\n\t\t
<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>",
"content_text": " Tout pourrait venir, \u00e0 premi\u00e8re vue, d\u2019une sc\u00e8ne mythique, d\u2019une origine sanglante qui, malgr\u00e9 toute l\u2019\u00e9paisseur de peinture que l\u2019on pourrait poser pour \u00e0 la fois la retrouver et l\u2019oublier, ne pourra jamais \u00e9chapper \u2014 ni au peintre, ni au spectateur h\u00e9b\u00e9t\u00e9 contemplant l\u2019\u0153uvre de Cha\u00efm Soutine. Soutine \u00e9voque un souvenir d\u2019enfance dans une lettre : la lame d\u2019un couteau tranchant, avec pr\u00e9cision, avec nettet\u00e9, la gorge d\u2019une oie. Il voit encore le sang jaillir en flots \u00e9pais, rouge rubis. Et l\u2019on pourrait s\u2019arr\u00eater l\u00e0. Tout est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0. Mais non. Car, au beau milieu de cette boucherie, l\u2019\u0153il du peintre est attir\u00e9 par autre chose : la joie qu\u2019il lit sur le visage du boucher, en pleine action. La joie, l\u2019horreur, la violence, la stupeur. Voil\u00e0 ce que contient chaque tableau de Soutine. Il y a ce petit livre d\u2019\u00c9lie Faure sur Soutine que je devrais relire, ou piller sans vergogne, tant je ne me souviens de rien d\u2019aussi juste \u00e9crit sur cet immigr\u00e9 juif-lituanien venu \u00e0 Paris, qui fut un temps prot\u00e9g\u00e9 par ce grand homme, ce m\u00e9decin humaniste. Un temps seulement. L\u2019affection du peintre pour la fille de Faure mit fin, brusquement, \u00e0 leur relation. J\u2019aurais pu commencer par le d\u00e9but, par la naissance de Soutine \u00e0 Vilna. Une approche calme, chronologique. Mais il me fallait un d\u00e9clencheur. Une raison d\u2019\u00e9crire maintenant. Cette raison, c\u2019est un souvenir vif de 2013, une visite au Mus\u00e9e de l\u2019Orangerie, \u00e0 Paris. L\u2019exposition s\u2019intitulait : Soutine, l\u2019Ordre du chaos. C\u2019\u00e9tait la premi\u00e8re fois que je voyais ses tableaux en vrai. Avant cela, seulement des reproductions p\u00e2les et glac\u00e9es. J\u2019ai d\u00e9couvert un fr\u00e8re. Pas un combat, mais une harmonie n\u00e9e du chaos. Une magnifique harmonie disloqu\u00e9e. La peinture \u00e9tait liqu\u00e9fi\u00e9e, coagul\u00e9e. Dure et molle \u00e0 la fois. Les rouges et les turquoises entraient en collision. Les blancs craquel\u00e9s comme du pl\u00e2tre sec. Comment expliquer une \u00e9motion sans la trahir ? J\u2019essaie. J\u2019essaie toujours. Je cherche par les mots \u00e0 atteindre ce qui ne se touche qu\u2019en silence. Mais puisque j\u2019ai commenc\u00e9, continuons. Alors que l\u2019avant-garde parisienne s\u2019\u00e9parpillait dans toutes les directions \u2014 comme toujours \u2014, Soutine s\u2019enfermait. Il peignait. Il ne voulait pas \u00eatre d\u00e9rang\u00e9. Marc Chagall, peut-\u00eatre, \u00e9tait pareil. Peut-\u00eatre Soutine esp\u00e9rait-il h\u00e9riter de l\u2019atelier de Chagall. Absorber la solitude, l\u2019obstination que Chagall avait laiss\u00e9es derri\u00e8re lui. Il ne l\u2019a pas fait. Il a rat\u00e9 le moment. Alors, il s\u2019est tourn\u00e9 vers Rembrandt. Il a peint de la viande. De la chair. Mais plus que de la chair. Il faut traverser le d\u00e9go\u00fbt pour atteindre la gr\u00e2ce. Les quartiers de b\u0153uf de Soutine l\u2019exigent. J\u2019imagine que, si j\u2019avais eu la chance de le rencontrer, l\u2019odeur m\u2019aurait d\u2019abord repouss\u00e9. Et pourtant, \u00e0 travers cette odeur, peut-\u00eatre aurais-je atteint le parfum du miracle. La peinture de Soutine me rappelle quelqu\u2019un d\u2019autre. Quelqu\u2019un dont j\u2019ai d\u00e9j\u00e0 parl\u00e9. Chomo. Un autre reclus. Plus r\u00e9cent. Tout aussi mort. Ils ne n\u00e9gocient pas. Ils sont repli\u00e9s. Affam\u00e9s. Indiff\u00e9rents. En contact direct avec le feu, la gr\u00e2ce, la vie, la terreur, le sublime. Leur seul axe est celui qui les relie \u00e0 ces forces. Ils ont abandonn\u00e9 l\u2019illusion des liens sociaux. Oui, quelque chose en eux me parle. Je t\u2019\u00e9cris cela rapidement ce matin. Parce qu\u2019au fond, comme je l\u2019ai dit, penser et \u00e9crire ne servent peut-\u00eatre pas \u00e0 grand-chose. Mieux vaut peindre. --- Everything could stem, at first glance, from a mythical