entre chaque mol\u00e9cule, chaque atome, il se pourrait bien que ce soit lui le liant incontournable qui maintient entre eux les pigments qui constituent nos vies, comme tout le reste.<\/p>", "content_text": " C\u2019est une t\u00e2che de fond qui ne s\u2019arr\u00eate pas. M\u00eame dans ta solitude, tu continues \u00e0 vouloir maintenir, co\u00fbte que co\u00fbte, cette id\u00e9e \u2014 et pourtant tu vois bien qu\u2019elle ne tient pas, qu\u2019elle ne fonctionne pas. Tu attendais tellement de la part des autres : leur reconnaissance, et peut-\u00eatre aussi leur amour, sous forme de baisers, de regards et d\u2019argent. Car, bien s\u00fbr, tu te fais aussi des id\u00e9es sur tout \u00e7a. Mais regarde un peu cette longue errance que tu as cr\u00e9\u00e9e tout seul, juste en partant d\u2019une id\u00e9e \u2014 une id\u00e9e de toi qui n\u2019est pas toi, qui n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9, et ne sera jamais toi. C\u2019est comme en dessin, finalement : tu commences par un d\u00e9tail, puis un autre, et encore un autre, et au final ce n\u2019est plus qu\u2019une accumulation h\u00e9t\u00e9roclite de signes sans tenue, presque informe. Oui, tu peux te braquer, monter sur tes ergots, invoquer ta soumission absolue au hasard : \u00e7a ne change pas grand-chose au fait que, dans ton for int\u00e9rieur, tu sais tr\u00e8s bien la v\u00e9rit\u00e9. La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que cela manque d\u2019unit\u00e9. La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que \u00e7a ne fonctionne pas. La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que tu aimes t\u2019\u00e9garer, dans le fond, en d\u00e9pit de la forme. Et ensuite tu t\u2019inventes une belle id\u00e9e de toi : chamane, clairvoyant, donneur de le\u00e7ons. Peut-\u00eatre est-il temps de t\u2019emparer de la gomme et d\u2019effacer un peu ce qui ne va pas. Revenir \u00e0 tout ce que tu t\u2019obstines \u00e0 mettre en travers de toi. Effacer. Effacer. Effacer. Oh, pas pour \u00eatre une \u00ab belle personne \u00bb, non. Pas pour faire un \u00ab beau dessin \u00bb, non. Pour \u00f4ter du chemin tout ce qui n\u2019est pas toi et qui t\u2019emp\u00eache d\u2019\u00eatre toi. Je t\u2019entends d\u00e9j\u00e0 me dire : ce n\u2019est pas possible, c\u2019est trop vide. Bien s\u00fbr que c\u2019est vide. C\u2019est m\u00eame \u00e0 souhait, justement. N\u2019est-il pas temps de regarder ce vide en face ? N\u2019est-il pas temps de sentir la pr\u00e9sence qui se tient au-del\u00e0 ? C\u2019est peut-\u00eatre en traversant l\u2019aridit\u00e9 apparente de ce long tunnel que tu parviendras \u00e0 rejoindre ce que, depuis toujours, tu as eu peur de rejoindre. La pr\u00e9sence de plus en plus forte de cette absence, ne le comprends-tu pas encore ? Ce n\u2019est que toi, rien que toi, encore et toujours, et \u00e0 jamais. Le canal \u00e9tait noir, la surface de l\u2019eau \u00e9tait noire. Ce matin-l\u00e0, je n\u2019apercevais pas les beaux \u00e9clats argent\u00e9s des perches arc-en-ciel qui troublaient, en profondeur, mon \u00e2me de gamin p\u00eacheur. Le temps \u00e9tait maussade, sans aucun vent, et l\u2019\u00e9cho des trains arrivant en gare, au-dessus, me revenait en grin\u00e7ant m\u00e9chamment, murmurant des mots m\u00e9talliques et froids. Pourtant, je m\u2019installais : j\u2019avais d\u00e9cid\u00e9 que la matin\u00e9e serait toute enti\u00e8re consacr\u00e9e \u00e0 mon envie. Au lieu d\u2019\u00e9tudier sagement, j\u2019avais saisi les cannes, les lignes et l\u2019\u00e9puisette, puis j\u2019\u00e9tais parti sans bruit, sans pr\u00e9venir, pour rejoindre les talus du canal du Berry. Une sensation de vide affreux m\u2019envahissait depuis t\u00f4t le matin, et j\u2019avais effectu\u00e9 mon choix comme un soldat charge son fusil en vue de tuer : j\u2019avais pr\u00e9f\u00e9r\u00e9. Et, sans le savoir, cette pr\u00e9f\u00e9rence \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 l\u2019augure d\u2019une p\u00eache m\u00e9diocre. Une facilit\u00e9 de fatigue surgit du vide que je cherchais d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment \u00e0 tuer. Cependant, je d\u00e9cidai par bravade que c\u2019\u00e9tait bon de s\u2019asseoir l\u00e0 et de tendre la ligne, regarder flotter le bouchon, en esp\u00e9rant \u2014 tout en sachant profond\u00e9ment \u2014 que rien n\u2019y changerait rien, dans le fond. D\u00e9j\u00e0, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, j\u2019avais install\u00e9 des rochers, des remparts, des occupations, pour lutter contre la pr\u00e9sence insistante de l\u2019absence. M\u00eame si je savais qu\u2019il fallait attendre un peu avant que le poisson ne soit ferr\u00e9 adroitement, irr\u00e9m\u00e9diablement, ce matin-l\u00e0 j\u2019avais tout oubli\u00e9, peut-\u00eatre parce que, justement, j\u2019avais choisi de perdre mon temps : j\u2019avais \u00e9tabli une id\u00e9e de moi, une pr\u00e9f\u00e9rence. Il y a de cela plusieurs ann\u00e9es, mes tableaux ne me convenaient pas. Les couleurs chatoyantes que j\u2019y d\u00e9posais ne formaient qu\u2019une accumulation de fausses notes. Le sentiment qui me venait alors se rapprochait de celui qui m\u2019insupporte g\u00e9n\u00e9ralement au contact de toute cacophonie. Cependant, je me suis acharn\u00e9 de nombreuses fois, voulant lutter contre cette aversion syst\u00e9matique sans savoir bien pourquoi. Mon \u00e9pouse, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, avait beau me dire que c\u2019\u00e9tait \u00ab trop charg\u00e9 \u00bb \u00e0 son go\u00fbt, je persistais n\u00e9anmoins \u00e0 r\u00e9aliser de grandes cro\u00fbtes multicolores, tout en \u00e9tant certain d\u2019\u00eatre profond\u00e9ment d\u00e9\u00e7u du r\u00e9sultat \u00e0 venir. