{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ce-texte-propose-une-reflexion-sur-la-nature-du-cerveau-humain-et-de.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ce-texte-propose-une-reflexion-sur-la-nature-du-cerveau-humain-et-de.html", "title": "Ce texte propose une r\u00e9flexion sur la nature du cerveau humain et de...", "date_published": "2019-09-22T19:18:00Z", "date_modified": "2025-02-17T02:29:06Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\nNotre cerveau, selon les derni\u00e8res d\u00e9couvertes \u00e0 ma disposition, est une entit\u00e9 pour le moins \u00e9trange. Il est froid, insensible \u00e0 la douleur, et n\u2019\u00e9prouve aucune \u00e9motion. Sa structure est d\u2019une telle complexit\u00e9 que nous sommes encore incapables d\u2019en reproduire un mod\u00e8le pr\u00e9cis, que ce soit pour tenter de fabriquer des cerveaux artificiels ou m\u00eame pour approcher leur fonctionnement. Lors du d\u00e9veloppement f\u0153tal, le cerveau de l\u2019enfant g\u00e9n\u00e8re \u00e0 une vitesse stup\u00e9fiante un nombre incalculable de cellules par seconde. Pourtant, le cerveau pr\u00e9frontal, celui qui nous permet de prendre des d\u00e9cisions rationnelles et m\u00fbres, n’atteindrait pas sa pleine maturit\u00e9 avant l\u2019\u00e2ge de trente ans.<\/p>\n
Nous ne savons pas grand-chose, comme je te le dis, et notamment, nous ne savons toujours pas si le cerveau et l\u2019esprit sont une seule et m\u00eame chose. Les images m\u00e9dicales qui montrent l\u2019activit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale d\u2019une personne en pleine r\u00e9flexion ne nous \u00e9clairent pas vraiment. Elles ne nous disent pas si c\u2019est bien le cerveau qui pense, ou s\u2019il interagit avec une autre entit\u00e9 que l\u2019on pourrait appeler l\u2019esprit, ce spiritus qui anime tout \u00eatre vivant.<\/p>\n
Il est possible que le cerveau ne soit qu\u2019une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique sophistiqu\u00e9, ou peut-\u00eatre m\u00eame une sorte d\u2019antenne. Ce qui est certain, c\u2019est que dans ce cerveau, il existe un centre de commande pour chaque organe de notre corps, et cela reste invisible. Ainsi, nous respirons, souvent inconsciemment, gr\u00e2ce \u00e0 ce centre nerveux, qui r\u00e9gule cette fonction vitale, que nous en soyons conscients ou non. Il suffit que je mentionne la respiration pour que tu en prennes soudainement conscience. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne est un myst\u00e8re fascinant : nous sommes capables de contr\u00f4ler notre respiration volontairement, alors qu\u2019aucun animal, pas m\u00eame les primates, ne poss\u00e8de cette facult\u00e9.<\/p>\n
Depuis l\u2019\u00e9poque de Galien, lorsqu\u2019il diss\u00e9quait des cerveaux de singes, pr\u00e8s de 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre le cerveau humain et celui des primates. Il semble donc difficile d\u2019affirmer avec certitude que l\u2019homme descend directement du singe ; il y a manifestement quelque chose qui s\u2019est produit entre les deux.<\/p>\n
En revanche, il existe un centre de commande que nous ne contr\u00f4lons pas du tout : celui qui r\u00e9gule notre c\u0153ur. Lorsque ce dernier est gravement d\u00e9t\u00e9rior\u00e9 et qu\u2019il est sur le point de s\u2019arr\u00eater, c\u2019est le cerveau qui envoie le dernier signal pour \u00e9teindre d\u00e9finitivement la machine.<\/p>\n
Si l\u2019on prend tous les nerfs et canaux qui parcourent le cerveau et que l\u2019on les \u00e9tendait bout \u00e0 bout, on obtiendrait une longueur \u00e9quivalente \u00e0 deux fois le tour de la Terre.<\/p>\n
Envelopp\u00e9 dans une sorte de substance gluante peu rago\u00fbtante, le cerveau se prot\u00e8ge derri\u00e8re cinq couches, formant une v\u00e9ritable forteresse imp\u00e9n\u00e9trable. Qu’est-ce qui rend le cerveau humain si diff\u00e9rent de celui des primates ? Pourquoi le fameux \"cha\u00eenon manquant\" reste-t-il une \u00e9nigme non r\u00e9solue ? On pourrait \u00e9voquer toutes sortes de th\u00e9ories, y compris celle d\u2019une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre, qui ne serait pas la plus farfelue.<\/p>\n
Quant \u00e0 l\u2019esprit, \u00e0 la conscience, personne n\u2019a encore r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9finir pr\u00e9cis\u00e9ment ce que ces notions recouvrent. Mais il existe peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante, une hypoth\u00e8se po\u00e9tique qui relie astrophysique et esprit humain.<\/p>\n
Si l\u2019on observe de pr\u00e8s le nombre astronomique de cellules, de neurones, et les connexions qui relient chacun de ces neurones, on n\u2019est pas si loin du nombre d\u2019\u00e9toiles et de corps c\u00e9lestes dans l\u2019univers. De plus, on d\u00e9couvre maintenant que tout baigne dans une sorte de mati\u00e8re noire ou d\u2019\u00e9nergie noire. Il est \u00e9trange de constater qu\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne similaire existe dans notre cerveau, qu\u2019on appelle le corps noir.<\/p>\n
Il faudrait sans doute revenir \u00e0 l\u2019alchimie pour explorer certaines id\u00e9es qui avaient d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 pens\u00e9es bien avant nos r\u00e9centes « d\u00e9couvertes » scientifiques. Mais je ne vais pas m\u2019\u00e9tendre sur le sujet, cela m\u00e9riterait un livre entier. Cet esprit qui nous anime, les anciens en parlaient d\u00e9j\u00e0 : Paracelse, entre autres, et bien d\u2019autres avant lui. Que l\u2019on parle de l\u2019esprit primordial, du Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou de Dieu, peu importe le nom qu\u2019on lui donne, ce qui importe, c\u2019est que nous ressentons tous sa pr\u00e9sence, sans jamais vraiment pouvoir la d\u00e9finir scientifiquement.<\/p>\n
La m\u00eame difficult\u00e9 s’applique \u00e0 la conscience. Aujourd’hui, dans cette \u00e8re o\u00f9 les neurosciences sont en vogue, personne ne peut r\u00e9ellement affirmer ce qu’est la conscience. Est-ce simplement une impulsion \u00e9lectrique g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par le cerveau, ou autre chose ? Nous ne le savons pas encore, mais je suis personnellement convaincu qu\u2019il y a quelque chose de plus profond qu\u2019une simple lumi\u00e8re qui s’allumerait et s’\u00e9teindrait.<\/p>\n
Il para\u00eet que le cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, une \u00e9nergie infime pour une machine aussi complexe. Et encore, cette \u00e9lectricit\u00e9, il la produit lui-m\u00eame ! Nous commen\u00e7ons seulement \u00e0 explorer ce ph\u00e9nom\u00e8ne.<\/p>\n
Peut-\u00eatre devrions-nous tourner notre regard vers le Tibet, o\u00f9 la m\u00e9ditation de pleine conscience est pratiqu\u00e9e depuis des si\u00e8cles. Certes, cela ne serait pas scientifique au sens o\u00f9 nous l\u2019entendons g\u00e9n\u00e9ralement, mais qu\u2019importe ? Pour comprendre la conscience, il faut parfois prendre du recul et consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Ce mot, consid\u00e9rer, signifie litt\u00e9ralement « regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps ».<\/p>", "content_text": "Notre cerveau, selon les derni\u00e8res d\u00e9couvertes \u00e0 ma disposition, est une entit\u00e9 pour le moins \u00e9trange. Il est froid, insensible \u00e0 la douleur, et n\u2019\u00e9prouve aucune \u00e9motion. Sa structure est d\u2019une telle complexit\u00e9 que nous sommes encore incapables d\u2019en reproduire un mod\u00e8le pr\u00e9cis, que ce soit pour tenter de fabriquer des cerveaux artificiels ou m\u00eame pour approcher leur fonctionnement. Lors du d\u00e9veloppement f\u0153tal, le cerveau de l\u2019enfant g\u00e9n\u00e8re \u00e0 une vitesse stup\u00e9fiante un nombre incalculable de cellules par seconde. Pourtant, le cerveau pr\u00e9frontal, celui qui nous permet de prendre des d\u00e9cisions rationnelles et m\u00fbres, n'atteindrait pas sa pleine maturit\u00e9 avant l\u2019\u00e2ge de trente ans. Nous ne savons pas grand-chose, comme je te le dis, et notamment, nous ne savons toujours pas si le cerveau et l\u2019esprit sont une seule et m\u00eame chose. Les images m\u00e9dicales qui montrent l\u2019activit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale d\u2019une personne en pleine r\u00e9flexion ne nous \u00e9clairent pas vraiment. Elles ne nous disent pas si c\u2019est bien le cerveau qui pense, ou s\u2019il interagit avec une autre entit\u00e9 que l\u2019on pourrait appeler l\u2019esprit, ce spiritus qui anime tout \u00eatre vivant. Il est possible que le cerveau ne soit qu\u2019une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique sophistiqu\u00e9, ou peut-\u00eatre m\u00eame une sorte d\u2019antenne. Ce qui est certain, c\u2019est que dans ce cerveau, il existe un centre de commande pour chaque organe de notre corps, et cela reste invisible. Ainsi, nous respirons, souvent inconsciemment, gr\u00e2ce \u00e0 ce centre nerveux, qui r\u00e9gule cette fonction vitale, que nous en soyons conscients ou non. Il suffit que je mentionne la respiration pour que tu en prennes soudainement conscience. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne est un myst\u00e8re fascinant : nous sommes capables de contr\u00f4ler notre respiration volontairement, alors qu\u2019aucun animal, pas m\u00eame les primates, ne poss\u00e8de cette facult\u00e9. Depuis l\u2019\u00e9poque de Galien, lorsqu\u2019il diss\u00e9quait des cerveaux de singes, pr\u00e8s de 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre le cerveau humain et celui des primates. Il semble donc difficile d\u2019affirmer avec certitude que l\u2019homme descend directement du singe ; il y a manifestement quelque chose qui s\u2019est produit entre les deux. En revanche, il existe un centre de commande que nous ne contr\u00f4lons pas du tout : celui qui r\u00e9gule notre c\u0153ur. Lorsque ce dernier est gravement d\u00e9t\u00e9rior\u00e9 et qu\u2019il est sur le point de s\u2019arr\u00eater, c\u2019est le cerveau qui envoie le dernier signal pour \u00e9teindre d\u00e9finitivement la machine. Si l\u2019on prend tous les nerfs et canaux qui parcourent le cerveau et que l\u2019on les \u00e9tendait bout \u00e0 bout, on obtiendrait une longueur \u00e9quivalente \u00e0 deux fois le tour de la Terre. Envelopp\u00e9 dans une sorte de substance gluante peu rago\u00fbtante, le cerveau se prot\u00e8ge derri\u00e8re cinq couches, formant une v\u00e9ritable forteresse imp\u00e9n\u00e9trable. Qu'est-ce qui rend le cerveau humain si diff\u00e9rent de celui des primates ? Pourquoi le fameux \"cha\u00eenon manquant\" reste-t-il une \u00e9nigme non r\u00e9solue ? On pourrait \u00e9voquer toutes sortes de th\u00e9ories, y compris celle d\u2019une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre, qui ne serait pas la plus farfelue. Quant \u00e0 l\u2019esprit, \u00e0 la conscience, personne n\u2019a encore r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9finir pr\u00e9cis\u00e9ment ce que ces notions recouvrent. Mais il existe peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante, une hypoth\u00e8se po\u00e9tique qui relie astrophysique et esprit humain. Si l\u2019on observe de pr\u00e8s le nombre astronomique de cellules, de neurones, et les connexions qui relient chacun de ces neurones, on n\u2019est pas si loin du nombre d\u2019\u00e9toiles et de corps c\u00e9lestes dans l\u2019univers. De plus, on d\u00e9couvre maintenant que tout baigne dans une sorte de mati\u00e8re noire ou d\u2019\u00e9nergie noire. Il est \u00e9trange de constater qu\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne similaire existe dans notre cerveau, qu\u2019on appelle le corps noir. Il faudrait sans doute revenir \u00e0 l\u2019alchimie pour explorer certaines id\u00e9es qui avaient d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 pens\u00e9es bien avant nos r\u00e9centes \u00ab d\u00e9couvertes \u00bb scientifiques. Mais je ne vais pas m\u2019\u00e9tendre sur le sujet, cela m\u00e9riterait un livre entier. Cet esprit qui nous anime, les anciens en parlaient d\u00e9j\u00e0 : Paracelse, entre autres, et bien d\u2019autres avant lui. Que l\u2019on parle de l\u2019esprit primordial, du Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou de Dieu, peu importe le nom qu\u2019on lui donne, ce qui importe, c\u2019est que nous ressentons tous sa pr\u00e9sence, sans jamais vraiment pouvoir la d\u00e9finir scientifiquement. La m\u00eame difficult\u00e9 s'applique \u00e0 la conscience. Aujourd'hui, dans cette \u00e8re o\u00f9 les neurosciences sont en vogue, personne ne peut r\u00e9ellement affirmer ce qu'est la conscience. Est-ce simplement une impulsion \u00e9lectrique g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par le cerveau, ou autre chose ? Nous ne le savons pas encore, mais je suis personnellement convaincu qu\u2019il y a quelque chose de plus profond qu\u2019une simple lumi\u00e8re qui s'allumerait et s'\u00e9teindrait. Il para\u00eet que le cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, une \u00e9nergie infime pour une machine aussi complexe. Et encore, cette \u00e9lectricit\u00e9, il la produit lui-m\u00eame ! Nous commen\u00e7ons seulement \u00e0 explorer ce ph\u00e9nom\u00e8ne. Peut-\u00eatre devrions-nous tourner notre regard vers le Tibet, o\u00f9 la m\u00e9ditation de pleine conscience est pratiqu\u00e9e depuis des si\u00e8cles. Certes, cela ne serait pas scientifique au sens o\u00f9 nous l\u2019entendons g\u00e9n\u00e9ralement, mais qu\u2019importe ? Pour comprendre la conscience, il faut parfois prendre du recul et consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Ce mot, consid\u00e9rer, signifie litt\u00e9ralement \u00ab regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps \u00bb. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cerveau.jpg?1748065070", "tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation", "Esth\u00e9tique et Exp\u00e9rience Sensorielle"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-septembre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-septembre-2019.html", "title": "16 septembre 2019", "date_published": "2019-09-16T19:08:00Z", "date_modified": "2025-04-30T16:29:23Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\nIl y a quelques ann\u00e9es, une exposition magistrale se tient \u00e0 Lyon, une r\u00e9trospective des fr\u00e8res peintres Bram et Geer Van Velde.<\/p>\n
Sur des voies parall\u00e8les, les deux fr\u00e8res ne se rejoignent qu\u2019\u00e0 la limite que propose la fratrie, \u00e0 l\u2019horizon de sa volont\u00e9 de trouver des « points communs ». Il suit le parcours propos\u00e9 par le mus\u00e9e des Beaux-Arts, sous la direction de la commissaire Sylvie Ramond et de l\u2019historien d\u2019art Rainer Michael Mason.<\/p>\n
\u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, il retrouve une sensation qui lui est ch\u00e8re, peut-\u00eatre m\u00eame le moteur invisible de la naissance de ces deux \u0153uvres enfin r\u00e9unies c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : le d\u00e9racinement.<\/p>\n
Hollandais d\u2019origine, les deux fr\u00e8res entretiennent une relation \u00e9troite, marqu\u00e9e par l\u2019exil et la distance avec leur pays natal. Cela lui permet de saisir quelque chose d\u2019important : l\u2019inconnu dans lequel ils se plongent, laissant derri\u00e8re eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs rep\u00e8res, et de leur identit\u00e9.<\/p>\n
Employ\u00e9s tous deux dans une entreprise de peinture et de d\u00e9coration \u00e0 La Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour apprendre les techniques de peinture. Nous sommes entre les ann\u00e9es 1915 et 1920.<\/p>\n
C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne, propos\u00e9 par son patron, que Bram continue \u00e0 d\u00e9velopper sa culture artistique, dans un village o\u00f9 il c\u00f4toie de nombreux artistes. Ses inspirations viennent alors de Van Gogh, de Munch — \u00e0 l\u2019origine de l\u2019expressionnisme — et d\u2019Emil Nolde, qui lui apprend \u00e0 placer la subjectivit\u00e9 au centre de toute repr\u00e9sentation.<\/p>\n
Plus tard, Bram se rend \u00e0 Paris, o\u00f9 il t\u00e2tonne en s\u2019essayant \u00e0 plusieurs genres, jusqu\u2019\u00e0 recevoir la « le\u00e7on de Matisse » et la « r\u00e9v\u00e9lation » de ses couleurs, un peu comme un indien qui apprend son nom en passant \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Mais c\u2019est en Corse qu\u2019il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage.<\/p>\n
Geer rejoint son fr\u00e8re \u00e0 Paris et tente lui aussi de trouver son propre langage pictural en explorant divers genres, dont l\u2019art na\u00eff. Les deux fr\u00e8res commencent alors \u00e0 exposer ensemble, ins\u00e9parables.<\/p>\n
Dans les ann\u00e9es 30, Bram s\u2019installe \u00e0 Majorque, o\u00f9 il restera jusqu\u2019\u00e0 la guerre d\u2019Espagne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019\u00e9loigne d\u00e9finitivement de la figuration tout en continuant \u00e0 peindre ce qu\u2019il voit, tel qu\u2019il le voit. Il trouve alors les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui d\u00e9finiront son style pour toujours. Son langage pictural devient l\u2019expression d\u2019une peinture pure, un fait plastique authentique fond\u00e9 sur une vision int\u00e9rioris\u00e9e du monde.<\/p>\n
Il lui semble important de raconter ce parcours, car il indique plusieurs choses essentielles \u00e0 ses yeux.<\/p>\n
D\u2019une part, il faut la faim, celle de peindre, celle de s\u2019exprimer. Malheureusement, Bram ne conna\u00eet pas que cette faim artistique, mais aussi la vraie faim, celle qui tord les boyaux. D\u2019autre part, il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore, s\u2019\u00e9garer pour mieux se trouver. Nul ne sait comment survient v\u00e9ritablement la r\u00e9v\u00e9lation d\u2019une palette de couleurs ou d\u2019un langage formel, mais une chose est certaine : elle n\u2019arrive pas par hasard. Il faut travailler \u00e9norm\u00e9ment pour cela.<\/p>\n
Personne ne peut dire pourquoi certains artistes passent \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9. Pourquoi Bram devient-il plus « c\u00e9l\u00e8bre » que Geer, sans doute jug\u00e9 trop conventionnel par les gardiens du temple de l\u2019art ? Pourtant, les choses changent avec le temps : ceux qui \u00e9taient c\u00e9l\u00e8bres jadis peuvent tomber dans l\u2019oubli, et vice versa, au gr\u00e9 des humeurs des politiques, des marchands, et surtout de l\u2019air du temps.<\/p>\n
Loin de lui l\u2019id\u00e9e de jouer les critiques d\u2019art \u00e0 travers ces petits textes sur les peintres qui ont compt\u00e9 dans son parcours. Non, \u00e9crire lui permet avant tout de clarifier ses pens\u00e9es, de les hi\u00e9rarchiser, d\u2019en comprendre l\u2019importance, et peut-\u00eatre, par ricochet, de les faire saisir \u00e0 d\u2019autres. Ce qui serait d\u00e9j\u00e0 un petit miracle en soi.<\/p>\n
