{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-juin-2024.html", "title": "30 juin 2024", "date_published": "2024-07-26T00:04:13Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je l\u00e8ve les yeux au ciel et cette luminosit\u00e9 dans le nuage. Est-ce que je vois vraiment cette luminosit\u00e9 particuli\u00e8re aujourd\u2019hui ou est-elle le souvenir de plusieurs fois o\u00f9 elle surgit ainsi au d\u00e9tour d\u2019un regard ? Sacr\u00e9e question pour d\u00e9marrer la journ\u00e9e. C\u2019est dimanche. Je tra\u00eene. Il faut que je finisse de passer le karcher dans la cour. J\u2019ai d\u00fb m\u2019interrompre hier \u00e0 cause de la pluie. Il faut au moins que j\u2019attende 10 h. J\u2019ai encore un peu de temps.<\/p>\n

J\u2019ai cr\u00e9\u00e9 plusieurs sites en local, deux avec SPIP et un avec Indexhibit. Un site est d\u00e9di\u00e9 au classement de tous les papiers de la maison ; il contient aussi les listes de livres par pi\u00e8ce dans la maison, des tutoriels informatiques, des listes de tout un tas de choses encore. Celui-l\u00e0 est accessible en local pour que S. puisse aller le consulter.<\/p>\n

Le second site SPIP est destin\u00e9 \u00e0 regrouper mes textes. Mais je bute encore sur l\u2019arborescence, la notion de rubrique racine, et de sous-rubrique. J\u2019ai aussi cr\u00e9\u00e9 une partie notes de lecture. Ce site est accessible sur ma machine uniquement.<\/p>\n

Le troisi\u00e8me site Indexhibit \u00e9tait normalement destin\u00e9 \u00e0 la photographie. Mais pour tester des mises en page perso, j\u2019ai voulu entrer du texte aussi. Je me disperse encore.<\/p>\n

Vendredi prochain, mais je parle d\u2019un temps parall\u00e8le \u00e0 celui de la publication, ce sera la f\u00eate des \u00e9l\u00e8ves. J\u2019ai encore l\u2019atelier \u00e0 ranger, les toiles \u00e0 accrocher. S. me dit qu\u2019on sera moins nombreux que pr\u00e9vu. Tant mieux car risque de pluie pr\u00e9vu. On pourra se r\u00e9fugier dans l\u2019atelier.<\/p>\n

Le lundi qui suit, il faudra d\u00e9crocher l\u2019exposition de S. Ensuite, la grande inconnue de juillet-ao\u00fbt, plus que les stages pour faire entrer un peu d\u2019argent. Les pr\u00e9l\u00e8vements ne prennent aucun cong\u00e9.<\/p>\n

J\u2019ai moins lu cette semaine. Je me suis perdu dans les m\u00e9andres du code HTML et CSS. J\u2019aurais du mal \u00e0 revenir n\u00e9anmoins sur Windows \u00e0 pr\u00e9sent. Linux m\u2019oblige \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans les arcanes de la ligne de commande, d\u2019aller plus en profondeur, de ne pas \u00eatre juste un utilisateur, un consommateur.<\/p>\n

J\u2019ai aussi laiss\u00e9 de c\u00f4t\u00e9 la lecture de blogs. De temps en temps, je vois passer les messages mais je ne clique pas. Pas le temps ou bien je suis trop occup\u00e9, pas assez disponible. C\u2019est un choix.<\/p>\n

D\u00e9couverte du site Meyerweb.com en effectuant des recherches sur les th\u00e8mes Indexhibit. Le dernier article publi\u00e9 date de deux semaines, sur la perte d\u2019une enfant, dix ans apr\u00e8s. Et cette phrase \u00e0 la fin :<\/p>\n

« Vous ne l\u2019avez pas d\u00e9\u00e7ue.<\/p>\n

— Je le sais, mais je ne le sens pas. »<\/p>\n

En feuilletant les pages du site, je tombe sur des articles datant de 2003 et qui semblent traiter de l\u2019utilisation du CSS \u00e0 ses d\u00e9buts. La mise en page est minimaliste, pas de fioritures, juste une colonne \u00e0 gauche de l\u2019\u00e9cran. Titres en gras, texte et code. En relevant l\u2019impression d\u2019aridit\u00e9 de cette rencontre, la difficult\u00e9 d\u2019entr\u00e9e dans ces articles, je me demande si la pr\u00e9sentation joue autant un r\u00f4le que l\u2019aspect inconfortable qu\u2019ils pr\u00e9sentent. De l\u00e0, je tire une sorte de le\u00e7on concernant la s\u00e9duction des mises en page. C\u2019est dr\u00f4le car c\u2019est exactement ce que je cherche au bout du compte sur les sites locaux que je construis. Pas de fioritures, du contenu pr\u00e9sent\u00e9 de mani\u00e8re claire et pratique.<\/p>\n

Ce qui me fait penser aussi \u00e0 T.C et au fait qu\u2019il ait pass\u00e9 son blog entier pour qu\u2019il tienne sur un repository GitHub.<\/p>\n

Il y a certainement une connexion \u00e0 effectuer entre l\u2019usage minimaliste du code et les pr\u00e9occupations \u00e9cologistes au regard de l\u2019abondance qui se manifestent principalement par des signes d\u2019appartenance \u00e0 la mode du moment.<\/p>\n

Depuis que je connais Internet, j\u2019ai vu tellement de changements. Revenir \u00e0 ces souvenirs des pr\u00e9misses, quel navigateur ? Netscape Navigator peut-\u00eatre. Le fait d\u2019utiliser un code simple est avant tout pouss\u00e9 par le souci que tous les navigateurs puissent le lire. Ensuite, on arrive \u00e0 des navigateurs plus \u00e9volu\u00e9s, plus exigeants. Le barrage s\u2019effectue par la qualit\u00e9 des machines, par leur puissance. Si tu as une vieille machine, un navigateur peu adapt\u00e9 au changement, tu restes sur la touche, du moins c\u2019est ce que l\u2019on veut te faire croire.<\/p>\n

De l\u00e0, l\u2019utilisation des logiciels open source. Avec une machine qui n\u2019a pas de grandes capacit\u00e9s, on peut installer une distribution Linux, et disposer n\u00e9anmoins d\u2019un acc\u00e8s au web dans sa totalit\u00e9.<\/p>\n

Concernant les sites web d\u00e9sormais, on voit aussi certaines h\u00e9g\u00e9monies s\u2019installer. Pas pour rien que je reviens \u00e0 SPIP, \u00e0 Indexhibit. Apr\u00e8s, il faut relever les manches, \u00e7a ne tombe pas tout cuit. Et dire qu\u2019aujourd\u2019hui les h\u00e9bergeurs te proposent d\u2019installer un WordPress en moins de cinq minutes, cl\u00e9 en main.<\/p>\n

Cette apparente simplicit\u00e9 qui te laisse comme une andouille sur le carreau d\u00e8s qu\u2019un grain de sable enraye toute cette belle m\u00e9canique.<\/p>\n

Cette semaine, j\u2019allais presque oublier que je me suis rendu \u00e0 R. au-dessus d\u2019A. Un trou paum\u00e9 vraiment. Mon GPS \u00e9tait dingue. J\u2019ai d\u00fb faire au moins trois fois le tour du village avant de trouver enfin la rue. Impression bizarre d\u2019arriver dans un club du troisi\u00e8me \u00e2ge. Des personnes \u00e9taient assises et jouaient au tarot. On m\u2019a demand\u00e9 de patienter. La dame va venir. Au bout du compte, je me suis retrouv\u00e9 \u00e0 devoir me vendre \u00e0 un groupe de dix personnes. « Et ce n\u2019est pas fini, et en plus, etc. »<\/p>\n

\u00c0 la fin de l\u2019entretien, celle qui prenait des notes me dit qu\u2019on me rappellera, qu\u2019ils ont encore une autre personne \u00e0 rencontrer avant de prendre leur d\u00e9cision. J\u2019en \u00e9tais quasi vex\u00e9 d\u2019avoir d\u00e9ploy\u00e9 autant d\u2019\u00e9nergie. Me suis \u00e0 nouveau perdu pour rentrer. Il fallait se d\u00e9p\u00eacher car la route serait barr\u00e9e \u00e0 partir de 20h. Je serais condamn\u00e9 \u00e0 errer jusqu\u2019au lendemain 5h dans cet endroit du monde si \u00e9trange.<\/p>\n

Hier, samedi, je t\u00e9l\u00e9phone \u00e0 Free avec le t\u00e9l\u00e9phone de S. Le mien semble hors service. Le type au bout du fil effectue les v\u00e9rifications d\u2019usage \u00e0 distance et voit que rien ne para\u00eet bloqu\u00e9. Sauf l\u2019\u00e2ge de ma carte SIM, qui date de 2014. Ils m\u2019en renvoient une que je devrais recevoir cette prochaine semaine.<\/p>", "content_text": "Je l\u00e8ve les yeux au ciel et cette luminosit\u00e9 dans le nuage. Est-ce que je vois vraiment cette luminosit\u00e9 particuli\u00e8re aujourd\u2019hui ou est-elle le souvenir de plusieurs fois o\u00f9 elle surgit ainsi au d\u00e9tour d\u2019un regard ? Sacr\u00e9e question pour d\u00e9marrer la journ\u00e9e. C\u2019est dimanche. Je tra\u00eene. Il faut que je finisse de passer le karcher dans la cour. J\u2019ai d\u00fb m\u2019interrompre hier \u00e0 cause de la pluie. Il faut au moins que j\u2019attende 10 h. J\u2019ai encore un peu de temps. J\u2019ai cr\u00e9\u00e9 plusieurs sites en local, deux avec SPIP et un avec Indexhibit. Un site est d\u00e9di\u00e9 au classement de tous les papiers de la maison ; il contient aussi les listes de livres par pi\u00e8ce dans la maison, des tutoriels informatiques, des listes de tout un tas de choses encore. Celui-l\u00e0 est accessible en local pour que S. puisse aller le consulter. Le second site SPIP est destin\u00e9 \u00e0 regrouper mes textes. Mais je bute encore sur l\u2019arborescence, la notion de rubrique racine, et de sous-rubrique. J\u2019ai aussi cr\u00e9\u00e9 une partie notes de lecture. Ce site est accessible sur ma machine uniquement. Le troisi\u00e8me site Indexhibit \u00e9tait normalement destin\u00e9 \u00e0 la photographie. Mais pour tester des mises en page perso, j\u2019ai voulu entrer du texte aussi. Je me disperse encore. Vendredi prochain, mais je parle d\u2019un temps parall\u00e8le \u00e0 celui de la publication, ce sera la f\u00eate des \u00e9l\u00e8ves. J\u2019ai encore l\u2019atelier \u00e0 ranger, les toiles \u00e0 accrocher. S. me dit qu\u2019on sera moins nombreux que pr\u00e9vu. Tant mieux car risque de pluie pr\u00e9vu. On pourra se r\u00e9fugier dans l\u2019atelier. Le lundi qui suit, il faudra d\u00e9crocher l\u2019exposition de S. Ensuite, la grande inconnue de juillet-ao\u00fbt, plus que les stages pour faire entrer un peu d\u2019argent. Les pr\u00e9l\u00e8vements ne prennent aucun cong\u00e9. J\u2019ai moins lu cette semaine. Je me suis perdu dans les m\u00e9andres du code HTML et CSS. J\u2019aurais du mal \u00e0 revenir n\u00e9anmoins sur Windows \u00e0 pr\u00e9sent. Linux m\u2019oblige \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans les arcanes de la ligne de commande, d\u2019aller plus en profondeur, de ne pas \u00eatre juste un utilisateur, un consommateur. J\u2019ai aussi laiss\u00e9 de c\u00f4t\u00e9 la lecture de blogs. De temps en temps, je vois passer les messages mais je ne clique pas. Pas le temps ou bien je suis trop occup\u00e9, pas assez disponible. C\u2019est un choix. D\u00e9couverte du site Meyerweb.com en effectuant des recherches sur les th\u00e8mes Indexhibit. Le dernier article publi\u00e9 date de deux semaines, sur la perte d\u2019une enfant, dix ans apr\u00e8s. Et cette phrase \u00e0 la fin : \u00ab Vous ne l\u2019avez pas d\u00e9\u00e7ue. \u2014 Je le sais, mais je ne le sens pas. \u00bb En feuilletant les pages du site, je tombe sur des articles datant de 2003 et qui semblent traiter de l\u2019utilisation du CSS \u00e0 ses d\u00e9buts. La mise en page est minimaliste, pas de fioritures, juste une colonne \u00e0 gauche de l\u2019\u00e9cran. Titres en gras, texte et code. En relevant l\u2019impression d\u2019aridit\u00e9 de cette rencontre, la difficult\u00e9 d\u2019entr\u00e9e dans ces articles, je me demande si la pr\u00e9sentation joue autant un r\u00f4le que l\u2019aspect inconfortable qu\u2019ils pr\u00e9sentent. De l\u00e0, je tire une sorte de le\u00e7on concernant la s\u00e9duction des mises en page. C\u2019est dr\u00f4le car c\u2019est exactement ce que je cherche au bout du compte sur les sites locaux que je construis. Pas de fioritures, du contenu pr\u00e9sent\u00e9 de mani\u00e8re claire et pratique. Ce qui me fait penser aussi \u00e0 T.C et au fait qu\u2019il ait pass\u00e9 son blog entier pour qu\u2019il tienne sur un repository GitHub. Il y a certainement une connexion \u00e0 effectuer entre l\u2019usage minimaliste du code et les pr\u00e9occupations \u00e9cologistes au regard de l\u2019abondance qui se manifestent principalement par des signes d\u2019appartenance \u00e0 la mode du moment. Depuis que je connais Internet, j\u2019ai vu tellement de changements. Revenir \u00e0 ces souvenirs des pr\u00e9misses, quel navigateur ? Netscape Navigator peut-\u00eatre. Le fait d\u2019utiliser un code simple est avant tout pouss\u00e9 par le souci que tous les navigateurs puissent le lire. Ensuite, on arrive \u00e0 des navigateurs plus \u00e9volu\u00e9s, plus exigeants. Le barrage s\u2019effectue par la qualit\u00e9 des machines, par leur puissance. Si tu as une vieille machine, un navigateur peu adapt\u00e9 au changement, tu restes sur la touche, du moins c\u2019est ce que l\u2019on veut te faire croire. De l\u00e0, l\u2019utilisation des logiciels open source. Avec une machine qui n\u2019a pas de grandes capacit\u00e9s, on peut installer une distribution Linux, et disposer n\u00e9anmoins d\u2019un acc\u00e8s au web dans sa totalit\u00e9. Concernant les sites web d\u00e9sormais, on voit aussi certaines h\u00e9g\u00e9monies s\u2019installer. Pas pour rien que je reviens \u00e0 SPIP, \u00e0 Indexhibit. Apr\u00e8s, il faut relever les manches, \u00e7a ne tombe pas tout cuit. Et dire qu\u2019aujourd\u2019hui les h\u00e9bergeurs te proposent d\u2019installer un WordPress en moins de cinq minutes, cl\u00e9 en main. Cette apparente simplicit\u00e9 qui te laisse comme une andouille sur le carreau d\u00e8s qu\u2019un grain de sable enraye toute cette belle m\u00e9canique. Cette semaine, j\u2019allais presque oublier que je me suis rendu \u00e0 R. au-dessus d\u2019A. Un trou paum\u00e9 vraiment. Mon GPS \u00e9tait dingue. J\u2019ai d\u00fb faire au moins trois fois le tour du village avant de trouver enfin la rue. Impression bizarre d\u2019arriver dans un club du troisi\u00e8me \u00e2ge. Des personnes \u00e9taient assises et jouaient au tarot. On m\u2019a demand\u00e9 de patienter. La dame va venir. Au bout du compte, je me suis retrouv\u00e9 \u00e0 devoir me vendre \u00e0 un groupe de dix personnes. \u00ab Et ce n\u2019est pas fini, et en plus, etc. \u00bb \u00c0 la fin de l\u2019entretien, celle qui prenait des notes me dit qu\u2019on me rappellera, qu\u2019ils ont encore une autre personne \u00e0 rencontrer avant de prendre leur d\u00e9cision. J\u2019en \u00e9tais quasi vex\u00e9 d\u2019avoir d\u00e9ploy\u00e9 autant d\u2019\u00e9nergie. Me suis \u00e0 nouveau perdu pour rentrer. Il fallait se d\u00e9p\u00eacher car la route serait barr\u00e9e \u00e0 partir de 20h. Je serais condamn\u00e9 \u00e0 errer jusqu\u2019au lendemain 5h dans cet endroit du monde si \u00e9trange. Hier, samedi, je t\u00e9l\u00e9phone \u00e0 Free avec le t\u00e9l\u00e9phone de S. Le mien semble hors service. Le type au bout du fil effectue les v\u00e9rifications d\u2019usage \u00e0 distance et voit que rien ne para\u00eet bloqu\u00e9. Sauf l\u2019\u00e2ge de ma carte SIM, qui date de 2014. Ils m\u2019en renvoient une que je devrais recevoir cette prochaine semaine. 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Habiter La Grave, pas bien loin du Cher, dans l\u2019Allier. Les mots paraissent familiers. Ensuite, ils sont bizarres.<\/p>\n

On a pos\u00e9 les valises \u00e0 l\u2019\u00e9tage. Nous habitons un entre-deux. En dessous, un vieil homme ; au-dessus, les fant\u00f4mes et les rats.<\/p>\n

D. habite la petite maison juste apr\u00e8s le pont qui enjambe le Cher. Les gendarmes se sont point\u00e9s vers 20h. C\u2019\u00e9tait la premi\u00e8re fois chez lui, en plusieurs ann\u00e9es d\u2019amiti\u00e9. M\u2019y suis trouv\u00e9 si bien que j\u2019y serais rest\u00e9. La trempe que j\u2019ai prise.<\/p>\n

M. habite la maison d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9. Dacot\u00e9, je crus longtemps que c\u2019\u00e9tait un nom. Comme d\u2019autres parlent de « Sam suffit », les villas, vous savez.<\/p>\n

La difficult\u00e9 d\u2019habiter un autre endroit. En quittant cette maison, j\u2019\u00e9tais \u00e0 l\u2019envers.<\/p>\n

La maison en Calabre. Deux \u00e9v\u00e9nements simultan\u00e9s \u00e0 ce propos : le livre de Georges H. et la r\u00e9alit\u00e9 que nous vivons. On dirait une mise au point t\u00e9l\u00e9m\u00e9trique. Sauf que lorsque les deux images co\u00efncident, on ne peut rien en faire, rien en dire ; on reste bouche b\u00e9e.<\/p>\n

On dit de lui ou d\u2019elle et encore de cet autre : ils sont habit\u00e9s. Ce n\u2019est pas quelque chose de po\u00e9tique, ils ont des poux les pauvres.<\/p>\n

Tu habites l\u00e0, donc tu suis les r\u00e8gles.<\/p>\n

La cohabitation, proche de la coagulation, \u00e0 la fin on pense \u00e0 de la sauce fig\u00e9e. Et l\u2019autre qui dit « le gras, c\u2019est la vie ».<\/p>\n

Vous habitez chez vos parents. H\u00e9las, oui.<\/p>\n

Vous n\u2019\u00eates pas habit\u00e9, rien de tout \u00e7a ne t\u2019habite, tu finiras certainement romanichel.<\/p>\n

Dans « Le Baron perch\u00e9 » de Calvino, je retrouve l\u2019id\u00e9e de ne plus vouloir descendre de mon cerisier.<\/p>\n

Le mot cabane et le sentier des nids d\u2019araign\u00e9es, bifurcations de pens\u00e9es ou de souvenirs, la sensation de d\u00e9j\u00e0-vu. Toujours cette effrayante propension \u00e0 vouloir fuir l\u2019ennui. Habiter l\u2019ailleurs. D\u2019ailleurs, dit-on l\u2019ailleurs ou ailleurs dans ces cas-l\u00e0 ?<\/p>\n

J\u2019habite seul. J\u2019habite avec sept chats. J\u2019habite \u00e0 l\u2019\u00e9tage. J\u2019habite au septi\u00e8me \u00e9tage. J\u2019habite apr\u00e8s le coin de la rue. Au septi\u00e8me sans ascenseur. Plusieurs fois, d\u2019ailleurs. J\u2019habite tous les arrondissements de cette ville. En quelques mois.<\/p>\n

On dit que je vis mal ceci ou cela. Je n\u2019habite qu\u2019avec difficult\u00e9 ce genre de situation. Je ne cherche pas \u00e0 m\u2019investir. Une maison \u00e0 moi, vous n\u2019y pensez pas.<\/p>\n

L\u2019id\u00e9e m\u2019habite un moment, un atelier de sculptures en papier m\u00e2ch\u00e9 pour les enfants. Il a plus de 30 ans. Elle a fait le tour du cosmos pour revenir m\u2019habiter il y a juste deux ou trois ans. Faut \u00eatre patient, impatient. \u00c0 fond dans l\u2019un ou l\u2019autre ?<\/p>\n

Il y a beaucoup \u00e0 dire \u00e0 partir de l\u00e0. \u00c7a se bouscule : sur le verbe habiter, sur le mot maison, sur les cabanes, les ch\u00e2teaux en Espagne.<\/p>\n

\u00c0 Lisbonne, j\u2019habite quel quartier d\u00e9j\u00e0, celui dont parle Cendrars. Je l\u2019ai au bout de la langue. Et d\u00e9j\u00e0 je pense \u00e0 autre chose, au fait que je croyais voir Pessoa \u00e0 chaque coin de rue. Je vois le cul du tramway \u00e0 ce moment-l\u00e0 qui gravit la colline. Rien ne m\u2019habite, tout me traverse.<\/p>\n

Je repense \u00e0 cette histoire. Les trois petits cochons. Parce que je me suis demand\u00e9 ce que je pensais des maisons de paille \u00e0 cette \u00e9poque, si elles m\u2019\u00e9voquaient quelque chose. L\u2019Afrique telle qu\u2019on nous la peint dans les livres d\u2019histoire. La case de l\u2019oncle Tom.<\/p>\n

Que chaque voix soit un instrument. Que l\u2019ensemble s\u2019appelle « Pierre et le Loup », cette pens\u00e9e me traverse au moment o\u00f9 je vois les musiciens de Br\u00eame passer sous mes fen\u00eatres.<\/p>\n

La folle habite de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la rue. Au m\u00eame \u00e9tage. La nuit, elle se met au balcon et hurle.<\/p>\n

Derri\u00e8re la cloison fine de la chambre d\u2019h\u00f4tel, je l\u2019entends rire toute seule. C\u2019est effrayant. Parfois elle dit des choses \u00e9normes. C\u2019est une vieille dame encore coquette. Elle a les ongles peints, m\u00eame ceux des pieds. Et ce rouge \u00e0 l\u00e8vres — du gloss — nom de Dieu. On dirait parfois qu\u2019on habite ensemble. Une promiscuit\u00e9 dans l\u2019ailleurs.<\/p>\n

J\u2019ai entendu \u00e7a. Il s\u2019est redress\u00e9 de toute sa hauteur ce petit bonhomme. Il m\u2019a dit : « Il serait temps que vous fabriquiez votre propre nid. » Non mais je r\u00eave, ce type me prend pour un coucou. Pauvre vieux. C\u2019\u00e9tait un Anglais. Il est mort maintenant.<\/p>\n

Habiter un texte, difficile aussi. Habiter un livre, c\u2019est trop d\u2019un coup. Habiter un chapitre, une page, un paragraphe. Commence d\u00e9j\u00e0 par une phrase, apr\u00e8s on verra.<\/p>\n

L\u2019errance est une question permanente sur le fait d\u2019habiter quoique ce soit. Les gens enracin\u00e9s ne savent pas de quoi je parle, ce n\u2019est pas grave.<\/p>\n

Le mot habiter en anglais peut-\u00eatre « to live », je pense Hamlet, « to live or not ».<\/p>", "content_text": "Habiter La Grave, pas bien loin du Cher, dans l\u2019Allier. Les mots paraissent familiers. Ensuite, ils sont bizarres. On a pos\u00e9 les valises \u00e0 l\u2019\u00e9tage. Nous habitons un entre-deux. En dessous, un vieil homme ; au-dessus, les fant\u00f4mes et les rats. D. habite la petite maison juste apr\u00e8s le pont qui enjambe le Cher. Les gendarmes se sont point\u00e9s vers 20h. C\u2019\u00e9tait la premi\u00e8re fois chez lui, en plusieurs ann\u00e9es d\u2019amiti\u00e9. M\u2019y suis trouv\u00e9 si bien que j\u2019y serais rest\u00e9. La trempe que j\u2019ai prise. M. habite la maison d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9. Dacot\u00e9, je crus longtemps que c\u2019\u00e9tait un nom. Comme d\u2019autres parlent de \u00ab Sam suffit \u00bb, les villas, vous savez. La difficult\u00e9 d\u2019habiter un autre endroit. En quittant cette maison, j\u2019\u00e9tais \u00e0 l\u2019envers. La maison en Calabre. Deux \u00e9v\u00e9nements simultan\u00e9s \u00e0 ce propos : le livre de Georges H. et la r\u00e9alit\u00e9 que nous vivons. On dirait une mise au point t\u00e9l\u00e9m\u00e9trique. Sauf que lorsque les deux images co\u00efncident, on ne peut rien en faire, rien en dire ; on reste bouche b\u00e9e. On dit de lui ou d\u2019elle et encore de cet autre : ils sont habit\u00e9s. Ce n\u2019est pas quelque chose de po\u00e9tique, ils ont des poux les pauvres. Tu habites l\u00e0, donc tu suis les r\u00e8gles. La cohabitation, proche de la coagulation, \u00e0 la fin on pense \u00e0 de la sauce fig\u00e9e. Et l\u2019autre qui dit \u00ab le gras, c\u2019est la vie \u00bb. Vous habitez chez vos parents. H\u00e9las, oui. Vous n\u2019\u00eates pas habit\u00e9, rien de tout \u00e7a ne t\u2019habite, tu finiras certainement romanichel. Dans \u00ab Le Baron perch\u00e9 \u00bb de Calvino, je retrouve l\u2019id\u00e9e de ne plus vouloir descendre de mon cerisier. Le mot cabane et le sentier des nids d\u2019araign\u00e9es, bifurcations de pens\u00e9es ou de souvenirs, la sensation de d\u00e9j\u00e0-vu. Toujours cette effrayante propension \u00e0 vouloir fuir l\u2019ennui. Habiter l\u2019ailleurs. D\u2019ailleurs, dit-on l\u2019ailleurs ou ailleurs dans ces cas-l\u00e0 ? J\u2019habite seul. J\u2019habite avec sept chats. J\u2019habite \u00e0 l\u2019\u00e9tage. J\u2019habite au septi\u00e8me \u00e9tage. J\u2019habite apr\u00e8s le coin de la rue. Au septi\u00e8me sans ascenseur. Plusieurs fois, d\u2019ailleurs. J\u2019habite tous les arrondissements de cette ville. En quelques mois. On dit que je vis mal ceci ou cela. Je n\u2019habite qu\u2019avec difficult\u00e9 ce genre de situation. Je ne cherche pas \u00e0 m\u2019investir. Une maison \u00e0 moi, vous n\u2019y pensez pas. L\u2019id\u00e9e m\u2019habite un moment, un atelier de sculptures en papier m\u00e2ch\u00e9 pour les enfants. Il a plus de 30 ans. Elle a fait le tour du cosmos pour revenir m\u2019habiter il y a juste deux ou trois ans. Faut \u00eatre patient, impatient. \u00c0 fond dans l\u2019un ou l\u2019autre ? Il y a beaucoup \u00e0 dire \u00e0 partir de l\u00e0. \u00c7a se bouscule : sur le verbe habiter, sur le mot maison, sur les cabanes, les ch\u00e2teaux en Espagne. \u00c0 Lisbonne, j\u2019habite quel quartier d\u00e9j\u00e0, celui dont parle Cendrars. Je l\u2019ai au bout de la langue. Et d\u00e9j\u00e0 je pense \u00e0 autre chose, au fait que je croyais voir Pessoa \u00e0 chaque coin de rue. Je vois le cul du tramway \u00e0 ce moment-l\u00e0 qui gravit la colline. Rien ne m\u2019habite, tout me traverse. Je repense \u00e0 cette histoire. Les trois petits cochons. Parce que je me suis demand\u00e9 ce que je pensais des maisons de paille \u00e0 cette \u00e9poque, si elles m\u2019\u00e9voquaient quelque chose. L\u2019Afrique telle qu\u2019on nous la peint dans les livres d\u2019histoire. La case de l\u2019oncle Tom. Que chaque voix soit un instrument. Que l\u2019ensemble s\u2019appelle \u00ab Pierre et le Loup \u00bb, cette pens\u00e9e me traverse au moment o\u00f9 je vois les musiciens de Br\u00eame passer sous mes fen\u00eatres. La folle habite de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la rue. Au m\u00eame \u00e9tage. La nuit, elle se met au balcon et hurle. Derri\u00e8re la cloison fine de la chambre d\u2019h\u00f4tel, je l\u2019entends rire toute seule. C\u2019est effrayant. Parfois elle dit des choses \u00e9normes. C\u2019est une vieille dame encore coquette. Elle a les ongles peints, m\u00eame ceux des pieds. Et ce rouge \u00e0 l\u00e8vres \u2014 du gloss \u2014 nom de Dieu. On dirait parfois qu\u2019on habite ensemble. Une promiscuit\u00e9 dans l\u2019ailleurs. J\u2019ai entendu \u00e7a. Il s\u2019est redress\u00e9 de toute sa hauteur ce petit bonhomme. Il m\u2019a dit : \u00ab Il serait temps que vous fabriquiez votre propre nid. \u00bb Non mais je r\u00eave, ce type me prend pour un coucou. Pauvre vieux. C\u2019\u00e9tait un Anglais. Il est mort maintenant. Habiter un texte, difficile aussi. Habiter un livre, c\u2019est trop d\u2019un coup. Habiter un chapitre, une page, un paragraphe. Commence d\u00e9j\u00e0 par une phrase, apr\u00e8s on verra. L\u2019errance est une question permanente sur le fait d\u2019habiter quoique ce soit. Les gens enracin\u00e9s ne savent pas de quoi je parle, ce n\u2019est pas grave. Le mot habiter en anglais peut-\u00eatre \u00ab to live \u00bb, je pense Hamlet, \u00ab to live or not \u00bb. 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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

\u00c0 partir d\u2019un objet sans le d\u00e9crire. Donc plut\u00f4t \u00e9crire \u00e0 partir d\u2019une relation avec un objet. Peu importe l\u2019objet. Il n\u2019a pas besoin d\u2019\u00eatre spectaculaire. Ce serait m\u00eame un handicap qu\u2019il le soit. Il serait la vedette. J\u2019y perdrais. J\u2019ai toujours la sale habitude de m\u2019aplatir face \u00e0 tout ce qui est spectaculaire. Je m\u2019aplatis, je me couche, je m\u2019effondre dans la contemplation du spectacle. Je mets toujours un certain temps \u00e0 m\u2019en relever. Je fais souvent semblant de ne pas \u00eatre \u00e9crabouill\u00e9 par le spectaculaire. J\u2019imite le flegme anglais \u00e0 ces moments-l\u00e0. Int\u00e9rieurement, je suis compl\u00e8tement explos\u00e9. Mais ext\u00e9rieurement, rien ne se voit. Je suis une fa\u00e7ade dans une avenue de Palerme. Devant, on imagine que \u00e7a en impose. Derri\u00e8re, les bidonvilles.<\/p>\n

Dans un premier temps, je cherche mon objet. Quel objet vais-je bien pouvoir PRENDRE \/ UTILISER \/ EXPLOITER \/ ME SERVIR.<\/p>\n

\u00c7a commence bien.<\/p>\n

Les premiers verbes associ\u00e9s \u00e0 une relation, \u00e7a commence bien.<\/p>\n

Recommence en te d\u00e9pla\u00e7ant d\u2019un pas de c\u00f4t\u00e9.<\/p>\n

Je ne cherche rien du tout. Je trouve. C\u2019est Picasso qui a dit \u00e7a.<\/p>\n

Disons une gomme. Pourquoi une gomme, pourquoi pas. Peu importe le pourquoi. Est-on oblig\u00e9 toujours d\u2019\u00eatre assailli de pourquoi ? Mettons les pourquoi de c\u00f4t\u00e9. Tendons la main vers la gomme. Quelle action ensuite ? Je vais beaucoup trop vite d\u00e9j\u00e0. Avant de commettre la moindre action, il y a l\u2019\u0153il. Voir cette gomme. Je vois une gomme pos\u00e9e sur une table. Voil\u00e0 comment les choses se passent. Je cherche souvent une gomme et ne la trouve pas. Quand je ne cherche plus, je trouve. C\u2019est souvent comme \u00e7a que les choses se passent. En tout cas, avec les gommes. La gomme surgit au moment o\u00f9 je m\u2019y attends le moins. Il m\u2019arrive de penser qu\u2019elle me nargue. Tu me cherchais hier et tu ne me trouvais pas, ben voil\u00e0, j\u2019apparais aujourd\u2019hui. L\u2019\u0153il tombe sur une gomme. J\u2019en ai plusieurs. Mais elles m\u2019\u00e9chappent toujours. Parfois, je les rassemble dans une bo\u00eete en plastique. Je leur dis : « Bougez pas, je vous rassemble, bougez pas. » Et puis, les choses sont ainsi, les gens traversent mon atelier, prennent une gomme, l\u2019utilisent, ne la remettent pas dans la bo\u00eete en plastique. Parfois, c\u2019est \u00e0 croire qu\u2019ils la fourrent dans leur poche. Qu\u2019ils repartent avec mes gommes. J\u2019y pense parfois. Puis j\u2019\u00e9lude. Je crois que c\u2019est surtout parce que je ne range pas les gommes apr\u00e8s la s\u00e9ance. Mon inattention dans ce domaine est assez ph\u00e9nom\u00e9nale. Elles en profitent, bien s\u00fbr. Elles se cachent sous des feuilles de papier. Elles tombent au sol, roulent sous la table, vont se loger dans les recoins les plus improbables. Et puis, soudain, au moment o\u00f9 je m\u2019y attends le moins, l\u2019\u0153il tombe sur une gomme. Voil\u00e0 ma vie.<\/p>\n

C\u2019est mieux ? Pourquoi cette question ? C\u2019est autrement. Je peux chercher encore un autre point de vue.<\/p>\n

Un point de vue \u00e0 l\u2019aveugle. Un angle mort. Je ferme les yeux, je r\u00e9cite un mantra, j\u2019avance le bras, mes doigts touchent quelque chose d\u2019un peu mou, c\u2019est comme de la p\u00e2te \u00e0 modeler, c\u2019est un peu froid, mais \u00e7a se r\u00e9chauffe rapidement quand je malaxe la mati\u00e8re, j\u2019en fais une boule. Je sais que c\u2019est une gomme mie de pain, on ne va pas se mentir. Je ne vais pas faire l\u2019ing\u00e9nu, ou le com\u00e9dien. Ce n\u2019est pas forc\u00e9ment \u00e0 cette gomme que j\u2019aurais voulu penser. Mais la voici. C\u2019est bien ce que je disais. Au moment o\u00f9 on s\u2019y attend le moins, on se retrouve avec une gomme mie de pain dans la main. M\u00eame en fermant les yeux.<\/p>\n

Je me demande. Tu ne mettrais pas certains mots en MAJUSCULES. Pour qu\u2019ils se d\u00e9tachent du texte, que tu les voies mieux. \u00c7a veut dire quoi mieux ? C\u2019est comme pour les gommes, je crois. Tu veux trouver une gomme pour mine de plomb, tu te retrouves avec une gomme mie de pain. C\u2019est comme \u00e7a, c\u2019est la vie.<\/p>\n

Faire de l\u2019humour ne te sauvera pas. \u00c7a peut soulager un moment, d\u00e9tendre, mais \u00e7a ne r\u00e9glera pas cette affaire de gomme. \u00c7a, c\u2019est s\u00fbr. Se lamenter non plus. Avec le temps, une certaine \u00e9quanimit\u00e9 d\u2019humeur se fabrique. Avec les gommes comme avec tout le reste. J\u2019ai commenc\u00e9 t\u00f4t. Avec un arc et des fl\u00e8ches. Trop facile de penser qu\u2019en visant on atteindra une cible. Trop facile, c\u2019est ce qui me vint imm\u00e9diatement \u00e0 l\u2019esprit. Bizarre. La plupart des personnes pensent que viser est difficile, qu\u2019il faut se donner de la peine, travailler son geste, s\u2019am\u00e9liorer sans cesse. Je dis non, ce n\u2019est pas comme \u00e7a que \u00e7a marche. Avec cette m\u00e9thode, l\u2019ennui nous guette. Entrez donc dans l\u2019atelier, vous allez bien voir. Cherchez donc une gomme, vous allez voir. C\u2019est pas comme \u00e7a que \u00e7a fonctionne, la vie ici. Asseyez-vous plut\u00f4t et fermez les yeux, prenez le temps de devenir aveugles, sourds et muets. Vous y \u00eates ? Tendez le bras, tapotez sur la table, avec vos cinq doigts, laissez vos doigts courir \u00e0 la surface de la table. Vous y \u00eates, vous sentez. Elle est froide, n\u2019est-ce pas ? Malaxez. Vous avez mis le doigt sur le probl\u00e8me et sur la solution en m\u00eame temps.<\/p>\n

\u00c0 partir de l\u00e0, chacun fait comme il peut. Certains font semblant de croire au hasard, d\u2019autres s\u2019inventent un ami imaginaire. Parfois, certains avalent la gomme pour pallier le probl\u00e8me. Ils pensent que \u00e7a va avoir un go\u00fbt de pain chaud. Pas du tout. Ils se trompent. Et souvent, c\u2019est une convenance, on pr\u00e9f\u00e8re s\u2019inventer un go\u00fbt de pain chaud sur la langue plut\u00f4t que le v\u00e9ritable go\u00fbt des choses.<\/p>", "content_text": "\u00c0 partir d\u2019un objet sans le d\u00e9crire. Donc plut\u00f4t \u00e9crire \u00e0 partir d\u2019une relation avec un objet. Peu importe l\u2019objet. Il n\u2019a pas besoin d\u2019\u00eatre spectaculaire. Ce serait m\u00eame un handicap qu\u2019il le soit. Il serait la vedette. J\u2019y perdrais. J\u2019ai toujours la sale habitude de m\u2019aplatir face \u00e0 tout ce qui est spectaculaire. Je m\u2019aplatis, je me couche, je m\u2019effondre dans la contemplation du spectacle. Je mets toujours un certain temps \u00e0 m\u2019en relever. Je fais souvent semblant de ne pas \u00eatre \u00e9crabouill\u00e9 par le spectaculaire. J\u2019imite le flegme anglais \u00e0 ces moments-l\u00e0. Int\u00e9rieurement, je suis compl\u00e8tement explos\u00e9. Mais ext\u00e9rieurement, rien ne se voit. Je suis une fa\u00e7ade dans une avenue de Palerme. Devant, on imagine que \u00e7a en impose. Derri\u00e8re, les bidonvilles. Dans un premier temps, je cherche mon objet. Quel objet vais-je bien pouvoir PRENDRE \/ UTILISER \/ EXPLOITER \/ ME SERVIR. \u00c7a commence bien. Les premiers verbes associ\u00e9s \u00e0 une relation, \u00e7a commence bien. Recommence en te d\u00e9pla\u00e7ant d\u2019un pas de c\u00f4t\u00e9. Je ne cherche rien du tout. Je trouve. C\u2019est Picasso qui a dit \u00e7a. Disons une gomme. Pourquoi une gomme, pourquoi pas. Peu importe le pourquoi. Est-on oblig\u00e9 toujours d\u2019\u00eatre assailli de pourquoi ? Mettons les pourquoi de c\u00f4t\u00e9. Tendons la main vers la gomme. Quelle action ensuite ? Je vais beaucoup trop vite d\u00e9j\u00e0. Avant de commettre la moindre action, il y a l\u2019\u0153il. Voir cette gomme. Je vois une gomme pos\u00e9e sur une table. Voil\u00e0 comment les choses se passent. Je cherche souvent une gomme et ne la trouve pas. Quand je ne cherche plus, je trouve. C\u2019est souvent comme \u00e7a que les choses se passent. En tout cas, avec les gommes. La gomme surgit au moment o\u00f9 je m\u2019y attends le moins. Il m\u2019arrive de penser qu\u2019elle me nargue. Tu me cherchais hier et tu ne me trouvais pas, ben voil\u00e0, j\u2019apparais aujourd\u2019hui. L\u2019\u0153il tombe sur une gomme. J\u2019en ai plusieurs. Mais elles m\u2019\u00e9chappent toujours. Parfois, je les rassemble dans une bo\u00eete en plastique. Je leur dis : \u00ab Bougez pas, je vous rassemble, bougez pas. \u00bb Et puis, les choses sont ainsi, les gens traversent mon atelier, prennent une gomme, l\u2019utilisent, ne la remettent pas dans la bo\u00eete en plastique. Parfois, c\u2019est \u00e0 croire qu\u2019ils la fourrent dans leur poche. Qu\u2019ils repartent avec mes gommes. J\u2019y pense parfois. Puis j\u2019\u00e9lude. Je crois que c\u2019est surtout parce que je ne range pas les gommes apr\u00e8s la s\u00e9ance. Mon inattention dans ce domaine est assez ph\u00e9nom\u00e9nale. Elles en profitent, bien s\u00fbr. Elles se cachent sous des feuilles de papier. Elles tombent au sol, roulent sous la table, vont se loger dans les recoins les plus improbables. Et puis, soudain, au moment o\u00f9 je m\u2019y attends le moins, l\u2019\u0153il tombe sur une gomme. Voil\u00e0 ma vie. C\u2019est mieux ? Pourquoi cette question ? C\u2019est autrement. Je peux chercher encore un autre point de vue. Un point de vue \u00e0 l\u2019aveugle. Un angle mort. Je ferme les yeux, je r\u00e9cite un mantra, j\u2019avance le bras, mes doigts touchent quelque chose d\u2019un peu mou, c\u2019est comme de la p\u00e2te \u00e0 modeler, c\u2019est un peu froid, mais \u00e7a se r\u00e9chauffe rapidement quand je malaxe la mati\u00e8re, j\u2019en fais une boule. Je sais que c\u2019est une gomme mie de pain, on ne va pas se mentir. Je ne vais pas faire l\u2019ing\u00e9nu, ou le com\u00e9dien. Ce n\u2019est pas forc\u00e9ment \u00e0 cette gomme que j\u2019aurais voulu penser. Mais la voici. C\u2019est bien ce que je disais. Au moment o\u00f9 on s\u2019y attend le moins, on se retrouve avec une gomme mie de pain dans la main. M\u00eame en fermant les yeux. Je me demande. Tu ne mettrais pas certains mots en MAJUSCULES. Pour qu\u2019ils se d\u00e9tachent du texte, que tu les voies mieux. \u00c7a veut dire quoi mieux ? C\u2019est comme pour les gommes, je crois. Tu veux trouver une gomme pour mine de plomb, tu te retrouves avec une gomme mie de pain. C\u2019est comme \u00e7a, c\u2019est la vie. Faire de l\u2019humour ne te sauvera pas. \u00c7a peut soulager un moment, d\u00e9tendre, mais \u00e7a ne r\u00e9glera pas cette affaire de gomme. \u00c7a, c\u2019est s\u00fbr. Se lamenter non plus. Avec le temps, une certaine \u00e9quanimit\u00e9 d\u2019humeur se fabrique. Avec les gommes comme avec tout le reste. J\u2019ai commenc\u00e9 t\u00f4t. Avec un arc et des fl\u00e8ches. Trop facile de penser qu\u2019en visant on atteindra une cible. Trop facile, c\u2019est ce qui me vint imm\u00e9diatement \u00e0 l\u2019esprit. Bizarre. La plupart des personnes pensent que viser est difficile, qu\u2019il faut se donner de la peine, travailler son geste, s\u2019am\u00e9liorer sans cesse. Je dis non, ce n\u2019est pas comme \u00e7a que \u00e7a marche. Avec cette m\u00e9thode, l\u2019ennui nous guette. Entrez donc dans l\u2019atelier, vous allez bien voir. Cherchez donc une gomme, vous allez voir. C\u2019est pas comme \u00e7a que \u00e7a fonctionne, la vie ici. Asseyez-vous plut\u00f4t et fermez les yeux, prenez le temps de devenir aveugles, sourds et muets. Vous y \u00eates ? Tendez le bras, tapotez sur la table, avec vos cinq doigts, laissez vos doigts courir \u00e0 la surface de la table. Vous y \u00eates, vous sentez. Elle est froide, n\u2019est-ce pas ? Malaxez. Vous avez mis le doigt sur le probl\u00e8me et sur la solution en m\u00eame temps. \u00c0 partir de l\u00e0, chacun fait comme il peut. Certains font semblant de croire au hasard, d\u2019autres s\u2019inventent un ami imaginaire. Parfois, certains avalent la gomme pour pallier le probl\u00e8me. Ils pensent que \u00e7a va avoir un go\u00fbt de pain chaud. Pas du tout. Ils se trompent. Et souvent, c\u2019est une convenance, on pr\u00e9f\u00e8re s\u2019inventer un go\u00fbt de pain chaud sur la langue plut\u00f4t que le v\u00e9ritable go\u00fbt des choses.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/16b9f0433ba12634553a54bae7d1e455.jpg?1748065098", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-juin-2024.html", "title": "27 juin 2024", "date_published": "2024-07-26T00:00:02Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Question. Il serait question. Il serait int\u00e9ressant de se questionner sur l\u2019emploi conscient du conditionnel, comme par exemple ce passage : « Ils d\u00e9cachetteraient leur courrier, ils ouvriraient les journaux. Ils allumeraient une premi\u00e8re cigarette. » Ne serions-nous pas en train de nous questionner sur la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019une irr\u00e9alit\u00e9 exprim\u00e9e par le conditionnel pr\u00e9sent ? Imaginons-nous la m\u00eame chose en transformant ces phrases en : « Ils auraient d\u00e9cachet\u00e9 leur courrier, ils auraient ouvert les journaux, ils auraient allum\u00e9 une premi\u00e8re cigarette » ? Ou oserions-nous utiliser une forme d\u00e9su\u00e8te, rare aujourd\u2019hui, comme : « Ils eurent d\u00e9cachet\u00e9 leur courrier, ils eurent ouvert les journaux, ils eurent allum\u00e9 une premi\u00e8re cigarette » ? Est-ce que cela ferait exactement le m\u00eame effet d\u2019inverser les diff\u00e9rentes propositions de cette phrase, de les chambouler, de les r\u00e9ordonner autrement, d\u2019en effectuer des tours et des d\u00e9tours dans tous les sens ? Aurions-nous la m\u00eame sensation ? Et l\u2019eussions-nous, cette sensation \u00e9trange, qu\u2019en ferions-nous alors ?<\/p>\n

