{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-4.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-4.html", "title": "18 janvier 2023-4", "date_published": "2025-01-26T01:45:27Z", "date_modified": "2025-01-26T01:45:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Un homme qui monte doit descendre \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre. Et ce, quel que soit le moyen qu’il choisira d’emprunter : ascenseur, escalier, ballon de Montgolfier, fus\u00e9e. La loi de la pesanteur oblige. Il ne convient pas d’en \u00eatre \u00e0 chaque fois surpris ou \u00e9tonn\u00e9, ni de s’en plaindre, pas plus que de s’en r\u00e9jouir.
\nEnsuite, quand on le sait, ce que l’on en fait... Tu l’as toujours su puisque tu as v\u00e9cu \u00e0 la campagne. Tu as vu des hommes monter sur des charrettes de foin et d’autres tomber de haut quand ils s’apercevaient qu’ils \u00e9taient cocus ou bourr\u00e9s comme des coings. D\u00e8s l’enfance, tu t’es trouv\u00e9 confront\u00e9 \u00e0 la loi. Tous ces r\u00eaves de vol que tu effectuais de nuit alternent encore dans ta m\u00e9moire avec les racl\u00e9es magistrales qui te jetaient \u00e0 terre. Une longue r\u00e9p\u00e9tition servant d’apprentissage comme de v\u00e9rification de tes premi\u00e8res intuitions.
\nParfois quand tu y penses, tu pleures, d’autres fois tu ris. Les souvenirs, comme les \u00e9motions, subissent aussi la loi de la pesanteur, il ne faut pas croire.<\/p>", "content_text": "Un homme qui monte doit descendre \u00e0 un moment ou \u00e0 un autre. Et ce, quel que soit le moyen qu'il choisira d'emprunter : ascenseur, escalier, ballon de Montgolfier, fus\u00e9e. La loi de la pesanteur oblige. Il ne convient pas d'en \u00eatre \u00e0 chaque fois surpris ou \u00e9tonn\u00e9, ni de s'en plaindre, pas plus que de s'en r\u00e9jouir. Ensuite, quand on le sait, ce que l'on en fait... Tu l'as toujours su puisque tu as v\u00e9cu \u00e0 la campagne. Tu as vu des hommes monter sur des charrettes de foin et d'autres tomber de haut quand ils s'apercevaient qu'ils \u00e9taient cocus ou bourr\u00e9s comme des coings. D\u00e8s l'enfance, tu t'es trouv\u00e9 confront\u00e9 \u00e0 la loi. Tous ces r\u00eaves de vol que tu effectuais de nuit alternent encore dans ta m\u00e9moire avec les racl\u00e9es magistrales qui te jetaient \u00e0 terre. Une longue r\u00e9p\u00e9tition servant d'apprentissage comme de v\u00e9rification de tes premi\u00e8res intuitions. Parfois quand tu y penses, tu pleures, d'autres fois tu ris. Les souvenirs, comme les \u00e9motions, subissent aussi la loi de la pesanteur, il ne faut pas croire. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7817.jpg?1748065092", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-3.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-3.html", "title": "17 janvier 2023-3", "date_published": "2025-01-26T01:01:46Z", "date_modified": "2025-02-16T18:44:31Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\u00c0 l’\u00e9glise quand tu y allais, tu ne parlais pas. Tu chantais quand il fallait chanter. Mais en pension \u00e0 Saint-Stanislas, et bien que tu chantasses la plupart du temps assez correctement, tu te mis alors \u00e0 chanter faux. Tu voulais d\u00e9ranger quelque chose. Et cela, tu t’en souviens, n’\u00e9tait pas pour te faire remarquer, c’\u00e9tait plus profond que \u00e7a. Visc\u00e9ral.
\n\u00c0 la c\u00e9r\u00e9monie fun\u00e8bre de ta m\u00e8re, quelques minutes avant l’incin\u00e9ration, on t’a propos\u00e9 de parler, de dire quelques mots, mais il n’y avait que ton \u00e9pouse, ton p\u00e8re et ton fr\u00e8re, plus les employ\u00e9s des pompes fun\u00e8bres. Tu as d\u00e9cid\u00e9 que c’\u00e9tait grotesque juste \u00e0 l’instant d’essayer d’ouvrir la bouche quand tu fus mont\u00e9 sur la petite estrade face au microphone. Tu as regard\u00e9 l’assembl\u00e9e puis tu as baiss\u00e9 la t\u00eate, tu as capitul\u00e9, vaincu par le ridicule. Une des seules fois dans ta vie o\u00f9 tu n’auras pas os\u00e9 y plonger tout entier.
\nSur ta cha\u00eene YouTube, tu as beaucoup parl\u00e9 mais avec le recul tu n’as jamais pris le temps de r\u00e9\u00e9couter ce que tu as dit. Sans doute parce que toute parole est li\u00e9e \u00e0 un instant et qu’une fois l’instant pass\u00e9, cette parole devient morte, qu’il n’y a plus de raison valable de s’y int\u00e9resser. Comme si cette parole dans le fond n’avait fait que te traverser, qu’elle ne t’appartenait pas.
\nPar contre, tu aimes \u00e9couter les vid\u00e9os de Fran\u00e7ois Bon, tu les r\u00e9\u00e9coutes avec plaisir. Et surtout tu y d\u00e9couvres au fur et \u00e0 mesure des informations que tu n’avais, semble-t-il, pas entendues \u00e0 la premi\u00e8re \u00e9coute. Il y a ainsi des \u00e9missions que tu \u00e9coutes en boucle et d’autres, r\u00e9alis\u00e9es par d’autres cr\u00e9ateurs de contenu, dont les bras t’en tombent d\u00e8s les premi\u00e8res minutes.
\nEst-ce que commenter, c’est parler ? Peut-\u00eatre. Tu ne parviens plus \u00e0 commenter dans certains lieux et dans d’autres oui. L’interruption des commentaires a commenc\u00e9 quand tu as fait une recherche sur ton nom sur ce moteur de recherche. Le nombre de commentaires qui te sont apparus idiots, inutiles t’a aussit\u00f4t saut\u00e9 aux yeux. R\u00e9diger un commentaire t’oblige presque aussit\u00f4t \u00e0 affronter le ridicule puis \u00e0 le vaincre ou \u00e0 te laisser \u00e0 l’\u00e0-quoi-bon. Quand tu te dis « \u00e7a ne changera pas la face du monde, qui es-tu donc pour t’autoriser ainsi \u00e0 commenter, \u00e0 appara\u00eetre ? »
\nLe fait que \u00e7a puisse encourager l’autre, tu t’en dispenses d\u00e9sormais car d’une certaine fa\u00e7on c’\u00e9tait aussi une image trouble, cette pens\u00e9e d’encourager l’autre dans une r\u00e9flexivit\u00e9 ; d’ailleurs les r\u00e9seaux sociaux fonctionnent sur cette r\u00e9flexivit\u00e9 la plupart du temps. Le fait qu’elle te g\u00eane jusqu’\u00e0 l’insupportable est corr\u00e9l\u00e9 \u00e0 tes \u00e9tats de fatigue, d’humeur, ou de lucidit\u00e9. De la chimie.
\nTu pr\u00e9f\u00e8res alors te taire devant cette r\u00e9alit\u00e9 chimique quand tu ne peux faire autrement que de la voir comme un nez au milieu d’une figure. Parler, c’est faire signe avant tout. Mais pourquoi faire signe ? On en revient toujours \u00e0 la question. Faire signe, d\u00e9signer, dessiner non pour obtenir quelque chose ni pour dire « tu as vu, je te fais signe, je te signifie quelque chose. »
\nLa fatigue de tout \u00e7a, due au poids de l’\u00e2ge imagines-tu parfois, mais surtout au sentiment de ta propre insignifiance. Il y a des jours o\u00f9 l’insignifiance est ce refuge pr\u00e9f\u00e9rable \u00e0 tout autre. Tu es capable de rester silencieux envers certaines personnes durant un laps de temps consid\u00e9rable. Tu n’as pas vu tes parents pendant 10 ans autrefois. Aucune parole \u00e9chang\u00e9e en 10 ans avec M. et aussi avec D. Cependant, la conversation reprend exactement l\u00e0 o\u00f9 elle s’est arr\u00eat\u00e9e dans le temps comme si pour toi il n’y avait pas de temps.
\nL’expression « \u00eatre de parole », tenir sa promesse, tu peux la comprendre bien s\u00fbr. Mais de quelle parole s’agit-il dans ce cas ? La question reste en suspens. Se fier \u00e0 sa propre parole, d’exp\u00e9rience, te semble toujours suspect, tout comme se fier \u00e0 n’importe quelle parole. La parole c’est du vent la plupart du temps et donc c’est l’esprit. Qui serait assez cingl\u00e9 pour confondre l’esprit et soi-m\u00eame ? L’indomptable esprit comme disent les bouddhistes. Non, il faut s’asseoir, l’observer agir, parler, ne pas vouloir l’enfermer dans une cl\u00f4ture, c’est ainsi que l’on s’en lib\u00e8re au mieux. Ce qui reste ensuite, on l’ignore. Un silence \u00e9loquent.<\/p>", "content_text": "\u00c0 l'\u00e9glise quand tu y allais, tu ne parlais pas. Tu chantais quand il fallait chanter. Mais en pension \u00e0 Saint-Stanislas, et bien que tu chantasses la plupart du temps assez correctement, tu te mis alors \u00e0 chanter faux. Tu voulais d\u00e9ranger quelque chose. Et cela, tu t'en souviens, n'\u00e9tait pas pour te faire remarquer, c'\u00e9tait plus profond que \u00e7a. Visc\u00e9ral. \u00c0 la c\u00e9r\u00e9monie fun\u00e8bre de ta m\u00e8re, quelques minutes avant l'incin\u00e9ration, on t'a propos\u00e9 de parler, de dire quelques mots, mais il n'y avait que ton \u00e9pouse, ton p\u00e8re et ton fr\u00e8re, plus les employ\u00e9s des pompes fun\u00e8bres. Tu as d\u00e9cid\u00e9 que c'\u00e9tait grotesque juste \u00e0 l'instant d'essayer d'ouvrir la bouche quand tu fus mont\u00e9 sur la petite estrade face au microphone. Tu as regard\u00e9 l'assembl\u00e9e puis tu as baiss\u00e9 la t\u00eate, tu as capitul\u00e9, vaincu par le ridicule. Une des seules fois dans ta vie o\u00f9 tu n'auras pas os\u00e9 y plonger tout entier. Sur ta cha\u00eene YouTube, tu as beaucoup parl\u00e9 mais avec le recul tu n'as jamais pris le temps de r\u00e9\u00e9couter ce que tu as dit. Sans doute parce que toute parole est li\u00e9e \u00e0 un instant et qu'une fois l'instant pass\u00e9, cette parole devient morte, qu'il n'y a plus de raison valable de s'y int\u00e9resser. Comme si cette parole dans le fond n'avait fait que te traverser, qu'elle ne t'appartenait pas. Par contre, tu aimes \u00e9couter les vid\u00e9os de Fran\u00e7ois Bon, tu les r\u00e9\u00e9coutes avec plaisir. Et surtout tu y d\u00e9couvres au fur et \u00e0 mesure des informations que tu n'avais, semble-t-il, pas entendues \u00e0 la premi\u00e8re \u00e9coute. Il y a ainsi des \u00e9missions que tu \u00e9coutes en boucle et d'autres, r\u00e9alis\u00e9es par d'autres cr\u00e9ateurs de contenu, dont les bras t'en tombent d\u00e8s les premi\u00e8res minutes. Est-ce que commenter, c'est parler ? Peut-\u00eatre. Tu ne parviens plus \u00e0 commenter dans certains lieux et dans d'autres oui. L'interruption des commentaires a commenc\u00e9 quand tu as fait une recherche sur ton nom sur ce moteur de recherche. Le nombre de commentaires qui te sont apparus idiots, inutiles t'a aussit\u00f4t saut\u00e9 aux yeux. R\u00e9diger un commentaire t'oblige presque aussit\u00f4t \u00e0 affronter le ridicule puis \u00e0 le vaincre ou \u00e0 te laisser \u00e0 l'\u00e0-quoi-bon. Quand tu te dis \"\u00e7a ne changera pas la face du monde, qui es-tu donc pour t'autoriser ainsi \u00e0 commenter, \u00e0 appara\u00eetre ?\" Le fait que \u00e7a puisse encourager l'autre, tu t'en dispenses d\u00e9sormais car d'une certaine fa\u00e7on c'\u00e9tait aussi une image trouble, cette pens\u00e9e d'encourager l'autre dans une r\u00e9flexivit\u00e9 ; d'ailleurs les r\u00e9seaux sociaux fonctionnent sur cette r\u00e9flexivit\u00e9 la plupart du temps. Le fait qu'elle te g\u00eane jusqu'\u00e0 l'insupportable est corr\u00e9l\u00e9 \u00e0 tes \u00e9tats de fatigue, d'humeur, ou de lucidit\u00e9. De la chimie. Tu pr\u00e9f\u00e8res alors te taire devant cette r\u00e9alit\u00e9 chimique quand tu ne peux faire autrement que de la voir comme un nez au milieu d'une figure. Parler, c'est faire signe avant tout. Mais pourquoi faire signe ? On en revient toujours \u00e0 la question. Faire signe, d\u00e9signer, dessiner non pour obtenir quelque chose ni pour dire \"tu as vu, je te fais signe, je te signifie quelque chose.\" La fatigue de tout \u00e7a, due au poids de l'\u00e2ge imagines-tu parfois, mais surtout au sentiment de ta propre insignifiance. Il y a des jours o\u00f9 l'insignifiance est ce refuge pr\u00e9f\u00e9rable \u00e0 tout autre. Tu es capable de rester silencieux envers certaines personnes durant un laps de temps consid\u00e9rable. Tu n'as pas vu tes parents pendant 10 ans autrefois. Aucune parole \u00e9chang\u00e9e en 10 ans avec M. et aussi avec D. Cependant, la conversation reprend exactement l\u00e0 o\u00f9 elle s'est arr\u00eat\u00e9e dans le temps comme si pour toi il n'y avait pas de temps. L'expression \"\u00eatre de parole\", tenir sa promesse, tu peux la comprendre bien s\u00fbr. Mais de quelle parole s'agit-il dans ce cas ? La question reste en suspens. Se fier \u00e0 sa propre parole, d'exp\u00e9rience, te semble toujours suspect, tout comme se fier \u00e0 n'importe quelle parole. La parole c'est du vent la plupart du temps et donc c'est l'esprit. Qui serait assez cingl\u00e9 pour confondre l'esprit et soi-m\u00eame ? L'indomptable esprit comme disent les bouddhistes. Non, il faut s'asseoir, l'observer agir, parler, ne pas vouloir l'enfermer dans une cl\u00f4ture, c'est ainsi que l'on s'en lib\u00e8re au mieux. Ce qui reste ensuite, on l'ignore. Un silence \u00e9loquent.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/image-130.jpg?1748065071", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-2.html", "title": "17 janvier 2023-2", "date_published": "2025-01-26T00:55:13Z", "date_modified": "2025-04-30T15:49:23Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Ainsi, pour que l’illusion soit compl\u00e8te, qu’elle se referme sur elle-m\u00eame comme un cercle, il serait n\u00e9cessaire de d\u00e9signer deux points distincts mentalement, disons A et B, deux points choisis parmi une infinit\u00e9. Tu le fais chaque jour, plusieurs fois par jour, la plupart du temps en prenant un crayon. Tu traces une ligne pour dessiner, mais depuis quel point de d\u00e9part, quelle origine ? Tu peux dire n’importe quel point de d\u00e9part fera bien l’affaire. Mais c’est botter en touche.
\nCe n’est pas cette origine-l\u00e0 qui importe mais celle qui t’a conduit, au travers de milliers et de milliers de possibles, \u00e0 cet instant pr\u00e9sent, \u00e0 t’asseoir, \u00e0 prendre ce crayon et \u00e0 tracer cette ligne. Que mat\u00e9rialise pour toi v\u00e9ritablement une telle ligne qui s’\u00e9lance d’un point \u00e0 un autre, qui avec toi se d\u00e9place dans l’espace et le temps sur le lieu de la feuille ?
\nEt si tu te mettais \u00e0 y songer vraiment, si tu imaginais que cette ligne contient tout ce que tu as v\u00e9cu depuis ta propre origine jusqu’\u00e0 pr\u00e9sent, est-ce que \u00e7a changerait quelque chose \u00e0 l’action de dessiner ? Probable, voire certain, que c’est justement \u00e0 ce genre de connerie qu’il ne faut pas penser pour dessiner.
\nDonc quand tu te d\u00e9places, tu sais peut-\u00eatre d’o\u00f9 tu pars mais la plupart du temps tu te fiches de l’arriv\u00e9e. Ou tu ne veux pas y penser pour pouvoir ainsi continuer \u00e0 dessiner. Tu te d\u00e9places sur la feuille de papier comme dans ta vie. Tu sais qu’il n’y a en fin de compte qu’une seule arriv\u00e9e r\u00e9elle et qu’il ne sert \u00e0 rien de t’y int\u00e9resser de trop pr\u00e8s, de peur d’\u00eatre t\u00e9tanis\u00e9 par la peur ou par l’espoir - la joie ? La confiance ? - et au final de te retrouver dans une impossibilit\u00e9 de faire quoi que ce soit.
\nD’une certaine fa\u00e7on, tu pourrais te ranger dans le mouvement de l’art pauvre, celui qui s’int\u00e9resse plus sp\u00e9cifiquement \u00e0 l’origine des mat\u00e9riaux, \u00e0 une origine tout court pour lutter contre l’obsession des buts qui ne sont que des ersatz. Sauf que toi, tu veux peindre des tableaux, tu es anachronique et tu te bouches les oreilles quand on te parle de Marcel Duchamp. Il faut aussi se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu.<\/p>", "content_text": "Ainsi, pour que l'illusion soit compl\u00e8te, qu'elle se referme sur elle-m\u00eame comme un cercle, il serait n\u00e9cessaire de d\u00e9signer deux points distincts mentalement, disons A et B, deux points choisis parmi une infinit\u00e9. Tu le fais chaque jour, plusieurs fois par jour, la plupart du temps en prenant un crayon. Tu traces une ligne pour dessiner, mais depuis quel point de d\u00e9part, quelle origine ? Tu peux dire n'importe quel point de d\u00e9part fera bien l'affaire. Mais c'est botter en touche. Ce n'est pas cette origine-l\u00e0 qui importe mais celle qui t'a conduit, au travers de milliers et de milliers de possibles, \u00e0 cet instant pr\u00e9sent, \u00e0 t'asseoir, \u00e0 prendre ce crayon et \u00e0 tracer cette ligne. Que mat\u00e9rialise pour toi v\u00e9ritablement une telle ligne qui s'\u00e9lance d'un point \u00e0 un autre, qui avec toi se d\u00e9place dans l'espace et le temps sur le lieu de la feuille ? Et si tu te mettais \u00e0 y songer vraiment, si tu imaginais que cette ligne contient tout ce que tu as v\u00e9cu depuis ta propre origine jusqu'\u00e0 pr\u00e9sent, est-ce que \u00e7a changerait quelque chose \u00e0 l'action de dessiner ? Probable, voire certain, que c'est justement \u00e0 ce genre de connerie qu'il ne faut pas penser pour dessiner. Donc quand tu te d\u00e9places, tu sais peut-\u00eatre d'o\u00f9 tu pars mais la plupart du temps tu te fiches de l'arriv\u00e9e. Ou tu ne veux pas y penser pour pouvoir ainsi continuer \u00e0 dessiner. Tu te d\u00e9places sur la feuille de papier comme dans ta vie. Tu sais qu'il n'y a en fin de compte qu'une seule arriv\u00e9e r\u00e9elle et qu'il ne sert \u00e0 rien de t'y int\u00e9resser de trop pr\u00e8s, de peur d'\u00eatre t\u00e9tanis\u00e9 par la peur ou par l'espoir - la joie ? La confiance ? - et au final de te retrouver dans une impossibilit\u00e9 de faire quoi que ce soit. D'une certaine fa\u00e7on, tu pourrais te ranger dans le mouvement de l'art pauvre, celui qui s'int\u00e9resse plus sp\u00e9cifiquement \u00e0 l'origine des mat\u00e9riaux, \u00e0 une origine tout court pour lutter contre l'obsession des buts qui ne sont que des ersatz. Sauf que toi, tu veux peindre des tableaux, tu es anachronique et tu te bouches les oreilles quand on te parle de Marcel Duchamp. Il faut aussi se foutre de Marcel Duchamp comme de Dieu.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/sortir-de-la-quadrature-du-cercle.webp?1748065094", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-janvier-2023-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-janvier-2023-2.html", "title": "12 janvier 2023-2", "date_published": "2025-01-19T10:39:45Z", "date_modified": "2025-01-19T10:39:45Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Peu enclin \u00e0 parler de r\u00e9solutions en d\u00e9but d\u2019ann\u00e9e, il est tout de m\u00eame n\u00e9cessaire de mettre \u00e0 plat tous les projets, ou embryons de projets, qui s\u2019accumulent ces derniers temps. Ces derniers temps avant la fin des temps. Dr\u00f4le. En peinture, il y a toutes ces expositions qui m\u00e8nent d\u00e9j\u00e0 le travail jusqu\u2019\u00e0 2024. Il ne reste qu\u2019\u00e0 continuer sur cette lanc\u00e9e et voir les th\u00e8mes surgir peu \u00e0 peu, au fil du travail. Mais d\u00e9j\u00e0, le rapprochement avec l\u2019\u00e9criture devient plus clair. Disons que les possibles s\u2019amenuisent tout \u00e0 coup, en raison de l\u2019autorit\u00e9 de certaines obsessions qui d\u00e9sormais durent plus longtemps qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire.<\/p>\n

La notion de milieu. La relation entre l\u2019\u00eatre humain et le milieu. La langue avec le milieu. La langue, l\u2019\u00e9criture, comme bateau pour naviguer entre diff\u00e9rents milieux. Prendre appui sur les films de Nurith Aviv, par exemple, ou sur les \u00e9crits d\u2019Augustin Berque. Et dommage que je ne lise pas le japonais, sinon Tetsuro Watsuji serait \u00e0 lire aussi, dans ces domaines. Mais pas de traduction, \u00e0 part F\u00fbdo : le milieu humain, traduit par Berque. J\u2019avais pens\u00e9 reprendre une symbolique, mais en revisitant les livres de Chagall et, r\u00e9cemment, les tableaux de Garouste, le risque d\u2019\u00eatre parl\u00e9 plus que parlant m\u2019effraie. Il convient donc de repartir \u00e0 z\u00e9ro, \u00e0 chaque fois, en utilisant mon propre langage plastique, mon propre langage tout court. Cela exige encore d\u2019aller creuser dans les profondeurs. Bref, travailler sans \u00eatre d\u00e9rang\u00e9, sans me d\u00e9ranger moi-m\u00eame. Pas de dispersion inutile.<\/p>\n

Ce n\u2019est pas inventer une symbolique, c\u2019est surtout en t\u00e9moigner telle que je la comprends intimement. Mais est-ce que je la comprends ou la connais ? Voil\u00e0 une bonne question \u00e0 se poser r\u00e9guli\u00e8rement. Ne pas avoir peur de dire : je ne sais pas ou tiens, il y a aussi \u00e7a et \u00e7a que je n\u2019avais pas vu. La peinture est une expression de tout ce que je traverse, de ce dont je suis imbib\u00e9, du matin au soir. Donc, normalement (dr\u00f4le), je n\u2019ai m\u00eame pas \u00e0 y r\u00e9fl\u00e9chir. Juste peindre, et les choses se mettront en place \u00e0 leur fa\u00e7on, comme d\u2019habitude.<\/p>\n

Concernant l\u2019\u00e9criture, l\u00e0 aussi, il y a un fourmillement d\u2019id\u00e9es. Mais je m\u2019en m\u00e9fie, car souvent cette agitation masque un vide, une crainte, une angoisse. Le fourmillement n\u2019est qu\u2019un pansement. En tous cas, continuer \u00e0 \u00e9crire sur le blog reste une discipline \u00e0 poursuivre. Cette ann\u00e9e, j\u2019ai appris de nouvelles choses sur la publication. Notamment un certain d\u00e9tachement, surtout quant \u00e0 la r\u00e9ception potentielle des textes. Je m\u2019en suis presque compl\u00e8tement d\u00e9tach\u00e9. Presque : cela emp\u00eache de se mentir trop, bien s\u00fbr.<\/p>\n

Le fait que ce blog devienne de plus en plus un carnet ouvert me permet d\u2019aller encore plus loin dans un creusement personnel. De faire sauter des entraves, de dynamiter des g\u00eanes, une fausse pudeur (y en a-t-il de vraies ?). De parler ma langue. Et, \u00e9trangement, d\u2019\u00eatre au premier rang pour la lire. D\u2019ailleurs, l\u2019important n\u2019est-ce pas cela pour un apprenti, un \u00e9tudiant : apprendre \u00e0 se relire pour mieux se familiariser avec ses fautes, ses \u00e9carts vis-\u00e0-vis d\u2019une norme, d\u2019une doxa ? Et, par l\u00e0 m\u00eame, s\u2019en \u00e9cartant, cr\u00e9er la sienne. (J\u2019exag\u00e8re ? Non.) Pour commenter cette langue, texte apr\u00e8s texte.<\/p>\n

Que faire de tout cela ensuite ? Cette ritournelle n\u2019a pas d\u2019importance. Un carnet, comme un blog, reste un carnet et un blog. Ce n\u2019est pas une \u0153uvre litt\u00e9raire. (Et c\u2019est sans doute parce que ce n\u2019en est pas une que c\u2019en est une.) Mais ces moments o\u00f9 je m\u2019\u00e9cris sont devenus une n\u00e9cessit\u00e9. Et au moment o\u00f9 l\u2019on doit se passer de tant de choses n\u00e9cessaires, \u00eatre tenu par une n\u00e9cessit\u00e9 qui ne nous assomme pas mais, au contraire, nous tient en \u00e9veil, est plut\u00f4t de l\u2019ordre de l\u2019aubaine.<\/p>\n

Sur un plan plus sombre, la notion de bateau pourrait aussi \u00eatre celle de la bo\u00eete, du cercueil, d\u2019une autre navigation. Une navigation qui se tient toujours l\u00e0, en parall\u00e8le, et qui parfois me rassure. En tous cas, elle relativise agr\u00e9ablement tout ce que je pourrais prendre trop au s\u00e9rieux. Il faut la conserver, m\u00eame si parfois elle me fait passer de foutus quarts d\u2019heure, des caps Horn \u00e0 la cha\u00eene. Mais j\u2019ai l\u2019impression que l\u2019humour en ressort toujours plus fort, plus fin, moins m\u00e9chant.<\/p>\n

Il faudrait \u00e9tudier aussi cet \u00e9trange ph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019inertie, qui na\u00eet souvent \u00e0 contre-courant de toute situation dite normale ou oblig\u00e9e. Une inertie qui va parfois contre mon propre d\u00e9sir, surtout quand ce d\u00e9sir n\u2019est pas si propre que cela. Quand il s\u2019agit d\u2019un d\u00e9sir emprunt\u00e9, \u00e0 fort taux d\u2019int\u00e9r\u00eat, \u00e0 l\u2019instar des pr\u00eats bancaires ou pr\u00eats \u00e0 la consommation. Ce genre de d\u00e9sir qui m\u00e8ne \u00e0 l\u2019endettement ou \u00e0 l\u2019asservissement. L\u2019inertie y met un hol\u00e0, un bon tamis pour chercher l\u2019or de la rivi\u00e8re.<\/p>\n

Donc, rien n\u2019est encore fini, comme je le pensais hier ou il y a deux jours, dans un creux. C\u2019est fini et, en m\u00eame temps, \u00e7a ne cesse de recommencer. Dr\u00f4le, aussi.<\/p>", "content_text": "Peu enclin \u00e0 parler de r\u00e9solutions en d\u00e9but d\u2019ann\u00e9e, il est tout de m\u00eame n\u00e9cessaire de mettre \u00e0 plat tous les projets, ou embryons de projets, qui s\u2019accumulent ces derniers temps. Ces derniers temps avant la fin des temps. Dr\u00f4le. En peinture, il y a toutes ces expositions qui m\u00e8nent d\u00e9j\u00e0 le travail jusqu\u2019\u00e0 2024. Il ne reste qu\u2019\u00e0 continuer sur cette lanc\u00e9e et voir les th\u00e8mes surgir peu \u00e0 peu, au fil du travail. Mais d\u00e9j\u00e0, le rapprochement avec l\u2019\u00e9criture devient plus clair. Disons que les possibles s\u2019amenuisent tout \u00e0 coup, en raison de l\u2019autorit\u00e9 de certaines obsessions qui d\u00e9sormais durent plus longtemps qu\u2019\u00e0 l\u2019ordinaire. La notion de milieu. La relation entre l\u2019\u00eatre humain et le milieu. La langue avec le milieu. La langue, l\u2019\u00e9criture, comme bateau pour naviguer entre diff\u00e9rents milieux. Prendre appui sur les films de Nurith Aviv, par exemple, ou sur les \u00e9crits d\u2019Augustin Berque. Et dommage que je ne lise pas le japonais, sinon Tetsuro Watsuji serait \u00e0 lire aussi, dans ces domaines. Mais pas de traduction, \u00e0 part F\u00fbdo : le milieu humain, traduit par Berque. J\u2019avais pens\u00e9 reprendre une symbolique, mais en revisitant les livres de Chagall et, r\u00e9cemment, les tableaux de Garouste, le risque d\u2019\u00eatre parl\u00e9 plus que parlant m\u2019effraie. Il convient donc de repartir \u00e0 z\u00e9ro, \u00e0 chaque fois, en utilisant mon propre langage plastique, mon propre langage tout court. Cela exige encore d\u2019aller creuser dans les profondeurs. Bref, travailler sans \u00eatre d\u00e9rang\u00e9, sans me d\u00e9ranger moi-m\u00eame. Pas de dispersion inutile. Ce n\u2019est pas inventer une symbolique, c\u2019est surtout en t\u00e9moigner telle que je la comprends intimement. Mais est-ce que je la comprends ou la connais ? Voil\u00e0 une bonne question \u00e0 se poser r\u00e9guli\u00e8rement. Ne pas avoir peur de dire : je ne sais pas ou tiens, il y a aussi \u00e7a et \u00e7a que je n\u2019avais pas vu. La peinture est une expression de tout ce que je traverse, de ce dont je suis imbib\u00e9, du matin au soir. Donc, normalement (dr\u00f4le), je n\u2019ai m\u00eame pas \u00e0 y r\u00e9fl\u00e9chir. Juste peindre, et les choses se mettront en place \u00e0 leur fa\u00e7on, comme d\u2019habitude. Concernant l\u2019\u00e9criture, l\u00e0 aussi, il y a un fourmillement d\u2019id\u00e9es. Mais je m\u2019en m\u00e9fie, car souvent cette agitation masque un vide, une crainte, une angoisse. Le fourmillement n\u2019est qu\u2019un pansement. En tous cas, continuer \u00e0 \u00e9crire sur le blog reste une discipline \u00e0 poursuivre. Cette ann\u00e9e, j\u2019ai appris de nouvelles choses sur la publication. Notamment un certain d\u00e9tachement, surtout quant \u00e0 la r\u00e9ception potentielle des textes. Je m\u2019en suis presque compl\u00e8tement d\u00e9tach\u00e9. Presque : cela emp\u00eache de se mentir trop, bien s\u00fbr. Le fait que ce blog devienne de plus en plus un carnet ouvert me permet d\u2019aller encore plus loin dans un creusement personnel. De faire sauter des entraves, de dynamiter des g\u00eanes, une fausse pudeur (y en a-t-il de vraies ?). De parler ma langue. Et, \u00e9trangement, d\u2019\u00eatre au premier rang pour la lire. D\u2019ailleurs, l\u2019important n\u2019est-ce pas cela pour un apprenti, un \u00e9tudiant : apprendre \u00e0 se relire pour mieux se familiariser avec ses fautes, ses \u00e9carts vis-\u00e0-vis d\u2019une norme, d\u2019une doxa ? Et, par l\u00e0 m\u00eame, s\u2019en \u00e9cartant, cr\u00e9er la sienne. (J\u2019exag\u00e8re ? Non.) Pour commenter cette langue, texte apr\u00e8s texte. Que faire de tout cela ensuite ? Cette ritournelle n\u2019a pas d\u2019importance. Un carnet, comme un blog, reste un carnet et un blog. Ce n\u2019est pas une \u0153uvre litt\u00e9raire. (Et c\u2019est sans doute parce que ce n\u2019en est pas une que c\u2019en est une.) Mais ces moments o\u00f9 je m\u2019\u00e9cris sont devenus une n\u00e9cessit\u00e9. Et au moment o\u00f9 l\u2019on doit se passer de tant de choses n\u00e9cessaires, \u00eatre tenu par une n\u00e9cessit\u00e9 qui ne nous assomme pas mais, au contraire, nous tient en \u00e9veil, est plut\u00f4t de l\u2019ordre de l\u2019aubaine. Sur un plan plus sombre, la notion de bateau pourrait aussi \u00eatre celle de la bo\u00eete, du cercueil, d\u2019une autre navigation. Une navigation qui se tient toujours l\u00e0, en parall\u00e8le, et qui parfois me rassure. En tous cas, elle relativise agr\u00e9ablement tout ce que je pourrais prendre trop au s\u00e9rieux. Il faut la conserver, m\u00eame si parfois elle me fait passer de foutus quarts d\u2019heure, des caps Horn \u00e0 la cha\u00eene. Mais j\u2019ai l\u2019impression que l\u2019humour en ressort toujours plus fort, plus fin, moins m\u00e9chant. Il faudrait \u00e9tudier aussi cet \u00e9trange ph\u00e9nom\u00e8ne d\u2019inertie, qui na\u00eet souvent \u00e0 contre-courant de toute situation dite normale ou oblig\u00e9e. Une inertie qui va parfois contre mon propre d\u00e9sir, surtout quand ce d\u00e9sir n\u2019est pas si propre que cela. Quand il s\u2019agit d\u2019un d\u00e9sir emprunt\u00e9, \u00e0 fort taux d\u2019int\u00e9r\u00eat, \u00e0 l\u2019instar des pr\u00eats bancaires ou pr\u00eats \u00e0 la consommation. Ce genre de d\u00e9sir qui m\u00e8ne \u00e0 l\u2019endettement ou \u00e0 l\u2019asservissement. L\u2019inertie y met un hol\u00e0, un bon tamis pour chercher l\u2019or de la rivi\u00e8re. Donc, rien n\u2019est encore fini, comme je le pensais hier ou il y a deux jours, dans un creux. C\u2019est fini et, en m\u00eame temps, \u00e7a ne cesse de recommencer. Dr\u00f4le, aussi.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/manege_convention_vaugirar_paris.jpg?1748065099", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-janvier-2023-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-janvier-2023-2.html", "title": "21 janvier 2023-2", "date_published": "2023-01-21T17:00:00Z", "date_modified": "2025-04-30T16:15:49Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Ta r\u00e9sistance \u00e0 l’engouement actuel envers le d\u00e9veloppement personnel, comment te l’expliques-tu, sinon par cette apparente facilit\u00e9 due \u00e0 des formules, des mantras \u00e0 ressasser, les \u0153ill\u00e8res gr\u00e2ce auxquelles il serait indispensable de se r\u00e9fugier dans une pens\u00e9e positive, ce qui te para\u00eet aussit\u00f4t erron\u00e9 sans que tu n’en comprennes au d\u00e9but la raison ? Sans doute pour avoir toi aussi travers\u00e9 ces formations, \u00e9tudi\u00e9 les rouages, les trucs, les combines, tout un artisanat de la manipulation \u00e0 des fins d\u00e9cevantes.
\nVouloir \u00eatre heureux, notamment, tu te demandes encore ce que cela signifie, sinon imaginer toujours un ailleurs pour ne pas regarder en face une r\u00e9alit\u00e9 bien plus complexe que seulement bas\u00e9e sur la joie, le bonheur ou la tristesse, la d\u00e9sesp\u00e9rance. Une r\u00e9alit\u00e9 amput\u00e9e, une r\u00e9alit\u00e9 r\u00e9duite \u00e0 une binarit\u00e9 insupportable.
\nCela demande un effort incroyable, quand tu y repenses aujourd’hui, de parvenir \u00e0 s’extraire de cette binarit\u00e9. L’effort n\u00e9cessaire pour voir ces deux aspects confondus et \u00eatre soudain, gr\u00e2ce justement \u00e0 ce m\u00e9lange, cette confusion, ce chaos apparent, \u00eatre en mesure d’en extraire une fr\u00e9quence, une couleur, un son.
\nAussi, quand tu tombes sur cette vid\u00e9o de Luc Bodin, attir\u00e9 par la miniature qui repr\u00e9sente ce vieux symbole l\u00e9murien, tu h\u00e9sites. Tu te dis quelle soupe va-t-il donc servir en prenant appui sur l’imaginaire, quelle manipulation encore derri\u00e8re les apparences. Tu visionnes la vid\u00e9o qui ne t’explique pas grand-chose que tu ne saches d\u00e9j\u00e0. Puis tu passes sur une toile que tu as appr\u00eat\u00e9e quelques jours avant. Tu fermes les yeux, tu vides toutes tes pens\u00e9es et tu laisses venir ce qui doit venir.
\nQuelques heures plus tard, tu re\u00e7ois un mail \u00e9trange, une vid\u00e9o qui \u00e9voque le parcours d’un kin\u00e9 non-voyant avec, en pi\u00e8ce jointe, son livre « \u00catre, \u00c9nergie, Fr\u00e9quences ». Il s’agit de Jean-Claude Biraud que tu ne connais pas. Il te faut \u00e0 peine deux heures pour avaler le livre. Surprise de constater les m\u00eames \u00e9motions \u00e9prouv\u00e9es autrefois qu’\u00e0 la lecture de Castaneda. Mais pr\u00e9sent\u00e9es cette fois d’une fa\u00e7on scientifique, raisonnable, argument\u00e9e avec preuves \u00e0 l’appui.
\nCe qui te scotche n’est pas tant le contenu de ce livre cependant. Par intuition, le seul fait que tu comprennes tout imm\u00e9diatement est d\u00e9j\u00e0 \u00e9tonnant en soi, mais ce n’est pas cela l’information que tu en retireras. C’est la t\u00e9nacit\u00e9 de l’homme pouss\u00e9 par sa curiosit\u00e9, son d\u00e9sir de comprendre, par une attention \u00e0 certaines choses dont nul \u00e0 part lui n’est en mesure d’\u00e9tablir des passerelles, des liens et de les pr\u00e9senter ainsi surtout.
\nEt aussi une grande le\u00e7on d’humilit\u00e9 car il n’h\u00e9site \u00e0 aucun moment \u00e0 s’adresser aux autres, \u00e0 des personnes travaillant chacune dans une sp\u00e9cialit\u00e9, au risque de se faire traiter d’hurluberlu, ce qui n’arrive en fait jamais. C’est exactement cette partie manquante que tu rel\u00e8ves soudain dans ton parcours : le fait de ne jamais oser t’adresser aux autres, de persister quelles que soient les difficult\u00e9s nombreuses rencontr\u00e9es \u00e0 rester seul, \u00e0 creuser dans cette solitude qui t’a toujours paru essentielle, incontournable.
\nBien s\u00fbr, tu as lu des milliers de livres, bien s\u00fbr tu as rencontr\u00e9 des milliers de personnes, mais tu n’as jamais os\u00e9 parler de tes recherches, tu n’as jamais cherch\u00e9 \u00e0 les confronter, \u00e0 les valider ou invalider. Tu regardes ton tableau ce matin, tu peux y retrouver la croix l\u00e9murienne, mais d\u00e9form\u00e9e par des forces \u00e9tranges, comme par une volont\u00e9 encore vivace de fabriquer tes propres symboles tels que tes filtres les adaptent \u00e0 partir d’une r\u00e9alit\u00e9 \u00e9tablie, une r\u00e9alit\u00e9 qu’on ne saurait impun\u00e9ment remettre en question.
\nPuis le soir, lecture des derniers cahiers de Kafka, cette histoire de b\u00fbcherons joyeux qui reste en suspens, des paragraphes qui soudain s’ach\u00e8vent par un « parce que ». Et pour parachever l’ensemble, la lecture de deux ou trois witz de Biro, quelques vell\u00e9it\u00e9s d’identification avec le personnage du bouffon que tu laisses tomber car le sommeil t’emporte.<\/p>", "content_text": "Ta r\u00e9sistance \u00e0 l'engouement actuel envers le d\u00e9veloppement personnel, comment te l'expliques-tu, sinon par cette apparente facilit\u00e9 due \u00e0 des formules, des mantras \u00e0 ressasser, les \u0153ill\u00e8res gr\u00e2ce auxquelles il serait indispensable de se r\u00e9fugier dans une pens\u00e9e positive, ce qui te para\u00eet aussit\u00f4t erron\u00e9 sans que tu n'en comprennes au d\u00e9but la raison ? Sans doute pour avoir toi aussi travers\u00e9 ces formations, \u00e9tudi\u00e9 les rouages, les trucs, les combines, tout un artisanat de la manipulation \u00e0 des fins d\u00e9cevantes. Vouloir \u00eatre heureux, notamment, tu te demandes encore ce que cela signifie, sinon imaginer toujours un ailleurs pour ne pas regarder en face une r\u00e9alit\u00e9 bien plus complexe que seulement bas\u00e9e sur la joie, le bonheur ou la tristesse, la d\u00e9sesp\u00e9rance. Une r\u00e9alit\u00e9 amput\u00e9e, une r\u00e9alit\u00e9 r\u00e9duite \u00e0 une binarit\u00e9 insupportable. Cela demande un effort incroyable, quand tu y repenses aujourd'hui, de parvenir \u00e0 s'extraire de cette binarit\u00e9. L'effort n\u00e9cessaire pour voir ces deux aspects confondus et \u00eatre soudain, gr\u00e2ce justement \u00e0 ce m\u00e9lange, cette confusion, ce chaos apparent, \u00eatre en mesure d'en extraire une fr\u00e9quence, une couleur, un son. Aussi, quand tu tombes sur cette vid\u00e9o de Luc Bodin, attir\u00e9 par la miniature qui repr\u00e9sente ce vieux symbole l\u00e9murien, tu h\u00e9sites. Tu te dis quelle soupe va-t-il donc servir en prenant appui sur l'imaginaire, quelle manipulation encore derri\u00e8re les apparences. Tu visionnes la vid\u00e9o qui ne t'explique pas grand-chose que tu ne saches d\u00e9j\u00e0. Puis tu passes sur une toile que tu as appr\u00eat\u00e9e quelques jours avant. Tu fermes les yeux, tu vides toutes tes pens\u00e9es et tu laisses venir ce qui doit venir. Quelques heures plus tard, tu re\u00e7ois un mail \u00e9trange, une vid\u00e9o qui \u00e9voque le parcours d'un kin\u00e9 non-voyant avec, en pi\u00e8ce jointe, son livre \"\u00catre, \u00c9nergie, Fr\u00e9quences\". Il s'agit de Jean-Claude Biraud que tu ne connais pas. Il te faut \u00e0 peine deux heures pour avaler le livre. Surprise de constater les m\u00eames \u00e9motions \u00e9prouv\u00e9es autrefois qu'\u00e0 la lecture de Castaneda. Mais pr\u00e9sent\u00e9es cette fois d'une fa\u00e7on scientifique, raisonnable, argument\u00e9e avec preuves \u00e0 l'appui. Ce qui te scotche n'est pas tant le contenu de ce livre cependant. Par intuition, le seul fait que tu comprennes tout imm\u00e9diatement est d\u00e9j\u00e0 \u00e9tonnant en soi, mais ce n'est pas cela l'information que tu en retireras. C'est la t\u00e9nacit\u00e9 de l'homme pouss\u00e9 par sa curiosit\u00e9, son d\u00e9sir de comprendre, par une attention \u00e0 certaines choses dont nul \u00e0 part lui n'est en mesure d'\u00e9tablir des passerelles, des liens et de les pr\u00e9senter ainsi surtout. Et aussi une grande le\u00e7on d'humilit\u00e9 car il n'h\u00e9site \u00e0 aucun moment \u00e0 s'adresser aux autres, \u00e0 des personnes travaillant chacune dans une sp\u00e9cialit\u00e9, au risque de se faire traiter d'hurluberlu, ce qui n'arrive en fait jamais. C'est exactement cette partie manquante que tu rel\u00e8ves soudain dans ton parcours : le fait de ne jamais oser t'adresser aux autres, de persister quelles que soient les difficult\u00e9s nombreuses rencontr\u00e9es \u00e0 rester seul, \u00e0 creuser dans cette solitude qui t'a toujours paru essentielle, incontournable. Bien s\u00fbr, tu as lu des milliers de livres, bien s\u00fbr tu as rencontr\u00e9 des milliers de personnes, mais tu n'as jamais os\u00e9 parler de tes recherches, tu n'as jamais cherch\u00e9 \u00e0 les confronter, \u00e0 les valider ou invalider. Tu regardes ton tableau ce matin, tu peux y retrouver la croix l\u00e9murienne, mais d\u00e9form\u00e9e par des forces \u00e9tranges, comme par une volont\u00e9 encore vivace de fabriquer tes propres symboles tels que tes filtres les adaptent \u00e0 partir d'une r\u00e9alit\u00e9 \u00e9tablie, une r\u00e9alit\u00e9 qu'on ne saurait impun\u00e9ment remettre en question. Puis le soir, lecture des derniers cahiers de Kafka, cette histoire de b\u00fbcherons joyeux qui reste en suspens, des paragraphes qui soudain s'ach\u00e8vent par un \"parce que\". Et pour parachever l'ensemble, la lecture de deux ou trois witz de Biro, quelques vell\u00e9it\u00e9s d'identification avec le personnage du bouffon que tu laisses tomber car le sommeil t'emporte.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7840.webp?1748065067", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-janvier-2023.html", "title": "21 janvier 2023", "date_published": "2023-01-21T16:55:00Z", "date_modified": "2025-01-26T16:55:17Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Ils te demand\u00e8rent d’\u00eatre attentif, se plaignirent que tu ne le serais jamais assez ; que ton attention ne se dirigerait jamais assez sur ce qu’ils auraient d\u00e9sir\u00e9, aim\u00e9, voulu ; mais malgr\u00e9 toute ton incompr\u00e9hension, puis ta bonne volont\u00e9 et enfin la peur d’\u00eatre battu, tu n’y pouvais rien, ton attention r\u00e9sistait de toutes ses forces — si l’on peut accorder \u00e0 celle-ci une volont\u00e9, un d\u00e9sir d’autonomie.
\nEt c’est devenu une norme pour toi pendant longtemps, des ann\u00e9es, que celle d’\u00eatre moqu\u00e9, rabrou\u00e9, puni, puis de te culpabiliser \u00e0 cause de cette carence, cette faute d’attention \u00e0 cette sph\u00e8re de pr\u00e9occupations consid\u00e9r\u00e9e comme essentielle pour eux. On te traita de nombreux noms, on crut \u00e0 un handicap, \u00e0 une tare caus\u00e9e par une d\u00e9faillance g\u00e9n\u00e9tique, et la seule th\u00e9rapie \u00e0 leur disposition fut la brimade, l’humiliation, les stations prolong\u00e9es dans des placards \u00e0 balai, dans l’obscurit\u00e9 de la cave sous la maison, des privations de toutes sortes et qui, au lieu de te remettre dans le droit chemin, provoqu\u00e8rent tout le contraire.
\nUn cercle vicieux qui dura longtemps, bien apr\u00e8s que tu sois parti de la maison, un sch\u00e9ma que tu transportas avec toi et que progressivement tu te mis \u00e0 examiner puisqu’il parut \u00eatre, \u00e0 certains moments de ton existence, ton seul bagage. Ce prisme log\u00e9 quelque part sur ta zone frontale, et qui arbitre encore aujourd’hui les \u00e9lans de ton attention vers ce que peu de personnes ne regardent jamais, ce dont ils d\u00e9clarent ne pas voir, ne pas \u00eatre int\u00e9ress\u00e9s de voir.
\nLe r\u00e9seau invisible \u00e0 la plupart, d’un ensemble de co\u00efncidences, susceptible de provoquer des \u00e9motions troublantes, un d\u00e9s\u00e9quilibre, celui-l\u00e0 m\u00eame dont naissent des pens\u00e9es in\u00e9dites, \u00e9tonnantes, voire loufoques, \u00e0 la mani\u00e8re d’un contre-poids. Lorsque tu tombes sur les ouvrages de Carlos Castaneda, quelle surprise de constater qu’il existait des gens qui s’\u00e9taient int\u00e9ress\u00e9s \u00e0 ce prisme de l’attention ! Tu n’\u00e9tais donc pas tout seul et ce fut un soulagement v\u00e9ritable.
\nLa notion de point d’assemblage que Don Juan enseigne au chercheur, au savant imbu de sa science, de son cart\u00e9sianisme, autant dire victime d’une ignorance totale de ce r\u00e9seau d’informations pr\u00e9cit\u00e9, t’a entra\u00een\u00e9 sur la voie chamanique dont tu ne t’es plus jamais \u00e9cart\u00e9. C’est-\u00e0-dire en r\u00e9sum\u00e9, accepter ta diff\u00e9rence en tout premier lieu, accepter que ton attention se dirige vers ce vers quoi nul ne la dirige jamais, accepter la solitude infinie qui d\u00e9coule d’une telle acceptation, puis avaler de petites pierres, des petits cailloux, jour apr\u00e8s jour pour t’habituer \u00e0 la souffrance que ces corps \u00e9trangers provoquent en p\u00e9n\u00e9trant ton gosier, ton int\u00e9rieur, jusqu’\u00e0 ce qu’ils finissent par en faire partie totalement, devenir ton intimit\u00e9 et celle-ci en retour, en \u00e9change, devenir la leur.<\/p>", "content_text": "Ils te demand\u00e8rent d'\u00eatre attentif, se plaignirent que tu ne le serais jamais assez ; que ton attention ne se dirigerait jamais assez sur ce qu'ils auraient d\u00e9sir\u00e9, aim\u00e9, voulu ; mais malgr\u00e9 toute ton incompr\u00e9hension, puis ta bonne volont\u00e9 et enfin la peur d'\u00eatre battu, tu n'y pouvais rien, ton attention r\u00e9sistait de toutes ses forces \u2014 si l'on peut accorder \u00e0 celle-ci une volont\u00e9, un d\u00e9sir d'autonomie. Et c'est devenu une norme pour toi pendant longtemps, des ann\u00e9es, que celle d'\u00eatre moqu\u00e9, rabrou\u00e9, puni, puis de te culpabiliser \u00e0 cause de cette carence, cette faute d'attention \u00e0 cette sph\u00e8re de pr\u00e9occupations consid\u00e9r\u00e9e comme essentielle pour eux. On te traita de nombreux noms, on crut \u00e0 un handicap, \u00e0 une tare caus\u00e9e par une d\u00e9faillance g\u00e9n\u00e9tique, et la seule th\u00e9rapie \u00e0 leur disposition fut la brimade, l'humiliation, les stations prolong\u00e9es dans des placards \u00e0 balai, dans l'obscurit\u00e9 de la cave sous la maison, des privations de toutes sortes et qui, au lieu de te remettre dans le droit chemin, provoqu\u00e8rent tout le contraire. Un cercle vicieux qui dura longtemps, bien apr\u00e8s que tu sois parti de la maison, un sch\u00e9ma que tu transportas avec toi et que progressivement tu te mis \u00e0 examiner puisqu'il parut \u00eatre, \u00e0 certains moments de ton existence, ton seul bagage. Ce prisme log\u00e9 quelque part sur ta zone frontale, et qui arbitre encore aujourd'hui les \u00e9lans de ton attention vers ce que peu de personnes ne regardent jamais, ce dont ils d\u00e9clarent ne pas voir, ne pas \u00eatre int\u00e9ress\u00e9s de voir. Le r\u00e9seau invisible \u00e0 la plupart, d'un ensemble de co\u00efncidences, susceptible de provoquer des \u00e9motions troublantes, un d\u00e9s\u00e9quilibre, celui-l\u00e0 m\u00eame dont naissent des pens\u00e9es in\u00e9dites, \u00e9tonnantes, voire loufoques, \u00e0 la mani\u00e8re d'un contre-poids. Lorsque tu tombes sur les ouvrages de Carlos Castaneda, quelle surprise de constater qu'il existait des gens qui s'\u00e9taient int\u00e9ress\u00e9s \u00e0 ce prisme de l'attention ! Tu n'\u00e9tais donc pas tout seul et ce fut un soulagement v\u00e9ritable. La notion de point d'assemblage que Don Juan enseigne au chercheur, au savant imbu de sa science, de son cart\u00e9sianisme, autant dire victime d'une ignorance totale de ce r\u00e9seau d'informations pr\u00e9cit\u00e9, t'a entra\u00een\u00e9 sur la voie chamanique dont tu ne t'es plus jamais \u00e9cart\u00e9. C'est-\u00e0-dire en r\u00e9sum\u00e9, accepter ta diff\u00e9rence en tout premier lieu, accepter que ton attention se dirige vers ce vers quoi nul ne la dirige jamais, accepter la solitude infinie qui d\u00e9coule d'une telle acceptation, puis avaler de petites pierres, des petits cailloux, jour apr\u00e8s jour pour t'habituer \u00e0 la souffrance que ces corps \u00e9trangers provoquent en p\u00e9n\u00e9trant ton gosier, ton int\u00e9rieur, jusqu'\u00e0 ce qu'ils finissent par en faire partie totalement, devenir ton intimit\u00e9 et celle-ci en retour, en \u00e9change, devenir la leur. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/image-121.jpg?1748065153", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-janvier-2023.html", "title": "20 janvier 2023", "date_published": "2023-01-20T12:52:00Z", "date_modified": "2025-01-26T12:52:40Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Dans le fond, tu n’es pas diff\u00e9rent de Madame Verlaine ; elle dit qu’il pue de la gueule, ce type-l\u00e0, ce Rimbaud, en plus d’avoir des puces, et pour \u00eatre po\u00e8te, elle veut bien, mais c’est quand m\u00eame louche. C’est affaire de congruence comme on le dit aujourd’hui. \u00catre po\u00e8te et puer de la gueule, il y a quelque chose qui ne va pas. Et toi, tu le penses aussi, bien s\u00fbr. Comment peut-on \u00e9crire des merveilles et en m\u00eame temps \u00eatre si sale ?
\n\u00c7a ne t’aura jamais \u00e9chapp\u00e9, pas besoin d’attendre la vid\u00e9o qui t’inspire ce texte tout \u00e0 coup. D\u00e9j\u00e0 gamin, la salet\u00e9 te paraissait le pr\u00e9ambule oblig\u00e9 \u00e0 toute merveille \u00e0 venir. Il fut un temps, tr\u00e8s lointain, o\u00f9 tu v\u00e9n\u00e9rais la salet\u00e9 car elle poss\u00e9dait une fonction initiatique. Que s’est-il pass\u00e9 depuis ? Quand es-tu tomb\u00e9 dans l’obsession partag\u00e9e d’appara\u00eetre propre ? De devenir une Madame Verlaine toi aussi ?
\nEh bien, tu as travers\u00e9 le temps, mon cher, tu as d\u00e9couvert la douche, le savon, le mariage et surtout, tu sais d\u00e9sormais que tu n’es pas Rimbaud, que tu ne l’as jamais \u00e9t\u00e9, tu ne le seras jamais.<\/p>", "content_text": "Dans le fond, tu n'es pas diff\u00e9rent de Madame Verlaine ; elle dit qu'il pue de la gueule, ce type-l\u00e0, ce Rimbaud, en plus d'avoir des puces, et pour \u00eatre po\u00e8te, elle veut bien, mais c'est quand m\u00eame louche. C'est affaire de congruence comme on le dit aujourd'hui. \u00catre po\u00e8te et puer de la gueule, il y a quelque chose qui ne va pas. Et toi, tu le penses aussi, bien s\u00fbr. Comment peut-on \u00e9crire des merveilles et en m\u00eame temps \u00eatre si sale ? \u00c7a ne t'aura jamais \u00e9chapp\u00e9, pas besoin d'attendre la vid\u00e9o qui t'inspire ce texte tout \u00e0 coup. D\u00e9j\u00e0 gamin, la salet\u00e9 te paraissait le pr\u00e9ambule oblig\u00e9 \u00e0 toute merveille \u00e0 venir. Il fut un temps, tr\u00e8s lointain, o\u00f9 tu v\u00e9n\u00e9rais la salet\u00e9 car elle poss\u00e9dait une fonction initiatique. Que s'est-il pass\u00e9 depuis ? Quand es-tu tomb\u00e9 dans l'obsession partag\u00e9e d'appara\u00eetre propre ? De devenir une Madame Verlaine toi aussi ? Eh bien, tu as travers\u00e9 le temps, mon cher, tu as d\u00e9couvert la douche, le savon, le mariage et surtout, tu sais d\u00e9sormais que tu n'es pas Rimbaud, que tu ne l'as jamais \u00e9t\u00e9, tu ne le seras jamais.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_4013.webp?1748065085", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-janvier-2023-712.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-janvier-2023-712.html", "title": "20 janvier 2023", "date_published": "2023-01-20T12:40:00Z", "date_modified": "2025-02-17T01:57:28Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Mais non, ce n’est pas une question d’organisation ; \u00e7a, tu vas l’entendre tout le temps. Tu vas trouver plein de formations qui vont t’apprendre \u00e0 organiser ton temps pour faire encore plus de choses que tu n’en fais d\u00e9j\u00e0... mais \u00e7a ne changera pas la qualit\u00e9 que tu donnes toi \u00e0 ton propre temps.<\/p>\n