Il reviendra sur la peinture de Bram Van Velde, car il est tard et il doit aller peindre. Et ce besoin soudain de s\u2019\u00e9loigner du sujet lui fait comprendre combien ce peintre a \u00e9t\u00e9 d\u2019une importance capitale dans son parcours.<\/p>", "content_text": "Il y a quelques ann\u00e9es, une exposition magistrale se tient \u00e0 Lyon, une r\u00e9trospective des fr\u00e8res peintres Bram et Geer Van Velde. Sur des voies parall\u00e8les, les deux fr\u00e8res ne se rejoignent qu\u2019\u00e0 la limite que propose la fratrie, \u00e0 l\u2019horizon de sa volont\u00e9 de trouver des \u00ab points communs \u00bb. Il suit le parcours propos\u00e9 par le mus\u00e9e des Beaux-Arts, sous la direction de la commissaire Sylvie Ramond et de l\u2019historien d\u2019art Rainer Michael Mason. \u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, il retrouve une sensation qui lui est ch\u00e8re, peut-\u00eatre m\u00eame le moteur invisible de la naissance de ces deux \u0153uvres enfin r\u00e9unies c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : le d\u00e9racinement. Hollandais d\u2019origine, les deux fr\u00e8res entretiennent une relation \u00e9troite, marqu\u00e9e par l\u2019exil et la distance avec leur pays natal. Cela lui permet de saisir quelque chose d\u2019important : l\u2019inconnu dans lequel ils se plongent, laissant derri\u00e8re eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs rep\u00e8res, et de leur identit\u00e9. Employ\u00e9s tous deux dans une entreprise de peinture et de d\u00e9coration \u00e0 La Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour apprendre les techniques de peinture. Nous sommes entre les ann\u00e9es 1915 et 1920. C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne, propos\u00e9 par son patron, que Bram continue \u00e0 d\u00e9velopper sa culture artistique, dans un village o\u00f9 il c\u00f4toie de nombreux artistes. Ses inspirations viennent alors de Van Gogh, de Munch \u2014 \u00e0 l\u2019origine de l\u2019expressionnisme \u2014 et d\u2019Emil Nolde, qui lui apprend \u00e0 placer la subjectivit\u00e9 au centre de toute repr\u00e9sentation. Plus tard, Bram se rend \u00e0 Paris, o\u00f9 il t\u00e2tonne en s\u2019essayant \u00e0 plusieurs genres, jusqu\u2019\u00e0 recevoir la \u00ab le\u00e7on de Matisse \u00bb et la \u00ab r\u00e9v\u00e9lation \u00bb de ses couleurs, un peu comme un indien qui apprend son nom en passant \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Mais c\u2019est en Corse qu\u2019il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage. Geer rejoint son fr\u00e8re \u00e0 Paris et tente lui aussi de trouver son propre langage pictural en explorant divers genres, dont l\u2019art na\u00eff. Les deux fr\u00e8res commencent alors \u00e0 exposer ensemble, ins\u00e9parables. Dans les ann\u00e9es 30, Bram s\u2019installe \u00e0 Majorque, o\u00f9 il restera jusqu\u2019\u00e0 la guerre d\u2019Espagne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019\u00e9loigne d\u00e9finitivement de la figuration tout en continuant \u00e0 peindre ce qu\u2019il voit, tel qu\u2019il le voit. Il trouve alors les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui d\u00e9finiront son style pour toujours. Son langage pictural devient l\u2019expression d\u2019une peinture pure, un fait plastique authentique fond\u00e9 sur une vision int\u00e9rioris\u00e9e du monde. Il lui semble important de raconter ce parcours, car il indique plusieurs choses essentielles \u00e0 ses yeux. D\u2019une part, il faut la faim, celle de peindre, celle de s\u2019exprimer. Malheureusement, Bram ne conna\u00eet pas que cette faim artistique, mais aussi la vraie faim, celle qui tord les boyaux. D\u2019autre part, il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore, s\u2019\u00e9garer pour mieux se trouver. Nul ne sait comment survient v\u00e9ritablement la r\u00e9v\u00e9lation d\u2019une palette de couleurs ou d\u2019un langage formel, mais une chose est certaine : elle n\u2019arrive pas par hasard. Il faut travailler \u00e9norm\u00e9ment pour cela. Personne ne peut dire pourquoi certains artistes passent \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9. Pourquoi Bram devient-il plus \u00ab c\u00e9l\u00e8bre \u00bb que Geer, sans doute jug\u00e9 trop conventionnel par les gardiens du temple de l\u2019art ? Pourtant, les choses changent avec le temps : ceux qui \u00e9taient c\u00e9l\u00e8bres jadis peuvent tomber dans l\u2019oubli, et vice versa, au gr\u00e9 des humeurs des politiques, des marchands, et surtout de l\u2019air du temps. Loin de lui l\u2019id\u00e9e de jouer les critiques d\u2019art \u00e0 travers ces petits textes sur les peintres qui ont compt\u00e9 dans son parcours. Non, \u00e9crire lui permet avant tout de clarifier ses pens\u00e9es, de les hi\u00e9rarchiser, d\u2019en comprendre l\u2019importance, et peut-\u00eatre, par ricochet, de les faire saisir \u00e0 d\u2019autres. Ce qui serait d\u00e9j\u00e0 un petit miracle en soi. Il reviendra sur la peinture de Bram Van Velde, car il est tard et il doit aller peindre. Et ce besoin soudain de s\u2019\u00e9loigner du sujet lui fait comprendre combien ce peintre a \u00e9t\u00e9 d\u2019une importance capitale dans son parcours.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bram-van-velde.jpg?1748065063", "tags": ["peintres", "r\u00e9flexions sur l'art", "affects"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/La-peinture-de-Patrick-Robbe-Grillet.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/La-peinture-de-Patrick-Robbe-Grillet.html", "title": "La peinture de Patrick Robbe-Grillet", "date_published": "2019-09-16T04:05:24Z", "date_modified": "2025-12-05T20:40:29Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne — non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas.<\/p>\n
Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes.<\/p>\n
Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri — alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes.<\/p>\n
On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse.<\/p>\n
J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus.<\/p>\n
Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre.<\/p>\n
Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai.<\/p>\n
S\u2019absenter — non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence.<\/p>\n
On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 — Patrick le discret, Willem le fracas — me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre.<\/p>\n
Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir.\nIllustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet<\/p>", "content_text": " Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne \u2014 non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas. Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes. Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri \u2014 alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes. On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse. J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus. Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre. Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai. S\u2019absenter \u2014 non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence. On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 \u2014 Patrick le discret, Willem le fracas \u2014 me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre. Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir. Illustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/envolee-lyrique-prg.jpg?1748065147", "tags": ["peintres"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/impeccabilite.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/impeccabilite.html", "title": "Impeccabilit\u00e9", "date_published": "2019-09-15T20:30:07Z", "date_modified": "2025-11-14T14:39:38Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
En tant que peintre, il suit une voie qu\u2019il n\u2019a pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne lui a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l\u2019\u00e9loigne de ce que l\u2019on appelle « la vie active ». Il met des ann\u00e9es \u00e0 se d\u00e9barrasser de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de ses travaux les plus importants.
\nIl ne sait pas exactement ce qui l\u2019aide \u00e0 assumer ce r\u00f4le. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi. Pourtant, c\u2019est l\u2019ensemble de ces d\u00e9tours qui lui r\u00e9v\u00e8le qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : « Ne te berne pas toi-m\u00eame. » Il apprend \u00e0 l\u2019\u00e9couter. Il l\u2019appelle l\u2019impeccabilit\u00e9. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle ne s\u2019atteint pas. On ne peut que vouloir l\u2019\u00eatre. Pour cela, deux outils : devenir excellent et ma\u00eetriser son art. Il faut cesser d\u2019ob\u00e9ir. Non seulement aux autres, mais aussi \u00e0 nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se d\u00e9leste, plus la petite voix devient claire. Elle n\u2019a pas besoin d\u2019emphase. « La petite voix », cela suffit. \u00catre impeccable, ce n\u2019est pas vivre en ermite. C\u2019est \u00eatre pleinement engag\u00e9. On peut vivre dans la soci\u00e9t\u00e9 en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend \u00e0 le savourer. Il enseigne l\u2019humilit\u00e9. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l\u2019on tente de s\u2019\u00e9loigner, la vie nous ram\u00e8ne. Il n\u2019y a pas de quoi s\u2019inqui\u00e9ter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but \u00e0 tout cela.<\/p>",
"content_text": "En tant que peintre, il suit une voie qu\u2019il n\u2019a pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne lui a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l\u2019\u00e9loigne de ce que l\u2019on appelle \u00ab la vie active \u00bb. Il met des ann\u00e9es \u00e0 se d\u00e9barrasser de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de ses travaux les plus importants. Il ne sait pas exactement ce qui l\u2019aide \u00e0 assumer ce r\u00f4le. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi. Pourtant, c\u2019est l\u2019ensemble de ces d\u00e9tours qui lui r\u00e9v\u00e8le qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : \u00ab Ne te berne pas toi-m\u00eame. \u00bb Il apprend \u00e0 l\u2019\u00e9couter. Il l\u2019appelle l\u2019impeccabilit\u00e9. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle ne s\u2019atteint pas. On ne peut que vouloir l\u2019\u00eatre. Pour cela, deux outils : devenir excellent et ma\u00eetriser son art. Il faut cesser d\u2019ob\u00e9ir. Non seulement aux autres, mais aussi \u00e0 nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se d\u00e9leste, plus la petite voix devient claire. Elle n\u2019a pas besoin d\u2019emphase. \u00ab La petite voix \u00bb, cela suffit. \u00catre impeccable, ce n\u2019est pas vivre en ermite. C\u2019est \u00eatre pleinement engag\u00e9. On peut vivre dans la soci\u00e9t\u00e9 en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend \u00e0 le savourer. Il enseigne l\u2019humilit\u00e9. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l\u2019on tente de s\u2019\u00e9loigner, la vie nous ram\u00e8ne. Il n\u2019y a pas de quoi s\u2019inqui\u00e9ter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but \u00e0 tout cela. ",
