{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-aout-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-aout-2023.html", "title": "07 ao\u00fbt 2023", "date_published": "2023-08-07T09:22:00Z", "date_modified": "2025-02-17T01:56:51Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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Une attention toujours maintenue \u00e0 tout ce qui nous entoure vaut-elle quoi que ce soit si l\u2019on n\u2019est pas attentif \u00e0 cette attention elle-m\u00eame ? Si l\u2019on ne l\u2019englobe pas dans l\u2019observation, dans l\u2019exp\u00e9rience ? Et si, \u00e0 un moment ou un autre, on ne se demande pas « pourquoi » ? Pourquoi vouloir rester dans cette attention, dans cette sorte de tension, \u00e0 recueillir autant d\u2019informations pour finalement les laisser nous traverser sans rien en dire, sans en tirer quoi que ce soit ? Conserver ce fant\u00f4me, cet amas n\u00e9buleux comme un avare garde son or ? Mais l\u2019avarice est-elle encore un d\u00e9faut dans cette \u00e9poque apocalyptique o\u00f9 toutes les valeurs s\u2019inversent ? Comme s\u2019inversent les genres, la g\u00e9opolitique, les p\u00f4les magn\u00e9tiques, et probablement bien d\u2019autres choses que nous ignorons encore ?<\/p>\n

Il est sans doute b\u00e9n\u00e9fique pour les nerfs d\u2019attendre tout comme rien, avec une \u00e9gale s\u00e9r\u00e9nit\u00e9. L\u2019id\u00e9e m\u00eame d\u2019importance que l\u2019on se cr\u00e9e n\u2019est \u00e9clair\u00e9e que par la certitude de dispara\u00eetre un jour. Si l\u2019on oublie cette certitude quelques instants, la gr\u00e2ce en profite pour nous surprendre. On s\u2019invente alors, de nouveau, une bienveillance, une compassion, de l\u2019amiti\u00e9, de l\u2019amour.<\/p>\n

La vieille baudruche se d\u00e9gonfle, et l\u2019attention capitule doucement, disparaissant de fa\u00e7on molle, presque confortable. On croit vivre une r\u00e9v\u00e9lation, on s\u2019imagine \u00eatre un nouveau Colomb d\u00e9couvrant un monde in\u00e9dit, un nouvel espoir de vivre autrement. Mais non. Si l\u2019on regarde de plus pr\u00e8s, ce n\u2019est qu\u2019une nouvelle illusion, un nouveau bricolage. Un autre labyrinthe o\u00f9 trottine notre ego, cet incorrigible rat blanc. Pourtant, comment ne pas admirer cet \u00e9go\u00efsme inventif, toute cette capacit\u00e9 \u00e0 se leurrer pour repousser encore et encore l\u2019\u00e9veil ? N\u2019est-ce pas fascinant ?<\/p>\n

Comme un vieil homme assis sur un banc, observant des enfants jouer dehors, on regarde tout cela avec attendrissement. Peut-\u00eatre est-ce notre derni\u00e8re illusion, cette \u00e9motion finale avant que tout ne se dissipe. Comme un oc\u00e9an d\u2019attendrissement se ruant sur les c\u00f4tes de notre orgueil et de notre vanit\u00e9. Il emporte tout dans son reflux et nous devenons cette mousse, cette \u00e9cume, enfin d\u00e9barrass\u00e9e de toute attention, de toute importance, sous un ciel immense o\u00f9 les oiseaux tracent le mot « libert\u00e9 » en toutes lettres, dans toutes les langues.<\/p>\n

Ne disposant pas de 22\/11\/63 de Stephen King, je me contente de lire Insomnie. J\u2019observe comment l\u2019auteur parvient \u00e0 tirer de trois fois rien un roman de mille pages. Un vrai m\u00e9tier, et du talent, quoi qu\u2019on en dise. Apr\u00e8s tout, ce n\u2019est pas si \u00e9loign\u00e9 de Balzac. Au XIXe si\u00e8cle, les lecteurs se laissaient happer par la Com\u00e9die humaine, ses intrigues et ses personnages. Aujourd\u2019hui, il ne reste plus grand-chose de cet attrait. Si l\u2019on lit encore Balzac, c\u2019est qu\u2019on est soit \u00e0 l\u2019\u00e9cole, soit dans un atelier d\u2019\u00e9criture. Pourtant, bien des gens cultiv\u00e9s et experts dans le champ litt\u00e9raire ne peuvent ignorer Stephen King, \u00e0 moins de vouloir maintenir une posture idiote face au monde. King, tout comme Balzac \u00e0 son \u00e9poque, est devenu une r\u00e9f\u00e9rence, aujourd\u2019hui r\u00e9v\u00e9r\u00e9 par ceux que l\u2019on dit de gauche. Du moins, si l\u2019on sait encore o\u00f9 se situent la gauche et la droite.<\/p>\n

Je veux dire aussi que l\u2019inconscient est un v\u00e9ritable continent, encore largement inexplor\u00e9, malgr\u00e9 les d\u00e9couvertes de la psychologie. Ce n\u2019est pas la raison qui nous guide dans ce monde, surtout si l\u2019on continue \u00e0 s\u2019accrocher \u00e0 des rep\u00e8res comme les quatre points cardinaux, dont on a oubli\u00e9 qu\u2019ils ne sont qu\u2019une fiction.<\/p>\n

Ainsi, passer de la lecture des Illusions perdues et du Chef-d\u2019\u0153uvre inconnu \u00e0 Insomnie n\u2019est pas un hasard. Pas plus que le hasard n\u2019a de sens dans la mani\u00e8re dont on s\u2019en sert. Ce n\u2019est ni du vaudou ni du maraboutage. C\u2019est l\u2019inconscient, et c\u2019est de la po\u00e9sie. En disant cela, je ne r\u00e9v\u00e8le rien de choquant, et tout va bien.<\/p>\n

L\u2019Adriatique vue depuis Sveta Nedjelia, en Croatie. Tant pis si c\u2019est long. C\u2019est peut-\u00eatre tout un cheminement d\u2019\u00e9criture qu\u2019il faut emprunter pour parvenir au nerf soudain, \u00e0 ce quelque chose qui a provoqu\u00e9 le mouvement, la marche, le branle. On sent que quelque chose pousse, sans savoir ce que c\u2019est, et on doit m\u00eame se d\u00e9sint\u00e9resser de ce que cela peut \u00eatre. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019au d\u00e9tour d\u2019un paragraphe, d\u2019une phrase, d\u2019un mot, on se retrouve soudain nez \u00e0 nez avec cela.<\/p>\n

Il tire de trois fois rien pour en faire mille pages. Ce « trois fois rien », que l\u2019on peut nommer tant de choses que l\u2019on ignore, que l\u2019on veut surtout ignorer. Car on sent tr\u00e8s pr\u00e9cis\u00e9ment qu\u2019il y loge toute l\u2019\u00e9tranget\u00e9 qui pourrait nous effrayer. Un r\u00e9el in\u00e9dit. Cela rejoint cette vieille intuition que rien ne vient pour rien, que cette histoire de hasard ne sert qu\u2019\u00e0 rassurer les experts. L\u2019analogie est-elle une fiction comme tant d\u2019autres ? D\u00e9couvrir une similarit\u00e9 dissimul\u00e9e entre des objets apparemment sans rapport est-elle une maladie ou un jeu ? Peut-\u00eatre est-ce simplement cette vieille histoire de Jeannot Lapin. Quelqu\u2019un m\u2019a dit hier encore que c\u2019\u00e9tait une posture, que je m\u2019amuse \u00e0 n\u2019\u00eatre convaincu de rien. J\u2019y ai repens\u00e9 en me promenant au bord de la mer. Comment peut-on avoir le toupet de dire une telle chose \u00e0 quelqu\u2019un que l\u2019on conna\u00eet \u00e0 peine ?<\/p>\n

Ces textes sont-ils un miroir qui d\u00e9clenche ce genre de r\u00e9action ? Est-ce que cela m\u2019a agac\u00e9, ou bless\u00e9 ? Pas vraiment. Ce narrateur que l\u2019on confond avec l\u2019auteur, ce narrateur qui ne dit rien de ce qu\u2019il est vraiment\u2026 Pourquoi devrait-il r\u00e9pliquer ? Quelle extravagance de s\u2019immiscer ainsi dans le texte !<\/p>\n

Ensuite, \u00e0 quoi bon. \u00c0 quoi bon engager de telles palabres ? Le narrateur se drape dans son orgueil, toise cet autre personnage—car \u00e9videmment, c\u2019est un personnage—et ne dit rien.<\/p>\n