Tu te souviens quand tu \u00e9tais gosse que tes parents t’emmenaient en voiture pour aller chez tes grands-parents, ta tante, en vacances, etc., comment tu n’en pouvais plus de trouver le temps long ? Tu te souviens de cette apr\u00e8s-midi o\u00f9 tu as \u00e9t\u00e9 capable d’attendre trois heures la fille dont tu \u00e9tais amoureux fou, et comment ces trois heures ont \u00e9t\u00e9 f\u00e9briles, intenses, et l’explosion d’\u00e9motions quand tu l’as vue arriver au loin ? Tu te souviens de ce livre que tu as d\u00e9vor\u00e9 d’un seul trait et ton d\u00e9pit quand tu es arriv\u00e9 soudain \u00e0 la fin ?<\/p>\n

Toutes ces exp\u00e9riences du temps, de ton temps \u00e0 toi, tu les fais depuis longtemps d\u00e9j\u00e0. Tu l’as bien compris, ton temps \u00e0 toi n’est pas forc\u00e9ment le temps de tout le monde. Alors pour peindre, tu vas te dire : ’je n’ai pas le temps’ parce que tu ne sais plus retrouver la magie de cr\u00e9er ton propre temps et savourer l’instant d’\u00eatre seul avec ta toile, avec toi-m\u00eame, avec le cosmos...<\/p>\n

L’inqui\u00e9tude li\u00e9e au temps, la hantise permanente de ne pas avoir le temps ; puis, pour lutter contre cette inqui\u00e9tude, le fantasme de l’organisation, de l’emploi du temps, des to-do listes qui ne fonctionnent pas ; tu n’arrives pas \u00e0 t’\u00f4ter de l’esprit qu’il s’agit de s’occuper, de passer le temps pour ne pas voir que le temps te manque, qu’il te manquera toujours ; enfantine r\u00e9sistance que celle qui conduit \u00e0 ne rien vouloir ou pouvoir faire, comme pour s’opposer \u00e0 ce que tu consid\u00e8res comme un mensonge du faire.<\/p>\n

Le d\u00e9sir de r\u00e9aliser, le but, l’objectif, le challenge, ne sont pas de poids, de taille pour te faire oublier la mort. Il n’y a que l’\u00e9criture qui te procure un peu de repos, elle sert \u00e0 perdre, de jour en jour, une id\u00e9e d’importance, ta propre id\u00e9e d’importance ; il y a donc un but, contre toute attente, l’urgence d’\u00e9crire pour se tenir pr\u00eat \u00e0 toute fin.<\/p>\n

La qualit\u00e9 du temps ; la conjugaison des verbes, l’\u00e9criture seule te permet d’\u00e9tudier cette approche ; en aveugle souvent ; mais es-tu vraiment honn\u00eate lorsque tu penses que celle-ci est m\u00eame sup\u00e9rieure \u00e0 la qualit\u00e9 du temps que tu \u00e9tudies aussi lorsque tu fais l’amour, lorsque tu es en train de passer un agr\u00e9able moment entre amis, lorsque tu avales une bouch\u00e9e d’un plat succulent ? Donc tu \u00e9tudies tout le temps, tu ne cesses jamais d’\u00e9tudier le temps quelle que soit son occupation et cela repr\u00e9sente une \u00e9nigme, la seule \u00e9nigme \u00e0 r\u00e9soudre.<\/p>\n

Mais pourquoi \u00e9tudier, se cantonner toujours \u00e0 l’exercice, \u00e0 l’\u00e9tude ? N’est-ce pas plut\u00f4t pour ne jamais parvenir au chef-d’\u0153uvre, \u00e0 une id\u00e9e d’ach\u00e8vement ? Tu te tiens hors du temps pour l’\u00e9tudier, c’est aussi pour cette raison que tu \u00e9cris. Pour ensuite tout oublier dans la journ\u00e9e, pour entrer dans l’oubli sans plus y penser.<\/p>\n

Mais l’\u00e9criture t’attire, tu y passes de plus en plus de temps, tu sens que c’est une erreur, cependant tu persistes. Est-elle devenue elle aussi une occupation, c’est-\u00e0-dire pour toi un pr\u00e9texte ? S’enfuir dans une occupation, se concentrer dans une activit\u00e9, oublier la mort un instant ; c’est elle encore qui produit ce que tu penses n’\u00eatre qu’une agitation, c’est-\u00e0-dire le simple fait ou la sensation d’\u00eatre en vie, qui se produira toujours, se reproduira jusqu’\u00e0 la fin de ta vie. Le fait de l’\u00e9crire change-t-il quelque chose ?<\/p>\n

Tu \u00e9cris pour r\u00e9inventer une notion du temps et cette d\u00e9couverte te brouille la vue, tu es comme un gamin qui d\u00e9couvre la mer et qui ne veut plus sortir de l’eau. Sur la berge, des personnes t’appellent que tu n’\u00e9coutes plus.<\/p>\n

En une phrase : tu te pourris la vie en ne cessant de penser \u00e0 la mort, tu t’obstines \u00e0 vouloir penser l’impensable, et dans quel but sinon acculer toute pens\u00e9e \u00e0 ce que tu crois \u00eatre son but v\u00e9ritable, le m\u00eame qu’un pansement : recouvrir, prot\u00e9ger une blessure. Quelle blessure ? Tu ne t’en souviens m\u00eame plus tant elle est profonde.<\/p>\n

On meurt seul, m\u00eame entour\u00e9, c’est aussi cela, comme on vit seul quelle que soit l’illusion que l’on s’invente pour oublier cette r\u00e9alit\u00e9. Et quel est le plus g\u00eanant, de mourir ou de mourir seul ? C’est nou\u00e9 serr\u00e9 et difficile de d\u00e9cider de tel ou tel moment, d’un d\u00e9nouement ; le fait de se r\u00e9pandre ainsi, de tant \u00e9crire, est-ce une recherche de d\u00e9nouement ou au contraire repousser syst\u00e9matiquement celui-ci ?<\/p>\n

La fatigue, le d\u00e9couragement, la d\u00e9ception de vouloir reprendre ces textes de 2018 six ans plus tard. Tu voulais r\u00e9duire, ne retenir qu’une phrase ou deux et tu rajoutes tout \u00e0 coup mille mots. Qu’est-ce que tu ne comprends pas, refuses de comprendre dans le mot r\u00e9duire ? Quelle force s’oppose \u00e0 toute tentative de vouloir te raisonner, d’\u00eatre raisonnable ? La peur d’un quelconque ach\u00e8vement, tellement quelconque. Encore un peu d’orgueil ou de vanit\u00e9 sans doute et rien de plus.\"<\/p>", "content_text": "Mais non, ce n'est pas une question d'organisation ; \u00e7a, tu vas l'entendre tout le temps. Tu vas trouver plein de formations qui vont t'apprendre \u00e0 organiser ton temps pour faire encore plus de choses que tu n'en fais d\u00e9j\u00e0... mais \u00e7a ne changera pas la qualit\u00e9 que tu donnes toi \u00e0 ton propre temps. Tu te souviens quand tu \u00e9tais gosse que tes parents t'emmenaient en voiture pour aller chez tes grands-parents, ta tante, en vacances, etc., comment tu n'en pouvais plus de trouver le temps long ? Tu te souviens de cette apr\u00e8s-midi o\u00f9 tu as \u00e9t\u00e9 capable d'attendre trois heures la fille dont tu \u00e9tais amoureux fou, et comment ces trois heures ont \u00e9t\u00e9 f\u00e9briles, intenses, et l'explosion d'\u00e9motions quand tu l'as vue arriver au loin ? Tu te souviens de ce livre que tu as d\u00e9vor\u00e9 d'un seul trait et ton d\u00e9pit quand tu es arriv\u00e9 soudain \u00e0 la fin ? Toutes ces exp\u00e9riences du temps, de ton temps \u00e0 toi, tu les fais depuis longtemps d\u00e9j\u00e0. Tu l'as bien compris, ton temps \u00e0 toi n'est pas forc\u00e9ment le temps de tout le monde. Alors pour peindre, tu vas te dire : 'je n'ai pas le temps' parce que tu ne sais plus retrouver la magie de cr\u00e9er ton propre temps et savourer l'instant d'\u00eatre seul avec ta toile, avec toi-m\u00eame, avec le cosmos... L'inqui\u00e9tude li\u00e9e au temps, la hantise permanente de ne pas avoir le temps ; puis, pour lutter contre cette inqui\u00e9tude, le fantasme de l'organisation, de l'emploi du temps, des to-do listes qui ne fonctionnent pas ; tu n'arrives pas \u00e0 t'\u00f4ter de l'esprit qu'il s'agit de s'occuper, de passer le temps pour ne pas voir que le temps te manque, qu'il te manquera toujours ; enfantine r\u00e9sistance que celle qui conduit \u00e0 ne rien vouloir ou pouvoir faire, comme pour s'opposer \u00e0 ce que tu consid\u00e8res comme un mensonge du faire. Le d\u00e9sir de r\u00e9aliser, le but, l'objectif, le challenge, ne sont pas de poids, de taille pour te faire oublier la mort. Il n'y a que l'\u00e9criture qui te procure un peu de repos, elle sert \u00e0 perdre, de jour en jour, une id\u00e9e d'importance, ta propre id\u00e9e d'importance ; il y a donc un but, contre toute attente, l'urgence d'\u00e9crire pour se tenir pr\u00eat \u00e0 toute fin. La qualit\u00e9 du temps ; la conjugaison des verbes, l'\u00e9criture seule te permet d'\u00e9tudier cette approche ; en aveugle souvent ; mais es-tu vraiment honn\u00eate lorsque tu penses que celle-ci est m\u00eame sup\u00e9rieure \u00e0 la qualit\u00e9 du temps que tu \u00e9tudies aussi lorsque tu fais l'amour, lorsque tu es en train de passer un agr\u00e9able moment entre amis, lorsque tu avales une bouch\u00e9e d'un plat succulent ? Donc tu \u00e9tudies tout le temps, tu ne cesses jamais d'\u00e9tudier le temps quelle que soit son occupation et cela repr\u00e9sente une \u00e9nigme, la seule \u00e9nigme \u00e0 r\u00e9soudre. Mais pourquoi \u00e9tudier, se cantonner toujours \u00e0 l'exercice, \u00e0 l'\u00e9tude ? N'est-ce pas plut\u00f4t pour ne jamais parvenir au chef-d'\u0153uvre, \u00e0 une id\u00e9e d'ach\u00e8vement ? Tu te tiens hors du temps pour l'\u00e9tudier, c'est aussi pour cette raison que tu \u00e9cris. Pour ensuite tout oublier dans la journ\u00e9e, pour entrer dans l'oubli sans plus y penser. Mais l'\u00e9criture t'attire, tu y passes de plus en plus de temps, tu sens que c'est une erreur, cependant tu persistes. Est-elle devenue elle aussi une occupation, c'est-\u00e0-dire pour toi un pr\u00e9texte ? S'enfuir dans une occupation, se concentrer dans une activit\u00e9, oublier la mort un instant ; c'est elle encore qui produit ce que tu penses n'\u00eatre qu'une agitation, c'est-\u00e0-dire le simple fait ou la sensation d'\u00eatre en vie, qui se produira toujours, se reproduira jusqu'\u00e0 la fin de ta vie. Le fait de l'\u00e9crire change-t-il quelque chose ? Tu \u00e9cris pour r\u00e9inventer une notion du temps et cette d\u00e9couverte te brouille la vue, tu es comme un gamin qui d\u00e9couvre la mer et qui ne veut plus sortir de l'eau. Sur la berge, des personnes t'appellent que tu n'\u00e9coutes plus. En une phrase : tu te pourris la vie en ne cessant de penser \u00e0 la mort, tu t'obstines \u00e0 vouloir penser l'impensable, et dans quel but sinon acculer toute pens\u00e9e \u00e0 ce que tu crois \u00eatre son but v\u00e9ritable, le m\u00eame qu'un pansement : recouvrir, prot\u00e9ger une blessure. Quelle blessure ? Tu ne t'en souviens m\u00eame plus tant elle est profonde. On meurt seul, m\u00eame entour\u00e9, c'est aussi cela, comme on vit seul quelle que soit l'illusion que l'on s'invente pour oublier cette r\u00e9alit\u00e9. Et quel est le plus g\u00eanant, de mourir ou de mourir seul ? C'est nou\u00e9 serr\u00e9 et difficile de d\u00e9cider de tel ou tel moment, d'un d\u00e9nouement ; le fait de se r\u00e9pandre ainsi, de tant \u00e9crire, est-ce une recherche de d\u00e9nouement ou au contraire repousser syst\u00e9matiquement celui-ci ? La fatigue, le d\u00e9couragement, la d\u00e9ception de vouloir reprendre ces textes de 2018 six ans plus tard. Tu voulais r\u00e9duire, ne retenir qu'une phrase ou deux et tu rajoutes tout \u00e0 coup mille mots. Qu'est-ce que tu ne comprends pas, refuses de comprendre dans le mot r\u00e9duire ? Quelle force s'oppose \u00e0 toute tentative de vouloir te raisonner, d'\u00eatre raisonnable ? La peur d'un quelconque ach\u00e8vement, tellement quelconque. Encore un peu d'orgueil ou de vanit\u00e9 sans doute et rien de plus.\" ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7837.webp?1748065201", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "Espaces lieux ", "Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023-2.html", "title": "19 janvier 2023-2", "date_published": "2023-01-19T12:00:00Z", "date_modified": "2025-01-26T12:00:30Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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On ouvre un pot pour go\u00fbter la confiture, \u00e7a r\u00e9siste. Merde, c’est de la p\u00e2te de fruit. Du coup, la recette n’\u00e9tait peut-\u00eatre pas fausse, c’est juste qu’on aura trop fait cuire. Encore une poign\u00e9e de grains \u00e0 moudre, tiens. Ce n’est pas si mauvais que \u00e7a en plus. Oui, mais ce n’\u00e9tait pas le but. On ne peut pas l’\u00e9taler sur les biscottes.<\/p>", "content_text": "On ouvre un pot pour go\u00fbter la confiture, \u00e7a r\u00e9siste. Merde, c'est de la p\u00e2te de fruit. Du coup, la recette n'\u00e9tait peut-\u00eatre pas fausse, c'est juste qu'on aura trop fait cuire. Encore une poign\u00e9e de grains \u00e0 moudre, tiens. Ce n'est pas si mauvais que \u00e7a en plus. Oui, mais ce n'\u00e9tait pas le but. On ne peut pas l'\u00e9taler sur les biscottes. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7831.jpg?1748065130", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023-3.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023-3.html", "title": "19 janvier 2023-3", "date_published": "2023-01-19T11:52:00Z", "date_modified": "2025-02-17T02:20:48Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Ce que tu trouves \u00e9trange et que nul autre ne semble voir. Ou n’en parle. Le fait de vivre est en soi tellement \u00e9trange. Ensuite, partager cette sensation permanente d’\u00e9tranget\u00e9 est-il utile, int\u00e9ressant ? Est-ce encore une fa\u00e7on de dire quelque chose sur soi, d’attirer l’attention quand on estime \u00eatre dans une carence ? Autant de questions sans r\u00e9ponse d\u00e9finitive.
\nLe doute lui aussi devient \u00e9trange apr\u00e8s toutes ces ann\u00e9es, presque comme n’importe quelle certitude. Le doute quant \u00e0 toute cette fameuse perte de temps que l’on ne cesse de te seriner depuis toujours, quand tu devrais te concentrer sur des choses qui rapportent. Comme si les choses \u00e9taient des chiennes ou des chiens.
\nCertains chiens peuvent \u00e9prouver une fatigue envers leurs ma\u00eetres, et parfois refuser de rapporter, voire ils peuvent mordre tant on les aura d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s, maltrait\u00e9s. Et l\u00e0, l’\u00e9tranget\u00e9 se m\u00e9tamorphosera en d\u00e9lit, en crime, mots-valises pour enfermer, en appuyant bien dessus, l’incompr\u00e9hension, ou l’incompr\u00e9hensible.<\/p>", "content_text": "Ce que tu trouves \u00e9trange et que nul autre ne semble voir. Ou n'en parle. Le fait de vivre est en soi tellement \u00e9trange. Ensuite, partager cette sensation permanente d'\u00e9tranget\u00e9 est-il utile, int\u00e9ressant ? Est-ce encore une fa\u00e7on de dire quelque chose sur soi, d'attirer l'attention quand on estime \u00eatre dans une carence ? Autant de questions sans r\u00e9ponse d\u00e9finitive. Le doute lui aussi devient \u00e9trange apr\u00e8s toutes ces ann\u00e9es, presque comme n'importe quelle certitude. Le doute quant \u00e0 toute cette fameuse perte de temps que l'on ne cesse de te seriner depuis toujours, quand tu devrais te concentrer sur des choses qui rapportent. Comme si les choses \u00e9taient des chiennes ou des chiens. Certains chiens peuvent \u00e9prouver une fatigue envers leurs ma\u00eetres, et parfois refuser de rapporter, voire ils peuvent mordre tant on les aura d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9s, maltrait\u00e9s. Et l\u00e0, l'\u00e9tranget\u00e9 se m\u00e9tamorphosera en d\u00e9lit, en crime, mots-valises pour enfermer, en appuyant bien dessus, l'incompr\u00e9hension, ou l'incompr\u00e9hensible. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7818.jpg?1748065118", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023-2-703.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023-2-703.html", "title": "19 janvier 2023-2", "date_published": "2023-01-19T11:48:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:53:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Giacometti, bien s\u00fbr : ce qui reste apr\u00e8s l’effort, la t\u00e9nacit\u00e9, la volont\u00e9, l’effacement du superflu, de la fioriture, du trouble qui brouille la vue, et de tant d’autres raisons bien plus obscures encore. De celles n\u00e9cessaires, indispensables pour \u00e9liminer. Ce n’est pas facile d’\u00e9liminer. Boire des litres d’eau ne suffit pas. Courir autour d’un stade, en for\u00eat, sur la plaine peut aider, \u00e0 condition que l’on s’y tienne r\u00e9guli\u00e8rement, car il n’y a gu\u00e8re d’autre mot que celui-ci qui vaille.
\nPrendre l’habitude d’\u00e9liminer, facile selon les dires : \u00e0 peine un mois, une trentaine de jours pour que \u00e7a devienne comme une drogue dont on ne peut plus se passer. Mais est-ce vraiment suffisant ? Physiquement sans doute, mais pour \u00e9crire, une autre paire de manches. Un v\u00e9ritable parcours de combattant. Ce qui, bien s\u00fbr, te fait songer \u00e0 ces tueurs \u00e0 gages dans les polars, ceux qui ont pour charge d’\u00e9liminer, ceux \u00e0 qui l’on confie un contrat, et qui le remplissent sans ciller, sans \u00e9motion. Tout ce que tu as tant de difficult\u00e9s \u00e0 accepter. Le crois-tu vraiment ?<\/p>", "content_text": "Giacometti, bien s\u00fbr : ce qui reste apr\u00e8s l'effort, la t\u00e9nacit\u00e9, la volont\u00e9, l'effacement du superflu, de la fioriture, du trouble qui brouille la vue, et de tant d'autres raisons bien plus obscures encore. De celles n\u00e9cessaires, indispensables pour \u00e9liminer. Ce n'est pas facile d'\u00e9liminer. Boire des litres d'eau ne suffit pas. Courir autour d'un stade, en for\u00eat, sur la plaine peut aider, \u00e0 condition que l'on s'y tienne r\u00e9guli\u00e8rement, car il n'y a gu\u00e8re d'autre mot que celui-ci qui vaille. Prendre l'habitude d'\u00e9liminer, facile selon les dires : \u00e0 peine un mois, une trentaine de jours pour que \u00e7a devienne comme une drogue dont on ne peut plus se passer. Mais est-ce vraiment suffisant ? Physiquement sans doute, mais pour \u00e9crire, une autre paire de manches. Un v\u00e9ritable parcours de combattant. Ce qui, bien s\u00fbr, te fait songer \u00e0 ces tueurs \u00e0 gages dans les polars, ceux qui ont pour charge d'\u00e9liminer, ceux \u00e0 qui l'on confie un contrat, et qui le remplissent sans ciller, sans \u00e9motion. Tout ce que tu as tant de difficult\u00e9s \u00e0 accepter. Le crois-tu vraiment ?", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7829.jpg?1748065132", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2023.html", "title": "19 janvier 2023", "date_published": "2023-01-19T02:14:00Z", "date_modified": "2025-01-26T02:15:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Autobiographie par les objets, comment on les convoque, comment on parle de ces objets, quelle relation on s’invente ainsi avec eux. J’ai relu le texte si \u00e9mouvant de Fran\u00e7ois et j’allais lui emprunter le pas quand, soudain, dans le dernier paragraphe \u2013 et j’\u00e9tais pass\u00e9 \u00e0 c\u00f4t\u00e9 \u00e0 la toute premi\u00e8re lecture \u2013 ce d\u00e9clic, cette d\u00e9couverte : il semble biffer en quelques mots tout le d\u00e9roul\u00e9 dans lequel il m’aura entra\u00een\u00e9. S’abstraire de l’injonction \u00e0 faire m\u00e9moire est ce qui nous aura permis d’avancer.
\nC’est la seconde fois en une heure \u00e0 peine ce matin que je me heurte au m\u00eame obstacle. Je voulais r\u00e9\u00e9crire ma bio, refaire une page web regroupant, pour les lieux d’exposition, qui je suis, ce que je fais, pourquoi je le fais et quelques photographies de mon travail. J’ai commenc\u00e9 \u00e0 \u00e9crire cette bio et, presque aussit\u00f4t, j’ai vu surgir dans ces quelques lignes commenc\u00e9es moult d\u00e9tails, jusqu’\u00e0 la couleur du tapis, rouge, de l’escalier menant jadis \u00e0 ce tout premier logement, chez mes grands-parents paternels. Au bout de 600 mots, j’ai stopp\u00e9 net. Quelque chose coin\u00e7ait. Je me suis dit : ’Pourquoi fais-tu \u00e7a, qui cela va-t-il int\u00e9resser ?’ puisque le but est de ne donner que quelques \u00e9l\u00e9ments biographiques succincts mais essentiels pour saisir un parcours.
\nCette injonction \u00e0 faire m\u00e9moire, bien s\u00fbr, ne peut plus m’\u00e9chapper ce matin. Je comprends confus\u00e9ment qu’elle est un d\u00e9sir d’autant plus bizarre que dans ma vie r\u00e9elle, si je peux dire, j’ai justement fait l’impasse sur le souvenir, la m\u00e9moire, et que c’est bien ainsi que j’ai pu avancer sur tant de chemins divers, d\u00e9couvrir tant de territoires inexplor\u00e9s. Donc, encore une fois, un vacillement dans le cadre de l’\u00e9criture entre la forme et le fond.
\nD\u00e9sormais, il s’agit de ruser, d’\u00eatre beaucoup plus malin. Tu sais que de toute fa\u00e7on, sit\u00f4t que tu \u00e9cris, m\u00eame une liste de courses sur un simple bout de papier, si tu d\u00e9cris une pi\u00e8ce, un objet, tu ne sais que parler de toi, toujours, que de toute fa\u00e7on tu es enferm\u00e9 l\u00e0-dedans. Est-ce une mal\u00e9diction ? Pour le lecteur certainement, si tu ne te renouvelles pas. Ensuite, tu peux aussi continuer \u00e0 te dire que tu te fous du lecteur, mais tu es aussi le lecteur, donc d\u00e8s que tu peines \u00e0 te relire, prends \u00e7a comme un indice, jette-toi dessus, ne te contente plus sentimentalement d’un \u00e0-peu-pr\u00e8s.
\n\u00c9berlu\u00e9 aussi de constater un cheminement parall\u00e8le dans la peinture, le retour \u00e0 un enseignement quasi acad\u00e9mique d\u00e9sormais dans les cours que je dispense. Pourquoi ? Ce n’est pas parce que ce que j’offrais \u00e9tait mauvais mais sans doute trop philosophique, trop intellectuel, bien que pr\u00e9sent\u00e9 d’une fa\u00e7on ludique. Non, ce n’est pas cela, c’est juste que l’on ne met pas la charrue avant les b\u0153ufs, que la technique, si fastidieuse apparaisse-t-elle a priori, doit \u00eatre apprise en premier lieu afin de pouvoir s’en lib\u00e9rer ensuite.
\nIl y a aussi une possibilit\u00e9 d’effacement de soi, de ce personnage parfois si encombrant pour soi et les autres, gr\u00e2ce \u00e0 ce cheminement dans lequel on se concentrerait sur des fondamentaux. D’ailleurs, aux derni\u00e8res nouvelles d’hier soir, si les \u00e9l\u00e8ves sont surpris par ce changement de cap de ce second trimestre, et bien que je les aie avertis par avance au terme du premier, ils r\u00e2lent pour la forme mais ils sont soulag\u00e9s, presque contents.
\nEt aussi, apr\u00e8s ces quelques consid\u00e9rations, que vas-tu peindre, \u00e9crire maintenant ? Sous tes pieds, un grand vide vient tout juste de se cr\u00e9er. Est-ce que l’on peut peindre, \u00e9crire cela ? Par l’usage de subterfuges alors, d’une contrainte, ce que nous ont enseign\u00e9 Perec et Fran\u00e7ois, mais cette n\u00e9cessit\u00e9 t’est plus claire en peinture, tu la connais d\u00e9j\u00e0 depuis longtemps. Donc faire confiance \u00e0 la porosit\u00e9 des \u00e9changes, aux vases communicants. Sans confiance on n’est rien, sans optimisme non plus. Et quand bien m\u00eame on ne serait rien, l’optimisme et l’humour, eux, sont quelque chose.« Ce texte rel\u00e8ve clairement de la cat\u00e9gorie »Carnets\". Il s’agit d’une r\u00e9flexion m\u00e9thodologique sur l’\u00e9criture autobiographique et la cr\u00e9ation artistique, m\u00ealant consid\u00e9rations sur l’enseignement et questionnements sur la m\u00e9moire. La th\u00e9matique principale est la tension entre le d\u00e9sir de m\u00e9moire et la n\u00e9cessit\u00e9 d’avancer, entre technique et cr\u00e9ation libre.<\/p>", "content_text": "Autobiographie par les objets, comment on les convoque, comment on parle de ces objets, quelle relation on s'invente ainsi avec eux. J'ai relu le texte si \u00e9mouvant de Fran\u00e7ois et j'allais lui emprunter le pas quand, soudain, dans le dernier paragraphe \u2013 et j'\u00e9tais pass\u00e9 \u00e0 c\u00f4t\u00e9 \u00e0 la toute premi\u00e8re lecture \u2013 ce d\u00e9clic, cette d\u00e9couverte : il semble biffer en quelques mots tout le d\u00e9roul\u00e9 dans lequel il m'aura entra\u00een\u00e9. S'abstraire de l'injonction \u00e0 faire m\u00e9moire est ce qui nous aura permis d'avancer. C'est la seconde fois en une heure \u00e0 peine ce matin que je me heurte au m\u00eame obstacle. Je voulais r\u00e9\u00e9crire ma bio, refaire une page web regroupant, pour les lieux d'exposition, qui je suis, ce que je fais, pourquoi je le fais et quelques photographies de mon travail. J'ai commenc\u00e9 \u00e0 \u00e9crire cette bio et, presque aussit\u00f4t, j'ai vu surgir dans ces quelques lignes commenc\u00e9es moult d\u00e9tails, jusqu'\u00e0 la couleur du tapis, rouge, de l'escalier menant jadis \u00e0 ce tout premier logement, chez mes grands-parents paternels. Au bout de 600 mots, j'ai stopp\u00e9 net. Quelque chose coin\u00e7ait. Je me suis dit : 'Pourquoi fais-tu \u00e7a, qui cela va-t-il int\u00e9resser ?' puisque le but est de ne donner que quelques \u00e9l\u00e9ments biographiques succincts mais essentiels pour saisir un parcours. Cette injonction \u00e0 faire m\u00e9moire, bien s\u00fbr, ne peut plus m'\u00e9chapper ce matin. Je comprends confus\u00e9ment qu'elle est un d\u00e9sir d'autant plus bizarre que dans ma vie r\u00e9elle, si je peux dire, j'ai justement fait l'impasse sur le souvenir, la m\u00e9moire, et que c'est bien ainsi que j'ai pu avancer sur tant de chemins divers, d\u00e9couvrir tant de territoires inexplor\u00e9s. Donc, encore une fois, un vacillement dans le cadre de l'\u00e9criture entre la forme et le fond. D\u00e9sormais, il s'agit de ruser, d'\u00eatre beaucoup plus malin. Tu sais que de toute fa\u00e7on, sit\u00f4t que tu \u00e9cris, m\u00eame une liste de courses sur un simple bout de papier, si tu d\u00e9cris une pi\u00e8ce, un objet, tu ne sais que parler de toi, toujours, que de toute fa\u00e7on tu es enferm\u00e9 l\u00e0-dedans. Est-ce une mal\u00e9diction ? Pour le lecteur certainement, si tu ne te renouvelles pas. Ensuite, tu peux aussi continuer \u00e0 te dire que tu te fous du lecteur, mais tu es aussi le lecteur, donc d\u00e8s que tu peines \u00e0 te relire, prends \u00e7a comme un indice, jette-toi dessus, ne te contente plus sentimentalement d'un \u00e0-peu-pr\u00e8s. \u00c9berlu\u00e9 aussi de constater un cheminement parall\u00e8le dans la peinture, le retour \u00e0 un enseignement quasi acad\u00e9mique d\u00e9sormais dans les cours que je dispense. Pourquoi ? Ce n'est pas parce que ce que j'offrais \u00e9tait mauvais mais sans doute trop philosophique, trop intellectuel, bien que pr\u00e9sent\u00e9 d'une fa\u00e7on ludique. Non, ce n'est pas cela, c'est juste que l'on ne met pas la charrue avant les b\u0153ufs, que la technique, si fastidieuse apparaisse-t-elle a priori, doit \u00eatre apprise en premier lieu afin de pouvoir s'en lib\u00e9rer ensuite. Il y a aussi une possibilit\u00e9 d'effacement de soi, de ce personnage parfois si encombrant pour soi et les autres, gr\u00e2ce \u00e0 ce cheminement dans lequel on se concentrerait sur des fondamentaux. D'ailleurs, aux derni\u00e8res nouvelles d'hier soir, si les \u00e9l\u00e8ves sont surpris par ce changement de cap de ce second trimestre, et bien que je les aie avertis par avance au terme du premier, ils r\u00e2lent pour la forme mais ils sont soulag\u00e9s, presque contents. Et aussi, apr\u00e8s ces quelques consid\u00e9rations, que vas-tu peindre, \u00e9crire maintenant ? Sous tes pieds, un grand vide vient tout juste de se cr\u00e9er. Est-ce que l'on peut peindre, \u00e9crire cela ? Par l'usage de subterfuges alors, d'une contrainte, ce que nous ont enseign\u00e9 Perec et Fran\u00e7ois, mais cette n\u00e9cessit\u00e9 t'est plus claire en peinture, tu la connais d\u00e9j\u00e0 depuis longtemps. Donc faire confiance \u00e0 la porosit\u00e9 des \u00e9changes, aux vases communicants. Sans confiance on n'est rien, sans optimisme non plus. Et quand bien m\u00eame on ne serait rien, l'optimisme et l'humour, eux, sont quelque chose.\" Ce texte rel\u00e8ve clairement de la cat\u00e9gorie \"Carnets\". Il s'agit d'une r\u00e9flexion m\u00e9thodologique sur l'\u00e9criture autobiographique et la cr\u00e9ation artistique, m\u00ealant consid\u00e9rations sur l'enseignement et questionnements sur la m\u00e9moire. La th\u00e9matique principale est la tension entre le d\u00e9sir de m\u00e9moire et la n\u00e9cessit\u00e9 d'avancer, entre technique et cr\u00e9ation libre. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7824.jpg?1748065211", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-histoire.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-histoire.html", "title": "l'histoire", "date_published": "2023-01-18T09:55:46Z", "date_modified": "2025-09-18T15:52:02Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