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"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une « perte de temps » — \u00e9crire, peindre — me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle « la vie active ». Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : « Ne te berne pas toi-m\u00eame. » En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e « l\u2019impeccabilit\u00e9 », en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : « Oui, c\u2019est exactement cela. » Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin — le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : « la petite voix » suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce « \u00e0 quoi bon » d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. « Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus », dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie.<\/p>", "content_text": " En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une \u00ab perte de temps \u00bb \u2014 \u00e9crire, peindre \u2014 me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle \u00ab la vie active \u00bb. Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : \u00ab Ne te berne pas toi-m\u00eame. \u00bb En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e \u00ab l\u2019impeccabilit\u00e9 \u00bb, en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : \u00ab Oui, c\u2019est exactement cela. \u00bb Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin \u2014 le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : \u00ab la petite voix \u00bb suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce \u00ab \u00e0 quoi bon \u00bb d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. \u00ab Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus \u00bb, dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/plume-2.webp?1748065064", "tags": ["Autofiction et Introspection", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-septembre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-septembre-2019.html", "title": "12 septembre 2019", "date_published": "2019-09-12T02:36:00Z", "date_modified": "2025-12-06T03:38:14Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Le d\u00e9part se fait dans la bourse paternelle, starting-blocks gluants. Puis le coup de feu. L’autoroute. Certains restent au bord, essouffl\u00e9s avant d’avoir couru. D’autres se font d\u00e9passer, \u00e9cras\u00e9s par le flux. Des milliards de concurrents au d\u00e9part, un seul arrive : toi.<\/p>\n
Tu es le champion. Celui qui a tenu. Tous ceux que tu croises sont des champions comme toi \u2013 cicatrices aux genoux, souffle court, mais debout.<\/p>\n
Avant, tu courais par instinct. Maintenant tu sais que tu cours. Conscience : ce cadeau \u00e9trange d’\u00eatre \u00e0 la fois le coureur et le spectateur de sa propre course.<\/p>\n
Tu perds du temps \u00e0 te plaindre ? La course continue. Elle continue m\u00eame si tu t’arr\u00eates, m\u00eame si tu crois reculer. L’important n’est pas la vitesse, mais l’angle du regard.<\/p>\n
Ce que tu dois apprendre est d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit quelque part. Mais ton c\u0153ur \u2013 ce muscle qui bat depuis le premier coup de feu \u2013 peut infl\u00e9chir le trac\u00e9. Donner sens au parcours. Changer, m\u00eame l\u00e9g\u00e8rement, la pente de l’autoroute.<\/p>\n
Je r\u00e9ecris ce texte en 2025 et il ne parle pas de la peur v\u00e9ritable qui en est le moteur, la n\u00e9c\u00e9ssit\u00e9. C’est une peur banale, la peur de l’insignifiance. Si je devais r\u00e9ecrire ce texte aujourd’hui, j’essaierais de le reposer en trois parties <\/p>\n
L’esquive de la banalit\u00e9 de l’existence : Que la plupart des vies ne sont ni des \u00e9pop\u00e9es ni des courses effr\u00e9n\u00e9es, mais des s\u00e9quences de routines, de petites joies, de souffrances ordinaires.<\/p>\n<\/li>\n
La responsabilit\u00e9 personnelle : Que nos choix ont des cons\u00e9quences, que nous ne sommes pas seulement des \"champions s\u00e9lectionn\u00e9s\" mais aussi des acteurs responsables.<\/p>\n<\/li>\n
La souffrance sp\u00e9cifique : La douleur singuli\u00e8re, non m\u00e9taphorique.<\/p>\n<\/li>\n<\/ul>\n
Et surtout j’essaierais de trouver une transition honn\u00eate entre la violence de la s\u00e9lection naturelle et la dignit\u00e9 de l’existence consciente. Car Le texte fait un saut magique de l’un \u00e0 l’autre, \u00e9vitant la question difficile : Comment devient-on un \"champion conscient\" dans un syst\u00e8me qui produit m\u00e9caniquement des \"victimes\" ?<\/p>\n
Version 2025 — Sans m\u00e9taphore de course<\/strong><\/p>\n Je suis n\u00e9 d’une course. Des milliards de concurrents, un seul gagnant : moi. Cette statistique devrait m’\u00e9merveiller. Pourtant, je me r\u00e9veille chaque matin avec la m\u00eame lassitude.<\/p>\n La v\u00e9rit\u00e9 est que la grande course, c’est le m\u00e9tro, le travail, les courses \u00e0 faire, l’envie de se recoucher. Des routines, pas une \u00e9pop\u00e9e.<\/p>\n Hier, j’ai parl\u00e9 s\u00e8chement \u00e0 S.. Elle a pleur\u00e9. J’\u00e9tais fatigu\u00e9. Le \"champion\" s\u00e9lectionn\u00e9 parmi des milliards peut \u00eatre cruel par fatigue. La responsabilit\u00e9 n’est pas dans la grandeur, mais dans ces moments-l\u00e0.<\/p>\n Je pense \u00e0 mon cousin, mort \u00e0 vingt ans. Lui n’a pas \"tenu\". \u00c0 quoi bon lui dire qu’il \u00e9tait un champion ? Sa souffrance \u00e9tait sp\u00e9cifique : une chambre d’h\u00f4pital, des tubes, l’odeur du d\u00e9sinfectant. Pas une m\u00e9taphore.<\/p>\n Alors comment concilier ? Comment \u00eatre \u00e0 la fois le miracul\u00e9 statistique et l’homme qui p\u00e8te les plombs par fatigue ?<\/p>\n Peut-\u00eatre en arr\u00eatant de chercher des champions et des victimes. En acceptant que nous sommes tous, simplement, des survivants. Avec nos cicatrices, nos l\u00e2chet\u00e9s, nos moments de gr\u00e2ce.<\/p>\n Le vrai courage n’est pas de gagner la course, mais de regarder en face la banalit\u00e9 de sa propre vie, d’assumer la douleur qu’on cause, de se souvenir des visages de ceux qui n’ont pas tenu.<\/p>\n Et de continuer, malgr\u00e9 tout, \u00e0 mettre un pied devant l’autre.<\/p>",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-septembre-2019.html",
"title": "11 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-11T02:07:00Z",
"date_modified": "2025-12-06T03:15:30Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Reprise du texte en 2025. \u00c0 relecture tout me para\u00eet grandiloquent, pas faux compl\u00e8tement mais reconstruit na\u00efvement. Je reviens donc en arri\u00e8re pour r\u00e9examiner la sc\u00e8ne et j’\u00e9cris un tout autre texte.<\/p>\n<\/blockquote>\n Je me souviens de cette journ\u00e9e o\u00f9 j\u2019ai rendu visite \u00e0 Thierry Lambert.\nAujourd\u2019hui, je vois clairement ce que je cherchais : moins \u00e0 rencontrer un homme qu\u2019\u00e0 trouver un miroir qui me renvoie l\u2019image d\u2019un artiste.<\/p>\n J\u2019\u00e9tais fatigu\u00e9. J\u2019avais encha\u00een\u00e9 les ateliers pour enfants, le d\u00e9jeuner rapide. J\u2019arrivais avec l\u2019espoir confus qu\u2019un « grand » me reconnaisse, me donne une cl\u00e9, ou simplement me regarde comme un \u00e9gal.<\/p>\n Sa maison \u00e9tait pleine d\u2019\u0153uvres. Des piles de toiles, des sculptures. Je me suis perdu dans les noms, les r\u00e9f\u00e9rences. Je voulais tout retenir, prouver que j\u2019\u00e9tais digne de comprendre. Puis j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 prise — ou j\u2019ai cru l\u00e2cher prise. En r\u00e9alit\u00e9, je jouais au disciple \u00e9merveill\u00e9. Je me suis mis \u00e0 parler de chamanisme, d\u2019art sacr\u00e9, de transmission ancestrale. De Luis Hansa que j’avais connu lorsque j’habitais Paris. Des mots trop grands pour une simple rencontre.<\/p>\n Je crois que j\u2019avais peur que ce moment soit banal. Alors je l\u2019ai enrob\u00e9 de myst\u00e8re. J\u2019ai fait de Thierry un chamane, de sa maison une for\u00eat, de sa collection un chemin initiatique.<\/p>\n Nous avons bu du th\u00e9. Parl\u00e9 peinture, march\u00e9 de l\u2019art, parcours. C\u2019\u00e9tait concret, simple. Mais dans ma t\u00eate, je dramatise d\u00e9j\u00e0. Je me voyais en train de vivre quelque chose d\u2019important.<\/p>\n Aujourd\u2019hui, je sais ce qui \u00e9tait vrai : sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, le partage d\u2019un g\u00e2teau, la lumi\u00e8re dans la cuisine, les chats derri\u00e8re la vitre. Le reste — le vocabulaire initiatique, l\u2019insistance sur le caract\u00e8re unique — \u00e9tait de la construction. Une tentative de me grandir par procuration.<\/p>\n Parfois, on se raconte des histoires pour traverser le doute. Ce jour-l\u00e0, j\u2019avais besoin de croire que l\u2019art \u00e9tait une voie sacr\u00e9e, et moi, un p\u00e8lerin. J\u2019avais besoin de Thierry comme guide.<\/p>\n Je ne suis plus ce p\u00e8lerin. Je n\u2019ai plus besoin de chamanes.<\/p>",