Il y aurait eu un point, et je ne l\u2019aurais m\u00eame pas vu. J\u2019aurais consid\u00e9r\u00e9 l\u2019ensemble sans voir le point cens\u00e9 s\u00e9parer les deux propositions. Bizarre comme on manquerait \u00e0 ce point d\u2019attention. On aurait loup\u00e9 un \u00e9l\u00e9ment tout \u00e0 fait essentiel. Un point, ce n\u2019est pas rien. Certains diraient m\u00eame : un point, c\u2019est tout. Referions-nous \u00e0 nouveau le tour de ces trois propositions sous un angle neuf ?<\/p>\n

Ils auraient d\u00e9cachet\u00e9 leur courrier. Ils auraient ouvert les journaux. Ils allumeraient \u00e0 pr\u00e9sent une premi\u00e8re cigarette.<\/p>\n

Ah. Ce serait presque naturel d\u2019ajouter un « \u00e0 pr\u00e9sent » maintenant qu\u2019ils allumeraient leur premi\u00e8re cigarette, une fois qu\u2019ils auraient ouvert leur canard en deux d\u2019un coup de coupe-papier, celui-l\u00e0 m\u00eame qui leur aurait servi \u00e0 d\u00e9cacheter leur courrier.<\/p>\n

On visualiserait le coupe-papier pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un tas de lettres, avec un manche ouvrag\u00e9, probablement en ivoire. Jadis, cet ivoire aurait appartenu \u00e0 un \u00e9l\u00e9phant. Quelle \u00e9trange pens\u00e9e pour l\u2019\u00e9l\u00e9phant, de voir sa dent transform\u00e9e en manche d\u2019instrument tranchant pour ouvrir le courrier. Plus loin, sur un fauteuil crapaud, reposerait un journal. Matinal ou vesp\u00e9ral, on ne saurait le dire, mais ce serait un journal. Un point, c\u2019est tout. Une fen\u00eatre donnant sur des immeubles haussmanniens et permettant de placer une ligne d\u2019horizon traversant en son milieu exact un \u0153il-de-b\u0153uf pourrait laisser imaginer que je me trouverais, si c\u2019\u00e9tait moi par exemple en train de regarder par la fen\u00eatre, \u00e0 la m\u00eame hauteur que l\u2019\u0153il-de-b\u0153uf, ou plut\u00f4t mon regard serait, comme il se doit, \u00e0 la hauteur de la ligne d\u2019horizon qu\u2019il cr\u00e9erait sans m\u00eame s\u2019en apercevoir.<\/p>\n

Pour m\u2019en apercevoir, il faudrait que j\u2019effectue quelques pas en arri\u00e8re. Que je puisse me voir de dos, puis je tendrais un bras, bien tendu comme il se doit, si possible avec un crayon de bois, pour prendre des mesures. Personnellement, je n\u2019aurais pas envie d\u2019allumer une cigarette, je ne fumerais plus depuis des mois. Je verrais n\u00e9anmoins mon double sortir un paquet de la poche de sa veste, tapoter le cul du paquet pour faire surgir la cigarette, les doigts qui s\u2019en saisiraient pour la porter \u00e0 ses l\u00e8vres. Le briquet serait battu, la flamme jaillirait, une bouff\u00e9e de fum\u00e9e bleu\u00e2tre effectuerait des spirales au-dessus de ma t\u00eate l\u00e0-bas. Et peut-\u00eatre qu\u2019\u00e0 cet instant je verrais de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de l\u2019\u0153il-de-b\u0153uf, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la rue Saint-Antoine, un type qui me ressemblerait point pour point. J\u2019aurais, \u00e0 cet instant, \u00e0 l\u2019aide du recul, du crayon, de la ligne d\u2019horizon, \u00e0 la fois le c\u00f4t\u00e9 pile et un peu du c\u00f4t\u00e9 face.<\/p>", "content_text": "Question. Il serait question. Il serait int\u00e9ressant de se questionner sur l\u2019emploi conscient du conditionnel, comme par exemple ce passage : \u00ab Ils d\u00e9cachetteraient leur courrier, ils ouvriraient les journaux. Ils allumeraient une premi\u00e8re cigarette. \u00bb Ne serions-nous pas en train de nous questionner sur la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019une irr\u00e9alit\u00e9 exprim\u00e9e par le conditionnel pr\u00e9sent ? Imaginons-nous la m\u00eame chose en transformant ces phrases en : \u00ab Ils auraient d\u00e9cachet\u00e9 leur courrier, ils auraient ouvert les journaux, ils auraient allum\u00e9 une premi\u00e8re cigarette \u00bb ? Ou oserions-nous utiliser une forme d\u00e9su\u00e8te, rare aujourd\u2019hui, comme : \u00ab Ils eurent d\u00e9cachet\u00e9 leur courrier, ils eurent ouvert les journaux, ils eurent allum\u00e9 une premi\u00e8re cigarette \u00bb ? Est-ce que cela ferait exactement le m\u00eame effet d\u2019inverser les diff\u00e9rentes propositions de cette phrase, de les chambouler, de les r\u00e9ordonner autrement, d\u2019en effectuer des tours et des d\u00e9tours dans tous les sens ? Aurions-nous la m\u00eame sensation ? Et l\u2019eussions-nous, cette sensation \u00e9trange, qu\u2019en ferions-nous alors ? Il y aurait eu un point, et je ne l\u2019aurais m\u00eame pas vu. J\u2019aurais consid\u00e9r\u00e9 l\u2019ensemble sans voir le point cens\u00e9 s\u00e9parer les deux propositions. Bizarre comme on manquerait \u00e0 ce point d\u2019attention. On aurait loup\u00e9 un \u00e9l\u00e9ment tout \u00e0 fait essentiel. Un point, ce n\u2019est pas rien. Certains diraient m\u00eame : un point, c\u2019est tout. Referions-nous \u00e0 nouveau le tour de ces trois propositions sous un angle neuf ? Ils auraient d\u00e9cachet\u00e9 leur courrier. Ils auraient ouvert les journaux. Ils allumeraient \u00e0 pr\u00e9sent une premi\u00e8re cigarette. Ah. Ce serait presque naturel d\u2019ajouter un \u00ab \u00e0 pr\u00e9sent \u00bb maintenant qu\u2019ils allumeraient leur premi\u00e8re cigarette, une fois qu\u2019ils auraient ouvert leur canard en deux d\u2019un coup de coupe-papier, celui-l\u00e0 m\u00eame qui leur aurait servi \u00e0 d\u00e9cacheter leur courrier. On visualiserait le coupe-papier pos\u00e9 pr\u00e8s d\u2019un tas de lettres, avec un manche ouvrag\u00e9, probablement en ivoire. Jadis, cet ivoire aurait appartenu \u00e0 un \u00e9l\u00e9phant. Quelle \u00e9trange pens\u00e9e pour l\u2019\u00e9l\u00e9phant, de voir sa dent transform\u00e9e en manche d\u2019instrument tranchant pour ouvrir le courrier. Plus loin, sur un fauteuil crapaud, reposerait un journal. Matinal ou vesp\u00e9ral, on ne saurait le dire, mais ce serait un journal. Un point, c\u2019est tout. Une fen\u00eatre donnant sur des immeubles haussmanniens et permettant de placer une ligne d\u2019horizon traversant en son milieu exact un \u0153il-de-b\u0153uf pourrait laisser imaginer que je me trouverais, si c\u2019\u00e9tait moi par exemple en train de regarder par la fen\u00eatre, \u00e0 la m\u00eame hauteur que l\u2019\u0153il-de-b\u0153uf, ou plut\u00f4t mon regard serait, comme il se doit, \u00e0 la hauteur de la ligne d\u2019horizon qu\u2019il cr\u00e9erait sans m\u00eame s\u2019en apercevoir. Pour m\u2019en apercevoir, il faudrait que j\u2019effectue quelques pas en arri\u00e8re. Que je puisse me voir de dos, puis je tendrais un bras, bien tendu comme il se doit, si possible avec un crayon de bois, pour prendre des mesures. Personnellement, je n\u2019aurais pas envie d\u2019allumer une cigarette, je ne fumerais plus depuis des mois. Je verrais n\u00e9anmoins mon double sortir un paquet de la poche de sa veste, tapoter le cul du paquet pour faire surgir la cigarette, les doigts qui s\u2019en saisiraient pour la porter \u00e0 ses l\u00e8vres. Le briquet serait battu, la flamme jaillirait, une bouff\u00e9e de fum\u00e9e bleu\u00e2tre effectuerait des spirales au-dessus de ma t\u00eate l\u00e0-bas. Et peut-\u00eatre qu\u2019\u00e0 cet instant je verrais de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de l\u2019\u0153il-de-b\u0153uf, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la rue Saint-Antoine, un type qui me ressemblerait point pour point. J\u2019aurais, \u00e0 cet instant, \u00e0 l\u2019aide du recul, du crayon, de la ligne d\u2019horizon, \u00e0 la fois le c\u00f4t\u00e9 pile et un peu du c\u00f4t\u00e9 face.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/2024-05-05-0013_2.jpg?1748065061", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-juin-2024.html", "title": "26 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:58:00Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Visite du site de M.B. Construit avec Spip. Th\u00e8me : The-Morning-After indisponible. Le probl\u00e8me de la mise en page de sommaire.html peut se r\u00e9gler avec l\u2019utilisation d\u2019un th\u00e8me que l\u2019on peut adapter \u00e0 ses besoins. Probl\u00e8me : quand Spip \u00e9volue, les th\u00e8mes ne suivent pas toujours. Cr\u00e9er son propre th\u00e8me s\u2019av\u00e8re donc plus fiable.<\/p>\n

Deux fa\u00e7ons de voir cette probl\u00e9matique de l\u2019accueil. Si site local, une interface basique, facile \u00e0 reparam\u00e9trer. Il n\u2019y a que moi qui peut y aller, pas besoin de d\u00e9co ou de fioriture. Si site distant, la perception des visiteurs peut \u00eatre variable.<\/p>\n

Questions :<\/p>\n

Qu\u2019est-ce que j\u2019appelle mise en page pour la page d\u2019accueil d\u2019un site distant ?
\ncompr\u00e9hensible tout de suite
\nnavigation simple
\ncoh\u00e9rence du contenu
\nCe qui m\u2019am\u00e8ne \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur la notion d\u2019arborescence : rubriques, sous-rubriques, articles, mots-cl\u00e9s.<\/p>\n

utilisation de balises efficaces (#) et (|)
\ncr\u00e9ation \u00e9ventuelle de sous-domaines, par exemple :
\npeintures.nom de domaine \/ blog.nom de domaine \/ photographies.nom de domaine
\nToujours tr\u00e8s embrouill\u00e9 sit\u00f4t qu\u2019il s\u2019agit d\u2019imp\u00e9ratifs. En fait, une panique. Tellement habitu\u00e9 que l\u2019on ne s\u2019en rend m\u00eame plus compte. C\u2019est que l\u2019ordre provenant de l\u2019ext\u00e9rieur est insupportable \u00e0 une volont\u00e9 peu claire provenant de l\u2019int\u00e9rieur. Sans chaos int\u00e9rieur, il n\u2019y a pas de n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019ordre. L\u2019ordre ext\u00e9rieur ajoute au chaos int\u00e9rieur par le fait qu\u2019il semble toujours impos\u00e9. C\u2019est un point de vue. Pas d\u2019amour, pas de confiance, pas d\u2019espoir. Un point de vue de d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9.<\/p>\n

Pr\u00e9f\u00e9rer \u00eatre d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qu\u2019esp\u00e9rer n\u2019importe quoi pour ne pas l\u2019\u00eatre. Le d\u00e9sespoir est un espace comme un autre. On fait avec, on peut le subir, puis l\u2019examiner, aller dans tous les recoins, d\u00e9poser du gros sel, se dire qu\u2019un d\u00e9mon fausse notre vision. S\u2019auto-exorciser. \u00c9viter ensuite de partir dans le sens contraire. Devenir ravi.<\/p>\n

L\u2019entre-deux, la passerelle, le pont. Surprise en recevant les enfants mardi dernier. Ils comprennent 5\/5 l\u2019id\u00e9e que chacun, le peintre comme le spectateur, a son r\u00f4le \u00e0 jouer pour construire l\u2019entre-deux, le pont.<\/p>\n

Toujours pas rappel\u00e9 W. Interrogations multiples concernant les raisons pour lesquelles je l\u2019appellerais. Elles ne sont pas bien claires, soit je me r\u00e9fugie dans la na\u00efvet\u00e9, soit dans une lucidit\u00e9 effroyable. L\u2019entre-deux ne me manque pas pour rien. C\u2019est un fait. Je ne crois pas \u00e0 la simplicit\u00e9, \u00e0 la spontan\u00e9it\u00e9. J\u2019y crois sur le moment comme un enfant, puis je reprends ma pelisse de loup, je m\u2019enfonce dans la for\u00eat. Penser au renard susceptible de se rogner lui-m\u00eame une patte quand il est pris au pi\u00e8ge.<\/p>", "content_text": "Visite du site de M.B. Construit avec Spip. Th\u00e8me : The-Morning-After indisponible. Le probl\u00e8me de la mise en page de sommaire.html peut se r\u00e9gler avec l\u2019utilisation d\u2019un th\u00e8me que l\u2019on peut adapter \u00e0 ses besoins. Probl\u00e8me : quand Spip \u00e9volue, les th\u00e8mes ne suivent pas toujours. Cr\u00e9er son propre th\u00e8me s\u2019av\u00e8re donc plus fiable. Deux fa\u00e7ons de voir cette probl\u00e9matique de l\u2019accueil. Si site local, une interface basique, facile \u00e0 reparam\u00e9trer. Il n\u2019y a que moi qui peut y aller, pas besoin de d\u00e9co ou de fioriture. Si site distant, la perception des visiteurs peut \u00eatre variable. Questions : Qu\u2019est-ce que j\u2019appelle mise en page pour la page d\u2019accueil d\u2019un site distant ? compr\u00e9hensible tout de suite navigation simple coh\u00e9rence du contenu Ce qui m\u2019am\u00e8ne \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur la notion d\u2019arborescence : rubriques, sous-rubriques, articles, mots-cl\u00e9s. utilisation de balises efficaces (#) et (|) cr\u00e9ation \u00e9ventuelle de sous-domaines, par exemple : peintures.nom de domaine \/ blog.nom de domaine \/ photographies.nom de domaine Toujours tr\u00e8s embrouill\u00e9 sit\u00f4t qu\u2019il s\u2019agit d\u2019imp\u00e9ratifs. En fait, une panique. Tellement habitu\u00e9 que l\u2019on ne s\u2019en rend m\u00eame plus compte. C\u2019est que l\u2019ordre provenant de l\u2019ext\u00e9rieur est insupportable \u00e0 une volont\u00e9 peu claire provenant de l\u2019int\u00e9rieur. Sans chaos int\u00e9rieur, il n\u2019y a pas de n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019ordre. L\u2019ordre ext\u00e9rieur ajoute au chaos int\u00e9rieur par le fait qu\u2019il semble toujours impos\u00e9. C\u2019est un point de vue. Pas d\u2019amour, pas de confiance, pas d\u2019espoir. Un point de vue de d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9. Pr\u00e9f\u00e9rer \u00eatre d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 qu\u2019esp\u00e9rer n\u2019importe quoi pour ne pas l\u2019\u00eatre. Le d\u00e9sespoir est un espace comme un autre. On fait avec, on peut le subir, puis l\u2019examiner, aller dans tous les recoins, d\u00e9poser du gros sel, se dire qu\u2019un d\u00e9mon fausse notre vision. S\u2019auto-exorciser. \u00c9viter ensuite de partir dans le sens contraire. Devenir ravi. L\u2019entre-deux, la passerelle, le pont. Surprise en recevant les enfants mardi dernier. Ils comprennent 5\/5 l\u2019id\u00e9e que chacun, le peintre comme le spectateur, a son r\u00f4le \u00e0 jouer pour construire l\u2019entre-deux, le pont. Toujours pas rappel\u00e9 W. Interrogations multiples concernant les raisons pour lesquelles je l\u2019appellerais. Elles ne sont pas bien claires, soit je me r\u00e9fugie dans la na\u00efvet\u00e9, soit dans une lucidit\u00e9 effroyable. L\u2019entre-deux ne me manque pas pour rien. C\u2019est un fait. Je ne crois pas \u00e0 la simplicit\u00e9, \u00e0 la spontan\u00e9it\u00e9. J\u2019y crois sur le moment comme un enfant, puis je reprends ma pelisse de loup, je m\u2019enfonce dans la for\u00eat. Penser au renard susceptible de se rogner lui-m\u00eame une patte quand il est pris au pi\u00e8ge. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/miniature-persane1.jpg?1748065092", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-juin-2024.html", "title": "25 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:56:41Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tenir. Le paysage d\u00e9filant. Vitre sale, d\u00e9gueulasse, instantan\u00e9e. Gifles de pluie, gicl\u00e9es de nuit, accord\u00e9on diatonique jouant la ballade de John Nike ta m\u00e8re. Entre les wagons. Crissement de freins. Sonnette, soufflets, parfums. Envahissant, claquant, d\u00e9vorant. Des villes, des immeubles, des pavillons, des jardins, des terrains vagues, des villes, des barres, des tours, des villas, des ch\u00e2teaux en Espagne. Couinement du ska\u00ef et de la moleskine et des semelles de caoutchouc. Froissements de papier, d\u2019\u00e9toffe, de main, de peau, fr\u00f4lements, acrobaties, esquives japonisantes, odeurs corporelles surprenantes, percutantes, \u00e0 tomber. Tenir. Debout. Devenir \u00eele. Agripper la barre centrale. Oublier le poisseux, le suant, le merdeux. Diff\u00e9rences de temp\u00e9rature, petite brise, d\u00e9placements. Ralentissement de la rame. Vincennes. D\u00e9gueulis de voyageurs. Insectes. Cafards. \u00c9gayer l\u2019\u0153il face au grouillement. Pagayer dans l\u2019imaginaire. Double mouvement. Sortir, entrer. Sonnerie. Fermeture des portes. Secousses. Nuit jour, nuit jour. Tunnels. Gare de Lyon.<\/p>\n

Impressionnant. Se sentir rat dans une cath\u00e9drale. Verre et acier. Voir la foule. Se rendre compte. La gare. Le monde. Danger. Une masse. Peur. \u00catre assomm\u00e9. Se frayer un chemin. Pardon. Excusez. Oups. Vaciller. Se rattraper. Escalier roulant. Grimper \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Monter. S\u2019\u00e9lever. Retomber. Couloir d\u00e9bouchant sur couloirs. Escalier pas roulant. Ciel gris. L\u2019Europ\u00e9en. Les bagnoles. Les klaxons. Paris. Marcher jusqu\u2019\u00e0 Bastille. Passer devant Bofinger, se rappeler l\u2019attentat. Pas toujours, souvent. Puis rue du Pas de la Mule. Place des Vosges. Traverser en oblique du jardin, admirer les arbres, chercher au fond de la poche quelques francs. S\u2019arr\u00eater l\u00e0. Rue de Turenne. Caf\u00e9. Bonjour, bonsoir. S\u2019imbiber d\u2019un peu de chaleur humaine. Debout au comptoir.<\/p>\n

Marcher jusqu\u2019\u00e0 la gare de l\u2019Est. Pr\u00e9voir une bonne heure en tout. N\u00e9cessaire. Obligatoire. Prendre le temps. Au forceps. Arriver enfin. Naus\u00e9e. Le parfum des croissants de la boulangerie d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9. L\u2019odeur de caoutchouc br\u00fbl\u00e9. De gas-oil. Un tout m\u00e9lang\u00e9. Bien secouer. Pousser le battant de la porte. Cour int\u00e9rieure. Pav\u00e9s. Poubelles. Fa\u00e7ades de briques. Petits balcons en ferraille des fois fleuris. Ciel au-dessus, encore gris, cendreux, g\u00e9om\u00e9trique. Pousser une autre porte. Bruits de rotatives, cliquetis, r\u00e9glages, voix graves, lentes ou rapides, d\u00e9j\u00e0 famili\u00e8res. Entendre gueuler M. le contrema\u00eetre. Se sentir chez soi pour une dur\u00e9e d\u00e9termin\u00e9e. On ne peut faire autrement. Gagner sa vie.<\/p>\n

D\u00e9gommer les plaques avec une \u00e9ponge et de l\u2019eau. Nettoyer l\u2019encrier. Imprimer pour finir quelques macules. Oh tiens, un paysage chinois. Mais si. Convier \u00e0 regarder. Regarder \u00e0 travers, sur le papier, sur les murs, \u00e0 travers la r\u00e9alit\u00e9. R\u00e9ponse habituelle des coll\u00e8gues : T\u2019as pas soif ? Gulp. Ravaler. Ne plus rien dire. La fermer. La boucler. Subir en silence la journ\u00e9e. S\u2019asseoir face \u00e0 la gueule du monstre. « La Roto ». Le cul bien cal\u00e9 sur une caisse en bois. Patienter. Voil\u00e0. En prendre plein la gueule au sens propre. \u00c9jaculations d\u2019encre et de papier. Des films en tout genre. M\u00eame du porno. Des affiches de cin\u00e9ma g\u00e9antes. Peintes \u00e0 la main, s\u2019il vous pla\u00eet. Surveiller que \u00e7a s\u2019empile tout bien comme il faut, au petits oignons. Au carr\u00e9. Une fois que c\u2019est fait, recommencer. Une vie enti\u00e8re. S\u2019inventer un ami imaginaire pour tenir.<\/p>\n

Le soir, m\u00eame trajet non. Changer de trajet. Un jeu. S\u2019inventer des jeux. Se distraire. Oublier. Une heure tout compris jusqu\u2019\u00e0 la gare cath\u00e9drale. Changer de costard. Passer du rat des villes au rat de banlieue. S\u2019endormir parfois. Parvenir au terminus. Sentir une main sur l\u2019\u00e9paule. Faut y aller monsieur, c\u2019est le terminus.<\/p>", "content_text": "Tenir. Le paysage d\u00e9filant. Vitre sale, d\u00e9gueulasse, instantan\u00e9e. Gifles de pluie, gicl\u00e9es de nuit, accord\u00e9on diatonique jouant la ballade de John Nike ta m\u00e8re. Entre les wagons. Crissement de freins. Sonnette, soufflets, parfums. Envahissant, claquant, d\u00e9vorant. Des villes, des immeubles, des pavillons, des jardins, des terrains vagues, des villes, des barres, des tours, des villas, des ch\u00e2teaux en Espagne. Couinement du ska\u00ef et de la moleskine et des semelles de caoutchouc. Froissements de papier, d\u2019\u00e9toffe, de main, de peau, fr\u00f4lements, acrobaties, esquives japonisantes, odeurs corporelles surprenantes, percutantes, \u00e0 tomber. Tenir. Debout. Devenir \u00eele. Agripper la barre centrale. Oublier le poisseux, le suant, le merdeux. Diff\u00e9rences de temp\u00e9rature, petite brise, d\u00e9placements. Ralentissement de la rame. Vincennes. D\u00e9gueulis de voyageurs. Insectes. Cafards. \u00c9gayer l\u2019\u0153il face au grouillement. Pagayer dans l\u2019imaginaire. Double mouvement. Sortir, entrer. Sonnerie. Fermeture des portes. Secousses. Nuit jour, nuit jour. Tunnels. Gare de Lyon. Impressionnant. Se sentir rat dans une cath\u00e9drale. Verre et acier. Voir la foule. Se rendre compte. La gare. Le monde. Danger. Une masse. Peur. \u00catre assomm\u00e9. Se frayer un chemin. Pardon. Excusez. Oups. Vaciller. Se rattraper. Escalier roulant. Grimper \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Monter. S\u2019\u00e9lever. Retomber. Couloir d\u00e9bouchant sur couloirs. Escalier pas roulant. Ciel gris. L\u2019Europ\u00e9en. Les bagnoles. Les klaxons. Paris. Marcher jusqu\u2019\u00e0 Bastille. Passer devant Bofinger, se rappeler l\u2019attentat. Pas toujours, souvent. Puis rue du Pas de la Mule. Place des Vosges. Traverser en oblique du jardin, admirer les arbres, chercher au fond de la poche quelques francs. S\u2019arr\u00eater l\u00e0. Rue de Turenne. Caf\u00e9. Bonjour, bonsoir. S\u2019imbiber d\u2019un peu de chaleur humaine. Debout au comptoir. Marcher jusqu\u2019\u00e0 la gare de l\u2019Est. Pr\u00e9voir une bonne heure en tout. N\u00e9cessaire. Obligatoire. Prendre le temps. Au forceps. Arriver enfin. Naus\u00e9e. Le parfum des croissants de la boulangerie d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9. L\u2019odeur de caoutchouc br\u00fbl\u00e9. De gas-oil. Un tout m\u00e9lang\u00e9. Bien secouer. Pousser le battant de la porte. Cour int\u00e9rieure. Pav\u00e9s. Poubelles. Fa\u00e7ades de briques. Petits balcons en ferraille des fois fleuris. Ciel au-dessus, encore gris, cendreux, g\u00e9om\u00e9trique. Pousser une autre porte. Bruits de rotatives, cliquetis, r\u00e9glages, voix graves, lentes ou rapides, d\u00e9j\u00e0 famili\u00e8res. Entendre gueuler M. le contrema\u00eetre. Se sentir chez soi pour une dur\u00e9e d\u00e9termin\u00e9e. On ne peut faire autrement. Gagner sa vie. D\u00e9gommer les plaques avec une \u00e9ponge et de l\u2019eau. Nettoyer l\u2019encrier. Imprimer pour finir quelques macules. Oh tiens, un paysage chinois. Mais si. Convier \u00e0 regarder. Regarder \u00e0 travers, sur le papier, sur les murs, \u00e0 travers la r\u00e9alit\u00e9. R\u00e9ponse habituelle des coll\u00e8gues : T\u2019as pas soif ? Gulp. Ravaler. Ne plus rien dire. La fermer. La boucler. Subir en silence la journ\u00e9e. S\u2019asseoir face \u00e0 la gueule du monstre. \u00ab La Roto \u00bb. Le cul bien cal\u00e9 sur une caisse en bois. Patienter. Voil\u00e0. En prendre plein la gueule au sens propre. \u00c9jaculations d\u2019encre et de papier. Des films en tout genre. M\u00eame du porno. Des affiches de cin\u00e9ma g\u00e9antes. Peintes \u00e0 la main, s\u2019il vous pla\u00eet. Surveiller que \u00e7a s\u2019empile tout bien comme il faut, au petits oignons. Au carr\u00e9. Une fois que c\u2019est fait, recommencer. Une vie enti\u00e8re. S\u2019inventer un ami imaginaire pour tenir. Le soir, m\u00eame trajet non. Changer de trajet. Un jeu. S\u2019inventer des jeux. Se distraire. Oublier. Une heure tout compris jusqu\u2019\u00e0 la gare cath\u00e9drale. Changer de costard. Passer du rat des villes au rat de banlieue. S\u2019endormir parfois. Parvenir au terminus. Sentir une main sur l\u2019\u00e9paule. Faut y aller monsieur, c\u2019est le terminus. 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\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

C\u2019est comme si je courais. Je cours, je suis seul sur la grande route, j\u2019aper\u00e7ois un chemin et je l\u2019emprunte. Il traverse les champs en labour, les jach\u00e8res, les bocages. Nous arrivons, lui et moi, dans la for\u00eat. Je continue par un sentier, je laisse le chemin et le souvenir de la grande route derri\u00e8re moi.<\/p>\n

De l\u2019eau s\u2019\u00e9goutte des branches des arbres, il y a des bruits d\u2019ailes, des craquements de bois, pas beaucoup de vent<\/p>\n

L\u2019odeur de la terre, des feuilles et du bois mort monte du sol et emplit l\u2019air. Je marche en levant la t\u00eate pour voir, au-dessus des cimes, le ciel.<\/p>\n

J\u2019ai \u00e9crit deux textes, c\u2019est le troisi\u00e8me. C\u2019est comme si je courais, que je prenais une sorte de distance avec quoi, je ne sais pas. Avec le d\u00e9sir, me semble-t-il imm\u00e9diat, je le repousse petit \u00e0 petit, \u00e0 petite foul\u00e9e. J\u2019ai bient\u00f4t plus de 10 jours d\u2019avance. D\u2019avance sur quoi, je ne le sais pas. Je continue \u00e0 courir, c\u2019est une sorte de drogue, si je ne cours pas comme \u00e7a, il me semble d\u00e9sormais que \u00e7a ne va pas.<\/p>\n

Ce n\u2019est pas la m\u00eame chose que de courir autour d\u2019un stade, c\u2019est autre chose. C\u2019est comme si on \u00e9tait poursuivi par les loups, il faut bien s\u2019inventer une peur r\u00e9aliste.<\/p>\n

Enfant, j\u2019avais toutes sortes de peurs. J\u2019\u00e9tais rempli de peur et de merveilles. La peur, je crois, faisait na\u00eetre le merveilleux. Ai-je conserv\u00e9 \u00e7a avec le temps ?<\/p>\n

Je me souviens, encore une fois de plus, de mon d\u00e9part pour le Portugal. J\u2019avais briqu\u00e9 la chambre de fond en comble, comme un sou neuf. J\u2019avais peu de choses, un sac \u00e0 dos, avec quelques habits, quelques livres, quelques carnets. De quoi rester propre. J\u2019ai fait du stop et j\u2019ai atteint l\u2019Espagne. J\u2019ai bu un verre sur le bord de la route, en pleine nuit, les gens faisaient la f\u00eate. J\u2019ai conserv\u00e9 de l\u2019Espagne une sensation de chaleur moite, une odeur de grillades, des relents de parfum bon march\u00e9, un regard andalou et l\u2019impression d\u2019\u00eatre chien.<\/p>\n

J\u2019ai fait du stop et \u00e7a a continu\u00e9. J\u2019ai atteint Porto, la gare. J\u2019avais faim, il y avait des petits restaurants tout autour de la gare, on y vendait du rago\u00fbt, du porc et des fayots. L\u2019heure de la micheline a sonn\u00e9 et j\u2019ai embarqu\u00e9 vers le petit village au nord du nord. Je voulais un endroit perdu, le plus perdu possible, sans touriste. Il faisait chaud. Toutes les vitres du wagon \u00e9taient baiss\u00e9es, la porte aussi \u00e9tait grande ouverte. La nuit \u00e9tait l\u00e0 aussi, on voyait des collines et des feux. Ce n\u2019\u00e9taient pas des lumi\u00e8res artificielles, c\u2019\u00e9taient de vrais feux. Enfin, la micheline est arriv\u00e9e \u00e0 son terminus, c\u2019\u00e9tait le village. Je suis descendu avec un jeune type. Il n\u2019y avait qu\u2019un couple sur le quai, j\u2019ai compris qu\u2019ils \u00e9taient de la famille du type. Ils se sont \u00e9treints, ils ont ri, ils se sont embrass\u00e9s. J\u2019ai attendu que \u00e7a se passe et je me suis rapproch\u00e9 pour leur demander s\u2019ils connaissaient un h\u00f4tel pour la nuit. Ils m\u2019ont regard\u00e9 et ils ont fait mine d\u2019\u00eatre tristes. J\u2019ai vu la joie se dissimuler sous un masque de tristesse. Non, pas d\u2019h\u00f4tel ici. J\u2019allais remercier et partir, chercher un endroit quelque part pour me reposer. Un champ, un arbre. \u00c7a ne me d\u00e9rangeait pas. La femme a dit « attends » et ils m\u2019ont conduit dans une maison. J\u2019ai dormi l\u00e0 comme un loir. Au matin, il faisait beau. Je me suis lev\u00e9, j\u2019ai ouvert la fen\u00eatre et j\u2019ai vu une coursive avec de la vigne vierge qui pendait, la vue donnait sur un jardin potager. Puis j\u2019ai entendu des grognements qui venaient de sous le plancher. J\u2019ai descendu l\u2019escalier, j\u2019ai regard\u00e9 par la fente d\u2019une porte et j\u2019ai vu des cochons tout roses tourner leurs petits yeux ronds vers moi. Ils avaient l\u2019air de savoir que j\u2019\u00e9tais l\u00e0, que j\u2019avais dormi l\u00e0 au-dessus de leurs t\u00eates de cochon.<\/p>", "content_text": "C\u2019est comme si je courais. Je cours, je suis seul sur la grande route, j\u2019aper\u00e7ois un chemin et je l\u2019emprunte. Il traverse les champs en labour, les jach\u00e8res, les bocages. Nous arrivons, lui et moi, dans la for\u00eat. Je continue par un sentier, je laisse le chemin et le souvenir de la grande route derri\u00e8re moi. De l\u2019eau s\u2019\u00e9goutte des branches des arbres, il y a des bruits d\u2019ailes, des craquements de bois, pas beaucoup de vent L\u2019odeur de la terre, des feuilles et du bois mort monte du sol et emplit l\u2019air. Je marche en levant la t\u00eate pour voir, au-dessus des cimes, le ciel. J\u2019ai \u00e9crit deux textes, c\u2019est le troisi\u00e8me. C\u2019est comme si je courais, que je prenais une sorte de distance avec quoi, je ne sais pas. Avec le d\u00e9sir, me semble-t-il imm\u00e9diat, je le repousse petit \u00e0 petit, \u00e0 petite foul\u00e9e. J\u2019ai bient\u00f4t plus de 10 jours d\u2019avance. D\u2019avance sur quoi, je ne le sais pas. Je continue \u00e0 courir, c\u2019est une sorte de drogue, si je ne cours pas comme \u00e7a, il me semble d\u00e9sormais que \u00e7a ne va pas. Ce n\u2019est pas la m\u00eame chose que de courir autour d\u2019un stade, c\u2019est autre chose. C\u2019est comme si on \u00e9tait poursuivi par les loups, il faut bien s\u2019inventer une peur r\u00e9aliste. Enfant, j\u2019avais toutes sortes de peurs. J\u2019\u00e9tais rempli de peur et de merveilles. La peur, je crois, faisait na\u00eetre le merveilleux. Ai-je conserv\u00e9 \u00e7a avec le temps ? Je me souviens, encore une fois de plus, de mon d\u00e9part pour le Portugal. J\u2019avais briqu\u00e9 la chambre de fond en comble, comme un sou neuf. J\u2019avais peu de choses, un sac \u00e0 dos, avec quelques habits, quelques livres, quelques carnets. De quoi rester propre. J\u2019ai fait du stop et j\u2019ai atteint l\u2019Espagne. J\u2019ai bu un verre sur le bord de la route, en pleine nuit, les gens faisaient la f\u00eate. J\u2019ai conserv\u00e9 de l\u2019Espagne une sensation de chaleur moite, une odeur de grillades, des relents de parfum bon march\u00e9, un regard andalou et l\u2019impression d\u2019\u00eatre chien. J\u2019ai fait du stop et \u00e7a a continu\u00e9. J\u2019ai atteint Porto, la gare. J\u2019avais faim, il y avait des petits restaurants tout autour de la gare, on y vendait du rago\u00fbt, du porc et des fayots. L\u2019heure de la micheline a sonn\u00e9 et j\u2019ai embarqu\u00e9 vers le petit village au nord du nord. Je voulais un endroit perdu, le plus perdu possible, sans touriste. Il faisait chaud. Toutes les vitres du wagon \u00e9taient baiss\u00e9es, la porte aussi \u00e9tait grande ouverte. La nuit \u00e9tait l\u00e0 aussi, on voyait des collines et des feux. Ce n\u2019\u00e9taient pas des lumi\u00e8res artificielles, c\u2019\u00e9taient de vrais feux. Enfin, la micheline est arriv\u00e9e \u00e0 son terminus, c\u2019\u00e9tait le village. Je suis descendu avec un jeune type. Il n\u2019y avait qu\u2019un couple sur le quai, j\u2019ai compris qu\u2019ils \u00e9taient de la famille du type. Ils se sont \u00e9treints, ils ont ri, ils se sont embrass\u00e9s. J\u2019ai attendu que \u00e7a se passe et je me suis rapproch\u00e9 pour leur demander s\u2019ils connaissaient un h\u00f4tel pour la nuit. Ils m\u2019ont regard\u00e9 et ils ont fait mine d\u2019\u00eatre tristes. J\u2019ai vu la joie se dissimuler sous un masque de tristesse. Non, pas d\u2019h\u00f4tel ici. J\u2019allais remercier et partir, chercher un endroit quelque part pour me reposer. Un champ, un arbre. \u00c7a ne me d\u00e9rangeait pas. La femme a dit \u00ab attends \u00bb et ils m\u2019ont conduit dans une maison. J\u2019ai dormi l\u00e0 comme un loir. Au matin, il faisait beau. Je me suis lev\u00e9, j\u2019ai ouvert la fen\u00eatre et j\u2019ai vu une coursive avec de la vigne vierge qui pendait, la vue donnait sur un jardin potager. Puis j\u2019ai entendu des grognements qui venaient de sous le plancher. J\u2019ai descendu l\u2019escalier, j\u2019ai regard\u00e9 par la fente d\u2019une porte et j\u2019ai vu des cochons tout roses tourner leurs petits yeux ronds vers moi. Ils avaient l\u2019air de savoir que j\u2019\u00e9tais l\u00e0, que j\u2019avais dormi l\u00e0 au-dessus de leurs t\u00eates de cochon.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/insideporto_sbento1.jpg?1748065090", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-juin-2024.html", "title": "23 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:54:19Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

En faire des montagnes, des caisses, d\u2019une fa\u00e7on que l\u2019on consid\u00e8re exag\u00e9r\u00e9e. Est-ce que j\u2019en fais encore trop ? C\u2019est obs\u00e9dant. Je me le demande plusieurs fois par jour. Durant mes cours, en d\u00e9jeunant, en allant faire les courses, en choisissant ce que je veux lire, ce que je me dis apr\u00e8s avoir \u00e9crit. Tu t\u2019en fais une montagne, mon petit vieux.<\/p>\n

Cette d\u00e9couverte que si toi tu te fabriques des caisses, les autres s\u2019en fichent totalement, ils sont \u00e0 la man\u0153uvre pour gravir leurs propres montagnes. Ou les redescendre. Comment s\u2019appelle d\u00e9j\u00e0 cette machine, j\u2019en aper\u00e7ois l\u2019image rapidement, elle me traverse, clepsydre. Un instrument de mesure du temps, l\u2019orateur ne dispose que d\u2019une quantit\u00e9 de liquide impartie. Puis la parole passe \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre.<\/p>\n

De la mesure en toute chose, dit Horace, comme il dit aussi qu\u2019une fois l\u2019amphore vide, les amis se dispersent. On a tout de m\u00eame conserv\u00e9 quelque chose d\u2019Horace que l\u2019on peut placer dans la conversation. C\u2019est cela, en faire des caisses. Il arrive qu\u2019on s\u2019en charge tout seul, pour soi seul, je me fais des montagnes tout seul.<\/p>\n

Les autres s\u2019en fichent totalement et je crois que c\u2019est honn\u00eate en fin de compte. C\u2019est beaucoup mieux que de faire mine de s\u2019int\u00e9resser. Je connais cette pratique. Faire mine de s\u2019int\u00e9resser pour s\u2019enfoncer dans un r\u00f4le social, une coterie, une compagnie, comme le font les bonhommes, les gens de bonne volont\u00e9. Parfois on ne se rend m\u00eame pas compte. On fait mine de s\u2019int\u00e9resser par r\u00e9flexe. Cela doit provenir d\u2019une partie myst\u00e9rieuse du cerveau. C\u2019est un comportement animal. Peut-\u00eatre provenant d\u2019un f\u00e9lin \u00e0 dents de sabre, pour att\u00e9nuer l\u2019effroi qu\u2019il produit, il fait mine de s\u2019int\u00e9resser. Surtout quand il s\u2019approche d\u2019un \u00e9tang, qu\u2019il aper\u00e7oit le reflet de sa dent. Oh my god, what a teeth !<\/p>\n

J\u2019aimerais parfois ne pas faire mine. Mais c\u2019est plus fort que moi, c\u2019est ancr\u00e9. Donc je fais mine, je m\u2019en rends compte, j\u2019ai la naus\u00e9e, je me calfeutre.<\/p>\n

Je pense \u00e0 cette histoire de pilote dont l\u2019avion tombe dans les terres froides. Il n\u2019a qu\u2019une couverture en feutre, un peu de graisse, et du temps pour s\u2019inventer toute une mythologie personnelle. Temps qu\u2019il occupe pour agrandir son p\u00e9rim\u00e8tre symbolique avec du miel, des os, du sang, des animaux morts, de la terre, du bois, de la poussi\u00e8re. Il ne peut pas vraiment en faire des caisses devant les loups, les ours, les oiseaux, il est seul. Il devient artiste vraiment une fois qu\u2019il a compris le but de tout \u00e7a, qu\u2019il a trouv\u00e9 un sens, une biographie. Il donne des cours, il a des \u00e9l\u00e8ves qui deviendront c\u00e9l\u00e8bres. Il reprend ce vieux concept de ma\u00efeutique tout b\u00eatement. Voil\u00e0 une trajectoire parall\u00e8le. Et, comme on le sait, les parall\u00e8les ne se rejoignent pas, c\u2019est leur raison d\u2019\u00eatre. Voir des traces parall\u00e8les dans la neige, quand on a faim, quand on a soif, quand on est d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, c\u2019est tout un po\u00e8me.<\/p>\n

Je suis probablement trop vieux pour que l\u2019on me confie un avion de chasse. Peu de chance que je sois abattu, que je d\u00e9couvre les terres froides, des traces de renard dans la neige. Mais je connais cette histoire, je peux me r\u00e9inventer cette histoire. J\u2019en ai presque les larmes aux yeux, je suis comme \u00e7a. Il faut \u00eatre abattu quelque part en plein vol, se r\u00e9chauffer comme on peut avec les moyens du bord, parvenir \u00e0 battre un briquet imaginaire, faire surgir la sacro-sainte flamme, s\u2019imaginer une compagnie pour transmettre cette flamme, si possible sans en faire des caisses.<\/p>\n

De la mesure, j\u2019en ai peu. \u00c0 part dans l\u2019art du dosage des couleurs, mais le m\u00e9rite ne me revient pas, j\u2019ai travaill\u00e9, j\u2019ai pass\u00e9 du temps pour \u00e9tudier \u00e7a. Le m\u00e9rite en revient au temps, \u00e0 la patience, aux nombreux \u00e9checs. J\u2019essaie de le dire \u00e0 mes \u00e9l\u00e8ves, mais je sais d\u2019avance qu\u2019ils ne comprennent pas ce que je veux dire. D\u2019ailleurs, je ne suis pas certain de vouloir le dire. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de vouloir le dire. Il faut seulement le faire.<\/p>", "content_text": "En faire des montagnes, des caisses, d\u2019une fa\u00e7on que l\u2019on consid\u00e8re exag\u00e9r\u00e9e. Est-ce que j\u2019en fais encore trop ? C\u2019est obs\u00e9dant. Je me le demande plusieurs fois par jour. Durant mes cours, en d\u00e9jeunant, en allant faire les courses, en choisissant ce que je veux lire, ce que je me dis apr\u00e8s avoir \u00e9crit. Tu t\u2019en fais une montagne, mon petit vieux. Cette d\u00e9couverte que si toi tu te fabriques des caisses, les autres s\u2019en fichent totalement, ils sont \u00e0 la man\u0153uvre pour gravir leurs propres montagnes. Ou les redescendre. Comment s\u2019appelle d\u00e9j\u00e0 cette machine, j\u2019en aper\u00e7ois l\u2019image rapidement, elle me traverse, clepsydre. Un instrument de mesure du temps, l\u2019orateur ne dispose que d\u2019une quantit\u00e9 de liquide impartie. Puis la parole passe \u00e0 quelqu\u2019un d\u2019autre. De la mesure en toute chose, dit Horace, comme il dit aussi qu\u2019une fois l\u2019amphore vide, les amis se dispersent. On a tout de m\u00eame conserv\u00e9 quelque chose d\u2019Horace que l\u2019on peut placer dans la conversation. C\u2019est cela, en faire des caisses. Il arrive qu\u2019on s\u2019en charge tout seul, pour soi seul, je me fais des montagnes tout seul. Les autres s\u2019en fichent totalement et je crois que c\u2019est honn\u00eate en fin de compte. C\u2019est beaucoup mieux que de faire mine de s\u2019int\u00e9resser. Je connais cette pratique. Faire mine de s\u2019int\u00e9resser pour s\u2019enfoncer dans un r\u00f4le social, une coterie, une compagnie, comme le font les bonhommes, les gens de bonne volont\u00e9. Parfois on ne se rend m\u00eame pas compte. On fait mine de s\u2019int\u00e9resser par r\u00e9flexe. Cela doit provenir d\u2019une partie myst\u00e9rieuse du cerveau. C\u2019est un comportement animal. Peut-\u00eatre provenant d\u2019un f\u00e9lin \u00e0 dents de sabre, pour att\u00e9nuer l\u2019effroi qu\u2019il produit, il fait mine de s\u2019int\u00e9resser. Surtout quand il s\u2019approche d\u2019un \u00e9tang, qu\u2019il aper\u00e7oit le reflet de sa dent. Oh my god, what a teeth! J\u2019aimerais parfois ne pas faire mine. Mais c\u2019est plus fort que moi, c\u2019est ancr\u00e9. Donc je fais mine, je m\u2019en rends compte, j\u2019ai la naus\u00e9e, je me calfeutre. Je pense \u00e0 cette histoire de pilote dont l\u2019avion tombe dans les terres froides. Il n\u2019a qu\u2019une couverture en feutre, un peu de graisse, et du temps pour s\u2019inventer toute une mythologie personnelle. Temps qu\u2019il occupe pour agrandir son p\u00e9rim\u00e8tre symbolique avec du miel, des os, du sang, des animaux morts, de la terre, du bois, de la poussi\u00e8re. Il ne peut pas vraiment en faire des caisses devant les loups, les ours, les oiseaux, il est seul. Il devient artiste vraiment une fois qu\u2019il a compris le but de tout \u00e7a, qu\u2019il a trouv\u00e9 un sens, une biographie. Il donne des cours, il a des \u00e9l\u00e8ves qui deviendront c\u00e9l\u00e8bres. Il reprend ce vieux concept de ma\u00efeutique tout b\u00eatement. Voil\u00e0 une trajectoire parall\u00e8le. Et, comme on le sait, les parall\u00e8les ne se rejoignent pas, c\u2019est leur raison d\u2019\u00eatre. Voir des traces parall\u00e8les dans la neige, quand on a faim, quand on a soif, quand on est d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9, c\u2019est tout un po\u00e8me. Je suis probablement trop vieux pour que l\u2019on me confie un avion de chasse. Peu de chance que je sois abattu, que je d\u00e9couvre les terres froides, des traces de renard dans la neige. Mais je connais cette histoire, je peux me r\u00e9inventer cette histoire. J\u2019en ai presque les larmes aux yeux, je suis comme \u00e7a. Il faut \u00eatre abattu quelque part en plein vol, se r\u00e9chauffer comme on peut avec les moyens du bord, parvenir \u00e0 battre un briquet imaginaire, faire surgir la sacro-sainte flamme, s\u2019imaginer une compagnie pour transmettre cette flamme, si possible sans en faire des caisses. De la mesure, j\u2019en ai peu. \u00c0 part dans l\u2019art du dosage des couleurs, mais le m\u00e9rite ne me revient pas, j\u2019ai travaill\u00e9, j\u2019ai pass\u00e9 du temps pour \u00e9tudier \u00e7a. Le m\u00e9rite en revient au temps, \u00e0 la patience, aux nombreux \u00e9checs. J\u2019essaie de le dire \u00e0 mes \u00e9l\u00e8ves, mais je sais d\u2019avance qu\u2019ils ne comprennent pas ce que je veux dire. D\u2019ailleurs, je ne suis pas certain de vouloir le dire. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de vouloir le dire. Il faut seulement le faire.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/20807864_1280x720.webp?1748065123", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-juin-2024.html", "title": "22 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:53:08Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9r\u00e9. Toujours. De tous les jours additionn\u00e9s, jusqu\u2019\u00e0 ce moment o\u00f9 on le dit. On ne peut pas pr\u00e9sumer de l\u2019avenir. \u00c0 partir du moment o\u00f9 c\u2019est dit, on ment forc\u00e9ment, on se ment \u00e0 soi-m\u00eame.<\/p>\n

