{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ce-texte-propose-une-reflexion-sur-la-nature-du-cerveau-humain-et-de.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ce-texte-propose-une-reflexion-sur-la-nature-du-cerveau-humain-et-de.html", "title": "Ce texte propose une r\u00e9flexion sur la nature du cerveau humain et de...", "date_published": "2019-09-22T19:18:00Z", "date_modified": "2025-02-17T02:29:06Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\tdessin aléatoire au crayon qui pourrait évoquer une zone du cerveau ou toute autre chose qui vous passera par l'esprit<\/a>\n
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Dessin al\u00e9atoire au crayon\n<\/strong><\/div>\n\t
dessin al\u00e9atoire au crayon qui a inspir\u00e9 ce texte\n<\/div>\n\t
patrick blanchon\n<\/div>\n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Notre cerveau, selon les derni\u00e8res d\u00e9couvertes \u00e0 ma disposition, est une entit\u00e9 pour le moins \u00e9trange. Il est froid, insensible \u00e0 la douleur, et n\u2019\u00e9prouve aucune \u00e9motion. Sa structure est d\u2019une telle complexit\u00e9 que nous sommes encore incapables d\u2019en reproduire un mod\u00e8le pr\u00e9cis, que ce soit pour tenter de fabriquer des cerveaux artificiels ou m\u00eame pour approcher leur fonctionnement. Lors du d\u00e9veloppement f\u0153tal, le cerveau de l\u2019enfant g\u00e9n\u00e8re \u00e0 une vitesse stup\u00e9fiante un nombre incalculable de cellules par seconde. Pourtant, le cerveau pr\u00e9frontal, celui qui nous permet de prendre des d\u00e9cisions rationnelles et m\u00fbres, n’atteindrait pas sa pleine maturit\u00e9 avant l\u2019\u00e2ge de trente ans.<\/p>\n

Nous ne savons pas grand-chose, comme je te le dis, et notamment, nous ne savons toujours pas si le cerveau et l\u2019esprit sont une seule et m\u00eame chose. Les images m\u00e9dicales qui montrent l\u2019activit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale d\u2019une personne en pleine r\u00e9flexion ne nous \u00e9clairent pas vraiment. Elles ne nous disent pas si c\u2019est bien le cerveau qui pense, ou s\u2019il interagit avec une autre entit\u00e9 que l\u2019on pourrait appeler l\u2019esprit, ce spiritus qui anime tout \u00eatre vivant.<\/p>\n

Il est possible que le cerveau ne soit qu\u2019une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique sophistiqu\u00e9, ou peut-\u00eatre m\u00eame une sorte d\u2019antenne. Ce qui est certain, c\u2019est que dans ce cerveau, il existe un centre de commande pour chaque organe de notre corps, et cela reste invisible. Ainsi, nous respirons, souvent inconsciemment, gr\u00e2ce \u00e0 ce centre nerveux, qui r\u00e9gule cette fonction vitale, que nous en soyons conscients ou non. Il suffit que je mentionne la respiration pour que tu en prennes soudainement conscience. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne est un myst\u00e8re fascinant : nous sommes capables de contr\u00f4ler notre respiration volontairement, alors qu\u2019aucun animal, pas m\u00eame les primates, ne poss\u00e8de cette facult\u00e9.<\/p>\n

Depuis l\u2019\u00e9poque de Galien, lorsqu\u2019il diss\u00e9quait des cerveaux de singes, pr\u00e8s de 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre le cerveau humain et celui des primates. Il semble donc difficile d\u2019affirmer avec certitude que l\u2019homme descend directement du singe ; il y a manifestement quelque chose qui s\u2019est produit entre les deux.<\/p>\n

En revanche, il existe un centre de commande que nous ne contr\u00f4lons pas du tout : celui qui r\u00e9gule notre c\u0153ur. Lorsque ce dernier est gravement d\u00e9t\u00e9rior\u00e9 et qu\u2019il est sur le point de s\u2019arr\u00eater, c\u2019est le cerveau qui envoie le dernier signal pour \u00e9teindre d\u00e9finitivement la machine.<\/p>\n

Si l\u2019on prend tous les nerfs et canaux qui parcourent le cerveau et que l\u2019on les \u00e9tendait bout \u00e0 bout, on obtiendrait une longueur \u00e9quivalente \u00e0 deux fois le tour de la Terre.<\/p>\n

Envelopp\u00e9 dans une sorte de substance gluante peu rago\u00fbtante, le cerveau se prot\u00e8ge derri\u00e8re cinq couches, formant une v\u00e9ritable forteresse imp\u00e9n\u00e9trable. Qu’est-ce qui rend le cerveau humain si diff\u00e9rent de celui des primates ? Pourquoi le fameux « cha\u00eenon manquant » reste-t-il une \u00e9nigme non r\u00e9solue ? On pourrait \u00e9voquer toutes sortes de th\u00e9ories, y compris celle d\u2019une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre, qui ne serait pas la plus farfelue.<\/p>\n