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, je n\u2019en ai pas pris conscience comme je t\u2019en parle aujourd\u2019hui, \u00e9videmment. Plong\u00e9 dans une sorte de stupeur, de fascination, aveugl\u00e9 par celle-ci, il n\u2019y avait rien \u00e0 faire : je ne cessais de m\u2019obstiner. Cela dura pendant des mois, presque une ann\u00e9e, je crois. Et puis, un jour, quelque chose se brisa soudain, et j\u2019eus la perception tr\u00e8s nette, \u00e9vidente, de ce trop-plein \u2014 le m\u00eame que je posais sur ma toile, et le mien. Alors j\u2019\u00e9prouvai tout le contraire. Un virage complet, comme une fulgurance, et je m\u2019emparai tout \u00e0 coup du tube de blanc et me mis \u00e0 effacer ainsi de larges pans des tableaux que j\u2019avais r\u00e9alis\u00e9s durant cette \u00e9trange p\u00e9riode. Je ne conservais des premi\u00e8res couches color\u00e9es que tr\u00e8s peu. Le blanc, sa lumi\u00e8re, envahissait peu \u00e0 peu toutes les surfaces, et plus j\u2019installais du vide, plus cela me plaisait. Et chance suppl\u00e9mentaire : mon \u00e9pouse trouvait cela chouette aussi. J\u2019ai ainsi r\u00e9alis\u00e9 une trentaine de tableaux en deux temps. D\u2019abord, je les ai remplis \u00e0 ras bord, et ensuite je les ai vid\u00e9s d\u2019une grande partie de leur substance. L\u2019exposition qui s\u2019en suivit, et \u00e0 laquelle j\u2019ai donn\u00e9 le nom \u00ab Errances \u00bb, rencontra un franc succ\u00e8s. On y voyait d\u00e9j\u00e0 des voyageurs avec leurs valises, perdus dans une sorte de brouillard blanc : tant\u00f4t une brume, tant\u00f4t un brouillard, quelques points de solidit\u00e9 \u00e0 peine au sein d\u2019une \u00e9vanescence r\u00e9p\u00e9t\u00e9e. Dans le fond, je ne pouvais pas trouver meilleur mot pour qualifier ce mouvement qui s\u2019\u00e9tait op\u00e9r\u00e9 en moi comme sur les toiles. M\u00eame si le pr\u00e9texte \u00e9tait ces silhouettes sombres rehauss\u00e9es de fusain et de bribes color\u00e9es \u00e9voquant l\u2019exil, je m\u2019emp\u00eachais, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, d\u2019aller plus profond\u00e9ment encore vers la v\u00e9ritable raison d\u2019\u00eatre de ces tableaux. Car il s\u2019agissait vraiment d\u2019une errance personnelle, que je parvenais ainsi \u00e0 ressentir \u00e0 la fois dans la peinture et dans ma propre vie. Cette accumulation de couleurs \u00e9tait comme cette accumulation de savoir, constitu\u00e9e de bric et de broc, d\u2019opinions tranch\u00e9es sur ceci ou cela, ces milliers de r\u00e9f\u00e9rences, parfois contradictoires, sur lesquelles je m\u2019appuyais pour \u00ab para\u00eetre \u00bb en public lors des vernissages, des d\u00eeners mondains ou pas. Dans le fond, je m\u2019\u00e9tais servi du savoir pour me constituer un personnage proche d\u2019Arlequin : bigarr\u00e9, et cacophonique surtout ; et en l\u2019apercevant sur la toile, comme en miroir, je n\u2019ai pas eu d\u2019autre choix que de remettre du calme, du vide, une forme d\u2019ordre et d\u2019harmonie sur celle-ci. C\u2019est \u00e0 partir de cette r\u00e9flexion que je me suis de plus en plus rapproch\u00e9 de l\u2019id\u00e9e de vide qui me hantait tellement. Je me suis aper\u00e7u peu \u00e0 peu combien j\u2019avais d\u00e9pens\u00e9 d\u2019\u00e9nergie, durant toute mon existence, pour tenter de combler ce vide. Le vide, l\u2019ennui, l\u2019absence se sont confondus souvent et atteignaient une zone de douleur aux limites de l\u2019intol\u00e9rable. Alors je me d\u00e9p\u00eachais de remplir, comme je le pouvais et souvent maladroitement, ce que j\u2019imaginais, aux yeux des autres, \u00eatre une carence absolue. Dans ma na\u00efvet\u00e9, je m\u2019\u00e9tais fabriqu\u00e9 de l\u2019autre une image de \u00ab plein \u00bb qui n\u2019\u00e9tait pas moi, qui ne pouvait \u00eatre moi, qui n\u2019\u00e9tait que vide. J\u2019ai report\u00e9 souvent sur l\u2019autre la rage de d\u00e9couvrir ce vide personnel ; et ma col\u00e8re, comme mon d\u00e9sespoir, furent souvent terribles de constater que l\u2019autre ne pouvait combler quoi que ce soit, n\u2019\u00e9tant qu\u2019une projection imaginaire d\u2019un plein id\u00e9alis\u00e9. Pourtant, la science moderne d\u00e9couvre de plus en plus de qualit\u00e9s \u00e0 ce vide qui semble occuper une place d\u00e9mesur\u00e9e dans l\u2019univers. 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Expuls\u00e9 en 1934 du groupe surr\u00e9aliste pour avoir dessin\u00e9 des portraits, Alberto Giacometti a d\u00fb passer par des galeries de New York avant de pouvoir revenir exposer \u00e0 Paris. Ce n\u2019est qu\u2019en 1962 qu\u2019il obtiendra le grand prix de la sculpture \u00e0 la Biennale de Venise, puis le grand prix national des arts \u00e0 Paris en 1965.<\/p>\n