Ce qui me rappelle un minuscule \u00e9v\u00e8nement sur le bateau Anc\u00f4ne-Split, un matin, \u00e0 l\u2019ouverture du bar. J\u2019\u00e9tais parmi les premiers \u00e0 faire la queue, quand soudain, une jeune fille se glisse juste devant moi. Cela m\u2019agace \u00e9videmment. Du coup, je me sens vieux et idiot, projet\u00e9 dans l\u2019image qu\u2019elle pourrait avoir de moi en man\u0153uvrant ainsi. Alors, je me rapproche du type devant moi, et nous voil\u00e0 parall\u00e8les, elle et moi. Je la toise, elle n\u2019ose pas me regarder. J\u2019insiste, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle tourne enfin le visage vers moi. Je ne baisse pas les yeux, je la fixe encore plus intens\u00e9ment. Sa bouche esquisse une grimace, elle d\u00e9tourne son visage. Je continue, implacable. Puis, soudain, je la laisse passer devant moi en me disant : laisse-lui donc le dernier mot, sois charitable. Mais la logique en fut bless\u00e9e. J\u2019ai d\u00fb l\u2019insulter copieusement, mentalement, et lui tirer la langue, pour obtenir satisfaction, comme dans les vieux duels.<\/p>", "content_text": "Une attention toujours maintenue \u00e0 tout ce qui nous entoure vaut-elle quoi que ce soit si l\u2019on n\u2019est pas attentif \u00e0 cette attention elle-m\u00eame ? Si l\u2019on ne l\u2019englobe pas dans l\u2019observation, dans l\u2019exp\u00e9rience ? Et si, \u00e0 un moment ou un autre, on ne se demande pas \"pourquoi\" ? Pourquoi vouloir rester dans cette attention, dans cette sorte de tension, \u00e0 recueillir autant d\u2019informations pour finalement les laisser nous traverser sans rien en dire, sans en tirer quoi que ce soit ? Conserver ce fant\u00f4me, cet amas n\u00e9buleux comme un avare garde son or ? Mais l\u2019avarice est-elle encore un d\u00e9faut dans cette \u00e9poque apocalyptique o\u00f9 toutes les valeurs s\u2019inversent ? Comme s\u2019inversent les genres, la g\u00e9opolitique, les p\u00f4les magn\u00e9tiques, et probablement bien d\u2019autres choses que nous ignorons encore ? Il est sans doute b\u00e9n\u00e9fique pour les nerfs d\u2019attendre tout comme rien, avec une \u00e9gale s\u00e9r\u00e9nit\u00e9. L\u2019id\u00e9e m\u00eame d\u2019importance que l\u2019on se cr\u00e9e n\u2019est \u00e9clair\u00e9e que par la certitude de dispara\u00eetre un jour. Si l\u2019on oublie cette certitude quelques instants, la gr\u00e2ce en profite pour nous surprendre. On s\u2019invente alors, de nouveau, une bienveillance, une compassion, de l\u2019amiti\u00e9, de l\u2019amour. La vieille baudruche se d\u00e9gonfle, et l\u2019attention capitule doucement, disparaissant de fa\u00e7on molle, presque confortable. On croit vivre une r\u00e9v\u00e9lation, on s\u2019imagine \u00eatre un nouveau Colomb d\u00e9couvrant un monde in\u00e9dit, un nouvel espoir de vivre autrement. Mais non. Si l\u2019on regarde de plus pr\u00e8s, ce n\u2019est qu\u2019une nouvelle illusion, un nouveau bricolage. Un autre labyrinthe o\u00f9 trottine notre ego, cet incorrigible rat blanc. Pourtant, comment ne pas admirer cet \u00e9go\u00efsme inventif, toute cette capacit\u00e9 \u00e0 se leurrer pour repousser encore et encore l\u2019\u00e9veil ? N\u2019est-ce pas fascinant ? Comme un vieil homme assis sur un banc, observant des enfants jouer dehors, on regarde tout cela avec attendrissement. Peut-\u00eatre est-ce notre derni\u00e8re illusion, cette \u00e9motion finale avant que tout ne se dissipe. Comme un oc\u00e9an d\u2019attendrissement se ruant sur les c\u00f4tes de notre orgueil et de notre vanit\u00e9. Il emporte tout dans son reflux et nous devenons cette mousse, cette \u00e9cume, enfin d\u00e9barrass\u00e9e de toute attention, de toute importance, sous un ciel immense o\u00f9 les oiseaux tracent le mot \"libert\u00e9\" en toutes lettres, dans toutes les langues. Ne disposant pas de 22\/11\/63 de Stephen King, je me contente de lire Insomnie. J\u2019observe comment l\u2019auteur parvient \u00e0 tirer de trois fois rien un roman de mille pages. Un vrai m\u00e9tier, et du talent, quoi qu\u2019on en dise. Apr\u00e8s tout, ce n\u2019est pas si \u00e9loign\u00e9 de Balzac. Au XIXe si\u00e8cle, les lecteurs se laissaient happer par la Com\u00e9die humaine, ses intrigues et ses personnages. Aujourd\u2019hui, il ne reste plus grand-chose de cet attrait. Si l\u2019on lit encore Balzac, c\u2019est qu\u2019on est soit \u00e0 l\u2019\u00e9cole, soit dans un atelier d\u2019\u00e9criture. Pourtant, bien des gens cultiv\u00e9s et experts dans le champ litt\u00e9raire ne peuvent ignorer Stephen King, \u00e0 moins de vouloir maintenir une posture idiote face au monde. King, tout comme Balzac \u00e0 son \u00e9poque, est devenu une r\u00e9f\u00e9rence, aujourd\u2019hui r\u00e9v\u00e9r\u00e9 par ceux que l\u2019on dit de gauche. Du moins, si l\u2019on sait encore o\u00f9 se situent la gauche et la droite. Je veux dire aussi que l\u2019inconscient est un v\u00e9ritable continent, encore largement inexplor\u00e9, malgr\u00e9 les d\u00e9couvertes de la psychologie. Ce n\u2019est pas la raison qui nous guide dans ce monde, surtout si l\u2019on continue \u00e0 s\u2019accrocher \u00e0 des rep\u00e8res comme les quatre points cardinaux, dont on a oubli\u00e9 qu\u2019ils ne sont qu\u2019une fiction. Ainsi, passer de la lecture des Illusions perdues et du Chef-d\u2019\u0153uvre inconnu \u00e0 Insomnie n\u2019est pas un hasard. Pas plus que le hasard n\u2019a de sens dans la mani\u00e8re dont on s\u2019en sert. Ce n\u2019est ni du vaudou ni du maraboutage. C\u2019est l\u2019inconscient, et c\u2019est de la po\u00e9sie. En disant cela, je ne r\u00e9v\u00e8le rien de choquant, et tout va bien. L\u2019Adriatique vue depuis Sveta Nedjelia, en Croatie. Tant pis si c\u2019est long. C\u2019est peut-\u00eatre tout un cheminement d\u2019\u00e9criture qu\u2019il faut emprunter pour parvenir au nerf soudain, \u00e0 ce quelque chose qui a provoqu\u00e9 le mouvement, la marche, le branle. On sent que quelque chose pousse, sans savoir ce que c\u2019est, et on doit m\u00eame se d\u00e9sint\u00e9resser de ce que cela peut \u00eatre. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019au d\u00e9tour d\u2019un paragraphe, d\u2019une phrase, d\u2019un mot, on se retrouve soudain nez \u00e0 nez avec cela. Il tire de trois fois rien pour en faire mille pages. Ce \"trois fois rien\", que l\u2019on peut nommer tant de choses que l\u2019on ignore, que l\u2019on veut surtout ignorer. Car on sent tr\u00e8s pr\u00e9cis\u00e9ment qu\u2019il y loge toute l\u2019\u00e9tranget\u00e9 qui pourrait nous effrayer. Un r\u00e9el in\u00e9dit. Cela rejoint cette vieille intuition que rien ne vient pour rien, que cette histoire de hasard ne sert qu\u2019\u00e0 rassurer les experts. L\u2019analogie est-elle une fiction comme tant d\u2019autres ? D\u00e9couvrir une similarit\u00e9 dissimul\u00e9e entre des objets apparemment sans rapport est-elle une maladie ou un jeu ? Peut-\u00eatre est-ce simplement cette vieille histoire de Jeannot Lapin. Quelqu\u2019un m\u2019a dit hier encore que c\u2019\u00e9tait une posture, que je m\u2019amuse \u00e0 n\u2019\u00eatre convaincu de rien. J\u2019y ai repens\u00e9 en me promenant au bord de la mer. Comment peut-on avoir le toupet de dire une telle chose \u00e0 quelqu\u2019un que l\u2019on conna\u00eet \u00e0 peine ? Ces textes sont-ils un miroir qui d\u00e9clenche ce genre de r\u00e9action ? Est-ce que cela m\u2019a agac\u00e9, ou bless\u00e9 ? Pas vraiment. Ce narrateur que l\u2019on confond avec l\u2019auteur, ce narrateur qui ne dit rien de ce qu\u2019il est vraiment\u2026 Pourquoi devrait-il r\u00e9pliquer ? Quelle extravagance de s\u2019immiscer ainsi dans le texte ! Ensuite, \u00e0 quoi bon. \u00c0 quoi bon engager de telles palabres ? Le narrateur se drape dans son orgueil, toise cet autre personnage\u2014car \u00e9videmment, c\u2019est un personnage\u2014et ne dit rien. Ce qui me rappelle un minuscule \u00e9v\u00e8nement sur le bateau Anc\u00f4ne-Split, un matin, \u00e0 l\u2019ouverture du bar. J\u2019\u00e9tais parmi les premiers \u00e0 faire la queue, quand soudain, une jeune fille se glisse juste devant moi. Cela m\u2019agace \u00e9videmment. Du coup, je me sens vieux et idiot, projet\u00e9 dans l\u2019image qu\u2019elle pourrait avoir de moi en man\u0153uvrant ainsi. Alors, je me rapproche du type devant moi, et nous voil\u00e0 parall\u00e8les, elle et moi. Je la toise, elle n\u2019ose pas me regarder. J\u2019insiste, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle tourne enfin le visage vers moi. Je ne baisse pas les yeux, je la fixe encore plus intens\u00e9ment. Sa bouche esquisse une grimace, elle d\u00e9tourne son visage. Je continue, implacable. 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Pluie et orage toute la nuit, temp\u00e9rature autour de 20 °C. Acrobaties pour trouver de quoi d\u00e9jeuner ce matin, caf\u00e9 soluble et eau bouillante, mais l\u2019espace est r\u00e9duit, donc on peut s\u2019y d\u00e9placer de nuit sans r\u00e9veiller l\u2019autre, en pratiquant un brin de ta\u00ef chi : position du panda sur une jambe, de la cigale sourde, du chat qui d\u00e9teste l\u2019eau en silence. Puis on trouve l\u2019issue vers la mer, et ce qui, en premier, nous arrive d\u2019elle, c\u2019est son bruit, le bruit de la mer qui vient embrasser les rochers, la c\u00f4te. Ainsi donc des manifestations, en g\u00e9n\u00e9ral, que l\u2019on habille de tant de noms, de mots : mauvais temps, beau temps, drames, trag\u00e9dies, temp\u00eates, sin\u00e9cures et vill\u00e9giatures ; mais ce sera bien pour avoir \u00e0 en dire quelque chose. Car on peut tout \u00e0 fait se tenir l\u00e0, dans la posture du phasme, se confondant dans le d\u00e9cor sans mot dire, vaquer lentement mais fermement \u00e0 sa vacuit\u00e9.<\/p>\n