scene, a bloody origin that, no matter how much paint one might apply to try to both recover it and forget it, will never escape either the painter or the stunned viewer contemplating the work of Cha\u00efm Soutine. Soutine recalls a childhood memory in a letter: the knife's blade slicing expertly, cleanly, across the throat of a goose. He still sees the blood spurting out in thick, ruby-red jets. And it could stop there. Already, everything is there. But no. Because in the middle of the carnage, the painter's eye is caught by something else: the joy he sees on the butcher's face. In the act. Joy, horror, violence, and awe. That\u2019s what you get in every Soutine painting. There\u2019s that little book by Elie Faure about Soutine, which I should reread, or shamelessly pillage, because I remember nothing comparable being written about this Jewish-Lithuanian immigrant who came to Paris and who, for a while, found himself under the wing of that great man, the humanist doctor. Only for a while. The painter's affection for Faure\u2019s daughter put an end to their relationship. Suddenly. I could have started at the beginning, with Soutine\u2019s birth in Vilna. A calm, chronological approach. But I needed a trigger. A reason to write now. That reason is a vivid memory from 2013, a visit to the Mus\u00e9e de l\u2019Orangerie in Paris. The exhibition was titled \"Soutine, the Order of Chaos.\" It was the first time I saw his paintings in person. Before that, only pale, glossy reproductions. I discovered a brother. Not a battle, but a harmony made from chaos. A magnificent, disjointed harmony. The paint was liquefied, coagulated. Hard and soft at once. Reds and turquoises colliding. Whites cracked like dried plaster. How do you explain an emotion without betraying it? I try. I do this all the time. I use words to reach what can only be touched in silence. But since I\u2019ve begun, let\u2019s keep going. When the Parisian avant-garde was tearing off in every direction, as it always does, Soutine locked himself away. He painted. He didn\u2019t want to be disturbed. Marc Chagall might have been the same. Maybe Soutine hoped to inherit Chagall\u2019s studio. To absorb the solitude and stubbornness Chagall had left behind. He didn\u2019t. He missed the moment. So he turned to Rembrandt. He painted meat. Flesh. But more than flesh. You have to pass through disgust to reach grace. Soutine\u2019s slabs of beef demand it. I imagine if I\u2019d had the chance to meet him, the smell alone would have repelled me. And yet, through that smell, maybe I would have reached the miracle\u2019s scent. Soutine\u2019s painting reminds me of someone else. Someone I\u2019ve written about before. Chomo. Another recluse. More recent. Just as dead. They don\u2019t negotiate. They are curled inward. Starving. Unconcerned. In direct contact with fire, grace, life, terror, the sublime. Their only axis is the one that connects them to these forces. They have discarded illusions of social ties. Yes, something in them speaks to me. I write it to you quickly this morning. Because, in the end, as I said, thinking and writing may not be very useful. Better to paint. ",
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"title": "Chomo",
"date_published": "2019-12-27T09:29:18Z",
"date_modified": "2025-07-16T07:00:39Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": "\u00c0 l\u2019origine, il s\u2019appelle Roger Chomeaux. N\u00e9 le 28 janvier 1907 quelque part dans le Nord de la France, il meurt en 1999 \u00e0 Ach\u00e8res-la-For\u00eat, en r\u00e9gion parisienne. On d\u00e9cidera finalement de le qualifier de « sculpteur », puisqu\u2019il faut bien ranger les choses quelque part.<\/p>\n
Je suis n\u00e9 un jour apr\u00e8s lui — mais en 1960. Cette ann\u00e9e-l\u00e0, il expose pour la premi\u00e8re fois \u00e0 la galerie Jean Camion, rue des Beaux-Arts \u00e0 Paris.<\/p>\n
C\u2019est \u00e0 la suite de cette exposition qu\u2019il d\u00e9cide de quitter d\u00e9finitivement Paris pour la for\u00eat de Fontainebleau. Son \u00e9pouse a achet\u00e9 l\u00e0 quelques hectares. Ils s\u2019y installent. Chomo s\u2019y retirera pour vivre, et peu \u00e0 peu abandonner tout ce qui faisait, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, un « artiste reconnu ». \u00c9cologiste avant la mode, il r\u00e9colte le miel de ses abeilles — jusqu\u2019\u00e0 vingt ruches \u00e0 cette \u00e9poque.<\/p>\n