Ce rappel me laisse deux verbes en t\u00eate, importants dans toute d\u00e9marche artistique, plastique, notamment pour le dessin : dessiner<\/strong> et exposer<\/strong>.<\/p>\n Si tous les chemins m\u00e8nent \u00e0 Rome, comme on a coutume de le dire, en dessin, je ne pense pas qu\u2019il existe tant de chemins praticables que cela.<\/p>\n Tu auras le choix entre la copie — celle de dessinateurs connus, ou celle de mod\u00e8les photographiques —, ou bien aller t\u2019installer dans la nature, ou \u00e0 l\u2019arri\u00e8re-salle d\u2019un bistrot, afin de t\u2019entra\u00eener.<\/p>\n Car, avant toute chose, il faut s\u2019entra\u00eener beaucoup avant de trouver son style.<\/p>\n Cependant, il existe une autre voie, \u00e0 la fois plus rapide et plus longue : ne pas se r\u00e9f\u00e9rer \u00e0 des choses d\u00e9j\u00e0 vues, r\u00e9pudier toute id\u00e9e de copie, et aller trouver en soi le mod\u00e8le de ses propres dessins.<\/p>\n Cela demande du courage et de la na\u00efvet\u00e9. Du courage, parce qu\u2019il faudra sans doute essuyer des critiques plus acerbes ; de la na\u00efvet\u00e9, si l\u2019on se tient pour un original, un singulier qui r\u00e9inventerait \u00e0 lui seul le monde.<\/p>\n On rencontre souvent ce second cas de figure chez les dessinateurs autodidactes, et ce n\u2019est pas tant l\u2019orgueil qui les aiguillonne qu\u2019une \u00e9trange impossibilit\u00e9 de rentrer dans quelque moule que ce soit.<\/p>\n « C\u2019est plus fort qu\u2019eux » : s\u2019exprimer prend le pas sur apprendre ou s\u2019entra\u00eener. Ce qui ne veut absolument pas dire qu\u2019ils n\u2019apprennent ni ne s\u2019am\u00e9liorent. Simplement, ils s\u2019inventent eux-m\u00eames leur apprentissage, qui n\u2019est pas celui qu\u2019empruntent tous les autres.<\/p>\n Ces deux voies majeures pour apprendre \u00e0 dessiner sont longues et n\u00e9cessitent de l\u2019exigence.<\/p>\n C\u2019est cette exigence — cette forme d\u2019impeccabilit\u00e9, en quelque sorte — qui pousse le dessinateur \u00e0 passer des heures \u00e0 corriger ses traits, \u00e0 gommer ce qui est bancal, \u00e0 regarder, observer encore et encore son travail, jusqu\u2019\u00e0 parvenir \u00e0 une id\u00e9e d\u2019excellence, tout \u00e0 fait subjective d\u2019ailleurs.<\/p>\n Ceux qui seront les plus exigeants, mais aussi les plus acharn\u00e9s \u00e0 refaire, \u00e0 s\u2019am\u00e9liorer, ceux qui maintiendront la r\u00e9gularit\u00e9, qui poursuivront ce r\u00eave un peu fou de repr\u00e9senter un monde — ext\u00e9rieur ou int\u00e9rieur, peu importe —, ceux-l\u00e0 sont les vrais artistes.<\/p>\n Ils peuvent \u00eatre inconnus pendant de tr\u00e8s longues ann\u00e9es, pour tout un tas de raisons qui viennent d\u2019eux-m\u00eames ou du public, qui les ignore ou les boude quand il s\u2019agit de montrer leurs travaux.<\/p>\n Car une fois les dessins effectu\u00e9s, apr\u00e8s de nombreuses ann\u00e9es de patience et de travail, il faut encore rencontrer les autres, ou tout du moins prendre son courage \u00e0 deux mains pour oser exposer son travail.<\/p>\n Bon nombre de dessinateurs ont alors un double parcours du combattant \u00e0 r\u00e9aliser.<\/p>\n Cependant, je ne pense pas qu\u2019il puisse exister d\u2019\u0153uvre v\u00e9ritablement inconnue. T\u00f4t ou tard, le talent rencontre les autres.<\/p>\n Et puis ne mettons pas la charrue avant les b\u0153ufs, le sable avant les cailloux.<\/p>\n N\u2019oublions pas le premier verbe : on dessine<\/strong>\u2026<\/p>\n Une fois l\u2019adolescence pass\u00e9e, je ne me suis plus vraiment int\u00e9ress\u00e9 — du moins j\u2019en fus beaucoup moins obs\u00e9d\u00e9 — par mon « style » vestimentaire. Et encore bien moins depuis que j\u2019ai quitt\u00e9 le monde de l\u2019entreprise et les uniformes qui vont avec.<\/p>\n Mais le fait de m\u2019int\u00e9resser \u00e0 la peinture, et plus particuli\u00e8rement au dessin, curieusement, me ram\u00e8ne dans un pass\u00e9 plus ou moins lointain, \u00e0 une ou plusieurs \u00e9poques de ma vie durant lesquelles, pour une raison visc\u00e9rale plus que raisonnable, je me serais d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9 de ce mot.<\/p>\n Encore plus curieusement, depuis que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 \u00e9laborer ce texte, me remontent au nez des odeurs d\u2019encre et de craie, accompagn\u00e9es de la couleur blanche, violette et noire.<\/p>\n Sans le vouloir, j\u2019associe le style au mot stylo, ou plus pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 la plume de mes ann\u00e9es d\u2019\u00e9colier, celle que j\u2019adorais utiliser pour former de belles lettres dans une \u00e9criture calligraphique.<\/p>\n \u00c0 cette \u00e9poque, le mod\u00e8le \u00e9tait l\u2019\u00e9criture de la ma\u00eetresse, qui inscrivait au tableau, dans une graphie superbe, la date du jour chaque matin ; puis le sujet de la le\u00e7on suivait.<\/p>\n En \u00e9tais-je amoureux ? Je ne m\u2019en rappelle plus, mais nul doute que l\u2019affection que je devais lui porter comptait dans l\u2019application que je mettais \u00e0 coucher les mots sur le papier, sans faire de p\u00e2t\u00e9, sans saloper la belle page blanche.