"content_text": " >Reprise du texte en 2025. \u00c0 relecture tout me para\u00eet grandiloquent, pas faux compl\u00e8tement mais reconstruit na\u00efvement. Je reviens donc en arri\u00e8re pour r\u00e9examiner la sc\u00e8ne et j'\u00e9cris un tout autre texte. Je me souviens de cette journ\u00e9e o\u00f9 j\u2019ai rendu visite \u00e0 Thierry Lambert. Aujourd\u2019hui, je vois clairement ce que je cherchais : moins \u00e0 rencontrer un homme qu\u2019\u00e0 trouver un miroir qui me renvoie l\u2019image d\u2019un artiste. J\u2019\u00e9tais fatigu\u00e9. J\u2019avais encha\u00een\u00e9 les ateliers pour enfants, le d\u00e9jeuner rapide. J\u2019arrivais avec l\u2019espoir confus qu\u2019un \u00ab grand \u00bb me reconnaisse, me donne une cl\u00e9, ou simplement me regarde comme un \u00e9gal. Sa maison \u00e9tait pleine d\u2019\u0153uvres. Des piles de toiles, des sculptures. Je me suis perdu dans les noms, les r\u00e9f\u00e9rences. Je voulais tout retenir, prouver que j\u2019\u00e9tais digne de comprendre. Puis j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 prise \u2014 ou j\u2019ai cru l\u00e2cher prise. En r\u00e9alit\u00e9, je jouais au disciple \u00e9merveill\u00e9. Je me suis mis \u00e0 parler de chamanisme, d\u2019art sacr\u00e9, de transmission ancestrale. De Luis Hansa que j'avais connu lorsque j'habitais Paris. Des mots trop grands pour une simple rencontre. Je crois que j\u2019avais peur que ce moment soit banal. Alors je l\u2019ai enrob\u00e9 de myst\u00e8re. J\u2019ai fait de Thierry un chamane, de sa maison une for\u00eat, de sa collection un chemin initiatique. Nous avons bu du th\u00e9. Parl\u00e9 peinture, march\u00e9 de l\u2019art, parcours. C\u2019\u00e9tait concret, simple. Mais dans ma t\u00eate, je dramatise d\u00e9j\u00e0. Je me voyais en train de vivre quelque chose d\u2019important. Aujourd\u2019hui, je sais ce qui \u00e9tait vrai : sa g\u00e9n\u00e9rosit\u00e9, le partage d\u2019un g\u00e2teau, la lumi\u00e8re dans la cuisine, les chats derri\u00e8re la vitre. Le reste \u2014 le vocabulaire initiatique, l\u2019insistance sur le caract\u00e8re unique \u2014 \u00e9tait de la construction. Une tentative de me grandir par procuration. Parfois, on se raconte des histoires pour traverser le doute. Ce jour-l\u00e0, j\u2019avais besoin de croire que l\u2019art \u00e9tait une voie sacr\u00e9e, et moi, un p\u00e8lerin. J\u2019avais besoin de Thierry comme guide. Je ne suis plus ce p\u00e8lerin. Je n\u2019ai plus besoin de chamanes. ",
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"tags": ["peintres", "r\u00e9flexions sur l'art"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-septembre-2019.html",
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"title": "10 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-10T07:48:00Z",
"date_modified": "2025-12-06T08:48:18Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Quand Georges Bataille abandonne son p\u00e8re malade et handicap\u00e9 \u00e0 Reims pendant la guerre, il accomplit un acte qui nourrira toute son \u0153uvre. On peut le traiter de salaud. Mais le jugement moral est une facilit\u00e9 qui \u00e9loigne du c\u0153ur des choses.\nCe que cet abandon r\u00e9v\u00e8le, c\u2019est que nous sommes parfois pouss\u00e9s par le futur — un futur encore invisible — \u00e0 briser les trajectoires pr\u00e9vues. La loi, la morale, le bon go\u00fbt : tout peut voler en \u00e9clats en un instant. Nous ne savons pas, sur le coup, d\u2019o\u00f9 vient cette force qui modifie la formule chimique de nos cellules dans un \u00e9clair d\u2019inadvertance.\nIl faut attendre des ann\u00e9es, parfois une vie enti\u00e8re, pour que quelqu\u2019un — nous-m\u00eames ou un ex\u00e9g\u00e8te — commence \u00e0 d\u00e9nouer le fil des actes et de leurs cons\u00e9quences.<\/p>\n Sommes-nous responsables ? Oui, mais la conscience n\u2019est qu\u2019une partie du jeu. Il faut explorer la m\u00e9moire comme une jungle, sans s\u2019attarder sur chaque d\u00e9tail, mais en aiguisant son regard \u00e0 mesure qu\u2019on d\u00e9couvre les sentiers.\nLes chamans, quand ils op\u00e8rent un nettoyage, commencent par la m\u00e9moire. En remontant \u00e0 rebours, ils comprennent que l\u2019histoire personnelle est peu de chose face aux forces qui nous traversent : \u00e9l\u00e9ments, cosmogonies, lumi\u00e8res et ombres qui luttent en nous. Notre mission, si mission il y a, est de fonder une harmonie — pas seulement un \u00e9quilibre. \nL\u2019\u00e9quilibre, c\u2019est un pas apr\u00e8s l\u2019autre, avec le risque permanent de chuter. L\u2019harmonie, c\u2019est un nouveau monde o\u00f9 les contraires ne s\u2019annulent plus, mais chantent ensemble.\nLes grands voyageurs cherchent d\u2019abord l\u2019\u00e9quilibre, puis se dirigent vers l\u2019harmonie. D’autres encore marchent en somnambules. On ne peut que souhaiter qu\u2019un r\u00eave de chute les r\u00e9veille — mais s\u2019ils n\u2019ont pas programm\u00e9 ce r\u00eave \u00e0 l\u2019avance, peu de chances qu\u2019il survienne.<\/p>",
"content_text": " Quand Georges Bataille abandonne son p\u00e8re malade et handicap\u00e9 \u00e0 Reims pendant la guerre, il accomplit un acte qui nourrira toute son \u0153uvre. On peut le traiter de salaud. Mais le jugement moral est une facilit\u00e9 qui \u00e9loigne du c\u0153ur des choses. Ce que cet abandon r\u00e9v\u00e8le, c\u2019est que nous sommes parfois pouss\u00e9s par le futur \u2014 un futur encore invisible \u2014 \u00e0 briser les trajectoires pr\u00e9vues. La loi, la morale, le bon go\u00fbt : tout peut voler en \u00e9clats en un instant. Nous ne savons pas, sur le coup, d\u2019o\u00f9 vient cette force qui modifie la formule chimique de nos cellules dans un \u00e9clair d\u2019inadvertance. Il faut attendre des ann\u00e9es, parfois une vie enti\u00e8re, pour que quelqu\u2019un \u2014 nous-m\u00eames ou un ex\u00e9g\u00e8te \u2014 commence \u00e0 d\u00e9nouer le fil des actes et de leurs cons\u00e9quences. Sommes-nous responsables ? Oui, mais la conscience n\u2019est qu\u2019une partie du jeu. Il faut explorer la m\u00e9moire comme une jungle, sans s\u2019attarder sur chaque d\u00e9tail, mais en aiguisant son regard \u00e0 mesure qu\u2019on d\u00e9couvre les sentiers. Les chamans, quand ils op\u00e8rent un nettoyage, commencent par la m\u00e9moire. En remontant \u00e0 rebours, ils comprennent que l\u2019histoire personnelle est peu de chose face aux forces qui nous traversent : \u00e9l\u00e9ments, cosmogonies, lumi\u00e8res et ombres qui luttent en nous. Notre mission, si mission il y a, est de fonder une harmonie \u2014 pas seulement un \u00e9quilibre. L\u2019\u00e9quilibre, c\u2019est un pas apr\u00e8s l\u2019autre, avec le risque permanent de chuter. L\u2019harmonie, c\u2019est un nouveau monde o\u00f9 les contraires ne s\u2019annulent plus, mais chantent ensemble. Les grands voyageurs cherchent d\u2019abord l\u2019\u00e9quilibre, puis se dirigent vers l\u2019harmonie. D'autres encore marchent en somnambules. On ne peut que souhaiter qu\u2019un r\u00eave de chute les r\u00e9veille \u2014 mais s\u2019ils n\u2019ont pas programm\u00e9 ce r\u00eave \u00e0 l\u2019avance, peu de chances qu\u2019il survienne. ",
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"tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "r\u00e9flexions sur l'art"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-septembre-2019.html",
"title": "9 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-09T01:20:00Z",
"date_modified": "2025-12-06T02:20:40Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " S. a rel\u00e9gu\u00e9 ses b\u00e9quilles dans un angle. Elle n’y pense plus. Moi, j’y pense. Pas aux siennes. Aux miennes : ces verres fum\u00e9s, ce masque qui me permet de travailler sans \u00eatre aveugl\u00e9.<\/p>\n Je les ai d\u00e9test\u00e9es, bien s\u00fbr. Toute cette col\u00e8re d’\u00eatre handicap\u00e9. Aujourd’hui, je leur \u00e9crirais un mot. L’homme que j’\u00e9tais, je ne le suis plus. Il m’a fallu des ann\u00e9es \u00e0 bourlinguer avec pour comprendre.<\/p>\n Quand ma m\u00e8re s’\u00e9poumonait, le manche du martinet \u00e0 la main \u2013 j’en avais coup\u00e9 les lani\u00e8res \u2013, ma grand-m\u00e8re Valentine grognait : « Tu te fatigues pour rien. Il ne comprend pas. Il ne peut pas. » M\u00eame dans la temp\u00eate, cette phrase : un point fixe, sorti d’une bouche \u00e9dent\u00e9e qui puait le tabac froid. Quand mon p\u00e8re me cinglait les reins, la voix de ma m\u00e8re : « Non, Claude, pas la t\u00eate. » J’ai collect\u00e9 ces phrases comme des bouts de m\u00e9tal tordu. Mati\u00e8re premi\u00e8re.<\/p>\n Ces haines enfantines, ces col\u00e8res, ces mensonges, ces vols, ces fugues \u2013 tout cela est devenu mon stock. La col\u00e8re, mon chalumeau. La haine, ma pince. Bien plus s\u00fbrement que tout amour factice. Je les ai am\u00e9lior\u00e9es, aff\u00fbt\u00e9es, comme on affine un geste d’atelier.<\/p>\n S. vend au petit matin, dans des lieux improbables, des objets devenus inutiles. Je suis \u00e9tonn\u00e9 que ces b\u00e9quilles bleues ne soient pas d\u00e9j\u00e0 parties. Moi, j’\u00e9cris ces textes au jour le jour. Ma mani\u00e8re d’\u00e9couler mon stock \u2013 le souvenir et la r\u00e9flexion qui va avec. Une fa\u00e7on de dire adieu aux vieilles b\u00e9quilles, et de reconna\u00eetre qu’elles m’ont, malgr\u00e9 tout, tenu debout. Qu’elles me tiennent encore, maintenant que je soude.<\/p>\n \n Je viens de me souvenir d\u2019un roman de Gabriel Garcia Marquez, L\u2019Automne du patriarche. Ne me demande pas pourquoi. Je ne sais plus identifier la source de mes pens\u00e9es, ni de mes sensations. J\u2019ai cess\u00e9 de ruminer. Je ne veux plus que rassembler les derni\u00e8res forces vives pour t\u2019offrir encore un petit texte, un petit tableau. L\u2019important est d\u2019offrir, comprends-tu ? Peu importe quoi. Comment saurait-on la valeur de ce qu\u2019on donne ? Car chaque automne, cette qualit\u00e9 de lumi\u00e8re qui revient, me parle de la fin et de l\u2019h\u00e9ritage.