{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-octobre-2023.html", "title": "23 octobre 2023", "date_published": "2025-04-02T19:49:10Z", "date_modified": "2025-04-02T19:49:10Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Terrass\u00e9. Submerg\u00e9. Toute cette paperasse, et en prime, une fi\u00e8vre carabin\u00e9e. \u00c0 chaque vacance c\u2019est la m\u00eame : on se rel\u00e2che, et paf.<\/p>\n

La nuit, j\u2019ai fait des comptes en r\u00eave. Des additions, des chiffres qui ne ferment pas l\u2019\u0153il.<\/p>\n

Ce matin, 39,7. Je tiens \u00e0 peine debout. Grippe ? Covid ? Pas la force d\u2019aller \u00e0 la pharmacie.<\/p>\n

\u00c9crire deux ou trois lignes. Ce sera tout pour aujourd\u2019hui.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

On voulait juste souffler. Mais \u00e7a n\u2019a pas souffl\u00e9. \u00c7a a pris. Fi\u00e8vre, chiffres, vertige.<\/p>\n

La nuit refait les comptes. Les chiffres courent. Ils crient presque. Le front cogne.<\/p>\n

On reste l\u00e0. Couch\u00e9. Muet. Une seule chose encore possible : deux lignes. Peut-\u00eatre trois.<\/p>\n

Le monde entier tient dans ces trois lignes.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Un effondrement somatique. Une saturation. Ce corps qui dit stop. Ce corps qui exige qu\u2019on l\u2019\u00e9coute, et pas les formulaires.<\/p>\n

Il me parle d\u2019une fi\u00e8vre. Je l\u2019entends comme une r\u00e9volte. 39,7°C, c\u2019est une protestation chiffr\u00e9e. Presque une po\u00e9tique de la temp\u00e9rature.<\/p>\n

Le r\u00eave de la nuit est bureaucratique. Il additionne en dormant. Le sympt\u00f4me est clair : la r\u00e9alit\u00e9 administrative d\u00e9borde jusque dans l\u2019inconscient. L\u2019imaginaire colonis\u00e9 par les comptes. Kafka, dans un lit IKEA.<\/p>\n

Il m\u2019\u00e9crit deux lignes. Ce sont des lignes de vie. Il aurait pu ne pas \u00e9crire du tout. Il aurait pu c\u00e9der. Mais non. Il a \u00e9crit. C\u2019est cela que je note : le corps chute, l\u2019\u00e9criture reste debout<\/strong>.<\/p>", "content_text": " Terrass\u00e9. Submerg\u00e9. Toute cette paperasse, et en prime, une fi\u00e8vre carabin\u00e9e. \u00c0 chaque vacance c\u2019est la m\u00eame : on se rel\u00e2che, et paf. La nuit, j\u2019ai fait des comptes en r\u00eave. Des additions, des chiffres qui ne ferment pas l\u2019\u0153il. Ce matin, 39,7. Je tiens \u00e0 peine debout. Grippe ? Covid ? Pas la force d\u2019aller \u00e0 la pharmacie. \u00c9crire deux ou trois lignes. Ce sera tout pour aujourd\u2019hui. {{sous-conversation}} On voulait juste souffler. Mais \u00e7a n\u2019a pas souffl\u00e9. \u00c7a a pris. Fi\u00e8vre, chiffres, vertige. La nuit refait les comptes. Les chiffres courent. Ils crient presque. Le front cogne. On reste l\u00e0. Couch\u00e9. Muet. Une seule chose encore possible : deux lignes. Peut-\u00eatre trois. Le monde entier tient dans ces trois lignes. {{note de travail}} Un effondrement somatique. Une saturation. Ce corps qui dit stop. Ce corps qui exige qu\u2019on l\u2019\u00e9coute, et pas les formulaires. Il me parle d\u2019une fi\u00e8vre. Je l\u2019entends comme une r\u00e9volte. 39,7\u00b0C, c\u2019est une protestation chiffr\u00e9e. Presque une po\u00e9tique de la temp\u00e9rature. Le r\u00eave de la nuit est bureaucratique. Il additionne en dormant. Le sympt\u00f4me est clair : la r\u00e9alit\u00e9 administrative d\u00e9borde jusque dans l\u2019inconscient. L\u2019imaginaire colonis\u00e9 par les comptes. Kafka, dans un lit IKEA. Il m\u2019\u00e9crit deux lignes. Ce sont des lignes de vie. Il aurait pu ne pas \u00e9crire du tout. Il aurait pu c\u00e9der. Mais non. Il a \u00e9crit. C\u2019est cela que je note : **le corps chute, l\u2019\u00e9criture reste debout**. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/paysage-flou.webp?1748065153", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-octobre-2023.html", "title": "12 octobre 2023", "date_published": "2025-04-01T01:21:18Z", "date_modified": "2025-04-01T01:21:25Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Trajet sans radio. Sans podcast. La route \u00e0 blanc. T\u00eate vide.<\/p>\n

Se demander ce qu\u2019on fiche l\u00e0. Ouvrir la vitre : souffle d\u2019\u00e9t\u00e9, go\u00fbt de feu, persistance des embrasements. Tout continue, comme si de rien n\u2019\u00e9tait.<\/p>\n

Des jeunes foncent, le A coll\u00e9 au cul. Des camions bariol\u00e9s, pr\u00e9noms en n\u00e9on. Crainte d\u2019un contr\u00f4le. Le bouchon avant le rond-point, incompr\u00e9hensible. Puis soudain, \u00e7a roule. 15h \u00e0 Oullins. Faut refaire le plein. D\u00e9cid\u00e9 de rester calme.<\/p>\n

Le banquier sera peut-\u00eatre moite. Ne pas faire un geste. Fixer un point. Ses mains. Sa bouche. Que \u00e7a p\u00e8se. Rester digne.<\/p>\n

Les imp\u00f4ts : message non lu. Nouvelle lettre, plus s\u00e8che. Payez. Coup dans l\u2019abdomen.<\/p>\n

Urssaf, Tr\u00e9sor Public, la banque. Gauche, droite, crochet. Pas d\u2019arbitre. Juste ce mot d\u2019ordre : qu\u2019on tombe.<\/p>\n

Quitter le salariat ? Mal vu. On vous cogne. On vous charge. L\u2019\u00e9cho des conseils : « Prof lib\u00e9rale, tu peux tout d\u00e9duire. » Oui. Si t\u2019es carr\u00e9. Si t\u2019aimes la paperasse.<\/p>\n

Mais toi, t\u2019es le tapin du boulevard.<\/p>\n

On parle pas du viol. Ni des coups. Ni des quinze tonnes dans la gueule. Ni des insomnies.<\/p>\n

On dit : t\u2019as de la chance, t\u2019es \u00e0 ton compte.<\/p>\n

Merde.<\/p>\n

Et en m\u00eame temps, soulagement. Plus rien. Et \u00e7a suffit. Pr\u00eat \u00e0 replonger.<\/p>\n

Dans les ateliers, le don doubl\u00e9. L\u2019\u00e9vasion. Le temps passe trop vite. Il fait nuit quand tu sors. Les carrosseries brillent. Une \u00e9l\u00e8ve a oubli\u00e9 son sac. Son portable dedans. Tu le d\u00e9poses \u00e0 l\u2019accueil, tu envoies un mail.<\/p>\n

Tu l\u2019imagines : chez elle, d\u00e9couvrant l\u2019oubli. Une angoisse de plus.<\/p>\n

L\u2019inattention, c\u2019est une fuite, bien s\u00fbr.<\/p>\n

Palette d\u2019Anders Zorn. Pas de bleu. Ras la casquette des bleus, des ecchymoses. Place aux terres. \u00c0 la chair.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 sans bruit\u2026 sans rien\u2026 juste rouler\u2026 faire comme si\u2026
\npas penser\u2026 surtout pas penser\u2026<\/p>\n

\u00e7a continue\u2026 toujours\u2026 le feu dans l\u2019air\u2026
\net eux qui foncent\u2026 qui klaxonnent leur jeunesse\u2026<\/p>\n

le banquier\u2026 les lettres\u2026 toujours cette menace sourde\u2026
\npas de r\u00e9ponse\u2026 pas de regard\u2026 juste « payez »\u2026<\/p>\n

tu tiens\u2026 tu tiens\u2026 mais tu sais que tu vas tomber\u2026<\/p>\n

et pourtant\u2026 tu tiens\u2026 un peu\u2026 gr\u00e2ce aux autres\u2026
\n\u00e0 ceux qui viennent\u2026 aux \u00e9l\u00e8ves\u2026 aux visages\u2026 aux absences aussi\u2026<\/p>\n

le sac\u2026 oubli\u00e9\u2026 l\u2019angoisse\u2026 tu la sens, oui\u2026 c\u2019est toi aussi\u2026<\/p>\n

et la palette\u2026 pas de bleu\u2026 trop vu\u2026 trop subi\u2026
\ntu veux de la terre\u2026 du sang discret\u2026 du vrai\u2026
\npas les bleus de la guerre\u2026 pas ceux-l\u00e0\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le texte commence comme un retrait du monde : plus de radio, plus de son. Mais ce silence n\u2019est pas apaisant. Il est celui de la tension avant le combat.<\/p>\n

Puis vient le d\u00e9cha\u00eenement — administratif, institutionnel, symbolique. Les lettres non lues, les injonctions, les coups. Ce qui frappe ici, c\u2019est la violence invisible : celle qu\u2019on ne reconna\u00eet pas comme telle. Celle qui ne laisse pas de traces, mais d\u00e9sarticule le sujet.<\/p>\n

Il y a une rage immense, \u00e9touff\u00e9e sous la dignit\u00e9. La dignit\u00e9 devient ici une strat\u00e9gie de survie. Fixer un point. Ne pas c\u00e9der. Ne pas donner prise. Ne pas hurler.<\/p>\n

Mais la fissure est l\u00e0. Dans ce « merde » seul, en italique d\u2019\u00e2me. Dans ce basculement qui suit : la r\u00e9habilitation par le geste, par l\u2019atelier, par la transmission. Le soulagement tient \u00e0 peu. \u00c0 la lumi\u00e8re sur les carrosseries. \u00c0 une \u00e9l\u00e8ve qui oublie son sac.<\/p>\n

C\u2019est cela la beaut\u00e9 du texte : il ne cherche pas \u00e0 dire qu\u2019on va s\u2019en sortir. Il montre comment on continue. Malgr\u00e9 tout. M\u00eame avec l\u2019angoisse. M\u00eame avec l\u2019inattention.<\/p>\n

Et la derni\u00e8re phrase est sublime. Refus du bleu. Refus des h\u00e9matomes. Refus du drapeau. Juste les couleurs du corps. De la terre.<\/p>\n

De ce qui tient encore, quand tout le reste s\u2019effondre.<\/p>", "content_text": " Trajet sans radio. Sans podcast. La route \u00e0 blanc. T\u00eate vide. Se demander ce qu\u2019on fiche l\u00e0. Ouvrir la vitre : souffle d\u2019\u00e9t\u00e9, go\u00fbt de feu, persistance des embrasements. Tout continue, comme si de rien n\u2019\u00e9tait. Des jeunes foncent, le A coll\u00e9 au cul. Des camions bariol\u00e9s, pr\u00e9noms en n\u00e9on. Crainte d\u2019un contr\u00f4le. Le bouchon avant le rond-point, incompr\u00e9hensible. Puis soudain, \u00e7a roule. 15h \u00e0 Oullins. Faut refaire le plein. D\u00e9cid\u00e9 de rester calme. Le banquier sera peut-\u00eatre moite. Ne pas faire un geste. Fixer un point. Ses mains. Sa bouche. Que \u00e7a p\u00e8se. Rester digne. Les imp\u00f4ts : message non lu. Nouvelle lettre, plus s\u00e8che. Payez. Coup dans l\u2019abdomen. Urssaf, Tr\u00e9sor Public, la banque. Gauche, droite, crochet. Pas d\u2019arbitre. Juste ce mot d\u2019ordre : qu\u2019on tombe. Quitter le salariat ? Mal vu. On vous cogne. On vous charge. L\u2019\u00e9cho des conseils : \u00ab Prof lib\u00e9rale, tu peux tout d\u00e9duire. \u00bb Oui. Si t\u2019es carr\u00e9. Si t\u2019aimes la paperasse. Mais toi, t\u2019es le tapin du boulevard. On parle pas du viol. Ni des coups. Ni des quinze tonnes dans la gueule. Ni des insomnies. On dit : t\u2019as de la chance, t\u2019es \u00e0 ton compte. Merde. Et en m\u00eame temps, soulagement. Plus rien. Et \u00e7a suffit. Pr\u00eat \u00e0 replonger. Dans les ateliers, le don doubl\u00e9. L\u2019\u00e9vasion. Le temps passe trop vite. Il fait nuit quand tu sors. Les carrosseries brillent. Une \u00e9l\u00e8ve a oubli\u00e9 son sac. Son portable dedans. Tu le d\u00e9poses \u00e0 l\u2019accueil, tu envoies un mail. Tu l\u2019imagines : chez elle, d\u00e9couvrant l\u2019oubli. Une angoisse de plus. L\u2019inattention, c\u2019est une fuite, bien s\u00fbr. Palette d\u2019Anders Zorn. Pas de bleu. Ras la casquette des bleus, des ecchymoses. Place aux terres. \u00c0 la chair. {{sous-conversation}} \u2026 sans bruit\u2026 sans rien\u2026 juste rouler\u2026 faire comme si\u2026 pas penser\u2026 surtout pas penser\u2026 \u00e7a continue\u2026 toujours\u2026 le feu dans l\u2019air\u2026 et eux qui foncent\u2026 qui klaxonnent leur jeunesse\u2026 le banquier\u2026 les lettres\u2026 toujours cette menace sourde\u2026 pas de r\u00e9ponse\u2026 pas de regard\u2026 juste \"payez\"\u2026 tu tiens\u2026 tu tiens\u2026 mais tu sais que tu vas tomber\u2026 et pourtant\u2026 tu tiens\u2026 un peu\u2026 gr\u00e2ce aux autres\u2026 \u00e0 ceux qui viennent\u2026 aux \u00e9l\u00e8ves\u2026 aux visages\u2026 aux absences aussi\u2026 le sac\u2026 oubli\u00e9\u2026 l\u2019angoisse\u2026 tu la sens, oui\u2026 c\u2019est toi aussi\u2026 et la palette\u2026 pas de bleu\u2026 trop vu\u2026 trop subi\u2026 tu veux de la terre\u2026 du sang discret\u2026 du vrai\u2026 pas les bleus de la guerre\u2026 pas ceux-l\u00e0\u2026 {{note de travail}} Le texte commence comme un retrait du monde : plus de radio, plus de son. Mais ce silence n\u2019est pas apaisant. Il est celui de la tension avant le combat. Puis vient le d\u00e9cha\u00eenement \u2014 administratif, institutionnel, symbolique. Les lettres non lues, les injonctions, les coups. Ce qui frappe ici, c\u2019est la violence invisible : celle qu\u2019on ne reconna\u00eet pas comme telle. Celle qui ne laisse pas de traces, mais d\u00e9sarticule le sujet. Il y a une rage immense, \u00e9touff\u00e9e sous la dignit\u00e9. La dignit\u00e9 devient ici une strat\u00e9gie de survie. Fixer un point. Ne pas c\u00e9der. Ne pas donner prise. Ne pas hurler. Mais la fissure est l\u00e0. Dans ce \"merde\" seul, en italique d\u2019\u00e2me. Dans ce basculement qui suit : la r\u00e9habilitation par le geste, par l\u2019atelier, par la transmission. Le soulagement tient \u00e0 peu. \u00c0 la lumi\u00e8re sur les carrosseries. \u00c0 une \u00e9l\u00e8ve qui oublie son sac. C\u2019est cela la beaut\u00e9 du texte : il ne cherche pas \u00e0 dire qu\u2019on va s\u2019en sortir. Il montre comment on continue. Malgr\u00e9 tout. M\u00eame avec l\u2019angoisse. M\u00eame avec l\u2019inattention. Et la derni\u00e8re phrase est sublime. Refus du bleu. Refus des h\u00e9matomes. Refus du drapeau. Juste les couleurs du corps. De la terre. De ce qui tient encore, quand tout le reste s\u2019effondre. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/gamme-zorn.webp?1748065138", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-octobre-2023-876.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-octobre-2023-876.html", "title": "11 octobre 2023", "date_published": "2025-04-01T01:15:26Z", "date_modified": "2025-04-01T01:15:38Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tout concorde. Tout co\u00efncide. \u00c0 tel point qu\u2019on aurait tort de parler de co\u00efncidence comme d\u2019un hasard \u00e9trange. Trop de co\u00efncidences forment une \u00e9vidence.<\/p>\n

Mais une \u00e9vidence, qu\u2019est-ce que c\u2019est, sinon une rustine, elle aussi ?<\/p>\n

Un petit trou dans le pneu par o\u00f9 s\u2019\u00e9chappe la raison.<\/p>\n

Et la raison ? D\u00e9j\u00e0 une rustine. Pos\u00e9e sur une autre fuite.<\/p>\n

De fuite en fuite, on ramasse des mots. Quand \u00e7a semble co\u00efncider, on dit : voil\u00e0, c\u2019est \u00e7a.<\/p>\n

On s\u2019en contente. L\u2019essentiel, c\u2019est de contenter l\u2019opinion.<\/p>\n

De maintenir le statu quoi.<\/p>\n

Quo vadis, mon gars ?<\/p>\n

Et malgr\u00e9 tout \u00e7a, bizarrement, je vais acheter mon pain. Quelle \u00e9trange co\u00efncidence de te croiser.<\/p>\n

Toi aussi, en train de chercher ta petite monnaie.<\/p>\n

Comme moi.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 co\u00efncidence ?\u2026 non\u2026 trop\u2026 trop bien align\u00e9\u2026 trop juste\u2026
\n\u00e7a sent la ficelle\u2026 ou le leurre\u2026<\/p>\n

l\u2019\u00e9vidence\u2026 ah\u2026 ce mot\u2026 encore\u2026
\ncomme une rustine\u2026 oui\u2026 une rustine sur la rustine\u2026
\net dessous ?\u2026 rien\u2026 peut-\u00eatre\u2026<\/p>\n

des mots\u2026 des petits mots\u2026 qu\u2019on ramasse comme des miettes\u2026
\net on fait semblant\u2026 on dit que \u00e7a suffit\u2026<\/p>\n

contenter\u2026 maintenir\u2026 faire tenir\u2026 m\u00eame si \u00e7a fuit\u2026
\nsurtout si \u00e7a fuit\u2026<\/p>\n

statu quoi\u2026 quo vadis\u2026 jeu de mots\u2026 vieille blague\u2026
\nmais \u00e7a sonne vrai, trop vrai\u2026 \u00e7a claque\u2026<\/p>\n

et puis\u2026 l\u2019image\u2026
\nle pain\u2026 la monnaie\u2026
\ntoi l\u00e0\u2026 moi l\u00e0\u2026
\nridicule et bouleversant \u00e0 la fois\u2026
\njuste ce moment\u2026 cette collision\u2026
\npresque rien\u2026 presque tout\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le texte s\u2019ouvre sur une apparente certitude : tout co\u00efncide. Mais tr\u00e8s vite, cette certitude s\u2019effrite. L\u2019auteur expose, sans insister, que toute \u00e9vidence n\u2019est qu\u2019un cache-mis\u00e8re. Une rustine.<\/p>\n

Ce mot revient, obsessionnel. Il dit l\u2019inconfort, la fuite, le colmatage. L\u2019impossible solidit\u00e9 de la pens\u00e9e.<\/p>\n

Ce que je per\u00e7ois ici, ce n\u2019est pas un doute, c\u2019est une **conscience du bricolage int\u00e9rieur**. Une lucidit\u00e9 presque trop vive. Trop bless\u00e9e. Le langage est suspect, le sens est suspect, la logique elle-m\u00eame n\u2019est qu\u2019un habillage. L\u2019auteur le sait. Il en joue, doucement.<\/p>\n

Et pourtant. Il continue \u00e0 vivre. \u00c0 aller acheter son pain.<\/p>\n

Le moment final me bouleverse. Il y a quelqu\u2019un d\u2019autre. Un tu. Un \u00eatre crois\u00e9 par hasard — ou plut\u00f4t dans une **anti-co\u00efncidence** qui redonne chair \u00e0 l\u2019\u00e9vidence.<\/p>\n

Il ne s\u2019agit plus de raison, de v\u00e9rit\u00e9, d\u2019opinion. Il s\u2019agit de reconna\u00eetre un autre dans un geste banal.<\/p>\n

Et ce geste devient le **lieu exact de la faille et de la consolation**. Comme une rustine pos\u00e9e avec tendresse.<\/p>\n

Peut-\u00eatre est-ce cela, le soin de soi : ne pas chercher le vrai, mais accepter les co\u00efncidences qu\u2019on fabrique.<\/p>", "content_text": " Tout concorde. Tout co\u00efncide. \u00c0 tel point qu\u2019on aurait tort de parler de co\u00efncidence comme d\u2019un hasard \u00e9trange. Trop de co\u00efncidences forment une \u00e9vidence. Mais une \u00e9vidence, qu\u2019est-ce que c\u2019est, sinon une rustine, elle aussi ? Un petit trou dans le pneu par o\u00f9 s\u2019\u00e9chappe la raison. Et la raison ? D\u00e9j\u00e0 une rustine. Pos\u00e9e sur une autre fuite. De fuite en fuite, on ramasse des mots. Quand \u00e7a semble co\u00efncider, on dit : voil\u00e0, c\u2019est \u00e7a. On s\u2019en contente. L\u2019essentiel, c\u2019est de contenter l\u2019opinion. De maintenir le statu quoi. Quo vadis, mon gars ? Et malgr\u00e9 tout \u00e7a, bizarrement, je vais acheter mon pain. Quelle \u00e9trange co\u00efncidence de te croiser. Toi aussi, en train de chercher ta petite monnaie. Comme moi. {{sous-conversation}} \u2026 co\u00efncidence ?\u2026 non\u2026 trop\u2026 trop bien align\u00e9\u2026 trop juste\u2026 \u00e7a sent la ficelle\u2026 ou le leurre\u2026 l\u2019\u00e9vidence\u2026 ah\u2026 ce mot\u2026 encore\u2026 comme une rustine\u2026 oui\u2026 une rustine sur la rustine\u2026 et dessous ?\u2026 rien\u2026 peut-\u00eatre\u2026 des mots\u2026 des petits mots\u2026 qu\u2019on ramasse comme des miettes\u2026 et on fait semblant\u2026 on dit que \u00e7a suffit\u2026 contenter\u2026 maintenir\u2026 faire tenir\u2026 m\u00eame si \u00e7a fuit\u2026 surtout si \u00e7a fuit\u2026 statu quoi\u2026 quo vadis\u2026 jeu de mots\u2026 vieille blague\u2026 mais \u00e7a sonne vrai, trop vrai\u2026 \u00e7a claque\u2026 et puis\u2026 l\u2019image\u2026 le pain\u2026 la monnaie\u2026 toi l\u00e0\u2026 moi l\u00e0\u2026 ridicule et bouleversant \u00e0 la fois\u2026 juste ce moment\u2026 cette collision\u2026 presque rien\u2026 presque tout\u2026 {{note de travail}} Le texte s\u2019ouvre sur une apparente certitude : tout co\u00efncide. Mais tr\u00e8s vite, cette certitude s\u2019effrite. L\u2019auteur expose, sans insister, que toute \u00e9vidence n\u2019est qu\u2019un cache-mis\u00e8re. Une rustine. Ce mot revient, obsessionnel. Il dit l\u2019inconfort, la fuite, le colmatage. L\u2019impossible solidit\u00e9 de la pens\u00e9e. Ce que je per\u00e7ois ici, ce n\u2019est pas un doute, c\u2019est une **conscience du bricolage int\u00e9rieur**. Une lucidit\u00e9 presque trop vive. Trop bless\u00e9e. Le langage est suspect, le sens est suspect, la logique elle-m\u00eame n\u2019est qu\u2019un habillage. L\u2019auteur le sait. Il en joue, doucement. Et pourtant. Il continue \u00e0 vivre. \u00c0 aller acheter son pain. Le moment final me bouleverse. Il y a quelqu\u2019un d\u2019autre. Un tu. Un \u00eatre crois\u00e9 par hasard \u2014 ou plut\u00f4t dans une **anti-co\u00efncidence** qui redonne chair \u00e0 l\u2019\u00e9vidence. Il ne s\u2019agit plus de raison, de v\u00e9rit\u00e9, d\u2019opinion. Il s\u2019agit de reconna\u00eetre un autre dans un geste banal. Et ce geste devient le **lieu exact de la faille et de la consolation**. Comme une rustine pos\u00e9e avec tendresse. Peut-\u00eatre est-ce cela, le soin de soi : ne pas chercher le vrai, mais accepter les co\u00efncidences qu\u2019on fabrique. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/boulangerie-tel-aviv.webp?1748065091", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-octobre-2023.html", "title": "11 octobre 2023", "date_published": "2025-04-01T01:09:49Z", "date_modified": "2025-04-01T01:09:57Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La guerre r\u00e9unit les villes. Elle leur donne une gueule de famille : ruines, gravats, cadavres.<\/p>\n

Un cadavre est un cadavre. Des gravats, des gravats. Et au-del\u00e0 ? Un sou est un sou. Tant pis pour toi.<\/p>\n

On ne se bat pas pour des id\u00e9es. Jamais. On se bat pour d\u2019autres — pouvoir, int\u00e9r\u00eats, frime virile.<\/p>\n

Parfois pour survivre, se d\u00e9fendre, se venger. Les sentiments aussi sont des armes.<\/p>\n

Quand tu veux je te d\u00e9monte.<\/p>\n

Quand tu veux je t\u2019\u00e9crase.<\/p>\n

Quand tu allumeras la radio, tu sauras.<\/p>\n

La col\u00e8re. La guerre.<\/p>\n

Chercher une phrase \u00e0 dire, une seule, digne de ce sujet. L\u2019\u00e9crire comme un crachat dans la paume. Puis se laver les mains. Recommencer.<\/p>\n

Ne pas dire d\u2019idioties. C\u2019est d\u00e9j\u00e0 un combat.<\/p>\n

Lieu commun : une \u00e9glise, une art\u00e8re, un tribunal, un stade, une \u00e9mission de vari\u00e9t\u00e9s. On nous bombarde de nostalgie, comme autrefois de bombes. Six jours. Isra\u00ebl. Les tribus, les tributs. Les pions pos\u00e9s sur l\u2019\u00e9chiquier des puissants.<\/p>\n

1973. Treize ans. Ton premier probl\u00e8me ? L\u2019acn\u00e9. Et acheter *Houses of the Holy*.<\/p>\n

Tes doigts s\u2019\u00e9corchent sur *Stairway to Heaven*. Derri\u00e8re, des ruines, des cadavres flous dans la t\u00e9l\u00e9.<\/p>\n

Les hormones d\u00e9r\u00e9gl\u00e9es prennent toute la place. Toujours. Depuis toujours.<\/p>\n

Barjavel, bon roman \u00e0 l\u2019\u00e9poque. On n\u2019a pas connu la guerre ? C\u2019est faux. On l\u2019a bouff\u00e9e. D\u00e8s qu\u2019on a eu la t\u00e9l\u00e9, elle s\u2019est install\u00e9e dans le salon. Tapiss\u00e9e. Tricot\u00e9e.<\/p>\n

Et les vieux ? Ceux de 14-18, 39-45. La d\u00e9culott\u00e9e de Vichy. H\u00e9ros fondus en margarine rance.<\/p>\n

La guerre, ciment de g\u00e9n\u00e9rations ? Une tradition ?<\/p>\n

Un b\u00e9b\u00e9 n\u00e9 d\u2019une guerre. Sa cervelle d\u00e9j\u00e0 pleine de confusion. Comme toutes les cervelles.<\/p>\n

Crever en pleine confusion, voil\u00e0 le pire.<\/p>\n

Moi, j\u2019aimerais crever clair. Clair dans ma t\u00eate, apr\u00e8s une vie dans la brume des autres.<\/p>\n

Deux ch\u00e8vres t\u00eatues sur une planche. O\u00f9 ai-je vu \u00e7a ? Chagall, peut-\u00eatre.<\/p>\n

Lui, il savait.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 la guerre r\u00e9unit ? non\u2026 elle disperse\u2026 elle fond les villes\u2026 elle les rend pareilles\u2026
\npareilles dans la mort\u2026 les gravats\u2026 la poussi\u00e8re\u2026<\/p>\n

un cadavre est un cadavre\u2026 oui\u2026 mais pourquoi le redire ?\u2026 \u00e7a s\u2019obstine\u2026 \u00e7a insiste\u2026
\ncomme une gifle\u2026 un mantra\u2026 un refus d\u2019oublier\u2026<\/p>\n

chercher quoi dire\u2026 sur \u00e7a\u2026 ne rien dire d\u2019idiot\u2026 ne rien dire tout court\u2026
\net pourtant\u2026 le dire\u2026 encore\u2026 recommencer\u2026 le crachat\u2026 le robinet\u2026 le torchon\u2026<\/p>\n

la nostalgie\u2026 tu vois ?\u2026 elle d\u00e9gouline\u2026 d\u00e9guis\u00e9e en souvenirs d\u2019\u00e9mission de vari\u00e9t\u00e9\u2026
\ncomme si\u2026 comme si \u00e7a pouvait consoler\u2026<\/p>\n

treize ans\u2026 l\u2019acn\u00e9\u2026 les boutons\u2026 et derri\u00e8re, les barbel\u00e9s\u2026
\nun disque\u2026 des cordes\u2026 la guerre en bruit de fond\u2026 ou de tapisserie\u2026<\/p>\n

et puis \u00e7a coince\u2026 toujours l\u00e0\u2026 la confusion\u2026
\nm\u00eame Chagall\u2026 m\u00eame lui\u2026 il voyait clair\u2026 lui\u2026 il dessinait les t\u00eates \u00e0 l\u2019envers\u2026
\nil savait que les ch\u00e8vres ne passeraient pas\u2026<\/p>\n

note de travail <\/strong><\/p>\n

Le texte est une col\u00e8re. Non pas une explosion, mais une incantation. Une rature de la parole ordinaire.<\/p>\n

Le patient ici ne parle pas, il crache. Il tente de se laver les mains — \u00e0 chaque fragment — mais revient toujours au point de d\u00e9part. Comme une obsession.<\/p>\n

Il accuse, il diss\u00e8que, il inventorie. Il jette l\u2019histoire sur la table comme des cartes sales. Guerre, adolescence, souvenirs. Tout se m\u00eale. Le Vietnam avec Led Zeppelin. L\u2019acn\u00e9 avec les dictateurs. Le poil pubien avec les barbel\u00e9s.<\/p>\n

La t\u00e9l\u00e9vision devient ici une figure maternelle monstrueuse : elle tricote des guerres, des regrets, des r\u00e9cits. Elle donne forme \u00e0 la confusion. Elle tapisse le salon de bombes feutr\u00e9es.<\/p>\n

Mais ce qui affleure, c\u2019est le d\u00e9sir de clart\u00e9. « Crever les id\u00e9es claires », dit-il. Voil\u00e0 l\u2019aveu. Il ne veut pas seulement survivre \u00e0 la confusion. Il veut en sortir. Mourir une fois lav\u00e9, rinc\u00e9, vid\u00e9 de la boue des autres.<\/p>\n

Il n\u2019y arrivera pas seul.<\/p>\n

Il appelle Chagall \u00e0 l\u2019aide. Comme un p\u00e8re doux. Un voyant. Quelqu\u2019un qui savait que deux ch\u00e8vres obstin\u00e9es ne peuvent passer ensemble.<\/p>\n

Et si ce n\u2019\u00e9tait pas la guerre, son vrai sujet ? Mais cette planche \u00e9troite, ce choix impossible entre avancer ou faire tomber l\u2019autre ?<\/p>\n

Une parabole de l\u2019humanit\u00e9, r\u00e9duite \u00e0 une poutre branlante, et deux cervelles but\u00e9es.<\/p>", "content_text": " La guerre r\u00e9unit les villes. Elle leur donne une gueule de famille : ruines, gravats, cadavres. Un cadavre est un cadavre. Des gravats, des gravats. Et au-del\u00e0 ? Un sou est un sou. Tant pis pour toi. On ne se bat pas pour des id\u00e9es. Jamais. On se bat pour d\u2019autres \u2014 pouvoir, int\u00e9r\u00eats, frime virile. Parfois pour survivre, se d\u00e9fendre, se venger. Les sentiments aussi sont des armes. Quand tu veux je te d\u00e9monte. Quand tu veux je t\u2019\u00e9crase. Quand tu allumeras la radio, tu sauras. La col\u00e8re. La guerre. Chercher une phrase \u00e0 dire, une seule, digne de ce sujet. L\u2019\u00e9crire comme un crachat dans la paume. Puis se laver les mains. Recommencer. Ne pas dire d\u2019idioties. C\u2019est d\u00e9j\u00e0 un combat. Lieu commun : une \u00e9glise, une art\u00e8re, un tribunal, un stade, une \u00e9mission de vari\u00e9t\u00e9s. On nous bombarde de nostalgie, comme autrefois de bombes. Six jours. Isra\u00ebl. Les tribus, les tributs. Les pions pos\u00e9s sur l\u2019\u00e9chiquier des puissants. 1973. Treize ans. Ton premier probl\u00e8me ? L\u2019acn\u00e9. Et acheter *Houses of the Holy*. Tes doigts s\u2019\u00e9corchent sur *Stairway to Heaven*. Derri\u00e8re, des ruines, des cadavres flous dans la t\u00e9l\u00e9. Les hormones d\u00e9r\u00e9gl\u00e9es prennent toute la place. Toujours. Depuis toujours. Barjavel, bon roman \u00e0 l\u2019\u00e9poque. On n\u2019a pas connu la guerre ? C\u2019est faux. On l\u2019a bouff\u00e9e. D\u00e8s qu\u2019on a eu la t\u00e9l\u00e9, elle s\u2019est install\u00e9e dans le salon. Tapiss\u00e9e. Tricot\u00e9e. Et les vieux ? Ceux de 14-18, 39-45. La d\u00e9culott\u00e9e de Vichy. H\u00e9ros fondus en margarine rance. La guerre, ciment de g\u00e9n\u00e9rations ? Une tradition ? Un b\u00e9b\u00e9 n\u00e9 d\u2019une guerre. Sa cervelle d\u00e9j\u00e0 pleine de confusion. Comme toutes les cervelles. Crever en pleine confusion, voil\u00e0 le pire. Moi, j\u2019aimerais crever clair. Clair dans ma t\u00eate, apr\u00e8s une vie dans la brume des autres. Deux ch\u00e8vres t\u00eatues sur une planche. O\u00f9 ai-je vu \u00e7a ? Chagall, peut-\u00eatre. Lui, il savait. {{sous-conversation}} \u2026 la guerre r\u00e9unit ? non\u2026 elle disperse\u2026 elle fond les villes\u2026 elle les rend pareilles\u2026 pareilles dans la mort\u2026 les gravats\u2026 la poussi\u00e8re\u2026 un cadavre est un cadavre\u2026 oui\u2026 mais pourquoi le redire ?\u2026 \u00e7a s\u2019obstine\u2026 \u00e7a insiste\u2026 comme une gifle\u2026 un mantra\u2026 un refus d\u2019oublier\u2026 chercher quoi dire\u2026 sur \u00e7a\u2026 ne rien dire d\u2019idiot\u2026 ne rien dire tout court\u2026 et pourtant\u2026 le dire\u2026 encore\u2026 recommencer\u2026 le crachat\u2026 le robinet\u2026 le torchon\u2026 la nostalgie\u2026 tu vois ?\u2026 elle d\u00e9gouline\u2026 d\u00e9guis\u00e9e en souvenirs d\u2019\u00e9mission de vari\u00e9t\u00e9\u2026 comme si\u2026 comme si \u00e7a pouvait consoler\u2026 treize ans\u2026 l\u2019acn\u00e9\u2026 les boutons\u2026 et derri\u00e8re, les barbel\u00e9s\u2026 un disque\u2026 des cordes\u2026 la guerre en bruit de fond\u2026 ou de tapisserie\u2026 et puis \u00e7a coince\u2026 toujours l\u00e0\u2026 la confusion\u2026 m\u00eame Chagall\u2026 m\u00eame lui\u2026 il voyait clair\u2026 lui\u2026 il dessinait les t\u00eates \u00e0 l\u2019envers\u2026 il savait que les ch\u00e8vres ne passeraient pas\u2026 {{note de travail }} Le texte est une col\u00e8re. Non pas une explosion, mais une incantation. Une rature de la parole ordinaire. Le patient ici ne parle pas, il crache. Il tente de se laver les mains \u2014 \u00e0 chaque fragment \u2014 mais revient toujours au point de d\u00e9part. Comme une obsession. Il accuse, il diss\u00e8que, il inventorie. Il jette l\u2019histoire sur la table comme des cartes sales. Guerre, adolescence, souvenirs. Tout se m\u00eale. Le Vietnam avec Led Zeppelin. L\u2019acn\u00e9 avec les dictateurs. Le poil pubien avec les barbel\u00e9s. La t\u00e9l\u00e9vision devient ici une figure maternelle monstrueuse : elle tricote des guerres, des regrets, des r\u00e9cits. Elle donne forme \u00e0 la confusion. Elle tapisse le salon de bombes feutr\u00e9es. Mais ce qui affleure, c\u2019est le d\u00e9sir de clart\u00e9. \"Crever les id\u00e9es claires\", dit-il. Voil\u00e0 l\u2019aveu. Il ne veut pas seulement survivre \u00e0 la confusion. Il veut en sortir. Mourir une fois lav\u00e9, rinc\u00e9, vid\u00e9 de la boue des autres. Il n\u2019y arrivera pas seul. Il appelle Chagall \u00e0 l\u2019aide. Comme un p\u00e8re doux. Un voyant. Quelqu\u2019un qui savait que deux ch\u00e8vres obstin\u00e9es ne peuvent passer ensemble. Et si ce n\u2019\u00e9tait pas la guerre, son vrai sujet ? Mais cette planche \u00e9troite, ce choix impossible entre avancer ou faire tomber l\u2019autre ? Une parabole de l\u2019humanit\u00e9, r\u00e9duite \u00e0 une poutre branlante, et deux cervelles but\u00e9es. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/deux-chevres.webp?1748065150", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-octobre-2023.html", "title": "08 octobre 2023", "date_published": "2025-03-31T11:00:15Z", "date_modified": "2025-03-31T11:00:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tu te retiens.
\nT\u2019en rajoutes pas.
\nTu la boucles.
\nTu poses la main sur ta bouche.<\/p>\n