Il commence par d\u00e9truire la forme conventionnelle du langage pour inventer une langue nouvelle, presque enfantine, fond\u00e9e sur la phon\u00e9tique. Une langue qui \u00e9voque, si l\u2019on veut, la fameuse langue des oiseaux ch\u00e8re aux alchimistes.<\/p>\n
Quant aux mat\u00e9riaux, il d\u00e9laisse le bronze, trop co\u00fbteux, ainsi que la terre cuite et le marbre qu\u2019il pratiquait auparavant. Il s\u2019oriente vers la r\u00e9cup\u00e9ration, cherchant ce qu\u2019il appelle des « mat\u00e9riaux qui respirent ».<\/p>\n
Il travaille alors le bois (ses fameux bois br\u00fbl\u00e9s), les mati\u00e8res plastiques, la t\u00f4le, le b\u00e9ton cellulaire. Il dit sculpter ce dernier « comme on \u00e9crit un po\u00e8me ». Dans ce qu\u2019il nomme son « village d\u2019art pr\u00e9ludien », il installe partout des pancartes, un peu \u00e0 la mani\u00e8re de Cheval sur les murs de son Palais id\u00e9al.<\/p>\n
« Q\u00e8l anprint ora tu l\u00e9s\u00e9 sur la t\u00e8r pour qe ton Die soi qontan ? »<\/p>\n
Cette question de l\u2019empreinte, du devenir de l\u2019homme, le hante. Elle se r\u00e9p\u00e8te, d\u2019\u00e9criteau en \u00e9criteau, dans tous les recoins de son domaine.<\/p>\n
De bric et de broc aussi, les trois hangars qu\u2019il construit pour abriter ses \u0153uvres :<\/p>\n
le Sanctuaire des bois br\u00fbl\u00e9s,<\/p>\n
l\u2019\u00c9glise des Pauvres, avec sa rosace spectaculaire faite de bouteilles de couleur,<\/p>\n
et le Refuge, recouvert de capots de voitures.<\/p>\n
C\u2019est Clara Malraux qui attire l\u2019attention du minist\u00e8re des Affaires culturelles sur lui. Apr\u00e8s une incursion dans la musique concr\u00e8te, entre synth\u00e9tiseur et po\u00e9sie, Chomo devient cin\u00e9aste exp\u00e9rimental avec Le D\u00e9barquement spirituel, film r\u00e9alis\u00e9 avec Clovis Pr\u00e9vost et Jean-Pierre Nadau, dans lequel il se met en sc\u00e8ne au milieu de ses \u0153uvres.<\/p>\n
Il meurt en 1999, entour\u00e9 de ses cr\u00e9ations, veill\u00e9 par sa seconde \u00e9pouse. Dix ans plus tard, la Halle Saint-Pierre organise sa premi\u00e8re grande r\u00e9trospective.<\/p>\n
Aujourd\u2019hui, seuls les b\u00e2timents subsistent dans la for\u00eat. Ses \u0153uvres transportables, elles, ont \u00e9t\u00e9 d\u00e9plac\u00e9es — conserv\u00e9es ailleurs ou vendues. (Un Christ en croix, image tortur\u00e9e, est visible dans l\u2019\u00e9glise de Milly-la-For\u00eat.)<\/p>\n
En revoyant les vid\u00e9os de Chomo sur YouTube, j\u2019ai de nouveau \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 par cette obsession que je retrouve chez les artistes que j\u2019admire, et qui, de leur vivant, les fait souvent passer pour des fous.<\/p>\n
Amaigri, \u00e9maci\u00e9, aff\u00fbt\u00e9 comme une lame, son regard me traverse encore l\u2019\u00e9cran. Et chaque fois, je l\u2019entends me r\u00e9p\u00e9ter :<\/p>\n
« Arete de panser povre kon taka seulmant bausser »<\/p>\n
En 2013, une vente aux ench\u00e8res sera organis\u00e9e autour de son \u0153uvre.<\/p>",
"content_text": " \u00c0 l\u2019origine, il s\u2019appelle Roger Chomeaux. N\u00e9 le 28 janvier 1907 quelque part dans le Nord de la France, il meurt en 1999 \u00e0 Ach\u00e8res-la-For\u00eat, en r\u00e9gion parisienne. On d\u00e9cidera finalement de le qualifier de \"sculpteur\", puisqu\u2019il faut bien ranger les choses quelque part. Je suis n\u00e9 un jour apr\u00e8s lui \u2014 mais en 1960. Cette ann\u00e9e-l\u00e0, il expose pour la premi\u00e8re fois \u00e0 la galerie Jean Camion, rue des Beaux-Arts \u00e0 Paris. C\u2019est \u00e0 la suite de cette exposition qu\u2019il d\u00e9cide de quitter d\u00e9finitivement Paris pour la for\u00eat de Fontainebleau. Son \u00e9pouse a achet\u00e9 l\u00e0 quelques hectares. Ils s\u2019y installent. Chomo s\u2019y retirera pour vivre, et peu \u00e0 peu abandonner tout ce qui faisait, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, un \"artiste reconnu\". \u00c9cologiste avant la mode, il r\u00e9colte le miel de ses abeilles \u2014 jusqu\u2019\u00e0 vingt ruches \u00e0 cette \u00e9poque. Il commence par