Quant \u00e0 l\u2019esprit, \u00e0 la conscience, personne n\u2019a encore r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9finir pr\u00e9cis\u00e9ment ce que ces notions recouvrent. Mais il existe peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante, une hypoth\u00e8se po\u00e9tique qui relie astrophysique et esprit humain.<\/p>\n

Si l\u2019on observe de pr\u00e8s le nombre astronomique de cellules, de neurones, et les connexions qui relient chacun de ces neurones, on n\u2019est pas si loin du nombre d\u2019\u00e9toiles et de corps c\u00e9lestes dans l\u2019univers. De plus, on d\u00e9couvre maintenant que tout baigne dans une sorte de mati\u00e8re noire ou d\u2019\u00e9nergie noire. Il est \u00e9trange de constater qu\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne similaire existe dans notre cerveau, qu\u2019on appelle le corps noir.<\/p>\n

Il faudrait sans doute revenir \u00e0 l\u2019alchimie pour explorer certaines id\u00e9es qui avaient d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 pens\u00e9es bien avant nos r\u00e9centes « d\u00e9couvertes » scientifiques. Mais je ne vais pas m\u2019\u00e9tendre sur le sujet, cela m\u00e9riterait un livre entier. Cet esprit qui nous anime, les anciens en parlaient d\u00e9j\u00e0 : Paracelse, entre autres, et bien d\u2019autres avant lui. Que l\u2019on parle de l\u2019esprit primordial, du Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou de Dieu, peu importe le nom qu\u2019on lui donne, ce qui importe, c\u2019est que nous ressentons tous sa pr\u00e9sence, sans jamais vraiment pouvoir la d\u00e9finir scientifiquement.<\/p>\n

La m\u00eame difficult\u00e9 s’applique \u00e0 la conscience. Aujourd’hui, dans cette \u00e8re o\u00f9 les neurosciences sont en vogue, personne ne peut r\u00e9ellement affirmer ce qu’est la conscience. Est-ce simplement une impulsion \u00e9lectrique g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par le cerveau, ou autre chose ? Nous ne le savons pas encore, mais je suis personnellement convaincu qu\u2019il y a quelque chose de plus profond qu\u2019une simple lumi\u00e8re qui s’allumerait et s’\u00e9teindrait.<\/p>\n

Il para\u00eet que le cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, une \u00e9nergie infime pour une machine aussi complexe. Et encore, cette \u00e9lectricit\u00e9, il la produit lui-m\u00eame ! Nous commen\u00e7ons seulement \u00e0 explorer ce ph\u00e9nom\u00e8ne.<\/p>\n

