{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Negatifs.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Negatifs.html", "title": "N\u00e9gatifs", "date_published": "2022-09-06T01:48:00Z", "date_modified": "2025-09-18T16:54:01Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

\"\"Route menant \u00e0 rien. Cuba Patrick Blanchon<\/p>\n

C\u2019est la m\u00eame r\u00e9sistance, la m\u00eame entrave qui se repr\u00e9sente encore et encore lorsqu\u2019il s\u2019agit de vouloir revenir en arri\u00e8re pour trier, ranger, organiser et tirer parti d\u2019un travail effectu\u00e9. Comme si, en t\u00e2che de fond, j\u2019\u00e9prouvais la sensation p\u00e9nible de devoir me mettre \u00e0 bricoler, esp\u00e9rer, r\u00e9cup\u00e9rer quelque chose de fichu, d\u2019irr\u00e9parable. Tirer parti de toutes ces ann\u00e9es dites « perdues ». Tenter de r\u00e9tribuer le sacrifice, l\u2019abandon, l\u2019\u00e9chec, dans un acte qui tirerait de toutes ces ombres, une lumi\u00e8re. Peut-\u00eatre une nostalgie de cette chambre noire que je n\u2019ai jamais eu ni le courage, ni l\u2019envie suffisante de reconstituer. Je poss\u00e8de pourtant l\u2019essentiel, un carton rempli de n\u00e9gatifs noir et blanc que j\u2019ai trimball\u00e9 dans tous mes d\u00e9m\u00e9nagements. Une quinzaine d\u2019ann\u00e9es de prises de vue. Comme si le hasard voulait me titiller, renforcer encore plus la tentation, j\u2019ai r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 un agrandisseur que l\u2019association dans laquelle je donnais depuis quelques ann\u00e9es des cours de peinture m\u2019a offert gracieusement. Ils me l\u2019ont offert plut\u00f4t que d\u2019avoir \u00e0 le jeter \u00e0 la benne, car ils changeaient tout leur mat\u00e9riel devenu obsol\u00e8te pour se mettre au num\u00e9rique<\/em>. Revenir au laboratoire, \u00e0 la chambre noire, je crois que je pr\u00e9f\u00e8re caresser cette id\u00e9e en imagination que de la concr\u00e9tiser v\u00e9ritablement. Sans doute que j\u2019y trouve une sorte d\u2019avantage. Il y en a forc\u00e9ment un. Peut-\u00eatre seulement conserver cette envie, recr\u00e9er une chambre noire, afin qu\u2019elle reste dans le domaine du d\u00e9sir uniquement, du fantasme, plut\u00f4t que de passer \u00e0 l\u2019acte et d\u2019avoir une nouvelle fois \u00e0 affronter les cons\u00e9quences d\u2019un tel passage. Cons\u00e9quences que j\u2019imagine forc\u00e9ment douloureuses, d\u00e9cevantes. J\u2019ai finalement peine \u00e0 croire que le temps pass\u00e9 poss\u00e8de le pouvoir de r\u00e9parer ce qui est bris\u00e9, de redresser ce qui est tordu depuis son origine.<\/p>\n

Ainsi, le th\u00e8me de ce nouvel atelier d\u2019\u00e9criture #photofiction<\/a> me semble-t-il \u00eatre \u00e0 premi\u00e8re vue une aubaine. Une bonne partie du travail n\u2019est-il pas d\u00e9j\u00e0 fait\u202f ? Je n\u2019aurais qu\u2019\u00e0 fouiller un peu sur ce blog \u00e0 l\u2019aide de quelques mots clefs pour extraire quantit\u00e9 de textes traitant de mon histoire avec la photographie. C\u2019est d\u2019ailleurs ce que je tente de faire ce matin. Cependant, m\u00eame d\u00e9ception qu\u2019autrefois lorsque je voulais retirer des n\u00e9gatifs. Englu\u00e9 dans la r\u00e9p\u00e9tition malgr\u00e9 les diff\u00e9rentes versions du m\u00eame, plus ou moins de contraste, changement imperceptible de la composition, rien n\u2019y faisait. Comme si finalement le jugement \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sent depuis toujours et cela quels que soient mes efforts pour le contrer, lui donner tort. Et bien s\u00fbr, je rapprocherais cette r\u00e9flexion, trouver de bonnes raisons \u00e0 celle-ci en me rem\u00e9morant une