<\/p>\n L\u2019envie de plaire \u00e9tait alors un moteur essentiel, et avec elle l\u2019envie d\u2019\u00eatre reconnu, d\u2019exister aux yeux de quelqu\u2019un. C\u2019\u00e9tait si simple, dans le fond, que je l\u2019ai compl\u00e8tement oubli\u00e9.<\/p>\n Mais \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, sous cette envie de plaire — qui aurait pu chercher \u00e0 s\u2019exprimer de mille fa\u00e7ons et avec d\u2019autres, comme mes parents par exemple — ne se cachait-il pas une motivation premi\u00e8re que je n\u2019ai pas voulu accepter tout de suite, tant elle m\u2019\u00e9tait apparue incongrue ? C\u2019\u00e9tait l\u2019envie de m\u2019exprimer.<\/p>\n M\u2019exprimer, dans mon enfance, \u00e9tait une interdiction familiale. Je ne parle pas des conversations usuelles, bien s\u00fbr, mais de tout ce que j\u2019aurais voulu partager comme questionnement, et ce d\u00e8s ma plus tendre enfance, comme on dit.<\/p>\n Elle ne fut pas tendre, cette enfance. Pas du tout.<\/p>\n J\u2019entends encore tous les « tais-toi », les « tu ne peux pas comprendre », les « tu es trop petit », les « tu es trop b\u00eate ». Je ressens encore, parfois dans ma chair, les coups de ceinture qui accompagnaient ces injonctions, intempestives autant qu\u2019imp\u00e9rieuses.<\/p>\n Les mots et les coups me conduisaient vers la disparition, l\u2019\u00e9vanouissement total, dans une fuite litt\u00e9ralement animale, comme ces insectes qui font semblant d\u2019\u00eatre morts.<\/p>\n J\u2019ai bien s\u00fbr tent\u00e9 bien des approches, mais ma timidit\u00e9 maladive m\u2019imposait des limites \u00e9troites.<\/p>\n Ma sensibilit\u00e9 m\u2019\u00e9tait un fardeau insoutenable, aussit\u00f4t que je constatais \u00e0 quel point la plupart des gens que je c\u00f4toyais, au mieux, la moquaient ; au pire, s\u2019en fichaient, pour ne pas oser assumer qu\u2019ils la d\u00e9testaient.<\/p>\n La seule vraie valeur dont il fallait s\u2019armer, co\u00fbte que co\u00fbte, \u00e9tait alors le travail. Une abstraction. Et ce m\u00eame si la mati\u00e8re sur laquelle il \u00e9tait de mise de s\u2019user — l\u2019arithm\u00e9tique, la gymnastique, l\u2019instruction civique, l\u2019histoire et la g\u00e9ographie —, en fait toutes ces mati\u00e8res r\u00e9barbatives, primaient et balayaient toute vell\u00e9it\u00e9 de po\u00e9sie, de cr\u00e9ation artistique, dont le dessin.<\/p>\n Du style, je n\u2019avais de nouvelles que par l\u2019\u00e9ternelle tenue de mon p\u00e8re, qui s\u2019imposait \u00e0 lui-m\u00eame, mais aussi \u00e0 ma m\u00e8re — surtout \u00e0 ma m\u00e8re, d\u2019ailleurs — : chemises blanches, costumes gris, chaussures impeccablement cir\u00e9es. Il s\u2019imposait d\u2019appara\u00eetre irr\u00e9prochable vis-\u00e0-vis du monde ext\u00e9rieur.<\/p>\n Tandis qu\u2019entre les murs de la maison familiale, il \u00e9tait un tyran cruel qui se baladait en slip, dans une impudeur outranci\u00e8re.<\/p>\n Il se peut donc qu\u2019obtenir un style, \u00e0 cette \u00e9poque, ne f\u00fbt pas aussi important pour moi que de survivre \u00e0 l\u2019absurdit\u00e9 que je percevais du monde par la lorgnette de l\u2019univers familial. Ce fut m\u00eame un rejet qui s\u2019amplifia au fur et \u00e0 mesure des ann\u00e9es.<\/p>\n Des ann\u00e9es plus tard, alors que j\u2019assistais \u00e0 une s\u00e9ance de cin\u00e9ma \u00e0 Saint-Stanislas d\u2019Osny, dans le Val-d\u2019Oise — \u00e0 l\u2019\u00e9poque, on m\u2019avait plac\u00e9 en pension chez des pr\u00eatres polonais, tous plus ou moins survivants d\u2019Auschwitz —, le film \u00e9tait le m\u00eame chaque ann\u00e9e, \u00e0 la m\u00eame \u00e9poque : la geste h\u00e9ro\u00efque du p\u00e8re Kolbe qui se sacrifiait pour sauver ses compagnons de cellule.<\/p>\n Je fus alors \u00e9treint par une \u00e9motion telle que je me r\u00e9fugiai au bout du grand parc pour sangloter tout mon saoul, sans bien savoir pourquoi.<\/p>\n Cette histoire m\u2019avait boulevers\u00e9 : elle avait touch\u00e9 quelque chose d\u2019essentiel dans le fondement de ma personnalit\u00e9. Cette notion de sacrifice r\u00e9sonnait sans que je ne la comprenne ; et je me traitais d\u2019idiot en s\u00e9chant mes larmes pour ne plus y penser, et surtout revenir, les yeux secs, vers mes compagnons.<\/p>\n Sans doute que le style ne me lasse pas de f\u00e9d\u00e9rer autour de lui tant d\u2019anecdotes parfois douloureuses. Le style instille et distille, de la pointe du stylet qui creuse en m\u00eame temps la chair que la m\u00e9moire.<\/p>\n Cependant, apr\u00e8s toutes ces digressions, il me faut revenir au style.<\/p>\n Un style personnel : un style comme une lame de Tol\u00e8de, forg\u00e9e par les flammes, par les incendies que l\u2019\u00e9criture provoque dans cette \u00e9toupe de souvenirs.<\/p>\n Oui, il me faut accepter mon style d\u00e9sormais et le tenir, co\u00fbte que co\u00fbte, contre vent et mar\u00e9es, tout simplement parce que je l\u2019ai bien m\u00e9rit\u00e9.<\/p>",