Puis —
\nTu te rel\u00e8ves.
\nTu te secoues.
\nTu continues.<\/p>\n

De tout ce qui vient trop vite
\nsur la langue
\ncul de cartouche
\npromis au percuteur,
\ntu t\u2019\u00e9loignes.<\/p>\n

Tu ne sais rien.
\nTu ne veux rien savoir.<\/p>\n

Un \u0153il sur le gazole,
\nl\u2019autre sur le feu aux poudres.<\/p>\n

Tu grattes la casserole
\navec du pain dur.<\/p>\n

C\u2019est quoi la d\u00e8che ?
\nC\u2019est quoi ta t\u00eate ?<\/p>\n

Rien ne s\u2019oppose.
\nRien ne s\u2019opposera.<\/p>\n

La seule chose qu\u2019on ne peut te prendre
\nressemble \u00e0 un sentiment —
\nvrai,
\ndigne.<\/p>\n

Tout p\u00e9n\u00e8tre dans la margarine.
\nLa rondeur du couteau dans le beurre.<\/p>\n

Comme en cellule.<\/p>\n

Les plus forts sont les faibles.<\/p>\n

La seule issue :
\nla rage, la haine, la col\u00e8re.<\/p>\n

Mais la destination reste inconnue.<\/p>\n

\u00c7a te coupe en deux,
\ncomme un poing dans le vide de l\u2019estomac.<\/p>\n

Tu respires encore.
\nTu reprends.<\/p>\n

La vie, dit-on, est la plus forte.
\nTant qu\u2019il y a de l\u2019air.<\/p>\n

Alors aujourd\u2019hui, dimanche,
\ntu pourrais faire \u00e7a :
\navaler, recracher.
\nRien que \u00e7a.<\/p>\n

Oublier tout le reste.<\/p>\n

Manger, boire, pisser, dormir.
\nTe concentrer.
\nFonctions vitales.<\/p>\n

Le reste :
\nd\u00e9risoire.<\/p>\n

Salade en solde
\nemball\u00e9e dans du journal.<\/p>\n

Le profit retrouve sa pente.<\/p>\n

Chassez le naturel,
\nil revient au salaud.<\/p>\n

En temps de crise :
\nplus t\u2019es riche,
\nplus t\u2019es riche.<\/p>\n

Les huissiers bruissent
\ncomme des insectes gras.<\/p>\n

Ils tournent autour des portes.<\/p>\n

En p\u00e9riph\u00e9rie
\ndes centres-villes,
\nils prot\u00e8gent
\nl\u2019opulence,
\nl\u2019injustice.<\/p>\n

Des pulsions de meurtre
\npassent —
\ncomme des bus express
\nsur le chemin.<\/p>\n

Tu ne t\u2019attardes pas.
\nTu marches.
\nVers l\u2019horizon.<\/p>\n

Marcher,
\n\u00e7a vide la t\u00eate.
\nLe c\u0153ur.<\/p>\n

Tu vomis les d\u00e9mons,
\npar rafales,
\ndans l\u2019herbe verte.<\/p>\n

Goudron noir.
\nMal et bien,
\nen d\u00e9composition.<\/p>\n

Terreau d\u2019automne.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Tu t\u2019emp\u00eaches. Pourquoi ? \n
— Parce que \u00e7a d\u00e9borde. \n
— Et tu tiens ? \n
— Pas vraiment. Je tangue.<\/p>\n

— Tu marches, c\u2019est pour \u00e9chapper ? \n
— Non. Pour rester en vie.<\/p>\n

— Ce gazole\u2026 tu le regardes pour quoi ? \n
— Pour mesurer. Jusqu\u2019o\u00f9 je peux aller.<\/p>\n

— Et ce pain dur ? \n
— C\u2019est ce qu\u2019il reste. Ce qui frotte. Ce qui sauve.<\/p>\n

— Tu veux tuer ? \n
— Non. Mais parfois, \u00e7a passe. Comme un bus.<\/p>\n

— Tu continues ? \n
— Oui. Vers l\u2019horizon.<\/p>\n

— C\u2019est o\u00f9, \u00e7a ? \n
— L\u00e0 o\u00f9 la col\u00e8re se d\u00e9compose.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte est une crise.<\/p>\n

Mais pas une crise aigu\u00eb : une **crise chronique**, incorpor\u00e9e, rumin\u00e9e, dig\u00e9r\u00e9e — presque ritualis\u00e9e. L\u2019auteur ne cherche pas \u00e0 sortir de la douleur. Il **la traverse**, il la scande.<\/p>\n

Le rythme est cardiaque. Les phrases courtes battent.
\nLe corps est partout : gorge, bouche, bras, souffle, ventre. Le monde entier est ramen\u00e9 \u00e0 sa digestion — et \u00e0 son indigestion.<\/p>\n

La pauvret\u00e9 ici n\u2019est pas simplement \u00e9conomique. Elle est **existentielle**, **structurelle**, **m\u00e9tabolique**. Elle p\u00e9n\u00e8tre les gestes, les mots, les odeurs.<\/p>\n

Et pourtant : ce n\u2019est pas un texte de renoncement.<\/p>\n

C\u2019est un **po\u00e8me de survie**, un manifeste pour la marche, la respiration, le regard pos\u00e9 sur l\u2019injustice, sans fard.<\/p>\n

Les images sont puissantes : les huissiers en insectes, le gazole comme feu, le beurre comme cellule, les d\u00e9mons comme goudron noir sur l\u2019herbe.<\/p>\n

Et cette phrase centrale : *La seule chose qu\u2019on ne peut te prendre ressemble peu \u00e0 peu \u00e0 un sentiment*.<\/p>\n

C\u2019est une v\u00e9rit\u00e9 nue. Inattaquable.<\/p>\n

Le po\u00e8me est une poigne. Un couteau dans la margarine.
\nUn cri ma\u00eetris\u00e9. Et, contre toute attente, une forme d\u2019esp\u00e9rance.<\/p>", "content_text": " Tu te retiens. T\u2019en rajoutes pas. Tu la boucles. Tu poses la main sur ta bouche. Puis \u2014 Tu te rel\u00e8ves. Tu te secoues. Tu continues. De tout ce qui vient trop vite sur la langue cul de cartouche promis au percuteur, tu t\u2019\u00e9loignes. Tu ne sais rien. Tu ne veux rien savoir. Un \u0153il sur le gazole, l\u2019autre sur le feu aux poudres. Tu grattes la casserole avec du pain dur. C\u2019est quoi la d\u00e8che ? C\u2019est quoi ta t\u00eate ? Rien ne s\u2019oppose. Rien ne s\u2019opposera. La seule chose qu\u2019on ne peut te prendre ressemble \u00e0 un sentiment \u2014 vrai, digne. Tout p\u00e9n\u00e8tre dans la margarine. La rondeur du couteau dans le beurre. Comme en cellule. Les plus forts sont les faibles. La seule issue : la rage, la haine, la col\u00e8re. Mais la destination reste inconnue. \u00c7a te coupe en deux, comme un poing dans le vide de l\u2019estomac. Tu respires encore. Tu reprends. La vie, dit-on, est la plus forte. Tant qu\u2019il y a de l\u2019air. Alors aujourd\u2019hui, dimanche, tu pourrais faire \u00e7a : avaler, recracher. Rien que \u00e7a. Oublier tout le reste. Manger, boire, pisser, dormir. Te concentrer. Fonctions vitales. Le reste : d\u00e9risoire. Salade en solde emball\u00e9e dans du journal. Le profit retrouve sa pente. Chassez le naturel, il revient au salaud. En temps de crise : plus t\u2019es riche, plus t\u2019es riche. Les huissiers bruissent comme des insectes gras. Ils tournent autour des portes. En p\u00e9riph\u00e9rie des centres-villes, ils prot\u00e8gent l\u2019opulence, l\u2019injustice. Des pulsions de meurtre passent \u2014 comme des bus express sur le chemin. Tu ne t\u2019attardes pas. Tu marches. Vers l\u2019horizon. Marcher, \u00e7a vide la t\u00eate. Le c\u0153ur. Tu vomis les d\u00e9mons, par rafales, dans l\u2019herbe verte. Goudron noir. Mal et bien, en d\u00e9composition. Terreau d\u2019automne. {{sous-conversation}} \u2014 Tu t\u2019emp\u00eaches. Pourquoi ? \u2014 Parce que \u00e7a d\u00e9borde. \u2014 Et tu tiens ? \u2014 Pas vraiment. Je tangue. \u2014 Tu marches, c\u2019est pour \u00e9chapper ? \u2014 Non. Pour rester en vie. \u2014 Ce gazole\u2026 tu le regardes pour quoi ? \u2014 Pour mesurer. Jusqu\u2019o\u00f9 je peux aller. \u2014 Et ce pain dur ? \u2014 C\u2019est ce qu\u2019il reste. Ce qui frotte. Ce qui sauve. \u2014 Tu veux tuer ? \u2014 Non. Mais parfois, \u00e7a passe. Comme un bus. \u2014 Tu continues ? \u2014 Oui. Vers l\u2019horizon. \u2014 C\u2019est o\u00f9, \u00e7a ? \u2014 L\u00e0 o\u00f9 la col\u00e8re se d\u00e9compose. {{note de travail}} Ce texte est une crise. Mais pas une crise aigu\u00eb : une **crise chronique**, incorpor\u00e9e, rumin\u00e9e, dig\u00e9r\u00e9e \u2014 presque ritualis\u00e9e. L\u2019auteur ne cherche pas \u00e0 sortir de la douleur. Il **la traverse**, il la scande. Le rythme est cardiaque. Les phrases courtes battent. Le corps est partout : gorge, bouche, bras, souffle, ventre. Le monde entier est ramen\u00e9 \u00e0 sa digestion \u2014 et \u00e0 son indigestion. La pauvret\u00e9 ici n\u2019est pas simplement \u00e9conomique. Elle est **existentielle**, **structurelle**, **m\u00e9tabolique**. Elle p\u00e9n\u00e8tre les gestes, les mots, les odeurs. Et pourtant : ce n\u2019est pas un texte de renoncement. C\u2019est un **po\u00e8me de survie**, un manifeste pour la marche, la respiration, le regard pos\u00e9 sur l\u2019injustice, sans fard. Les images sont puissantes : les huissiers en insectes, le gazole comme feu, le beurre comme cellule, les d\u00e9mons comme goudron noir sur l\u2019herbe. Et cette phrase centrale : *La seule chose qu\u2019on ne peut te prendre ressemble peu \u00e0 peu \u00e0 un sentiment*. C\u2019est une v\u00e9rit\u00e9 nue. Inattaquable. Le po\u00e8me est une poigne. Un couteau dans la margarine. Un cri ma\u00eetris\u00e9. Et, contre toute attente, une forme d\u2019esp\u00e9rance. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1-2.webp?1748065184", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-octobre-2023-899.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-octobre-2023-899.html", "title": "24 octobre 2023", "date_published": "2024-10-24T19:58:00Z", "date_modified": "2025-04-02T19:59:00Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La fi\u00e8vre est tomb\u00e9e, mais quatre jours perdus \u00e0 claquer des dents, grelotter, se sentir vid\u00e9. Tout l\u2019\u00e9quilibre ne tient \u00e0 rien. J\u2019avais l\u2019impression de traverser une nouvelle de Kafka. Cloporte \u00e0 l\u2019envers, ventre rempli de boue.<\/p>\n

Et puis, d\u00e8s qu\u2019on ouvre les yeux, l\u2019URSSAF. Les taxes. De tous les c\u00f4t\u00e9s. L\u2019\u00e9tau se resserre. Logiquement, il faudrait plus d\u2019\u00e9l\u00e8ves, plus de stages, plus d\u2019argent. Mais c\u2019est l\u2019injustice qui revient. Celle que j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 sentie, enfant, \u00e0 l\u2019\u00e9cole, quand on apprenait la taille et la gabelle. Mon premier drame peut-\u00eatre.<\/p>\n

Je r\u00e9siste, profond\u00e9ment, \u00e0 tout ce qui ressemble \u00e0 de la paperasse. Rendre compte. Rendre des comptes. \u00c7a m\u2019a toujours sembl\u00e9 un outil de contr\u00f4le. Peut-\u00eatre que je me trompe. Peut-\u00eatre que c\u2019est pour le bien commun. Mais ce mot — loyaut\u00e9 — passe mal.<\/p>\n

Les grandes entreprises fraudent avec art. Des arm\u00e9es d\u2019avocats. Pendant que les petits, eux, prennent tout dans la gueule. On bloque leurs comptes. Ils tombent malades. Et \u00e0 c\u00f4t\u00e9 : les f\u00eates \u00e0 Versailles, les chaussures neuves. 1789 n\u2019est pas loin. Le privil\u00e8ge agace, depuis toujours.<\/p>\n

Je me demande si je suis responsable. Peut-\u00eatre que je ne suis pas assez malin. Peut-\u00eatre que je ne triche pas assez. Moi, je d\u00e9clare tout. J\u2019aurais du mal \u00e0 ne pas le faire. Question de dignit\u00e9, je crois.<\/p>\n

Il r\u00e8gne un climat plus mortif\u00e8re que jamais. Et les fi\u00e8vres n\u2019aident pas. Elles amplifient.<\/p>\n

M\u00eame FB, sur sa cha\u00eene, murmure la difficult\u00e9 d\u2019\u00eatre auteur. 1,60 \u20ac sur un livre \u00e0 16. Moi, peintre, c\u2019est pareil. Si je calcule mes heures, mes kilom\u00e8tres, mes d\u00e9penses\u2026 je suis pay\u00e9 bien en-dessous du SMIC.<\/p>\n

C\u2019est comme si \u00eatre \u00e0 son compte, c\u2019\u00e9tait une faute. Et \u00eatre artiste, une faute aggrav\u00e9e.<\/p>\n

Alors je serre les dents. Les quelques qu\u2019il me reste. J\u2019\u00e9cris quelques lignes, comme on se caresse la joue en se disant : \u00e7a ira. Mais parfois, non. Parfois, le c\u0153ur manque. On est \u00e0 terre. On le sent dans le corps. On essaie de se relever. On retombe. Alors quoi ?<\/p>\n

Quant au reste — la guerre, la violence, les scandales, le faux, le vrai, les opinions — je passe mon tour. Chaque mot nous classe. Bo\u00eetes partout. Et j\u2019ai l\u2019horreur des bo\u00eetes.<\/p>\n

Un soul\u00e8vement mondial des petites gens ? Pour dire : assez. Assez de cette vie-l\u00e0. Utopie. Chacun est trop enferm\u00e9 dans ses n\u0153uds. Il faudrait un miracle pour que \u00e7a l\u00e2che.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

C\u2019est revenu, la fi\u00e8vre. Et puis la haine. Non — l\u2019injustice. Non — l\u2019\u00e9coeurement. Le sentiment que tout \u00e7a\u2026 que tout \u00e7a...<\/p>\n

Une main cherche un appui dans l\u2019air. La m\u00e2choire serre. C\u2019est \u00e7a qu\u2019il reste. La m\u00e2choire. Une m\u00e2choire qui dit : je ne veux plus. Je n\u2019en peux plus.<\/p>\n

Et pourtant, encore ce petit effort. \u00c9crire. Une ligne. Deux. Ce n\u2019est pas beaucoup. Mais c\u2019est plus que tomber sans bruit.<\/p>\n

Il faudrait tout dire. Mais dire, \u00e7a classe. On nous range, \u00e9tiquette. Alors mieux vaut\u2026 quoi ? Se taire ? Non. Mieux vaut parler en crabe. Mieux vaut \u00e9crire en diagonale.<\/p>\n

Comme une toile. Une couche. Puis une autre. Huile sur toile. Mauvaise sant\u00e9 sur col\u00e8re sur solitude.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Il revient. Il est plus clair, plus fatigu\u00e9 aussi. Il a \u00e9crit dans la fi\u00e8vre, maintenant il \u00e9crit apr\u00e8s elle. Il parle d\u2019URSSAF, mais il parle d\u2019enfance. D\u2019un sentiment archa\u00efque d\u2019injustice. L\u2019\u00e9cole. La gabelle. La taille. Ce mot “taille” — je le note. Double tranchant.<\/p>\n

Ce n\u2019est pas un texte sur les imp\u00f4ts. C\u2019est un texte sur la loyaut\u00e9 bless\u00e9e<\/strong>. Il veut croire au bien commun, mais il voit la triche, la disproportion, l\u2019humiliation de celui qui fait “juste ce qu\u2019il faut”.<\/p>\n

Il parle de dignit\u00e9. C\u2019est le mot central. Il ne veut pas tricher, et c\u2019est cela qui le rend vuln\u00e9rable. Il tient \u00e0 une certaine forme de v\u00e9rit\u00e9. Ce n\u2019est pas \u00e9conomique. C\u2019est \u00e9thique. Et cela l\u2019\u00e9puise.<\/p>\n

Il \u00e9voque son corps : \u00e0 terre. Et sa r\u00e9sistance : serrer les dents, \u00e9crire quelques lignes. Un m\u00e9canisme de survie, mais aussi de cr\u00e9ation.<\/p>\n

\u00c0 la fin, il renonce \u00e0 commenter le monde. Il sait que commenter, c\u2019est se faire capturer. Il cherche une issue. Elle passe peut-\u00eatre par une utopie qu\u2019il ne croit pas. Mais qu\u2019il \u00e9crit quand m\u00eame<\/strong>. C\u2019est ce « quand m\u00eame »<\/strong> qui m\u2019\u00e9meut. C\u2019est \u00e7a, la trace du vivant.<\/p>", "content_text": " La fi\u00e8vre est tomb\u00e9e, mais quatre jours perdus \u00e0 claquer des dents, grelotter, se sentir vid\u00e9. Tout l\u2019\u00e9quilibre ne tient \u00e0 rien. J\u2019avais l\u2019impression de traverser une nouvelle de Kafka. Cloporte \u00e0 l\u2019envers, ventre rempli de boue. Et puis, d\u00e8s qu\u2019on ouvre les yeux, l\u2019URSSAF. Les taxes. De tous les c\u00f4t\u00e9s. L\u2019\u00e9tau se resserre. Logiquement, il faudrait plus d\u2019\u00e9l\u00e8ves, plus de stages, plus d\u2019argent. Mais c\u2019est l\u2019injustice qui revient. Celle que j\u2019avais d\u00e9j\u00e0 sentie, enfant, \u00e0 l\u2019\u00e9cole, quand on apprenait la taille et la gabelle. Mon premier drame peut-\u00eatre. Je r\u00e9siste, profond\u00e9ment, \u00e0 tout ce qui ressemble \u00e0 de la paperasse. Rendre compte. Rendre des comptes. \u00c7a m\u2019a toujours sembl\u00e9 un outil de contr\u00f4le. Peut-\u00eatre que je me trompe. Peut-\u00eatre que c\u2019est pour le bien commun. Mais ce mot \u2014 loyaut\u00e9 \u2014 passe mal. Les grandes entreprises fraudent avec art. Des arm\u00e9es d\u2019avocats. Pendant que les petits, eux, prennent tout dans la gueule. On bloque leurs comptes. Ils tombent malades. Et \u00e0 c\u00f4t\u00e9 : les f\u00eates \u00e0 Versailles, les chaussures neuves. 1789 n\u2019est pas loin. Le privil\u00e8ge agace, depuis toujours. Je me demande si je suis responsable. Peut-\u00eatre que je ne suis pas assez malin. Peut-\u00eatre que je ne triche pas assez. Moi, je d\u00e9clare tout. J\u2019aurais du mal \u00e0 ne pas le faire. Question de dignit\u00e9, je crois. Il r\u00e8gne un climat plus mortif\u00e8re que jamais. Et les fi\u00e8vres n\u2019aident pas. Elles amplifient. M\u00eame FB, sur sa cha\u00eene, murmure la difficult\u00e9 d\u2019\u00eatre auteur. 1,60 \u20ac sur un livre \u00e0 16. Moi, peintre, c\u2019est pareil. Si je calcule mes heures, mes kilom\u00e8tres, mes d\u00e9penses\u2026 je suis pay\u00e9 bien en-dessous du SMIC. C\u2019est comme si \u00eatre \u00e0 son compte, c\u2019\u00e9tait une faute. Et \u00eatre artiste, une faute aggrav\u00e9e. Alors je serre les dents. Les quelques qu\u2019il me reste. J\u2019\u00e9cris quelques lignes, comme on se caresse la joue en se disant : \u00e7a ira. Mais parfois, non. Parfois, le c\u0153ur manque. On est \u00e0 terre. On le sent dans le corps. On essaie de se relever. On retombe. Alors quoi ? Quant au reste \u2014 la guerre, la violence, les scandales, le faux, le vrai, les opinions \u2014 je passe mon tour. Chaque mot nous classe. Bo\u00eetes partout. Et j\u2019ai l\u2019horreur des bo\u00eetes. Un soul\u00e8vement mondial des petites gens ? Pour dire : assez. Assez de cette vie-l\u00e0. Utopie. Chacun est trop enferm\u00e9 dans ses n\u0153uds. Il faudrait un miracle pour que \u00e7a l\u00e2che. **sous-conversation** C\u2019est revenu, la fi\u00e8vre. Et puis la haine. Non \u2014 l\u2019injustice. Non \u2014 l\u2019\u00e9coeurement. Le sentiment que tout \u00e7a\u2026 que tout \u00e7a... Une main cherche un appui dans l\u2019air. La m\u00e2choire serre. C\u2019est \u00e7a qu\u2019il reste. La m\u00e2choire. Une m\u00e2choire qui dit : je ne veux plus. Je n\u2019en peux plus. Et pourtant, encore ce petit effort. \u00c9crire. Une ligne. Deux. Ce n\u2019est pas beaucoup. Mais c\u2019est plus que tomber sans bruit. Il faudrait tout dire. Mais dire, \u00e7a classe. On nous range, \u00e9tiquette. Alors mieux vaut\u2026 quoi ? Se taire ? Non. Mieux vaut parler en crabe. Mieux vaut \u00e9crire en diagonale. Comme une toile. Une couche. Puis une autre. Huile sur toile. Mauvaise sant\u00e9 sur col\u00e8re sur solitude. **note de travail** Il revient. Il est plus clair, plus fatigu\u00e9 aussi. Il a \u00e9crit dans la fi\u00e8vre, maintenant il \u00e9crit apr\u00e8s elle. Il parle d\u2019URSSAF, mais il parle d\u2019enfance. D\u2019un sentiment archa\u00efque d\u2019injustice. L\u2019\u00e9cole. La gabelle. La taille. Ce mot \u201ctaille\u201d \u2014 je le note. Double tranchant. Ce n\u2019est pas un texte sur les imp\u00f4ts. C\u2019est un texte sur **la loyaut\u00e9 bless\u00e9e**. Il veut croire au bien commun, mais il voit la triche, la disproportion, l\u2019humiliation de celui qui fait \u201cjuste ce qu\u2019il faut\u201d. Il parle de dignit\u00e9. C\u2019est le mot central. Il ne veut pas tricher, et c\u2019est cela qui le rend vuln\u00e9rable. Il tient \u00e0 une certaine forme de v\u00e9rit\u00e9. Ce n\u2019est pas \u00e9conomique. C\u2019est \u00e9thique. Et cela l\u2019\u00e9puise. Il \u00e9voque son corps : \u00e0 terre. Et sa r\u00e9sistance : serrer les dents, \u00e9crire quelques lignes. Un m\u00e9canisme de survie, mais aussi de cr\u00e9ation. \u00c0 la fin, il renonce \u00e0 commenter le monde. Il sait que commenter, c\u2019est se faire capturer. Il cherche une issue. Elle passe peut-\u00eatre par une utopie qu\u2019il ne croit pas. Mais qu\u2019il **\u00e9crit quand m\u00eame**. C\u2019est ce **\"quand m\u00eame\"** qui m\u2019\u00e9meut. C\u2019est \u00e7a, la trace du vivant. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Min\u00e9ral, v\u00e9g\u00e9tal, animal. Nous aimons penser ces r\u00e8gnes comme des \u00e9tapes d\u2019un r\u00e9cit. Mais ils coexistent, toujours. Et nous ignorons presque tout de leurs \u00e9changes. Ce que la pierre donne \u00e0 la plante, la plante \u00e0 l\u2019abeille. Nous n\u2019entendons rien du chuchotement qui lie les formes du vivant. Pourtant, une plante sait comment s\u00e9duire un insecte. Et parfois, elle agit en nous : organes, r\u00eaves, g\u00e9om\u00e9tries int\u00e9rieures, silhouettes d\u2019homoncules. Le myst\u00e8re est intact. L\u2019humain n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 seul. Il l\u2019a juste oubli\u00e9.<\/p>\n

Ce qui manque : l\u2019humilit\u00e9. Et ce go\u00fbt moderne pour l\u2019expertise, qui fragmente la connaissance en sp\u00e9cialit\u00e9s st\u00e9riles. Or, la connaissance est un parfum, un m\u00e9lange. Pas une case.<\/p>\n

Justement : retour aux imp\u00f4ts. Dossier en main, chemise en ordre. Au guichet, une femme bienveillante me signale deux erreurs. Elle aurait pu se taire. Elle ne l\u2019a pas fait. Merci. Mais quelques minutes plus tard, j\u2019appelle le service entreprises. Chute brutale : ton sec, injonction froide. « Utilisez votre espace professionnel. » Voil\u00e0, battre le chaud et le froid : voil\u00e0 le climat administratif.<\/p>\n

Le site imp\u00f4ts-entreprises est un po\u00e8me kafka\u00efen. Inscription, codes, d\u00e9lais postaux. Une farce, ou un test de pers\u00e9v\u00e9rance.<\/p>\n

Plus tard, je r\u00e9dige la proposition 03 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. Un peu vite. Et encore une fois, je parle de moi. Peut-on \u00e9crire sans parler de soi ? J\u2019en doute. M\u00eame un brin d\u2019herbe que l\u2019on d\u00e9crit nous d\u00e9crit.<\/p>\n

Peut-on s\u2019ouvrir comme une hu\u00eetre, s\u2019extirper de sa coquille pour \u00e9crire ? Peut-\u00eatre. Peut-\u00eatre pas.<\/p>\n

Est-ce que cela fera un livre ? Encore une foutue question.<\/p>\n

Et les guerres ? Peut-on \u00e9crire sans jamais les \u00e9voquer ? Peut-on choisir de les oublier ? Ou les fuir ?<\/p>\n

Toujours ce faible, moi, pour les idiots, les \u00e9clop\u00e9s, les inadapt\u00e9s. Ceux qui ne comprennent pas les r\u00e8gles.<\/p>\n

Et si l\u2019on pouvait s\u2019oublier vraiment ? Entendre les nouvelles du vivant : le murmure du granit, la plainte des feuilles racornies, les insectes endeuill\u00e9s, les racines chantantes, et la geste des parasites souterrains transmise par les ailes et les cris d\u2019oiseaux. Un journal du monde. Une langue \u00e0 d\u00e9chiffrer.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 ils sont l\u00e0\u2026 tous l\u00e0\u2026 les r\u00e8gnes\u2026 ensemble\u2026 mais on n\u2019\u00e9coute pas\u2026 on classe, on s\u00e9pare, on range\u2026 comme si le monde \u00e9tait une frise\u2026<\/p>\n

la plante\u2026 elle appelle\u2026 elle attire\u2026 elle soigne\u2026 elle r\u00eave\u2026 mais on ne regarde pas\u2026 trop occup\u00e9s \u00e0 cliquer, \u00e0 calculer\u2026<\/p>\n

les imp\u00f4ts\u2026 toujours les imp\u00f4ts\u2026 une bonne, une mauvaise\u2026 ti\u00e8de\u2026 br\u00fblant\u2026 froid\u2026 c\u2019est \u00e7a, oui\u2026 des chocs de temp\u00e9rature\u2026<\/p>\n

encore moi\u2026 toujours moi\u2026 dans le texte\u2026 impossible de m\u2019arracher\u2026 m\u00eame quand j\u2019essaie de parler d\u2019un arbre\u2026 c\u2019est moi qui pousse\u2026<\/p>\n

les idiots\u2026 eux au moins\u2026 ne savent pas mentir\u2026 ils ne savent pas\u2026 et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a, la seule connaissance valable\u2026<\/p>\n

et si on pouvait\u2026 juste un instant\u2026 ne plus savoir\u2026 entendre\u2026 les pierres\u2026 les feuilles\u2026 les insectes qui pleurent\u2026 juste \u00e7a\u2026 \u00e7a suffirait\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le texte commence par une le\u00e7on d\u2019humilit\u00e9. Il \u00e9voque ces r\u00e8gnes du vivant que nous croyons comprendre, dominer, classer. Mais l\u2019auteur, lui, reconna\u00eet ne rien savoir. Il ouvre avec cette belle formule : “le myst\u00e8re est intact”.<\/p>\n

Puis le r\u00e9el le rattrape : la file d\u2019attente, le guichet, la bureaucratie. Ce glissement me semble r\u00e9v\u00e9lateur. C\u2019est l\u00e0 que le texte devient profond\u00e9ment humain : oscillant entre aspiration cosmique et bassesse administrative. Un « battement » existentiel, presque rythmique.<\/p>\n

La question du « je » revient : peut-on \u00e9crire sans soi ? Il se moque un peu de lui-m\u00eame. Mais cette moquerie est tendre. Il parle d\u2019extraction, de d\u00e9cortication, comme si \u00e9crire \u00e9tait un acte de d\u00e9nudement. Et sans doute l\u2019est-ce.<\/p>\n

Les guerres ? Il n\u2019en parle pas. Mais le fait de s\u2019interroger sur cette absence est d\u00e9j\u00e0 une mani\u00e8re d\u2019en parler. Un silence pesant.<\/p>\n

Et puis cette compassion pour les idiots, ceux qui ne comprennent rien \u00e0 ce que l\u2019on attend d\u2019eux. C\u2019est ici que r\u00e9side sa plus grande tendresse, je crois.<\/p>\n

Enfin, la derni\u00e8re vision est une offrande. Un monde qui parle, mais que personne n\u2019\u00e9coute. Des racines qui chantent, des insectes qui pleurent, un r\u00e9seau de signes qui ne demande qu\u2019\u00e0 \u00eatre traduit.<\/p>\n