M\u00eame vue un peu plus tard. Ce qui ne sert pas \u00e0 grand-chose, c\u2019est bien de se faire une opinion de quoi que ce soit, \u00e9tant donn\u00e9 la mobilit\u00e9 de l\u2019\u00eatre et des choses. Tr\u00e8s difficile de rester sans, surtout aujourd\u2019hui. Tout semble fait pour nous solliciter, voire nous contraindre \u00e0 en formuler une, voire de multiples. N\u2019avoir aucune opinion est suspect. Il faut fournir la preuve qu\u2019on a une opinion. L\u2019opinion ou la mort. Et la contrainte viendrait autant de l\u2019ext\u00e9rieur que de l\u2019int\u00e9rieur, sous peine d\u2019excommunication. Si toutefois on croit encore au pape, \u00e0 ses bulles et \u00e0 toute institution charg\u00e9e de b\u00e2illonner l\u2019\u00e9nergie vitale, ce qu\u2019on nomme violence \u00e0 l\u2019\u00e9tat pur.<\/p>\n

Et ainsi de suite « ni jamais la m\u00eame ni tout \u00e0 fait une autre ». Le nom ne m\u2019est pas familier, il est encore impronon\u00e7able. \u00c0 l\u2019arriv\u00e9e dans l\u2019\u00eele, nous entrons les coordonn\u00e9es de la location dans le GPS et suivons la voix f\u00e9minine nous guidant dans la montagne. C\u2019est ainsi que nous d\u00e9couvrons un second tunnel du Fr\u00e9jus, mais gratuit celui-l\u00e0. Au moins 3 ou 4, peut-\u00eatre m\u00eame 5 ou 6 kilom\u00e8tres, une obscurit\u00e9 ut\u00e9rine, et tout au bout, enfin, la lueur, l\u2019espoir de sortir enfin, l\u2019extase apr\u00e8s l\u2019angoisse. Toujours la m\u00eame histoire.<\/p>\n

6h du matin dans l\u2019Adriatique. De toute cette com\u00e9die humaine \u00e0 laquelle, bon an mal an, nous sommes contraints de participer, cela vaut le coup de lire ou relire Balzac, car en la d\u00e9taillant ainsi, aussi finement, avec force d\u00e9tails du d\u00e9cor, il nous aide \u00e0 prendre un recul salutaire avec celle-ci. Non en se disant « je vaux mieux qu\u2019un tel ou une telle », ce n\u2019est pas \u00e7a, mais il nous aide \u00e0 mettre le doigt sur l\u2019ensemble, \u00e0 le percevoir comme on peut percevoir une musique, peu \u00e0 peu, en l\u2019extrayant d\u2019une premi\u00e8re impression cacophonique. Ainsi, prenant conscience, le d\u00e9cor s\u2019\u00e9claire, l\u2019esprit emprunte tous les r\u00f4les, et les nouant, les d\u00e9nouant devant nos yeux, apporte cette petite touche \u00e0 la fois \u00e9trange, ce je-ne-sais-quoi d\u2019\u00e9tranget\u00e9 qui peut provoquer un malaise sous l\u2019acropole pour certains et faire sourire d\u2019autres, car cette \u00e9tranget\u00e9 n\u2019est pas d\u00e9pourvue d\u2019humour, ce qui me r\u00e9conforte d\u2019une mani\u00e8re si r\u00e9currente, si insistante, que je peux la sentir juste ainsi.<\/p>\n

Vue d\u2019une fen\u00eatre. Comme il pleut, je continue ces notes. Des lieux, des objets, des paroles, des odeurs, des go\u00fbts, du toucher de certaines textures et mat\u00e9riaux que l\u2019on puise dans l\u2019exp\u00e9rience personnelle et dont on se servira dans les tentatives d\u2019\u00e9criture, quelles qu\u2019elles soient, autobiographiques ou dites « de fiction » — toujours un doute qu\u2019il puisse exister une v\u00e9ritable diff\u00e9rence entre les deux. Car d\u00e9j\u00e0, l\u2019effort pour nommer l\u2019exp\u00e9rience est arbitraire, et le cheminement d\u2019une na\u00efvet\u00e9 \u00e0 l\u2019autre, pr\u00e9caire.<\/p>\n

Le mot peut \u00eatre catalyseur, r\u00e9ceptacle, d\u00e9clencheur. Sa lecture, sa lecture silencieuse, le croit-on, ou \u00e0 voix haute. Et il y a aussi ce voyage qu\u2019un mot fait avec nous durant toute notre vie, la fa\u00e7on dont il va s\u2019enrichir ou s\u2019appauvrir selon l\u2019attention qu\u2019on lui apporte tout au long des circonstances travers\u00e9es convoquant son usage. Il y a les mots nouveaux aussi, appris au fur et \u00e0 mesure de l\u2019\u00e2ge, de l\u2019exp\u00e9rience, ceux que l\u2019on accepte fraternellement, et d\u2019autres, beaucoup moins, que l\u2019on se d\u00e9p\u00eachera d\u2019oublier. D\u2019ailleurs, ce sont ceux-l\u00e0 qui, par la suite, une fois creus\u00e9e la raison de l\u2019oubli, deviendront souvent nos plus intimes, pr\u00e9cieux, dont l\u2019amiti\u00e9 aura \u00e9t\u00e9 gagn\u00e9e de haute lutte.<\/p>\n