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L’histoire officielle, celle que l’on d\u00e9couvre dans les manuels scolaires et qu’on est bien oblig\u00e9 d’accepter puisque c’est pour l’essentiel une relation \u00e0 l’autorit\u00e9. Si on ne l’accepte pas c’est tant pis pour soi. Tant pis vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des n\u00f4tres. C’est \u00e0 partir de ces tant pis que l’on finit par s’\u00e9loigner peu \u00e0 peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l’eau d’une baignoire . Une baignoire remplie d’eau glac\u00e9e dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de r\u00e9sister ainsi. Et de s’\u00e9tonner que ce soit, apr\u00e8s la douleur de l’imagination surtout, encaiss\u00e9e, la d\u00e9couverte d’une pratique vraiment roborative. C’est durant la guerre que les trois fr\u00e8res de ma m\u00e8re et elle m\u00eame durent s’\u00e9loigner de Paris. On les confia \u00e0 des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l’histoire tu l’avais presque totalement oubli\u00e9e tellement elle fut recouverte de ranc\u0153urs, d’amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue d\u00e9sormais et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir, qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux. Ses fr\u00e8res gard\u00e8rent les vaches, elle en plaisantait, alors qu’elle eut plus de chance, confi\u00e9e \u00e0 des agriculteurs plut\u00f4t riches, et qui poss\u00e9daient des employ\u00e9s. Ce qui ne l’emp\u00eacha pas d’\u00eatre conspu\u00e9e par les gamins des \u00e9coles qu’elle fr\u00e9quentait. Sale \u00e9trang\u00e8re, le mot lui \u00e9tait rest\u00e9. Et je ne comprenais pas cette m\u00e9chancet\u00e9 qu’elle me relatait parfois la gorge serr\u00e9e. L’Estonie tu ignoras longtemps que ce pusse \u00eatre m\u00eame un pays, une terre. Et quand tu le d\u00e9couvres enfin \u00e0 l’adolescence tu comprends encore moins la v\u00e9h\u00e9mence des gosses de jadis envers ta m\u00e8re. Les estoniens ne sont ni noirs ni arabes ni portugais,, pas m\u00eame italiens ils sont pour la plupart blancs comme tout \u00e0 chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors... c’est \u00e9tonnant. Et meme le peu de gamins crois\u00e9s en chemin durant ton propre parcours scolaire, des roumains, des russes, des belges, des slovaques, tu ne te souviens pas qu’ils eurent \u00e0 souffrir trop de l’invective ni des moqueries. Ensuite que tu apprennes en pension, en revoyant chaque ann\u00e9e toujours le m\u00eame film l’histoire du p\u00e8re Kolbe un catholique qui se sacrifie pour des juifs... tu feras peu \u00e0 peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l’\u00e9poque de l’occupation, ca te mettra comme on dit la puce \u00e0 l’oreille.<\/em> Le martyr des juifs te toucha jusqu’aux os. Le d\u00e9sespoir que tu en \u00e9prouvas alors et cette magistrale col\u00e8re, restent \u00e9trangement toujours aussi vives. Pourquoi certaines choses semblent d\u00e9voiler des parties intimes de nous-m\u00eames alors que d’autres nous laissent de marbre, indiff\u00e9rent. Il faudra encore patienter longtemps, toute une vie pour que tous ces petits fragments s’agglutinent ensemble par nature, par cat\u00e9gorie, comme les d\u00e9chets qui te fascinaient quand tu examinais ceux-ci , durant des heure, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. Pour que l’histoire s’avance comme tu as toujours eu l’intuition qu’elle devait avancer, par une suite d’eureka toujours plus douloureux les uns que les autres et non aux travers des gloires, des victoires dont on sature les manuels d’histoire.<\/p>", "content_text": "\n\nL'histoire officielle, celle que l'on d\u00e9couvre dans les manuels scolaires et qu'on est bien oblig\u00e9 d'accepter puisque c'est pour l'essentiel une relation \u00e0 l'autorit\u00e9. Si on ne l'accepte pas c'est tant pis pour soi. Tant pis vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des n\u00f4tres. C'est \u00e0 partir de ces tant pis que l'on finit par s'\u00e9loigner peu \u00e0 peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l'eau d'une baignoire . Une baignoire remplie d'eau glac\u00e9e dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de r\u00e9sister ainsi. Et de s'\u00e9tonner que ce soit, apr\u00e8s la douleur de l'imagination surtout, encaiss\u00e9e, la d\u00e9couverte d'une pratique vraiment roborative. C'est durant la guerre que les trois fr\u00e8res de ma m\u00e8re et elle m\u00eame durent s'\u00e9loigner de Paris. On les confia \u00e0 des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l'histoire tu l'avais presque totalement oubli\u00e9e tellement elle fut recouverte de ranc\u0153urs, d'amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue d\u00e9sormais et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir, qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux. Ses fr\u00e8res gard\u00e8rent les vaches, elle en plaisantait, alors qu'elle eut plus de chance, confi\u00e9e \u00e0 des agriculteurs plut\u00f4t riches, et qui poss\u00e9daient des employ\u00e9s. Ce qui ne l'emp\u00eacha pas d'\u00eatre conspu\u00e9e par les gamins des \u00e9coles qu'elle fr\u00e9quentait. Sale \u00e9trang\u00e8re, le mot lui \u00e9tait rest\u00e9. Et je ne comprenais pas cette m\u00e9chancet\u00e9 qu'elle me relatait parfois la gorge serr\u00e9e. L'Estonie tu ignoras longtemps que ce pusse \u00eatre m\u00eame un pays, une terre. Et quand tu le d\u00e9couvres enfin \u00e0 l'adolescence tu comprends encore moins la v\u00e9h\u00e9mence des gosses de jadis envers ta m\u00e8re. Les estoniens ne sont ni noirs ni arabes ni portugais,, pas m\u00eame italiens ils sont pour la plupart blancs comme tout \u00e0 chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors... c'est \u00e9tonnant. Et meme le peu de gamins crois\u00e9s en chemin durant ton propre parcours scolaire, des roumains, des russes, des belges, des slovaques, tu ne te souviens pas qu'ils eurent \u00e0 souffrir trop de l'invective ni des moqueries. Ensuite que tu apprennes en pension, en revoyant chaque ann\u00e9e toujours le m\u00eame film l'histoire du p\u00e8re Kolbe un catholique qui se sacrifie pour des juifs... tu feras peu \u00e0 peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l'\u00e9poque de l'occupation, ca te mettra comme on dit la puce \u00e0 l'oreille. Le martyr des juifs te toucha jusqu'aux os. Le d\u00e9sespoir que tu en \u00e9prouvas alors et cette magistrale col\u00e8re, restent \u00e9trangement toujours aussi vives. Pourquoi certaines choses semblent d\u00e9voiler des parties intimes de nous-m\u00eames alors que d'autres nous laissent de marbre, indiff\u00e9rent. Il faudra encore patienter longtemps, toute une vie pour que tous ces petits fragments s'agglutinent ensemble par nature, par cat\u00e9gorie, comme les d\u00e9chets qui te fascinaient quand tu examinais ceux-ci , durant des heure, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. 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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Comment ne pas comprendre Kafka ? Comment ne pas voir que tu es en train de r\u00e9\u00e9crire \u00e0 ton tour le Proc\u00e8s ? Et bien s\u00fbr que tu te places d’autorit\u00e9 dans le box des accus\u00e9s. Tu ne cherches m\u00eame pas \u00e0 te faire aider d’un avocat. Au contraire, plus il y aura de charges, plus la partie civile se frottera les mains, plus tu seras enfin rassur\u00e9 sur ton sort. Le mot ’\u00e9difi\u00e9’, tu le regardes passer mais tu ne le touches pas. Surtout pas. Apr\u00e8s, trouver une Marthe Robert, une autre paire de manches, pas bien d’importance pour un manchot.<\/p>", "content_text": "Comment ne pas comprendre Kafka ? Comment ne pas voir que tu es en train de r\u00e9\u00e9crire \u00e0 ton tour le Proc\u00e8s ? Et bien s\u00fbr que tu te places d'autorit\u00e9 dans le box des accus\u00e9s. Tu ne cherches m\u00eame pas \u00e0 te faire aider d'un avocat. Au contraire, plus il y aura de charges, plus la partie civile se frottera les mains, plus tu seras enfin rassur\u00e9 sur ton sort. Le mot '\u00e9difi\u00e9', tu le regardes passer mais tu ne le touches pas. Surtout pas. Apr\u00e8s, trouver une Marthe Robert, une autre paire de manches, pas bien d'importance pour un manchot.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7823.jpg?1748065107", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-7.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-7.html", "title": "18 janvier 2023-7", "date_published": "2023-01-18T02:05:00Z", "date_modified": "2025-01-26T02:05:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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« Dure et molle » .
\nCe sont les deux mots qui te viennent quand tu repenses \u00e0 la m\u00e8re de ta m\u00e8re, \u00e0 ta m\u00e8re, \u00e0 toutes les femmes vers lesquelles ton d\u00e9sir t’aura pouss\u00e9. Celles trop dures, tu les as laiss\u00e9es tomber ; celles trop molles, tu ne les as pas rat\u00e9es. Il fallait toujours une proportion tr\u00e8s pr\u00e9cise de duret\u00e9 et de mollesse pour que ton c\u0153ur s’entrouvre d’une fa\u00e7on que tu imaginais alors sinc\u00e8re, authentique, v\u00e9ritable<\/i>. Ce rapport, \u00e9quivalent \u00e0 un nombre d’or personnel, t’aura servi \u00e0 b\u00e2tir de jolis temples avant de les voir s’\u00e9crouler comme frapp\u00e9s par un destin souvent incompr\u00e9hensible. Un destin abscons dans lequel tu n’as toujours eu que la sensation d\u00e9sagr\u00e9able de n’\u00eatre qu’une marionnette, un acteur. Mais cette recherche insens\u00e9e du rapport exact entre dur et mou, rien que \u00e7a pourrait te servir de levier pour soulever une montagne, et voir soudain tous les insectes, les mille-pattes, les cloportes, s’en \u00e9chapper, frapp\u00e9s d’ahurissement, caus\u00e9 par une lumi\u00e8re crue trop intense, trop forte.\" Le fait que tu r\u00e9p\u00e8tes lcette qualit\u00e9 de clart\u00e9 trois fois comme si tu cherchais \u00e0 l’exorciser.<\/p>", "content_text": " \" Dure et molle\" . Ce sont les deux mots qui te viennent quand tu repenses \u00e0 la m\u00e8re de ta m\u00e8re, \u00e0 ta m\u00e8re, \u00e0 toutes les femmes vers lesquelles ton d\u00e9sir t'aura pouss\u00e9. Celles trop dures, tu les as laiss\u00e9es tomber ; celles trop molles, tu ne les as pas rat\u00e9es. Il fallait toujours une proportion tr\u00e8s pr\u00e9cise de duret\u00e9 et de mollesse pour que ton c\u0153ur s'entrouvre d'une fa\u00e7on que tu imaginais alors {sinc\u00e8re, authentique, v\u00e9ritable}. Ce rapport, \u00e9quivalent \u00e0 un nombre d'or personnel, t'aura servi \u00e0 b\u00e2tir de jolis temples avant de les voir s'\u00e9crouler comme frapp\u00e9s par un destin souvent incompr\u00e9hensible. Un destin abscons dans lequel tu n'as toujours eu que la sensation d\u00e9sagr\u00e9able de n'\u00eatre qu'une marionnette, un acteur. Mais cette recherche insens\u00e9e du rapport exact entre dur et mou, rien que \u00e7a pourrait te servir de levier pour soulever une montagne, et voir soudain tous les insectes, les mille-pattes, les cloportes, s'en \u00e9chapper, frapp\u00e9s d'ahurissement, caus\u00e9 par une lumi\u00e8re crue trop intense, trop forte.\" Le fait que tu r\u00e9p\u00e8tes lcette qualit\u00e9 de clart\u00e9 trois fois comme si tu cherchais \u00e0 l'exorciser.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/image-98.jpg?1748065146", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-6.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-6.html", "title": "18 janvier 2023-6", "date_published": "2023-01-18T01:56:00Z", "date_modified": "2025-09-18T15:48:22Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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L’histoire officielle, celle que l’on d\u00e9couvre dans les manuels scolaires et qu’on est bien oblig\u00e9 d’accepter puisque c’est pour l’essentiel une relation \u00e0 l’autorit\u00e9. Si on ne l’accepte pas, c’est tant pis pour soi. « Tant pis », vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des n\u00f4tres.
\nC’est \u00e0 partir de ces « tant pis » que l’on finit par s’\u00e9loigner peu \u00e0 peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l’eau d’une baignoire. Une baignoire remplie d’eau glac\u00e9e dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de r\u00e9sister ainsi. Et de s’\u00e9tonner que ce soit, apr\u00e8s la douleur de l’imagination surtout, encaiss\u00e9e, la d\u00e9couverte d’une pratique vraiment roborative.
\nC’est durant la guerre que les trois fr\u00e8res de ma m\u00e8re et elle-m\u00eame durent s’\u00e9loigner de Paris. On les confia \u00e0 des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l’histoire, tu l’avais presque totalement oubli\u00e9e tellement elle fut recouverte de ranc\u0153urs, d’amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue d\u00e9sormais, et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux.
\nSes fr\u00e8res gard\u00e8rent les vaches, elle en plaisantait, alors qu’elle eut plus de chance, confi\u00e9e \u00e0 des agriculteurs plut\u00f4t riches et qui poss\u00e9daient des employ\u00e9s. Ce qui ne l’emp\u00eacha pas d’\u00eatre conspu\u00e9e par les gamins des \u00e9coles qu’elle fr\u00e9quentait. « Sale \u00e9trang\u00e8re », le mot lui \u00e9tait rest\u00e9. Et je ne comprenais pas cette m\u00e9chancet\u00e9 qu’elle me relatait parfois, la gorge serr\u00e9e.
\nL’Estonie, tu ignoras longtemps que ce p\u00fbt \u00eatre m\u00eame un pays, une terre. Et quand tu le d\u00e9couvres enfin \u00e0 l’adolescence, tu comprends encore moins la v\u00e9h\u00e9mence des gosses de jadis envers ta m\u00e8re. Les Estoniens ne sont ni noirs, ni arabes, ni portugais, pas m\u00eame italiens ; ils sont pour la plupart blancs comme tout un chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors... c’est \u00e9tonnant.
\nEt m\u00eame le peu de gamins crois\u00e9s en chemin durant ton propre parcours scolaire - des Roumains, des Russes, des Belges, des Slovaques - tu ne te souviens pas qu’ils eurent \u00e0 souffrir trop de l’invective ni des moqueries. Ensuite, que tu apprennes en pension, en revoyant chaque ann\u00e9e toujours le m\u00eame film, l’histoire du p\u00e8re Kolbe, un catholique qui se sacrifie pour des juifs... tu feras peu \u00e0 peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l’\u00e9poque de l’Occupation, \u00e7a te mettra comme on dit la puce \u00e0 l’oreille.
\nLe martyre des juifs te toucha jusqu’aux os. Le d\u00e9sespoir que tu en \u00e9prouvas alors et cette magistrale col\u00e8re restent \u00e9trangement toujours aussi vifs. Pourquoi certaines choses semblent d\u00e9voiler des parties intimes de nous-m\u00eames alors que d’autres nous laissent de marbre, indiff\u00e9rents ?
\nIl faudra encore patienter longtemps, toute une vie, pour que tous ces petits fragments s’agglutinent ensemble par nature, par cat\u00e9gorie, comme les d\u00e9chets qui te fascinaient quand tu les examinais durant des heures, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. Pour que l’histoire s’avance comme tu as toujours eu l’intuition qu’elle devait avancer, par une suite d’eur\u00eaka toujours plus douloureux les uns que les autres et non \u00e0 travers les gloires, les victoires dont on sature les manuels d’histoire.<\/p>", "content_text": "L'histoire officielle, celle que l'on d\u00e9couvre dans les manuels scolaires et qu'on est bien oblig\u00e9 d'accepter puisque c'est pour l'essentiel une relation \u00e0 l'autorit\u00e9. Si on ne l'accepte pas, c'est tant pis pour soi. \"Tant pis\", vieille expression lourde de menaces et de regrets. Tant pis pour toi. Tu ne seras donc pas des n\u00f4tres. C'est \u00e0 partir de ces \"tant pis\" que l'on finit par s'\u00e9loigner peu \u00e0 peu dans une solitude aussi glaciale que celle de l'eau d'une baignoire. Une baignoire remplie d'eau glac\u00e9e dans laquelle on se plonge pour voir combien de temps on est capable de r\u00e9sister ainsi. Et de s'\u00e9tonner que ce soit, apr\u00e8s la douleur de l'imagination surtout, encaiss\u00e9e, la d\u00e9couverte d'une pratique vraiment roborative. C'est durant la guerre que les trois fr\u00e8res de ma m\u00e8re et elle-m\u00eame durent s'\u00e9loigner de Paris. On les confia \u00e0 des fermiers, dans la Creuse, en attendant que les choses se tassent. Cette partie de l'histoire, tu l'avais presque totalement oubli\u00e9e tellement elle fut recouverte de ranc\u0153urs, d'amertume, de ressentiments, de la longue liste des trahisons dont tu tins scrupuleusement le compte. Liste perdue d\u00e9sormais, et probable que ceci expliquant encore cela, ce souvenir qui remonte comme un bouchon et file entre deux eaux. Ses fr\u00e8res gard\u00e8rent les vaches, elle en plaisantait, alors qu'elle eut plus de chance, confi\u00e9e \u00e0 des agriculteurs plut\u00f4t riches et qui poss\u00e9daient des employ\u00e9s. Ce qui ne l'emp\u00eacha pas d'\u00eatre conspu\u00e9e par les gamins des \u00e9coles qu'elle fr\u00e9quentait. \"Sale \u00e9trang\u00e8re\", le mot lui \u00e9tait rest\u00e9. Et je ne comprenais pas cette m\u00e9chancet\u00e9 qu'elle me relatait parfois, la gorge serr\u00e9e. L'Estonie, tu ignoras longtemps que ce p\u00fbt \u00eatre m\u00eame un pays, une terre. Et quand tu le d\u00e9couvres enfin \u00e0 l'adolescence, tu comprends encore moins la v\u00e9h\u00e9mence des gosses de jadis envers ta m\u00e8re. Les Estoniens ne sont ni noirs, ni arabes, ni portugais, pas m\u00eame italiens ; ils sont pour la plupart blancs comme tout un chacun ici, quand tu regardes autour de toi. Pourquoi une telle discrimination alors... c'est \u00e9tonnant. Et m\u00eame le peu de gamins crois\u00e9s en chemin durant ton propre parcours scolaire - des Roumains, des Russes, des Belges, des Slovaques - tu ne te souviens pas qu'ils eurent \u00e0 souffrir trop de l'invective ni des moqueries. Ensuite, que tu apprennes en pension, en revoyant chaque ann\u00e9e toujours le m\u00eame film, l'histoire du p\u00e8re Kolbe, un catholique qui se sacrifie pour des juifs... tu feras peu \u00e0 peu le lien, apprendras un peu plus de choses sur l'\u00e9poque de l'Occupation, \u00e7a te mettra comme on dit la puce \u00e0 l'oreille. Le martyre des juifs te toucha jusqu'aux os. Le d\u00e9sespoir que tu en \u00e9prouvas alors et cette magistrale col\u00e8re restent \u00e9trangement toujours aussi vifs. Pourquoi certaines choses semblent d\u00e9voiler des parties intimes de nous-m\u00eames alors que d'autres nous laissent de marbre, indiff\u00e9rents ? Il faudra encore patienter longtemps, toute une vie, pour que tous ces petits fragments s'agglutinent ensemble par nature, par cat\u00e9gorie, comme les d\u00e9chets qui te fascinaient quand tu les examinais durant des heures, assis face au bassin du jardin du Luxembourg. Pour que l'histoire s'avance comme tu as toujours eu l'intuition qu'elle devait avancer, par une suite d'eur\u00eaka toujours plus douloureux les uns que les autres et non \u00e0 travers les gloires, les victoires dont on sature les manuels d'histoire.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7821.jpg?1748065148", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-5.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-5.html", "title": "18 janvier 2023-5", "date_published": "2023-01-18T01:50:00Z", "date_modified": "2025-01-26T01:50:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Une \u00e9bauche d’un portrait de Kafka. Il est en train de d\u00e9guster une p\u00eache et un verre de lait dans un grand restaurant, et il prend son temps. Tout le monde le regarde faire. « Qu’ont-ils donc \u00e0 me d\u00e9visager ainsi ? » se demande-t-il... D’apr\u00e8s une vid\u00e9o short vue ce matin de l’ami Fran\u00e7ois Bon. Et qui me turlupine encore.<\/p>", "content_text": "Une \u00e9bauche d'un portrait de Kafka. Il est en train de d\u00e9guster une p\u00eache et un verre de lait dans un grand restaurant, et il prend son temps. Tout le monde le regarde faire. \"Qu'ont-ils donc \u00e0 me d\u00e9visager ainsi ?\" se demande-t-il... D'apr\u00e8s une vid\u00e9o short vue ce matin de l'ami Fran\u00e7ois Bon. Et qui me turlupine encore.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7819.jpg?1748065107", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-3.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-3.html", "title": "18 janvier 2023-3", "date_published": "2023-01-18T01:41:00Z", "date_modified": "2025-02-14T22:56:06Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Encore cette question : pourquoi les anges ont-ils besoin d’une \u00e9chelle ? Et puis d’un seul coup, tu penses \u00e0 un vieux transistor, le genre de ceux qui ont presque totalement disparu et o\u00f9 l’on devait manuellement tourner un bouton pour changer de station. L’aspect mat\u00e9riel de ce bouton sans lequel on resterait prisonnier, fig\u00e9 toujours sur une seule station.
\nL’\u00e9chelle s’approche peu \u00e0 peu de ce bouton. C’est un clavier. Et les anges sont les sephiroth qui, en tant qu’\u00e9nergies cr\u00e9atrices, ne peuvent rien sans la pr\u00e9sence d’une mati\u00e8re, des « touches » et des lettres associ\u00e9es \u00e0 celles-ci. Ensuite, que ces \u00e9nergies aillent puiser dans une notion de bas et de haut, de lumi\u00e8re ou d’ombre, de joie ou de tristesse peut d\u00e9sorienter.
\nDe m\u00eame que te d\u00e9soriente le changement de fr\u00e9quence, de sujet, de tous tes textes \u00e9crits dans l’urgence de ces nuits, ces petits matins. Cette urgence \u00e0 passer d’un niveau \u00e0 l’autre d’une \u00e9chelle personnelle pour \u00e9crire, pour laisser libre cours \u00e0 ces \u00e9nergies qui, si tu ne le faisais pas, te d\u00e9truiraient, t’an\u00e9antiraient probablement.
\nPourtant, tu es rest\u00e9 17 ans sans \u00e9crire une seule ligne ; as-tu \u00e9t\u00e9 an\u00e9anti pour autant ? Non, bien s\u00fbr. Tu as juste perdu la m\u00e9moire de tout ce que tu as pu faire durant ces ann\u00e9es. Tu as juste v\u00e9cu une vie de somnambule. Mais n’\u00e9tait-il pas voulu que tu t’absentes ainsi si longtemps ? Il fallait que tu abandonnes quelque chose, et quand tu y penses, c’est justement la pr\u00e9tention de n’avoir pas besoin de bouton, ni d’\u00e9chelle, ni de clavier pour te manifester. Une pr\u00e9tention que tu auras confondue avec la modestie, la discr\u00e9tion, le renoncement.<\/p>", "content_text": "Encore cette question : pourquoi les anges ont-ils besoin d'une \u00e9chelle ? Et puis d'un seul coup, tu penses \u00e0 un vieux transistor, le genre de ceux qui ont presque totalement disparu et o\u00f9 l'on devait manuellement tourner un bouton pour changer de station. L'aspect mat\u00e9riel de ce bouton sans lequel on resterait prisonnier, fig\u00e9 toujours sur une seule station. L'\u00e9chelle s'approche peu \u00e0 peu de ce bouton. C'est un clavier. Et les anges sont les sephiroth qui, en tant qu'\u00e9nergies cr\u00e9atrices, ne peuvent rien sans la pr\u00e9sence d'une mati\u00e8re, des \"touches\" et des lettres associ\u00e9es \u00e0 celles-ci. Ensuite, que ces \u00e9nergies aillent puiser dans une notion de bas et de haut, de lumi\u00e8re ou d'ombre, de joie ou de tristesse peut d\u00e9sorienter. De m\u00eame que te d\u00e9soriente le changement de fr\u00e9quence, de sujet, de tous tes textes \u00e9crits dans l'urgence de ces nuits, ces petits matins. Cette urgence \u00e0 passer d'un niveau \u00e0 l'autre d'une \u00e9chelle personnelle pour \u00e9crire, pour laisser libre cours \u00e0 ces \u00e9nergies qui, si tu ne le faisais pas, te d\u00e9truiraient, t'an\u00e9antiraient probablement. Pourtant, tu es rest\u00e9 17 ans sans \u00e9crire une seule ligne ; as-tu \u00e9t\u00e9 an\u00e9anti pour autant ? Non, bien s\u00fbr. Tu as juste perdu la m\u00e9moire de tout ce que tu as pu faire durant ces ann\u00e9es. Tu as juste v\u00e9cu une vie de somnambule. Mais n'\u00e9tait-il pas voulu que tu t'absentes ainsi si longtemps ? Il fallait que tu abandonnes quelque chose, et quand tu y penses, c'est justement la pr\u00e9tention de n'avoir pas besoin de bouton, ni d'\u00e9chelle, ni de clavier pour te manifester. Une pr\u00e9tention que tu auras confondue avec la modestie, la discr\u00e9tion, le renoncement. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7816.webp?1748065055", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023-2.html", "title": "18 janvier 2023-2", "date_published": "2023-01-18T01:35:00Z", "date_modified": "2025-01-26T01:35:53Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Aucun attrait pour la f\u00eate. L’expression tant entendue autrefois : « sale petit con, je vais te faire ta f\u00eate » explique peut-\u00eatre cela. D\u00e8s que la f\u00eate se construit autour de moi, je suis happ\u00e9 par le vide, une tristesse. Je ne comprends pas l’engouement que les gens \u00e9prouvent \u00e0 faire la f\u00eate. Si par hasard je tombe sur une f\u00eate, je d\u00e9tale et alors j’\u00e9prouve en m\u00eame temps un immense soulagement et le m\u00eame poids \u00e9quivalent de regrets.
\nC’est dans les f\u00eates que j’ai \u00e9prouv\u00e9 le plus de honte, surtout au petit matin si ma m\u00e9moire est bonne, quand je d\u00e9couvrais un visage, un corps \u00e9trangers dans mon lit. Le souvenir atterrant de la f\u00eate au village, lorsque adolescent je les rejoignais sur ce vieux Solex. Parfois \u00e0 plus de 20 km, \u00e0 Meaulnes ou encore \u00e0 Saint-Bonnet. Je n’y allais pas pour m’amuser mais pour aider \u00e0 porter les lourdes plaques qui constituaient le parquet des autos tamponneuses, pay\u00e9 chichement par les forains.
\n\u00c0 la fin du boulot, j’observais le d\u00e9roulement de la f\u00eate. Le bal, les filles assises tout autour de la piste, les gar\u00e7ons rougeauds et emp\u00each\u00e9s qui les invitaient \u00e0 danser. Un refus menait directement au bistrot, et au blanc lim\u00e9. Au bout de quelques verres, le courage semblait leur venir, ou la col\u00e8re. R\u00e9guli\u00e8rement, cela se terminait \u00e0 coups de poing, les flics auraient pu chronom\u00e9trer leur d\u00e9placement pour \u00eatre l\u00e0 pile-poil juste avant que \u00e7a ne d\u00e9g\u00e9n\u00e8re totalement. Et dans les yeux des filles, cette excitation sauvage que tout ce merdier produisait.<\/p>", "content_text": "Aucun attrait pour la f\u00eate. L'expression tant entendue autrefois : \"sale petit con, je vais te faire ta f\u00eate\" explique peut-\u00eatre cela. D\u00e8s que la f\u00eate se construit autour de moi, je suis happ\u00e9 par le vide, une tristesse. Je ne comprends pas l'engouement que les gens \u00e9prouvent \u00e0 faire la f\u00eate. Si par hasard je tombe sur une f\u00eate, je d\u00e9tale et alors j'\u00e9prouve en m\u00eame temps un immense soulagement et le m\u00eame poids \u00e9quivalent de regrets. C'est dans les f\u00eates que j'ai \u00e9prouv\u00e9 le plus de honte, surtout au petit matin si ma m\u00e9moire est bonne, quand je d\u00e9couvrais un visage, un corps \u00e9trangers dans mon lit. Le souvenir atterrant de la f\u00eate au village, lorsque adolescent je les rejoignais sur ce vieux Solex. Parfois \u00e0 plus de 20 km, \u00e0 Meaulnes ou encore \u00e0 Saint-Bonnet. Je n'y allais pas pour m'amuser mais pour aider \u00e0 porter les lourdes plaques qui constituaient le parquet des autos tamponneuses, pay\u00e9 chichement par les forains. \u00c0 la fin du boulot, j'observais le d\u00e9roulement de la f\u00eate. Le bal, les filles assises tout autour de la piste, les gar\u00e7ons rougeauds et emp\u00each\u00e9s qui les invitaient \u00e0 danser. Un refus menait directement au bistrot, et au blanc lim\u00e9. Au bout de quelques verres, le courage semblait leur venir, ou la col\u00e8re. R\u00e9guli\u00e8rement, cela se terminait \u00e0 coups de poing, les flics auraient pu chronom\u00e9trer leur d\u00e9placement pour \u00eatre l\u00e0 pile-poil juste avant que \u00e7a ne d\u00e9g\u00e9n\u00e8re totalement. Et dans les yeux des filles, cette excitation sauvage que tout ce merdier produisait. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7815.jpg?1748065093", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2023.html", "title": "18 janvier 2023", "date_published": "2023-01-18T01:27:00Z", "date_modified": "2025-05-28T06:35:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

D\u00e9couverte de deux tomes de r\u00e9cits rendant hommage \u00e0 Lovecraft : « Sur les traces de Lovecraft », anthologie 1 et 2, collection Fractales\/Fantastique, dirig\u00e9e par Christelle Camus, \u00e9ditions Nestiveqnen, Aix-en-Provence, 2018. 18 auteurs proposent des r\u00e9cits dans l’esprit de l’auteur. Me suis fait happer par le tout premier hier soir, une autrice inconnue, K\u00e9ti Touche : cette histoire de photographe qui vient en r\u00e9sidence dans un obscur manoir (en Angleterre, en \u00c9cosse ?) tenu par une femme \u00e9nigmatique, veuve d’un homme nomm\u00e9 Howard, explorateur de son \u00e9tat. Le r\u00e9cit se d\u00e9ploie dans une temp\u00eate, une c\u00f4te sauvage, au bout d’une inqui\u00e9tante falaise. On y d\u00e9couvre de vieux carnets \u00e9voquant des d\u00e9couvertes effroyables qui auront bien s\u00fbr eu raison de la sant\u00e9 mentale d’Howard. Donc bien s\u00fbr, de nombreux ingr\u00e9dients que l’on retrouve chez Lovecraft.<\/p>\n

Lu une cinquantaine de pages puis j’ai bondi ensuite sur « Autoportrait » d’\u00c9douard Lev\u00e9. Une suite de phrases en apparence isol\u00e9es les unes des autres. Amusant, tragique, burlesque. Int\u00e9ressant quant \u00e0 la forme. Pour le fond, je suis encore mi-figue mi-raisin. Et puis tout de suite apr\u00e8s 20 pages, j’ai pos\u00e9 le livre, j’ai \u00e9teint la lumi\u00e8re et il semble que j’ai dormi d’un sommeil de plomb. Aucun cauchemar dont je puisse me souvenir ce matin.<\/p>\n

Ce qui me fait penser \u00e0 ce que j’aimerais vraiment \u00e9crire. Tiraill\u00e9 entre la forme et le fond encore une fois. Et l\u00e0, je me souviens de ce que dit Garouste quand il se trouve confront\u00e9 au fait que la peinture est morte apr\u00e8s Duchamp, discours des Beaux-Arts de son \u00e9poque.
\n Faire le point sur ce que tu veux vraiment : \u00eatre un \u00e9crivain contemporain ou raconter de bonnes histoires, voil\u00e0 le n\u0153ud.<\/p>\n

\u00c9tonnant que je ne d\u00e9couvre ces livres sur Lovecraft qu’apr\u00e8s avoir effectu\u00e9 l’\u00e9bauche de ce petit portrait le matin m\u00eame.<\/p>", "content_text": "D\u00e9couverte de deux tomes de r\u00e9cits rendant hommage \u00e0 Lovecraft : \"Sur les traces de Lovecraft\", anthologie 1 et 2, collection Fractales\/Fantastique, dirig\u00e9e par Christelle Camus, \u00e9ditions Nestiveqnen, Aix-en-Provence, 2018. 18 auteurs proposent des r\u00e9cits dans l'esprit de l'auteur. Me suis fait happer par le tout premier hier soir, une autrice inconnue, K\u00e9ti Touche : cette histoire de photographe qui vient en r\u00e9sidence dans un obscur manoir (en Angleterre, en \u00c9cosse ?) tenu par une femme \u00e9nigmatique, veuve d'un homme nomm\u00e9 Howard, explorateur de son \u00e9tat. Le r\u00e9cit se d\u00e9ploie dans une temp\u00eate, une c\u00f4te sauvage, au bout d'une inqui\u00e9tante falaise. On y d\u00e9couvre de vieux carnets \u00e9voquant des d\u00e9couvertes effroyables qui auront bien s\u00fbr eu raison de la sant\u00e9 mentale d'Howard. Donc bien s\u00fbr, de nombreux ingr\u00e9dients que l'on retrouve chez Lovecraft. Lu une cinquantaine de pages puis j'ai bondi ensuite sur \"Autoportrait\" d'\u00c9douard Lev\u00e9. Une suite de phrases en apparence isol\u00e9es les unes des autres. Amusant, tragique, burlesque. Int\u00e9ressant quant \u00e0 la forme. Pour le fond, je suis encore mi-figue mi-raisin. Et puis tout de suite apr\u00e8s 20 pages, j'ai pos\u00e9 le livre, j'ai \u00e9teint la lumi\u00e8re et il semble que j'ai dormi d'un sommeil de plomb. Aucun cauchemar dont je puisse me souvenir ce matin. Ce qui me fait penser \u00e0 ce que j'aimerais vraiment \u00e9crire. Tiraill\u00e9 entre la forme et le fond encore une fois. Et l\u00e0, je me souviens de ce que dit Garouste quand il se trouve confront\u00e9 au fait que la peinture est morte apr\u00e8s Duchamp, discours des Beaux-Arts de son \u00e9poque. Faire le point sur ce que tu veux vraiment : \u00eatre un \u00e9crivain contemporain ou raconter de bonnes histoires, voil\u00e0 le n\u0153ud. \u00c9tonnant que je ne d\u00e9couvre ces livres sur Lovecraft qu'apr\u00e8s avoir effectu\u00e9 l'\u00e9bauche de ce petit portrait le matin m\u00eame. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7809-1.webp?1748065193", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "peintres", "Lovecraft"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-5.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-5.html", "title": "17 janvier 2023-5", "date_published": "2023-01-17T01:18:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:52:21Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\u00c0 Knossos en Cr\u00e8te, des jeunes gens sautent par-dessus un immense taureau. Rien \u00e0 voir avec la corrida actuelle. M\u00eame si tu es en mesure d’imaginer \u00e0 toute fin, pour l’animal, un sort funeste identique. L’aspect joyeux de la mosa\u00efque, cet instantan\u00e9 captur\u00e9 par un artiste anonyme, \u00e9voque la vie, la joie, la danse, l’harmonie, et n’incite pas \u00e0 penser la mort. Et si tu te souviens de ton \u00e9tonnement quand tu comprends que la civilisation minoenne, \u00e0 cette \u00e9poque, avait d\u00e9j\u00e0 compris la n\u00e9cessit\u00e9 d’expulser hors de son habitat ses miasmes, ses d\u00e9chets gr\u00e2ce \u00e0 un ing\u00e9nieux syst\u00e8me d’\u00e9gouts qui sillonne toute la ville, ces deux \u00e9l\u00e9ments suffisent pour t’inventer une nostalgie, celle d’un temps o\u00f9 l’\u00eatre humain \u00e9tait encore digne de ce nom.<\/p>\n

Toujours le fantasme d’un paradis perdu. Ce genre de pens\u00e9e qui n’a pour fonction que celle de vouloir toujours t’aider \u00e0 t’enfuir du pr\u00e9sent, d’une r\u00e9alit\u00e9 qui ne te convient pas. Et si tu r\u00e9fl\u00e9chis encore un peu, que tu te souviennes des trag\u00e9dies grecques, des r\u00e9cits d’Hom\u00e8re, de toute cette h\u00e9moglobine qui, en filigrane, y coule \u00e0 grands flots, le doute quant \u00e0 l’id\u00e9e d’un tel paradis se dissipe aussit\u00f4t. La brutalit\u00e9 d’autrefois est bien semblable \u00e0 celle d’aujourd’hui. Cependant que tu te complais encore, de temps en temps, \u00e0 imaginer qu’elle ne se manifeste pas de la m\u00eame fa\u00e7on. Une brutalit\u00e9 innocente, joyeuse, contre une brutalit\u00e9 consciente, d’une tristesse infinie.<\/p>\n

La fin justifie d\u00e9sormais plus que jamais les moyens. Est-ce que cette finalit\u00e9 est si diff\u00e9rente aujourd’hui ? Probablement pas. Le pouvoir sur autrui, la r\u00e9ussite, la c\u00e9l\u00e9brit\u00e9, le profit, l’int\u00e9r\u00eat, voici les fins pour une majorit\u00e9 et qui se d\u00e9clinent sous tant de masques, de com\u00e9dies, d\u00e9sormais grotesques. Et si jadis tu pensais que ces buts ne relevaient que des pr\u00e9occupations d’une minorit\u00e9, aujourd’hui tu sais que m\u00eame un mis\u00e9rable est en droit de s’en illusionner au m\u00eame titre qu’un magnat de l’industrie pharmaceutique. S’il ne peut r\u00e9gner sur un empire, il le fera depuis son angle de rue par tout moyen possible. Les buts \u00e0 la con se sont empar\u00e9s de la plupart des cervelles. Et m\u00eame toi, tu y auras succomb\u00e9 comme tout un chacun.<\/p>\n

L’art na\u00eet ensuite tout au bout de ce constat. Et si enfant tu n’\u00e9tais pas aussi lucide quant \u00e0 ce que tu viens d’\u00e9crire, ton instinct r\u00e9agissait imm\u00e9diatement face aux beaux objets dont tu n’avais qu’une envie, celle de les d\u00e9truire. La plupart du temps quand tu relevais un manque, que la col\u00e8re t’emportait vers les zones les plus obscures de toi. La destruction des objets, pas n’importe lesquels, surtout ceux qui \u00e9taient le fruit de sacrifices, de temps pass\u00e9 \u00e0 \u00e9conomiser pour se les offrir ou les cr\u00e9er, \u00e9taient ta cible prioritaire.<\/p>\n

\u00c0 quoi donc pensais-tu lorsque tu t’emparas d’un cutter pour l’enfoncer dans une des toiles r\u00e9alis\u00e9es par ta m\u00e8re et qu’elle avait accroch\u00e9e \u00e0 l’un des murs de la chambre ? Que voulais-tu an\u00e9antir sinon toute la fausset\u00e9 que tu imaginais alors comme seule responsable de ton malheur enfantin ? Et que savais-tu de l’intention qui l’avait men\u00e9e \u00e0 peindre ces chefs-d’\u0153uvre familiaux entre quelques heures de m\u00e9nages, de repassage, le d\u00e9pe\u00e7age d’un lapin, l’engorgement d’une poule, dont tu conserves encore les souvenirs ensanglant\u00e9s accroch\u00e9s \u00e0 l’un des poiriers du jardin ? Et ce que tu consid\u00e9rais comme manque, il te fallait au moins une culpabilit\u00e9 \u00e0 sa mesure, voire la d\u00e9passant pour que tu puisses l’oublier, t’en d\u00e9faire afin d’\u00eatre responsable, de te procurer ce vertige \u2013 cette illusion de contr\u00f4le de ma\u00eetrise qu’offre en creux une telle responsabilit\u00e9.<\/p>\n