Ce texte est une pri\u00e8re douce pour un autre langage. Un chant des r\u00e8gnes. Et du r\u00eave d\u2019en faire partie, sans hi\u00e9rarchie.<\/p>", "content_text": " Min\u00e9ral, v\u00e9g\u00e9tal, animal. Nous aimons penser ces r\u00e8gnes comme des \u00e9tapes d\u2019un r\u00e9cit. Mais ils coexistent, toujours. Et nous ignorons presque tout de leurs \u00e9changes. Ce que la pierre donne \u00e0 la plante, la plante \u00e0 l\u2019abeille. Nous n\u2019entendons rien du chuchotement qui lie les formes du vivant. Pourtant, une plante sait comment s\u00e9duire un insecte. Et parfois, elle agit en nous : organes, r\u00eaves, g\u00e9om\u00e9tries int\u00e9rieures, silhouettes d\u2019homoncules. Le myst\u00e8re est intact. L\u2019humain n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 seul. Il l\u2019a juste oubli\u00e9. Ce qui manque : l\u2019humilit\u00e9. Et ce go\u00fbt moderne pour l\u2019expertise, qui fragmente la connaissance en sp\u00e9cialit\u00e9s st\u00e9riles. Or, la connaissance est un parfum, un m\u00e9lange. Pas une case. Justement : retour aux imp\u00f4ts. Dossier en main, chemise en ordre. Au guichet, une femme bienveillante me signale deux erreurs. Elle aurait pu se taire. Elle ne l\u2019a pas fait. Merci. Mais quelques minutes plus tard, j\u2019appelle le service entreprises. Chute brutale : ton sec, injonction froide. \u00ab Utilisez votre espace professionnel. \u00bb Voil\u00e0, battre le chaud et le froid : voil\u00e0 le climat administratif. Le site imp\u00f4ts-entreprises est un po\u00e8me kafka\u00efen. Inscription, codes, d\u00e9lais postaux. Une farce, ou un test de pers\u00e9v\u00e9rance. Plus tard, je r\u00e9dige la proposition 03 de l\u2019atelier d\u2019\u00e9criture. Un peu vite. Et encore une fois, je parle de moi. Peut-on \u00e9crire sans parler de soi ? J\u2019en doute. M\u00eame un brin d\u2019herbe que l\u2019on d\u00e9crit nous d\u00e9crit. Peut-on s\u2019ouvrir comme une hu\u00eetre, s\u2019extirper de sa coquille pour \u00e9crire ? Peut-\u00eatre. Peut-\u00eatre pas. Est-ce que cela fera un livre ? Encore une foutue question. Et les guerres ? Peut-on \u00e9crire sans jamais les \u00e9voquer ? Peut-on choisir de les oublier ? Ou les fuir ? Toujours ce faible, moi, pour les idiots, les \u00e9clop\u00e9s, les inadapt\u00e9s. Ceux qui ne comprennent pas les r\u00e8gles. Et si l\u2019on pouvait s\u2019oublier vraiment ? Entendre les nouvelles du vivant : le murmure du granit, la plainte des feuilles racornies, les insectes endeuill\u00e9s, les racines chantantes, et la geste des parasites souterrains transmise par les ailes et les cris d\u2019oiseaux. Un journal du monde. Une langue \u00e0 d\u00e9chiffrer. **sous-conversation** \u2026 ils sont l\u00e0\u2026 tous l\u00e0\u2026 les r\u00e8gnes\u2026 ensemble\u2026 mais on n\u2019\u00e9coute pas\u2026 on classe, on s\u00e9pare, on range\u2026 comme si le monde \u00e9tait une frise\u2026 la plante\u2026 elle appelle\u2026 elle attire\u2026 elle soigne\u2026 elle r\u00eave\u2026 mais on ne regarde pas\u2026 trop occup\u00e9s \u00e0 cliquer, \u00e0 calculer\u2026 les imp\u00f4ts\u2026 toujours les imp\u00f4ts\u2026 une bonne, une mauvaise\u2026 ti\u00e8de\u2026 br\u00fblant\u2026 froid\u2026 c\u2019est \u00e7a, oui\u2026 des chocs de temp\u00e9rature\u2026 encore moi\u2026 toujours moi\u2026 dans le texte\u2026 impossible de m\u2019arracher\u2026 m\u00eame quand j\u2019essaie de parler d\u2019un arbre\u2026 c\u2019est moi qui pousse\u2026 les idiots\u2026 eux au moins\u2026 ne savent pas mentir\u2026 ils ne savent pas\u2026 et c\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a, la seule connaissance valable\u2026 et si on pouvait\u2026 juste un instant\u2026 ne plus savoir\u2026 entendre\u2026 les pierres\u2026 les feuilles\u2026 les insectes qui pleurent\u2026 juste \u00e7a\u2026 \u00e7a suffirait\u2026 **note de travail** Le texte commence par une le\u00e7on d\u2019humilit\u00e9. Il \u00e9voque ces r\u00e8gnes du vivant que nous croyons comprendre, dominer, classer. Mais l\u2019auteur, lui, reconna\u00eet ne rien savoir. Il ouvre avec cette belle formule : \u201cle myst\u00e8re est intact\u201d. Puis le r\u00e9el le rattrape : la file d\u2019attente, le guichet, la bureaucratie. Ce glissement me semble r\u00e9v\u00e9lateur. C\u2019est l\u00e0 que le texte devient profond\u00e9ment humain : oscillant entre aspiration cosmique et bassesse administrative. Un \u00ab battement \u00bb existentiel, presque rythmique. La question du \"je\" revient : peut-on \u00e9crire sans soi ? Il se moque un peu de lui-m\u00eame. Mais cette moquerie est tendre. Il parle d\u2019extraction, de d\u00e9cortication, comme si \u00e9crire \u00e9tait un acte de d\u00e9nudement. Et sans doute l\u2019est-ce. Les guerres ? Il n\u2019en parle pas. Mais le fait de s\u2019interroger sur cette absence est d\u00e9j\u00e0 une mani\u00e8re d\u2019en parler. Un silence pesant. Et puis cette compassion pour les idiots, ceux qui ne comprennent rien \u00e0 ce que l\u2019on attend d\u2019eux. C\u2019est ici que r\u00e9side sa plus grande tendresse, je crois. Enfin, la derni\u00e8re vision est une offrande. Un monde qui parle, mais que personne n\u2019\u00e9coute. Des racines qui chantent, des insectes qui pleurent, un r\u00e9seau de signes qui ne demande qu\u2019\u00e0 \u00eatre traduit. Ce texte est une pri\u00e8re douce pour un autre langage. Un chant des r\u00e8gnes. Et du r\u00eave d\u2019en faire partie, sans hi\u00e9rarchie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/31-10-2023.webp?1748065166", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-octobre-2023.html", "title": "30 octobre 2023", "date_published": "2023-10-30T16:42:00Z", "date_modified": "2025-04-03T15:42:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

La case.<\/strong><\/p>\n

Un pupitre, plan inclin\u00e9, une case dessous. L\u2019encrier blanc dans le coin, la rainure pour le porte-plume. Il faut tendre le bras, tremper la plume — violette, le plus souvent — et esp\u00e9rer qu\u2019elle ne soit pas trop neuve, trop r\u00eache. Une fois adoucie par l\u2019usage, elle glisse presque d\u2019elle-m\u00eame. \u00c9crire, c\u2019est dessiner, en tirant un peu la langue. Dans la case, c\u2019est un monde : cro\u00fbte de pain, peau de pomme, ch\u00e2taignes, parfois un carr\u00e9 de chocolat. Glisser la main l\u00e0-dedans, c\u2019est comme plonger dans la bocca della verit\u00e0. Et si on ram\u00e8ne la trouvaille \u00e0 la bouche sans \u00eatre vu, c\u2019est gagn\u00e9. Sinon : coup de r\u00e8gle, bonnet d\u2019\u00e2ne, et cent lignes \u00e0 la plume.<\/p>\n

La biblioth\u00e8que.<\/strong><\/p>\n

Coin de salle, pr\u00e8s du po\u00eale. Quelques rayons, des Camembert, des Andersen, Strogoff, Meaulnes. Le geste de tendre la main, de choisir, est d\u00e9j\u00e0 tout un th\u00e9\u00e2tre. Surtout sous le regard des filles. Je choisis souvent Camembert, ou le G\u00e9n\u00e9ral Dourakine. Ridicules, comme moi peut-\u00eatre. Lire, relire, s\u2019absorber. Imitation ensuite : « Serai-je-t-y assez heureux\u2026 » Et les rires. Et la punition.<\/p>\n

Le buffet Henri II.<\/strong><\/p>\n

Gothique, imposant. Les tiroirs, lourds, pleins de myst\u00e8res. Glisser la main \u00e0 l\u2019aveugle : bobines, d\u00e9s, pi\u00e8ces trou\u00e9es, lettres. Dans les hauteurs, les bocaux de douceurs brillent dans l\u2019ombre. Ouvrir, voir, sentir battre son c\u0153ur. Puis le pas s\u2019approche : vite, descendre, remettre la chaise, jouer l\u2019idiot.<\/p>\n

Le tiroir sous le lit.<\/strong><\/p>\n

Premier lit \u00e0 moi seul. Tiroir immense dessous, mes tr\u00e9sors : billes, po\u00e9sies, insectes. Exp\u00e9riences : vieux fromages, asticots devenus mouches. La chambre se peuple d\u2019ailes battantes. Punition : on m\u2019\u00f4te le tiroir. On me le retire — comme un monde.<\/p>\n

La bo\u00eete de couleurs.<\/strong><\/p>\n

Acajou. Apport\u00e9e par mon p\u00e8re. Impression. Tubes, palette, pinceaux. Ma m\u00e8re croit au cadeau, moi aussi. Mais non : c\u2019est pour lui. Il peint un bouquet, qu\u2019il n\u2019ach\u00e8vera jamais. Puis part. La bo\u00eete est rang\u00e9e. Silence. Plus tard, ma m\u00e8re peint. M\u00eame bo\u00eete, m\u00eames tubes. In\u00e9puisables. Puis elle aussi cesse. La bo\u00eete va au grenier.<\/p>\n

Des ann\u00e9es plus tard, je vide la maison. Je cherche. Rien. Absence poignante. Un jour, dans un vide-grenier, j\u2019en trouve une identique. Je l\u2019ouvre. Tout revient. Je la garde. Elle est l\u00e0. Je ne l\u2019utilise jamais. Je l\u2019ouvre parfois, je regarde. Je referme doucement. Comme un album. Pour saluer mes fant\u00f4mes.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 la case\u2026 la main qui plonge\u2026 un frisson\u2026 le chocolat peut-\u00eatre\u2026 ou la punition\u2026 cette peur douce\u2026 cette excitation\u2026 \u00e9crire, dessiner, se taire, m\u00e2cher\u2026<\/p>\n

et le buffet\u2026 cette cath\u00e9drale\u2026 le tiroir qui grince\u2026 les doigts qui fouillent\u2026 les lettres nou\u00e9es\u2026 les bonbons in\u00e9puisables\u2026 mais le pas\u2026 toujours le pas\u2026 il approche\u2026 il faut dispara\u00eetre\u2026<\/p>\n

le lit\u2026 enfin \u00e0 moi\u2026 ce tiroir-monde\u2026 des ailes\u2026 des mouches\u2026 une chambre vivante\u2026 puis\u2026 on l\u2019enl\u00e8ve\u2026 d\u2019un geste\u2026 le monde s\u2019\u00e9teint\u2026<\/p>\n

la bo\u00eete\u2026 elle revient\u2026 toujours elle\u2026 ferm\u00e9e\u2026 puis ouverte\u2026 les tubes\u2026 la promesse\u2026 jamais tenus\u2026 puis referm\u00e9e\u2026 comme un livre de morts\u2026<\/p>\n

c\u2019est \u00e7a\u2026 c\u2019est \u00e7a : ouvrir, toucher, \u00eatre l\u00e0\u2026 puis refermer\u2026 toujours refermer\u2026 mais un peu moins seul\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Il \u00e9gr\u00e8ne les lieux de l\u2019enfance comme des chapelles de m\u00e9moire. Chacun est associ\u00e9 \u00e0 un contenant : la case, la biblioth\u00e8que, le buffet, le tiroir, la bo\u00eete. C\u2019est une g\u00e9ographie du secret. Ce n\u2019est pas l\u2019objet qui importe, mais le geste : ouvrir, plonger, d\u00e9couvrir, refermer.<\/p>\n

Il y a dans ces r\u00e9cits quelque chose du rite : \u00e9crire, voler, lire, exp\u00e9rimenter, transgresser. Ce sont les premi\u00e8res libert\u00e9s prises, les premiers mondes \u00e0 soi. Chaque objet contient du possible — et sa perte. La bo\u00eete de couleurs incarne cela au plus haut : promesse jamais tenue, beaut\u00e9 pr\u00e9serv\u00e9e, deuil diff\u00e9r\u00e9.<\/p>\n

Le texte se construit sur le motif du retour emp\u00each\u00e9. On ne retrouve pas la bo\u00eete. On ne retrouve pas la case. Mais on les rejoue, plus tard, dans l\u2019\u00e9criture. L\u2019acte d\u2019\u00e9crire est ici un geste de r\u00e9ouverture.<\/p>\n

Il parle aussi de transmission manqu\u00e9e. Ce p\u00e8re qui ouvre, puis s\u2019\u00e9clipse. Cette m\u00e8re qui reprend, puis abandonne. Et lui, \u00e0 la fin, qui conserve, mais n\u2019ose pas utiliser. Il y a l\u00e0 une fid\u00e9lit\u00e9 \u00e9trange : ne pas briser l\u2019objet pour honorer ce qu\u2019il contient.<\/p>\n

Je lis dans ce texte une tentative douce de tenir ensemble l\u2019absence et la pr\u00e9sence. Comme si les fant\u00f4mes n\u2019\u00e9taient supportables qu\u2019en les rangeant bien.<\/p>\n

Et je me demande : quand il ouvre cette bo\u00eete, qui regarde-t-il vraiment ?<\/p>", "content_text": " **La case.** Un pupitre, plan inclin\u00e9, une case dessous. L\u2019encrier blanc dans le coin, la rainure pour le porte-plume. Il faut tendre le bras, tremper la plume \u2014 violette, le plus souvent \u2014 et esp\u00e9rer qu\u2019elle ne soit pas trop neuve, trop r\u00eache. Une fois adoucie par l\u2019usage, elle glisse presque d\u2019elle-m\u00eame. \u00c9crire, c\u2019est dessiner, en tirant un peu la langue. Dans la case, c\u2019est un monde : cro\u00fbte de pain, peau de pomme, ch\u00e2taignes, parfois un carr\u00e9 de chocolat. Glisser la main l\u00e0-dedans, c\u2019est comme plonger dans la bocca della verit\u00e0. Et si on ram\u00e8ne la trouvaille \u00e0 la bouche sans \u00eatre vu, c\u2019est gagn\u00e9. Sinon : coup de r\u00e8gle, bonnet d\u2019\u00e2ne, et cent lignes \u00e0 la plume. **La biblioth\u00e8que.** Coin de salle, pr\u00e8s du po\u00eale. Quelques rayons, des Camembert, des Andersen, Strogoff, Meaulnes. Le geste de tendre la main, de choisir, est d\u00e9j\u00e0 tout un th\u00e9\u00e2tre. Surtout sous le regard des filles. Je choisis souvent Camembert, ou le G\u00e9n\u00e9ral Dourakine. Ridicules, comme moi peut-\u00eatre. Lire, relire, s\u2019absorber. Imitation ensuite : \u00ab Serai-je-t-y assez heureux\u2026 \u00bb Et les rires. Et la punition. **Le buffet Henri II.** Gothique, imposant. Les tiroirs, lourds, pleins de myst\u00e8res. Glisser la main \u00e0 l\u2019aveugle : bobines, d\u00e9s, pi\u00e8ces trou\u00e9es, lettres. Dans les hauteurs, les bocaux de douceurs brillent dans l\u2019ombre. Ouvrir, voir, sentir battre son c\u0153ur. Puis le pas s\u2019approche : vite, descendre, remettre la chaise, jouer l\u2019idiot. **Le tiroir sous le lit.** Premier lit \u00e0 moi seul. Tiroir immense dessous, mes tr\u00e9sors : billes, po\u00e9sies, insectes. Exp\u00e9riences : vieux fromages, asticots devenus mouches. La chambre se peuple d\u2019ailes battantes. Punition : on m\u2019\u00f4te le tiroir. On me le retire \u2014 comme un monde. **La bo\u00eete de couleurs.** Acajou. Apport\u00e9e par mon p\u00e8re. Impression. Tubes, palette, pinceaux. Ma m\u00e8re croit au cadeau, moi aussi. Mais non : c\u2019est pour lui. Il peint un bouquet, qu\u2019il n\u2019ach\u00e8vera jamais. Puis part. La bo\u00eete est rang\u00e9e. Silence. Plus tard, ma m\u00e8re peint. M\u00eame bo\u00eete, m\u00eames tubes. In\u00e9puisables. Puis elle aussi cesse. La bo\u00eete va au grenier. Des ann\u00e9es plus tard, je vide la maison. Je cherche. Rien. Absence poignante. Un jour, dans un vide-grenier, j\u2019en trouve une identique. Je l\u2019ouvre. Tout revient. Je la garde. Elle est l\u00e0. Je ne l\u2019utilise jamais. Je l\u2019ouvre parfois, je regarde. Je referme doucement. Comme un album. Pour saluer mes fant\u00f4mes. **sous-conversation** \u2026 la case\u2026 la main qui plonge\u2026 un frisson\u2026 le chocolat peut-\u00eatre\u2026 ou la punition\u2026 cette peur douce\u2026 cette excitation\u2026 \u00e9crire, dessiner, se taire, m\u00e2cher\u2026 et le buffet\u2026 cette cath\u00e9drale\u2026 le tiroir qui grince\u2026 les doigts qui fouillent\u2026 les lettres nou\u00e9es\u2026 les bonbons in\u00e9puisables\u2026 mais le pas\u2026 toujours le pas\u2026 il approche\u2026 il faut dispara\u00eetre\u2026 le lit\u2026 enfin \u00e0 moi\u2026 ce tiroir-monde\u2026 des ailes\u2026 des mouches\u2026 une chambre vivante\u2026 puis\u2026 on l\u2019enl\u00e8ve\u2026 d\u2019un geste\u2026 le monde s\u2019\u00e9teint\u2026 la bo\u00eete\u2026 elle revient\u2026 toujours elle\u2026 ferm\u00e9e\u2026 puis ouverte\u2026 les tubes\u2026 la promesse\u2026 jamais tenus\u2026 puis referm\u00e9e\u2026 comme un livre de morts\u2026 c\u2019est \u00e7a\u2026 c\u2019est \u00e7a : ouvrir, toucher, \u00eatre l\u00e0\u2026 puis refermer\u2026 toujours refermer\u2026 mais un peu moins seul\u2026 **note de travail** Il \u00e9gr\u00e8ne les lieux de l\u2019enfance comme des chapelles de m\u00e9moire. Chacun est associ\u00e9 \u00e0 un contenant : la case, la biblioth\u00e8que, le buffet, le tiroir, la bo\u00eete. C\u2019est une g\u00e9ographie du secret. Ce n\u2019est pas l\u2019objet qui importe, mais le geste : ouvrir, plonger, d\u00e9couvrir, refermer. Il y a dans ces r\u00e9cits quelque chose du rite : \u00e9crire, voler, lire, exp\u00e9rimenter, transgresser. Ce sont les premi\u00e8res libert\u00e9s prises, les premiers mondes \u00e0 soi. Chaque objet contient du possible \u2014 et sa perte. La bo\u00eete de couleurs incarne cela au plus haut : promesse jamais tenue, beaut\u00e9 pr\u00e9serv\u00e9e, deuil diff\u00e9r\u00e9. Le texte se construit sur le motif du retour emp\u00each\u00e9. On ne retrouve pas la bo\u00eete. On ne retrouve pas la case. Mais on les rejoue, plus tard, dans l\u2019\u00e9criture. L\u2019acte d\u2019\u00e9crire est ici un geste de r\u00e9ouverture. Il parle aussi de transmission manqu\u00e9e. Ce p\u00e8re qui ouvre, puis s\u2019\u00e9clipse. Cette m\u00e8re qui reprend, puis abandonne. Et lui, \u00e0 la fin, qui conserve, mais n\u2019ose pas utiliser. Il y a l\u00e0 une fid\u00e9lit\u00e9 \u00e9trange : ne pas briser l\u2019objet pour honorer ce qu\u2019il contient. Je lis dans ce texte une tentative douce de tenir ensemble l\u2019absence et la pr\u00e9sence. Comme si les fant\u00f4mes n\u2019\u00e9taient supportables qu\u2019en les rangeant bien. Et je me demande : quand il ouvre cette bo\u00eete, qui regarde-t-il vraiment ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ancienne-boite-de-peintre-artiste-deco-valisette-nomade.webp?1748065086", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-octobre-2023.html", "title": "29 octobre 2023", "date_published": "2023-10-29T16:23:00Z", "date_modified": "2025-09-18T15:43:12Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Se souvenir. Vouloir se souvenir. Rem\u00e9morer. C\u2019est parfois comme s\u2019enduire de goudron et de plumes. Me reviennent des odeurs — cuisson, falafels, sauce blanche aux \u00e9pices, cardamome, aneth, romarin. O\u00f9 \u00e9tait-ce ? Ce petit restaurant, tenu par cette femme \u00e9l\u00e9gante, juive, stricte. Elle m\u2019avait embauch\u00e9 pour quelques semaines. Mon premier job intra-muros, \u00e0 deux pas de chez moi. Rue de Turenne ? Rue du Temple ? Roi de Sicile ? Ou peut-\u00eatre de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, vers Saint-Paul.<\/p>\n

Ce souvenir est \u00e0 la fois rugueux et tendre. Comme un falafel : croquant dehors, moelleux dedans. La dame ne tol\u00e9rait ni erreur, ni retard, ni laisser-aller. Par elle, j\u2019ai entrevu une aust\u00e9rit\u00e9 nouvelle, une \u00e9conomie rigide, presque sacr\u00e9e. Des runes, des glyphes, grav\u00e9s directement sur mes os. Une initiation. Moi qui me croyais banalement goye.<\/p>\n

Un peu plus tard, je chante dans la rue. Je rencontre R. Il me corrige sur une phrase de la “Ballade des Places de Paris”. On devient amis. Lui, pr\u00e8s de 70. Moi, 18. Il parle des juifs comme on \u00e9voque une loge obscure, avec cette hargne d\u00e9guis\u00e9e en lucidit\u00e9. Ambivalence des souvenirs, des \u00e9motions. Ces id\u00e9es qu\u2019on attrape pour meubler les vides, pour ne pas \u00eatre seul, ou juste pour avoir quelque chose \u00e0 dire en buvant du vin trop rouge. Entre haine et admiration. Et soudain, ces poitrines de poulet qui cr\u00e9pitent dans une po\u00eale minable, cambuse \u00e9troite, piano \u00e9br\u00e9ch\u00e9. On les retourne, deux minutes, on dresse, on sert.<\/p>\n

La peur de l\u2019\u00e9trange, le d\u00e9sir de l\u2019\u00e9trange. Le quant-\u00e0-soi comme un enclos. Et le loup frappe aux tempes — Boche, Rouge, Bolch\u00e9vique.<\/p>\n

Je suis moiti\u00e9 fils d\u2019\u00e9trang\u00e8re. Ce malaise ne dispara\u00eet jamais. Une faille dans l\u2019identit\u00e9, venue de loin. De la Baltique. Des ghettos. Prague, Varsovie. Je n\u2019en parle \u00e0 personne. M\u00eame pas \u00e0 ma m\u00e8re, qui voulait tant \u00eatre fran\u00e7aise. Ce n\u2019est que vers la soixantaine, apr\u00e8s les deuils, qu\u2019elle se fissure. Assise dans son salon, cigarettes blondes, Drucker, le dimanche, le gras des habitudes, le petit caf\u00e9 de 15h qui ne r\u00e9veille plus.<\/p>\n

Les ponts ne se construisent qu\u2019avec le temps. Avant, une idiotie salutaire nous en emp\u00eache. Il faut vivre. Deux femmes. Deux figures. Deux juives, \u00e9l\u00e9gantes, raides. Ma grand-m\u00e8re estonienne. Cette restauratrice. Toutes deux comptaient. Les tranches de pain, les souvenirs.<\/p>\n

On en finit avec la r\u00e9pulsion. On ne veut plus qu\u2019une chose : l\u2019\u00e9lan. L\u2019accueil. La compassion. L\u2019ouverture.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que la v\u00e9ritable admiration, c\u2019est de l\u2019amour purg\u00e9 de toute jalousie, de toute b\u00eatise, de tout pouvoir. Ne garder que le d\u00e9sir. Et entrer, comme l\u2019entomologiste, dans la b\u00e9atitude de la d\u00e9couverte.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 cette odeur, l\u00e0\u2026 oui\u2026 cardamome\u2026 aneth\u2026 une \u00e9chapp\u00e9e\u2026 mais \u00e7a se brouille\u2026 \u00e7a glisse\u2026 pas s\u00fbr\u2026 Turenne ? Temple ? rien ne tient\u2026<\/p>\n

cette femme\u2026 droite\u2026 dure\u2026 juste ce qu\u2019il fallait\u2026 trop peut-\u00eatre\u2026 mais pourquoi y penser encore ?\u2026 tatou\u00e9, oui\u2026 en dedans\u2026 quelque chose s\u2019est inscrit\u2026<\/p>\n

et puis\u2026 R\u2026 l\u2019amiti\u00e9 ?\u2026 ou une illusion ?\u2026 il parlait\u2026 il r\u00e2lait\u2026 mais on \u00e9tait l\u00e0\u2026 ensemble\u2026 pas seuls\u2026 \u00e7a suffisait\u2026 presque\u2026<\/p>\n

le poulet\u2026 le cr\u00e9pitement\u2026 \u00e7a revient comme une sc\u00e8ne\u2026 mais c\u2019est flou\u2026 tout est flou sauf la chaleur, le bruit, la po\u00eale\u2026<\/p>\n

la peur\u2026 toujours elle\u2026 \u00e9trang\u00e8re\u2026 moiti\u00e9\u2026 comme un mot qu\u2019on ne dit pas\u2026 qu\u2019on \u00e9vite\u2026 qu\u2019on cache\u2026 m\u00eame \u00e0 maman\u2026<\/p>\n

et elle\u2026 maintenant\u2026 Drucker, le caf\u00e9, les blondes\u2026 elle n\u2019est plus l\u00e0\u2026 ou plus tout \u00e0 fait\u2026 elle flotte\u2026<\/p>\n

deux femmes\u2026 deux lignes\u2026 deux silences\u2026 admiration\u2026 et cette envie d\u2019\u00eatre pur\u2026 d\u00e9barrass\u00e9\u2026 libre enfin d\u2019aimer sans vouloir\u2026 juste \u00eatre l\u00e0\u2026 regarder\u2026 d\u00e9couvrir\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte est travers\u00e9 par une blessure d\u2019h\u00e9ritage. Une m\u00e9moire \u00e9trang\u00e8re — \u00e0 demi assum\u00e9e, \u00e0 demi transmise — et une tentation constante de la combler, de la comprendre. Il \u00e9voque une figure de femme aust\u00e8re, presque sacr\u00e9e, d\u00e9positaire d\u2019un savoir rude, cod\u00e9, qui semble initier l\u2019auteur \u00e0 une forme de gravit\u00e9 ancienne.<\/p>\n

Et puis l\u2019ami plus \u00e2g\u00e9, R., vecteur d\u2019une parole trouble, m\u00e9fiante, mais qui offrait un cadre. Le cadre, parfois, suffit. M\u00eame si les sentiments qu\u2019il suscite sont ambigus.<\/p>\n

Il y a dans cette m\u00e9moire une affinit\u00e9 profonde avec l\u2019ambivalence. Tout ce qui est aim\u00e9 est aussi redout\u00e9. Toute \u00e9tranget\u00e9 est d\u00e9sir\u00e9e et rejet\u00e9e. Le souvenir fonctionne comme une boucle, o\u00f9 l\u2019on revient toujours au go\u00fbt — aux \u00e9pices, \u00e0 la voix de la m\u00e8re, \u00e0 la minceur d\u2019un poulet qu\u2019on retourne.<\/p>\n

Il parle aussi de la m\u00e8re. De la vraie. De la t\u00e9l\u00e9vision. De la nostalgie qui ne console plus. Une m\u00e8re devenue spectatrice de sa propre vie, aval\u00e9e par le confort. Le confort comme d\u00e9pression douce.<\/p>\n

Et enfin, cette id\u00e9e magnifique : la v\u00e9ritable admiration serait un amour d\u00e9barrass\u00e9 de toute volont\u00e9 de possession. Un amour scientifique, presque. L\u2019entomologiste, oui — comme image du sujet d\u00e9sirant qui ne veut plus rien poss\u00e9der, seulement regarder, comprendre.<\/p>\n

Ce texte est, au fond, une \u00e9pure de cela : apprendre \u00e0 aimer sans peur.<\/p>", "content_text": " Se souvenir. Vouloir se souvenir. Rem\u00e9morer. C\u2019est parfois comme s\u2019enduire de goudron et de plumes. Me reviennent des odeurs \u2014 cuisson, falafels, sauce blanche aux \u00e9pices, cardamome, aneth, romarin. O\u00f9 \u00e9tait-ce ? Ce petit restaurant, tenu par cette femme \u00e9l\u00e9gante, juive, stricte. Elle m\u2019avait embauch\u00e9 pour quelques semaines. Mon premier job intra-muros, \u00e0 deux pas de chez moi. Rue de Turenne ? Rue du Temple ? Roi de Sicile ? Ou peut-\u00eatre de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, vers Saint-Paul. Ce souvenir est \u00e0 la fois rugueux et tendre. Comme un falafel : croquant dehors, moelleux dedans. La dame ne tol\u00e9rait ni erreur, ni retard, ni laisser-aller. Par elle, j\u2019ai entrevu une aust\u00e9rit\u00e9 nouvelle, une \u00e9conomie rigide, presque sacr\u00e9e. Des runes, des glyphes, grav\u00e9s directement sur mes os. Une initiation. Moi qui me croyais banalement goye. Un peu plus tard, je chante dans la rue. Je rencontre R. Il me corrige sur une phrase de la \u201cBallade des Places de Paris\u201d. On devient amis. Lui, pr\u00e8s de 70. Moi, 18. Il parle des juifs comme on \u00e9voque une loge obscure, avec cette hargne d\u00e9guis\u00e9e en lucidit\u00e9. Ambivalence des souvenirs, des \u00e9motions. Ces id\u00e9es qu\u2019on attrape pour meubler les vides, pour ne pas \u00eatre seul, ou juste pour avoir quelque chose \u00e0 dire en buvant du vin trop rouge. Entre haine et admiration. Et soudain, ces poitrines de poulet qui cr\u00e9pitent dans une po\u00eale minable, cambuse \u00e9troite, piano \u00e9br\u00e9ch\u00e9. On les retourne, deux minutes, on dresse, on sert. La peur de l\u2019\u00e9trange, le d\u00e9sir de l\u2019\u00e9trange. Le quant-\u00e0-soi comme un enclos. Et le loup frappe aux tempes \u2014 Boche, Rouge, Bolch\u00e9vique. Je suis moiti\u00e9 fils d\u2019\u00e9trang\u00e8re. Ce malaise ne dispara\u00eet jamais. Une faille dans l\u2019identit\u00e9, venue de loin. De la Baltique. Des ghettos. Prague, Varsovie. Je n\u2019en parle \u00e0 personne. M\u00eame pas \u00e0 ma m\u00e8re, qui voulait tant \u00eatre fran\u00e7aise. Ce n\u2019est que vers la soixantaine, apr\u00e8s les deuils, qu\u2019elle se fissure. Assise dans son salon, cigarettes blondes, Drucker, le dimanche, le gras des habitudes, le petit caf\u00e9 de 15h qui ne r\u00e9veille plus. Les ponts ne se construisent qu\u2019avec le temps. Avant, une idiotie salutaire nous en emp\u00eache. Il faut vivre. Deux femmes. Deux figures. Deux juives, \u00e9l\u00e9gantes, raides. Ma grand-m\u00e8re estonienne. Cette restauratrice. Toutes deux comptaient. Les tranches de pain, les souvenirs. On en finit avec la r\u00e9pulsion. On ne veut plus qu\u2019une chose : l\u2019\u00e9lan. L\u2019accueil. La compassion. L\u2019ouverture. Peut-\u00eatre que la v\u00e9ritable admiration, c\u2019est de l\u2019amour purg\u00e9 de toute jalousie, de toute b\u00eatise, de tout pouvoir. Ne garder que le d\u00e9sir. Et entrer, comme l\u2019entomologiste, dans la b\u00e9atitude de la d\u00e9couverte. **sous-conversation** \u2026 cette odeur, l\u00e0\u2026 oui\u2026 cardamome\u2026 aneth\u2026 une \u00e9chapp\u00e9e\u2026 mais \u00e7a se brouille\u2026 \u00e7a glisse\u2026 pas s\u00fbr\u2026 Turenne ? Temple ? rien ne tient\u2026 cette femme\u2026 droite\u2026 dure\u2026 juste ce qu\u2019il fallait\u2026 trop peut-\u00eatre\u2026 mais pourquoi y penser encore ?\u2026 tatou\u00e9, oui\u2026 en dedans\u2026 quelque chose s\u2019est inscrit\u2026 et puis\u2026 R\u2026 l\u2019amiti\u00e9 ?\u2026 ou une illusion ?\u2026 il parlait\u2026 il r\u00e2lait\u2026 mais on \u00e9tait l\u00e0\u2026 ensemble\u2026 pas seuls\u2026 \u00e7a suffisait\u2026 presque\u2026 le poulet\u2026 le cr\u00e9pitement\u2026 \u00e7a revient comme une sc\u00e8ne\u2026 mais c\u2019est flou\u2026 tout est flou sauf la chaleur, le bruit, la po\u00eale\u2026 la peur\u2026 toujours elle\u2026 \u00e9trang\u00e8re\u2026 moiti\u00e9\u2026 comme un mot qu\u2019on ne dit pas\u2026 qu\u2019on \u00e9vite\u2026 qu\u2019on cache\u2026 m\u00eame \u00e0 maman\u2026 et elle\u2026 maintenant\u2026 Drucker, le caf\u00e9, les blondes\u2026 elle n\u2019est plus l\u00e0\u2026 ou plus tout \u00e0 fait\u2026 elle flotte\u2026 deux femmes\u2026 deux lignes\u2026 deux silences\u2026 admiration\u2026 et cette envie d\u2019\u00eatre pur\u2026 d\u00e9barrass\u00e9\u2026 libre enfin d\u2019aimer sans vouloir\u2026 juste \u00eatre l\u00e0\u2026 regarder\u2026 d\u00e9couvrir\u2026 **note de travail** Ce texte est travers\u00e9 par une blessure d\u2019h\u00e9ritage. Une m\u00e9moire \u00e9trang\u00e8re \u2014 \u00e0 demi assum\u00e9e, \u00e0 demi transmise \u2014 et une tentation constante de la combler, de la comprendre. Il \u00e9voque une figure de femme aust\u00e8re, presque sacr\u00e9e, d\u00e9positaire d\u2019un savoir rude, cod\u00e9, qui semble initier l\u2019auteur \u00e0 une forme de gravit\u00e9 ancienne. Et puis l\u2019ami plus \u00e2g\u00e9, R., vecteur d\u2019une parole trouble, m\u00e9fiante, mais qui offrait un cadre. Le cadre, parfois, suffit. M\u00eame si les sentiments qu\u2019il suscite sont ambigus. Il y a dans cette m\u00e9moire une affinit\u00e9 profonde avec l\u2019ambivalence. Tout ce qui est aim\u00e9 est aussi redout\u00e9. Toute \u00e9tranget\u00e9 est d\u00e9sir\u00e9e et rejet\u00e9e. Le souvenir fonctionne comme une boucle, o\u00f9 l\u2019on revient toujours au go\u00fbt \u2014 aux \u00e9pices, \u00e0 la voix de la m\u00e8re, \u00e0 la minceur d\u2019un poulet qu\u2019on retourne. Il parle aussi de la m\u00e8re. De la vraie. De la t\u00e9l\u00e9vision. De la nostalgie qui ne console plus. Une m\u00e8re devenue spectatrice de sa propre vie, aval\u00e9e par le confort. Le confort comme d\u00e9pression douce. Et enfin, cette id\u00e9e magnifique : la v\u00e9ritable admiration serait un amour d\u00e9barrass\u00e9 de toute volont\u00e9 de possession. Un amour scientifique, presque. L\u2019entomologiste, oui \u2014 comme image du sujet d\u00e9sirant qui ne veut plus rien poss\u00e9der, seulement regarder, comprendre. Ce texte est, au fond, une \u00e9pure de cela : apprendre \u00e0 aimer sans peur. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Peut-\u00eatre ai-je, \u00e0 force, apprivois\u00e9 l\u2019infortune. \u00c0 force de petits drames, \u00e0 force de trag\u00e9dies grandiloquentes — dig\u00e9r\u00e9es, ressass\u00e9es — je ne suis plus saisi d\u2019effroi \u00e0 l\u2019apparition des nouvelles. Elles n\u2019ont plus ce go\u00fbt de neuf.<\/p>\n

Le sang-froid remplace d\u00e9sormais les sursauts. On renonce vite aux cris, aux vieux tics \u00e9motionnels. \u00c0 la place : un relev\u00e9 des forces en pr\u00e9sence, une cartographie silencieuse des configurations.<\/p>\n

La tristesse, pourtant, trouve toujours un chemin. Elle revient, escort\u00e9e de la mis\u00e8re du monde, et d\u2019un sourire las — celui qu\u2019on r\u00e9serve \u00e0 notre propre oubli.<\/p>\n

C\u2019est au c\u0153ur de l\u2019urgence que les moyens affleurent. Une seconde peau, plus fine, plus vraie peut-\u00eatre. Les \u00e9cailles tombent, l\u2019acuit\u00e9 revient, on voit. Pas de solution, non — une issue. Les r\u00e9flexes prennent la place des rituels, le tranchant remplace la mollesse. Cette vie dite confortable n\u2019\u00e9tait qu\u2019un autre nom pour la m\u00e9diocrit\u00e9.<\/p>\n

Dans l\u2019indigence comme dans le p\u00e9ril, on d\u00e9couvre un inconnu : soi.<\/p>\n

Il aura fallu enfiler des perles de l\u00e2chet\u00e9, composer mille colliers de chien galeux, aller jusqu\u2019au fond des remords pour, un jour, s\u2019en lasser. Refuser ce golem qu\u2019on portait \u00e0 bout de honte.<\/p>\n

Traverser tout cela. Lentement. Ou peut-\u00eatre d\u2019un claquement de doigts — comme un appel \u00e0 l\u2019ordre, une injonction \u00e0 la d\u00e9cence, venue de l\u2019actualit\u00e9.<\/p>\n