"content_text": " Expuls\u00e9 en 1934 du groupe surr\u00e9aliste pour avoir dessin\u00e9 des portraits, Alberto Giacometti a d\u00fb passer par des galeries de New York avant de pouvoir revenir exposer \u00e0 Paris. Ce n\u2019est qu\u2019en 1962 qu\u2019il obtiendra le grand prix de la sculpture \u00e0 la Biennale de Venise, puis le grand prix national des arts \u00e0 Paris en 1965. Ce rappel me laisse deux verbes en t\u00eate, importants dans toute d\u00e9marche artistique, plastique, notamment pour le dessin : **dessiner** et **exposer**. Si tous les chemins m\u00e8nent \u00e0 Rome, comme on a coutume de le dire, en dessin, je ne pense pas qu\u2019il existe tant de chemins praticables que cela. Tu auras le choix entre la copie \u2014 celle de dessinateurs connus, ou celle de mod\u00e8les photographiques \u2014, ou bien aller t\u2019installer dans la nature, ou \u00e0 l\u2019arri\u00e8re-salle d\u2019un bistrot, afin de t\u2019entra\u00eener. Car, avant toute chose, il faut s\u2019entra\u00eener beaucoup avant de trouver son style. Cependant, il existe une autre voie, \u00e0 la fois plus rapide et plus longue : ne pas se r\u00e9f\u00e9rer \u00e0 des choses d\u00e9j\u00e0 vues, r\u00e9pudier toute id\u00e9e de copie, et aller trouver en soi le mod\u00e8le de ses propres dessins. Cela demande du courage et de la na\u00efvet\u00e9. Du courage, parce qu\u2019il faudra sans doute essuyer des critiques plus acerbes ; de la na\u00efvet\u00e9, si l\u2019on se tient pour un original, un singulier qui r\u00e9inventerait \u00e0 lui seul le monde. On rencontre souvent ce second cas de figure chez les dessinateurs autodidactes, et ce n\u2019est pas tant l\u2019orgueil qui les aiguillonne qu\u2019une \u00e9trange impossibilit\u00e9 de rentrer dans quelque moule que ce soit. \u00ab C\u2019est plus fort qu\u2019eux \u00bb : s\u2019exprimer prend le pas sur apprendre ou s\u2019entra\u00eener. Ce qui ne veut absolument pas dire qu\u2019ils n\u2019apprennent ni ne s\u2019am\u00e9liorent. Simplement, ils s\u2019inventent eux-m\u00eames leur apprentissage, qui n\u2019est pas celui qu\u2019empruntent tous les autres. Ces deux voies majeures pour apprendre \u00e0 dessiner sont longues et n\u00e9cessitent de l\u2019exigence. C\u2019est cette exigence \u2014 cette forme d\u2019impeccabilit\u00e9, en quelque sorte \u2014 qui pousse le dessinateur \u00e0 passer des heures \u00e0 corriger ses traits, \u00e0 gommer ce qui est bancal, \u00e0 regarder, observer encore et encore son travail, jusqu\u2019\u00e0 parvenir \u00e0 une id\u00e9e d\u2019excellence, tout \u00e0 fait subjective d\u2019ailleurs. Ceux qui seront les plus exigeants, mais aussi les plus acharn\u00e9s \u00e0 refaire, \u00e0 s\u2019am\u00e9liorer, ceux qui maintiendront la r\u00e9gularit\u00e9, qui poursuivront ce r\u00eave un peu fou de repr\u00e9senter un monde \u2014 ext\u00e9rieur ou int\u00e9rieur, peu importe \u2014, ceux-l\u00e0 sont les vrais artistes. Ils peuvent \u00eatre inconnus pendant de tr\u00e8s longues ann\u00e9es, pour tout un tas de raisons qui viennent d\u2019eux-m\u00eames ou du public, qui les ignore ou les boude quand il s\u2019agit de montrer leurs travaux. Car une fois les dessins effectu\u00e9s, apr\u00e8s de nombreuses ann\u00e9es de patience et de travail, il faut encore rencontrer les autres, ou tout du moins prendre son courage \u00e0 deux mains pour oser exposer son travail. Bon nombre de dessinateurs ont alors un double parcours du combattant \u00e0 r\u00e9aliser. Cependant, je ne pense pas qu\u2019il puisse exister d\u2019\u0153uvre v\u00e9ritablement inconnue. T\u00f4t ou tard, le talent rencontre les autres. Et puis ne mettons pas la charrue avant les b\u0153ufs, le sable avant les cailloux. N\u2019oublions pas le premier verbe : **on dessine**\u2026 Une fois l\u2019adolescence pass\u00e9e, je ne me suis plus vraiment int\u00e9ress\u00e9 \u2014 du moins j\u2019en fus beaucoup moins obs\u00e9d\u00e9 \u2014 par mon \u00ab style \u00bb vestimentaire. Et encore bien moins depuis que j\u2019ai quitt\u00e9 le monde de l\u2019entreprise et les uniformes qui vont avec. Mais le fait de m\u2019int\u00e9resser \u00e0 la peinture, et plus particuli\u00e8rement au dessin, curieusement, me ram\u00e8ne dans un pass\u00e9 plus ou moins lointain, \u00e0 une ou plusieurs \u00e9poques de ma vie durant lesquelles, pour une raison visc\u00e9rale plus que raisonnable, je me serais d\u00e9sint\u00e9ress\u00e9 de ce mot. Encore plus curieusement, depuis que j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 \u00e9laborer ce texte, me remontent au nez des odeurs d\u2019encre et de craie, accompagn\u00e9es de la couleur blanche, violette et noire. Sans le vouloir, j\u2019associe le style au mot stylo, ou plus pr\u00e9cis\u00e9ment \u00e0 la plume de mes ann\u00e9es d\u2019\u00e9colier, celle que j\u2019adorais utiliser pour former de belles lettres dans une \u00e9criture calligraphique. \u00c0 cette \u00e9poque, le mod\u00e8le \u00e9tait l\u2019\u00e9criture de la ma\u00eetresse, qui inscrivait au tableau, dans une graphie superbe, la date du jour chaque matin ; puis le sujet de la le\u00e7on suivait. En \u00e9tais-je amoureux ? Je ne m\u2019en rappelle plus, mais nul doute que l\u2019affection que je devais lui porter comptait dans l\u2019application que je mettais \u00e0 coucher les mots sur le papier, sans faire de p\u00e2t\u00e9, sans saloper la belle page blanche. L\u2019envie de plaire \u00e9tait alors un moteur essentiel, et avec elle l\u2019envie d\u2019\u00eatre reconnu, d\u2019exister aux yeux de quelqu\u2019un. C\u2019\u00e9tait si simple, dans le fond, que je