{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-avril-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-avril-2023.html", "title": "04 avril 2023", "date_published": "2025-05-21T02:15:43Z", "date_modified": "2025-05-21T02:18:15Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "
Je sens que je me d\u00e9shumanise.\nJe l\u2019\u00e9prouve, et \u00e7a m\u2019\u00e9prouve.\nJe lutte contre, en le disant. J\u2019essaie de le dire un petit peu tous les jours. Comme l\u2019huile de foie de morue. Il y avait aussi le Phenergan : une cuiller\u00e9e pour papa, une pour maman, pour dormir, \u00e0 ne pas oublier.<\/p>\n
Mais j\u2019ai v\u00e9cu plus vieux que Baudelaire. Mince r\u00e9compense, quand j\u2019y pense.<\/p>\n
Et c\u2019est \u00e0 se demander s\u2019il vaut mieux \u00eatre un vieil arbre — tronc \u00e9corc\u00e9 par les piverts, qui sonne de plus en plus creux — ou un v\u00e9loce m\u00e9t\u00e9ore qui, en combustant de tous c\u00f4t\u00e9s, s\u2019\u00e9clate dans l\u2019atmosph\u00e8re, chaleureusement, en \u00e9cornant quelques v\u00e9lociraptors en tenue de camouflage, m\u00e2chant du chewing-gum, causant fort de tout et rien.<\/p>\n
Un chat \u00e9tique traverse une rue dans ma t\u00eate. Je le suis des yeux. \u00c0 c\u2019t\u2019heure, tout est bien path\u00e9tique d\u2019\u00eatre suivi du regard. Et m\u00eame proche de sympathique, voire de po\u00e9tique.<\/p>\n
J\u2019ai saut\u00e9 une ligne pour ne pas le d\u00e9ranger.<\/p>\n
Ce n\u2019est pas un sourire qui flotte dans l\u2019air — ici, pas de chat du Cheshire — seulement un vieux matou qui miaule dans les toutes premi\u00e8res pages d\u2019un livre qui se tra\u00eene, qui ne s\u2019ach\u00e8vera pas aujourd\u2019hui, ni peut-\u00eatre demain. D\u00e9sol\u00e9 pour Cormac McCarthy.<\/p>\n
Plus les jours passent, moins je suis humain. Je le sens. Ce n\u2019est plus tout \u00e0 fait comme avant.\nAlors, \u00e0 quoi bon s\u2019en prendre aux arbres pour t\u00e2cher de noircir du papier ?<\/p>\n
Quelqu\u2019un — ou quelque chose — me dit : t\u2019y es pour rien.<\/p>\n
Mais je sais bien que c\u2019est pas vrai. On y est tous un peu pour tout. Un petit peu chacun. Et \u00e7a dure depuis la Saint-Glinglin — ou, pour ne pas exag\u00e9rer, depuis le calendrier liturgique. Au moins \u00e7a, pour se rep\u00e9rer.<\/p>\n
Autant dire que \u00e7a ne pr\u00e9sage pas de lendemains qui chantent.<\/p>\n
Ce qui tombe bien. Surtout quand ils chantent faux, la plupart du temps.\n\u00c0 moins que du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019ou\u00efe, \u00e7a se d\u00e9grade aussi. Et que, pour cette raison si simple — comme souvent — on n\u2019appr\u00e9cie plus la musique tout \u00e0 fait comme avant.<\/p>\n
« C\u2019est pas gai tout \u00e7a », m\u2019a dit un homme sans qualit\u00e9 particuli\u00e8re qui passait.\n\u00c7a m\u2019a fait plaisir qu\u2019il dise au moins \u00e7a. Je l\u2019avais pris, au d\u00e9part, pour un somnambule crois\u00e9 dans un autre livre.\nEncore qu\u2019on puisse dire et faire tant de choses durant notre sommeil — peut-\u00eatre m\u00eame plus que durant nos veilles.<\/p>\n
En 2010, \u00e0 Avignon (j\u2019y vais chaque ann\u00e9e pour voir des pestacles de th\u00e9\u00e2tre — et parfois je ne m\u2019endors pas), Guy Cassiers avait adapt\u00e9 un premier morceau de L\u2019Homme sans qualit\u00e9s de Musil.<\/p>\n
Je me souviens de Dominique Frot. \u00c9tait-elle seule sur sc\u00e8ne ? Accompagn\u00e9e ? Je ne sais plus. Pas important.<\/p>\n
Vois comme \u00e7a te revient, quand t\u2019y penses pas. Et comme \u00e7a devient flou sit\u00f4t que tu t\u2019accroches \u00e0 une pens\u00e9e.<\/p>\n
La tentative d\u2019une synth\u00e8se entre toutes les contradictions des personnages, dont le seul point commun est leur aveuglement face au d\u00e9sastre \u00e0 venir.\n(L\u2019histoire se passe en 1913.)<\/p>\n
Une phrase fut relev\u00e9e ce jour-l\u00e0, qui se r\u00e9gurgite soudain, va savoir pourquoi, comment :\n« La perte de l\u2019unit\u00e9 de l\u2019\u00eatre et la fragmentation de la r\u00e9alit\u00e9 en milliards de petits morceaux qui n\u2019ont plus de liens. »<\/p>\n
Est-ce qu\u2019on y est vraiment pour rien ?\nEst-ce que ce n\u2019est pas beaucoup plus fatiguant de se le dire, tout le temps ?<\/p>\n
Mais au-del\u00e0 du constat navrant, une rapidit\u00e9 de diction m\u2019avait r\u00e9joui, tenu en haleine. Un d\u00e9bit d\u2019enfer — mais calme — pour r\u00e9gurgiter tant de mots \u00e0 la seconde.\nLe fameux grand calme au beau milieu de la temp\u00eate, s\u00fbrement.<\/p>\n
Ce que je retrouve, soudain, ce dimanche, en lisant \u00e0 voix haute Rabelais, dans la petite pi\u00e8ce qu\u2019on appelle tour \u00e0 tour biblioth\u00e8que, bureau, chambre, selon les circonstances.<\/p>\n
Est-ce que j\u2019ai l\u2019air b\u00eate ? Bien s\u00fbr.\nEt c\u2019est aussi — mais je m\u2019illusionne sans doute — un acte de r\u00e9sistance formidable, par les temps qui courent (o\u00f9 donc ?), que de ne pas avoir peur d\u2019avoir l\u2019air b\u00eate.<\/p>\n
Et bon — d\u2019accord — je me suis dit :\nCes deux monuments (Rabelais, Musil) ont un petit je-ne-sais-quoi qui les rapproche dans ma t\u00eate.<\/p>\n
Et j\u2019ai eu une sacr\u00e9e envie de me retrouver au P\u00e8re-Lachaise, \u00e0 Paris.\nRefaire tout le chemin \u00e0 pied depuis la Bastille.\nEn passant par la Roquette. Et la rue du Chemin-Vert.<\/p>\n
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"content_text": " ## Cimeti\u00e8re des Rois Je sens que je me d\u00e9shumanise. Je l\u2019\u00e9prouve, et \u00e7a m\u2019\u00e9prouve. Je lutte contre, en le disant. J\u2019essaie de le dire un petit peu tous les jours. Comme l\u2019huile de foie de morue. Il y avait aussi le Phenergan : une cuiller\u00e9e pour papa, une pour maman, pour dormir, \u00e0 ne pas oublier. Mais j\u2019ai v\u00e9cu plus vieux que Baudelaire. Mince r\u00e9compense, quand j\u2019y pense. Et c\u2019est \u00e0 se demander s\u2019il vaut mieux \u00eatre un vieil arbre \u2014 tronc \u00e9corc\u00e9 par les piverts, qui sonne de plus en plus creux \u2014 ou un v\u00e9loce m\u00e9t\u00e9ore qui, en combustant de tous c\u00f4t\u00e9s, s\u2019\u00e9clate dans l\u2019atmosph\u00e8re, chaleureusement, en \u00e9cornant quelques v\u00e9lociraptors en tenue de camouflage, m\u00e2chant du chewing-gum, causant fort de tout et rien. Un chat \u00e9tique traverse une rue dans ma t\u00eate. Je le suis des yeux. \u00c0 c\u2019t\u2019heure, tout est bien path\u00e9tique d\u2019\u00eatre suivi du regard. Et m\u00eame proche de sympathique, voire de po\u00e9tique. J\u2019ai saut\u00e9 une ligne pour ne pas le d\u00e9ranger. Ce n\u2019est pas un sourire qui flotte dans l\u2019air \u2014 ici, pas de chat du Cheshire \u2014 seulement un vieux matou qui miaule dans les toutes premi\u00e8res pages d\u2019un livre qui se tra\u00eene, qui ne s\u2019ach\u00e8vera pas aujourd\u2019hui, ni peut-\u00eatre demain. D\u00e9sol\u00e9 pour Cormac McCarthy. Plus les jours passent, moins je suis humain. Je le sens. Ce n\u2019est plus tout \u00e0 fait comme avant. Alors, \u00e0 quoi bon s\u2019en prendre aux arbres pour t\u00e2cher de noircir du papier ? Quelqu\u2019un \u2014 ou quelque chose \u2014 me dit : t\u2019y es pour rien. Mais je sais bien que c\u2019est pas vrai. On y est tous un peu pour tout. Un petit peu chacun. Et \u00e7a dure depuis la Saint-Glinglin \u2014 ou, pour ne pas exag\u00e9rer, depuis le calendrier liturgique. Au moins \u00e7a, pour se rep\u00e9rer. Autant dire que \u00e7a ne pr\u00e9sage pas de lendemains qui chantent. Ce qui tombe bien. Surtout quand ils chantent faux, la plupart du temps. \u00c0 moins que du c\u00f4t\u00e9 de l\u2019ou\u00efe, \u00e7a se d\u00e9grade aussi. Et que, pour cette raison si simple \u2014 comme souvent \u2014 on n\u2019appr\u00e9cie plus la musique tout \u00e0 fait comme avant. \u00ab C\u2019est pas gai tout \u00e7a \u00bb, m\u2019a dit un homme sans qualit\u00e9 particuli\u00e8re qui passait. \u00c7a m\u2019a fait plaisir qu\u2019il dise au moins \u00e7a. Je l\u2019avais pris, au d\u00e9part, pour un somnambule crois\u00e9 dans un autre livre. Encore qu\u2019on puisse dire et faire tant de choses durant notre sommeil \u2014 peut-\u00eatre m\u00eame plus que durant nos veilles. En 2010, \u00e0 Avignon (j\u2019y vais chaque ann\u00e9e pour voir des pestacles de th\u00e9\u00e2tre \u2014 et parfois je ne m\u2019endors pas), Guy Cassiers avait adapt\u00e9 un premier morceau de L\u2019Homme sans qualit\u00e9s de Musil. Je me souviens de Dominique Frot. \u00c9tait-elle seule sur sc\u00e8ne ? Accompagn\u00e9e ? Je ne sais plus. Pas important. Vois comme \u00e7a te revient, quand t\u2019y penses pas. Et comme \u00e7a devient flou sit\u00f4t que tu t\u2019accroches \u00e0 une pens\u00e9e. La tentative d\u2019une synth\u00e8se entre toutes les contradictions des personnages, dont le seul point commun est leur aveuglement face au d\u00e9sastre \u00e0 venir. (L\u2019histoire se passe en 1913.) Une phrase fut relev\u00e9e ce jour-l\u00e0, qui se r\u00e9gurgite soudain, va savoir pourquoi, comment : \u00ab La perte de l\u2019unit\u00e9 de l\u2019\u00eatre et la fragmentation de la r\u00e9alit\u00e9 en milliards de petits morceaux qui n\u2019ont plus de liens. \u00bb Est-ce qu\u2019on y est vraiment pour rien ? Est-ce que ce n\u2019est pas beaucoup plus fatiguant de se le dire, tout le temps ? Mais au-del\u00e0 du constat navrant, une rapidit\u00e9 de diction m\u2019avait r\u00e9joui, tenu en haleine. Un d\u00e9bit d\u2019enfer \u2014 mais calme \u2014 pour r\u00e9gurgiter tant de mots \u00e0 la seconde. Le fameux grand calme au beau milieu de la temp\u00eate, s\u00fbrement. Ce que je retrouve, soudain, ce dimanche, en lisant \u00e0 voix haute Rabelais, dans la petite pi\u00e8ce qu\u2019on appelle tour \u00e0 tour biblioth\u00e8que, bureau, chambre, selon les circonstances. Est-ce que j\u2019ai l\u2019air b\u00eate ? Bien s\u00fbr. Et c\u2019est aussi \u2014 mais je m\u2019illusionne sans doute \u2014 un acte de r\u00e9sistance formidable, par les temps qui courent (o\u00f9 donc ?), que de ne pas avoir peur d\u2019avoir l\u2019air b\u00eate. Et bon \u2014 d\u2019accord \u2014 je me suis dit : Ces deux monuments (Rabelais, Musil) ont un petit je-ne-sais-quoi qui les rapproche dans ma t\u00eate. Et j\u2019ai eu une sacr\u00e9e envie de me retrouver au P\u00e8re-Lachaise, \u00e0 Paris. Refaire tout le chemin \u00e0 pied depuis la Bastille. En passant par la Roquette. Et la rue du Chemin-Vert. ",
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"title": "Peindre la ville",
"date_published": "2023-04-27T05:22:43Z",
"date_modified": "2025-05-25T06:48:21Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": "L\u2019id\u00e9e classique de la peinture de paysage dissimule une bonne part de ce que sont la ville, la campagne dans notre pr\u00e9sent. Comment regardons-nous ces deux entit\u00e9s, sinon comme on nous a appris \u00e0 les regarder ? Peut-\u00eatre faut-il parfois effectuer un pas de c\u00f4t\u00e9, se d\u00e9connecter du pass\u00e9, adh\u00e9rer enfin au pr\u00e9sent. Peut-\u00eatre faut-il revoir notre copie en tant que peintre, et s\u2019arr\u00eater quelques instants pour aller \u00e0 la rencontre de ce qui se cr\u00e9e aujourd\u2019hui et qui raconte aussi une histoire de la ville ou de la campagne. Une histoire tout aussi importante, pertinente, que celle qui nous fut racont\u00e9e par les plus grands peintres du paysage autrefois.<\/p>\n