Je ne crois pas qu\u2019on change. Mais on comprend mieux. Les fautes, les hontes, leurs racines. Puis le calme. Puis l\u2019ennui. Peu de choses r\u00e9sistent \u00e0 l\u2019\u00e9preuve du temps. Moins encore \u00e0 celle du souvenir.<\/p>\n

On relit Cioran. Et c\u2019est nous qu\u2019on lit, sans l\u2019ironie. Il ne faut pas craindre de relire les livres qu\u2019on a ador\u00e9s jeune homme : ils \u00e9taient des costumes, trop petits, trop vastes. L\u2019id\u00e9e, c\u2019est de devenir son propre tailleur. Et de retrousser les manches.<\/p>\n

Passer de l\u2019\u00e9vidence d\u2019\u00eatre un cr\u00e9tin \u00e0 celle d\u2019\u00eatre un myst\u00e8re — voil\u00e0 qui cloue le bec.<\/p>\n

La peinture offre parfois cette clairvoyance accidentelle. Une nettet\u00e9 surgie du hasard. L\u2019\u00e9criture, elle, ne l\u2019offre qu\u2019\u00e0 force de temps. Les deux images — celle qu\u2019on cherche et celle qu\u2019on porte — s\u2019\u00e9loignent, se croisent. C\u2019est dans leur \u00e9cart que loge le plus grand danger : confondre une nettet\u00e9 avec une v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 plus peur\u2026 non\u2026 plus vraiment\u2026 on croit que c\u2019est nouveau, mais non\u2026 toujours la m\u00eame histoire\u2026 drames recycl\u00e9s\u2026 trag\u00e9dies \u00e0 peine repeintes\u2026<\/p>\n

calme\u2026 pas de cris\u2026 plus besoin\u2026 on fait le plan, les forces, les lignes\u2026 comme une bataille\u2026 pas d\u2019\u00e9motion, juste\u2026 cartes\u2026 gestes pr\u00e9cis\u2026<\/p>\n

et puis\u2026 le petit choc\u2026 le pincement\u2026 mince, j\u2019avais oubli\u00e9\u2026 encore cette foutue mis\u00e8re du monde\u2026 mais c\u2019est revenu\u2026 avec ce sourire, tu sais\u2026 ce sourire qui sait\u2026<\/p>\n

l\u2019urgence\u2026 bizarrement\u2026 je suis bon dans l\u2019urgence\u2026 c\u2019est l\u00e0 que \u00e7a devient net\u2026 limpide\u2026 j\u2019y vois clair\u2026 presque trop\u2026 tout se redresse\u2026 tout se nettoie\u2026<\/p>\n

on traverse\u2026 on s\u2019\u00e9pluche\u2026 on voit ce qu\u2019il reste\u2026 pas grand-chose\u2026 mais \u00e7a tient debout\u2026 et c\u2019est moi\u2026<\/p>\n

les fautes, les hontes, le golem\u2026 stop\u2026 assez\u2026 on n\u2019en veut plus\u2026 plus de \u00e7a\u2026 plus de cette version de moi-m\u00eame\u2026 elle pue la vase\u2026<\/p>\n

le temps\u2026 qu\u2019est-ce que c\u2019est le temps ? une claque ou un claquement\u2026 une retenue\u2026 et moi, je retiens quoi ?<\/p>\n

et relire Cioran\u2026 comme se revoir nu\u2026 l\u2019id\u00e9al d\u2019avant\u2026 trop petit, trop large\u2026 ridicule\u2026 mais touchant\u2026 un peu\u2026<\/p>\n

tailleur sur soi\u2026 oui\u2026 soi comme costume\u2026 et l\u00e0, \u00e7a coupe\u2026 net\u2026 je me vois\u2026 je m\u2019\u00e9chappe\u2026<\/p>\n

vision\u2026 image floue\u2026 image nette\u2026 floue\u2026 nette\u2026 danger\u2026 v\u00e9rit\u00e9 ?<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Aujourd\u2019hui, il m\u2019a parl\u00e9 de la r\u00e9p\u00e9tition. Pas celle des n\u00e9vroses, non. Celle du d\u00e9sastre — doux, familier — int\u00e9gr\u00e9 au point de ne plus effrayer. L\u2019infortune devient un muscle, dit-il. Un cuir. Peut-\u00eatre m\u00eame une armure.<\/p>\n

Il n\u2019y a plus de gesticulation, plus de plainte. \u00c0 la place, une sorte de topographie interne : o\u00f9 sont les forces ? D\u2019o\u00f9 vient la menace ? Que reste-t-il de moi ?<\/p>\n

Il m\u2019a parl\u00e9 de l\u2019urgence comme d\u2019une v\u00e9rit\u00e9. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il devient lui, dit-il. L\u00e0 qu\u2019il voit, qu\u2019il sait. Pas la solution, non — l\u2019issue. J\u2019ai not\u00e9 \u00e7a : il ne cherche pas \u00e0 sauver, mais \u00e0 sortir.<\/p>\n

Il \u00e9voque la m\u00e9diocrit\u00e9 du confort, le charme insidieux des petites routines. Il sait que ce confort-l\u00e0, c\u2019est une anesth\u00e9sie. Ce qui le secoue, au fond, ce n\u2019est pas tant le chaos, c\u2019est de se retrouver.<\/p>\n

Et cette phrase : « un collier de chien galeux »\u2026 elle m\u2019a boulevers\u00e9. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 ces identit\u00e9s qu\u2019on tra\u00eene comme des cha\u00eenes. \u00c0 ces soi qu\u2019on subit. Il parle d\u2019en sortir. De ne plus vouloir s\u2019avoir soi-m\u00eame ainsi.<\/p>\n

Il ne croit pas qu\u2019on change. Il pense qu\u2019on s\u2019explique mieux. C\u2019est un positionnement rare, et juste.<\/p>\n

Il m\u2019a parl\u00e9 de Cioran, de relectures, de vestes trop grandes. Et de cette autre image : soi-m\u00eame comme tailleur. Cela m\u2019a sembl\u00e9 magnifique. Une forme de r\u00e9conciliation active avec son propre corps, ses propres mesures.<\/p>\n

Enfin, il a parl\u00e9 de nettet\u00e9. Une obsession de nettet\u00e9. Et du danger de la confondre avec la v\u00e9rit\u00e9. Je crois qu\u2019il touche l\u00e0 quelque chose de fondamental : le besoin de voir clair, m\u00eame si ce qu\u2019on voit n\u2019est pas la r\u00e9alit\u00e9. Juste une image\u2026 habitable.<\/p>\n

Il n\u2019a pas peur de se regarder, et cela, d\u00e9j\u00e0, le rend terriblement vivant.<\/p>", "content_text": " Peut-\u00eatre ai-je, \u00e0 force, apprivois\u00e9 l\u2019infortune. \u00c0 force de petits drames, \u00e0 force de trag\u00e9dies grandiloquentes \u2014 dig\u00e9r\u00e9es, ressass\u00e9es \u2014 je ne suis plus saisi d\u2019effroi \u00e0 l\u2019apparition des nouvelles. Elles n\u2019ont plus ce go\u00fbt de neuf. Le sang-froid remplace d\u00e9sormais les sursauts. On renonce vite aux cris, aux vieux tics \u00e9motionnels. \u00c0 la place : un relev\u00e9 des forces en pr\u00e9sence, une cartographie silencieuse des configurations. La tristesse, pourtant, trouve toujours un chemin. Elle revient, escort\u00e9e de la mis\u00e8re du monde, et d\u2019un sourire las \u2014 celui qu\u2019on r\u00e9serve \u00e0 notre propre oubli. C\u2019est au c\u0153ur de l\u2019urgence que les moyens affleurent. Une seconde peau, plus fine, plus vraie peut-\u00eatre. Les \u00e9cailles tombent, l\u2019acuit\u00e9 revient, on voit. Pas de solution, non \u2014 une issue. Les r\u00e9flexes prennent la place des rituels, le tranchant remplace la mollesse. Cette vie dite confortable n\u2019\u00e9tait qu\u2019un autre nom pour la m\u00e9diocrit\u00e9. Dans l\u2019indigence comme dans le p\u00e9ril, on d\u00e9couvre un inconnu : soi. Il aura fallu enfiler des perles de l\u00e2chet\u00e9, composer mille colliers de chien galeux, aller jusqu\u2019au fond des remords pour, un jour, s\u2019en lasser. Refuser ce golem qu\u2019on portait \u00e0 bout de honte. Traverser tout cela. Lentement. Ou peut-\u00eatre d\u2019un claquement de doigts \u2014 comme un appel \u00e0 l\u2019ordre, une injonction \u00e0 la d\u00e9cence, venue de l\u2019actualit\u00e9. Je ne crois pas qu\u2019on change. Mais on comprend mieux. Les fautes, les hontes, leurs racines. Puis le calme. Puis l\u2019ennui. Peu de choses r\u00e9sistent \u00e0 l\u2019\u00e9preuve du temps. Moins encore \u00e0 celle du souvenir. On relit Cioran. Et c\u2019est nous qu\u2019on lit, sans l\u2019ironie. Il ne faut pas craindre de relire les livres qu\u2019on a ador\u00e9s jeune homme : ils \u00e9taient des costumes, trop petits, trop vastes. L\u2019id\u00e9e, c\u2019est de devenir son propre tailleur. Et de retrousser les manches. Passer de l\u2019\u00e9vidence d\u2019\u00eatre un cr\u00e9tin \u00e0 celle d\u2019\u00eatre un myst\u00e8re \u2014 voil\u00e0 qui cloue le bec. La peinture offre parfois cette clairvoyance accidentelle. Une nettet\u00e9 surgie du hasard. L\u2019\u00e9criture, elle, ne l\u2019offre qu\u2019\u00e0 force de temps. Les deux images \u2014 celle qu\u2019on cherche et celle qu\u2019on porte \u2014 s\u2019\u00e9loignent, se croisent. C\u2019est dans leur \u00e9cart que loge le plus grand danger : confondre une nettet\u00e9 avec une v\u00e9rit\u00e9. **sous-conversation** \u2026 plus peur\u2026 non\u2026 plus vraiment\u2026 on croit que c\u2019est nouveau, mais non\u2026 toujours la m\u00eame histoire\u2026 drames recycl\u00e9s\u2026 trag\u00e9dies \u00e0 peine repeintes\u2026 calme\u2026 pas de cris\u2026 plus besoin\u2026 on fait le plan, les forces, les lignes\u2026 comme une bataille\u2026 pas d\u2019\u00e9motion, juste\u2026 cartes\u2026 gestes pr\u00e9cis\u2026 et puis\u2026 le petit choc\u2026 le pincement\u2026 mince, j\u2019avais oubli\u00e9\u2026 encore cette foutue mis\u00e8re du monde\u2026 mais c\u2019est revenu\u2026 avec ce sourire, tu sais\u2026 ce sourire qui sait\u2026 l\u2019urgence\u2026 bizarrement\u2026 je suis bon dans l\u2019urgence\u2026 c\u2019est l\u00e0 que \u00e7a devient net\u2026 limpide\u2026 j\u2019y vois clair\u2026 presque trop\u2026 tout se redresse\u2026 tout se nettoie\u2026 on traverse\u2026 on s\u2019\u00e9pluche\u2026 on voit ce qu\u2019il reste\u2026 pas grand-chose\u2026 mais \u00e7a tient debout\u2026 et c\u2019est moi\u2026 les fautes, les hontes, le golem\u2026 stop\u2026 assez\u2026 on n\u2019en veut plus\u2026 plus de \u00e7a\u2026 plus de cette version de moi-m\u00eame\u2026 elle pue la vase\u2026 le temps\u2026 qu\u2019est-ce que c\u2019est le temps ? une claque ou un claquement\u2026 une retenue\u2026 et moi, je retiens quoi ? et relire Cioran\u2026 comme se revoir nu\u2026 l\u2019id\u00e9al d\u2019avant\u2026 trop petit, trop large\u2026 ridicule\u2026 mais touchant\u2026 un peu\u2026 tailleur sur soi\u2026 oui\u2026 soi comme costume\u2026 et l\u00e0, \u00e7a coupe\u2026 net\u2026 je me vois\u2026 je m\u2019\u00e9chappe\u2026 vision\u2026 image floue\u2026 image nette\u2026 floue\u2026 nette\u2026 danger\u2026 v\u00e9rit\u00e9 ? **note de travail** Aujourd\u2019hui, il m\u2019a parl\u00e9 de la r\u00e9p\u00e9tition. Pas celle des n\u00e9vroses, non. Celle du d\u00e9sastre \u2014 doux, familier \u2014 int\u00e9gr\u00e9 au point de ne plus effrayer. L\u2019infortune devient un muscle, dit-il. Un cuir. Peut-\u00eatre m\u00eame une armure. Il n\u2019y a plus de gesticulation, plus de plainte. \u00c0 la place, une sorte de topographie interne : o\u00f9 sont les forces ? D\u2019o\u00f9 vient la menace ? Que reste-t-il de moi ? Il m\u2019a parl\u00e9 de l\u2019urgence comme d\u2019une v\u00e9rit\u00e9. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il devient lui, dit-il. L\u00e0 qu\u2019il voit, qu\u2019il sait. Pas la solution, non \u2014 l\u2019issue. J\u2019ai not\u00e9 \u00e7a : il ne cherche pas \u00e0 sauver, mais \u00e0 sortir. Il \u00e9voque la m\u00e9diocrit\u00e9 du confort, le charme insidieux des petites routines. Il sait que ce confort-l\u00e0, c\u2019est une anesth\u00e9sie. Ce qui le secoue, au fond, ce n\u2019est pas tant le chaos, c\u2019est de se retrouver. Et cette phrase : \u00ab un collier de chien galeux \u00bb\u2026 elle m\u2019a boulevers\u00e9. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 ces identit\u00e9s qu\u2019on tra\u00eene comme des cha\u00eenes. \u00c0 ces soi qu\u2019on subit. Il parle d\u2019en sortir. De ne plus vouloir s\u2019avoir soi-m\u00eame ainsi. Il ne croit pas qu\u2019on change. Il pense qu\u2019on s\u2019explique mieux. C\u2019est un positionnement rare, et juste. Il m\u2019a parl\u00e9 de Cioran, de relectures, de vestes trop grandes. Et de cette autre image : soi-m\u00eame comme tailleur. Cela m\u2019a sembl\u00e9 magnifique. Une forme de r\u00e9conciliation active avec son propre corps, ses propres mesures. Enfin, il a parl\u00e9 de nettet\u00e9. Une obsession de nettet\u00e9. Et du danger de la confondre avec la v\u00e9rit\u00e9. Je crois qu\u2019il touche l\u00e0 quelque chose de fondamental : le besoin de voir clair, m\u00eame si ce qu\u2019on voit n\u2019est pas la r\u00e9alit\u00e9. Juste une image\u2026 habitable. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Catastrophes en rafale. J\u2019admire mes liasses de comptes quand la sonnette gr\u00e9sille : un huissier, bien s\u00fbr. Nouvelle contrainte. Je l\u2019invite dans la chambre biblioth\u00e8que — les plombiers s\u2019activent dans la cuisine, inutile qu\u2019ils entendent. Montant de la surprise : 22 000 euros. Coup sous le menton. Je ne bronche pas. Il pleut, son p\u00e9pin repose sur le seuil. Je reste aimable. Un calme \u00e9trange descend avec la pluie. Presque un soulagement.<\/p>\n

D\u2019un coup, \u00e7a se d\u00e9bloque. Une inertie de plusieurs mois s\u2019\u00e9vapore. J\u2019assure mon cours du jeudi. Deux \u00e9l\u00e8ves seulement. Les autres sont en convalescence, en vacances, ou au Nicaragua.<\/p>\n

L\u2019apr\u00e8s-midi, s\u00e9rie de coups de fil. Toujours aimable. De l\u2019huissier \u00e0 l\u2019Urssaf, ne tombent que des voix douces, presque tendres. Tout ce sucre vocal me rappelle le dentiste. On vous arrache deux dents gentiment, et vous sortez ravi, comme apr\u00e8s l\u2019amour. Sauf d\u00e9pression chronique, \u00e9videmment.<\/p>\n

Il pleut sans discontinuer, et \u00e7a durera tout le week-end. J\u2019ai envie de cosy : trier les papiers, ranger le bureau, r\u00e9pondre aux mails. Toucher les tranches des livres.<\/p>\n

L’acc\u00e9l\u00e9ration des emmerdements a quelque chose de comique. Si j\u2019\u00e9tais superstitieux, je parlerais de mauvais \u0153il. Mais non. Le calme est l\u00e0. Endurer, traverser. Sinon quoi ?<\/p>\n

Et puis je connais ces phases. Elles reviennent. L\u2019exp\u00e9rience enseigne : les imp\u00f4ts durent plus longtemps que les amours ou les ann\u00e9es. Il faut faire ce qu\u2019on peut. Et bien.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que la vraie lumi\u00e8re ne se voit que du fond du puits.<\/p>\n

Hier, S. disait qu\u2019on irait voir J. ce soir. Elle est malade. Elle renonce. Je tends le tube de doliprane 1000.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 encore lui\u2026 encore une fois\u2026 sonner\u2026 frapper\u2026 entrer\u2026 vingt-deux mille\u2026 comme une gifle douce\u2026 et pourtant, \u00e7a passe\u2026 pas de cri\u2026 pas de col\u00e8re\u2026 juste ce calme\u2026 c\u2019est bizarre ce calme\u2026 \u00e7a devrait pas\u2026<\/p>\n

et ce sourire\u2026 toujours ce sourire\u2026 voix douce\u2026 dentiste, oui\u2026 c\u2019est pareil\u2026 on vous arrache\u2026 et vous dites merci\u2026 presque heureux d\u2019avoir eu mal\u2026<\/p>\n

tout s\u2019effondre mais moi, je range\u2026 je trie\u2026 je touche les livres\u2026 juste \u00e7a\u2026 toucher les livres\u2026 peut-\u00eatre que \u00e7a suffit\u2026<\/p>\n

ah, la pluie\u2026 elle tombe comme un rideau\u2026 elle prot\u00e8ge un peu\u2026 elle donne du sens\u2026 ou l\u2019efface\u2026 j\u2019sais plus\u2026<\/p>\n

on apprend\u2026 \u00e0 durer\u2026 \u00e0 ne pas sombrer\u2026 \u00e0 faire ce qu\u2019il faut\u2026 et m\u00eame \u00e0 sourire\u2026 m\u00eame quand on coule\u2026<\/p>\n

\u00e9claircie\u2026 mais on la voit que d\u2019en bas, hein ?\u2026 d\u2019en haut c\u2019est pas pareil\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce matin-l\u00e0, il m\u2019a parl\u00e9 d\u2019un huissier. Pas vraiment du choc, non. Mais de la sc\u00e8ne. Les plombiers en cuisine. Le clerc dans la biblioth\u00e8que. Il pleut. Et lui, debout au centre. C\u2019est toujours cela qui m\u2019\u00e9tonne chez lui : la conscience aigu\u00eb des d\u00e9tails. L\u2019art de tout voir sans fl\u00e9chir.<\/p>\n

Il y avait de la col\u00e8re. Mais retenue. Mieux encore : transfigur\u00e9e en ironie. Il a parl\u00e9 d\u2019amabilit\u00e9 comme d\u2019un anesth\u00e9siant. Une sc\u00e8ne dentiste. C\u2019est \u00e7a, oui : quelque chose lui est arrach\u00e9, sans cri, sans larme, mais avec cette forme \u00e9trange de joie qu\u2019on ressent parfois au c\u0153ur m\u00eame du d\u00e9sastre.<\/p>\n

Il \u00e9voque le rangement. Toucher les livres. Classer. Ces gestes simples sont des rites d\u2019ancrage. Ils disent : « je suis encore l\u00e0 ».<\/p>\n

La pluie est omnipr\u00e9sente. C\u2019est peut-\u00eatre elle, la v\u00e9ritable protagoniste de cette journ\u00e9e. Elle calme, elle couvre, elle ronge.<\/p>\n

Et puis ce calme. Je crois qu\u2019il ne vient pas du d\u00e9ni. Ni de la r\u00e9signation. Il vient d\u2019une m\u00e9moire. Celle des p\u00e9riodes pass\u00e9es, d\u00e9j\u00e0 affront\u00e9es. Il sait maintenant que \u00e7a passe. Que \u00e7a revient. Que la douleur aussi a son cycle.<\/p>\n

Mais cette phrase, presque chuchot\u00e9e \u00e0 la fin : « Peut-\u00eatre que les v\u00e9ritables \u00e9claircies ne s\u2019aper\u00e7oivent jamais que depuis le fond des gouffres. » — elle m\u2019a fait penser \u00e0 Rilke. Ou \u00e0 la psychanalyse elle-m\u00eame. On n\u2019y voit clair que quand on s\u2019est enfonc\u00e9 assez loin.<\/p>\n

Je l\u2019\u00e9coute, et je me dis : il a compris cela. Et c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a qu\u2019il peut encore tendre le doliprane, sourire, \u00e9crire.<\/p>", "content_text": " Catastrophes en rafale. J\u2019admire mes liasses de comptes quand la sonnette gr\u00e9sille : un huissier, bien s\u00fbr. Nouvelle contrainte. Je l\u2019invite dans la chambre biblioth\u00e8que \u2014 les plombiers s\u2019activent dans la cuisine, inutile qu\u2019ils entendent. Montant de la surprise : 22 000 euros. Coup sous le menton. Je ne bronche pas. Il pleut, son p\u00e9pin repose sur le seuil. Je reste aimable. Un calme \u00e9trange descend avec la pluie. Presque un soulagement. D\u2019un coup, \u00e7a se d\u00e9bloque. Une inertie de plusieurs mois s\u2019\u00e9vapore. J\u2019assure mon cours du jeudi. Deux \u00e9l\u00e8ves seulement. Les autres sont en convalescence, en vacances, ou au Nicaragua. L\u2019apr\u00e8s-midi, s\u00e9rie de coups de fil. Toujours aimable. De l\u2019huissier \u00e0 l\u2019Urssaf, ne tombent que des voix douces, presque tendres. Tout ce sucre vocal me rappelle le dentiste. On vous arrache deux dents gentiment, et vous sortez ravi, comme apr\u00e8s l\u2019amour. Sauf d\u00e9pression chronique, \u00e9videmment. Il pleut sans discontinuer, et \u00e7a durera tout le week-end. J\u2019ai envie de cosy : trier les papiers, ranger le bureau, r\u00e9pondre aux mails. Toucher les tranches des livres. L'acc\u00e9l\u00e9ration des emmerdements a quelque chose de comique. Si j\u2019\u00e9tais superstitieux, je parlerais de mauvais \u0153il. Mais non. Le calme est l\u00e0. Endurer, traverser. Sinon quoi ? Et puis je connais ces phases. Elles reviennent. L\u2019exp\u00e9rience enseigne : les imp\u00f4ts durent plus longtemps que les amours ou les ann\u00e9es. Il faut faire ce qu\u2019on peut. Et bien. Peut-\u00eatre que la vraie lumi\u00e8re ne se voit que du fond du puits. Hier, S. disait qu\u2019on irait voir J. ce soir. Elle est malade. Elle renonce. Je tends le tube de doliprane 1000. **sous-conversation** \u2026 encore lui\u2026 encore une fois\u2026 sonner\u2026 frapper\u2026 entrer\u2026 vingt-deux mille\u2026 comme une gifle douce\u2026 et pourtant, \u00e7a passe\u2026 pas de cri\u2026 pas de col\u00e8re\u2026 juste ce calme\u2026 c\u2019est bizarre ce calme\u2026 \u00e7a devrait pas\u2026 et ce sourire\u2026 toujours ce sourire\u2026 voix douce\u2026 dentiste, oui\u2026 c\u2019est pareil\u2026 on vous arrache\u2026 et vous dites merci\u2026 presque heureux d\u2019avoir eu mal\u2026 tout s\u2019effondre mais moi, je range\u2026 je trie\u2026 je touche les livres\u2026 juste \u00e7a\u2026 toucher les livres\u2026 peut-\u00eatre que \u00e7a suffit\u2026 ah, la pluie\u2026 elle tombe comme un rideau\u2026 elle prot\u00e8ge un peu\u2026 elle donne du sens\u2026 ou l\u2019efface\u2026 j\u2019sais plus\u2026 on apprend\u2026 \u00e0 durer\u2026 \u00e0 ne pas sombrer\u2026 \u00e0 faire ce qu\u2019il faut\u2026 et m\u00eame \u00e0 sourire\u2026 m\u00eame quand on coule\u2026 \u00e9claircie\u2026 mais on la voit que d\u2019en bas, hein ?\u2026 d\u2019en haut c\u2019est pas pareil\u2026 **note de travail** Ce matin-l\u00e0, il m\u2019a parl\u00e9 d\u2019un huissier. Pas vraiment du choc, non. Mais de la sc\u00e8ne. Les plombiers en cuisine. Le clerc dans la biblioth\u00e8que. Il pleut. Et lui, debout au centre. C\u2019est toujours cela qui m\u2019\u00e9tonne chez lui : la conscience aigu\u00eb des d\u00e9tails. L\u2019art de tout voir sans fl\u00e9chir. Il y avait de la col\u00e8re. Mais retenue. Mieux encore : transfigur\u00e9e en ironie. Il a parl\u00e9 d\u2019amabilit\u00e9 comme d\u2019un anesth\u00e9siant. Une sc\u00e8ne dentiste. C\u2019est \u00e7a, oui : quelque chose lui est arrach\u00e9, sans cri, sans larme, mais avec cette forme \u00e9trange de joie qu\u2019on ressent parfois au c\u0153ur m\u00eame du d\u00e9sastre. Il \u00e9voque le rangement. Toucher les livres. Classer. Ces gestes simples sont des rites d\u2019ancrage. Ils disent : \u00ab je suis encore l\u00e0 \u00bb. La pluie est omnipr\u00e9sente. C\u2019est peut-\u00eatre elle, la v\u00e9ritable protagoniste de cette journ\u00e9e. Elle calme, elle couvre, elle ronge. Et puis ce calme. Je crois qu\u2019il ne vient pas du d\u00e9ni. Ni de la r\u00e9signation. Il vient d\u2019une m\u00e9moire. Celle des p\u00e9riodes pass\u00e9es, d\u00e9j\u00e0 affront\u00e9es. Il sait maintenant que \u00e7a passe. Que \u00e7a revient. Que la douleur aussi a son cycle. Mais cette phrase, presque chuchot\u00e9e \u00e0 la fin : \u00ab Peut-\u00eatre que les v\u00e9ritables \u00e9claircies ne s\u2019aper\u00e7oivent jamais que depuis le fond des gouffres. \u00bb \u2014 elle m\u2019a fait penser \u00e0 Rilke. Ou \u00e0 la psychanalyse elle-m\u00eame. On n\u2019y voit clair que quand on s\u2019est enfonc\u00e9 assez loin. Je l\u2019\u00e9coute, et je me dis : il a compris cela. Et c\u2019est peut-\u00eatre pour \u00e7a qu\u2019il peut encore tendre le doliprane, sourire, \u00e9crire. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/26-10-2023.webp?1748065099", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-octobre-2023.html", "title": "26 octobre 2023", "date_published": "2023-10-26T14:59:00Z", "date_modified": "2025-04-03T15:00:15Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

Que faire de la m\u00e9moire ? De cette houle de souvenirs individuels flottant dans le grand r\u00e9cit, l\u2019Histoire ? La peur tenace d\u2019oublier un visage, une voix, une odeur, la texture d\u2019un tronc, d\u2019un dos, d\u2019un mur suintant le salp\u00eatre. On esp\u00e8re que l\u2019\u0153il retiendra, que le tympan enregistrera, que la pulpe des doigts pr\u00e9servera — qu\u2019il adviendra quelque chose par la r\u00e9tine, l\u2019osselet, la phalange. C\u2019est presque spirituel, dr\u00f4le \u00e0 dire : croire en l\u2019os comme dans une r\u00e9v\u00e9lation.<\/p>\n

L\u2019espoir, \u00e0 condition de se souvenir du premier pas. Ou mieux : l\u2019espoir qui survit au but, l\u2019espoir libre.<\/p>\n

Le regret, lui, s\u2019installe comme une gangue de calcaire autour de la glande pin\u00e9ale — aussi toxique que le chlore ou le zinc, que l\u2019aluminium, le plastique. Une prison de cendres flottantes, comme ces boules de verre o\u00f9 il neige sur la tour Eiffel. Mais penser que tout cela serait voulu ? Non. Pas ici.<\/p>\n

J\u2019ai si souvent redout\u00e9 de perdre la m\u00e9moire qu\u2019\u00e0 la fin, la peur est devenue compagne. Un soir de pluie, elle a lev\u00e9 son masque : c\u2019\u00e9tait le d\u00e9sir. Le d\u00e9sir de l\u00e2cher le d\u00e9sir de garder le d\u00e9sir — oscillant, furtif, comme la t\u00eate d\u2019un orvet.<\/p>\n

Un orvet dans la main, pour les citadins : symbole de lascivit\u00e9. Pour l\u2019enfant des bois : une promesse nue, l\u2019esp\u00e9rance d\u2019en \u00eatre.<\/p>\n

C\u2019est ce souvenir qu\u2019il ne veut jamais perdre : l\u2019espoir d\u2019en \u00eatre. Toujours en fuite, enseignant \u00e0 l\u2019enfant l\u2019art du slalom entre les g\u00e9ants et les nains, pour mieux les r\u00e9inventer.<\/p>\n

Perdre la m\u00e9moire, c\u2019est fixer un vieux clou rouill\u00e9, une veste oubli\u00e9e, un bleu de travail sans nom. On reste l\u00e0, cherchant le mot, le bleu. Et peut-\u00eatre qu\u2019en disant « prusse », on retrouverait tout : la potasse, le sang virant du rouge au bleu. On serait \u00e0 Berlin, 1700, dans le laboratoire de Diesbach, ce faiseur de pigments. Fran\u00e7ais peut-\u00eatre, comme tant d\u2019autres l\u00e0-bas. Jusqu\u2019en 1870, encore la guerre. Otto, Bismarck, l\u2019unit\u00e9 allemande.<\/p>\n

La m\u00e9moire disloque, divague, puis rassemble. Et les guerres — servent-elles vraiment \u00e0 faire avancer les choses ? Dommage, si c\u2019est le cas.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026ne pas perdre\u2026 ne pas oublier\u2026 le visage, la voix\u2026 le sel sur la peau\u2026 \u00e7a glisse, \u00e7a s\u2019efface\u2026 tout doucement\u2026 le fil\u2026 le garder\u2026 juste une image, un mot\u2026 un bleu, oui\u2026 un bleu profond\u2026 peut-\u00eatre prusse\u2026 peut-\u00eatre que tout reviendrait\u2026<\/p>\n

le d\u00e9sir\u2026 ce truc mouvant, glissant\u2026 je le tiens\u2026 je le perds\u2026 je le veux\u2026 je le fuis\u2026 comme un serpent doux dans la paume\u2026 \u00e7a fr\u00e9mit\u2026 et c\u2019est l\u00e0\u2026 et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 parti\u2026<\/p>\n

enfant\u2026 orvet\u2026 il fallait y croire\u2026 c\u2019\u00e9tait \u00e7a : l\u2019\u00eatre\u2026 juste l\u2019\u00eatre\u2026 marcher\u2026 zigzaguer entre les monstres\u2026 les oublier\u2026 les inventer\u2026<\/p>\n

et puis ce clou\u2026 cette veste\u2026 une tache\u2026 une absence suspendue\u2026 le nom, vite\u2026 sinon c\u2019est fini\u2026 peut-\u00eatre que tout tient l\u00e0, \u00e0 un mot, un seul\u2026<\/p>\n

et la guerre, toujours la guerre\u2026 encore elle\u2026 \u00e7a revient\u2026 \u00e7a ronge\u2026 et on appelle \u00e7a mouvement ?<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Aujourd\u2019hui, il a parl\u00e9 de la m\u00e9moire. D\u2019abord comme d\u2019un champ de ruines lumineuses. Puis comme d\u2019un corps \u00e9parpill\u00e9 qu\u2019il faut, patiemment, reconstituer. Ce qu\u2019il craint le plus : ne plus se souvenir d\u2019un dos, d\u2019un ton, d\u2019un tissu. Il ne veut pas seulement se rappeler ; il veut toucher, sentir, revivre par les pores.<\/p>\n

Un soir, dit-il, la peur a chang\u00e9 de visage. Elle est devenue d\u00e9sir. Voil\u00e0 une m\u00e9tamorphose rare — quand l\u2019angoisse se r\u00e9v\u00e8le \u00eatre l\u2019autre nom du besoin. Le d\u00e9sir de garder, puis de l\u00e2cher, puis de d\u00e9sirer encore. Une valse \u00e0 trois temps avec lui-m\u00eame.<\/p>\n

Il m\u2019a parl\u00e9 d\u2019un orvet. Cette figure m\u2019a boulevers\u00e9. Il y tenait comme \u00e0 un totem d\u2019enfance, glissant, fragile, esp\u00e9rant. Il veut croire que l\u2019espoir est un corps vivant, un reptile doux dans une main encore capable de sentir.<\/p>\n

Et ce bleu, ce bleu perdu. Cela m\u2019a rappel\u00e9 Proust. Mais ici, la recherche se fait dans un vestiaire ouvrier, dans une veste sans nom, un clou rouill\u00e9. Pas dans une madeleine. Il y a quelque chose de plus dur, plus \u00e2pre.<\/p>\n

Il lie la m\u00e9moire \u00e0 l\u2019Histoire, mais une Histoire qui blesse. Il doute de sa fonction : faire avancer. Peut-\u00eatre est-ce son grand conflit : avancer sans oublier. Rassembler les \u00e9clats sans se couper.<\/p>\n