Hier, nous nous faisions la r\u00e9flexion que nous aimons les « \u00eeles », avec mon \u00e9pouse. Nous avons \u00e9num\u00e9r\u00e9 toutes celles o\u00f9 nous sommes all\u00e9s : Corse, Sicile, Cr\u00e8te, Kalymnos, Andros, Patmos, Noirmoutier, Capri, Cuba. Quels furent les crit\u00e8res nous permettant d\u2019associer le mot et l\u2019exp\u00e9rience \u00e0 ce moment-l\u00e0\u2026 La mer, les bateaux, un je-ne-sais-quoi de plus difficile \u00e0 dire sur le moment mais qui, sans doute, participe de nos deux imaginaires confondus avec le mot et les r\u00eaves, les lectures, tout ce qui nous arrive de l\u2019ext\u00e9rieur comme de l\u2019int\u00e9rieur du mot \u00eele, et bien s\u00fbr toutes les sonorit\u00e9s, la phon\u00e9tique entendue sur tous les tons depuis l\u2019origine de nos deux existences, l\u2019\u00eele de la Cit\u00e9, Isle-et-Bardais, Isla Mujeres, \u00cele-de-France.<\/p>\n

« Il et elle », tout commence et s\u2019ach\u00e8ve ainsi phon\u00e9tiquement.
\nEt ainsi de tout ce qu\u2019un \u00eatre puisse se dire et l\u2019exprimer.<\/p>\n

La vieillesse est une \u00eele entour\u00e9e par la mort <\/i> (Juan Montalvo, On Beauty).<\/p>", "content_text": "Pluie et orage toute la nuit, temp\u00e9rature autour de 20 \u00b0C. Acrobaties pour trouver de quoi d\u00e9jeuner ce matin, caf\u00e9 soluble et eau bouillante, mais l\u2019espace est r\u00e9duit, donc on peut s\u2019y d\u00e9placer de nuit sans r\u00e9veiller l\u2019autre, en pratiquant un brin de ta\u00ef chi : position du panda sur une jambe, de la cigale sourde, du chat qui d\u00e9teste l\u2019eau en silence. Puis on trouve l\u2019issue vers la mer, et ce qui, en premier, nous arrive d\u2019elle, c\u2019est son bruit, le bruit de la mer qui vient embrasser les rochers, la c\u00f4te. Ainsi donc des manifestations, en g\u00e9n\u00e9ral, que l\u2019on habille de tant de noms, de mots : mauvais temps, beau temps, drames, trag\u00e9dies, temp\u00eates, sin\u00e9cures et vill\u00e9giatures ; mais ce sera bien pour avoir \u00e0 en dire quelque chose. Car on peut tout \u00e0 fait se tenir l\u00e0, dans la posture du phasme, se confondant dans le d\u00e9cor sans mot dire, vaquer lentement mais fermement \u00e0 sa vacuit\u00e9. M\u00eame vue un peu plus tard. Ce qui ne sert pas \u00e0 grand-chose, c\u2019est bien de se faire une opinion de quoi que ce soit, \u00e9tant donn\u00e9 la mobilit\u00e9 de l\u2019\u00eatre et des choses. Tr\u00e8s difficile de rester sans, surtout aujourd\u2019hui. Tout semble fait pour nous solliciter, voire nous contraindre \u00e0 en formuler une, voire de multiples. N\u2019avoir aucune opinion est suspect. Il faut fournir la preuve qu\u2019on a une opinion. L\u2019opinion ou la mort. Et la contrainte viendrait autant de l\u2019ext\u00e9rieur que de l\u2019int\u00e9rieur, sous peine d\u2019excommunication. Si toutefois on croit encore au pape, \u00e0 ses bulles et \u00e0 toute institution charg\u00e9e de b\u00e2illonner l\u2019\u00e9nergie vitale, ce qu\u2019on nomme violence \u00e0 l\u2019\u00e9tat pur. Et ainsi de suite \"ni jamais la m\u00eame ni tout \u00e0 fait une autre\". Le nom ne m\u2019est pas familier, il est encore impronon\u00e7able. \u00c0 l\u2019arriv\u00e9e dans l\u2019\u00eele, nous entrons les coordonn\u00e9es de la location dans le GPS et suivons la voix f\u00e9minine nous guidant dans la montagne. C\u2019est ainsi que nous d\u00e9couvrons un second tunnel du Fr\u00e9jus, mais gratuit celui-l\u00e0. Au moins 3 ou 4, peut-\u00eatre m\u00eame 5 ou 6 kilom\u00e8tres, une obscurit\u00e9 ut\u00e9rine, et tout au bout, enfin, la lueur, l\u2019espoir de sortir enfin, l\u2019extase apr\u00e8s l\u2019angoisse. Toujours la m\u00eame histoire. 6h du matin dans l\u2019Adriatique. De toute cette com\u00e9die humaine \u00e0 laquelle, bon an mal an, nous sommes contraints de participer, cela vaut le coup de lire ou relire Balzac, car en la d\u00e9taillant ainsi, aussi finement, avec force d\u00e9tails du d\u00e9cor, il nous aide \u00e0 prendre un recul salutaire avec celle-ci. Non en se disant \"je vaux mieux qu\u2019un tel ou une telle\", ce n\u2019est pas \u00e7a, mais il nous aide \u00e0 mettre le doigt sur l\u2019ensemble, \u00e0 le percevoir comme on peut percevoir une musique, peu \u00e0 peu, en l\u2019extrayant d\u2019une premi\u00e8re impression cacophonique. Ainsi, prenant conscience, le d\u00e9cor s\u2019\u00e9claire, l\u2019esprit emprunte tous les r\u00f4les, et les nouant, les d\u00e9nouant devant nos yeux, apporte cette petite touche \u00e0 la fois \u00e9trange, ce je-ne-sais-quoi d\u2019\u00e9tranget\u00e9 qui peut provoquer un malaise sous l\u2019acropole pour certains et faire sourire d\u2019autres, car cette \u00e9tranget\u00e9 n\u2019est pas d\u00e9pourvue d\u2019humour, ce qui me r\u00e9conforte d\u2019une mani\u00e8re si r\u00e9currente, si insistante, que je peux la sentir juste ainsi. Vue d\u2019une fen\u00eatre. Comme il pleut, je continue ces notes. Des lieux, des objets, des paroles, des odeurs, des go\u00fbts, du toucher de certaines textures et mat\u00e9riaux que l\u2019on puise dans l\u2019exp\u00e9rience personnelle et dont on se servira dans les tentatives d\u2019\u00e9criture, quelles qu\u2019elles soient, autobiographiques ou dites \"de fiction\" \u2014 toujours un doute qu\u2019il puisse exister une v\u00e9ritable diff\u00e9rence entre les deux. Car d\u00e9j\u00e0, l\u2019effort pour nommer l\u2019exp\u00e9rience est arbitraire, et le cheminement d\u2019une na\u00efvet\u00e9 \u00e0 l\u2019autre, pr\u00e9caire. Le mot peut \u00eatre catalyseur, r\u00e9ceptacle, d\u00e9clencheur. Sa lecture, sa lecture silencieuse, le croit-on, ou \u00e0 voix haute. Et il y a aussi ce voyage qu\u2019un mot fait avec nous durant toute notre vie, la fa\u00e7on dont il va s\u2019enrichir ou s\u2019appauvrir selon l\u2019attention qu\u2019on lui apporte tout au long des circonstances travers\u00e9es convoquant son usage. Il y a les mots nouveaux aussi, appris au fur et \u00e0 mesure de l\u2019\u00e2ge, de l\u2019exp\u00e9rience, ceux que l\u2019on accepte fraternellement, et d\u2019autres, beaucoup moins, que l\u2019on se d\u00e9p\u00eachera d\u2019oublier. D\u2019ailleurs, ce sont ceux-l\u00e0 qui, par la suite, une fois creus\u00e9e la raison de l\u2019oubli, deviendront souvent nos plus intimes, pr\u00e9cieux, dont l\u2019amiti\u00e9 aura \u00e9t\u00e9 gagn\u00e9e de haute lutte. Hier, nous nous faisions la r\u00e9flexion que nous aimons les \"\u00eeles\", avec mon \u00e9pouse. Nous avons \u00e9num\u00e9r\u00e9 toutes celles o\u00f9 nous sommes all\u00e9s : Corse, Sicile, Cr\u00e8te, Kalymnos, Andros, Patmos, Noirmoutier, Capri, Cuba. Quels furent les crit\u00e8res nous permettant d\u2019associer le mot et l\u2019exp\u00e9rience \u00e0 ce moment-l\u00e0\u2026 La mer, les bateaux, un je-ne-sais-quoi de plus difficile \u00e0 dire sur le moment mais qui, sans doute, participe de nos deux imaginaires confondus avec le mot et les r\u00eaves, les lectures, tout ce qui nous arrive de l\u2019ext\u00e9rieur comme de l\u2019int\u00e9rieur du mot \u00eele, et bien s\u00fbr toutes les sonorit\u00e9s, la phon\u00e9tique entendue sur tous les tons depuis l\u2019origine de nos deux existences, l\u2019\u00eele de la Cit\u00e9, Isle-et-Bardais, Isla Mujeres, \u00cele-de-France. \"Il et elle\", tout commence et s\u2019ach\u00e8ve ainsi phon\u00e9tiquement. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Partir \u00e0 l\u2019aventure, avec seulement une vague id\u00e9e de la destination. Aucun plan, pas de cartes \u00e0 l\u2019avance, pas d’itin\u00e9raires minutieusement \u00e9tudi\u00e9s. Seulement un point de rendez-vous : Ancona, Italie, le samedi 4 ao\u00fbt \u00e0 16 h pour r\u00e9cup\u00e9rer les billets du ferry. Depuis le d\u00e9part, pas un mot \u00e9crit, trop occup\u00e9 \u00e0 m’\u00e9tonner de la fluidit\u00e9 du voyage. Les Alpes sont franchies, les r\u00e9gions travers\u00e9es d\u00e9filent, depuis les montagnes jusqu\u2019\u00e0 la plaine, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Adriatique.<\/p>\n