Parmi les artistes les plus reconnus actuellement, Mark Bradford propose sa propre id\u00e9e de la ville. L\u2019une de ses \u0153uvres, Scream, r\u00e9alis\u00e9e en 2015, a \u00e9t\u00e9 vendue 4,3 millions $ chez Sotheby\u2019s. La plupart de ses travaux sont monumentaux et constitu\u00e9s de mat\u00e9riaux de r\u00e9cup\u00e9ration (du papier notamment) que Mark trouve autour de son atelier.<\/p>\n
Natalie Obadia, une des actrices majeures de l\u2019art contemporain \u2013 puisqu\u2019elle fut durant plusieurs ann\u00e9es vice-pr\u00e9sidente du Comit\u00e9 professionnel des galeries d\u2019art, connue pour ses galeries \u00e0 Paris et Bruxelles, et notamment la repr\u00e9sentation du travail de Martin Barr\u00e9 \u2013 a d\u00e9clar\u00e9 en 2019 que Mark Bradford \u00e9tait l\u2019un des plus grands artistes contemporains.<\/p>\n
Mark Bradford est Am\u00e9ricain, n\u00e9 en 1961 \u00e0 Los Angeles. Il a obtenu un BFA (1995) et un MFA (1997) du California Institute of the Arts de Valencia. Bradford transforme des mat\u00e9riaux r\u00e9cup\u00e9r\u00e9s dans la rue en collages et installations de la taille d\u2019un mur, qui r\u00e9pondent aux r\u00e9seaux impromptus \u2013 \u00e9conomies souterraines, communaut\u00e9s de migrants ou appropriation populaire d\u2019espaces publics abandonn\u00e9s \u2013 qui \u00e9mergent dans une ville.<\/p>\n
S\u2019inspirant de la composition culturelle et g\u00e9ographique diversifi\u00e9e de sa communaut\u00e9 du sud de la Californie, le travail de Bradford puise autant dans son parcours personnel \u2013 en tant que coiffeur de troisi\u00e8me g\u00e9n\u00e9ration \u2013 que dans la tradition de la peinture abstraite d\u00e9velopp\u00e9e dans le monde entier au XXe si\u00e8cle. Les vid\u00e9os de Bradford et les collages de papier multicouches, ressemblant \u00e0 des cartes, font r\u00e9f\u00e9rence non seulement \u00e0 l\u2019organisation des rues et des b\u00e2timents du centre-ville de Los Angeles, mais aussi \u00e0 des images de foules, allant des manifestations pour les droits civiques des ann\u00e9es 1960 aux protestations contemporaines concernant les questions d\u2019immigration.<\/p>\n
Mark Bradford a re\u00e7u de nombreux prix, dont le prix Bucksbaum (2006), le prix de la Fondation Louis Comfort Tiffany (2003) et le prix de la Fondation Joan Mitchell (2002). Il a \u00e9t\u00e9 inclus dans des expositions majeures au Los Angeles County Museum of Art (2006), au Whitney Museum of American Art \u00e0 New York (2003), \u00e0 REDCAT \u00e0 Los Angeles (2004), et au Studio Museum \u00e0 Harlem, New York (2001). Il a particip\u00e9 \u00e0 la 27e Biennale de S\u00e3o Paulo (2006), \u00e0 la Biennale de Whitney (2006), et \u00e0 « inSite : Pratiques artistiques dans le domaine public » \u00e0 San Diego (Californie) et Tijuana (Mexique) en 2005. Bradford vit et travaille \u00e0 Los Angeles.<\/p>\n
Et pourtant, personne ne conna\u00eet cet artiste \u2013 notamment parmi mes \u00e9l\u00e8ves \u2013 et souvent, au-del\u00e0 de la sph\u00e8re de mes ateliers, personne ne conna\u00eet Mark Bradford. Comme personne ne conna\u00eet Amy Sillman, Gerhard Richter, Julie Mehretu, Wade Guyton, Tauba Auerbach, Gunther F\u00f6rg, Katharina Grosse, Sterling Ruby, Charline Von Heyl.<\/p>\n
Les plus grands noms de l\u2019art contemporain dans le domaine de l\u2019abstraction sont pour le public totalement inconnus. Ils ne le sont que pour une minorit\u00e9 d\u2019amateurs d\u2019art, de galeristes, de marchands et de collectionneurs. N\u2019est-ce pas stup\u00e9fiant ?<\/p>\n
Il y a un ab\u00eeme entre le public et l\u2019art contemporain. Peut-\u00eatre en a-t-il toujours plus ou moins \u00e9t\u00e9 ainsi. Peut-\u00eatre que L\u00e9onard de Vinci, Lippi, Botticelli ne furent connus \u00e0 leur \u00e9poque que par une \u00e9lite. Peut-\u00eatre que la notori\u00e9t\u00e9 met du temps \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer le go\u00fbt des foules. Peut-\u00eatre aussi que tout d\u00e9pend de la mani\u00e8re dont on communique sur l\u2019art, suivant les \u00e9poques. Peut-\u00eatre aussi que parfois, l\u2019art est encore trop souvent r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 une toute petite minorit\u00e9. L\u2019art contemporain est ignor\u00e9 par la plupart des gens, soit parce qu\u2019on n\u2019en parle pas suffisamment dans les m\u00e9dias classiques, soit parce qu\u2019il faut faire un effort pour s\u2019y int\u00e9resser, et que lorsqu\u2019on s\u2019y int\u00e9resse, le parcours pour obtenir des informations n\u2019est pas toujours ais\u00e9. Il y a peut-\u00eatre encore une raison suppl\u00e9mentaire que j\u2019observe en me promenant sur le Net \u00e0 la recherche d\u2019informations sur ces artistes : leur appartenance \u00e0 des minorit\u00e9s sexuelles, au mouvement queer, au f\u00e9minisme (et oui, encore au XXIe si\u00e8cle), leur opposition au consensus du genre, leurs opinions politiques.<\/p>\n
La question \u00e0 se poser ensuite, c\u2019est pourquoi ces artistes sont remarqu\u00e9s par les galeristes, par les collectionneurs, souvent proches du monde de la finance, de l\u2019argent, du luxe. \u00c0 mon avis, c\u2019est parce qu\u2019une minorit\u00e9 se reconna\u00eet plus ou moins dans une autre. Mais ce n\u2019est \u00e9videmment que mon humble avis.<\/p>\n
N\u2019emp\u00eache qu\u2019il existe bel et bien un art contemporain dans le domaine de la peinture abstraite \u2013 une prolongation d\u2019une histoire, une lign\u00e9e \u2013 qui se tient au-del\u00e0 des clivages politiques, m\u00eame si elle les met parfois un peu plus en exergue. Cette histoire nous enrichit, nous propose de voir le monde diff\u00e9remment, de changer le monde en m\u00eame temps que de regard. Ce n\u2019est pas spectaculaire. C\u2019est quelque chose de progressif, de lent. Et puis, quand une g\u00e9n\u00e9ration pense avoir compris le travail d\u2019un artiste, une autre vient plus tard, le revisite, trouve encore autre chose, en ad\u00e9quation avec sa propre actualit\u00e9. (Notamment le cas Obadia-Barr\u00e9.)<\/p>\n
Dans le fond, quand je repense aussi \u00e0 cette bonne id\u00e9e d\u2019avoir d\u00e9sir\u00e9 participer \u00e0 un atelier d\u2019\u00e9criture \u2013 cela commen\u00e7ait par \u00e9crire sur la ville \u2013, une boucle se boucle. Ce que j\u2019ai appris dans cet atelier, c\u2019est qu\u2019il faut sans cesse avoir l\u2019envie de renouveler son regard, de se remettre en question sur notre fa\u00e7on d\u2019interpr\u00e9ter le r\u00e9el, que celui-ci soit au pr\u00e9sent, au pass\u00e9 ou au futur.<\/p>\n
\u00c9crire la ville n\u2019est pas diff\u00e9rent de peindre la ville. Il s\u2019agit de le faire simplement, avec son temps, avec les moyens mis \u00e0 notre disposition \u2013 m\u00eame s\u2019il s\u2019agit de tr\u00e8s peu de choses, de mat\u00e9riaux de r\u00e9cup\u00e9ration, d\u2019un vocabulaire pauvre. Peut-\u00eatre aussi que le point commun, celui qui pousse les artistes, les \u00e9crivains par-del\u00e0 les g\u00e9n\u00e9rations, est aussi une chose tr\u00e8s simple : \u00f4ter de soi la complication, chercher \u00e0 examiner de quoi elle est constitu\u00e9e, trouver la simplicit\u00e9, rendre compte d\u2019une \u00e9motion le plus simplement possible.<\/p>\n
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"content_text": " L\u2019id\u00e9e classique de la peinture de paysage dissimule une bonne part de ce que sont la ville, la campagne dans notre pr\u00e9sent. Comment regardons-nous ces deux entit\u00e9s, sinon comme on nous a appris \u00e0 les regarder ? Peut-\u00eatre faut-il parfois effectuer un pas de c\u00f4t\u00e9, se d\u00e9connecter du pass\u00e9, adh\u00e9rer enfin au pr\u00e9sent. Peut-\u00eatre faut-il revoir notre copie en tant que peintre, et s\u2019arr\u00eater quelques instants pour aller \u00e0 la rencontre de ce qui se cr\u00e9e aujourd\u2019hui et qui raconte aussi une histoire de la ville ou de la campagne. Une histoire tout aussi importante, pertinente, que celle qui nous fut racont\u00e9e par les plus grands peintres du paysage autrefois. Parmi les artistes les plus reconnus actuellement, Mark Bradford propose sa propre id\u00e9e de la ville. L\u2019une de ses \u0153uvres, Scream, r\u00e9alis\u00e9e en 2015, a \u00e9t\u00e9 vendue 4,3 millions $ chez Sotheby\u2019s. La plupart de ses travaux sont monumentaux et constitu\u00e9s de mat\u00e9riaux de r\u00e9cup\u00e9ration (du papier notamment) que Mark trouve autour de son atelier. Natalie Obadia, une des actrices majeures de l\u2019art contemporain \u2013 puisqu\u2019elle fut durant plusieurs ann\u00e9es vice-pr\u00e9sidente du Comit\u00e9 professionnel des galeries d\u2019art, connue pour ses galeries \u00e0 Paris et Bruxelles, et notamment la repr\u00e9sentation du travail de Martin Barr\u00e9 \u2013 a d\u00e9clar\u00e9 en 2019 que Mark Bradford \u00e9tait l\u2019un des plus grands artistes contemporains. Mark Bradford est Am\u00e9ricain, n\u00e9 en 1961 \u00e0 Los Angeles. Il a obtenu un BFA (1995) et un MFA (1997) du California Institute of the Arts de Valencia. Bradford transforme des mat\u00e9riaux r\u00e9cup\u00e9r\u00e9s dans la rue en collages et installations de la taille d\u2019un mur, qui r\u00e9pondent aux r\u00e9seaux impromptus \u2013 \u00e9conomies souterraines, communaut\u00e9s de migrants ou appropriation populaire d\u2019espaces publics abandonn\u00e9s \u2013 qui \u00e9mergent dans une ville. S\u2019inspirant de la composition culturelle et g\u00e9ographique diversifi\u00e9e de sa communaut\u00e9 du sud de la Californie, le travail de Bradford puise autant dans son parcours personnel \u2013 en tant que coiffeur de troisi\u00e8me g\u00e9n\u00e9ration \u2013 que dans la tradition de la peinture abstraite d\u00e9velopp\u00e9e dans le monde entier au XXe si\u00e8cle. Les vid\u00e9os de Bradford et les collages de papier multicouches, ressemblant \u00e0 des cartes, font r\u00e9f\u00e9rence non seulement \u00e0 l\u2019organisation des rues et des b\u00e2timents du centre-ville de Los Angeles, mais aussi \u00e0 des images de foules, allant des manifestations pour les droits civiques des ann\u00e9es 1960 aux protestations contemporaines concernant les questions d\u2019immigration. Mark Bradford a re\u00e7u de nombreux prix, dont le prix Bucksbaum (2006), le prix de la Fondation Louis Comfort Tiffany (2003) et le prix de la Fondation Joan Mitchell (2002). Il a \u00e9t\u00e9 inclus dans des expositions majeures au Los Angeles County Museum of Art (2006), au Whitney Museum of American Art \u00e0 New York (2003), \u00e0 REDCAT \u00e0 Los Angeles (2004), et au Studio Museum \u00e0 Harlem, New York (2001). Il a particip\u00e9 \u00e0 la 27e Biennale de S\u00e3o Paulo (2006), \u00e0 la Biennale de Whitney (2006), et \u00e0 \u00ab inSite : Pratiques artistiques dans le domaine public \u00bb \u00e0 San Diego (Californie) et Tijuana (Mexique) en 2005. Bradford vit et travaille \u00e0 Los Angeles. Et pourtant, personne ne conna\u00eet cet artiste \u2013 notamment parmi mes \u00e9l\u00e8ves \u2013 et souvent, au-del\u00e0 de la sph\u00e8re de mes ateliers, personne ne conna\u00eet Mark Bradford. Comme personne ne conna\u00eet Amy Sillman, Gerhard Richter, Julie Mehretu, Wade Guyton, Tauba Auerbach, Gunther F\u00f6rg, Katharina Grosse, Sterling Ruby, Charline Von Heyl. Les plus grands noms de l\u2019art contemporain dans le domaine de l\u2019abstraction sont pour le public totalement inconnus. Ils ne le sont que pour une minorit\u00e9 d\u2019amateurs d\u2019art, de galeristes, de marchands et de collectionneurs. N\u2019est-ce pas stup\u00e9fiant ? Il y a un ab\u00eeme entre le public et l\u2019art contemporain. Peut-\u00eatre en a-t-il toujours plus ou moins \u00e9t\u00e9 ainsi. Peut-\u00eatre que L\u00e9onard de Vinci, Lippi, Botticelli ne furent connus \u00e0 leur \u00e9poque que par une \u00e9lite. Peut-\u00eatre que la notori\u00e9t\u00e9 met du temps \u00e0 p\u00e9n\u00e9trer le go\u00fbt des foules. Peut-\u00eatre aussi que tout d\u00e9pend de la mani\u00e8re dont on communique sur l\u2019art, suivant les \u00e9poques. Peut-\u00eatre aussi que parfois, l\u2019art est encore trop souvent r\u00e9serv\u00e9 \u00e0 une toute petite minorit\u00e9. L\u2019art contemporain est ignor\u00e9 par la plupart des gens, soit parce qu\u2019on n\u2019en parle pas suffisamment dans les m\u00e9dias classiques, soit parce qu\u2019il faut faire un effort pour s\u2019y int\u00e9resser, et que lorsqu\u2019on s\u2019y int\u00e9resse, le parcours pour obtenir des informations n\u2019est pas toujours ais\u00e9. Il y a peut-\u00eatre encore une raison suppl\u00e9mentaire que j\u2019observe en me promenant sur le Net \u00e0 la recherche d\u2019informations sur ces artistes : leur appartenance \u00e0 des minorit\u00e9s sexuelles, au mouvement queer, au f\u00e9minisme (et oui, encore au XXIe si\u00e8cle), leur opposition au consensus du genre, leurs opinions politiques. La question \u00e0 se poser ensuite, c\u2019est pourquoi ces artistes sont remarqu\u00e9s par les galeristes, par les collectionneurs, souvent proches du monde de la finance, de l\u2019argent, du luxe. \u00c0 mon avis, c\u2019est parce qu\u2019une minorit\u00e9 se reconna\u00eet plus ou moins dans une autre. Mais ce n\u2019est \u00e9videmment que mon humble avis. N\u2019emp\u00eache qu\u2019il existe bel et bien un art contemporain dans le domaine de la peinture abstraite \u2013 une prolongation d\u2019une histoire, une lign\u00e9e \u2013 qui se tient au-del\u00e0 des clivages politiques, m\u00eame si elle les met parfois un peu plus en exergue. Cette histoire nous enrichit, nous propose de voir le monde diff\u00e9remment, de changer le monde en m\u00eame temps que de regard. Ce n\u2019est pas spectaculaire. C\u2019est quelque chose de progressif, de lent. Et puis, quand une g\u00e9n\u00e9ration pense avoir compris le travail d\u2019un artiste, une autre vient plus tard, le revisite, trouve encore autre chose, en ad\u00e9quation avec sa propre actualit\u00e9. (Notamment le cas Obadia-Barr\u00e9.) Dans le fond, quand je repense aussi \u00e0 cette bonne id\u00e9e d\u2019avoir d\u00e9sir\u00e9 participer \u00e0 un atelier d\u2019\u00e9criture \u2013 cela commen\u00e7ait par \u00e9crire sur la ville \u2013, une boucle se boucle. Ce que j\u2019ai appris dans cet atelier, c\u2019est qu\u2019il faut sans cesse avoir l\u2019envie de renouveler son regard, de se remettre en question sur notre fa\u00e7on d\u2019interpr\u00e9ter le r\u00e9el, que celui-ci soit au pr\u00e9sent, au pass\u00e9 ou au futur. \u00c9crire la ville n\u2019est pas diff\u00e9rent de peindre la ville. Il s\u2019agit de le faire simplement, avec son temps, avec les moyens mis \u00e0 notre disposition \u2013 m\u00eame s\u2019il s\u2019agit de tr\u00e8s peu de choses, de mat\u00e9riaux de r\u00e9cup\u00e9ration, d\u2019un vocabulaire pauvre. Peut-\u00eatre aussi que le point commun, celui qui pousse les artistes, les \u00e9crivains par-del\u00e0 les g\u00e9n\u00e9rations, est aussi une chose tr\u00e8s simple : \u00f4ter de soi la complication, chercher \u00e0 examiner de quoi elle est constitu\u00e9e, trouver la simplicit\u00e9, rendre compte d\u2019une \u00e9motion le plus simplement possible. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ponctuation-silences-corps.html",
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"title": "Ponctuation, silences, corps",
"date_published": "2023-04-24T05:52:33Z",
"date_modified": "2025-05-25T06:36:51Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": "Des gens tr\u00e8s bien qui peuvent vivre sans ponctuation. Les Grecs, par exemple, avant qu\u2019ils ne s\u2019amusent \u00e0 s\u00e9parer les mots gr\u00e2ce aux blancs.<\/p>\n
Par exemple.<\/p>\n
Ensuite, \u00e0 quoi \u00e7a sert de ponctuer ? Y a-t-il encore suffisamment de typographes, d\u2019\u00e9diteurs, qui s\u2019en soucient, puisque ce sont eux au final qui ponctuent \u00e0 la place des auteurs ? Nous serions d\u00e9poss\u00e9d\u00e9s du pouvoir de ponctuer vraiment, comme de tout pouvoir de pond\u00e9ration ? L\u2019auteur devenu quantit\u00e9 n\u00e9gligeable dans le grand univers des rotatives ? Il faut parfois lui flanquer un point sur le i, une barre au t, et bien d\u2019autres petits signes caract\u00e9ristiques et autres pattes de mouche, et des virgules, et des points-virgules, et encore, quand ce ne sont pas ceux d\u2019interrogation ou d\u2019exclamation !<\/p>\n
De plus, en mati\u00e8re de ponctuation, il semble que chacun d\u00e9sormais n\u2019en fasse plus qu\u2019\u00e0 sa t\u00eate, ou \u00e0 sa guise \u2013 c\u2019est devenu semblable \u2013 que tout le monde, \u00e0 part les experts, les aficionados de ce code \u00e9sot\u00e9rique, voire herm\u00e9tique \u2013 jugulaire jugulaire \u2013 s\u2019en foute.<\/p>\n
Ceci dit, on peut tout de m\u00eame en parler, un peu, de la ponctuation comme de la pond\u00e9ration, du poids des mots, sans le choc forc\u00e9ment des photos, des images, du para\u00eetre. S\u2019en parler \u00e0 soi-m\u00eame d\u00e9j\u00e0, faire le point sur la ponctuation.<\/p>\n
Tu ne sais pas ponctuer, pas plus que pond\u00e9rer tes propos, c\u2019est un fait d\u00e9sormais av\u00e9r\u00e9. Tu es excessif en quasiment tout, surtout en mauvaise foi, ou alors le contraire d\u2019un seul coup. Gouffres et sommets depuis toujours, et il en sera probablement ainsi jusqu\u2019\u00e0 la fin des fins.<\/p>\n
La ponctuation est-elle en relation avec la pond\u00e9ration ? C\u2019est dr\u00f4le que \u00e7a vienne soudain s\u2019inscrire ainsi en tout cas, si tu ne l\u2019avais pas \u00e9crit tu n\u2019y aurais pas pens\u00e9. Une \u00e9criture pond\u00e9r\u00e9e, bien ponctu\u00e9e, claire, compr\u00e9hensible par le plus grand nombre. Servile. Ou qui se moque de la pond\u00e9ration, de la clart\u00e9, de la ponctuation, comme du monde dans son ensemble. Une \u00e9criture de pitre pitoyable ou de g\u00e9nie, quelle importance de se soucier de l\u2019intersection \u2013 mauvais g\u00e9nie, mauvais daemon \u2013 Une \u00e9criture qui ne tient compte que de sa propre r\u00e8gle, qui s\u2019invente au fur et \u00e0 mesure, au fil de l\u2019eau.<\/p>\n
Reprends \u00e7a, ne l\u00e2che pas l\u2019affaire, tu tiens s\u00fbrement quelque chose, il faut juste fatiguer les doigts, sentir le corps<\/a> au-del\u00e0 de toutes ces foutaises \u2013 ton corps \u2013 au-del\u00e0 de la ponctuation, au-del\u00e0 de la pond\u00e9ration, au-del\u00e0 de la compr\u00e9hension, au-del\u00e0 de tous les silences \u2013 mon corps \u2013 sans majuscule, tout minuscule comme il se doit, au-del\u00e0 des silences, mon corps\u2026<\/p>\n Que dire sur le corps qui ne soit pas encore un discours vide, un discours pour discourir, un discours sans substance v\u00e9ritable, un discours \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la plaque ? Que dire pour retrouver le corps, lui laisser la parole ou \u2013 un vrai silence ? \u2013 Rien. Il ne faut surtout pas t\u2019en m\u00ealer. Attendre, ne pas se presser, \u00e9couter, lire, relire, se relire, observer comment il r\u00e9agit \u00e0 toutes ces choses que tu mets en place pour lui couper la parole, pour le b\u00e2illonner : tous ces obstacles, tous ces silences, toutes ces pens\u00e9es, tous ces r\u00eaves, tous ces cauchemars, tous ces d\u00e9sirs, toutes ces frustrations, toutes ces opinions, tous ces sentiments. Oui, ce sont bien des silences terrifiants qu\u2019ainsi tu opposes \u00e0 un autre silence : ton corps et toi, un dialogue de muets. \u00c0 moins que \u00e7a ne soliloque. Mais qui parle ici, en nos noms ? L\u2019\u00e9gocentrique, le narcissique, l\u2019enfant, l\u2019adolescent, le vieux, l\u2019\u00e2me, l\u2019esprit, la pr\u00e9tention, l\u2019orgueil, la tristesse, le malheur, la souffrance d\u2019\u00eatre ainsi dissoci\u00e9 du monde comme dissoci\u00e9 de mon corps, cet inconnu.<\/p>\n Car, quel que soit ce que tu veux penser comme corps, tu ne fais jamais que de le penser, sans plus rien sentir. Comme si, toute la journ\u00e9e, moi et mon corps, tel que moi l\u2019imagine, comme si tout cela n\u2019\u00e9tait qu\u2019une suite de silences empil\u00e9s, chaque jour, jour apr\u00e8s jour, comme des briques, pour fabriquer un mur. Un mur entre moi et moi, entre mon corps et mon corps, entre le mot et l\u2019objet, le mot et le sujet. Ce qui, au bout du compte \u2013 penses-tu ? veux-tu ? r\u00eaves-tu ? te mens-tu ? \u2013 fera dispara\u00eetre tout sujet pour de bon.<\/p>\n Une vie imaginaire VS une vie r\u00e9elle. Un jeu de ping-pong. La mort gagne. C\u2019est elle qui remporte le pompon. Une vie dans laquelle la joie comme la souffrance ne sont plus que des donn\u00e9es pour alimenter l\u2019avatar, une existence parall\u00e8le, virtuelle.<\/p>\n Cette possibilit\u00e9 existe : de passer toute une vie \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de mon corps, de ne pas le voir, de le m\u00e9priser, d\u2019en \u00eatre si d\u00e9\u00e7u (surtout \u00e0 partir de la cinquantaine). Mais de quel corps parles-tu encore, que tu ne saches rien ou tout ? Tu t\u2019imagines, c\u2019est plus fort que toi, mais \u00e0 la fin c\u2019est le corps qui gagne, quand il te l\u00e2che. Quand il se l\u00e2che lui-m\u00eame. Il te l\u00e2che d\u00e9j\u00e0, celui que tu nommais mon corps et qui ne fut qu\u2019enveloppe vide, courrier mal adress\u00e9, courrier qui ne s\u2019adresse \u00e0 personne, dont l\u2019exp\u00e9diteur n\u2019est personne \u00e9galement. Retour \u00e0 l\u2019envoyeur.<\/p>\n Il est tout \u00e0 fait possible de passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette r\u00e9alit\u00e9 une vie enti\u00e8re, en s\u2019illusionnant, en se cr\u00e9ant un corps \u00e0 son propre corps d\u00e9fendant, en m\u00eame temps qu\u2019une mauvaise foi en cette r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n Et si tu commences \u00e0 t\u2019interroger ce matin sur la ponctuation, sur la pond\u00e9ration, sur le poids des choses, est-ce que tu ne te sens pas proche soudain d\u2019\u00e9voquer un autre poids, celui dont tu \u00e9vites de peser l\u2019existence : mon corps ?