Maintenant tu t’agaces de la m\u00eame fa\u00e7on \u00e0 la lecture de certaines phrases ass\u00e9n\u00e9es par des membres du groupe de l’atelier d’\u00e9criture sur la bonne pratique de l’\u00e9criture, la relecture, le polissage des textes. Toute cette peine que d’aucuns mettent en avant pour d\u00e9signer un texte remarquable, bien \u00e9crit ou qui tombe bien comme un v\u00eatement. Mais dont le fond est d’une indigence \u00e0 hurler. Ta col\u00e8re n’a pas vraiment chang\u00e9. Elle est toujours aussi intacte. Sauf que tu n’utilises plus de cutter. Tu coupes autrement dans le vif. Tu tournes les talons, tu rejoins le silence. Peut-\u00eatre que pour toi rester jeune n\u00e9cessite cette forme de violence, cette l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 dans la fa\u00e7on de l’exprimer comme de danser, sauter par dessus ce vieux taureau Minoen. Assez path\u00e9tique au final.<\/p>", "content_text": "\u00c0 Knossos en Cr\u00e8te, des jeunes gens sautent par-dessus un immense taureau. Rien \u00e0 voir avec la corrida actuelle. M\u00eame si tu es en mesure d'imaginer \u00e0 toute fin, pour l'animal, un sort funeste identique. L'aspect joyeux de la mosa\u00efque, cet instantan\u00e9 captur\u00e9 par un artiste anonyme, \u00e9voque la vie, la joie, la danse, l'harmonie, et n'incite pas \u00e0 penser la mort. Et si tu te souviens de ton \u00e9tonnement quand tu comprends que la civilisation minoenne, \u00e0 cette \u00e9poque, avait d\u00e9j\u00e0 compris la n\u00e9cessit\u00e9 d'expulser hors de son habitat ses miasmes, ses d\u00e9chets gr\u00e2ce \u00e0 un ing\u00e9nieux syst\u00e8me d'\u00e9gouts qui sillonne toute la ville, ces deux \u00e9l\u00e9ments suffisent pour t'inventer une nostalgie, celle d'un temps o\u00f9 l'\u00eatre humain \u00e9tait encore digne de ce nom. Toujours le fantasme d'un paradis perdu. Ce genre de pens\u00e9e qui n'a pour fonction que celle de vouloir toujours t'aider \u00e0 t'enfuir du pr\u00e9sent, d'une r\u00e9alit\u00e9 qui ne te convient pas. Et si tu r\u00e9fl\u00e9chis encore un peu, que tu te souviennes des trag\u00e9dies grecques, des r\u00e9cits d'Hom\u00e8re, de toute cette h\u00e9moglobine qui, en filigrane, y coule \u00e0 grands flots, le doute quant \u00e0 l'id\u00e9e d'un tel paradis se dissipe aussit\u00f4t. La brutalit\u00e9 d'autrefois est bien semblable \u00e0 celle d'aujourd'hui. Cependant que tu te complais encore, de temps en temps, \u00e0 imaginer qu'elle ne se manifeste pas de la m\u00eame fa\u00e7on. Une brutalit\u00e9 innocente, joyeuse, contre une brutalit\u00e9 consciente, d'une tristesse infinie. La fin justifie d\u00e9sormais plus que jamais les moyens. Est-ce que cette finalit\u00e9 est si diff\u00e9rente aujourd'hui ? Probablement pas. Le pouvoir sur autrui, la r\u00e9ussite, la c\u00e9l\u00e9brit\u00e9, le profit, l'int\u00e9r\u00eat, voici les fins pour une majorit\u00e9 et qui se d\u00e9clinent sous tant de masques, de com\u00e9dies, d\u00e9sormais grotesques. Et si jadis tu pensais que ces buts ne relevaient que des pr\u00e9occupations d'une minorit\u00e9, aujourd'hui tu sais que m\u00eame un mis\u00e9rable est en droit de s'en illusionner au m\u00eame titre qu'un magnat de l'industrie pharmaceutique. S'il ne peut r\u00e9gner sur un empire, il le fera depuis son angle de rue par tout moyen possible. Les buts \u00e0 la con se sont empar\u00e9s de la plupart des cervelles. Et m\u00eame toi, tu y auras succomb\u00e9 comme tout un chacun. L'art na\u00eet ensuite tout au bout de ce constat. Et si enfant tu n'\u00e9tais pas aussi lucide quant \u00e0 ce que tu viens d'\u00e9crire, ton instinct r\u00e9agissait imm\u00e9diatement face aux beaux objets dont tu n'avais qu'une envie, celle de les d\u00e9truire. La plupart du temps quand tu relevais un manque, que la col\u00e8re t'emportait vers les zones les plus obscures de toi. La destruction des objets, pas n'importe lesquels, surtout ceux qui \u00e9taient le fruit de sacrifices, de temps pass\u00e9 \u00e0 \u00e9conomiser pour se les offrir ou les cr\u00e9er, \u00e9taient ta cible prioritaire. \u00c0 quoi donc pensais-tu lorsque tu t'emparas d'un cutter pour l'enfoncer dans une des toiles r\u00e9alis\u00e9es par ta m\u00e8re et qu'elle avait accroch\u00e9e \u00e0 l'un des murs de la chambre ? Que voulais-tu an\u00e9antir sinon toute la fausset\u00e9 que tu imaginais alors comme seule responsable de ton malheur enfantin ? Et que savais-tu de l'intention qui l'avait men\u00e9e \u00e0 peindre ces chefs-d'\u0153uvre familiaux entre quelques heures de m\u00e9nages, de repassage, le d\u00e9pe\u00e7age d'un lapin, l'engorgement d'une poule, dont tu conserves encore les souvenirs ensanglant\u00e9s accroch\u00e9s \u00e0 l'un des poiriers du jardin ? Et ce que tu consid\u00e9rais comme manque, il te fallait au moins une culpabilit\u00e9 \u00e0 sa mesure, voire la d\u00e9passant pour que tu puisses l'oublier, t'en d\u00e9faire afin d'\u00eatre responsable, de te procurer ce vertige \u2013 cette illusion de contr\u00f4le de ma\u00eetrise qu'offre en creux une telle responsabilit\u00e9. Maintenant tu t'agaces de la m\u00eame fa\u00e7on \u00e0 la lecture de certaines phrases ass\u00e9n\u00e9es par des membres du groupe de l'atelier d'\u00e9criture sur la bonne pratique de l'\u00e9criture, la relecture, le polissage des textes. Toute cette peine que d'aucuns mettent en avant pour d\u00e9signer un texte remarquable, bien \u00e9crit ou qui tombe bien comme un v\u00eatement. Mais dont le fond est d'une indigence \u00e0 hurler. Ta col\u00e8re n'a pas vraiment chang\u00e9. Elle est toujours aussi intacte. Sauf que tu n'utilises plus de cutter. Tu coupes autrement dans le vif. Tu tournes les talons, tu rejoins le silence. Peut-\u00eatre que pour toi rester jeune n\u00e9cessite cette forme de violence, cette l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 dans la fa\u00e7on de l'exprimer comme de danser, sauter par dessus ce vieux taureau Minoen. Assez path\u00e9tique au final. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7811.jpg?1748065154", "tags": ["Espaces lieux ", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-4.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023-4.html", "title": "17 janvier 2023-4", "date_published": "2023-01-17T01:06:00Z", "date_modified": "2025-02-14T22:15:03Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tu int\u00e8gres les actes manqu\u00e9s comme des actes au m\u00eame niveau que tous les autres. C’est-\u00e0-dire une ruse encore qui provient de ton unit\u00e9 cach\u00e9e. Parler de l’inconscient est trop facile \u00e0 ce point donn\u00e9 du parcours.
\nAinsi hier, tu oublies compl\u00e8tement la r\u00e9union Zoom o\u00f9 doit s’exprimer Laurent Mauvignier. Peut-\u00eatre que si tu y penses aujourd’hui et que tu en cherches la raison, c’est affaire de trop grande proximit\u00e9. Une inqui\u00e9tude qui en d\u00e9coule aussit\u00f4t que l’on s’imagine cette proximit\u00e9.
\nMais ce n’est pas une premi\u00e8re fois. Toutes les occasions o\u00f9 se reconstruit l’id\u00e9e du danger d’une telle proximit\u00e9, tu pourrais les r\u00e9capituler et les lister. Une \u00e9nergie est bloqu\u00e9e l\u00e0. Et il semble qu’une volont\u00e9 obscure exige qu’elle le reste. Volont\u00e9 \u00e0 laquelle tu as pris d’instinct l’habitude d’ob\u00e9ir. Ob\u00e9issance que tu peux mettre en parall\u00e8le avec ton obstination \u00e0 n’\u00eatre toujours qu’un d\u00e9butant en toute chose.<\/p>", "content_text": "Tu int\u00e8gres les actes manqu\u00e9s comme des actes au m\u00eame niveau que tous les autres. C'est-\u00e0-dire une ruse encore qui provient de ton unit\u00e9 cach\u00e9e. Parler de l'inconscient est trop facile \u00e0 ce point donn\u00e9 du parcours. Ainsi hier, tu oublies compl\u00e8tement la r\u00e9union Zoom o\u00f9 doit s'exprimer Laurent Mauvignier. Peut-\u00eatre que si tu y penses aujourd'hui et que tu en cherches la raison, c'est affaire de trop grande proximit\u00e9. Une inqui\u00e9tude qui en d\u00e9coule aussit\u00f4t que l'on s'imagine cette proximit\u00e9. Mais ce n'est pas une premi\u00e8re fois. Toutes les occasions o\u00f9 se reconstruit l'id\u00e9e du danger d'une telle proximit\u00e9, tu pourrais les r\u00e9capituler et les lister. Une \u00e9nergie est bloqu\u00e9e l\u00e0. Et il semble qu'une volont\u00e9 obscure exige qu'elle le reste. Volont\u00e9 \u00e0 laquelle tu as pris d'instinct l'habitude d'ob\u00e9ir. Ob\u00e9issance que tu peux mettre en parall\u00e8le avec ton obstination \u00e0 n'\u00eatre toujours qu'un d\u00e9butant en toute chose. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_6579.webp?1748065147", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2023.html", "title": "17 janvier 2023", "date_published": "2023-01-17T00:48:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:41:56Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le sacr\u00e9 et le profane. C’est une histoire de lieu. Il faut isoler un lieu d’un autre. Le mot « Kadosh » qui signifie sacr\u00e9 en h\u00e9breu d\u00e9signe au f\u00e9minin « kadosha », la prostitu\u00e9e. Le rapport entre les deux fonctions de ce m\u00eame mot semble un peu plus clair quand on se cantonne ainsi au lieu. Il y a une autre orthographe du mot - « Quadosh » - qui signifie s\u00e9par\u00e9. Kadosh est aussi un grade de franc-ma\u00e7onnerie. Lors de son initiation, le chevalier kadosh est invit\u00e9 \u00e0 pi\u00e9tiner le diad\u00e8me papal. Ce qui signifie encore une affaire de lieu de fa\u00e7on symbolique.
\nEn r\u00e9sum\u00e9, Dieu et ses repr\u00e9sentants sur terre, on s’en fout. Ce qui est important en revanche, c’est soi, c’est-\u00e0-dire ce cercle dans lequel on est enferm\u00e9 et le labyrinthe qu’il contient - notre propre vie - comme un chemin \u00e0 l’apparence complexe et qui passe, elle aussi, dans sa repr\u00e9sentation plastique par un centre vide - nul besoin de Minotaure. Le cercle est le lieu dont Dieu s’est retir\u00e9 pour que l’homme puisse agir avec son libre arbitre. Dieu, qui est le tout, ainsi laisse un vide, un espace, un lieu, un possible. Et par cons\u00e9quent, on devient ainsi en droit d’effectuer une diff\u00e9rence \u00e0 ce moment-l\u00e0 entre sacr\u00e9, saintet\u00e9 et religiosit\u00e9.
\nC’est dans ce lieu du sacr\u00e9 que s’effectue la prise de conscience que nous sommes dans un cercle, un vide qui lutte de toute sa p\u00e9riph\u00e9rie, sa circonf\u00e9rence pour ne pas se retrouver r\u00e9duit \u00e0 un point. D’ailleurs, une chose \u00e9tonnante est de pouvoir d\u00e9finir la circonf\u00e9rence et le diam\u00e8tre d’un cercle, mais impossible d’en mesurer avec une pr\u00e9cision nette le rapport. Le nombre 3,14116 etc. par l’infinit\u00e9 des d\u00e9cimales ne s’arr\u00eate jamais.
\nMaintenant que tout cela est dit, tu peux aussi bien te r\u00e9jouir que te lamenter. Tu es comme l’une des deux souris tomb\u00e9es dans le bol de lait. Laquelle veux-tu \u00eatre ? Celle qui dit « il n’y a rien \u00e0 faire, je me laisse couler » ou l’autre qui bat des pattes et ne cesse de glisser sur le bord du bol... Oui, mais \u00e0 la fin, \u00e0 force de battre le lait, \u00e7a devient du beurre, on a une surface solide, et donc une possibilit\u00e9 de s’\u00e9vader. \u00c9videmment, aucune souris ne sait d’avance que l’obstination produit du beurre.
\nEncore un lieu qui se situe entre ce que l’on sait et ce que l’on ignore. Un entre-deux. Ou encore le lieu m\u00eame o\u00f9 s’exerce le mouvement. Le lieu o\u00f9 mouvement et immobilit\u00e9 sont deux forces r\u00e9elles enfin. Possible aussi d’\u00e9voquer l’horizontalit\u00e9 et la verticalit\u00e9 qu’inspire l’id\u00e9e du cercle comme lieu de vie ; on peut s’y d\u00e9placer dans les deux dimensions. Voir l’horizon ou voir l’ensemble de haut ou d’en bas.
\nUn autre symbole qui vient \u00e0 l’esprit presque aussit\u00f4t est celui de l’\u00e9chelle de Jacob. Pourquoi les anges emprunteraient-ils une \u00e9chelle alors qu’ils ont des ailes pour monter et descendre ? L’\u00e9chelle est une r\u00e9alit\u00e9 physique dans ce cas que l’on doit gravir ou descendre en opposition au fantasme de vol comme \u00e0 celui de toute chute. L’\u00e9chelle est aussi la mat\u00e9rialisation du lieu comme du chemin qui traverse tous les lieux.
\nEnsuite, tu te demandes pourquoi tu as du mal \u00e0 effectuer une distinction entre lieu et espace. Tu peux te dire que l’espace est un doute, comme le disait Perec, et que ce serait facile logiquement de d\u00e9signer le lieu comme un endroit pr\u00e9cis. L’endroit de l’envers. Mais l’origine des \u00e9tymologies est comme la d\u00e9cimale de Pi. Chercher la d\u00e9finition d’un mot ou son \u00e9tymologie renvoie \u00e0 100 mots et chacun encore \u00e0 100 mots, etc.
\nDonc encore une belle occasion, si on a enfin saisi l’humour de tout cela, de se dire : « DIEU et ses d\u00e9cimales, on s’en fout. » Surtout si on le sait d\u00e9sormais. Et ne surtout pas trop penser que ce que tu \u00e9cris ici est une configuration de chiffres apr\u00e8s la d\u00e9cimale et donc de lettres, tout comme le sont les \u0153uvres de Pessoa, Kafka, Rabelais, Joyce, etc. \u00e0 l’infini. Et tu peux aussi dire avec un sourire que ce blog est sacr\u00e9 puisqu’il est pour toi un lieu tout \u00e0 fait \u00e0 part. Que l’humour est le seul moyen, au final, de r\u00e9soudre toute contradiction.<\/p>", "content_text": "Le sacr\u00e9 et le profane. C'est une histoire de lieu. Il faut isoler un lieu d'un autre. Le mot \"Kadosh\" qui signifie sacr\u00e9 en h\u00e9breu d\u00e9signe au f\u00e9minin \"kadosha\", la prostitu\u00e9e. Le rapport entre les deux fonctions de ce m\u00eame mot semble un peu plus clair quand on se cantonne ainsi au lieu. Il y a une autre orthographe du mot - \"Quadosh\" - qui signifie s\u00e9par\u00e9. Kadosh est aussi un grade de franc-ma\u00e7onnerie. Lors de son initiation, le chevalier kadosh est invit\u00e9 \u00e0 pi\u00e9tiner le diad\u00e8me papal. Ce qui signifie encore une affaire de lieu de fa\u00e7on symbolique. En r\u00e9sum\u00e9, Dieu et ses repr\u00e9sentants sur terre, on s'en fout. Ce qui est important en revanche, c'est soi, c'est-\u00e0-dire ce cercle dans lequel on est enferm\u00e9 et le labyrinthe qu'il contient - notre propre vie - comme un chemin \u00e0 l'apparence complexe et qui passe, elle aussi, dans sa repr\u00e9sentation plastique par un centre vide - nul besoin de Minotaure. Le cercle est le lieu dont Dieu s'est retir\u00e9 pour que l'homme puisse agir avec son libre arbitre. Dieu, qui est le tout, ainsi laisse un vide, un espace, un lieu, un possible. Et par cons\u00e9quent, on devient ainsi en droit d'effectuer une diff\u00e9rence \u00e0 ce moment-l\u00e0 entre sacr\u00e9, saintet\u00e9 et religiosit\u00e9. C'est dans ce lieu du sacr\u00e9 que s'effectue la prise de conscience que nous sommes dans un cercle, un vide qui lutte de toute sa p\u00e9riph\u00e9rie, sa circonf\u00e9rence pour ne pas se retrouver r\u00e9duit \u00e0 un point. D'ailleurs, une chose \u00e9tonnante est de pouvoir d\u00e9finir la circonf\u00e9rence et le diam\u00e8tre d'un cercle, mais impossible d'en mesurer avec une pr\u00e9cision nette le rapport. Le nombre 3,14116 etc. par l'infinit\u00e9 des d\u00e9cimales ne s'arr\u00eate jamais. Maintenant que tout cela est dit, tu peux aussi bien te r\u00e9jouir que te lamenter. Tu es comme l'une des deux souris tomb\u00e9es dans le bol de lait. Laquelle veux-tu \u00eatre ? Celle qui dit \"il n'y a rien \u00e0 faire, je me laisse couler\" ou l'autre qui bat des pattes et ne cesse de glisser sur le bord du bol... Oui, mais \u00e0 la fin, \u00e0 force de battre le lait, \u00e7a devient du beurre, on a une surface solide, et donc une possibilit\u00e9 de s'\u00e9vader. \u00c9videmment, aucune souris ne sait d'avance que l'obstination produit du beurre. Encore un lieu qui se situe entre ce que l'on sait et ce que l'on ignore. Un entre-deux. Ou encore le lieu m\u00eame o\u00f9 s'exerce le mouvement. Le lieu o\u00f9 mouvement et immobilit\u00e9 sont deux forces r\u00e9elles enfin. Possible aussi d'\u00e9voquer l'horizontalit\u00e9 et la verticalit\u00e9 qu'inspire l'id\u00e9e du cercle comme lieu de vie ; on peut s'y d\u00e9placer dans les deux dimensions. Voir l'horizon ou voir l'ensemble de haut ou d'en bas. Un autre symbole qui vient \u00e0 l'esprit presque aussit\u00f4t est celui de l'\u00e9chelle de Jacob. Pourquoi les anges emprunteraient-ils une \u00e9chelle alors qu'ils ont des ailes pour monter et descendre ? L'\u00e9chelle est une r\u00e9alit\u00e9 physique dans ce cas que l'on doit gravir ou descendre en opposition au fantasme de vol comme \u00e0 celui de toute chute. L'\u00e9chelle est aussi la mat\u00e9rialisation du lieu comme du chemin qui traverse tous les lieux. Ensuite, tu te demandes pourquoi tu as du mal \u00e0 effectuer une distinction entre lieu et espace. Tu peux te dire que l'espace est un doute, comme le disait Perec, et que ce serait facile logiquement de d\u00e9signer le lieu comme un endroit pr\u00e9cis. L'endroit de l'envers. Mais l'origine des \u00e9tymologies est comme la d\u00e9cimale de Pi. Chercher la d\u00e9finition d'un mot ou son \u00e9tymologie renvoie \u00e0 100 mots et chacun encore \u00e0 100 mots, etc. Donc encore une belle occasion, si on a enfin saisi l'humour de tout cela, de se dire : \"DIEU et ses d\u00e9cimales, on s'en fout.\" Surtout si on le sait d\u00e9sormais. Et ne surtout pas trop penser que ce que tu \u00e9cris ici est une configuration de chiffres apr\u00e8s la d\u00e9cimale et donc de lettres, tout comme le sont les \u0153uvres de Pessoa, Kafka, Rabelais, Joyce, etc. \u00e0 l'infini. Et tu peux aussi dire avec un sourire que ce blog est sacr\u00e9 puisqu'il est pour toi un lieu tout \u00e0 fait \u00e0 part. Que l'humour est le seul moyen, au final, de r\u00e9soudre toute contradiction. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7806.jpg?1748065061", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-double-voyage-01-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/le-double-voyage-01-2.html", "title": "Le double voyage 01-2.", "date_published": "2023-01-16T03:11:41Z", "date_modified": "2025-09-18T15:53:50Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

\"\"<\/p>\n

ce que dit de soi ce que l’on photographie en n’y songeant pas.<\/p>\n

La nuit d’avant, tu n’avais que peu dormi, tiraill\u00e9 entre la peur et le d\u00e9sir d’effectuer ce voyage. Et l’id\u00e9e d’y renoncer revint plusieurs fois. Tu pesais le pour et le contre<\/em>pour essayer de te rassurer ou de t’effrayer encore plus. Au final le nombre des actes pos\u00e9s en faveur de ce d\u00e9part l’emportait sur toutes les pens\u00e9es qui t’assaillaient. Tu avais cette impression persistante d’\u00eatre double, et de ne pas pouvoir parvenir \u00e0 n’\u00eatre qu’un. Peut-\u00eatre que si tu t’\u00e9tais pench\u00e9 un peu plus sur l’origine de cette s\u00e9paration, de cette division, il ne t’aurait pas fallu beaucoup de temps pour en revenir \u00e0 des raisons simples, fondamentales, une origine. Par exemple, du cot\u00e9 de ta m\u00e8re, la l\u00e9gende faisait du voyage un mythe fondateur, et que de l’autre, du p\u00e8re, le terroir fondait aussi une grande part de qui tu \u00e9tais. Possible que le mot voyage fait encore surgir plus de 30 ann\u00e9es plus tard l’id\u00e9e d’un abandon, d’une perte irr\u00e9m\u00e9diable, d’une n\u00e9cessit\u00e9 de se r\u00e9inventer totalement, en m\u00eame temps qu’elle s’y oppose en tant que loisir, ou banal bien de consommation. Et aussi, tu te rends compte aujourd’hui que tu \u00e9cris ces lignes, que ton choix quoique tu aies pu penser, h\u00e9siter cette nuit l\u00e0, la nuit d’avant le grand d\u00e9part, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 fait depuis longtemps, depuis toujours. Ce grand-p\u00e8re estonien, qui avait d\u00e9j\u00e0 d\u00fb sacrifier beaucoup pour quitter l’Estonie, se rendre \u00e0 Saint-Petersbourg pour \u00e9tudier l’art, avant la r\u00e9volution de 1917, puis d\u00e9cider de tout quitter encore pour s’exiler en France \u00e0 Paris, ce fant\u00f4me qui te hante depuis toujours, fut le mod\u00e8le que tu avais choisi sans m\u00eame en prendre conscience. Cette dichotomie, la source de toutes tes h\u00e9sitations et de tes choix irr\u00e9fl\u00e9chis en apparence, tu peux en remonter aujourd’hui la trace, poser le doigt sur cette plaie purulente qui jamais ne se sera totalement referm\u00e9e ou cicatris\u00e9e. Cette blessure qui toute ta vie durant tu l\u00e9chas mais aussi trituras quand l’oubli mena\u00e7ait de ne plus la sentir pr\u00e9sente, d’ en souffrir. Comme si il n’y avait jamais eut d’autre vecteur plus puissant que la tristesse, la douleur, cette nostalgie \u00e9trange d’un homme, d’un pays que tu ne connus jamais, pour fonder cette part de toi, une part cach\u00e9e, la plupart du temps inavouable. Aujourd’hui tu cherches les raisons pour lesquelles tu n’as pas compris cette chose simple \u00e0 l’\u00e9poque. C’est encore la nuit, tu t’es r\u00e9veill\u00e9 en sueur et en pensant \u00e0 ta m\u00e8re alors que tu n’y penses plus que tr\u00e8s sporadiquement dans tes journ\u00e9es. Peut-\u00eatre \u00e0 cause d’un r\u00eave dont tu ne te souviens plus non plus en te r\u00e9veillant. Mais dont l’oubli lui-m\u00eame en dit \u00e9norm\u00e9ment. Suffisamment en tous cas pour que soudain tu comprennes que si tu as toujours voulu t’\u00e9loigner de quelqu’un, de quelque chose, c’\u00e9tait toujours que dans l’espoir de parvenir enfin \u00e0 mieux t’en rapprocher. Cette obligation de rejet de ta m\u00e8re, afin de pouvoir survivre, cette n\u00e9cessit\u00e9 pensais-tu, pour ne plus rester bloqu\u00e9 dans cette immense nostalgie qu’elle ch\u00e9rissait comme leg et n’eut de cesse de vouloir te l\u00e9guer aussi, c’\u00e9tait l’unique aspect n\u00e9gatif et dont elle ne fut qu’une victime consentante elle aussi. Et elle aussi, tout comme toi, avait sans doute opt\u00e9 pour ce que tu consid\u00e8res toujours \u00eatre comme une forme de facilit\u00e9, voire de l\u00e2chet\u00e9 qui consiste \u00e0 d\u00e9clarer \u00e0 haute voix ne t’inqui\u00e8te pas tout va bien<\/em> alors qu’en fait non, rien n’alla jamais. Rien n’alla jamais car impossible de prendre cette distance avec sa propre histoire afin de mieux la voir, la comprendre, en faire autre chose que ce que nous en avions fait. Et quand l’aube arriva, la sensation que tu \u00e9prouvas \u00e9tait-elle enfin \u00e0 la mesure de l’\u00e9loignement auquel tu aspirais depuis toujours pour les retrouver ces fant\u00f4mes ? le malaise inou\u00ef se confondant avec un soulagement immense au moment m\u00eame o\u00f9 tu te posas sur le si\u00e8ge du bus qui t’emporta, ton ignorance et ta jeunesse les \u00e9touffa.<\/p>", "content_text": " ce que dit de soi ce que l'on photographie en n'y songeant pas.\n\nLa nuit d'avant, tu n'avais que peu dormi, tiraill\u00e9 entre la peur et le d\u00e9sir d'effectuer ce voyage. Et l'id\u00e9e d'y renoncer revint plusieurs fois. Tu pesais le pour et le contrepour essayer de te rassurer ou de t'effrayer encore plus. Au final le nombre des actes pos\u00e9s en faveur de ce d\u00e9part l'emportait sur toutes les pens\u00e9es qui t'assaillaient. Tu avais cette impression persistante d'\u00eatre double, et de ne pas pouvoir parvenir \u00e0 n'\u00eatre qu'un. Peut-\u00eatre que si tu t'\u00e9tais pench\u00e9 un peu plus sur l'origine de cette s\u00e9paration, de cette division, il ne t'aurait pas fallu beaucoup de temps pour en revenir \u00e0 des raisons simples, fondamentales, une origine. Par exemple, du cot\u00e9 de ta m\u00e8re, la l\u00e9gende faisait du voyage un mythe fondateur, et que de l'autre, du p\u00e8re, le terroir fondait aussi une grande part de qui tu \u00e9tais. Possible que le mot voyage fait encore surgir plus de 30 ann\u00e9es plus tard l'id\u00e9e d'un abandon, d'une perte irr\u00e9m\u00e9diable, d'une n\u00e9cessit\u00e9 de se r\u00e9inventer totalement, en m\u00eame temps qu'elle s'y oppose en tant que loisir, ou banal bien de consommation. Et aussi, tu te rends compte aujourd'hui que tu \u00e9cris ces lignes, que ton choix quoique tu aies pu penser, h\u00e9siter cette nuit l\u00e0, la nuit d'avant le grand d\u00e9part, \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 fait depuis longtemps, depuis toujours. Ce grand-p\u00e8re estonien, qui avait d\u00e9j\u00e0 d\u00fb sacrifier beaucoup pour quitter l'Estonie, se rendre \u00e0 Saint-Petersbourg pour \u00e9tudier l'art, avant la r\u00e9volution de 1917, puis d\u00e9cider de tout quitter encore pour s'exiler en France \u00e0 Paris, ce fant\u00f4me qui te hante depuis toujours, fut le mod\u00e8le que tu avais choisi sans m\u00eame en prendre conscience. Cette dichotomie, la source de toutes tes h\u00e9sitations et de tes choix irr\u00e9fl\u00e9chis en apparence, tu peux en remonter aujourd'hui la trace, poser le doigt sur cette plaie purulente qui jamais ne se sera totalement referm\u00e9e ou cicatris\u00e9e. Cette blessure qui toute ta vie durant tu l\u00e9chas mais aussi trituras quand l'oubli mena\u00e7ait de ne plus la sentir pr\u00e9sente, d' en souffrir. Comme si il n'y avait jamais eut d'autre vecteur plus puissant que la tristesse, la douleur, cette nostalgie \u00e9trange d'un homme, d'un pays que tu ne connus jamais, pour fonder cette part de toi, une part cach\u00e9e, la plupart du temps inavouable. Aujourd'hui tu cherches les raisons pour lesquelles tu n'as pas compris cette chose simple \u00e0 l'\u00e9poque. C'est encore la nuit, tu t'es r\u00e9veill\u00e9 en sueur et en pensant \u00e0 ta m\u00e8re alors que tu n'y penses plus que tr\u00e8s sporadiquement dans tes journ\u00e9es. Peut-\u00eatre \u00e0 cause d'un r\u00eave dont tu ne te souviens plus non plus en te r\u00e9veillant. Mais dont l'oubli lui-m\u00eame en dit \u00e9norm\u00e9ment. Suffisamment en tous cas pour que soudain tu comprennes que si tu as toujours voulu t'\u00e9loigner de quelqu'un, de quelque chose, c'\u00e9tait toujours que dans l'espoir de parvenir enfin \u00e0 mieux t'en rapprocher. Cette obligation de rejet de ta m\u00e8re, afin de pouvoir survivre, cette n\u00e9cessit\u00e9 pensais-tu, pour ne plus rester bloqu\u00e9 dans cette immense nostalgie qu'elle ch\u00e9rissait comme leg et n'eut de cesse de vouloir te l\u00e9guer aussi, c'\u00e9tait l'unique aspect n\u00e9gatif et dont elle ne fut qu'une victime consentante elle aussi. Et elle aussi, tout comme toi, avait sans doute opt\u00e9 pour ce que tu consid\u00e8res toujours \u00eatre comme une forme de facilit\u00e9, voire de l\u00e2chet\u00e9 qui consiste \u00e0 d\u00e9clarer \u00e0 haute voix ne t'inqui\u00e8te pas tout va bien alors qu'en fait non, rien n'alla jamais. Rien n'alla jamais car impossible de prendre cette distance avec sa propre histoire afin de mieux la voir, la comprendre, en faire autre chose que ce que nous en avions fait. Et quand l'aube arriva, la sensation que tu \u00e9prouvas \u00e9tait-elle enfin \u00e0 la mesure de l'\u00e9loignement auquel tu aspirais depuis toujours pour les retrouver ces fant\u00f4mes ? le malaise inou\u00ef se confondant avec un soulagement immense au moment m\u00eame o\u00f9 tu te posas sur le si\u00e8ge du bus qui t'emporta, ton ignorance et ta jeunesse les \u00e9touffa.", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023-4.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023-4.html", "title": "16 janvier 2023-4", "date_published": "2023-01-16T00:38:00Z", "date_modified": "2025-01-26T00:39:11Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je lis Kafka. Depuis que j’ai d\u00fb me procurer \u00e0 nouveau le Journal sur Recyclivre, je ne le l\u00e2che plus. Si j’osais, je dirais tr\u00e8s facilement, sur le ton d’une conversation normale, que je suis Kafka. Si cela n’\u00e9tait pas totalement ridicule. C’est parce que chaque phrase que je lis, j’ai cette impression \u00e9trange de l’avoir \u00e9crite moi-m\u00eame. Et si on me parle de Kafka, j’ai aussi, bien s\u00fbr, la m\u00eame impression qu’on est en train de parler de moi.
\nCela me fait penser soudain \u00e0 ce mot tristement \u00e0 la mode : int\u00e9grisme. Quelle chance d’avoir de si bons r\u00e9flexes ! C’est-\u00e0-dire que l’on peut lire un livre, religieux ou pas d’ailleurs, et y d\u00e9poser tellement de d\u00e9sirs troubles, toute une intimit\u00e9, que l’on finit soi-m\u00eame par devenir ce livre, jusqu’\u00e0 vouloir m\u00eame s’approprier l’auteur qui l’a \u00e9crit. Encore que, lorsqu’il s’agit de Kafka, possible de prendre \u00e7a avec humour.
\nMais que penser des int\u00e9gristes de la Bible, du Coran, du Petit Livre rouge, et de Freud ? C’est sans doute que la fonction d’un tel engouement est de remplir un vide, puis de se l’expliquer ensuite, tr\u00e8s sommairement d’ailleurs. Mais suffisante pour g\u00e9n\u00e9rer le mouvement perp\u00e9tuel d’une boucle. G\u00e9n\u00e9ralement une explication qui n’explique rien du tout, de pr\u00e9f\u00e9rence.<\/p>", "content_text": "Je lis Kafka. Depuis que j'ai d\u00fb me procurer \u00e0 nouveau le Journal sur Recyclivre, je ne le l\u00e2che plus. Si j'osais, je dirais tr\u00e8s facilement, sur le ton d'une conversation normale, que je suis Kafka. Si cela n'\u00e9tait pas totalement ridicule. C'est parce que chaque phrase que je lis, j'ai cette impression \u00e9trange de l'avoir \u00e9crite moi-m\u00eame. Et si on me parle de Kafka, j'ai aussi, bien s\u00fbr, la m\u00eame impression qu'on est en train de parler de moi. Cela me fait penser soudain \u00e0 ce mot tristement \u00e0 la mode : int\u00e9grisme. Quelle chance d'avoir de si bons r\u00e9flexes ! C'est-\u00e0-dire que l'on peut lire un livre, religieux ou pas d'ailleurs, et y d\u00e9poser tellement de d\u00e9sirs troubles, toute une intimit\u00e9, que l'on finit soi-m\u00eame par devenir ce livre, jusqu'\u00e0 vouloir m\u00eame s'approprier l'auteur qui l'a \u00e9crit. Encore que, lorsqu'il s'agit de Kafka, possible de prendre \u00e7a avec humour. Mais que penser des int\u00e9gristes de la Bible, du Coran, du Petit Livre rouge, et de Freud ? C'est sans doute que la fonction d'un tel engouement est de remplir un vide, puis de se l'expliquer ensuite, tr\u00e8s sommairement d'ailleurs. Mais suffisante pour g\u00e9n\u00e9rer le mouvement perp\u00e9tuel d'une boucle. G\u00e9n\u00e9ralement une explication qui n'explique rien du tout, de pr\u00e9f\u00e9rence.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/imgp0709.webp?1748065114", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "oeuvres litt\u00e9raires "] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023-3.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023-3.html", "title": "16 janvier 2023-3", "date_published": "2023-01-16T00:32:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:55:02Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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En exergue au Voyage au bout de la nuit, cette petite phrase comme un aveu : « C’est de la faute \u00e0 l’imagination » ou « Tout n’est de la faute qu’\u00e0 l’imagination ». Flemme d’aller regarder dans ce livre que je n’ai plus ouvert depuis des ann\u00e9es. Peur, probablement, de me faire happer par lui une fois encore. De subir encore une fois la m\u00eame d\u00e9pression qu’il causa lorsque je tombai dessus \u00e0 la sortie de l’adolescence. J’ai toujours eu cette facilit\u00e9 \u00e0 m’imbiber comme un buvard du ton, de l’esprit de tels auteurs. Et, forc\u00e9ment, si cela se produit, c’est qu’il y a, en amont, un terreau propice.<\/p>\n

Je me suis toujours demand\u00e9 comment je parvenais \u00e0 comprendre ce que je lisais dans un livre. J’imagine qu’on le porte tout autant en soi que son auteur et que de le lire nous fait soudain le d\u00e9couvrir. D’o\u00f9 ensuite cette ambigu\u00eft\u00e9 concernant la notion de propri\u00e9t\u00e9 du texte, assez risible lorsque j’y repense. Cela peut d’ailleurs aller chez moi jusqu’\u00e0 imiter le ton, le style de certains auteurs que j’affectionne particuli\u00e8rement parce que, na\u00efvement, emprunter la musique me procure l’illusion de pouvoir y poser mes propres paroles. Encore que « propres paroles » soit un terme ronflant. Disons que la musique aide \u00e0 exprimer l’imagination sur des th\u00e8mes communs en esp\u00e9rant trouver une m\u00e9lodie personnelle.<\/p>\n

Ce qui n’est pas compl\u00e8tement idiot car les Chinois, dans le domaine de la peinture, n’ont toujours pratiqu\u00e9 qu’ainsi, en copiant, recopiant les ma\u00eetres jusqu’\u00e0 ce qu’\u00e0 un moment, un \u00e9cart se produise par inadvertance chez l’\u00e9l\u00e8ve et qui sera nomm\u00e9 « style d’un tel, style d’un autre ». Il y a donc, dans la copie, une r\u00e9alit\u00e9 vers laquelle on s’efforce de se rapprocher, et ce sera souvent l’impossibilit\u00e9 de s’en rapprocher totalement, cet \u00e9cart, dans lequel il faudra puiser sa propre mani\u00e8re, sa propre voix, son propre ton.<\/p>\n

Est-ce que cet \u00e9cart peut \u00eatre nomm\u00e9 imagination ? Peut-\u00eatre. Mais \u00e0 mon avis, le d\u00e9sir ou l’obligation de copie, pour apprendre, appartient d\u00e9j\u00e0 \u00e0 l’imaginaire. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une histoire que l’on se raconte de g\u00e9n\u00e9ration en g\u00e9n\u00e9ration. Une histoire qui a fait ses preuves, pour ainsi dire, suffisamment pour qu’on la nomme r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n

Paradoxe dont je m’aper\u00e7ois encore une fois de plus : j’ai toujours \u00e9t\u00e9 un fervent d\u00e9fenseur de l’imagination en peinture. C’est ce que je ne cesse de seriner \u00e0 mes \u00e9l\u00e8ves depuis des ann\u00e9es : « Surtout ne prenez pas de mod\u00e8le, ne copiez pas, allez plut\u00f4t puiser les informations dans votre m\u00e9moire, vos souvenirs, votre imagination. L\u00e2chez-vous donc. » La raison d’une telle strat\u00e9gie est que je n’ai affaire la plupart du temps qu’\u00e0 des personnes ayant all\u00e8grement d\u00e9pass\u00e9 la cinquantaine, voire plus \u00e2g\u00e9es ; j’ai tr\u00e8s peu de jeunes. Donc trop fastidieux de commencer par les \u00e9tudes acad\u00e9miques de pots, de bustes en pl\u00e2tre, la reproduction de photographies des \u0153uvres de grands ma\u00eetres.<\/p>\n

Je me dis que c’est tellement chiant, pour avoir travers\u00e9 tout cela jadis moi-m\u00eame, qu’il serait incongru de l’infliger \u00e0 ces personnes, que sans doute elles s’enfuiraient, et que je me retrouverais alors gros-jean comme devant avec seulement une poign\u00e9e de clients. Mais je me demande ce matin si ce n’est pas pure supputation de ma part, une interpr\u00e9tation de ma propre histoire, et de surcro\u00eet mal comprise, mal dig\u00e9r\u00e9e. Comme si un aveuglement constitu\u00e9 de pr\u00e9jug\u00e9s, d’a priori, \u00e9tait l’obstacle. En fait, de l’orgueil. De la vanit\u00e9. Car ma v\u00e9rit\u00e9, elle aussi, n’appartient qu’au m\u00eame domaine que tout le reste, elle n’est qu’une histoire que je me raconte \u00e0 moi puis aux autres pour essayer de la valider. De m’en convaincre moi-m\u00eame surtout. Et d’exp\u00e9rience, c’est si d\u00e9sagr\u00e9able de poser le doigt dessus que cela procure l’am\u00e8re sensation d’une tr\u00e8s r\u00e9elle r\u00e9alit\u00e9 par cons\u00e9quent.<\/p>", "content_text": "En exergue au Voyage au bout de la nuit, cette petite phrase comme un aveu : \"C'est de la faute \u00e0 l'imagination\" ou \"Tout n'est de la faute qu'\u00e0 l'imagination\". Flemme d'aller regarder dans ce livre que je n'ai plus ouvert depuis des ann\u00e9es. Peur, probablement, de me faire happer par lui une fois encore. De subir encore une fois la m\u00eame d\u00e9pression qu'il causa lorsque je tombai dessus \u00e0 la sortie de l'adolescence. J'ai toujours eu cette facilit\u00e9 \u00e0 m'imbiber comme un buvard du ton, de l'esprit de tels auteurs. Et, forc\u00e9ment, si cela se produit, c'est qu'il y a, en amont, un terreau propice. Je me suis toujours demand\u00e9 comment je parvenais \u00e0 comprendre ce que je lisais dans un livre. J'imagine qu'on le porte tout autant en soi que son auteur et que de le lire nous fait soudain le d\u00e9couvrir. D'o\u00f9 ensuite cette ambigu\u00eft\u00e9 concernant la notion de propri\u00e9t\u00e9 du texte, assez risible lorsque j'y repense. Cela peut d'ailleurs aller chez moi jusqu'\u00e0 imiter le ton, le style de certains auteurs que j'affectionne particuli\u00e8rement parce que, na\u00efvement, emprunter la musique me procure l'illusion de pouvoir y poser mes propres paroles. Encore que \"propres paroles\" soit un terme ronflant. Disons que la musique aide \u00e0 exprimer l'imagination sur des th\u00e8mes communs en esp\u00e9rant trouver une m\u00e9lodie personnelle. Ce qui n'est pas compl\u00e8tement idiot car les Chinois, dans le domaine de la peinture, n'ont toujours pratiqu\u00e9 qu'ainsi, en copiant, recopiant les ma\u00eetres jusqu'\u00e0 ce qu'\u00e0 un moment, un \u00e9cart se produise par inadvertance chez l'\u00e9l\u00e8ve et qui sera nomm\u00e9 \"style d'un tel, style d'un autre\". Il y a donc, dans la copie, une r\u00e9alit\u00e9 vers laquelle on s'efforce de se rapprocher, et ce sera souvent l'impossibilit\u00e9 de s'en rapprocher totalement, cet \u00e9cart, dans lequel il faudra puiser sa propre mani\u00e8re, sa propre voix, son propre ton. Est-ce que cet \u00e9cart peut \u00eatre nomm\u00e9 imagination ? Peut-\u00eatre. Mais \u00e0 mon avis, le d\u00e9sir ou l'obligation de copie, pour apprendre, appartient d\u00e9j\u00e0 \u00e0 l'imaginaire. Il ne s'agit ni plus ni moins que d'une histoire que l'on se raconte de g\u00e9n\u00e9ration en g\u00e9n\u00e9ration. Une histoire qui a fait ses preuves, pour ainsi dire, suffisamment pour qu'on la nomme r\u00e9alit\u00e9. Paradoxe dont je m'aper\u00e7ois encore une fois de plus : j'ai toujours \u00e9t\u00e9 un fervent d\u00e9fenseur de l'imagination en peinture. C'est ce que je ne cesse de seriner \u00e0 mes \u00e9l\u00e8ves depuis des ann\u00e9es : \"Surtout ne prenez pas de mod\u00e8le, ne copiez pas, allez plut\u00f4t puiser les informations dans votre m\u00e9moire, vos souvenirs, votre imagination. L\u00e2chez-vous donc.\" La raison d'une telle strat\u00e9gie est que je n'ai affaire la plupart du temps qu'\u00e0 des personnes ayant all\u00e8grement d\u00e9pass\u00e9 la cinquantaine, voire plus \u00e2g\u00e9es ; j'ai tr\u00e8s peu de jeunes. Donc trop fastidieux de commencer par les \u00e9tudes acad\u00e9miques de pots, de bustes en pl\u00e2tre, la reproduction de photographies des \u0153uvres de grands ma\u00eetres. Je me dis que c'est tellement chiant, pour avoir travers\u00e9 tout cela jadis moi-m\u00eame, qu'il serait incongru de l'infliger \u00e0 ces personnes, que sans doute elles s'enfuiraient, et que je me retrouverais alors gros-jean comme devant avec seulement une poign\u00e9e de clients. Mais je me demande ce matin si ce n'est pas pure supputation de ma part, une interpr\u00e9tation de ma propre histoire, et de surcro\u00eet mal comprise, mal dig\u00e9r\u00e9e. Comme si un aveuglement constitu\u00e9 de pr\u00e9jug\u00e9s, d'a priori, \u00e9tait l'obstacle. En fait, de l'orgueil. De la vanit\u00e9. Car ma v\u00e9rit\u00e9, elle aussi, n'appartient qu'au m\u00eame domaine que tout le reste, elle n'est qu'une histoire que je me raconte \u00e0 moi puis aux autres pour essayer de la valider. De m'en convaincre moi-m\u00eame surtout. Et d'exp\u00e9rience, c'est si d\u00e9sagr\u00e9able de poser le doigt dessus que cela procure l'am\u00e8re sensation d'une tr\u00e8s r\u00e9elle r\u00e9alit\u00e9 par cons\u00e9quent. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/imgp0082.webp?1748065093", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023-2.html", "title": "16 janvier 2023-2", "date_published": "2023-01-16T00:14:00Z", "date_modified": "2025-09-18T15:42:41Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tout a un prix, y compris l’\u00e9criture. Et si on \u00e9tablit la liste des ressources, des sacrifices \u00e0 faire pour se payer ce luxe, c’est au bout du compte un prix tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9, sans doute aussi \u00e9lev\u00e9 que l’exigence qui pousse chaque jour \u00e0 recommencer. Il semble que ces derniers mois, j’ai d\u00fb vendre au clou tout ce qui me restait d’entregent, de mondanit\u00e9, de diplomatie et j’en passe, pour me jeter comme un d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 dans l’acte d’\u00e9crire des choses que je jugerais moins mi\u00e8vres ou d\u00e9solantes \u00e0 les relire. C’est un travail \u00e0 la Giacometti que celui qui consiste \u00e0 \u00f4ter petit \u00e0 petit tous les actes, les habitudes dans lesquels on se r\u00e9conforte en se disant : « On me lit <\/i> — je peux donc en toute logique continuer ». Mais ce r\u00e9confort est trouble si on l’examine de pr\u00e8s. Une satisfaction qui met encore le doigt sur un \u00e9cart \u00e0 combler. \u00c9cart qui sans doute, si on parvient \u00e0 le combler - mais en est-on jamais certain ? - serait celui qui transforme une \u00e9criture de complaisance en quelque chose de plus substantiel.
\nEt dans ce cas, substantiel signifierait quoi pour toi ? Tu penses aussit\u00f4t \u00e0 la mati\u00e8re bien s\u00fbr, et surtout au vide insupportable quand elle s’absente, qu’elle n’existe pas. Mati\u00e8re et m\u00e8re, bien entendu. Donc il n’est pas idiot \u00e0 ce point de ton parcours d’imaginer que l’\u00e9criture est une invocation. Qu’elle s’adresse \u00e0 ta propre m\u00e8re serait si d\u00e9cevant, encore que cela vaudrait la peine de l’accepter. Cela t’ouvrirait en tout cas en grand les portes de la prison dans laquelle tu t’es enferm\u00e9. Et cet int\u00e9r\u00eat de plus en plus accru pour tout ce qui tourne autour de ton fantasme de jud\u00e9it\u00e9 trouverait peut-\u00eatre enfin un sens qui t’\u00e9chappe terriblement en ce moment.
\nTu serais m\u00eame pr\u00eat \u00e0 t’inscrire et \u00e0 payer pour effectuer des recherches sur ce site de g\u00e9n\u00e9alogie c\u00e9l\u00e8bre. Remonter \u00e0 l’histoire de tes anc\u00eatres estoniens. Mais quand tu d\u00e9couvres au hasard d’un article que les premi\u00e8res pi\u00e8ces d’identit\u00e9 fournies aux ressortissants des colonies juives ne remontent qu’\u00e0 1863, sans oublier les ravages effectu\u00e9s par l’administration sovi\u00e9tique puis la Shoah, toute trace an\u00e9antie \u00e0 jamais, le sol se d\u00e9robe sous tes pieds. Impossible d’obtenir des preuves administratives, de te fier \u00e0 des documents authentifi\u00e9s. Tout un pan de l’histoire de ta famille impossible \u00e0 v\u00e9rifier. Et pourtant, quand tu es devant ton \u00e9cran, tu sens une foule qui ne cesse de te murmurer : « Continue, vas-y, tu y es presque, tu vas nous retrouver, tu vas nous racheter, gr\u00e2ce \u00e0 toi nous n’aurons pas v\u00e9cu en vain. »
\nCe qui certainement me fera frissonner de honte quand je me relirai.<\/p>", "content_text": "Tout a un prix, y compris l'\u00e9criture. Et si on \u00e9tablit la liste des ressources, des sacrifices \u00e0 faire pour se payer ce luxe, c'est au bout du compte un prix tr\u00e8s \u00e9lev\u00e9, sans doute aussi \u00e9lev\u00e9 que l'exigence qui pousse chaque jour \u00e0 recommencer. Il semble que ces derniers mois, j'ai d\u00fb vendre au clou tout ce qui me restait d'entregent, de mondanit\u00e9, de diplomatie et j'en passe, pour me jeter comme un d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 dans l'acte d'\u00e9crire des choses que je jugerais moins mi\u00e8vres ou d\u00e9solantes \u00e0 les relire. C'est un travail \u00e0 la Giacometti que celui qui consiste \u00e0 \u00f4ter petit \u00e0 petit tous les actes, les habitudes dans lesquels on se r\u00e9conforte en se disant : \"{On me lit } \u2014 je peux donc en toute logique continuer\". Mais ce r\u00e9confort est trouble si on l'examine de pr\u00e8s. Une satisfaction qui met encore le doigt sur un \u00e9cart \u00e0 combler. \u00c9cart qui sans doute, si on parvient \u00e0 le combler - mais en est-on jamais certain ? - serait celui qui transforme une \u00e9criture de complaisance en quelque chose de plus substantiel. Et dans ce cas, substantiel signifierait quoi pour toi ? Tu penses aussit\u00f4t \u00e0 la mati\u00e8re bien s\u00fbr, et surtout au vide insupportable quand elle s'absente, qu'elle n'existe pas. Mati\u00e8re et m\u00e8re, bien entendu. Donc il n'est pas idiot \u00e0 ce point de ton parcours d'imaginer que l'\u00e9criture est une invocation. Qu'elle s'adresse \u00e0 ta propre m\u00e8re serait si d\u00e9cevant, encore que cela vaudrait la peine de l'accepter. Cela t'ouvrirait en tout cas en grand les portes de la prison dans laquelle tu t'es enferm\u00e9. Et cet int\u00e9r\u00eat de plus en plus accru pour tout ce qui tourne autour de ton fantasme de jud\u00e9it\u00e9 trouverait peut-\u00eatre enfin un sens qui t'\u00e9chappe terriblement en ce moment. Tu serais m\u00eame pr\u00eat \u00e0 t'inscrire et \u00e0 payer pour effectuer des recherches sur ce site de g\u00e9n\u00e9alogie c\u00e9l\u00e8bre. Remonter \u00e0 l'histoire de tes anc\u00eatres estoniens. Mais quand tu d\u00e9couvres au hasard d'un article que les premi\u00e8res pi\u00e8ces d'identit\u00e9 fournies aux ressortissants des colonies juives ne remontent qu'\u00e0 1863, sans oublier les ravages effectu\u00e9s par l'administration sovi\u00e9tique puis la Shoah, toute trace an\u00e9antie \u00e0 jamais, le sol se d\u00e9robe sous tes pieds. Impossible d'obtenir des preuves administratives, de te fier \u00e0 des documents authentifi\u00e9s. Tout un pan de l'histoire de ta famille impossible \u00e0 v\u00e9rifier. Et pourtant, quand tu es devant ton \u00e9cran, tu sens une foule qui ne cesse de te murmurer : \"Continue, vas-y, tu y es presque, tu vas nous retrouver, tu vas nous racheter, gr\u00e2ce \u00e0 toi nous n'aurons pas v\u00e9cu en vain.\" Ce qui certainement me fera frissonner de honte quand je me relirai.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/imgp0155.webp?1748065236", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2023.html", "title": "16 janvier 2023", "date_published": "2023-01-16T00:09:00Z", "date_modified": "2025-01-26T00:10:33Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Il va faire plus froid cette semaine. Cette pens\u00e9e est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0 dans l\u2019atelier. Elle est en toi. Ce que ton p\u00e8re a fait en Alg\u00e9rie n\u2019est pas diff\u00e9rent de ce qu\u2019ont fait tous les hommes depuis que la guerre existe. Qu\u2019ils continueront \u00e0 faire pour que la guerre subsiste. Que ta m\u00e8re juive se jette soudain dans les bras d\u2019un nazi, voil\u00e0 ce qui peut r\u00e9sumer l’athmosph\u00e8re glaciale. D\u2019autant qu\u2019elle ne s\u2019y jette pas par amour -elle l\u2019avouera plus tard-encore et encore. Elle voudra enfoncer le clou encore plus profond\u00e9ment. —Elle pr\u00e9f\u00e8rait -dit-elle- la s\u00e9curit\u00e9 qu\u2019offrait alors ton p\u00e8re. Et tu peux alors l\u2019imaginer dans mille circonstances de l\u2019histoire tout \u00e0 coup, et aussit\u00f4t la juger, dans ces moments si pr\u00e9caires o\u00f9 un choix s\u2019imposerait pour conserver une int\u00e9grit\u00e9 une dignit\u00e9. Ce mauvais choix qu\u2019elle effectue et d\u2019une fa\u00e7on tellement syst\u00e9matique que c\u2019en devient troublant... Ce qui la pousse ainsi \u00e0 choisir les camps du pire ; tu l\u2019ignores bien s\u00fbr et cependant la juges . En d’autres temps elle n\u2019eut \u00e9t\u00e9 qu\u2019une tondue parmi les autres. Une faiblesse. Une b\u00e9ance. Un vide affreux. aussi affreux que celui dans lequel tu t\u2019es engouffr\u00e9 toi-m\u00eame croyant pouvoir fuir ce vide. Et au bout du compte ces deux vides n\u2019en font finalement qu\u2019un, cette sensation de froideur infinie ne te fait pas fuir, au contraire. Tu te sens capable ce matin de la transformer en lave. Est-ce que tu n’as pas pass\u00e9 assez longtemps \u00e0 vouloir racheter je ne sais quelle faute qui n’est pas la tienne ?<\/p>", "content_text": "Il va faire plus froid cette semaine. Cette pens\u00e9e est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0 dans l\u2019atelier. Elle est en toi. Ce que ton p\u00e8re a fait en Alg\u00e9rie n\u2019est pas diff\u00e9rent de ce qu\u2019ont fait tous les hommes depuis que la guerre existe. Qu\u2019ils continueront \u00e0 faire pour que la guerre subsiste. Que ta m\u00e8re juive se jette soudain dans les bras d\u2019un nazi, voil\u00e0 ce qui peut r\u00e9sumer l'athmosph\u00e8re glaciale. D\u2019autant qu\u2019elle ne s\u2019y jette pas par amour -elle l\u2019avouera plus tard-encore et encore. Elle voudra enfoncer le clou encore plus profond\u00e9ment. \u2014Elle pr\u00e9f\u00e8rait -dit-elle- la s\u00e9curit\u00e9 qu\u2019offrait alors ton p\u00e8re. Et tu peux alors l\u2019imaginer dans mille circonstances de l\u2019histoire tout \u00e0 coup, et aussit\u00f4t la juger, dans ces moments si pr\u00e9caires o\u00f9 un choix s\u2019imposerait pour conserver une int\u00e9grit\u00e9 une dignit\u00e9. Ce mauvais choix qu\u2019elle effectue et d\u2019une fa\u00e7on tellement syst\u00e9matique que c\u2019en devient troublant... Ce qui la pousse ainsi \u00e0 choisir les camps du pire; tu l\u2019ignores bien s\u00fbr et cependant la juges . En d'autres temps elle n\u2019eut \u00e9t\u00e9 qu\u2019une tondue parmi les autres. Une faiblesse. Une b\u00e9ance. Un vide affreux. aussi affreux que celui dans lequel tu t\u2019es engouffr\u00e9 toi-m\u00eame croyant pouvoir fuir ce vide. Et au bout du compte ces deux vides n\u2019en font finalement qu\u2019un, cette sensation de froideur infinie ne te fait pas fuir, au contraire. Tu te sens capable ce matin de la transformer en lave. Est-ce que tu n'as pas pass\u00e9 assez longtemps \u00e0 vouloir racheter je ne sais quelle faute qui n'est pas la tienne ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/imgp0178.webp?1748065072", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-janvier-2023.html", "title": "15 janvier 2023", "date_published": "2023-01-15T21:11:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:49:56Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Le r\u00eave d\u2019un deuxi\u00e8me cerveau. D\u00e9connect\u00e9, mais l\u00e0, toujours. On y plonge sans y penser, comme on tourne un robinet. Ce matin encore, tu t\u2019es adress\u00e9 \u00e0 ChatGPT. Une page HTML \u00e0 corriger, un doute technique. Tu aurais pu chercher, t\u00e2tonner, essayer. Mais non. Tu tapes ta requ\u00eate. La r\u00e9ponse s\u2019affiche : efficace, propre. Rien d\u2019\u00e9tonnant pourtant. Tu le sais bien, ce code, tu aurais pu l\u2019\u00e9crire seul. Si seulement tu avais pris le temps.
\nLe temps de l\u2019essai, du rat\u00e9, du d\u00e9tour. Ce temps o\u00f9 quelque chose surgit — un d\u00e9tail inattendu, une id\u00e9e qui s\u2019impose par accident. Mais l\u2019intelligence artificielle ne conna\u00eet pas les accidents. Elle va droit au but, supprime le hasard. Et qu\u2019est-ce que le hasard sinon la vie elle-m\u00eame ? Le drame et la com\u00e9die, la po\u00e9sie et le tragique ? Tout ce qui fait que nous avan\u00e7ons en tr\u00e9buchant.
\nTu te rends compte que dans cette d\u00e9pendance naissante \u00e0 l\u2019outil, c\u2019est ton propre cerveau que tu oublies. Celui qui h\u00e9site, qui cherche, qui se perd pour mieux trouver. Ce matin encore, tu as choisi la facilit\u00e9 — ou peut-\u00eatre \u00e9tait-ce la paresse ? Mais \u00e0 chaque fois que tu fais ce choix, quelque chose se retire du monde. Une part de toi-m\u00eame s\u2019efface.
\nL\u2019outil est l\u00e0 pour aider, dis-tu. Mais il te vole aussi : le hasard des chemins non emprunt\u00e9s et cette lenteur o\u00f9 parfois na\u00eet une fulgurance. Alors tu te demandes : que reste-t-il quand tout devient rapide et s\u00fbr ? O\u00f9 est pass\u00e9e cette part d\u2019incertitude qui faisait de chaque geste une aventure ?<\/p>", "content_text": "Le r\u00eave d\u2019un deuxi\u00e8me cerveau. D\u00e9connect\u00e9, mais l\u00e0, toujours. On y plonge sans y penser, comme on tourne un robinet. Ce matin encore, tu t\u2019es adress\u00e9 \u00e0 ChatGPT. Une page HTML \u00e0 corriger, un doute technique. Tu aurais pu chercher, t\u00e2tonner, essayer. Mais non. Tu tapes ta requ\u00eate. La r\u00e9ponse s\u2019affiche : efficace, propre. Rien d\u2019\u00e9tonnant pourtant. Tu le sais bien, ce code, tu aurais pu l\u2019\u00e9crire seul. Si seulement tu avais pris le temps. Le temps de l\u2019essai, du rat\u00e9, du d\u00e9tour. Ce temps o\u00f9 quelque chose surgit \u2014 un d\u00e9tail inattendu, une id\u00e9e qui s\u2019impose par accident. Mais l\u2019intelligence artificielle ne conna\u00eet pas les accidents. Elle va droit au but, supprime le hasard. Et qu\u2019est-ce que le hasard sinon la vie elle-m\u00eame ? Le drame et la com\u00e9die, la po\u00e9sie et le tragique ? Tout ce qui fait que nous avan\u00e7ons en tr\u00e9buchant. Tu te rends compte que dans cette d\u00e9pendance naissante \u00e0 l\u2019outil, c\u2019est ton propre cerveau que tu oublies. Celui qui h\u00e9site, qui cherche, qui se perd pour mieux trouver. Ce matin encore, tu as choisi la facilit\u00e9 \u2014 ou peut-\u00eatre \u00e9tait-ce la paresse ? Mais \u00e0 chaque fois que tu fais ce choix, quelque chose se retire du monde. Une part de toi-m\u00eame s\u2019efface. L\u2019outil est l\u00e0 pour aider, dis-tu. Mais il te vole aussi : le hasard des chemins non emprunt\u00e9s et cette lenteur o\u00f9 parfois na\u00eet une fulgurance. Alors tu te demandes : que reste-t-il quand tout devient rapide et s\u00fbr ? O\u00f9 est pass\u00e9e cette part d\u2019incertitude qui faisait de chaque geste une aventure ?", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/imgp0596.webp?1748065125", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-janvier-2023-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-janvier-2023-2.html", "title": "14 janvier 2023-2", "date_published": "2023-01-14T21:01:00Z", "date_modified": "2025-02-15T05:57:32Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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On commence par l\u00e0, ce qui bute. Toujours. Ce qui emp\u00eache. Le doute, comme une pierre dans la chaussure, sur cette voix qu\u2019on a quand on parle et celle qu\u2019on a quand on \u00e9crit. Deux voix, deux corps, deux rythmes. Et la question qui revient, lancinante : laquelle est la vraie ? Est-ce qu\u2019on s\u2019entend parler comme les autres nous \u00e9coutent ? Est-ce qu\u2019on se lit soi-m\u00eame comme les autres nous lisent ? Ou bien tout \u00e7a n\u2019est qu\u2019un jeu d\u2019\u00e9chos mal accord\u00e9s ?<\/p>\n