<\/p>\n D\u00e9j\u00e0 gamin, vers la mi-ao\u00fbt, une certaine clart\u00e9 sollicitait la prunelle, la r\u00e9tine. Une nostalgie invraisemblable pour mon \u00e2ge remontait par le nerf optique. Sur la peau des joues, du front, se d\u00e9posait comme une bu\u00e9e, un tatouage invisible : cette fra\u00eecheur subtile au fond de l\u2019air, qui sent la craie et l\u2019encre. Aussit\u00f4t, le go\u00fbt vient sur la langue. Craie. Encre.<\/p>\n Cela ouvre un grand vide. Une aspiration de l\u2019instant pr\u00e9sent, qui emporte avec elle toute vell\u00e9it\u00e9, toute priorit\u00e9. L\u2019instant aspire tout, rend tout \u00e9gal d\u2019un coup de baguette magique, laisse la personnalit\u00e9 sans capitaine, comme un vaisseau fant\u00f4me.<\/p>\n Les premi\u00e8res fois, cela me plongeait dans une tristesse magnifique, seul \u00eelot pour \u00e9chapper au naufrage. Avec le temps, l\u2019automne est devenu synonyme de blues, de d\u00e9pression chronique. Mais en v\u00e9rit\u00e9, je n\u2019y crois plus qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9. J\u2019y crois par habitude, pour ne pas plonger d\u2019un coup dans l\u2019eau glac\u00e9e.<\/p>\n Dans L\u2019Automne du patriarche, il y a un personnage incroyable : le sosie du dictateur, Patricio Aragon\u00e9s, qui le remplace \u00e0 toutes les c\u00e9r\u00e9monies. Comme ce dictateur, j\u2019ai moi aussi mon Patricio \u00e0 mon service. Il officie presque tout le temps, car je n\u2019aime plus appara\u00eetre en public. En automne, cette volont\u00e9 de retraite atteint son comble. Je le laisse en roue libre. Il conna\u00eet son r\u00f4le par c\u0153ur.<\/p>\n Je n\u2019irai pas jusqu\u2019\u00e0 faire canoniser ma m\u00e8re, comme dans le roman. Mais cette trouvaille de l\u2019auteur m\u2019a glac\u00e9 : cette m\u00e8re pauvre, pour qui le fils est devenu dictateur, \u00e0 qui il veut offrir les richesses du pays, et qui meurt sans jamais le savoir. Tout ce que nous r\u00e9alisons dans notre vie ne serait-il que des cadeaux mal adress\u00e9s ?<\/p>\n Je pourrais aligner les personnages, leur trouver une fonction pr\u00e9cise dans l\u2019organisation d\u2019une psych\u00e9. Mais si tu n\u2019as pas lu le roman, je ne veux pas te g\u00e2ter le plaisir. D\u2019ailleurs, je me demande si je n\u2019ai pas tout invent\u00e9 de ce roman \u00e0 partir de la quatri\u00e8me de couverture. Je m\u2019en crois capable. Tellement, d\u00e9sormais, je ne parviens plus \u00e0 lire trois lignes sans que l\u2019ennui ne me tombe dessus.<\/p>\n Que n\u2019inventerais-je pas, pour me divertir de l\u2019arriv\u00e9e soudaine de l\u2019automne, aujourd\u2019hui ?<\/p>",
"content_text": " Je viens de me souvenir d\u2019un roman de Gabriel Garcia Marquez, L\u2019Automne du patriarche. Ne me demande pas pourquoi. Je ne sais plus identifier la source de mes pens\u00e9es, ni de mes sensations. J\u2019ai cess\u00e9 de ruminer. Je ne veux plus que rassembler les derni\u00e8res forces vives pour t\u2019offrir encore un petit texte, un petit tableau. L\u2019important est d\u2019offrir, comprends-tu ? Peu importe quoi. Comment saurait-on la valeur de ce qu\u2019on donne ? Car chaque automne, cette qualit\u00e9 de lumi\u00e8re qui revient, me parle de la fin et de l\u2019h\u00e9ritage. D\u00e9j\u00e0 gamin, vers la mi-ao\u00fbt, une certaine clart\u00e9 sollicitait la prunelle, la r\u00e9tine. Une nostalgie invraisemblable pour mon \u00e2ge remontait par le nerf optique. Sur la peau des joues, du front, se d\u00e9posait comme une bu\u00e9e, un tatouage invisible : cette fra\u00eecheur subtile au fond de l\u2019air, qui sent la craie et l\u2019encre. Aussit\u00f4t, le go\u00fbt vient sur la langue. Craie. Encre. Cela ouvre un grand vide. Une aspiration de l\u2019instant pr\u00e9sent, qui emporte avec elle toute vell\u00e9it\u00e9, toute priorit\u00e9. L\u2019instant aspire tout, rend tout \u00e9gal d\u2019un coup de baguette magique, laisse la personnalit\u00e9 sans capitaine, comme un vaisseau fant\u00f4me. Les premi\u00e8res fois, cela me plongeait dans une tristesse magnifique, seul \u00eelot pour \u00e9chapper au naufrage. Avec le temps, l\u2019automne est devenu synonyme de blues, de d\u00e9pression chronique. Mais en v\u00e9rit\u00e9, je n\u2019y crois plus qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9. J\u2019y crois par habitude, pour ne pas plonger d\u2019un coup dans l\u2019eau glac\u00e9e. Dans L\u2019Automne du patriarche, il y a un personnage incroyable : le sosie du dictateur, Patricio Aragon\u00e9s, qui le remplace \u00e0 toutes les c\u00e9r\u00e9monies. Comme ce dictateur, j\u2019ai moi aussi mon Patricio \u00e0 mon service. Il officie presque tout le temps, car je n\u2019aime plus appara\u00eetre en public. En automne, cette volont\u00e9 de retraite atteint son comble. Je le laisse en roue libre. Il conna\u00eet son r\u00f4le par c\u0153ur. Je n\u2019irai pas jusqu\u2019\u00e0 faire canoniser ma m\u00e8re, comme dans le roman. Mais cette trouvaille de l\u2019auteur m\u2019a glac\u00e9 : cette m\u00e8re pauvre, pour qui le fils est devenu dictateur, \u00e0 qui il veut offrir les richesses du pays, et qui meurt sans jamais le savoir. Tout ce que nous r\u00e9alisons dans notre vie ne serait-il que des cadeaux mal adress\u00e9s ? Je pourrais aligner les personnages, leur trouver une fonction pr\u00e9cise dans l\u2019organisation d\u2019une psych\u00e9. Mais si tu n\u2019as pas lu le roman, je ne veux pas te g\u00e2ter le plaisir. D\u2019ailleurs, je me demande si je n\u2019ai pas tout invent\u00e9 de ce roman \u00e0 partir de la quatri\u00e8me de couverture. Je m\u2019en crois capable. Tellement, d\u00e9sormais, je ne parviens plus \u00e0 lire trois lignes sans que l\u2019ennui ne me tombe dessus. Que n\u2019inventerais-je pas, pour me divertir de l\u2019arriv\u00e9e soudaine de l\u2019automne, aujourd\u2019hui ? ",
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"tags": ["fictions br\u00e8ves"]
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/8-septembre-2019-3722.html",
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"title": "8 septembre 2019-2",
"date_published": "2019-09-08T01:28:00Z",
"date_modified": "2025-12-06T02:28:58Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Il faut que Cheng trace au moins quatre ou cinq traits \u00e0 l’encre pour se sentir \u00e9veill\u00e9. Ensuite, il peut se r\u00e9compenser d’avoir effectu\u00e9 cette action par une tasse de th\u00e9 noir sans sucre. Dans la petite masure o\u00f9 il vit, il n’y a aucun luxe. Cheng n’est pas pauvre, il est peintre lettr\u00e9, et de temps en temps les peintures qu’il vend ou que des notables lui commandent suffisent \u00e0 subvenir \u00e0 ses maigres besoins.<\/p>\n Il vient tout juste d’atteindre la soixantaine et, s’il poss\u00e8de d\u00e9j\u00e0 une bonne ma\u00eetrise de son art, il reste toutefois modeste et sait qu’il lui manque encore l’essentiel. Aussi reste-t-il concentr\u00e9 sur une discipline r\u00e9guli\u00e8re. D\u00e8s qu’il se l\u00e8ve de sa natte pos\u00e9e sur le sol, il s’installe aussit\u00f4t \u00e0 la petite table install\u00e9e devant la fen\u00eatre qui donne sur la vall\u00e9e. L\u00e0, il ferme les yeux quelques instants, prend une respiration r\u00e9guli\u00e8re et trempe l’extr\u00e9mit\u00e9 souple du pinceau dans l’encre, puis laisse sa main suivre son mouvement naturel, emport\u00e9e par l’expire.<\/p>\n Quatre ou cinq traits seulement, mais r\u00e9alis\u00e9s avec la plus grande concentration. Sentir la moindre feuille bruisser, entendre chaque cri d’oiseau traverser l’azur, sentir jusqu’au poids des petites pattes des fourmis qui traversent son vieux plancher, \u00eatre tout entier m\u00eal\u00e9 \u00e0 ces premiers instants de son \u00e9veil conf\u00e8re \u00e0 ses gestes une solennit\u00e9 presque burlesque pour n’importe quel observateur.<\/p>\n Ainsi, chaque matin, Cheng s’enfonce-t-il dans la discipline de ces quatre ou cinq coups de pinceau afin d’oublier l’\u00e9veil et de p\u00e9n\u00e9trer dans l’espace de sa feuille blanche.<\/p>",
"content_text": " Il faut que Cheng trace au moins quatre ou cinq traits \u00e0 l'encre pour se sentir \u00e9veill\u00e9. Ensuite, il peut se r\u00e9compenser d'avoir effectu\u00e9 cette action par une tasse de th\u00e9 noir sans sucre. Dans la petite masure o\u00f9 il vit, il n'y a aucun luxe. Cheng n'est pas pauvre, il est peintre lettr\u00e9, et de temps en temps les peintures qu'il vend ou que des notables lui commandent suffisent \u00e0 subvenir \u00e0 ses maigres besoins. Il vient tout juste d'atteindre la soixantaine et, s'il poss\u00e8de d\u00e9j\u00e0 une bonne ma\u00eetrise de son art, il reste toutefois modeste et sait qu'il lui manque encore l'essentiel. Aussi reste-t-il concentr\u00e9 sur une discipline r\u00e9guli\u00e8re. D\u00e8s qu'il se l\u00e8ve de sa natte pos\u00e9e sur le sol, il s'installe aussit\u00f4t \u00e0 la petite table install\u00e9e devant la fen\u00eatre qui donne sur la vall\u00e9e. L\u00e0, il ferme les yeux quelques instants, prend une respiration r\u00e9guli\u00e8re et trempe l'extr\u00e9mit\u00e9 souple du pinceau dans l'encre, puis laisse sa main suivre son mouvement naturel, emport\u00e9e par l'expire. Quatre ou cinq traits seulement, mais r\u00e9alis\u00e9s avec la plus grande concentration. Sentir la moindre feuille bruisser, entendre chaque cri d'oiseau traverser l'azur, sentir jusqu'au poids des petites pattes des fourmis qui traversent son vieux plancher, \u00eatre tout entier m\u00eal\u00e9 \u00e0 ces premiers instants de son \u00e9veil conf\u00e8re \u00e0 ses gestes une solennit\u00e9 presque burlesque pour n'importe quel observateur. Ainsi, chaque matin, Cheng s'enfonce-t-il dans la discipline de ces quatre ou cinq coups de pinceau afin d'oublier l'\u00e9veil et de p\u00e9n\u00e9trer dans l'espace de sa feuille blanche. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-septembre-2019.html",