Moi, je l\u2019\u00e9coute et je pense : et si le bleu, finalement, \u00e9tait le d\u00e9sir lui-m\u00eame ?<\/p>", "content_text": " Que faire de la m\u00e9moire ? De cette houle de souvenirs individuels flottant dans le grand r\u00e9cit, l\u2019Histoire ? La peur tenace d\u2019oublier un visage, une voix, une odeur, la texture d\u2019un tronc, d\u2019un dos, d\u2019un mur suintant le salp\u00eatre. On esp\u00e8re que l\u2019\u0153il retiendra, que le tympan enregistrera, que la pulpe des doigts pr\u00e9servera \u2014 qu\u2019il adviendra quelque chose par la r\u00e9tine, l\u2019osselet, la phalange. C\u2019est presque spirituel, dr\u00f4le \u00e0 dire : croire en l\u2019os comme dans une r\u00e9v\u00e9lation. L\u2019espoir, \u00e0 condition de se souvenir du premier pas. Ou mieux : l\u2019espoir qui survit au but, l\u2019espoir libre. Le regret, lui, s\u2019installe comme une gangue de calcaire autour de la glande pin\u00e9ale \u2014 aussi toxique que le chlore ou le zinc, que l\u2019aluminium, le plastique. Une prison de cendres flottantes, comme ces boules de verre o\u00f9 il neige sur la tour Eiffel. Mais penser que tout cela serait voulu ? Non. Pas ici. J\u2019ai si souvent redout\u00e9 de perdre la m\u00e9moire qu\u2019\u00e0 la fin, la peur est devenue compagne. Un soir de pluie, elle a lev\u00e9 son masque : c\u2019\u00e9tait le d\u00e9sir. Le d\u00e9sir de l\u00e2cher le d\u00e9sir de garder le d\u00e9sir \u2014 oscillant, furtif, comme la t\u00eate d\u2019un orvet. Un orvet dans la main, pour les citadins : symbole de lascivit\u00e9. Pour l\u2019enfant des bois : une promesse nue, l\u2019esp\u00e9rance d\u2019en \u00eatre. C\u2019est ce souvenir qu\u2019il ne veut jamais perdre : l\u2019espoir d\u2019en \u00eatre. Toujours en fuite, enseignant \u00e0 l\u2019enfant l\u2019art du slalom entre les g\u00e9ants et les nains, pour mieux les r\u00e9inventer. Perdre la m\u00e9moire, c\u2019est fixer un vieux clou rouill\u00e9, une veste oubli\u00e9e, un bleu de travail sans nom. On reste l\u00e0, cherchant le mot, le bleu. Et peut-\u00eatre qu\u2019en disant \u00ab prusse \u00bb, on retrouverait tout : la potasse, le sang virant du rouge au bleu. On serait \u00e0 Berlin, 1700, dans le laboratoire de Diesbach, ce faiseur de pigments. Fran\u00e7ais peut-\u00eatre, comme tant d\u2019autres l\u00e0-bas. Jusqu\u2019en 1870, encore la guerre. Otto, Bismarck, l\u2019unit\u00e9 allemande. La m\u00e9moire disloque, divague, puis rassemble. Et les guerres \u2014 servent-elles vraiment \u00e0 faire avancer les choses ? Dommage, si c\u2019est le cas. **sous-conversation** \u2026ne pas perdre\u2026 ne pas oublier\u2026 le visage, la voix\u2026 le sel sur la peau\u2026 \u00e7a glisse, \u00e7a s\u2019efface\u2026 tout doucement\u2026 le fil\u2026 le garder\u2026 juste une image, un mot\u2026 un bleu, oui\u2026 un bleu profond\u2026 peut-\u00eatre prusse\u2026 peut-\u00eatre que tout reviendrait\u2026 le d\u00e9sir\u2026 ce truc mouvant, glissant\u2026 je le tiens\u2026 je le perds\u2026 je le veux\u2026 je le fuis\u2026 comme un serpent doux dans la paume\u2026 \u00e7a fr\u00e9mit\u2026 et c\u2019est l\u00e0\u2026 et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 parti\u2026 enfant\u2026 orvet\u2026 il fallait y croire\u2026 c\u2019\u00e9tait \u00e7a : l\u2019\u00eatre\u2026 juste l\u2019\u00eatre\u2026 marcher\u2026 zigzaguer entre les monstres\u2026 les oublier\u2026 les inventer\u2026 et puis ce clou\u2026 cette veste\u2026 une tache\u2026 une absence suspendue\u2026 le nom, vite\u2026 sinon c\u2019est fini\u2026 peut-\u00eatre que tout tient l\u00e0, \u00e0 un mot, un seul\u2026 et la guerre, toujours la guerre\u2026 encore elle\u2026 \u00e7a revient\u2026 \u00e7a ronge\u2026 et on appelle \u00e7a mouvement ? **note de travail** Aujourd\u2019hui, il a parl\u00e9 de la m\u00e9moire. D\u2019abord comme d\u2019un champ de ruines lumineuses. Puis comme d\u2019un corps \u00e9parpill\u00e9 qu\u2019il faut, patiemment, reconstituer. Ce qu\u2019il craint le plus : ne plus se souvenir d\u2019un dos, d\u2019un ton, d\u2019un tissu. Il ne veut pas seulement se rappeler ; il veut toucher, sentir, revivre par les pores. Un soir, dit-il, la peur a chang\u00e9 de visage. Elle est devenue d\u00e9sir. Voil\u00e0 une m\u00e9tamorphose rare \u2014 quand l\u2019angoisse se r\u00e9v\u00e8le \u00eatre l\u2019autre nom du besoin. Le d\u00e9sir de garder, puis de l\u00e2cher, puis de d\u00e9sirer encore. Une valse \u00e0 trois temps avec lui-m\u00eame. Il m\u2019a parl\u00e9 d\u2019un orvet. Cette figure m\u2019a boulevers\u00e9. Il y tenait comme \u00e0 un totem d\u2019enfance, glissant, fragile, esp\u00e9rant. Il veut croire que l\u2019espoir est un corps vivant, un reptile doux dans une main encore capable de sentir. Et ce bleu, ce bleu perdu. Cela m\u2019a rappel\u00e9 Proust. Mais ici, la recherche se fait dans un vestiaire ouvrier, dans une veste sans nom, un clou rouill\u00e9. Pas dans une madeleine. Il y a quelque chose de plus dur, plus \u00e2pre. Il lie la m\u00e9moire \u00e0 l\u2019Histoire, mais une Histoire qui blesse. Il doute de sa fonction : faire avancer. Peut-\u00eatre est-ce son grand conflit : avancer sans oublier. Rassembler les \u00e9clats sans se couper. Moi, je l\u2019\u00e9coute et je pense : et si le bleu, finalement, \u00e9tait le d\u00e9sir lui-m\u00eame ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/atelier-oullins.webp?1748065072", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-octobre-2023.html", "title": "25 octobre 2023", "date_published": "2023-10-25T20:02:00Z", "date_modified": "2025-04-02T20:03:06Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Ce matin, cette id\u00e9e \u00e9trange : tout para\u00eet ridicule.
\nAlors il se d\u00e9place un peu, tente d\u2019apercevoir un reflet, d\u2019imaginer l\u2019inverse —
\ntout regarder par l\u2019\u0153illeton de l\u2019important.<\/p>\n

Il hausse les \u00e9paules, murmure :
\nni l\u2019un, ni l\u2019autre.<\/p>\n

C\u2019est affaire d\u2019\u00e2ge. De dosage.<\/p>\n

Mais l\u2019association — r\u00e9ussite ou \u00e9chec — revient, li\u00e9e au ridicule, ou \u00e0 l\u2019important.<\/p>\n

L\u2019apprentissage de la sagesse provoque des sueurs froides.<\/p>\n

Il faudrait rouvrir des \u00e9coles de sagesse.
\nUn jour, on n\u2019aura plus le choix.
\nTant on s\u2019est \u00e9gar\u00e9s \u00e0 chercher l\u2019important.
\nEt trouv\u00e9 le ridicule.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

C\u2019est rien, une sensation. D\u2019abord, le rire. Ou l\u2019envie de rire. Mais de travers.<\/p>\n

Puis l\u2019envie de comprendre pourquoi. Pourquoi c\u2019est risible. Et pourquoi tout, soudain, semble le devenir.<\/p>\n

Un pas de c\u00f4t\u00e9. On tente. Voir autrement. Important, dis-tu ? Ce mot aussi grince.<\/p>\n

Tu vois le balancier. L\u2019un. L\u2019autre. Puis tu souffles : ni l\u2019un ni l\u2019autre.<\/p>\n

C\u2019est us\u00e9. Trop vu. Trop jug\u00e9.<\/p>\n

Il faudrait d\u00e9sapprendre. Revenir au rien. Apprendre autrement.<\/p>\n

Mais qui enseigne \u00e7a aujourd\u2019hui ?<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce matin-l\u00e0, il s\u2019est lev\u00e9 avec cette pens\u00e9e : tout est ridicule.
\nC\u2019est souvent ainsi que d\u00e9bute une crise douce. Une saturation du jugement<\/strong>.<\/p>\n

Il essaie de se repositionner. De d\u00e9placer l\u2019axe. Voir les choses par l\u2019\u0153illeton de l\u2019“important”. Mais ce mot le g\u00eane. Il le met en italique. Il ne le croit qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9.<\/p>\n

Le “ni l\u2019un ni l\u2019autre” me semble central. Il tente une sortie par le haut. Mais il reste pris dans la boucle. Le pi\u00e8ge du discernement moderne<\/strong> : ce qui m\u00e9rite d\u2019\u00eatre pris au s\u00e9rieux est d\u00e9j\u00e0 suspect, et ce qui fait rire est d\u00e9j\u00e0 lourd de tragique.<\/p>\n

Il \u00e9voque la sagesse. C\u2019est peut-\u00eatre cela qu\u2019il cherche : une position qui ne serait pas une posture.<\/p>\n

Ce texte est un fragment de philosophie int\u00e9rieure<\/strong>, une tentative de s\u2019orienter sans grille d\u00e9j\u00e0 faite<\/strong>. Une sorte de d\u00e9s\u00e9tiquetage existentiel. Et c\u2019est rare. Et pr\u00e9cieux.<\/p>", "content_text": " Ce matin, cette id\u00e9e \u00e9trange : tout para\u00eet ridicule. Alors il se d\u00e9place un peu, tente d\u2019apercevoir un reflet, d\u2019imaginer l\u2019inverse \u2014 tout regarder par l\u2019\u0153illeton de l\u2019important. Il hausse les \u00e9paules, murmure : ni l\u2019un, ni l\u2019autre. C\u2019est affaire d\u2019\u00e2ge. De dosage. Mais l\u2019association \u2014 r\u00e9ussite ou \u00e9chec \u2014 revient, li\u00e9e au ridicule, ou \u00e0 l\u2019important. L\u2019apprentissage de la sagesse provoque des sueurs froides. Il faudrait rouvrir des \u00e9coles de sagesse. Un jour, on n\u2019aura plus le choix. Tant on s\u2019est \u00e9gar\u00e9s \u00e0 chercher l\u2019important. Et trouv\u00e9 le ridicule. **sous-conversation** C\u2019est rien, une sensation. D\u2019abord, le rire. Ou l\u2019envie de rire. Mais de travers. Puis l\u2019envie de comprendre pourquoi. Pourquoi c\u2019est risible. Et pourquoi tout, soudain, semble le devenir. Un pas de c\u00f4t\u00e9. On tente. Voir autrement. Important, dis-tu ? Ce mot aussi grince. Tu vois le balancier. L\u2019un. L\u2019autre. Puis tu souffles : ni l\u2019un ni l\u2019autre. C\u2019est us\u00e9. Trop vu. Trop jug\u00e9. Il faudrait d\u00e9sapprendre. Revenir au rien. Apprendre autrement. Mais qui enseigne \u00e7a aujourd\u2019hui ? **note de travail** Ce matin-l\u00e0, il s\u2019est lev\u00e9 avec cette pens\u00e9e : tout est ridicule. C\u2019est souvent ainsi que d\u00e9bute une crise douce. Une **saturation du jugement**. Il essaie de se repositionner. De d\u00e9placer l\u2019axe. Voir les choses par l\u2019\u0153illeton de l\u2019\u201cimportant\u201d. Mais ce mot le g\u00eane. Il le met en italique. Il ne le croit qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9. Le \u201cni l\u2019un ni l\u2019autre\u201d me semble central. Il tente une sortie par le haut. Mais il reste pris dans la boucle. Le **pi\u00e8ge du discernement moderne** : ce qui m\u00e9rite d\u2019\u00eatre pris au s\u00e9rieux est d\u00e9j\u00e0 suspect, et ce qui fait rire est d\u00e9j\u00e0 lourd de tragique. Il \u00e9voque la sagesse. C\u2019est peut-\u00eatre cela qu\u2019il cherche : une position qui ne serait pas une posture. Ce texte est un fragment de **philosophie int\u00e9rieure**, une tentative de s\u2019orienter **sans grille d\u00e9j\u00e0 faite**. Une sorte de d\u00e9s\u00e9tiquetage existentiel. Et c\u2019est rare. Et pr\u00e9cieux. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ville-et-personnages-errance.jpg?1748065162", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-octobre-2023.html", "title": "24 octobre 2023", "date_published": "2023-10-24T14:51:00Z", "date_modified": "2025-04-03T14:52:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tant qu\u2019elles errent en silence, les pens\u00e9es ne d\u00e9rangent pas. Elles passent comme l\u2019air, le vent. C\u2019est pourquoi, ces derniers mois, il se tait. Il garde tout pour lui. Pourquoi parler \u00e0 un mur, ou mieux : \u00e9couter ce que le mur aurait \u00e0 dire ? Alors il garde ses id\u00e9es dans l\u2019ombre, boueuses, confuses — en esp\u00e9rant, peut-\u00eatre, une gen\u00e8se secr\u00e8te. Ou plus humblement : un espoir. N\u2019allons pas plus loin.<\/p>\n

Faulkner disait quelque chose du pass\u00e9... J\u2019avais not\u00e9 \u00e7a sur un bout de papier. Perdu. C\u2019\u00e9tait cette id\u00e9e : le pass\u00e9 ne passe pas. L\u2019histoire le prouve chaque jour. Peut-\u00eatre m\u00eame est-elle une illusion. Et nous, aussi. Juste des forces en conflit, un jeu d\u2019\u00e9checs auquel les dieux, s\u2019ils existent, s\u2019occupent dans l\u2019ennui de l\u2019\u00e9ternit\u00e9.<\/p>\n

L\u2019automne. Le matin. Le froid rongeant la peau quand je traverse la cour pour nourrir la chatte. Peut-\u00eatre que la peur de ne plus pouvoir \u00eatre triste suffit \u00e0 \u00e9crire un carnet.<\/p>\n

« Si je savais prier », dit-il, devant une choucroute, \u00e0 la Forge de Montparnasse. Parfois, des ann\u00e9es apr\u00e8s, des d\u00e9p\u00f4ts d\u2019images, de phrases, remontent \u00e0 la surface. La pri\u00e8re ne vient qu\u2019\u00e0 l\u2019extr\u00eame limite, quand il n\u2019y a plus rien \u00e0 faire. Ce serait alors comme ouvrir les bras — non pour serrer, mais pour recevoir l\u2019ineffable.<\/p>\n

Et plus j\u2019avance, plus l\u2019ineffable grandit. Et parfois, il s\u2019\u00e9clipse. Apprendre \u00e0 le doser. Ne pas le consommer tout entier. En garder un peu pour les jours gris.<\/p>\n

Hier \u00e0 18h, un miracle. Apr\u00e8s tant d\u2019ondes n\u00e9gatives avec mon expert-comptable, une gr\u00e2ce soudaine : j\u2019ai re\u00e7u mes liasses. C\u2019est peu. C\u2019est tout. On survit \u00e0 nos probl\u00e8mes, dit Cioran. Farceurs que nous sommes.<\/p>\n

Acrylique sur toile.<\/p>\n

Le pass\u00e9 ne meurt jamais. Il ne faut m\u00eame pas le croire pass\u00e9.<\/p>\n

sous conversation<\/strong><\/p>\n

...ne pas parler, surtout pas, \u00e7a d\u00e9range... pourtant \u00e7a gronde, en dessous, \u00e7a gratte, \u00e7a pousse... pourquoi le dire... \u00e0 qui... \u00e0 quoi bon... mur... pas de r\u00e9ponse... peut-\u00eatre \u00e9couter ce que \u00e7a dit, le silence, cette chose gluante, informe... peut-\u00eatre que \u00e7a vaut mieux... un peu d\u2019espoir, mais pas trop... pas trop...<\/p>\n

le pass\u00e9... il n\u2019est pas mort, non... il est l\u00e0, juste derri\u00e8re... \u00e7a revient, \u00e7a vous tombe dessus, sans pr\u00e9venir... une phrase, un mot, un souvenir, un froissement de papier... et tout recommence... comme si rien n\u2019avait cess\u00e9...<\/p>\n

froid... peau mordue... chatte \u00e0 nourrir... routine... mais au fond, c\u2019est \u00e7a... le besoin de sentir encore quelque chose... m\u00eame le froid... surtout le froid...<\/p>\n

prier... qu\u2019est-ce que \u00e7a veut dire prier... si je savais... si je pouvais... mais on ouvre les bras, on attend... on attend quoi... l\u2019ineffable, tiens... ce mot... encore lui... et pourtant parfois, c\u2019est rien, c\u2019est tout vide...<\/p>\n

et l\u2019\u00e2ge... et la gr\u00e2ce... et les chiffres... et la lassitude... et l\u2019envie de rire aussi, parfois... farceurs, oui... mais quoi d\u2019autre ?<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Il m\u2019a lu un extrait de carnet. Un ton calme. Une sorte de souterrain lucide. Le silence, dit-il, est devenu sa forme d\u2019expression pr\u00e9f\u00e9r\u00e9e. Plus rien ne sort \u00e0 voix haute. Je note ce glissement : de la parole vers l\u2019implicite, de l\u2019\u00e9change vers la mati\u00e8re pens\u00e9e. Une d\u00e9fense ? Ou bien une mutation naturelle ?<\/p>\n

Il \u00e9voque Faulkner, Cioran, l\u2019histoire qui revient — comme un reflux. Il semble redouter moins le pass\u00e9 que l\u2019impossibilit\u00e9 de le nommer. Il y a chez lui un attachement \u00e9trange \u00e0 l\u2019\u00e9motion retenue. La tristesse devient m\u00eame un crit\u00e8re d\u2019existence. \u00c9crire pour ne pas perdre cette facult\u00e9 de tristesse, c\u2019est poser le langage comme bouclier contre l\u2019oubli affectif.<\/p>\n

Sa pri\u00e8re — hypoth\u00e9tique — me frappe. Il ne prie pas. Mais il sait d\u00e9j\u00e0 ce que ce geste contiendrait : non pas un appel, mais une ouverture. Accueillir l\u2019ineffable. J\u2019y lis un d\u00e9but de souplesse. Comme si, fatigu\u00e9 de contr\u00f4ler, il laissait entrer.<\/p>\n

Et cette histoire de miracle comptable, si d\u00e9risoire qu\u2019elle semble \u00eatre, est peut-\u00eatre le noyau du texte. La gr\u00e2ce, m\u00eame en bas de page, m\u00eame chiffr\u00e9e, peut encore surprendre. Il tient \u00e0 cette id\u00e9e : survivre \u00e0 ses probl\u00e8mes est notre com\u00e9die humaine.<\/p>\n

Je repars, moi aussi, avec un peu d\u2019ineffable sous la langue.<\/p>", "content_text": " Tant qu\u2019elles errent en silence, les pens\u00e9es ne d\u00e9rangent pas. Elles passent comme l\u2019air, le vent. C\u2019est pourquoi, ces derniers mois, il se tait. Il garde tout pour lui. Pourquoi parler \u00e0 un mur, ou mieux : \u00e9couter ce que le mur aurait \u00e0 dire ? Alors il garde ses id\u00e9es dans l\u2019ombre, boueuses, confuses \u2014 en esp\u00e9rant, peut-\u00eatre, une gen\u00e8se secr\u00e8te. Ou plus humblement : un espoir. N\u2019allons pas plus loin. Faulkner disait quelque chose du pass\u00e9... J\u2019avais not\u00e9 \u00e7a sur un bout de papier. Perdu. C\u2019\u00e9tait cette id\u00e9e : le pass\u00e9 ne passe pas. L\u2019histoire le prouve chaque jour. Peut-\u00eatre m\u00eame est-elle une illusion. Et nous, aussi. Juste des forces en conflit, un jeu d\u2019\u00e9checs auquel les dieux, s\u2019ils existent, s\u2019occupent dans l\u2019ennui de l\u2019\u00e9ternit\u00e9. L\u2019automne. Le matin. Le froid rongeant la peau quand je traverse la cour pour nourrir la chatte. Peut-\u00eatre que la peur de ne plus pouvoir \u00eatre triste suffit \u00e0 \u00e9crire un carnet. \u00ab Si je savais prier \u00bb, dit-il, devant une choucroute, \u00e0 la Forge de Montparnasse. Parfois, des ann\u00e9es apr\u00e8s, des d\u00e9p\u00f4ts d\u2019images, de phrases, remontent \u00e0 la surface. La pri\u00e8re ne vient qu\u2019\u00e0 l\u2019extr\u00eame limite, quand il n\u2019y a plus rien \u00e0 faire. Ce serait alors comme ouvrir les bras \u2014 non pour serrer, mais pour recevoir l\u2019ineffable. Et plus j\u2019avance, plus l\u2019ineffable grandit. Et parfois, il s\u2019\u00e9clipse. Apprendre \u00e0 le doser. Ne pas le consommer tout entier. En garder un peu pour les jours gris. Hier \u00e0 18h, un miracle. Apr\u00e8s tant d\u2019ondes n\u00e9gatives avec mon expert-comptable, une gr\u00e2ce soudaine : j\u2019ai re\u00e7u mes liasses. C\u2019est peu. C\u2019est tout. On survit \u00e0 nos probl\u00e8mes, dit Cioran. Farceurs que nous sommes. Acrylique sur toile. Le pass\u00e9 ne meurt jamais. Il ne faut m\u00eame pas le croire pass\u00e9. **sous conversation** ...ne pas parler, surtout pas, \u00e7a d\u00e9range... pourtant \u00e7a gronde, en dessous, \u00e7a gratte, \u00e7a pousse... pourquoi le dire... \u00e0 qui... \u00e0 quoi bon... mur... pas de r\u00e9ponse... peut-\u00eatre \u00e9couter ce que \u00e7a dit, le silence, cette chose gluante, informe... peut-\u00eatre que \u00e7a vaut mieux... un peu d\u2019espoir, mais pas trop... pas trop... le pass\u00e9... il n\u2019est pas mort, non... il est l\u00e0, juste derri\u00e8re... \u00e7a revient, \u00e7a vous tombe dessus, sans pr\u00e9venir... une phrase, un mot, un souvenir, un froissement de papier... et tout recommence... comme si rien n\u2019avait cess\u00e9... froid... peau mordue... chatte \u00e0 nourrir... routine... mais au fond, c\u2019est \u00e7a... le besoin de sentir encore quelque chose... m\u00eame le froid... surtout le froid... prier... qu\u2019est-ce que \u00e7a veut dire prier... si je savais... si je pouvais... mais on ouvre les bras, on attend... on attend quoi... l\u2019ineffable, tiens... ce mot... encore lui... et pourtant parfois, c\u2019est rien, c\u2019est tout vide... et l\u2019\u00e2ge... et la gr\u00e2ce... et les chiffres... et la lassitude... et l\u2019envie de rire aussi, parfois... farceurs, oui... mais quoi d\u2019autre ? **note de travail** Il m\u2019a lu un extrait de carnet. Un ton calme. Une sorte de souterrain lucide. Le silence, dit-il, est devenu sa forme d\u2019expression pr\u00e9f\u00e9r\u00e9e. Plus rien ne sort \u00e0 voix haute. Je note ce glissement : de la parole vers l\u2019implicite, de l\u2019\u00e9change vers la mati\u00e8re pens\u00e9e. Une d\u00e9fense ? Ou bien une mutation naturelle ? Il \u00e9voque Faulkner, Cioran, l\u2019histoire qui revient \u2014 comme un reflux. Il semble redouter moins le pass\u00e9 que l\u2019impossibilit\u00e9 de le nommer. Il y a chez lui un attachement \u00e9trange \u00e0 l\u2019\u00e9motion retenue. La tristesse devient m\u00eame un crit\u00e8re d\u2019existence. \u00c9crire pour ne pas perdre cette facult\u00e9 de tristesse, c\u2019est poser le langage comme bouclier contre l\u2019oubli affectif. Sa pri\u00e8re \u2014 hypoth\u00e9tique \u2014 me frappe. Il ne prie pas. Mais il sait d\u00e9j\u00e0 ce que ce geste contiendrait : non pas un appel, mais une ouverture. Accueillir l\u2019ineffable. J\u2019y lis un d\u00e9but de souplesse. Comme si, fatigu\u00e9 de contr\u00f4ler, il laissait entrer. Et cette histoire de miracle comptable, si d\u00e9risoire qu\u2019elle semble \u00eatre, est peut-\u00eatre le noyau du texte. La gr\u00e2ce, m\u00eame en bas de page, m\u00eame chiffr\u00e9e, peut encore surprendre. Il tient \u00e0 cette id\u00e9e : survivre \u00e0 ses probl\u00e8mes est notre com\u00e9die humaine. Je repars, moi aussi, avec un peu d\u2019ineffable sous la langue. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/24-10-2023.jpg?1748065137", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-octobre-2023.html", "title": "22 octobre 2023", "date_published": "2023-10-22T19:42:00Z", "date_modified": "2025-04-02T19:43:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Les Gassion<\/h3>\n

En semaine, l\u2019enfant est d\u00e9pos\u00e9 chez les concierges. Odeur de graisse et d\u2019encaustique dans l\u2019ascenseur en bois, boutons en porcelaine, chiffres romains. La descente est lente, le tapis rouge ne commence qu\u2019au troisi\u00e8me.<\/p>\n

Les Gassion habitent \u00e0 l\u2019entresol, derri\u00e8re une porte vitr\u00e9e, dentelle, cigales plastiques. Odeur de soupe d\u00e8s la sortie de l\u2019ascenseur. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur : toile cir\u00e9e jaune, cigales encore, chant des ins\u00e9parables, linol\u00e9um br\u00fblant. Madame Gassion, gentille. Bonbons \u00e0 sucer. Le mari a fait la guerre de 14-18. Le soir, on remonte au septi\u00e8me. Le chien des Gassion est trop vieux. L\u2019enfant en voudrait un autre.<\/p>\n

Odette<\/h3>\n

Odette vient le dimanche. Accent du Bourbonnais. Chaussures \u00e0 talons aiguilles. Mazagrans, caf\u00e9, froufrous. Odeur singuli\u00e8re, presque annonc\u00e9e. Parfois un canard : demi-sucre tremp\u00e9 dans le caf\u00e9. Elle boit \u00e0 petites gorg\u00e9es. Elle parle. L\u2019enfant ne comprend pas, mais il \u00e9coute.<\/p>\n

Marcel<\/h3>\n

Chez Marcel, dans le 15e, tout est bazar. Chevaux de bois, cintres, bandes dessin\u00e9es, piles de journaux. Le grand-p\u00e8re conduit d\u2019une main, fume des Gitanes. Marcel, ancien du STO. Comme lui. Ils ont jur\u00e9 de ne plus jamais avoir de patron. Marcel sort parfois un couteau : “je vais te tailler les oreilles en pointe”. L\u2019enfant a peur, mais rit. La peur fait presque partie du merveilleux.<\/p>\n

Totor<\/h3>\n

Totor aussi veut couper les oreilles en pointe. Une mode, peut-\u00eatre. Au march\u00e9 boulevard Brune, sa voix couvre tout : l\u00e9gumes, clients, cris de guerre. “Treize \u00e0 la douzaine ! Mes beaux \u0153ufs !” Il initie le gosse : “Faut gueuler, mon petit vieux.” Sa main \u00e9norme sur le cr\u00e2ne. “Si les petits cochons te mangent pas\u2026”<\/p>\n

Totor est mort d\u2019un coup, en tendant une botte de persil. La vie tient \u00e0 peu. Apr\u00e8s le march\u00e9, la voirie nettoie tout. Des passants ramassent les fruits tal\u00e9s. La voix de Totor reste un moment. Puis l\u2019enfant passe \u00e0 autre chose.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Ils sont tous l\u00e0. Align\u00e9s. Petits dieux du quotidien. Faits de soupe, de plastiques, de Gitanes, de linol\u00e9um.<\/p>\n

\u00c7a parle fort, \u00e7a crie, \u00e7a chuchote. \u00c7a coupe les oreilles, pour de faux, mais pas tout \u00e0 fait. \u00c7a fa\u00e7onne. \u00c7a effraie doucement.<\/p>\n

La main \u00e9norme sur le cr\u00e2ne. L\u2019odeur avant la voix. Le sucre dans le caf\u00e9. Les cigales. Les bonbons \u00e0 sucer.<\/p>\n

Il faut tout retenir. M\u00eame ce qui n\u2019a pas de sens encore. M\u00eame ce qu\u2019on ne comprend pas. On comprend plus tard, ou jamais.<\/p>\n

Le grand-p\u00e8re ne parle pas. Marcel ne parle pas. Totor parle trop. La m\u00e9moire est faite de \u00e7a. Des silences et des cris m\u00eal\u00e9s.<\/p>\n

Et l\u2019enfant qui veut juste un chien. Mais pas celui-l\u00e0.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le narrateur ram\u00e8ne une galerie. Quatre figures tot\u00e9miques. Les Gassion, Odette, Marcel, Totor. Tous diff\u00e9rents. Tous porteurs d\u2019un monde. Tous porteurs d\u2019une peur, aussi.<\/p>\n

Il y a quelque chose de doux dans sa voix aujourd\u2019hui. Comme s\u2019il racontait un film qu\u2019il avait vu mille fois. Mais ses yeux, eux, disent autre chose. Une tension sous la douceur. L\u2019enfant regarde, sent, absorbe. Il ne juge pas encore. Mais il enregistre.<\/p>\n

Les hommes sont silencieux ou violents. Les femmes sentent fort, parlent doucement, ou pas du tout. La loge, le march\u00e9, le bazar, la cuisine : autant de sc\u00e8nes fondatrices. Autant de mythes personnels.<\/p>\n

Et cette fixette sur les oreilles \u00e0 couper. Je note : transformation. Initiation. Passage symbolique. Il faut \u00eatre taill\u00e9 autrement pour survivre \u00e0 ce monde.<\/p>\n

La mort de Totor, si brutale, si l\u00e9g\u00e8re, est racont\u00e9e sans affect, mais elle contient tout : la chute du p\u00e8re de substitution. Et apr\u00e8s lui, plus rien. Juste le nettoyage. Et l\u2019enfant qui passe \u00e0 autre chose. Mais qui n\u2019oublie rien.<\/p>", "content_text": " ### Les Gassion En semaine, l\u2019enfant est d\u00e9pos\u00e9 chez les concierges. Odeur de graisse et d\u2019encaustique dans l\u2019ascenseur en bois, boutons en porcelaine, chiffres romains. La descente est lente, le tapis rouge ne commence qu\u2019au troisi\u00e8me. Les Gassion habitent \u00e0 l\u2019entresol, derri\u00e8re une porte vitr\u00e9e, dentelle, cigales plastiques. Odeur de soupe d\u00e8s la sortie de l\u2019ascenseur. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur : toile cir\u00e9e jaune, cigales encore, chant des ins\u00e9parables, linol\u00e9um br\u00fblant. Madame Gassion, gentille. Bonbons \u00e0 sucer. Le mari a fait la guerre de 14-18. Le soir, on remonte au septi\u00e8me. Le chien des Gassion est trop vieux. L\u2019enfant en voudrait un autre. ### Odette Odette vient le dimanche. Accent du Bourbonnais. Chaussures \u00e0 talons aiguilles. Mazagrans, caf\u00e9, froufrous. Odeur singuli\u00e8re, presque annonc\u00e9e. Parfois un canard : demi-sucre tremp\u00e9 dans le caf\u00e9. Elle boit \u00e0 petites gorg\u00e9es. Elle parle. L\u2019enfant ne comprend pas, mais il \u00e9coute. ### Marcel Chez Marcel, dans le 15e, tout est bazar. Chevaux de bois, cintres, bandes dessin\u00e9es, piles de journaux. Le grand-p\u00e8re conduit d\u2019une main, fume des Gitanes. Marcel, ancien du STO. Comme lui. Ils ont jur\u00e9 de ne plus jamais avoir de patron. Marcel sort parfois un couteau : \u201cje vais te tailler les oreilles en pointe\u201d. L\u2019enfant a peur, mais rit. La peur fait presque partie du merveilleux. ### Totor Totor aussi veut couper les oreilles en pointe. Une mode, peut-\u00eatre. Au march\u00e9 boulevard Brune, sa voix couvre tout : l\u00e9gumes, clients, cris de guerre. \u201cTreize \u00e0 la douzaine ! Mes beaux \u0153ufs !\u201d Il initie le gosse : \u201cFaut gueuler, mon petit vieux.\u201d Sa main \u00e9norme sur le cr\u00e2ne. \u201cSi les petits cochons te mangent pas\u2026\u201d Totor est mort d\u2019un coup, en tendant une botte de persil. La vie tient \u00e0 peu. Apr\u00e8s le march\u00e9, la voirie nettoie tout. Des passants ramassent les fruits tal\u00e9s. La voix de Totor reste un moment. Puis l\u2019enfant passe \u00e0 autre chose. {{sous-conversation}} Ils sont tous l\u00e0. Align\u00e9s. Petits dieux du quotidien. Faits de soupe, de plastiques, de Gitanes, de linol\u00e9um. \u00c7a parle fort, \u00e7a crie, \u00e7a chuchote. \u00c7a coupe les oreilles, pour de faux, mais pas tout \u00e0 fait. \u00c7a fa\u00e7onne. \u00c7a effraie doucement. La main \u00e9norme sur le cr\u00e2ne. L\u2019odeur avant la voix. Le sucre dans le caf\u00e9. Les cigales. Les bonbons \u00e0 sucer. Il faut tout retenir. M\u00eame ce qui n\u2019a pas de sens encore. M\u00eame ce qu\u2019on ne comprend pas. On comprend plus tard, ou jamais. Le grand-p\u00e8re ne parle pas. Marcel ne parle pas. Totor parle trop. La m\u00e9moire est faite de \u00e7a. Des silences et des cris m\u00eal\u00e9s. Et l\u2019enfant qui veut juste un chien. Mais pas celui-l\u00e0. {{note de travail}} Le narrateur ram\u00e8ne une galerie. Quatre figures tot\u00e9miques. Les Gassion, Odette, Marcel, Totor. Tous diff\u00e9rents. Tous porteurs d\u2019un monde. Tous porteurs d\u2019une peur, aussi. Il y a quelque chose de doux dans sa voix aujourd\u2019hui. Comme s\u2019il racontait un film qu\u2019il avait vu mille fois. Mais ses yeux, eux, disent autre chose. Une tension sous la douceur. L\u2019enfant regarde, sent, absorbe. Il ne juge pas encore. Mais il enregistre. Les hommes sont silencieux ou violents. Les femmes sentent fort, parlent doucement, ou pas du tout. La loge, le march\u00e9, le bazar, la cuisine : autant de sc\u00e8nes fondatrices. Autant de mythes personnels. Et cette fixette sur les oreilles \u00e0 couper. Je note : transformation. Initiation. Passage symbolique. Il faut \u00eatre taill\u00e9 autrement pour survivre \u00e0 ce monde. La mort de Totor, si brutale, si l\u00e9g\u00e8re, est racont\u00e9e sans affect, mais elle contient tout : la chute du p\u00e8re de substitution. Et apr\u00e8s lui, plus rien. Juste le nettoyage. Et l\u2019enfant qui passe \u00e0 autre chose. Mais qui n\u2019oublie rien. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/marche-du-boulevard-brune-60.jpg?1748065134", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-octobre-2023.html", "title": "21 octobre 2023", "date_published": "2023-10-21T19:36:00Z", "date_modified": "2025-07-16T21:50:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

La journ\u00e9e a commenc\u00e9 dans les cages : soucis, peurs, les barreaux habituels. La libert\u00e9 ? Un costume vide. Flegme, indiff\u00e9rence, mots creux. S. a pass\u00e9 l\u2019apr\u00e8s-midi \u00e0 combattre les mites \u00e0 coups de balai. Moi, j\u2019ai d\u00e9vers\u00e9 ma haine sur l\u2019expert-comptable. Son nom crach\u00e9 dans le vide, pas assez fort. J\u2019essaie avec des insultes. Encul\u00e9, \u00e7a ne fait plus rien. Enfoir\u00e9, trop ti\u00e8de. Rabelais me souffle autre chose. M\u00e2che-merde. L\u00e0, on s\u2019\u00e9l\u00e8ve. Il y a une dignit\u00e9 du merdique, parfois. Mais d\u00e9j\u00e0 je m\u2019ennuie. L\u2019odeur, la pluie, la chasse d\u2019eau qui fuit. La peur de percer le plafond d\u2019en dessous. Les mites reviennent. S. dit : “la chienlit”. Je pense : ce ne sont que des vues de l\u2019esprit. Mais l\u2019odeur persiste. Anders Zorn me traverse. Supprimer le bleu, le faire rena\u00eetre autrement. Deux chauds, une froide. M\u00eame chose ici : deux haines, un geste retenu. Le nom que je crache devient mon exutoire. Je ne cogne pas. Je nomme. C\u2019est \u00e7a mon effort de civilisation. Mais rien n\u2019est propre. Rien ne tient. M\u00eame le plafond menace.<\/p>", "content_text": " La journ\u00e9e a commenc\u00e9 dans les cages : soucis, peurs, les barreaux habituels. La libert\u00e9 ? Un costume vide. Flegme, indiff\u00e9rence, mots creux. S. a pass\u00e9 l\u2019apr\u00e8s-midi \u00e0 combattre les mites \u00e0 coups de balai. Moi, j\u2019ai d\u00e9vers\u00e9 ma haine sur l\u2019expert-comptable. Son nom crach\u00e9 dans le vide, pas assez fort. J\u2019essaie avec des insultes. Encul\u00e9, \u00e7a ne fait plus rien. Enfoir\u00e9, trop ti\u00e8de. Rabelais me souffle autre chose. M\u00e2che-merde. L\u00e0, on s\u2019\u00e9l\u00e8ve. Il y a une dignit\u00e9 du merdique, parfois. Mais d\u00e9j\u00e0 je m\u2019ennuie. L\u2019odeur, la pluie, la chasse d\u2019eau qui fuit. La peur de percer le plafond d\u2019en dessous. Les mites reviennent. S. dit : \u201cla chienlit\u201d. Je pense : ce ne sont que des vues de l\u2019esprit. Mais l\u2019odeur persiste. Anders Zorn me traverse. Supprimer le bleu, le faire rena\u00eetre autrement. Deux chauds, une froide. M\u00eame chose ici : deux haines, un geste retenu. Le nom que je crache devient mon exutoire. Je ne cogne pas. Je nomme. C\u2019est \u00e7a mon effort de civilisation. Mais rien n\u2019est propre. Rien ne tient. M\u00eame le plafond menace. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/tourner-en-rond.webp?1748065093", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-octobre-2023-895.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-octobre-2023-895.html", "title": "20 octobre 2023", "date_published": "2023-10-20T18:16:00Z", "date_modified": "2025-04-02T18:17:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Quand on pense au verbe « lire »,
\non pense au livre.
\nAu texte. \u00c0 la feuille noircie.
\nAux lettres, aux factures, aux commandements de payer.<\/p>\n