Je tente de me rem\u00e9morer les \u00e9tapes sugg\u00e9r\u00e9es par le GPS, celui que nous avons param\u00e9tr\u00e9 « sans p\u00e9ages » : Turin, Chiari, Asti, Alessandria, Piacenza, Parme, Mod\u00e8ne, Bologne, Rimini, et enfin Ancona. Tout cela semble flou, mais l’important, c’est que nous sommes arriv\u00e9s \u00e0 destination. Pendant que nous attendions sur le parking des ferries, je me suis surpris \u00e0 me demander l\u2019origine du nom Ancona, d\u00e9riv\u00e9 d’angh, un mot grec ou indon\u00e9sien qui signifie « coude », un nom parfaitement adapt\u00e9 \u00e0 la forme que la ville dessine en \u00e9treignant la c\u00f4te.<\/p>\n

Cela m\u2019a rappel\u00e9 une remarque de Balzac sur l\u2019importance des d\u00e9tails, lorsqu\u2019il commence \u00e0 d\u00e9crire le jardinet de la pension Vauquer. Comme tant d’autres \u00e9l\u00e9ments — l\u2019architecture, les d\u00e9corations, les luminaires — essentiels, selon lui, pour \u00e9crire. Les d\u00e9tails, comme ceux que Balzac ch\u00e9rissait tant, semblent parfois inutiles, superflus, et pourtant... Ils sont l\u00e0, comme une architecture invisible qui soutient le r\u00e9cit. Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire, c\u2019est justement cela : chercher \u00e0 saisir ce qui se cache dans l\u2019infime, dans ce qui semble anodin. Traverser une ville sans en retenir le nom, c\u2019est comme oublier de d\u00e9crire un d\u00e9tail essentiel dans une phrase — un oubli qui fait vaciller tout l\u2019\u00e9quilibre. L\u2019accumulation des d\u00e9tails est devenue plus importante que le r\u00e9cit lui-m\u00eame. C\u2019est cette accumulation qui construit nos souvenirs de voyage, bien plus que les grandes lignes de l’itin\u00e9raire.<\/p>\n

Cela me rappelle aussi cette psychanalyste lyonnaise qui prenait un malin plaisir \u00e0 \u00e9noncer la moindre phrase avec une lenteur insupportable pour ses auditeurs, elle les tenait ainsi sous sa coupe, exhibant, comble de la perversion, une mine ing\u00e9nue.<\/p>\n

Alors que nous attendons pour embarquer vers l\u2019\u00eele de Hvar, je prends enfin le temps de noter quelques impressions sur la Croatie. Nous avons quitt\u00e9 Ancona sous la pluie, une travers\u00e9e nocturne marqu\u00e9e par de violents grains, avant d\u2019arriver \u00e0 Split sous un ciel gris et mena\u00e7ant. Un ouragan nous accueille au matin. Il n\u2019y a que peu de temps que le soleil a fait son retour. La ville est engorg\u00e9e de trafic, mais heureusement, nous avons pr\u00e9vu assez de marge pour accomplir en quarante-cinq minutes ce qu\u2019un oiseau ferait en quelques battements d\u2019aile.<\/p>\n

Quant \u00e0 Split elle-m\u00eame, peu de choses \u00e0 dire si ce n\u2019est que ses march\u00e9s semblent appartenir \u00e0 une autre \u00e9poque. De petits \u00e9tals s’alignent, modestes et d\u00e9sordonn\u00e9s, comme des souvenirs \u00e9parpill\u00e9s d’une vie paysanne. Les l\u00e9gumes — quelques oignons, des carottes tordues, des patates grises encore couvertes de terre — sont dispos\u00e9s avec une \u00e9conomie silencieuse. Leurs couleurs ternes se fondent dans la morosit\u00e9 ambiante, sous un ciel qui semble retenir ses larmes. Les vieilles femmes, le visage creus\u00e9 par les ans, se tiennent derri\u00e8re, indiff\u00e9rentes aux rares passants, leurs mains us\u00e9es par les r\u00e9coltes, leurs regards lointains. On dirait qu\u2019elles sont l\u00e0 depuis toujours, enracin\u00e9es dans ce d\u00e9cor aust\u00e8re, fig\u00e9es dans un cycle immuable. Ces march\u00e9s sont d’un autre temps, un temps o\u00f9 la survie se compte en poign\u00e9es de l\u00e9gumes vendus \u00e0 quelques touristes distraits.<\/p>\n

Il ne me reste que quelques textes \u00e0 \u00e9crire ici, avant de ne plus pouvoir publier sur ce blog. Mais cela importe peu, la mati\u00e8re est l\u00e0, pr\u00eate \u00e0 \u00eatre model\u00e9e. J\u2019ai d\u2019ailleurs cr\u00e9\u00e9 un nouveau blog sur WordPress, « Peintures chamaniques », qui prendra peut-\u00eatre le relais. Si cela ne fonctionne pas, tant pis, je trouverai une autre solution.<\/p>\n

Cr\u00e9er un blog, relancer une cha\u00eene YouTube... L’id\u00e9e me fascine autant qu’elle m’inqui\u00e8te. Publier des mots sur un \u00e9cran, c\u2019est accepter de les voir se dissoudre dans l\u2019immensit\u00e9 num\u00e9rique. Qui lira ces textes ? Y aura-t-il un \u00e9cho, quelque part, ou ne seront-ils qu’une voix de plus noy\u00e9e dans ce tumulte silencieux ? Peut-\u00eatre que l\u2019essence de l\u2019\u00e9criture aujourd\u2019hui est l\u00e0, dans ce flou incertain, dans cette impossibilit\u00e9 de mesurer son impact. \u00c9crire, c\u2019est se lancer dans l’inconnu, un peu comme ces voyages improvis\u00e9s, sans cartes, sans plans pr\u00e9cis, simplement en suivant une direction vague. Le blog ou la cha\u00eene YouTube sont comme ces villes travers\u00e9es rapidement : des \u00e9tapes. Ce qui compte, c\u2019est de continuer \u00e0 avancer.<\/p>\n

Le ciel plomb\u00e9 nous accueille \u00e0 Split, la ville noy\u00e9e sous un d\u00e9luge. L\u2019eau ruisselle dans les rues, comme si elle cherchait \u00e0 effacer les contours de ce lieu sans histoire. Le voyage, au fond, n\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019une lutte incessante contre cet effacement. Chaque pas, chaque lieu travers\u00e9 est d\u00e9j\u00e0 en train de se dissoudre dans la m\u00e9moire, \u00e0 peine franchi, \u00e0 peine v\u00e9cu. Que restera-t-il de Split dans quelques jours ? Un souvenir flou, peut-\u00eatre une image de ce march\u00e9 ancien, ou la sensation du vent humide sur ma peau. Et pourtant, nous continuons d\u2019avancer, pouss\u00e9s par une force que nous ne comprenons pas toujours. L\u2019important n\u2019est peut-\u00eatre pas de retenir, mais d\u2019accepter que tout s\u2019efface, t\u00f4t ou tard.<\/p>\n