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"title": "7 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-07T01:54:00Z",
"date_modified": "2025-12-06T02:55:51Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " \"Texte r\u00e9\u00e9crit en 2025 \u00e0 partir de carnets de 2019. Le temps a permis de nuancer certaines affirmations trop absolues, tout en conservant l’intuition premi\u00e8re : la cr\u00e9ation exige de s’effacer.\"<\/p>\n<\/blockquote>\n La jalousie est une difficult\u00e9. En peinture surtout, qui est mon domaine, ce sentiment m’est p\u00e9nible. Quand je vois un talent que je n’ai pas, je pr\u00e9f\u00e8re admirer. Mes engouements pour les \u0153uvres vont et viennent comme les nuages. Et si parfois j’\u00e9prouve cette douleur, j’essaie de la chasser par l’admiration — moins co\u00fbteux en \u00e9nergie, plus f\u00e9cond en inspiration.<\/p>\n Cette \u00e9conomie du c\u0153ur, je l’ai apprise en peinture. La technique ne suffit pas. Pour \u00eatre le peintre que je veux \u00eatre, il faut accepter que des flux nous traversent — inconnus et familiers \u00e0 la fois — sans y faire obstacle. La c\u00e9l\u00e9brit\u00e9, je m’en m\u00e9fie : je ne veux pas \u00eatre un nom sur une affiche, mais un moyen. Un moyen pour la vie de s’exprimer. Ma joie est totale quand, soudain, tous les obstacles que j’oppose — comme tout humain — \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9 s’effacent, et que la toile jaillit. Non par magie, mais par ce renoncement pr\u00e9alable qui ouvre la voie.<\/p>\n \u00c0 soixante ans, je reste un enfant devant ce miracle. Je peux glisser dans le narcissisme, bien s\u00fbr, mais je n’oublie jamais comment mes meilleurs tableaux sont n\u00e9s. Ils sont n\u00e9s de l’absence : absence de jalousie, d’orgueil, de fausse humilit\u00e9. Ils sont n\u00e9s quand je cessais d’\u00eatre \"quelqu’un\" pour n’\u00eatre qu’un passage.<\/p>\n Quand j’entends des critiques m\u00e9chantes sur d’autres artistes, j’\u00e9coute en silence. Ces critiques m’apprennent plus sur leurs auteurs que sur les \u0153uvres. Critiquer, pour certains, est une fa\u00e7on d’exister. Je ne les bl\u00e2me pas. La jalousie est une prison, et chacun construit la sienne — certains avec des murs de mots ac\u00e9r\u00e9s.<\/p>\n Parfois je pense \u00e0 ceux qui ont peint dans les camps. \u00c0 Zoran Mu\u0161i\u010d, \u00e0 Emil Nolde. Eux savaient que la vraie prison n’est pas celle des barbel\u00e9s, mais celle du c\u0153ur qui se compare, qui envie, qui poss\u00e8de. La cr\u00e9ation, quand elle vient, est une \u00e9vasion perp\u00e9tuelle. Il suffit de laisser passer le flux, et de n’\u00eatre, humblement, qu’un moyen.<\/p>",
"content_text": " >\"Texte r\u00e9\u00e9crit en 2025 \u00e0 partir de carnets de 2019. Le temps a permis de nuancer certaines affirmations trop absolues, tout en conservant l'intuition premi\u00e8re : la cr\u00e9ation exige de s'effacer.\" La jalousie est une difficult\u00e9. En peinture surtout, qui est mon domaine, ce sentiment m'est p\u00e9nible. Quand je vois un talent que je n'ai pas, je pr\u00e9f\u00e8re admirer. Mes engouements pour les \u0153uvres vont et viennent comme les nuages. Et si parfois j'\u00e9prouve cette douleur, j'essaie de la chasser par l'admiration \u2014 moins co\u00fbteux en \u00e9nergie, plus f\u00e9cond en inspiration. Cette \u00e9conomie du c\u0153ur, je l'ai apprise en peinture. La technique ne suffit pas. Pour \u00eatre le peintre que je veux \u00eatre, il faut accepter que des flux nous traversent \u2014 inconnus et familiers \u00e0 la fois \u2014 sans y faire obstacle. La c\u00e9l\u00e9brit\u00e9, je m'en m\u00e9fie : je ne veux pas \u00eatre un nom sur une affiche, mais un moyen. Un moyen pour la vie de s'exprimer. Ma joie est totale quand, soudain, tous les obstacles que j'oppose \u2014 comme tout humain \u2014 \u00e0 cette r\u00e9alit\u00e9 s'effacent, et que la toile jaillit. Non par magie, mais par ce renoncement pr\u00e9alable qui ouvre la voie. \u00c0 soixante ans, je reste un enfant devant ce miracle. Je peux glisser dans le narcissisme, bien s\u00fbr, mais je n'oublie jamais comment mes meilleurs tableaux sont n\u00e9s. Ils sont n\u00e9s de l'absence : absence de jalousie, d'orgueil, de fausse humilit\u00e9. Ils sont n\u00e9s quand je cessais d'\u00eatre \"quelqu'un\" pour n'\u00eatre qu'un passage. Quand j'entends des critiques m\u00e9chantes sur d'autres artistes, j'\u00e9coute en silence. Ces critiques m'apprennent plus sur leurs auteurs que sur les \u0153uvres. Critiquer, pour certains, est une fa\u00e7on d'exister. Je ne les bl\u00e2me pas. La jalousie est une prison, et chacun construit la sienne \u2014 certains avec des murs de mots ac\u00e9r\u00e9s. Parfois je pense \u00e0 ceux qui ont peint dans les camps. \u00c0 Zoran Mu\u0161i\u010d, \u00e0 Emil Nolde. Eux savaient que la vraie prison n'est pas celle des barbel\u00e9s, mais celle du c\u0153ur qui se compare, qui envie, qui poss\u00e8de. La cr\u00e9ation, quand elle vient, est une \u00e9vasion perp\u00e9tuelle. Il suffit de laisser passer le flux, et de n'\u00eatre, humblement, qu'un moyen. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-septembre-2019.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-septembre-2019.html",
"title": "6 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-06T17:25:00Z",
"date_modified": "2025-12-05T18:28:31Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Une migraine terrible depuis l\u2019aube. J\u2019ai pass\u00e9 la nuit \u00e0 d\u00e9velopper mes films dans la chambre \u00e9touffante de l\u2019h\u00f4tel. Une fois les n\u00e9gatifs accroch\u00e9s \u00e0 la ficelle, j\u2019ai fui. Les mouches, affol\u00e9es par la chaleur montante, se cognaient sans fin contre la vitre.<\/p>\n C\u2019est en cherchant une pharmacie que je l\u2019ai vue, de dos. Des \u00e9paules fr\u00eales. Une nuque p\u00e2le. Un chignon brouillon de cheveux roux. Elle fixait une affiche illisible sur le mur, immobile au milieu du flux du trottoir. C\u2019est cette immobilit\u00e9, peut-\u00eatre, qui m\u2019a fait l\u2019aborder.<\/p>\n Elle venait de Birmingham. Se rendait en Inde pour un an. Son bus \u00e9tait gar\u00e9 \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la ville, les autres voyageurs affal\u00e9s dans un parc, d\u00e9j\u00e0 claqu\u00e9s par le haschisch local. Je lui ai propos\u00e9 un caf\u00e9 \u00e0 l\u2019Intercontinental. Elle n\u2019aimait que le th\u00e9, mais a accept\u00e9.<\/p>\n Sous les pales lentes des ventilateurs, j\u2019ai vu ses yeux. Verts, et d\u2019une gravit\u00e9 qui semblait ant\u00e9rieure \u00e0 tout. \u00c0 cet instant, j\u2019ai su une chose : il serait inutile d\u2019\u00eatre gentil avec elle. La gentillesse est une monnaie qui ne circulait pas dans son pays. Elle exigeait autre chose, de plus direct, ou peut-\u00eatre de plus r\u00e9sign\u00e9.<\/p>\n Nous sommes rest\u00e9s silencieux un long moment. Je lui ai dit que je partais pour Lahore le soir m\u00eame, en train. Elle a fait une moue vague en parlant de ses compagnons d\u2019aventure. Je ne sais pas ce qui m\u2019a pris \u2013 la migraine, la fatigue des images d\u00e9velopp\u00e9es, l\u2019\u00e9clat de ses yeux \u2013, mais je lui ai propos\u00e9 de venir.<\/p>\n Nous nous sommes quitt\u00e9s rapidement. Je lui ai laiss\u00e9 l\u2019heure et le num\u00e9ro du train. Elle a fini son th\u00e9. Je suis parti.<\/p>\n Quelques stations plus loin, tard dans la nuit, le train s\u2019est arr\u00eat\u00e9. Le cort\u00e8ge habituel : mendiants tendant la main vers nos culpabilit\u00e9s, vendeurs de th\u00e9 et de cacahu\u00e8tes. Nous avons pris un th\u00e9 au lait br\u00fblant, \u00e9pic\u00e9 \u00e0 la cardamome. Elle a alors pos\u00e9 sa t\u00eate contre mon \u00e9paule, sans un mot d\u2019avertissement, et a murmur\u00e9 dans le noir :\n« C\u2019est bien. \u00catre l\u00e0. Dans la nuit, dans ce train. »<\/p>\n Je n\u2019ai pas boug\u00e9. La migraine avait enfin c\u00e9d\u00e9, remplac\u00e9e par le poids chaud de sa tempe contre ma veste. Nous n\u2019\u00e9tions plus deux \u00e9trangers. Nous \u00e9tions deux passagers du m\u00eame wagon, fuyant chacun quelque chose, et faisant semblant, pour une nuit, que cette fuite n’\u00e9tait pas solitaire.<\/p>",
"content_text": " Une migraine terrible depuis l\u2019aube. J\u2019ai pass\u00e9 la nuit \u00e0 d\u00e9velopper mes films dans la chambre \u00e9touffante de l\u2019h\u00f4tel. Une fois les n\u00e9gatifs accroch\u00e9s \u00e0 la ficelle, j\u2019ai fui. Les mouches, affol\u00e9es par la chaleur montante, se cognaient sans fin contre la vitre. C\u2019est en cherchant une pharmacie que je l\u2019ai vue, de dos. Des \u00e9paules fr\u00eales. Une nuque p\u00e2le. Un chignon brouillon de cheveux roux. Elle fixait une affiche illisible sur le mur, immobile au milieu du flux du trottoir. C\u2019est cette immobilit\u00e9, peut-\u00eatre, qui m\u2019a fait l\u2019aborder. Elle venait de Birmingham. Se rendait en Inde pour un an. Son bus \u00e9tait gar\u00e9 \u00e0 l\u2019entr\u00e9e de la ville, les autres voyageurs affal\u00e9s dans un parc, d\u00e9j\u00e0 claqu\u00e9s par le haschisch local. Je lui ai propos\u00e9 un caf\u00e9 \u00e0 l\u2019Intercontinental. Elle n\u2019aimait que le th\u00e9, mais a accept\u00e9. Sous les pales lentes des ventilateurs, j\u2019ai vu ses yeux. Verts, et d\u2019une gravit\u00e9 qui semblait ant\u00e9rieure \u00e0 tout. \u00c0 cet instant, j\u2019ai su une chose : il serait inutile d\u2019\u00eatre gentil avec elle. La gentillesse est une monnaie qui ne circulait pas dans son pays. Elle exigeait autre chose, de plus direct, ou peut-\u00eatre de plus r\u00e9sign\u00e9. Nous sommes rest\u00e9s silencieux un long moment. Je lui ai dit que je partais pour Lahore le soir m\u00eame, en train. Elle a fait une moue vague en parlant de ses compagnons d\u2019aventure. Je ne sais pas ce qui m\u2019a pris \u2013 la migraine, la fatigue des images d\u00e9velopp\u00e9es, l\u2019\u00e9clat de ses yeux \u2013, mais je lui ai propos\u00e9 de venir. Nous nous sommes quitt\u00e9s rapidement. Je lui ai laiss\u00e9 l\u2019heure et le num\u00e9ro du train. Elle a fini son th\u00e9. Je suis parti. Quelques stations plus loin, tard dans la nuit, le train s\u2019est arr\u00eat\u00e9. Le cort\u00e8ge habituel : mendiants tendant la main vers nos culpabilit\u00e9s, vendeurs de th\u00e9 et de cacahu\u00e8tes. Nous avons pris un th\u00e9 au lait br\u00fblant, \u00e9pic\u00e9 \u00e0 la cardamome. Elle a alors pos\u00e9 sa t\u00eate contre mon \u00e9paule, sans un mot d\u2019avertissement, et a murmur\u00e9 dans le noir : \u00ab C\u2019est bien. \u00catre l\u00e0. Dans la nuit, dans ce train. \u00bb Je n\u2019ai pas boug\u00e9. La migraine avait enfin c\u00e9d\u00e9, remplac\u00e9e par le poids chaud de sa tempe contre ma veste. Nous n\u2019\u00e9tions plus deux \u00e9trangers. Nous \u00e9tions deux passagers du m\u00eame wagon, fuyant chacun quelque chose, et faisant semblant, pour une nuit, que cette fuite n'\u00e9tait pas solitaire. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/3-septembre-2019.html",