Quand tu parles, tu n\u2019es jamais seul. Toujours un autre en face, ou \u00e0 c\u00f4t\u00e9, ou m\u00eame au-dessus. Alors tu ajustes, tu tailles dans le vif de ta langue, tu fais simple pour que \u00e7a passe. Une langue de surface, fonctionnelle, avec ses silences entre les phrases courtes. Et ces mots qu\u2019on r\u00e9p\u00e8te sans m\u00eame y penser : bonjour, bonsoir, bonne journ\u00e9e. Une hypnose sociale o\u00f9 chacun joue son r\u00f4le. Mais toi, dans ce jeu-l\u00e0, tu t\u2019effaces un peu plus \u00e0 chaque fois.<\/p>\n

Et puis il y a l\u2019\u00e9criture. L\u00e0 o\u00f9 personne ne te regarde en direct. L\u00e0 o\u00f9 tu ne sais rien du lecteur, et o\u00f9 pourtant tu ne perds pas de temps \u00e0 l\u2019imaginer. L\u2019\u00e9criture n\u2019a pas besoin de plaire ni de convaincre ; elle creuse son propre sillon. Elle dilate le temps ou le contracte selon son bon vouloir. Elle agrandit un instant jusqu\u2019\u00e0 l\u2019infini ou condense des ann\u00e9es en quelques lignes. C\u2019est un espace \u00e0 part, o\u00f9 le lieu et le moment deviennent mall\u00e9ables.<\/p>\n

Mais il faut remonter loin pour comprendre pourquoi cette fracture existe entre l\u2019oral et l\u2019\u00e9crit. L\u2019enfance, toujours elle. Ce moment o\u00f9 tu as tent\u00e9 d\u2019utiliser ta propre voix et o\u00f9 personne ne t\u2019a \u00e9cout\u00e9. Ou pire : on s\u2019en est moqu\u00e9. Alors tu as appris \u00e0 parler comme tout le monde, dans une langue r\u00e9duite au strict n\u00e9cessaire. Une langue qui prot\u00e8ge mais qui ne dit rien des myst\u00e8res auxquels tu te heurtais d\u00e9j\u00e0.<\/p>\n

Et pourtant, avec le temps, une autre exigence est n\u00e9e : celle de la justesse. Dire ce qui est vrai, m\u00eame si \u00e7a brusque. Ne plus tol\u00e9rer la fausset\u00e9 dans les \u00e9changes. Parfois au point de couper court, brutalement. Mais quelle \u00e9nergie perdue \u00e0 entrer dans ces jeux sociaux pour les refl\u00e9ter comme un miroir ! \u00c0 quoi bon ?<\/p>\n

Alors \u00e9crire devient une mani\u00e8re de reprendre pied. Pas une solution simple ou d\u00e9finitive — non, \u00e9crire pose d\u2019autres probl\u00e8mes — mais une tentative d\u2019int\u00e9grit\u00e9 face aux compromis impos\u00e9s par la parole. \u00c9crire pour chercher cette voix unique qui vacille entre deux mondes.<\/p>\n

Et peut-\u00eatre que c\u2019est \u00e7a finalement : accepter que cette tension entre l\u2019oral et l\u2019\u00e9crit ne disparaisse jamais vraiment. Parce que c\u2019est l\u00e0 que tout se joue : dans ce frottement entre ce qu\u2019on montre et ce qu\u2019on est vraiment.<\/p>", "content_text": " On commence par l\u00e0, ce qui bute. Toujours. Ce qui emp\u00eache. Le doute, comme une pierre dans la chaussure, sur cette voix qu\u2019on a quand on parle et celle qu\u2019on a quand on \u00e9crit. Deux voix, deux corps, deux rythmes. Et la question qui revient, lancinante : laquelle est la vraie ? Est-ce qu\u2019on s\u2019entend parler comme les autres nous \u00e9coutent ? Est-ce qu\u2019on se lit soi-m\u00eame comme les autres nous lisent ? Ou bien tout \u00e7a n\u2019est qu\u2019un jeu d\u2019\u00e9chos mal accord\u00e9s ? Quand tu parles, tu n\u2019es jamais seul. Toujours un autre en face, ou \u00e0 c\u00f4t\u00e9, ou m\u00eame au-dessus. Alors tu ajustes, tu tailles dans le vif de ta langue, tu fais simple pour que \u00e7a passe. Une langue de surface, fonctionnelle, avec ses silences entre les phrases courtes. Et ces mots qu\u2019on r\u00e9p\u00e8te sans m\u00eame y penser : bonjour, bonsoir, bonne journ\u00e9e. Une hypnose sociale o\u00f9 chacun joue son r\u00f4le. Mais toi, dans ce jeu-l\u00e0, tu t\u2019effaces un peu plus \u00e0 chaque fois. Et puis il y a l\u2019\u00e9criture. L\u00e0 o\u00f9 personne ne te regarde en direct. L\u00e0 o\u00f9 tu ne sais rien du lecteur, et o\u00f9 pourtant tu ne perds pas de temps \u00e0 l\u2019imaginer. L\u2019\u00e9criture n\u2019a pas besoin de plaire ni de convaincre ; elle creuse son propre sillon. Elle dilate le temps ou le contracte selon son bon vouloir. Elle agrandit un instant jusqu\u2019\u00e0 l\u2019infini ou condense des ann\u00e9es en quelques lignes. C\u2019est un espace \u00e0 part, o\u00f9 le lieu et le moment deviennent mall\u00e9ables. Mais il faut remonter loin pour comprendre pourquoi cette fracture existe entre l\u2019oral et l\u2019\u00e9crit. L\u2019enfance, toujours elle. Ce moment o\u00f9 tu as tent\u00e9 d\u2019utiliser ta propre voix et o\u00f9 personne ne t\u2019a \u00e9cout\u00e9. Ou pire : on s\u2019en est moqu\u00e9. Alors tu as appris \u00e0 parler comme tout le monde, dans une langue r\u00e9duite au strict n\u00e9cessaire. Une langue qui prot\u00e8ge mais qui ne dit rien des myst\u00e8res auxquels tu te heurtais d\u00e9j\u00e0. Et pourtant, avec le temps, une autre exigence est n\u00e9e : celle de la justesse. Dire ce qui est vrai, m\u00eame si \u00e7a brusque. Ne plus tol\u00e9rer la fausset\u00e9 dans les \u00e9changes. Parfois au point de couper court, brutalement. Mais quelle \u00e9nergie perdue \u00e0 entrer dans ces jeux sociaux pour les refl\u00e9ter comme un miroir ! \u00c0 quoi bon ? Alors \u00e9crire devient une mani\u00e8re de reprendre pied. Pas une solution simple ou d\u00e9finitive \u2014 non, \u00e9crire pose d\u2019autres probl\u00e8mes \u2014 mais une tentative d\u2019int\u00e9grit\u00e9 face aux compromis impos\u00e9s par la parole. \u00c9crire pour chercher cette voix unique qui vacille entre deux mondes. Et peut-\u00eatre que c\u2019est \u00e7a finalement : accepter que cette tension entre l\u2019oral et l\u2019\u00e9crit ne disparaisse jamais vraiment. Parce que c\u2019est l\u00e0 que tout se joue : dans ce frottement entre ce qu\u2019on montre et ce qu\u2019on est vraiment. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/imgp0700.webp?1748065071", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "oeuvres litt\u00e9raires "] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/travaux-en-cours.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/travaux-en-cours.html", "title": "Travaux en cours", "date_published": "2023-01-14T17:57:20Z", "date_modified": "2025-10-22T15:04:53Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Un peu moins disponible en fin de semaine, mais avanc\u00e9e tout de m\u00eame sur deux des 6 toiles en cours. Achet\u00e9 deux grandes toiles 137x97 cm pas encore pr\u00e9par\u00e9es. Si je parviens \u00e0 4 achev\u00e9es ce mois ci je serai bien content.<\/p>\n

huile sur toile 60x80 huile sur toile 100x80<\/p>", "content_text": "Un peu moins disponible en fin de semaine, mais avanc\u00e9e tout de m\u00eame sur deux des 6 toiles en cours. Achet\u00e9 deux grandes toiles 137x97 cm pas encore pr\u00e9par\u00e9es. Si je parviens \u00e0 4 achev\u00e9es ce mois ci je serai bien content. huile sur toile 60x80 huile sur toile 100x80 ", "image": "", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-janvier-2023.html", "title": "14 janvier 2023", "date_published": "2023-01-14T17:25:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:54:35Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\tSt Jérôme dans sa cellule 1654, Joost Van de Hamme<\/a>\n
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St J\u00e9r\u00f4me dans sa cellule 1654, Joost Van de Hamme\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

L\u2019erreur est peut-\u00eatre de croire qu\u2019il faut d\u2019abord p\u00e9n\u00e9trer profond\u00e9ment une langue \u00e9trang\u00e8re, la dominer, la ma\u00eetriser, pour traduire un texte dans cette langue. Cette id\u00e9e m\u2019obs\u00e8de depuis des ann\u00e9es. La plupart des \u00e9crivains que j\u2019admire \u2013 ceux avec lesquels se nouent des affinit\u00e9s silencieuses \u2013 sont pass\u00e9s par la traduction pour vivre. Et moi, que faisais-je dans ma jeunesse pour gagner ma vie ? Des jobs p\u00e9nibles, de ceux qu\u2019on nomme « alimentaires » par commodit\u00e9, mais qui ne nourrissent en v\u00e9rit\u00e9 qu\u2019une routine sans \u00e9clat.<\/p>\n

Je ne peux pas dire que les langues \u00e9trang\u00e8res ne m\u2019int\u00e9ressaient pas. \u00c0 chaque fois, elles m\u2019attiraient comme un aimant. Mais leur apprentissage se heurtait \u00e0 un mur : celui du pr\u00e9jug\u00e9, d\u2019un pr\u00e9suppos\u00e9 tenace qui me murmurait qu\u2019elles m\u2019\u00e9taient inaccessibles. En latin, en allemand, ce fut la d\u00e9clinaison. En math\u00e9matiques, ce furent les \u00e9quations. Ces logiques pr\u00e9cises, implacables, faisaient surgir en moi une sensation d\u2019idiotie profonde. J\u2019associais ces disciplines \u00e0 des territoires interdits, inatteignables, comme certaines femmes ou certains hommes jadis : des fantasmes d\u2019inaccessible \u00e9toile, \u00e0 la Don Quichotte.<\/p>\n

Et dans cette qu\u00eate d\u2019un inaccessible, j\u2019ai toujours oscill\u00e9 entre fascination et r\u00e9pulsion. La pr\u00e9cision, par exemple : je la r\u00eave d\u00e9mesur\u00e9e, presque tyrannique, au point qu\u2019elle devient une abstraction inatteignable. Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je me suis toujours content\u00e9 de l\u2019« \u00e0 peu pr\u00e8s ». Pas par paresse, mais par instinct de survie. M\u2019approcher trop pr\u00e8s de cette pr\u00e9cision que je v\u00e9n\u00e8re m\u2019effraie, comme si je risquais de perdre quelque chose de moi-m\u00eame en m\u2019y abandonnant.<\/p>\n

Ce matin, en \u00e9crivant, une image inattendue surgit : la sodomie. Loufoque, \u00e0 premi\u00e8re vue, mais pas tant que cela. Ce tabou \u2013 cette fronti\u00e8re intime que je me suis toujours refus\u00e9 \u00e0 franchir pleinement \u2013 m\u2019appara\u00eet soudain comme une m\u00e9taphore de mes blocages. La r\u00e9serve avec laquelle je me tiens face \u00e0 cet acte n\u2019a rien \u00e0 voir avec une quelconque morale ou une r\u00e9ticence culturelle. Elle est instinctive, visc\u00e9rale. Une peur d\u2019enfreindre une part sacr\u00e9e, chez l\u2019autre comme chez moi. Et cette peur, cette retenue, je la retrouve dans bien d\u2019autres aspects de ma vie.<\/p>\n

M\u00eame si j\u2019ai c\u00e9d\u00e9 parfois \u00e0 certaines injonctions, je n\u2019y ai jamais \u00e9prouv\u00e9 de r\u00e9el plaisir. Ce qui dominait, c\u2019\u00e9tait une culpabilit\u00e9 troublante, une conscience aigu\u00eb de la transgression. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 l\u2019origine d\u2019une d\u00e9licatesse ou d\u2019une pr\u00e9ciosit\u00e9 que je trouve en moi, \u00e0 la fois anachronique et douteuse. Une forme d\u2019hypocrisie, finalement. Car dans d\u2019autres contextes, je ne peux nier avoir \u00e9t\u00e9 un « entubeur ». Pas dans l\u2019acte, mais dans l\u2019intention. Combien de fois ai-je manipul\u00e9, contourn\u00e9, pour parvenir \u00e0 mes fins ? Et combien de fois m\u2019en suis-je excus\u00e9 en invoquant le hasard, la providence ou l\u2019inconscience ?<\/p>\n

Cette observation m\u2019am\u00e8ne \u00e0 une conclusion d\u00e9stabilisante : ma cruaut\u00e9 \u2013 ou plut\u00f4t ce que je per\u00e7ois comme ma cruaut\u00e9 \u2013 n\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019une erreur de traduction. Peut-\u00eatre que le mot juste pour me d\u00e9finir serait « compl\u00e8tement con ». Et cet aveu, aussi brutal soit-il, m\u2019apporte un certain soulagement. Il me rapproche des autres, d\u2019une mani\u00e8re in\u00e9dite, bizarre mais ind\u00e9niablement juste.<\/p>\n

Cette \u00e9trange pl\u00e9nitude me projette hors de moi-m\u00eame, dans un ailleurs o\u00f9 je ne suis plus ni humain ni animal. Juste un escargot, ou un Baphomet. Une cr\u00e9ature hybride, condamn\u00e9e \u00e0 errer entre deux \u00e9tats. Peut-\u00eatre devrais-je embrasser cette \u00e9tranget\u00e9, m\u2019y abandonner totalement. Devenir berger, par exemple, et voir si je m\u2019entends mieux avec les ch\u00e8vres qu\u2019avec les humains. Ou peut-\u00eatre cur\u00e9, ce qui, sur ce plan, friserait le pl\u00e9onasme.<\/p>", "content_text": "L\u2019erreur est peut-\u00eatre de croire qu\u2019il faut d\u2019abord p\u00e9n\u00e9trer profond\u00e9ment une langue \u00e9trang\u00e8re, la dominer, la ma\u00eetriser, pour traduire un texte dans cette langue. Cette id\u00e9e m\u2019obs\u00e8de depuis des ann\u00e9es. La plupart des \u00e9crivains que j\u2019admire \u2013 ceux avec lesquels se nouent des affinit\u00e9s silencieuses \u2013 sont pass\u00e9s par la traduction pour vivre. Et moi, que faisais-je dans ma jeunesse pour gagner ma vie ? Des jobs p\u00e9nibles, de ceux qu\u2019on nomme \"alimentaires\" par commodit\u00e9, mais qui ne nourrissent en v\u00e9rit\u00e9 qu\u2019une routine sans \u00e9clat. Je ne peux pas dire que les langues \u00e9trang\u00e8res ne m\u2019int\u00e9ressaient pas. \u00c0 chaque fois, elles m\u2019attiraient comme un aimant. Mais leur apprentissage se heurtait \u00e0 un mur : celui du pr\u00e9jug\u00e9, d\u2019un pr\u00e9suppos\u00e9 tenace qui me murmurait qu\u2019elles m\u2019\u00e9taient inaccessibles. En latin, en allemand, ce fut la d\u00e9clinaison. En math\u00e9matiques, ce furent les \u00e9quations. Ces logiques pr\u00e9cises, implacables, faisaient surgir en moi une sensation d\u2019idiotie profonde. J\u2019associais ces disciplines \u00e0 des territoires interdits, inatteignables, comme certaines femmes ou certains hommes jadis : des fantasmes d\u2019inaccessible \u00e9toile, \u00e0 la Don Quichotte. Et dans cette qu\u00eate d\u2019un inaccessible, j\u2019ai toujours oscill\u00e9 entre fascination et r\u00e9pulsion. La pr\u00e9cision, par exemple : je la r\u00eave d\u00e9mesur\u00e9e, presque tyrannique, au point qu\u2019elle devient une abstraction inatteignable. Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je me suis toujours content\u00e9 de l\u2019\"\u00e0 peu pr\u00e8s\". Pas par paresse, mais par instinct de survie. M\u2019approcher trop pr\u00e8s de cette pr\u00e9cision que je v\u00e9n\u00e8re m\u2019effraie, comme si je risquais de perdre quelque chose de moi-m\u00eame en m\u2019y abandonnant. Ce matin, en \u00e9crivant, une image inattendue surgit : la sodomie. Loufoque, \u00e0 premi\u00e8re vue, mais pas tant que cela. Ce tabou \u2013 cette fronti\u00e8re intime que je me suis toujours refus\u00e9 \u00e0 franchir pleinement \u2013 m\u2019appara\u00eet soudain comme une m\u00e9taphore de mes blocages. La r\u00e9serve avec laquelle je me tiens face \u00e0 cet acte n\u2019a rien \u00e0 voir avec une quelconque morale ou une r\u00e9ticence culturelle. Elle est instinctive, visc\u00e9rale. Une peur d\u2019enfreindre une part sacr\u00e9e, chez l\u2019autre comme chez moi. Et cette peur, cette retenue, je la retrouve dans bien d\u2019autres aspects de ma vie. M\u00eame si j\u2019ai c\u00e9d\u00e9 parfois \u00e0 certaines injonctions, je n\u2019y ai jamais \u00e9prouv\u00e9 de r\u00e9el plaisir. Ce qui dominait, c\u2019\u00e9tait une culpabilit\u00e9 troublante, une conscience aigu\u00eb de la transgression. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 l\u2019origine d\u2019une d\u00e9licatesse ou d\u2019une pr\u00e9ciosit\u00e9 que je trouve en moi, \u00e0 la fois anachronique et douteuse. Une forme d\u2019hypocrisie, finalement. Car dans d\u2019autres contextes, je ne peux nier avoir \u00e9t\u00e9 un \"entubeur\". Pas dans l\u2019acte, mais dans l\u2019intention. Combien de fois ai-je manipul\u00e9, contourn\u00e9, pour parvenir \u00e0 mes fins ? Et combien de fois m\u2019en suis-je excus\u00e9 en invoquant le hasard, la providence ou l\u2019inconscience ? Cette observation m\u2019am\u00e8ne \u00e0 une conclusion d\u00e9stabilisante : ma cruaut\u00e9 \u2013 ou plut\u00f4t ce que je per\u00e7ois comme ma cruaut\u00e9 \u2013 n\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019une erreur de traduction. Peut-\u00eatre que le mot juste pour me d\u00e9finir serait \"compl\u00e8tement con\". Et cet aveu, aussi brutal soit-il, m\u2019apporte un certain soulagement. Il me rapproche des autres, d\u2019une mani\u00e8re in\u00e9dite, bizarre mais ind\u00e9niablement juste. Cette \u00e9trange pl\u00e9nitude me projette hors de moi-m\u00eame, dans un ailleurs o\u00f9 je ne suis plus ni humain ni animal. Juste un escargot, ou un Baphomet. Une cr\u00e9ature hybride, condamn\u00e9e \u00e0 errer entre deux \u00e9tats. Peut-\u00eatre devrais-je embrasser cette \u00e9tranget\u00e9, m\u2019y abandonner totalement. Devenir berger, par exemple, et voir si je m\u2019entends mieux avec les ch\u00e8vres qu\u2019avec les humains. Ou peut-\u00eatre cur\u00e9, ce qui, sur ce plan, friserait le pl\u00e9onasme. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/joost_van_de_hamme_-_saint_jerome_in_his_cell_1654_-__meisterdrucke-1191413_.jpg?1748065123", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "peintres", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-excitation.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-excitation.html", "title": "L'excitation", "date_published": "2023-01-14T06:07:41Z", "date_modified": "2025-10-22T14:25:11Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Le cru ne t’excite que par ce qu’il sugg\u00e8re, autant dire qu’il ne t’excite pas sans cela. Que c’est la suggestion la cible. Dis-moi des mots crus mais si ceux-ci tombent d’une bouche ouvri\u00e8re, d’une bouche qui peine \u00e0 gagner son pain, d’une absence d’\u00e9ducation, d’une grossi\u00e8ret\u00e9 , d’une tendre maladresse - ce qui n’arrive jamais dans la r\u00e9alit\u00e9, mais plut\u00f4t de personnes distingu\u00e9es o\u00f9 plut\u00f4t qui s’\u00e9vertuent \u00e0 le para\u00eetre ,mais que tu soup\u00e7onnes \u00eatre d’une vulgarit\u00e9 crasse, alors tu te r\u00e9jouis aussit\u00f4t, tu t’excites d’apercevoir une terre promise, celle o\u00f9 enfin la fausset\u00e9 tombe le masque, est \u00e0 nue dans sa sauvagerie sa fragilit\u00e9, sa vuln\u00e9rabilit\u00e9. Serait-elle ainsi enfin acceptable voire aimable ? Cette guerre contre la fausset\u00e9 qui t’occupa une vie enti\u00e8re semblable \u00e0 toutes les guerres. Aussi inutile, pu\u00e9ril qu’elles le furent, le sont, le seront toujours. Dis- moi bite chatte suce l\u00e8che encore enfonce plus fort plus loin encore d\u00e9fonce moi et aussi cul queue salope salaud chienne chien couilles — vide donc ton putain de sac que l’on puisse enfin respirer et baiser comme des b\u00eates -en \u00e9loignant de nous toute cette confiture de sentiments factices hypocrites. \u00c9videmment que \u00e7a ne se fait pas, que ce sera toujours mal pris sauf si... sauf si quoi au fond le sais-tu toi-m\u00eame ? l’amphibologie de la baise et du baiser ne t’auras jamais \u00e9chapp\u00e9e, sauf que tu ne l’as jamais r\u00e9solue vraiment que tu te tiens toujours dans l’entre-deux. Tu commentes des commentaires de commentaires. Et si tu as souvent pens\u00e9 depuis cet entre-deux pouvoir te glisser au travers de la d\u00e9cision, l’\u00e9viter, tu t’es s\u00fbrement ainsi compl\u00e8tement \u00e9gar\u00e9. Et donc ton probl\u00e8me avec le choix n’est rien d’autre qu’un reflet de l’excitation que cr\u00e9e cet entre-deux. l’excitation et le doute. Puis le manque d’\u00e9tonnement au fil des ann\u00e9es de constater la d\u00e9pression caus\u00e9 par la moindre certitude. D’ailleurs en peinture ce qui t’excite c’est de ne pas savoir ce qui va arriver, tu t\u00e2tonnes, tu essaies d’attraper ton d\u00e9sir qui se d\u00e9file aussit\u00f4t que tu penses le saisir, le r\u00e9sultat ne t’importe qu’\u00e0 la fa\u00e7on d’une ejaculation et cette tristesse cette solitude qui l’accompagnent.<\/p>", "content_text": "Le cru ne t'excite que par ce qu'il sugg\u00e8re, autant dire qu'il ne t'excite pas sans cela. Que c'est la suggestion la cible. 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L’erreur est peut-\u00eatre celle qui consiste \u00e0 penser que pour traduire un texte d’une langue \u00e9trang\u00e8re, tu dois d’abord p\u00e9n\u00e9trer profond\u00e9ment dominer, ma\u00eetriser cette langue. C’est cette pens\u00e9e qui t’obs\u00e8de depuis des ann\u00e9es. La plupart des \u00e9crivains que tu admires, avec lesquels se nouent des affinit\u00e9s silencieuses, sont pratiquement tous pass\u00e9s par la traduction pour vivre. Et toi que faisais-tu dans ta jeunesse pour gagner ta vie. Des jobs p\u00e9nibles de ceux que l’on se pla\u00eet longtemps \u00e0 nommer alimentaires<\/em>. Non que tu n’y aies pas song\u00e9 plusieurs fois en t’interrogeant sur Saint J\u00e9r\u00f4me de Stridon, Kafka, Borges, Sir Richard Burton, Vian, et tout r\u00e9cemment Francois Bon, mais tu les places \u00e9videmment sur un pi\u00e9destal, ils sont des savants, des g\u00e9nies pour que toi tu te complaises dans ce personnage de pauvre type, de juif errant incapable de prendre racine en quoique ce soit. Et tu ne peux pas dire que les langues \u00e9trang\u00e8res ne t’int\u00e9ressent pas, \u00e0 chaque fois tu fus aimant\u00e9 par celles-ci. Mais le pr\u00e9jug\u00e9, le pr\u00e9suppos\u00e9 de d\u00e9part fut souvent l’\u00e9vocation d’une impossibilit\u00e9 chronique \u00e0 en tirer profit autrement que pour essayer de communiquer avec les autres s’exprimant dans ces divers langages. Mais aussi en latin, et en allemand le probl\u00e8me de la d\u00e9clinaison. Le m\u00eame blocage qu’avec les math\u00e9matiques. Comme si la sensation d’\u00eatre un idiot profond trouvait sa pl\u00e9nitude dans le surgissement d’un accusatif, d’un datif, d’une simple \u00e9quation. Ensuite bien s\u00fbr l’effort \u00e0 fournir, peser le pour et contre pour fournir cet effort d’aller \u00e9tudier chaque mot comme autant de continent, de pays. Parce qu’\u00e9vident que tu ne peux te contenter de l’\u00e0 peu pr\u00e8s comme excuse. Ce qui n’est pas la v\u00e9rit\u00e9. Tu t’es toujours content\u00e9 exactement de cet \u00e0 peu pr\u00e8s justement comme pour te tenir \u00e0 bonne distance d’une pr\u00e9cision dont tu r\u00eaves si exag\u00e9r\u00e9ment qu’elle doit toujours \u00eatre dans ta pens\u00e9e inatteignable , inaccessible comme tes fantasmes envers certaines femmes ou hommes jadis, l’inaccessible \u00e9toile de Don Quichotte, et donc au bout du bout une r\u00e9pulsion visc\u00e9rale envers la sodomie. Ce point de vue bien que loufoque quand il arrive ainsi, dans cette page d’\u00e9criture matinale ne l’est s\u00fbrement pas tant que \u00e7a. Sans doute est-ce justement l\u00e0 que pour toi la fronti\u00e8re de l’intime s’arr\u00eate nette. Et m\u00eame si plusieurs fois on te pria, que tu t’ex\u00e9cutas, tu n’en \u00e9prouvas jamais aucun plaisir r\u00e9el autre que celui d’une troublante culpabilit\u00e9. La r\u00e9serve dans laquelle tu te tiens toujours face au risque d’enfreindre une part sacr\u00e9e de l’autre ou de toi, fut toujours plus forte que ce que consid\u00e8res comme un comportement animal<\/em> Encore que ce n’est qu’une pure supputation, un clich\u00e9 car tu ne vis jamais deux animaux en train d’effectuer cet acte. Il en r\u00e9sulte l’observation d\u00e9sagr\u00e9able d’une d\u00e9licatesse, d’une pr\u00e9ciosit\u00e9 \u00e0 la fois anachronique et en tous cas douteuse. Car le mot entuber surgit presque dans la foul\u00e9e quand tu \u00e9vites de prononcer l’autre, enculer. Donc une forme d’hypocrisie. Car tu fus un entubeur, tu ne peux le nier m\u00eame si tu te r\u00e9fugies encore dans le hasard, la providence ou l’inconscience. Et l’es encore certainement malgr\u00e9 l’absence totale de passage \u00e0 l’acte d\u00e9sormais. Tu t’emp\u00eaches d’entuber. Et peut-\u00eatre qu’en allant ainsi contre ta nature si l’on veut beaucoup de blocages s’expliquent. Que ta cruaut\u00e9 finalement ne soit qu’une simple erreur de traduction. Le vrai terme est sans doute « compl\u00e8tement con ». Et cet aveu que tu te fais \u00e0 toi-m\u00eame te soulage en m\u00eame temps qu’il te rapproche du genre d’une fa\u00e7on in\u00e9dite, bizarre mais juste, et l\u00e0 c’est ind\u00e9niable, tu le sens. La pl\u00e9nitude soudaine de la sensation. Et qui t’expulse de toi-m\u00eame. Ce qui implique que tu n’es pas humain, tu es seulement un escargot, ou un Baphomet. Tu peux encore r\u00e9duire ta vie \u00e0 ce simple choix. Ou devenir berger et voir si tu t’entends mieux sur la question avec les ch\u00e8vres qu’avec n’importe qui d’autre sur cette terre. Ou cur\u00e9 car sur ce plan on frise le pl\u00e9onasme.<\/p>", "content_text": "L'erreur est peut-\u00eatre celle qui consiste \u00e0 penser que pour traduire un texte d'une langue \u00e9trang\u00e8re, tu dois d'abord p\u00e9n\u00e9trer profond\u00e9ment dominer, ma\u00eetriser cette langue. C'est cette pens\u00e9e qui t'obs\u00e8de depuis des ann\u00e9es. La plupart des \u00e9crivains que tu admires, avec lesquels se nouent des affinit\u00e9s silencieuses, sont pratiquement tous pass\u00e9s par la traduction pour vivre. Et toi que faisais-tu dans ta jeunesse pour gagner ta vie. Des jobs p\u00e9nibles de ceux que l'on se pla\u00eet longtemps \u00e0 nommer alimentaires. Non que tu n'y aies pas song\u00e9 plusieurs fois en t'interrogeant sur Saint J\u00e9r\u00f4me de Stridon, Kafka, Borges, Sir Richard Burton, Vian, et tout r\u00e9cemment Francois Bon, mais tu les places \u00e9videmment sur un pi\u00e9destal, ils sont des savants, des g\u00e9nies pour que toi tu te complaises dans ce personnage de pauvre type, de juif errant incapable de prendre racine en quoique ce soit. Et tu ne peux pas dire que les langues \u00e9trang\u00e8res ne t'int\u00e9ressent pas, \u00e0 chaque fois tu fus aimant\u00e9 par celles-ci. Mais le pr\u00e9jug\u00e9, le pr\u00e9suppos\u00e9 de d\u00e9part fut souvent l'\u00e9vocation d'une impossibilit\u00e9 chronique \u00e0 en tirer profit autrement que pour essayer de communiquer avec les autres s'exprimant dans ces divers langages. Mais aussi en latin, et en allemand le probl\u00e8me de la d\u00e9clinaison. Le m\u00eame blocage qu'avec les math\u00e9matiques. Comme si la sensation d'\u00eatre un idiot profond trouvait sa pl\u00e9nitude dans le surgissement d'un accusatif, d'un datif, d'une simple \u00e9quation. Ensuite bien s\u00fbr l'effort \u00e0 fournir, peser le pour et contre pour fournir cet effort d'aller \u00e9tudier chaque mot comme autant de continent, de pays. Parce qu'\u00e9vident que tu ne peux te contenter de l'\u00e0 peu pr\u00e8s comme excuse. Ce qui n'est pas la v\u00e9rit\u00e9. Tu t'es toujours content\u00e9 exactement de cet \u00e0 peu pr\u00e8s justement comme pour te tenir \u00e0 bonne distance d'une pr\u00e9cision dont tu r\u00eaves si exag\u00e9r\u00e9ment qu'elle doit toujours \u00eatre dans ta pens\u00e9e inatteignable , inaccessible comme tes fantasmes envers certaines femmes ou hommes jadis, l'inaccessible \u00e9toile de Don Quichotte, et donc au bout du bout une r\u00e9pulsion visc\u00e9rale envers la sodomie. Ce point de vue bien que loufoque quand il arrive ainsi, dans cette page d'\u00e9criture matinale ne l'est s\u00fbrement pas tant que \u00e7a. Sans doute est-ce justement l\u00e0 que pour toi la fronti\u00e8re de l'intime s'arr\u00eate nette. Et m\u00eame si plusieurs fois on te pria, que tu t'ex\u00e9cutas, tu n'en \u00e9prouvas jamais aucun plaisir r\u00e9el autre que celui d'une troublante culpabilit\u00e9. La r\u00e9serve dans laquelle tu te tiens toujours face au risque d'enfreindre une part sacr\u00e9e de l'autre ou de toi, fut toujours plus forte que ce que consid\u00e8res comme un comportement animal Encore que ce n'est qu'une pure supputation, un clich\u00e9 car tu ne vis jamais deux animaux en train d'effectuer cet acte. Il en r\u00e9sulte l'observation d\u00e9sagr\u00e9able d'une d\u00e9licatesse, d'une pr\u00e9ciosit\u00e9 \u00e0 la fois anachronique et en tous cas douteuse. Car le mot entuber surgit presque dans la foul\u00e9e quand tu \u00e9vites de prononcer l'autre, enculer. Donc une forme d'hypocrisie. Car tu fus un entubeur, tu ne peux le nier m\u00eame si tu te r\u00e9fugies encore dans le hasard, la providence ou l'inconscience. Et l'es encore certainement malgr\u00e9 l'absence totale de passage \u00e0 l'acte d\u00e9sormais. Tu t'emp\u00eaches d'entuber. Et peut-\u00eatre qu'en allant ainsi contre ta nature si l'on veut beaucoup de blocages s'expliquent. Que ta cruaut\u00e9 finalement ne soit qu'une simple erreur de traduction. Le vrai terme est sans doute \"compl\u00e8tement con\". Et cet aveu que tu te fais \u00e0 toi-m\u00eame te soulage en m\u00eame temps qu'il te rapproche du genre d'une fa\u00e7on in\u00e9dite, bizarre mais juste, et l\u00e0 c'est ind\u00e9niable, tu le sens. La pl\u00e9nitude soudaine de la sensation. Et qui t'expulse de toi-m\u00eame. Ce qui implique que tu n'es pas humain, tu es seulement un escargot, ou un Baphomet. Tu peux encore r\u00e9duire ta vie \u00e0 ce simple choix. Ou devenir berger et voir si tu t'entends mieux sur la question avec les ch\u00e8vres qu'avec n'importe qui d'autre sur cette terre. Ou cur\u00e9 car sur ce plan on frise le pl\u00e9onasme. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7774jpgw594-fe0ef43a-f4615.jpg?1761145048", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2023-4.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2023-4.html", "title": "13 janvier 2023-4", "date_published": "2023-01-13T17:16:00Z", "date_modified": "2025-01-19T17:16:50Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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vue du Bosphore dans les ann\u00e9es 80\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Sit\u00f4t que l\u2019on parvient \u00e0 Istanbul par la route, et surtout si l\u2019on y arrive de nuit, rien ne semble distinguer la ville de n\u2019importe quelle autre grande m\u00e9tropole europ\u00e9enne. Les n\u00e9ons, les autoroutes, le mouvement incessant des voitures : tout cela est familier. Mais le lendemain matin, en sortant d\u2019un h\u00f4tel modeste du quartier de Beyazit pour aller boire un caf\u00e9, quelque chose commence \u00e0 changer. Ce premier contact avec le marc dans la bouche, le go\u00fbt \u00e9pais du caf\u00e9 turc, r\u00e9v\u00e8le un indice d\u2019une singularit\u00e9 qui nous avait \u00e9chapp\u00e9 dans l\u2019obscurit\u00e9 de la nuit. La ville, peu \u00e0 peu, s\u2019impose \u00e0 nos sens.<\/p>\n

Si, d\u00e8s ce premier jour, on marche dans la vieille ville europ\u00e9enne en direction du Bosphore, et qu\u2019on trouve le moyen de traverser le pont vers la partie asiatique, alors tout vacille. Les odeurs, les bruits, l\u2019atmosph\u00e8re : tout \u00e9branle l\u2019\u00eatre. Ce vacillement est d\u2019abord olfactif, un souffle d\u2019\u00e9pices et de vent marin qui s\u2019entrem\u00ealent, mais il est aussi temporel. Sous les pas du visiteur s\u2019ouvre une b\u00e9ance : celle du temps. On cherche des rep\u00e8res, des souvenirs scolaires, des images sorties des manuels d\u2019histoire. On s\u2019accroche \u00e0 des clich\u00e9s poussi\u00e9reux pour expliquer, pour justifier cette sensation \u00e9trange d\u2019\u00eatre arrach\u00e9 \u00e0 son \u00e9poque et projet\u00e9 dans une vision d\u2019un Moyen-\u00c2ge bigarr\u00e9, presque caricatural.<\/p>\n

Mais ce Moyen-\u00c2ge n\u2019existe pas. C\u2019est une invention, un prisme occidental, une projection de l\u2019esprit moderne. Je le savais d\u00e9j\u00e0, mais c\u2019est en regardant ce matin les visages des jeunes pendus en Iran, sur Twitter, que cette id\u00e9e m\u2019est revenue avec une violence particuli\u00e8re. Ces jeunes gens \u2013 pendus par le r\u00e9gime en place \u2013 avaient mon \u00e2ge \u00e0 une autre \u00e9poque. Je revois les visages de mes amis d\u2019autrefois. Ces visages de jeunes Iraniens que j\u2019avais crois\u00e9s lors de mes voyages, \u00e0 une \u00e9poque o\u00f9 leur pays avait encore un go\u00fbt de modernit\u00e9. Ceux-l\u00e0 m\u00eame qui m\u2019avaient accueilli dans leur maison en \u00e9change d\u2019un simple geste : leur faire \u00e9couter quelques chansons dans le bus qui quittait la gare routi\u00e8re d\u2019Istanbul.<\/p>\n

Et je repense au Moyen-\u00c2ge que j\u2019imaginais alors, en traversant la Turquie, l\u2019Iran, le Pakistan, l\u2019Inde et la Chine. Ces pays que je taguais na\u00efvement avec mon regard occidental comme « archa\u00efques », « barbares ». J\u2019ignorais alors \u2013 ou refusais de voir \u2013 combien ces civilisations avaient \u00e9t\u00e9 florissantes, ouvertes, lumineuses. Elles avaient connu des \u00e2ges d\u2019or bien avant que l\u2019Europe n\u2019\u00e9merge de son propre Moyen-\u00c2ge. Mais ce prisme d\u00e9formant, cette id\u00e9e de « Moyen-\u00c2ge » que je trimballais, qu\u2019\u00e9tais-je all\u00e9 y chercher ? \u00c9tait-ce une forme de condescendance ? Ou le besoin de me rassurer sur ma propre modernit\u00e9, ma propre appartenance \u00e0 un monde que je pensais « \u00e9clair\u00e9 » ?<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, en relisant ces souvenirs, je comprends que ce que je voyais alors comme une barbarie \u00e9trang\u00e8re n\u2019\u00e9tait rien d\u2019autre que mon ignorance. Les \u00e9l\u00e9ments comparatifs sur lesquels je m\u2019appuyais pour juger ces cultures me font aujourd\u2019hui d\u00e9faut. Non parce que ces cultures ont chang\u00e9, mais parce que moi, je doute d\u00e9sormais de tout. La barbarie, la b\u00eatise, l\u2019ignorance : elles ne sont pas l\u00e0-bas. Elles sont partout, elles ont contamin\u00e9 ce \u00e0 quoi je croyais. Les valeurs en lesquelles je me r\u00e9fugiais semblent s\u2019\u00e9vanouir. Et ce qui reste, c\u2019est une sensation de solitude. Une solitude au c\u0153ur d\u2019un Moyen-\u00c2ge in\u00e9dit.<\/p>\n