Septembre approche. J\u2019ai encore le temps de r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 tout cela avant de d\u00e9cider de la suite.<\/p>", "content_text": "Partir \u00e0 l\u2019aventure, avec seulement une vague id\u00e9e de la destination. Aucun plan, pas de cartes \u00e0 l\u2019avance, pas d'itin\u00e9raires minutieusement \u00e9tudi\u00e9s. Seulement un point de rendez-vous : Ancona, Italie, le samedi 4 ao\u00fbt \u00e0 16 h pour r\u00e9cup\u00e9rer les billets du ferry. Depuis le d\u00e9part, pas un mot \u00e9crit, trop occup\u00e9 \u00e0 m'\u00e9tonner de la fluidit\u00e9 du voyage. Les Alpes sont franchies, les r\u00e9gions travers\u00e9es d\u00e9filent, depuis les montagnes jusqu\u2019\u00e0 la plaine, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019Adriatique. Je tente de me rem\u00e9morer les \u00e9tapes sugg\u00e9r\u00e9es par le GPS, celui que nous avons param\u00e9tr\u00e9 \u00ab sans p\u00e9ages \u00bb : Turin, Chiari, Asti, Alessandria, Piacenza, Parme, Mod\u00e8ne, Bologne, Rimini, et enfin Ancona. Tout cela semble flou, mais l'important, c'est que nous sommes arriv\u00e9s \u00e0 destination. Pendant que nous attendions sur le parking des ferries, je me suis surpris \u00e0 me demander l\u2019origine du nom Ancona, d\u00e9riv\u00e9 d'angh, un mot grec ou indon\u00e9sien qui signifie \u00ab coude \u00bb, un nom parfaitement adapt\u00e9 \u00e0 la forme que la ville dessine en \u00e9treignant la c\u00f4te. Cela m\u2019a rappel\u00e9 une remarque de Balzac sur l\u2019importance des d\u00e9tails, lorsqu\u2019il commence \u00e0 d\u00e9crire le jardinet de la pension Vauquer. Comme tant d'autres \u00e9l\u00e9ments \u2014 l\u2019architecture, les d\u00e9corations, les luminaires \u2014 essentiels, selon lui, pour \u00e9crire. Les d\u00e9tails, comme ceux que Balzac ch\u00e9rissait tant, semblent parfois inutiles, superflus, et pourtant... Ils sont l\u00e0, comme une architecture invisible qui soutient le r\u00e9cit. Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire, c\u2019est justement cela : chercher \u00e0 saisir ce qui se cache dans l\u2019infime, dans ce qui semble anodin. Traverser une ville sans en retenir le nom, c\u2019est comme oublier de d\u00e9crire un d\u00e9tail essentiel dans une phrase \u2014 un oubli qui fait vaciller tout l\u2019\u00e9quilibre. L\u2019accumulation des d\u00e9tails est devenue plus importante que le r\u00e9cit lui-m\u00eame. C\u2019est cette accumulation qui construit nos souvenirs de voyage, bien plus que les grandes lignes de l'itin\u00e9raire. Cela me rappelle aussi cette psychanalyste lyonnaise qui prenait un malin plaisir \u00e0 \u00e9noncer la moindre phrase avec une lenteur insupportable pour ses auditeurs, elle les tenait ainsi sous sa coupe, exhibant, comble de la perversion, une mine ing\u00e9nue. Alors que nous attendons pour embarquer vers l\u2019\u00eele de Hvar, je prends enfin le temps de noter quelques impressions sur la Croatie. Nous avons quitt\u00e9 Ancona sous la pluie, une travers\u00e9e nocturne marqu\u00e9e par de violents grains, avant d\u2019arriver \u00e0 Split sous un ciel gris et mena\u00e7ant. Un ouragan nous accueille au matin. Il n\u2019y a que peu de temps que le soleil a fait son retour. La ville est engorg\u00e9e de trafic, mais heureusement, nous avons pr\u00e9vu assez de marge pour accomplir en quarante-cinq minutes ce qu\u2019un oiseau ferait en quelques battements d\u2019aile. Quant \u00e0 Split elle-m\u00eame, peu de choses \u00e0 dire si ce n\u2019est que ses march\u00e9s semblent appartenir \u00e0 une autre \u00e9poque. De petits \u00e9tals s'alignent, modestes et d\u00e9sordonn\u00e9s, comme des souvenirs \u00e9parpill\u00e9s d'une vie paysanne. Les l\u00e9gumes \u2014 quelques oignons, des carottes tordues, des patates grises encore couvertes de terre \u2014 sont dispos\u00e9s avec une \u00e9conomie silencieuse. Leurs couleurs ternes se fondent dans la morosit\u00e9 ambiante, sous un ciel qui semble retenir ses larmes. Les vieilles femmes, le visage creus\u00e9 par les ans, se tiennent derri\u00e8re, indiff\u00e9rentes aux rares passants, leurs mains us\u00e9es par les r\u00e9coltes, leurs regards lointains. On dirait qu\u2019elles sont l\u00e0 depuis toujours, enracin\u00e9es dans ce d\u00e9cor aust\u00e8re, fig\u00e9es dans un cycle immuable. Ces march\u00e9s sont d'un autre temps, un temps o\u00f9 la survie se compte en poign\u00e9es de l\u00e9gumes vendus \u00e0 quelques touristes distraits. Il ne me reste que quelques textes \u00e0 \u00e9crire ici, avant de ne plus pouvoir publier sur ce blog. Mais cela importe peu, la mati\u00e8re est l\u00e0, pr\u00eate \u00e0 \u00eatre model\u00e9e. J\u2019ai d\u2019ailleurs cr\u00e9\u00e9 un nouveau blog sur WordPress, \u00ab Peintures chamaniques \u00bb, qui prendra peut-\u00eatre le relais. Si cela ne fonctionne pas, tant pis, je trouverai une autre solution. Cr\u00e9er un blog, relancer une cha\u00eene YouTube... L'id\u00e9e me fascine autant qu'elle m'inqui\u00e8te. Publier des mots sur un \u00e9cran, c\u2019est accepter de les voir se dissoudre dans l\u2019immensit\u00e9 num\u00e9rique. Qui lira ces textes ? Y aura-t-il un \u00e9cho, quelque part, ou ne seront-ils qu'une voix de plus noy\u00e9e dans ce tumulte silencieux ? Peut-\u00eatre que l\u2019essence de l\u2019\u00e9criture aujourd\u2019hui est l\u00e0, dans ce flou incertain, dans cette impossibilit\u00e9 de mesurer son impact. \u00c9crire, c\u2019est se lancer dans l'inconnu, un peu comme ces voyages improvis\u00e9s, sans cartes, sans plans pr\u00e9cis, simplement en suivant une direction vague. Le blog ou la cha\u00eene YouTube sont comme ces villes travers\u00e9es rapidement : des \u00e9tapes. Ce qui compte, c\u2019est de continuer \u00e0 avancer. Le ciel plomb\u00e9 nous accueille \u00e0 Split, la ville noy\u00e9e sous un d\u00e9luge. L\u2019eau ruisselle dans les rues, comme si elle cherchait \u00e0 effacer les contours de ce lieu sans histoire. Le voyage, au fond, n\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019une lutte incessante contre cet effacement. Chaque pas, chaque lieu travers\u00e9 est d\u00e9j\u00e0 en train de se dissoudre dans la m\u00e9moire, \u00e0 peine franchi, \u00e0 peine v\u00e9cu. Que restera-t-il de Split dans quelques jours ? Un souvenir flou, peut-\u00eatre une image de ce march\u00e9 ancien, ou la sensation du vent humide sur ma peau. Et pourtant, nous continuons d\u2019avancer, pouss\u00e9s par une force que nous ne comprenons pas toujours. L\u2019important n\u2019est peut-\u00eatre pas de retenir, mais d\u2019accepter que tout s\u2019efface, t\u00f4t ou tard. Septembre approche. J\u2019ai encore le temps de r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 tout cela avant de d\u00e9cider de la suite.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_2164.jpg?1748065201", "tags": ["po\u00e9sie du quotidien", "carnet de voyage"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-aout-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-aout-2023.html", "title": "02 ao\u00fbt 2023", "date_published": "2023-08-02T08:23:00Z", "date_modified": "2025-02-17T01:57:12Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tout le monde ira jusqu\u2019au bout. Ce qui est, en soi, une forme de consolation, surtout quand on pense \u00e0 toutes ces choses inachev\u00e9es qu\u2019on laisse derri\u00e8re soi. \u00c0 moins d’avoir pass\u00e9 une vie enti\u00e8re \u00e0 se contraindre \u00e0 explorer la d\u00e9finition de l’achev\u00e9 et de l’inachev\u00e9, tentant de traduire ces mots de mani\u00e8re \u00e0 ce qu’ils r\u00e9sonnent avec une justesse intime. Ces concepts, rarement remis en question, se fondent dans la confusion collective, bruts et convenus, devenant des tourments invisibles, myst\u00e9rieux. Ils naissent dans l’inconscient, provoquant ce malaise diffus de l\u2019inabouti, de l\u2019inachev\u00e9, dont l\u2019origine reste obscure.<\/p>\n