Je t\u2019aimerais toujours, mon amour. Dans le fond, pas d\u2019erreur, c\u2019est bien souvent un conditionnel. Dire \u00e7a au futur, c\u2019est faire une faute de conjugaison, c\u2019est ignorer ce que fait toujours de nous le temps, la plupart d\u2019entre nous, la plupart du temps.<\/p>\n

Enfin, je parle pour moi, les autres, je ne sais pas, je ne veux pas le savoir. J\u2019aimerais m\u2019am\u00e9liorer en conjugaison, mais il y a du boulot. En orthographe, en grammaire aussi. Quand j\u2019y pense, une montagne. J\u2019imagine parfois que si je savais tout cela sur le bout des doigts, ma cervelle se calmerait.<\/p>\n

Dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9r\u00e9, j\u2019ai pass\u00e9 mon temps \u00e0 me sous-estimer et \u00e0 sur-estimer les autres. Et de temps en temps, cela s\u2019inversait. Cela ne s\u2019est pas invers\u00e9 dans une progression du temps, jour apr\u00e8s jour, non. Ce fut plus en zigzag. Des virages \u00e0 90, 180, 360°. Vers la fin, arbres et murs de plein fouet. J\u2019aurais voulu mourir pour leur laisser toute la place puisque je crois qu\u2019ils la voulaient, que ce n\u2019\u00e9tait que \u00e7a qu\u2019ils voulaient. J\u2019exag\u00e8re, mais c\u2019est cela.<\/p>\n

Enfin, je parle de ce que je connais, il y a de grandes chances. Je cherche dans ma m\u00e9moire la tirade de cet andro\u00efde incarn\u00e9 par M.F. Qui, tout compte fait, est sans doute plus humain que nous autres. En vain. Parfois, je cherche et je ne trouve pas. Et je m\u2019y fais, et \u00e7a me va.<\/p>\n

Quand j\u2019y pense \u00e0 cette montagne, celle que l\u2019on doit porter sur les \u00e9paules, les bras m\u2019en tombent. J\u2019ai toujours, dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9rable, \u00e9prouv\u00e9 de la difficult\u00e9 avec l\u2019id\u00e9e de montagne, surtout quand il faut se la repr\u00e9senter sur un dos, le mien. Cela me d\u00e9range moins que ce soit un dos \u00e9tranger, un dos sans rapport avec le mien. Chacun sa peine, c\u2019est bien vrai. La mienne vient des montagnes insupportables qu\u2019on m\u2019obligea, avant que je ne m\u2019oblige seul, de mani\u00e8re autonome, \u00e0 faire mienne cette peine.<\/p>\n

Enfin, je parle de ce que je connais, plus vraiment de chance que je m\u2019\u00e9loigne de cela d\u00e9sormais. Parfois, j\u2019imagine que nous partons avec un capital chance, variable \u00e9videmment pour chacun, et que les pr\u00e9cautions d\u2019usage, en regard de tout le d\u00e9ploiement d\u2019injonctions \u00e0 le dilapider, ce capital, sont inscrites en caract\u00e8res minuscules \u2013 peut-\u00eatre m\u00eame en chinois \u2013 en marge du mode d\u2019emploi.<\/p>\n

Dans la totalit\u00e9 des mots \u00e9crits ce jour, je ne sais pas o\u00f9 est la passerelle avec le monde. Je ne sais m\u00eame pas s\u2019il en existe une vraiment. Je pr\u00e9f\u00e8re ne pas le savoir plut\u00f4t que d\u2019en inventer une qui ne serait que ma propre id\u00e9e de passerelle, pas celle du monde. Peut-\u00eatre que j\u2019ai un faible pour l\u2019introspection. Je suis un \u00eatre faible en ce sens-l\u00e0 tr\u00e8s exactement. Parce que je crois, \u00e0 tort ou \u00e0 raison, qu\u2019en creusant la terre avec les mains, il y a peu de chance de parvenir en Chine, m\u00eame si l\u2019on creuse longtemps, r\u00e9guli\u00e8rement, avec t\u00e9nacit\u00e9 et un peu de chance. Ou plut\u00f4t \u2013 je suis trop dur avec moi-m\u00eame par moments \u2013 disons qu\u2019il y a un bon 50 % de chances qu\u2019on y parvienne, une chance sur deux.<\/p>\n

Je ne parle pas le chinois, \u00e7a ne m\u2019a jamais vraiment int\u00e9ress\u00e9, trop de signes, peu de chance d\u2019en venir \u00e0 bout. La philosophie consistant \u00e0 prendre son temps, \u00e0 mesurer l\u2019\u00e9rudition \u00e0 l\u2019aune du temps pass\u00e9 \u00e0 \u00e9tudier les id\u00e9ogrammes, est une id\u00e9e toute faite. Je me suis d\u00e9j\u00e0 fait avoir avec l\u2019h\u00e9breu, qui lui incite \u00e0 s\u2019inventer une sorte d\u2019intelligence pour boucher les trous, les vides entre les consonnes, mais qui n\u00e9cessite beaucoup trop de temps \u00e0 commenter ces trous, ces vides. Concernant le persan, le farsi, je n\u2019en parlerai plus, personne ne m\u2019\u00e9coute sur ce sujet, et avec le temps, j\u2019ai acquis la certitude que tout le monde s\u2019en foutait. Les gens sont comme \u00e7a, surtout moi. Peut-\u00eatre est-ce la raison pour laquelle je m\u2019int\u00e9resse \u00e0 quelque chose, quelqu\u2019un, durant quelques jours, quelques heures, mais comme je n\u2019ai plus une minute \u00e0 moi, je me sens oblig\u00e9 de passer \u00e0 autre chose, quelqu\u2019un d\u2019autre.<\/p>\n

Comme je n\u2019ai plus une minute \u00e0 moi, j\u2019essaie de gagner du temps, de grappiller par-ci par-l\u00e0, quelques pr\u00e9cieuses secondes. Le temps qu\u2019il faut pour \u00e9crire, par exemple, que je n\u2019ai pas autant de temps que je le croyais. Car on m\u2019a quasiment tout vol\u00e9, je suis devenu un pauvre parmi les pauvres de notre temps.<\/p>\n

Ma pauvret\u00e9 n\u2019est pas \u00e0 plaindre. Comme toujours, dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9r\u00e9, j\u2019ai fini par admettre que la pauvret\u00e9 et la richesse ne sont que des mots, et que l\u2019on peut faire de ces mots ce que nous d\u00e9sirons. Enfin, je parle pour moi, pour les autres, je ne m\u2019avance pas. Ce n\u2019est pas non plus une forme de r\u00e9tention d\u2019information, je n\u2019ai pas de secret \u00e0 pr\u00e9server. Non, rien de tout \u00e7a. Je pense qu\u2019on ne peut pas transmettre une exp\u00e9rience avec des mots seulement. C\u2019est rude d\u2019en prendre conscience. Ce n\u2019est pas forc\u00e9ment une affaire d\u2019orthographe, de conjugaison, de grammaire. C\u2019est un ab\u00eeme dans lequel on tombe lentement. On prend conscience des choses petit \u00e0 petit durant cette chute.<\/p>", "content_text": "Dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9r\u00e9. Toujours. De tous les jours additionn\u00e9s, jusqu\u2019\u00e0 ce moment o\u00f9 on le dit. On ne peut pas pr\u00e9sumer de l\u2019avenir. \u00c0 partir du moment o\u00f9 c\u2019est dit, on ment forc\u00e9ment, on se ment \u00e0 soi-m\u00eame. Je t\u2019aimerais toujours, mon amour. Dans le fond, pas d\u2019erreur, c\u2019est bien souvent un conditionnel. Dire \u00e7a au futur, c\u2019est faire une faute de conjugaison, c\u2019est ignorer ce que fait toujours de nous le temps, la plupart d\u2019entre nous, la plupart du temps. Enfin, je parle pour moi, les autres, je ne sais pas, je ne veux pas le savoir. J\u2019aimerais m\u2019am\u00e9liorer en conjugaison, mais il y a du boulot. En orthographe, en grammaire aussi. Quand j\u2019y pense, une montagne. J\u2019imagine parfois que si je savais tout cela sur le bout des doigts, ma cervelle se calmerait. Dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9r\u00e9, j\u2019ai pass\u00e9 mon temps \u00e0 me sous-estimer et \u00e0 sur-estimer les autres. Et de temps en temps, cela s\u2019inversait. Cela ne s\u2019est pas invers\u00e9 dans une progression du temps, jour apr\u00e8s jour, non. Ce fut plus en zigzag. Des virages \u00e0 90, 180, 360\u00b0. Vers la fin, arbres et murs de plein fouet. J\u2019aurais voulu mourir pour leur laisser toute la place puisque je crois qu\u2019ils la voulaient, que ce n\u2019\u00e9tait que \u00e7a qu\u2019ils voulaient. J\u2019exag\u00e8re, mais c\u2019est cela. Enfin, je parle de ce que je connais, il y a de grandes chances. Je cherche dans ma m\u00e9moire la tirade de cet andro\u00efde incarn\u00e9 par M.F. Qui, tout compte fait, est sans doute plus humain que nous autres. En vain. Parfois, je cherche et je ne trouve pas. Et je m\u2019y fais, et \u00e7a me va. Quand j\u2019y pense \u00e0 cette montagne, celle que l\u2019on doit porter sur les \u00e9paules, les bras m\u2019en tombent. J\u2019ai toujours, dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9rable, \u00e9prouv\u00e9 de la difficult\u00e9 avec l\u2019id\u00e9e de montagne, surtout quand il faut se la repr\u00e9senter sur un dos, le mien. Cela me d\u00e9range moins que ce soit un dos \u00e9tranger, un dos sans rapport avec le mien. Chacun sa peine, c\u2019est bien vrai. La mienne vient des montagnes insupportables qu\u2019on m\u2019obligea, avant que je ne m\u2019oblige seul, de mani\u00e8re autonome, \u00e0 faire mienne cette peine. Enfin, je parle de ce que je connais, plus vraiment de chance que je m\u2019\u00e9loigne de cela d\u00e9sormais. Parfois, j\u2019imagine que nous partons avec un capital chance, variable \u00e9videmment pour chacun, et que les pr\u00e9cautions d\u2019usage, en regard de tout le d\u00e9ploiement d\u2019injonctions \u00e0 le dilapider, ce capital, sont inscrites en caract\u00e8res minuscules \u2013 peut-\u00eatre m\u00eame en chinois \u2013 en marge du mode d\u2019emploi. Dans la totalit\u00e9 des mots \u00e9crits ce jour, je ne sais pas o\u00f9 est la passerelle avec le monde. Je ne sais m\u00eame pas s\u2019il en existe une vraiment. Je pr\u00e9f\u00e8re ne pas le savoir plut\u00f4t que d\u2019en inventer une qui ne serait que ma propre id\u00e9e de passerelle, pas celle du monde. Peut-\u00eatre que j\u2019ai un faible pour l\u2019introspection. Je suis un \u00eatre faible en ce sens-l\u00e0 tr\u00e8s exactement. Parce que je crois, \u00e0 tort ou \u00e0 raison, qu\u2019en creusant la terre avec les mains, il y a peu de chance de parvenir en Chine, m\u00eame si l\u2019on creuse longtemps, r\u00e9guli\u00e8rement, avec t\u00e9nacit\u00e9 et un peu de chance. Ou plut\u00f4t \u2013 je suis trop dur avec moi-m\u00eame par moments \u2013 disons qu\u2019il y a un bon 50 % de chances qu\u2019on y parvienne, une chance sur deux. Je ne parle pas le chinois, \u00e7a ne m\u2019a jamais vraiment int\u00e9ress\u00e9, trop de signes, peu de chance d\u2019en venir \u00e0 bout. La philosophie consistant \u00e0 prendre son temps, \u00e0 mesurer l\u2019\u00e9rudition \u00e0 l\u2019aune du temps pass\u00e9 \u00e0 \u00e9tudier les id\u00e9ogrammes, est une id\u00e9e toute faite. Je me suis d\u00e9j\u00e0 fait avoir avec l\u2019h\u00e9breu, qui lui incite \u00e0 s\u2019inventer une sorte d\u2019intelligence pour boucher les trous, les vides entre les consonnes, mais qui n\u00e9cessite beaucoup trop de temps \u00e0 commenter ces trous, ces vides. Concernant le persan, le farsi, je n\u2019en parlerai plus, personne ne m\u2019\u00e9coute sur ce sujet, et avec le temps, j\u2019ai acquis la certitude que tout le monde s\u2019en foutait. Les gens sont comme \u00e7a, surtout moi. Peut-\u00eatre est-ce la raison pour laquelle je m\u2019int\u00e9resse \u00e0 quelque chose, quelqu\u2019un, durant quelques jours, quelques heures, mais comme je n\u2019ai plus une minute \u00e0 moi, je me sens oblig\u00e9 de passer \u00e0 autre chose, quelqu\u2019un d\u2019autre. Comme je n\u2019ai plus une minute \u00e0 moi, j\u2019essaie de gagner du temps, de grappiller par-ci par-l\u00e0, quelques pr\u00e9cieuses secondes. Le temps qu\u2019il faut pour \u00e9crire, par exemple, que je n\u2019ai pas autant de temps que je le croyais. Car on m\u2019a quasiment tout vol\u00e9, je suis devenu un pauvre parmi les pauvres de notre temps. Ma pauvret\u00e9 n\u2019est pas \u00e0 plaindre. Comme toujours, dans la totalit\u00e9 du temps consid\u00e9r\u00e9, j\u2019ai fini par admettre que la pauvret\u00e9 et la richesse ne sont que des mots, et que l\u2019on peut faire de ces mots ce que nous d\u00e9sirons. Enfin, je parle pour moi, pour les autres, je ne m\u2019avance pas. Ce n\u2019est pas non plus une forme de r\u00e9tention d\u2019information, je n\u2019ai pas de secret \u00e0 pr\u00e9server. Non, rien de tout \u00e7a. Je pense qu\u2019on ne peut pas transmettre une exp\u00e9rience avec des mots seulement. C\u2019est rude d\u2019en prendre conscience. Ce n\u2019est pas forc\u00e9ment une affaire d\u2019orthographe, de conjugaison, de grammaire. C\u2019est un ab\u00eeme dans lequel on tombe lentement. On prend conscience des choses petit \u00e0 petit durant cette chute.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/2020-11-14-11.46_36.jpg?1748065153", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-juin-2024.html", "title": "21 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:51:52Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Je recommence. Je doute. Je ne suis pas s\u00fbr. J\u2019h\u00e9site. J\u2019ai envie. J\u2019ai peur. J\u2019avance un pied. Je perds l\u2019\u00e9quilibre. Je tombe. Je me rel\u00e8ve. Je recommence. Je progresse. Je m\u2019habitue. Je m\u2019amuse \u00e0 tomber, \u00e0 me relever. J\u2019apprends \u00e0 faire confiance \u00e0 ce corps. Bient\u00f4t je courrai.<\/p>\n

Je vois l\u2019arbre en fleurs, j\u2019\u00e9prouve une \u00e9motion, la blancheur des fleurs me rappelle une chose. Je ne sais quelle est cette chose. J\u2019\u00e9prouve \u00e0 la fois de la joie et de la peine, les deux sont m\u00e9lang\u00e9es, de la grenadine dans de l\u2019eau. Je vois le m\u00e9lange s\u2019effectuer quand la main plonge la cuill\u00e8re dans le verre. Je vois le rose se modifier. Je comprends que la quantit\u00e9 de sirop au fond du verre joue un r\u00f4le comme la quantit\u00e9 d\u2019eau qu\u2019on ajoute au sirop. J\u2019ai envie de grimper \u00e0 l\u2019arbre, de m\u2019enfouir compl\u00e8tement dans la blancheur des fleurs. Je cours vers l\u2019arbre, je tombe, je me rel\u00e8ve, je ne peux pas le perdre de vue, il est l\u00e0, de plus en plus grand. Je progresse, j\u2019y arrive. J\u2019ai peur et j\u2019ai envie de m\u2019enfouir dans ces fleurs blanches.<\/p>\n

Le parfum suave des fleurs entre par les narines. Le parfum ne se voit pas, mais je le sens. C\u2019est une chose invisible qui remplit le corps tout entier une fois qu\u2019il est entr\u00e9 par les narines. Comme la blancheur des fleurs du cerisier p\u00e9n\u00e8tre par les yeux et fait tituber le corps entier.<\/p>\n

Je go\u00fbte le vert des feuilles d\u2019oseille. Le go\u00fbt est acide dans la bouche. Je suis surpris. Je ne suis pas s\u00fbr de ce que je ressens, pas encore s\u00fbr de savoir vraiment quoi penser de cette acidit\u00e9. Je suis surpris. Je me reprends, je recommence, je m\u2019habitue \u00e0 l\u2019acidit\u00e9 comme \u00e0 la surprise que procure l\u2019oseille quand on la cueille. Je go\u00fbte toutes les herbes du jardin une par une, je les touche, j\u2019estime du bout des doigts de la paume leur texture, certaines sont douces, d\u2019autres plus dures, mais \u00e0 la fin tout finit dans la bouche pour obtenir encore et encore la surprise, le vacillement l\u00e9ger, la d\u00e9couverte, l\u2019acceptation ou le rejet par le palais et par la langue. J\u2019ai des doutes concernant les mots salsifis, \u00e9pinard, rhubarbe, groseille, pois cass\u00e9. Je les go\u00fbte une fois et je fais la grimace, je les entends, ils entrent dans mon oreille, je me souviens du go\u00fbt, il me d\u00e9go\u00fbte.<\/p>\n

Je regarde autour de moi quand quelque chose me d\u00e9go\u00fbte et le d\u00e9go\u00fbt envahit tout ce que je vois autour de moi. Je suis au centre du d\u00e9go\u00fbt, le d\u00e9go\u00fbt est en moi, il ressort par les yeux et il envahit tout autour de moi. Je ne sais pas si je suis en col\u00e8re d\u2019\u00eatre d\u00e9go\u00fbt\u00e9 comme \u00e7a contre moi-m\u00eame ou contre tout ce qui me d\u00e9go\u00fbte d\u00e9sormais tout autour de moi. J\u2019ai des doutes. Je me trompe souvent. Je suis maladroit, les objets m\u2019\u00e9chappent, les objets tombent et souillent la table, la fourchette, le couteau, la petite cuill\u00e8re. La r\u00e9action vis-\u00e0-vis de cet \u00e9v\u00e9nement est variable. Cela peut faire na\u00eetre un \u00e9clat de voix, une claque, un coup de poing sur la table. Parfois aussi on me saisit par-dessous les \u00e9paules. On m\u2019extirpe de la chaise. On me met dans un parc entour\u00e9 de barreaux, la lumi\u00e8re s\u2019\u00e9teint, il fait noir, je crie, je pleure, et puis \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, une fois que tout le d\u00e9go\u00fbt est sorti de mon corps, je me sens apais\u00e9, je m\u2019endors.<\/p>\n

Je suis sorti du ventre de ma m\u00e8re et on m\u2019a plac\u00e9 dans une couveuse pendant plusieurs semaines. Je ne me souviens plus du tout de cette p\u00e9riode de ma vie. J\u2019imagine qu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 importante. Je ne cesse de la reconstruire. J\u2019imagine la qui\u00e9tude du ventre de ma m\u00e8re, j\u2019imagine le d\u00e9sir \u00e9trange qui me pousse \u00e0 m\u2019en extraire soudain. Souvent je pense que je me suis chass\u00e9 seul du paradis, pour quelle raison, je l\u2019ignore. Je pense que la raison est de n\u2019avoir pas \u00e9t\u00e9 baptis\u00e9. Mais c\u2019est une erreur logique. Pouvais-je entendre le refus de mon p\u00e8re depuis le ventre de ma m\u00e8re ? « Non il ne sera pas baptis\u00e9, il choisira sa religion quand il sera grand. » Est-ce pour cette raison que je n\u2019ai eu de cesse, enfant, de vouloir devenir grand ? Et pourtant je n\u2019ai jamais fait le n\u00e9cessaire pour obtenir ce bapt\u00eame, pas plus que de me relier \u00e0 quoi que ce soit. Et quand je remonte le fil des raisons possibles, je pense \u00e0 chaque fois que je ne suis pas assez grand. Je panse en tout cas quelque chose qui ressemble \u00e0 une blessure, et cette blessure est un amalgame que j\u2019effectue entre l\u2019isolement de quelques semaines en couveuse apr\u00e8s m\u2019\u00eatre chass\u00e9 loin du paradis, et aussi cette mal\u00e9diction ext\u00e9rieure m\u2019interdisant d\u2019entrer dans la lumi\u00e8re de la foi par le bapt\u00eame. Je me mets bien entendu \u00e0 d\u00e9tester la religion et tous ceux qui en pratiquent une, parce que je pense qu\u2019ils ont obtenu ce passage naturellement, sans le plus petit effort de leur part, tellement facilement, naturellement que \u00e7a me d\u00e9go\u00fbte. Je n\u2019ai pas de go\u00fbt pour la soci\u00e9t\u00e9, je reste dans un coin de la cour de r\u00e9cr\u00e9ation, ou bien je m\u2019enfouis dans un trou, ou encore je cours tout au fond du jardin pour grimper sur l\u2019arbre. Je me sens mal en soci\u00e9t\u00e9. Je sens que \u00e7a ne va pas, que \u00e7a ne va jamais. Je sens que je freine malgr\u00e9 moi, que je ne progresse pas, que je meurs \u00e0 petit feu dans le d\u00e9go\u00fbt qui me vient pour fuir ma peine.<\/p>\n

Je m\u2019invente des histoires pour \u00e9chapper \u00e0 l\u2019ennui mortel. C\u2019est une puissance invisible qui me guette depuis le ciel gris et bas par-del\u00e0 les collines. Il m\u2019est tomb\u00e9 dessus sans crier gare. Il est comme de la boue ou comme lorsqu\u2019on veut courir ou voler dans un r\u00eave, il nous cloue sur place, nous force \u00e0 effectuer du sur-place. Quand je le sens venir j\u2019\u00e9prouve toujours une sensation physique de lourdeur, mon corps devient pesant, la terre est un aimant qui oblige le corps \u00e0 s\u2019en rapprocher, alors il faut s\u2019asseoir ou s\u2019allonger, on a bien de la peine \u00e0 se tenir debout quand l\u2019ennui frappe. Et comme il n\u2019y a rien \u00e0 faire \u00e0 part attendre que \u00e7a passe, je m\u2019invente des histoires, pour passer le temps. Je n\u2019ai pas su tout de suite que c\u2019\u00e9tait invent\u00e9, il a fallu que l\u2019on me le dise, arr\u00eate de nous raconter des histoires. Cela ennuyait le monde que je lui raconte des histoires. Un pr\u00eat\u00e9 pour un rendu.<\/p>\n

Je crois que le diable n\u2019attend rien d\u2019autre qu\u2019un simple hochement de menton de ma part. Que si je regarde le fond du puits dans la cour de la ferme, la m\u00e8re \u00e0 quatre bras va m\u2019attraper et m\u2019emporter tout au fond de la terre. Je crois que j\u2019attends d\u2019\u00eatre puni d\u2019exister, que les choses ne peuvent se d\u00e9rouler tranquillement, gentiment pour moi comme pour tous ces autres enfants que j\u2019aper\u00e7ois autour de moi. Ils sont des \u00e9trangers dans l\u2019expression de leur \u00e9tranget\u00e9, de leur diff\u00e9rence, et si je creuse la raison de cette diff\u00e9rence, c\u2019est que pour eux tout est naturel, ils n\u2019ont pas besoin de faire des efforts pour l\u2019obtenir. Ils sont accept\u00e9s, ils se reconnaissent ainsi aussi s\u00fbrement que si l\u2019acceptation \u00e9tait un signe sur leur front. Le diable est ainsi mais c\u2019est le contraire, lui a un signe sur le front pour que l\u2019on sache tout de suite qu\u2019il est le diable. Il me fait peur mais en m\u00eame temps je crois qu\u2019il ne peut pas \u00eatre aussi mauvais que tout le monde le dit. Peut-\u00eatre que lui aussi est comme moi, qu\u2019il a compris que je suis un \u00eatre vivant dans le rejet, dans la marge, un \u00eatre inachev\u00e9 dans le sens o\u00f9 la fin serait d\u2019\u00eatre accept\u00e9. Mais que le prix \u00e0 payer d\u00e9passe de mille coud\u00e9es ce que la plupart des enfants qui se tiennent autour de nous dans la cour de r\u00e9cr\u00e9ation ont pay\u00e9.<\/p>\n

J\u2019entends les paroles de chansons p\u00e9n\u00e9trer en moi et je les reconnais. Je suis attir\u00e9 par les paroles des chansons qui me parlent de la difficult\u00e9 d\u2019\u00eatre et dont la fin va toujours plus ou moins vers une acceptation tranquille de cet \u00e9tat de fait. Les paroles de chansons sont comme un baume, une pommade qui soulage des coups, des blessures, on peut s\u2019y reconna\u00eetre, elles sont comme la glace de la salle de bain dans laquelle on essaie de savoir qui l\u2019on est. Je passe beaucoup de temps \u00e0 me regarder dans la glace de la salle de bain \u00e0 me recoiffer, \u00e0 m\u2019\u00e9bouriffer les cheveux, pour cacher les trous que je commence \u00e0 percevoir dans mes cheveux. L\u2019odeur du savon, la vapeur qui embue les vitres, font que la salle de bain est un lieu id\u00e9al pour essayer de comprendre qui l\u2019on est. Ce que je per\u00e7ois de moi, dans cette image invers\u00e9e, me permet d\u2019exercer un sentiment bizarre que je n\u2019accorde qu\u2019aux arbres et aux animaux, un genre de compassion, une excuse, une auto-acceptation. La salle de bain en fin de compte est une sorte de petit paradis priv\u00e9 quand on ferme le verrou, qu\u2019on est certain que nul ne viendra nous d\u00e9ranger. Dans la chaleur de la salle de bain on retrouve le paradis perdu, le ventre de la m\u00e8re, et les regrets sont les histoires que l\u2019on se raconte pour tenter d\u2019\u00e9chapper \u00e0 l\u2019ennui pesant.<\/p>\n

Je ne crois pas \u00e0 cette dur\u00e9e que l\u2019on m\u2019impose. Je ne crois pas au temps. Je ne crois pas au moment pr\u00e9sent. Je ne crois pas \u00e0 l\u2019emploi du temps. Je ne crois pas \u00e0 l\u2019irr\u00e9m\u00e9diable. Je ne crois pas \u00e0 la mort. Je ne crois pas \u00e0 la naissance. Je ne crois pas aux renaissances. Je ne crois en rien de tout ce que l\u2019on veut me proposer de croire. Je veux exp\u00e9rimenter tout ce qui m\u2019est propos\u00e9. Je veux r\u00e9inventer la roue pour les moindres m\u00e9canismes d\u2019horlogerie, \u00e9tudier les plus minuscules engrenages attentivement. Pour cela je m\u2019enfonce dans la b\u00eatise, dans cette sorte d\u2019instinct nomm\u00e9 animalit\u00e9. Je ne me sens ni meilleur ni pire qu\u2019une b\u00eate, qu\u2019une plante, qu\u2019une pierre. Je crois que s\u2019enfoncer dans l\u2019absence de croyance, les refuser toutes les unes apr\u00e8s les autres le plus m\u00e9thodiquement possible m\u2019entra\u00eenera vers la source m\u00eame de toute croyance. Avec un peu de t\u00e9nacit\u00e9 et de chance, j\u2019inventerai les miennes. Elles r\u00e9sisteront \u00e0 l\u2019\u00e9preuve des chocs des balles et de l\u2019imb\u00e9cillit\u00e9 magistrale. Avec un peu de chance, beaucoup de t\u00e9nacit\u00e9.<\/p>\n

Les travaux \u00e0 ma port\u00e9e sont la plupart du temps alimentaires, ils forment des excuses toutes faites pour ne pas faire autre chose de ma vie. Je poss\u00e8de des listes de raisons qui feraient p\u00e2lir de jalousie les scribes et les copistes, avec enluminures et graffitis dans les marges. Mais au fond de moi je sais que je perds mon temps, ce temps que je ne poss\u00e8de pas parce qu\u2019on me le vole, que tout converge pour qu\u2019on me le vole. Alors quand je ne travaille pas, quand je suis chez moi, je jouis de tout mon temps \u00e0 n\u2019en rien faire. Une fois la porte de mon appartement referm\u00e9e, je me sens soulag\u00e9. Je m\u2019allonge sur un canap\u00e9, je ferme les yeux, je me concentre sur ma respiration pour ne plus penser \u00e0 rien. Je m\u2019\u00e9vade ainsi. Je refuse de sombrer pour autant dans le mysticisme. J\u2019essaie d\u2019apprendre \u00e0 mourir, de parvenir \u00e0 ce lieu math\u00e9matique repr\u00e9sent\u00e9 par le 0, au carrefour du positif et du n\u00e9gatif. La raison est que j\u2019\u00e9prouve une peur de perdre la sensation d\u2019\u00eatre au monde, ce qui est tout \u00e0 fait absurde puisque souvent je me dis que je n\u2019y suis pas. C\u2019est peut-\u00eatre dans le fond une approche empirique des paradoxes qui m\u2019occupe, peut-\u00eatre que j\u2019imagine la mort comme un seuil, comme la vraie porte de cette vie dont je r\u00eave en vain.<\/p>\n

L\u2019art est une \u00eele lointaine dont j\u2019aime \u00e0 mes moments perdus r\u00eaver. Ou une femme. Un impossible amour. Il faut toujours que je sois d\u00e9\u00e7u pour raviver plus loin mon d\u00e9sir. Je me suis inscrit dans une \u00e9cole pour apprendre ce que les gens nomment l\u2019art. Je n\u2019ai rien appris que ce que je ne savais d\u00e9j\u00e0. Que l\u2019art n\u2019est pas de l\u2019homme, que c\u2019est de l\u00e0 que provient toute la confusion, et certainement l\u2019idiotie. J\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 de tourner le dos \u00e0 mes ma\u00eetres. J\u2019ai dit que l\u2019art me traverserait si je devenais suffisamment transparent. Je l\u2019ai dit dans le temps, comme on allume une m\u00e8che suffisamment longue. L\u2019explosion s\u2019effectue par paliers, par d\u00e9cennie. Chaque \u00e9tape emporte une partie de la poussi\u00e8re d\u00e9pos\u00e9e sur les yeux depuis que l\u2019on fr\u00e9quente le monde des hommes. Chaque explosion fait \u00e9crouler les piliers un \u00e0 un de cette absurdit\u00e9 que l\u2019on a fait de l\u2019art au cours des si\u00e8cles. On ne d\u00e9cide pas de faire de l\u2019art, c\u2019est la vie ou la mort qui d\u00e9cident que tu es assez effac\u00e9, transparent pour te traverser. La n\u00e9cessit\u00e9 se situe dans la volont\u00e9 de transparence, pas dans le d\u00e9sir de faire de l\u2019art.<\/p>\n

Je suis seul et \u00e7a me va. Comme un gant. Un gant jet\u00e9 \u00e0 la figure du monde. Demain \u00e0 l\u2019aube, au chant du coq. Je suis devenu l\u2019enfant que je n\u2019ai pas pu \u00eatre. Je sais \u00e0 pr\u00e9sent dire oui, dire non, je n\u2019ai nul besoin d\u2019y r\u00e9fl\u00e9chir pour en d\u00e9cider. Je ne peins presque plus que lorsque je me sens requis \u00e0 le faire. Je ne cherche ni gloire, ni argent, ni post\u00e9rit\u00e9. Juste \u00e0 \u00e9mettre la note juste sur le silence que j\u2019ai construit avec t\u00e9nacit\u00e9 et parfois un peu de chance.<\/p>\n

Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il marchait les bras ballants, il voulait que le ruisseau soit une rivi\u00e8re, la rivi\u00e8re un fleuve, et cette flaque d\u2019eau, la mer.<\/p>\n

Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il ne savait pas qu\u2019il \u00e9tait enfant, tout pour lui avait une \u00e2me, et toutes les \u00e2mes \u00e9taient une.<\/p>\n

Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il n\u2019avait d\u2019opinion sur rien, il n\u2019avait pas d\u2019habitudes, il s\u2019asseyait en tailleur, partait en courant, avait une m\u00e8che rebelle, et ne prenait pas de pose pour la photo.<\/p>\n

Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, c\u2019\u00e9tait le temps des questions suivantes : Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas l\u00e0 ? Quand commence le temps et o\u00f9 finit l\u2019espace ? La vie sous le soleil n\u2019est-elle pas un r\u00eave ? Ce que je vois, entends et sens, n\u2019est-ce pas simplement l\u2019apparence d\u2019un monde devant le monde ? Le mal existe-t-il vraiment et y a-t-il des gens qui sont vraiment les mauvais ? Comment se fait-il que moi, qui suis moi, avant de devenir, je n\u2019\u00e9tais pas et qu\u2019un jour moi, qui suis moi, je ne serai plus ce moi que je suis ?<\/p>\n

Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, \u00e7a lui arrivait de manger une pomme, et ce n\u2019est plus maintenant, morsure apr\u00e8s morsure, que \u00e7a lui arrivait.<\/p>\n

Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, les baies tombaient dans sa main, comme seules des baies tombent dans une main, et c\u2019est encore le cas maintenant. Les noix fra\u00eeches lui faisaient une langue rapeuse, et c\u2019est encore le cas maintenant. Sur chaque montagne, il avait la nostalgie d\u2019une montagne encore plus haute, et dans chaque ville, il avait la nostalgie d\u2019une ville encore plus grande, et c\u2019est encore le cas maintenant. Il atteignait les cimes des arbres pour cueillir des cerises, tout comme il le fait encore maintenant, il \u00e9tait effray\u00e9 par les \u00e9trangers, comme il l\u2019est encore aujourd\u2019hui, il attendait la premi\u00e8re neige, tout comme il l\u2019attend encore aujourd\u2019hui.<\/p>\n

Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il lan\u00e7ait un b\u00e2ton contre un arbre, et il y vibre encore aujourd\u2019hui.( Peter Handke)<\/p>", "content_text": "Je recommence. Je doute. Je ne suis pas s\u00fbr. J\u2019h\u00e9site. J\u2019ai envie. J\u2019ai peur. J\u2019avance un pied. Je perds l\u2019\u00e9quilibre. Je tombe. Je me rel\u00e8ve. Je recommence. Je progresse. Je m\u2019habitue. Je m\u2019amuse \u00e0 tomber, \u00e0 me relever. J\u2019apprends \u00e0 faire confiance \u00e0 ce corps. Bient\u00f4t je courrai. Je vois l\u2019arbre en fleurs, j\u2019\u00e9prouve une \u00e9motion, la blancheur des fleurs me rappelle une chose. Je ne sais quelle est cette chose. J\u2019\u00e9prouve \u00e0 la fois de la joie et de la peine, les deux sont m\u00e9lang\u00e9es, de la grenadine dans de l\u2019eau. Je vois le m\u00e9lange s\u2019effectuer quand la main plonge la cuill\u00e8re dans le verre. Je vois le rose se modifier. Je comprends que la quantit\u00e9 de sirop au fond du verre joue un r\u00f4le comme la quantit\u00e9 d\u2019eau qu\u2019on ajoute au sirop. J\u2019ai envie de grimper \u00e0 l\u2019arbre, de m\u2019enfouir compl\u00e8tement dans la blancheur des fleurs. Je cours vers l\u2019arbre, je tombe, je me rel\u00e8ve, je ne peux pas le perdre de vue, il est l\u00e0, de plus en plus grand. Je progresse, j\u2019y arrive. J\u2019ai peur et j\u2019ai envie de m\u2019enfouir dans ces fleurs blanches. Le parfum suave des fleurs entre par les narines. Le parfum ne se voit pas, mais je le sens. C\u2019est une chose invisible qui remplit le corps tout entier une fois qu\u2019il est entr\u00e9 par les narines. Comme la blancheur des fleurs du cerisier p\u00e9n\u00e8tre par les yeux et fait tituber le corps entier. Je go\u00fbte le vert des feuilles d\u2019oseille. Le go\u00fbt est acide dans la bouche. Je suis surpris. Je ne suis pas s\u00fbr de ce que je ressens, pas encore s\u00fbr de savoir vraiment quoi penser de cette acidit\u00e9. Je suis surpris. Je me reprends, je recommence, je m\u2019habitue \u00e0 l\u2019acidit\u00e9 comme \u00e0 la surprise que procure l\u2019oseille quand on la cueille. Je go\u00fbte toutes les herbes du jardin une par une, je les touche, j\u2019estime du bout des doigts de la paume leur texture, certaines sont douces, d\u2019autres plus dures, mais \u00e0 la fin tout finit dans la bouche pour obtenir encore et encore la surprise, le vacillement l\u00e9ger, la d\u00e9couverte, l\u2019acceptation ou le rejet par le palais et par la langue. J\u2019ai des doutes concernant les mots salsifis, \u00e9pinard, rhubarbe, groseille, pois cass\u00e9. Je les go\u00fbte une fois et je fais la grimace, je les entends, ils entrent dans mon oreille, je me souviens du go\u00fbt, il me d\u00e9go\u00fbte. Je regarde autour de moi quand quelque chose me d\u00e9go\u00fbte et le d\u00e9go\u00fbt envahit tout ce que je vois autour de moi. Je suis au centre du d\u00e9go\u00fbt, le d\u00e9go\u00fbt est en moi, il ressort par les yeux et il envahit tout autour de moi. Je ne sais pas si je suis en col\u00e8re d\u2019\u00eatre d\u00e9go\u00fbt\u00e9 comme \u00e7a contre moi-m\u00eame ou contre tout ce qui me d\u00e9go\u00fbte d\u00e9sormais tout autour de moi. J\u2019ai des doutes. Je me trompe souvent. Je suis maladroit, les objets m\u2019\u00e9chappent, les objets tombent et souillent la table, la fourchette, le couteau, la petite cuill\u00e8re. La r\u00e9action vis-\u00e0-vis de cet \u00e9v\u00e9nement est variable. Cela peut faire na\u00eetre un \u00e9clat de voix, une claque, un coup de poing sur la table. Parfois aussi on me saisit par-dessous les \u00e9paules. On m\u2019extirpe de la chaise. On me met dans un parc entour\u00e9 de barreaux, la lumi\u00e8re s\u2019\u00e9teint, il fait noir, je crie, je pleure, et puis \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, une fois que tout le d\u00e9go\u00fbt est sorti de mon corps, je me sens apais\u00e9, je m\u2019endors. Je suis sorti du ventre de ma m\u00e8re et on m\u2019a plac\u00e9 dans une couveuse pendant plusieurs semaines. Je ne me souviens plus du tout de cette p\u00e9riode de ma vie. J\u2019imagine qu\u2019elle a \u00e9t\u00e9 importante. Je ne cesse de la reconstruire. J\u2019imagine la qui\u00e9tude du ventre de ma m\u00e8re, j\u2019imagine le d\u00e9sir \u00e9trange qui me pousse \u00e0 m\u2019en extraire soudain. Souvent je pense que je me suis chass\u00e9 seul du paradis, pour quelle raison, je l\u2019ignore. Je pense que la raison est de n\u2019avoir pas \u00e9t\u00e9 baptis\u00e9. Mais c\u2019est une erreur logique. Pouvais-je entendre le refus de mon p\u00e8re depuis le ventre de ma m\u00e8re ? \u00ab Non il ne sera pas baptis\u00e9, il choisira sa religion quand il sera grand. \u00bb Est-ce pour cette raison que je n\u2019ai eu de cesse, enfant, de vouloir devenir grand ? Et pourtant je n\u2019ai jamais fait le n\u00e9cessaire pour obtenir ce bapt\u00eame, pas plus que de me relier \u00e0 quoi que ce soit. Et quand je remonte le fil des raisons possibles, je pense \u00e0 chaque fois que je ne suis pas assez grand. Je panse en tout cas quelque chose qui ressemble \u00e0 une blessure, et cette blessure est un amalgame que j\u2019effectue entre l\u2019isolement de quelques semaines en couveuse apr\u00e8s m\u2019\u00eatre chass\u00e9 loin du paradis, et aussi cette mal\u00e9diction ext\u00e9rieure m\u2019interdisant d\u2019entrer dans la lumi\u00e8re de la foi par le bapt\u00eame. Je me mets bien entendu \u00e0 d\u00e9tester la religion et tous ceux qui en pratiquent une, parce que je pense qu\u2019ils ont obtenu ce passage naturellement, sans le plus petit effort de leur part, tellement facilement, naturellement que \u00e7a me d\u00e9go\u00fbte. Je n\u2019ai pas de go\u00fbt pour la soci\u00e9t\u00e9, je reste dans un coin de la cour de r\u00e9cr\u00e9ation, ou bien je m\u2019enfouis dans un trou, ou encore je cours tout au fond du jardin pour grimper sur l\u2019arbre. Je me sens mal en soci\u00e9t\u00e9. Je sens que \u00e7a ne va pas, que \u00e7a ne va jamais. Je sens que je freine malgr\u00e9 moi, que je ne progresse pas, que je meurs \u00e0 petit feu dans le d\u00e9go\u00fbt qui me vient pour fuir ma peine. Je m\u2019invente des histoires pour \u00e9chapper \u00e0 l\u2019ennui mortel. C\u2019est une puissance invisible qui me guette depuis le ciel gris et bas par-del\u00e0 les collines. Il m\u2019est tomb\u00e9 dessus sans crier gare. Il est comme de la boue ou comme lorsqu\u2019on veut courir ou voler dans un r\u00eave, il nous cloue sur place, nous force \u00e0 effectuer du sur-place. Quand je le sens venir j\u2019\u00e9prouve toujours une sensation physique de lourdeur, mon corps devient pesant, la terre est un aimant qui oblige le corps \u00e0 s\u2019en rapprocher, alors il faut s\u2019asseoir ou s\u2019allonger, on a bien de la peine \u00e0 se tenir debout quand l\u2019ennui frappe. Et comme il n\u2019y a rien \u00e0 faire \u00e0 part attendre que \u00e7a passe, je m\u2019invente des histoires, pour passer le temps. Je n\u2019ai pas su tout de suite que c\u2019\u00e9tait invent\u00e9, il a fallu que l\u2019on me le dise, arr\u00eate de nous raconter des histoires. Cela ennuyait le monde que je lui raconte des histoires. Un pr\u00eat\u00e9 pour un rendu. Je crois que le diable n\u2019attend rien d\u2019autre qu\u2019un simple hochement de menton de ma part. Que si je regarde le fond du puits dans la cour de la ferme, la m\u00e8re \u00e0 quatre bras va m\u2019attraper et m\u2019emporter tout au fond de la terre. Je crois que j\u2019attends d\u2019\u00eatre puni d\u2019exister, que les choses ne peuvent se d\u00e9rouler tranquillement, gentiment pour moi comme pour tous ces autres enfants que j\u2019aper\u00e7ois autour de moi. Ils sont des \u00e9trangers dans l\u2019expression de leur \u00e9tranget\u00e9, de leur diff\u00e9rence, et si je creuse la raison de cette diff\u00e9rence, c\u2019est que pour eux tout est naturel, ils n\u2019ont pas besoin de faire des efforts pour l\u2019obtenir. Ils sont accept\u00e9s, ils se reconnaissent ainsi aussi s\u00fbrement que si l\u2019acceptation \u00e9tait un signe sur leur front. Le diable est ainsi mais c\u2019est le contraire, lui a un signe sur le front pour que l\u2019on sache tout de suite qu\u2019il est le diable. Il me fait peur mais en m\u00eame temps je crois qu\u2019il ne peut pas \u00eatre aussi mauvais que tout le monde le dit. Peut-\u00eatre que lui aussi est comme moi, qu\u2019il a compris que je suis un \u00eatre vivant dans le rejet, dans la marge, un \u00eatre inachev\u00e9 dans le sens o\u00f9 la fin serait d\u2019\u00eatre accept\u00e9. Mais que le prix \u00e0 payer d\u00e9passe de mille coud\u00e9es ce que la plupart des enfants qui se tiennent autour de nous dans la cour de r\u00e9cr\u00e9ation ont pay\u00e9. J\u2019entends les paroles de chansons p\u00e9n\u00e9trer en moi et je les reconnais. Je suis attir\u00e9 par les paroles des chansons qui me parlent de la difficult\u00e9 d\u2019\u00eatre et dont la fin va toujours plus ou moins vers une acceptation tranquille de cet \u00e9tat de fait. Les paroles de chansons sont comme un baume, une pommade qui soulage des coups, des blessures, on peut s\u2019y reconna\u00eetre, elles sont comme la glace de la salle de bain dans laquelle on essaie de savoir qui l\u2019on est. Je passe beaucoup de temps \u00e0 me regarder dans la glace de la salle de bain \u00e0 me recoiffer, \u00e0 m\u2019\u00e9bouriffer les cheveux, pour cacher les trous que je commence \u00e0 percevoir dans mes cheveux. L\u2019odeur du savon, la vapeur qui embue les vitres, font que la salle de bain est un lieu id\u00e9al pour essayer de comprendre qui l\u2019on est. Ce que je per\u00e7ois de moi, dans cette image invers\u00e9e, me permet d\u2019exercer un sentiment bizarre que je n\u2019accorde qu\u2019aux arbres et aux animaux, un genre de compassion, une excuse, une auto-acceptation. La salle de bain en fin de compte est une sorte de petit paradis priv\u00e9 quand on ferme le verrou, qu\u2019on est certain que nul ne viendra nous d\u00e9ranger. Dans la chaleur de la salle de bain on retrouve le paradis perdu, le ventre de la m\u00e8re, et les regrets sont les histoires que l\u2019on se raconte pour tenter d\u2019\u00e9chapper \u00e0 l\u2019ennui pesant. Je ne crois pas \u00e0 cette dur\u00e9e que l\u2019on m\u2019impose. Je ne crois pas au temps. Je ne crois pas au moment pr\u00e9sent. Je ne crois pas \u00e0 l\u2019emploi du temps. Je ne crois pas \u00e0 l\u2019irr\u00e9m\u00e9diable. Je ne crois pas \u00e0 la mort. Je ne crois pas \u00e0 la naissance. Je ne crois pas aux renaissances. Je ne crois en rien de tout ce que l\u2019on veut me proposer de croire. Je veux exp\u00e9rimenter tout ce qui m\u2019est propos\u00e9. Je veux r\u00e9inventer la roue pour les moindres m\u00e9canismes d\u2019horlogerie, \u00e9tudier les plus minuscules engrenages attentivement. Pour cela je m\u2019enfonce dans la b\u00eatise, dans cette sorte d\u2019instinct nomm\u00e9 animalit\u00e9. Je ne me sens ni meilleur ni pire qu\u2019une b\u00eate, qu\u2019une plante, qu\u2019une pierre. Je crois que s\u2019enfoncer dans l\u2019absence de croyance, les refuser toutes les unes apr\u00e8s les autres le plus m\u00e9thodiquement possible m\u2019entra\u00eenera vers la source m\u00eame de toute croyance. Avec un peu de t\u00e9nacit\u00e9 et de chance, j\u2019inventerai les miennes. Elles r\u00e9sisteront \u00e0 l\u2019\u00e9preuve des chocs des balles et de l\u2019imb\u00e9cillit\u00e9 magistrale. Avec un peu de chance, beaucoup de t\u00e9nacit\u00e9. Les travaux \u00e0 ma port\u00e9e sont la plupart du temps alimentaires, ils forment des excuses toutes faites pour ne pas faire autre chose de ma vie. Je poss\u00e8de des listes de raisons qui feraient p\u00e2lir de jalousie les scribes et les copistes, avec enluminures et graffitis dans les marges. Mais au fond de moi je sais que je perds mon temps, ce temps que je ne poss\u00e8de pas parce qu\u2019on me le vole, que tout converge pour qu\u2019on me le vole. Alors quand je ne travaille pas, quand je suis chez moi, je jouis de tout mon temps \u00e0 n\u2019en rien faire. Une fois la porte de mon appartement referm\u00e9e, je me sens soulag\u00e9. Je m\u2019allonge sur un canap\u00e9, je ferme les yeux, je me concentre sur ma respiration pour ne plus penser \u00e0 rien. Je m\u2019\u00e9vade ainsi. Je refuse de sombrer pour autant dans le mysticisme. J\u2019essaie d\u2019apprendre \u00e0 mourir, de parvenir \u00e0 ce lieu math\u00e9matique repr\u00e9sent\u00e9 par le 0, au carrefour du positif et du n\u00e9gatif. La raison est que j\u2019\u00e9prouve une peur de perdre la sensation d\u2019\u00eatre au monde, ce qui est tout \u00e0 fait absurde puisque souvent je me dis que je n\u2019y suis pas. C\u2019est peut-\u00eatre dans le fond une approche empirique des paradoxes qui m\u2019occupe, peut-\u00eatre que j\u2019imagine la mort comme un seuil, comme la vraie porte de cette vie dont je r\u00eave en vain. L\u2019art est une \u00eele lointaine dont j\u2019aime \u00e0 mes moments perdus r\u00eaver. Ou une femme. Un impossible amour. Il faut toujours que je sois d\u00e9\u00e7u pour raviver plus loin mon d\u00e9sir. Je me suis inscrit dans une \u00e9cole pour apprendre ce que les gens nomment l\u2019art. Je n\u2019ai rien appris que ce que je ne savais d\u00e9j\u00e0. Que l\u2019art n\u2019est pas de l\u2019homme, que c\u2019est de l\u00e0 que provient toute la confusion, et certainement l\u2019idiotie. J\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 de tourner le dos \u00e0 mes ma\u00eetres. J\u2019ai dit que l\u2019art me traverserait si je devenais suffisamment transparent. Je l\u2019ai dit dans le temps, comme on allume une m\u00e8che suffisamment longue. L\u2019explosion s\u2019effectue par paliers, par d\u00e9cennie. Chaque \u00e9tape emporte une partie de la poussi\u00e8re d\u00e9pos\u00e9e sur les yeux depuis que l\u2019on fr\u00e9quente le monde des hommes. Chaque explosion fait \u00e9crouler les piliers un \u00e0 un de cette absurdit\u00e9 que l\u2019on a fait de l\u2019art au cours des si\u00e8cles. On ne d\u00e9cide pas de faire de l\u2019art, c\u2019est la vie ou la mort qui d\u00e9cident que tu es assez effac\u00e9, transparent pour te traverser. La n\u00e9cessit\u00e9 se situe dans la volont\u00e9 de transparence, pas dans le d\u00e9sir de faire de l\u2019art. Je suis seul et \u00e7a me va. Comme un gant. Un gant jet\u00e9 \u00e0 la figure du monde. Demain \u00e0 l\u2019aube, au chant du coq. Je suis devenu l\u2019enfant que je n\u2019ai pas pu \u00eatre. Je sais \u00e0 pr\u00e9sent dire oui, dire non, je n\u2019ai nul besoin d\u2019y r\u00e9fl\u00e9chir pour en d\u00e9cider. Je ne peins presque plus que lorsque je me sens requis \u00e0 le faire. Je ne cherche ni gloire, ni argent, ni post\u00e9rit\u00e9. Juste \u00e0 \u00e9mettre la note juste sur le silence que j\u2019ai construit avec t\u00e9nacit\u00e9 et parfois un peu de chance. Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il marchait les bras ballants, il voulait que le ruisseau soit une rivi\u00e8re, la rivi\u00e8re un fleuve, et cette flaque d\u2019eau, la mer. Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il ne savait pas qu\u2019il \u00e9tait enfant, tout pour lui avait une \u00e2me, et toutes les \u00e2mes \u00e9taient une. Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il n\u2019avait d\u2019opinion sur rien, il n\u2019avait pas d\u2019habitudes, il s\u2019asseyait en tailleur, partait en courant, avait une m\u00e8che rebelle, et ne prenait pas de pose pour la photo. Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, c\u2019\u00e9tait le temps des questions suivantes : Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas l\u00e0 ? Quand commence le temps et o\u00f9 finit l\u2019espace ? La vie sous le soleil n\u2019est-elle pas un r\u00eave ? Ce que je vois, entends et sens, n\u2019est-ce pas simplement l\u2019apparence d\u2019un monde devant le monde ? Le mal existe-t-il vraiment et y a-t-il des gens qui sont vraiment les mauvais ? Comment se fait-il que moi, qui suis moi, avant de devenir, je n\u2019\u00e9tais pas et qu\u2019un jour moi, qui suis moi, je ne serai plus ce moi que je suis ? Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, \u00e7a lui arrivait de manger une pomme, et ce n\u2019est plus maintenant, morsure apr\u00e8s morsure, que \u00e7a lui arrivait. Quand l\u2019enfant \u00e9tait enfant, les baies tombaient dans sa main, comme seules des baies tombent dans une main, et c\u2019est encore le cas maintenant. Les noix fra\u00eeches lui faisaient une langue rapeuse, et c\u2019est encore le cas maintenant. Sur chaque montagne, il avait la nostalgie d\u2019une montagne encore plus haute, et dans chaque ville, il avait la nostalgie d\u2019une ville encore plus grande, et c\u2019est encore le cas maintenant. Il atteignait les cimes des arbres pour cueillir des cerises, tout comme il le fait encore maintenant, il \u00e9tait effray\u00e9 par les \u00e9trangers, comme il l\u2019est encore aujourd\u2019hui, il attendait la premi\u00e8re neige, tout comme il l\u2019attend encore aujourd\u2019hui. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