Ce Moyen-\u00c2ge moderne n\u2019a pas de ch\u00e2teaux ni de chevaliers. Mais il a des pendaisons, des injustices, et des valeurs qui vacillent comme une flamme de chandelle, pr\u00eate \u00e0 s\u2019\u00e9teindre. Et cette flamme, j\u2019ai peur qu\u2019elle disparaisse si, par m\u00e9garde, je d\u00e9tourne les yeux.<\/p>", "content_text": "Sit\u00f4t que l\u2019on parvient \u00e0 Istanbul par la route, et surtout si l\u2019on y arrive de nuit, rien ne semble distinguer la ville de n\u2019importe quelle autre grande m\u00e9tropole europ\u00e9enne. Les n\u00e9ons, les autoroutes, le mouvement incessant des voitures : tout cela est familier. Mais le lendemain matin, en sortant d\u2019un h\u00f4tel modeste du quartier de Beyazit pour aller boire un caf\u00e9, quelque chose commence \u00e0 changer. Ce premier contact avec le marc dans la bouche, le go\u00fbt \u00e9pais du caf\u00e9 turc, r\u00e9v\u00e8le un indice d\u2019une singularit\u00e9 qui nous avait \u00e9chapp\u00e9 dans l\u2019obscurit\u00e9 de la nuit. La ville, peu \u00e0 peu, s\u2019impose \u00e0 nos sens. Si, d\u00e8s ce premier jour, on marche dans la vieille ville europ\u00e9enne en direction du Bosphore, et qu\u2019on trouve le moyen de traverser le pont vers la partie asiatique, alors tout vacille. Les odeurs, les bruits, l\u2019atmosph\u00e8re : tout \u00e9branle l\u2019\u00eatre. Ce vacillement est d\u2019abord olfactif, un souffle d\u2019\u00e9pices et de vent marin qui s\u2019entrem\u00ealent, mais il est aussi temporel. Sous les pas du visiteur s\u2019ouvre une b\u00e9ance : celle du temps. On cherche des rep\u00e8res, des souvenirs scolaires, des images sorties des manuels d\u2019histoire. On s\u2019accroche \u00e0 des clich\u00e9s poussi\u00e9reux pour expliquer, pour justifier cette sensation \u00e9trange d\u2019\u00eatre arrach\u00e9 \u00e0 son \u00e9poque et projet\u00e9 dans une vision d\u2019un Moyen-\u00c2ge bigarr\u00e9, presque caricatural. Mais ce Moyen-\u00c2ge n\u2019existe pas. C\u2019est une invention, un prisme occidental, une projection de l\u2019esprit moderne. Je le savais d\u00e9j\u00e0, mais c\u2019est en regardant ce matin les visages des jeunes pendus en Iran, sur Twitter, que cette id\u00e9e m\u2019est revenue avec une violence particuli\u00e8re. Ces jeunes gens \u2013 pendus par le r\u00e9gime en place \u2013 avaient mon \u00e2ge \u00e0 une autre \u00e9poque. Je revois les visages de mes amis d\u2019autrefois. Ces visages de jeunes Iraniens que j\u2019avais crois\u00e9s lors de mes voyages, \u00e0 une \u00e9poque o\u00f9 leur pays avait encore un go\u00fbt de modernit\u00e9. Ceux-l\u00e0 m\u00eame qui m\u2019avaient accueilli dans leur maison en \u00e9change d\u2019un simple geste : leur faire \u00e9couter quelques chansons dans le bus qui quittait la gare routi\u00e8re d\u2019Istanbul. Et je repense au Moyen-\u00c2ge que j\u2019imaginais alors, en traversant la Turquie, l\u2019Iran, le Pakistan, l\u2019Inde et la Chine. Ces pays que je taguais na\u00efvement avec mon regard occidental comme \"archa\u00efques\", \"barbares\". J\u2019ignorais alors \u2013 ou refusais de voir \u2013 combien ces civilisations avaient \u00e9t\u00e9 florissantes, ouvertes, lumineuses. Elles avaient connu des \u00e2ges d\u2019or bien avant que l\u2019Europe n\u2019\u00e9merge de son propre Moyen-\u00c2ge. Mais ce prisme d\u00e9formant, cette id\u00e9e de \"Moyen-\u00c2ge\" que je trimballais, qu\u2019\u00e9tais-je all\u00e9 y chercher ? \u00c9tait-ce une forme de condescendance ? Ou le besoin de me rassurer sur ma propre modernit\u00e9, ma propre appartenance \u00e0 un monde que je pensais \"\u00e9clair\u00e9\" ? Aujourd\u2019hui, en relisant ces souvenirs, je comprends que ce que je voyais alors comme une barbarie \u00e9trang\u00e8re n\u2019\u00e9tait rien d\u2019autre que mon ignorance. Les \u00e9l\u00e9ments comparatifs sur lesquels je m\u2019appuyais pour juger ces cultures me font aujourd\u2019hui d\u00e9faut. Non parce que ces cultures ont chang\u00e9, mais parce que moi, je doute d\u00e9sormais de tout. La barbarie, la b\u00eatise, l\u2019ignorance : elles ne sont pas l\u00e0-bas. Elles sont partout, elles ont contamin\u00e9 ce \u00e0 quoi je croyais. Les valeurs en lesquelles je me r\u00e9fugiais semblent s\u2019\u00e9vanouir. Et ce qui reste, c\u2019est une sensation de solitude. Une solitude au c\u0153ur d\u2019un Moyen-\u00c2ge in\u00e9dit. Ce Moyen-\u00c2ge moderne n\u2019a pas de ch\u00e2teaux ni de chevaliers. Mais il a des pendaisons, des injustices, et des valeurs qui vacillent comme une flamme de chandelle, pr\u00eate \u00e0 s\u2019\u00e9teindre. Et cette flamme, j\u2019ai peur qu\u2019elle disparaisse si, par m\u00e9garde, je d\u00e9tourne les yeux. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7765-1.jpg?1748065210", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2023-3.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2023-3.html", "title": "13 janvier 2023-3", "date_published": "2023-01-13T16:57:00Z", "date_modified": "2025-02-15T06:20:02Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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maison en Calabre\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

A tutto ci\u00f2 che la sfortuna \u00e8 buona<\/i>. \u00c0 toute chose, malheur est bon. Le vieil homme \u00e9dent\u00e9 ressasse cette phrase \u00e0 voix haute, comme un mantra. Sec comme une figue sans jus ni chair, il reste assis l\u00e0 presque toute la journ\u00e9e, dans la p\u00e9nombre d\u2019un recoin qu\u2019il ne quitte que pour se rendre \u00e0 la sieste. Il regarde passer les saisons depuis toujours. De temps en temps, il ajoute, en haussant les \u00e9paules : « Non sappiamo pi\u00f9 cosa pensare. On ne sait plus quoi penser. » Puis il rit, et son regard s\u2019illumine d\u2019une jeunesse incongrue, un regard d\u2019enfant perdu au milieu d\u2019un oc\u00e9an de rides. Ce coin recul\u00e9 de la Calabre semblait hors du temps, et sa sagesse ironique, un peu intemporelle.<\/p>\n

Nous venions d\u2019arriver, mon \u00e9pouse et moi, dans une petite bicoque lou\u00e9e gr\u00e2ce \u00e0 une annonce parue dans un journal local de Lyon. Les photographies prometteuses, le d\u00e9sir d\u2019explorer un endroit inconnu pour les vacances, et surtout le prix modique avaient suffi \u00e0 nous lancer dans un p\u00e9riple autoroutier de plusieurs milliers de kilom\u00e8tres. La M\u00e9gane, fatigu\u00e9e mais fid\u00e8le, avait tenu bon malgr\u00e9 les longues heures de route. Nous avions pris notre temps, fl\u00e2n\u00e9 de ville en ville, travers\u00e9 rapidement le nord de l\u2019Italie pour atteindre enfin le sud.<\/p>\n

Avant la Calabre, une halte marquante : Naples et la baie d\u2019Amalfi. Je voulais retrouver certains lieux magiques de mon adolescence, des endroits o\u00f9 j\u2019avais d\u00e9couvert, le temps d\u2019un \u00e9t\u00e9, \u00e0 la fois le go\u00fbt incomparable de la pizza et les premiers \u00e9mois provoqu\u00e9s par le grain doux des peaux mates et les regards sombres des ragazze. Mon \u00e9pouse, toujours curieuse de remonter aux sources de mes r\u00e9cits, n\u2019y voyait pas d\u2019inconv\u00e9nient. Nous nous lan\u00e7\u00e2mes donc \u00e0 la recherche du vieil h\u00f4tel de Meta di Sorrento, l\u2019Arencetto, et de cette fameuse pizzeria. Contre toute attente, nous retrouv\u00e2mes l\u2019h\u00f4tel. Il \u00e9tait ferm\u00e9. Quant \u00e0 la pizzeria, apr\u00e8s un labyrinthe de ruelles \u00e9cras\u00e9es de lumi\u00e8re et d\u2019ombre, elle apparut enfin. Aussit\u00f4t, je ressentis une sensation \u00e9trange et d\u00e9sagr\u00e9able : le lieu semblait r\u00e9tr\u00e9ci, rapetiss\u00e9 par les ann\u00e9es. Les couches de souvenirs, de fantasmes, de r\u00eaves patiemment accumul\u00e9es s\u2019\u00e9vanouirent d\u2019un coup, laissant place \u00e0 un squelette dess\u00e9ch\u00e9. Ce fut une confrontation brutale avec la r\u00e9alit\u00e9. La salle \u00e9tait quasi d\u00e9serte, et la p\u00e2te avait un go\u00fbt de carton. Nous en r\u00eemes en quittant Sorrente, le plein fait \u00e0 une station-service. Nous \u00e9tions bel et bien en vacances. Le temps \u00e9tait splendide, et nous avions ce luxe pr\u00e9cieux : du temps infini devant nous.<\/p>\n

Puis vint la petite maison calabraise. L\u00e0 encore, la r\u00e9alit\u00e9 d\u00e9\u00e7ut. Tout \u00e9tait vieillot, d\u00e9labr\u00e9. Ce qui, sur les photographies, paraissait charmant et pittoresque s\u2019av\u00e9ra triste et poussi\u00e9reux. En faisant le tour des pi\u00e8ces, mon \u00e9pouse laissa \u00e9clater sa col\u00e8re : « Tu trouves toujours des excuses \u00e0 tout le monde, mais l\u00e0, tu vas quand m\u00eame reconna\u00eetre qu\u2019on s\u2019est fait avoir, non ? » Pour une fois, je dus lui donner raison. Nous avions nourri tant d\u2019attentes autour de ce voyage, esp\u00e9rant \u00e9chapper au marasme ambiant, que cette d\u00e9ception paraissait encore plus cruelle.<\/p>\n

C\u2019est alors que me revint \u00e0 l\u2019esprit le livre que j\u2019avais lu quelques semaines avant notre d\u00e9part : Une maison en Calabre de Georges Haldas. J\u2019avais \u00e9t\u00e9 stup\u00e9fi\u00e9 par la mani\u00e8re dont son narrateur d\u00e9crivait, avec un m\u00e9lange de d\u00e9sillusion et de tendresse, une exp\u00e9rience semblable \u00e0 la n\u00f4tre. Comme lui, nous avions \u00e9t\u00e9 attir\u00e9s par l\u2019id\u00e9e d\u2019un refuge parfait, et comme lui, nous nous retrouvions face \u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 bancale, loin de nos attentes. J\u2019aurais voulu partager cette co\u00efncidence avec mon \u00e9pouse, lui dire que nous \u00e9tions en train de vivre presque exactement la m\u00eame chose que dans ce livre. Mais la mine sombre qu\u2019elle affichait me dissuada d\u2019en parler sur le moment.<\/p>\n

Face \u00e0 cette impasse, nous d\u00e9cid\u00e2mes de nous baigner. \u00c0 deux pas, un petit chemin bord\u00e9 de figuiers menait \u00e0 une plage extraordinaire, absolument d\u00e9serte. Pas une \u00e2me, comme si les habitants du village ignoraient jusqu\u2019\u00e0 son existence. Au loin, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 du bras de mer qui s\u00e9pare la Calabre de la Sicile, l\u2019Etna domine l\u2019horizon. Grosse masse d\u2019un bleu sombre, il exhalait ce jour l\u00e0 de grandes volutes blanches. Le spectacle \u00e9tait saisissant. Ce moment suspendu face \u00e0 la puissance brute de la nature chassa tout ressentiment. Le lendemain, nous quitt\u00e2mes la Calabre de bonne heure, embarquant sur un bac pour rejoindre la Sicile.<\/p>\n

En Calabre, il nous avait \u00e9t\u00e9 impossible d\u2019accuser qui que ce soit de notre d\u00e9ception. Pas la propri\u00e9taire, une petite dame cordiale qui nous avait re\u00e7us dans sa maison proprette pr\u00e8s de Lyon. Pas la maison elle-m\u00eame, qui n\u2019\u00e9tait rien d\u2019autre que ce qu\u2019elle \u00e9tait. Pas m\u00eame notre na\u00efvet\u00e9. La Calabre nous avait confront\u00e9s au fameux principe de r\u00e9alit\u00e9, celui qui, t\u00f4t ou tard, vous casse les dents. Nous avions fui, comme on \u00e9chappe \u00e0 une le\u00e7on trop dure \u00e0 entendre, pr\u00e9f\u00e9rant nous r\u00e9fugier dans l\u2019illusion d\u2019un r\u00eave.<\/p>\n

En Sicile, les souvenirs revinrent. Une sortie d\u2019autoroute r\u00e9veilla des images d\u2019un village de p\u00eacheurs, Sferra di Cavello. Je revis un camping o\u00f9 je passais mes journ\u00e9es \u00e0 transpirer sous une tente Trigano, regardant de loin un h\u00f4tel cinq \u00e9toiles surplombant la mer. Cette fois, la crise \u00e9conomique avait laiss\u00e9 l\u2019h\u00f4tel vide, et nous trouv\u00e2mes une chambre lumineuse \u00e0 un prix modique. L\u00e0 encore, je ne savais pas trop quoi en penser. \u00c9tait-ce un hasard ou un clin d\u2019\u0153il du destin ?<\/p>\n

Peut-\u00eatre qu\u2019effectivement, comme le disait le vieil homme en Calabre, \u00e0 toute chose, malheur est bon.<\/p>", "content_text": "{A tutto ci\u00f2 che la sfortuna \u00e8 buona}. \u00c0 toute chose, malheur est bon. Le vieil homme \u00e9dent\u00e9 ressasse cette phrase \u00e0 voix haute, comme un mantra. Sec comme une figue sans jus ni chair, il reste assis l\u00e0 presque toute la journ\u00e9e, dans la p\u00e9nombre d\u2019un recoin qu\u2019il ne quitte que pour se rendre \u00e0 la sieste. Il regarde passer les saisons depuis toujours. De temps en temps, il ajoute, en haussant les \u00e9paules : \u00ab Non sappiamo pi\u00f9 cosa pensare. On ne sait plus quoi penser. \u00bb Puis il rit, et son regard s\u2019illumine d\u2019une jeunesse incongrue, un regard d\u2019enfant perdu au milieu d\u2019un oc\u00e9an de rides. Ce coin recul\u00e9 de la Calabre semblait hors du temps, et sa sagesse ironique, un peu intemporelle. Nous venions d\u2019arriver, mon \u00e9pouse et moi, dans une petite bicoque lou\u00e9e gr\u00e2ce \u00e0 une annonce parue dans un journal local de Lyon. Les photographies prometteuses, le d\u00e9sir d\u2019explorer un endroit inconnu pour les vacances, et surtout le prix modique avaient suffi \u00e0 nous lancer dans un p\u00e9riple autoroutier de plusieurs milliers de kilom\u00e8tres. La M\u00e9gane, fatigu\u00e9e mais fid\u00e8le, avait tenu bon malgr\u00e9 les longues heures de route. Nous avions pris notre temps, fl\u00e2n\u00e9 de ville en ville, travers\u00e9 rapidement le nord de l\u2019Italie pour atteindre enfin le sud. Avant la Calabre, une halte marquante : Naples et la baie d\u2019Amalfi. Je voulais retrouver certains lieux magiques de mon adolescence, des endroits o\u00f9 j\u2019avais d\u00e9couvert, le temps d\u2019un \u00e9t\u00e9, \u00e0 la fois le go\u00fbt incomparable de la pizza et les premiers \u00e9mois provoqu\u00e9s par le grain doux des peaux mates et les regards sombres des ragazze. Mon \u00e9pouse, toujours curieuse de remonter aux sources de mes r\u00e9cits, n\u2019y voyait pas d\u2019inconv\u00e9nient. Nous nous lan\u00e7\u00e2mes donc \u00e0 la recherche du vieil h\u00f4tel de Meta di Sorrento, l\u2019Arencetto, et de cette fameuse pizzeria. Contre toute attente, nous retrouv\u00e2mes l\u2019h\u00f4tel. Il \u00e9tait ferm\u00e9. Quant \u00e0 la pizzeria, apr\u00e8s un labyrinthe de ruelles \u00e9cras\u00e9es de lumi\u00e8re et d\u2019ombre, elle apparut enfin. Aussit\u00f4t, je ressentis une sensation \u00e9trange et d\u00e9sagr\u00e9able : le lieu semblait r\u00e9tr\u00e9ci, rapetiss\u00e9 par les ann\u00e9es. Les couches de souvenirs, de fantasmes, de r\u00eaves patiemment accumul\u00e9es s\u2019\u00e9vanouirent d\u2019un coup, laissant place \u00e0 un squelette dess\u00e9ch\u00e9. Ce fut une confrontation brutale avec la r\u00e9alit\u00e9. La salle \u00e9tait quasi d\u00e9serte, et la p\u00e2te avait un go\u00fbt de carton. Nous en r\u00eemes en quittant Sorrente, le plein fait \u00e0 une station-service. Nous \u00e9tions bel et bien en vacances. Le temps \u00e9tait splendide, et nous avions ce luxe pr\u00e9cieux : du temps infini devant nous. Puis vint la petite maison calabraise. L\u00e0 encore, la r\u00e9alit\u00e9 d\u00e9\u00e7ut. Tout \u00e9tait vieillot, d\u00e9labr\u00e9. Ce qui, sur les photographies, paraissait charmant et pittoresque s\u2019av\u00e9ra triste et poussi\u00e9reux. En faisant le tour des pi\u00e8ces, mon \u00e9pouse laissa \u00e9clater sa col\u00e8re : \u00ab Tu trouves toujours des excuses \u00e0 tout le monde, mais l\u00e0, tu vas quand m\u00eame reconna\u00eetre qu\u2019on s\u2019est fait avoir, non ? \u00bb Pour une fois, je dus lui donner raison. Nous avions nourri tant d\u2019attentes autour de ce voyage, esp\u00e9rant \u00e9chapper au marasme ambiant, que cette d\u00e9ception paraissait encore plus cruelle. C\u2019est alors que me revint \u00e0 l\u2019esprit le livre que j\u2019avais lu quelques semaines avant notre d\u00e9part : Une maison en Calabre de Georges Haldas. J\u2019avais \u00e9t\u00e9 stup\u00e9fi\u00e9 par la mani\u00e8re dont son narrateur d\u00e9crivait, avec un m\u00e9lange de d\u00e9sillusion et de tendresse, une exp\u00e9rience semblable \u00e0 la n\u00f4tre. Comme lui, nous avions \u00e9t\u00e9 attir\u00e9s par l\u2019id\u00e9e d\u2019un refuge parfait, et comme lui, nous nous retrouvions face \u00e0 une r\u00e9alit\u00e9 bancale, loin de nos attentes. J\u2019aurais voulu partager cette co\u00efncidence avec mon \u00e9pouse, lui dire que nous \u00e9tions en train de vivre presque exactement la m\u00eame chose que dans ce livre. Mais la mine sombre qu\u2019elle affichait me dissuada d\u2019en parler sur le moment. Face \u00e0 cette impasse, nous d\u00e9cid\u00e2mes de nous baigner. \u00c0 deux pas, un petit chemin bord\u00e9 de figuiers menait \u00e0 une plage extraordinaire, absolument d\u00e9serte. Pas une \u00e2me, comme si les habitants du village ignoraient jusqu\u2019\u00e0 son existence. Au loin, de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 du bras de mer qui s\u00e9pare la Calabre de la Sicile, l\u2019Etna domine l\u2019horizon. Grosse masse d\u2019un bleu sombre, il exhalait ce jour l\u00e0 de grandes volutes blanches. Le spectacle \u00e9tait saisissant. Ce moment suspendu face \u00e0 la puissance brute de la nature chassa tout ressentiment. Le lendemain, nous quitt\u00e2mes la Calabre de bonne heure, embarquant sur un bac pour rejoindre la Sicile. En Calabre, il nous avait \u00e9t\u00e9 impossible d\u2019accuser qui que ce soit de notre d\u00e9ception. Pas la propri\u00e9taire, une petite dame cordiale qui nous avait re\u00e7us dans sa maison proprette pr\u00e8s de Lyon. Pas la maison elle-m\u00eame, qui n\u2019\u00e9tait rien d\u2019autre que ce qu\u2019elle \u00e9tait. Pas m\u00eame notre na\u00efvet\u00e9. La Calabre nous avait confront\u00e9s au fameux principe de r\u00e9alit\u00e9, celui qui, t\u00f4t ou tard, vous casse les dents. Nous avions fui, comme on \u00e9chappe \u00e0 une le\u00e7on trop dure \u00e0 entendre, pr\u00e9f\u00e9rant nous r\u00e9fugier dans l\u2019illusion d\u2019un r\u00eave. En Sicile, les souvenirs revinrent. Une sortie d\u2019autoroute r\u00e9veilla des images d\u2019un village de p\u00eacheurs, Sferra di Cavello. Je revis un camping o\u00f9 je passais mes journ\u00e9es \u00e0 transpirer sous une tente Trigano, regardant de loin un h\u00f4tel cinq \u00e9toiles surplombant la mer. Cette fois, la crise \u00e9conomique avait laiss\u00e9 l\u2019h\u00f4tel vide, et nous trouv\u00e2mes une chambre lumineuse \u00e0 un prix modique. L\u00e0 encore, je ne savais pas trop quoi en penser. \u00c9tait-ce un hasard ou un clin d\u2019\u0153il du destin ? 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bonjour-monsieur-courbet\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le corps est d\u00e9j\u00e0 si difficile \u00e0 mouvoir que lui ajouter le poids de valises, fussent-elles \u00e0 roulettes, de malles avec leurs arm\u00e9es de porteurs, toute cette logistique accompagnant une volont\u00e9 de confort dans un d\u00e9placement, un voyage, para\u00eet ridicule, voire totalement erron\u00e9. C\u2019est une \u00e9vidence que l\u2019on d\u00e9couvre assez vite : ce poids suppl\u00e9mentaire, visible ou invisible, freine autant l\u2019\u00e9lan que la pens\u00e9e. Ensuite, la question du choix surgit, accompagn\u00e9e du doute sur la mani\u00e8re dont on a d\u00e9cid\u00e9 de voyager. Comme si ce confort, ce « boulet attach\u00e9 au pied », imposait sa logique, et qu\u2019on ne savait plus si c\u2019\u00e9tait lui qui dirigeait le voyage ou nous.<\/p>\n

Mais n\u2019ayant jamais eu, par ta naissance, ton \u00e9ducation, et surtout ta volont\u00e9 visc\u00e9rale \u00e0 leur r\u00e9sister, le go\u00fbt du luxe, tu as tr\u00e8s t\u00f4t appris \u00e0 voyager l\u00e9ger. Plut\u00f4t que de t\u2019encombrer de choses lourdes \u00e0 transporter, tu as pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 l\u2019usage du sac-tube, du petit sac \u00e0 dos, de la besace. Des objets \u00e0 la fois utiles et symboliques, que tu pourrais presque qualifier d\u2019outils de survie. Ce choix, bien s\u00fbr, t\u2019obligeait \u00e0 tirer un trait sur quantit\u00e9 d\u2019objets rang\u00e9s dans le domaine de l\u2019indispensable pour la plupart des gens. Pas de manteaux chauds « au cas o\u00f9 », pas de chaussures de rechange, pas de trousses de premiers secours que l\u2019on remplit souvent pour se rassurer davantage que pour en faire usage. Ces absences, loin de te frustrer, devenaient presque une affirmation : partir avec moins, c\u2019\u00e9tait te charger de toi-m\u00eame, uniquement.<\/p>\n

M\u00eame lorsque tu as cess\u00e9 de voyager, r\u00e9duisant tes d\u00e9placements au strict minimum impos\u00e9 par la contingence, cette habitude de voyager l\u00e9ger ne t\u2019a jamais quitt\u00e9. Pourtant, aujourd\u2019hui, en examinant la sc\u00e8ne de ton quotidien, un doute s\u2019invite. Une sorte de contradiction entre ce que tu crois \u00eatre et ce que tu es vraiment. Tu te dis : si l\u00e9ger penses-tu \u00eatre dans cet instant, il est probable que tu te leurres. Ce toit au-dessus de ta t\u00eate, ces meubles, dont certains prennent la poussi\u00e8re dans la cave ou le grenier, ces milliers de livres que tu ne relis presque plus, mais qui forment autour de toi une biblioth\u00e8que monumentale, comme un rempart de papier. Et la liste pourrait s\u2019allonger : une vieille lampe bancale qui n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 allum\u00e9e depuis des ann\u00e9es mais dont tu ne peux te s\u00e9parer, des souvenirs entass\u00e9s dans des bo\u00eetes qui n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 ouvertes depuis ta derni\u00e8re « grande » tentative de tri. N\u2019es-tu pas finalement devenu l\u2019habitant d\u2019un mus\u00e9e du superflu ? Une sorte de conservateur de tout ce que tu voulais fuir autrefois.<\/p>\n

Il en r\u00e9sulte parfois des envies effrayantes. Des \u00e9lans presque sauvages, que tu chasses aussit\u00f4t de ton esprit de peur qu\u2019ils ne t\u2019incitent, comme jadis, \u00e0 les suivre. Par exemple, cette envie de reprendre ce vieux sac-tube. De prendre un train pour atteindre la mer, un port pour rejoindre un autre continent, t\u2019y perdre. Devenir mendiant dans une rue d\u2019une ville quelconque, et, depuis ce point de vue retrouv\u00e9, exercer ton attention au monde. Observer le grouillement des passants, laisser ton regard se cogner \u00e0 la vitrine d\u2019un caf\u00e9, suivre la lente trajectoire d\u2019un enfant courant apr\u00e8s un ballon, \u00eatre \u00e9branl\u00e9 par cette splendeur et cette mis\u00e8re m\u00eal\u00e9es.<\/p>\n

Mais, bien s\u00fbr, tu t\u2019inventes une raison, ou plut\u00f4t une excuse : le sac-tube comme les pieds en sang ne sont que des m\u00e9taphores. Voyager ainsi n\u2019est plus une option. Ce serait pu\u00e9ril, peut-\u00eatre m\u00eame l\u00e2che. La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que le seul bagage n\u00e9cessaire, celui qui ne te quitte jamais, n\u2019est rien d\u2019autre que l\u2019attention.<\/p>\n

L\u2019attention. Ce mot presque banal, pourtant si vaste qu\u2019il semble toujours te glisser entre les doigts quand tu veux le cerner. De quoi aurais-tu besoin \u00e0 part elle ? Elle seule te permet de voyager, m\u00eame dans ton immobilit\u00e9. En quoi consiste-t-elle ? Ce n\u2019est pas juste une question de regarder ou d\u2019\u00e9couter, mais d\u2019habiter pleinement ce que tu per\u00e7ois, jusqu\u2019\u00e0 en effacer tes propres contours. L\u2019attention te pousse \u00e0 remarquer la lumi\u00e8re particuli\u00e8re d\u2019un matin d\u2019hiver, la fa\u00e7on dont elle dessine sur le mur une cartographie \u00e9ph\u00e9m\u00e8re avec les ombres des objets. Elle te fait t\u2019arr\u00eater sur des d\u00e9tails insignifiants, comme les craquelures d\u2019un mur ou la courbe d\u2019une cuill\u00e8re laiss\u00e9e sur la table. Elle te rappelle que tout est l\u00e0, vivant, m\u00eame dans ce que tu croyais fig\u00e9 ou mort.<\/p>\n

C\u2019est l\u2019attention qui transforme le voyage en acte de pr\u00e9sence. Elle est le tamis qui, dans le flot incessant du quotidien, permet de chercher l\u2019or de la rivi\u00e8re. M\u00eame ici, dans cette pi\u00e8ce o\u00f9 tu es rest\u00e9 immobile si longtemps, elle d\u00e9place les fronti\u00e8res du monde. Tu peux la cultiver, non comme une discipline rigide, mais comme un souffle, un rel\u00e2chement, un \u00e9lan int\u00e9rieur.<\/p>\n

Et c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0 que r\u00e9side ton paradoxe. Toi qui as si souvent r\u00eav\u00e9 d\u2019errance et d\u2019horizons lointains, c\u2019est dans cette immobilit\u00e9 que tu as appris \u00e0 voyager. Tu te rappelles que voyager l\u00e9ger ne signifie pas fuir ou rejeter tout ce que l\u2019on poss\u00e8de, mais simplement porter en soi le poids d\u2019une vie, aussi l\u00e9g\u00e8re ou lourde soit-elle, avec lucidit\u00e9 et humour. Voil\u00e0 ce qui compte : ne pas se prendre trop au s\u00e9rieux, car apr\u00e8s tout, comme tu le dis souvent, le seul vrai luxe dans cette existence, c\u2019est peut-\u00eatre de voyager avec rien d\u2019autre que l\u2019attention et une bonne dose de second degr\u00e9.<\/p>", "content_text": "Le corps est d\u00e9j\u00e0 si difficile \u00e0 mouvoir que lui ajouter le poids de valises, fussent-elles \u00e0 roulettes, de malles avec leurs arm\u00e9es de porteurs, toute cette logistique accompagnant une volont\u00e9 de confort dans un d\u00e9placement, un voyage, para\u00eet ridicule, voire totalement erron\u00e9. C\u2019est une \u00e9vidence que l\u2019on d\u00e9couvre assez vite : ce poids suppl\u00e9mentaire, visible ou invisible, freine autant l\u2019\u00e9lan que la pens\u00e9e. Ensuite, la question du choix surgit, accompagn\u00e9e du doute sur la mani\u00e8re dont on a d\u00e9cid\u00e9 de voyager. Comme si ce confort, ce \"boulet attach\u00e9 au pied\", imposait sa logique, et qu\u2019on ne savait plus si c\u2019\u00e9tait lui qui dirigeait le voyage ou nous. Mais n\u2019ayant jamais eu, par ta naissance, ton \u00e9ducation, et surtout ta volont\u00e9 visc\u00e9rale \u00e0 leur r\u00e9sister, le go\u00fbt du luxe, tu as tr\u00e8s t\u00f4t appris \u00e0 voyager l\u00e9ger. Plut\u00f4t que de t\u2019encombrer de choses lourdes \u00e0 transporter, tu as pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 l\u2019usage du sac-tube, du petit sac \u00e0 dos, de la besace. Des objets \u00e0 la fois utiles et symboliques, que tu pourrais presque qualifier d\u2019outils de survie. Ce choix, bien s\u00fbr, t\u2019obligeait \u00e0 tirer un trait sur quantit\u00e9 d\u2019objets rang\u00e9s dans le domaine de l\u2019indispensable pour la plupart des gens. Pas de manteaux chauds \"au cas o\u00f9\", pas de chaussures de rechange, pas de trousses de premiers secours que l\u2019on remplit souvent pour se rassurer davantage que pour en faire usage. Ces absences, loin de te frustrer, devenaient presque une affirmation : partir avec moins, c\u2019\u00e9tait te charger de toi-m\u00eame, uniquement. M\u00eame lorsque tu as cess\u00e9 de voyager, r\u00e9duisant tes d\u00e9placements au strict minimum impos\u00e9 par la contingence, cette habitude de voyager l\u00e9ger ne t\u2019a jamais quitt\u00e9. Pourtant, aujourd\u2019hui, en examinant la sc\u00e8ne de ton quotidien, un doute s\u2019invite. Une sorte de contradiction entre ce que tu crois \u00eatre et ce que tu es vraiment. Tu te dis : si l\u00e9ger penses-tu \u00eatre dans cet instant, il est probable que tu te leurres. Ce toit au-dessus de ta t\u00eate, ces meubles, dont certains prennent la poussi\u00e8re dans la cave ou le grenier, ces milliers de livres que tu ne relis presque plus, mais qui forment autour de toi une biblioth\u00e8que monumentale, comme un rempart de papier. Et la liste pourrait s\u2019allonger : une vieille lampe bancale qui n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 allum\u00e9e depuis des ann\u00e9es mais dont tu ne peux te s\u00e9parer, des souvenirs entass\u00e9s dans des bo\u00eetes qui n\u2019ont pas \u00e9t\u00e9 ouvertes depuis ta derni\u00e8re \"grande\" tentative de tri. N\u2019es-tu pas finalement devenu l\u2019habitant d\u2019un mus\u00e9e du superflu ? Une sorte de conservateur de tout ce que tu voulais fuir autrefois. Il en r\u00e9sulte parfois des envies effrayantes. Des \u00e9lans presque sauvages, que tu chasses aussit\u00f4t de ton esprit de peur qu\u2019ils ne t\u2019incitent, comme jadis, \u00e0 les suivre. Par exemple, cette envie de reprendre ce vieux sac-tube. De prendre un train pour atteindre la mer, un port pour rejoindre un autre continent, t\u2019y perdre. Devenir mendiant dans une rue d\u2019une ville quelconque, et, depuis ce point de vue retrouv\u00e9, exercer ton attention au monde. Observer le grouillement des passants, laisser ton regard se cogner \u00e0 la vitrine d\u2019un caf\u00e9, suivre la lente trajectoire d\u2019un enfant courant apr\u00e8s un ballon, \u00eatre \u00e9branl\u00e9 par cette splendeur et cette mis\u00e8re m\u00eal\u00e9es. Mais, bien s\u00fbr, tu t\u2019inventes une raison, ou plut\u00f4t une excuse : le sac-tube comme les pieds en sang ne sont que des m\u00e9taphores. Voyager ainsi n\u2019est plus une option. Ce serait pu\u00e9ril, peut-\u00eatre m\u00eame l\u00e2che. La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que le seul bagage n\u00e9cessaire, celui qui ne te quitte jamais, n\u2019est rien d\u2019autre que l\u2019attention. L\u2019attention. Ce mot presque banal, pourtant si vaste qu\u2019il semble toujours te glisser entre les doigts quand tu veux le cerner. De quoi aurais-tu besoin \u00e0 part elle ? Elle seule te permet de voyager, m\u00eame dans ton immobilit\u00e9. En quoi consiste-t-elle ? Ce n\u2019est pas juste une question de regarder ou d\u2019\u00e9couter, mais d\u2019habiter pleinement ce que tu per\u00e7ois, jusqu\u2019\u00e0 en effacer tes propres contours. L\u2019attention te pousse \u00e0 remarquer la lumi\u00e8re particuli\u00e8re d\u2019un matin d\u2019hiver, la fa\u00e7on dont elle dessine sur le mur une cartographie \u00e9ph\u00e9m\u00e8re avec les ombres des objets. Elle te fait t\u2019arr\u00eater sur des d\u00e9tails insignifiants, comme les craquelures d\u2019un mur ou la courbe d\u2019une cuill\u00e8re laiss\u00e9e sur la table. Elle te rappelle que tout est l\u00e0, vivant, m\u00eame dans ce que tu croyais fig\u00e9 ou mort. C\u2019est l\u2019attention qui transforme le voyage en acte de pr\u00e9sence. Elle est le tamis qui, dans le flot incessant du quotidien, permet de chercher l\u2019or de la rivi\u00e8re. M\u00eame ici, dans cette pi\u00e8ce o\u00f9 tu es rest\u00e9 immobile si longtemps, elle d\u00e9place les fronti\u00e8res du monde. Tu peux la cultiver, non comme une discipline rigide, mais comme un souffle, un rel\u00e2chement, un \u00e9lan int\u00e9rieur. Et c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0 que r\u00e9side ton paradoxe. Toi qui as si souvent r\u00eav\u00e9 d\u2019errance et d\u2019horizons lointains, c\u2019est dans cette immobilit\u00e9 que tu as appris \u00e0 voyager. Tu te rappelles que voyager l\u00e9ger ne signifie pas fuir ou rejeter tout ce que l\u2019on poss\u00e8de, mais simplement porter en soi le poids d\u2019une vie, aussi l\u00e9g\u00e8re ou lourde soit-elle, avec lucidit\u00e9 et humour. Voil\u00e0 ce qui compte : ne pas se prendre trop au s\u00e9rieux, car apr\u00e8s tout, comme tu le dis souvent, le seul vrai luxe dans cette existence, c\u2019est peut-\u00eatre de voyager avec rien d\u2019autre que l\u2019attention et une bonne dose de second degr\u00e9.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/6-the-meeting-bonjour-monsieur-courbet-realist-realism-painter-gustave-courbet-360x360.jpg?1748065129", "tags": ["peintres"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2023.html", "title": "13 janvier 2023", "date_published": "2023-01-13T10:45:00Z", "date_modified": "2025-01-19T10:46:24Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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propagande vintage\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t
<\/span>https:\/\/prisonniers-de-guerre.fr\/indexstooo\/<\/span><\/a>\n<\/div>\n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Les affiches de voyages contiennent tant d\u2019images attendues inconsciemment que l\u2019\u0153il les repousse aussit\u00f4t qu\u2019il les voit. Il glisse, s\u2019\u00e9vade dans une p\u00e9riph\u00e9rie proche, imm\u00e9diate d\u00e9sormais, fuit ces images pour se r\u00e9fugier sur le cr\u00e9pi d\u2019un mur, une fissure, une tache de ciment, un papier gras, un m\u00e9got roulant au sol. D\u00e9rapage d\u2019un \u0153il effray\u00e9, d\u00e9go\u00fbt\u00e9. Un \u0153il qui ne voudrait plus jamais voir ce qu\u2019il a d\u00e9j\u00e0 tant vu.<\/p>\n

Et l\u2019accompagne, ou le pousse, une urgence \u00e0 se r\u00e9fugier, \u00e0 rejoindre, m\u00eame si elle est \u00e2pre, rugueuse, la s\u00e9curit\u00e9 de ce que tu nommes la r\u00e9alit\u00e9. Ce concept de voyage, qui utilise tous les codes de la s\u00e9duction pour t\u2019embobiner, t\u2019est devenu insupportable. Peut-\u00eatre parce qu\u2019autrefois tu fus si bon public. Tu t\u2019\u00e9garais dans la r\u00eaverie de devenir tel ou tel autre voyageur, mais tu n\u2019\u00e9tais pas toi. Tu poussais la b\u00eatise vers ce qu\u2019elle peut cacher de plus ultime, de plus ridicule ou tragique : le fait d\u2019\u00eatre \u00e0 ce point idiot d\u2019aller jusqu\u2019au bout.<\/p>\n

R\u00e9aliser des fantasmes qui, en outre, ne t\u2019appartiennent pas, mais rel\u00e8vent d\u2019une illusion collective, c\u2019est justement ce qu\u2019il ne faut jamais faire. Tout d\u00e9sir s\u2019y \u00e9puise et sombre dans l\u2019ennui. C\u2019est ainsi qu\u2019on s\u2019imagine toujours en vie, alors qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9, on se retrouve sonn\u00e9 par la rapidit\u00e9 avec laquelle on a pass\u00e9 le temps, la fronti\u00e8re. Et soudain, la flamme est souffl\u00e9e. On parvient au pays des morts.<\/p>\n

Voil\u00e0 ce qui ne va pas avec les affiches de voyage : elles te rappellent toutes que tu es mort. Et cela aussi pourrait t\u2019attrister, si tu ne conservais pas malgr\u00e9 tout un peu d\u2019humour. Car tout compte fait, cette mort n\u2019est pas si terrible. Parfois, tu n\u2019es pas loin d\u2019accepter qu\u2019elle soit m\u00eame plus int\u00e9ressante \u00e0 vivre que n\u2019importe quelle autre vie v\u00e9cue autrefois.<\/p>", "content_text": "Les affiches de voyages contiennent tant d\u2019images attendues inconsciemment que l\u2019\u0153il les repousse aussit\u00f4t qu\u2019il les voit. Il glisse, s\u2019\u00e9vade dans une p\u00e9riph\u00e9rie proche, imm\u00e9diate d\u00e9sormais, fuit ces images pour se r\u00e9fugier sur le cr\u00e9pi d\u2019un mur, une fissure, une tache de ciment, un papier gras, un m\u00e9got roulant au sol. D\u00e9rapage d\u2019un \u0153il effray\u00e9, d\u00e9go\u00fbt\u00e9. Un \u0153il qui ne voudrait plus jamais voir ce qu\u2019il a d\u00e9j\u00e0 tant vu. Et l\u2019accompagne, ou le pousse, une urgence \u00e0 se r\u00e9fugier, \u00e0 rejoindre, m\u00eame si elle est \u00e2pre, rugueuse, la s\u00e9curit\u00e9 de ce que tu nommes la r\u00e9alit\u00e9. Ce concept de voyage, qui utilise tous les codes de la s\u00e9duction pour t\u2019embobiner, t\u2019est devenu insupportable. Peut-\u00eatre parce qu\u2019autrefois tu fus si bon public. Tu t\u2019\u00e9garais dans la r\u00eaverie de devenir tel ou tel autre voyageur, mais tu n\u2019\u00e9tais pas toi. Tu poussais la b\u00eatise vers ce qu\u2019elle peut cacher de plus ultime, de plus ridicule ou tragique : le fait d\u2019\u00eatre \u00e0 ce point idiot d\u2019aller jusqu\u2019au bout. R\u00e9aliser des fantasmes qui, en outre, ne t\u2019appartiennent pas, mais rel\u00e8vent d\u2019une illusion collective, c\u2019est justement ce qu\u2019il ne faut jamais faire. Tout d\u00e9sir s\u2019y \u00e9puise et sombre dans l\u2019ennui. C\u2019est ainsi qu\u2019on s\u2019imagine toujours en vie, alors qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9, on se retrouve sonn\u00e9 par la rapidit\u00e9 avec laquelle on a pass\u00e9 le temps, la fronti\u00e8re. Et soudain, la flamme est souffl\u00e9e. On parvient au pays des morts. Voil\u00e0 ce qui ne va pas avec les affiches de voyage : elles te rappellent toutes que tu es mort. Et cela aussi pourrait t\u2019attrister, si tu ne conservais pas malgr\u00e9 tout un peu d\u2019humour. Car tout compte fait, cette mort n\u2019est pas si terrible. Parfois, tu n\u2019es pas loin d\u2019accepter qu\u2019elle soit m\u00eame plus int\u00e9ressante \u00e0 vivre que n\u2019importe quelle autre vie v\u00e9cue autrefois.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/propagande_sto.jpg?1748065217", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/voyage-au-moyen-age.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/voyage-au-moyen-age.html", "title": "Voyage au Moyen-Age.", "date_published": "2023-01-13T09:34:34Z", "date_modified": "2025-10-22T14:56:08Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