Peut-\u00eatre devrions-nous tourner notre regard vers le Tibet, o\u00f9 la m\u00e9ditation de pleine conscience est pratiqu\u00e9e depuis des si\u00e8cles. Certes, cela ne serait pas scientifique au sens o\u00f9 nous l\u2019entendons g\u00e9n\u00e9ralement, mais qu\u2019importe ? Pour comprendre la conscience, il faut parfois prendre du recul et consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Ce mot, consid\u00e9rer, signifie litt\u00e9ralement « regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps ».<\/p>", "content_text": "Notre cerveau, selon les derni\u00e8res d\u00e9couvertes \u00e0 ma disposition, est une entit\u00e9 pour le moins \u00e9trange. Il est froid, insensible \u00e0 la douleur, et n\u2019\u00e9prouve aucune \u00e9motion. Sa structure est d\u2019une telle complexit\u00e9 que nous sommes encore incapables d\u2019en reproduire un mod\u00e8le pr\u00e9cis, que ce soit pour tenter de fabriquer des cerveaux artificiels ou m\u00eame pour approcher leur fonctionnement. Lors du d\u00e9veloppement f\u0153tal, le cerveau de l\u2019enfant g\u00e9n\u00e8re \u00e0 une vitesse stup\u00e9fiante un nombre incalculable de cellules par seconde. Pourtant, le cerveau pr\u00e9frontal, celui qui nous permet de prendre des d\u00e9cisions rationnelles et m\u00fbres, n'atteindrait pas sa pleine maturit\u00e9 avant l\u2019\u00e2ge de trente ans. Nous ne savons pas grand-chose, comme je te le dis, et notamment, nous ne savons toujours pas si le cerveau et l\u2019esprit sont une seule et m\u00eame chose. Les images m\u00e9dicales qui montrent l\u2019activit\u00e9 c\u00e9r\u00e9brale d\u2019une personne en pleine r\u00e9flexion ne nous \u00e9clairent pas vraiment. Elles ne nous disent pas si c\u2019est bien le cerveau qui pense, ou s\u2019il interagit avec une autre entit\u00e9 que l\u2019on pourrait appeler l\u2019esprit, ce spiritus qui anime tout \u00eatre vivant. Il est possible que le cerveau ne soit qu\u2019une interface, un p\u00e9riph\u00e9rique sophistiqu\u00e9, ou peut-\u00eatre m\u00eame une sorte d\u2019antenne. Ce qui est certain, c\u2019est que dans ce cerveau, il existe un centre de commande pour chaque organe de notre corps, et cela reste invisible. Ainsi, nous respirons, souvent inconsciemment, gr\u00e2ce \u00e0 ce centre nerveux, qui r\u00e9gule cette fonction vitale, que nous en soyons conscients ou non. Il suffit que je mentionne la respiration pour que tu en prennes soudainement conscience. Ce ph\u00e9nom\u00e8ne est un myst\u00e8re fascinant : nous sommes capables de contr\u00f4ler notre respiration volontairement, alors qu\u2019aucun animal, pas m\u00eame les primates, ne poss\u00e8de cette facult\u00e9. Depuis l\u2019\u00e9poque de Galien, lorsqu\u2019il diss\u00e9quait des cerveaux de singes, pr\u00e8s de 200 diff\u00e9rences ont \u00e9t\u00e9 relev\u00e9es entre le cerveau humain et celui des primates. Il semble donc difficile d\u2019affirmer avec certitude que l\u2019homme descend directement du singe ; il y a manifestement quelque chose qui s\u2019est produit entre les deux. En revanche, il existe un centre de commande que nous ne contr\u00f4lons pas du tout : celui qui r\u00e9gule notre c\u0153ur. Lorsque ce dernier est gravement d\u00e9t\u00e9rior\u00e9 et qu\u2019il est sur le point de s\u2019arr\u00eater, c\u2019est le cerveau qui envoie le dernier signal pour \u00e9teindre d\u00e9finitivement la machine. Si l\u2019on prend tous les nerfs et canaux qui parcourent le cerveau et que l\u2019on les \u00e9tendait bout \u00e0 bout, on obtiendrait une longueur \u00e9quivalente \u00e0 deux fois le tour de la Terre. Envelopp\u00e9 dans une sorte de substance gluante peu rago\u00fbtante, le cerveau se prot\u00e8ge derri\u00e8re cinq couches, formant une v\u00e9ritable forteresse imp\u00e9n\u00e9trable. Qu'est-ce