<\/p>\n \u00c0 qui appartient-il vraiment ce corps, si tu lui retires tout ce qu\u2019il n\u2019est pas, ne sera jamais ? Et encore faut-il utiliser le bon verbe, la bonne ponctuation, pour se poser les bonnes questions, celles surtout qui ne demandent pas de r\u00e9ponse. \u00c0 qui est le corps ? Cela revient au m\u00eame. Avoir, appartenir, poss\u00e9der, tous ces termes si d\u00e9testables, qui sont devenus tellement d\u00e9testables avec le temps.<\/p>\n Mon corps et le temps, mon corps et mon temps, deux illusions.<\/p>\n Tu te compliques tellement la vie pour ne pas voir que tu es un corps, avant d\u2019\u00eatre ce que tu crois \u00eatre, penser, parler, faire, vivre. Tu t\u2019inventes sans rel\u00e2che quantit\u00e9 de mensonges pour ne pas voir \u2013 en face \u2013 la mati\u00e8re dont tu es constitu\u00e9. Tu cr\u00e9es des profils, des avatars, des personnages, et m\u00eame des auteurs, chaque jour diff\u00e9rents, pour fuir la r\u00e9alit\u00e9 de mon corps, la r\u00e9alit\u00e9 de ma mort, la fatalit\u00e9, l\u2019in\u00e9luctabilit\u00e9 qu\u2019entra\u00eenent aussit\u00f4t ces deux mots : corps et mort.<\/p>\n Dans le vaste ciel plane, effectue des spirales, le cormoran.<\/p>\n P\u00e2ques est pass\u00e9 et rien. Pas de renaissance cette fois. Pas d\u2019illusion. Pas d\u2019espoir. Pas de simagr\u00e9e, pas d\u2019entourloupette. Peut-\u00eatre que, finalement, tu te rapproches du corps. Tu deviens un peu plus chaque jour mon corps. Tu es le corps, comme tu es la mort. Sauf que la vie attendue (en \u00e9change, comme dans tout bon deal) ne vient pas, cette fois.<\/p>\n Tu coules \u00e0 pic dans ce corps-\u00e0-corps, dans l\u2019ab\u00eeme de l\u2019insignifiance des id\u00e9es, des pens\u00e9es, et cette fois le ridicule ne te sauvera pas. Tu ne pourras pas te cacher derri\u00e8re le ridicule, l\u2019\u00e9prouver avec d\u00e9lice comme s\u2019il s\u2019agissait de rena\u00eetre gr\u00e2ce \u00e0 lui, comme apr\u00e8s chaque trempe qui te laisse au sol quelques jours, quelques mois, mais dont tu as pris le pli de toujours te relever. Marche ou cr\u00e8ve. Mon corps, encore. Il a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0, avec lui-m\u00eame. Si seul avec lui seul. Mon corps.<\/p>\n Quelques intersections avec le corps d\u2019autrui n\u2019ont jamais permis l\u2019oubli vraiment. Sauf ces vertiges d\u00e9licieux et effroyables qu\u2019offrent toute intersection, tout croisement, tout carrefour. Le choix d\u2019une route comme d\u2019un corps \u00e0 prendre. D\u00e9placement du corps, s\u2019asseoir, s\u2019allonger, se remettre debout, marcher encore, apprendre ainsi le pas, la cadence, arpenter.<\/p>\n Partir de la ponctuation et parvenir soudain \u00e0 cet exercice d\u2019\u00e9criture ne te fait pas ciller, mon corps, plus \u00e0 pr\u00e9sent. Dans le grand flux g\u00e9n\u00e9ral, les pr\u00e9textes comme les v\u00e9rit\u00e9s, l\u2019insignifiant comme l\u2019important, l\u2019utile et l\u2019inutile, semblent enfin (\u00e0 jamais ?) gomm\u00e9s, si enfin mon corps me pardonne, mon corps se pardonne, mon corps bouge, mon corps danse, mon corps jouit, mon corps se gave, mon corps s\u2019illumine, mon corps l\u00e9vite, mon corps, dans le temps qui lui reste, avant de s\u2019effondrer en cendres, en poussi\u00e8re, avant d\u2019\u00eatre emport\u00e9 sous terre, ou aux quatre vents, ou sur la mer, ou dans l\u2019azur, ou mang\u00e9, ou aval\u00e9 sans y penser, ou mon corps et moi, amis enfin dans l\u2019heure de tous les renoncements ; nous r\u00e9cup\u00e9rerons l\u2019espoir fou d\u2019\u00eatre vou\u00e9s au Grand Corps, celui qui ne sera pas pens\u00e9 unique, mais sid\u00e9ral, grand, uni, vers, d\u00e9esse M\u00e8re, papa P\u00e8re, enfin bref, tout ce qui restera derri\u00e8re.<\/p>\n Derri\u00e8re les silences, mon grand corps, \u00e0 l\u2019aise pour se d\u00e9tendre enfin, se dilater \u00e0 l\u2019infini, le repos sans virgule, ni point, ni pond\u00e9ration, ni ponctuation.<\/p>\n Le moi est ha\u00efssable, c\u2019est entendu. Tellement que \u00e7a devient tendance. Sacr\u00e9 Blaise, va.<\/p>\n Mais \u00e0 force de vouloir s\u2019en passer, on fr\u00f4le parfois la farce, le th\u00e9\u00e2tre grotesque. Une vraie bouffonnerie.<\/p>\n Le nombre de ceux qui \u00e9crivent en traquant la premi\u00e8re personne du singulier m\u2019interloque. M\u2019\u00e9tonne. M\u2019agace. \u00c0 la longue, m\u2019horripile.<\/p>\n Et cette pseudo-disparition du « je » ne fait souvent que le renforcer — surtout quand on regarde de pr\u00e8s ce qui se dit.<\/p>\n « Ai cru bien faire. Verrai si demain pourrai mieux. Ai lu jusqu\u2019au bout, ador\u00e9. »\nTu parles d\u2019un effacement.<\/p>\n Alors non, je garde mon « je ». N\u2019en d\u00e9plaise aux ayatollahs de la litt\u00e9rature.<\/p>\n Encore une fois, il y a l\u2019esprit et il y a la lettre. Parfois mal adress\u00e9e, mal re\u00e7ue ? Va savoir.<\/p>\n Et parfois, mieux vaut se taire que faire semblant de parler, m\u00eame si l\u2019on a l\u2019air d\u2019avoir tordu le cou au « je ».<\/p>\n Le « je » reste une zone de turbulence tant qu\u2019on n\u2019a pas trait\u00e9 ce qu\u2019il charrie. Le supprimer ne r\u00e9sout rien. Il faut surtout dissiper la difficult\u00e9 d\u2019\u00eatre — et, si possible, y prendre plaisir.<\/p>\n Prendre du recul sur soi, ce n\u2019est pas fuir le moi : c\u2019est tenter de le voir tel qu\u2019il est, non tel qu\u2019on voudrait qu\u2019il soit. C\u2019est une fois vu qu\u2019on commence \u00e0 voir.<\/p>\n Et si l\u2019on me parle de timidit\u00e9 ? Je r\u00e9torque : orgueil mal plac\u00e9. Rien de plus.<\/p>\n Si nommer est un pouvoir, \u00eatre nomm\u00e9 peut \u00eatre une b\u00e9n\u00e9diction et une mal\u00e9diction. Tout changement procure un espoir et une crainte. Changer de nom, prendre un pseudonyme, un nom d’artiste par exemple, m’a toujours pos\u00e9 probl\u00e8me. Il en allait d’une responsabilit\u00e9 sur quoi ne pas faillir : assumer le nom donn\u00e9 comme on assume le monde donn\u00e9.<\/p>\n Car qui suis-je, ce fut toujours ce que je me disais quand j’y pensais, pour avoir le pouvoir, l’intelligence, la perspicacit\u00e9 n\u00e9cessaires \u00e0 modifier quoi que ce soit du donn\u00e9. Ne serait-ce que remettre en question ce qui est donn\u00e9 pour r\u00e9el, pour r\u00e9alit\u00e9. La « remise en question » est une expression perturbante. La question est toujours l\u00e0. Il est possible que, plus d’une fois, on ait eu le sentiment de l’avoir r\u00e9solue, mais en v\u00e9rit\u00e9 pas tant que \u00e7a, puisque l’on \u00e9prouve cette envie r\u00e9guli\u00e8re de la remettre en question.<\/p>\n Remettre l’ouvrage sur le m\u00e9tier cent fois — et bien plus — fut l’un des principes fondamentaux de mon \u00e9ducation. Le travail est ainsi associ\u00e9 \u00e0 la r\u00e9p\u00e9tition d’une t\u00e2che, toujours la m\u00eame, \u00e0 l’infini, dans un cadre de quatre saisons. Un programme implant\u00e9 de longue date par des g\u00e9n\u00e9rations pass\u00e9es d’ouvriers, de journaliers, constituant les deux branches ma\u00eetresses de l’arbre g\u00e9n\u00e9alogique familial.<\/p>\n Changer de nom, c’est changer d\u2019arbre : c\u2019est \u00e0 la fois perdre ses racines et leur porter atteinte. En y r\u00e9fl\u00e9chissant, mon amour des for\u00eats, des arbres, vient peut-\u00eatre d’une forme sublim\u00e9e de r\u00e9signation. Ne pouvant fuir un arbre, ni le couper, ni le br\u00fbler, autant remettre cent fois l’ouvrage sur le m\u00e9tier pour apprendre \u00e0 l\u2019adorer. Pour ne pas perdre son nom, inventer un amour en grande partie factice, ruser.<\/p>\n N’est-ce pas aussi ce qui parach\u00e8ve le statut de chevalier chez Cervantes ? Apr\u00e8s avoir d\u00e9gott\u00e9 une rosse comme monture, apr\u00e8s s’\u00eatre affubl\u00e9 d\u2019un nom, d\u2019une patrie, Don Quichotte invente sa Dulcin\u00e9e de Toboso. C\u2019est peu apr\u00e8s qu\u2019il pourra entamer ses diff\u00e9rentes m\u00e9tamorphoses — du chevalier \u00e0 la triste figure \u00e0 Alonzo.<\/p>\n Ce sera aussi l\u2019apprentissage de ce que peut dissimuler — en premier lieu \u00e0 soi-m\u00eame — l\u2019usage d\u2019un nom dont on est affubl\u00e9, et qui va avec une r\u00e9alit\u00e9 de m\u00eame nature. Apprendre \u00e0 vivre dans un nom donn\u00e9, c\u2019est prendre \u00e0 son compte la perception, faite de mensonges et de v\u00e9rit\u00e9s, du monde dont est issu ce mot, ce nom.<\/p>\n Dans ce cas, l\u2019\u00e9carter ne peut s\u2019effectuer qu\u2019une fois que l\u2019on en aura fait cent fois le tour, pour \u00eatre bien certain de ne rien avoir oubli\u00e9 d\u2019explorer, de comprendre, de conna\u00eetre. L\u2019espoir est tout entier ramass\u00e9 dans le cent uni\u00e8me tour, dans la confiance aveugle attribu\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9closion des \u0153ufs.<\/p>\n \u00c9crire, c\u2019est donc tenter de nommer l\u2019existant — et comme il est innombrable, proche d\u2019innommable, comment s\u00e9lectionner ce qu\u2019on \u00e9crit ? Quelle importance va-t-on donner \u00e0 ces choses, pour les extirper en premier lieu de ce que l\u2019on consid\u00e8re important, banal, heureux, malheureux, etc. ?<\/p>\n J\u2019ai toujours pens\u00e9 qu\u2019il fallait se mettre au service de cette parole en soi qui d\u00e9sire s\u2019exprimer telle qu\u2019elle est, en premier lieu, afin de mieux pouvoir l\u2019\u00e9tudier. La difficult\u00e9 est qu\u2019on ne peut en m\u00eame temps \u00e9crire et \u00e9tudier ce qui s\u2019\u00e9crit, et que l\u2019on doive remettre cette seconde op\u00e9ration \u00e0 « plus tard ». L\u2019urgence de la chose qui s\u2019\u00e9crit est si imp\u00e9rieuse qu\u2019elle rel\u00e8gue cette op\u00e9ration dans une temporalit\u00e9 plus fantasm\u00e9e que probable. Un pays que l\u2019on s\u2019invente pour jamais n\u2019y parvenir. Et dont, ainsi, sera maintenu un fantasme de virginit\u00e9, comme l\u2019effroi de la perdre.<\/p>",