je dis oui. Pourquoi pas. L\u2019id\u00e9e me vient apr\u00e8s le visionnage de la vid\u00e9o de pr\u00e9sentation, la lecture des textes de Handke, celle d\u2019inverser de paragraphe en paragraphe une soi-disant « r\u00e9v\u00e9lation » personnelle, singuli\u00e8re, bizarre en une narration qui exclurait toute particularit\u00e9, pour revenir \u00e0 une sorte d\u2019anonymat, afin de n\u2019\u00eatre -plus rien d\u2019autre- voix parmi toutes les autres voix. Un \u00e9change de mail, c\u2019est parti.<\/p>\n

On finit par succomber. Sous les mots d\u2019ordre. Encore plus facilement, plus inconsciemment qu\u2019on aura voulu r\u00e9sister afin de les \u00e9viter. Comme si \u2013 l\u2019information- disposait de tout son temps, \u00e9tait dot\u00e9e d\u2019une sorte d\u2019autonomie, d\u2019une patience infinie pour trouver la faille. Tout ce qui reste \u00e0 la fin de ce parcours de b\u00e9gaiement, c\u2019est la n\u00e9cessit\u00e9, c\u2019est ce que l\u2019on esp\u00e8re conserver. Et grand effroi parfois qu\u2019elle ne soit une illusion aussi. Une raison d\u2019\u00eatre, pos\u00e9e sur l\u2019innommable comme un pansement sur une plaie vive. Et bien qu\u2019on ne sache ni pourquoi ni comment, on sait seulement qu\u2019elle veut rester vive.<\/p>\n

Cette n\u00e9cessit\u00e9 doit bien se situer quelque part en ces lieux, en ces temps. Et l\u2019\u00e9crire est ce moyen , comme le moyeu d\u2019une roue, l\u2019axe d\u2019un cercle, si possible pas trop excentrique, un axe pas trop tar\u00e9, permettant, aidant, poussant, \u00e0 la d\u00e9possession de soi-m\u00eame ( encore que je ne sois pas certain qu\u2019il s\u2019agisse du bon terme. Ordinairement il est possible qu\u2019on confonde le personnage comme un f\u00e2cheux, un g\u00eaneur, un emmerdeur et, une fois qu\u2019on a fait le tour complet des substantifs, qu\u2019on tombe sur le pot aux roses, quelqu\u2019un ou quelque chose d\u2019insignifiant, la banalit\u00e9 tout simplement).<\/p>\n

Le premier paragraphe peut \u00eatre une prise de conscience. La possibilit\u00e9 d\u2019enfin avoir une conscience des choses \u00e0 la mani\u00e8re dont on effectue un choix. Je veux avoir conscience, non, j\u2019ai tout \u00e0 coup conscience des choses. Il est devenu urgent de prendre conscience des choses. Soudain, il s\u2019interrompt. \u00c0 soixante-quatre ans, le peintre d\u00e9tourne les yeux de son tableau. Quelque chose vient de bouger dans la p\u00e9riph\u00e9rie, au-del\u00e0. Un rayon de lumi\u00e8re tombe sur une feuille du laurier que la brise agite doucement dehors, dans la cour. Le regard, timidement, p\u00e9n\u00e8tre dans cette vision et c\u2019est comme un retour \u00e0 la maison. Sauf que cette maison, \u00e0 ma connaissance, n\u2019a jamais exist\u00e9. Il me semble que c\u2019est seulement une maison r\u00eav\u00e9e, constitu\u00e9e de bric et de broc de cet acabit-l\u00e0 tr\u00e8s exactement. Et il me suffit d\u2019en prendre conscience par la douleur voil\u00e0 tout. La douleur est un excellent conducteur de conscience. Et puis tout \u00e0 coup vers ce lieu, proche de l\u2019insoutenable, un rayon de lumi\u00e8re \u00e0 un instant T, vers quoi le regard s\u2019oriente sans raison particuli\u00e8re, ce qui l\u2019apaise grandement, comme s\u2019il avait crois\u00e9 la pr\u00e9sence de l\u2019ange. Encore une chose un \u00eatre sens\u00e9 ne pas exister comme je suis d\u00e9sormais proche de croire que je n\u2019ai jamais exist\u00e9. Tout comme le peintre. Que tout ne fut que r\u00eave cauchemar, \u00e9lucubration d\u2019oisif, d\u00e9sir d\u2019\u00e9vasion de d\u00e9linquant.<\/p>\n

Je ne sais plus rien de ce que je crus un jour savoir. J\u2019ai d\u00e9sappris avec autant de peine sinon plus que ce par quoi j\u2019ai appris. Je me suis souvenu d\u2019une phrase, je crois qu\u2019elle est log\u00e9e dans une chanson. « On se croit m\u00e8che on n\u2019est que suie ». Encore qu\u2019il s\u2019agisse encore de vanit\u00e9 lorsque je veux me dire qu\u2019 aussi loin qu\u2019il m\u2019en souvienne, et ce d\u00e8s le d\u00e9but, je su qu\u2019il devrait en \u00eatre ainsi.<\/p>\n

J\u2019ai travaill\u00e9 \u00e0 des choses insignifiantes pour pouvoir manger, me loger, m\u2019habiller, c\u2019est aussi cela la v\u00e9rit\u00e9, j\u2019ai b\u00eal\u00e9 de concert tout en r\u00e2lant en sourdine. Il ne me vient pas \u00e0 l\u2019esprit tout de suite que je suis un loup et que je peux me gaver de mouton. Je r\u00e2le au lieu de faire hou hou comme un loup. Une longue agonie \u00e0 passer, repasser \u00e0 traverser, errer, dans les travaux dits subalternes qui alternent et alternent si bien qu\u2019\u00e0 la fin ils alt\u00e8rent l\u2019\u00e2me ou la renforce, mais \u00e7a on ne peut pas le savoir \u00e0 l\u2019avance. C\u2019est un peu une loterie. Ce que l\u2019on gagne au bout, pas des millions mais une triste tranquillit\u00e9 d »esprit au mieux, au pire on se d\u00e9couvre soudain aigri, racorni. Vieux. Et bien s\u00fbr on r\u00e2lera encore plus sourdement, le loup dispara\u00eetra, on deviendra absolument abscons , incompr\u00e9hensible. Les jeunes g\u00e9n\u00e9rations vous traverseront du regard, elles ne vous verront pas, vous serez la surface un peu poussi\u00e9reuse d\u2019une vitrine d\u00e9mod\u00e9e sur laquelle tous ces jeunes gens en passant, fl\u00e2nant se mirent s\u2019admirent, c\u2019est comme \u00e7a, chacun son tour, rien \u00e0 dire.<\/p>\n

Je l\u2019ai su gr\u00e2ce au grillage s\u00e9parant nos jardins, nos maisons, je l\u2019ai su douloureusement car il fallait des autorisations. Il fallait obtenir la permission. Je l\u2019ai su que nous \u00e9tions s\u00e9par\u00e9s par des murs, des cl\u00f4tures, des \u00e2ges, des exp\u00e9riences, des r\u00f4les \u00e0 tenir, des postures, des ressentiments dont on a depuis la nuit des temps perdu la source, je l\u2019ai su par la travers\u00e9e permanente du jour ou de la nuit, des col\u00e8res ou des haines qui sont pour nous des secondes natures. Secondes pour ne plus voir les premi\u00e8res, pour les oublier, les enfouir. Que la nature premi\u00e8re ne vaut d\u2019\u00eatre fr\u00e9quent\u00e9e que lorsque l\u2019on est seul, rejet\u00e9, en marge, et que cet \u00e9cart- volontaire ou pas-peut influer sur la rapidit\u00e9 avec laquelle on la per\u00e7oit soudain. Comme un retour \u00e0 la maison, m\u00eame si \u00e0 proprement parler on n\u2019a jamais eu v\u00e9ritablement eu de toit, que les toits changent si souvent qu\u2019on se lasse de toute tentative de s\u2019y habituer pour ne pas \u00eatre d\u00e9chir\u00e9 par leur perte.<\/p>\n

Je ne me souviens plus de l\u2019instant o\u00f9 je suis venu au monde. Ni du moment sp\u00e9cial, l\u2019\u00e9tait-il vraiment ? o\u00f9 je fus con\u00e7u et m\u00eame si avant que mes os ne se forment , un dessein avait-l \u00e9t\u00e9 form\u00e9. Ma m\u00e8re avait refus\u00e9 plusieurs fois ma naissance, elle en avait surtout con\u00e7u de l\u2019inqui\u00e9tude, de tranquillit\u00e9, et ces sentiments l\u2019avaient pouss\u00e9e \u00e0 jouir d\u2019une forme \u00e9trange de culpabilit\u00e9. Cette culpabilit\u00e9 d\u2019avoir \u00e0 accepter comme de refuser de mettre un \u00eatre au monde ce qui sans cesse la tirailla, m\u00eame et surement surtout quand je fus l\u00e0 en chair et en os, braillant, mugissant, bavant, me contorsionnant, rampant, merdant, pissant, g\u00e9missant, babillant.<\/p>\n

C\u2019est lorsqu\u2019elle mourut que je compris la profondeur de l\u2019 absence. C\u2019est aussi lorsqu\u2019elle mourut que j\u2019eus vraiment l\u2019\u00e9trange sensation de na\u00eetre vraiment. comme si sa mort pr\u00e9matur\u00e9e avait \u00e9t\u00e9 une fa\u00e7on de r\u00e9parer l\u2019irr\u00e9parable, ce qu\u2019elle avait toujours imaginer \u00eatre l\u2019irr\u00e9parable. Ne vivons nous pas tous dans cette \u00e9trange notion que rien, plus rien ne peut plus \u00eatre r\u00e9par\u00e9 sauf au prix de nos vies, sauf au prix de tuer en nous dans l\u2019\u0153uf l\u2019\u00e9go\u00efsme l\u2019individualisme le capitalisme ? Depuis Auschwitz, Dachau Treblinka ne le savons nous pas ? et qu\u2019aussit\u00f4t je refusai d\u2019en faire de son absence une pr\u00e9sence. Pour ne pas \u00e9chapper \u00e0 la douleur de l\u2019absence si aigu\u00eb soit elle si f\u00e9roce, si inhumaine. Quelque chose se brisa mais c\u2019est par les d\u00e9bris que je compris qu\u2019une sorte d\u2019unit\u00e9 avait un jour exist\u00e9. Que je voulu \u00e0 cet instant pr\u00e9cis le croire, c\u2019\u00e9tait cela que je nommais n\u00e9cessit\u00e9. C\u2019\u00e9tait si surprenant de tomber dessus comme au d\u00e9tour d\u2019une rue en ville. Il faut que je perde les choses et les \u00eatres pour sentir \u00e0 rebours qu\u2019ils furent l\u00e0 tr\u00e8s r\u00e9els. En contrepartie, peu \u00e0 peu ; je disparais en temps moi aussi \u00e0 l\u2019instar d\u2019une construction irr\u00e9elle.<\/p>\n

Je crois que mon p\u00e8re aussi s\u2019aper\u00e7ut qu\u2019il avait eu une femme \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s lorsque il ne la vit plus. Qu\u2019il continua de marcher comme les personnages de ces dessins anim\u00e9s vous savez parce qu\u2019il avait prit simplement l\u2019habitude de marcher comme d\u2019endurer tout ce qui peut se produire dans la vie d\u2019un homme. Parce que lui aussi avait appris cette seconde nature, celle qui consiste \u00e0 enfouir la premi\u00e8re, sauf quand soudain il ne le pouvait plus, qu\u2019il devenait le diable lui-m\u00eame, et tous les ogres, et tous les monstres que l\u2019enfant rencontrait dans ses cauchemars.<\/p>\n

Je crois que mon p\u00e8re voulut ma mort mille fois et en cela il fut v\u00e9ritablement un p\u00e8re. Chaque id\u00e9e du peintre se pr\u00e9sentant \u00e0 son esprit il la caressa un instant, parfois quelques jours, une semaine, un mois puis il la brisa pour ne pas s\u2019arr\u00eater \u00e0 une simple id\u00e9e toute faite. Il voulait, il voulait sans accepter de dire clairement quoi. Il voulait c\u2019est ce que j\u2019en retiens comme lui avait voulu. Il voulait pr\u00e9server une sorte de flamme, la transmettre mais il ne savait pas comment faire car on ne lui avait pas transmise \u00e0 lui, ou si maladroitement. Ou si peu \u00e9clairante, si peu chaleureuse, qu\u2019il dut d\u2019abord inventer la flamme pour lui-m\u00eame. Il savait \u00e0 la fin qu\u2019on ne fait jamais autre chose que de s\u2019inventer cette flamme , que la transmettre ne servait \u00e0 rien. Il voulait, il voulait il le d\u00e9sirait du plus profond de lui je crois, il voulait que j\u2019invente ma propre flamme et peu en fin de compte lui importait qu\u2019elle fut aussi froide, si peu \u00e9clairante que celle qui avait autrefois re\u00e7u en legs.<\/p>\n

la litanie convient jusqu\u2019\u00e0 ce moment o\u00f9 elle ne convient plus. Quand la fus\u00e9e s\u2019\u00e9l\u00e8ve, qu\u2019elle a vid\u00e9 la plus grande partie de son carburant une r\u00e9action hypergolique lui permet de s\u2019extraire de la gravit\u00e9. On r\u00e9ajuste un peu son chapeau sur la t\u00eate, on remercie, si possible on est simple, et on fait quelques pas loin du mur, la lamentation s\u2019ach\u00e8ve. Elle a perdu soudain sa raison d\u2019\u00eatre. On a pris soudain conscience du m\u00e9canisme, on \u00e9volue dans l\u2019espace intersid\u00e9ral. J\u2019\u00e9vite l\u2019incipit. Je ne sais plus la cause, ni si cela est facile ou trop spontan\u00e9. Je louche. Les premiers mots se cachent quelque part dans l\u2019un de ces paragraphes. Je ne sais pas encore qui ils sont, je ne les cherche pas. Ce que je sais c\u2019est que tout ce qui tourne fait un cercle autour d\u2019un centre, que sit\u00f4t que l\u2019on se fait une id\u00e9e de ce centre il s\u2019\u00e9vanouit. Je ne veux pas je ne veux pas je ne veux pas est l\u2019exact pendant d\u2019un je veux je veux je veux et tout \u00e7a forme un cercle qui me d\u00e9borde et dont je n\u2019ose m\u00eame plus penser \u00eatre au centre.<\/p>\n

La r\u00e9gion Centre est inscrite sur le manuel de g\u00e9ographie de la France, l\u2019Allier et le Cher en font partie. Ce sont des mots qui ressemblent \u00e0 d\u2019autres mots, que l\u2019on imagine fonctionnels, mais qui laissent des traces ind\u00e9l\u00e9biles n\u00e9anmoins sans qu\u2019on en sache vraiment pourquoi. Comme si deux mondes se superposent, comme si le sens premier se superpose au sens profane ou vice versa. Et mon quartier se nomme la Grave. Comme un accent grave d\u00e9pos\u00e9 sur le a muet du monde qui m\u2019entoure. L\u2019Aleph ne se pr\u00e9sente pas comme joyeux, il faut le ranimer pensai-je. Repeindre tout le d\u00e9cor du ciel et celui des galeries, des tunnels et des caves. Le peintre est un enfant dans le regard duquel tout le grave est entr\u00e9 comme du plomb qu\u2019il doit chauff\u00e9 \u00e0 blanc, et, si possible avec l\u2019aide du mercure, le transmuter en or. Le peintre est cet enfant, il est d\u00e9j\u00e0 alchimiste et il ne le sait pas encore.<\/p>\n

La source se tarit mille fois pour nous rappeler \u00e0 notre d\u00e9sir de source. J\u2019\u00e9cris comme je respire et peut-\u00eatre est-il le moment d\u2019\u00e9touffer, de manquer d\u2019oxyg\u00e8ne, de s\u2019enfouir bravement encore dans la journ\u00e9e. Ceci n\u2019est pas un texte d\u00e9finitif. C\u2019est un d\u00e9but.<\/p>\n

«  » Lorsque l\u2019enfant \u00e9tait enfant,
\nil ne savait pas qu\u2019il \u00e9tait enfant,
\ntout avait une \u00e2me pour lui
\net toutes les \u00e2mes \u00e9taient une. » (Peter Handke, L\u2019enfant)<\/p>\n

Cet apr\u00e8s-midi je propose de revenir encore une fois sur la peinture abstraite en prenant le pr\u00e9texte des fleurs, une sorte de synth\u00e8se si l\u2019on veut \u00e0 partir des exercices sur Joan Mitchell et Georgia O Keeffe. Il y a quelque chose \u00e0 apprendre entre l\u2019apparent l\u00e2cher-prise et l\u2019apparente rigueur des teintes et des model\u00e9s, une sorte d\u2019entre-deux qui est une sorte d\u2019\u00e9quation \u00e0 r\u00e9soudre en ce moment\u2026<\/p>", "content_text": "je dis oui. Pourquoi pas. L\u2019id\u00e9e me vient apr\u00e8s le visionnage de la vid\u00e9o de pr\u00e9sentation, la lecture des textes de Handke, celle d\u2019inverser de paragraphe en paragraphe une soi-disant \u00ab r\u00e9v\u00e9lation \u00bb personnelle, singuli\u00e8re, bizarre en une narration qui exclurait toute particularit\u00e9, pour revenir \u00e0 une sorte d\u2019anonymat, afin de n\u2019\u00eatre -plus rien d\u2019autre- voix parmi toutes les autres voix. Un \u00e9change de mail, c\u2019est parti. On finit par succomber. Sous les mots d\u2019ordre. Encore plus facilement, plus inconsciemment qu\u2019on aura voulu r\u00e9sister afin de les \u00e9viter. Comme si \u2013 l\u2019information- disposait de tout son temps, \u00e9tait dot\u00e9e d\u2019une sorte d\u2019autonomie, d\u2019une patience infinie pour trouver la faille. Tout ce qui reste \u00e0 la fin de ce parcours de b\u00e9gaiement, c\u2019est la n\u00e9cessit\u00e9, c\u2019est ce que l\u2019on esp\u00e8re conserver. Et grand effroi parfois qu\u2019elle ne soit une illusion aussi. Une raison d\u2019\u00eatre, pos\u00e9e sur l\u2019innommable comme un pansement sur une plaie vive. Et bien qu\u2019on ne sache ni pourquoi ni comment, on sait seulement qu\u2019elle veut rester vive. Cette n\u00e9cessit\u00e9 doit bien se situer quelque part en ces lieux, en ces temps. Et l\u2019\u00e9crire est ce moyen , comme le moyeu d\u2019une roue, l\u2019axe d\u2019un cercle, si possible pas trop excentrique, un axe pas trop tar\u00e9, permettant, aidant, poussant, \u00e0 la d\u00e9possession de soi-m\u00eame ( encore que je ne sois pas certain qu\u2019il s\u2019agisse du bon terme. Ordinairement il est possible qu\u2019on confonde le personnage comme un f\u00e2cheux, un g\u00eaneur, un emmerdeur et, une fois qu\u2019on a fait le tour complet des substantifs, qu\u2019on tombe sur le pot aux roses, quelqu\u2019un ou quelque chose d\u2019insignifiant, la banalit\u00e9 tout simplement). Le premier paragraphe peut \u00eatre une prise de conscience. La possibilit\u00e9 d\u2019enfin avoir une conscience des choses \u00e0 la mani\u00e8re dont on effectue un choix. Je veux avoir conscience, non, j\u2019ai tout \u00e0 coup conscience des choses. Il est devenu urgent de prendre conscience des choses. Soudain, il s\u2019interrompt. \u00c0 soixante-quatre ans, le peintre d\u00e9tourne les yeux de son tableau. Quelque chose vient de bouger dans la p\u00e9riph\u00e9rie, au-del\u00e0. Un rayon de lumi\u00e8re tombe sur une feuille du laurier que la brise agite doucement dehors, dans la cour. Le regard, timidement, p\u00e9n\u00e8tre dans cette vision et c\u2019est comme un retour \u00e0 la maison. Sauf que cette maison, \u00e0 ma connaissance, n\u2019a jamais exist\u00e9. Il me semble que c\u2019est seulement une maison r\u00eav\u00e9e, constitu\u00e9e de bric et de broc de cet acabit-l\u00e0 tr\u00e8s exactement. Et il me suffit d\u2019en prendre conscience par la douleur voil\u00e0 tout. La douleur est un excellent conducteur de conscience. Et puis tout \u00e0 coup vers ce lieu, proche de l\u2019insoutenable, un rayon de lumi\u00e8re \u00e0 un instant T, vers quoi le regard s\u2019oriente sans raison particuli\u00e8re, ce qui l\u2019apaise grandement, comme s\u2019il avait crois\u00e9 la pr\u00e9sence de l\u2019ange. Encore une chose un \u00eatre sens\u00e9 ne pas exister comme je suis d\u00e9sormais proche de croire que je n\u2019ai jamais exist\u00e9. Tout comme le peintre. Que tout ne fut que r\u00eave cauchemar, \u00e9lucubration d\u2019oisif, d\u00e9sir d\u2019\u00e9vasion de d\u00e9linquant. Je ne sais plus rien de ce que je crus un jour savoir. J\u2019ai d\u00e9sappris avec autant de peine sinon plus que ce par quoi j\u2019ai appris. Je me suis souvenu d\u2019une phrase, je crois qu\u2019elle est log\u00e9e dans une chanson. \u00ab On se croit m\u00e8che on n\u2019est que suie \u00bb. Encore qu\u2019il s\u2019agisse encore de vanit\u00e9 lorsque je veux me dire qu\u2019 aussi loin qu\u2019il m\u2019en souvienne, et ce d\u00e8s le d\u00e9but, je su qu\u2019il devrait en \u00eatre ainsi. J\u2019ai travaill\u00e9 \u00e0 des choses insignifiantes pour pouvoir manger, me loger, m\u2019habiller, c\u2019est aussi cela la v\u00e9rit\u00e9, j\u2019ai b\u00eal\u00e9 de concert tout en r\u00e2lant en sourdine. Il ne me vient pas \u00e0 l\u2019esprit tout de suite que je suis un loup et que je peux me gaver de mouton. Je r\u00e2le au lieu de faire hou hou comme un loup. Une longue agonie \u00e0 passer, repasser \u00e0 traverser, errer, dans les travaux dits subalternes qui alternent et alternent si bien qu\u2019\u00e0 la fin ils alt\u00e8rent l\u2019\u00e2me ou la renforce, mais \u00e7a on ne peut pas le savoir \u00e0 l\u2019avance. C\u2019est un peu une loterie. Ce que l\u2019on gagne au bout, pas des millions mais une triste tranquillit\u00e9 d \u00bbesprit au mieux, au pire on se d\u00e9couvre soudain aigri, racorni. Vieux. Et bien s\u00fbr on r\u00e2lera encore plus sourdement, le loup dispara\u00eetra, on deviendra absolument abscons , incompr\u00e9hensible. Les jeunes g\u00e9n\u00e9rations vous traverseront du regard, elles ne vous verront pas, vous serez la surface un peu poussi\u00e9reuse d\u2019une vitrine d\u00e9mod\u00e9e sur laquelle tous ces jeunes gens en passant, fl\u00e2nant se mirent s\u2019admirent, c\u2019est comme \u00e7a, chacun son tour, rien \u00e0 dire. Je l\u2019ai su gr\u00e2ce au grillage s\u00e9parant nos jardins, nos maisons, je l\u2019ai su douloureusement car il fallait des autorisations. Il fallait obtenir la permission. Je l\u2019ai su que nous \u00e9tions s\u00e9par\u00e9s par des murs, des cl\u00f4tures, des \u00e2ges, des exp\u00e9riences, des r\u00f4les \u00e0 tenir, des postures, des ressentiments dont on a depuis la nuit des temps perdu la source, je l\u2019ai su par la travers\u00e9e permanente du jour ou de la nuit, des col\u00e8res ou des haines qui sont pour nous des secondes natures. Secondes pour ne plus voir les premi\u00e8res, pour les oublier, les enfouir. Que la nature premi\u00e8re ne vaut d\u2019\u00eatre fr\u00e9quent\u00e9e que lorsque l\u2019on est seul, rejet\u00e9, en marge, et que cet \u00e9cart- volontaire ou pas-peut influer sur la rapidit\u00e9 avec laquelle on la per\u00e7oit soudain. Comme un retour \u00e0 la maison, m\u00eame si \u00e0 proprement parler on n\u2019a jamais eu v\u00e9ritablement eu de toit, que les toits changent si souvent qu\u2019on se lasse de toute tentative de s\u2019y habituer pour ne pas \u00eatre d\u00e9chir\u00e9 par leur perte. Je ne me souviens plus de l\u2019instant o\u00f9 je suis venu au monde. Ni du moment sp\u00e9cial, l\u2019\u00e9tait-il vraiment ? o\u00f9 je fus con\u00e7u et m\u00eame si avant que mes os ne se forment , un dessein avait-l \u00e9t\u00e9 form\u00e9. Ma m\u00e8re avait refus\u00e9 plusieurs fois ma naissance, elle en avait surtout con\u00e7u de l\u2019inqui\u00e9tude, de tranquillit\u00e9, et ces sentiments l\u2019avaient pouss\u00e9e \u00e0 jouir d\u2019une forme \u00e9trange de culpabilit\u00e9. Cette culpabilit\u00e9 d\u2019avoir \u00e0 accepter comme de refuser de mettre un \u00eatre au monde ce qui sans cesse la tirailla, m\u00eame et surement surtout quand je fus l\u00e0 en chair et en os, braillant, mugissant, bavant, me contorsionnant, rampant, merdant, pissant, g\u00e9missant, babillant. C\u2019est lorsqu\u2019elle mourut que je compris la profondeur de l\u2019 absence. C\u2019est aussi lorsqu\u2019elle mourut que j\u2019eus vraiment l\u2019\u00e9trange sensation de na\u00eetre vraiment. comme si sa mort pr\u00e9matur\u00e9e avait \u00e9t\u00e9 une fa\u00e7on de r\u00e9parer l\u2019irr\u00e9parable, ce qu\u2019elle avait toujours imaginer \u00eatre l\u2019irr\u00e9parable. Ne vivons nous pas tous dans cette \u00e9trange notion que rien, plus rien ne peut plus \u00eatre r\u00e9par\u00e9 sauf au prix de nos vies, sauf au prix de tuer en nous dans l\u2019\u0153uf l\u2019\u00e9go\u00efsme l\u2019individualisme le capitalisme ? Depuis Auschwitz, Dachau Treblinka ne le savons nous pas ? et qu\u2019aussit\u00f4t je refusai d\u2019en faire de son absence une pr\u00e9sence. Pour ne pas \u00e9chapper \u00e0 la douleur de l\u2019absence si aigu\u00eb soit elle si f\u00e9roce, si inhumaine. Quelque chose se brisa mais c\u2019est par les d\u00e9bris que je compris qu\u2019une sorte d\u2019unit\u00e9 avait un jour exist\u00e9. Que je voulu \u00e0 cet instant pr\u00e9cis le croire, c\u2019\u00e9tait cela que je nommais n\u00e9cessit\u00e9. C\u2019\u00e9tait si surprenant de tomber dessus comme au d\u00e9tour d\u2019une rue en ville. Il faut que je perde les choses et les \u00eatres pour sentir \u00e0 rebours qu\u2019ils furent l\u00e0 tr\u00e8s r\u00e9els. En contrepartie, peu \u00e0 peu ; je disparais en temps moi aussi \u00e0 l\u2019instar d\u2019une construction irr\u00e9elle. Je crois que mon p\u00e8re aussi s\u2019aper\u00e7ut qu\u2019il avait eu une femme \u00e0 ses c\u00f4t\u00e9s lorsque il ne la vit plus. Qu\u2019il continua de marcher comme les personnages de ces dessins anim\u00e9s vous savez parce qu\u2019il avait prit simplement l\u2019habitude de marcher comme d\u2019endurer tout ce qui peut se produire dans la vie d\u2019un homme. Parce que lui aussi avait appris cette seconde nature, celle qui consiste \u00e0 enfouir la premi\u00e8re, sauf quand soudain il ne le pouvait plus, qu\u2019il devenait le diable lui-m\u00eame, et tous les ogres, et tous les monstres que l\u2019enfant rencontrait dans ses cauchemars. Je crois que mon p\u00e8re voulut ma mort mille fois et en cela il fut v\u00e9ritablement un p\u00e8re. Chaque id\u00e9e du peintre se pr\u00e9sentant \u00e0 son esprit il la caressa un instant, parfois quelques jours, une semaine, un mois puis il la brisa pour ne pas s\u2019arr\u00eater \u00e0 une simple id\u00e9e toute faite. Il voulait, il voulait sans accepter de dire clairement quoi. Il voulait c\u2019est ce que j\u2019en retiens comme lui avait voulu. Il voulait pr\u00e9server une sorte de flamme, la transmettre mais il ne savait pas comment faire car on ne lui avait pas transmise \u00e0 lui, ou si maladroitement. Ou si peu \u00e9clairante, si peu chaleureuse, qu\u2019il dut d\u2019abord inventer la flamme pour lui-m\u00eame. Il savait \u00e0 la fin qu\u2019on ne fait jamais autre chose que de s\u2019inventer cette flamme , que la transmettre ne servait \u00e0 rien. Il voulait, il voulait il le d\u00e9sirait du plus profond de lui je crois, il voulait que j\u2019invente ma propre flamme et peu en fin de compte lui importait qu\u2019elle fut aussi froide, si peu \u00e9clairante que celle qui avait autrefois re\u00e7u en legs. la litanie convient jusqu\u2019\u00e0 ce moment o\u00f9 elle ne convient plus. Quand la fus\u00e9e s\u2019\u00e9l\u00e8ve, qu\u2019elle a vid\u00e9 la plus grande partie de son carburant une r\u00e9action hypergolique lui permet de s\u2019extraire de la gravit\u00e9. On r\u00e9ajuste un peu son chapeau sur la t\u00eate, on remercie, si possible on est simple, et on fait quelques pas loin du mur, la lamentation s\u2019ach\u00e8ve. Elle a perdu soudain sa raison d\u2019\u00eatre. On a pris soudain conscience du m\u00e9canisme, on \u00e9volue dans l\u2019espace intersid\u00e9ral. J\u2019\u00e9vite l\u2019incipit. Je ne sais plus la cause, ni si cela est facile ou trop spontan\u00e9. Je louche. Les premiers mots se cachent quelque part dans l\u2019un de ces paragraphes. Je ne sais pas encore qui ils sont, je ne les cherche pas. Ce que je sais c\u2019est que tout ce qui tourne fait un cercle autour d\u2019un centre, que sit\u00f4t que l\u2019on se fait une id\u00e9e de ce centre il s\u2019\u00e9vanouit. Je ne veux pas je ne veux pas je ne veux pas est l\u2019exact pendant d\u2019un je veux je veux je veux et tout \u00e7a forme un cercle qui me d\u00e9borde et dont je n\u2019ose m\u00eame plus penser \u00eatre au centre. La r\u00e9gion Centre est inscrite sur le manuel de g\u00e9ographie de la France, l\u2019Allier et le Cher en font partie. Ce sont des mots qui ressemblent \u00e0 d\u2019autres mots, que l\u2019on imagine fonctionnels, mais qui laissent des traces ind\u00e9l\u00e9biles n\u00e9anmoins sans qu\u2019on en sache vraiment pourquoi. Comme si deux mondes se superposent, comme si le sens premier se superpose au sens profane ou vice versa. Et mon quartier se nomme la Grave. Comme un accent grave d\u00e9pos\u00e9 sur le a muet du monde qui m\u2019entoure. L\u2019Aleph ne se pr\u00e9sente pas comme joyeux, il faut le ranimer pensai-je. Repeindre tout le d\u00e9cor du ciel et celui des galeries, des tunnels et des caves. Le peintre est un enfant dans le regard duquel tout le grave est entr\u00e9 comme du plomb qu\u2019il doit chauff\u00e9 \u00e0 blanc, et, si possible avec l\u2019aide du mercure, le transmuter en or. Le peintre est cet enfant, il est d\u00e9j\u00e0 alchimiste et il ne le sait pas encore. La source se tarit mille fois pour nous rappeler \u00e0 notre d\u00e9sir de source. J\u2019\u00e9cris comme je respire et peut-\u00eatre est-il le moment d\u2019\u00e9touffer, de manquer d\u2019oxyg\u00e8ne, de s\u2019enfouir bravement encore dans la journ\u00e9e. Ceci n\u2019est pas un texte d\u00e9finitif. C\u2019est un d\u00e9but. \u00ab \u00bb Lorsque l\u2019enfant \u00e9tait enfant, il ne savait pas qu\u2019il \u00e9tait enfant, tout avait une \u00e2me pour lui et toutes les \u00e2mes \u00e9taient une. \u00bb (Peter Handke, L\u2019enfant) Cet apr\u00e8s-midi je propose de revenir encore une fois sur la peinture abstraite en prenant le pr\u00e9texte des fleurs, une sorte de synth\u00e8se si l\u2019on veut \u00e0 partir des exercices sur Joan Mitchell et Georgia O Keeffe. Il y a quelque chose \u00e0 apprendre entre l\u2019apparent l\u00e2cher-prise et l\u2019apparente rigueur des teintes et des model\u00e9s, une sorte d\u2019entre-deux qui est une sorte d\u2019\u00e9quation \u00e0 r\u00e9soudre en ce moment\u2026", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/image.webp?1748065093", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-juin-2024.html", "title": "19 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:49:02Z", "date_modified": "2025-09-18T15:41:49Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Une semaine d\u2019avance. j\u2019\u00e9cris la nuit du 13 juin ce qui ne sera publi\u00e9 que le 19. Est-ce que je m\u2019\u00e9conomise ainsi, ou l\u2019\u00e9ventuel lecteur, ( j\u2019allais prendre des pr\u00e9cautions et ajouter lectrice, puis j\u2019y renonce ) d\u2019ailleurs je renonce \u00e0 finir aussi cette phrase. Je la laisse en suspension.<\/p>\n

Ce que je ne lis pas tombe dans l\u2019oubli. Une fois le livre referm\u00e9 que se passe t\u2019il, o\u00f9 vont les mots, les phrases que je ne lis pas, que je ne lis plus. Il est pratique de penser que d\u2019autres s\u2019en empareront, mais ce n\u2019est pas \u00e7a. Je veux parler de cette partie de soi qui dispara\u00eet avec, une partie en chantier port\u00e9e par l\u2019avanc\u00e9e du texte, et qui devient un chantier \u00e0 l\u2019abandon.<\/p>\n

Bien s\u00fbr il est possible de reprendre le livre l\u00e0 o\u00f9 l\u2019on s\u2019\u00e9tait interrompu. Mais est-on certain de retrouver le m\u00eame chantier, de ne pas se tromper de chantier ?<\/p>\n

Glaner, ce qui reste une fois la moisson termin\u00e9e, c\u2019est \u00e0 dire la journ\u00e9e fauch\u00e9e. J\u2019essaie de tendre l\u2019oreille vers des sons particuliers , des sons qui auraient \u00e0 un moment ou l\u2019autre attir\u00e9 vraiment l\u2019attention. Le son d\u2019une perceuse pendant que j\u2019effectuais une conf\u00e9rence sur la peinture \u00e0 des CP. Plus tard j\u2019ai ouvert la porte fen\u00eatre, le vent traversait les feuillages des tilleuls, et ma voix soudain qui disait aux \u00e9l\u00e8ves il est beau ce tilleul vous l\u2019avez regard\u00e9, et l\u2019absence de r\u00e9ponse.<\/p>\n

J\u2019entends aussi cette remarque concernant le fait que si M.B. n\u2019avait pas sauv\u00e9 les carnets de F.K personne ne saurait qui \u00e9tait F.K. Le monde tournerait, il n\u2019y aurait pas de manque av\u00e9r\u00e9. On s\u2019imaginerait qu\u2019il n\u2019y a pas de manque parce que sinon on ne verrait que \u00e7a, partout.<\/p>\n

Que R.G ait pu \u00eatre conseiller sp\u00e9cial de 2009 \u00e0 2012 de Mikheil Saakachvili, pr\u00e9sident n\u00e9olib\u00e9ral de la G\u00e9orgie \u00e9tat fasciste et qu\u2019il soit d\u00e9sormais l\u2019un des t\u00e9nors d\u2019une coalition de gauche qui ne semble pas tr\u00e8s bien partie pour coaguler, me fait hausser les sourcils.<\/p>\n

Que J.B ait pu \u00eatre un youtubeur partageant ses prouesses en jeux vid\u00e9os dans un appartement miteux du 93 ne m\u2019\u00e9meut pas, pas plus que \u00e7a n\u2019\u00e9loigne l\u2019impression de coquille vide.<\/p>\n

Que ces deux l\u00e0 soient en t\u00eate de peloton me donne la chair de poule.<\/p>\n