multitude de phrases assassines. Tu n\u2019y arriveras pas, tu r\u00eaves, tu marches compl\u00e8tement \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tes pompes disait mon p\u00e8re lorsque je lui faisais part de cette volont\u00e9 d\u2019\u00eatre photographe. Comme auparavant, je lui avais fait part de vouloir \u00eatre po\u00e8te, chanteur, \u00e9crivain, chercheur d\u2019or. Une usure s\u2019\u00e9tait ainsi cr\u00e9\u00e9e simultan\u00e9ment qu\u2019une perte de foi mutuelle. \u00c7a ne partait certainement pas d\u2019un bon sentiment de ma part et il l\u2019avait compris bien avant moi. Vouloir \u00eatre artiste, c’\u00e9tait nier tout ce que lui avait \u00e9chafaud\u00e9 comme croyances, comme valeurs pour devenir ce qu\u2019il \u00e9tait. Un homme qui s\u2019\u00e9tait \u00e9lev\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 la t\u00e9nacit\u00e9, gr\u00e2ce au travail, un homme qui ne reculait pas devant la difficult\u00e9, et au contraire fon\u00e7ait sur elle pour l\u2019aplanir, pour continuer son ascension. Un homme qui s\u2019\u00e9tait donn\u00e9 des buts et les avait atteints. Mais, qui lui procurait d\u00e9sormais cette sorte d\u2019omnipotence qui nous \u00e9crasait tous sans exception. Ce devait \u00eatre la ran\u00e7on \u00e0 payer et qu\u2019il avait finalement d\u00fb accepter par une \u00e9trange sagesse paysanne. D\u2019avoir autant gravi de marche pour se retrouver au bout du compte si seul au sein de sa propre famille. Et, cette solitude lui procurait comme un sixi\u00e8me sens pour d\u00e9tecter la moindre entourloupe en mati\u00e8re de logique, de calcul, de strat\u00e9gie. Comme meneur d’hommes, rien ne pouvait lui \u00e9chapper de leurs faiblesses cong\u00e9nitales. Ainsi, j’avais l\u2019impression moi, son fils, que je n\u2019\u00e9tais constitu\u00e9 que de ces faiblesses qu\u2019il n\u2019avait de cesse de pourchasser. Faiblesses que je jurais bien s\u00fbr, int\u00e9rieurement, de transformer en force. Juste pour lui prouver qu\u2019il \u00e9tait possible de ne pas toujours avoir raison. Cet enjeu s\u2019incarnait dans les feuilles de papier baryt\u00e9 argentique que je plongeais dans la bassine de r\u00e9v\u00e9lateur. D\u00e9sir contradictoire de donner simultan\u00e9ment raison et tort \u00e0 ce p\u00e8re tout-puissant, trop puissant pour que ce soit r\u00e9el. Vaincre ainsi par l\u2019\u00e9rosion, forme de t\u00e9nacit\u00e9 aussi s\u2019il en est, par la faiblesse de croire que cette puissance \u00e9tait l\u2019obstacle principal \u00e0 notre rencontre. Des milliers de n\u00e9gatifs noirs et blancs par cons\u00e9quent, tir\u00e9s sur du papier vierge dans une presque obscurit\u00e9 en qu\u00eate du meilleur \u00e9quilibre, du meilleur contraste, de toute la richesse que peuvent apporter, \u00e0 force de les \u00e9tudier, les gris.<\/p>\n

La question aujourd\u2019hui est devenue de plus en plus pr\u00e9cise. Est-ce que l\u2019art sert \u00e0 r\u00e9gler des probl\u00e8mes personnels ou bien faut-il trouver en eux, dans ce minuscule, un point d\u2019appui pour s\u2019ouvrir, pour \u00e9tablir une connexion \u00e0 une sph\u00e8re plus vaste, plus g\u00e9n\u00e9rale ? Comme pour l\u2019\u00e9criture se pose le probl\u00e8me de l\u2019int\u00e9r\u00eat autobiographique. Ce n\u2019est pas en modifiant l\u2019ordre, l\u2019usage des pronoms personnels, en inventant soi-disant des histoires et des personnages que le point gris peut passer par-dessus lui-m\u00eame. Je crois qu\u2019il faut beaucoup plus que cette croyance un peu simpliste. Et par ailleurs, comme les choses doivent \u00eatre plus ais\u00e9es, que d\u2019en \u00eatre totalement inconscient. La difficult\u00e9 r\u00e9elle est d\u2019\u00eatre coinc\u00e9 dans une sorte de no man\u2019s land entre conscience et inconscience, de ne pas savoir effectuer un choix.<\/p>\n