d\u00e9truire la forme conventionnelle du langage pour inventer une langue nouvelle, presque enfantine, fond\u00e9e sur la phon\u00e9tique. Une langue qui \u00e9voque, si l\u2019on veut, la fameuse langue des oiseaux ch\u00e8re aux alchimistes. Quant aux mat\u00e9riaux, il d\u00e9laisse le bronze, trop co\u00fbteux, ainsi que la terre cuite et le marbre qu\u2019il pratiquait auparavant. Il s\u2019oriente vers la r\u00e9cup\u00e9ration, cherchant ce qu\u2019il appelle des \"mat\u00e9riaux qui respirent\". Il travaille alors le bois (ses fameux bois br\u00fbl\u00e9s), les mati\u00e8res plastiques, la t\u00f4le, le b\u00e9ton cellulaire. Il dit sculpter ce dernier \"comme on \u00e9crit un po\u00e8me\". Dans ce qu\u2019il nomme son \"village d\u2019art pr\u00e9ludien\", il installe partout des pancartes, un peu \u00e0 la mani\u00e8re de Cheval sur les murs de son Palais id\u00e9al. \u00ab Q\u00e8l anprint ora tu l\u00e9s\u00e9 sur la t\u00e8r pour qe ton Die soi qontan ? \u00bb Cette question de l\u2019empreinte, du devenir de l\u2019homme, le hante. Elle se r\u00e9p\u00e8te, d\u2019\u00e9criteau en \u00e9criteau, dans tous les recoins de son domaine. De bric et de broc aussi, les trois hangars qu\u2019il construit pour abriter ses \u0153uvres : le Sanctuaire des bois br\u00fbl\u00e9s, l\u2019\u00c9glise des Pauvres, avec sa rosace spectaculaire faite de bouteilles de couleur, et le Refuge, recouvert de capots de voitures. C\u2019est Clara Malraux qui attire l\u2019attention du minist\u00e8re des Affaires culturelles sur lui. Apr\u00e8s une incursion dans la musique concr\u00e8te, entre synth\u00e9tiseur et po\u00e9sie, Chomo devient cin\u00e9aste exp\u00e9rimental avec Le D\u00e9barquement spirituel, film r\u00e9alis\u00e9 avec Clovis Pr\u00e9vost et Jean-Pierre Nadau, dans lequel il se met en sc\u00e8ne au milieu de ses \u0153uvres. Il meurt en 1999, entour\u00e9 de ses cr\u00e9ations, veill\u00e9 par sa seconde \u00e9pouse. Dix ans plus tard, la Halle Saint-Pierre organise sa premi\u00e8re grande r\u00e9trospective. Aujourd\u2019hui, seuls les b\u00e2timents subsistent dans la for\u00eat. Ses \u0153uvres transportables, elles, ont \u00e9t\u00e9 d\u00e9plac\u00e9es \u2014 conserv\u00e9es ailleurs ou vendues. (Un Christ en croix, image tortur\u00e9e, est visible dans l\u2019\u00e9glise de Milly-la-For\u00eat.) En revoyant les vid\u00e9os de Chomo sur YouTube, j\u2019ai de nouveau \u00e9t\u00e9 frapp\u00e9 par cette obsession que je retrouve chez les artistes que j\u2019admire, et qui, de leur vivant, les fait souvent passer pour des fous. Amaigri, \u00e9maci\u00e9, aff\u00fbt\u00e9 comme une lame, son regard me traverse encore l\u2019\u00e9cran. Et chaque fois, je l\u2019entends me r\u00e9p\u00e9ter : \"Arete de panser povre kon taka seulmant bausser\" En 2013, une vente aux ench\u00e8res sera organis\u00e9e autour de son \u0153uvre. ",
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"title": "Le net et le flou",
"date_published": "2019-12-23T08:22:36Z",
"date_modified": "2025-07-16T07:02:38Z",
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Il se peut que des relations intimes s’\u00e9tablissent, pouss\u00e9es inconsciemment ou pas au travers d’un contexte plus g\u00e9n\u00e9ral que cette petite bulle dans laquelle je r\u00e9side. Des relations intimes se tissent entre les notions de net et de flou dans la peinture et dans le dessin.<\/p>\n
Une fatigue de la suggestion sera apparue progressivement cette ann\u00e9e dans ma peinture et peu \u00e0 peu cette fatigue se sera \u00e9tendue \u00e0 cette notion d’abstraction qui aura pendant longtemps mon « cheval de bataille ».<\/p>\n
Cette fatigue est d\u00fbe probablement \u00e0 un tiraillement tr\u00e8s ancien log\u00e9 au plus profond de ma personnalit\u00e9 et qui rejoint cette h\u00e9sitation continue, ce manque de confiance maladif entre le net et le flou que j’aurais aim\u00e9 parvenir \u00e0 r\u00e9unir ensemble, sans doute en vain.<\/p>\n
La difficult\u00e9 que j’entrevois aussit\u00f4t c’est d’avoir \u00e0 choisir un camp. Et c’est exactement la m\u00eame difficult\u00e9 que j’\u00e9prouvais jadis lorsque je me posais la question de la mort de mes parents.<\/p>\n