Le vide voil\u00e0 bien le personnage principal d\u2019une histoire politique qui s\u2019\u00e9tend pour ma part des ann\u00e9es 60 \u00e0 aujourd\u2019hui. Le vide et l\u2019odeur de la soupe. Et puis De Gaulle qui \u00e9crit comme Corneille, les \u00e9poques mentales qui s\u2019entrem\u00ealent. un sursaut dans le r\u00eave vers 68, un long sommeil, des digestions qui deviennent de plus en plus difficiles apr\u00e8s les 30 glorieuses.<\/p>\n

Une chose \u00e0 savoir c\u2019est que les africains paient depuis tr\u00e8s longtemps leurs factures de gaz avec leurs mobiles. Depuis plus longtemps que les estoniens. C\u2019est qu\u2019il fut certainement plus pratique de passer du t\u00e9l\u00e9phone arabe au portable, les co\u00fbts des infrastructures dont nous b\u00e9n\u00e9ficions nous, europ\u00e9ens, leur \u00e9tant exorbitants.<\/p>\n

A ce propos, quand on pense \u00e0 tout ce que les g\u00e9n\u00e9rations ont d\u00fb payer pour les routes les autoroutes, les transports particuliers comme communs ; il peut arriver de trouver obsc\u00e8ne le co\u00fbt des p\u00e9ages, comme le co\u00fbt du gaz, de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9.<\/p>\n

au bout du compte le d\u00e9sint\u00e9r\u00eat pour la politique est in\u00e9luctable, il est voulu. Tellement d\u00e9go\u00fbt\u00e9 blas\u00e9 \u00e9c\u0153ur\u00e9 que les bras nous en tombent. D\u2019autres ne se g\u00eanent pas alors d\u2019en profiter. N\u2019importe quel autre. La mafia n\u2019ag\u00eet pas autrement dans les terres pauvres.<\/p>\n

Passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019une n\u00e9cessit\u00e9, comme celle de vouloir devoir \u00e9crire quelque chose, c\u2019est s\u2019\u00e9parpiller comme je le fais aujourd\u2019hui. Je vois bien la n\u00e9cessit\u00e9, elle croise les bras en me toisant, l\u2019air un peu hautain, voire m\u00e9prisant.<\/p>\n

D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9 lorsque on se soumet pieds et poings li\u00e9s \u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9, \u00e7a n\u2019apporte rien de bon non plus, j\u2019ai test\u00e9.<\/p>\n

Que deviennent les autres quand on tourne les talons qu\u2019on ne les voit plus. Il y a forc\u00e9ment des existences parall\u00e8les que nous menons en creux, avec ou sans les autres.<\/p>\n

Et si vous reveniez \u00e0 l\u2019\u00e9motion que vous \u00e9prouviez enfant \u00e0 relire le m\u00eame conte \u00e0 \u00e9couter la m\u00eame ritournelle, leur ai-je propos\u00e9 comme exercice. Ils l\u2019ont fait sans regimber. Il n\u2019y avait pas de bruit, \u00e0 peine le bruit des moteurs dehors, dans la rue, ils \u00e9taient si absorb\u00e9s, comme si j\u2019avais perc\u00e9 un tunnel dans un mur et que j\u2019avais tapot\u00e9 des \u00e9paules en l\u00e2chant go go go.<\/p>\n

J\u2019ai pens\u00e9 qu\u2019ils auraient pu se r\u00e9volter, qu\u2019ils allaient le faire, mais non.<\/p>", "content_text": "Une semaine d\u2019avance. j\u2019\u00e9cris la nuit du 13 juin ce qui ne sera publi\u00e9 que le 19. Est-ce que je m\u2019\u00e9conomise ainsi, ou l\u2019\u00e9ventuel lecteur, ( j\u2019allais prendre des pr\u00e9cautions et ajouter lectrice, puis j\u2019y renonce ) d\u2019ailleurs je renonce \u00e0 finir aussi cette phrase. Je la laisse en suspension. Ce que je ne lis pas tombe dans l\u2019oubli. Une fois le livre referm\u00e9 que se passe t\u2019il, o\u00f9 vont les mots, les phrases que je ne lis pas, que je ne lis plus. Il est pratique de penser que d\u2019autres s\u2019en empareront, mais ce n\u2019est pas \u00e7a. Je veux parler de cette partie de soi qui dispara\u00eet avec, une partie en chantier port\u00e9e par l\u2019avanc\u00e9e du texte, et qui devient un chantier \u00e0 l\u2019abandon. Bien s\u00fbr il est possible de reprendre le livre l\u00e0 o\u00f9 l\u2019on s\u2019\u00e9tait interrompu. Mais est-on certain de retrouver le m\u00eame chantier, de ne pas se tromper de chantier ? Glaner, ce qui reste une fois la moisson termin\u00e9e, c\u2019est \u00e0 dire la journ\u00e9e fauch\u00e9e. J\u2019essaie de tendre l\u2019oreille vers des sons particuliers , des sons qui auraient \u00e0 un moment ou l\u2019autre attir\u00e9 vraiment l\u2019attention. Le son d\u2019une perceuse pendant que j\u2019effectuais une conf\u00e9rence sur la peinture \u00e0 des CP. Plus tard j\u2019ai ouvert la porte fen\u00eatre, le vent traversait les feuillages des tilleuls, et ma voix soudain qui disait aux \u00e9l\u00e8ves il est beau ce tilleul vous l\u2019avez regard\u00e9, et l\u2019absence de r\u00e9ponse. J\u2019entends aussi cette remarque concernant le fait que si M.B. n\u2019avait pas sauv\u00e9 les carnets de F.K personne ne saurait qui \u00e9tait F.K. Le monde tournerait, il n\u2019y aurait pas de manque av\u00e9r\u00e9. On s\u2019imaginerait qu\u2019il n\u2019y a pas de manque parce que sinon on ne verrait que \u00e7a, partout. Que R.G ait pu \u00eatre conseiller sp\u00e9cial de 2009 \u00e0 2012 de Mikheil Saakachvili, pr\u00e9sident n\u00e9olib\u00e9ral de la G\u00e9orgie \u00e9tat fasciste et qu\u2019il soit d\u00e9sormais l\u2019un des t\u00e9nors d\u2019une coalition de gauche qui ne semble pas tr\u00e8s bien partie pour coaguler, me fait hausser les sourcils. Que J.B ait pu \u00eatre un youtubeur partageant ses prouesses en jeux vid\u00e9os dans un appartement miteux du 93 ne m\u2019\u00e9meut pas, pas plus que \u00e7a n\u2019\u00e9loigne l\u2019impression de coquille vide. Que ces deux l\u00e0 soient en t\u00eate de peloton me donne la chair de poule. Le vide voil\u00e0 bien le personnage principal d\u2019une histoire politique qui s\u2019\u00e9tend pour ma part des ann\u00e9es 60 \u00e0 aujourd\u2019hui. Le vide et l\u2019odeur de la soupe. Et puis De Gaulle qui \u00e9crit comme Corneille, les \u00e9poques mentales qui s\u2019entrem\u00ealent. un sursaut dans le r\u00eave vers 68, un long sommeil, des digestions qui deviennent de plus en plus difficiles apr\u00e8s les 30 glorieuses. Une chose \u00e0 savoir c\u2019est que les africains paient depuis tr\u00e8s longtemps leurs factures de gaz avec leurs mobiles. Depuis plus longtemps que les estoniens. C\u2019est qu\u2019il fut certainement plus pratique de passer du t\u00e9l\u00e9phone arabe au portable, les co\u00fbts des infrastructures dont nous b\u00e9n\u00e9ficions nous, europ\u00e9ens, leur \u00e9tant exorbitants. A ce propos, quand on pense \u00e0 tout ce que les g\u00e9n\u00e9rations ont d\u00fb payer pour les routes les autoroutes, les transports particuliers comme communs; il peut arriver de trouver obsc\u00e8ne le co\u00fbt des p\u00e9ages, comme le co\u00fbt du gaz, de l\u2019\u00e9lectricit\u00e9. au bout du compte le d\u00e9sint\u00e9r\u00eat pour la politique est in\u00e9luctable, il est voulu. Tellement d\u00e9go\u00fbt\u00e9 blas\u00e9 \u00e9c\u0153ur\u00e9 que les bras nous en tombent. D\u2019autres ne se g\u00eanent pas alors d\u2019en profiter. N\u2019importe quel autre. La mafia n\u2019ag\u00eet pas autrement dans les terres pauvres. Passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d\u2019une n\u00e9cessit\u00e9, comme celle de vouloir devoir \u00e9crire quelque chose, c\u2019est s\u2019\u00e9parpiller comme je le fais aujourd\u2019hui. Je vois bien la n\u00e9cessit\u00e9, elle croise les bras en me toisant, l\u2019air un peu hautain, voire m\u00e9prisant. D\u2019un autre c\u00f4t\u00e9 lorsque on se soumet pieds et poings li\u00e9s \u00e0 la n\u00e9cessit\u00e9, \u00e7a n\u2019apporte rien de bon non plus, j\u2019ai test\u00e9. Que deviennent les autres quand on tourne les talons qu\u2019on ne les voit plus. Il y a forc\u00e9ment des existences parall\u00e8les que nous menons en creux, avec ou sans les autres. Et si vous reveniez \u00e0 l\u2019\u00e9motion que vous \u00e9prouviez enfant \u00e0 relire le m\u00eame conte \u00e0 \u00e9couter la m\u00eame ritournelle, leur ai-je propos\u00e9 comme exercice. Ils l\u2019ont fait sans regimber. Il n\u2019y avait pas de bruit, \u00e0 peine le bruit des moteurs dehors, dans la rue, ils \u00e9taient si absorb\u00e9s, comme si j\u2019avais perc\u00e9 un tunnel dans un mur et que j\u2019avais tapot\u00e9 des \u00e9paules en l\u00e2chant go go go. J\u2019ai pens\u00e9 qu\u2019ils auraient pu se r\u00e9volter, qu\u2019ils allaient le faire, mais non.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/images.jpg?1748065102", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-juin-2024.html", "title": "18 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:47:24Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Pour atteindre la cible, ne pas vouloir l\u2019atteindre pr\u00e9sente autant de difficult\u00e9s que de vouloir l\u2019atteindre. Dans le non vouloir le d\u00e9sir se dissimule et c\u2019est lui en quelque sorte la cible \u00e0 debusquer, celle qui nous detourne de la cible originale.<\/p>\n

Perte de temps dit une voix.<\/p>\n

Pas plus que de vouloir en gagner. Mais impression de vari\u00e9t\u00e9.<\/p>\n

j\u2019\u00e9cris un mercredi matin durant une permanence d\u2019exposition. Il n\u2019y a personne \u00e0 part au rez de chaus\u00e9e les biblioth\u00e9caires derriere une paroi de plexiglas. Dehors il fait beau. Je vois le feuillage de grands arbres agit\u00e9s par le vent. C\u2019est vrai qu\u2019il ne fait pas tres chaud je l\u2019avais remarqu\u00e9 ce matin t\u00f4t traversant la cour.<\/p>\n

je viens d\u2019\u00e9couter une histoire de boule de cristal sens\u00e9e \u00eatre surr\u00e9aliste mais gu\u00e8re entendu que du silence et quelques propos sous la ceinture datant de 1933. Et, dans le fond, l\u2019\u00e9crire ne vaut pas mieux que d\u2019en parler.<\/p>\n

Je m\u2019\u00e9loigne.<\/p>\n

L\u2019image d\u2019un Bernard l\u2019hermite qui retourne \u00e0 sa coquille. D\u2019un couteau qui tremble pour s\u2019enfouir sous le sable.<\/p>\n

Puis,<\/p>\n

je me souviens.<\/p>\n

Sur le trajet de la maison jusqu\u2019ici j\u2019ai pens\u00e9 qu\u2019il pourrait \u00eatre b\u00e9n\u00e9fique d\u2019en finir une bonne fois avec l\u2019obsession larv\u00e9e du rangement.<\/p>\n

j\u2019ai besoin du d\u00e9sordre pour inventer une id\u00e9e de rangement n\u2019obtemp\u00e9rant pas aux mots d\u2019ordre courants le concernant. J\u2019ai besoin du d\u00e9sordre pour \u00eatre accul\u00e9 \u00e0 force d\u2019ennui, d\u2019agacement, de douleur due \u00e0 ma propre singularit\u00e9, pour cr\u00e9er quelque chose que je pourrais alors, \u00e0 ce moment l\u00e0, nommer un ordre. Mais ce n\u2019est pas le bon mot, une fois que je l\u2019ai \u00e9crit je m\u2019en rends compte, je pense plut\u00f4t \u00e0 une harmonie.<\/p>", "content_text": "Pour atteindre la cible, ne pas vouloir l\u2019atteindre pr\u00e9sente autant de difficult\u00e9s que de vouloir l\u2019atteindre. Dans le non vouloir le d\u00e9sir se dissimule et c\u2019est lui en quelque sorte la cible \u00e0 debusquer, celle qui nous detourne de la cible originale. Perte de temps dit une voix. Pas plus que de vouloir en gagner. Mais impression de vari\u00e9t\u00e9. j\u2019\u00e9cris un mercredi matin durant une permanence d\u2019exposition. Il n\u2019y a personne \u00e0 part au rez de chaus\u00e9e les biblioth\u00e9caires derriere une paroi de plexiglas. Dehors il fait beau. Je vois le feuillage de grands arbres agit\u00e9s par le vent. C\u2019est vrai qu\u2019il ne fait pas tres chaud je l\u2019avais remarqu\u00e9 ce matin t\u00f4t traversant la cour. je viens d\u2019\u00e9couter une histoire de boule de cristal sens\u00e9e \u00eatre surr\u00e9aliste mais gu\u00e8re entendu que du silence et quelques propos sous la ceinture datant de 1933. Et, dans le fond, l\u2019\u00e9crire ne vaut pas mieux que d\u2019en parler. Je m\u2019\u00e9loigne. L\u2019image d\u2019un Bernard l\u2019hermite qui retourne \u00e0 sa coquille. D\u2019un couteau qui tremble pour s\u2019enfouir sous le sable. Puis, je me souviens. Sur le trajet de la maison jusqu\u2019ici j\u2019ai pens\u00e9 qu\u2019il pourrait \u00eatre b\u00e9n\u00e9fique d\u2019en finir une bonne fois avec l\u2019obsession larv\u00e9e du rangement. j\u2019ai besoin du d\u00e9sordre pour inventer une id\u00e9e de rangement n\u2019obtemp\u00e9rant pas aux mots d\u2019ordre courants le concernant. J\u2019ai besoin du d\u00e9sordre pour \u00eatre accul\u00e9 \u00e0 force d\u2019ennui, d\u2019agacement, de douleur due \u00e0 ma propre singularit\u00e9, pour cr\u00e9er quelque chose que je pourrais alors, \u00e0 ce moment l\u00e0, nommer un ordre. Mais ce n\u2019est pas le bon mot, une fois que je l\u2019ai \u00e9crit je m\u2019en rends compte, je pense plut\u00f4t \u00e0 une harmonie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0005.jpg?1748065205", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-juin-2024.html", "title": "17 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:46:09Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

J\u2019entends que seul on ne peut rien, on ne peut pas lutter, plusieurs fois ces derni\u00e8res semaines. C\u2019est comme quand tu veux acheter une voiture bleue, tu ne vois plus que des voitures bleues partout. Mais je n\u2019ai pas envie de compagnie, surtout pas en ce moment quand je vois ce que la compagnie peut faire comme d\u00e9g\u00e2ts.<\/p>\n

Si je me suis int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 l\u2019alchimie un moment c\u2019est \u00e0 cause du sentiment tr\u00e8s fort que j\u2019avais per\u00e7u alors concernant sa nature paradoxale. Le paradoxe est \u00e0 l\u2019origine sans doute de ce je peux nommer parfois la cr\u00e9ativit\u00e9. Enfin, n\u2019est-ce pas ainsi que fonctionne tout ce qui nous entoure ? le paradoxe c\u2019est un assemblage bizarre, impr\u00e9vu, de forces qui normalement n\u2019ont rien \u00e0 se dire. Entendu que normalement est une volont\u00e9 tout \u00e0 fait paradoxale de d\u00e9sirer du stable dans le mouvant.<\/p>\n

Donc je suis seul, c\u2019est un fait. Et plus je suis seul plus je me sens avec tout le monde voil\u00e0 un second fait. Donc, cela me parait tout \u00e0 fait saugrenu de courir vers qui que ce soit pour dire par exemple h\u00e9 tu n\u2019es pas seul je suis l\u00e0. Totalement saugrenu.<\/p>\n

Sauf qu\u2019apparemment il n\u2019y a que moi qui pense comme \u00e7a.<\/p>\n

Les autres pensent sans doute autrement qu\u2019ils sont seuls. Et pourquoi chercher ce que signifie autrement dans ce cas puisque je suis d\u00e9j\u00e0 dans l\u2019autrement \u00e0 cent pour cent, qu\u2019on me pr\u00e9sente n\u2019importe quel autrement, il ne me sera pas \u00e9tranger.<\/p>\n

Je ne suis d\u2019accord avec personne \u00e0 cent pour cent non plus pour exactement la m\u00eame raison. Si j\u2019\u00e9tais d\u2019accord avec un seul ce serait comme mettre un terme \u00e0 l\u2019infini. Alors il n\u2019y aurait plus aucune possibilit\u00e9 d\u2019\u00e9ternit\u00e9, c\u2019en serait fini de tout.<\/p>\n

J\u2019\u00e9cris dans le bureau les volets mi-clos, la lumi\u00e8re au del\u00e0 est presque palpable, mais justement elle l\u2019est beaucoup trop.<\/p>\n

La chatte vient parfois s\u2019allonger sur la table de l\u2019atelier quand je peins, elle me regarde les yeux mi-clos, deux solitudes peuvent ainsi se tenir en respect.<\/p>\n

Les gens, c\u2019est \u00e0 dire toi et moi, pensent souvent que les couleurs vives sont synonymes de gaiet\u00e9 , c\u2019est bien possible, mais je pr\u00e9f\u00e8re penser que ce sont seulement des couleurs vives sinon je pourrais vite songer qu\u2019elles sont aussi synonyme d\u2019une douleur insupportable, paradoxalement.<\/p>", "content_text": "J\u2019entends que seul on ne peut rien, on ne peut pas lutter, plusieurs fois ces derni\u00e8res semaines. C\u2019est comme quand tu veux acheter une voiture bleue, tu ne vois plus que des voitures bleues partout. Mais je n\u2019ai pas envie de compagnie, surtout pas en ce moment quand je vois ce que la compagnie peut faire comme d\u00e9g\u00e2ts. Si je me suis int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 l\u2019alchimie un moment c\u2019est \u00e0 cause du sentiment tr\u00e8s fort que j\u2019avais per\u00e7u alors concernant sa nature paradoxale. Le paradoxe est \u00e0 l\u2019origine sans doute de ce je peux nommer parfois la cr\u00e9ativit\u00e9. Enfin, n\u2019est-ce pas ainsi que fonctionne tout ce qui nous entoure ? le paradoxe c\u2019est un assemblage bizarre, impr\u00e9vu, de forces qui normalement n\u2019ont rien \u00e0 se dire. Entendu que normalement est une volont\u00e9 tout \u00e0 fait paradoxale de d\u00e9sirer du stable dans le mouvant. Donc je suis seul, c\u2019est un fait. Et plus je suis seul plus je me sens avec tout le monde voil\u00e0 un second fait. Donc, cela me parait tout \u00e0 fait saugrenu de courir vers qui que ce soit pour dire par exemple h\u00e9 tu n\u2019es pas seul je suis l\u00e0. Totalement saugrenu. Sauf qu\u2019apparemment il n\u2019y a que moi qui pense comme \u00e7a. Les autres pensent sans doute autrement qu\u2019ils sont seuls. Et pourquoi chercher ce que signifie autrement dans ce cas puisque je suis d\u00e9j\u00e0 dans l\u2019autrement \u00e0 cent pour cent, qu\u2019on me pr\u00e9sente n\u2019importe quel autrement, il ne me sera pas \u00e9tranger. Je ne suis d\u2019accord avec personne \u00e0 cent pour cent non plus pour exactement la m\u00eame raison. Si j\u2019\u00e9tais d\u2019accord avec un seul ce serait comme mettre un terme \u00e0 l\u2019infini. Alors il n\u2019y aurait plus aucune possibilit\u00e9 d\u2019\u00e9ternit\u00e9, c\u2019en serait fini de tout. J\u2019\u00e9cris dans le bureau les volets mi-clos, la lumi\u00e8re au del\u00e0 est presque palpable, mais justement elle l\u2019est beaucoup trop. La chatte vient parfois s\u2019allonger sur la table de l\u2019atelier quand je peins, elle me regarde les yeux mi-clos, deux solitudes peuvent ainsi se tenir en respect. Les gens, c\u2019est \u00e0 dire toi et moi, pensent souvent que les couleurs vives sont synonymes de gaiet\u00e9 , c\u2019est bien possible, mais je pr\u00e9f\u00e8re penser que ce sont seulement des couleurs vives sinon je pourrais vite songer qu\u2019elles sont aussi synonyme d\u2019une douleur insupportable, paradoxalement. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/03_4566.jpg?1748065069", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-juin-2024.html", "title": "16 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:44:58Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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L\u2019hideux gravit l\u2019\u00e9chelle en parall\u00e8le de la gr\u00e2ce. Deux pompiers au sommet de la grande \u00e9chelle pr\u00eats \u00e0 bondir \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de l\u2019immeuble en flammes. L\u2019un est noir, l\u2019autre blanc, grand mouvement, p\u00e9tarades, explosions, fum\u00e9es, le gris en ressort lapin d\u2019un chapeau de monsieur bien sous tout rapport.<\/p>\n

La boue guette. Et, en m\u00eame temps, inutile de s\u2019en effrayer par avance. La catastrophe est-elle indispensable pour jauger juste le gris ? \u00c0 quel prix resterions-nous d\u00e9pourvus d\u2019\u0153il, de discernement ?<\/p>\n

Le gris octroie un corps, une raison d\u2019\u00eatre, ne serait-ce que celle de d\u00e9sirer sauter par-dessus, bient\u00f4t le feu de la Saint-Jean.<\/p>\n

Il y a ces petits b\u00e2tonnets, ils ressemblent \u00e0 des b\u00e2tons d\u2019encens, ils ont la couleur du ciment. Est battu le briquet, le bout rougit puis cr\u00e9pite. Feu d\u2019artifice portatif que l\u2019on plante sur les g\u00e2teaux de mariage, d\u2019anniversaire. Cela fait belle lurette que je n\u2019en avais pas vu et soudain cette image revient. Peut-\u00eatre parce que j\u2019ai allum\u00e9 un b\u00e2ton d\u2019encens dans l\u2019atelier, peut-\u00eatre parce que bient\u00f4t ce sera notre anniversaire de mariage.<\/p>\n

La lumi\u00e8re n\u2019est plus aussi douce. Et pourtant c\u2019est encore une lumi\u00e8re. La lumi\u00e8re. Les voiles, les poussi\u00e8res, les rayures seuls responsables d\u2019une crudit\u00e9 nouvelle. Hier encore, apr\u00e8s l\u2019op\u00e9ration de la cataracte, j\u2019eus la sensation de voir clair dans ce petit jeu. Puis l\u2019\u0153il droit se mit \u00e0 larmoyer encore et encore, jusqu\u2019\u00e0 une nouvelle intervention d\u2019expert au laser.<\/p>\n

On est tranquille pendant quelques mois, et voil\u00e0 que l\u2019\u0153il larmoie de nouveau. On se dit qu\u2019il faut donc pr\u00e9voir un calendrier des ajustements cristallins comme pr\u00e9voir tout le reste. Pour le moment, je reste encore r\u00e9tif \u00e0 ce genre d\u2019emploi du temps, pr\u00e9voir le pire, pr\u00e9voir le d\u00e9sagr\u00e9able. La cervelle n\u2019est-elle pas faite comme \u00e7a, pour pr\u00e9voir ? Si j\u2019y croyais, r\u00e9sider dans l\u2019infini du pr\u00e9sent. Quitte \u00e0 retrouver l\u2019ennui autrement.<\/p>\n

Peindre des choses dites de nature est si tentant. E.N., chass\u00e9 de la sc\u00e8ne artistique nazie par Z., se retrouve soudain \u00e0 Seeb\u00fcll, il ne fait plus gu\u00e8re que des aquarelles, merveilleuses. L\u2019hideux et la gr\u00e2ce redescendent des grandes \u00e9chelles ainsi peut-\u00eatre. On peut aussi croire que tout \u00e7a n\u2019est que farce. \u00c0 cela aussi, il convient de r\u00e9sister.<\/p>", "content_text": "L\u2019hideux gravit l\u2019\u00e9chelle en parall\u00e8le de la gr\u00e2ce. Deux pompiers au sommet de la grande \u00e9chelle pr\u00eats \u00e0 bondir \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de l\u2019immeuble en flammes. L\u2019un est noir, l\u2019autre blanc, grand mouvement, p\u00e9tarades, explosions, fum\u00e9es, le gris en ressort lapin d\u2019un chapeau de monsieur bien sous tout rapport. La boue guette. Et, en m\u00eame temps, inutile de s\u2019en effrayer par avance. La catastrophe est-elle indispensable pour jauger juste le gris ? \u00c0 quel prix resterions-nous d\u00e9pourvus d\u2019\u0153il, de discernement ? Le gris octroie un corps, une raison d\u2019\u00eatre, ne serait-ce que celle de d\u00e9sirer sauter par-dessus, bient\u00f4t le feu de la Saint-Jean. Il y a ces petits b\u00e2tonnets, ils ressemblent \u00e0 des b\u00e2tons d\u2019encens, ils ont la couleur du ciment. Est battu le briquet, le bout rougit puis cr\u00e9pite. Feu d\u2019artifice portatif que l\u2019on plante sur les g\u00e2teaux de mariage, d\u2019anniversaire. Cela fait belle lurette que je n\u2019en avais pas vu et soudain cette image revient. Peut-\u00eatre parce que j\u2019ai allum\u00e9 un b\u00e2ton d\u2019encens dans l\u2019atelier, peut-\u00eatre parce que bient\u00f4t ce sera notre anniversaire de mariage. La lumi\u00e8re n\u2019est plus aussi douce. Et pourtant c\u2019est encore une lumi\u00e8re. La lumi\u00e8re. Les voiles, les poussi\u00e8res, les rayures seuls responsables d\u2019une crudit\u00e9 nouvelle. Hier encore, apr\u00e8s l\u2019op\u00e9ration de la cataracte, j\u2019eus la sensation de voir clair dans ce petit jeu. Puis l\u2019\u0153il droit se mit \u00e0 larmoyer encore et encore, jusqu\u2019\u00e0 une nouvelle intervention d\u2019expert au laser. On est tranquille pendant quelques mois, et voil\u00e0 que l\u2019\u0153il larmoie de nouveau. On se dit qu\u2019il faut donc pr\u00e9voir un calendrier des ajustements cristallins comme pr\u00e9voir tout le reste. Pour le moment, je reste encore r\u00e9tif \u00e0 ce genre d\u2019emploi du temps, pr\u00e9voir le pire, pr\u00e9voir le d\u00e9sagr\u00e9able. La cervelle n\u2019est-elle pas faite comme \u00e7a, pour pr\u00e9voir ? Si j\u2019y croyais, r\u00e9sider dans l\u2019infini du pr\u00e9sent. Quitte \u00e0 retrouver l\u2019ennui autrement. Peindre des choses dites de nature est si tentant. E.N., chass\u00e9 de la sc\u00e8ne artistique nazie par Z., se retrouve soudain \u00e0 Seeb\u00fcll, il ne fait plus gu\u00e8re que des aquarelles, merveilleuses. L\u2019hideux et la gr\u00e2ce redescendent des grandes \u00e9chelles ainsi peut-\u00eatre. On peut aussi croire que tout \u00e7a n\u2019est que farce. \u00c0 cela aussi, il convient de r\u00e9sister. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dance-around-the-golden-calf-1910_jpglarge.jpg?1748065063", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-juin-2024.html", "title": "15 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:43:30Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Il faut trouver autre chose \u00e0 dire que tout ce qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 dit mille fois. Ou autrement car l\u2019histoire b\u00e9gaie et ce b\u00e9gaiement est aga\u00e7ant.. C\u2019est comme si on replongeait dans la boue d\u2019o\u00f9 nous venons comme on plonge un biscuit dans du chocolat chaud, dans un four, le nappage est un passe-temps. Alors r\u00e9\u00e9crire encore toute la douleur, toute l\u2019ignominie, la b\u00eatise, l\u2019effroi, cela semble tellement redondant. Si redondant qu\u2019on a envie d\u2019\u00eatre cr\u00e9atif pour en sortir.<\/p>\n

L\u2019ennui n\u2019est pas seulement des champs et des collines, de la platitude des plaines labour\u00e9es, des ciels bas, des vents ti\u00e8des qui nous traversent. L\u2019ennui est de la r\u00e9p\u00e9tition dont on se rend soudain compte imm\u00e9diatement quand elle surgit.<\/p>\n

Il faut faire face. S\u2019asseoir au lieu de courir. Ralentir encore plus. Inutile de courir dans un r\u00eave un cauchemar, parfaitement inutile. Faire face \u00e0 cette inutilit\u00e9 l\u00e0 aussi.<\/p>\n

Commenc\u00e9 une grande toile mardi, c\u2019est \u00e0 dire hier. Je reste r\u00e9solument dans les couleurs vives, \u00e0 \u00e9tudier l\u2019intensit\u00e9 des jaunes le plus longtemps que je peux avant que le rouge ne les grignote, puis le violet.<\/p>\n

Et quand bien m\u00eame je peux refaire du blanc, ou encore frotter avec une \u00e9ponge pour retrouver le blanc de la toile.<\/p>\n

\u00c9cout\u00e9 la voix \u00e9raill\u00e9e de G.D. Toute une \u00e9poque d\u00e9file. le mot r\u00e9sistance r\u00e9siste \u00e0 l\u2019\u00e9rosion. R\u00e9sister aussi est \u00e0 revoir. Depuis pr\u00e8s d\u2019un mois les tableaux de Z.M me hantent \u00e0 nouveau. D\u2019autant je crois qu\u2019ils se superposent \u00e0 ceux de W.V. On assiste \u00e0 une r\u00e9p\u00e9tition, au b\u00e9gaiement en premier lieu interloqu\u00e9, impuissant. On cherche ses marques, ses rep\u00e8res, on se dit oh non c\u2019est pas vrai tout va encore recommencer je n\u2019y crois pas. Il faut y croire. Traverser cette h\u00e9sitation sans ciller, et rejoindre toutes les cohortes disparues, le mirage des maquis.<\/p>\n

Et de quoi te plains tu une voix dit.<\/p>\n

Mais juste au moment ou j\u2019allais dessiner les branches du figuier de la cour, juste au moment o\u00f9 l\u2019\u00e9motion me vient d\u2019un presque rien, quelle ironie. Soudain je me sentirais pouss\u00e9, inspir\u00e9 par l\u2019histoire, est-ce que je vais y croire ?<\/p>", "content_text": "Il faut trouver autre chose \u00e0 dire que tout ce qui a d\u00e9j\u00e0 \u00e9t\u00e9 dit mille fois. Ou autrement car l\u2019histoire b\u00e9gaie et ce b\u00e9gaiement est aga\u00e7ant.. C\u2019est comme si on replongeait dans la boue d\u2019o\u00f9 nous venons comme on plonge un biscuit dans du chocolat chaud, dans un four, le nappage est un passe-temps. Alors r\u00e9\u00e9crire encore toute la douleur, toute l\u2019ignominie, la b\u00eatise, l\u2019effroi, cela semble tellement redondant. Si redondant qu\u2019on a envie d\u2019\u00eatre cr\u00e9atif pour en sortir. L\u2019ennui n\u2019est pas seulement des champs et des collines, de la platitude des plaines labour\u00e9es, des ciels bas, des vents ti\u00e8des qui nous traversent. L\u2019ennui est de la r\u00e9p\u00e9tition dont on se rend soudain compte imm\u00e9diatement quand elle surgit. Il faut faire face. S\u2019asseoir au lieu de courir. Ralentir encore plus. Inutile de courir dans un r\u00eave un cauchemar, parfaitement inutile. Faire face \u00e0 cette inutilit\u00e9 l\u00e0 aussi. Commenc\u00e9 une grande toile mardi, c\u2019est \u00e0 dire hier. Je reste r\u00e9solument dans les couleurs vives, \u00e0 \u00e9tudier l\u2019intensit\u00e9 des jaunes le plus longtemps que je peux avant que le rouge ne les grignote, puis le violet. Et quand bien m\u00eame je peux refaire du blanc, ou encore frotter avec une \u00e9ponge pour retrouver le blanc de la toile. \u00c9cout\u00e9 la voix \u00e9raill\u00e9e de G.D. Toute une \u00e9poque d\u00e9file. le mot r\u00e9sistance r\u00e9siste \u00e0 l\u2019\u00e9rosion. R\u00e9sister aussi est \u00e0 revoir. Depuis pr\u00e8s d\u2019un mois les tableaux de Z.M me hantent \u00e0 nouveau. D\u2019autant je crois qu\u2019ils se superposent \u00e0 ceux de W.V. On assiste \u00e0 une r\u00e9p\u00e9tition, au b\u00e9gaiement en premier lieu interloqu\u00e9, impuissant. On cherche ses marques, ses rep\u00e8res, on se dit oh non c\u2019est pas vrai tout va encore recommencer je n\u2019y crois pas. Il faut y croire. Traverser cette h\u00e9sitation sans ciller, et rejoindre toutes les cohortes disparues, le mirage des maquis. Et de quoi te plains tu une voix dit. Mais juste au moment ou j\u2019allais dessiner les branches du figuier de la cour, juste au moment o\u00f9 l\u2019\u00e9motion me vient d\u2019un presque rien, quelle ironie. Soudain je me sentirais pouss\u00e9, inspir\u00e9 par l\u2019histoire, est-ce que je vais y croire ?", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/zoran-music_ida_aid329288.jpg?1748065102", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-juin-2024.html", "title": "14 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:42:01Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Voil\u00e0, il est l\u2019inexorable, et que faire contre lui, ce taureau qui nous fonce droit dessus dans l\u2019ar\u00e8ne alors que je n\u2019ai pas demand\u00e9 \u00e0 \u00eatre dans l\u2019ar\u00e8ne. M\u00eame pas sur les gradins. Je regarde son visage et j\u2019en vois soudain mille, l\u00e9gion disait-on autrefois pour d\u00e9signer l\u2019innombrable. C\u2019est \u00e0 dire aller maintenant un quasi 50 pour cent. Fin des d\u00e9mocraties, effondrement des r\u00eaves, ils veulent de l\u2019ordre ils vont \u00eatre servis.<\/p>\n

Combien de temps cela dure ensuite, on ne le sait pas. Il faut rejoindre un maquis, en pleine lumi\u00e8re trouver sa fissure, son trou, et travailler d\u2019autant \u00e0 s\u2019enfoncer encore plus loin.<\/p>\n

Les dormeurs infatigables remuent parfois dans leur sommeil, font-ils des r\u00eaves des cauchemars ? qu\u2019est-ce qui les agite quelques instants, juste avant l\u2019inexorable ? A moins que nous nous trompions encore quant \u00e0 l\u2019inexorable comme sur la mort, la vie.<\/p>\n

Seulement hier que je m\u2019aper\u00e7ois que W. m\u2019a laiss\u00e9 un message pour venir au vernissage. J\u2019\u00e9tais oblig\u00e9 une fois arriv\u00e9 \u00e0 S. de revenir sur mes pas. De refaire le trajet. Il pleuviotait. Je n\u2019avais pas pris la publicit\u00e9, les cartes de visite, les imprim\u00e9s de stages, et je ne sais quoi encore. S. \u00e9tait f\u00e2ch\u00e9e. Bon j\u2019ai dit je retourne. Difficile de se garer. Et puis de loin j\u2019avais vu cette femme qui se tenait devant notre porte. j\u2019avais per\u00e7u son insistance de loin. Elle a oubli\u00e9 qu\u2019on ne fait pas cours ce matin. J\u2019avais tourn\u00e9 pour trouver une place. j\u2019\u00e9tais presque content de n\u2019en pas trouver. Cela m\u2019\u00e9vitait d\u2019avoir \u00e0 parler, expliquer encore le pourquoi du comment. Je suis gentil mais j\u2019ai mes limites. Voil\u00e0, c\u2019est ce mot qui revient lancine encore, la limite.<\/p>\n

Bref, j\u2019ai pris le pochon de papier avec la r\u00e9clame, et j\u2019ai oubli\u00e9 mon sac dans lequel le portable ; Et W. a t\u00e9l\u00e9phon\u00e9 et ne pouvais ni le savoir ni lui r\u00e9pondre. Et durant le vernissage je me souviens tr\u00e8s bien avoir song\u00e9 que ce serait bien que W. vienne, j\u2019avais not\u00e9 qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pas l\u00e0, j\u2019esp\u00e9rais un peu, et puis je me suis dit aussi, qu\u2019il avait bien autre chose \u00e0 faire, un peintre comme lui \u00e0 venir voir les barbouillages d\u2019un peintre comme moi.<\/p>\n

Et hier apr\u00e8s avoir recharg\u00e9 le portable je vois un message vocal s\u2019afficher sur l\u2019\u00e9cran. j\u2019\u00e9coute. c\u2019est W. mais comme nous sommes mardi et qu\u2019il a appel\u00e9 samedi dernier, je me dis zut zut zut. Je me dis qu\u2019il y a des rencontres, des rendez vous manqu\u00e9s, et bien s\u00fbr je n\u2019appelle pas, pas maintenant, j\u2019ai autre chose \u00e0 faire bien s\u00fbr. voil\u00e0 exactement comment les choses se passent, un \u00e9v\u00e9nement formidable ou effroyable advient, et on se dit pas maintenant, j\u2019ai certainement autre chose \u00e0 faire.<\/p>\n

bon, je cherche une image pour illustrer ce billet et je tape son nom, et sur quoi je tombe, paf ! incroyable, merveilleux, mais si j\u2019\u00e9cris tout cela personne ne me croira jamais.<\/p>", "content_text": "Voil\u00e0, il est l\u2019inexorable, et que faire contre lui, ce taureau qui nous fonce droit dessus dans l\u2019ar\u00e8ne alors que je n\u2019ai pas demand\u00e9 \u00e0 \u00eatre dans l\u2019ar\u00e8ne. M\u00eame pas sur les gradins. Je regarde son visage et j\u2019en vois soudain mille, l\u00e9gion disait-on autrefois pour d\u00e9signer l\u2019innombrable. C\u2019est \u00e0 dire aller maintenant un quasi 50 pour cent. Fin des d\u00e9mocraties, effondrement des r\u00eaves, ils veulent de l\u2019ordre ils vont \u00eatre servis. Combien de temps cela dure ensuite, on ne le sait pas. Il faut rejoindre un maquis, en pleine lumi\u00e8re trouver sa fissure, son trou, et travailler d\u2019autant \u00e0 s\u2019enfoncer encore plus loin. Les dormeurs infatigables remuent parfois dans leur sommeil, font-ils des r\u00eaves des cauchemars ? qu\u2019est-ce qui les agite quelques instants, juste avant l\u2019inexorable ? A moins que nous nous trompions encore quant \u00e0 l\u2019inexorable comme sur la mort, la vie. Seulement hier que je m\u2019aper\u00e7ois que W. m\u2019a laiss\u00e9 un message pour venir au vernissage. J\u2019\u00e9tais oblig\u00e9 une fois arriv\u00e9 \u00e0 S. de revenir sur mes pas. De refaire le trajet. Il pleuviotait. Je n\u2019avais pas pris la publicit\u00e9, les cartes de visite, les imprim\u00e9s de stages, et je ne sais quoi encore. S. \u00e9tait f\u00e2ch\u00e9e. Bon j\u2019ai dit je retourne. Difficile de se garer. Et puis de loin j\u2019avais vu cette femme qui se tenait devant notre porte. j\u2019avais per\u00e7u son insistance de loin. Elle a oubli\u00e9 qu\u2019on ne fait pas cours ce matin. J\u2019avais tourn\u00e9 pour trouver une place. j\u2019\u00e9tais presque content de n\u2019en pas trouver. Cela m\u2019\u00e9vitait d\u2019avoir \u00e0 parler, expliquer encore le pourquoi du comment. Je suis gentil mais j\u2019ai mes limites. Voil\u00e0, c\u2019est ce mot qui revient lancine encore, la limite. Bref, j\u2019ai pris le pochon de papier avec la r\u00e9clame, et j\u2019ai oubli\u00e9 mon sac dans lequel le portable; Et W. a t\u00e9l\u00e9phon\u00e9 et ne pouvais ni le savoir ni lui r\u00e9pondre. Et durant le vernissage je me souviens tr\u00e8s bien avoir song\u00e9 que ce serait bien que W. vienne, j\u2019avais not\u00e9 qu\u2019il n\u2019\u00e9tait pas l\u00e0, j\u2019esp\u00e9rais un peu, et puis je me suis dit aussi, qu\u2019il avait bien autre chose \u00e0 faire, un peintre comme lui \u00e0 venir voir les barbouillages d\u2019un peintre comme moi. Et hier apr\u00e8s avoir recharg\u00e9 le portable je vois un message vocal s\u2019afficher sur l\u2019\u00e9cran. j\u2019\u00e9coute. c\u2019est W. mais comme nous sommes mardi et qu\u2019il a appel\u00e9 samedi dernier, je me dis zut zut zut. Je me dis qu\u2019il y a des rencontres, des rendez vous manqu\u00e9s, et bien s\u00fbr je n\u2019appelle pas, pas maintenant, j\u2019ai autre chose \u00e0 faire bien s\u00fbr. voil\u00e0 exactement comment les choses se passent, un \u00e9v\u00e9nement formidable ou effroyable advient, et on se dit pas maintenant, j\u2019ai certainement autre chose \u00e0 faire. bon, je cherche une image pour illustrer ce billet et je tape son nom, et sur quoi je tombe, paf ! incroyable, merveilleux, mais si j\u2019\u00e9cris tout cela personne ne me croira jamais.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/winfried-veit-2.jpg?1748065208", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-juin-2024.html", "title": "13 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:40:29Z", "date_modified": "2025-04-30T15:47:51Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je perds de la distance. L\u2019emploi du temps, peut-\u00eatre parce qu\u2019il n\u2019est qu\u2019employ\u00e9, p\u00e8se sur les nerfs. En notant les dates de r\u00e9ception des classes \u00e0 la m\u00e9diath\u00e8que sur l\u2019agenda, j\u2019ai peur de me tromper. Je d\u00e9teste \u00e9crire ces \u00e9v\u00e9nements, je fais souvent des erreurs : orthographe des mots, horaires, ou m\u00eame le mauvais jour. J\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 ainsi. Mon cahier de textes, de la maternelle au coll\u00e8ge, \u00e9tait toujours en d\u00e9sordre. Une r\u00e9sistance futile \u00e0 tout calendrier, tout emploi du temps. Les marges \u00e9taient cribl\u00e9es de gribouillis, envahissant la page et les t\u00e2ches \u00e0 faire. Ces gribouillis, ce d\u00e9sordre, cette maladresse, \u00e9taient mes armes de r\u00e9sistance enfantine, mais si vaines face \u00e0 l\u2019Organisation scolaire.<\/p>\n

J\u2019explique encore trop, beaucoup trop. Hier, lors du discours, je parvins \u00e0 ne dire presque rien en public, laissant la place au maire et \u00e0 mes deux coll\u00e8gues peintres. Le ridicule de tout discours se r\u00e9pand dans ma cervelle, comme une gangr\u00e8ne. Sans doute parce que je ne cesse de discourir avec moi-m\u00eame, en prenant tout le d\u00e9risoire de plein fouet. C\u2019est bien de ma faute. Pourquoi chercher toujours au-del\u00e0 des limites ?<\/p>\n

Dimanche tout entier consacr\u00e9 au stage sur le monotype, je n\u2019ai pas pr\u00e9par\u00e9 grand chose. Tant de faire le point avant qu\u2019ils n\u2019arrivent \u2026 me d\u00e9p\u00eache d\u2019aller voter avant que ce ne soit l\u2019heure.<\/p>\n

Encore un peu de temps. Ce g\u00e2chis de papier. Pas voulu y participer. Pris mon bulletin et l\u2019ai fourr\u00e9 dans l\u2019enveloppe avant m\u00eame d\u2019atteindre l\u2019isoloir. A vot\u00e9.<\/p>\n

Belle journ\u00e9e. Je crois que c\u2019est Louise Bourgeois qui aura donn\u00e9 le top de d\u00e9part. Ses monotypes ont s\u00e9duit le groupe. Pour le reste le hasard, les morceaux de plastique que j\u2019avais d\u00e9coup\u00e9s \u00e0 la h\u00e2te, les ardoises que j\u2019ai retrouv\u00e9es soudain sur une \u00e9tag\u00e8re de la remise, et le bloc de papier aquarelle aura fait tout le reste.<\/p>\n

Nous avons fini les restes du vernissage de la veille. La derni\u00e8re heure le pr\u00e9texte d\u2019un go\u00fbter parach\u00e8ve la journ\u00e9e. Tout le monde est \u00e9puis\u00e9. D\u00e9couverte de M. que G. a convi\u00e9e. P. quant \u00e0 lui allait partir encore sans payer, mais je l\u2019ai gentiment retenu par l\u2019\u00e9paule.<\/p>\n