Exactement, la m\u00eame chose pour effectuer un tirage en noir et blanc. A un moment donn\u00e9, on s’aper\u00e7oit que les diff\u00e9rentes versions d\u2019un m\u00eame n\u00e9gatif se valent tout autant. Ce qui nous d\u00e9cide pour une version en particulier plut\u00f4t qu\u2019une autre tient \u00e0 une id\u00e9e subjective d\u2019\u00e9quilibre, de beaut\u00e9, de sens , de perfection, ou tout simplement \u00e0 la fatigue, \u00e0 la lassitude, \u00e0 une forme salutaire de renoncement. C\u2019est tout ce mouvement que l’on ne voit pas au bout du compte dans une photographie que l\u2019on propose au monde. Ce non-dit. C\u2019est aussi une difficult\u00e9 \u00e0 surmonter que de n\u2019obtenir aucun avis ou si peu. Voire tellement \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tout ce que l’on a pu imaginer y avoir plac\u00e9 comme joie ou peine. Une habitude \u00e0 prendre aussi. Avec le temps, on donne et l’on dispara\u00eet progressivement. On s\u2019efface par les actes. Ainsi, il me semble qu\u2019il n\u2019y a rien de plus naturel. Ou du moins en observant un tant soit peu la ronde des saisons, il arrive qu\u2019\u00e0 un moment, on se sente \u00e9troitement en accord avec elle. C\u2019est sans doute la seule vraie forme de r\u00e9tribution de tout l\u2019ouvrage effectu\u00e9. Il faudrait, ce n\u2019est pas toujours le cas. Mais, s\u2019y contraindre, se tenir \u00e0 y trouver le contentement sous la forme de cette paix qui vient tout doucement nous consoler.<\/p>\n

On dit que choisir c\u2019est renoncer. En revanche, que se passe-t-il en sens inverse. Est-ce que le renoncement offre alors le meilleur choix qu\u2019il nous est permis d\u2019effectuer \u00e0 un instant T ? Sans doute est-ce la raison dont, intuitivement, je me sers pour \u00e9crire \u00e0 chaque fois un nouveau texte plut\u00f4t que de vouloir ravauder de plus anciens ? La raison pour laquelle ces n\u00e9gatifs restent rang\u00e9s dans leur carton, n\u2019est-elle pas parce que je crois que je ne pourrais pas faire autrement que de reprendre les memes donn\u00e9es et faire du nouveau. Il me faudrait alors retrouver un vieux Leica M42 du film argentique noir et blanc, repartir en qu\u00eate de nouvelles images tout en sachant qu\u2019elles seraient nouvelles<\/em> que pour mieux encore me leurrer, me replonger dans l\u2019inconscience. Cependant, il me faudrait plusieurs vies et ce serait contraire \u00e0 l\u2019ordre des choses.<\/p>\n

Finalement, cette sagesse paysanne, je la poss\u00e8de s\u00fbrement au fond de moi aussi. Cette rencontre tant souhait\u00e9e jadis, elle peut s\u2019effectuer d\u00e9sormais presque \u00e0 chaque instant o\u00f9 j\u2019\u00e9cris. Mieux encore, l\u2019\u00e9criture, la peinture sont le lieu par excellence de cette rencontre dor\u00e9navant. Le laboratoire que je cherchais \u00e0 reconstituer se sera transform\u00e9, agrandi. Et, chaque jour, que puis-je faire d\u2019autre vraiment dans ma journ\u00e9e\u202f ? C\u2019est comme une nature \u00e0 pr\u00e9sent que de saisir ainsi, entre deux doigts, un n\u00e9gatif pour l\u2019\u00e9tudier en long, en large et en travers, puis le passer sous une lumi\u00e8re et en extraire un positif. Quelque chose se sera aussi modifi\u00e9 quant \u00e0 la vision de l\u2019art. Encore un relent de cette fameuse sagesse rurale qui dit, on ne peut pas mettre la charrue avant les b\u0153ufs<\/em> que d\u2019abord apprend \u00e0 vivre avant tout. Ensuite, s’il reste un peu de temps, pour l\u2019art entre autres, il ne faut pas le consid\u00e9rer de fa\u00e7on exag\u00e9r\u00e9e. Parce que tout ce qui est exag\u00e9r\u00e9 est souvent faux, c’est-\u00e0-dire mal \u00e9quilibr\u00e9, injuste essentiellement.