Lorsque je marchais le long de la voie ferr\u00e9e qui me conduisait \u00e0 la gare de Valmondois pour prendre mon train qui me m\u00e8nerait \u00e0 la pension o\u00f9 je resterai enferm\u00e9 durant toute une semaine, je m\u2019interrogeais d\u00e9j\u00e0 sur la notion d’amour, de pr\u00e9f\u00e9rence.<\/p>\n
Est ce que, me demandais je, si j’avais a \u00e9tablir un choix, pr\u00e9f\u00e9rerais je voir dispara\u00eetre ma m\u00e8re ou mon p\u00e8re ? Dans le fond les deux sont toujours associ\u00e9s dans mon esprit \u00e0 ces deux notions de net et de flou. Mon p\u00e8re dans toute sa sauvagerie, sa f\u00e9rocit\u00e9, son enti\u00e8ret\u00e9 \u00e9tait bien net tandis que ma m\u00e8re louvoyante et prise dans la longue cohorte de ses \u00e9tats d’\u00e2me m’apparaissait comme un \u00eatre flou, sur lequel j’avais bien des difficult\u00e9s \u00e0 pouvoir « compter ».<\/p>\n
Je ne parvenais jamais \u00e0 r\u00e9soudre cette \u00e9nigme bien sur. Et plus tard \u00e0 la fin de mon adolescence quand une ultime dispute nous s\u00e9para, je quittais la maison familiale emportant avec moi le m\u00eame questionnement entre le net et le flou, toujours incapable de choisir entre les deux.<\/p>\n
L’obligation de survie dans laquelle je me suis retrouv\u00e9 aussit\u00f4t m’a pourtant rapidement fait comprendre la n\u00e9cessit\u00e9 du choix entre ces deux concepts. Suite aux innombrables jobs alimentaires que j’ai du exercer l’aridit\u00e9, la nettet\u00e9 tranchante de la r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 ce moment l\u00e0 devait poursuivre dans une certaine mesure mon attachement pour les coups que mon p\u00e8re me donnait et au del\u00e0 de ces trempes, de ces humiliations, de ces insultes, je ne cessais d’entrevoir le confort rassurant d’une position claire, jamais ambigu\u00eb.J’avais besoin de la rudesse de l’existence elle-m\u00eame tandis que sit\u00f4t la porte des logis de fortune referm\u00e9e le soir, je m’attablais pour \u00e9crire, ou pour peindre et l\u00e0 je me livrais tout entier au flou artistique comme pour compenser un manque \u00e9galement.<\/p>\n
Au del\u00e0 de la cellule familiale, il y a aussi l’\u00e9poque et l’air du temps.<\/p>\n
L’alternance politique gauche droite et d\u00e9sormais l\u2019\u00e9mergence de plus en plus forte des extr\u00eames me permet \u00e9galement d’entrevoir comme une redite magistrale de ces notions de net et de flou, et la fatigue g\u00e9n\u00e9rale est sans doute aussi d\u00fbe en grande partie \u00e0 l\u2019\u00e9nergie qu’il faut d\u00e9ployer pour ne pas sombrer ni dans le « je m’en foutisme », l\u2019abstentionnisme, ou l’engagement, le militantisme effr\u00e9n\u00e9.<\/p>\n
Peu \u00e0 peu le flou semble envahir de plus en plus de domaines, sans que l’on ne s’en aper\u00e7oive. La d\u00e9finition des mots eux m\u00eames utilis\u00e9s par les m\u00e9dia comme des slogans perdent aussi souvent leur sens premier pour n’\u00eatre plus que des outils au service du flou g\u00e9n\u00e9ral, de la suggestion, du conditionnement \u00e0 telle ou telle opinion.<\/p>\n
Alors dans ce cas il se pourrait bien qu’un trait net d\u00e9pourvu d’h\u00e9sitation en dise long sur celui qui choisit de dessiner ainsi. Dessiner de fa\u00e7on nette les choses est une forme d’engagement, une r\u00e9sistance face au flou qui peu \u00e0 peu envahit le monde entier.<\/p>\n
En photographie la mode est de plus en plus au flou, au boug\u00e9, pour sugg\u00e9rer l’id\u00e9e de mouvement. La photographie de cette fa\u00e7on rejoint la peinture abstraite. Il y a quelques ann\u00e9es j’aurais pu adh\u00e9rer \u00e0 cette mouvance mais j’\u00e9prouve d\u00e9sormais dans certains domaines un trop grand besoin de nettet\u00e9.<\/p>\n
L’illustration que je te propose pour ce texte est une image de Sylvain Rolhion , un ami Facebook dont j’ai pu voir les travaux de pr\u00e8s dans une exposition. Sylvain photographie beaucoup de primates, d’animaux, avec une nettet\u00e9 extraordinaire et cette nettet\u00e9 me va bien, je la trouve fabuleuse. Il photographie aussi des b\u00e2timents \u00e0 Saint-Etienne, cette ville qui pour moi a des couleurs sombres, au bord du noir parfois. Mais la nettet\u00e9 de ses cliches redonnent aux ombres, aux noirs une noblesse, une \u00e9l\u00e9gance proche de la lumi\u00e8re. De la m\u00eame fa\u00e7on qu’un Soulage fait surgir le jour de la nuit la plus noire.<\/p>",