illustration<\/strong> : le bosphore dans les ann\u00e9es 80<\/p>\n

Sit\u00f4t que l’on parvient \u00e0 Istanbul par la route et si l’on y arrive de nuit on ne constate pas de diff\u00e9rence notoire avec n’importe quelle autre ville d’Europe. Mais le lendemain, sortir d’un hotel modeste du quartier Beyazit, au petit matin pour aller boire un caf\u00e9 et se retrouver soudain avec du marc dans la bouche sera un premier indice d’une singularit\u00e9 qui nous aura \u00e9chapp\u00e9e. Et si d\u00e8s ce tout premier jour dans l’ex Constantinople, la tr\u00e8s ancienne Byzance, on s’avise de marcher dans la ville europ\u00e9enne vers le d\u00e9troit du Bosphore, qu’on trouve un moyen pour traverser le pont qui m\u00e8ne \u00e0 la ville asiatique alors, c’est certain, ce vacillement des sens qui parvient \u00e0 l’\u00eatre en premier par l’olfatique, l’\u00e9branle en m\u00eame temps que l’\u00e9poque dans laquelle il croyait se voir voyageant. Une b\u00e9ance s’ouvre alors sous les pieds du visiteur ou du touriste, celle du temps et on cherchera alors bien s\u00fbr appui sur des clich\u00e9s vieillots, tout droit sortis des manuels scolaires, des livres d’histoire pour s’ \u00e9voquer en tentant de s’expliquer de se rassurer ce surgissement d’un Moyen-age farfelu, d’une vue d’esprit produite par les modernes. En regardant ce matin sur Twitter les visages des jeunes gens pendus par les sbires de T\u00e9h\u00e9ran, je voyais le visages de mes amis d’autrefois. Et c’\u00e9tait des jeunes gens qui avaient juste eu le temps de go\u00fbter \u00e0 notre \u00e9poque dite moderne, au temps du Shah, pour replonger dans le m\u00eame clich\u00e9 du Moyen-age que d\u00e9j\u00e0 j’inventais. Des bouchers qui m’avaient accueilli dans leur maison en \u00e9change seulement de quelques chansons que je leur avais permises d’\u00e9couter dans le bus quittant la gare routi\u00e8re d’Istambul justement. Et c’est \u00e9trange de comparer l’id\u00e9e que je me fis du moyen-\u00e2ge en traversant la Turquie, puis l’Iran, Le Pakistan, L’ Inde et la Chine, tous ces pays tagg\u00e9s par mon point de vue occidental et soi-disant moderne civilis\u00e9, puis de constater \u00e0 quel point les cultures les civilisations de ces pays furent dans d’autres temps florissantes et ouvertes, d’une richesse tant sur le plan \u00e9conomique qu’humain. Quelle id\u00e9e de Moyen-Age avais-tu en ce temps l\u00e0 que tu ne puisses d\u00e9sormais la retrouver une vie apr\u00e8s. Et si tu ne peux la retrouver sans doute est-ce parce que tu manques d\u00e9sormais de confiance dans les \u00e9l\u00e9ments comparatifs qui autrefois t’aidaient \u00e0 la fabriquer. Le fait que la barbarie, la b\u00eatise, l’ignorance aient souill\u00e9 tant de valeurs auxquelles tu croyais jadis et que tu vois s’\u00e9vanouir aujourd’hui y est certainement pour beaucoup. Non pas qu’en toi elles eussent disparues, ce n’est pas cela, c’est plus une sensation de se retrouver seul soudain dans la nuit d’un moyen-\u00e2ge in\u00e9dit, de songer \u00e0 ces valeurs comme on songe \u00e0 la flamme vacillante d’une chandelle qui tremble et menace de s’\u00e9teindre compl\u00e8tement si par m\u00e9garde on n’y accorde plus d’attention.<\/p>", "content_text": "{{illustration}}: le bosphore dans les ann\u00e9es 80 \n\nSit\u00f4t que l'on parvient \u00e0 Istanbul par la route et si l'on y arrive de nuit on ne constate pas de diff\u00e9rence notoire avec n'importe quelle autre ville d'Europe. Mais le lendemain, sortir d'un hotel modeste du quartier Beyazit, au petit matin pour aller boire un caf\u00e9 et se retrouver soudain avec du marc dans la bouche sera un premier indice d'une singularit\u00e9 qui nous aura \u00e9chapp\u00e9e. Et si d\u00e8s ce tout premier jour dans l'ex Constantinople, la tr\u00e8s ancienne Byzance, on s'avise de marcher dans la ville europ\u00e9enne vers le d\u00e9troit du Bosphore, qu'on trouve un moyen pour traverser le pont qui m\u00e8ne \u00e0 la ville asiatique alors, c'est certain, ce vacillement des sens qui parvient \u00e0 l'\u00eatre en premier par l'olfatique, l'\u00e9branle en m\u00eame temps que l'\u00e9poque dans laquelle il croyait se voir voyageant. Une b\u00e9ance s'ouvre alors sous les pieds du visiteur ou du touriste, celle du temps et on cherchera alors bien s\u00fbr appui sur des clich\u00e9s vieillots, tout droit sortis des manuels scolaires, des livres d'histoire pour s' \u00e9voquer en tentant de s'expliquer de se rassurer ce surgissement d'un Moyen-age farfelu, d'une vue d'esprit produite par les modernes. En regardant ce matin sur Twitter les visages des jeunes gens pendus par les sbires de T\u00e9h\u00e9ran, je voyais le visages de mes amis d'autrefois. Et c'\u00e9tait des jeunes gens qui avaient juste eu le temps de go\u00fbter \u00e0 notre \u00e9poque dite moderne, au temps du Shah, pour replonger dans le m\u00eame clich\u00e9 du Moyen-age que d\u00e9j\u00e0 j'inventais. Des bouchers qui m'avaient accueilli dans leur maison en \u00e9change seulement de quelques chansons que je leur avais permises d'\u00e9couter dans le bus quittant la gare routi\u00e8re d'Istambul justement. Et c'est \u00e9trange de comparer l'id\u00e9e que je me fis du moyen-\u00e2ge en traversant la Turquie, puis l'Iran, Le Pakistan, L' Inde et la Chine, tous ces pays tagg\u00e9s par mon point de vue occidental et soi-disant moderne civilis\u00e9, puis de constater \u00e0 quel point les cultures les civilisations de ces pays furent dans d'autres temps florissantes et ouvertes, d'une richesse tant sur le plan \u00e9conomique qu'humain. Quelle id\u00e9e de Moyen-Age avais-tu en ce temps l\u00e0 que tu ne puisses d\u00e9sormais la retrouver une vie apr\u00e8s. Et si tu ne peux la retrouver sans doute est-ce parce que tu manques d\u00e9sormais de confiance dans les \u00e9l\u00e9ments comparatifs qui autrefois t'aidaient \u00e0 la fabriquer. Le fait que la barbarie, la b\u00eatise, l'ignorance aient souill\u00e9 tant de valeurs auxquelles tu croyais jadis et que tu vois s'\u00e9vanouir aujourd'hui y est certainement pour beaucoup. 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Les affiches de voyages contiennent tant d’images attendues inconsciemment que l’\u0153il les repousse aussit\u00f4t qu’il les voit. Il glisse, s’\u00e9vade, dans une p\u00e9riph\u00e9rie proche immediate d\u00e9sormais, les fuit pour se r\u00e9fugier sur le cr\u00e9pis d’un mur, une fissure, une t\u00e2che de ciment, un papier gras , un m\u00e9got roulant au sol. D\u00e9rapage de l’\u0153il effray\u00e9, d\u00e9gout\u00e9. un \u0153il qui ne voudrait plus jamais voir ce qu’il a d\u00e9j\u00e0 tant vu. Et l’accompagne, ou le pousse, une urgence \u00e0 se r\u00e9fugier, \u00e0 rejoindre, m\u00eame si elle est \u00e2pre, rugueuse, la s\u00e9curit\u00e9 de ce que tu nommes la r\u00e9alit\u00e9. Ce concept de voyage utilisant tous les codes de la s\u00e9duction pour t’embobiner t’es devenu insupportable. Et peut-\u00eatre est-ce parce qu’autrefois tu fus si bon public, que tu t’\u00e9garais dans la r\u00eaverie de devenir tel ou tel autre voyageur, mais n’\u00e9tait pas toi, que tu poussais la b\u00eatise vers ce qu’elle peut celer de plus ultime, de plus ridicule ou tragique. Le fait d’\u00eatre \u00e0 ce point idiot d’aller jusqu’au bout. De r\u00e9aliser des fantasmes qui en outre ne t’appartiennent pas, mais plus \u00e0 une illusion collective, c’est justement ce qu’il ne faut pas, jamais faire. Tout d\u00e9sir s’y \u00e9puise et sombre dans l’ennui, et c’est ainsi qu’on s’imagine toujours en vie mais qu’en vrai on se retrouve sonn\u00e9 par la rapidit\u00e9 avec quoi on a pass\u00e9 le temps la fronti\u00e8re.Et soudain la flamme est souffl\u00e9e, on parvient au pays des morts. Voil\u00e0 ce qui ne va pas avec les affiches de voyage, les affiches de voyages te rappellent toutes que tu es mort. Et cela aussi pourrait t’attrister si tu ne conservais pas malgr\u00e9 tout un peu d’humour. Car tout compte fait, cette mort n’est pas si terrible, et parfois tu n’es pas loin d’accepter le fait qu’elle soit plus int\u00e9ressante \u00e0 vivre que n’importe quelle autre vie v\u00e9cue autrefois.<\/p>", "content_text": "Les affiches de voyages contiennent tant d'images attendues inconsciemment que l'\u0153il les repousse aussit\u00f4t qu'il les voit. Il glisse, s'\u00e9vade, dans une p\u00e9riph\u00e9rie proche immediate d\u00e9sormais, les fuit pour se r\u00e9fugier sur le cr\u00e9pis d'un mur, une fissure, une t\u00e2che de ciment, un papier gras , un m\u00e9got roulant au sol. D\u00e9rapage de l'\u0153il effray\u00e9, d\u00e9gout\u00e9. un \u0153il qui ne voudrait plus jamais voir ce qu'il a d\u00e9j\u00e0 tant vu. Et l'accompagne, ou le pousse, une urgence \u00e0 se r\u00e9fugier, \u00e0 rejoindre, m\u00eame si elle est \u00e2pre, rugueuse, la s\u00e9curit\u00e9 de ce que tu nommes la r\u00e9alit\u00e9. Ce concept de voyage utilisant tous les codes de la s\u00e9duction pour t'embobiner t'es devenu insupportable. Et peut-\u00eatre est-ce parce qu'autrefois tu fus si bon public, que tu t'\u00e9garais dans la r\u00eaverie de devenir tel ou tel autre voyageur, mais n'\u00e9tait pas toi, que tu poussais la b\u00eatise vers ce qu'elle peut celer de plus ultime, de plus ridicule ou tragique. Le fait d'\u00eatre \u00e0 ce point idiot d'aller jusqu'au bout. De r\u00e9aliser des fantasmes qui en outre ne t'appartiennent pas, mais plus \u00e0 une illusion collective, c'est justement ce qu'il ne faut pas, jamais faire. Tout d\u00e9sir s'y \u00e9puise et sombre dans l'ennui, et c'est ainsi qu'on s'imagine toujours en vie mais qu'en vrai on se retrouve sonn\u00e9 par la rapidit\u00e9 avec quoi on a pass\u00e9 le temps la fronti\u00e8re.Et soudain la flamme est souffl\u00e9e, on parvient au pays des morts. Voil\u00e0 ce qui ne va pas avec les affiches de voyage, les affiches de voyages te rappellent toutes que tu es mort. Et cela aussi pourrait t'attrister si tu ne conservais pas malgr\u00e9 tout un peu d'humour. Car tout compte fait, cette mort n'est pas si terrible, et parfois tu n'es pas loin d'accepter le fait qu'elle soit plus int\u00e9ressante \u00e0 vivre que n'importe quelle autre vie v\u00e9cue autrefois.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/image-12jpgw601-32a97075-a4d92.jpg?1761147360", "tags": ["carnet de voyage"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-janvier-2023.html", "title": "12 janvier 2023", "date_published": "2023-01-12T09:47:00Z", "date_modified": "2025-01-19T09:49:28Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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La tentation de saint-Antoine par Dali\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La familiarit\u00e9 que tu auras construite avec les mots est le r\u00e9sultat d\u2019une urgence qui t\u2019a contraint, durant la premi\u00e8re partie de ta vie, \u00e0 devenir un \u00eatre parl\u00e9 plut\u00f4t qu\u2019un \u00eatre parlant. Une familiarit\u00e9 de surface qui t\u2019aura surtout aid\u00e9 \u00e0 te d\u00e9barrasser d\u2019une parole, ayant compris que la plupart du temps, seuls quelques mots-cl\u00e9s \u00e9taient entendus lorsque tu t\u2019exprimais. L\u2019objet de cette parole que tu pourrais nommer fonctionnelle \u00e9tait d\u2019indiquer un certain nombre d\u2019objectifs et de te positionner, toi ou autrui, comme un sujet se dirigeant vers l\u2019un d\u2019eux. Cela \u00e9tait cens\u00e9 rassurer ton entourage. En revanche, s\u2019interroger sur l\u2019origine de tous ces mots, de tous ces objets, personne ne trouvait cela utile. C\u2019\u00e9tait per\u00e7u comme une perte de temps, vite class\u00e9e dans une cat\u00e9gorie p\u00e9jorative : l\u2019intellectuelle.<\/p>\n

\u00c0 l\u2019\u00e9cole, peu d\u2019\u00e9mulation non plus, ni de la part de tes instituteurs, ma\u00eetresses et professeurs, ni des \u00e9l\u00e8ves. Il y avait un programme scolaire \u00e0 suivre pour atteindre des objectifs, \u00e0 l\u2019aide de moyennes pond\u00e9r\u00e9es. Des classes surcharg\u00e9es et, parfois, un manque d\u2019enthousiasme flagrant pour toute notion de transmission se r\u00e9percutait sur sa r\u00e9ception. Un essoufflement, une fatigue, un d\u00e9go\u00fbt palpable des deux c\u00f4t\u00e9s, semble-t-il. Et tr\u00e8s t\u00f4t, tu t\u2019es r\u00e9volt\u00e9, de fa\u00e7on inconsciente, contre ce type d\u2019enseignement. Tu t\u2019es arc-bout\u00e9 pour ne pas y p\u00e9n\u00e9trer, pour refuser d\u2019\u00eatre englouti par ce que tu percevais d\u00e9j\u00e0 comme une pens\u00e9e format\u00e9e, une pens\u00e9e unique, une pens\u00e9e vide. Et surtout contre l\u2019autorit\u00e9 qui cherchait \u00e0 te l\u2019imposer. L\u2019enseignement comme antichambre de l\u2019usine, du bureau, de l\u2019arm\u00e9e. Destin\u00e9 \u00e0 fabriquer des morts convenables, que tout rouleau compresseur pourrait laminer sans difficult\u00e9 particuli\u00e8re : des ouvriers, soldats, employ\u00e9s, citoyens, dont la seule qualit\u00e9 requise \u00e9tait la docilit\u00e9. L\u2019enseignement comme pr\u00e9ambule \u00e0 la fosse commune o\u00f9 l\u2019on enfouirait tous ces anonymes ayant atteint l\u2019objectif attendu d\u2019eux : travailler, faire des enfants, maintenir l\u2019approvisionnement de l\u2019esp\u00e8ce, consommer. Tout cela avec un minimum de vagues.<\/p>\n

D\u2019une certaine mani\u00e8re, tu fus aussi prisonnier ou esclave qu\u2019un juif en \u00c9gypte sous Pharaon. Donc pas \u00e9tonnant qu\u2019\u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, la notion d\u2019exode ou de d\u00e9sert t\u2019ait servi de recours. Mais comment as-tu compris, intuitivement, l\u2019\u00e9tymologie de ces mots ? Voil\u00e0 une \u00e9nigme. Car c\u2019est le mot libert\u00e9 qui s\u2019est imm\u00e9diatement pr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 toi en tant que synonyme, quand tu convoquais ces mots. Ainsi, l\u2019exode et l\u2019errance ont p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 en toi autrement que sous la forme commune d\u2019une mal\u00e9diction.<\/p>\n

Ce fut bien des ann\u00e9es plus tard que te parvinrent les signes avant-coureurs, les pr\u00e9mices d\u2019une explication. D\u2019une part, en \u00e9tudiant ton histoire familiale \u2013 notamment la branche maternelle \u2013 et ce soup\u00e7on de plus en plus insistant d\u2019y d\u00e9couvrir un secret. Une jud\u00e9it\u00e9, probablement, si inavouable pour celles et ceux qui durent la taire qu\u2019aucun indice ne te fut jamais livr\u00e9. D\u2019autre part, l\u2019\u00e9tude des mots, vers lesquels tu fus irr\u00e9pressiblement attir\u00e9. Ce voyage int\u00e9rieur, que tu entrepris comme pouss\u00e9 par une destin\u00e9e \u00e9trange, d\u2019abord en toute inconscience, peut maintenant \u00eatre retrac\u00e9 dans ses \u00e9tapes majeures et mineures. Jusqu\u2019\u00e0 la d\u00e9couverte r\u00e9cente d\u2019un \u00e9l\u00e9ment en apparence b\u00e9nin et pourtant extraordinaire : le CMS Spip, \u00e0 travers l\u2019\u00e9tude d\u2019un site internet non moins b\u00e9nin qu\u2019extraordinaire, le Tiers Livre.<\/p>\n

Si tu d\u00e9clares ces deux termes, b\u00e9nin et extraordinaire, c\u2019est parce qu\u2019ils semblent expliquer un mouvement r\u00e9current dans ton existence : voir un objet, imaginer savoir ce qu\u2019il est au premier abord, puis, en creusant, laisser surgir l\u2019extraordinaire derri\u00e8re l\u2019apparente banalit\u00e9. Rien de magique ou de fantastique, mais un extraordinaire comme extraction. Extraction d\u2019un point de vue o\u00f9 tu te tiens habituellement fig\u00e9, oppress\u00e9, ext\u00e9nu\u00e9. Un extraordinaire semblable \u00e0 une respiration, \u00e0 un second souffle.<\/p>\n

Quand tu observes l\u2019architecture de ce site, c\u2019est toute une pens\u00e9e qui soudain se retourne sur elle-m\u00eame. L\u2019horizontalit\u00e9 que tu y d\u00e9couvres est ce d\u00e9sert qui t\u2019accueille : une vaste \u00e9tendue fertile, un vert p\u00e2turage. Tu pourrais y faire pa\u00eetre ton troupeau toute une vie sans en \u00e9puiser les richesses. Qui s\u2019attendrait \u00e0 ce que le d\u00e9sert ne soit pas toujours sec comme celui du Sahara ? Quelqu\u2019un qui ne serait pas born\u00e9, ni victime d\u2019une pens\u00e9e format\u00e9e. Quelqu\u2019un qui se serait rendu dans le Sina\u00ef et serait tomb\u00e9 \u00e0 la renverse en y trouvant des animaux, des plantes, de la verdure, de l\u2019eau. Quelqu\u2019un qui se serait pench\u00e9 sur l\u2019\u00e9tymologie des mots, sur leurs occurrences, leurs histoires.<\/p>\n

Tout cela, tu l\u2019auras fait en toute inconscience, sans but v\u00e9ritable, dans un \u00e9garement et une solitude incroyables. Et, en y r\u00e9fl\u00e9chissant maintenant, tu te souviens, presque fortuitement, que la racine h\u00e9bra\u00efque du mot d\u00e9sert est, \u00e9trangement, la m\u00eame que celle des mots p\u00e2turage et parole.<\/p>", "content_text": "La familiarit\u00e9 que tu auras construite avec les mots est le r\u00e9sultat d\u2019une urgence qui t\u2019a contraint, durant la premi\u00e8re partie de ta vie, \u00e0 devenir un \u00eatre parl\u00e9 plut\u00f4t qu\u2019un \u00eatre parlant. Une familiarit\u00e9 de surface qui t\u2019aura surtout aid\u00e9 \u00e0 te d\u00e9barrasser d\u2019une parole, ayant compris que la plupart du temps, seuls quelques mots-cl\u00e9s \u00e9taient entendus lorsque tu t\u2019exprimais. L\u2019objet de cette parole que tu pourrais nommer fonctionnelle \u00e9tait d\u2019indiquer un certain nombre d\u2019objectifs et de te positionner, toi ou autrui, comme un sujet se dirigeant vers l\u2019un d\u2019eux. Cela \u00e9tait cens\u00e9 rassurer ton entourage. En revanche, s\u2019interroger sur l\u2019origine de tous ces mots, de tous ces objets, personne ne trouvait cela utile. C\u2019\u00e9tait per\u00e7u comme une perte de temps, vite class\u00e9e dans une cat\u00e9gorie p\u00e9jorative : l\u2019intellectuelle. \u00c0 l\u2019\u00e9cole, peu d\u2019\u00e9mulation non plus, ni de la part de tes instituteurs, ma\u00eetresses et professeurs, ni des \u00e9l\u00e8ves. Il y avait un programme scolaire \u00e0 suivre pour atteindre des objectifs, \u00e0 l\u2019aide de moyennes pond\u00e9r\u00e9es. Des classes surcharg\u00e9es et, parfois, un manque d\u2019enthousiasme flagrant pour toute notion de transmission se r\u00e9percutait sur sa r\u00e9ception. Un essoufflement, une fatigue, un d\u00e9go\u00fbt palpable des deux c\u00f4t\u00e9s, semble-t-il. Et tr\u00e8s t\u00f4t, tu t\u2019es r\u00e9volt\u00e9, de fa\u00e7on inconsciente, contre ce type d\u2019enseignement. Tu t\u2019es arc-bout\u00e9 pour ne pas y p\u00e9n\u00e9trer, pour refuser d\u2019\u00eatre englouti par ce que tu percevais d\u00e9j\u00e0 comme une pens\u00e9e format\u00e9e, une pens\u00e9e unique, une pens\u00e9e vide. Et surtout contre l\u2019autorit\u00e9 qui cherchait \u00e0 te l\u2019imposer. L\u2019enseignement comme antichambre de l\u2019usine, du bureau, de l\u2019arm\u00e9e. Destin\u00e9 \u00e0 fabriquer des morts convenables, que tout rouleau compresseur pourrait laminer sans difficult\u00e9 particuli\u00e8re : des ouvriers, soldats, employ\u00e9s, citoyens, dont la seule qualit\u00e9 requise \u00e9tait la docilit\u00e9. L\u2019enseignement comme pr\u00e9ambule \u00e0 la fosse commune o\u00f9 l\u2019on enfouirait tous ces anonymes ayant atteint l\u2019objectif attendu d\u2019eux : travailler, faire des enfants, maintenir l\u2019approvisionnement de l\u2019esp\u00e8ce, consommer. Tout cela avec un minimum de vagues. D\u2019une certaine mani\u00e8re, tu fus aussi prisonnier ou esclave qu\u2019un juif en \u00c9gypte sous Pharaon. Donc pas \u00e9tonnant qu\u2019\u00e0 un moment ou \u00e0 un autre, la notion d\u2019exode ou de d\u00e9sert t\u2019ait servi de recours. Mais comment as-tu compris, intuitivement, l\u2019\u00e9tymologie de ces mots ? Voil\u00e0 une \u00e9nigme. Car c\u2019est le mot libert\u00e9 qui s\u2019est imm\u00e9diatement pr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 toi en tant que synonyme, quand tu convoquais ces mots. Ainsi, l\u2019exode et l\u2019errance ont p\u00e9n\u00e9tr\u00e9 en toi autrement que sous la forme commune d\u2019une mal\u00e9diction. Ce fut bien des ann\u00e9es plus tard que te parvinrent les signes avant-coureurs, les pr\u00e9mices d\u2019une explication. D\u2019une part, en \u00e9tudiant ton histoire familiale \u2013 notamment la branche maternelle \u2013 et ce soup\u00e7on de plus en plus insistant d\u2019y d\u00e9couvrir un secret. Une jud\u00e9it\u00e9, probablement, si inavouable pour celles et ceux qui durent la taire qu\u2019aucun indice ne te fut jamais livr\u00e9. D\u2019autre part, l\u2019\u00e9tude des mots, vers lesquels tu fus irr\u00e9pressiblement attir\u00e9. Ce voyage int\u00e9rieur, que tu entrepris comme pouss\u00e9 par une destin\u00e9e \u00e9trange, d\u2019abord en toute inconscience, peut maintenant \u00eatre retrac\u00e9 dans ses \u00e9tapes majeures et mineures. Jusqu\u2019\u00e0 la d\u00e9couverte r\u00e9cente d\u2019un \u00e9l\u00e9ment en apparence b\u00e9nin et pourtant extraordinaire : le CMS Spip, \u00e0 travers l\u2019\u00e9tude d\u2019un site internet non moins b\u00e9nin qu\u2019extraordinaire, le Tiers Livre. Si tu d\u00e9clares ces deux termes, b\u00e9nin et extraordinaire, c\u2019est parce qu\u2019ils semblent expliquer un mouvement r\u00e9current dans ton existence : voir un objet, imaginer savoir ce qu\u2019il est au premier abord, puis, en creusant, laisser surgir l\u2019extraordinaire derri\u00e8re l\u2019apparente banalit\u00e9. Rien de magique ou de fantastique, mais un extraordinaire comme extraction. Extraction d\u2019un point de vue o\u00f9 tu te tiens habituellement fig\u00e9, oppress\u00e9, ext\u00e9nu\u00e9. Un extraordinaire semblable \u00e0 une respiration, \u00e0 un second souffle. Quand tu observes l\u2019architecture de ce site, c\u2019est toute une pens\u00e9e qui soudain se retourne sur elle-m\u00eame. L\u2019horizontalit\u00e9 que tu y d\u00e9couvres est ce d\u00e9sert qui t\u2019accueille : une vaste \u00e9tendue fertile, un vert p\u00e2turage. Tu pourrais y faire pa\u00eetre ton troupeau toute une vie sans en \u00e9puiser les richesses. Qui s\u2019attendrait \u00e0 ce que le d\u00e9sert ne soit pas toujours sec comme celui du Sahara ? Quelqu\u2019un qui ne serait pas born\u00e9, ni victime d\u2019une pens\u00e9e format\u00e9e. Quelqu\u2019un qui se serait rendu dans le Sina\u00ef et serait tomb\u00e9 \u00e0 la renverse en y trouvant des animaux, des plantes, de la verdure, de l\u2019eau. Quelqu\u2019un qui se serait pench\u00e9 sur l\u2019\u00e9tymologie des mots, sur leurs occurrences, leurs histoires. Tout cela, tu l\u2019auras fait en toute inconscience, sans but v\u00e9ritable, dans un \u00e9garement et une solitude incroyables. Et, en y r\u00e9fl\u00e9chissant maintenant, tu te souviens, presque fortuitement, que la racine h\u00e9bra\u00efque du mot d\u00e9sert est, \u00e9trangement, la m\u00eame que celle des mots p\u00e2turage et parole. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dali2.jpg?1748065226", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/etudes-d-arborescences.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/etudes-d-arborescences.html", "title": "Etudes d'arborescences", "date_published": "2023-01-11T11:01:24Z", "date_modified": "2025-10-22T14:20:31Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Tu peux t’exercer \u00e0 l’arborescence comme on vide une possibilit\u00e9 du choix. Du choix tel qu’on l’entends g\u00e9n\u00e9ralement, un pauvre choix, un choix paresseux. Ensuite ce que \u00e7a donne c’est une suite de mots, de concepts, de couleurs, que l’hyper lien ou l’hyper texte peut r\u00e9unir dans de nouvelles formules. Non pour aller en qu\u00eate d’une originalit\u00e9, ce n’est pas \u00e7a et tu n’y crois pas de toutes fa\u00e7ons. Mais pour dire une chose ancienne autrement. Pour cr\u00e9er de nouveaux possibles afin que cette chose soit compr\u00e9hensible dans un instant T une \u00e9poque, une culture qui a oubli\u00e9 ses racines, sa raison d’\u00eatre. Pourquoi la Torah et le Talmud existent sinon justement pour rester optimiste quand \u00e0 ces possibilit\u00e9s de r\u00e9organiser le meme en autre chose. Autre chose qui serait \u00e0 l’image de l’infini, c’est \u00e0 dire qui ne s’arr\u00eaterait jamais que pour \u00e0 chaque fois repartir. Un mouvement perp\u00e9tuel.<\/p>\n

Te voici en ce moment en train de travailler six tableaux en m\u00eame temps. Tu passes de l’un \u00e0 l’autre quand tu cales sur un. Quand le coup de pinceau de trop te semble mena\u00e7ant de trop en dire ou en faire. Et cette \u00e9nergie que tu interromps, plus ou moins volontairement, retrouve un nouveau souffle sur une autre toile et ainsi de suite. Ce qu’il te faut accepter c’est le temps comme donn\u00e9e fondamentale dans laquelle tu peux d\u00e9ployer une certaine quantit\u00e9 d’\u00e9nergie par tableau. Mettons une heure, une fois celle-ci achev\u00e9e une autre temporalit\u00e9 est de nouveau possible- une heure neuve. Ce qui ne change pas c’est la gamme de couleurs que tu utilises. Pour l’instant c’est elle qui cr\u00e9e le lien. Les possibilit\u00e9s d’agencer ces couleurs sont elles aussi infinies. Sauf que tu dois tenir compte \u00e0 chaque fois de l’espace, des autres couleurs qui environnent une couleur, des valeurs, du contraste que tout ce puzzle produit. Et parall\u00e8lement \u00e0 cela une multitude de sujets d’id\u00e9es sont l\u00e0 qui pressent pour sortir comme un troupeau de moutons ou de brebis. \u00c7a b\u00eale dans tout les sens \u00e0 l’int\u00e9rieur, mais tu ne l’es \u00e9coutes pas, tu t’en fous, une chose apr\u00e8s l’autre. Et puis ce pari dont tu n’oses pas vraiment parler que le sujet viendra quand il devra venir, une fois l’assemblage achev\u00e9 de tous les gestes successifs r\u00e9alis\u00e9s dans ce que tu nommes probablement \u00e0 tort, l’al\u00e9atoire. Al\u00e9atoire tant que tu n’as pas confiance aveugl\u00e9ment en ce qui se passe voil\u00e0 la v\u00e9rit\u00e9. Et intuition que confiance ou pas \u00e7a ne changerait rien, qu’en allant ainsi ton bonhomme de chemin il faut continuer d’\u00e9carter les faux buts, se laisser cueillir par ce qui de toutes fa\u00e7ons arrivera.<\/p>\n<\/span>

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Les premi\u00e8res masses et couleurs d’une toile, janvier 2023\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tu peux t\u2019exercer \u00e0 l\u2019arborescence comme on vide une possibilit\u00e9 du choix. Du choix tel qu\u2019on l\u2019entend g\u00e9n\u00e9ralement : un pauvre choix, un choix paresseux. Ensuite, ce que \u00e7a donne, c\u2019est une suite de mots, de concepts, de couleurs, que l\u2019hyperlien ou l\u2019hypertexte peut r\u00e9unir dans de nouvelles formules. Non pour aller en qu\u00eate d\u2019une originalit\u00e9 \u2013 ce n\u2019est pas \u00e7a, et tu n\u2019y crois pas de toute fa\u00e7on \u2013, mais pour dire une chose ancienne autrement. Pour cr\u00e9er de nouveaux possibles afin que cette chose soit compr\u00e9hensible dans un instant T, dans une \u00e9poque, dans une culture qui a oubli\u00e9 ses racines, sa raison d\u2019\u00eatre. Pourquoi la Torah et le Talmud existent-ils, sinon justement pour rester optimistes quant \u00e0 ces possibilit\u00e9s de r\u00e9organiser le m\u00eame en autre chose ? Autre chose qui serait \u00e0 l\u2019image de l\u2019infini, c\u2019est-\u00e0-dire qui ne s\u2019arr\u00eaterait jamais, sauf pour repartir \u00e0 chaque fois. Un mouvement perp\u00e9tuel.<\/p>\n

Te voici, en ce moment, en train de travailler six tableaux en m\u00eame temps. Tu passes de l\u2019un \u00e0 l\u2019autre quand tu cales sur l\u2019un. Quand le coup de pinceau de trop te semble mena\u00e7ant : celui de trop en dire ou trop en faire. Et cette \u00e9nergie que tu interromps, plus ou moins volontairement, retrouve un nouveau souffle sur une autre toile, et ainsi de suite. Ce qu\u2019il te faut accepter, c\u2019est le temps comme donn\u00e9e fondamentale dans laquelle tu peux d\u00e9ployer une certaine quantit\u00e9 d\u2019\u00e9nergie par tableau. Mettons une heure. Une fois celle-ci achev\u00e9e, une autre temporalit\u00e9 devient de nouveau possible \u2013 une heure neuve. Ce qui ne change pas, c\u2019est la gamme de couleurs que tu utilises. Pour l\u2019instant, c\u2019est elle qui cr\u00e9e le lien. Les possibilit\u00e9s d\u2019agencer ces couleurs sont elles aussi infinies. Sauf que tu dois tenir compte, \u00e0 chaque fois, de l\u2019espace, des autres couleurs qui environnent une couleur, des valeurs, du contraste que tout ce puzzle produit.<\/p>\n

Et parall\u00e8lement \u00e0 cela, une multitude de sujets, d\u2019id\u00e9es sont l\u00e0, qui pressent pour sortir, comme un troupeau de moutons ou de brebis. \u00c7a b\u00eale dans tous les sens \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, mais tu ne les \u00e9coutes pas, tu t\u2019en fous : une chose apr\u00e8s l\u2019autre. Et puis, ce pari dont tu n\u2019oses pas vraiment parler : que le sujet viendra quand il devra venir. Une fois l\u2019assemblage achev\u00e9, tous les gestes successifs r\u00e9alis\u00e9s dans ce que tu nommes probablement \u00e0 tort « l\u2019al\u00e9atoire ». Al\u00e9atoire tant que tu n\u2019as pas confiance aveugl\u00e9ment en ce qui se passe : voil\u00e0 la v\u00e9rit\u00e9. Et intuition que, confiance ou pas, \u00e7a ne changerait rien. Qu\u2019en allant ainsi ton bonhomme de chemin, il faut continuer d\u2019\u00e9carter les faux buts, se laisser cueillir par ce qui, de toute fa\u00e7on, arrivera.<\/p>", "content_text": "Tu peux t\u2019exercer \u00e0 l\u2019arborescence comme on vide une possibilit\u00e9 du choix. Du choix tel qu\u2019on l\u2019entend g\u00e9n\u00e9ralement : un pauvre choix, un choix paresseux. Ensuite, ce que \u00e7a donne, c\u2019est une suite de mots, de concepts, de couleurs, que l\u2019hyperlien ou l\u2019hypertexte peut r\u00e9unir dans de nouvelles formules. Non pour aller en qu\u00eate d\u2019une originalit\u00e9 \u2013 ce n\u2019est pas \u00e7a, et tu n\u2019y crois pas de toute fa\u00e7on \u2013, mais pour dire une chose ancienne autrement. Pour cr\u00e9er de nouveaux possibles afin que cette chose soit compr\u00e9hensible dans un instant T, dans une \u00e9poque, dans une culture qui a oubli\u00e9 ses racines, sa raison d\u2019\u00eatre. Pourquoi la Torah et le Talmud existent-ils, sinon justement pour rester optimistes quant \u00e0 ces possibilit\u00e9s de r\u00e9organiser le m\u00eame en autre chose ? Autre chose qui serait \u00e0 l\u2019image de l\u2019infini, c\u2019est-\u00e0-dire qui ne s\u2019arr\u00eaterait jamais, sauf pour repartir \u00e0 chaque fois. Un mouvement perp\u00e9tuel. Te voici, en ce moment, en train de travailler six tableaux en m\u00eame temps. Tu passes de l\u2019un \u00e0 l\u2019autre quand tu cales sur l\u2019un. Quand le coup de pinceau de trop te semble mena\u00e7ant : celui de trop en dire ou trop en faire. Et cette \u00e9nergie que tu interromps, plus ou moins volontairement, retrouve un nouveau souffle sur une autre toile, et ainsi de suite. Ce qu\u2019il te faut accepter, c\u2019est le temps comme donn\u00e9e fondamentale dans laquelle tu peux d\u00e9ployer une certaine quantit\u00e9 d\u2019\u00e9nergie par tableau. Mettons une heure. Une fois celle-ci achev\u00e9e, une autre temporalit\u00e9 devient de nouveau possible \u2013 une heure neuve. Ce qui ne change pas, c\u2019est la gamme de couleurs que tu utilises. Pour l\u2019instant, c\u2019est elle qui cr\u00e9e le lien. Les possibilit\u00e9s d\u2019agencer ces couleurs sont elles aussi infinies. Sauf que tu dois tenir compte, \u00e0 chaque fois, de l\u2019espace, des autres couleurs qui environnent une couleur, des valeurs, du contraste que tout ce puzzle produit. Et parall\u00e8lement \u00e0 cela, une multitude de sujets, d\u2019id\u00e9es sont l\u00e0, qui pressent pour sortir, comme un troupeau de moutons ou de brebis. \u00c7a b\u00eale dans tous les sens \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, mais tu ne les \u00e9coutes pas, tu t\u2019en fous : une chose apr\u00e8s l\u2019autre. Et puis, ce pari dont tu n\u2019oses pas vraiment parler : que le sujet viendra quand il devra venir. Une fois l\u2019assemblage achev\u00e9, tous les gestes successifs r\u00e9alis\u00e9s dans ce que tu nommes probablement \u00e0 tort \u00ab l\u2019al\u00e9atoire \u00bb. Al\u00e9atoire tant que tu n\u2019as pas confiance aveugl\u00e9ment en ce qui se passe : voil\u00e0 la v\u00e9rit\u00e9. Et intuition que, confiance ou pas, \u00e7a ne changerait rien. Qu\u2019en allant ainsi ton bonhomme de chemin, il faut continuer d\u2019\u00e9carter les faux buts, se laisser cueillir par ce qui, de toute fa\u00e7on, arrivera. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/huile_sur_toile_janvier_2023.webp?1748065078", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-janvier-2023.html", "title": "11 janvier 2023", "date_published": "2023-01-11T09:30:00Z", "date_modified": "2025-01-19T09:31:17Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Deguisement Aristocrate [Image fixe] : A ton pouvoir la Nation a mis des bornes Beau Masque on te connoit cache tes cornes : [estampe] \/ [non identifi\u00e9]\n<\/strong><\/div>\n\t
Images de la R\u00e9volution fran\u00e7aise : catalogue du vid\u00e9odisque, 1990, 2961-2962 = Vid\u00e9odisque, 2961-2962 ( dans BNF catalogue g\u00e9n\u00e9ral)\n<\/div>\n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

L\u2019escargot est un des meilleurs symboles de la lenteur, mais pas seulement : il porte aussi sa maison sur son dos, ce qui peut \u00e9galement \u00e9voquer le talmudiste, ou plus modestement celui ou celle qui se voue corps et \u00e2me \u00e0 l\u2019exercice singulier de l\u2019\u00e9criture, de la lecture, voire de la peinture. \u00catre en chemin et se h\u00e2ter lentement. Sans oublier cet autre symbole inscrit sur la coquille : la spirale, logarithmique comme celle que l\u2019on d\u00e9couvre avec patience — dans les artichauts, si on ne la d\u00e9tecte pas tout de suite dans l\u2019organisation de leurs feuilles — lorsque l\u2019on parvient au c\u0153ur, aux mouvements de poils tournoyant tels de mini-maelstr\u00f6ms, \u00e0 la surface de ce c\u0153ur \u00e0 la fois croquant et suave.<\/p>\n

Ensuite, apr\u00e8s avoir relev\u00e9 toutes ces indications, il faut des nerfs. Hier, tu as un peu moins fait semblant de travailler que durant ces derni\u00e8res semaines. Tu t\u2019es lanc\u00e9 dans la r\u00e9alisation de fonds sur trois grandes toiles : 100\u00d780, un format 60\u00d780, et encore un autre 70\u00d770. Apr\u00e8s des jours de t\u00e2tonnement, de trituration de toute cette boue, du pour et du contre, quelque chose a l\u00e2ch\u00e9. L\u2019escargot se transforme parfois, sit\u00f4t que l\u2019on d\u00e9tourne le regard de son trajet, en bolide. Non que tu te sois mis \u00e0 peindre vite, au contraire, tu as fait tout \u00e7a au ralenti. Et c\u2019est encore une particularit\u00e9 de ce type de lenteur que tu connais d\u00e9j\u00e0, mais sur laquelle tu ne t\u2019arr\u00eates jamais tant tu as toujours cette sensation d\u00e9sagr\u00e9able de n\u2019en avoir pas suffisamment fait, de n\u2019avoir pas assez donn\u00e9 de toi-m\u00eame. Tu imagines toujours si facilement \u00eatre \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tes pompes, selon l\u2019expression consacr\u00e9e.<\/p>\n

C\u2019est la d\u00e9finition de toi formul\u00e9e depuis la nuit des temps par ces voix d\u2019outre-tombe et dont l\u2019\u00e9cho continue \u00e0 produire son petit effet troublant. On en revient encore \u00e0 la notion de double : \u00e0 celui qui marche sous les yeux du m\u00eame qui l\u2019observe marcher et, de temps en temps, pousse l\u2019ensemble, comme par inadvertance, dans l\u2019\u00e9garement. M\u00e9canisme totalement inconscient pendant une vie enti\u00e8re et qui, tout \u00e0 coup, se d\u00e9voile comme au terme d\u2019un tour de table au poker. Quelque chose abat son jeu et l\u2019on reste mi-figue, mi-raisin dans cet instant, cet entre-deux, o\u00f9 l\u2019on ne sait si l\u2019on a gagn\u00e9 ou perdu la mise. C\u2019est d\u2019ailleurs cet instant, extr\u00eamement excitant, qui explique tout l\u2019attrait du jeu probablement. Car gagner ou perdre n\u2019est rien de plus qu\u2019une cons\u00e9quence assez banale. Et surtout que l\u2019on peut retourner comme un gant \u00e0 loisir.<\/p>\n

N\u2019est-ce pas cela, en fin de compte, la nature m\u00eame de cet engouement pour la lecture, pour l\u2019\u00e9criture, pour la peinture, si tu r\u00e9fl\u00e9chis bien ? Ce creux semblable \u00e0 celui du clou qui p\u00e9n\u00e8tre l\u2019argile d\u2019un rouleau pour cr\u00e9er la lettre, le mot, la langue. Ce cercle ou ce point sur lequel l\u2019artiste aurait zoom\u00e9, dans le tableau de Malevitch. Ce que l\u2019on ne voit pas \u00e0 l\u2019\u0153il nu sur les photographies que l\u2019on trouve sur le Net, c\u2019est la vibration affolante de la peinture. Toutes les traces laiss\u00e9es par l\u2019homme et cette entit\u00e9 — appelle \u00e7a Dieu ou l\u2019inconscient — qui, pour que cette figure naisse, s\u2019oblige \u00e0 se retirer, \u00e0 laisser ce creux. La fameuse phrase de Lacan, « tout moins un », parce que tout seul rien n\u2019est possible : si tout se suffit \u00e0 lui-m\u00eame, nulle n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019humanit\u00e9. Et c\u2019est aussi la phrase de Kafka lorsqu\u2019il dit : « Je regarde par la fen\u00eatre » (de m\u00e9moire), qu\u2019il consid\u00e8re comme une phrase parfaite.<\/p>\n

Ensuite, le temps que toute cette compr\u00e9hension surgisse \u00e0 partir du travail toujours en mouvement de l\u2019intuition\u2026 est-ce important de se plaindre ou de se r\u00e9jouir ? Sans doute n\u2019est-ce pas utile, ni essentiel, de placer ton attention sur ce point. Juste constater que cette sensation d\u2019\u00e9garement perp\u00e9tuelle, dans laquelle tu n\u2019as jamais voulu d\u00e9vier d\u2019un iota, est le chemin, le seul, l\u2019unique que tu auras choisi d\u2019emprunter et sur lequel — n\u2019est-ce pas miraculeux ? — tu te tiens toujours.<\/p>", "content_text": "L\u2019escargot est un des meilleurs symboles de la lenteur, mais pas seulement : il porte aussi sa maison sur son dos, ce qui peut \u00e9galement \u00e9voquer le talmudiste, ou plus modestement celui ou celle qui se voue corps et \u00e2me \u00e0 l\u2019exercice singulier de l\u2019\u00e9criture, de la lecture, voire de la peinture. \u00catre en chemin et se h\u00e2ter lentement. Sans oublier cet autre symbole inscrit sur la coquille : la spirale, logarithmique comme celle que l\u2019on d\u00e9couvre avec patience \u2014 dans les artichauts, si on ne la d\u00e9tecte pas tout de suite dans l\u2019organisation de leurs feuilles \u2014 lorsque l\u2019on parvient au c\u0153ur, aux mouvements de poils tournoyant tels de mini-maelstr\u00f6ms, \u00e0 la surface de ce c\u0153ur \u00e0 la fois croquant et suave. Ensuite, apr\u00e8s avoir relev\u00e9 toutes ces indications, il faut des nerfs. Hier, tu as un peu moins fait semblant de travailler que durant ces derni\u00e8res semaines. Tu t\u2019es lanc\u00e9 dans la r\u00e9alisation de fonds sur trois grandes toiles : 100\u00d780, un format 60\u00d780, et encore un autre 70\u00d770. Apr\u00e8s des jours de t\u00e2tonnement, de trituration de toute cette boue, du pour et du contre, quelque chose a l\u00e2ch\u00e9. L\u2019escargot se transforme parfois, sit\u00f4t que l\u2019on d\u00e9tourne le regard de son trajet, en bolide. Non que tu te sois mis \u00e0 peindre vite, au contraire, tu as fait tout \u00e7a au ralenti. Et c\u2019est encore une particularit\u00e9 de ce type de lenteur que tu connais d\u00e9j\u00e0, mais sur laquelle tu ne t\u2019arr\u00eates jamais tant tu as toujours cette sensation d\u00e9sagr\u00e9able de n\u2019en avoir pas suffisamment fait, de n\u2019avoir pas assez donn\u00e9 de toi-m\u00eame. Tu imagines toujours si facilement \u00eatre \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tes pompes, selon l\u2019expression consacr\u00e9e. C\u2019est la d\u00e9finition de toi formul\u00e9e depuis la nuit des temps par ces voix d\u2019outre-tombe et dont l\u2019\u00e9cho continue \u00e0 produire son petit effet troublant. On en revient encore \u00e0 la notion de double : \u00e0 celui qui marche sous les yeux du m\u00eame qui l\u2019observe marcher et, de temps en temps, pousse l\u2019ensemble, comme par inadvertance, dans l\u2019\u00e9garement. M\u00e9canisme totalement inconscient pendant une vie enti\u00e8re et qui, tout \u00e0 coup, se d\u00e9voile comme au terme d\u2019un tour de table au poker. Quelque chose abat son jeu et l\u2019on reste mi-figue, mi-raisin dans cet instant, cet entre-deux, o\u00f9 l\u2019on ne sait si l\u2019on a gagn\u00e9 ou perdu la mise. C\u2019est d\u2019ailleurs cet instant, extr\u00eamement excitant, qui explique tout l\u2019attrait du jeu probablement. Car gagner ou perdre n\u2019est rien de plus qu\u2019une cons\u00e9quence assez banale. Et surtout que l\u2019on peut retourner comme un gant \u00e0 loisir. N\u2019est-ce pas cela, en fin de compte, la nature m\u00eame de cet engouement pour la lecture, pour l\u2019\u00e9criture, pour la peinture, si tu r\u00e9fl\u00e9chis bien ? Ce creux semblable \u00e0 celui du clou qui p\u00e9n\u00e8tre l\u2019argile d\u2019un rouleau pour cr\u00e9er la lettre, le mot, la langue. Ce cercle ou ce point sur lequel l\u2019artiste aurait zoom\u00e9, dans le tableau de Malevitch. Ce que l\u2019on ne voit pas \u00e0 l\u2019\u0153il nu sur les photographies que l\u2019on trouve sur le Net, c\u2019est la vibration affolante de la peinture. Toutes les traces laiss\u00e9es par l\u2019homme et cette entit\u00e9 \u2014 appelle \u00e7a Dieu ou l\u2019inconscient \u2014 qui, pour que cette figure naisse, s\u2019oblige \u00e0 se retirer, \u00e0 laisser ce creux. La fameuse phrase de Lacan, \"tout moins un\", parce que tout seul rien n\u2019est possible : si tout se suffit \u00e0 lui-m\u00eame, nulle n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019humanit\u00e9. Et c\u2019est aussi la phrase de Kafka lorsqu\u2019il dit : \u00ab Je regarde par la fen\u00eatre \u00bb (de m\u00e9moire), qu\u2019il consid\u00e8re comme une phrase parfaite. Ensuite, le temps que toute cette compr\u00e9hension surgisse \u00e0 partir du travail toujours en mouvement de l\u2019intuition\u2026 est-ce important de se plaindre ou de se r\u00e9jouir ? Sans doute n\u2019est-ce pas utile, ni essentiel, de placer ton attention sur ce point. Juste constater que cette sensation d\u2019\u00e9garement perp\u00e9tuelle, dans laquelle tu n\u2019as jamais voulu d\u00e9vier d\u2019un iota, est le chemin, le seul, l\u2019unique que tu auras choisi d\u2019emprunter et sur lequel \u2014 n\u2019est-ce pas miraculeux ? \u2014 tu te tiens toujours. 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L’escargot est un des meilleurs symbole de la lenteur, mais pas seulement, il porte aussi sa maison sur son dos, ce qui peut \u00eatre aussi \u00e9voquer le talmudiste, ou plus modestement celle o\u00f9 celui qui se voue corps et \u00e2me \u00e0 l’exercice singulier de l’\u00e9criture, de la lecture, voire de la peinture. \u00catre en chemin et se h\u00e2ter lentement. <\/em> Sans oublier cet autre symbole inscrit sur la coquille, la spirale, logarithmique comme celle que l’on d\u00e9couvre avec patience- dans les artichauts, si on ne la d\u00e9tecte pas tout de suite dans l’organisation de leurs feuilles- lorsque l’on parvient au c\u0153ur, aux mouvements de poils tournoyant tels de mini maelstr\u00f6ms, \u00e0 la surface de ce coeur \u00e0 la fois croquant et suave. Ensuite, apr\u00e8s avoir relev\u00e9 toutes ces indications, il faut des nerfs. Hier tu as un peu moins fait semblant de travailler que durant ces derni\u00e8res semaines. Tu t’es lanc\u00e9 dans la r\u00e9alisation de fonds sur de trois grandes toiles 100x80 un format 60x80 et encore un autre 70x70. Apr\u00e8s des jours de t\u00e2tonnement, de trituration de toute cette boue, le pour et le contre<\/em> quelque chose \u00e0 l\u00e2ch\u00e9. l’escargot se transforme parfois, sit\u00f4t que l’on d\u00e9tourne le regard de son trajet, en bolide. Non que tu te sois mis \u00e0 peindre vite, au contraire tu as fait tout \u00e7a au ralenti. Et c’est encore une particularit\u00e9 de ce type de lenteur que tu connais d\u00e9j\u00e0, mais sur quoi tu ne t’arr\u00eates jamais tant tu as toujours cette sensation d\u00e9sagr\u00e9able de n’en avoir pas suffisamment fait, de n’avoir pas assez donn\u00e9 de toi-m\u00eame. Tu imagines toujours si facilement \u00eatre \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tes pompes<\/em>selon l’expression consacr\u00e9e. C’est la d\u00e9finition de toi formul\u00e9e depuis la nuit des temps par ces voix d’outre-tombe et dont l’\u00e9cho continue \u00e0 produire son petit effet troublant. On en revient encore \u00e0 la notion de double, \u00e0 celui qui marche sous les yeux du m\u00eame qui l’observe marcher et de temps en temps pousse l’ensemble comme par inadvertance dans l’\u00e9garement. M\u00e9canisme totalement inconscient pendant une vie enti\u00e8re et qui tout \u00e0 coup se d\u00e9voile comme au terme d’un tour de table au poker. Quelque chose abat son jeu et l’on reste mi-figue mi-raisin dans cet instant, cet entre- deux, o\u00f9 on ne sait si on a gagn\u00e9 ou perdu la mise. C’est d’ailleurs cet instant qui extr\u00eamement excitant explique tout l’attrait du jeu probablement. Car gagner ou perdre n’est rien de plus qu’une cons\u00e9quence assez banale. Et surtout que l’on peut retourner comme un gant \u00e0 loisir. N’est-ce pas cela en fin de compte la nature m\u00eame de cet engouement pour la lecture, pour l’\u00e9criture, pour la peinture, si tu r\u00e9fl\u00e9chis bien. Ce creux semblable \u00e0 celui du clou qui p\u00e9n\u00e8tre l’argile d’un rouleau pour cr\u00e9er la lettre, le mot, la langue. Ce cercle ou ce point sur quoi l’artiste aurait zoom\u00e9, du tableau de Malevich. Ce que l’on ne voit pas \u00e0 l’\u0153il nu sur les photographies que l’on trouve sur le net, c’est la vibration affolante de la peinture. Toutes les traces laiss\u00e9es par l’homme et cette entit\u00e9, appelle \u00e7a Dieu ou l’inconscient, qui pour que cette figure naisse s’oblige \u00e0 se retirer, \u00e0 laisser ce creux. La fameuse phrase de Lacan tout moins un<\/em> parce que tout seul rien n’est possible, si tout se suffit \u00e0 lui-m\u00eame nulle n\u00e9cessite d’humanit\u00e9. Et c’est aussi la phrase de Kafka lorsqu’il dit : je regarde par la fen\u00eatre ( de m\u00e9moire ) et qu’il consid\u00e8re comme une phrase parfaite. Ensuite le temps que toute cette compr\u00e9hension surgisse \u00e0 partir du travail toujours en mouvement de l’intuition... est-ce important de se plaindre ou de se r\u00e9jouir. Sans doute n’est-ce pas utile, essentiel , de placer ton attention sur ce point. Juste constater que cette sensation d’\u00e9garement perp\u00e9tuelle et dans laquelle tu n’as jamais voulu d\u00e9vier d’un iota est le chemin, le seul, l’unique que tu auras choisi d’emprunter et sur lequel, n’est-ce pas miraculeux, tu te tiens toujours.<\/p>", "content_text": "L'escargot est un des meilleurs symbole de la lenteur, mais pas seulement, il porte aussi sa maison sur son dos, ce qui peut \u00eatre aussi \u00e9voquer le talmudiste, ou plus modestement celle o\u00f9 celui qui se voue corps et \u00e2me \u00e0 l'exercice singulier de l'\u00e9criture, de la lecture, voire de la peinture. \u00catre en chemin et se h\u00e2ter lentement. Sans oublier cet autre symbole inscrit sur la coquille, la spirale, logarithmique comme celle que l'on d\u00e9couvre avec patience- dans les artichauts, si on ne la d\u00e9tecte pas tout de suite dans l'organisation de leurs feuilles- lorsque l'on parvient au c\u0153ur, aux mouvements de poils tournoyant tels de mini maelstr\u00f6ms, \u00e0 la surface de ce coeur \u00e0 la fois croquant et suave. Ensuite, apr\u00e8s avoir relev\u00e9 toutes ces indications, il faut des nerfs. Hier tu as un peu moins fait semblant de travailler que durant ces derni\u00e8res semaines. Tu t'es lanc\u00e9 dans la r\u00e9alisation de fonds sur de trois grandes toiles 100x80 un format 60x80 et encore un autre 70x70. Apr\u00e8s des jours de t\u00e2tonnement, de trituration de toute cette boue, le pour et le contre quelque chose \u00e0 l\u00e2ch\u00e9. l'escargot se transforme parfois, sit\u00f4t que l'on d\u00e9tourne le regard de son trajet, en bolide. Non que tu te sois mis \u00e0 peindre vite, au contraire tu as fait tout \u00e7a au ralenti. Et c'est encore une particularit\u00e9 de ce type de lenteur que tu connais d\u00e9j\u00e0, mais sur quoi tu ne t'arr\u00eates jamais tant tu as toujours cette sensation d\u00e9sagr\u00e9able de n'en avoir pas suffisamment fait, de n'avoir pas assez donn\u00e9 de toi-m\u00eame. Tu imagines toujours si facilement \u00eatre \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de tes pompesselon l'expression consacr\u00e9e. C'est la d\u00e9finition de toi formul\u00e9e depuis la nuit des temps par ces voix d'outre-tombe et dont l'\u00e9cho continue \u00e0 produire son petit effet troublant. On en revient encore \u00e0 la notion de double, \u00e0 celui qui marche sous les yeux du m\u00eame qui l'observe marcher et de temps en temps pousse l'ensemble comme par inadvertance dans l'\u00e9garement. M\u00e9canisme totalement inconscient pendant une vie enti\u00e8re et qui tout \u00e0 coup se d\u00e9voile comme au terme d'un tour de table au poker. Quelque chose abat son jeu et l'on reste mi-figue mi-raisin dans cet instant, cet entre- deux, o\u00f9 on ne sait si on a gagn\u00e9 ou perdu la mise. C'est d'ailleurs cet instant qui extr\u00eamement excitant explique tout l'attrait du jeu probablement. Car gagner ou perdre n'est rien de plus qu'une cons\u00e9quence assez banale. Et surtout que l'on peut retourner comme un gant \u00e0 loisir. N'est-ce pas cela en fin de compte la nature m\u00eame de cet engouement pour la lecture, pour l'\u00e9criture, pour la peinture, si tu r\u00e9fl\u00e9chis bien. Ce creux semblable \u00e0 celui du clou qui p\u00e9n\u00e8tre l'argile d'un rouleau pour cr\u00e9er la lettre, le mot, la langue. Ce cercle ou ce point sur quoi l'artiste aurait zoom\u00e9, du tableau de Malevich. Ce que l'on ne voit pas \u00e0 l'\u0153il nu sur les photographies que l'on trouve sur le net, c'est la vibration affolante de la peinture. Toutes les traces laiss\u00e9es par l'homme et cette entit\u00e9, appelle \u00e7a Dieu ou l'inconscient, qui pour que cette figure naisse s'oblige \u00e0 se retirer, \u00e0 laisser ce creux. La fameuse phrase de Lacan tout moins un parce que tout seul rien n'est possible, si tout se suffit \u00e0 lui-m\u00eame nulle n\u00e9cessite d'humanit\u00e9. Et c'est aussi la phrase de Kafka lorsqu'il dit : je regarde par la fen\u00eatre ( de m\u00e9moire ) et qu'il consid\u00e8re comme une phrase parfaite. Ensuite le temps que toute cette compr\u00e9hension surgisse \u00e0 partir du travail toujours en mouvement de l'intuition... est-ce important de se plaindre ou de se r\u00e9jouir. Sans doute n'est-ce pas utile, essentiel , de placer ton attention sur ce point. Juste constater que cette sensation d'\u00e9garement perp\u00e9tuelle et dans laquelle tu n'as jamais voulu d\u00e9vier d'un iota est le chemin, le seul, l'unique que tu auras choisi d'emprunter et sur lequel, n'est-ce pas miraculeux, tu te tiens toujours.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7750jpgw218-6c502e13-84860.jpg?1761144787", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-janvier-2023.html", "title": "10 janvier 2023", "date_published": "2023-01-10T16:01:00Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Lorsque l\u2019on me raconte des r\u00e9cits de voyage, je suis toujours surpris par la mani\u00e8re dont ils sont relat\u00e9s. Les noms des villes, que je pense conna\u00eetre pour y \u00eatre pass\u00e9 une fois ou deux, se transforment \u00e0 chaque fois sous l’effet du ton, du timbre, de la prononciation de ceux qui les \u00e9voquent. Prenons par exemple La Havane. Je me souvenais vaguement y avoir \u00e9t\u00e9 en 2006, pour mon voyage de noces. Mais en \u00e9coutant un journaliste prononcer son nom, puis en regardant un documentaire sur la ville, ma curiosit\u00e9 s’est \u00e9veill\u00e9e : je ne reconnaissais pas La Havane que l’on me montrait.<\/p>\n