qui rend le cerveau humain si diff\u00e9rent de celui des primates ? Pourquoi le fameux \"cha\u00eenon manquant\" reste-t-il une \u00e9nigme non r\u00e9solue ? On pourrait \u00e9voquer toutes sortes de th\u00e9ories, y compris celle d\u2019une intervention g\u00e9n\u00e9tique extraterrestre, qui ne serait pas la plus farfelue. Quant \u00e0 l\u2019esprit, \u00e0 la conscience, personne n\u2019a encore r\u00e9ussi \u00e0 d\u00e9finir pr\u00e9cis\u00e9ment ce que ces notions recouvrent. Mais il existe peut-\u00eatre une piste int\u00e9ressante, une hypoth\u00e8se po\u00e9tique qui relie astrophysique et esprit humain. Si l\u2019on observe de pr\u00e8s le nombre astronomique de cellules, de neurones, et les connexions qui relient chacun de ces neurones, on n\u2019est pas si loin du nombre d\u2019\u00e9toiles et de corps c\u00e9lestes dans l\u2019univers. De plus, on d\u00e9couvre maintenant que tout baigne dans une sorte de mati\u00e8re noire ou d\u2019\u00e9nergie noire. Il est \u00e9trange de constater qu\u2019un ph\u00e9nom\u00e8ne similaire existe dans notre cerveau, qu\u2019on appelle le corps noir. Il faudrait sans doute revenir \u00e0 l\u2019alchimie pour explorer certaines id\u00e9es qui avaient d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 pens\u00e9es bien avant nos r\u00e9centes \u00ab d\u00e9couvertes \u00bb scientifiques. Mais je ne vais pas m\u2019\u00e9tendre sur le sujet, cela m\u00e9riterait un livre entier. Cet esprit qui nous anime, les anciens en parlaient d\u00e9j\u00e0 : Paracelse, entre autres, et bien d\u2019autres avant lui. Que l\u2019on parle de l\u2019esprit primordial, du Grand Esprit des Am\u00e9rindiens, ou de Dieu, peu importe le nom qu\u2019on lui donne, ce qui importe, c\u2019est que nous ressentons tous sa pr\u00e9sence, sans jamais vraiment pouvoir la d\u00e9finir scientifiquement. La m\u00eame difficult\u00e9 s'applique \u00e0 la conscience. Aujourd'hui, dans cette \u00e8re o\u00f9 les neurosciences sont en vogue, personne ne peut r\u00e9ellement affirmer ce qu'est la conscience. Est-ce simplement une impulsion \u00e9lectrique g\u00e9n\u00e9r\u00e9e par le cerveau, ou autre chose ? Nous ne le savons pas encore, mais je suis personnellement convaincu qu\u2019il y a quelque chose de plus profond qu\u2019une simple lumi\u00e8re qui s'allumerait et s'\u00e9teindrait. Il para\u00eet que le cerveau utilise environ 20 watts pour fonctionner, une \u00e9nergie infime pour une machine aussi complexe. Et encore, cette \u00e9lectricit\u00e9, il la produit lui-m\u00eame ! Nous commen\u00e7ons seulement \u00e0 explorer ce ph\u00e9nom\u00e8ne. Peut-\u00eatre devrions-nous tourner notre regard vers le Tibet, o\u00f9 la m\u00e9ditation de pleine conscience est pratiqu\u00e9e depuis des si\u00e8cles. Certes, cela ne serait pas scientifique au sens o\u00f9 nous l\u2019entendons g\u00e9n\u00e9ralement, mais qu\u2019importe ? Pour comprendre la conscience, il faut parfois prendre du recul et consid\u00e9rer les choses sous un angle diff\u00e9rent. Ce mot, consid\u00e9rer, signifie litt\u00e9ralement \u00ab regarder toutes les \u00e9toiles en m\u00eame temps \u00bb. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cerveau.jpg?1748065070", "tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation", "Esth\u00e9tique et Exp\u00e9rience Sensorielle"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-septembre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-septembre-2019.html", "title": "16 septembre 2019", "date_published": "2019-09-16T19:08:00Z", "date_modified": "2025-04-30T16:29:23Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Il y a quelques ann\u00e9es, une exposition magistrale se tient \u00e0 Lyon, une r\u00e9trospective des fr\u00e8res peintres Bram et Geer Van Velde.<\/p>\n