Je n\u2019ai fait aucune photographie des \u0153uvres r\u00e9alis\u00e9es, je pense au mot r\u00e9sistance.<\/p>", "content_text": "Je perds de la distance. L\u2019emploi du temps, peut-\u00eatre parce qu\u2019il n\u2019est qu\u2019employ\u00e9, p\u00e8se sur les nerfs. En notant les dates de r\u00e9ception des classes \u00e0 la m\u00e9diath\u00e8que sur l\u2019agenda, j\u2019ai peur de me tromper. Je d\u00e9teste \u00e9crire ces \u00e9v\u00e9nements, je fais souvent des erreurs : orthographe des mots, horaires, ou m\u00eame le mauvais jour. J\u2019ai toujours \u00e9t\u00e9 ainsi. Mon cahier de textes, de la maternelle au coll\u00e8ge, \u00e9tait toujours en d\u00e9sordre. Une r\u00e9sistance futile \u00e0 tout calendrier, tout emploi du temps. Les marges \u00e9taient cribl\u00e9es de gribouillis, envahissant la page et les t\u00e2ches \u00e0 faire. Ces gribouillis, ce d\u00e9sordre, cette maladresse, \u00e9taient mes armes de r\u00e9sistance enfantine, mais si vaines face \u00e0 l\u2019Organisation scolaire. J\u2019explique encore trop, beaucoup trop. Hier, lors du discours, je parvins \u00e0 ne dire presque rien en public, laissant la place au maire et \u00e0 mes deux coll\u00e8gues peintres. Le ridicule de tout discours se r\u00e9pand dans ma cervelle, comme une gangr\u00e8ne. Sans doute parce que je ne cesse de discourir avec moi-m\u00eame, en prenant tout le d\u00e9risoire de plein fouet. C\u2019est bien de ma faute. Pourquoi chercher toujours au-del\u00e0 des limites ? Dimanche tout entier consacr\u00e9 au stage sur le monotype, je n\u2019ai pas pr\u00e9par\u00e9 grand chose. Tant de faire le point avant qu\u2019ils n\u2019arrivent \u2026 me d\u00e9p\u00eache d\u2019aller voter avant que ce ne soit l\u2019heure. Encore un peu de temps. Ce g\u00e2chis de papier. Pas voulu y participer. Pris mon bulletin et l\u2019ai fourr\u00e9 dans l\u2019enveloppe avant m\u00eame d\u2019atteindre l\u2019isoloir. A vot\u00e9. Belle journ\u00e9e. Je crois que c\u2019est Louise Bourgeois qui aura donn\u00e9 le top de d\u00e9part. Ses monotypes ont s\u00e9duit le groupe. Pour le reste le hasard, les morceaux de plastique que j\u2019avais d\u00e9coup\u00e9s \u00e0 la h\u00e2te, les ardoises que j\u2019ai retrouv\u00e9es soudain sur une \u00e9tag\u00e8re de la remise, et le bloc de papier aquarelle aura fait tout le reste. Nous avons fini les restes du vernissage de la veille. La derni\u00e8re heure le pr\u00e9texte d\u2019un go\u00fbter parach\u00e8ve la journ\u00e9e. Tout le monde est \u00e9puis\u00e9. D\u00e9couverte de M. que G. a convi\u00e9e. P. quant \u00e0 lui allait partir encore sans payer, mais je l\u2019ai gentiment retenu par l\u2019\u00e9paule. Je n\u2019ai fait aucune photographie des \u0153uvres r\u00e9alis\u00e9es, je pense au mot r\u00e9sistance. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0033-1.jpg?1748065166", "tags": ["Essai sur la fatigue", "peinture", "photographie", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-juin-2024.html", "title": "12 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:38:48Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Je sens toujours en moi-m\u00eame la pr\u00e9sence de cet enfant que je suis rest\u00e9, un rappel constant de la puret\u00e9 et de la vuln\u00e9rabilit\u00e9 de l\u2019enfance. Je crois profond\u00e9ment que cet enfant reste vivant en chacun de nous, qui demeure une part essentielle de notre humanit\u00e9. Aussi, quand les adultes sont d\u00e9cevants, qu\u2019ils repoussent la po\u00e9sie, la r\u00eaverie et la d\u00e9licatesse au profit d\u2019un pragmatisme inhumain, je cherche d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment dans leur regard l\u2019enfant qu\u2019ils furent, qu\u2019ils sont encore, enfin, je l\u2019esp\u00e8re. Cette qu\u00eate est ma mani\u00e8re de pardonner, de comprendre, et de maintenir une connexion authentique malgr\u00e9 la froideur et la rigidit\u00e9 apparentes du monde adulte.<\/p>\n

Peut-\u00eatre aussi que chercher l\u2019enfant chez les autres est une fa\u00e7on de d\u00e9dramatiser les situations, de retrouver cette l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 que nous avions enfants, lorsque nous nous inventions des jeux, sans gravit\u00e9, sans que les cons\u00e9quences ne soient trop graves. En revoyant cet enfant, j\u2019esp\u00e8re redonner une part de cette innocence et de cette capacit\u00e9 \u00e0 r\u00eaver, \u00e0 voir au-del\u00e0 des pragmatismes inhumains qui nous \u00e9touffent. Cela m\u2019a souvent aid\u00e9 \u00e0 surmonter des situations difficiles, \u00e0 les rendre plus l\u00e9g\u00e8res et supportables. En abordant les interactions avec cette perspective, je trouve que je peux cr\u00e9er des liens plus authentiques et plus bienveillants, malgr\u00e9 les d\u00e9ceptions et les incompr\u00e9hensions qui surviennent in\u00e9vitablement.<\/p>\n

J\u2019ai en horreur le drame, la trag\u00e9die, surtout la violence qu\u2019elles manifestent, quand elle n\u2019est pas tout simplement ridicule, le signal des conflits d\u2019int\u00e9r\u00eat ou de pouvoir. Peut-\u00eatre ai-je une vision na\u00efve de ce que fut ma propre enfance. N\u2019y avait-il pas tout autant de cruaut\u00e9 dans la cour de r\u00e9cr\u00e9ation, tout compte fait ? N\u2019\u00e9tais-je pas battu comme pl\u00e2tre sous mon toit ? Mais il me semble que nous \u00e9tions plus proches d\u2019un myst\u00e8re, d\u2019esp\u00e9rances encore vives, qui s\u2019\u00e9vanouirent peu \u00e0 peu \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Cette absence d\u2019app\u00e9tence du drame me pousse \u00e0 chercher des solutions pacifiques et \u00e0 \u00e9viter les confrontations st\u00e9riles, \u00e0 voir le bon quand ce n\u2019est pas le meilleur, en chacun, et \u00e0 esp\u00e9rer que cet enfant int\u00e9rieur puisse gu\u00e9rir les blessures inflig\u00e9es par le monde adulte.<\/p>\n

Je n\u2019ai pas eu l\u2019occasion d\u2019endosser le r\u00f4le de p\u00e8re, je ne suis pas pass\u00e9 par ce qui semble \u00eatre l\u2019initiation majeure chez les adultes. Je ne sais pas prendre les poses qui s\u2019imposent dans un tel cas, faire cas de la collection apparemment inou\u00efe de responsabilit\u00e9s qui incombe \u00e0 la parentalit\u00e9. Peut-\u00eatre que cette absence m\u2019a permis de conserver une vision plus pure, sans doute na\u00efve, moins marqu\u00e9e par les contraintes et les responsabilit\u00e9s de la vie d\u2019adulte. Ou encore pourquoi pas et j\u2019en ai parfois des sueurs froides, une vision tar\u00e9e, totalement erron\u00e9e. En tous cas et c\u2019est mon explication, cela m\u2019a permis de rester connect\u00e9 \u00e0 cet enfant int\u00e9rieur, de ne pas sombrer totalement dans le pragmatisme inhumain que je d\u00e9teste tant.<\/p>\n

Et maintenant quelque chose pousse int\u00e9rieurement, il faut que \u00e7a sorte.<\/p>\n

Ne servent-elles pas \u00e0 cela, les femmes, pour de nombreux hommes ? \u00c0 leur fournir ( \u00e0 eux) une preuve d\u2019existence au monde, comme si cette validation \u00e9tait une condition n\u00e9cessaire pour affirmer leur propre valeur. J\u2019ai souvent observ\u00e9 cette dynamique, o\u00f9 des hommes cherchent \u00e0 se construire sur le dos des femmes, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 \u00e9ject\u00e9s de leur ventre. C\u2019est plus simple si on m\u00e9lange la loi avec les sentiments, l\u2019amour. Mais quel amour ? Cela d\u00e9pend de la nature de cet amour, bien s\u00fbr.<\/p>", "content_text": "Je sens toujours en moi-m\u00eame la pr\u00e9sence de cet enfant que je suis rest\u00e9, un rappel constant de la puret\u00e9 et de la vuln\u00e9rabilit\u00e9 de l\u2019enfance. Je crois profond\u00e9ment que cet enfant reste vivant en chacun de nous, qui demeure une part essentielle de notre humanit\u00e9. Aussi, quand les adultes sont d\u00e9cevants, qu\u2019ils repoussent la po\u00e9sie, la r\u00eaverie et la d\u00e9licatesse au profit d\u2019un pragmatisme inhumain, je cherche d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment dans leur regard l\u2019enfant qu\u2019ils furent, qu\u2019ils sont encore, enfin, je l\u2019esp\u00e8re. Cette qu\u00eate est ma mani\u00e8re de pardonner, de comprendre, et de maintenir une connexion authentique malgr\u00e9 la froideur et la rigidit\u00e9 apparentes du monde adulte. Peut-\u00eatre aussi que chercher l\u2019enfant chez les autres est une fa\u00e7on de d\u00e9dramatiser les situations, de retrouver cette l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 que nous avions enfants, lorsque nous nous inventions des jeux, sans gravit\u00e9, sans que les cons\u00e9quences ne soient trop graves. En revoyant cet enfant, j\u2019esp\u00e8re redonner une part de cette innocence et de cette capacit\u00e9 \u00e0 r\u00eaver, \u00e0 voir au-del\u00e0 des pragmatismes inhumains qui nous \u00e9touffent. Cela m\u2019a souvent aid\u00e9 \u00e0 surmonter des situations difficiles, \u00e0 les rendre plus l\u00e9g\u00e8res et supportables. En abordant les interactions avec cette perspective, je trouve que je peux cr\u00e9er des liens plus authentiques et plus bienveillants, malgr\u00e9 les d\u00e9ceptions et les incompr\u00e9hensions qui surviennent in\u00e9vitablement. J\u2019ai en horreur le drame, la trag\u00e9die, surtout la violence qu\u2019elles manifestent, quand elle n\u2019est pas tout simplement ridicule, le signal des conflits d\u2019int\u00e9r\u00eat ou de pouvoir. Peut-\u00eatre ai-je une vision na\u00efve de ce que fut ma propre enfance. N\u2019y avait-il pas tout autant de cruaut\u00e9 dans la cour de r\u00e9cr\u00e9ation, tout compte fait ? N\u2019\u00e9tais-je pas battu comme pl\u00e2tre sous mon toit ? Mais il me semble que nous \u00e9tions plus proches d\u2019un myst\u00e8re, d\u2019esp\u00e9rances encore vives, qui s\u2019\u00e9vanouirent peu \u00e0 peu \u00e0 l\u2019\u00e2ge adulte. Cette absence d\u2019app\u00e9tence du drame me pousse \u00e0 chercher des solutions pacifiques et \u00e0 \u00e9viter les confrontations st\u00e9riles, \u00e0 voir le bon quand ce n\u2019est pas le meilleur, en chacun, et \u00e0 esp\u00e9rer que cet enfant int\u00e9rieur puisse gu\u00e9rir les blessures inflig\u00e9es par le monde adulte. Je n\u2019ai pas eu l\u2019occasion d\u2019endosser le r\u00f4le de p\u00e8re, je ne suis pas pass\u00e9 par ce qui semble \u00eatre l\u2019initiation majeure chez les adultes. Je ne sais pas prendre les poses qui s\u2019imposent dans un tel cas, faire cas de la collection apparemment inou\u00efe de responsabilit\u00e9s qui incombe \u00e0 la parentalit\u00e9. Peut-\u00eatre que cette absence m\u2019a permis de conserver une vision plus pure, sans doute na\u00efve, moins marqu\u00e9e par les contraintes et les responsabilit\u00e9s de la vie d\u2019adulte. Ou encore pourquoi pas et j\u2019en ai parfois des sueurs froides, une vision tar\u00e9e, totalement erron\u00e9e. En tous cas et c\u2019est mon explication, cela m\u2019a permis de rester connect\u00e9 \u00e0 cet enfant int\u00e9rieur, de ne pas sombrer totalement dans le pragmatisme inhumain que je d\u00e9teste tant. Et maintenant quelque chose pousse int\u00e9rieurement, il faut que \u00e7a sorte. Ne servent-elles pas \u00e0 cela, les femmes, pour de nombreux hommes ? \u00c0 leur fournir ( \u00e0 eux) une preuve d\u2019existence au monde, comme si cette validation \u00e9tait une condition n\u00e9cessaire pour affirmer leur propre valeur. J\u2019ai souvent observ\u00e9 cette dynamique, o\u00f9 des hommes cherchent \u00e0 se construire sur le dos des femmes, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 \u00e9ject\u00e9s de leur ventre. C\u2019est plus simple si on m\u00e9lange la loi avec les sentiments, l\u2019amour. Mais quel amour ? Cela d\u00e9pend de la nature de cet amour, bien s\u00fbr.", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-juin-2024.html", "title": "11 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:38:05Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Lire, relire et relire encore. A chaque relecture on d\u00e9couvrira de nouvelles b\u00e9ances. De nouvelles galeries. De nouvelles pistes. C\u2019est un labyrinthe qui n\u2019en finit pas. Si l\u2019\u00e9criture a pour fonction premi\u00e8re d\u2019abolir la distance et le temps, le lieu o\u00f9 elle m\u00e8ne c\u2019est bien un non-lieu, une intemporalit\u00e9. La mort , l\u2019id\u00e9e que je m\u2019en fait, ne se d\u00e9finit pas diff\u00e9remment. Une absence si pleine de toute part qu\u2019elle ne peut plus \u00eatre autre chose qu\u2019une pr\u00e9sence \u00e0 elle-m\u00eame. Peut-\u00eatre que je suis en train de red\u00e9finir un enfer, le paradis n\u00e9cessitant l\u2019autre, l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 sans quoi aucun d\u00e9lice ne para\u00eet accessible.<\/p>\n

Le terme de non lieu proche aussi d\u2019un verdict de tribunal, le non lieu nous d\u00e9douane. En m\u00eame temps qu\u2019il n\u2019y a plus lieu, ni de se r\u00e9jouir ni de s\u2019enqu\u00e9rir d\u2019une suite, un acte a \u00e9t\u00e9 commis dans le temps, jug\u00e9, puis qualifi\u00e9 de non lieu, ce qui signifie qu\u2019il est comme biff\u00e9 des registres, des annales de tous les lieux comme de tout temps. Du regard de tous les autres.<\/p>\n

Le mouvement de recul face \u00e0 la tombe, pour ne pas chuter, hypnotis\u00e9 par l\u2019obscurit\u00e9 inqui\u00e9tante, est d\u00fb \u00e0 une forme d\u2019attraction qui, au fond de moi, reste tapie. Comme si \u00e0 chaque fois que je me retrouvais ainsi, en p\u00e9riph\u00e9rie de la moindre excavation, d\u2019un trou, d\u2019une fosse, certains atomes, \u00e9lectrons, et la profusion gigantesque de vide qui les assemble, je l\u2019imagine, devenait soudain la part la plus vive du moment pr\u00e9sent.<\/p>\n

J\u2019invente encore une autre mani\u00e8re d\u2019aborder le journal en pr\u00e9parant \u00e0 l\u2019avance des embryons de texte, parfois un paragraphe ou deux, \u00e0 partir d\u2019un mot, une phrase qui subsiste \u00e0 l\u2019oubli. Je note ces bribes sur l\u2019application notes de l\u2019iPhone. Cela peut bien se produire n\u2019importe o\u00f9, comme si le monde \u00e9tait rien de plus ou de moins qu\u2019un livre que j\u2019annote. Je remarque une acc\u00e9l\u00e9ration de cette pratique ces derniers temps. Comme si parfois jet\u00e9 sur une berge comme un poisson p\u00e9ch\u00e9, je me d\u00e9menai soudain , tressaute tant et si bien que la manifestation du toucher de l\u2019eau, la victoire, ( comme dans \u00f4 vie quelle est ta victoire ) devient note.<\/p>\n

Prendre conscience d\u2019\u00eatre vivant vraiment est un choc. Le cabinet dentaire est \u00e0 quelques centaines de m\u00e8tres de la maison. Heureusement surpris par la propret\u00e9 des lieux, des locaux refaits \u00e0 neuf. Et quel accueil, un sourire comme cela devient rare de nos jours, on s\u2019enquiert, on prend son temps sans le g\u00e2cher non plus. Allez donc remplir le formulaire dans la salle d\u2019attente. L\u2019homme masqu\u00e9 doit \u00eatre jeune, la trentaine, il a une voix douce, il me questionne sans \u00eatre intrusif, ouvrez la bouche, j\u2019ai l\u2019habitude vous inqui\u00e9tez pas, et durant toute l\u2019op\u00e9ration il chantonne sur le rythme d\u2019une chanson qui n\u2019a aucun lien visiblement avec la station de radio qui joue dans tout l\u2019immeuble. Je ressors en titubant, grand soleil, chaud, trop chaud, je marche c\u00f4t\u00e9 ombre pour rejoindre mes p\u00e9nates. La douleur s\u2019est absent\u00e9e, on se sentirait presque d\u00e9muni.<\/p>", "content_text": "Lire, relire et relire encore. A chaque relecture on d\u00e9couvrira de nouvelles b\u00e9ances. De nouvelles galeries. De nouvelles pistes. C\u2019est un labyrinthe qui n\u2019en finit pas. Si l\u2019\u00e9criture a pour fonction premi\u00e8re d\u2019abolir la distance et le temps, le lieu o\u00f9 elle m\u00e8ne c\u2019est bien un non-lieu, une intemporalit\u00e9. La mort , l\u2019id\u00e9e que je m\u2019en fait, ne se d\u00e9finit pas diff\u00e9remment. Une absence si pleine de toute part qu\u2019elle ne peut plus \u00eatre autre chose qu\u2019une pr\u00e9sence \u00e0 elle-m\u00eame. Peut-\u00eatre que je suis en train de red\u00e9finir un enfer, le paradis n\u00e9cessitant l\u2019autre, l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 sans quoi aucun d\u00e9lice ne para\u00eet accessible. Le terme de non lieu proche aussi d\u2019un verdict de tribunal, le non lieu nous d\u00e9douane. En m\u00eame temps qu\u2019il n\u2019y a plus lieu, ni de se r\u00e9jouir ni de s\u2019enqu\u00e9rir d\u2019une suite, un acte a \u00e9t\u00e9 commis dans le temps, jug\u00e9, puis qualifi\u00e9 de non lieu, ce qui signifie qu\u2019il est comme biff\u00e9 des registres, des annales de tous les lieux comme de tout temps. Du regard de tous les autres. Le mouvement de recul face \u00e0 la tombe, pour ne pas chuter, hypnotis\u00e9 par l\u2019obscurit\u00e9 inqui\u00e9tante, est d\u00fb \u00e0 une forme d\u2019attraction qui, au fond de moi, reste tapie. Comme si \u00e0 chaque fois que je me retrouvais ainsi, en p\u00e9riph\u00e9rie de la moindre excavation, d\u2019un trou, d\u2019une fosse, certains atomes, \u00e9lectrons, et la profusion gigantesque de vide qui les assemble, je l\u2019imagine, devenait soudain la part la plus vive du moment pr\u00e9sent. J\u2019invente encore une autre mani\u00e8re d\u2019aborder le journal en pr\u00e9parant \u00e0 l\u2019avance des embryons de texte, parfois un paragraphe ou deux, \u00e0 partir d\u2019un mot, une phrase qui subsiste \u00e0 l\u2019oubli. Je note ces bribes sur l\u2019application notes de l\u2019iPhone. Cela peut bien se produire n\u2019importe o\u00f9, comme si le monde \u00e9tait rien de plus ou de moins qu\u2019un livre que j\u2019annote. Je remarque une acc\u00e9l\u00e9ration de cette pratique ces derniers temps. Comme si parfois jet\u00e9 sur une berge comme un poisson p\u00e9ch\u00e9, je me d\u00e9menai soudain , tressaute tant et si bien que la manifestation du toucher de l\u2019eau, la victoire, ( comme dans \u00f4 vie quelle est ta victoire ) devient note. Prendre conscience d\u2019\u00eatre vivant vraiment est un choc. Le cabinet dentaire est \u00e0 quelques centaines de m\u00e8tres de la maison. Heureusement surpris par la propret\u00e9 des lieux, des locaux refaits \u00e0 neuf. Et quel accueil, un sourire comme cela devient rare de nos jours, on s\u2019enquiert, on prend son temps sans le g\u00e2cher non plus. Allez donc remplir le formulaire dans la salle d\u2019attente. L\u2019homme masqu\u00e9 doit \u00eatre jeune, la trentaine, il a une voix douce, il me questionne sans \u00eatre intrusif, ouvrez la bouche, j\u2019ai l\u2019habitude vous inqui\u00e9tez pas, et durant toute l\u2019op\u00e9ration il chantonne sur le rythme d\u2019une chanson qui n\u2019a aucun lien visiblement avec la station de radio qui joue dans tout l\u2019immeuble. Je ressors en titubant, grand soleil, chaud, trop chaud, je marche c\u00f4t\u00e9 ombre pour rejoindre mes p\u00e9nates. La douleur s\u2019est absent\u00e9e, on se sentirait presque d\u00e9muni.", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-juin-2024.html", "title": "10 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:37:25Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

J\u2019ai interrompu de scanner mes n\u00e9gatifs. Comme si l\u2019insignifiance m\u2019avait soudain saut\u00e9 aux yeux. Je n\u2019ai rien fait d\u2019autre que de semer un peu plus de d\u00e9sordre \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de mon disque dur, cr\u00e9ant des dossiers, des sous-dossiers. Utilisant des scripts Python pour retailler les images originales, naviguant entre input et output.<\/p>\n

L\u2019op\u00e9ration est en suspens suite \u00e0 un probl\u00e8me de r\u00e9seau que j\u2019ai voulu solutionner. J\u2019ai perdu, au red\u00e9marrage de la machine, l\u2019ic\u00f4ne r\u00e9seau t\u00e9moignant du bon fonctionnement de la connexion internet. \u00c9trangement, apr\u00e8s avoir inscrit trois phrases sibyllines en ligne de commande :<\/p>\n

sudo ip link set enp7s0 down
\nsudo ip link set enp7s0 up
\nsudo dhclient enp7s0
\nj\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 r\u00e9cup\u00e9rer l\u2019acc\u00e8s au monde num\u00e9rique, tout en ne retrouvant pas cette ic\u00f4ne. La fonction nm-applet ne fonctionne pas pour une raison qui demeure inconnue. J\u2019ai beau tenter d\u2019effectuer une mise \u00e0 jour, de r\u00e9installer le bureau de Gnome, rien \u00e0 faire. J\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 de revenir \u00e0 une version ant\u00e9rieure du pilote de la carte r\u00e9seau.<\/p>\n

Pour l\u2019instant, j\u2019\u00e9cris dans une sorte de no man\u2019s land, n\u2019osant pas red\u00e9marrer la machine apr\u00e8s cette modification majeure.<\/p>\n

Une association m\u2019a contact\u00e9 pour donner des cours l\u2019ann\u00e9e prochaine, plus proche de chez moi. J\u2019ai dit oui, l\u2019opportunit\u00e9 \u00e9tant \u00e9tonnante juste apr\u00e8s avoir d\u00e9missionn\u00e9 d\u2019I. En revanche les horaires seront de 18 \u00e0 21 h, \u00e0 suivre.<\/p>\n

Je vois comment je tra\u00eene, je repousse le moment, aussi bien pour peindre que pour me relire. Je m\u2019\u00e9vade ainsi de la sensation d\u2019\u00eatre pris en tenaille en \u00e9crivant ici dans ce carnet. Comme si la r\u00e9gularit\u00e9 de l\u2019acte, le tempo suffisaient \u00e0 panser les plaies b\u00e9antes que je ne veux pas voir. Cette indigence appara\u00eet une fois que toute l\u2019esbroufe, la com\u00e9die, le drame, tout ce que l\u2019on d\u00e9ploie pour para\u00eetre, f\u00fbt-ce \u00e0 soi seul, s\u2019est \u00e9vanoui.<\/p>\n

Alors se tenir l\u00e0 devant, affronter comme je peux ou comme je ne le peux pas, justement, cette b\u00e9ance.<\/p>\n

Et tenir en respect toute la foule me traitant d\u2019imb\u00e9cile, de cr\u00e9tin chronique en leur souriant comme un idiot, penaud en apparence ou en r\u00e9alit\u00e9, dilemme encore o\u00f9 l\u2019on se trouve mis en demeure de bien vouloir choisir.<\/p>", "content_text": "J\u2019ai interrompu de scanner mes n\u00e9gatifs. Comme si l\u2019insignifiance m\u2019avait soudain saut\u00e9 aux yeux. Je n\u2019ai rien fait d\u2019autre que de semer un peu plus de d\u00e9sordre \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur de mon disque dur, cr\u00e9ant des dossiers, des sous-dossiers. Utilisant des scripts Python pour retailler les images originales, naviguant entre input et output. L\u2019op\u00e9ration est en suspens suite \u00e0 un probl\u00e8me de r\u00e9seau que j\u2019ai voulu solutionner. J\u2019ai perdu, au red\u00e9marrage de la machine, l\u2019ic\u00f4ne r\u00e9seau t\u00e9moignant du bon fonctionnement de la connexion internet. \u00c9trangement, apr\u00e8s avoir inscrit trois phrases sibyllines en ligne de commande : sudo ip link set enp7s0 down sudo ip link set enp7s0 up sudo dhclient enp7s0 j\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 r\u00e9cup\u00e9rer l\u2019acc\u00e8s au monde num\u00e9rique, tout en ne retrouvant pas cette ic\u00f4ne. La fonction nm-applet ne fonctionne pas pour une raison qui demeure inconnue. J\u2019ai beau tenter d\u2019effectuer une mise \u00e0 jour, de r\u00e9installer le bureau de Gnome, rien \u00e0 faire. J\u2019ai d\u00e9cid\u00e9 de revenir \u00e0 une version ant\u00e9rieure du pilote de la carte r\u00e9seau. Pour l\u2019instant, j\u2019\u00e9cris dans une sorte de no man\u2019s land, n\u2019osant pas red\u00e9marrer la machine apr\u00e8s cette modification majeure. Une association m\u2019a contact\u00e9 pour donner des cours l\u2019ann\u00e9e prochaine, plus proche de chez moi. J\u2019ai dit oui, l\u2019opportunit\u00e9 \u00e9tant \u00e9tonnante juste apr\u00e8s avoir d\u00e9missionn\u00e9 d\u2019I. En revanche les horaires seront de 18 \u00e0 21 h, \u00e0 suivre. Je vois comment je tra\u00eene, je repousse le moment, aussi bien pour peindre que pour me relire. Je m\u2019\u00e9vade ainsi de la sensation d\u2019\u00eatre pris en tenaille en \u00e9crivant ici dans ce carnet. Comme si la r\u00e9gularit\u00e9 de l\u2019acte, le tempo suffisaient \u00e0 panser les plaies b\u00e9antes que je ne veux pas voir. Cette indigence appara\u00eet une fois que toute l\u2019esbroufe, la com\u00e9die, le drame, tout ce que l\u2019on d\u00e9ploie pour para\u00eetre, f\u00fbt-ce \u00e0 soi seul, s\u2019est \u00e9vanoui. Alors se tenir l\u00e0 devant, affronter comme je peux ou comme je ne le peux pas, justement, cette b\u00e9ance. Et tenir en respect toute la foule me traitant d\u2019imb\u00e9cile, de cr\u00e9tin chronique en leur souriant comme un idiot, penaud en apparence ou en r\u00e9alit\u00e9, dilemme encore o\u00f9 l\u2019on se trouve mis en demeure de bien vouloir choisir. ", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/09-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/09-juin-2024.html", "title": "09 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:36:40Z", "date_modified": "2025-06-18T23:09:54Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Nouvel accrochage, \u00e0 la m\u00e9diath\u00e8que de S. Arriv\u00e9 quelques minutes \u00e0 l\u2019avance, X. arrive presque en m\u00eame temps. Puis A. surgit du coin de la rue, on s\u2019embrasse. Toujours cet air faussement aust\u00e8re. Elle s\u2019excuse, ils ont command\u00e9 de nouvelles cimaises mais pas encore re\u00e7ues. Nous refaisons encore une fois le tour du propri\u00e9taire. La grande salle au rez de chauss\u00e9e sera pour X. Celle aux murs rouges pour G. et je me contenterai d\u2019une antichambre au haut de l\u2019escalier. Tiens ils n\u2019ont toujours par r\u00e9par\u00e9 ce probl\u00e8me de lumi\u00e8re. Je prends cela comme \u00e7a vient, mes toiles sont faites pour \u00eatre expos\u00e9es sans tenir compte des \u00e9clairages. Elles luisent d\u2019une mani\u00e8re interne. Bien s\u00fbr.<\/p>\n

L\u2019id\u00e9e ne serait pas d\u2019\u00e9crire une chronique par le menu, la description, la relation des faits et gestes. Mais plut\u00f4t de ne recueillir que quelques \u00e9l\u00e9ments suffisamment \u00e9pars, ceux-l\u00e0 m\u00eames qui comptent vraiment, auxquels dans l\u2019action on ne pr\u00eate que peu d\u2019attention, celle-ci \u00e9tant mobilis\u00e9e par je ne sais quel essentiel.<\/p>\n

La chaleur intense vers 17h me fait traverser la rue pour rejoindre l\u2019ombre astringente d\u2019un catalpa. M. la compagne de G. fume. Elle sort souvent pour fumer. j\u2019hume l\u2019odeur de la cigarette en m\u2019interrogeant sur son effet. Rien, c\u2019est juste une odeur de cigarette. J\u2019observe ma maladresse \u00e0 verser le caf\u00e9 avec ce genre de bol habituel dans de gros gobelets de carton. On ne trouve pas le sucre. Nous nous asseyons pour regarder les toiles que X a d\u00e9pos\u00e9es au pied des murs, l\u2019aidons, l\u2019encourageons, puis vaquons \u00e0 notre propre installation. Moment de silence o\u00f9 chacun se retrouve seul avec ses \u0153uvres. A quoi je pense, \u00e0 pas grand chose. Que l\u2019ensemble tienne la route. S. et moi avons tout pr\u00e9par\u00e9, les listes, les bio, les cartels, j\u2019ouvre la pochette jaune dans laquelle tout est remis\u00e9, j\u2019ai apport\u00e9 la moiti\u00e9 d\u2019une plaquette de p\u00e2te collante, amplement suffisant pour une vingtaine de toiles. Les petits carr\u00e9 de Patafix semblent pouvoir se scinder \u00e0 l\u2019infini.<\/p>\n

De retour \u00e0 la maison S. n\u2019est pas encore revenue de chez sa m\u00e8re. Je d\u00e9pose un doliprane dans un verre pour calmer la rage de dent qui revient lancinante. De retour devant mon \u00e9cran je m\u2019aper\u00e7ois que la connexion r\u00e9seau est tomb\u00e9e, que je n\u2019ai plus d\u2019acc\u00e8s \u00e0 internet. Je farfouille sur mon iPhone dans les forum Ubuntu pour retrouver les commandes du terminal me permettant de r\u00e9tablir la liaison avec le monde. Je m\u2019arr\u00e8te pensif en r\u00e9fl\u00e9chissant \u00e0 ce que je nomme liaison avec le monde.<\/p>\n

A noter, la splendeur du grand tilleul vu \u00e0 la fen\u00eatre de la salle de cours. Des vers tendres et des verts profonds, une spirale, un vortex dans quoi j\u2019aurais volontiers disparu corps et \u00e2me, vers 19 heures. A noter aussi, le lendemain un arbre encore plus majestueux sur le parking S. M\u00eame \u00e9motion vivre, sensation d\u2019\u00eatre attir\u00e9 par l\u2019imposante pr\u00e9sence d\u2019un \u00eatre. C\u2019est un tilleul aussi apr\u00e8s avoir repris mes esprits. Ce sont des sensations tr\u00e8s anciennes qui remontent \u00e0 la surface, renversant toute notion d\u2019\u00e2ge, de distance, des chocs \u00e9motionnels pour ne pas dire esth\u00e9tiques, esth\u00e9tique \u00e9tant, je crois, un mot banni, avec tout le p\u00e9dantesque qui l\u2019accompagne g\u00e9n\u00e9ralement.<\/p>\n

Et il n\u2019est pas rare que, ne d\u00e9sirant pas l\u2019\u00eatre et le refusant plus ou moins \u00e9nergiquement, on soit victime d\u2019un effet de bord de la p\u00e9danterie m\u00eame.<\/p>", "content_text": "Nouvel accrochage, \u00e0 la m\u00e9diath\u00e8que de S. Arriv\u00e9 quelques minutes \u00e0 l\u2019avance, X. arrive presque en m\u00eame temps. Puis A. surgit du coin de la rue, on s\u2019embrasse. Toujours cet air faussement aust\u00e8re. Elle s\u2019excuse, ils ont command\u00e9 de nouvelles cimaises mais pas encore re\u00e7ues. Nous refaisons encore une fois le tour du propri\u00e9taire. La grande salle au rez de chauss\u00e9e sera pour X. Celle aux murs rouges pour G. et je me contenterai d\u2019une antichambre au haut de l\u2019escalier. Tiens ils n\u2019ont toujours par r\u00e9par\u00e9 ce probl\u00e8me de lumi\u00e8re. Je prends cela comme \u00e7a vient, mes toiles sont faites pour \u00eatre expos\u00e9es sans tenir compte des \u00e9clairages. Elles luisent d\u2019une mani\u00e8re interne. Bien s\u00fbr. L\u2019id\u00e9e ne serait pas d\u2019\u00e9crire une chronique par le menu, la description, la relation des faits et gestes. Mais plut\u00f4t de ne recueillir que quelques \u00e9l\u00e9ments suffisamment \u00e9pars, ceux-l\u00e0 m\u00eames qui comptent vraiment, auxquels dans l\u2019action on ne pr\u00eate que peu d\u2019attention, celle-ci \u00e9tant mobilis\u00e9e par je ne sais quel essentiel. La chaleur intense vers 17h me fait traverser la rue pour rejoindre l\u2019ombre astringente d\u2019un catalpa. M. la compagne de G. fume. Elle sort souvent pour fumer. j\u2019hume l\u2019odeur de la cigarette en m\u2019interrogeant sur son effet. Rien, c\u2019est juste une odeur de cigarette. J\u2019observe ma maladresse \u00e0 verser le caf\u00e9 avec ce genre de bol habituel dans de gros gobelets de carton. On ne trouve pas le sucre. Nous nous asseyons pour regarder les toiles que X a d\u00e9pos\u00e9es au pied des murs, l\u2019aidons, l\u2019encourageons, puis vaquons \u00e0 notre propre installation. Moment de silence o\u00f9 chacun se retrouve seul avec ses \u0153uvres. A quoi je pense, \u00e0 pas grand chose. Que l\u2019ensemble tienne la route. S. et moi avons tout pr\u00e9par\u00e9, les listes, les bio, les cartels, j\u2019ouvre la pochette jaune dans laquelle tout est remis\u00e9, j\u2019ai apport\u00e9 la moiti\u00e9 d\u2019une plaquette de p\u00e2te collante, amplement suffisant pour une vingtaine de toiles. Les petits carr\u00e9 de Patafix semblent pouvoir se scinder \u00e0 l\u2019infini. De retour \u00e0 la maison S. n\u2019est pas encore revenue de chez sa m\u00e8re. Je d\u00e9pose un doliprane dans un verre pour calmer la rage de dent qui revient lancinante. De retour devant mon \u00e9cran je m\u2019aper\u00e7ois que la connexion r\u00e9seau est tomb\u00e9e, que je n\u2019ai plus d\u2019acc\u00e8s \u00e0 internet. Je farfouille sur mon iPhone dans les forum Ubuntu pour retrouver les commandes du terminal me permettant de r\u00e9tablir la liaison avec le monde. Je m\u2019arr\u00e8te pensif en r\u00e9fl\u00e9chissant \u00e0 ce que je nomme liaison avec le monde. A noter, la splendeur du grand tilleul vu \u00e0 la fen\u00eatre de la salle de cours. Des vers tendres et des verts profonds, une spirale, un vortex dans quoi j\u2019aurais volontiers disparu corps et \u00e2me, vers 19 heures. A noter aussi, le lendemain un arbre encore plus majestueux sur le parking S. M\u00eame \u00e9motion vivre, sensation d\u2019\u00eatre attir\u00e9 par l\u2019imposante pr\u00e9sence d\u2019un \u00eatre. C\u2019est un tilleul aussi apr\u00e8s avoir repris mes esprits. Ce sont des sensations tr\u00e8s anciennes qui remontent \u00e0 la surface, renversant toute notion d\u2019\u00e2ge, de distance, des chocs \u00e9motionnels pour ne pas dire esth\u00e9tiques, esth\u00e9tique \u00e9tant, je crois, un mot banni, avec tout le p\u00e9dantesque qui l\u2019accompagne g\u00e9n\u00e9ralement. Et il n\u2019est pas rare que, ne d\u00e9sirant pas l\u2019\u00eatre et le refusant plus ou moins \u00e9nergiquement, on soit victime d\u2019un effet de bord de la p\u00e9danterie m\u00eame.", "image": "", "tags": ["Murs"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-juin-2024.html", "title": "08 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:35:54Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Ce lundi 3 juin, lors de mes trajets aller et retour vers C, j\u2019\u00e9coute attentivement deux \u00e9missions o\u00f9 Pierre B. intervient. Les nuances de son discours captent mon int\u00e9r\u00eat ; je prends des notes que je pr\u00e9vois de d\u00e9velopper pour une publication pr\u00e9vue le 8 juin. Les r\u00e9flexions de Pierre B. me ram\u00e8nent \u00e0 la figure de Pierre D., un camarade d\u2019enfance de Villevendret. Malgr\u00e9 une diff\u00e9rence d\u2019\u00e2ge notable, Pierre D., encore adolescent dans mes souvenirs, partageait avec Pierre B. une r\u00e9silience remarquable, avan\u00e7ant avec une m\u00e9thode et une prudence qui fa\u00e7onnaient leur approche de la vie.<\/p>\n

Dans le hameau o\u00f9 j\u2019ai sporadiquement pass\u00e9 mes \u00e9t\u00e9s, et o\u00f9 Pierre D. a v\u00e9cu depuis sa naissance, la monotonie et l\u2019isolement dominaient. Toutefois, ce cadre, aussi aust\u00e8re soit-il, poss\u00e9dait une singularit\u00e9 qui stimulait, \u00e0 sa mani\u00e8re, une sensibilit\u00e9 particuli\u00e8re, propice \u00e0 l\u2019\u00e9mergence d\u2019\u00e9motions intenses typiques de l\u2019adolescence.<\/p>\n

Les gens de ce lieu, principalement des agriculteurs, ne semblaient ni capables ni d\u00e9sireux de s\u2019exprimer par des mots. Face \u00e0 mes questionnements souvent silencieux, ils r\u00e9pondaient par des silences encore plus lourds, presque d\u00e9vastateurs. Je trouvais alors refuge dans l\u2019observation de leurs visages, cherchant des indices avec la minutie d\u2019un linguiste \u00e9tudiant une langue obscure. Avec le temps, j\u2019ai d\u00e9velopp\u00e9 un dictionnaire personnel, traduisant leur gestuelle et leurs expressions en une langue que seul mon imagination peut comprendre et utiliser.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, loin de Villevendret, je vis dans un autre bourg une autre r\u00e9gion de France tout aussi sinistr\u00e9e, l\u2019Is\u00e8re, o\u00f9 la vie rurale bat un rythme \u00e0 la fois semblable et diff\u00e9rent. Chaque semaine, je prends la route pour donner des cours de peinture \u00e0 un groupe d\u2019adultes. Ces trajets sont rythm\u00e9s par des \u00e9missions litt\u00e9raires qui m\u2019accompagnent. Depuis toutes ces ann\u00e9es j\u2019ai toujours le sentiment d\u2019\u00eatre ignorant, d\u2019avoir des si\u00e8cles de culture \u00e0 rattraper. L\u2019ennui et la merveille de mon enfance dans ce hameau isol\u00e9 me semblent d\u00e9sormais \u00eatre les fondations sur lesquelles j\u2019ai construis mon parcours d\u2019enseignant et de peintre. Ils sont pour moi ce qui me pousse \u00e0 explorer encore et toujours, \u00e0 me nourrir du dialogue entre le territoire, le pass\u00e9, le pr\u00e9sent et l\u2019infini des savoirs que je cherche \u00e0 rattraper.<\/p>\n

Bient\u00f4t les \u00e9lections europ\u00e9ennes et mon premier r\u00e9flexe fut de m\u2019abstenir de me rendre aux urnes. Puis finalement il est tout \u00e0 fait possible que j\u2019y aille, que je place un bulletin blanc pour bien marquer symboliquement l\u2019\u00e9cart que j\u2019\u00e9prouve avec toute cette r\u00e9clame politicarde. Eu \u00e9gard au fait que le capitalisme puis la mondialisation on d\u00e9j\u00e0 rendu muettes des parties enti\u00e8res de nos r\u00e9gions, que par leur interm\u00e9diaire, les r\u00e9volutions les luttes, les guerres ont \u00e9puis\u00e9 les \u00eatres qui d\u00e9sormais vivent leur quotidien d\u2019une fa\u00e7on blas\u00e9e, comme d\u00e9connect\u00e9e de l\u2019effervescence des grandes villes. D\u2019ailleurs les grandes villes n\u2019offrent plus gu\u00e8re d\u2019attrait m\u00eame au citadin de fortune que je fus, aucun int\u00e9r\u00eat \u00e0 me promener dans des ruines, \u00e0 contempler les enseignes de banques, des agences immobili\u00e8res, ou d\u2019assurances, des grands magasins vendant du v\u00eatement, de l\u2019uniforme. En me garant sur le parking, le feuillage des arbres \u00e9tait d\u2019un magnifique vert tendre, j\u2019eu l\u2019impression fugace associ\u00e9e au vif plaisir de me reconnecter avec la nature quelques instants, \u00e0 renouer un dialogue interrompu depuis bien longtemps.<\/p>", "content_text": "Ce lundi 3 juin, lors de mes trajets aller et retour vers C, j\u2019\u00e9coute attentivement deux \u00e9missions o\u00f9 Pierre B. intervient. Les nuances de son discours captent mon int\u00e9r\u00eat; je prends des notes que je pr\u00e9vois de d\u00e9velopper pour une publication pr\u00e9vue le 8 juin. Les r\u00e9flexions de Pierre B. me ram\u00e8nent \u00e0 la figure de Pierre D., un camarade d\u2019enfance de Villevendret. Malgr\u00e9 une diff\u00e9rence d\u2019\u00e2ge notable, Pierre D., encore adolescent dans mes souvenirs, partageait avec Pierre B. une r\u00e9silience remarquable, avan\u00e7ant avec une m\u00e9thode et une prudence qui fa\u00e7onnaient leur approche de la vie. Dans le hameau o\u00f9 j\u2019ai sporadiquement pass\u00e9 mes \u00e9t\u00e9s, et o\u00f9 Pierre D. a v\u00e9cu depuis sa naissance, la monotonie et l\u2019isolement dominaient. Toutefois, ce cadre, aussi aust\u00e8re soit-il, poss\u00e9dait une singularit\u00e9 qui stimulait, \u00e0 sa mani\u00e8re, une sensibilit\u00e9 particuli\u00e8re, propice \u00e0 l\u2019\u00e9mergence d\u2019\u00e9motions intenses typiques de l\u2019adolescence. Les gens de ce lieu, principalement des agriculteurs, ne semblaient ni capables ni d\u00e9sireux de s\u2019exprimer par des mots. Face \u00e0 mes questionnements souvent silencieux, ils r\u00e9pondaient par des silences encore plus lourds, presque d\u00e9vastateurs. Je trouvais alors refuge dans l\u2019observation de leurs visages, cherchant des indices avec la minutie d\u2019un linguiste \u00e9tudiant une langue obscure. Avec le temps, j\u2019ai d\u00e9velopp\u00e9 un dictionnaire personnel, traduisant leur gestuelle et leurs expressions en une langue que seul mon imagination peut comprendre et utiliser. Aujourd\u2019hui, loin de Villevendret, je vis dans un autre bourg une autre r\u00e9gion de France tout aussi sinistr\u00e9e, l\u2019Is\u00e8re, o\u00f9 la vie rurale bat un rythme \u00e0 la fois semblable et diff\u00e9rent. Chaque semaine, je prends la route pour donner des cours de peinture \u00e0 un groupe d\u2019adultes. Ces trajets sont rythm\u00e9s par des \u00e9missions litt\u00e9raires qui m\u2019accompagnent. Depuis toutes ces ann\u00e9es j\u2019ai toujours le sentiment d\u2019\u00eatre ignorant, d\u2019avoir des si\u00e8cles de culture \u00e0 rattraper. L\u2019ennui et la merveille de mon enfance dans ce hameau isol\u00e9 me semblent d\u00e9sormais \u00eatre les fondations sur lesquelles j\u2019ai construis mon parcours d\u2019enseignant et de peintre. Ils sont pour moi ce qui me pousse \u00e0 explorer encore et toujours, \u00e0 me nourrir du dialogue entre le territoire, le pass\u00e9, le pr\u00e9sent et l\u2019infini des savoirs que je cherche \u00e0 rattraper. Bient\u00f4t les \u00e9lections europ\u00e9ennes et mon premier r\u00e9flexe fut de m\u2019abstenir de me rendre aux urnes. Puis finalement il est tout \u00e0 fait possible que j\u2019y aille, que je place un bulletin blanc pour bien marquer symboliquement l\u2019\u00e9cart que j\u2019\u00e9prouve avec toute cette r\u00e9clame politicarde. Eu \u00e9gard au fait que le capitalisme puis la mondialisation on d\u00e9j\u00e0 rendu muettes des parties enti\u00e8res de nos r\u00e9gions, que par leur interm\u00e9diaire, les r\u00e9volutions les luttes, les guerres ont \u00e9puis\u00e9 les \u00eatres qui d\u00e9sormais vivent leur quotidien d\u2019une fa\u00e7on blas\u00e9e, comme d\u00e9connect\u00e9e de l\u2019effervescence des grandes villes. D\u2019ailleurs les grandes villes n\u2019offrent plus gu\u00e8re d\u2019attrait m\u00eame au citadin de fortune que je fus, aucun int\u00e9r\u00eat \u00e0 me promener dans des ruines, \u00e0 contempler les enseignes de banques, des agences immobili\u00e8res, ou d\u2019assurances, des grands magasins vendant du v\u00eatement, de l\u2019uniforme. En me garant sur le parking, le feuillage des arbres \u00e9tait d\u2019un magnifique vert tendre, j\u2019eu l\u2019impression fugace associ\u00e9e au vif plaisir de me reconnecter avec la nature quelques instants, \u00e0 renouer un dialogue interrompu depuis bien longtemps. ", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-juin-2024.html", "title": "07 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:34:52Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