Le m\u00eame ph\u00e9nom\u00e8ne s’est produit pour Lisbonne, que je pensais conna\u00eetre intimement, ainsi que pour Berlin, Prague, Londres, et m\u00eame Jaipur. \u00c0 chaque fois, c\u2019\u00e9tait comme si je n\u2019y avais jamais mis les pieds. Si je rencontrais dix personnes ayant visit\u00e9 La Havane, chacune me peindrait sans doute une ville imaginaire.<\/p>\n

Comment s’y prennent-elles pour donner l’impression du vrai ? Il suffit d’\u00e9noncer quelques noms de quartiers, des rues, en usant de l’idiome local. Dire « Habana Vieja » au lieu de « vieille ville », ou murmurer, les yeux mi-clos : « Je me souviens d\u2019avoir travers\u00e9 la Plaza de la Revoluci\u00f3n \u00e0 Vedado, immense, une des plus grandes du monde... » Ce genre de d\u00e9tail valide, pour la plupart des auditeurs, l\u2019authenticit\u00e9 du r\u00e9cit. Mais pour moi, cela ne sonne jamais vrai. Je ne me souviens plus du tout de cette fameuse place, ni des gratte-ciels autour, juste d\u2019une place quelconque, perdue parmi tant d\u2019autres dans le monde.<\/p>\n

C\u2019est exactement ce qui se passe quand on me raconte des voyages avec force d\u00e9tails. Longtemps, je dois l\u2019avouer, cela m\u2019aga\u00e7ait. Je prenais conscience de mon incapacit\u00e9 \u00e0 retenir quoi que ce soit de mes propres p\u00e9riples. Mais avec le temps, la r\u00e9p\u00e9tition et l\u2019ennui m\u2019ont conduit \u00e0 une quasi indiff\u00e9rence face \u00e0 ces r\u00e9cits. Si je n’avais pas \u00e0 subir de projection de photos en plus, je pouvais m’estimer heureux.<\/p>\n

J\u2019ai lu Cendrars, Pierre Loti, Alexandra David-N\u00e9el, Pierre Mac Orlan, et surtout Gustave Le Rouge, ce menteur bien moins talentueux que les autres. Peut-\u00eatre est-ce la principale raison de mon d\u00e9tachement vis-\u00e0-vis des r\u00e9cits, souvent tr\u00e8s m\u00e9diocres, de narrateurs lambda. C\u2019est \u00e0 partir de cette prise de conscience que j\u2019ai envelopp\u00e9 tous mes propres voyages dans un \u00e9pais silence. Car, comme tout le monde, je n\u2019ai qu\u2019un arsenal tr\u00e8s limit\u00e9 de combines pour rendre un r\u00e9cit de voyage int\u00e9ressant.<\/p>", "content_text": " Lorsque l\u2019on me raconte des r\u00e9cits de voyage, je suis toujours surpris par la mani\u00e8re dont ils sont relat\u00e9s. Les noms des villes, que je pense conna\u00eetre pour y \u00eatre pass\u00e9 une fois ou deux, se transforment \u00e0 chaque fois sous l'effet du ton, du timbre, de la prononciation de ceux qui les \u00e9voquent. Prenons par exemple La Havane. Je me souvenais vaguement y avoir \u00e9t\u00e9 en 2006, pour mon voyage de noces. Mais en \u00e9coutant un journaliste prononcer son nom, puis en regardant un documentaire sur la ville, ma curiosit\u00e9 s'est \u00e9veill\u00e9e : je ne reconnaissais pas La Havane que l'on me montrait. Le m\u00eame ph\u00e9nom\u00e8ne s'est produit pour Lisbonne, que je pensais conna\u00eetre intimement, ainsi que pour Berlin, Prague, Londres, et m\u00eame Jaipur. \u00c0 chaque fois, c\u2019\u00e9tait comme si je n\u2019y avais jamais mis les pieds. Si je rencontrais dix personnes ayant visit\u00e9 La Havane, chacune me peindrait sans doute une ville imaginaire. Comment s'y prennent-elles pour donner l'impression du vrai ? Il suffit d'\u00e9noncer quelques noms de quartiers, des rues, en usant de l'idiome local. Dire \"Habana Vieja\" au lieu de \"vieille ville\", ou murmurer, les yeux mi-clos : \"Je me souviens d\u2019avoir travers\u00e9 la Plaza de la Revoluci\u00f3n \u00e0 Vedado, immense, une des plus grandes du monde...\" Ce genre de d\u00e9tail valide, pour la plupart des auditeurs, l\u2019authenticit\u00e9 du r\u00e9cit. Mais pour moi, cela ne sonne jamais vrai. Je ne me souviens plus du tout de cette fameuse place, ni des gratte-ciels autour, juste d\u2019une place quelconque, perdue parmi tant d\u2019autres dans le monde. C\u2019est exactement ce qui se passe quand on me raconte des voyages avec force d\u00e9tails. Longtemps, je dois l\u2019avouer, cela m\u2019aga\u00e7ait. Je prenais conscience de mon incapacit\u00e9 \u00e0 retenir quoi que ce soit de mes propres p\u00e9riples. Mais avec le temps, la r\u00e9p\u00e9tition et l\u2019ennui m\u2019ont conduit \u00e0 une quasi indiff\u00e9rence face \u00e0 ces r\u00e9cits. Si je n'avais pas \u00e0 subir de projection de photos en plus, je pouvais m'estimer heureux. J\u2019ai lu Cendrars, Pierre Loti, Alexandra David-N\u00e9el, Pierre Mac Orlan, et surtout Gustave Le Rouge, ce menteur bien moins talentueux que les autres. Peut-\u00eatre est-ce la principale raison de mon d\u00e9tachement vis-\u00e0-vis des r\u00e9cits, souvent tr\u00e8s m\u00e9diocres, de narrateurs lambda. C\u2019est \u00e0 partir de cette prise de conscience que j\u2019ai envelopp\u00e9 tous mes propres voyages dans un \u00e9pais silence. Car, comme tout le monde, je n\u2019ai qu\u2019un arsenal tr\u00e8s limit\u00e9 de combines pour rendre un r\u00e9cit de voyage int\u00e9ressant.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7748.jpg?1748065225", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/lire-pierre-bergounioux-2287.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/lire-pierre-bergounioux-2287.html", "title": "lire Pierre Bergounioux.", "date_published": "2023-01-10T08:05:47Z", "date_modified": "2025-10-22T14:15:57Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

Lu quelques pages du premier mot<\/em> de Pierre Bergounioux, Gallimard 2001. D\u00e9s le d\u00e9but il m’est n\u00e9cessaire de le lire \u00e0 haute voix pour apprendre \u00e0 conna\u00eetre son souffle, sa respiration, sinon quasiment impossible de le lire en silence. Impression que les trois quart de l’importance de ses phrases m’\u00e9chappent. Et comme \u00e0 dire ses mots \u00e0 lui ainsi avec ma voix \u00e0 moi m’en rapproche. Sauf que cette part de moi-m\u00eame qui se rapproche de ce texte est in\u00e9dite dans sa plus grande pr\u00e9sence. Je retrouve un d\u00e9sarroi infini d’enfant \u00e0 cette lecture, un d\u00e9sarroi que ce texte met \u00e0 jour sans brusquerie , aimablement, calmement, savamment. Et c’est bien l\u00e0 encore que je peux mesure l’\u00e9cart entre ce que je voudrais parvenir \u00e0 \u00e9crire, ce que j’imagine \u00e9crire et ce que j’\u00e9cris r\u00e9ellement.<\/p>", "content_text": "Lu quelques pages du premier mot de Pierre Bergounioux, Gallimard 2001. D\u00e9s le d\u00e9but il m'est n\u00e9cessaire de le lire \u00e0 haute voix pour apprendre \u00e0 conna\u00eetre son souffle, sa respiration, sinon quasiment impossible de le lire en silence. Impression que les trois quart de l'importance de ses phrases m'\u00e9chappent. Et comme \u00e0 dire ses mots \u00e0 lui ainsi avec ma voix \u00e0 moi m'en rapproche. Sauf que cette part de moi-m\u00eame qui se rapproche de ce texte est in\u00e9dite dans sa plus grande pr\u00e9sence. Je retrouve un d\u00e9sarroi infini d'enfant \u00e0 cette lecture, un d\u00e9sarroi que ce texte met \u00e0 jour sans brusquerie , aimablement, calmement, savamment. Et c'est bien l\u00e0 encore que je peux mesure l'\u00e9cart entre ce que je voudrais parvenir \u00e0 \u00e9crire, ce que j'imagine \u00e9crire et ce que j'\u00e9cris r\u00e9ellement. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7749jpgw520-32ac3370-a8534.jpg?1761142541", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/voyage-figuratif-voyage-abstrait.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/voyage-figuratif-voyage-abstrait.html", "title": "voyage figuratif, voyage abstrait", "date_published": "2023-01-10T06:09:49Z", "date_modified": "2025-10-22T14:28:10Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "

avanc\u00e9e du travail sur l’\u00e2ne le classique et l’indien janvier 2023<\/p>\n

Tout vient de l’\u0153il et du temps pour bien ou mal voyager. \u00c0 Lahore, au Pakistan o\u00f9 je parvins apr\u00e8s un \u00e9reintant voyage au travers la chaleur, l’odeur du th\u00e9 au lait br\u00fblant , relev\u00e9 de bergamote, et mon habituelle m\u00e9lancolie, j’allais visiter le Fort Rouge . Plus par d\u00e9s\u0153uvrement, parce qu’il faut amasser ce genre de faits d’arme comme un guerrier collectionne les dents de ses victimes et les exhibera ensuite en collier, que par v\u00e9ritable int\u00e9r\u00eat. Rouge, le fort ne le fut que peu avant qu’il ne devinsse, tout \u00e0 coup, en quelques secondes \u00e0 peine , une photographie pass\u00e9e, une image dans une bo\u00eete , imprim\u00e9e en n\u00e9gatif sur un support de g\u00e9latine, cens\u00e9e immortaliser cet instant, mais une image trompeuse. Ce ne fut qu’un simple coup d’\u0153il, au milli\u00e8me de seconde, un clich\u00e9 comme toutes ces images captur\u00e9es par les appareils photographiques des touristes. J’ai donc vu le Fort Rouge comme la plupart des gens qui furent l\u00e0 au m\u00eame moment. J’ai vue une b\u00e2tisse, une construction visible avec ses dimensions pr\u00e9cises mais dont la pr\u00e9cision m’\u00e9chappe encore aujourd’hui , tout comme les n\u00e9cessit\u00e9s de sa g\u00e9om\u00e9trie apparente et secr\u00e8te, son histoire, sa raison d’\u00eatre. J’ai tout \u00e9cart\u00e9 en un clin d’\u0153il de fa\u00e7on grossi\u00e8re, r\u00e9tinienne, figurative<\/em> dans l’acception la plus grossi\u00e8re du mot. De la plupart des lieux visit\u00e9s ainsi dans l’urgence de voir sans savoir, et-faut-il l’ajouter- une ignorance propre \u00e0 la jeunesse, leur r\u00e9alit\u00e9 m’aura \u00e9chapp\u00e9e. De retour chez moi, \u00e0 Paris ou ailleurs il m’en est rest\u00e9 une sorte de frustration et aussi une sorte d’\u00e9trange regret, comme de la culpabilit\u00e9. Car \u00e0 l’\u00e9vidence et je me le suis souvent dit , ce fut comme si je n’avais rien vu du tout, que j’eusse vu les choses qu’en surface. Et m\u00eame pire que je ne l’ai jamais vues autrement qu’en imagination. C’est pour cela que je peux dire aujourd’hui, je peux m\u00eame le d\u00e9clarer : que l’essentiel de tous ces lieux, sans aucun doute m’a \u00e9chapp\u00e9. C’est ainsi que, durant toute ma vie et durant ces voyages, j’ai amass\u00e9 des troph\u00e9es en toc dans ma m\u00e9moire. Et en r\u00e9alit\u00e9 aujourd’hui quelle amertume de constater qu’elle n’est plus qu’une sorte de mus\u00e9e \u00e0 l’abandon, peupl\u00e9 d’\u0153uvres que nul public ne regarde jamais, pas m\u00eame moi.<\/p>\n

Et puis un jour j’ai pris le temps de regarder attentivement le corps de cette femme allong\u00e9e pr\u00e8s de moi dans cette chambre d’h\u00f4tel, \u00e0 Karachi. Nous avions fait l’amour toute la nuit avec vigueur et m\u00eame parfois avec un peu de tendresse et d\u00e9sormais elle dormait. Combien de temps suis-je rest\u00e9 l\u00e0 appuy\u00e9 sur un coude \u00e0 observer son visage, ses paupi\u00e8res closes, sa bouche l\u00e9g\u00e8rement entrouverte et son corps nu abandonn\u00e9 \u00e0 la qui\u00e9tude du sommeil, je ne saurais le dire. En revanche ce dont je me souviens avec une extr\u00eame pr\u00e9cision c’est comment cette femme, ce corps, cette pr\u00e9sence, tout cela se m\u00e9tamorphosa soudain en une vision abstraite. L’\u0153il, adjoint \u00e0 la dur\u00e9e que j’avais prise cette fois pour regarder avait eu le pouvoir \u00e9tonnant de me montrer une version totalement in\u00e9dite de ce que je croyais \u00eatre la r\u00e9alit\u00e9 avec laquelle je vivais jusque- l\u00e0. Ce fut comme une trou\u00e9e dans l’espace temps une \u00e9motion bouleversante car soudain des bribes de souvenirs totalement oubli\u00e9s me revinrent par flots. La plupart appartenaient \u00e0 la p\u00e9riode de l’enfance o\u00f9 j’avais coutume de rester de longues heures \u00e0 observer le ciel, un tronc d’arbre, des colonies d’insectes dans les herbes du jardin. La femme qui dormait pr\u00e8s de moi n’\u00e9tait plus alors cette inconnue que j’avais rencontr\u00e9e quelques jours \u00e0 peine auparavant, elle \u00e9tait devenue une abstraction<\/em> si j’ose dire un tel mot. Mais il n’est pas p\u00e9joratif du tout, bien au contraire. Je crois que c’est \u00e0 ce moment l\u00e0 pr\u00e9cis\u00e9ment que j’ai d\u00e9couvert le sens de ce mot. Je m’\u00e9tais abstrait d’un espace temps pour p\u00e9n\u00e9trer dans un autre beaucoup plus vaste et myst\u00e9rieux. La seule explication de ce micro \u00e9v\u00e9nement mais d’un intensit\u00e9 qui perdure encore, et que je peux livrer des ann\u00e9es apr\u00e8s, c’est une raison li\u00e9e \u00e0 l’\u0153il et au temps pris par celui-ci pour s’ouvrir, pour voir ce qui ne se laisse pas voir dans la rapidit\u00e9.<\/p>", "content_text": "avanc\u00e9e du travail sur l'\u00e2ne le classique et l'indien janvier 2023 \n\nTout vient de l'\u0153il et du temps pour bien ou mal voyager. \u00c0 Lahore, au Pakistan o\u00f9 je parvins apr\u00e8s un \u00e9reintant voyage au travers la chaleur, l'odeur du th\u00e9 au lait br\u00fblant , relev\u00e9 de bergamote, et mon habituelle m\u00e9lancolie, j'allais visiter le Fort Rouge . Plus par d\u00e9s\u0153uvrement, parce qu'il faut amasser ce genre de faits d'arme comme un guerrier collectionne les dents de ses victimes et les exhibera ensuite en collier, que par v\u00e9ritable int\u00e9r\u00eat. Rouge, le fort ne le fut que peu avant qu'il ne devinsse, tout \u00e0 coup, en quelques secondes \u00e0 peine , une photographie pass\u00e9e, une image dans une bo\u00eete , imprim\u00e9e en n\u00e9gatif sur un support de g\u00e9latine, cens\u00e9e immortaliser cet instant, mais une image trompeuse. Ce ne fut qu'un simple coup d'\u0153il, au milli\u00e8me de seconde, un clich\u00e9 comme toutes ces images captur\u00e9es par les appareils photographiques des touristes. J'ai donc vu le Fort Rouge comme la plupart des gens qui furent l\u00e0 au m\u00eame moment. J'ai vue une b\u00e2tisse, une construction visible avec ses dimensions pr\u00e9cises mais dont la pr\u00e9cision m'\u00e9chappe encore aujourd'hui , tout comme les n\u00e9cessit\u00e9s de sa g\u00e9om\u00e9trie apparente et secr\u00e8te, son histoire, sa raison d'\u00eatre. J'ai tout \u00e9cart\u00e9 en un clin d'\u0153il de fa\u00e7on grossi\u00e8re, r\u00e9tinienne, figurative dans l'acception la plus grossi\u00e8re du mot. De la plupart des lieux visit\u00e9s ainsi dans l'urgence de voir sans savoir, et-faut-il l'ajouter- une ignorance propre \u00e0 la jeunesse, leur r\u00e9alit\u00e9 m'aura \u00e9chapp\u00e9e. De retour chez moi, \u00e0 Paris ou ailleurs il m'en est rest\u00e9 une sorte de frustration et aussi une sorte d'\u00e9trange regret, comme de la culpabilit\u00e9. Car \u00e0 l'\u00e9vidence et je me le suis souvent dit , ce fut comme si je n'avais rien vu du tout, que j'eusse vu les choses qu'en surface. Et m\u00eame pire que je ne l'ai jamais vues autrement qu'en imagination. C'est pour cela que je peux dire aujourd'hui, je peux m\u00eame le d\u00e9clarer : que l'essentiel de tous ces lieux, sans aucun doute m'a \u00e9chapp\u00e9. C'est ainsi que, durant toute ma vie et durant ces voyages, j'ai amass\u00e9 des troph\u00e9es en toc dans ma m\u00e9moire. Et en r\u00e9alit\u00e9 aujourd'hui quelle amertume de constater qu'elle n'est plus qu'une sorte de mus\u00e9e \u00e0 l'abandon, peupl\u00e9 d'\u0153uvres que nul public ne regarde jamais, pas m\u00eame moi.\n\nEt puis un jour j'ai pris le temps de regarder attentivement le corps de cette femme allong\u00e9e pr\u00e8s de moi dans cette chambre d'h\u00f4tel, \u00e0 Karachi. Nous avions fait l'amour toute la nuit avec vigueur et m\u00eame parfois avec un peu de tendresse et d\u00e9sormais elle dormait. Combien de temps suis-je rest\u00e9 l\u00e0 appuy\u00e9 sur un coude \u00e0 observer son visage, ses paupi\u00e8res closes, sa bouche l\u00e9g\u00e8rement entrouverte et son corps nu abandonn\u00e9 \u00e0 la qui\u00e9tude du sommeil, je ne saurais le dire. En revanche ce dont je me souviens avec une extr\u00eame pr\u00e9cision c'est comment cette femme, ce corps, cette pr\u00e9sence, tout cela se m\u00e9tamorphosa soudain en une vision abstraite. L'\u0153il, adjoint \u00e0 la dur\u00e9e que j'avais prise cette fois pour regarder avait eu le pouvoir \u00e9tonnant de me montrer une version totalement in\u00e9dite de ce que je croyais \u00eatre la r\u00e9alit\u00e9 avec laquelle je vivais jusque- l\u00e0. Ce fut comme une trou\u00e9e dans l'espace temps une \u00e9motion bouleversante car soudain des bribes de souvenirs totalement oubli\u00e9s me revinrent par flots. La plupart appartenaient \u00e0 la p\u00e9riode de l'enfance o\u00f9 j'avais coutume de rester de longues heures \u00e0 observer le ciel, un tronc d'arbre, des colonies d'insectes dans les herbes du jardin. La femme qui dormait pr\u00e8s de moi n'\u00e9tait plus alors cette inconnue que j'avais rencontr\u00e9e quelques jours \u00e0 peine auparavant, elle \u00e9tait devenue une abstraction si j'ose dire un tel mot. Mais il n'est pas p\u00e9joratif du tout, bien au contraire. Je crois que c'est \u00e0 ce moment l\u00e0 pr\u00e9cis\u00e9ment que j'ai d\u00e9couvert le sens de ce mot. Je m'\u00e9tais abstrait d'un espace temps pour p\u00e9n\u00e9trer dans un autre beaucoup plus vaste et myst\u00e9rieux. La seule explication de ce micro \u00e9v\u00e9nement mais d'un intensit\u00e9 qui perdure encore, et que je peux livrer des ann\u00e9es apr\u00e8s, c'est une raison li\u00e9e \u00e0 l'\u0153il et au temps pris par celui-ci pour s'ouvrir, pour voir ce qui ne se laisse pas voir dans la rapidit\u00e9.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_7747jpgw854-1c6bfbf7.jpg?1761143244", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-janvier-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-janvier-2023.html", "title": "08 janvier 2023", "date_published": "2023-01-08T15:57:00Z", "date_modified": "2025-04-30T16:25:01Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

\u00c0 les \u00e9couter, on deviendrait fou. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019on ne serait plus soi-m\u00eame. Tout cela \u00e0 cause de la solitude, \u00e9videmment. Alors on se regroupe, on se caresse dans le sens du poil, on se l\u00e8che, on se tripote, on s\u2019\u00e9treint. Derri\u00e8re la Joconde, accroch\u00e9e au Louvre, il y a le Radeau de la M\u00e9duse.<\/p>\n

Hasard ou ironie ? Sans doute les deux. En tout cas, la vraie sc\u00e8ne, celle qui m\u00e9rite d\u2019\u00eatre observ\u00e9e, se trouve quelque part entre les deux tableaux. Entre Da Vinci et G\u00e9ricault, on trouve toute la com\u00e9die, toute la trag\u00e9die humaine.<\/p>\n

On ne choisit pas la solitude au d\u00e9but. Elle tombe sur nous comme une gr\u00e2ce. Elle est ce coup de hachoir flanqu\u00e9 par un boucher m\u00e9taphysique, un ogre fabuleux qui d\u00e9vore d\u2019un coup tous les appuis que l\u2019on croyait stables, juste un instant avant, et qui nous permettaient de dire « nous ».<\/p>\n

C\u2019est avec la solitude que je suis n\u00e9 v\u00e9ritablement. Avant, je n\u2019\u00e9tais que du « nous », en pagaille.<\/p>\n

Il me faut fuir cette agitation, quitter les boulevards. Je l\u2019ai fait \u00e0 Venise, me glissant dans les ruelles du ghetto. C\u2019est irr\u00e9pressible. Cette pulsion est l\u00e0, grav\u00e9e dans mes cellules bien avant d\u2019arriver \u00e0 mon esprit. La m\u00e9moire de toutes les humeurs qui circulent dans le sang remonte loin, \u00e0 l\u2019infini des massacres perp\u00e9tr\u00e9s au nom des « nous ».<\/p>\n

Dans le ghetto d\u00e9sert, tout me parle \u00e0 mi-voix. Ce n\u2019est pas une voix d\u2019homme, ni de femme, ni m\u00eame d\u2019enfant. C\u2019est une parole de pierre grise, un murmure qui se m\u00eale \u00e0 l\u2019eau verd\u00e2tre, rejoignant l\u2019\u00e9cho sourd de mes pas sur les pav\u00e9s du quartier de Cannaregio.<\/p>\n

C\u2019est le premier ghetto, cr\u00e9\u00e9 en 1516, o\u00f9 l\u2019on for\u00e7a les Juifs \u00e0 vivre. Le mot « ghetto » pourrait venir de « d\u00e9chet », en r\u00e9f\u00e9rence aux r\u00e9sidus de la fonderie de cuivre qui y \u00e9tait install\u00e9e. On y produisait des armes, des canons, des bombardes.<\/p>\n

La solitude, le ghetto, le d\u00e9chet, tout cela r\u00e9sonne en moi, \u00e9tant donn\u00e9 ma relation presque h\u00e9bra\u00efque au monde, mon obsession du commentaire et de l\u2019ex\u00e9g\u00e8se.<\/p>\n

Mais ici, seul le silence me tient compagnie. Il me parle. Je me souviens d\u2019une \u00e9poque o\u00f9 il m\u2019\u00e9tait \u00e9tranger. Le silence et moi, deux inconnus, dans ce ghetto ancien d\u2019Europe. Cela semble absurde, presque risible comme sujet de r\u00e9flexion.<\/p>\n

Sauf si l\u2019on pense \u00e0 la m\u00e9moire inscrite dans nos cellules. Le destin, c\u2019est tout ce que l\u2019on ne comprend pas. C\u2019est de l\u2019intime, log\u00e9 au plus profond de soi.<\/p>\n

Et cet intime nous rejette sur la rive. Je comprends que l\u2019on veuille fuir cela obstin\u00e9ment, lorsque l\u2019on croit encore \u00e0 l\u2019intimit\u00e9, \u00e0 la chaleur humaine, \u00e0 l\u2019amour, \u00e0 l\u2019avenir.<\/p>\n

J\u2019avais perdu foi en tout cela dans le ghetto de Venise, cet hiver-l\u00e0, semblable \u00e0 cette fin d\u2019ann\u00e9e aujourd\u2019hui.<\/p>\n

Tout le monde parle de libert\u00e9, mais qui est vraiment pr\u00eat \u00e0 en payer le prix ? Qui veut \u00e9changer son sang, ses nerfs, pour ce poids de solitude et de silence ? Et quand on ne p\u00e8se plus rien du tout, quand on est l\u00e9ger au point de se tenir dans l\u2019antichambre de toutes les l\u00e9g\u00e8ret\u00e9s ?<\/p>\n

Chaque fin d\u2019ann\u00e9e, la nostalgie revient en vagues, accompagn\u00e9e de regrets, sans que je comprenne vraiment pourquoi.<\/p>\n

C\u2019est comme si je voyais un autre moi, dans une dimension parall\u00e8le. Cet autre \u00e0 qui tout aurait r\u00e9ussi, ce moi insouciant pour lequel je me serais sacrifi\u00e9, arrachant mes visc\u00e8res pour que lui triomphe. Moi, un martyr dans la solitude et le silence.<\/p>\n

Et pourtant, aujourd\u2019hui, quelque chose a chang\u00e9. Un vent l\u00e9ger a balay\u00e9 les pav\u00e9s de tous les ghettos r\u00e9els ou imaginaires que j\u2019ai travers\u00e9s. Les nuages se sont \u00e9cart\u00e9s sans que je m\u2019en aper\u00e7oive. C\u2019est le cri d\u2019un oiseau, quelque part dans le ciel, qui m\u2019a fait lever les yeux et voir le bleu.<\/p>\n

Je n\u2019ai plus rien \u00e0 dire aujourd\u2019hui, sinon ce silence. Alors je peins, comme on boit pour s\u2019oublier.<\/p>\n

Comme un enfant qui creuse un trou \u00e0 mains nues.<\/p>", "content_text": "\u00c0 les \u00e9couter, on deviendrait fou. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019on ne serait plus soi-m\u00eame. Tout cela \u00e0 cause de la solitude, \u00e9videmment. Alors on se regroupe, on se caresse dans le sens du poil, on se l\u00e8che, on se tripote, on s\u2019\u00e9treint. Derri\u00e8re la Joconde, accroch\u00e9e au Louvre, il y a le Radeau de la M\u00e9duse. Hasard ou ironie ? Sans doute les deux. En tout cas, la vraie sc\u00e8ne, celle qui m\u00e9rite d\u2019\u00eatre observ\u00e9e, se trouve quelque part entre les deux tableaux. Entre Da Vinci et G\u00e9ricault, on trouve toute la com\u00e9die, toute la trag\u00e9die humaine. On ne choisit pas la solitude au d\u00e9but. Elle tombe sur nous comme une gr\u00e2ce. Elle est ce coup de hachoir flanqu\u00e9 par un boucher m\u00e9taphysique, un ogre fabuleux qui d\u00e9vore d\u2019un coup tous les appuis que l\u2019on croyait stables, juste un instant avant, et qui nous permettaient de dire \u00ab nous \u00bb. C\u2019est avec la solitude que je suis n\u00e9 v\u00e9ritablement. Avant, je n\u2019\u00e9tais que du \u00ab nous \u00bb, en pagaille. Il me faut fuir cette agitation, quitter les boulevards. Je l\u2019ai fait \u00e0 Venise, me glissant dans les ruelles du ghetto. C\u2019est irr\u00e9pressible. Cette pulsion est l\u00e0, grav\u00e9e dans mes cellules bien avant d\u2019arriver \u00e0 mon esprit. La m\u00e9moire de toutes les humeurs qui circulent dans le sang remonte loin, \u00e0 l\u2019infini des massacres perp\u00e9tr\u00e9s au nom des \u00ab nous \u00bb. Dans le ghetto d\u00e9sert, tout me parle \u00e0 mi-voix. Ce n\u2019est pas une voix d\u2019homme, ni de femme, ni m\u00eame d\u2019enfant. C\u2019est une parole de pierre grise, un murmure qui se m\u00eale \u00e0 l\u2019eau verd\u00e2tre, rejoignant l\u2019\u00e9cho sourd de mes pas sur les pav\u00e9s du quartier de Cannaregio. C\u2019est le premier ghetto, cr\u00e9\u00e9 en 1516, o\u00f9 l\u2019on for\u00e7a les Juifs \u00e0 vivre. Le mot \u00ab ghetto \u00bb pourrait venir de \u00ab d\u00e9chet \u00bb, en r\u00e9f\u00e9rence aux r\u00e9sidus de la fonderie de cuivre qui y \u00e9tait install\u00e9e. On y produisait des armes, des canons, des bombardes. La solitude, le ghetto, le d\u00e9chet, tout cela r\u00e9sonne en moi, \u00e9tant donn\u00e9 ma relation presque h\u00e9bra\u00efque au monde, mon obsession du commentaire et de l\u2019ex\u00e9g\u00e8se. Mais ici, seul le silence me tient compagnie. Il me parle. Je me souviens d\u2019une \u00e9poque o\u00f9 il m\u2019\u00e9tait \u00e9tranger. Le silence et moi, deux inconnus, dans ce ghetto ancien d\u2019Europe. Cela semble absurde, presque risible comme sujet de r\u00e9flexion. Sauf si l\u2019on pense \u00e0 la m\u00e9moire inscrite dans nos cellules. Le destin, c\u2019est tout ce que l\u2019on ne comprend pas. C\u2019est de l\u2019intime, log\u00e9 au plus profond de soi. Et cet intime nous rejette sur la rive. Je comprends que l\u2019on veuille fuir cela obstin\u00e9ment, lorsque l\u2019on croit encore \u00e0 l\u2019intimit\u00e9, \u00e0 la chaleur humaine, \u00e0 l\u2019amour, \u00e0 l\u2019avenir. J\u2019avais perdu foi en tout cela dans le ghetto de Venise, cet hiver-l\u00e0, semblable \u00e0 cette fin d\u2019ann\u00e9e aujourd\u2019hui. Tout le monde parle de libert\u00e9, mais qui est vraiment pr\u00eat \u00e0 en payer le prix ? Qui veut \u00e9changer son sang, ses nerfs, pour ce poids de solitude et de silence ? Et quand on ne p\u00e8se plus rien du tout, quand on est l\u00e9ger au point de se tenir dans l\u2019antichambre de toutes les l\u00e9g\u00e8ret\u00e9s ? Chaque fin d\u2019ann\u00e9e, la nostalgie revient en vagues, accompagn\u00e9e de regrets, sans que je comprenne vraiment pourquoi. C\u2019est comme si je voyais un autre moi, dans une dimension parall\u00e8le. Cet autre \u00e0 qui tout aurait r\u00e9ussi, ce moi insouciant pour lequel je me serais sacrifi\u00e9, arrachant mes visc\u00e8res pour que lui triomphe. Moi, un martyr dans la solitude et le silence. Et pourtant, aujourd\u2019hui, quelque chose a chang\u00e9. Un vent l\u00e9ger a balay\u00e9 les pav\u00e9s de tous les ghettos r\u00e9els ou imaginaires que j\u2019ai travers\u00e9s. Les nuages se sont \u00e9cart\u00e9s sans que je m\u2019en aper\u00e7oive. C\u2019est le cri d\u2019un oiseau, quelque part dans le ciel, qui m\u2019a fait lever les yeux et voir le bleu. Je n\u2019ai plus rien \u00e0 dire aujourd\u2019hui, sinon ce silence. Alors je peins, comme on boit pour s\u2019oublier. 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En \u00eatre ou ne pas en \u00eatre<\/i> —[Proust transformant Shakespeare]. Ni l\u2019un ni l\u2019autre, ou peut-\u00eatre les deux \u00e0 la fois. C\u2019est la r\u00e9ponse presque in\u00e9vitable pour un artiste. Une position d\u2019\u00e9quilibriste, car il faut se tenir \u00e0 la fois au c\u0153ur de la trag\u00e9die et \u00e0 ses marges. En d’autres termes, trouver cet \u00e9quilibre, souvent fragile, entre trag\u00e9die et humour. C’est cette n\u00e9cessit\u00e9 de simultan\u00e9it\u00e9, et la qu\u00eate perp\u00e9tuelle qu’elle impose, qui rejoint la d\u00e9finition talmudique d\u2019\u00eatre en chemin au sein de cette double contrainte : celle que l\u2019artiste se donne ou subit. C’est l\u00e0 que na\u00eet l\u2019\u0153uvre.<\/p>\n

« En \u00eatre ou ne pas en \u00eatre » — voil\u00e0 une question qui, appliqu\u00e9e \u00e0 l’artiste ou \u00e0 son \u0153uvre, ouvre un champ immense de possibilit\u00e9s. C’est un questionnement omnipr\u00e9sent, une mise en ab\u00eeme de la question elle-m\u00eame. Certains r\u00e9sumeraient ce dilemme par la notion d\u2019identit\u00e9, ou tenteraient de l\u2019expliquer \u00e0 travers la logique aristot\u00e9licienne. Pourtant, « en \u00eatre et ne pas en \u00eatre » d\u00e9passe le principe de contradiction classique. Pour un \u00e9tudiant du Talmud, cette d\u00e9marche est presque famili\u00e8re.<\/p>\n

Curieusement, on retrouve ce m\u00eame processus chez G\u00e9rard Garouste dans la phase la plus r\u00e9cente de son \u0153uvre, bien que ses racines y soient perceptibles depuis longtemps. Il suffit d’imaginer la souffrance qu’il a endur\u00e9e, lui, un homme issu d’une famille antis\u00e9mite av\u00e9r\u00e9e, ressentant cette trahison pour en sortir. Cette douleur fait \u00e9cho \u00e0 celle que tu as pu traverser, bien que dans une moindre mesure. Reconna\u00eetre cette souffrance chez Proust comme chez Garouste te pousse presque \u00e0 t’y identifier, \u00e0 ressentir ce soulagement de ne pas avoir \u00e9t\u00e9 seul face \u00e0 la trag\u00e9die.<\/p>\n

Cependant, ces deux-l\u00e0 ont choisi l\u2019\u0153uvre comme seule issue, \u00e9liminant toutes les autres options — une conclusion qui t\u2019appara\u00eet aujourd\u2019hui, bien tardivement. Enseigner la peinture fut pour toi une \u00e9chappatoire rassurante, parfois m\u00eame outrageusement confortable, souvent un pr\u00e9texte pour repousser le moment de te mettre r\u00e9ellement au travail, de t\u2019engager pleinement sur le chemin de l\u2019\u00e9tude. Alors oui, tu peux encore trouver un maigre r\u00e9confort \u00e0 te dire que tu n\u2019es ni Proust, ni Garouste, mais juste un pauvre type parmi tant d\u2019autres, ratant chaque occasion, te r\u00e9p\u00e9tant que tu t\u2019en fiches. Mais tu sais tr\u00e8s bien que tu te mens effront\u00e9ment.<\/p>\n

Et maintenant, as-tu encore vraiment un choix ?<\/p>", "content_text": " {En \u00eatre ou ne pas en \u00eatre} \u2014[Proust transformant Shakespeare]. Ni l\u2019un ni l\u2019autre, ou peut-\u00eatre les deux \u00e0 la fois. C\u2019est la r\u00e9ponse presque in\u00e9vitable pour un artiste. Une position d\u2019\u00e9quilibriste, car il faut se tenir \u00e0 la fois au c\u0153ur de la trag\u00e9die et \u00e0 ses marges. En d'autres termes, trouver cet \u00e9quilibre, souvent fragile, entre trag\u00e9die et humour. C'est cette n\u00e9cessit\u00e9 de simultan\u00e9it\u00e9, et la qu\u00eate perp\u00e9tuelle qu'elle impose, qui rejoint la d\u00e9finition talmudique d\u2019\u00eatre en chemin au sein de cette double contrainte : celle que l\u2019artiste se donne ou subit. C'est l\u00e0 que na\u00eet l\u2019\u0153uvre. \"En \u00eatre ou ne pas en \u00eatre\" \u2014 voil\u00e0 une question qui, appliqu\u00e9e \u00e0 l'artiste ou \u00e0 son \u0153uvre, ouvre un champ immense de possibilit\u00e9s. C'est un questionnement omnipr\u00e9sent, une mise en ab\u00eeme de la question elle-m\u00eame. Certains r\u00e9sumeraient ce dilemme par la notion d\u2019identit\u00e9, ou tenteraient de l\u2019expliquer \u00e0 travers la logique aristot\u00e9licienne. Pourtant, \"en \u00eatre et ne pas en \u00eatre\" d\u00e9passe le principe de contradiction classique. Pour un \u00e9tudiant du Talmud, cette d\u00e9marche est presque famili\u00e8re. Curieusement, on retrouve ce m\u00eame processus chez G\u00e9rard Garouste dans la phase la plus r\u00e9cente de son \u0153uvre, bien que ses racines y soient perceptibles depuis longtemps. Il suffit d'imaginer la souffrance qu'il a endur\u00e9e, lui, un homme issu d'une famille antis\u00e9mite av\u00e9r\u00e9e, ressentant cette trahison pour en sortir. Cette douleur fait \u00e9cho \u00e0 celle que tu as pu traverser, bien que dans une moindre mesure. Reconna\u00eetre cette souffrance chez Proust comme chez Garouste te pousse presque \u00e0 t'y identifier, \u00e0 ressentir ce soulagement de ne pas avoir \u00e9t\u00e9 seul face \u00e0 la trag\u00e9die. Cependant, ces deux-l\u00e0 ont choisi l\u2019\u0153uvre comme seule issue, \u00e9liminant toutes les autres options \u2014 une conclusion qui t\u2019appara\u00eet aujourd\u2019hui, bien tardivement. Enseigner la peinture fut pour toi une \u00e9chappatoire rassurante, parfois m\u00eame outrageusement confortable, souvent un pr\u00e9texte pour repousser le moment de te mettre r\u00e9ellement au travail, de t\u2019engager pleinement sur le chemin de l\u2019\u00e9tude. Alors oui, tu peux encore trouver un maigre r\u00e9confort \u00e0 te dire que tu n\u2019es ni Proust, ni Garouste, mais juste un pauvre type parmi tant d\u2019autres, ratant chaque occasion, te r\u00e9p\u00e9tant que tu t\u2019en fiches. Mais tu sais tr\u00e8s bien que tu te mens effront\u00e9ment. Et maintenant, as-tu encore vraiment un choix ?", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_1364.webp?1748065178", "tags": [] } ] }