l\u2019ai compl\u00e8tement oubli\u00e9. Mais \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, sous cette envie de plaire \u2014 qui aurait pu chercher \u00e0 s\u2019exprimer de mille fa\u00e7ons et avec d\u2019autres, comme mes parents par exemple \u2014 ne se cachait-il pas une motivation premi\u00e8re que je n\u2019ai pas voulu accepter tout de suite, tant elle m\u2019\u00e9tait apparue incongrue ? C\u2019\u00e9tait l\u2019envie de m\u2019exprimer. M\u2019exprimer, dans mon enfance, \u00e9tait une interdiction familiale. Je ne parle pas des conversations usuelles, bien s\u00fbr, mais de tout ce que j\u2019aurais voulu partager comme questionnement, et ce d\u00e8s ma plus tendre enfance, comme on dit. Elle ne fut pas tendre, cette enfance. Pas du tout. J\u2019entends encore tous les \u00ab tais-toi \u00bb, les \u00ab tu ne peux pas comprendre \u00bb, les \u00ab tu es trop petit \u00bb, les \u00ab tu es trop b\u00eate \u00bb. Je ressens encore, parfois dans ma chair, les coups de ceinture qui accompagnaient ces injonctions, intempestives autant qu\u2019imp\u00e9rieuses. Les mots et les coups me conduisaient vers la disparition, l\u2019\u00e9vanouissement total, dans une fuite litt\u00e9ralement animale, comme ces insectes qui font semblant d\u2019\u00eatre morts. J\u2019ai bien s\u00fbr tent\u00e9 bien des approches, mais ma timidit\u00e9 maladive m\u2019imposait des limites \u00e9troites. Ma sensibilit\u00e9 m\u2019\u00e9tait un fardeau insoutenable, aussit\u00f4t que je constatais \u00e0 quel point la plupart des gens que je c\u00f4toyais, au mieux, la moquaient ; au pire, s\u2019en fichaient, pour ne pas oser assumer qu\u2019ils la d\u00e9testaient. La seule vraie valeur dont il fallait s\u2019armer, co\u00fbte que co\u00fbte, \u00e9tait alors le travail. Une abstraction. Et ce m\u00eame si la mati\u00e8re sur laquelle il \u00e9tait de mise de s\u2019user \u2014 l\u2019arithm\u00e9tique, la gymnastique, l\u2019instruction civique, l\u2019histoire et la g\u00e9ographie \u2014, en fait toutes ces mati\u00e8res r\u00e9barbatives, primaient et balayaient toute vell\u00e9it\u00e9 de po\u00e9sie, de cr\u00e9ation artistique, dont le dessin. Du style, je n\u2019avais de nouvelles que par l\u2019\u00e9ternelle tenue de mon p\u00e8re, qui s\u2019imposait \u00e0 lui-m\u00eame, mais aussi \u00e0 ma m\u00e8re \u2014 surtout \u00e0 ma m\u00e8re, d\u2019ailleurs \u2014 : chemises blanches, costumes gris, chaussures impeccablement cir\u00e9es. Il s\u2019imposait d\u2019appara\u00eetre irr\u00e9prochable vis-\u00e0-vis du monde ext\u00e9rieur. Tandis qu\u2019entre les murs de la maison familiale, il \u00e9tait un tyran cruel qui se baladait en slip, dans une impudeur outranci\u00e8re. Il se peut donc qu\u2019obtenir un style, \u00e0 cette \u00e9poque, ne f\u00fbt pas aussi important pour moi que de survivre \u00e0 l\u2019absurdit\u00e9 que je percevais du monde par la lorgnette de l\u2019univers familial. Ce fut m\u00eame un rejet qui s\u2019amplifia au fur et \u00e0 mesure des ann\u00e9es. Des ann\u00e9es plus tard, alors que j\u2019assistais \u00e0 une s\u00e9ance de cin\u00e9ma \u00e0 Saint-Stanislas d\u2019Osny, dans le Val-d\u2019Oise \u2014 \u00e0 l\u2019\u00e9poque, on m\u2019avait plac\u00e9 en pension chez des pr\u00eatres polonais, tous plus ou moins survivants d\u2019Auschwitz \u2014, le film \u00e9tait le m\u00eame chaque ann\u00e9e, \u00e0 la m\u00eame \u00e9poque : la geste h\u00e9ro\u00efque du p\u00e8re Kolbe qui se sacrifiait pour sauver ses compagnons de cellule. Je fus alors \u00e9treint par une \u00e9motion telle que je me r\u00e9fugiai au bout du grand parc pour sangloter tout mon saoul, sans bien savoir pourquoi. Cette histoire m\u2019avait boulevers\u00e9 : elle avait touch\u00e9 quelque chose d\u2019essentiel dans le fondement de ma personnalit\u00e9. Cette notion de sacrifice r\u00e9sonnait sans que je ne la comprenne ; et je me traitais d\u2019idiot en s\u00e9chant mes larmes pour ne plus y penser, et surtout revenir, les yeux secs, vers mes compagnons. Sans doute que le style ne me lasse pas de f\u00e9d\u00e9rer autour de lui tant d\u2019anecdotes parfois douloureuses. Le style instille et distille, de la pointe du stylet qui creuse en m\u00eame temps la chair que la m\u00e9moire. Cependant, apr\u00e8s toutes ces digressions, il me faut revenir au style. Un style personnel : un style comme une lame de Tol\u00e8de, forg\u00e9e par les flammes, par les incendies que l\u2019\u00e9criture provoque dans cette \u00e9toupe de souvenirs. Oui, il me faut accepter mon style d\u00e9sormais et le tenir, co\u00fbte que co\u00fbte, contre vent et mar\u00e9es, tout simplement parce que je l\u2019ai bien m\u00e9rit\u00e9. ",
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"title": "05 novembre 2019",
"date_published": "2019-11-05T08:14:00Z",