"content_text": " \n\nSi nommer est un pouvoir, \u00eatre nomm\u00e9 peut \u00eatre une b\u00e9n\u00e9diction et une mal\u00e9diction. Tout changement procure un espoir et une crainte. Changer de nom, prendre un pseudonyme, un nom d'artiste par exemple, m'a toujours pos\u00e9 probl\u00e8me. Il en allait d'une responsabilit\u00e9 sur quoi ne pas faillir : assumer le nom donn\u00e9 comme on assume le monde donn\u00e9. \n\nCar qui suis-je, ce fut toujours ce que je me disais quand j'y pensais, pour avoir le pouvoir, l'intelligence, la perspicacit\u00e9 n\u00e9cessaires \u00e0 modifier quoi que ce soit du donn\u00e9. Ne serait-ce que remettre en question ce qui est donn\u00e9 pour r\u00e9el, pour r\u00e9alit\u00e9. La \"remise en question\" est une expression perturbante. La question est toujours l\u00e0. Il est possible que, plus d'une fois, on ait eu le sentiment de l'avoir r\u00e9solue, mais en v\u00e9rit\u00e9 pas tant que \u00e7a, puisque l'on \u00e9prouve cette envie r\u00e9guli\u00e8re de la remettre en question. \n\nRemettre l'ouvrage sur le m\u00e9tier cent fois \u2014 et bien plus \u2014 fut l'un des principes fondamentaux de mon \u00e9ducation. Le travail est ainsi associ\u00e9 \u00e0 la r\u00e9p\u00e9tition d'une t\u00e2che, toujours la m\u00eame, \u00e0 l'infini, dans un cadre de quatre saisons. Un programme implant\u00e9 de longue date par des g\u00e9n\u00e9rations pass\u00e9es d'ouvriers, de journaliers, constituant les deux branches ma\u00eetresses de l'arbre g\u00e9n\u00e9alogique familial. \n\nChanger de nom, c'est changer d\u2019arbre : c\u2019est \u00e0 la fois perdre ses racines et leur porter atteinte. En y r\u00e9fl\u00e9chissant, mon amour des for\u00eats, des arbres, vient peut-\u00eatre d'une forme sublim\u00e9e de r\u00e9signation. Ne pouvant fuir un arbre, ni le couper, ni le br\u00fbler, autant remettre cent fois l'ouvrage sur le m\u00e9tier pour apprendre \u00e0 l\u2019adorer. Pour ne pas perdre son nom, inventer un amour en grande partie factice, ruser. \n\nN'est-ce pas aussi ce qui parach\u00e8ve le statut de chevalier chez Cervantes ? Apr\u00e8s avoir d\u00e9gott\u00e9 une rosse comme monture, apr\u00e8s s'\u00eatre affubl\u00e9 d\u2019un nom, d\u2019une patrie, Don Quichotte invente sa Dulcin\u00e9e de Toboso. C\u2019est peu apr\u00e8s qu\u2019il pourra entamer ses diff\u00e9rentes m\u00e9tamorphoses \u2014 du chevalier \u00e0 la triste figure \u00e0 Alonzo. \n\nCe sera aussi l\u2019apprentissage de ce que peut dissimuler \u2014 en premier lieu \u00e0 soi-m\u00eame \u2014 l\u2019usage d\u2019un nom dont on est affubl\u00e9, et qui va avec une r\u00e9alit\u00e9 de m\u00eame nature. Apprendre \u00e0 vivre dans un nom donn\u00e9, c\u2019est prendre \u00e0 son compte la perception, faite de mensonges et de v\u00e9rit\u00e9s, du monde dont est issu ce mot, ce nom. \n\nDans ce cas, l\u2019\u00e9carter ne peut s\u2019effectuer qu\u2019une fois que l\u2019on en aura fait cent fois le tour, pour \u00eatre bien certain de ne rien avoir oubli\u00e9 d\u2019explorer, de comprendre, de conna\u00eetre. L\u2019espoir est tout entier ramass\u00e9 dans le cent uni\u00e8me tour, dans la confiance aveugle attribu\u00e9e \u00e0 l\u2019\u00e9closion des \u0153ufs. \n\n\u00c9crire, c\u2019est donc tenter de nommer l\u2019existant \u2014 et comme il est innombrable, proche d\u2019innommable, comment s\u00e9lectionner ce qu\u2019on \u00e9crit ? Quelle importance va-t-on donner \u00e0 ces choses, pour les extirper en premier lieu de ce que l\u2019on consid\u00e8re important, banal, heureux, malheureux, etc. ? \n\nJ\u2019ai toujours pens\u00e9 qu\u2019il fallait se mettre au service de cette parole en soi qui d\u00e9sire s\u2019exprimer telle qu\u2019elle est, en premier lieu, afin de mieux pouvoir l\u2019\u00e9tudier. La difficult\u00e9 est qu\u2019on ne peut en m\u00eame temps \u00e9crire et \u00e9tudier ce qui s\u2019\u00e9crit, et que l\u2019on doive remettre cette seconde op\u00e9ration \u00e0 \"plus tard\". L\u2019urgence de la chose qui s\u2019\u00e9crit est si imp\u00e9rieuse qu\u2019elle rel\u00e8gue cette op\u00e9ration dans une temporalit\u00e9 plus fantasm\u00e9e que probable. Un pays que l\u2019on s\u2019invente pour jamais n\u2019y parvenir. Et dont, ainsi, sera maintenu un fantasme de virginit\u00e9, comme l\u2019effroi de la perdre. ",
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"id": "https:\/\/ledibbouk.net\/notes-de-lecture.html",
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"title": "notes de lecture",
"date_published": "2023-04-16T13:45:27Z",
"date_modified": "2025-07-16T06:12:47Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Arr\u00eat de bus lyc\u00e9e du Futuroscope, une vingtaine de minutes d’attente. Un bon week-end pass\u00e9 \u00e0 deux, avec beau temps, et arbres en fleurs. Tout s\u2019est bien d\u00e9roul\u00e9, l’\u00e9tat d’esprit y est pour beaucoup. Mettre les soucis de c\u00f4t\u00e9, se rendre disponible, partager des silences et des rires, avec ce qu’il faut aussi de repli chacun pour recharger les batteries.<\/p>\n Les enfants de 10 ans n’ont rien \u00e0 voir avec l’enfant que j’\u00e9tais \u00e0 leur \u00e2ge. Chaque g\u00e9n\u00e9ration nouvelle, hormis tout le mal qu\u2019on peut dire ou penser du monde, effectue un saut quantique. On ne peut plus comparer les fa\u00e7ons d\u2019\u00eatre, de raisonner ; on ne peut que les observer, en \u00eatre parfois surpris, voire atterr\u00e9. Mais c’est une affaire de lunettes : il faut penser \u00e0 en changer, voir autrement sans comparer, ce qui n\u2019est bien s\u00fbr pas facile.<\/p>\n Je continue le livre d’Alain Ouaknin, Biblioth\u00e9rapie, lire c\u2019est gu\u00e9rir<\/em>. Tout semble si juste concernant la notion de cercle, d’enfermement, le paradoxe que produit celui-ci : la s\u00e9curit\u00e9, l’int\u00e9gration au groupe, au d\u00e9pens d’une forme d’identit\u00e9, de libert\u00e9.<\/p>\n Tout cercle produit ainsi un double mouvement centrifuge et centrip\u00e8te. M\u00eame un cercle o\u00f9 il serait question d’\u00e9criture, de lecture.<\/p>\n Sans doute est-ce la raison principale qui explique ma volont\u00e9 permanente de contradiction \u00e0 l’int\u00e9rieur de tout groupe, cercle — et \u00e0 la fin, quand je sens que je d\u00e9range trop, que rien ne bouge, je m\u2019\u00e9clipse. Mais pour m\u2019enfermer presque aussit\u00f4t dans la solitude et l\u2019auto-flagellation. Ce que je trouve de moins en moins rigolo, au bout du compte.<\/p>\n Mais pourquoi voudrais-je que tout s\u2019ach\u00e8ve perp\u00e9tuellement en blague, en farce, en com\u00e9die ? Plus jeune, je me ruais sur l\u2019ironie comme un naufrag\u00e9 vers une bou\u00e9e, mais la tristesse de celle-ci me semble tellement inutile d\u00e9sormais. Quitter joyeusement un groupe, un cercle — voil\u00e0 ce qu\u2019il faudrait toujours ne pas oublier de faire.<\/p>\n Parvenus \u00e0 la gare de Poitiers, le train pour Massy a plus d\u2019une heure de retard pr\u00e9vue\u2026 encore un cercle : soixante-dix minutes, quatre mille deux cents secondes, combien de battements de c\u0153ur, combien d\u2019\u00e9tincelles susceptibles de cr\u00e9er une petite joie pour s\u2019en sortir\u2026 ?<\/p>\n \u00c0 part continuer de lire, d\u2019\u00e9crire, je ne vois pas autre chose. M. est fatigu\u00e9, il joue sur sa tablette, s\u2019agace ; je d\u00e9cide de ne pas m\u2019en m\u00ealer. En deux jours, nous n\u2019avons pas parl\u00e9 de grand-chose. Nous avons \u00e9t\u00e9 ensemble, voil\u00e0 tout. On a ri, beaucoup. J\u2019esp\u00e8re que ce sera pour lui un bon souvenir.<\/p>\n Mais qu\u2019est-ce qu\u2019un bon souvenir ? C\u2019est encore un concept que j\u2019invente d\u2019apr\u00e8s mes bons souvenirs — ceux r\u00e9els et surtout ceux fantasm\u00e9s, d\u00e9form\u00e9s\u2026 Et cette question en suspens : \u00e0 quoi \u00e7a rime ?<\/p>\n Dans le Quichotte<\/em> de Cervantes, de quoi est-il vraiment question sinon de nommer quelque chose — et surtout d\u2019accepter que cette nomination soit fluctuante. Il ne s\u2019agit ni plus ni moins que de « la sagesse de l\u2019incertitude ». Accepter le fait que rien ne soit certain, pas m\u00eame l\u2019incertain — n\u2019est-ce pas une piste int\u00e9ressante pour s\u2019\u00e9vader de tout cercle, toute prison ou d\u00e9pression ?<\/p>\n Vouloir nommer les choses et accepter simultan\u00e9ment que ce soit subjectif, faux, fluctuant, en suspens, provisoire\u2026 Ainsi, choisir le bon mot demande d\u2019avoir pes\u00e9 tous les pour ainsi que les contre, et de rester, malgr\u00e9 tout, dans un doute raisonnable. Se laisser la possibilit\u00e9 de changer d\u2019avis sur un mot. D\u2019o\u00f9 la relecture, encore une fois. Et aussi la forme en rond, de cercle, provenant d\u2019une d\u00e9cision — soudain bizarre — qui pousserait \u00e0 ne pas vouloir se relire.<\/p>\n Bonne ambiance dans la voiture 8 du Ouigo : une bande de filles, la trentaine, certainement \u00e9prouv\u00e9es par le retard, rivalisent de blagues crues. M. est absorb\u00e9 dans un jeu sur sa tablette. Il n\u2019a presque plus de batterie. On prendra un Uber \u00e0 Massy pour rejoindre Le M\u00e9e-sur-Seine, \u00e7a ira plus vite que de reprendre un RER via Les Halles \u00e0 Paris.<\/p>",
"content_text": " \n\nArr\u00eat de bus lyc\u00e9e du Futuroscope, une vingtaine de minutes d'attente. Un bon week-end pass\u00e9 \u00e0 deux, avec beau temps, et arbres en fleurs. Tout s\u2019est bien d\u00e9roul\u00e9, l'\u00e9tat d'esprit y est pour beaucoup. Mettre les soucis de c\u00f4t\u00e9, se rendre disponible, partager des silences et des rires, avec ce qu'il faut aussi de repli chacun pour recharger les batteries. \n\nLes enfants de 10 ans n'ont rien \u00e0 voir avec l'enfant que j'\u00e9tais \u00e0 leur \u00e2ge. Chaque g\u00e9n\u00e9ration nouvelle, hormis tout le mal qu\u2019on peut dire ou penser du monde, effectue un saut quantique. On ne peut plus comparer les fa\u00e7ons d\u2019\u00eatre, de raisonner ; on ne peut que les observer, en \u00eatre parfois surpris, voire atterr\u00e9. Mais c'est une affaire de lunettes : il faut penser \u00e0 en changer, voir autrement sans comparer, ce qui n\u2019est bien s\u00fbr pas facile. \n\nJe continue le livre d'Alain Ouaknin, Biblioth\u00e9rapie, lire c\u2019est gu\u00e9rir. Tout semble si juste concernant la notion de cercle, d'enfermement, le paradoxe que produit celui-ci : la s\u00e9curit\u00e9, l'int\u00e9gration au groupe, au d\u00e9pens d'une forme d'identit\u00e9, de libert\u00e9. \n\nTout cercle produit ainsi un double mouvement centrifuge et centrip\u00e8te. M\u00eame un cercle o\u00f9 il serait question d'\u00e9criture, de lecture. \n\nSans doute est-ce la raison principale qui explique ma volont\u00e9 permanente de contradiction \u00e0 l'int\u00e9rieur de tout groupe, cercle \u2014 et \u00e0 la fin, quand je sens que je d\u00e9range trop, que rien ne bouge, je m\u2019\u00e9clipse. Mais pour m\u2019enfermer presque aussit\u00f4t dans la solitude et l\u2019auto-flagellation. Ce que je trouve de moins en moins rigolo, au bout du compte. \n\nMais pourquoi voudrais-je que tout s\u2019ach\u00e8ve perp\u00e9tuellement en blague, en farce, en com\u00e9die ? Plus jeune, je me ruais sur l\u2019ironie comme un naufrag\u00e9 vers une bou\u00e9e, mais la tristesse de celle-ci me semble tellement inutile d\u00e9sormais. Quitter joyeusement un groupe, un cercle \u2014 voil\u00e0 ce qu\u2019il faudrait toujours ne pas oublier de faire. \n\nParvenus \u00e0 la gare de Poitiers, le train pour Massy a plus d\u2019une heure de retard pr\u00e9vue\u2026 encore un cercle : soixante-dix minutes, quatre mille deux cents secondes, combien de battements de c\u0153ur, combien d\u2019\u00e9tincelles susceptibles de cr\u00e9er une petite joie pour s\u2019en sortir\u2026 ? \n\n\u00c0 part continuer de lire, d\u2019\u00e9crire, je ne vois pas autre chose. M. est fatigu\u00e9, il joue sur sa tablette, s\u2019agace ; je d\u00e9cide