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"title": "3 septembre 2019",
"date_published": "2019-09-03T17:05:00Z",
"date_modified": "2025-12-05T18:28:50Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " L\u2019air est dor\u00e9, charg\u00e9 du sable du Baloutchistan. Sur le seuil de l\u2019h\u00f4tel Osmani, face au terminal des bus, le kebabi remplit son auge de bois pour la braise de midi. Depuis une heure, les haut-parleurs des \u00e9choppes d\u00e9versent des chants sirupeux, ent\u00eatants. \u00c7a donne envie de marcher, de fuir ce point n\u00e9vralgique.<\/p>\n \u00c0 l\u2019Intercontinental, \u00e0 l\u2019est de la ville, je prends mon caf\u00e9 soluble du matin. Rahim, le jeune Afghan, revient avec mes cigarettes. J\u2019avale un pain rond, une th\u00e9i\u00e8re de breuvage noir. Puis je sors, le Leica en bandouli\u00e8re.<\/p>\n La route poudreuse vers Quetta. \u00c0 droite, des campements de fortune. Je photographie des enfants maigres, aux regards \u00e9tincelants. Il n\u2019y a que des femmes et des enfants. Les hommes sont partis depuis des jours dans les montagnes, repousser l\u2019ennemi. Cet ennemi qui revient toujours, pour une terre que personne ne contr\u00f4lera jamais mieux qu\u2019eux.<\/p>\n Au retour, dans un carrefour du bazar, un jeune homme m\u2019aborde.\n-- Mister, where are you from ?\n-- France.\nIl a un sourire de soulagement. M\u2019invite \u00e0 prendre le th\u00e9, pour me montrer sa collection. « J\u2019ai des amis partout. Des cartes postales de partout. »<\/p>\n Je le suis dans les m\u00e9andres du march\u00e9. Sa chambre est minuscule. Sur les murs, des centaines de cartes punais\u00e9es : Melbourne, Tokyo, Paris. Nous nous sourions, ne parlons pas beaucoup. La porte s\u2019ouvre : sa s\u0153ur, magnifique, apporte un plateau de th\u00e9 et de g\u00e2teaux, dispara\u00eet.<\/p>\n Je reste une heure. Au moment de partir, il note son nom et son adresse sur un bout de papier que je glisse dans mon portefeuille. Je prends quelques photos de lui, promet de les envoyer. Je dois attraper un train pour Lahore.<\/p>\n Avant la gare, un crochet. J\u2019ai une autorisation pour l\u2019h\u00f4pital. Photographier des victimes br\u00fbl\u00e9s au napalm.<\/p>\n La pi\u00e8ce est baign\u00e9e d\u2019une lumi\u00e8re crue. Sur un lit, \u00e0 contre-jour, une masse sombre. Mes yeux s\u2019habituent : un homme assis au bord du matelas. Son corps est d\u00e9labr\u00e9. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, un \u00e9tonnement infini recouvre une fatigue infinie. Il est br\u00fbl\u00e9 de partout. Des linges douteux collent \u00e0 ses plaies. Plus de sourcils, plus de cils. Juste des yeux ronds, grands ouverts, qui me jaugent depuis la p\u00e9nombre.<\/p>",
"content_text": " L\u2019air est dor\u00e9, charg\u00e9 du sable du Baloutchistan. Sur le seuil de l\u2019h\u00f4tel Osmani, face au terminal des bus, le kebabi remplit son auge de bois pour la braise de midi. Depuis une heure, les haut-parleurs des \u00e9choppes d\u00e9versent des chants sirupeux, ent\u00eatants. \u00c7a donne envie de marcher, de fuir ce point n\u00e9vralgique. \u00c0 l\u2019Intercontinental, \u00e0 l\u2019est de la ville, je prends mon caf\u00e9 soluble du matin. Rahim, le jeune Afghan, revient avec mes cigarettes. J\u2019avale un pain rond, une th\u00e9i\u00e8re de breuvage noir. Puis je sors, le Leica en bandouli\u00e8re. La route poudreuse vers Quetta. \u00c0 droite, des campements de fortune. Je photographie des enfants maigres, aux regards \u00e9tincelants. Il n\u2019y a que des femmes et des enfants. Les hommes sont partis depuis des jours dans les montagnes, repousser l\u2019ennemi. Cet ennemi qui revient toujours, pour une terre que personne ne contr\u00f4lera jamais mieux qu\u2019eux. Au retour, dans un carrefour du bazar, un jeune homme m\u2019aborde. \u2014 Mister, where are you from ? \u2014 France. Il a un sourire de soulagement. M\u2019invite \u00e0 prendre le th\u00e9, pour me montrer sa collection. \u00ab J\u2019ai des amis partout. Des cartes postales de partout. \u00bb Je le suis dans les m\u00e9andres du march\u00e9. Sa chambre est minuscule. Sur les murs, des centaines de cartes punais\u00e9es : Melbourne, Tokyo, Paris. Nous nous sourions, ne parlons pas beaucoup. La porte s\u2019ouvre : sa s\u0153ur, magnifique, apporte un plateau de th\u00e9 et de g\u00e2teaux, dispara\u00eet. Je reste une heure. Au moment de partir, il note son nom et son adresse sur un bout de papier que je glisse dans mon portefeuille. Je prends quelques photos de lui, promet de les envoyer. Je dois attraper un train pour Lahore. Avant la gare, un crochet. J\u2019ai une autorisation pour l\u2019h\u00f4pital. Photographier des victimes br\u00fbl\u00e9s au napalm. La pi\u00e8ce est baign\u00e9e d\u2019une lumi\u00e8re crue. Sur un lit, \u00e0 contre-jour, une masse sombre. Mes yeux s\u2019habituent : un homme assis au bord du matelas. Son corps est d\u00e9labr\u00e9. Nos regards se croisent. Dans ses yeux, un \u00e9tonnement infini recouvre une fatigue infinie. Il est br\u00fbl\u00e9 de partout. Des linges douteux collent \u00e0 ses plaies. Plus de sourcils, plus de cils. Juste des yeux ronds, grands ouverts, qui me jaugent depuis la p\u00e9nombre. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/1-septembre-2019-2.html",
"url": "https:\/\/ledibbouk.net\/1-septembre-2019-2.html",
"title": "1 septembre 2019-2",
"date_published": "2019-09-01T06:49:00Z",
"date_modified": "2025-12-05T17:31:05Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": " Depuis quelques jours, la lumi\u00e8re a chang\u00e9. Au-dessus du Pilat, des nuages se forment et se d\u00e9font, impr\u00e9visibles. Je roule dans la Twingo de mon \u00e9pouse, vitre baiss\u00e9e. L\u2019air frais entre \u00e0 flots. Pas de radio. Juste le bruit du moteur qui peine dans les mont\u00e9es vers Saint-Julien-Molin-Molette. Les champs sont nus, la moisson faite. Seules ondulent, sur les bas-c\u00f4t\u00e9s, quelques herbes folles.<\/p>\n C\u2019est mon dernier jour. L\u2019atelier m\u2019attend, vide depuis une semaine. J\u2019ai rang\u00e9 les petites toiles, pli\u00e9 les emballages. Quand le couple est apparu sur le seuil, vers trois heures, j\u2019ai vu tout de suite la diff\u00e9rence : lui, droit, le regard calme ; elle, en retrait, presque transparente. Ils ont demand\u00e9 s\u2019il \u00e9tait trop tard.<\/p>\n Je les ai laiss\u00e9s entrer, faisant mine de m\u2019occuper. Le silence, dans la pi\u00e8ce, \u00e9tait \u00e9pais. La plupart des visiteurs le percent d\u2019un « c\u2019est beau » poli et repartent. Lui, regardait. Il a mis longtemps avant de parler.<\/p>\n Nous avons parl\u00e9 de ce qui ne se voit pas. De la peinture comme passage, pas comme image. Je ne sais plus comment le mot « silence » est venu — ce que je cherche, peut-\u00eatre, c\u2019est de le partager.<\/p>\n Ses yeux se sont mis \u00e0 briller, d\u2019un coup.\n« Ce que vous appelez le silence, c\u2019est la vie et l\u2019amour, en fait. »\nIl a marqu\u00e9 une pause. La voix plus basse :\n« Le v\u00e9ritable amour est sans \u00e9motion. Comme l\u2019univers. Il r\u00e9pond, c\u2019est tout. Peu importe la demande. »<\/p>\n Nous sommes rest\u00e9s un moment sans rien dire. Le tableau entre nous — une toile sur le premier d\u00e9part, la nigredo — semblait vibrer d\u2019une autre fr\u00e9quence.<\/p>\n Avant de partir, il a demand\u00e9 le prix. Nous avons \u00e9chang\u00e9 nos cartes. Une promesse de se revoir, quelque part, un jour.<\/p>\n En redescendant, le ciel \u00e9tait toujours aussi changeant. Mon appareil photo \u00e9tait sur le si\u00e8ge \u00e0 c\u00f4t\u00e9. J\u2019avais rep\u00e9r\u00e9 des angles, des lumi\u00e8res, ces derniers jours. Je l\u2019ai laiss\u00e9 l\u00e0. J\u2019ai roul\u00e9 lentement, les fen\u00eatres ouvertes, pour garder en moi la couleur de l\u2019air, la forme des nuages, le go\u00fbt de cet \u00e9t\u00e9 finissant, et cette parole qui r\u00e9sonnait encore : Le silence, c\u2019est la vie et l\u2019amour.<\/p>\n\n
\nLes b\u00e9quilles de S. sont d’un bleu profond, presque neuves. Elles s’adossent au mur depuis l’op\u00e9ration. S. vit dans le pr\u00e9sent. Moi, je fais des allers-retours constants. Le pr\u00e9sent est une lumi\u00e8re blanche qui br\u00fble \u2013 il me faut ces lunettes de soudeur pour seulement regarder. Sculpter un sens tol\u00e9rable. Je pars en qu\u00eate de bribes, ferraille rouill\u00e9e, et je les soude comme je peux. Urgence. Sans cela, je resterais bras ballants dans l’incendie.<\/p>\n\n