<\/p>", "content_text": "Route menant \u00e0 rien. Cuba Patrick Blanchon\n\nC\u2019est la m\u00eame r\u00e9sistance, la m\u00eame entrave qui se repr\u00e9sente encore et encore lorsqu\u2019il s\u2019agit de vouloir revenir en arri\u00e8re pour trier, ranger, organiser et tirer parti d\u2019un travail effectu\u00e9. Comme si, en t\u00e2che de fond, j\u2019\u00e9prouvais la sensation p\u00e9nible de devoir me mettre \u00e0 bricoler, esp\u00e9rer, r\u00e9cup\u00e9rer quelque chose de fichu, d\u2019irr\u00e9parable. Tirer parti de toutes ces ann\u00e9es dites \u00ab perdues \u00bb. Tenter de r\u00e9tribuer le sacrifice, l\u2019abandon, l\u2019\u00e9chec, dans un acte qui tirerait de toutes ces ombres, une lumi\u00e8re. Peut-\u00eatre une nostalgie de cette chambre noire que je n\u2019ai jamais eu ni le courage, ni l\u2019envie suffisante de reconstituer. Je poss\u00e8de pourtant l\u2019essentiel, un carton rempli de n\u00e9gatifs noir et blanc que j\u2019ai trimball\u00e9 dans tous mes d\u00e9m\u00e9nagements. Une quinzaine d\u2019ann\u00e9es de prises de vue. Comme si le hasard voulait me titiller, renforcer encore plus la tentation, j\u2019ai r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 un agrandisseur que l\u2019association dans laquelle je donnais depuis quelques ann\u00e9es des cours de peinture m\u2019a offert gracieusement. Ils me l\u2019ont offert plut\u00f4t que d\u2019avoir \u00e0 le jeter \u00e0 la benne, car ils changeaient tout leur mat\u00e9riel devenu obsol\u00e8te pour se mettre au num\u00e9rique. Revenir au laboratoire, \u00e0 la chambre noire, je crois que je pr\u00e9f\u00e8re caresser cette id\u00e9e en imagination que de la concr\u00e9tiser v\u00e9ritablement. Sans doute que j\u2019y trouve une sorte d\u2019avantage. Il y en a forc\u00e9ment un. Peut-\u00eatre seulement conserver cette envie, recr\u00e9er une chambre noire, afin qu\u2019elle reste dans le domaine du d\u00e9sir uniquement, du fantasme, plut\u00f4t que de passer \u00e0 l\u2019acte et d\u2019avoir une nouvelle fois \u00e0 affronter les cons\u00e9quences d\u2019un tel passage. Cons\u00e9quences que j\u2019imagine forc\u00e9ment douloureuses, d\u00e9cevantes. J\u2019ai finalement peine \u00e0 croire que le temps pass\u00e9 poss\u00e8de le pouvoir de r\u00e9parer ce qui est bris\u00e9, de redresser ce qui est tordu depuis son origine. \n\nAinsi, le th\u00e8me de ce nouvel atelier d\u2019\u00e9criture #photofiction me semble-t-il \u00eatre \u00e0 premi\u00e8re vue une aubaine. Une bonne partie du travail n\u2019est-il pas d\u00e9j\u00e0 fait ? Je n\u2019aurais qu\u2019\u00e0 fouiller un peu sur ce blog \u00e0 l\u2019aide de quelques mots clefs pour extraire quantit\u00e9 de textes traitant de mon histoire avec la photographie. C\u2019est d\u2019ailleurs ce que je tente de faire ce matin. Cependant, m\u00eame d\u00e9ception qu\u2019autrefois lorsque je voulais retirer des n\u00e9gatifs. Englu\u00e9 dans la r\u00e9p\u00e9tition malgr\u00e9 les diff\u00e9rentes versions du m\u00eame, plus ou moins de contraste, changement imperceptible de la composition, rien n\u2019y faisait. Comme si finalement le jugement \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 pr\u00e9sent depuis toujours et cela quels que soient mes efforts pour le contrer, lui donner tort. Et bien s\u00fbr, je rapprocherais cette r\u00e9flexion, trouver de bonnes raisons \u00e0 celle-ci en me rem\u00e9morant une multitude de phrases assassines. Tu n\u2019y arriveras pas, tu r\u00eaves, tu marches compl\u00e8tement \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tes pompes disait mon p\u00e8re lorsque je lui faisais part de cette volont\u00e9 d\u2019\u00eatre photographe. Comme auparavant, je lui avais fait part de vouloir \u00eatre po\u00e8te, chanteur, \u00e9crivain, chercheur d\u2019or. Une usure s\u2019\u00e9tait ainsi cr\u00e9\u00e9e simultan\u00e9ment qu\u2019une perte de foi mutuelle. \u00c7a ne partait certainement pas d\u2019un bon sentiment de ma part et il l\u2019avait compris bien avant moi. Vouloir \u00eatre artiste, c'\u00e9tait nier tout ce que lui avait \u00e9chafaud\u00e9 comme croyances, comme valeurs pour devenir ce qu\u2019il \u00e9tait. Un homme qui s\u2019\u00e9tait \u00e9lev\u00e9 gr\u00e2ce \u00e0 la t\u00e9nacit\u00e9, gr\u00e2ce au travail, un homme qui ne reculait pas devant la difficult\u00e9, et au contraire fon\u00e7ait sur elle pour l\u2019aplanir, pour continuer son ascension. Un homme qui s\u2019\u00e9tait donn\u00e9 des buts et les avait atteints. Mais, qui lui procurait d\u00e9sormais cette sorte d\u2019omnipotence qui nous \u00e9crasait tous sans exception. Ce devait \u00eatre la ran\u00e7on \u00e0 payer et qu\u2019il avait finalement d\u00fb accepter par une \u00e9trange sagesse paysanne. D\u2019avoir autant gravi de marche pour se retrouver au bout du compte si seul au sein de sa propre famille. Et, cette solitude lui procurait comme un sixi\u00e8me sens pour d\u00e9tecter la moindre entourloupe en mati\u00e8re de logique, de calcul, de strat\u00e9gie. Comme meneur d'hommes, rien ne pouvait lui \u00e9chapper de leurs faiblesses cong\u00e9nitales. Ainsi, j'avais l\u2019impression moi, son fils, que je n\u2019\u00e9tais constitu\u00e9 que de ces faiblesses qu\u2019il n\u2019avait de cesse de pourchasser. Faiblesses que je jurais bien s\u00fbr, int\u00e9rieurement, de transformer en force. Juste pour lui prouver qu\u2019il \u00e9tait possible de ne pas toujours avoir raison. Cet enjeu s\u2019incarnait dans les feuilles de papier baryt\u00e9 argentique que je plongeais dans la bassine de r\u00e9v\u00e9lateur. D\u00e9sir contradictoire de donner simultan\u00e9ment raison et tort \u00e0 ce p\u00e8re tout-puissant, trop puissant pour que ce soit r\u00e9el. Vaincre ainsi par l\u2019\u00e9rosion, forme de t\u00e9nacit\u00e9 aussi s\u2019il en est, par la faiblesse de croire que cette puissance \u00e9tait l\u2019obstacle principal \u00e0 notre rencontre. Des milliers de n\u00e9gatifs noirs et blancs par cons\u00e9quent, tir\u00e9s sur du papier vierge dans une presque obscurit\u00e9 en qu\u00eate du meilleur \u00e9quilibre, du meilleur contraste, de toute la richesse que peuvent apporter, \u00e0 force de les \u00e9tudier, les gris.\n\nLa question aujourd\u2019hui est devenue de plus en plus pr\u00e9cise. Est-ce que l\u2019art sert \u00e0 r\u00e9gler des probl\u00e8mes personnels ou bien faut-il trouver en eux, dans ce minuscule, un point d\u2019appui pour s\u2019ouvrir, pour \u00e9tablir une connexion \u00e0 une sph\u00e8re plus vaste, plus g\u00e9n\u00e9rale ? Comme pour l\u2019\u00e9criture se pose le probl\u00e8me de l\u2019int\u00e9r\u00eat autobiographique. Ce n\u2019est pas en modifiant l\u2019ordre, l\u2019usage des pronoms personnels, en inventant soi-disant des histoires et des personnages que le point gris peut passer par-dessus lui-m\u00eame. Je crois qu\u2019il faut beaucoup plus que cette croyance un peu simpliste. Et par ailleurs, comme les choses doivent \u00eatre plus ais\u00e9es, que d\u2019en \u00eatre totalement inconscient. La difficult\u00e9 r\u00e9elle est d\u2019\u00eatre coinc\u00e9 dans une sorte de no man\u2019s land entre conscience et inconscience, de ne pas savoir effectuer un choix.