Achever quelque chose, n\u2019est-ce pas l\u2019illusion d\u2019en finir avec celle-ci pour s\u2019octroyer le droit de passer \u00e0 autre chose ? Une id\u00e9e inculqu\u00e9e d\u00e8s l\u2019enfance, comme lorsqu\u2019on nous apprend \u00e0 finir ce qu\u2019il y a dans notre assiette avant de go\u00fbter \u00e0 autre chose. Un principe simple, mais difficile \u00e0 saisir parfois, surtout chez les enfants ou ceux qui conservent un rapport fig\u00e9 au monde. Ils s\u2019ennuient et croient qu’en passant \u00e0 autre chose, tout changera. Mais c\u2019est l\u00e0 une erreur : la situation, le monde, ne se transforment pas simplement parce qu\u2019on les abandonne. Le sentiment d’inachev\u00e9 persiste, s\u2019accroche, nous hante, malgr\u00e9 nos tentatives d’en finir.<\/p>\n

Achever, c’est aussi s’autoriser. Se permettre de passer \u00e0 autre chose. Parfois, cela se fait avec l’aide de quelques pri\u00e8res, d\u00e9pla\u00e7ant la responsabilit\u00e9 vers une entit\u00e9 ext\u00e9rieure, invent\u00e9e pour nous soulager de la culpabilit\u00e9 d\u2019avoir achev\u00e9. Une sorte de religion de l\u2019accomplissement, o\u00f9 finir quelque chose permet de s\u2019en lib\u00e9rer sans scrupules.<\/p>\n

En finir, c\u2019est parfois tuer la chose elle-m\u00eame, l\u2019effacer de la surface de notre esprit. On s\u2019en d\u00e9barrasse, on l’enterre dans un tombeau symbolique \u2013 une concession fun\u00e9raire, quelques enfants, un livre, un projet. Et parfois, c’est \u00e0 soi-m\u00eame que l\u2019on s\u2019attaque en achevant. On tue et on se tue \u00e0 la t\u00e2che, simultan\u00e9ment. Et vu de loin, selon l\u2019humeur du moment, cela peut provoquer des larmes ou des rires.<\/p>\n

Plus que 14 jours, indique le message en haut de l’\u00e9cran. Je tente de prendre les choses comme elles viennent, ni en les ignorant, ni en m\u2019en affligeant. Une attitude diff\u00e9rente \u00e9merge, une curiosit\u00e9 qui pousse \u00e0 rester attentif, simplement pour l\u2019attention elle-m\u00eame.<\/p>\n

Bien s\u00fbr, la destruction d\u2019un blog n\u2019a rien \u00e0 voir avec la destruction d\u2019une \u00e9poque ou d\u2019une vie. Ce n\u2019est pas le m\u00eame type d\u2019ach\u00e8vement, murmure le bon sens. Mais peut-\u00eatre que si, apr\u00e8s tout. L’ach\u00e8vement, tel que je le per\u00e7ois, est rigoureusement semblable pour toute chose dans ce monde. La diff\u00e9rence que l\u2019on invente est un baume, destin\u00e9 \u00e0 att\u00e9nuer la peur et \u00e0 nous donner l’illusion que l’on peut gu\u00e9rir des plaies, tout en continuant notre course folle, confiants qu\u2019un tiers \u2013 dieu, l\u2019\u00e9tat, ou le hasard \u2013 se chargera du reste.<\/p>\n

Ainsi, la responsabilit\u00e9 \u00e9merge au d\u00e9tour du texte, comme un fruit m\u00fbr au bout de la branche. La patience, si myst\u00e9rieuse et paisible, n’est pas le produit d’un vouloir, mais d’une nature en soi enfouie qu’on d\u00e9couvre.<\/p>\n

D\u2019o\u00f9 vient l\u2019autorit\u00e9 de ce texte ? Celui-ci \u00e9merge soudain de la langue, la m\u00eame langue qui coule en beaucoup, mais qui, ici, emprunte une forme personnelle, jusqu\u2019\u00e0 surprendre m\u00eame celui qui l\u2019\u00e9crit.<\/p>\n

Cette forme ne cherche pas une distinction, une originalit\u00e9. Elle t\u00e9moigne d’un mouvement — peut-\u00eatre encore pris dans une gangue entre justesse et errance — une spirale qui va d’un point atteint quelque part dans l’espace et dans l’esprit vers son origine.<\/p>\n

Ce qui importe n’est pas la compr\u00e9hension intellectuelle d’un tel processus, mais plut\u00f4t l’\u00e9motion qu’il produit. Un peu comme une pi\u00e8ce de puzzle apportant une satisfaction presque joyeuse \u00e0 celle ou celui qui la pose \u00e0 la bonne place avant l’ach\u00e8vement d\u00e9finitif du jeu. De ce jeu-l\u00e0 — avant m\u00eame qu’une pens\u00e9e trouble n’advienne d’esp\u00e9rer un nouveau jeu in\u00e9dit.<\/p>", "content_text": "Tout le monde ira jusqu\u2019au bout. Ce qui est, en soi, une forme de consolation, surtout quand on pense \u00e0 toutes ces choses inachev\u00e9es qu\u2019on laisse derri\u00e8re soi. \u00c0 moins d'avoir pass\u00e9 une vie enti\u00e8re \u00e0 se contraindre \u00e0 explorer la d\u00e9finition de l'achev\u00e9 et de l'inachev\u00e9, tentant de traduire ces mots de mani\u00e8re \u00e0 ce qu'ils r\u00e9sonnent avec une justesse intime. Ces concepts, rarement remis en question, se fondent dans la confusion collective, bruts et convenus, devenant des tourments invisibles, myst\u00e9rieux. Ils naissent dans l'inconscient, provoquant ce malaise diffus de l\u2019inabouti, de l\u2019inachev\u00e9, dont l\u2019origine reste obscure. Achever quelque chose, n\u2019est-ce pas l\u2019illusion d\u2019en finir avec celle-ci pour s\u2019octroyer le droit de passer \u00e0 autre chose ? Une id\u00e9e inculqu\u00e9e d\u00e8s l\u2019enfance, comme lorsqu\u2019on nous apprend \u00e0 finir ce qu\u2019il y a dans notre assiette avant de go\u00fbter \u00e0 autre chose. Un principe simple, mais difficile \u00e0 saisir parfois, surtout chez les enfants ou ceux qui conservent un rapport fig\u00e9 au monde. Ils s\u2019ennuient et croient qu'en passant \u00e0 autre chose, tout changera. Mais c\u2019est l\u00e0 une erreur : la situation, le monde, ne se transforment pas simplement parce qu\u2019on les abandonne. Le sentiment d'inachev\u00e9 persiste, s\u2019accroche, nous hante, malgr\u00e9 nos tentatives d'en finir. Achever, c'est aussi s'autoriser. Se permettre de passer \u00e0 autre chose. Parfois, cela se fait avec l'aide de quelques pri\u00e8res, d\u00e9pla\u00e7ant la responsabilit\u00e9 vers une entit\u00e9 ext\u00e9rieure, invent\u00e9e pour nous soulager de la culpabilit\u00e9 d\u2019avoir achev\u00e9. Une sorte de religion de l\u2019accomplissement, o\u00f9 finir quelque chose permet de s\u2019en lib\u00e9rer sans scrupules. En finir, c\u2019est parfois tuer la chose elle-m\u00eame, l\u2019effacer de la surface de notre esprit. On s\u2019en d\u00e9barrasse, on l'enterre dans un tombeau symbolique \u2013 une concession fun\u00e9raire, quelques enfants, un livre, un projet. Et parfois, c'est \u00e0 soi-m\u00eame que l\u2019on s\u2019attaque en achevant. On tue et on se tue \u00e0 la t\u00e2che, simultan\u00e9ment. Et vu de loin, selon l\u2019humeur du moment, cela peut provoquer des larmes ou des rires. Plus que 14 jours, indique le message en haut de l'\u00e9cran. Je tente de prendre les choses comme elles viennent, ni en les ignorant, ni en m\u2019en affligeant. Une attitude diff\u00e9rente \u00e9merge, une curiosit\u00e9 qui pousse \u00e0 rester attentif, simplement pour l\u2019attention elle-m\u00eame. Bien s\u00fbr, la destruction d\u2019un blog n\u2019a rien \u00e0 voir avec la destruction d\u2019une \u00e9poque ou d\u2019une vie. Ce n\u2019est pas le m\u00eame type d\u2019ach\u00e8vement, murmure le bon sens. Mais peut-\u00eatre que si, apr\u00e8s tout. L'ach\u00e8vement, tel que je le per\u00e7ois, est rigoureusement semblable pour toute chose dans ce monde. La diff\u00e9rence que l\u2019on invente est un baume, destin\u00e9 \u00e0 att\u00e9nuer la peur et \u00e0 nous donner l'illusion que l'on peut gu\u00e9rir des plaies, tout en continuant notre course folle, confiants qu\u2019un tiers \u2013 dieu, l\u2019\u00e9tat, ou le hasard \u2013 se chargera du reste. Ainsi, la responsabilit\u00e9 \u00e9merge au d\u00e9tour du texte, comme un fruit m\u00fbr au bout de la branche. La patience, si myst\u00e9rieuse et paisible, n'est pas le produit d'un vouloir, mais d'une nature en soi enfouie qu'on d\u00e9couvre. D\u2019o\u00f9 vient l\u2019autorit\u00e9 de ce texte ? Celui-ci \u00e9merge soudain de la langue, la m\u00eame langue qui coule en beaucoup, mais qui, ici, emprunte une forme personnelle, jusqu\u2019\u00e0 surprendre m\u00eame celui qui l\u2019\u00e9crit. Cette forme ne cherche pas une distinction, une originalit\u00e9. Elle t\u00e9moigne d'un mouvement \u2014 peut-\u00eatre encore pris dans une gangue entre justesse et errance \u2014 une spirale qui va d'un point atteint quelque part dans l'espace et dans l'esprit vers son origine. Ce qui importe n'est pas la compr\u00e9hension intellectuelle d'un tel processus, mais plut\u00f4t l'\u00e9motion qu'il produit. Un peu comme une pi\u00e8ce de puzzle apportant une satisfaction presque joyeuse \u00e0 celle ou celui qui la pose \u00e0 la bonne place avant l'ach\u00e8vement d\u00e9finitif du jeu. De ce jeu-l\u00e0 \u2014 avant m\u00eame qu'une pens\u00e9e trouble n'advienne d'esp\u00e9rer un nouveau jeu in\u00e9dit. 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Le message est apparu ce matin : « Votre nom de domaine expirera dans 15 jours. » Je me suis dit que demain, ils \u00e9criraient 14, apr\u00e8s demain 13, et ainsi de suite, jusqu\u2019\u00e0 la fin. Il fait calme dehors, calme et chaud. Un matin d\u2019ao\u00fbt, sans surprise. Pourtant, il y a quelque chose dans l\u2019air, l’odeur d’une fin, peut-\u00eatre.<\/p>\n