"date_modified": "2025-12-21T08:14:54Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Nous croyons parfois savoir beaucoup, mais il nous manque souvent la connaissance de ce pourquoi nous d\u00e9sirons tant savoir. Ces derniers temps, cette cause premi\u00e8re m\u2019obs\u00e8de, et ce qui m\u2019\u00e9tonne, c\u2019est de d\u00e9couvrir que je ne me posais pas la question avant. Quand on pense au d\u00e9sir — et il est rare qu\u2019on y pense sans se mentir, tant il aveugle sur ses origines — on ne tombe pas forc\u00e9ment sur le manque, mais sur une absence. \u00c0 premi\u00e8re vue, c\u2019est pareil ; au second regard, non. Le manque suppose qu\u2019un « quelque chose » puisse le combler ; l\u2019absence, elle, r\u00e9v\u00e8le plut\u00f4t une pr\u00e9sence que l\u2019on cherche \u00e0 fuir en l\u2019entourant de voiles. Il faut aller loin dans l\u2019art pour sentir les deux \u00e0 la fois : absence et pr\u00e9sence, coup d\u2019\u0153il et dur\u00e9e, et parvenir \u00e0 ce point o\u00f9 elles se fondent. Tout tableau, tout livre, n\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019un emballage plus ou moins r\u00e9ussi pour mettre en perspective cette pr\u00e9sence de l\u2019absence, m\u00eame si l\u2019auteur s\u2019en d\u00e9fend ou l\u2019ignore. Et, dans l\u2019acte de cr\u00e9er — une prog\u00e9niture ou une \u0153uvre — il y a souvent cela : un effacement. On peut appeler \u00e7a sacrifice, offrande, r\u00e9demption, mais ce vocabulaire promet surtout de mauvaises d\u00e9ceptions ; qui voudrait-on sauver, et de quoi ? Sans doute faut-il pers\u00e9v\u00e9rer et traverser ce r\u00e9seau compliqu\u00e9 de couloirs entre l\u2019\u00eatre et l\u2019avoir, jusqu\u2019\u00e0 ce que les deux se rejoignent, dans l\u2019athanor du corps et de l\u2019esprit : non pas l\u2019or des formules, mais la fusion du manque et de l\u2019absence.<\/p>\n Quand j\u2019\u00e9tais gamin — et je le suis toujours un peu — je me r\u00e9fugiais au fond du lit avec une lampe de poche pour d\u00e9vorer des livres de contes et de l\u00e9gendes. Chaque ann\u00e9e, \u00e0 No\u00ebl ou pour mon anniversaire, j\u2019en recevais un nouveau : reli\u00e9, couverture blanche, filigrane dor\u00e9 ; je m\u2019y \u00e9vadais aussit\u00f4t, tant les conversations des adultes me semblaient ennuyeuses et vaines. Il n\u2019est donc pas \u00e9tonnant que cette \u00e9motion, nuit apr\u00e8s nuit, m\u2019ait donn\u00e9 envie de fabriquer des histoires \u00e0 mon tour : d\u2019abord comme spectateur privil\u00e9gi\u00e9, recr\u00e9ant le monde depuis un point de vue fantastique, puis comme marionnette de l\u2019auteur que j\u2019avais tir\u00e9 de la boue et de la glaise — ce m\u00e9lange d\u2019envies contraires venu de mon incapacit\u00e9 \u00e0 vivre « comme tout le monde ». Il faut partir avec un handicap, au moins, pour que la mayonnaise prenne. Au bout de cette course, je vois aujourd\u2019hui un personnage effrayant : une esp\u00e8ce d\u2019ogre. Il pourrait avaler d\u2019une bouch\u00e9e tous les restes enfantins auxquels je tenais. D\u00e9j\u00e0, une duret\u00e9 s\u2019infiltre dans mon regard ; d\u00e9j\u00e0, la compassion \u00e0 laquelle je m\u2019accrochais comme un naufrag\u00e9 se d\u00e9gonfle. L\u2019\u00e2pret\u00e9 du [...]<\/p>",
"content_text": " Nous croyons parfois savoir beaucoup, mais il nous manque souvent la connaissance de ce pourquoi nous d\u00e9sirons tant savoir. Ces derniers temps, cette cause premi\u00e8re m\u2019obs\u00e8de, et ce qui m\u2019\u00e9tonne, c\u2019est de d\u00e9couvrir que je ne me posais pas la question avant. Quand on pense au d\u00e9sir \u2014 et il est rare qu\u2019on y pense sans se mentir, tant il aveugle sur ses origines \u2014 on ne tombe pas forc\u00e9ment sur le manque, mais sur une absence. \u00c0 premi\u00e8re vue, c\u2019est pareil ; au second regard, non. Le manque suppose qu\u2019un \u00ab quelque chose \u00bb puisse le combler ; l\u2019absence, elle, r\u00e9v\u00e8le plut\u00f4t une pr\u00e9sence que l\u2019on cherche \u00e0 fuir en l\u2019entourant de voiles. Il faut aller loin dans l\u2019art pour sentir les deux \u00e0 la fois : absence et pr\u00e9sence, coup d\u2019\u0153il et dur\u00e9e, et parvenir \u00e0 ce point o\u00f9 elles se fondent. Tout tableau, tout livre, n\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019un emballage plus ou moins r\u00e9ussi pour mettre en perspective cette pr\u00e9sence de l\u2019absence, m\u00eame si l\u2019auteur s\u2019en d\u00e9fend ou l\u2019ignore. Et, dans l\u2019acte de cr\u00e9er \u2014 une prog\u00e9niture ou une \u0153uvre \u2014 il y a souvent cela : un effacement. On peut appeler \u00e7a sacrifice, offrande, r\u00e9demption, mais ce vocabulaire promet surtout de mauvaises d\u00e9ceptions ; qui voudrait-on sauver, et de quoi ? Sans doute faut-il pers\u00e9v\u00e9rer et traverser ce r\u00e9seau compliqu\u00e9 de couloirs entre l\u2019\u00eatre et l\u2019avoir, jusqu\u2019\u00e0 ce que les deux se rejoignent, dans l\u2019athanor du corps et de l\u2019esprit : non pas l\u2019or des formules, mais la fusion du manque et de l\u2019absence. Quand j\u2019\u00e9tais gamin \u2014 et je le suis toujours un peu \u2014 je me r\u00e9fugiais au fond du lit avec une lampe de poche pour d\u00e9vorer des livres de contes et de l\u00e9gendes. Chaque ann\u00e9e, \u00e0 No\u00ebl ou pour mon anniversaire, j\u2019en recevais un nouveau : reli\u00e9, couverture blanche, filigrane dor\u00e9 ; je m\u2019y \u00e9vadais aussit\u00f4t, tant les conversations des adultes me semblaient ennuyeuses et vaines. Il n\u2019est donc pas \u00e9tonnant que cette \u00e9motion, nuit apr\u00e8s nuit, m\u2019ait donn\u00e9 envie de fabriquer des