Sur des voies parall\u00e8les, les deux fr\u00e8res ne se rejoignent qu\u2019\u00e0 la limite que propose la fratrie, \u00e0 l\u2019horizon de sa volont\u00e9 de trouver des « points communs ». Il suit le parcours propos\u00e9 par le mus\u00e9e des Beaux-Arts, sous la direction de la commissaire Sylvie Ramond et de l\u2019historien d\u2019art Rainer Michael Mason.<\/p>\n

\u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, il retrouve une sensation qui lui est ch\u00e8re, peut-\u00eatre m\u00eame le moteur invisible de la naissance de ces deux \u0153uvres enfin r\u00e9unies c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : le d\u00e9racinement.<\/p>\n

Hollandais d\u2019origine, les deux fr\u00e8res entretiennent une relation \u00e9troite, marqu\u00e9e par l\u2019exil et la distance avec leur pays natal. Cela lui permet de saisir quelque chose d\u2019important : l\u2019inconnu dans lequel ils se plongent, laissant derri\u00e8re eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs rep\u00e8res, et de leur identit\u00e9.<\/p>\n

Employ\u00e9s tous deux dans une entreprise de peinture et de d\u00e9coration \u00e0 La Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour apprendre les techniques de peinture. Nous sommes entre les ann\u00e9es 1915 et 1920.<\/p>\n

C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne, propos\u00e9 par son patron, que Bram continue \u00e0 d\u00e9velopper sa culture artistique, dans un village o\u00f9 il c\u00f4toie de nombreux artistes. Ses inspirations viennent alors de Van Gogh, de Munch — \u00e0 l\u2019origine de l\u2019expressionnisme — et d\u2019Emil Nolde, qui lui apprend \u00e0 placer la subjectivit\u00e9 au centre de toute repr\u00e9sentation.<\/p>\n

Plus tard, Bram se rend \u00e0 Paris, o\u00f9 il t\u00e2tonne en s\u2019essayant \u00e0 plusieurs genres, jusqu\u2019\u00e0 recevoir la « le\u00e7on de Matisse » et la « r\u00e9v\u00e9lation » de ses couleurs, un peu comme un indien qui apprend son nom en passant \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Mais c\u2019est en Corse qu\u2019il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage.<\/p>\n

Geer rejoint son fr\u00e8re \u00e0 Paris et tente lui aussi de trouver son propre langage pictural en explorant divers genres, dont l\u2019art na\u00eff. Les deux fr\u00e8res commencent alors \u00e0 exposer ensemble, ins\u00e9parables.<\/p>\n

Dans les ann\u00e9es 30, Bram s\u2019installe \u00e0 Majorque, o\u00f9 il restera jusqu\u2019\u00e0 la guerre d\u2019Espagne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019\u00e9loigne d\u00e9finitivement de la figuration tout en continuant \u00e0 peindre ce qu\u2019il voit, tel qu\u2019il le voit. Il trouve alors les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui d\u00e9finiront son style pour toujours. Son langage pictural devient l\u2019expression d\u2019une peinture pure, un fait plastique authentique fond\u00e9 sur une vision int\u00e9rioris\u00e9e du monde.<\/p>\n

Il lui semble important de raconter ce parcours, car il indique plusieurs choses essentielles \u00e0 ses yeux.<\/p>\n

D\u2019une part, il faut la faim, celle de peindre, celle de s\u2019exprimer. Malheureusement, Bram ne conna\u00eet pas que cette faim artistique, mais aussi la vraie faim, celle qui tord les boyaux. D\u2019autre part, il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore, s\u2019\u00e9garer pour mieux se trouver. Nul ne sait comment survient v\u00e9ritablement la r\u00e9v\u00e9lation d\u2019une palette de couleurs ou d\u2019un langage formel, mais une chose est certaine : elle n\u2019arrive pas par hasard. Il faut travailler \u00e9norm\u00e9ment pour cela.<\/p>\n