Je suis rest\u00e9 assis devant l\u2019\u00e9cran, sans bouger. Cinq ans. C\u2019est ce que ce blog m\u2019a pris. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 tout ce que j\u2019avais \u00e9crit, \u00e0 tout ce qui n\u2019existe plus maintenant. Rien ne peut s\u2019\u00e9crire sans cette paix, cette paix que personne ne veut voir. Celle qui est l\u00e0, tellement proche d’une id\u00e9e de mort.<\/p>\n

J\u2019ai toujours cru \u00e9crire pour all\u00e9ger les choses. Mais au fond, \u00e7a p\u00e8se comme un \u00e2ne mort.<\/p>\n

J\u2019\u00e9cris en profondeur, sans vraiment m\u2019en rendre compte. J\u2019\u00e9cris comme on respire, mais ce qui devait \u00eatre l\u00e9ger finit par peser plus lourd qu\u2019on ne l\u2019imagine. Rien n\u2019est grave, sauf cette gravit\u00e9 obstin\u00e9e, celle qui cherche \u00e0 alourdir ce qui ne peut l\u2019\u00eatre. Autrefois, j\u2019aurais trouv\u00e9 \u00e7a ridicule. Maintenant, je pr\u00e9f\u00e8re laisser faire. Ce qui compte, c\u2019est d\u2019accepter ce qui vient, sans essayer de comprendre.<\/p>\n

Il n\u2019y a pas d\u2019ennemis. Juste des \u00e9v\u00e9nements, des erreurs. On se trompe, on apprend, c\u2019est tout. Et puis, on continue. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de se battre. La seule chose qu\u2019on peut faire, c\u2019est s\u2019approcher doucement, sans bruit, comme un judoka. Ou un amoureux. Ou un voleur.<\/p>\n

Parfois, je me demande si le vide entre deux pens\u00e9es n\u2019est pas plus rempli qu\u2019on le croit. Peut-\u00eatre qu\u2019on n\u2019est pas oblig\u00e9 de le supporter. Peut-\u00eatre qu\u2019il suffit de le regarder, sans rien faire. C\u2019est ce que je fais maintenant. Je regarde les jours passer, comme une lame qui coupe doucement \u00e0 travers le temps.<\/p>\n

Tout ce qui r\u00e9siste finit par dispara\u00eetre. Pas dans la douleur, mais dans une sorte de rel\u00e2chement. C\u2019est comme \u00e7a qu\u2019on apprend. Pas \u00e0 force de volont\u00e9, mais en laissant aller ce qu\u2019on croyait n\u00e9cessaire.<\/p>\n

Je vais rester l\u00e0 aujourd\u2019hui. Tranquille. La quinzi\u00e8me journ\u00e9e du compte \u00e0 rebours.<\/p>", "content_text": "Le message est apparu ce matin : \u00ab Votre nom de domaine expirera dans 15 jours. \u00bb Je me suis dit que demain, ils \u00e9criraient 14, apr\u00e8s demain 13, et ainsi de suite, jusqu\u2019\u00e0 la fin. Il fait calme dehors, calme et chaud. Un matin d\u2019ao\u00fbt, sans surprise. Pourtant, il y a quelque chose dans l\u2019air, l'odeur d'une fin, peut-\u00eatre. Je suis rest\u00e9 assis devant l\u2019\u00e9cran, sans bouger. Cinq ans. C\u2019est ce que ce blog m\u2019a pris. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 tout ce que j\u2019avais \u00e9crit, \u00e0 tout ce qui n\u2019existe plus maintenant. Rien ne peut s\u2019\u00e9crire sans cette paix, cette paix que personne ne veut voir. Celle qui est l\u00e0, tellement proche d'une id\u00e9e de mort. J\u2019ai toujours cru \u00e9crire pour all\u00e9ger les choses. Mais au fond, \u00e7a p\u00e8se comme un \u00e2ne mort. J\u2019\u00e9cris en profondeur, sans vraiment m\u2019en rendre compte. J\u2019\u00e9cris comme on respire, mais ce qui devait \u00eatre l\u00e9ger finit par peser plus lourd qu\u2019on ne l\u2019imagine. Rien n\u2019est grave, sauf cette gravit\u00e9 obstin\u00e9e, celle qui cherche \u00e0 alourdir ce qui ne peut l\u2019\u00eatre. Autrefois, j\u2019aurais trouv\u00e9 \u00e7a ridicule. Maintenant, je pr\u00e9f\u00e8re laisser faire. Ce qui compte, c\u2019est d\u2019accepter ce qui vient, sans essayer de comprendre. Il n\u2019y a pas d\u2019ennemis. Juste des \u00e9v\u00e9nements, des erreurs. On se trompe, on apprend, c\u2019est tout. Et puis, on continue. \u00c7a ne sert \u00e0 rien de se battre. La seule chose qu\u2019on peut faire, c\u2019est s\u2019approcher doucement, sans bruit, comme un judoka. Ou un amoureux. Ou un voleur. Parfois, je me demande si le vide entre deux pens\u00e9es n\u2019est pas plus rempli qu\u2019on le croit. Peut-\u00eatre qu\u2019on n\u2019est pas oblig\u00e9 de le supporter. Peut-\u00eatre qu\u2019il suffit de le regarder, sans rien faire. C\u2019est ce que je fais maintenant. Je regarde les jours passer, comme une lame qui coupe doucement \u00e0 travers le temps. Tout ce qui r\u00e9siste finit par dispara\u00eetre. Pas dans la douleur, mais dans une sorte de rel\u00e2chement. C\u2019est comme \u00e7a qu\u2019on apprend. Pas \u00e0 force de volont\u00e9, mais en laissant aller ce qu\u2019on croyait n\u00e9cessaire. Je vais rester l\u00e0 aujourd\u2019hui. Tranquille. La quinzi\u00e8me journ\u00e9e du compte \u00e0 rebours. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_2174.jpg?1748065142", "tags": [] } ] }