histoires \u00e0 mon tour : d\u2019abord comme spectateur privil\u00e9gi\u00e9, recr\u00e9ant le monde depuis un point de vue fantastique, puis comme marionnette de l\u2019auteur que j\u2019avais tir\u00e9 de la boue et de la glaise \u2014 ce m\u00e9lange d\u2019envies contraires venu de mon incapacit\u00e9 \u00e0 vivre \u00ab comme tout le monde \u00bb. Il faut partir avec un handicap, au moins, pour que la mayonnaise prenne. Au bout de cette course, je vois aujourd\u2019hui un personnage effrayant : une esp\u00e8ce d\u2019ogre. Il pourrait avaler d\u2019une bouch\u00e9e tous les restes enfantins auxquels je tenais. D\u00e9j\u00e0, une duret\u00e9 s\u2019infiltre dans mon regard ; d\u00e9j\u00e0, la compassion \u00e0 laquelle je m\u2019accrochais comme un naufrag\u00e9 se d\u00e9gonfle. L\u2019\u00e2pret\u00e9 du [...] ",
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"title": "04 novembre 2019 ",
"date_published": "2019-11-04T08:05:00Z",
"date_modified": "2025-12-21T08:08:41Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " C\u2019est avec des id\u00e9es embrouill\u00e9es que l\u2019odeur du caf\u00e9 m\u2019extirpe des bras de Morph\u00e9e ; et si la premi\u00e8re phrase qui me vient \u00e0 l\u2019esprit ce matin est : « L\u2019univers est une illusion », je n\u2019en suis pas plus rassur\u00e9 pour autant.<\/p>\n Car dans ce cas, comment parvenons-nous \u00e0 maintenir si solidement cette illusion depuis tant d\u2019ann\u00e9es, de si\u00e8cles, de mill\u00e9naires ? Comment les r\u00e8gles que nous nous fixons — en maths, en g\u00e9om\u00e9trie, en physique, qu\u2019elle soit quantique ou autre — continueraient-elles \u00e0 produire des r\u00e9sultats \u00e0 peu pr\u00e8s toujours similaires ?<\/p>\n Nous nous accrochons \u00e0 des processus, \u00e0 des « how to », par confort, par habitude, en imaginant que le r\u00e9sultat sera toujours le m\u00eame. Dans le fond, je ne suis pas loin de penser que c\u2019est parce que nous imaginons ce r\u00e9sultat \u00e0 l\u2019avance que les processus fonctionnent : ils ne seraient qu\u2019un pr\u00e9texte pour cr\u00e9er un chemin mental vers ce r\u00e9sultat attendu.<\/p>\n L\u2019univers est une illusion.<\/p>\n Les Aborig\u00e8nes d\u2019Australie parlent du « Dream Time » depuis toujours. Leurs rituels n\u2019ont rien \u00e0 envier \u00e0 nos formules math\u00e9matiques, \u00e0 nos proc\u00e9d\u00e9s modernes de fabrication de ce r\u00eave que nous appelons na\u00efvement « r\u00e9alit\u00e9 ».<\/p>\n Dans les r\u00eaves, il suffit de penser \u00e0 une chose pour qu\u2019elle advienne imm\u00e9diatement, comme par magie. Dans les cauchemars aussi. Cependant, nous n\u2019en savons gu\u00e8re plus sur le contr\u00f4le de nos r\u00eaves que sur la pseudo-r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n Carlos Castaneda parlait d\u2019un entra\u00eenement quotidien dont l\u2019essentiel \u00e9tait de maintenir la conscience de ses mains pour s\u2019enfoncer progressivement, habilement, dans le sommeil et les r\u00eaves. En maintenant cette « attention » farouchement sur un point focal facile — nos propres mains — nous obtiendrions, avec l\u2019habitude, la r\u00e9gularit\u00e9, et surtout la croyance que cela fonctionne, la possibilit\u00e9 de cr\u00e9er un pont entre ces deux \u00e9tats : l\u2019\u00e9veil et l\u2019endormissement ; qui, j\u2019en suis persuad\u00e9 d\u00e9sormais, ne sont rien d\u2019autre que la m\u00eame chose, sauf pour de tr\u00e8s rares personnes.<\/p>\n En r\u00e9fl\u00e9chissant \u00e0 cela, et en \u00e9tablissant un parall\u00e8le avec le dessin, j\u2019entrevois un \u00e9cho \u00e0 ce qu\u2019\u00e9voque Castaneda. S\u2019enfoncer dans un dessin, finalement, c\u2019est aussi traverser la paroi poreuse des r\u00eaves et des pseudo-r\u00e9alit\u00e9s.<\/p>\n Hier, j\u2019ai voulu tenter cette exp\u00e9rience : partir au hasard des traits, des lignes, avec mon crayon comme objet de concentration. Sans \u00e9tablir de processus compliqu\u00e9, en partant juste de la contrainte du trait, de la hachure, plus ou moins \u00e9paisse, plus ou moins resserr\u00e9e ou espac\u00e9e.<\/p>\n \u00c0 un moment donn\u00e9, je suis « tomb\u00e9 » dans le dessin tout entier sans savoir ce qu\u2019il repr\u00e9sentait : juste des vibrations de valeurs, des ondulations provoqu\u00e9es par le sens des hachures.<\/p>\n Comme on utilise le rythme des tambours, on peut utiliser le son de la pointe du crayon comme signal auditif, comme source d\u2019attention, pour p\u00e9n\u00e9trer dans ce monde bizarre de traces qui, soudain, forme un univers \u00e0 part enti\u00e8re.<\/p>\n On peut alors comprendre que des forces qui n\u2019ont rien \u00e0 voir avec l\u2019intellect classique exercent des pressions, des acc\u00e9l\u00e9rations et des ralentissements, utilisant \u00e0 la fois lourdeur et l\u00e9g\u00e8ret\u00e9, pour r\u00e9sumer maladroitement.<\/p>\n Le dessinateur devient comme une antenne, et la main prolong\u00e9e du crayon devient cette partie mobile qui r\u00e9agit aux informations capt\u00e9es.<\/p>\n Voil\u00e0 comment on peut vouloir atteindre un objectif — dessiner — et se retrouver sourcier, \u00e9bahi, par la cartographie d\u2019un terrain \u00e9trange que l\u2019on vient de « r\u00e9aliser ».<\/p>\n