Personne ne peut dire pourquoi certains artistes passent \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9. Pourquoi Bram devient-il plus « c\u00e9l\u00e8bre » que Geer, sans doute jug\u00e9 trop conventionnel par les gardiens du temple de l\u2019art ? Pourtant, les choses changent avec le temps : ceux qui \u00e9taient c\u00e9l\u00e8bres jadis peuvent tomber dans l\u2019oubli, et vice versa, au gr\u00e9 des humeurs des politiques, des marchands, et surtout de l\u2019air du temps.<\/p>\n

Loin de lui l\u2019id\u00e9e de jouer les critiques d\u2019art \u00e0 travers ces petits textes sur les peintres qui ont compt\u00e9 dans son parcours. Non, \u00e9crire lui permet avant tout de clarifier ses pens\u00e9es, de les hi\u00e9rarchiser, d\u2019en comprendre l\u2019importance, et peut-\u00eatre, par ricochet, de les faire saisir \u00e0 d\u2019autres. Ce qui serait d\u00e9j\u00e0 un petit miracle en soi.<\/p>\n

Il reviendra sur la peinture de Bram Van Velde, car il est tard et il doit aller peindre. Et ce besoin soudain de s\u2019\u00e9loigner du sujet lui fait comprendre combien ce peintre a \u00e9t\u00e9 d\u2019une importance capitale dans son parcours.<\/p>", "content_text": "Il y a quelques ann\u00e9es, une exposition magistrale se tient \u00e0 Lyon, une r\u00e9trospective des fr\u00e8res peintres Bram et Geer Van Velde. Sur des voies parall\u00e8les, les deux fr\u00e8res ne se rejoignent qu\u2019\u00e0 la limite que propose la fratrie, \u00e0 l\u2019horizon de sa volont\u00e9 de trouver des \u00ab points communs \u00bb. Il suit le parcours propos\u00e9 par le mus\u00e9e des Beaux-Arts, sous la direction de la commissaire Sylvie Ramond et de l\u2019historien d\u2019art Rainer Michael Mason. \u00c0 travers le cheminement des \u0153uvres, il retrouve une sensation qui lui est ch\u00e8re, peut-\u00eatre m\u00eame le moteur invisible de la naissance de ces deux \u0153uvres enfin r\u00e9unies c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : le d\u00e9racinement. Hollandais d\u2019origine, les deux fr\u00e8res entretiennent une relation \u00e9troite, marqu\u00e9e par l\u2019exil et la distance avec leur pays natal. Cela lui permet de saisir quelque chose d\u2019important : l\u2019inconnu dans lequel ils se plongent, laissant derri\u00e8re eux le cercle familier de leurs habitudes, de leurs rep\u00e8res, et de leur identit\u00e9. Employ\u00e9s tous deux dans une entreprise de peinture et de d\u00e9coration \u00e0 La Haye, Bram et Geer suivent un cursus classique pour apprendre les techniques de peinture. Nous sommes entre les ann\u00e9es 1915 et 1920. C\u2019est gr\u00e2ce \u00e0 un voyage en Allemagne, propos\u00e9 par son patron, que Bram continue \u00e0 d\u00e9velopper sa culture artistique, dans un village o\u00f9 il c\u00f4toie de nombreux artistes. Ses inspirations viennent alors de Van Gogh, de Munch \u2014 \u00e0 l\u2019origine de l\u2019expressionnisme \u2014 et d\u2019Emil Nolde, qui lui apprend \u00e0 placer la subjectivit\u00e9 au centre de toute repr\u00e9sentation. Plus tard, Bram se rend \u00e0 Paris, o\u00f9 il t\u00e2tonne en s\u2019essayant \u00e0 plusieurs genres, jusqu\u2019\u00e0 recevoir la \u00ab le\u00e7on de Matisse \u00bb et la \u00ab r\u00e9v\u00e9lation \u00bb de ses couleurs, un peu comme un indien qui apprend son nom en passant \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Mais c\u2019est en Corse qu\u2019il \u00e9labore v\u00e9ritablement son langage. Geer rejoint son fr\u00e8re \u00e0 Paris et tente lui aussi de trouver son propre langage pictural en explorant divers genres, dont l\u2019art na\u00eff. Les deux fr\u00e8res commencent alors \u00e0 exposer ensemble, ins\u00e9parables. Dans les ann\u00e9es 30, Bram s\u2019installe \u00e0 Majorque, o\u00f9 il restera jusqu\u2019\u00e0 la guerre d\u2019Espagne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il s\u2019\u00e9loigne d\u00e9finitivement de la figuration tout en continuant \u00e0 peindre ce qu\u2019il voit, tel qu\u2019il le voit. Il trouve alors les imbrications, les grandes plages, les recouvrements qui d\u00e9finiront son style pour toujours. Son langage pictural devient l\u2019expression d\u2019une peinture pure, un fait plastique authentique fond\u00e9 sur une vision int\u00e9rioris\u00e9e du monde. Il lui semble important de raconter ce parcours, car il indique plusieurs choses essentielles \u00e0 ses yeux. D\u2019une part, il faut la faim, celle de peindre, celle de s\u2019exprimer. Malheureusement, Bram ne conna\u00eet pas que cette faim artistique, mais aussi la vraie faim, celle qui tord les boyaux. D\u2019autre part, il faut travailler sans rel\u00e2che, multiplier les tentatives, \u00e9chouer encore et encore, s\u2019\u00e9garer pour mieux se trouver. Nul ne sait comment survient v\u00e9ritablement la r\u00e9v\u00e9lation d\u2019une palette de couleurs ou d\u2019un langage formel, mais une chose est certaine : elle n\u2019arrive pas par hasard. Il faut travailler \u00e9norm\u00e9ment pour cela. Personne ne peut dire pourquoi certains artistes passent \u00e0 la post\u00e9rit\u00e9. Pourquoi Bram devient-il plus \u00ab c\u00e9l\u00e8bre \u00bb que Geer, sans doute jug\u00e9 trop conventionnel par les gardiens du temple de l\u2019art ? Pourtant, les choses changent avec le temps : ceux qui \u00e9taient c\u00e9l\u00e8bres jadis peuvent tomber dans l\u2019oubli, et vice versa, au gr\u00e9 des humeurs des politiques, des marchands, et surtout de l\u2019air du temps. Loin de lui l\u2019id\u00e9e de jouer les critiques d\u2019art \u00e0 travers ces petits textes sur les peintres qui ont compt\u00e9 dans son parcours. Non, \u00e9crire lui permet avant tout de clarifier ses pens\u00e9es, de les hi\u00e9rarchiser, d\u2019en comprendre l\u2019importance, et peut-\u00eatre, par ricochet, de les faire saisir \u00e0 d\u2019autres. Ce qui serait d\u00e9j\u00e0 un petit miracle en soi. Il reviendra sur la peinture de Bram Van Velde, car il est tard et il doit aller peindre. Et ce besoin soudain de s\u2019\u00e9loigner du sujet lui fait comprendre combien ce peintre a \u00e9t\u00e9 d\u2019une importance capitale dans son parcours.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/bram-van-velde.jpg?1748065063", "tags": ["peintres", "r\u00e9flexions sur l'art", "affects"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/La-peinture-de-Patrick-Robbe-Grillet.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/La-peinture-de-Patrick-Robbe-Grillet.html", "title": "La peinture de Patrick Robbe-Grillet", "date_published": "2019-09-16T04:05:24Z", "date_modified": "2025-05-02T14:32:26Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne — non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas.<\/p>\n

Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes.<\/p>\n

Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri — alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes.<\/p>\n

On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse.<\/p>\n

J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus.<\/p>\n

Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre.<\/p>\n

Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai.<\/p>\n

S\u2019absenter — non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence.<\/p>\n

On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 — Patrick le discret, Willem le fracas — me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre.<\/p>\n

Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir.\nIllustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet<\/p>", "content_text": " Il arrive, rarement mais toujours avec force, que la peinture me d\u00e9tourne \u2014 non par indiff\u00e9rence, mais par effroi. Une panique douce m\u2019attrape, un pas de c\u00f4t\u00e9, comme si j\u2019approchais quelque chose de trop dense, trop nu. Ainsi en fut-il des toiles de Patrick, crois\u00e9es un soir sur l\u2019\u00e9cran fade d\u2019un site d\u2019art contemporain. Je crus d\u2019abord \u00e0 une fumisterie mystique, de celles qui maquillent de spiritualit\u00e9 leur vacuit\u00e9. On rabaisse souvent ce qui nous r\u00e9siste. C\u2019est plus facile, moins honteux que d\u2019admettre qu\u2019on n\u2019y entre pas. Et pourtant, j\u2019y suis retourn\u00e9. Plusieurs fois, \u00e0 distance. Pour rien, apparemment. Ou pour ce rien qui insiste, ce rien qui demande que l\u2019on s\u2019y tienne, juste l\u00e0, au bord. Comme si l\u2019image me disait : attends. Attends que le sens ne soit plus affaire de signes. Je crois que c\u2019est cela, pr\u00e9cis\u00e9ment, qui aveugle : l\u2019habitude. Elle b\u00e2illonne l\u2019\u0153il. Elle fortifie autour de nous des cloisons de r\u00e9p\u00e9titions, et derri\u00e8re ces murs on croit \u00eatre \u00e0 l\u2019abri \u2014 alors qu\u2019on ne fait que tourner en rond dans la cour famili\u00e8re de nos certitudes. On peut, bien s\u00fbr, s\u2019arr\u00eater \u00e0 la beaut\u00e9 imm\u00e9diate de ses grandes toiles, \u00e0 leur \u00e9clat, \u00e0 la s\u00e9duction premi\u00e8re des champs monochromes. Je l\u2019ai fait. Mais tr\u00e8s vite, une g\u00eane est venue fendre le ravissement. Quelque chose, comme un courant inverse. J\u2019ai fouill\u00e9, cherch\u00e9 des traces de Patrick, des bouts de biographie. Peu. Presque rien. Sinon un s\u00e9jour en Chine, et ce qu\u2019on dit souvent : concentration, gestuelle, silence du corps en action. Des mots d\u00e9j\u00e0 vus ailleurs, chez Fabienne Verdier par exemple. Mais cela ne suffisait pas. Cela ne suffisait plus. Aucune narration dans ces toiles. Aucun r\u00e9cit pour que l\u2019on puisse, \u00e0 la faveur d\u2019un miroir, y projeter la fable de soi. Rien que la mati\u00e8re, brute. Des clairs, des sombres. Le racloir. Un d\u00e9sordre qui, peut-\u00eatre, n\u2019est m\u00eame pas un d\u00e9sordre. Peut-\u00eatre est-ce le r\u00e9el qui a cess\u00e9 de se contraindre. Et c\u2019est l\u00e0 que m\u2019est venu le mot. S\u2019absenter. Voil\u00e0. Le geste y est, sans son auteur. Le peintre s\u2019est \u00e9cart\u00e9. Et c\u2019est dans ce retrait qu\u2019appara\u00eet le vrai. S\u2019absenter \u2014 non pour dispara\u00eetre, mais pour laisser place. S\u2019absenter, comme une \u00e9l\u00e9gance. Un effacement actif. Ce n\u2019est pas l\u2019abandon, mais un don plus subtil : celui du silence. On pourrait croire cela \u00e0 l\u2019oppos\u00e9 d\u2019un De Kooning, \u00e9clatant, satur\u00e9, frontal. Et pourtant, ces deux-l\u00e0 \u2014 Patrick le discret, Willem le fracas \u2014 me semblent se parler. Champ de bataille d\u2019un c\u00f4t\u00e9, nef de cath\u00e9drale de l\u2019autre. M\u00eame lieu, deux acoustiques. Ce dont ils parlent, en v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est d\u2019une m\u00eame chose : la n\u00e9cessit\u00e9 de s\u2019effacer pour peindre. Car c\u2019est dans le vide que surgit le visible. Et cette trace-l\u00e0, ce vestige du peintre rendu \u00e0 l\u2019absence, voil\u00e0 ce que je re\u00e7ois aujourd\u2019hui comme un savoir. Illustration : Envol\u00e9e Lyrique, Patrick Robbe Grillet ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/envolee-lyrique-prg.jpg?1748065147", "tags": ["peintres"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-septembre-2019.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-septembre-2019.html", "title": "15 septembre 2019", "date_published": "2019-09-15T18:55:00Z", "date_modified": "2025-08-24T23:34:34Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une « perte de temps » — \u00e9crire, peindre — me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle « la vie active ». Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : « Ne te berne pas toi-m\u00eame. » En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e « l\u2019impeccabilit\u00e9 », en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : « Oui, c\u2019est exactement cela. » Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin — le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : « la petite voix » suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce « \u00e0 quoi bon » d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. « Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus », dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie.<\/p>", "content_text": " En tant que peintre, je me suis engag\u00e9 dans une voie que je n\u2019ai pas choisie. L\u2019envie de cr\u00e9er ne m\u2019a apport\u00e9 que des probl\u00e8mes, et longtemps j\u2019ai lutt\u00e9 contre cette envie. Je culpabilisais quand ce que je consid\u00e9rais comme une \u00ab perte de temps \u00bb \u2014 \u00e9crire, peindre \u2014 me procurait plaisir et paix, alors que je pensais devoir \u00eatre \u00e0 l\u2019usine ou au bureau, dans ce que tout le monde appelle \u00ab la vie active \u00bb. Il m\u2019a fallu des ann\u00e9es pour me d\u00e9faire de cette culpabilit\u00e9. C\u2019est sans doute l\u2019un de mes travaux les plus importants. Je serais bien en peine de dire exactement ce qui m\u2019a permis d\u2019assumer mon r\u00f4le de peintre, tant les facteurs de convergence sont multiples. C\u2019est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au d\u00e9but je me cogne \u00e0 chaque impasse, puis, peu \u00e0 peu, je comprends qu\u2019une seule m\u00e8ne \u00e0 l\u2019assiette. J\u2019ai explor\u00e9 quantit\u00e9 de sentiers : la philosophie, le mysticisme, la magie blanche et noire, les jeux vid\u00e9o, les amours. Je suis curieux de tout. Aucune de ces voies ne m\u00e8ne directement \u00e0 soi, mais l\u2019ensemble de ces exp\u00e9riences m\u2019a aid\u00e9 \u00e0 d\u00e9couvrir qui je suis. J\u2019ai pourtant r\u00e9sist\u00e9 \u00e0 cette id\u00e9e. Pour qui me prenais-je ? Quelle pr\u00e9tention ! Quand je pensais \u00e0 ces parcours, une petite voix murmurait : \u00ab Ne te berne pas toi-m\u00eame. \u00bb En chemin, j\u2019ai fini par sympathiser avec elle. Je l\u2019ai appel\u00e9e \u00ab l\u2019impeccabilit\u00e9 \u00bb, en souvenir de mes lectures de Carlos Castaneda et de Luis Ansa. Qu\u2019est-ce que j\u2019entends par impeccabilit\u00e9 ? J\u2019essaie de le clarifier. Peut-\u00eatre que chacun peut reconna\u00eetre en lui cette m\u00eame petite voix et se dire : \u00ab Oui, c\u2019est exactement cela. \u00bb Ne nous pressons pas : lisons attentivement. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas la perfection. Elle est trop insaisissable pour se confondre avec la solidit\u00e9 rigide de la perfection. L\u2019impeccabilit\u00e9 n\u2019est pas quelque chose qu\u2019on atteint : on ne peut que vouloir \u00eatre impeccable. La nuance est subtile, mais essentielle. Pour cela, je crois que nous disposons de deux outils : devenir excellents et ma\u00eetriser notre art. Je parle de peinture, mais je pourrais tout aussi bien parler d\u2019un tout autre domaine : dans la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9, l\u2019objet compte moins que la rigueur. Une fois ces comp\u00e9tences acquises, on devient apte \u00e0 suivre les recommandations de la petite voix et \u00e0 d\u00e9laisser celles dict\u00e9es par nos peurs. Il me para\u00eet crucial de cesser d\u2019\u00eatre comp\u00e9tent seulement pour r\u00e9pondre aux injonctions de la peur, aux attentes de la soci\u00e9t\u00e9 ou de la famille. Il faut aussi cesser d\u2019ob\u00e9ir \u00e0 la fid\u00e9lit\u00e9 aveugle que l\u2019on porte \u00e0 ses propres convictions : elles finissent souvent par nous emprisonner. Plus je me d\u00e9leste de tout cela, plus j\u2019entends clairement la petite voix, et plus j\u2019avance sur mon chemin \u2014 le seul qui soit fait pour moi. Chacun peut l\u2019appeler comme il veut, mais l\u2019emphase brouille la vue et l\u2019ou\u00efe. Mieux vaut rester simple : \u00ab la petite voix \u00bb suffit amplement. \u00catre impeccable ne signifie ni vivre en ermite, ni se croire au-dessus du bien et du mal. Pas du tout. Il s\u2019agit d\u2019\u00eatre soi, pleinement engag\u00e9 dans la relation que l\u2019on entretient avec le monde. On peut vivre tout \u00e0 fait normalement dans la soci\u00e9t\u00e9 en conservant le son de cette petite voix. On peut percevoir la permanence de l\u2019\u00eatre tout en demeurant plong\u00e9 dans l\u2019impermanence du changement et du temps, et vivre ces deux r\u00e9alit\u00e9s comme une seule et m\u00eame chose : son chemin. J\u2019ajoute qu\u2019on peut chercher \u00e0 se faire initier par qui l\u2019on veut, et peut-\u00eatre trouver quelqu\u2019un de s\u00e9rieux, d\u2019intention juste. Le probl\u00e8me est de reconna\u00eetre ces qualit\u00e9s chez un ma\u00eetre\u2026 On peut aussi se tromper et tomber sur des charlatans. J\u2019en ris : cela fait aussi partie de la qu\u00eate d\u2019impeccabilit\u00e9. Les choses sont plus simples qu\u2019on ne l\u2019imagine. Si elles paraissent compliqu\u00e9es, c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment parce qu\u2019on pense trop. Une chose m\u2019est certaine : cette petite voix a un grand sens de l\u2019humour, comme la vie elle-m\u00eame. On l\u2019accepte mal au d\u00e9but, surtout quand on a \u00e9t\u00e9 aussi orgueilleux que je l\u2019ai \u00e9t\u00e9. L\u2019orgueil blesse facilement. Avec le temps, j\u2019ai appris \u00e0 savourer ces conjonctions spirituelles, ces moments dr\u00f4les o\u00f9 la petite voix et la vie frappent juste. Je suis persuad\u00e9 qu\u2019il y a un combat \u00e0 mener pour ne pas sombrer dans le n\u00e9ant moderne, d\u00e9pourvu de magie et de r\u00eave, ce \u00ab \u00e0 quoi bon \u00bb d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qui envahit notre \u00e9poque. Mais je crois qu\u2019il faut garder courage : traverser ce n\u00e9ant pour en ressortir plus fort. \u00ab Beaucoup d\u2019appel\u00e9s, peu d\u2019\u00e9lus \u00bb, dis-je. Cela fait partie du chemin. Je vois des gens bien plus forts que moi et, parfois, je me sens ridicule. Cette exp\u00e9rience m\u2019enseigne l\u2019humilit\u00e9, la vraie. Je conclus : il faut serrer les dents, avaler des couleuvres, des cafards, parfois. Que faire d\u2019autre ? Si je tente de m\u2019\u00e9loigner de ce que mon \u00eatre et la vie ont choisi pour moi, inutile de m\u2019inqui\u00e9ter : la vie me remettra toujours sur mon chemin, que cela me plaise ou non. Mais mieux vaut ne pas jouer les cancres trop longtemps : il y a un but \u00e0 tout cela. Une fois l\u2019impeccabilit\u00e9 approch\u00e9e, il ne reste qu\u2019\u00e0 s\u2019engager pour les autres, pour ceux qui ne la connaissent pas et qui, sans doute, ne la conna\u00eetront jamais, parce qu\u2019ils ignorent ce qu\u2019elle signifie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/plume-2.webp?1748065064", "tags": ["Autofiction et Introspection", "id\u00e9es"] } ] }