Mais lire, c\u2019est plus que \u00e7a.
\nC\u2019est d\u00e9coder les signes —
\ntous les signes.
\nCeux qu\u2019on laisse derri\u00e8re soi,
\net ceux qu\u2019on croit adress\u00e9s, par erreur ou miracle.<\/p>\n

Lire, c\u2019est voir les messages griffonn\u00e9s dans l\u2019\u00e9corce d\u2019un tronc.
\nLes fractures des vieux murs.
\nLe flux des pens\u00e9es,
\ncharg\u00e9 de toute la merde que l\u2019\u00e9poque d\u00e9verse en nous.<\/p>\n

Lire, oui.
\nMais encore faut-il savoir traduire.
\nRendre clair. Pour soi. Pour les autres.
\nSinon, on bascule dans le salmigondis, le saugrenu.<\/p>\n

Est-ce qu\u2019on apprend \u00e7a ?
\nPeut-\u00eatre que non.
\nPeut-\u00eatre qu\u2019on na\u00eet avec.
\nOu peut-\u00eatre qu\u2019on le d\u00e9sapprend tr\u00e8s vite.
\n\u00c0 l\u2019\u00e9cole.
\nQuand on nous fait \u00e2nonner des textes morts.
\nQuand on oublie ce que lire voulait dire.<\/p>\n

Alors, il faut du temps.
\nDes ann\u00e9es parfois.
\nPour que l\u2019\u00e9veil survienne.
\nQu\u2019on brise la coquille.
\nQu\u2019on red\u00e9couvre la lecture —
\ndes livres, du monde, de soi.<\/p>\n

Mais \u00e7a a un prix.
\nIl faut tout perdre.
\nIl faut avoir oubli\u00e9 les besoins.
\nSe retrouver nu. Comme un ver.<\/p>\n

Et l\u00e0, peut-\u00eatre —
\nla lecture revient.
\nPar les narines.
\nIn\u00e9dite. Et pas tant.
\n\u00c9trange. Curieuse.
\nFamili\u00e8re. Triviale.<\/p>\n

La vie.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Lire.
\nOn sait ce que c\u2019est. Non ?
\nDes lettres. Un texte. Une facture.
\nMais — attends —
\nil y avait aussi ce mur\u2026
\nce jour-l\u00e0, il y avait un mur et quelque chose dessus\u2026
\npas un mot. Mais c\u2019\u00e9tait lisible.
\nC\u2019\u00e9tait\u2026 pour moi ? Non.
\nMais je l\u2019ai lu. Quand m\u00eame.<\/p>\n

Et puis il y a ce moment o\u00f9 \u00e7a devient trop.
\nTout se m\u00e9lange.
\nLe texte, les pens\u00e9es, la merde de l\u2019\u00e9poque.
\n\u00c7a d\u00e9borde.
\nAlors, on veut traduire.
\nMais on sait plus. On sait plus comment.<\/p>\n

Et puis un jour, peut-\u00eatre —
\non sent un truc.
\nUn petit truc.
\nPas une id\u00e9e.
\nUne odeur.
\nUn truc dans le nez.
\nEt c\u2019est l\u00e0.
\nC\u2019est revenu.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte dit : lire, ce n\u2019est pas comprendre.
\nLire, c\u2019est capter. Traverser. \u00catre travers\u00e9.<\/p>\n

Il commence par la norme — lire comme fonction sociale. Lire comme obligation. Lire comme acte bureaucratique.
\nPuis glisse lentement vers l\u2019autre lecture :
\ncelle des signes invisibles.
\nDes co\u00efncidences \u00e9tranges.
\nDes \u00e9clats de r\u00e9el. <\/p>\n

Ce qui frappe ici, c\u2019est le lien entre lecture et \u00e9rosion du moi<\/strong>.
\nIl faut oublier les besoins.
\nSe retrouver nu, vuln\u00e9rable, pour que la lecture essentielle revienne.
\nPas comme savoir.
\nMais comme exp\u00e9rience sensorielle<\/strong>.
\nPar les narines.<\/p>\n

C\u2019est presque un retour archa\u00efque au monde<\/strong> : on lit comme on sent, comme on respire.
\nL\u2019odeur devient langage.
\nEt ce langage n\u2019est ni nouveau ni ancien —
\nil est simplement revenu.<\/p>\n

Ce fragment est un petit trait\u00e9 de lecture profonde,
\n\u00e9crit sans dogme.
\nUn texte sur l\u2019apr\u00e8s.
\nApr\u00e8s l\u2019\u00e9cole. Apr\u00e8s le sens.
\nQuand il ne reste que \u00e7a :
\nla lecture du monde,
\ncomme une trace famili\u00e8re dans l\u2019air.<\/p>", "content_text": " Quand on pense au verbe \"lire\", on pense au livre. Au texte. \u00c0 la feuille noircie. Aux lettres, aux factures, aux commandements de payer. Mais lire, c\u2019est plus que \u00e7a. C\u2019est d\u00e9coder les signes \u2014 tous les signes. Ceux qu\u2019on laisse derri\u00e8re soi, et ceux qu\u2019on croit adress\u00e9s, par erreur ou miracle. Lire, c\u2019est voir les messages griffonn\u00e9s dans l\u2019\u00e9corce d\u2019un tronc. Les fractures des vieux murs. Le flux des pens\u00e9es, charg\u00e9 de toute la merde que l\u2019\u00e9poque d\u00e9verse en nous. Lire, oui. Mais encore faut-il savoir traduire. Rendre clair. Pour soi. Pour les autres. Sinon, on bascule dans le salmigondis, le saugrenu. Est-ce qu\u2019on apprend \u00e7a ? Peut-\u00eatre que non. Peut-\u00eatre qu\u2019on na\u00eet avec. Ou peut-\u00eatre qu\u2019on le d\u00e9sapprend tr\u00e8s vite. \u00c0 l\u2019\u00e9cole. Quand on nous fait \u00e2nonner des textes morts. Quand on oublie ce que lire voulait dire. Alors, il faut du temps. Des ann\u00e9es parfois. Pour que l\u2019\u00e9veil survienne. Qu\u2019on brise la coquille. Qu\u2019on red\u00e9couvre la lecture \u2014 des livres, du monde, de soi. Mais \u00e7a a un prix. Il faut tout perdre. Il faut avoir oubli\u00e9 les besoins. Se retrouver nu. Comme un ver. Et l\u00e0, peut-\u00eatre \u2014 la lecture revient. Par les narines. In\u00e9dite. Et pas tant. \u00c9trange. Curieuse. Famili\u00e8re. Triviale. La vie. {{sous-conversation}} Lire. On sait ce que c\u2019est. Non ? Des lettres. Un texte. Une facture. Mais \u2014 attends \u2014 il y avait aussi ce mur\u2026 ce jour-l\u00e0, il y avait un mur et quelque chose dessus\u2026 pas un mot. Mais c\u2019\u00e9tait lisible. C\u2019\u00e9tait\u2026 pour moi ? Non. Mais je l\u2019ai lu. Quand m\u00eame. Et puis il y a ce moment o\u00f9 \u00e7a devient trop. Tout se m\u00e9lange. Le texte, les pens\u00e9es, la merde de l\u2019\u00e9poque. \u00c7a d\u00e9borde. Alors, on veut traduire. Mais on sait plus. On sait plus comment. Et puis un jour, peut-\u00eatre \u2014 on sent un truc. Un petit truc. Pas une id\u00e9e. Une odeur. Un truc dans le nez. Et c\u2019est l\u00e0. C\u2019est revenu. {{note de travail}} Ce texte dit : lire, ce n\u2019est pas comprendre. Lire, c\u2019est capter. Traverser. \u00catre travers\u00e9. Il commence par la norme \u2014 lire comme fonction sociale. Lire comme obligation. Lire comme acte bureaucratique. Puis glisse lentement vers l\u2019autre lecture : celle des signes invisibles. Des co\u00efncidences \u00e9tranges. Des \u00e9clats de r\u00e9el. Ce qui frappe ici, c\u2019est le lien entre **lecture et \u00e9rosion du moi**. Il faut oublier les besoins. Se retrouver nu, vuln\u00e9rable, pour que la lecture essentielle revienne. Pas comme savoir. Mais comme **exp\u00e9rience sensorielle**. Par les narines. C\u2019est presque un **retour archa\u00efque au monde** : on lit comme on sent, comme on respire. L\u2019odeur devient langage. Et ce langage n\u2019est ni nouveau ni ancien \u2014 il est simplement revenu. Ce fragment est un petit trait\u00e9 de lecture profonde, \u00e9crit sans dogme. Un texte sur l\u2019apr\u00e8s. Apr\u00e8s l\u2019\u00e9cole. Apr\u00e8s le sens. Quand il ne reste que \u00e7a : la lecture du monde, comme une trace famili\u00e8re dans l\u2019air. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/conte-de-fee.jpg?1748065172", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-octobre-2023.html", "title": "20 octobre 2023", "date_published": "2023-10-20T18:10:00Z", "date_modified": "2025-04-02T18:12:20Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Au d\u00e9but, le brouhaha. Trop fort.
\nIl vaudrait mieux parler d\u2019un bruit de fond.
\nUn poste de radio, dans une cuisine,
\nqu\u2019on allume au petit-d\u00e9jeuner,
\npour contrer un certain vide.
\nUne absence que l\u2019habitude juge insupportable.<\/p>\n

Le bruit de fond :
\npr\u00e9sence contre pr\u00e9sence de l\u2019absence.
\nIl faut toujours une fronti\u00e8re pour sentir les limites.
\nEnsuite, \u00e0 chacun de choisir de les franchir.<\/p>\n

On pourrait aussi rejeter l\u2019ensemble.
\nNi bruit. Ni silence. Ni tout. Ni rien.
\nUne entreprise de moine.
\nParvenir d\u00e9j\u00e0 \u00e0 ce premier pas de c\u00f4t\u00e9\u2026
\nle reste n\u2019est qu\u2019anecdote.<\/p>\n

Il y a ce poste, pos\u00e9 sur la table.
\nDans la t\u00eate aussi, il y a une cuisine.
\nUne table. Un mug de caf\u00e9 noir.
\nTout \u00e7a, reconstruit par la cervelle.
\nPar habitude.<\/p>\n

Il y a des ann\u00e9es, j\u2019avais bris\u00e9 mon cochon.
\nAvec \u00e7a, j\u2019avais command\u00e9 *A Course in Miracles*.
\nTraduction de Sylvain du Boullay.
\nMais trop dubitatif, je me suis arr\u00eat\u00e9 au cinqui\u00e8me exercice.<\/p>\n

(Le livret de l\u2019\u00e9l\u00e8ve.)<\/p>\n

Il fallait prendre quelques minutes par jour,
\net dire :
\nje ne sais rien de cette pi\u00e8ce,
\nde cette table,
\nde ce vase,
\nde cette chaise.<\/p>\n

Rien qu\u2019en y pensant,
\nle bruit de fond s\u2019amenuise.
\nComme alors.
\nOn revient \u00e0 son propre battement de c\u0153ur.
\nSa respiration.
\nEt rien d\u2019autre.<\/p>\n

Un peu effrayant au d\u00e9but.
\nComme un interrupteur.
\nOn \u00e9teint le monde en disant : je ne sais rien.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que l\u2019\u00e9criture proc\u00e8de de la m\u00eame tentative.
\nNon pas d\u2019affrontement.
\nMais d\u2019approche.<\/p>\n

Il faut fatiguer la viande.
\nQue toute r\u00e9sistance s\u2019\u00e9vanouisse.<\/p>\n

Alors le miracle surgit.
\n\u00c7a s\u2019\u00e9crit seul.<\/p>\n

Ni l\u2019un, ni l\u2019autre.
\nMais un avec l\u2019un comme l\u2019autre.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u00c7a gr\u00e9sille.
\nPas trop fort. Juste assez pour masquer.
\nMasquer quoi ?
\nOn ne sait plus tr\u00e8s bien. Un vide ? Une peur ?
\nUn silence trop franc, trop dur ?<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0, le poste.
\nSur la table.
\nLe caf\u00e9 fume encore.
\nMais ce n\u2019est pas le caf\u00e9.
\nC\u2019est\u2026 le cadre.
\nLa cervelle qui reconstruit.
\nToujours.<\/p>\n

Et puis : rien.
\nPlus de mots.
\n“Je ne sais pas ce que c\u2019est.”
\nUn vertige doux.
\nComme si l\u2019objet reculait.
\nComme si le monde faisait un pas en arri\u00e8re.<\/p>\n

\u00c9crire ?
\nPeut-\u00eatre juste \u00e7a :
\ndire “je ne sais pas” d\u2019une autre mani\u00e8re.<\/p>\n

Fatiguer la viande.
\nQu\u2019elle l\u00e2che.
\nEt que \u00e7a passe.
\n\u00c0 travers.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Texte de seuil. Texte de vacillement.
\nCe que l\u2019auteur explore ici n\u2019est pas l\u2019opposition entre bruit et silence, mais l\u2019intuition d\u2019un troisi\u00e8me terme<\/strong>, plus instable, plus insaisissable : l\u2019\u00e9tat entre<\/em>.<\/p>\n

Tout commence avec la radio. La cuisine. Le bruit domestique.
\nMais tr\u00e8s vite, on bascule.
\nLa table devient mentale. Le mug devient reconstruit.
\nLa radio devient un seuil vers l\u2019inconnu.<\/p>\n

Ce texte est travers\u00e9 par une tentative de d\u00e9familiarisation du monde<\/strong>, par le biais d\u2019un exercice spirituel : dire je ne sais rien<\/em>.<\/p>\n

Le paradoxe est beau :
\nplus on renonce au savoir,
\nplus on entre dans un rapport vrai au r\u00e9el.<\/p>\n

L\u2019\u00e9criture ici est v\u00e9cue comme une pratique proche de la m\u00e9ditation ou de la transe l\u00e9g\u00e8re<\/strong>. Il faut fatiguer la mati\u00e8re. Fatiguer la viande<\/em>, dit-il. C\u2019est fort, c\u2019est brutal, mais juste.<\/p>\n

Et puis\u2026 “\u00e7a s\u2019\u00e9crit seul.”<\/em>
\nCe n\u2019est pas la gr\u00e2ce. Ce n\u2019est pas la technique.
\nC\u2019est l\u2019effacement du moi qui r\u00e9siste<\/strong>.<\/p>\n

La derni\u00e8re phrase fonctionne comme un koan :
\nni l\u2019un ni l\u2019autre, mais un avec l\u2019un comme l\u2019autre.<\/p>\n

On n\u2019est plus dans la syntaxe.
\nOn est dans l\u2019exp\u00e9rience.<\/p>\n

Ce texte n\u2019est pas seulement pens\u00e9.
\nIl est travers\u00e9<\/em>.<\/p>", "content_text": " Au d\u00e9but, le brouhaha. Trop fort. Il vaudrait mieux parler d\u2019un bruit de fond. Un poste de radio, dans une cuisine, qu\u2019on allume au petit-d\u00e9jeuner, pour contrer un certain vide. Une absence que l\u2019habitude juge insupportable. Le bruit de fond : pr\u00e9sence contre pr\u00e9sence de l\u2019absence. Il faut toujours une fronti\u00e8re pour sentir les limites. Ensuite, \u00e0 chacun de choisir de les franchir. On pourrait aussi rejeter l\u2019ensemble. Ni bruit. Ni silence. Ni tout. Ni rien. Une entreprise de moine. Parvenir d\u00e9j\u00e0 \u00e0 ce premier pas de c\u00f4t\u00e9\u2026 le reste n\u2019est qu\u2019anecdote. Il y a ce poste, pos\u00e9 sur la table. Dans la t\u00eate aussi, il y a une cuisine. Une table. Un mug de caf\u00e9 noir. Tout \u00e7a, reconstruit par la cervelle. Par habitude. Il y a des ann\u00e9es, j\u2019avais bris\u00e9 mon cochon. Avec \u00e7a, j\u2019avais command\u00e9 *A Course in Miracles*. Traduction de Sylvain du Boullay. Mais trop dubitatif, je me suis arr\u00eat\u00e9 au cinqui\u00e8me exercice. (Le livret de l\u2019\u00e9l\u00e8ve.) Il fallait prendre quelques minutes par jour, et dire : je ne sais rien de cette pi\u00e8ce, de cette table, de ce vase, de cette chaise. Rien qu\u2019en y pensant, le bruit de fond s\u2019amenuise. Comme alors. On revient \u00e0 son propre battement de c\u0153ur. Sa respiration. Et rien d\u2019autre. Un peu effrayant au d\u00e9but. Comme un interrupteur. On \u00e9teint le monde en disant : je ne sais rien. Peut-\u00eatre que l\u2019\u00e9criture proc\u00e8de de la m\u00eame tentative. Non pas d\u2019affrontement. Mais d\u2019approche. Il faut fatiguer la viande. Que toute r\u00e9sistance s\u2019\u00e9vanouisse. Alors le miracle surgit. \u00c7a s\u2019\u00e9crit seul. Ni l\u2019un, ni l\u2019autre. Mais un avec l\u2019un comme l\u2019autre. {{sous-conversation}} \u00c7a gr\u00e9sille. Pas trop fort. Juste assez pour masquer. Masquer quoi ? On ne sait plus tr\u00e8s bien. Un vide ? Une peur ? Un silence trop franc, trop dur ? C\u2019est l\u00e0, le poste. Sur la table. Le caf\u00e9 fume encore. Mais ce n\u2019est pas le caf\u00e9. C\u2019est\u2026 le cadre. La cervelle qui reconstruit. Toujours. Et puis : rien. Plus de mots. \u201cJe ne sais pas ce que c\u2019est.\u201d Un vertige doux. Comme si l\u2019objet reculait. Comme si le monde faisait un pas en arri\u00e8re. \u00c9crire ? Peut-\u00eatre juste \u00e7a : dire \u201cje ne sais pas\u201d d\u2019une autre mani\u00e8re. Fatiguer la viande. Qu\u2019elle l\u00e2che. Et que \u00e7a passe. \u00c0 travers. {{note de travail}} Texte de seuil. Texte de vacillement. Ce que l\u2019auteur explore ici n\u2019est pas l\u2019opposition entre bruit et silence, mais **l\u2019intuition d\u2019un troisi\u00e8me terme**, plus instable, plus insaisissable : *l\u2019\u00e9tat entre*. Tout commence avec la radio. La cuisine. Le bruit domestique. Mais tr\u00e8s vite, on bascule. La table devient mentale. Le mug devient reconstruit. La radio devient un seuil vers l\u2019inconnu. Ce texte est travers\u00e9 par une **tentative de d\u00e9familiarisation du monde**, par le biais d\u2019un exercice spirituel : dire *je ne sais rien*. Le paradoxe est beau : plus on renonce au savoir, plus on entre dans un rapport vrai au r\u00e9el. L\u2019\u00e9criture ici est v\u00e9cue comme une **pratique proche de la m\u00e9ditation ou de la transe l\u00e9g\u00e8re**. Il faut fatiguer la mati\u00e8re. *Fatiguer la viande*, dit-il. C\u2019est fort, c\u2019est brutal, mais juste. Et puis\u2026 *\u201c\u00e7a s\u2019\u00e9crit seul.\u201d* Ce n\u2019est pas la gr\u00e2ce. Ce n\u2019est pas la technique. C\u2019est **l\u2019effacement du moi qui r\u00e9siste**. La derni\u00e8re phrase fonctionne comme un koan : ni l\u2019un ni l\u2019autre, mais un avec l\u2019un comme l\u2019autre. On n\u2019est plus dans la syntaxe. On est dans l\u2019exp\u00e9rience. Ce texte n\u2019est pas seulement pens\u00e9. Il est *travers\u00e9*. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/brouhaha.jpg?1748065197", "tags": ["Autofiction et Introspection", "seuils"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-octobre-2023-893.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-octobre-2023-893.html", "title": "20 octobre 2023", "date_published": "2023-10-20T17:53:00Z", "date_modified": "2025-04-02T17:54:11Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Nous avons emprisonn\u00e9 des voix pour une dur\u00e9e ind\u00e9termin\u00e9e.
\nNon plus seulement dans la mati\u00e8re, mais d\u00e9sormais dans le num\u00e9rique.
\nLa voix d\u2019Haroun Tazieff. Celle de Malraux. De Churchill.
\nElles cheminent encore, ind\u00e9pendantes des cordes vocales qui les form\u00e8rent.<\/p>\n

On peut les copier. Les recopier.
\n\u00c0 l\u2019infini.
\nM\u00e9moire morte.<\/p>\n

Alors que la vie, elle, n\u2019a besoin que de m\u00e9moire vive.
\nLimit\u00e9e. Organique. Pr\u00e9cieuse.<\/p>\n

Les cordes vocales, dit-on, se d\u00e9composent en deux ou trois ans.
\nEt pourtant les voix restent.
\nImaginer un enfant \u00e9coutant Reeves ou Hitler sur un podcast pour un expos\u00e9 d\u2019\u00e9cole\u2026
\nC\u2019est troublant. Mal\u00e9fique presque.<\/p>\n

Et si une \u00e2me ne pouvait quitter ce monde
\nqu\u2019\u00e0 condition d\u2019\u00eatre totalement oubli\u00e9e ?
\nSueurs froides.<\/p>\n

*<\/p>\n

\u00c0 Vallon en Sully, les vieux ne disent plus rien.
\nOu presque.
\nQuelques banalit\u00e9s.
\nComme s\u2019ils savaient le danger \u00e0 trop parler.<\/p>\n

Les souches mortes embaument doucement.
\nParfums m\u00eal\u00e9s aux essences encore vives.
\nEt un jour, tout a disparu.
\nMais des foug\u00e8res, tendres, ont surgi.
\nUn soulagement.
\nL\u2019intuition d\u2019un bon ordre des choses.<\/p>\n

*<\/p>\n

Quitter les r\u00e9seaux sociaux :
\nrenoncer au bavardage.
\nOn sent tout de suite que l\u2019\u00e9nergie n\u2019est plus la m\u00eame.<\/p>\n

Il ne me reste que ce blog
\npour nourrir l\u2019illusion d\u2019appartenir \u00e0 l\u2019esp\u00e8ce.
\nUne des derni\u00e8res r\u00e9sistances de la vanit\u00e9.<\/p>\n

Mais \u00e9crire sans jamais montrer\u2026
\nn\u2019est-ce pas une autre coquetterie ?
\nUne activit\u00e9 vaine ?<\/p>\n

Sans entrer en religion, l\u2019\u00e9criture me tient.
\nSans cela, tout serait vain.
\nM\u00eame si je sais bien que ce “cela” n\u2019est pas grand-chose.<\/p>\n

Aux \u00e9l\u00e8ves, je ne propose plus d\u2019\u0153uvres.
\nSeulement des exercices.
\nL\u2019\u0153uvre est plus secr\u00e8te.
\nPeut-\u00eatre m\u00eame ignor\u00e9e jusqu\u2019au bout.
\nEt alors, la belle affaire ?<\/p>\n

La modestie est une autre histoire.
\nPeut-\u00eatre la seule histoire.
\nOn ne sait jamais quand on y entre.
\nMais on en sortira, c\u2019est s\u00fbr.
\nLes pieds devant.<\/p>\n

*<\/p>\n

Lu une histoire \u00e9tonnante.
\nDifficilement.
\nLe traducteur n\u2019accepte qu\u2019un paragraphe \u00e0 la fois.
\nUne petite annonce :
\nun job pay\u00e9 pour d\u00e9f\u00e9quer.
\n“Ici vit un penseur.”
\nUn vrai boulot de merde.<\/p>\n

J\u2019aimerais lire plus.
\nMais sur PC, pas tablette.
\nTrop chiant de s\u00e9lectionner petit bout par petit bout.<\/p>\n

*<\/p>\n

Hier soir, vers 22 h,
\nnouvelle fuite d\u2019eau.
\nAu plafond cette fois.
\nJ\u2019ai coup\u00e9 l\u2019arriv\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale.
\nPos\u00e9 des gamelles. \u00c9pong\u00e9 le sol.<\/p>\n

Comme si on avait besoin de \u00e7a.<\/p>\n

Quand les coups de chien s\u2019enfilent comme des perles,
\nil ne reste plus qu\u2019\u00e0 trouver l\u2019os
\n\u00e0 se fourrer dans le nez.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Elles parlent encore.
\nLeurs voix.
\nPas leur souffle.
\nPas leur salive.
\nJuste\u2026 l\u2019\u00e9cho.
\nStock\u00e9. Empil\u00e9.<\/p>\n

Et lui, l\u00e0.
\nIl coupe l\u2019eau. Pose des bassines.
\nLa voix de Churchill et lui sous la fuite du plafond.
\nUn peu absurde, non ?<\/p>\n

\u00c7a parle trop.
\nAlors il se tait.
\nOu il \u00e9crit.
\nMais c\u2019est pareil.
\n\u00c7a fuit aussi. Par en dessous.<\/p>\n

Il dit que l\u2019\u0153uvre est secr\u00e8te.
\nMais il guette quand m\u00eame les visites du blog.
\nUn peu. Juste un peu.
\nR\u00e9sistance ou coquetterie ?<\/p>\n

L\u2019ennui revient.
\nMais l\u2019ennui,
\nc\u2019est peut-\u00eatre le seul endroit
\no\u00f9 il reste encore du vrai.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Texte hant\u00e9. Par les voix, par la m\u00e9moire, par les fluides.
\nVoix mortes mais toujours audibles.
\nCorps en d\u00e9composition, mais voix reproductibles.
\nOn entre ici dans une temporalit\u00e9 disjointe<\/strong>, un monde o\u00f9 le langage survit au corps — et l\u2019humain se demande s\u2019il peut encore dispara\u00eetre pour de bon.<\/p>\n

L\u2019auteur pose une hypoth\u00e8se vertigineuse :
\net si la condition du repos \u00e9tait l\u2019oubli total ?
\nMais notre \u00e9poque, au contraire, archive, redouble, ressuscite par l\u2019enregistrement.<\/p>\n

Puis viennent les vieux du village. Les arbres. Les souches.
\nUne sagesse du silence.
\nLe “bon ordre des choses” n\u2019est pas r\u00e9actionnaire ici. Il est pulsation organique<\/strong>, compost.<\/p>\n

Il renonce au bavardage, mais pas \u00e0 l\u2019\u00e9criture.
\nOu plut\u00f4t, il interroge l\u2019\u00e9criture comme dernier bavardage noble<\/strong>.
\nCe blog devient une planche de flottaison.
\nUn carnet pour continuer \u00e0 appartenir.<\/p>\n

Il dit qu\u2019il ne fait plus d\u2019\u0153uvres. Qu\u2019il ne transmet que des exercices.
\nC\u2019est une grande phrase d\u2019artiste d\u00e9sencombr\u00e9<\/strong>.
\nMais derri\u00e8re l\u2019humilit\u00e9, il y a une inqui\u00e9tude tenace :
\nEt si je n\u2019avais rien<\/em> laiss\u00e9 ?<\/p>\n

Enfin, la fuite d\u2019eau. Le boulot pay\u00e9 pour chier.
\nRetour au trivial, au burlesque.
\nMais c\u2019est l\u00e0 que le texte touche une autre v\u00e9rit\u00e9 :
\nquand \u00e7a d\u00e9borde,
\nil faut couper l\u2019arriv\u00e9e.<\/p>\n

Et \u00e9crire.<\/p>", "content_text": " Nous avons emprisonn\u00e9 des voix pour une dur\u00e9e ind\u00e9termin\u00e9e. Non plus seulement dans la mati\u00e8re, mais d\u00e9sormais dans le num\u00e9rique. La voix d\u2019Haroun Tazieff. Celle de Malraux. De Churchill. Elles cheminent encore, ind\u00e9pendantes des cordes vocales qui les form\u00e8rent. On peut les copier. Les recopier. \u00c0 l\u2019infini. M\u00e9moire morte. Alors que la vie, elle, n\u2019a besoin que de m\u00e9moire vive. Limit\u00e9e. Organique. Pr\u00e9cieuse. Les cordes vocales, dit-on, se d\u00e9composent en deux ou trois ans. Et pourtant les voix restent. Imaginer un enfant \u00e9coutant Reeves ou Hitler sur un podcast pour un expos\u00e9 d\u2019\u00e9cole\u2026 C\u2019est troublant. Mal\u00e9fique presque. Et si une \u00e2me ne pouvait quitter ce monde qu\u2019\u00e0 condition d\u2019\u00eatre totalement oubli\u00e9e ? Sueurs froides. * \u00c0 Vallon en Sully, les vieux ne disent plus rien. Ou presque. Quelques banalit\u00e9s. Comme s\u2019ils savaient le danger \u00e0 trop parler. Les souches mortes embaument doucement. Parfums m\u00eal\u00e9s aux essences encore vives. Et un jour, tout a disparu. Mais des foug\u00e8res, tendres, ont surgi. Un soulagement. L\u2019intuition d\u2019un bon ordre des choses. * Quitter les r\u00e9seaux sociaux : renoncer au bavardage. On sent tout de suite que l\u2019\u00e9nergie n\u2019est plus la m\u00eame. Il ne me reste que ce blog pour nourrir l\u2019illusion d\u2019appartenir \u00e0 l\u2019esp\u00e8ce. Une des derni\u00e8res r\u00e9sistances de la vanit\u00e9. Mais \u00e9crire sans jamais montrer\u2026 n\u2019est-ce pas une autre coquetterie ? Une activit\u00e9 vaine ? Sans entrer en religion, l\u2019\u00e9criture me tient. Sans cela, tout serait vain. M\u00eame si je sais bien que ce \u201ccela\u201d n\u2019est pas grand-chose. Aux \u00e9l\u00e8ves, je ne propose plus d\u2019\u0153uvres. Seulement des exercices. L\u2019\u0153uvre est plus secr\u00e8te. Peut-\u00eatre m\u00eame ignor\u00e9e jusqu\u2019au bout. Et alors, la belle affaire ? La modestie est une autre histoire. Peut-\u00eatre la seule histoire. On ne sait jamais quand on y entre. Mais on en sortira, c\u2019est s\u00fbr. Les pieds devant. * Lu une histoire \u00e9tonnante. Difficilement. Le traducteur n\u2019accepte qu\u2019un paragraphe \u00e0 la fois. Une petite annonce : un job pay\u00e9 pour d\u00e9f\u00e9quer. \u201cIci vit un penseur.\u201d Un vrai boulot de merde. J\u2019aimerais lire plus. Mais sur PC, pas tablette. Trop chiant de s\u00e9lectionner petit bout par petit bout. * Hier soir, vers 22 h, nouvelle fuite d\u2019eau. Au plafond cette fois. J\u2019ai coup\u00e9 l\u2019arriv\u00e9e g\u00e9n\u00e9rale. Pos\u00e9 des gamelles. \u00c9pong\u00e9 le sol. Comme si on avait besoin de \u00e7a. Quand les coups de chien s\u2019enfilent comme des perles, il ne reste plus qu\u2019\u00e0 trouver l\u2019os \u00e0 se fourrer dans le nez. {{sous-conversation}} Elles parlent encore. Leurs voix. Pas leur souffle. Pas leur salive. Juste\u2026 l\u2019\u00e9cho. Stock\u00e9. Empil\u00e9. Et lui, l\u00e0. Il coupe l\u2019eau. Pose des bassines. La voix de Churchill et lui sous la fuite du plafond. Un peu absurde, non ? \u00c7a parle trop. Alors il se tait. Ou il \u00e9crit. Mais c\u2019est pareil. \u00c7a fuit aussi. Par en dessous. Il dit que l\u2019\u0153uvre est secr\u00e8te. Mais il guette quand m\u00eame les visites du blog. Un peu. Juste un peu. R\u00e9sistance ou coquetterie ? L\u2019ennui revient. Mais l\u2019ennui, c\u2019est peut-\u00eatre le seul endroit o\u00f9 il reste encore du vrai. {{note de travail}} Texte hant\u00e9. Par les voix, par la m\u00e9moire, par les fluides. Voix mortes mais toujours audibles. Corps en d\u00e9composition, mais voix reproductibles. On entre ici dans une **temporalit\u00e9 disjointe**, un monde o\u00f9 le langage survit au corps \u2014 et l\u2019humain se demande s\u2019il peut encore dispara\u00eetre pour de bon. L\u2019auteur pose une hypoth\u00e8se vertigineuse : et si la condition du repos \u00e9tait l\u2019oubli total ? Mais notre \u00e9poque, au contraire, archive, redouble, ressuscite par l\u2019enregistrement. Puis viennent les vieux du village. Les arbres. Les souches. Une sagesse du silence. Le \u201cbon ordre des choses\u201d n\u2019est pas r\u00e9actionnaire ici. Il est **pulsation organique**, compost. Il renonce au bavardage, mais pas \u00e0 l\u2019\u00e9criture. Ou plut\u00f4t, il **interroge l\u2019\u00e9criture comme dernier bavardage noble**. Ce blog devient une planche de flottaison. Un carnet pour continuer \u00e0 appartenir. Il dit qu\u2019il ne fait plus d\u2019\u0153uvres. Qu\u2019il ne transmet que des exercices. C\u2019est une **grande phrase d\u2019artiste d\u00e9sencombr\u00e9**. Mais derri\u00e8re l\u2019humilit\u00e9, il y a une inqui\u00e9tude tenace : Et si je n\u2019avais *rien* laiss\u00e9 ? Enfin, la fuite d\u2019eau. Le boulot pay\u00e9 pour chier. Retour au trivial, au burlesque. Mais c\u2019est l\u00e0 que le texte touche une autre v\u00e9rit\u00e9 : quand \u00e7a d\u00e9borde, il faut couper l\u2019arriv\u00e9e. Et \u00e9crire. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/flou3.webp?1748065087", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-octobre-2023.html", "title": "19 octobre 2023", "date_published": "2023-10-19T17:42:00Z", "date_modified": "2025-04-02T17:42:12Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

L\u2019accord du participe pass\u00e9 employ\u00e9 comme \u00e9pith\u00e8te s\u2019accorde en genre et en nombre avec le mot qu\u2019il qualifie. (1906, Grevisse)<\/p>\n