de ne pas m\u2019en m\u00ealer. En deux jours, nous n\u2019avons pas parl\u00e9 de grand-chose. Nous avons \u00e9t\u00e9 ensemble, voil\u00e0 tout. On a ri, beaucoup. J\u2019esp\u00e8re que ce sera pour lui un bon souvenir. \n\nMais qu\u2019est-ce qu\u2019un bon souvenir ? C\u2019est encore un concept que j\u2019invente d\u2019apr\u00e8s mes bons souvenirs \u2014 ceux r\u00e9els et surtout ceux fantasm\u00e9s, d\u00e9form\u00e9s\u2026 Et cette question en suspens : \u00e0 quoi \u00e7a rime ? \n\nDans le Quichotte de Cervantes, de quoi est-il vraiment question sinon de nommer quelque chose \u2014 et surtout d\u2019accepter que cette nomination soit fluctuante. Il ne s\u2019agit ni plus ni moins que de \"la sagesse de l\u2019incertitude\". Accepter le fait que rien ne soit certain, pas m\u00eame l\u2019incertain \u2014 n\u2019est-ce pas une piste int\u00e9ressante pour s\u2019\u00e9vader de tout cercle, toute prison ou d\u00e9pression ? \n\nVouloir nommer les choses et accepter simultan\u00e9ment que ce soit subjectif, faux, fluctuant, en suspens, provisoire\u2026 Ainsi, choisir le bon mot demande d\u2019avoir pes\u00e9 tous les pour ainsi que les contre, et de rester, malgr\u00e9 tout, dans un doute raisonnable. Se laisser la possibilit\u00e9 de changer d\u2019avis sur un mot. D\u2019o\u00f9 la relecture, encore une fois. Et aussi la forme en rond, de cercle, provenant d\u2019une d\u00e9cision \u2014 soudain bizarre \u2014 qui pousserait \u00e0 ne pas vouloir se relire. \n\nBonne ambiance dans la voiture 8 du Ouigo : une bande de filles, la trentaine, certainement \u00e9prouv\u00e9es par le retard, rivalisent de blagues crues. M. est absorb\u00e9 dans un jeu sur sa tablette. Il n\u2019a presque plus de batterie. On prendra un Uber \u00e0 Massy pour rejoindre Le M\u00e9e-sur-Seine, \u00e7a ira plus vite que de reprendre un RER via Les Halles \u00e0 Paris. ",
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"title": "10 avril 2023",
"date_published": "2023-04-10T09:04:00Z",
"date_modified": "2024-11-25T10:04:43Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
"content_html": "<\/span> Le dit c\u2019est l\u2019ennemi, \u00e7a c\u2019est dit, contredire le dit est toujours possible, il est possible de redonner ainsi au verbe une dynamique, un vecteur, tu dis un truc et paf ! tout de suite dans la foul\u00e9e, tu te contredis.<\/p>\n Et vois l\u00e0-bas ce qu\u2019ils font du dit, ils d\u00e9p\u00e8cent les carri\u00e8res de marbre, les for\u00eats de ch\u00eanes, pour graver des signes bien jolis mais qui n\u2019ont pas de sens.<\/p>\n Une fois que j\u2019ai dit \u00e7a, c\u2019est comme si je n\u2019avais rien dit. Si personne ne vient me contredire, je crois que \u00e7a restera en l\u2019\u00e9tat.<\/p>\n Il y a bien des \u00e9tats dits de droit, des \u00e9tats de dits, pourquoi n\u2019y aurait-il pas des \u00e9tats de contredit, de non-dit.<\/p>\n des \u00e9tats sans foi ni loi comme dans les jours d\u2019aujourd\u2019hui.<\/p>\n Surtout au printemps tout le monde dit comme c\u2019est beau ici c\u2019est le printemps tu as vu, il faut beaucoup de r\u00e9flexe, un entra\u00eenement de chaque jour, chaque minute, pour oser dire et sans ciller -non je n\u2019ai rien vu. Rien du tout. Histoire de donner une mince chance \u00e0 la conversation, ou au moins \u00e0 la contradiction.<\/p>\n Mais tout le monde s\u2019en fout, chacun s\u2019en va dans son printemps \u00e0 soi, hypnotis\u00e9 par sa propre id\u00e9e du beau, du renouveau, des bourgeons qui p\u00e8tent ; il para\u00eet que \u00e7a aide \u00e0 supporter tout le reste.<\/p>",
"content_text": "Le dit c\u2019est l\u2019ennemi, \u00e7a c\u2019est dit, contredire le dit est toujours possible, il est possible de redonner ainsi au verbe une dynamique, un vecteur, tu dis un truc et paf ! tout de suite dans la foul\u00e9e, tu te contredis. Et vois l\u00e0-bas ce qu\u2019ils font du dit, ils d\u00e9p\u00e8cent les carri\u00e8res de marbre, les for\u00eats de ch\u00eanes, pour graver des signes bien jolis mais qui n\u2019ont pas de sens. Une fois que j\u2019ai dit \u00e7a, c\u2019est comme si je n\u2019avais rien dit. Si personne ne vient me contredire, je crois que \u00e7a restera en l\u2019\u00e9tat. Il y a bien des \u00e9tats dits de droit, des \u00e9tats de dits, pourquoi n\u2019y aurait-il pas des \u00e9tats de contredit, de non-dit. des \u00e9tats sans foi ni loi comme dans les jours d\u2019aujourd\u2019hui. Surtout au printemps tout le monde dit comme c\u2019est beau ici c\u2019est le printemps tu as vu, il faut beaucoup de r\u00e9flexe, un entra\u00eenement de chaque jour, chaque minute, pour oser dire et sans ciller -non je n\u2019ai rien vu. Rien du tout. Histoire de donner une mince chance \u00e0 la conversation, ou au moins \u00e0 la contradiction. Mais tout le monde s\u2019en fout, chacun s\u2019en va dans son printemps \u00e0 soi, hypnotis\u00e9 par sa propre id\u00e9e du beau, du renouveau, des bourgeons qui p\u00e8tent; il para\u00eet que \u00e7a aide \u00e0 supporter tout le reste.",
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"title": "Les chroniques de voyage.",
"date_published": "2023-04-09T06:13:20Z",
"date_modified": "2025-10-07T08:11:03Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " Certainement un art \u00e0 part enti\u00e8re. Peut on vraiment s\u2019improviser chroniqueur de voyage. Des tentatives effectu\u00e9es, impression de malaise. C\u2019est plus un bloc-notes qu\u2019autre chose. Que devrait-on inscrire dans ces lignes qui ne paraissent pas aussit\u00f4t d\u00e9risoire, futile, soporifique. Se renseigner sur l\u2019histoire et la g\u00e9ographie des lieux. Essayer de rejoindre une logique interne \u00e0 ceux-ci. Peut-\u00eatre. Ou alors utiliser un ton, la m\u00e9chancet\u00e9 par exemple. Me reviennent les propos de Stendhal sur Grenoble. Et non, aucun souvenir des chroniques italiennes. Par contre Grenoble, quelle hargne, quelle m\u00e9chancet\u00e9, sans doute justifi\u00e9e, puisqu\u2019il y est n\u00e9. Comme j\u2019avais aim\u00e9 lire ce genre de textes vers quarante\u2026M\u2019y int\u00e9resserais-je encore \u00e0 plus de soixante\u2026 rien n\u2019est moins s\u00fbr. D\u2019ailleurs Henri Beyle, Stendhal, n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 un de mes auteurs favoris. Jamais ha\u00ef, jamais adul\u00e9. Des souvenirs passables de Dominique Fernandez. Sur l\u2019Italie \u00e9galement tiens. Mais trop ampoul\u00e9 pour mon go\u00fbt, trop de chichis, trop de litt\u00e9rature. Ce qui me fait remonter \u00e0 des interrogations essentielles quant aux \u00e9crivains en g\u00e9n\u00e9ral. On ne sait jamais trop pour la plus grande partie comment ces gens vivent, mangent, baisent et chient. Comment ils parviennent \u00e0 gagner leur vie, comment ils vivent vraiment, et \u00e9crivent. C\u2019est gr\u00e2ce aux romanciers am\u00e9ricains, principalement Miller, Bukowsky, John Fante, que le rideau aura \u00e9t\u00e9 tir\u00e9 sur cette \u00e9nigme. Encore que, c\u2019est aussi de la litt\u00e9rature, que le narrateur n\u2019est jamais tout \u00e0 fait celui auquel on pense. Laurence Durrell ami d\u2019Henri Miller et si oppos\u00e9 cependant dans la fa\u00e7on de raconter les voyages. Mac Orlan tr\u00e8s po\u00e9tique, trop sans doute, lorsque je l\u2019avais lu jadis en m\u00eame temps que Pierre Loti, et bien s\u00fbr Cendrars. Je n\u2019ai pas cit\u00e9 Jack London. Pourtant il avait \u00e9t\u00e9 d\u2019un pr\u00e9cieux secours lui aussi. Non pour \u00e9crire des chroniques de voyage, sauf si on consid\u00e8re qu\u2019\u00e9crire est bel et bien une forme de voyage, d\u2019aventure. Plus proche de notre \u00e9poque il y a aussi Nicolas Bouvier et son merveilleux livre, « l\u2019usage du monde », je l\u2019avais emport\u00e9 avec moi en m\u2019en allant au del\u00e0 du Bosphore en 1986. Un poids. Et puis j\u2019ai du le pr\u00eater ou le donner \u00e0 quelqu\u2019un. Et en y repensant, c\u2019est un livre qui me manque. Qu\u2019il serait bon de retrouver<\/p>",
"content_text": "Certainement un art \u00e0 part enti\u00e8re. Peut on vraiment s\u2019improviser chroniqueur de voyage. Des tentatives effectu\u00e9es, impression de malaise. C\u2019est plus un bloc-notes qu\u2019autre chose. Que devrait-on inscrire dans ces lignes qui ne paraissent pas aussit\u00f4t d\u00e9risoire, futile, soporifique. Se renseigner sur l\u2019histoire et la g\u00e9ographie des lieux. Essayer de rejoindre une logique interne \u00e0 ceux-ci. Peut-\u00eatre. Ou alors utiliser un ton, la m\u00e9chancet\u00e9 par exemple. Me reviennent les propos de Stendhal sur Grenoble. Et non, aucun souvenir des chroniques italiennes. Par contre Grenoble, quelle hargne, quelle m\u00e9chancet\u00e9, sans doute justifi\u00e9e, puisqu\u2019il y est n\u00e9. Comme j\u2019avais aim\u00e9 lire ce genre de textes vers quarante\u2026M\u2019y int\u00e9resserais-je encore \u00e0 plus de soixante\u2026 rien n\u2019est moins s\u00fbr. D\u2019ailleurs Henri Beyle, Stendhal, n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 un de mes auteurs favoris. Jamais ha\u00ef, jamais adul\u00e9. Des souvenirs passables de Dominique Fernandez. Sur l\u2019Italie \u00e9galement tiens. Mais trop ampoul\u00e9 pour mon go\u00fbt, trop de chichis, trop de litt\u00e9rature. Ce qui me fait remonter \u00e0 des interrogations essentielles quant aux \u00e9crivains en g\u00e9n\u00e9ral. On ne sait jamais trop pour la plus grande partie comment ces gens vivent, mangent, baisent et chient. Comment ils parviennent \u00e0 gagner leur vie, comment ils vivent vraiment, et \u00e9crivent. C\u2019est gr\u00e2ce aux romanciers am\u00e9ricains, principalement Miller, Bukowsky, John Fante, que le rideau aura \u00e9t\u00e9 tir\u00e9 sur cette \u00e9nigme. Encore que, c\u2019est aussi de la litt\u00e9rature, que le narrateur n\u2019est jamais tout \u00e0 fait celui auquel on pense. Laurence Durrell ami d\u2019Henri Miller et si oppos\u00e9 cependant dans la fa\u00e7on de raconter les voyages. Mac Orlan tr\u00e8s po\u00e9tique, trop sans doute, lorsque je l\u2019avais lu jadis en m\u00eame temps que Pierre Loti, et bien s\u00fbr Cendrars. Je n\u2019ai pas cit\u00e9 Jack London. Pourtant il avait \u00e9t\u00e9 d\u2019un pr\u00e9cieux secours lui aussi. Non pour \u00e9crire des chroniques de voyage, sauf si on consid\u00e8re qu\u2019\u00e9crire est bel et bien une forme de voyage, d\u2019aventure. Plus proche de notre \u00e9poque il y a aussi Nicolas Bouvier et son merveilleux livre, \u00ab l\u2019usage du monde \u00bb, je l\u2019avais emport\u00e9 avec moi en m\u2019en allant au del\u00e0 du Bosphore en 1986. Un poids. Et puis j\u2019ai du le pr\u00eater ou le donner \u00e0 quelqu\u2019un. Et en y repensant, c\u2019est un livre qui me manque. Qu\u2019il serait bon de retrouver",
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"title": "se dessaisir",
"date_published": "2023-04-07T03:05:51Z",
"date_modified": "2025-09-18T17:08:40Z",
"author": {"name": "Auteur"},