( Exercice sur la nouvelle, sorte de marche d\u2019approche d\u00e9tourn\u00e9e \u00e0 partir de textes re\u00e7us de Gabriel Obi\u00e9gly « Sans valeur » et Gilles Cl\u00e9ment, « Trait\u00e9 d\u2019art involontaire »)<\/p>\n

Si j\u2019\u00e9tais collectionneur, je crois que je m\u2019entourerais de choses sans valeur, de choses dont la plupart des gens ne veulent plus. Si j\u2019\u00e9tais collectionneur, je consid\u00e9rerais cela comme une sorte de maladie \u00e9trange. Il faudrait bien que je d\u00e9couvre un rem\u00e8de, une ressource \u00e0 prix modique me permettant de pallier ce besoin.<\/p>\n

Est-ce que collectionner fait partie des besoins naturels d\u2019un \u00eatre humain ? Est-ce aussi important que manger, boire, dormir ? N\u2019est-ce pas une fa\u00e7on, comme tant d\u2019autres, de tenter d\u2019esquiver l\u2019ennui, l\u2019id\u00e9e de la mort ? Quand j\u2019y r\u00e9fl\u00e9chis, je suis plus quelqu\u2019un qui amasse plut\u00f4t qu\u2019un collectionneur.<\/p>\n

Ce qui diff\u00e9rencie l\u2019amas de la collection est probablement cette bifurcation que l\u2019on d\u00e9couvre entre choisir avec conscience — peut-\u00eatre l\u2019h\u00e9ritage d\u2019une mani\u00e8re, d\u2019un go\u00fbt — et l\u2019action d\u2019une force centrip\u00e8te des choses qui nous choisissent comme centre. Et probablement aussi le degr\u00e9 de surprise qu\u2019on \u00e9prouve tout \u00e0 coup \u00e0 se sentir cern\u00e9 par la puissance inconsciente de l\u2019amas, loin de la satisfaction du collectionneur \u00e9baubi par l\u2019\u00e9talage de ses troph\u00e9es.<\/p>\n

Je pourrais diviser le monde de la m\u00eame fa\u00e7on, je crois. Ceux qui collectionnent et ceux qui amassent, tout comme on peut distinguer les gloutons des gourmets. J\u2019ai longtemps cru appartenir \u00e0 la cat\u00e9gorie des gourmets. Mais c\u2019\u00e9tait une erreur de jeunesse, li\u00e9e directement \u00e0 la sensation de manque, \u00e0 la sublimation qui remplace celle-ci par d\u00e9pit. D\u2019ailleurs, tout bien pes\u00e9, l\u2019illusion ne passa pas la quarantaine. Aussit\u00f4t les festivit\u00e9s achev\u00e9es sur le seuil de cette d\u00e9cennie neuve, une fringale inconsid\u00e9r\u00e9e me stup\u00e9fia. Je compris avec tristesse que j\u2019appartenais d\u00e9sormais \u00e0 la foule des gloutons, des affam\u00e9s navrants tentant comme ils le pouvaient de remplir une b\u00e9ance existentielle.<\/p>\n

J\u2019ai souvent observ\u00e9 qu\u2019un manque de caract\u00e8re — appelons cela de la faiblesse, de la l\u00e2chet\u00e9 — m\u2019obligeait \u00e0 m\u2019en remettre \u00e0 la facilit\u00e9 d\u2019amasser \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n\u2019importe quoi, pourvu que cela n\u2019exige de moi qu\u2019un minimum de contrainte et d\u2019effort. Par exemple, le lendemain de ma rupture avec M., expuls\u00e9 du cocon familial dans lequel je m\u2019\u00e9tais r\u00e9fugi\u00e9, m\u2019\u00e9tant assimil\u00e9 par capillarit\u00e9 \u00e0 la cat\u00e9gorie des esth\u00e8tes, outrecuidant de suffisance et de vanit\u00e9, je me retrouvai dans la rue, en qu\u00eate d\u2019un trou \u00e0 rat pour me pr\u00e9munir des intemp\u00e9ries.<\/p>\n

Je jetai alors mon d\u00e9volu sur le premier gourbi que ma bourse plate me permettait de briguer, m\u2019enfermai \u00e0 triple tour \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur et commen\u00e7ai \u00e0 amasser quantit\u00e9 de griefs contre moi-m\u00eame. Une nuit, victime de l\u2019insomnie, alors que je regardais par la fen\u00eatre, je vis dans la rue des quantit\u00e9s de cartons, des piles de journaux promis au passage matinal des \u00e9boueurs. Pouss\u00e9 par une intuition bizarre, je d\u00e9valai alors l\u2019escalier pour aller en r\u00e9cup\u00e9rer le plus possible afin de les rapporter dans ma cellule.<\/p>\n

C\u2019est alors qu\u2019avec un peu de farine et d\u2019eau, je confectionnai un gruau, et je me mis \u00e0 fabriquer dans une f\u00e9brilit\u00e9 inconnue de moi-m\u00eame encore, quantit\u00e9 de masques, de personnages. Je ne pensai \u00e0 rien, mes mains semblaient anim\u00e9es par une volont\u00e9 que je ne leur connaissais pas, une n\u00e9cessit\u00e9 nouvelle. Au bout de quelques jours, la transe s\u2019acheva d\u2019un coup et je me retrouvai entour\u00e9 d\u2019une foule de personnages insolites en papier m\u00e2ch\u00e9.<\/p>\n

Combien de mois, d\u2019ann\u00e9es suis-je rest\u00e9 ici, dans cette chambre de quatre par quatre \u00e0 amasser des id\u00e9es noires ? Je ne m\u2019en souviens plus vraiment. Ce dont je me souviens, en revanche, c\u2019est du bruit que font les b\u00eates courant sur le papier peint dans la p\u00e9nombre la nuit. Les cafards provenant d\u2019une \u00e9picerie en bas de mon immeuble traversaient les planchers, gravissaient les \u00e9tages, envahissaient les parois des murs. Lorsque j\u2019appuyais sur l\u2019interrupteur de la lampe de chevet pr\u00e8s de la t\u00eate du lit, la lumi\u00e8re les surprenait et ils s\u2019immobilisaient. Je ne voyais alors que le mouvement presque imperceptible de leurs antennes au-dessus de leurs yeux noirs et vides.<\/p>\n

Je compris peu \u00e0 peu que c\u2019\u00e9tait probablement la farine, liant essentiel de mes \u0153uvres d\u00e9risoires, qui les avait attir\u00e9s l\u00e0. Le lendemain, je fourrai tout p\u00e8le-m\u00eale dans de grands sacs poubelles puis les ramenai \u00e0 leur lieu d\u2019origine.<\/p>\n

Apr\u00e8s avoir vid\u00e9 ma chambre de ces cr\u00e9atures de papier, une nouvelle obsession me saisit. Cette fois, ce n\u2019\u00e9tait pas les objets mais les mots qui s\u2019amoncelaient autour de moi. Je commen\u00e7ai \u00e0 \u00e9crire, chaque jour, sans rel\u00e2che. Des pens\u00e9es, des r\u00e9flexions, des souvenirs. Les pages s\u2019accumulaient, couvertes d\u2019encre noire, envahissant peu \u00e0 peu ma table de travail dans un d\u00e9sordre extraordinaire. Le bruit des cafards fut remplac\u00e9 par le grattement incessant de ma plume sur le papier.<\/p>\n

Au bout de quelques mois, les feuilles volantes formaient des piles instables, mena\u00e7ant de s\u2019effondrer \u00e0 tout moment. Chaque page \u00e9tait une tentative d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e de capturer l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re, de donner un sens \u00e0 cette existence chaotique. Pourtant, malgr\u00e9 l\u2019apparente futilit\u00e9 de mon entreprise, je continuais. \u00c9crire \u00e9tait devenu une n\u00e9cessit\u00e9, un exutoire pour cette \u00e9nergie int\u00e9rieure que je ne pouvais contenir autrement.<\/p>\n

Chaque fois que je relisais mes textes, le vide qu\u2019ils tentaient de dissimuler provoquait de la d\u00e9ception, du d\u00e9go\u00fbt. Je ne voyais l\u00e0 qu\u2019une accumulation de plaintes, de col\u00e8re, de malheurs, de r\u00e9criminations souvent de mauvaise foi que je cherchais \u00e0 r\u00e9pandre dans l\u2019encre et le papier. En toute objectivit\u00e9, un beau g\u00e2chis. J\u2019accumulais encore plus de ranc\u0153ur contre le monde ou moi-m\u00eame, en ces lieux o\u00f9 je pense les avoir par n\u00e9gligence confondus.<\/p>\n

C\u2019est alors que je rencontrai L., une femme dont je ne pourrais autrement qualifier le caract\u00e8re que par les mots « franche » et « pragmatique ». Elle sut me montrer l\u2019\u00e9tendue de ma gaminerie et, en m\u2019extirpant du n\u00e9ant, j\u2019eus l\u2019impression de na\u00eetre au monde une seconde fois.<\/p>\n

L. avait toujours un projet sur le feu. Elle \u00e9tait capable d\u2019en entretenir la flamme durant des mois, jusqu\u2019\u00e0 la r\u00e9alisation de celui-ci. Nous nous m\u00eemes \u00e0 collectionner les voyages dans toutes les capitales d\u2019Europe, nous f\u00eemes des photographies, nous achet\u00e2mes des magnets que nous collions comme des troph\u00e9es \u00e9mouvants sur la porte du r\u00e9frig\u00e9rateur. Bien s\u00fbr, j\u2019avais d\u00e9m\u00e9nag\u00e9 de ma chambre, et j\u2019avais l\u2019impression que le cauchemar qui avait dur\u00e9 tant de mois s\u2019\u00e9tait \u00e9vanoui, comme s\u2019\u00e9vanouissent l\u2019\u00e9t\u00e9 les sales souvenirs d\u2019un trop long hiver.<\/p>\n

Notre relation dura une dizaine d\u2019ann\u00e9es, puis l\u2019ennui revint. Bien s\u00fbr, j\u2019avais fait des efforts, je m\u2019\u00e9tais raisonn\u00e9, j\u2019avais br\u00fbl\u00e9 une quantit\u00e9 inimaginable de textes, de carnets. Je me souviens qu\u2019\u00e0 cette \u00e9poque, L. m\u2019y avait silencieusement encourag\u00e9. Ou bien il me fallait encore une fois exp\u00e9rimenter la notion terrifiante du choix. C\u2019\u00e9tait l\u2019heure de choisir entre la lamentation perp\u00e9tuelle que nous associons \u00e0 l\u2019\u00e9criture et une vie tranquille remplie de projets, de capitales \u00e0 visiter, jusqu\u2019\u00e0 ce que mort s\u2019ensuive.<\/p>\n

J\u2019\u00e9prouvais les plus grandes difficult\u00e9s \u00e0 effectuer ce choix. D\u2019ailleurs, je me souviens avoir soudain d\u00e9cid\u00e9 de tout br\u00fbler sur un coup de t\u00eate, comme on prend une bonne respiration avant de plonger profond\u00e9ment en apn\u00e9e. C\u2019\u00e9tait \u00e9videmment un mauvais choix. Cette absence de choix \u00e9tait un mauvais choix. Assez vite, je rendis L. responsable du vide affreux que j\u2019\u00e9prouvai presque aussit\u00f4t de me retrouver nu, sans tous mes pr\u00e9cieux \u00e9crits. Car \u00e9videmment, leur disparition subite avait soudain cr\u00e9\u00e9 une grande valeur.<\/p>\n

Je me mis alors \u00e0 amasser les aventures. Voyager devenait une mani\u00e8re d\u2019accumuler des exp\u00e9riences, de compenser la perte de mes \u00e9crits. Pourtant, malgr\u00e9 toutes ces nouvelles exp\u00e9riences, une part de moi restait insatisfaite, toujours en qu\u00eate de quelque chose d\u2019introuvable.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, je me retrouve encore aux prises avec cette tourmente. Les mots, les id\u00e9es noires, l\u2019accumulation sans fin. Peut-\u00eatre que cette lutte est devenue une part de moi, une ombre persistante malgr\u00e9 la lumi\u00e8re que L. avait apport\u00e9e dans ma vie. Cherchant d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment \u00e0 donner un sens \u00e0 ce qui, souvent, semble n\u2019en avoir aucun, je continue \u00e0 amasser des feuilles volantes, des souvenirs, des fragments d\u2019existence. Peut-\u00eatre qu\u2019un jour, je trouverai enfin l\u2019\u00e9quilibre entre la n\u00e9cessit\u00e9 de capturer mes pens\u00e9es et celle de trier, de choisir ce qui m\u00e9rite d\u2019\u00eatre conserv\u00e9.<\/p>\n

Pour l\u2019instant, je vis avec cette ambigu\u00eft\u00e9, prisonnier de ce chaos. Ce que je sais, c\u2019est que la qu\u00eate de sens est une entreprise perp\u00e9tuelle, sans garantie de r\u00e9ussite, mais in\u00e9vitable pour ceux qui, comme moi, ne peuvent \u00e9chapper \u00e0 cette mar\u00e9e noire de mots et de pens\u00e9es.<\/p>\n

Photo d\u2019illustration : image d\u2019un atelier papier m\u00e2ch\u00e9 r\u00e9alis\u00e9 dans une \u00e9cole primaire en 2021<\/p>", "content_text": "( Exercice sur la nouvelle, sorte de marche d\u2019approche d\u00e9tourn\u00e9e \u00e0 partir de textes re\u00e7us de Gabriel Obi\u00e9gly \u00ab Sans valeur \u00bb et Gilles Cl\u00e9ment, \u00ab Trait\u00e9 d\u2019art involontaire \u00bb) Si j\u2019\u00e9tais collectionneur, je crois que je m\u2019entourerais de choses sans valeur, de choses dont la plupart des gens ne veulent plus. Si j\u2019\u00e9tais collectionneur, je consid\u00e9rerais cela comme une sorte de maladie \u00e9trange. Il faudrait bien que je d\u00e9couvre un rem\u00e8de, une ressource \u00e0 prix modique me permettant de pallier ce besoin. Est-ce que collectionner fait partie des besoins naturels d\u2019un \u00eatre humain ? Est-ce aussi important que manger, boire, dormir ? N\u2019est-ce pas une fa\u00e7on, comme tant d\u2019autres, de tenter d\u2019esquiver l\u2019ennui, l\u2019id\u00e9e de la mort ? Quand j\u2019y r\u00e9fl\u00e9chis, je suis plus quelqu\u2019un qui amasse plut\u00f4t qu\u2019un collectionneur. Ce qui diff\u00e9rencie l\u2019amas de la collection est probablement cette bifurcation que l\u2019on d\u00e9couvre entre choisir avec conscience \u2014 peut-\u00eatre l\u2019h\u00e9ritage d\u2019une mani\u00e8re, d\u2019un go\u00fbt \u2014 et l\u2019action d\u2019une force centrip\u00e8te des choses qui nous choisissent comme centre. Et probablement aussi le degr\u00e9 de surprise qu\u2019on \u00e9prouve tout \u00e0 coup \u00e0 se sentir cern\u00e9 par la puissance inconsciente de l\u2019amas, loin de la satisfaction du collectionneur \u00e9baubi par l\u2019\u00e9talage de ses troph\u00e9es. Je pourrais diviser le monde de la m\u00eame fa\u00e7on, je crois. Ceux qui collectionnent et ceux qui amassent, tout comme on peut distinguer les gloutons des gourmets. J\u2019ai longtemps cru appartenir \u00e0 la cat\u00e9gorie des gourmets. Mais c\u2019\u00e9tait une erreur de jeunesse, li\u00e9e directement \u00e0 la sensation de manque, \u00e0 la sublimation qui remplace celle-ci par d\u00e9pit. D\u2019ailleurs, tout bien pes\u00e9, l\u2019illusion ne passa pas la quarantaine. Aussit\u00f4t les festivit\u00e9s achev\u00e9es sur le seuil de cette d\u00e9cennie neuve, une fringale inconsid\u00e9r\u00e9e me stup\u00e9fia. Je compris avec tristesse que j\u2019appartenais d\u00e9sormais \u00e0 la foule des gloutons, des affam\u00e9s navrants tentant comme ils le pouvaient de remplir une b\u00e9ance existentielle. J\u2019ai souvent observ\u00e9 qu\u2019un manque de caract\u00e8re \u2014 appelons cela de la faiblesse, de la l\u00e2chet\u00e9 \u2014 m\u2019obligeait \u00e0 m\u2019en remettre \u00e0 la facilit\u00e9 d\u2019amasser \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n\u2019importe quoi, pourvu que cela n\u2019exige de moi qu\u2019un minimum de contrainte et d\u2019effort. Par exemple, le lendemain de ma rupture avec M., expuls\u00e9 du cocon familial dans lequel je m\u2019\u00e9tais r\u00e9fugi\u00e9, m\u2019\u00e9tant assimil\u00e9 par capillarit\u00e9 \u00e0 la cat\u00e9gorie des esth\u00e8tes, outrecuidant de suffisance et de vanit\u00e9, je me retrouvai dans la rue, en qu\u00eate d\u2019un trou \u00e0 rat pour me pr\u00e9munir des intemp\u00e9ries. Je jetai alors mon d\u00e9volu sur le premier gourbi que ma bourse plate me permettait de briguer, m\u2019enfermai \u00e0 triple tour \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur et commen\u00e7ai \u00e0 amasser quantit\u00e9 de griefs contre moi-m\u00eame. Une nuit, victime de l\u2019insomnie, alors que je regardais par la fen\u00eatre, je vis dans la rue des quantit\u00e9s de cartons, des piles de journaux promis au passage matinal des \u00e9boueurs. Pouss\u00e9 par une intuition bizarre, je d\u00e9valai alors l\u2019escalier pour aller en r\u00e9cup\u00e9rer le plus possible afin de les rapporter dans ma cellule. C\u2019est alors qu\u2019avec un peu de farine et d\u2019eau, je confectionnai un gruau, et je me mis \u00e0 fabriquer dans une f\u00e9brilit\u00e9 inconnue de moi-m\u00eame encore, quantit\u00e9 de masques, de personnages. Je ne pensai \u00e0 rien, mes mains semblaient anim\u00e9es par une volont\u00e9 que je ne leur connaissais pas, une n\u00e9cessit\u00e9 nouvelle. Au bout de quelques jours, la transe s\u2019acheva d\u2019un coup et je me retrouvai entour\u00e9 d\u2019une foule de personnages insolites en papier m\u00e2ch\u00e9. Combien de mois, d\u2019ann\u00e9es suis-je rest\u00e9 ici, dans cette chambre de quatre par quatre \u00e0 amasser des id\u00e9es noires ? Je ne m\u2019en souviens plus vraiment. Ce dont je me souviens, en revanche, c\u2019est du bruit que font les b\u00eates courant sur le papier peint dans la p\u00e9nombre la nuit. Les cafards provenant d\u2019une \u00e9picerie en bas de mon immeuble traversaient les planchers, gravissaient les \u00e9tages, envahissaient les parois des murs. Lorsque j\u2019appuyais sur l\u2019interrupteur de la lampe de chevet pr\u00e8s de la t\u00eate du lit, la lumi\u00e8re les surprenait et ils s\u2019immobilisaient. Je ne voyais alors que le mouvement presque imperceptible de leurs antennes au-dessus de leurs yeux noirs et vides. Je compris peu \u00e0 peu que c\u2019\u00e9tait probablement la farine, liant essentiel de mes \u0153uvres d\u00e9risoires, qui les avait attir\u00e9s l\u00e0. Le lendemain, je fourrai tout p\u00e8le-m\u00eale dans de grands sacs poubelles puis les ramenai \u00e0 leur lieu d\u2019origine. Apr\u00e8s avoir vid\u00e9 ma chambre de ces cr\u00e9atures de papier, une nouvelle obsession me saisit. Cette fois, ce n\u2019\u00e9tait pas les objets mais les mots qui s\u2019amoncelaient autour de moi. Je commen\u00e7ai \u00e0 \u00e9crire, chaque jour, sans rel\u00e2che. Des pens\u00e9es, des r\u00e9flexions, des souvenirs. Les pages s\u2019accumulaient, couvertes d\u2019encre noire, envahissant peu \u00e0 peu ma table de travail dans un d\u00e9sordre extraordinaire. Le bruit des cafards fut remplac\u00e9 par le grattement incessant de ma plume sur le papier. Au bout de quelques mois, les feuilles volantes formaient des piles instables, mena\u00e7ant de s\u2019effondrer \u00e0 tout moment. Chaque page \u00e9tait une tentative d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9e de capturer l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re, de donner un sens \u00e0 cette existence chaotique. Pourtant, malgr\u00e9 l\u2019apparente futilit\u00e9 de mon entreprise, je continuais. \u00c9crire \u00e9tait devenu une n\u00e9cessit\u00e9, un exutoire pour cette \u00e9nergie int\u00e9rieure que je ne pouvais contenir autrement. Chaque fois que je relisais mes textes, le vide qu\u2019ils tentaient de dissimuler provoquait de la d\u00e9ception, du d\u00e9go\u00fbt. Je ne voyais l\u00e0 qu\u2019une accumulation de plaintes, de col\u00e8re, de malheurs, de r\u00e9criminations souvent de mauvaise foi que je cherchais \u00e0 r\u00e9pandre dans l\u2019encre et le papier. En toute objectivit\u00e9, un beau g\u00e2chis. J\u2019accumulais encore plus de ranc\u0153ur contre le monde ou moi-m\u00eame, en ces lieux o\u00f9 je pense les avoir par n\u00e9gligence confondus. C\u2019est alors que je rencontrai L., une femme dont je ne pourrais autrement qualifier le caract\u00e8re que par les mots \u00ab franche \u00bb et \u00ab pragmatique \u00bb. Elle sut me montrer l\u2019\u00e9tendue de ma gaminerie et, en m\u2019extirpant du n\u00e9ant, j\u2019eus l\u2019impression de na\u00eetre au monde une seconde fois. L. avait toujours un projet sur le feu. Elle \u00e9tait capable d\u2019en entretenir la flamme durant des mois, jusqu\u2019\u00e0 la r\u00e9alisation de celui-ci. Nous nous m\u00eemes \u00e0 collectionner les voyages dans toutes les capitales d\u2019Europe, nous f\u00eemes des photographies, nous achet\u00e2mes des magnets que nous collions comme des troph\u00e9es \u00e9mouvants sur la porte du r\u00e9frig\u00e9rateur. Bien s\u00fbr, j\u2019avais d\u00e9m\u00e9nag\u00e9 de ma chambre, et j\u2019avais l\u2019impression que le cauchemar qui avait dur\u00e9 tant de mois s\u2019\u00e9tait \u00e9vanoui, comme s\u2019\u00e9vanouissent l\u2019\u00e9t\u00e9 les sales souvenirs d\u2019un trop long hiver. Notre relation dura une dizaine d\u2019ann\u00e9es, puis l\u2019ennui revint. Bien s\u00fbr, j\u2019avais fait des efforts, je m\u2019\u00e9tais raisonn\u00e9, j\u2019avais br\u00fbl\u00e9 une quantit\u00e9 inimaginable de textes, de carnets. Je me souviens qu\u2019\u00e0 cette \u00e9poque, L. m\u2019y avait silencieusement encourag\u00e9. Ou bien il me fallait encore une fois exp\u00e9rimenter la notion terrifiante du choix. C\u2019\u00e9tait l\u2019heure de choisir entre la lamentation perp\u00e9tuelle que nous associons \u00e0 l\u2019\u00e9criture et une vie tranquille remplie de projets, de capitales \u00e0 visiter, jusqu\u2019\u00e0 ce que mort s\u2019ensuive. J\u2019\u00e9prouvais les plus grandes difficult\u00e9s \u00e0 effectuer ce choix. D\u2019ailleurs, je me souviens avoir soudain d\u00e9cid\u00e9 de tout br\u00fbler sur un coup de t\u00eate, comme on prend une bonne respiration avant de plonger profond\u00e9ment en apn\u00e9e. C\u2019\u00e9tait \u00e9videmment un mauvais choix. Cette absence de choix \u00e9tait un mauvais choix. Assez vite, je rendis L. responsable du vide affreux que j\u2019\u00e9prouvai presque aussit\u00f4t de me retrouver nu, sans tous mes pr\u00e9cieux \u00e9crits. Car \u00e9videmment, leur disparition subite avait soudain cr\u00e9\u00e9 une grande valeur. Je me mis alors \u00e0 amasser les aventures. Voyager devenait une mani\u00e8re d\u2019accumuler des exp\u00e9riences, de compenser la perte de mes \u00e9crits. Pourtant, malgr\u00e9 toutes ces nouvelles exp\u00e9riences, une part de moi restait insatisfaite, toujours en qu\u00eate de quelque chose d\u2019introuvable. Aujourd\u2019hui, je me retrouve encore aux prises avec cette tourmente. Les mots, les id\u00e9es noires, l\u2019accumulation sans fin. Peut-\u00eatre que cette lutte est devenue une part de moi, une ombre persistante malgr\u00e9 la lumi\u00e8re que L. avait apport\u00e9e dans ma vie. Cherchant d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment \u00e0 donner un sens \u00e0 ce qui, souvent, semble n\u2019en avoir aucun, je continue \u00e0 amasser des feuilles volantes, des souvenirs, des fragments d\u2019existence. Peut-\u00eatre qu\u2019un jour, je trouverai enfin l\u2019\u00e9quilibre entre la n\u00e9cessit\u00e9 de capturer mes pens\u00e9es et celle de trier, de choisir ce qui m\u00e9rite d\u2019\u00eatre conserv\u00e9. Pour l\u2019instant, je vis avec cette ambigu\u00eft\u00e9, prisonnier de ce chaos. Ce que je sais, c\u2019est que la qu\u00eate de sens est une entreprise perp\u00e9tuelle, sans garantie de r\u00e9ussite, mais in\u00e9vitable pour ceux qui, comme moi, ne peuvent \u00e9chapper \u00e0 cette mar\u00e9e noire de mots et de pens\u00e9es. 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Personne ne m\u2019en voudra d\u2019arr\u00eater, personne ne me demandera de continuer. C\u2019est en grande partie \u00e0 cause ou gr\u00e2ce \u00e0 cela que j\u2019ai l\u2019impression de m\u2019approcher, encore qu\u2019il soit rare d\u00e9sormais de l\u2019\u00e9prouver physiquement, d\u2019une sensation vraie de libert\u00e9.<\/p>\n

L\u2019expression « sensation vraie » provient de ce petit livre de Peter Handke, L\u2019heure de la sensation vraie. Un employ\u00e9 de l\u2019ambassade d\u2019Autriche \u00e0 Paris d\u00e9ambule dans la ville, exp\u00e9rimentant la perte des relations avec ses cong\u00e9n\u00e8res, d\u00e9crivant ses angoisses et ses espoirs.<\/p>\n

Cette sensation vraie aura \u00e9t\u00e9 la source de tant de confusion. Le mot vrai seul, qui remonte aux ann\u00e9es 70-80 avec cet arri\u00e8re-go\u00fbt de cendres.<\/p>\n

Ce que l\u2019on sent dans son propre corps est-il si vrai que nous l\u2019estimons ? Ou bien n\u2019est-ce toujours, m\u00eame cette sensation physique, qu\u2019une simple interpr\u00e9tation pouss\u00e9e par l\u2019air du temps qui nous fournira, en m\u00eame temps, comme un mode d\u2019emploi \u00e9crit en anglais ou en chinois, la mani\u00e8re de rep\u00e9rer cette sensation, de l\u2019interroger, de l\u2019examiner, de la partager ou de la conserver en soi comme une tare, un tr\u00e9sor ?<\/p>\n

Je reste atterr\u00e9 par mon manque chronique d\u2019efficacit\u00e9. Je n\u2019ai jamais \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s efficace en quoi que ce soit. Seule une certaine paresse m\u2019aura accul\u00e9 parfois \u00e0 d\u00e9sirer l\u2019\u00eatre. \u00c0 bricoler des raccourcis, dirais-je. Et le pr\u00e9texte de voir dans l\u2019inefficacit\u00e9 une forme de r\u00e9sistance aura souvent \u00e9t\u00e9 de ma part un leitmotiv. Une sorte de raison ou d\u2019excuse. D\u2019ailleurs, la raison chez moi est cette forme d\u2019excuse magistrale autant que perp\u00e9tuelle. Je veux me trouver des raisons pour tout, m\u2019excuser de vivre en toute circonstance. La violence de ne pas trouver la raison ad hoc de vivre, de ne pas sortir ce lapin d\u2019un chapeau, p\u00e8se le m\u00eame poids que celle de la trouver.<\/p>\n

On m\u2019a toujours accus\u00e9 d\u2019avoir d\u2019excellentes excuses pour ne pas faire ceci ou cela. En gros, tout ce que l\u2019on exigeait que je fisse afin d\u2019\u00eatre aimable, bon, acceptable, normal. Ce qui revient \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans un moule, \u00e0 me contraindre, ce faisant, \u00e0 effectuer une op\u00e9ration chirurgicale sur moi-m\u00eame, amputation, ablation, enfin quelque chose qui d\u2019embl\u00e9e me semble contre-nature.<\/p>\n

Il est ais\u00e9 de remplacer « on » par un nom, une fonction, par une accusation. Tellement ais\u00e9 qu\u2019instinctivement le doute m\u2019emp\u00eache de le faire. Ce que l\u2019on voulait, que je rentre dans le rang. C\u2019est ce qu\u2019on avait toujours fait au prix d\u00e9j\u00e0 de tant de difficult\u00e9s, de douleurs, qu\u2019on imaginait qu\u2019il serait encore bien pis de vouloir esquiver un tel parcours qui ne m\u00e8ne jamais qu\u2019\u00e0 un effroi encore plus redoutable.<\/p>\n

Je crois que j\u2019y suis. Je le sens physiquement. Et, jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, tout ce que j\u2019ai bien pu en dire n\u2019aura \u00e9t\u00e9 que coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau, attaques vaines contre des moulins \u00e0 vent.<\/p>\n

C\u2019est de la honte que tout vient certainement, une honte qui remonte \u00e0 tellement loin qu\u2019elle d\u00e9passe les fronti\u00e8res de ma petite existence.<\/p>\n

Cette honte est une sensation dont la v\u00e9racit\u00e9 est douteuse, un arbre comme tout arbre qui s\u2019imagine cacher une for\u00eat. L\u2019important reste malgr\u00e9 tout de rester l\u00e0, face \u00e0 face avec l\u2019\u00e9chec, la d\u00e9faite, la joie souvent malsaine que procurent de petites victoires.<\/p>\n

« Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better. » \u2013 S. Beckett<\/p>", "content_text": "Personne ne m\u2019en voudra d\u2019arr\u00eater, personne ne me demandera de continuer. C\u2019est en grande partie \u00e0 cause ou gr\u00e2ce \u00e0 cela que j\u2019ai l\u2019impression de m\u2019approcher, encore qu\u2019il soit rare d\u00e9sormais de l\u2019\u00e9prouver physiquement, d\u2019une sensation vraie de libert\u00e9. L\u2019expression \u00ab sensation vraie \u00bb provient de ce petit livre de Peter Handke, L\u2019heure de la sensation vraie. Un employ\u00e9 de l\u2019ambassade d\u2019Autriche \u00e0 Paris d\u00e9ambule dans la ville, exp\u00e9rimentant la perte des relations avec ses cong\u00e9n\u00e8res, d\u00e9crivant ses angoisses et ses espoirs. Cette sensation vraie aura \u00e9t\u00e9 la source de tant de confusion. Le mot vrai seul, qui remonte aux ann\u00e9es 70-80 avec cet arri\u00e8re-go\u00fbt de cendres. Ce que l\u2019on sent dans son propre corps est-il si vrai que nous l\u2019estimons ? Ou bien n\u2019est-ce toujours, m\u00eame cette sensation physique, qu\u2019une simple interpr\u00e9tation pouss\u00e9e par l\u2019air du temps qui nous fournira, en m\u00eame temps, comme un mode d\u2019emploi \u00e9crit en anglais ou en chinois, la mani\u00e8re de rep\u00e9rer cette sensation, de l\u2019interroger, de l\u2019examiner, de la partager ou de la conserver en soi comme une tare, un tr\u00e9sor ? Je reste atterr\u00e9 par mon manque chronique d\u2019efficacit\u00e9. Je n\u2019ai jamais \u00e9t\u00e9 tr\u00e8s efficace en quoi que ce soit. Seule une certaine paresse m\u2019aura accul\u00e9 parfois \u00e0 d\u00e9sirer l\u2019\u00eatre. \u00c0 bricoler des raccourcis, dirais-je. Et le pr\u00e9texte de voir dans l\u2019inefficacit\u00e9 une forme de r\u00e9sistance aura souvent \u00e9t\u00e9 de ma part un leitmotiv. Une sorte de raison ou d\u2019excuse. D\u2019ailleurs, la raison chez moi est cette forme d\u2019excuse magistrale autant que perp\u00e9tuelle. Je veux me trouver des raisons pour tout, m\u2019excuser de vivre en toute circonstance. La violence de ne pas trouver la raison ad hoc de vivre, de ne pas sortir ce lapin d\u2019un chapeau, p\u00e8se le m\u00eame poids que celle de la trouver. On m\u2019a toujours accus\u00e9 d\u2019avoir d\u2019excellentes excuses pour ne pas faire ceci ou cela. En gros, tout ce que l\u2019on exigeait que je fisse afin d\u2019\u00eatre aimable, bon, acceptable, normal. Ce qui revient \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer dans un moule, \u00e0 me contraindre, ce faisant, \u00e0 effectuer une op\u00e9ration chirurgicale sur moi-m\u00eame, amputation, ablation, enfin quelque chose qui d\u2019embl\u00e9e me semble contre-nature. Il est ais\u00e9 de remplacer \u00ab on \u00bb par un nom, une fonction, par une accusation. Tellement ais\u00e9 qu\u2019instinctivement le doute m\u2019emp\u00eache de le faire. Ce que l\u2019on voulait, que je rentre dans le rang. C\u2019est ce qu\u2019on avait toujours fait au prix d\u00e9j\u00e0 de tant de difficult\u00e9s, de douleurs, qu\u2019on imaginait qu\u2019il serait encore bien pis de vouloir esquiver un tel parcours qui ne m\u00e8ne jamais qu\u2019\u00e0 un effroi encore plus redoutable. Je crois que j\u2019y suis. Je le sens physiquement. Et, jusqu\u2019\u00e0 pr\u00e9sent, tout ce que j\u2019ai bien pu en dire n\u2019aura \u00e9t\u00e9 que coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau, attaques vaines contre des moulins \u00e0 vent. C\u2019est de la honte que tout vient certainement, une honte qui remonte \u00e0 tellement loin qu\u2019elle d\u00e9passe les fronti\u00e8res de ma petite existence. Cette honte est une sensation dont la v\u00e9racit\u00e9 est douteuse, un arbre comme tout arbre qui s\u2019imagine cacher une for\u00eat. L\u2019important reste malgr\u00e9 tout de rester l\u00e0, face \u00e0 face avec l\u2019\u00e9chec, la d\u00e9faite, la joie souvent malsaine que procurent de petites victoires. \u00ab Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better. \u00bb \u2013 S. Beckett", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/05-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/05-juin-2024.html", "title": "05 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:32:06Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

J\u2019\u00e9coute Pierre B. r\u00e9pondre aux questions d\u2019un homme jeune, peut-\u00eatre dans la trentaine. Il se trouve dans l\u2019un des angles d\u2019une pi\u00e8ce que j\u2019imagine \u00eatre son bureau. Derri\u00e8re lui, des livres dont je ne parviens pas \u00e0 lire les titres. Mais l\u00e0 n\u2019est pas le sujet.<\/p>\n

Quand Pierre B. parle, r\u00e9pond aux questions, il \u00e9crit, il fait de vraies phrases, avec du pass\u00e9 simple, du pass\u00e9 compos\u00e9, et m\u00eame quelques subjonctifs. C\u2019est un homme qui respecte le langage, et qui le conna\u00eet sur le bout des doigts. C\u2019est aussi l\u2019auteur d\u2019un livre que je trouverais certainement \u00e9patant si je le lisais, je le sais d\u00e9j\u00e0\u2026 Le corps de la lettre (\u00c9ditions Fata Morgana 2019, 64 pages, 14\u00d722 cm). Cependant, on ne peut h\u00e9las lire que 5000 livres seulement dans une vie, donc il convient de bien les choisir.<\/p>\n

Le monde devient de plus en plus opaque, \u00e0 moins que je ne sois soudain frapp\u00e9 d\u2019une \u00e9trange myopie. \u00c0 moins que, dans l\u2019action de voir, je me d\u00e9sint\u00e9resse de plus en plus de ce que je voulais voir, que je cherche soudain \u00e0 le voir diff\u00e9remment, au travers d\u2019un langage.<\/p>\n

Pierre B. insiste sur ce point, qui n\u2019est pas le moindre. On ne peut pas \u00e9crire et \u00eatre dans l\u2019action en m\u00eame temps. C\u2019est pourquoi Hom\u00e8re, dit-il, peut prendre un temps infini \u00e0 d\u00e9crire le bouclier d\u2019Achille, pendant qu\u2019Hector glisse un regard de biais qui le m\u00e8ne aussit\u00f4t \u00e0 sa perte devant la foule horrifi\u00e9e, amass\u00e9e sur les remparts de Troie. L\u2019action ne dure que le temps d\u2019un clin d\u2019\u0153il. Hom\u00e8re l\u2019aveugle a les yeux grands ouverts, il examine les motifs, la d\u00e9coration, il prend tout son temps pour s\u2019en \u00e9merveiller, en m\u00eame temps qu\u2019il l\u2019\u00e9crit pour nous inviter \u00e0 nous en \u00e9merveiller pareillement, aveugles que nous sommes tout autant que le vieil a\u00e8de face \u00e0 toute r\u00e9alit\u00e9 prosa\u00efque.<\/p>\n

Alors quoi, on inventerait une r\u00e9alit\u00e9 parall\u00e8le toute constitu\u00e9e de fioritures, de d\u00e9corations pour ne pas p\u00e9n\u00e9trer de plain-pied dans le terre \u00e0 terre ? Ce serait si simple que cela ? J\u2019en doute. Et cette id\u00e9e d\u2019\u00e9merveillement pour panser de fa\u00e7on douce l\u2019horreur, ce n\u2019est pas la premi\u00e8re fois que je m\u2019y retrouve confront\u00e9.<\/p>\n

Le danger est l\u00e0, de s\u2019enfuir dans l\u2019\u00e9merveillement sans en avoir saisi la raison, la n\u00e9cessit\u00e9. Et perdre ainsi de vue, comme sous l\u2019effet d\u2019une hypnose, la vigueur du langage, des sons, s\u2019adressant au plus juste \u00e0 la chose.<\/p>\n

Puis je pense \u00e0 ce que dit Pierre M. \u00e0 propos de Pierre B. dans l\u2019ouvrage collaboratif « B-17 G » au sujet d\u2019ishma\u00ebl (Moby Dick)et de Smith (Mitrailleur de Sabord). L\u2019auteur et ses personnages. Et soudain me revient cette phrase que je suis parti recopier..<\/p>\n

[\u2026] « nul ne peut pas avoir conscience \u00e0 la fois de tous les innombrables fant\u00f4mes qui parlent par sa voix. Pierre B. n\u2019est pas tenu de savoir quel fant\u00f4me pr\u00e9cis tient \u00e0 tel moment sa plume, pas plus qu\u2019il ne l\u2019est de conna\u00eetre par son nom le forgeron dont il d\u00e9mant\u00e8le et recombine le vieil ouvrage \u2013 la barre de coupe d\u2019une faucheuse m\u00e9canique, mettons. \u00c0 la casse ou \u00e0 la biblioth\u00e8que, on r\u00e9cup\u00e8re des morceaux de barre de coupe qu\u2019on dispose autrement. Pierre B. \u00e9crit ce que d\u2019autres \u00e9crivains ont d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit avec justesse, diff\u00e9remment \u00e9crit, activit\u00e9 qu\u2019on pratique depuis trois ou quatre mille ans sous le nom de litt\u00e9rature. Il donne une nouvelle justesse, il r\u00e9aff\u00fbte la barre de coupe. Il change l\u2019angle de coupe. »<\/p>", "content_text": "J\u2019\u00e9coute Pierre B. r\u00e9pondre aux questions d\u2019un homme jeune, peut-\u00eatre dans la trentaine. Il se trouve dans l\u2019un des angles d\u2019une pi\u00e8ce que j\u2019imagine \u00eatre son bureau. Derri\u00e8re lui, des livres dont je ne parviens pas \u00e0 lire les titres. Mais l\u00e0 n\u2019est pas le sujet. Quand Pierre B. parle, r\u00e9pond aux questions, il \u00e9crit, il fait de vraies phrases, avec du pass\u00e9 simple, du pass\u00e9 compos\u00e9, et m\u00eame quelques subjonctifs. C\u2019est un homme qui respecte le langage, et qui le conna\u00eet sur le bout des doigts. C\u2019est aussi l\u2019auteur d\u2019un livre que je trouverais certainement \u00e9patant si je le lisais, je le sais d\u00e9j\u00e0\u2026 Le corps de la lettre (\u00c9ditions Fata Morgana 2019, 64 pages, 14\u00d722 cm). Cependant, on ne peut h\u00e9las lire que 5000 livres seulement dans une vie, donc il convient de bien les choisir. Le monde devient de plus en plus opaque, \u00e0 moins que je ne sois soudain frapp\u00e9 d\u2019une \u00e9trange myopie. \u00c0 moins que, dans l\u2019action de voir, je me d\u00e9sint\u00e9resse de plus en plus de ce que je voulais voir, que je cherche soudain \u00e0 le voir diff\u00e9remment, au travers d\u2019un langage. Pierre B. insiste sur ce point, qui n\u2019est pas le moindre. On ne peut pas \u00e9crire et \u00eatre dans l\u2019action en m\u00eame temps. C\u2019est pourquoi Hom\u00e8re, dit-il, peut prendre un temps infini \u00e0 d\u00e9crire le bouclier d\u2019Achille, pendant qu\u2019Hector glisse un regard de biais qui le m\u00e8ne aussit\u00f4t \u00e0 sa perte devant la foule horrifi\u00e9e, amass\u00e9e sur les remparts de Troie. L\u2019action ne dure que le temps d\u2019un clin d\u2019\u0153il. Hom\u00e8re l\u2019aveugle a les yeux grands ouverts, il examine les motifs, la d\u00e9coration, il prend tout son temps pour s\u2019en \u00e9merveiller, en m\u00eame temps qu\u2019il l\u2019\u00e9crit pour nous inviter \u00e0 nous en \u00e9merveiller pareillement, aveugles que nous sommes tout autant que le vieil a\u00e8de face \u00e0 toute r\u00e9alit\u00e9 prosa\u00efque. Alors quoi, on inventerait une r\u00e9alit\u00e9 parall\u00e8le toute constitu\u00e9e de fioritures, de d\u00e9corations pour ne pas p\u00e9n\u00e9trer de plain-pied dans le terre \u00e0 terre ? Ce serait si simple que cela ? J\u2019en doute. Et cette id\u00e9e d\u2019\u00e9merveillement pour panser de fa\u00e7on douce l\u2019horreur, ce n\u2019est pas la premi\u00e8re fois que je m\u2019y retrouve confront\u00e9. Le danger est l\u00e0, de s\u2019enfuir dans l\u2019\u00e9merveillement sans en avoir saisi la raison, la n\u00e9cessit\u00e9. Et perdre ainsi de vue, comme sous l\u2019effet d\u2019une hypnose, la vigueur du langage, des sons, s\u2019adressant au plus juste \u00e0 la chose. Puis je pense \u00e0 ce que dit Pierre M. \u00e0 propos de Pierre B. dans l\u2019ouvrage collaboratif \u00ab B-17 G \u00bb au sujet d\u2019ishma\u00ebl (Moby Dick)et de Smith (Mitrailleur de Sabord). L\u2019auteur et ses personnages. Et soudain me revient cette phrase que je suis parti recopier.. [\u2026] \u00ab nul ne peut pas avoir conscience \u00e0 la fois de tous les innombrables fant\u00f4mes qui parlent par sa voix. Pierre B. n\u2019est pas tenu de savoir quel fant\u00f4me pr\u00e9cis tient \u00e0 tel moment sa plume, pas plus qu\u2019il ne l\u2019est de conna\u00eetre par son nom le forgeron dont il d\u00e9mant\u00e8le et recombine le vieil ouvrage \u2013 la barre de coupe d\u2019une faucheuse m\u00e9canique, mettons. \u00c0 la casse ou \u00e0 la biblioth\u00e8que, on r\u00e9cup\u00e8re des morceaux de barre de coupe qu\u2019on dispose autrement. Pierre B. \u00e9crit ce que d\u2019autres \u00e9crivains ont d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit avec justesse, diff\u00e9remment \u00e9crit, activit\u00e9 qu\u2019on pratique depuis trois ou quatre mille ans sous le nom de litt\u00e9rature. Il donne une nouvelle justesse, il r\u00e9aff\u00fbte la barre de coupe. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Abandonner une position sociale, n\u2019importe laquelle, cette id\u00e9e me fait r\u00eaver. Il faut que je sois s\u00fbr de ne pas le regretter. Je suis comme \u00e7a. Je r\u00eave, j\u2019agis dans le r\u00eave et il est assez courant que je veuille revenir en arri\u00e8re, en r\u00e9alit\u00e9, et alors je ne sais rien faire d\u2019autre que regretter. Je crois que le regret est le p\u00e9age de ma r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n

Anonyme vis-\u00e0-vis de tous, mais encore plus vis-\u00e0-vis de moi-m\u00eame. La perte de la m\u00e9moire. L\u2019oubli du moindre int\u00e9r\u00eat pour le futur. Vivre non pas dans le pr\u00e9sent, car avec un tel point de vue, il n\u2019y en a pas. Il n\u2019y a rien. Seulement \u00e9crire tout son saoul. Creuser sous la surface sur quoi l\u2019on pensait tenir debout. Dans une ivresse du d\u00e9valement lent. Il doit bien y avoir un savoir \u00e9crire comme un savoir boire. Ni trop vite ni trop lentement. Une cadence qui ne soit pas juste une r\u00e9p\u00e9tition vide de s\u00e8ve.<\/p>\n