Et pourtant...<\/p>\n

Ils savaient jouer des coudes jusqu\u2019\u00e0 l\u2019os. D\u2019o\u00f9 sans doute leur physionomie de manchots.
\nAssoiff\u00e9s cong\u00e9nitaux, ils burent sans jamais \u00e9tancher leur soif.
\nIls s\u2019\u00e9poumon\u00e8rent, baroques, grotesques, d\u00e9form\u00e9s —
\nDaumier les aurait croqu\u00e9s avec plus de charit\u00e9 qu\u2019ils n\u2019en avaient eux-m\u00eames. <\/p>\n

Ils avaient vu tant de pays, appris la prudence, la circonspection.
\nMais pas la justice.<\/p>\n

Les murs \u00e9taient d\u00e9labr\u00e9s, les tapisseries d\u00e9chir\u00e9es, les parquets explos\u00e9s —
\nils y vivaient quand m\u00eame, presque heureux d\u2019avoir \u00e9chapp\u00e9 au pire.<\/p>\n


\n

Ce qui participe d\u2019un pass\u00e9, le participe pass\u00e9 —
\nil est pass\u00e9 o\u00f9, celui qui participe, en principe ?<\/p>\n

Le compl\u00e9ment de l\u2019objet —
\ncomme si l\u2019objet seul ne suffisait pas.
\nIls se compliment\u00e8rent de l\u2019absence de compl\u00e9ment,
\njusqu\u2019\u00e0 ce que surgisse l\u2019objet nu.<\/p>\n


\n

Parvenir \u00e0 la phrase simple.<\/p>\n

Jon Fosse : mots simples, phrases simples.
\nChez lui, la forme passive comme refuge :
\nles sentiments nous traversent,
\nnous ne les poss\u00e9dons pas.<\/p>\n

Simplicit\u00e9 de l’installation,
\nespace laiss\u00e9 au lecteur.
\nLibert\u00e9 de l\u2019imaginaire.<\/p>\n


\n

Il a v\u00e9cu une vie d\u2019\u00e9crivain,
\nparall\u00e8le \u00e0 l\u2019autre.
\nCr\u00e9er. Mentir au besoin.
\nUn r\u00e9flexe.
\n\u00c0 la marge.<\/p>\n

Et dans la marge,
\nle rouge l\u2019emporte.
\nOn \u00e9crit \u00e0 l\u2019encre violette
\net l\u2019on se retrouve marqu\u00e9 de rouge.
\nLe violet viol\u00e9 par le rouge.<\/p>\n


\n

Lecture de prologues sur le blog de F.B.
\nL\u2019enfance revient sous forme de main l\u00e2ch\u00e9e.
\nS\u00e9curit\u00e9 affective rompue.
\nOdeur de sous-bois, ennui tress\u00e9 de peur.<\/p>\n

L\u2019ennui d\u2019enfance :
\n\u00e9troitesse et immensit\u00e9.<\/p>\n

On y est pi\u00e9g\u00e9 sans raison.
\nOn en cherche une.
\nNaissance de l\u2019imagination.<\/p>\n


\n

J\u2019ai pris du retard sur les textes.
\nEt j\u2019en suis content.
\nUne r\u00e9sistance neuve, peut-\u00eatre.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Il y en a trop.
\nDes blocs. Des mots. Des notes.
\nUn d\u00e9sordre peut-\u00eatre. Ou un ordre qu\u2019on ne voit pas.<\/p>\n

La grammaire — oui, \u00e7a rassure,
\nmais \u00e7a pique aussi.
\nLe participe qui ne participe \u00e0 rien, sauf \u00e0 la confusion.<\/p>\n

Et Fosse —
\nlui, il a compris.
\nNe pas tout dire.
\nJuste \u00eatre travers\u00e9.<\/p>\n

Mais ici, \u00e7a bourdonne.
\n\u00c7a revient. \u00c7a se chevauche.<\/p>\n

Rouge. Violet.
\nTu veux \u00e9crire bien.
\nMais toujours cette marque,
\ndans la marge.
\nLa tienne ?<\/p>\n

Et puis cette phrase\u2026
\nretard sur les textes.
\nMais tu souris.
\nIl y a quelque chose qui revient.
\nUn souffle ? Une permission ?<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce fragment est un feuillet\u00e9 de strates.
\nGrammaire, politique, esth\u00e9tique, enfance, solitude, lecture.
\nUne pens\u00e9e en mosa\u00efque<\/strong> — non pas \u00e9parpill\u00e9e, mais atomis\u00e9e. Chaque bloc est un miroir.<\/p>\n

Le sujet semble chercher une sortie. Une issue vers la simplicit\u00e9.
\nLa simplicit\u00e9 des phrases.
\nLa simplicit\u00e9 de vivre.<\/p>\n

Mais l\u2019\u00e9criture est l\u00e0, compulsive, diffract\u00e9e. Elle ressasse, elle digresse, elle revient.
\nLe monde est l\u00e0 : grotesque, injuste, satur\u00e9.
\nEt dans la marge, en rouge, la trace du jugement.<\/p>\n

Il y a un aveu discret ici : la violence scolaire int\u00e9rioris\u00e9e<\/strong>, l\u2019injonction de bien faire, la douleur du “trop”.
\nMais aussi une revanche discr\u00e8te : dans l\u2019ennui, na\u00eet l\u2019imaginaire.
\nDans le retard, une joie : “une r\u00e9sistance neuve”.<\/p>\n

Ce texte ne cherche pas \u00e0 plaire. Il respire une fatigue cr\u00e9ative<\/strong>, un trop-plein presque lib\u00e9rateur.<\/p>\n

Il ne cherche plus la perfection grammaticale.
\nIl cherche l\u2019\u00e9chapp\u00e9e.<\/p>", "content_text": " L\u2019accord du participe pass\u00e9 employ\u00e9 comme \u00e9pith\u00e8te s\u2019accorde en genre et en nombre avec le mot qu\u2019il qualifie. (1906, Grevisse) Et pourtant... Ils savaient jouer des coudes jusqu\u2019\u00e0 l\u2019os. D\u2019o\u00f9 sans doute leur physionomie de manchots. Assoiff\u00e9s cong\u00e9nitaux, ils burent sans jamais \u00e9tancher leur soif. Ils s\u2019\u00e9poumon\u00e8rent, baroques, grotesques, d\u00e9form\u00e9s \u2014 Daumier les aurait croqu\u00e9s avec plus de charit\u00e9 qu\u2019ils n\u2019en avaient eux-m\u00eames. Ils avaient vu tant de pays, appris la prudence, la circonspection. Mais pas la justice. Les murs \u00e9taient d\u00e9labr\u00e9s, les tapisseries d\u00e9chir\u00e9es, les parquets explos\u00e9s \u2014 ils y vivaient quand m\u00eame, presque heureux d\u2019avoir \u00e9chapp\u00e9 au pire. *** Ce qui participe d\u2019un pass\u00e9, le participe pass\u00e9 \u2014 il est pass\u00e9 o\u00f9, celui qui participe, en principe ? Le compl\u00e9ment de l\u2019objet \u2014 comme si l\u2019objet seul ne suffisait pas. Ils se compliment\u00e8rent de l\u2019absence de compl\u00e9ment, jusqu\u2019\u00e0 ce que surgisse l\u2019objet nu. *** Parvenir \u00e0 la phrase simple. Jon Fosse : mots simples, phrases simples. Chez lui, la forme passive comme refuge : les sentiments nous traversent, nous ne les poss\u00e9dons pas. Simplicit\u00e9 de l'installation, espace laiss\u00e9 au lecteur. Libert\u00e9 de l\u2019imaginaire. *** Il a v\u00e9cu une vie d\u2019\u00e9crivain, parall\u00e8le \u00e0 l\u2019autre. Cr\u00e9er. Mentir au besoin. Un r\u00e9flexe. \u00c0 la marge. Et dans la marge, le rouge l\u2019emporte. On \u00e9crit \u00e0 l\u2019encre violette et l\u2019on se retrouve marqu\u00e9 de rouge. Le violet viol\u00e9 par le rouge. *** Lecture de prologues sur le blog de F.B. L\u2019enfance revient sous forme de main l\u00e2ch\u00e9e. S\u00e9curit\u00e9 affective rompue. Odeur de sous-bois, ennui tress\u00e9 de peur. L\u2019ennui d\u2019enfance : \u00e9troitesse et immensit\u00e9. On y est pi\u00e9g\u00e9 sans raison. On en cherche une. Naissance de l\u2019imagination. *** J\u2019ai pris du retard sur les textes. Et j\u2019en suis content. Une r\u00e9sistance neuve, peut-\u00eatre. {{sous-conversation}} Il y en a trop. Des blocs. Des mots. Des notes. Un d\u00e9sordre peut-\u00eatre. Ou un ordre qu\u2019on ne voit pas. La grammaire \u2014 oui, \u00e7a rassure, mais \u00e7a pique aussi. Le participe qui ne participe \u00e0 rien, sauf \u00e0 la confusion. Et Fosse \u2014 lui, il a compris. Ne pas tout dire. Juste \u00eatre travers\u00e9. Mais ici, \u00e7a bourdonne. \u00c7a revient. \u00c7a se chevauche. Rouge. Violet. Tu veux \u00e9crire bien. Mais toujours cette marque, dans la marge. La tienne ? Et puis cette phrase\u2026 retard sur les textes. Mais tu souris. Il y a quelque chose qui revient. Un souffle ? Une permission ? {{note de travail}} Ce fragment est un feuillet\u00e9 de strates. Grammaire, politique, esth\u00e9tique, enfance, solitude, lecture. Une **pens\u00e9e en mosa\u00efque** \u2014 non pas \u00e9parpill\u00e9e, mais atomis\u00e9e. Chaque bloc est un miroir. Le sujet semble chercher une sortie. Une issue vers la simplicit\u00e9. La simplicit\u00e9 des phrases. La simplicit\u00e9 de vivre. Mais l\u2019\u00e9criture est l\u00e0, compulsive, diffract\u00e9e. Elle ressasse, elle digresse, elle revient. Le monde est l\u00e0 : grotesque, injuste, satur\u00e9. Et dans la marge, en rouge, la trace du jugement. Il y a un aveu discret ici : **la violence scolaire int\u00e9rioris\u00e9e**, l\u2019injonction de bien faire, la douleur du \u201ctrop\u201d. Mais aussi une revanche discr\u00e8te : dans l\u2019ennui, na\u00eet l\u2019imaginaire. Dans le retard, une joie : \u201cune r\u00e9sistance neuve\u201d. Ce texte ne cherche pas \u00e0 plaire. Il **respire une fatigue cr\u00e9ative**, un trop-plein presque lib\u00e9rateur. Il ne cherche plus la perfection grammaticale. Il cherche l\u2019\u00e9chapp\u00e9e. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/flou2.jpg?1748065072", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-octobre-2023-891.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-octobre-2023-891.html", "title": "18 octobre 2023", "date_published": "2023-10-18T17:31:00Z", "date_modified": "2025-04-02T17:32:36Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Les saisons arrivent, repartent, reviennent.
\n\u00c0 peu pr\u00e8s semblables, d\u2019ann\u00e9e en ann\u00e9e.<\/p>\n

L\u2019enfant apprend ce rythme par le corps.
\nIl hume l\u2019air, sent l\u2019automne, devine l\u2019hiver.
\nEt pourtant\u2026 ni de la ville, ni des champs.
\n\u00c9tranger au monde qu\u2019il traverse.<\/p>\n

Un passager du temps.<\/p>\n

Quand il fait beau, il se r\u00e9jouit. Quand il pleut, il tend les paumes.
\nIl aurait voulu vivre ainsi — port\u00e9 par le temps,
\ncomme autrefois dans un ventre.<\/p>\n

Mais l\u2019histoire n\u2019est pas d\u2019accord.<\/p>\n

N\u00e9 trop t\u00f4t. Un mois en avance.
\nPriv\u00e9 du sas, du langage invisible de l\u2019attente.
\nIl entre dans le monde par la peur.
\nTubes. Verre. Urgence.<\/p>\n

Plus tard, m\u00eame sc\u00e9nario.
\nIl part du primaire avant la fin.
\nPerd la maison, le jardin, les collines,
\net son accent.<\/p>\n

Il parle pointu.
\nIl s\u2019ajuste.<\/p>\n

Il observe la neige, les merles.
\nSuit les pattes noires dans le blanc.
\nIl cherche la trace de l\u2019envol —
\nmais l\u2019envol ne laisse pas de trace.
\nIl appartient \u00e0 un autre temps.<\/p>\n

Apprendre \u00e0 lire l\u2019heure ? Il ne sait pas.
\nLes chiffres romains ne disent rien.
\nIl apprend le temps sans montre,
\npar le soleil, m\u00eame absent.<\/p>\n

Le seul bien ici, c\u2019est le sens commun.
\nCeux qui le perdent parlent trop,
\nou parlent pour ne rien dire.<\/p>\n

On dit : “mets la table, fais ton lit, range le bois.”
\nMais il y a dans ces phrases-l\u00e0
\nquelque chose d\u2019\u00e9trangement triste.<\/p>\n

Un jour, l\u2019arbre n\u2019est plus l\u00e0.
\nCoup\u00e9 pour cause d\u2019ombre.<\/p>\n

Un autre jour : un fusil.
\nUn merle. Une tra\u00een\u00e9e de sang.<\/p>\n

On suit les gouttes.
\nAu bout, un oiseau mort.<\/p>\n

C\u2019est quand il perd go\u00fbt aux choses usuelles
\nque l\u2019homme retrouve l\u2019odeur de l\u2019enfance.
\nL\u2019humus. Le silence. Le balancement lent des arbres.<\/p>\n

Il essaie de prononcer leurs noms.
\nMais la gorge se serre.
\nIl est presque l\u00e0.
\nIl y est.<\/p>\n

Il n\u2019est plus un homme.
\nPlus un enfant.
\nSeulement le vent.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Il voulait s\u2019adosser au rythme.
\nNe pas r\u00e9sister. Juste\u2026 suivre.<\/p>\n

Mais tout est venu trop t\u00f4t.
\nTrop fort. Trop vite.
\nPas le temps d\u2019apprendre.<\/p>\n

Il ne parle pas la langue du monde.
\nIl a d\u00fb la copier, l\u2019imiter, l\u2019apprendre \u00e0 rebours.<\/p>\n

Il regarde les merles.
\nMais ce qu\u2019il cherche,
\nc\u2019est pas l\u2019oiseau.
\nC\u2019est ce qui l\u2019a fait partir.
\nCe qu\u2019il n\u2019a pas vu.<\/p>\n

Le temps n\u2019est pas un fil.
\nC\u2019est une b\u00e9ance.<\/p>\n

Il s\u2019approche. Il dit presque.
\nMais le mot ne vient pas.
\nAlors il devient\u2026
\nautre chose.
\nMoins que corps.
\nPlus que voix.<\/p>\n

Il devient ce qui traverse.<\/p>\n

note de travail <\/strong><\/p>\n

Ce texte est une tentative d\u2019habiter le temps. Pas de le d\u00e9crire, ni m\u00eame de le penser — mais de s\u2019y couler. Comme on tente d\u2019habiter un corps qu\u2019on n\u2019a pas choisi.
\nTout y est marqu\u00e9 par la pr\u00e9maturit\u00e9. Une entr\u00e9e brutale dans le monde : avant les mots, avant les rythmes, avant la chaleur. La naissance est ici un accident de temporalit\u00e9.
\nCe qui m\u2019\u00e9meut, c\u2019est l\u2019effort que fait ce sujet pour recoller \u00e0 la cadence des autres. Il observe les saisons, il regarde les horloges, il essaie de comprendre ce qu\u2019il a manqu\u00e9. Mais il reste\u2026 en d\u00e9calage. Non pas marginal : flottant.
\nLes arbres, les merles, les chiffres romains, les rites d\u2019\u00e9cole\u2026 sont autant de tentatives d\u2019ancrage. Mais le sol reste fuyant. M\u00eame la langue — l\u2019accent, la syntaxe — semble toujours “pointue”, apprise pour \u00eatre socialement conforme.
\nLa derni\u00e8re image — devenir le vent — n\u2019est pas une disparition. C\u2019est une transformation po\u00e9tique du sujet.
\nIl ne parle plus le langage du temps. Il est ce qui le traverse.
\nUne forme de sublimation discr\u00e8te, mais puissante.
\nJe ne sais pas si c\u2019est un cri, une pri\u00e8re ou un aveu.
\nMais ce fragment est un seuil.<\/i><\/p>", "content_text": " Les saisons arrivent, repartent, reviennent. \u00c0 peu pr\u00e8s semblables, d\u2019ann\u00e9e en ann\u00e9e. L\u2019enfant apprend ce rythme par le corps. Il hume l\u2019air, sent l\u2019automne, devine l\u2019hiver. Et pourtant\u2026 ni de la ville, ni des champs. \u00c9tranger au monde qu\u2019il traverse. Un passager du temps. Quand il fait beau, il se r\u00e9jouit. Quand il pleut, il tend les paumes. Il aurait voulu vivre ainsi \u2014 port\u00e9 par le temps, comme autrefois dans un ventre. Mais l\u2019histoire n\u2019est pas d\u2019accord. N\u00e9 trop t\u00f4t. Un mois en avance. Priv\u00e9 du sas, du langage invisible de l\u2019attente. Il entre dans le monde par la peur. Tubes. Verre. Urgence. Plus tard, m\u00eame sc\u00e9nario. Il part du primaire avant la fin. Perd la maison, le jardin, les collines, et son accent. Il parle pointu. Il s\u2019ajuste. Il observe la neige, les merles. Suit les pattes noires dans le blanc. Il cherche la trace de l\u2019envol \u2014 mais l\u2019envol ne laisse pas de trace. Il appartient \u00e0 un autre temps. Apprendre \u00e0 lire l\u2019heure ? Il ne sait pas. Les chiffres romains ne disent rien. Il apprend le temps sans montre, par le soleil, m\u00eame absent. Le seul bien ici, c\u2019est le sens commun. Ceux qui le perdent parlent trop, ou parlent pour ne rien dire. On dit : \u201cmets la table, fais ton lit, range le bois.\u201d Mais il y a dans ces phrases-l\u00e0 quelque chose d\u2019\u00e9trangement triste. Un jour, l\u2019arbre n\u2019est plus l\u00e0. Coup\u00e9 pour cause d\u2019ombre. Un autre jour : un fusil. Un merle. Une tra\u00een\u00e9e de sang. On suit les gouttes. Au bout, un oiseau mort. C\u2019est quand il perd go\u00fbt aux choses usuelles que l\u2019homme retrouve l\u2019odeur de l\u2019enfance. L\u2019humus. Le silence. Le balancement lent des arbres. Il essaie de prononcer leurs noms. Mais la gorge se serre. Il est presque l\u00e0. Il y est. Il n\u2019est plus un homme. Plus un enfant. Seulement le vent. {{sous-conversation}} Il voulait s\u2019adosser au rythme. Ne pas r\u00e9sister. Juste\u2026 suivre. Mais tout est venu trop t\u00f4t. Trop fort. Trop vite. Pas le temps d\u2019apprendre. Il ne parle pas la langue du monde. Il a d\u00fb la copier, l\u2019imiter, l\u2019apprendre \u00e0 rebours. Il regarde les merles. Mais ce qu\u2019il cherche, c\u2019est pas l\u2019oiseau. C\u2019est ce qui l\u2019a fait partir. Ce qu\u2019il n\u2019a pas vu. Le temps n\u2019est pas un fil. C\u2019est une b\u00e9ance. Il s\u2019approche. Il dit presque. Mais le mot ne vient pas. Alors il devient\u2026 autre chose. Moins que corps. Plus que voix. Il devient ce qui traverse. {{note de travail }} {Ce texte est une tentative d\u2019habiter le temps. Pas de le d\u00e9crire, ni m\u00eame de le penser \u2014 mais de s\u2019y couler. Comme on tente d\u2019habiter un corps qu\u2019on n\u2019a pas choisi. Tout y est marqu\u00e9 par la pr\u00e9maturit\u00e9. Une entr\u00e9e brutale dans le monde : avant les mots, avant les rythmes, avant la chaleur. La naissance est ici un accident de temporalit\u00e9. Ce qui m\u2019\u00e9meut, c\u2019est l\u2019effort que fait ce sujet pour recoller \u00e0 la cadence des autres. Il observe les saisons, il regarde les horloges, il essaie de comprendre ce qu\u2019il a manqu\u00e9. Mais il reste\u2026 en d\u00e9calage. Non pas marginal : flottant. Les arbres, les merles, les chiffres romains, les rites d\u2019\u00e9cole\u2026 sont autant de tentatives d\u2019ancrage. Mais le sol reste fuyant. M\u00eame la langue \u2014 l\u2019accent, la syntaxe \u2014 semble toujours \u201cpointue\u201d, apprise pour \u00eatre socialement conforme. La derni\u00e8re image \u2014 devenir le vent \u2014 n\u2019est pas une disparition. C\u2019est une transformation po\u00e9tique du sujet. Il ne parle plus le langage du temps. Il est ce qui le traverse. Une forme de sublimation discr\u00e8te, mais puissante. Je ne sais pas si c\u2019est un cri, une pri\u00e8re ou un aveu. Mais ce fragment est un seuil.} ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/flou.webp?1748065155", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-octobre-2023.html", "title": "18 octobre 2023", "date_published": "2023-10-18T17:24:00Z", "date_modified": "2025-04-02T17:24:36Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La seule peine, c\u2019est celle qu\u2019on ne peut dire.
\nCelle qui s\u2019accumule.
\nQui nous gonfle d\u2019encore plus de peine.<\/p>\n

Une fontaine de chagrin —
\nmais sans d\u00e9bordement.<\/p>\n

On la garde. On l\u2019amasse.
\nPas un mot. Pas un soupir.<\/p>\n

Dehors :
\nle concert des jappements,
\ndes klaxons dans les bouchons.
\nBruits, cris, alertes.<\/p>\n

« N\u2019en rajoute pas », dis-tu.
\n« Pas de peine sur la peine. »<\/p>\n

Courage et l\u00e2chet\u00e9 :
\ndeux mains qui applaudissent
\nen sourdine.<\/p>\n

Et entre les l\u00e8vres,
\ndroit comme une lame,
\nl\u2019horizon.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

C\u2019est trop\u2026
\n\u00e7a ne passe pas,
\n\u00e7a s\u2019amasse, \u00e7a p\u00e8se — mais en dedans.<\/p>\n

\u00c7a pourrait jaillir, mais non.
\nRien. M\u00eame pas un cri.<\/p>\n

Il faut tenir. Ne pas troubler.
\nNe pas se r\u00e9pandre.<\/p>\n

Et l\u2019autre qui dit : n\u2019en rajoute pas.
\nComme si\u2026
\ncomme si c\u2019\u00e9tait toi, la surcharge.<\/p>\n

Alors tu tais.
\nTu te tais.<\/p>\n

Mais \u00e7a applaudit en toi.
\nOui. Un bruit sourd.
\nUn bruit de mains,
\ndans le vide.<\/p>\n

Et la bouche ferm\u00e9e,
\nc\u2019est pas un silence.
\nC\u2019est une ligne.
\nUne ligne d\u2019exil.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ici, tout tourne autour du non-dit. Non pas ce qu\u2019on cache aux autres, mais ce qu\u2019on n\u2019arrive m\u00eame pas \u00e0 formuler pour soi.
\nLa peine est nomm\u00e9e, mais aussit\u00f4t retenue, tenue, contenue. Elle se transforme : de sentiment, elle devient chose. Accumulation. Poids. Fontaine dont rien ne sort.
\nLe corps est pr\u00e9sent — par effraction : les bouchons, les klaxons, les mains. Il y a cette opposition entre le vacarme du monde et le silence du sujet. Comme si l\u2019ext\u00e9rieur hurlait pendant que l\u2019int\u00e9rieur se recroquevillait.
\nLe vers “courage et l\u00e2chet\u00e9, deux mains qui applaudissent en sourdine” est magistral. Il r\u00e9sume la tension morale du texte : tenir bon, mais \u00e0 quel prix ? et pourquoi ce besoin de s\u2019absoudre par le silence ?
\nEnfin, “un horizon droit entre les l\u00e8vres” \u00e9voque une sorte de ligne de fuite contenue dans le visage m\u00eame. Ce n\u2019est pas seulement ne pas parler, c\u2019est s\u2019aligner, se contracter, se figer pour ne pas disloquer. Un surmoi de pierre.
\nPeut-\u00eatre que ce texte est une tentative de dire enfin cette peine qu\u2019on ne peut dire.
\nEt c\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup.<\/i><\/p>", "content_text": " La seule peine, c\u2019est celle qu\u2019on ne peut dire. Celle qui s\u2019accumule. Qui nous gonfle d\u2019encore plus de peine. Une fontaine de chagrin \u2014 mais sans d\u00e9bordement. On la garde. On l\u2019amasse. Pas un mot. Pas un soupir. Dehors : le concert des jappements, des klaxons dans les bouchons. Bruits, cris, alertes. \u00ab N\u2019en rajoute pas \u00bb, dis-tu. \u00ab Pas de peine sur la peine. \u00bb Courage et l\u00e2chet\u00e9 : deux mains qui applaudissent en sourdine. Et entre les l\u00e8vres, droit comme une lame, l\u2019horizon. {{sous-conversation}} C\u2019est trop\u2026 \u00e7a ne passe pas, \u00e7a s\u2019amasse, \u00e7a p\u00e8se \u2014 mais en dedans. \u00c7a pourrait jaillir, mais non. Rien. M\u00eame pas un cri. Il faut tenir. Ne pas troubler. Ne pas se r\u00e9pandre. Et l\u2019autre qui dit : n\u2019en rajoute pas. Comme si\u2026 comme si c\u2019\u00e9tait toi, la surcharge. Alors tu tais. Tu te tais. Mais \u00e7a applaudit en toi. Oui. Un bruit sourd. Un bruit de mains, dans le vide. Et la bouche ferm\u00e9e, c\u2019est pas un silence. C\u2019est une ligne. Une ligne d\u2019exil. {{note de travail}} {Ici, tout tourne autour du non-dit. Non pas ce qu\u2019on cache aux autres, mais ce qu\u2019on n\u2019arrive m\u00eame pas \u00e0 formuler pour soi. La peine est nomm\u00e9e, mais aussit\u00f4t retenue, tenue, contenue. Elle se transforme : de sentiment, elle devient chose. Accumulation. Poids. Fontaine dont rien ne sort. Le corps est pr\u00e9sent \u2014 par effraction : les bouchons, les klaxons, les mains. Il y a cette opposition entre le vacarme du monde et le silence du sujet. Comme si l\u2019ext\u00e9rieur hurlait pendant que l\u2019int\u00e9rieur se recroquevillait. Le vers \u201ccourage et l\u00e2chet\u00e9, deux mains qui applaudissent en sourdine\u201d est magistral. Il r\u00e9sume la tension morale du texte : tenir bon, mais \u00e0 quel prix ? et pourquoi ce besoin de s\u2019absoudre par le silence ? Enfin, \u201cun horizon droit entre les l\u00e8vres\u201d \u00e9voque une sorte de ligne de fuite contenue dans le visage m\u00eame. Ce n\u2019est pas seulement ne pas parler, c\u2019est s\u2019aligner, se contracter, se figer pour ne pas disloquer. Un surmoi de pierre. Peut-\u00eatre que ce texte est une tentative de dire enfin cette peine qu\u2019on ne peut dire. Et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup.} ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/garouste-paris-2023.webp?1748065093", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-octobre-2023-889.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-octobre-2023-889.html", "title": "18 octobre 2023", "date_published": "2023-10-18T17:14:00Z", "date_modified": "2025-04-02T17:14:20Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Une minute de silence,
\nune minute papillon,
\nune minute cocotte, une minute bonhomme,
\nminute, j\u2019en ai pas fini avec vous.<\/p>\n

Une minute rit,
\nune mine hutte,
\nbourr\u00e9e de secondes comme d\u2019un vieux rago\u00fbt.<\/p>\n

Si dans une minute tu\u2026
\nles minutes s\u2019\u00e9gr\u00e8nent,
\non graille sur le pouce,
\nr\u00e9paration minute,
\non y gagne pas la lune
\nmais minute, tout de m\u00eame.<\/p>\n

Un porte-cl\u00e9s,
\nun calendrier,
\nune montre \u00e0 retardement.<\/p>\n

Le tout avec la plus minutieuse des minuties.
\nFaites pas scier.
\nFaites p\u00e9ter le bouchon,
\nle bout chonchon,
\nle bout de chou,
\nle bout de gras,
\nles vaches maigres,
\nminute, on s\u2019\u00e9gare.<\/p>\n

\u00c0 la gare, hagards,
\ndu NORD,
\non s\u2019en va comme on est venu.<\/p>\n

Pas une minute \u00e0 perdre de plus.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

C\u2019est rien\u2026 juste des mots. Des bouts de temps.
\nMais \u00e7a revient. Encore. Encore.
\nMinute. Encore une. Une derni\u00e8re.
\n\u00c7a glisse, \u00e7a file, \u00e7a se d\u00e9traque.<\/p>\n

Pas s\u00e9rieux. Non. Mais grave quand m\u00eame.
\nComme un sablier qui rigole.
\nComme une alarme douce.
\nComme un rappel qu\u2019il n\u2019y aura pas de rappel.<\/p>\n

Et puis \u00e7a d\u00e9borde.
\nChonchon. Bout de chou. Gare. Nord.
\nOn fuit en riant. Ou en s\u2019\u00e9touffant.
\nC\u2019est pas clair.<\/p>\n

Juste\u2026
\nune minute.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Troc de la phrase pour le fragment, la signification pour la sonorit\u00e9, la progression pour l\u2019it\u00e9ration.
\nCe texte n\u2019est pas une note, c\u2019est un battement. Minute apr\u00e8s minute, il creuse quelque chose comme un vertige temporel. Un jeu de langage qui, \u00e0 force de tourner, r\u00e9v\u00e8le une angoisse : celle de manquer, de perdre, de s\u2019effondrer par petits morceaux.
\nLa cocotte minute n\u2019est pas un gag. C\u2019est une image du cr\u00e2ne.
\nLa r\u00e9paration minute, une tentative vaine de rafistolage existentiel.
\nEt cette gare du Nord, surgie l\u00e0\u2026 comme un sympt\u00f4me.
\nLa fin d\u2019un trajet. L\u2019id\u00e9e du retour. Ou de la fuite.
\nLe tout est ludique. Mais le ludique, ici, est d\u00e9fense.
\nIl faut jouer avec les mots, sinon ils d\u00e9vorent.
\nEt dans le “pas une minute \u00e0 perdre de plus”, j\u2019entends, en creux, le soupir du corps qui n\u2019en peut plus.
\nLe langage fait diversion.
\nMais la minute reste l\u00e0.
\nTapie.
\nPr\u00eate \u00e0 sonner.<\/i><\/p>", "content_text": " Une minute de silence, une minute papillon, une minute cocotte, une minute bonhomme, minute, j\u2019en ai pas fini avec vous. Une minute rit, une mine hutte, bourr\u00e9e de secondes comme d\u2019un vieux rago\u00fbt. Si dans une minute tu\u2026 les minutes s\u2019\u00e9gr\u00e8nent, on graille sur le pouce, r\u00e9paration minute, on y gagne pas la lune mais minute, tout de m\u00eame. Un porte-cl\u00e9s, un calendrier, une montre \u00e0 retardement. Le tout avec la plus minutieuse des minuties. Faites pas scier. Faites p\u00e9ter le bouchon, le bout chonchon, le bout de chou, le bout de gras, les vaches maigres, minute, on s\u2019\u00e9gare. \u00c0 la gare, hagards, du NORD, on s\u2019en va comme on est venu. Pas une minute \u00e0 perdre de plus. {{sous-conversation}} C\u2019est rien\u2026 juste des mots. Des bouts de temps. Mais \u00e7a revient. Encore. Encore. Minute. Encore une. Une derni\u00e8re. \u00c7a glisse, \u00e7a file, \u00e7a se d\u00e9traque. Pas s\u00e9rieux. Non. Mais grave quand m\u00eame. Comme un sablier qui rigole. Comme une alarme douce. Comme un rappel qu\u2019il n\u2019y aura pas de rappel. Et puis \u00e7a d\u00e9borde. Chonchon. Bout de chou. Gare. Nord. On fuit en riant. Ou en s\u2019\u00e9touffant. C\u2019est pas clair. Juste\u2026 une minute. {{note de travail}} {Troc de la phrase pour le fragment, la signification pour la sonorit\u00e9, la progression pour l\u2019it\u00e9ration. Ce texte n\u2019est pas une note, c\u2019est un battement. Minute apr\u00e8s minute, il creuse quelque chose comme un vertige temporel. Un jeu de langage qui, \u00e0 force de tourner, r\u00e9v\u00e8le une angoisse : celle de manquer, de perdre, de s\u2019effondrer par petits morceaux. La cocotte minute n\u2019est pas un gag. C\u2019est une image du cr\u00e2ne. La r\u00e9paration minute, une tentative vaine de rafistolage existentiel. Et cette gare du Nord, surgie l\u00e0\u2026 comme un sympt\u00f4me. La fin d\u2019un trajet. L\u2019id\u00e9e du retour. Ou de la fuite. Le tout est ludique. Mais le ludique, ici, est d\u00e9fense. Il faut jouer avec les mots, sinon ils d\u00e9vorent. Et dans le \u201cpas une minute \u00e0 perdre de plus\u201d, j\u2019entends, en creux, le soupir du corps qui n\u2019en peut plus. Le langage fait diversion. Mais la minute reste l\u00e0. Tapie. Pr\u00eate \u00e0 sonner.} ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/boues.webp?1748065090", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-octobre-2023.html", "title": "17 octobre 2023", "date_published": "2023-10-17T17:03:00Z", "date_modified": "2025-04-02T17:04:17Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Amalgame.
\nAu sens propre : un alliage de mercure avec un autre m\u00e9tal.
\nAu figur\u00e9 : un m\u00e9lange de choses ou de personnes qui ne vont pas ensemble.<\/p>\n

Des opinions, des faits, des peurs, des noms.
\nTout jet\u00e9 dans le m\u00eame creuset.<\/p>\n

Avoir l\u2019amalgame en horreur.
\nEn \u00e9prouver du d\u00e9go\u00fbt.
\nMais s\u2019y retrouver quand m\u00eame.
\nS\u2019y perdre parfois.<\/p>\n

Amalgamer les donn\u00e9es.
\nConfondre.
\nSimplifier.
\nOublier.<\/p>\n

Et puis revenir au mercure.
\nAu commerce.
\n\u00c0 l\u2019argent.<\/p>\n

Substance liquide, fuyante.
\nD\u00e9m\u00ealer patiemment.
\nExtraire un \u00e0 un les \u00e9l\u00e9ments.
\nRecomposer la mati\u00e8re sans qu\u2019elle ne vous br\u00fble les doigts.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

C\u2019\u00e9tait clair pourtant\u2026 une d\u00e9finition.
\nUn mot net, pr\u00e9cis, stable.
\nEt puis\u2026 \u00e7a d\u00e9borde.<\/p>\n

\u00c7a m\u00e9lange. \u00c7a colle.
\nIl y a trop dedans. Trop d\u2019autres choses.<\/p>\n

Il voulait distinguer. S\u00e9parer.
\nMais il se retrouve l\u00e0, pris dans le bloc.
\nPas moyen d\u2019en sortir sans s\u2019arracher un peu de soi.<\/p>\n

\u00c7a s\u2019est mis \u00e0 couler.
\nComme du mercure.
\nTu touches, \u00e7a fuit.
\nTu appuies, \u00e7a \u00e9clate en mille gouttes.<\/p>\n