"content_html": " une main de nouveau n\u00e9 qui empoigne fort et se dessaisit tout aussi vite.<\/p>\n Peut-\u00eatre que je voudrais revenir \u00e0 cette sensation rest\u00e9e dans la main, en multipliant tous ces textes. Empoigner fort vivre, et en m\u00eame temps dessaisir vite, ne rien garder mourir.<\/p>\n En arrivant dans la salle de cours \u00e0 Irigny j’ai ouvert la fen\u00eatre pour a\u00e9rer, peut-\u00eatre capturer cet instant pour le rel\u00e2cher ensuite. N’est-ce pas cela une photographie.<\/p>\n Est-ce que tu sais o\u00f9 t\u2019en es.\nO\u00f9 t\u2019en es de quoi.\nQu\u2019est-ce que c\u2019est que ce « quoi » dont tu ne sais pas s\u2019il est loin d\u2019o\u00f9 t\u2019es.\nMais de m\u00eame : avec qui. Tout aussi loin.\nEst-ce que tu sais o\u00f9 t\u2019en es avec qui, avec quoi.\nC\u2019est une question. Il faut bien un quoi ou un qui. Peut-\u00eatre les deux.<\/p>\n Est-ce que tu veux vraiment savoir o\u00f9 t\u2019en es, avec qui, avec quoi, avec qui et quoi ?\nEt comment que tu le sauras ?\nComment que tu peux le savoir ?\nEst-ce que tu veux vraiment le savoir — o\u00f9 t\u2019en es, de qui, de quoi ?<\/p>\n C\u2019est pas seulement en le disant, en posant la question, que \u00e7a devient une vraie question.\nTu le sais, \u00e7a.\nTu sais que tu pourrais tr\u00e8s bien lancer une question en l\u2019air sans en avoir rien \u00e0 faire.\nEt vite repartir, entre les pluies de r\u00e9ponses qui tombent.<\/p>\n Est-ce que \u00e7a va bien t\u2019avancer, tout \u00e7a, pour savoir o\u00f9 t\u2019en es ?\nPour savoir de qui, de quoi ?\nT\u2019es ici, t\u2019es l\u00e0. Tu le vois bien.\nAlors pourquoi tu demandes o\u00f9 t\u2019en es.<\/p>\n Peut-\u00eatre que tu voudrais que quelqu\u2019un s\u2019am\u00e8ne, te r\u00e9ponde.\nQu\u2019il te dise : t\u2019es ici, t\u2019es l\u00e0.\nComme un pot sur une \u00e9tag\u00e8re.\nUn arbre dans un champ.\nC\u2019est pas comme si toi, tu le savais pas.<\/p>\n Peut-\u00eatre alors que c\u2019est pour que t\u2019en sois s\u00fbr.\nTout \u00e0 fait certain. Certain \u00e0 devenir fou.\nMais pourquoi pas devenir fous.\nPourquoi vouloir jamais \u00eatre s\u00fbr ?\nToute la question est peut-\u00eatre ici. Ou l\u00e0. Comme dans qui, ou quoi.<\/p>\n Peut-\u00eatre que c\u2019est pour ne pas devenir fou.\nEt peut-\u00eatre qu\u2019\u00e0 force\u2026 tu l\u2019es devenu.<\/p>\n Et si, des fois, t\u2019en sais rien ?\nQu\u2019est-ce que \u00e7a peut bien faire.\nSi \u00e7a se trouve, c\u2019est comme \u00e7a qu\u2019on sait o\u00f9 on en est :\nc\u2019est quand on arr\u00eate de se le demander.<\/p>\n Quelqu\u2019un s\u2019am\u00e8ne et te demande : alors, o\u00f9 t\u2019en es ?\nTu r\u00e9ponds : je sais pas.\nSuis ici. Ou l\u00e0.\nIci et l\u00e0. Voil\u00e0 tout.<\/p>\n Naviguant « aux confins de la mer glaciale », Pantagruel et ses compagnons d\u00e9couvrent comment « gel\u00e8rent en l\u2019air les paroles et cris des hommes et femmes ». Illustr\u00e9 par le dessinateur italien Dino Battaglia, l\u2019\u00e9pisode des paroles gel\u00e9es est l\u2019un des passages les plus c\u00e9l\u00e8bres du Quart Livre de Rabelais (1552).<\/p>\n J\u2019adore cette id\u00e9e, cette image. Elle procure un espoir, elle est \u00e9minemment bienveillante. Par m\u00e9garde, on aurait laiss\u00e9 le froid envahir la parole, et soudain, on se retrouverait face \u00e0 des fragments gel\u00e9s qu\u2019il s\u2019agirait de r\u00e9animer, de r\u00e9chauffer — en les prenant doucement dans la main.<\/p>\n Avec le souffle, on peut faire deux choses : produire du froid ou du chaud. Il suffit de moduler la bouche. Souffler le froid ou le chaud. Il faut un certain recul pour avoir d\u00e9couvert cela. S\u2019\u00eatre \u00f4t\u00e9 du chemin pour voir. Comme lorsqu\u2019on lit \u00e0 haute voix un vieux texte, pour le ramener \u00e0 la chaleur du soleil, l\u2019extirper du froid de l\u2019oubli, le rendre \u00e0 la vie.<\/p>\n J\u2019essaie d\u2019imaginer l\u2019intimit\u00e9 que les \u00e9rudits de la Renaissance entretenaient avec les auteurs anciens — en latin, en grec. Cette connaissance profonde des mots, leur origine, leur pourquoi, via des langues \u00e0 leur \u00e9poque pas tout \u00e0 fait mortes, puisqu\u2019ils les lisaient couramment, et sans doute les parlaient \u00e0 voix haute.<\/p>\n J\u2019ai re\u00e7u peu d\u2019enseignement en latin, encore moins en grec. Tout ce que j\u2019en sais vient de ma propre curiosit\u00e9, de ce d\u00e9sir d\u2019acqu\u00e9rir science et savoir — assez vif encore nagu\u00e8re. Jusqu\u2019\u00e0 ce que je m\u2019interroge sur cette volont\u00e9 m\u00eame, ce besoin de tout comprendre, et que j\u2019en sois d\u00e9go\u00fbt\u00e9. Mais apr\u00e8s ce mauvais cap, une fois les choses en suspension retomb\u00e9es \u00e0 terre, la clart\u00e9 revient. Ce qu\u2019on fait, on le fait pour soi. Surtout.<\/p>\n Relire Rabelais participe exactement de ce bon plaisir. Inutile de trop s\u2019\u00e9tendre l\u00e0-dessus, au risque de s\u2019\u00e9garer encore, en voulant tirer parti de cette connaissance autrement que par le simple fait de la partager. Gentiment, et \u00e0 voix mesur\u00e9e.<\/p>\n Car autant la parole peut geler, autant elle peut se consumer. Finir cendre.<\/p>\n On en revient \u00e0 l\u2019id\u00e9e antique de temp\u00e9rance, que l\u2019on retrouve aussi chez les bouddhistes : la fameuse voie du milieu. On peut l\u2019admirer ou la rejeter, selon les \u00e2ges, les \u00e9poques, les humeurs. Tant d\u2019interpr\u00e9tations sont possibles — et beaucoup de fallacieuses. Mais au fond, il ne s\u2019agit que de se tenir au milieu de quelque chose. Non par d\u00e9sir, ni par peur. Par n\u00e9cessit\u00e9, simplement.<\/p>\n Consid\u00e9rer que la parole peut geler ou se consumer en vain nous pousse \u00e0 l\u2019utiliser autrement. Non comme un pingre, ni comme un prodigue, mais en pesant ses mots. Et ce n\u2019est pas qu\u2019affaire de plume ou de clavier, mais surtout d\u2019\u00eatre.<\/p>\n Est-ce un fantasme de croire que la qualit\u00e9 de l\u2019instrument est li\u00e9e au son qu\u2019il \u00e9met ? Aujourd\u2019hui, on triche tant qu\u2019on en vient \u00e0 douter.<\/p>\n Mais regretter de ne pas \u00eatre un Stradivarius, s\u2019en d\u00e9sesp\u00e9rer, est tout aussi suspect. Et surtout, immature.<\/p>\n On sait que les Stradivarius existent. Si on ne le savait pas, on serait sans doute moins encombr\u00e9. Mais on peut aussi l\u2019avoir su... et l\u2019oublier.<\/p>\n
\n<\/figure>\n<\/div>",
"content_text": " Des gens tr\u00e8s bien qui peuvent vivre sans ponctuation. Les Grecs, par exemple, avant qu\u2019ils ne s\u2019amusent \u00e0 s\u00e9parer les mots gr\u00e2ce aux blancs. Par exemple. Ensuite, \u00e0 quoi \u00e7a sert de ponctuer ? Y a-t-il encore suffisamment de typographes, d\u2019\u00e9diteurs, qui s\u2019en soucient, puisque ce sont eux au final qui ponctuent \u00e0 la place des auteurs ? Nous serions d\u00e9poss\u00e9d\u00e9s du pouvoir de ponctuer vraiment, comme de tout pouvoir de pond\u00e9ration ? L\u2019auteur devenu quantit\u00e9 n\u00e9gligeable dans le grand univers des rotatives ? Il faut parfois lui flanquer un point sur le i, une barre au t, et bien d\u2019autres petits signes caract\u00e9ristiques et autres pattes de mouche, et des virgules, et des points-virgules, et encore, quand ce ne sont pas ceux d\u2019interrogation ou d\u2019exclamation ! De plus, en mati\u00e8re de ponctuation, il semble que chacun d\u00e9sormais n\u2019en fasse plus qu\u2019\u00e0 sa t\u00eate, ou \u00e0 sa guise \u2013 c\u2019est devenu semblable \u2013 que tout le monde, \u00e0 part les experts, les aficionados de ce code \u00e9sot\u00e9rique, voire herm\u00e9tique \u2013 jugulaire jugulaire \u2013 s\u2019en foute. Ceci dit, on peut tout de m\u00eame en parler, un peu, de la ponctuation comme de la pond\u00e9ration, du poids des mots, sans le choc forc\u00e9ment des photos, des images, du para\u00eetre. S\u2019en parler \u00e0 soi-m\u00eame d\u00e9j\u00e0, faire le point sur la ponctuation. Tu ne sais pas ponctuer, pas plus que pond\u00e9rer tes propos, c\u2019est un fait d\u00e9sormais av\u00e9r\u00e9. Tu es excessif en quasiment tout, surtout en mauvaise foi, ou alors le contraire d\u2019un seul coup. Gouffres et sommets depuis toujours, et il en sera probablement ainsi jusqu\u2019\u00e0 la fin des fins. La ponctuation est-elle en relation avec la pond\u00e9ration ? C\u2019est dr\u00f4le que \u00e7a vienne soudain s\u2019inscrire ainsi en tout cas, si tu ne l\u2019avais pas \u00e9crit tu n\u2019y aurais pas pens\u00e9. Une \u00e9criture pond\u00e9r\u00e9e, bien ponctu\u00e9e, claire, compr\u00e9hensible par le plus grand nombre. Servile. Ou qui se moque de la pond\u00e9ration, de la clart\u00e9, de la ponctuation, comme du monde dans son ensemble. Une \u00e9criture de pitre pitoyable ou de g\u00e9nie, quelle importance de se soucier de l\u2019intersection \u2013 mauvais g\u00e9nie, mauvais daemon \u2013 Une \u00e9criture qui ne tient compte que de sa propre r\u00e8gle, qui s\u2019invente au fur et \u00e0 mesure, au fil de l\u2019eau. Reprends \u00e7a, ne l\u00e2che pas l\u2019affaire, tu tiens s\u00fbrement quelque chose, il faut juste fatiguer les doigts, sentir [le corps](https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?article3089) au-del\u00e0 de toutes ces foutaises \u2013 ton corps \u2013 au-del\u00e0 de la ponctuation, au-del\u00e0 de la pond\u00e9ration, au-del\u00e0 de la compr\u00e9hension, au-del\u00e0 de tous les silences \u2013 mon corps \u2013 sans majuscule, tout minuscule comme il se doit, au-del\u00e0 des silences, mon corps\u2026 Que dire sur le corps qui ne soit pas encore un discours vide, un discours pour discourir, un discours sans substance v\u00e9ritable, un discours \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de la plaque ? Que dire pour retrouver le corps, lui laisser la parole ou \u2013 un vrai silence ? \u2013 Rien. Il ne faut surtout pas t\u2019en m\u00ealer. Attendre, ne pas se presser, \u00e9couter, lire, relire, se relire, observer comment il r\u00e9agit \u00e0 toutes ces choses que tu mets en place pour lui couper la parole, pour le b\u00e2illonner : tous ces obstacles, tous ces silences, toutes ces pens\u00e9es, tous ces r\u00eaves, tous ces cauchemars, tous ces d\u00e9sirs, toutes ces frustrations, toutes ces opinions, tous ces sentiments. Oui, ce sont bien des silences terrifiants qu\u2019ainsi tu opposes \u00e0 un autre silence : ton corps et toi, un dialogue de muets. \u00c0 moins que \u00e7a ne soliloque. Mais qui parle ici, en nos noms ? L\u2019\u00e9gocentrique, le narcissique, l\u2019enfant, l\u2019adolescent, le vieux, l\u2019\u00e2me, l\u2019esprit, la pr\u00e9tention, l\u2019orgueil, la tristesse, le malheur, la souffrance d\u2019\u00eatre ainsi dissoci\u00e9 du monde comme dissoci\u00e9 de mon corps, cet inconnu. Car, quel que soit ce que tu veux penser comme corps, tu ne fais jamais que de le penser, sans plus rien sentir. Comme si, toute la journ\u00e9e, moi et mon corps, tel que moi l\u2019imagine, comme si tout cela n\u2019\u00e9tait qu\u2019une suite de silences empil\u00e9s, chaque jour, jour apr\u00e8s jour, comme des briques, pour fabriquer un mur. Un mur entre