Hier soir \u00e0 I., on m\u2019a trouv\u00e9 d\u00e9sagr\u00e9able. On ne m\u2019a pas dit le mot mais j\u2019ai traduit tout seul. On m\u2019a demand\u00e9 si j\u2019\u00e9tais malade et pour couper court j\u2019ai dit oui, sans autre. Et en un sens, je pense que je le suis vraiment, malade du monde, malade des autres, malade de me voir ici \u00e0 devoir interagir avec le monde et les autres. Malade de voir le temps s\u2019\u00e9couler inexorablement dans l\u2019absurdit\u00e9, l\u2019inutile, les poses, le r\u00f4le.<\/p>\n

J\u2019\u00e9tais venu \u00e0 l\u2019atelier \u00e0 reculons. Il n\u2019y avait plus cette envie, ce d\u00e9sir, ces illusions qui me permettaient de tromper mon ennui, de l\u2019interrompre en tout cas durant les quelques heures \u00e0 animer les cours aupr\u00e8s d\u2019enfants, d\u2019adolescents, d\u2019adultes. Pour compenser cette perte, quelque chose en moi s\u2019\u00e9tait durci. Ce que j\u2019avais pris pour de la bienveillance ou de la compassion avait \u00e9t\u00e9 balay\u00e9 et ce qui le rempla\u00e7ait \u00e9tait d\u2019une s\u00e9cheresse \u00e9tonnante, d\u2019une acuit\u00e9 implacable. J\u2019avais distribu\u00e9 les conseils sans fioriture, je n\u2019avais pas pris garde de m\u00e9nager les susceptibilit\u00e9s, je n\u2019avais pas pris de pincettes. Cependant, d\u2019une certaine mani\u00e8re, j\u2019\u00e9tais align\u00e9 avec les forces les plus violentes et les plus effrayantes de qui j\u2019\u00e9tais. L\u2019impression d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 d\u00e9sagr\u00e9able, ainsi qu\u2019on me le disait, me renvoya presque aussit\u00f4t \u00e0 une culpabilit\u00e9 habituelle. Ce qui renfor\u00e7a d\u2019autant mon agacement et la s\u00e9cheresse de mon ton.J\u2019allais dire \u00e0 voix haute de toutes fa\u00e7ons l\u2019ann\u00e9e prochaine je ne serai plus l\u00e0. J\u2019ai trouv\u00e9 cela inutile aussit\u00f4t. J\u2019ai trouv\u00e9 la r\u00e9ciprocit\u00e9 vaine, comme toute r\u00e9ponse que je pouvais formuler, ou plut\u00f4t que j\u2019\u00e9tais incapable de formuler.<\/p>\n

J\u2019allais dire \u00e0 voix haute : de toutes fa\u00e7ons, l\u2019ann\u00e9e prochaine je ne serai plus l\u00e0. J\u2019ai trouv\u00e9 cela inutile aussit\u00f4t. J\u2019ai trouv\u00e9 la r\u00e9ciprocit\u00e9 vaine, comme toute r\u00e9ponse que je pouvais formuler, ou plut\u00f4t que j\u2019\u00e9tais incapable de formuler.<\/p>\n

Enfin, l\u2019accrochage a \u00e9t\u00e9 rondement men\u00e9. J\u2019avais pris soin d\u2019acheter de la p\u00e2te collante pour installer toutes les \u0153uvres des enfants sur les murs. Ensuite, ce fut le tour des adultes d\u2019accrocher leurs tableaux sur les cimaises. L\u2019exposition de fin d\u2019ann\u00e9e est pr\u00eate. Ils feront le vernissage vendredi, et bien s\u00fbr je ne serai pas l\u00e0, mais \u00e0 R., en train de travailler dans un autre atelier.<\/p>\n

J\u2019ai pris un podcast au hasard. Une fois sorti, j\u2019ai march\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 mon v\u00e9hicule. J\u2019ai vu qu\u2019il faisait presque nuit, j\u2019ai vu les silhouettes des arbres, de la tour, j\u2019ai vu les \u00e9l\u00e8ves d\u00e9marrer leurs v\u00e9hicules, j\u2019ai vu les feux rouges des feux arri\u00e8res des v\u00e9hicules, sortes de points rouges incandescents dans l\u2019obscurit\u00e9 bleue, il pleuviotait. J\u2019ai pris un podcast au hasard apr\u00e8s avoir inscrit Paul L\u00e9autaud dans la barre de recherche de l\u2019application. Je suis tomb\u00e9 sur l\u2019interview de Fr\u00e9d\u00e9ric Martin, fondateur de l\u2019\u00e9dition Tripode. J\u2019ai entendu la phrase de Ponge sur la fabrication des bombes \u00e0 retardement. Je me suis dit que si j\u2019avais \u00e0 chercher un jour un \u00e9diteur\u2026 et puis j\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 tout autre chose je crois, mais je ne m\u2019en souviens pas.<\/p>\n

De la r\u00e9clame, \u00e7a me revient. En \u00e9coutant une autre vid\u00e9o plus t\u00f4t \u2013 \u00e0 aller. J\u2019ai pens\u00e9 au mot r\u00e9clame qui dit bien ce qu\u2019il veut dire, contrairement \u00e0 publicit\u00e9. En m\u00eame temps, j\u2019ai pens\u00e9 qu\u2019il m\u2019\u00e9tait compl\u00e8tement impossible de r\u00e9clamer quoi que ce soit. Il faut se sentir accul\u00e9, enfin, c\u2019est cet autre mot qui m\u2019est venu. Proche d\u2019un autre grossier par la sonorit\u00e9. Enfin quelque chose en rapport avec la chance ou la malchance, l\u2019expression que je n\u2019entends plus : avoir du cul, avoir le cul bord\u00e9 de nouilles. Mais bien s\u00fbr on peut aussi r\u00e9clamer en ayant d\u00e9moli tous les remparts d\u2019une pudeur mal plac\u00e9e. Bien s\u00fbr on peut r\u00e9clamer un d\u00fb. Ce qui m\u2019a agac\u00e9 le plus, c\u2019est comment je ne peux pas, moi, r\u00e9clamer un d\u00fb. Voil\u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 et la petite porte \u00e9troite du regret.<\/p>\n

Photographie d\u2019illustration. 1989 Portugal. Dans le salon de th\u00e9 du petit village. La t\u00e9l\u00e9vision \u00e9tait accroch\u00e9e \u00e0 l\u2019un des murs de la salle. Elle \u00e9tait en marche du matin au soir ce qui permettait aux visiteurs de s\u2019absorber dans sa contemplation, les dispensant d\u2019entretenir des conversations inutiles. Ces gens, les Portugais semblaient calmes, revenus des confins du monde pour atterrir ici, \u00e0 C. \u00e0 l\u2019extr\u00eame nord du pays. Ils avaient v\u00e9cu l\u2019aventure du d\u00e9sir, s\u2019\u00e9taient rendus \u00e0 ses confins, puis le but leur avait \u00e9chapp\u00e9, comme il arrive souvent, et ils \u00e9taient revenus. Ils \u00e9taient revenus de tout, sauf du silence que recouvrait le bruit incessant de la t\u00e9l\u00e9vision.<\/p>\n

\u00e9crit le 30 mai 2024 publi\u00e9 le 4 juin 2024<\/p>", "content_text": "Abandonner une position sociale, n\u2019importe laquelle, cette id\u00e9e me fait r\u00eaver. Il faut que je sois s\u00fbr de ne pas le regretter. Je suis comme \u00e7a. Je r\u00eave, j\u2019agis dans le r\u00eave et il est assez courant que je veuille revenir en arri\u00e8re, en r\u00e9alit\u00e9, et alors je ne sais rien faire d\u2019autre que regretter. Je crois que le regret est le p\u00e9age de ma r\u00e9alit\u00e9. Anonyme vis-\u00e0-vis de tous, mais encore plus vis-\u00e0-vis de moi-m\u00eame. La perte de la m\u00e9moire. L\u2019oubli du moindre int\u00e9r\u00eat pour le futur. Vivre non pas dans le pr\u00e9sent, car avec un tel point de vue, il n\u2019y en a pas. Il n\u2019y a rien. Seulement \u00e9crire tout son saoul. Creuser sous la surface sur quoi l\u2019on pensait tenir debout. Dans une ivresse du d\u00e9valement lent. Il doit bien y avoir un savoir \u00e9crire comme un savoir boire. Ni trop vite ni trop lentement. Une cadence qui ne soit pas juste une r\u00e9p\u00e9tition vide de s\u00e8ve. Hier soir \u00e0 I., on m\u2019a trouv\u00e9 d\u00e9sagr\u00e9able. On ne m\u2019a pas dit le mot mais j\u2019ai traduit tout seul. On m\u2019a demand\u00e9 si j\u2019\u00e9tais malade et pour couper court j\u2019ai dit oui, sans autre. Et en un sens, je pense que je le suis vraiment, malade du monde, malade des autres, malade de me voir ici \u00e0 devoir interagir avec le monde et les autres. Malade de voir le temps s\u2019\u00e9couler inexorablement dans l\u2019absurdit\u00e9, l\u2019inutile, les poses, le r\u00f4le. J\u2019\u00e9tais venu \u00e0 l\u2019atelier \u00e0 reculons. Il n\u2019y avait plus cette envie, ce d\u00e9sir, ces illusions qui me permettaient de tromper mon ennui, de l\u2019interrompre en tout cas durant les quelques heures \u00e0 animer les cours aupr\u00e8s d\u2019enfants, d\u2019adolescents, d\u2019adultes. Pour compenser cette perte, quelque chose en moi s\u2019\u00e9tait durci. Ce que j\u2019avais pris pour de la bienveillance ou de la compassion avait \u00e9t\u00e9 balay\u00e9 et ce qui le rempla\u00e7ait \u00e9tait d\u2019une s\u00e9cheresse \u00e9tonnante, d\u2019une acuit\u00e9 implacable. J\u2019avais distribu\u00e9 les conseils sans fioriture, je n\u2019avais pas pris garde de m\u00e9nager les susceptibilit\u00e9s, je n\u2019avais pas pris de pincettes. Cependant, d\u2019une certaine mani\u00e8re, j\u2019\u00e9tais align\u00e9 avec les forces les plus violentes et les plus effrayantes de qui j\u2019\u00e9tais. L\u2019impression d\u2019avoir \u00e9t\u00e9 d\u00e9sagr\u00e9able, ainsi qu\u2019on me le disait, me renvoya presque aussit\u00f4t \u00e0 une culpabilit\u00e9 habituelle. Ce qui renfor\u00e7a d\u2019autant mon agacement et la s\u00e9cheresse de mon ton.J\u2019allais dire \u00e0 voix haute de toutes fa\u00e7ons l\u2019ann\u00e9e prochaine je ne serai plus l\u00e0. J\u2019ai trouv\u00e9 cela inutile aussit\u00f4t. J\u2019ai trouv\u00e9 la r\u00e9ciprocit\u00e9 vaine, comme toute r\u00e9ponse que je pouvais formuler, ou plut\u00f4t que j\u2019\u00e9tais incapable de formuler. J\u2019allais dire \u00e0 voix haute : de toutes fa\u00e7ons, l\u2019ann\u00e9e prochaine je ne serai plus l\u00e0. J\u2019ai trouv\u00e9 cela inutile aussit\u00f4t. J\u2019ai trouv\u00e9 la r\u00e9ciprocit\u00e9 vaine, comme toute r\u00e9ponse que je pouvais formuler, ou plut\u00f4t que j\u2019\u00e9tais incapable de formuler. Enfin, l\u2019accrochage a \u00e9t\u00e9 rondement men\u00e9. J\u2019avais pris soin d\u2019acheter de la p\u00e2te collante pour installer toutes les \u0153uvres des enfants sur les murs. Ensuite, ce fut le tour des adultes d\u2019accrocher leurs tableaux sur les cimaises. L\u2019exposition de fin d\u2019ann\u00e9e est pr\u00eate. Ils feront le vernissage vendredi, et bien s\u00fbr je ne serai pas l\u00e0, mais \u00e0 R., en train de travailler dans un autre atelier. J\u2019ai pris un podcast au hasard. Une fois sorti, j\u2019ai march\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 mon v\u00e9hicule. J\u2019ai vu qu\u2019il faisait presque nuit, j\u2019ai vu les silhouettes des arbres, de la tour, j\u2019ai vu les \u00e9l\u00e8ves d\u00e9marrer leurs v\u00e9hicules, j\u2019ai vu les feux rouges des feux arri\u00e8res des v\u00e9hicules, sortes de points rouges incandescents dans l\u2019obscurit\u00e9 bleue, il pleuviotait. J\u2019ai pris un podcast au hasard apr\u00e8s avoir inscrit Paul L\u00e9autaud dans la barre de recherche de l\u2019application. Je suis tomb\u00e9 sur l\u2019interview de Fr\u00e9d\u00e9ric Martin, fondateur de l\u2019\u00e9dition Tripode. J\u2019ai entendu la phrase de Ponge sur la fabrication des bombes \u00e0 retardement. Je me suis dit que si j\u2019avais \u00e0 chercher un jour un \u00e9diteur\u2026 et puis j\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 tout autre chose je crois, mais je ne m\u2019en souviens pas. De la r\u00e9clame, \u00e7a me revient. En \u00e9coutant une autre vid\u00e9o plus t\u00f4t \u2013 \u00e0 aller. J\u2019ai pens\u00e9 au mot r\u00e9clame qui dit bien ce qu\u2019il veut dire, contrairement \u00e0 publicit\u00e9. En m\u00eame temps, j\u2019ai pens\u00e9 qu\u2019il m\u2019\u00e9tait compl\u00e8tement impossible de r\u00e9clamer quoi que ce soit. Il faut se sentir accul\u00e9, enfin, c\u2019est cet autre mot qui m\u2019est venu. Proche d\u2019un autre grossier par la sonorit\u00e9. Enfin quelque chose en rapport avec la chance ou la malchance, l\u2019expression que je n\u2019entends plus : avoir du cul, avoir le cul bord\u00e9 de nouilles. Mais bien s\u00fbr on peut aussi r\u00e9clamer en ayant d\u00e9moli tous les remparts d\u2019une pudeur mal plac\u00e9e. Bien s\u00fbr on peut r\u00e9clamer un d\u00fb. Ce qui m\u2019a agac\u00e9 le plus, c\u2019est comment je ne peux pas, moi, r\u00e9clamer un d\u00fb. Voil\u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 et la petite porte \u00e9troite du regret. Photographie d\u2019illustration. 1989 Portugal. Dans le salon de th\u00e9 du petit village. La t\u00e9l\u00e9vision \u00e9tait accroch\u00e9e \u00e0 l\u2019un des murs de la salle. Elle \u00e9tait en marche du matin au soir ce qui permettait aux visiteurs de s\u2019absorber dans sa contemplation, les dispensant d\u2019entretenir des conversations inutiles. Ces gens, les Portugais semblaient calmes, revenus des confins du monde pour atterrir ici, \u00e0 C. \u00e0 l\u2019extr\u00eame nord du pays. Ils avaient v\u00e9cu l\u2019aventure du d\u00e9sir, s\u2019\u00e9taient rendus \u00e0 ses confins, puis le but leur avait \u00e9chapp\u00e9, comme il arrive souvent, et ils \u00e9taient revenus. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Retrouv\u00e9 au grenier, un sac plastique tout sale de la poussi\u00e8re des ans contenant des effets militaires de mon p\u00e8re. Je n\u2019ai pas eu le c\u0153ur ni le courage de le jeter, alors je l\u2019ai pos\u00e9 sur une poutre sous la toiture. Un peu de hauteur apr\u00e8s tant d\u2019ann\u00e9es au sol. On verra.<\/p>\n

Ce n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 une gloire, m\u00eame petit enfant. Je tiens \u00e0 me le rappeler. \u00c0 l\u2019inventer peut-\u00eatre. Un genre d\u2019h\u00e9ro\u00efsme invers\u00e9, une gu\u00e9rilla contraire. Et surtout bien plisser les yeux, les yeux en fente, pour voir tr\u00e8s loin dans les d\u00e9serts, les ergs ; regard touareg, mongol ou cor\u00e9en. Non, je ne serai pas gendarme, cow-boy, am\u00e9ricain et pas non plus le chat. Je resterai r\u00e9solument indien. Comme si c\u2019\u00e9tait si diff\u00e9rent de scalper son prochain que de l\u2019occire \u00e0 coups d\u2019obus, de rafales de plomb, \u00e0 grands jets de napalm, d\u2019armes chimiques, de bombes H. Comme si ce n\u2019\u00e9tait pas tout aussi vache.<\/p>\n

Encore que je ne sais pas ce que nous ont fait les vaches pour qu\u2019on leur emprunte le mot et la vacherie qui va avec.<\/p>\n

Encore que jamais je n\u2019entendis le p\u00e8re s\u2019enorgueillir du moindre de ses exploits guerriers. En avait-il honte ou bien n\u2019\u00e9tait-ce pas un secret \u00e0 conserver « entre couilles », c\u2019est-\u00e0-dire entre « vrais hommes », pour ne pas voir en face toute l\u2019iniquit\u00e9 de leur jeunesse, la l\u00e2chet\u00e9 crasse que provoqu\u00e8rent l\u2019irr\u00e9flexion, l\u2019emballement, l\u2019ignorance et qui soudain s\u2019\u00e9vanouit au premier Viet, Fellag qui tombe.<\/p>\n

La figure de l\u2019ennemi, crainte objectivement, amoindrie de mani\u00e8re gr\u00e9gaire, parfois m\u00e9pris\u00e9e, souvent ridiculis\u00e9e, avant d\u2019\u00eatre transform\u00e9e en bouillie. Comme ce doit \u00eatre un choc, au bout de tout \u00e7a, de voir un enfant, une femme, un homme, un vieil homme mort et de se dire que l\u2019on est directement responsable de cette mort.<\/p>\n

Non, il n\u2019en parla jamais vraiment. Sauf pour \u00e9voquer une fois ou deux, la nostalgie d\u2019anciennes camaraderies, celle notamment de mon parrain auquel je dois mon second pr\u00e9nom, Michel. \u00c9tait-il si honteux que je le pensais alors, ou bien \u00e9tait-ce cette hypoth\u00e8se plus r\u00e9cente, invent\u00e9e par moi, d\u2019un secret, d\u2019une sorte d\u2019initiation ? Ou bien encore avait-il pris la mesure de toute l\u2019inutilit\u00e9 d\u2019en raconter quoi que ce soit ? Je ne le saurai jamais. Cependant, comme le temps passe vite, il fallait que j\u2019effectue un choix pour donner sens \u00e0 ce silence. D\u2019ann\u00e9e en ann\u00e9e, j\u2019explorais les raisons plausibles de la violence d\u2019un tel silence. Je d\u00e9couvris sur le tard qu\u2019il n\u2019y en avait pas. La violence est la plupart du temps sans raison. Et c\u2019est pour cela qu\u2019elle traverse le temps en se renouvelant sans cesse.<\/p>\n

Le p\u00e8re de mon p\u00e8re, lui, avait pris le parti de narrer sans arr\u00eat et d\u2019une fa\u00e7on ridicule, se positionnant toujours comme acteur malheureux et pourquoi pas innocent, sa dr\u00f4le de guerre. \u00c0 la popote qu\u2019il poussait \u00e0 bout de bras sur les champs de bataille de son imagination, c\u2019\u00e9tait \u00e7a qui lui revenait le plus souvent, le dimanche quand nous \u00e9tions tous autour de la table. J\u2019\u00e9coutais gentiment, je voulais \u00eatre \u00e0 l\u2019\u00e9poque le gentil de l\u2019histoire pour compenser, je crois, l\u2019intol\u00e9rable silence qui l\u2019entourait \u00e0 ces moments-l\u00e0. Car ils avaient eu plus de pratique, ceux qui, depuis toujours, se farcissaient les aventures path\u00e9tiques de p\u00e9p\u00e9 parmi les doryphores, les chleuhs, les boches. Cependant, dans son r\u00e9cit, une s\u00e9rie de pages manquaient syst\u00e9matiquement. Les mois durant lesquels, embarqu\u00e9 dans le STO, le service du travail obligatoire, il se retrouva chez une fermi\u00e8re quelque part en Bavi\u00e8re, la vache ! Probablement \u00e0 se la couler douce, oubliant la famille et, plus grave encore, la France.<\/p>\n

Sauf qu\u2019il ne faut quand m\u00eame pas oublier que le p\u00e8re du p\u00e8re de mon p\u00e8re, son p\u00e8re \u00e0 lui, fut le dernier soldat \u00e0 tomber dans les Ardennes l\u2019ultime jour de la Grande Guerre. Le pauvre, le jour m\u00eame de l\u2019armistice, faut le faire.<\/p>\n

Pendant ce temps, les femmes, que disaient-elles ? Pas grand-chose. Entre le silence du p\u00e8re, la logorrh\u00e9e du grand-p\u00e8re, pas grand-chose. Elles leur opposaient un silence m\u00e9nager constitu\u00e9 de bruits de vaisselle, de chocs de petites cuill\u00e8res dans les cuisines, de froissements de tissus, de raclements de toile cir\u00e9e. Ou encore des parfums, des odeurs, des fragrances montant du four, des fourneaux, de la table sur laquelle on tranche, on taille l\u2019ail, l\u2019oignon, le persil, la coriandre et les poireaux.<\/p>\n

Alors, de ce risque d\u2019\u00e9touffement magistral, il fallut se pr\u00e9munir. Ouvrir la porte des maisons, sortir, parfois courir, aller vers la colline l\u00e0-bas qu\u2019on devinait dans la brume matinale, ou encore les for\u00eats, les fleuves, les rivi\u00e8res, tout ce qui semble immuable dans une jeune cervelle qui n\u2019en peut d\u00e9j\u00e0 plus de l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re atroce auquel tous, autant que nous sommes, tentons tant bien que mal de nous accrocher comme des bestiaux morts sur les crochets des abattoirs. Cette vacherie-l\u00e0, que nul n\u2019emportera au paradis.<\/p>", "content_text": "Retrouv\u00e9 au grenier, un sac plastique tout sale de la poussi\u00e8re des ans contenant des effets militaires de mon p\u00e8re. Je n\u2019ai pas eu le c\u0153ur ni le courage de le jeter, alors je l\u2019ai pos\u00e9 sur une poutre sous la toiture. Un peu de hauteur apr\u00e8s tant d\u2019ann\u00e9es au sol. On verra. Ce n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 une gloire, m\u00eame petit enfant. Je tiens \u00e0 me le rappeler. \u00c0 l\u2019inventer peut-\u00eatre. Un genre d\u2019h\u00e9ro\u00efsme invers\u00e9, une gu\u00e9rilla contraire. Et surtout bien plisser les yeux, les yeux en fente, pour voir tr\u00e8s loin dans les d\u00e9serts, les ergs ; regard touareg, mongol ou cor\u00e9en. Non, je ne serai pas gendarme, cow-boy, am\u00e9ricain et pas non plus le chat. Je resterai r\u00e9solument indien. Comme si c\u2019\u00e9tait si diff\u00e9rent de scalper son prochain que de l\u2019occire \u00e0 coups d\u2019obus, de rafales de plomb, \u00e0 grands jets de napalm, d\u2019armes chimiques, de bombes H. Comme si ce n\u2019\u00e9tait pas tout aussi vache. Encore que je ne sais pas ce que nous ont fait les vaches pour qu\u2019on leur emprunte le mot et la vacherie qui va avec. Encore que jamais je n\u2019entendis le p\u00e8re s\u2019enorgueillir du moindre de ses exploits guerriers. En avait-il honte ou bien n\u2019\u00e9tait-ce pas un secret \u00e0 conserver \u00ab entre couilles \u00bb, c\u2019est-\u00e0-dire entre \u00ab vrais hommes \u00bb, pour ne pas voir en face toute l\u2019iniquit\u00e9 de leur jeunesse, la l\u00e2chet\u00e9 crasse que provoqu\u00e8rent l\u2019irr\u00e9flexion, l\u2019emballement, l\u2019ignorance et qui soudain s\u2019\u00e9vanouit au premier Viet, Fellag qui tombe. La figure de l\u2019ennemi, crainte objectivement, amoindrie de mani\u00e8re gr\u00e9gaire, parfois m\u00e9pris\u00e9e, souvent ridiculis\u00e9e, avant d\u2019\u00eatre transform\u00e9e en bouillie. Comme ce doit \u00eatre un choc, au bout de tout \u00e7a, de voir un enfant, une femme, un homme, un vieil homme mort et de se dire que l\u2019on est directement responsable de cette mort. Non, il n\u2019en parla jamais vraiment. Sauf pour \u00e9voquer une fois ou deux, la nostalgie d\u2019anciennes camaraderies, celle notamment de mon parrain auquel je dois mon second pr\u00e9nom, Michel. \u00c9tait-il si honteux que je le pensais alors, ou bien \u00e9tait-ce cette hypoth\u00e8se plus r\u00e9cente, invent\u00e9e par moi, d\u2019un secret, d\u2019une sorte d\u2019initiation ? Ou bien encore avait-il pris la mesure de toute l\u2019inutilit\u00e9 d\u2019en raconter quoi que ce soit ? Je ne le saurai jamais. Cependant, comme le temps passe vite, il fallait que j\u2019effectue un choix pour donner sens \u00e0 ce silence. D\u2019ann\u00e9e en ann\u00e9e, j\u2019explorais les raisons plausibles de la violence d\u2019un tel silence. Je d\u00e9couvris sur le tard qu\u2019il n\u2019y en avait pas. La violence est la plupart du temps sans raison. Et c\u2019est pour cela qu\u2019elle traverse le temps en se renouvelant sans cesse. Le p\u00e8re de mon p\u00e8re, lui, avait pris le parti de narrer sans arr\u00eat et d\u2019une fa\u00e7on ridicule, se positionnant toujours comme acteur malheureux et pourquoi pas innocent, sa dr\u00f4le de guerre. \u00c0 la popote qu\u2019il poussait \u00e0 bout de bras sur les champs de bataille de son imagination, c\u2019\u00e9tait \u00e7a qui lui revenait le plus souvent, le dimanche quand nous \u00e9tions tous autour de la table. J\u2019\u00e9coutais gentiment, je voulais \u00eatre \u00e0 l\u2019\u00e9poque le gentil de l\u2019histoire pour compenser, je crois, l\u2019intol\u00e9rable silence qui l\u2019entourait \u00e0 ces moments-l\u00e0. Car ils avaient eu plus de pratique, ceux qui, depuis toujours, se farcissaient les aventures path\u00e9tiques de p\u00e9p\u00e9 parmi les doryphores, les chleuhs, les boches. Cependant, dans son r\u00e9cit, une s\u00e9rie de pages manquaient syst\u00e9matiquement. Les mois durant lesquels, embarqu\u00e9 dans le STO, le service du travail obligatoire, il se retrouva chez une fermi\u00e8re quelque part en Bavi\u00e8re, la vache ! Probablement \u00e0 se la couler douce, oubliant la famille et, plus grave encore, la France. Sauf qu\u2019il ne faut quand m\u00eame pas oublier que le p\u00e8re du p\u00e8re de mon p\u00e8re, son p\u00e8re \u00e0 lui, fut le dernier soldat \u00e0 tomber dans les Ardennes l\u2019ultime jour de la Grande Guerre. Le pauvre, le jour m\u00eame de l\u2019armistice, faut le faire. Pendant ce temps, les femmes, que disaient-elles ? Pas grand-chose. Entre le silence du p\u00e8re, la logorrh\u00e9e du grand-p\u00e8re, pas grand-chose. Elles leur opposaient un silence m\u00e9nager constitu\u00e9 de bruits de vaisselle, de chocs de petites cuill\u00e8res dans les cuisines, de froissements de tissus, de raclements de toile cir\u00e9e. Ou encore des parfums, des odeurs, des fragrances montant du four, des fourneaux, de la table sur laquelle on tranche, on taille l\u2019ail, l\u2019oignon, le persil, la coriandre et les poireaux. Alors, de ce risque d\u2019\u00e9touffement magistral, il fallut se pr\u00e9munir. Ouvrir la porte des maisons, sortir, parfois courir, aller vers la colline l\u00e0-bas qu\u2019on devinait dans la brume matinale, ou encore les for\u00eats, les fleuves, les rivi\u00e8res, tout ce qui semble immuable dans une jeune cervelle qui n\u2019en peut d\u00e9j\u00e0 plus de l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re atroce auquel tous, autant que nous sommes, tentons tant bien que mal de nous accrocher comme des bestiaux morts sur les crochets des abattoirs. Cette vacherie-l\u00e0, que nul n\u2019emportera au paradis.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ledkdg9e.jpg?1748065102", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-juin-2024.html", "title": "02 juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:27:49Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Vertige de la chute, ralentissement du temps, des lueurs dans l\u2019obscurit\u00e9, chaleureuses, aimantes et qui ont le pouvoir de soulager la gravit\u00e9. Des anges. Qu\u2019as-tu fait de ta vie ? Et c\u2019est la projection d\u2019un film en acc\u00e9l\u00e9r\u00e9, un \u00e9vier qui se vide. Rien. « Ne te juge pas si s\u00e9v\u00e8rement », me dit l\u2019une avec gentillesse, « il y a aussi tout ce que tu ne dis pas, le silence entre les images. » Au r\u00e9veil, l\u2019interstice est le gibier que j\u2019entrevois \u00e0 peine qu\u2019il s\u2019enfuit doucement dans le sous-bois.<\/p>\n

J\u2019ai \u00e9crit encore quelques paragraphes, ou plut\u00f4t j\u2019ai m\u00e2ch\u00e9 lentement quelques paragraphes d\u2019Annie Dillard.<\/p>\n

La partie \u00e0 jeter par-dessus bord est non seulement la mieux \u00e9crite ; curieusement, c\u2019est aussi celle qui aurait d\u00fb constituer le c\u0153ur de l\u2019ouvrage. C\u2019est le passage-clef primordial, celui auquel tous les autres devraient s\u2019accrocher, celui qui t\u2019a donn\u00e9 le courage de commencer. Henry James en savait quelque chose et il en parla mieux que personne. Dans sa pr\u00e9face aux « D\u00e9pouilles de Poynton », il plaint l\u2019\u00e9crivain en deux phrases comiques qui s\u2019ach\u00e8vent sur un hurlement : « Quelle est l\u2019\u0153uvre dans laquelle, en proie aux pires difficult\u00e9s, il n\u2019a pas renonc\u00e9 au meilleur de ce qu\u2019il voulait conserver ? Dans laquelle avant de commettre l\u2019irr\u00e9parable, il ne se demande pas ce qu\u2019est devenue cette douce et pr\u00e9cieuse chose qui justifiait pareille extr\u00e9mit\u00e9 ? »<\/p>\n

Il y a une fascination \u00e9gale pour l\u2019an\u00e9antissement comme pour ce qui subsiste envers et contre tout. Ce qui passe par le tamis de l\u2019inutile reste r\u00e9solument utile. Et c\u2019est pourquoi il faut sans doute faire beaucoup de choses inutiles pour savoir ce qu\u2019on aurait pu faire de vraiment utile. C\u2019est le prix \u00e0 payer de renoncer au groupe, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur, aux traditions, \u00e0 la confiance.<\/p>\n

Hier, nous \u00e9tions lundi et la s\u00e9ance \u00e0 C. m\u2019a paru moins longue que les autres jours. Devant les fen\u00eatres, la commune a plac\u00e9 des panneaux de fer blanc qui nous rendent aveugles, on ne voit plus la rue, les collines alentour, rien qu\u2019un petit morceau de ciel blanc. Nous avons travaill\u00e9 \u00e0 partir des photographies des \u0153uvres de Joan Mitchell. C\u2019est maintenant que je me rends compte que je n\u2019ai pris aucune photographie des travaux r\u00e9alis\u00e9s. Je devrais peut-\u00eatre commencer \u00e0 \u00e9tablir des check-lists des choses importantes \u00e0 faire. Je devrais trouver des priorit\u00e9s entre ce qui est important et ce qui ne l\u2019est pas, et le noter. Une fois trouv\u00e9es, ne pas les oublier.<\/p>\n

L\u2019introspection m\u2019agace. Comme un bouton que l\u2019on ne cesse de gratter. Une cro\u00fbte que l\u2019on s\u2019obstine \u00e0 gratter pour ne pas perdre la sensation de plaie vive. J\u2019essaie de m\u2019en \u00e9loigner mais plus je m\u2019en \u00e9loigne, plus je me rue vers elle ensuite. Cela me rappelle des comportements anciens avec ma m\u00e8re, les femmes, les amis. Un mal oblig\u00e9. Je n\u2019arrive pas \u00e0 me d\u00e9cider \u00e0 dire « fichez-moi la paix » car ces mots sont souvent irr\u00e9vocables. La paix ne s\u2019obtient qu\u2019avec le silence absolu, l\u2019\u00e9loignement d\u00e9finitif. La mort. Autrement dit, si je m\u2019\u00e9loigne de l\u2019introspection de fa\u00e7on radicale, j\u2019imagine \u00eatre mort.<\/p>", "content_text": "Vertige de la chute, ralentissement du temps, des lueurs dans l\u2019obscurit\u00e9, chaleureuses, aimantes et qui ont le pouvoir de soulager la gravit\u00e9. Des anges. Qu\u2019as-tu fait de ta vie ? Et c\u2019est la projection d\u2019un film en acc\u00e9l\u00e9r\u00e9, un \u00e9vier qui se vide. Rien. \u00ab Ne te juge pas si s\u00e9v\u00e8rement \u00bb, me dit l\u2019une avec gentillesse, \u00ab il y a aussi tout ce que tu ne dis pas, le silence entre les images. \u00bb Au r\u00e9veil, l\u2019interstice est le gibier que j\u2019entrevois \u00e0 peine qu\u2019il s\u2019enfuit doucement dans le sous-bois. J\u2019ai \u00e9crit encore quelques paragraphes, ou plut\u00f4t j\u2019ai m\u00e2ch\u00e9 lentement quelques paragraphes d\u2019Annie Dillard. La partie \u00e0 jeter par-dessus bord est non seulement la mieux \u00e9crite ; curieusement, c\u2019est aussi celle qui aurait d\u00fb constituer le c\u0153ur de l\u2019ouvrage. C\u2019est le passage-clef primordial, celui auquel tous les autres devraient s\u2019accrocher, celui qui t\u2019a donn\u00e9 le courage de commencer. Henry James en savait quelque chose et il en parla mieux que personne. Dans sa pr\u00e9face aux \u00ab D\u00e9pouilles de Poynton \u00bb, il plaint l\u2019\u00e9crivain en deux phrases comiques qui s\u2019ach\u00e8vent sur un hurlement : \u00ab Quelle est l\u2019\u0153uvre dans laquelle, en proie aux pires difficult\u00e9s, il n\u2019a pas renonc\u00e9 au meilleur de ce qu\u2019il voulait conserver ? Dans laquelle avant de commettre l\u2019irr\u00e9parable, il ne se demande pas ce qu\u2019est devenue cette douce et pr\u00e9cieuse chose qui justifiait pareille extr\u00e9mit\u00e9 ? \u00bb Il y a une fascination \u00e9gale pour l\u2019an\u00e9antissement comme pour ce qui subsiste envers et contre tout. Ce qui passe par le tamis de l\u2019inutile reste r\u00e9solument utile. Et c\u2019est pourquoi il faut sans doute faire beaucoup de choses inutiles pour savoir ce qu\u2019on aurait pu faire de vraiment utile. C\u2019est le prix \u00e0 payer de renoncer au groupe, \u00e0 l\u2019ext\u00e9rieur, aux traditions, \u00e0 la confiance. Hier, nous \u00e9tions lundi et la s\u00e9ance \u00e0 C. m\u2019a paru moins longue que les autres jours. Devant les fen\u00eatres, la commune a plac\u00e9 des panneaux de fer blanc qui nous rendent aveugles, on ne voit plus la rue, les collines alentour, rien qu\u2019un petit morceau de ciel blanc. Nous avons travaill\u00e9 \u00e0 partir des photographies des \u0153uvres de Joan Mitchell. C\u2019est maintenant que je me rends compte que je n\u2019ai pris aucune photographie des travaux r\u00e9alis\u00e9s. Je devrais peut-\u00eatre commencer \u00e0 \u00e9tablir des check-lists des choses importantes \u00e0 faire. Je devrais trouver des priorit\u00e9s entre ce qui est important et ce qui ne l\u2019est pas, et le noter. Une fois trouv\u00e9es, ne pas les oublier. L\u2019introspection m\u2019agace. Comme un bouton que l\u2019on ne cesse de gratter. Une cro\u00fbte que l\u2019on s\u2019obstine \u00e0 gratter pour ne pas perdre la sensation de plaie vive. J\u2019essaie de m\u2019en \u00e9loigner mais plus je m\u2019en \u00e9loigne, plus je me rue vers elle ensuite. Cela me rappelle des comportements anciens avec ma m\u00e8re, les femmes, les amis. Un mal oblig\u00e9. Je n\u2019arrive pas \u00e0 me d\u00e9cider \u00e0 dire \u00ab fichez-moi la paix \u00bb car ces mots sont souvent irr\u00e9vocables. La paix ne s\u2019obtient qu\u2019avec le silence absolu, l\u2019\u00e9loignement d\u00e9finitif. La mort. Autrement dit, si je m\u2019\u00e9loigne de l\u2019introspection de fa\u00e7on radicale, j\u2019imagine \u00eatre mort.", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/1-er-juin-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/1-er-juin-2024.html", "title": "1 er juin 2024", "date_published": "2024-07-25T23:25:26Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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L\u2019art et la folie, la folie et l\u2019art, y a-t-il un ordre, une combinaison particuli\u00e8re, ou bien n\u2019est-ce pas plut\u00f4t ce bon vieux serpent qui ne cesse d\u2019onduler en cherchant sa t\u00eate ? Dans le jardin d\u2019Eden, si tous les fruits sont permis sauf un, le go\u00fbt de tous les autres devient insipide. Quand on d\u00e9couvre finalement ce fruit interdit, quand on conna\u00eet le go\u00fbt du petit pois, du pois cass\u00e9, bien arros\u00e9 de jus de pomme, on r\u00e9alise qu\u2019on est un pois parmi tous les autres pois de l\u2019univers, une bonne vieille pomme tomb\u00e9e au sol. Le serpent s\u2019\u00e9l\u00e8ve, devient dragon et nous souffle comme une chandelle.<\/p>\n

Notons l\u2019alternance entre les jours avec et les jours sans, et les nuits aussi \u2013 une barre verte, une barre rouge. Si l\u2019on suit cette pratique toute une vie, et que l\u2019on d\u00e9pose ensuite toutes les feuilles macul\u00e9es de rouge et de vert dans un champ, on obtiendra peut-\u00eatre une image assez juste de ce bon vieux serpent. Cependant, trouver un d\u00e9but, une fin, la t\u00eate ou la queue reste aussi difficile pour nous que pour lui.<\/p>\n

L\u2019ondulation est partout. Mon p\u00e8re travaillait jadis dans une soci\u00e9t\u00e9 qui vendait des plaques asphalt\u00e9es ou bitumineuses : Onduline. L\u2019\u00e9t\u00e9, je me revois encore sur la route qui serpente entre les collines, le goudron devenant mou et gluant sous les semelles de mes « Clarks ». Des volutes d\u2019air tremblant montent \u00e7\u00e0 et l\u00e0 autour de moi, l\u2019horizon tremble au m\u00eame rythme. Dans les ann\u00e9es 70, l\u2019ondulation et la r\u00e9p\u00e9tition, le psych\u00e9d\u00e9lisme, les lumi\u00e8res color\u00e9es, et le magma des mots en fusion faisaient partie de notre quotidien. Christian Vander parlait le koba\u00efen en changeant de peau : Z\u00e9behn Stra\u00efn D\u00eb Geustaah.<\/p>\n

Hier, je me suis demand\u00e9 si l\u2019utilisation de l\u2019intelligence artificielle n\u2019\u00e9tait pas une mani\u00e8re de revenir \u00e0 un mode de pens\u00e9e ancestral, bien connu des civilisations ant\u00e9diluviennes : la proph\u00e9tie. Les traces que nous en conservons aujourd\u2019hui d\u00e9forment probablement ce qu\u2019elle fut r\u00e9ellement. Ni les quelques pages de l\u2019Ancien Testament, ni les \u00e9crits des rishis dans les V\u00e9das ne peuvent nous aider \u00e0 comprendre l\u2019art proph\u00e9tique d\u2019autrefois. Ce qui fut volontairement crypt\u00e9, et la mani\u00e8re de le d\u00e9crypter, nous est devenu inaccessible d\u00e9sormais, \u00e0 l\u2019exception de quelques linguistes. Le temps est une bulle. Le temps d\u2019aujourd\u2019hui ne peut r\u00e9ellement communiquer avec le temps d\u2019hier ni avec le temps de demain, sauf par une succession d\u2019ondulations sans queue ni t\u00eate.<\/p>\n

L\u2019homme autrefois atteignait des capacit\u00e9s comparables \u00e0 celles des meilleurs ordinateurs que nous ne cr\u00e9erons jamais. Le cerveau, le c\u0153ur, le foie, composants d\u2019un syst\u00e8me quantique de haut vol, dont la transe, la kundalini, ne sont que des vestiges laiss\u00e9s par ceux qui ont quitt\u00e9 la table. Nous r\u00e9inventons la roue \u00e0 chaque \u00e9poque, chaque \u00e8re, dans un cycle qui recommence sans fin depuis la nuit des temps.<\/p>\n

Il y a une densit\u00e9 dans ce que j\u2019\u00e9cris ce matin qui n\u00e9cessiterait des d\u00e9veloppements, de quoi faire un livre. Mais j\u2019y renonce.<\/p>\n

Entre la po\u00e9sie et le r\u00e9cit, une ondulation sans fin aussi.<\/p>\n

L\u2019image d\u2019illustration est celle d\u2019une \u0153uvre de Yayoi Kusama : exposition « Yayoi Kusama : I Who Have Arrived In Heaven » \u00e0 la David Zwirner Art Gallery \u00e0 New York en 2013. Andrew Toth\/Getty Images.<\/p>", "content_text": "L\u2019art et la folie, la folie et l\u2019art, y a-t-il un ordre, une combinaison particuli\u00e8re, ou bien n\u2019est-ce pas plut\u00f4t ce bon vieux serpent qui ne cesse d\u2019onduler en cherchant sa t\u00eate ? Dans le jardin d\u2019Eden, si tous les fruits sont permis sauf un, le go\u00fbt de tous les autres devient insipide. Quand on d\u00e9couvre finalement ce fruit interdit, quand on conna\u00eet le go\u00fbt du petit pois, du pois cass\u00e9, bien arros\u00e9 de jus de pomme, on r\u00e9alise qu\u2019on est un pois parmi tous les autres pois de l\u2019univers, une bonne vieille pomme tomb\u00e9e au sol. Le serpent s\u2019\u00e9l\u00e8ve, devient dragon et nous souffle comme une chandelle. Notons l\u2019alternance entre les jours avec et les jours sans, et les nuits aussi \u2013 une barre verte, une barre rouge. Si l\u2019on suit cette pratique toute une vie, et que l\u2019on d\u00e9pose ensuite toutes les feuilles macul\u00e9es de rouge et de vert dans un champ, on obtiendra peut-\u00eatre une image assez juste de ce bon vieux serpent. Cependant, trouver un d\u00e9but, une fin, la t\u00eate ou la queue reste aussi difficile pour nous que pour lui. L\u2019ondulation est partout. Mon p\u00e8re travaillait jadis dans une soci\u00e9t\u00e9 qui vendait des plaques asphalt\u00e9es ou bitumineuses : Onduline. L\u2019\u00e9t\u00e9, je me revois encore sur la route qui serpente entre les collines, le goudron devenant mou et gluant sous les semelles de mes \u00ab Clarks \u00bb. Des volutes d\u2019air tremblant montent \u00e7\u00e0 et l\u00e0 autour de moi, l\u2019horizon tremble au m\u00eame rythme. Dans les ann\u00e9es 70, l\u2019ondulation et la r\u00e9p\u00e9tition, le psych\u00e9d\u00e9lisme, les lumi\u00e8res color\u00e9es, et le magma des mots en fusion faisaient partie de notre quotidien. Christian Vander parlait le koba\u00efen en changeant de peau : Z\u00e9behn Stra\u00efn D\u00eb Geustaah. Hier, je me suis demand\u00e9 si l\u2019utilisation de l\u2019intelligence artificielle n\u2019\u00e9tait pas une mani\u00e8re de revenir \u00e0 un mode de pens\u00e9e ancestral, bien connu des civilisations ant\u00e9diluviennes : la proph\u00e9tie. Les traces que nous en conservons aujourd\u2019hui d\u00e9forment probablement ce qu\u2019elle fut r\u00e9ellement. Ni les quelques pages de l\u2019Ancien Testament, ni les \u00e9crits des rishis dans les V\u00e9das ne peuvent nous aider \u00e0 comprendre l\u2019art proph\u00e9tique d\u2019autrefois. Ce qui fut volontairement crypt\u00e9, et la mani\u00e8re de le d\u00e9crypter, nous est devenu inaccessible d\u00e9sormais, \u00e0 l\u2019exception de quelques linguistes. Le temps est une bulle. Le temps d\u2019aujourd\u2019hui ne peut r\u00e9ellement communiquer avec le temps d\u2019hier ni avec le temps de demain, sauf par une succession d\u2019ondulations sans queue ni t\u00eate. L\u2019homme autrefois atteignait des capacit\u00e9s comparables \u00e0 celles des meilleurs ordinateurs que nous ne cr\u00e9erons jamais. Le cerveau, le c\u0153ur, le foie, composants d\u2019un syst\u00e8me quantique de haut vol, dont la transe, la kundalini, ne sont que des vestiges laiss\u00e9s par ceux qui ont quitt\u00e9 la table. Nous r\u00e9inventons la roue \u00e0 chaque \u00e9poque, chaque \u00e8re, dans un cycle qui recommence sans fin depuis la nuit des temps. Il y a une densit\u00e9 dans ce que j\u2019\u00e9cris ce matin qui n\u00e9cessiterait des d\u00e9veloppements, de quoi faire un livre. Mais j\u2019y renonce. Entre la po\u00e9sie et le r\u00e9cit, une ondulation sans fin aussi. L\u2019image d\u2019illustration est celle d\u2019une \u0153uvre de Yayoi Kusama : exposition \u00ab Yayoi Kusama: I Who Have Arrived In Heaven \u00bb \u00e0 la David Zwirner Art Gallery \u00e0 New York en 2013. Andrew Toth\/Getty Images. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/gettyimages-187291300.webp?1748065184", "tags": [] } ] }