"content_text": "Il se peut que des relations intimes s'\u00e9tablissent, pouss\u00e9es inconsciemment ou pas au travers d'un contexte plus g\u00e9n\u00e9ral que cette petite bulle dans laquelle je r\u00e9side. Des relations intimes se tissent entre les notions de net et de flou dans la peinture et dans le dessin.\n\nUne fatigue de la suggestion sera apparue progressivement cette ann\u00e9e dans ma peinture et peu \u00e0 peu cette fatigue se sera \u00e9tendue \u00e0 cette notion d'abstraction qui aura pendant longtemps mon \"cheval de bataille\".\n\nCette fatigue est d\u00fbe probablement \u00e0 un tiraillement tr\u00e8s ancien log\u00e9 au plus profond de ma personnalit\u00e9 et qui rejoint cette h\u00e9sitation continue, ce manque de confiance maladif entre le net et le flou que j'aurais aim\u00e9 parvenir \u00e0 r\u00e9unir ensemble, sans doute en vain.\n\nLa difficult\u00e9 que j'entrevois aussit\u00f4t c'est d'avoir \u00e0 choisir un camp. Et c'est exactement la m\u00eame difficult\u00e9 que j'\u00e9prouvais jadis lorsque je me posais la question de la mort de mes parents.\n\nLorsque je marchais le long de la voie ferr\u00e9e qui me conduisait \u00e0 la gare de Valmondois pour prendre mon train qui me m\u00e8nerait \u00e0 la pension o\u00f9 je resterai enferm\u00e9 durant toute une semaine, je m\u2019interrogeais d\u00e9j\u00e0 sur la notion d'amour, de pr\u00e9f\u00e9rence. \n\nEst ce que, me demandais je, si j'avais a \u00e9tablir un choix, pr\u00e9f\u00e9rerais je voir dispara\u00eetre ma m\u00e8re ou mon p\u00e8re? Dans le fond les deux sont toujours associ\u00e9s dans mon esprit \u00e0 ces deux notions de net et de flou. Mon p\u00e8re dans toute sa sauvagerie, sa f\u00e9rocit\u00e9, son enti\u00e8ret\u00e9 \u00e9tait bien net tandis que ma m\u00e8re louvoyante et prise dans la longue cohorte de ses \u00e9tats d'\u00e2me m'apparaissait comme un \u00eatre flou, sur lequel j'avais bien des difficult\u00e9s \u00e0 pouvoir \"compter\".\n\nJe ne parvenais jamais \u00e0 r\u00e9soudre cette \u00e9nigme bien sur. Et plus tard \u00e0 la fin de mon adolescence quand une ultime dispute nous s\u00e9para, je quittais la maison familiale emportant avec moi le m\u00eame questionnement entre le net et le flou, toujours incapable de choisir entre les deux.\n\nL'obligation de survie dans laquelle je me suis retrouv\u00e9 aussit\u00f4t m'a pourtant rapidement fait comprendre la n\u00e9cessit\u00e9 du choix entre ces deux concepts. Suite aux innombrables jobs alimentaires que j'ai du exercer l'aridit\u00e9, la nettet\u00e9 tranchante de la r\u00e9alit\u00e9 \u00e0 ce moment l\u00e0 devait poursuivre dans une certaine mesure mon attachement pour les coups que mon p\u00e8re me donnait et au del\u00e0 de ces trempes, de ces humiliations, de ces insultes, je ne cessais d'entrevoir le confort rassurant d'une position claire, jamais ambigu\u00eb.J'avais besoin de la rudesse de l'existence elle-m\u00eame tandis que sit\u00f4t la porte des logis de fortune referm\u00e9e le soir, je m'attablais pour \u00e9crire, ou pour peindre et l\u00e0 je me livrais tout entier au flou artistique comme pour compenser un manque \u00e9galement.\n\nAu del\u00e0 de la cellule familiale, il y a aussi l'\u00e9poque et l'air du temps.\n\nL'alternance politique gauche droite et d\u00e9sormais l\u2019\u00e9mergence de plus en plus forte des extr\u00eames me permet \u00e9galement d'entrevoir comme une redite magistrale de ces notions de net et de flou, et la fatigue g\u00e9n\u00e9rale est sans doute aussi d\u00fbe en grande partie \u00e0 l\u2019\u00e9nergie qu'il faut d\u00e9ployer pour ne pas sombrer ni dans le \"je m'en foutisme\", l\u2019abstentionnisme, ou l'engagement, le militantisme effr\u00e9n\u00e9. \n\nPeu \u00e0 peu le flou semble envahir de plus en plus de domaines, sans que l'on ne s'en aper\u00e7oive. La d\u00e9finition des mots eux m\u00eames utilis\u00e9s par les m\u00e9dia comme des slogans perdent aussi souvent leur sens premier pour n'\u00eatre plus que des outils au service du flou g\u00e9n\u00e9ral, de la suggestion, du conditionnement \u00e0 telle ou telle opinion.