moi et moi, entre mon corps et mon corps, entre le mot et l\u2019objet, le mot et le sujet. Ce qui, au bout du compte \u2013 penses-tu ? veux-tu ? r\u00eaves-tu ? te mens-tu ? \u2013 fera dispara\u00eetre tout sujet pour de bon. Une vie imaginaire VS une vie r\u00e9elle. Un jeu de ping-pong. La mort gagne. C\u2019est elle qui remporte le pompon. Une vie dans laquelle la joie comme la souffrance ne sont plus que des donn\u00e9es pour alimenter l\u2019avatar, une existence parall\u00e8le, virtuelle. Cette possibilit\u00e9 existe : de passer toute une vie \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de mon corps, de ne pas le voir, de le m\u00e9priser, d\u2019en \u00eatre si d\u00e9\u00e7u (surtout \u00e0 partir de la cinquantaine). Mais de quel corps parles-tu encore, que tu ne saches rien ou tout ? Tu t\u2019imagines, c\u2019est plus fort que toi, mais \u00e0 la fin c\u2019est le corps qui gagne, quand il te l\u00e2che. Quand il se l\u00e2che lui-m\u00eame. Il te l\u00e2che d\u00e9j\u00e0, celui que tu nommais mon corps et qui ne fut qu\u2019enveloppe vide, courrier mal adress\u00e9, courrier qui ne s\u2019adresse \u00e0 personne, dont l\u2019exp\u00e9diteur n\u2019est personne \u00e9galement. Retour \u00e0 l\u2019envoyeur. Il est tout \u00e0 fait possible de passer \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de cette r\u00e9alit\u00e9 une vie enti\u00e8re, en s\u2019illusionnant, en se cr\u00e9ant un corps \u00e0 son propre corps d\u00e9fendant, en m\u00eame temps qu\u2019une mauvaise foi en cette r\u00e9alit\u00e9. Et si tu commences \u00e0 t\u2019interroger ce matin sur la ponctuation, sur la pond\u00e9ration, sur le poids des choses, est-ce que tu ne te sens pas proche soudain d\u2019\u00e9voquer un autre poids, celui dont tu \u00e9vites de peser l\u2019existence : mon corps ? \u00c0 qui appartient-il vraiment ce corps, si tu lui retires tout ce qu\u2019il n\u2019est pas, ne sera jamais ? Et encore faut-il utiliser le bon verbe, la bonne ponctuation, pour se poser les bonnes questions, celles surtout qui ne demandent pas de r\u00e9ponse. \u00c0 qui est le corps ? Cela revient au m\u00eame. Avoir, appartenir, poss\u00e9der, tous ces termes si d\u00e9testables, qui sont devenus tellement d\u00e9testables avec le temps. Mon corps et le temps, mon corps et mon temps, deux illusions. Tu te compliques tellement la vie pour ne pas voir que tu es un corps, avant d\u2019\u00eatre ce que tu crois \u00eatre, penser, parler, faire, vivre. Tu t\u2019inventes sans rel\u00e2che quantit\u00e9 de mensonges pour ne pas voir \u2013 en face \u2013 la mati\u00e8re dont tu es constitu\u00e9. Tu cr\u00e9es des profils, des avatars, des personnages, et m\u00eame des auteurs, chaque jour diff\u00e9rents, pour fuir la r\u00e9alit\u00e9 de mon corps, la r\u00e9alit\u00e9 de ma mort, la fatalit\u00e9, l\u2019in\u00e9luctabilit\u00e9 qu\u2019entra\u00eenent aussit\u00f4t ces deux mots : corps et mort. Dans le vaste ciel plane, effectue des spirales, le cormoran. P\u00e2ques est pass\u00e9 et rien. Pas de renaissance cette fois. Pas d\u2019illusion. Pas d\u2019espoir. Pas de simagr\u00e9e, pas d\u2019entourloupette. Peut-\u00eatre que, finalement, tu te rapproches du corps. Tu deviens un peu plus chaque jour mon corps. Tu es le corps, comme tu es la mort. Sauf que la vie attendue (en \u00e9change, comme dans tout bon deal) ne vient pas, cette fois. Tu coules \u00e0 pic dans ce corps-\u00e0-corps, dans l\u2019ab\u00eeme de l\u2019insignifiance des id\u00e9es, des pens\u00e9es, et cette fois le ridicule ne te sauvera pas. Tu ne pourras pas te cacher derri\u00e8re le ridicule, l\u2019\u00e9prouver avec d\u00e9lice comme s\u2019il s\u2019agissait de rena\u00eetre gr\u00e2ce \u00e0 lui, comme apr\u00e8s chaque trempe qui te laisse au sol quelques jours, quelques mois, mais dont tu as pris le pli de toujours te relever. Marche ou cr\u00e8ve. Mon corps, encore. Il a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0, avec lui-m\u00eame. Si seul avec lui seul. Mon corps. Quelques intersections avec le corps d\u2019autrui n\u2019ont jamais permis l\u2019oubli vraiment. Sauf ces vertiges d\u00e9licieux et effroyables qu\u2019offrent toute intersection, tout croisement, tout carrefour. Le choix d\u2019une route comme d\u2019un corps \u00e0 prendre. D\u00e9placement du corps, s\u2019asseoir, s\u2019allonger, se remettre debout, marcher encore, apprendre ainsi le pas, la cadence, arpenter. Partir de la ponctuation et parvenir soudain \u00e0 cet exercice d\u2019\u00e9criture ne te fait pas ciller, mon corps, plus \u00e0 pr\u00e9sent. Dans le grand flux g\u00e9n\u00e9ral, les pr\u00e9textes comme les v\u00e9rit\u00e9s, l\u2019insignifiant comme l\u2019important, l\u2019utile et l\u2019inutile, semblent enfin (\u00e0 jamais ?) gomm\u00e9s, si enfin mon corps me pardonne, mon corps se pardonne, mon corps bouge, mon corps danse, mon corps jouit, mon corps se gave, mon corps s\u2019illumine, mon corps l\u00e9vite, mon corps, dans le temps qui lui reste, avant de s\u2019effondrer en cendres, en poussi\u00e8re, avant d\u2019\u00eatre emport\u00e9 sous terre, ou aux quatre vents, ou sur la mer, ou dans l\u2019azur, ou mang\u00e9, ou aval\u00e9 sans y penser, ou mon corps et moi, amis enfin dans l\u2019heure de tous les renoncements ; nous r\u00e9cup\u00e9rerons l\u2019espoir fou d\u2019\u00eatre vou\u00e9s au Grand Corps, celui qui ne sera pas pens\u00e9 unique, mais sid\u00e9ral, grand, uni, vers, d\u00e9esse M\u00e8re, papa P\u00e8re, enfin bref, tout ce qui restera derri\u00e8re. Derri\u00e8re les silences, mon grand corps, \u00e0 l\u2019aise pour se d\u00e9tendre enfin, se dilater \u00e0 l\u2019infini, le repos sans virgule, ni point, ni pond\u00e9ration, ni ponctuation. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"title": "La disparition",
"date_published": "2023-04-18T05:30:35Z",
"date_modified": "2025-05-24T07:06:22Z",
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\n<\/figure>\n<\/div>",
"content_text": " Le moi est ha\u00efssable, c\u2019est entendu. Tellement que \u00e7a devient tendance. Sacr\u00e9 Blaise, va. Mais \u00e0 force de vouloir s\u2019en passer, on fr\u00f4le parfois la farce, le th\u00e9\u00e2tre grotesque. Une vraie bouffonnerie. Le nombre de ceux qui \u00e9crivent en traquant la premi\u00e8re personne du singulier m\u2019interloque. M\u2019\u00e9tonne. M\u2019agace. \u00c0 la longue, m\u2019horripile. Et cette pseudo-disparition du \u00ab je \u00bb ne fait souvent que le renforcer \u2014 surtout quand on regarde de pr\u00e8s ce qui se dit. \u00ab Ai cru bien faire. Verrai si demain pourrai mieux. Ai lu jusqu\u2019au bout, ador\u00e9. \u00bb Tu parles d\u2019un effacement. Alors non, je garde mon \u00ab je \u00bb. N\u2019en d\u00e9plaise aux ayatollahs de la litt\u00e9rature. Encore une fois, il y a l\u2019esprit et il y a la lettre. Parfois mal adress\u00e9e, mal re\u00e7ue ? Va savoir. Et parfois, mieux vaut se taire que faire semblant de parler, m\u00eame si l\u2019on a l\u2019air d\u2019avoir tordu le cou au \u00ab je \u00bb. Le \u00ab je \u00bb reste une zone de turbulence tant qu\u2019on n\u2019a pas trait\u00e9 ce qu\u2019il charrie. Le supprimer ne r\u00e9sout rien. Il faut surtout dissiper la difficult\u00e9 d\u2019\u00eatre \u2014 et, si possible, y prendre plaisir. Prendre du recul sur soi, ce n\u2019est pas fuir le moi : c\u2019est tenter de le voir tel qu\u2019il est, non tel qu\u2019on voudrait qu\u2019il soit. C\u2019est une fois vu qu\u2019on commence \u00e0 voir. Et si l\u2019on me parle de timidit\u00e9 ? Je r\u00e9torque : orgueil mal plac\u00e9. Rien de plus. ",
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"title": "myst\u00e8re du nom",
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<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n
vue d’une fen\u00eatre.<\/p>",
"content_text": "une main de nouveau n\u00e9 qui empoigne fort et se dessaisit tout aussi vite.\n\nPeut-\u00eatre que je voudrais revenir \u00e0 cette sensation rest\u00e9e dans la main, en multipliant tous ces textes. Empoigner fort vivre, et en m\u00eame temps dessaisir vite, ne rien garder mourir.\n\nEn arrivant dans la salle de cours \u00e0 Irigny j'ai ouvert la fen\u00eatre pour a\u00e9rer, peut-\u00eatre capturer cet instant pour le rel\u00e2cher ensuite. N'est-ce pas cela une photographie. vue d'une fen\u00eatre. ",
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"title": "3 avril 2023",
"date_published": "2023-04-03T21:05:00Z",
"date_modified": "2025-05-20T21:06:44Z",
"author": {"name": "Patrick Blanchon"},
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<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>",
"content_text": " Est-ce que tu sais o\u00f9 t\u2019en es. O\u00f9 t\u2019en es de quoi. Qu\u2019est-ce que c\u2019est que ce \"quoi\" dont tu ne sais pas s\u2019il est loin d\u2019o\u00f9 t\u2019es. Mais de m\u00eame : avec qui. Tout aussi loin. Est-ce que tu sais o\u00f9 t\u2019en es avec qui, avec quoi. C\u2019est une question. Il faut bien un quoi ou un qui. Peut-\u00eatre les deux. Est-ce que tu veux vraiment savoir o\u00f9 t\u2019en es, avec qui, avec quoi, avec qui et quoi ? Et comment que tu le sauras ? Comment que tu peux le savoir ? Est-ce que tu veux vraiment le savoir \u2014 o\u00f9 t\u2019en es, de qui, de quoi ? C\u2019est pas seulement en le disant, en posant la question, que \u00e7a devient une vraie question. Tu le sais, \u00e7a. Tu sais que tu pourrais tr\u00e8s bien lancer une question en l\u2019air sans en avoir rien \u00e0 faire. Et vite repartir, entre les pluies de r\u00e9ponses qui tombent. Est-ce que \u00e7a va bien t\u2019avancer, tout \u00e7a, pour savoir o\u00f9 t\u2019en es ? Pour savoir de qui, de quoi ? T\u2019es ici, t\u2019es l\u00e0. Tu le vois bien. Alors pourquoi tu demandes o\u00f9 t\u2019en es. Peut-\u00eatre que tu voudrais que quelqu\u2019un s\u2019am\u00e8ne, te r\u00e9ponde. Qu\u2019il te dise : t\u2019es ici, t\u2019es l\u00e0. Comme un pot sur une \u00e9tag\u00e8re. Un arbre dans un champ. C\u2019est pas comme si toi, tu le savais pas. Peut-\u00eatre alors que c\u2019est pour que t\u2019en sois s\u00fbr. Tout \u00e0 fait certain. Certain \u00e0 devenir fou. Mais pourquoi pas devenir fous. Pourquoi vouloir jamais \u00eatre s\u00fbr ? Toute la question est peut-\u00eatre ici. Ou l\u00e0. Comme dans qui, ou quoi. Peut-\u00eatre que c\u2019est pour ne pas devenir fou. Et peut-\u00eatre qu\u2019\u00e0 force\u2026 tu l\u2019es devenu. Et si, des fois, t\u2019en sais rien ? Qu\u2019est-ce que \u00e7a peut bien faire. Si \u00e7a se trouve, c\u2019est comme \u00e7a qu\u2019on sait o\u00f9 on en est : c\u2019est quand on arr\u00eate de se le demander. Quelqu\u2019un s\u2019am\u00e8ne et te demande : alors, o\u00f9 t\u2019en es ? Tu r\u00e9ponds : je sais pas. Suis ici. Ou l\u00e0. Ici et l\u00e0. Voil\u00e0 tout. ",
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"tags": ["Autofiction et Introspection"]
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"title": "2 avril 2023",
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