\n\nExactement, la m\u00eame chose pour effectuer un tirage en noir et blanc. A un moment donn\u00e9, on s'aper\u00e7oit que les diff\u00e9rentes versions d\u2019un m\u00eame n\u00e9gatif se valent tout autant. Ce qui nous d\u00e9cide pour une version en particulier plut\u00f4t qu\u2019une autre tient \u00e0 une id\u00e9e subjective d\u2019\u00e9quilibre, de beaut\u00e9, de sens , de perfection, ou tout simplement \u00e0 la fatigue, \u00e0 la lassitude, \u00e0 une forme salutaire de renoncement. C\u2019est tout ce mouvement que l'on ne voit pas au bout du compte dans une photographie que l\u2019on propose au monde. Ce non-dit. C\u2019est aussi une difficult\u00e9 \u00e0 surmonter que de n\u2019obtenir aucun avis ou si peu. Voire tellement \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tout ce que l'on a pu imaginer y avoir plac\u00e9 comme joie ou peine. Une habitude \u00e0 prendre aussi. Avec le temps, on donne et l'on dispara\u00eet progressivement. On s\u2019efface par les actes. Ainsi, il me semble qu\u2019il n\u2019y a rien de plus naturel. Ou du moins en observant un tant soit peu la ronde des saisons, il arrive qu\u2019\u00e0 un moment, on se sente \u00e9troitement en accord avec elle. C\u2019est sans doute la seule vraie forme de r\u00e9tribution de tout l\u2019ouvrage effectu\u00e9. Il faudrait, ce n\u2019est pas toujours le cas. Mais, s\u2019y contraindre, se tenir \u00e0 y trouver le contentement sous la forme de cette paix qui vient tout doucement nous consoler.\n\nOn dit que choisir c\u2019est renoncer. En revanche, que se passe-t-il en sens inverse. Est-ce que le renoncement offre alors le meilleur choix qu\u2019il nous est permis d\u2019effectuer \u00e0 un instant T ? Sans doute est-ce la raison dont, intuitivement, je me sers pour \u00e9crire \u00e0 chaque fois un nouveau texte plut\u00f4t que de vouloir ravauder de plus anciens ? La raison pour laquelle ces n\u00e9gatifs restent rang\u00e9s dans leur carton, n\u2019est-elle pas parce que je crois que je ne pourrais pas faire autrement que de reprendre les memes donn\u00e9es et faire du nouveau. Il me faudrait alors retrouver un vieux Leica M42 du film argentique noir et blanc, repartir en qu\u00eate de nouvelles images tout en sachant qu\u2019elles seraient nouvelles que pour mieux encore me leurrer, me replonger dans l\u2019inconscience. Cependant, il me faudrait plusieurs vies et ce serait contraire \u00e0 l\u2019ordre des choses. \n\nFinalement, cette sagesse paysanne, je la poss\u00e8de s\u00fbrement au fond de moi aussi. Cette rencontre tant souhait\u00e9e jadis, elle peut s\u2019effectuer d\u00e9sormais presque \u00e0 chaque instant o\u00f9 j\u2019\u00e9cris. Mieux encore, l\u2019\u00e9criture, la peinture sont le lieu par excellence de cette rencontre dor\u00e9navant. Le laboratoire que je cherchais \u00e0 reconstituer se sera transform\u00e9, agrandi. Et, chaque jour, que puis-je faire d\u2019autre vraiment dans ma journ\u00e9e ? C\u2019est comme une nature \u00e0 pr\u00e9sent que de saisir ainsi, entre deux doigts, un n\u00e9gatif pour l\u2019\u00e9tudier en long, en large et en travers, puis le passer sous une lumi\u00e8re et en extraire un positif. Quelque chose se sera aussi modifi\u00e9 quant \u00e0 la vision de l\u2019art. Encore un relent de cette fameuse sagesse rurale qui dit, on ne peut pas mettre la charrue avant les b\u0153ufs que d\u2019abord apprend \u00e0 vivre avant tout. Ensuite, s'il reste un peu de temps, pour l\u2019art entre autres, il ne faut pas le consid\u00e9rer de fa\u00e7on exag\u00e9r\u00e9e. Parce que tout ce qui est exag\u00e9r\u00e9 est souvent faux, c'est-\u00e0-dire mal \u00e9quilibr\u00e9, injuste essentiellement.", "image": "", "tags": [] } ] }