\n\nAlors dans ce cas il se pourrait bien qu'un trait net d\u00e9pourvu d'h\u00e9sitation en dise long sur celui qui choisit de dessiner ainsi. Dessiner de fa\u00e7on nette les choses est une forme d'engagement, une r\u00e9sistance face au flou qui peu \u00e0 peu envahit le monde entier.\n\nEn photographie la mode est de plus en plus au flou, au boug\u00e9, pour sugg\u00e9rer l'id\u00e9e de mouvement. La photographie de cette fa\u00e7on rejoint la peinture abstraite. Il y a quelques ann\u00e9es j'aurais pu adh\u00e9rer \u00e0 cette mouvance mais j'\u00e9prouve d\u00e9sormais dans certains domaines un trop grand besoin de nettet\u00e9.\n\nL'illustration que je te propose pour ce texte est une image de Sylvain Rolhion , un ami Facebook dont j'ai pu voir les travaux de pr\u00e8s dans une exposition. Sylvain photographie beaucoup de primates, d'animaux, avec une nettet\u00e9 extraordinaire et cette nettet\u00e9 me va bien, je la trouve fabuleuse. Il photographie aussi des b\u00e2timents \u00e0 Saint-Etienne, cette ville qui pour moi a des couleurs sombres, au bord du noir parfois. Mais la nettet\u00e9 de ses cliches redonnent aux ombres, aux noirs une noblesse, une \u00e9l\u00e9gance proche de la lumi\u00e8re. De la m\u00eame fa\u00e7on qu'un Soulage fait surgir le jour de la nuit la plus noire.",
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"title": "La bonne fr\u00e9quence",
"date_published": "2019-12-22T04:47:58Z",
"date_modified": "2025-07-16T07:04:31Z",
"author": {"name": "Auteur"},
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Peindre est toujours un voyage dans l’inconnu. Sur la feuille de papier de format modeste, j’\u00e9tale des lavis de brou de noix en \u00e9coutant de la musique tandis qu’au dehors la pluie tambourine sur la verri\u00e8re de l’atelier.<\/p>\n
Je n’ai pas d’id\u00e9e pr\u00e9alable, juste cette envie de peindre et de commencer avec presque rien juste pour voir o\u00f9 les \u00e9v\u00e9nements, les accidents, me m\u00e8neront.<\/p>\n
J’ai bien sur encore \u00e0 l’esprit cette volont\u00e9 d’\u00e9garement qui ne me l\u00e2che pas, elle se sera encore renforc\u00e9e ces derniers mois apr\u00e8s toutes ces tentatives avort\u00e9es de chercher un sens en amont \u00e0 ma peinture.<\/p>\n
Cette entrave j’ai fini par la consid\u00e9rer utile et j’ai aussi renonc\u00e9 \u00e0 m’en culpabiliser. J’en suis presque parvenu \u00e0 me dire qu’il fallait que je passe par l\u00e0, par cette obsession du sens pour parvenir \u00e0 la limite de l’\u00e9puisement.<\/p>\n
Curieusement cette limite correspond \u00e0 la limite de l’ann\u00e9e, bient\u00f4t nous passerons la fronti\u00e8re de 2020, un nouveau monde s’ouvre comme \u00e0 chaque fois.<\/p>\n
Dans cet interstice qui permet \u00e0 la fois de regarder des deux cot\u00e9s la figure de Janus prend tout son sens.<\/p>\n
Je mesure tous les efforts de 2019 et j’entrevois l’abandon probable comme seule piste valable de 2020.<\/p>\n
Abandonner comme jeter du lest et se d\u00e9sentraver sans remord ni regret.<\/p>\n
Mais je ne tomberai pas dans le pi\u00e8ge des fameuses « bonnes r\u00e9solutions ».<\/p>\n
Non je pr\u00e9f\u00e8re plut\u00f4t me dire apr\u00e8s tant de temp\u00eates, de naufrages, d’errances vaines, que je suis aguerri au mauvais temps, que j’ai appris \u00e0 faire avec et qu’il ne peut me d\u00e9ranger plus d\u00e9sormais qu’il ne l’a d\u00e9j\u00e0 fait.<\/p>\n
Ce que j’abandonne ce sont mes derni\u00e8res r\u00e9sistances, celles qui m\u2019emp\u00eachaient encore hier \u00e0 obtenir une pleine confiance dans le peintre que je suis.<\/p>\n
J’abandonne sans doute aussi les fronti\u00e8res du mental tout en les remerciant de m’avoir tant aid\u00e9 par la fatigue, l’\u00e9reintement dans lequel je me suis enferm\u00e9 par peur d’accepter cette \u00e9vidence d’\u00eatre peintre.<\/p>\n
Le rouge s’est tout de suite impos\u00e9 apr\u00e8s le brou de noix. Une envie de saturation proche de l’id\u00e9e de surdit\u00e9. J’ai pos\u00e9 couches sur couches dans l’attente de la fr\u00e9quence exacte qui d\u00e9clencherait l’\u00e9motion. Pour la sublimer, lui servir d’\u00e9crin la compl\u00e9mentaire verte la borde presque noire par endroit.<\/p>\n
Une fois le tableau sec je l’ai regard\u00e9 dans tous les sens pour voir dans quelle orientation un sens pourrait \u00e9ventuellement faire \u00e9cho \u00e0 la fr\u00e9quence et \u00e0 l’\u00e9motion.<\/p>\n
C’est \u00e0 la verticale qu’il me parle le plus. Etrangement j’y vois une fa\u00e7ade rouge dans la nuit presque noire avec une petite porte noire tout en bas.<\/p>\n
C’est par cette petite porte noire dans mon enfance que je fuyais le monde en me r\u00e9fugiant tout au fond des combles de la maison pr\u00e8s d’un trou qui communiquait avec la cave.<\/p>\n
J’\u00e9tais capable de rester l\u00e0 durant des heures, \u00e0 ne penser \u00e0 rien, recroquevill\u00e9 sur moi-m\u00eame \u00e0 \u00e9couter battre simplement le c\u0153ur du monde \u00e0 la fois effray\u00e9 et paisible, tiraill\u00e9 gentiment entre ces deux mani\u00e8res d’interpr\u00e9ter les choses.<\/p>",
"content_text": "Peindre est toujours un voyage dans l'inconnu. Sur la feuille de papier de format modeste, j'\u00e9tale des lavis de brou de noix en \u00e9coutant de la musique tandis qu'au dehors la pluie tambourine sur la verri\u00e8re de l'atelier. \n\nJe n'ai pas d'id\u00e9e pr\u00e9alable, juste cette envie de peindre et de commencer avec presque rien juste pour voir o\u00f9 les \u00e9v\u00e9nements, les accidents, me m\u00e8neront.\n\nJ'ai bien sur encore \u00e0 l'esprit cette volont\u00e9 d'\u00e9garement qui ne me l\u00e2che pas, elle se sera encore renforc\u00e9e ces derniers mois apr\u00e8s toutes ces tentatives avort\u00e9es de chercher un sens en amont \u00e0 ma peinture.\n\nCette entrave j'ai fini par la consid\u00e9rer utile et j'ai aussi renonc\u00e9 \u00e0 m'en culpabiliser. J'en suis presque parvenu \u00e0 me dire qu'il fallait que je passe par l\u00e0, par cette obsession du sens pour parvenir \u00e0 la limite de l'\u00e9puisement.\n\nCurieusement cette limite correspond \u00e0 la limite de l'ann\u00e9e, bient\u00f4t nous passerons la fronti\u00e8re de 2020, un nouveau monde s'ouvre comme \u00e0 chaque fois.\n\nDans cet interstice qui permet \u00e0 la fois de regarder des deux cot\u00e9s la figure de Janus prend tout son sens.\n\nJe mesure tous les efforts de 2019 et j'entrevois l'abandon probable comme seule piste valable de 2020.\n\nAbandonner comme jeter du lest et se d\u00e9sentraver sans remord ni regret.\n\nMais je ne tomberai pas dans le pi\u00e8ge des fameuses \"bonnes r\u00e9solutions\".\n\nNon je pr\u00e9f\u00e8re plut\u00f4t me dire apr\u00e8s tant de temp\u00eates, de naufrages, d'errances vaines, que je suis aguerri au mauvais temps, que j'ai appris \u00e0 faire avec et qu'il ne peut me d\u00e9ranger plus d\u00e9sormais qu'il ne l'a d\u00e9j\u00e0 fait.\n\nCe que j'abandonne ce sont mes derni\u00e8res r\u00e9sistances, celles qui m\u2019emp\u00eachaient encore hier \u00e0 obtenir une pleine confiance dans le peintre que je suis.\n\nJ'abandonne sans doute aussi les fronti\u00e8res du mental tout en les remerciant de m'avoir tant aid\u00e9 par la fatigue, l'\u00e9reintement dans lequel je me suis enferm\u00e9 par peur d'accepter cette \u00e9vidence d'\u00eatre peintre.\n\nLe rouge s'est tout de suite impos\u00e9 apr\u00e8s le brou de noix. Une envie de saturation proche de l'id\u00e9e de surdit\u00e9. J'ai pos\u00e9 couches sur couches dans l'attente de la fr\u00e9quence exacte qui d\u00e9clencherait l'\u00e9motion. Pour la sublimer, lui servir d'\u00e9crin la compl\u00e9mentaire verte la borde presque noire par endroit.\n\nUne fois le tableau sec je l'ai regard\u00e9 dans tous les sens pour voir dans quelle orientation un sens pourrait \u00e9ventuellement faire \u00e9cho \u00e0 la fr\u00e9quence et \u00e0 l'\u00e9motion.\n\nC'est \u00e0 la verticale qu'il me parle le plus. Etrangement j'y vois une fa\u00e7ade rouge dans la nuit presque noire avec une petite porte noire tout en bas.\n\nC'est par cette petite porte noire dans mon enfance que je fuyais le monde en me r\u00e9fugiant tout au fond des combles de la maison pr\u00e8s d'un trou qui communiquait avec la cave.\n\nJ'\u00e9tais capable de rester l\u00e0 durant des heures, \u00e0 ne penser \u00e0 rien, recroquevill\u00e9 sur moi-m\u00eame \u00e0 \u00e9couter battre simplement le c\u0153ur du monde \u00e0 la fois effray\u00e9 et paisible, tiraill\u00e9 gentiment entre ces deux mani\u00e8res d'interpr\u00e9ter les choses.",
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