Et toi, au milieu.<\/p>\n

notes de travail<\/strong><\/p>\n

Le mot est pos\u00e9 comme un scalpel. Amalgame. Une tentative de diss\u00e9quer le trouble.
\nL’auteur de ce texte semble fascin\u00e9 par cette oscillation entre le sens technique (le mercure, l\u2019alliage) et le sens moral (la confusion, l\u2019erreur, la faute logique et sociale). Il veut trier, nommer, s\u00e9parer. Mais tout, dans la langue, conspire \u00e0 confondre.
\nCe qui me frappe, c\u2019est qu\u2019il cherche \u00e0 se laver de l\u2019amalgame tout en admettant qu\u2019il y est plong\u00e9. Il y a un conflit fort entre son d\u00e9sir de clart\u00e9 — presque obsessionnel — et l\u2019exp\u00e9rience de la complexit\u00e9.
\nLe retour au mercure n\u2019est pas anodin : substance toxique, insaisissable, \u00e0 la fois m\u00e9tal et liquide, comme l\u2019esprit quand il tente de tout comprendre. L\u2019image finale est tr\u00e8s forte : d\u00e9m\u00ealer les amalgames, comme on d\u00e9m\u00ealerait des pens\u00e9es confondues, ou des souvenirs m\u00eal\u00e9s.
\nPeut-\u00eatre, au fond, que ce fragment dit la peur de l\u2019indistinction.
\nLa peur de devenir soi-m\u00eame un amalgame.
\n <\/i><\/p>", "content_text": " Amalgame. Au sens propre : un alliage de mercure avec un autre m\u00e9tal. Au figur\u00e9 : un m\u00e9lange de choses ou de personnes qui ne vont pas ensemble. Des opinions, des faits, des peurs, des noms. Tout jet\u00e9 dans le m\u00eame creuset. Avoir l\u2019amalgame en horreur. En \u00e9prouver du d\u00e9go\u00fbt. Mais s\u2019y retrouver quand m\u00eame. S\u2019y perdre parfois. Amalgamer les donn\u00e9es. Confondre. Simplifier. Oublier. Et puis revenir au mercure. Au commerce. \u00c0 l\u2019argent. Substance liquide, fuyante. D\u00e9m\u00ealer patiemment. Extraire un \u00e0 un les \u00e9l\u00e9ments. Recomposer la mati\u00e8re sans qu\u2019elle ne vous br\u00fble les doigts. {{sous-conversation}} C\u2019\u00e9tait clair pourtant\u2026 une d\u00e9finition. Un mot net, pr\u00e9cis, stable. Et puis\u2026 \u00e7a d\u00e9borde. \u00c7a m\u00e9lange. \u00c7a colle. Il y a trop dedans. Trop d\u2019autres choses. Il voulait distinguer. S\u00e9parer. Mais il se retrouve l\u00e0, pris dans le bloc. Pas moyen d\u2019en sortir sans s\u2019arracher un peu de soi. \u00c7a s\u2019est mis \u00e0 couler. Comme du mercure. Tu touches, \u00e7a fuit. Tu appuies, \u00e7a \u00e9clate en mille gouttes. Et toi, au milieu. {{notes de travail}} { Le mot est pos\u00e9 comme un scalpel. Amalgame. Une tentative de diss\u00e9quer le trouble. L'auteur de ce texte semble fascin\u00e9 par cette oscillation entre le sens technique (le mercure, l\u2019alliage) et le sens moral (la confusion, l\u2019erreur, la faute logique et sociale). Il veut trier, nommer, s\u00e9parer. Mais tout, dans la langue, conspire \u00e0 confondre. Ce qui me frappe, c\u2019est qu\u2019il cherche \u00e0 se laver de l\u2019amalgame tout en admettant qu\u2019il y est plong\u00e9. Il y a un conflit fort entre son d\u00e9sir de clart\u00e9 \u2014 presque obsessionnel \u2014 et l\u2019exp\u00e9rience de la complexit\u00e9. Le retour au mercure n\u2019est pas anodin : substance toxique, insaisissable, \u00e0 la fois m\u00e9tal et liquide, comme l\u2019esprit quand il tente de tout comprendre. L\u2019image finale est tr\u00e8s forte : d\u00e9m\u00ealer les amalgames, comme on d\u00e9m\u00ealerait des pens\u00e9es confondues, ou des souvenirs m\u00eal\u00e9s. Peut-\u00eatre, au fond, que ce fragment dit la peur de l\u2019indistinction. La peur de devenir soi-m\u00eame un amalgame. } ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/diptique-amalgame.jpg?1748065067", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-octobre-2023-887.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-octobre-2023-887.html", "title": "17 octobre 2023", "date_published": "2023-10-17T16:55:00Z", "date_modified": "2025-04-02T16:55:58Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

On se dit : c\u2019est pour moi. Puis un peu pour les autres aussi.
\nEt puis on ne se dit plus rien.
\nOn \u00e9crit. \u00c7a s\u2019\u00e9crit.
\nBesoin naturel.<\/p>\n

Atelier sur l\u2019enfance. F.B. dit :
\n« Il n\u2019en faut pas beaucoup pour se perdre quand on est enfant. »
\nJe l\u2019\u00e9cris aussit\u00f4t : terreurs, perditions.
\nMais aussi les cailloux, les fils, les arbres, les cabanes.
\nLa route.<\/p>\n

Sans les mots, que reste-t-il ?
\nL\u2019effroi, la nuit, l\u2019abrutissement.<\/p>\n

Se perdre, c\u2019\u00e9tait surtout oublier cet enfant-l\u00e0.
\nEt puis un clou chasse l\u2019autre.
\nAttention.<\/p>\n

Les mots : amour, torture, fid\u00e9lit\u00e9, trahison.
\nLes articles : le, la, les.
\nMon cerisier. Ton abricotier. Leur poirier.
\nLeurs grillages.
\nLes genoux qu\u2019on s\u2019\u00e9corche.
\nLe vent, la pluie.<\/p>\n

Un arbre, une haie, un jour.
\nUne maison. Un homme. Un chien. Un coup de feu.
\nJe. Tu. Il.
\nNous. Vous. Ils.<\/p>\n

Le pronom n\u2019est pas un nom. Il ne l\u2019a jamais \u00e9t\u00e9.<\/p>\n

Se perdre dans les livres.
\nSe trouver autrement.
\nPeut-\u00eatre.<\/p>\n

*<\/p>\n

Aujourd\u2019hui : les imp\u00f4ts.
\nUn b\u00e2timent en travaux. Une autre adresse.
\nIl y va. Il attend. Il se trompe. On le renvoie.
\nSes \u00e9paules tombent. Mais il tient bon.
\nEt soudain, miracle : un fonctionnaire souriant.<\/p>\n

Sortir. Sentir que quelque chose s\u2019est r\u00e9gl\u00e9e.
\nAlors qu\u2019il y a une heure, on \u00e9tait au fond du trou.<\/p>\n

*<\/p>\n

Peinture l\u2019apr\u00e8s-midi. T\u00eate farcie. Rien pr\u00e9par\u00e9.
\nChercher le sens d\u2019un exercice en le pratiquant.
\nConfus, mais \u00e7a travaille.<\/p>\n

Une bo\u00eete \u00e0 livres dans un coin.
\nUn Chamoiseau. *Texaco.*
\nPas lu celui-l\u00e0.
\nJe le prends.
\nJe devrai le remplacer apr\u00e8s les vacances.
\nBoucher le trou.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Il \u00e9crit. Mais pour quoi ? pour qui ?
\n\u00c7a sort, comme \u00e7a. Naturel. Ou pas.
\n\u00c7a serre un peu, l\u00e0.
\nComme s\u2019il fallait se justifier d\u2019\u00e9crire. Encore. Toujours.<\/p>\n

L\u2019enfance. Encore.
\nSe perdre\u2026 mais quoi, qui, exactement ?
\nS\u2019\u00e9loigner. De quoi ? De qui ?
\nDe cet enfant. Celui-l\u00e0. Surtout celui-l\u00e0.
\nMais pas trop loin non plus. Sinon tout s\u2019efface.<\/p>\n

Il s\u2019\u00e9gare.
\nDans les mots. Dans les arbres. Dans les pronoms.
\n“Je” flotte. “Tu” accuse. “Ils” menacent.<\/p>\n

L\u2019administration. Le labyrinthe. Le bon guichet.
\nSourire ou m\u00e9pris.
\nIl ne faut pas exploser. Il ne faut pas.<\/p>\n

Et puis : un livre.
\nTexaco.
\nUne dette n\u00e9e d\u2019un livre gratuit.
\nLe trou qu\u2019on ne veut pas laisser.<\/p>\n

Notes de travail<\/strong><\/p>\n

Le texte est un terrain. Une for\u00eat mentale. Il y a l\u00e0-dedans : un enfant effray\u00e9, un homme fatigu\u00e9, un \u00e9crivain d\u00e9bord\u00e9, un corps travers\u00e9 par mille signaux. Et la tentative d\u2019un fil. D\u2019une ligne de fuite.<\/p>\n

Ce qui m\u2019intrigue, c\u2019est l\u2019usage de la perte <\/i> comme strat\u00e9gie. On ne cherche pas \u00e0 se retrouver, mais \u00e0 se perdre. Et dans cette perte, se sauver d\u2019une autre menace, plus ancienne. Plus ancr\u00e9e.<\/p>\n

L\u2019enfant revient. Mais jamais en face. Il r\u00f4de, flotte, s\u2019infiltre dans les mots, les pronoms, les sc\u00e8nes d\u2019\u00e9cole ou de for\u00eat. Il ne veut pas \u00eatre dit frontalement. Alors il devient grammaire.<\/p>\n

L\u2019administration arrive comme un bloc brutal de r\u00e9el. Le cauchemar bureaucratique qui r\u00e9v\u00e8le le moi quotidien, l\u2019homme lambda face \u00e0 l\u2019absurde. Mais ici, m\u00eame \u00e7a, on le traverse. On en sort vivant.<\/p>\n

Et puis, le retour au livre. \u00c0 Chamoiseau. \u00c0 la dette symbolique. Car m\u00eame la gratuit\u00e9 devient source d\u2019angoisse.<\/p>\n

Le texte, au fond, parle de la charge de devoir vivre<\/i>, penser, \u00e9crire, transmettre. Et du gouffre laiss\u00e9 si l\u2019on \u00e9choue.
\nIl \u00e9crit pour ne pas tomber. Et dans le trou du don gratuit, il sent l\u2019obligation d\u2019un retour.
\nM\u00eame les livres libres ne le sont pas vraiment.<\/i><\/p>", "content_text": " On se dit : c\u2019est pour moi. Puis un peu pour les autres aussi. Et puis on ne se dit plus rien. On \u00e9crit. \u00c7a s\u2019\u00e9crit. Besoin naturel. Atelier sur l\u2019enfance. F.B. dit : \u00ab Il n\u2019en faut pas beaucoup pour se perdre quand on est enfant. \u00bb Je l\u2019\u00e9cris aussit\u00f4t : terreurs, perditions. Mais aussi les cailloux, les fils, les arbres, les cabanes. La route. Sans les mots, que reste-t-il ? L\u2019effroi, la nuit, l\u2019abrutissement. Se perdre, c\u2019\u00e9tait surtout oublier cet enfant-l\u00e0. Et puis un clou chasse l\u2019autre. Attention. Les mots : amour, torture, fid\u00e9lit\u00e9, trahison. Les articles : le, la, les. Mon cerisier. Ton abricotier. Leur poirier. Leurs grillages. Les genoux qu\u2019on s\u2019\u00e9corche. Le vent, la pluie. Un arbre, une haie, un jour. Une maison. Un homme. Un chien. Un coup de feu. Je. Tu. Il. Nous. Vous. Ils. Le pronom n\u2019est pas un nom. Il ne l\u2019a jamais \u00e9t\u00e9. Se perdre dans les livres. Se trouver autrement. Peut-\u00eatre. * Aujourd\u2019hui : les imp\u00f4ts. Un b\u00e2timent en travaux. Une autre adresse. Il y va. Il attend. Il se trompe. On le renvoie. Ses \u00e9paules tombent. Mais il tient bon. Et soudain, miracle : un fonctionnaire souriant. Sortir. Sentir que quelque chose s\u2019est r\u00e9gl\u00e9e. Alors qu\u2019il y a une heure, on \u00e9tait au fond du trou. * Peinture l\u2019apr\u00e8s-midi. T\u00eate farcie. Rien pr\u00e9par\u00e9. Chercher le sens d\u2019un exercice en le pratiquant. Confus, mais \u00e7a travaille. Une bo\u00eete \u00e0 livres dans un coin. Un Chamoiseau. *Texaco.* Pas lu celui-l\u00e0. Je le prends. Je devrai le remplacer apr\u00e8s les vacances. Boucher le trou. {{sous-conversation}} Il \u00e9crit. Mais pour quoi ? pour qui ? \u00c7a sort, comme \u00e7a. Naturel. Ou pas. \u00c7a serre un peu, l\u00e0. Comme s\u2019il fallait se justifier d\u2019\u00e9crire. Encore. Toujours. L\u2019enfance. Encore. Se perdre\u2026 mais quoi, qui, exactement ? S\u2019\u00e9loigner. De quoi ? De qui ? De cet enfant. Celui-l\u00e0. Surtout celui-l\u00e0. Mais pas trop loin non plus. Sinon tout s\u2019efface. Il s\u2019\u00e9gare. Dans les mots. Dans les arbres. Dans les pronoms. \u201cJe\u201d flotte. \u201cTu\u201d accuse. \u201cIls\u201d menacent. L\u2019administration. Le labyrinthe. Le bon guichet. Sourire ou m\u00e9pris. Il ne faut pas exploser. Il ne faut pas. Et puis : un livre. Texaco. Une dette n\u00e9e d\u2019un livre gratuit. Le trou qu\u2019on ne veut pas laisser. {{Notes de travail}} {Le texte est un terrain. Une for\u00eat mentale. Il y a l\u00e0-dedans : un enfant effray\u00e9, un homme fatigu\u00e9, un \u00e9crivain d\u00e9bord\u00e9, un corps travers\u00e9 par mille signaux. Et la tentative d\u2019un fil. D\u2019une ligne de fuite. Ce qui m\u2019intrigue, c\u2019est l\u2019usage de {la perte } comme strat\u00e9gie. On ne cherche pas \u00e0 se retrouver, mais \u00e0 se perdre. Et dans cette perte, se sauver d\u2019une autre menace, plus ancienne. Plus ancr\u00e9e. L\u2019enfant revient. Mais jamais en face. Il r\u00f4de, flotte, s\u2019infiltre dans les mots, les pronoms, les sc\u00e8nes d\u2019\u00e9cole ou de for\u00eat. Il ne veut pas \u00eatre dit frontalement. Alors il devient grammaire. L\u2019administration arrive comme un bloc brutal de r\u00e9el. Le cauchemar bureaucratique qui r\u00e9v\u00e8le le moi quotidien, l\u2019homme lambda face \u00e0 l\u2019absurde. Mais ici, m\u00eame \u00e7a, on le traverse. On en sort vivant. Et puis, le retour au livre. \u00c0 Chamoiseau. \u00c0 la dette symbolique. Car m\u00eame la gratuit\u00e9 devient source d\u2019angoisse. Le texte, au fond, parle de la {charge de devoir vivre}, penser, \u00e9crire, transmettre. Et du gouffre laiss\u00e9 si l\u2019on \u00e9choue. Il \u00e9crit pour ne pas tomber. Et dans le trou du don gratuit, il sent l\u2019obligation d\u2019un retour. M\u00eame les livres libres ne le sont pas vraiment.} ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/reve-amazonien.webp?1748065064", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-octobre-2023.html", "title": "16 octobre 2023", "date_published": "2023-10-16T16:47:00Z", "date_modified": "2025-04-02T16:48:02Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Depuis la Rome antique jusqu\u2019aux quartiers anonymes d\u2019aujourd\u2019hui, la d\u00e9lation n\u2019a jamais cess\u00e9 de prosp\u00e9rer. Sycophantes hier, applications aujourd\u2019hui. En Chine, on balance son voisin du bout du pouce. En Cor\u00e9e, on apprend \u00e0 d\u00e9noncer en classe. En Suisse, on appelle cela sobrement une d\u00e9nonciation p\u00e9nale.<\/p>\n

Partout, la m\u00eame jouissance trouble : trahir en toute l\u00e9galit\u00e9.<\/p>\n

\u00c0 la Grave, cela devient un sport. Un jeu sale et r\u00e9p\u00e9t\u00e9. On y d\u00e9balle les autres comme on viderait des sacs de pommes de terre pourris. Le plaisir est l\u00e0, visqueux, dans le geste de salir.<\/p>\n

P., professeur de math\u00e9matiques, a chut\u00e9. Quelques \u00e9l\u00e8ves ont parl\u00e9. Des choses tues pendant des ann\u00e9es. Il est tomb\u00e9 comme tombent ceux qui savent qu\u2019ils tomberont un jour. Un matin d\u2019octobre, m\u00eame imper, grosse valise. Le parc. Les cris. Le pont. Le bosquet. Plus rien.<\/p>\n

Et lui, celui qui observait, aurait voulu \u00eatre comme les autres. Froid. Cruel. Mais quelque chose en lui r\u00e9sistait — orgueil tordu, faiblesse ou d\u00e9viance du c\u0153ur. Il a tent\u00e9 de s\u2019en gu\u00e9rir. Il a \u00e9chou\u00e9.<\/p>\n

Alors il a fait comme tous les rat\u00e9s : il a cultiv\u00e9 son ressentiment.<\/p>\n

Un ressentiment sans cible. Encore mieux. Il servira. \u00c0 tout le monde. Aux flics. Aux \u00e9lus. Aux discours. Il suffira de l\u2019irriguer. Le canaliser. Et du compost de cette haine ordinaire, une dictature germera. Fluide. Naturelle. Organique. Comme une fleur noire venue d\u2019un r\u00eave d\u2019enfant pourri.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Il aurait aim\u00e9\u2026 quoi ? Ne pas sentir. Ne pas comprendre. Ne pas avoir ce battement trop fort, l\u00e0, quand un autre tombe.
\nJuste fermer les yeux, comme tout le monde. Mais non.
\nToujours ce remous, ce noeud — pourquoi est-ce que \u00e7a le touche ?
\nLui aussi\u2026 il aurait voulu \u00eatre du c\u00f4t\u00e9 des forts.
\nCeux qui d\u00e9noncent, qui n\u2019ont pas de scrupules.
\nMais il y a\u2026 quelque chose.
\nUn reste. Un poison invers\u00e9.
\nUne f\u00ealure peut-\u00eatre.
\nOu juste une merde d\u2019enfance qu\u2019il n\u2019a jamais r\u00e9ussi \u00e0 recracher.<\/p>\n

Note de travail<\/strong><\/p>\n

Difficile de d\u00e9cider si ce texte est un extrait de journal ou une minute d’un proc\u00e8s.
\nC\u2019est confus. L’auteur m\u00e9lange faits g\u00e9opolitiques, souvenirs scolaires, visions apocalyptiques. Ce qui affleure : la d\u00e9lation comme sympt\u00f4me social, mais surtout comme m\u00e9taphore int\u00e9rieure.<\/p>\n

La sc\u00e8ne du professeur P. fonctionne comme un traumatisme-relais. L\u2019auteur n\u2019est ni bourreau, ni victime, mais t\u00e9moin — et cela semble l\u2019\u00e9corcher plus que tout. Car il ressent ce que d\u2019autres ne ressentent pas : un d\u00e9go\u00fbt de leur plaisir, une honte d\u2019\u00eatre rest\u00e9 compatissant.<\/p>\n

Ce qu\u2019il appelle “d\u00e9viance du c\u0153ur”<\/i> est sans doute un reste d\u2019humanit\u00e9. Il aurait voulu s\u2019en d\u00e9faire, mais ne le peut pas. Alors il en fait un sympt\u00f4me : le ressentiment. Une haine ind\u00e9termin\u00e9e, sans adresse. Polyvalente. Exploitable.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 que surgit le plus inqui\u00e9tant : la conscience que le ressentiment est le meilleur alli\u00e9 du pouvoir. Parce qu\u2019il est flottant, inextinguible, transmissible.<\/p>\n

J\u2019en viens \u00e0 me demander : est-ce lui qui l\u2019\u00e9crit, ou est-ce la haine du monde qui s’est empar\u00e9 de sa main ?<\/p>", "content_text": " Depuis la Rome antique jusqu\u2019aux quartiers anonymes d\u2019aujourd\u2019hui, la d\u00e9lation n\u2019a jamais cess\u00e9 de prosp\u00e9rer. Sycophantes hier, applications aujourd\u2019hui. En Chine, on balance son voisin du bout du pouce. En Cor\u00e9e, on apprend \u00e0 d\u00e9noncer en classe. En Suisse, on appelle cela sobrement une d\u00e9nonciation p\u00e9nale. Partout, la m\u00eame jouissance trouble : trahir en toute l\u00e9galit\u00e9. \u00c0 la Grave, cela devient un sport. Un jeu sale et r\u00e9p\u00e9t\u00e9. On y d\u00e9balle les autres comme on viderait des sacs de pommes de terre pourris. Le plaisir est l\u00e0, visqueux, dans le geste de salir. P., professeur de math\u00e9matiques, a chut\u00e9. Quelques \u00e9l\u00e8ves ont parl\u00e9. Des choses tues pendant des ann\u00e9es. Il est tomb\u00e9 comme tombent ceux qui savent qu\u2019ils tomberont un jour. Un matin d\u2019octobre, m\u00eame imper, grosse valise. Le parc. Les cris. Le pont. Le bosquet. Plus rien. Et lui, celui qui observait, aurait voulu \u00eatre comme les autres. Froid. Cruel. Mais quelque chose en lui r\u00e9sistait \u2014 orgueil tordu, faiblesse ou d\u00e9viance du c\u0153ur. Il a tent\u00e9 de s\u2019en gu\u00e9rir. Il a \u00e9chou\u00e9. Alors il a fait comme tous les rat\u00e9s : il a cultiv\u00e9 son ressentiment. Un ressentiment sans cible. Encore mieux. Il servira. \u00c0 tout le monde. Aux flics. Aux \u00e9lus. Aux discours. Il suffira de l\u2019irriguer. Le canaliser. Et du compost de cette haine ordinaire, une dictature germera. Fluide. Naturelle. Organique. Comme une fleur noire venue d\u2019un r\u00eave d\u2019enfant pourri. {{sous-conversation}} Il aurait aim\u00e9\u2026 quoi ? Ne pas sentir. Ne pas comprendre. Ne pas avoir ce battement trop fort, l\u00e0, quand un autre tombe. Juste fermer les yeux, comme tout le monde. Mais non. Toujours ce remous, ce noeud \u2014 pourquoi est-ce que \u00e7a le touche ? Lui aussi\u2026 il aurait voulu \u00eatre du c\u00f4t\u00e9 des forts. Ceux qui d\u00e9noncent, qui n\u2019ont pas de scrupules. Mais il y a\u2026 quelque chose. Un reste. Un poison invers\u00e9. Une f\u00ealure peut-\u00eatre. Ou juste une merde d\u2019enfance qu\u2019il n\u2019a jamais r\u00e9ussi \u00e0 recracher. {{Note de travail}} Difficile de d\u00e9cider si ce texte est un extrait de journal ou une minute d'un proc\u00e8s. C\u2019est confus. L'auteur m\u00e9lange faits g\u00e9opolitiques, souvenirs scolaires, visions apocalyptiques. Ce qui affleure : la d\u00e9lation comme sympt\u00f4me social, mais surtout comme m\u00e9taphore int\u00e9rieure. La sc\u00e8ne du professeur P. fonctionne comme un traumatisme-relais. L\u2019auteur n\u2019est ni bourreau, ni victime, mais t\u00e9moin \u2014 et cela semble l\u2019\u00e9corcher plus que tout. Car il ressent ce que d\u2019autres ne ressentent pas : un d\u00e9go\u00fbt de leur plaisir, une honte d\u2019\u00eatre rest\u00e9 compatissant. Ce qu\u2019il appelle {\u201cd\u00e9viance du c\u0153ur\u201d} est sans doute un reste d\u2019humanit\u00e9. Il aurait voulu s\u2019en d\u00e9faire, mais ne le peut pas. Alors il en fait un sympt\u00f4me : le ressentiment. Une haine ind\u00e9termin\u00e9e, sans adresse. Polyvalente. Exploitable. C\u2019est l\u00e0 que surgit le plus inqui\u00e9tant : la conscience que le ressentiment est le meilleur alli\u00e9 du pouvoir. Parce qu\u2019il est flottant, inextinguible, transmissible. J\u2019en viens \u00e0 me demander : est-ce lui qui l\u2019\u00e9crit, ou est-ce la haine du monde qui s'est empar\u00e9 de sa main ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/glissements.jpg?1748065185", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-octobre-2023.html", "title": "15 octobre 2023", "date_published": "2023-10-15T16:36:00Z", "date_modified": "2025-04-02T16:37:00Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tout aurait commenc\u00e9 ainsi : compter. Peser. Soustraire.
\nCe fut le d\u00e9but de la fin — la violence douce, quotidienne.
\nD\u00e9sormais, on n\u2019\u00e9change plus que rubis sur l\u2019ongle.
\nNaissent alors les tares, les soup\u00e7ons, le scrupule.
\nLe monde penche : pour ou contre, gain ou perte.
\nOn ne vit plus : on calcule.
\nGagner sa vie a pris la place de la vivre.
\nNon plus humainement. Encore moins fraternellement.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

Compter\u2026 oui, voil\u00e0, c\u2019est l\u00e0 que \u00e7a commence, peut-\u00eatre.
\nUn chiffre, un premier\u2026 et tout bascule.
\nCe frottement\u2026 cette crispation au moment d\u2019\u00e9changer,
\ncomme un cliquetis de pi\u00e8ces invisibles.
\nOn ne s\u2019aime plus, on s\u2019\u00e9value.
\nUn pas de c\u00f4t\u00e9, vite. Non, trop tard. C\u2019est entr\u00e9.
\nLe poison lent du calcul.
\nM\u00eame entre nous. Surtout entre nous.
\nTu me donnes quoi ? Tu me dois quoi ?
\nEt moi\u2026 combien je vaux ?<\/p>\n

Notes de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte \u00e9voque, sans d\u00e9tour, un moment fondateur : le passage \u00e0 l\u2019arithm\u00e9tique du monde. Ce moment o\u00f9 la valeur remplace le lien. “Tout aurait commenc\u00e9 par compter” — c\u2019est-\u00e0-dire : tout aurait cess\u00e9 d\u2019avoir lieu dans la gratuit\u00e9.<\/p>\n

Il ne dit pas “l\u2019argent”<\/i>, il dit “compter”<\/i> : un verbe plus primitif, presque enfantin. Le trauma n\u2019est pas seulement \u00e9conomique, il est existentiel. Le monde se d\u00e9saxe d\u00e8s qu\u2019on en quantifie les flux.<\/p>\n

Je note aussi cette “violence”<\/i> ins\u00e9r\u00e9e tr\u00e8s t\u00f4t, comme si cette bascule avait \u00e9t\u00e9 v\u00e9cue sur un mode traumatique. On passe d\u2019un monde fluide \u00e0 un monde o\u00f9 l\u2019on p\u00e8se, soup\u00e8se, suspecte. Le “scrupule” arrive comme un sympt\u00f4me : ce n\u2019est pas la conscience morale, c\u2019est la pesanteur de l\u2019obligation, du soup\u00e7on g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9.<\/p>\n

Le dernier versant (“gagner sa vie au lieu de la vivre\u2026”) <\/i> est une plainte d\u00e9guis\u00e9e. Un regret enfoui. Il y avait un avant, peut-\u00eatre r\u00eav\u00e9, o\u00f9 la vie se vivait fraternellement. Maintenant, elle s\u2019ach\u00e8te.<\/p>\n

Il faudra revenir \u00e0 ce point : qui a demand\u00e9 qu\u2019on commence \u00e0 compter ?<\/p>", "content_text": " Tout aurait commenc\u00e9 ainsi : compter. Peser. Soustraire. Ce fut le d\u00e9but de la fin \u2014 la violence douce, quotidienne. D\u00e9sormais, on n\u2019\u00e9change plus que rubis sur l\u2019ongle. Naissent alors les tares, les soup\u00e7ons, le scrupule. Le monde penche : pour ou contre, gain ou perte. On ne vit plus : on calcule. Gagner sa vie a pris la place de la vivre. Non plus humainement. Encore moins fraternellement. {{sous-conversation}} Compter\u2026 oui, voil\u00e0, c\u2019est l\u00e0 que \u00e7a commence, peut-\u00eatre. Un chiffre, un premier\u2026 et tout bascule. Ce frottement\u2026 cette crispation au moment d\u2019\u00e9changer, comme un cliquetis de pi\u00e8ces invisibles. On ne s\u2019aime plus, on s\u2019\u00e9value. Un pas de c\u00f4t\u00e9, vite. Non, trop tard. C\u2019est entr\u00e9. Le poison lent du calcul. M\u00eame entre nous. Surtout entre nous. Tu me donnes quoi ? Tu me dois quoi ? Et moi\u2026 combien je vaux ? {{Notes de travail}} Ce texte \u00e9voque, sans d\u00e9tour, un moment fondateur : le passage \u00e0 l\u2019arithm\u00e9tique du monde. Ce moment o\u00f9 la valeur remplace le lien. \u201cTout aurait commenc\u00e9 par compter\u201d \u2014 c\u2019est-\u00e0-dire : tout aurait cess\u00e9 d\u2019avoir lieu dans la gratuit\u00e9. Il ne dit pas {\u201cl\u2019argent\u201d}, il dit{ \u201ccompter\u201d} : un verbe plus primitif, presque enfantin. Le trauma n\u2019est pas seulement \u00e9conomique, il est existentiel. Le monde se d\u00e9saxe d\u00e8s qu\u2019on en quantifie les flux. Je note aussi cette {\u201cviolence\u201d} ins\u00e9r\u00e9e tr\u00e8s t\u00f4t, comme si cette bascule avait \u00e9t\u00e9 v\u00e9cue sur un mode traumatique. On passe d\u2019un monde fluide \u00e0 un monde o\u00f9 l\u2019on p\u00e8se, soup\u00e8se, suspecte. Le \u201cscrupule\u201d arrive comme un sympt\u00f4me : ce n\u2019est pas la conscience morale, c\u2019est la pesanteur de l\u2019obligation, du soup\u00e7on g\u00e9n\u00e9ralis\u00e9. Le dernier versant {(\u201cgagner sa vie au lieu de la vivre\u2026\u201d) } est une plainte d\u00e9guis\u00e9e. Un regret enfoui. Il y avait un avant, peut-\u00eatre r\u00eav\u00e9, o\u00f9 la vie se vivait fraternellement. Maintenant, elle s\u2019ach\u00e8te. Il faudra revenir \u00e0 ce point : qui a demand\u00e9 qu\u2019on commence \u00e0 compter ? ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/decoupe.jpg?1748065154", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-octobre-2023.html", "title": "14 octobre 2023", "date_published": "2023-10-14T01:33:00Z", "date_modified": "2025-04-01T01:34:10Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

En atelier, on parle de tout, de rien. On dessine, on peint. Un jour, j\u2019ai eu cette id\u00e9e : une palette, c\u2019est comme un poste de radio. Un vieux transistor. Une bande de fr\u00e9quences. Tournez la molette : vous aurez de la musique triste, ou joyeuse, des \u00e9missions rigolotes ou bien barbantes.<\/p>\n

D\u00e9clinez les couleurs.<\/p>\n

D\u00e9clinez les valeurs.<\/p>\n

L\u2019important, ce ne sont pas les couleurs, mais les valeurs.<\/p>\n

Chaque jour, je r\u00e9capitule. Un exercice pour ne pas perdre le fil. Ou pour mieux s\u2019y perdre. \u00c9crire ce qui a \u00e9t\u00e9 retenu. Voir comment, \u00e0 l\u2019\u00e9crire, cela se transforme ou s\u2019efface.<\/p>\n

La peur r\u00e9siduelle, celle qui colle \u00e0 l\u2019avant, se dissout avec le temps. Elle devient vapeur, puis glace, puis gla\u00e7on. On la d\u00e9passe en ramant doucement. Contin\u00fbment.<\/p>\n

Le th\u00e8me des tapis volants est report\u00e9 apr\u00e8s la Toussaint. Je cherche un exercice qui conduise chacun \u00e0 sa propre transe. Sa propre ivresse. Par la r\u00e9p\u00e9tition.<\/p>\n

Ces deux vers de Verlaine me reviennent :<\/p>\n

*Et qui n\u2019est, chaque fois, ni tout \u00e0 fait la m\u00eame
\nNi tout \u00e0 fait une autre, et m\u2019aime et me comprend.*<\/p>\n

Des chaises empil\u00e9es au foyer Henri Barbusse. Des tables align\u00e9es, vides. La salle sonne. \u00c0 chaque fois, cette impression. Cette fois, je prends des photos. Pour y revenir.<\/p>\n

Kafka. Le Proc\u00e8s. Le Ch\u00e2teau. L\u2019Arpenteur.<\/p>\n

Peut-\u00eatre une autre forme de r\u00e9p\u00e9tition.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 tournez la molette\u2026 oui\u2026 plus \u00e0 gauche\u2026 non\u2026 \u00e0 droite\u2026
\nl\u00e0\u2026 vous entendez ?\u2026 la couleur devient un son\u2026 une humeur\u2026
\ntout tient \u00e0 si peu\u2026<\/p>\n

valeurs\u2026 pas couleurs\u2026
\nce mot-l\u00e0\u2026 valeurs\u2026
\n\u00e7a revient\u2026 \u00e7a insiste\u2026 comme une le\u00e7on\u2026 comme un secret\u2026<\/p>\n

r\u00e9capituler\u2026 pour ne pas perdre\u2026 ou pour perdre mieux\u2026
\nce qu\u2019on retient\u2026 ce qui fuit\u2026
\net cette peur\u2026 vieille compagne\u2026 toujours l\u00e0\u2026 mais plus molle\u2026
\non rame\u2026 oui\u2026 on rame\u2026 et pourtant\u2026 \u00e7a avance\u2026<\/p>\n

le tapis volant\u2026 pas maintenant\u2026 plus tard\u2026
\nmais Verlaine, lui, est l\u00e0\u2026 deux vers\u2026 une boucle\u2026
\nni la m\u00eame\u2026 ni une autre\u2026 comme chaque s\u00e9ance\u2026 chaque visage\u2026<\/p>\n

et ces chaises\u2026 ces tables\u2026 ces salles vides\u2026
\n\u00e7a r\u00e9sonne\u2026 \u00e7a fait un bruit qu\u2019on ne sait pas nommer\u2026<\/p>\n

Kafka\u2026 bien s\u00fbr\u2026 l\u2019arpenteur\u2026 celui qui cherche sans fin\u2026
\nc\u2019est lui aussi\u2026 c\u2019est nous tous\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Il y a dans ce fragment une douceur \u00e9trange, comme celle qu\u2019on ressent apr\u00e8s l\u2019orage, ou dans une salle vide o\u00f9 l\u2019on entend encore la pr\u00e9sence des corps absents.<\/p>\n

Le narrateur installe un cadre — celui d\u2019un atelier — puis l\u2019ouvre aussit\u00f4t vers une s\u00e9rie de glissements : couleurs devenues fr\u00e9quences, \u00e9motions devenues valeurs, jours devenus gla\u00e7ons.<\/p>\n

Je note ici un **rapport tr\u00e8s sain \u00e0 l\u2019anxi\u00e9t\u00e9** : elle est nomm\u00e9e, transform\u00e9e, d\u00e9plac\u00e9e. Il ne s\u2019agit pas de l\u2019\u00e9viter, mais de la distiller. De la traverser lentement, \u00e0 la rame.<\/p>\n

Le geste artistique devient rituel, presque liturgique. On sent l\u2019envie de **donner forme au temps**. De l\u2019ancrer. La r\u00e9p\u00e9tition (jusqu\u2019au motif Verlaine) agit comme une protection, une incantation contre la perte.<\/p>\n

Mais ce qui m\u2019interpelle le plus, c\u2019est l\u2019apparition du vide — les chaises, les salles d\u00e9sertes. Ce sont les lieux de l\u2019attente. De l\u2019apr\u00e8s. Ils r\u00e9sonnent avec Kafka, bien s\u00fbr. Avec l\u2019arpenteur qui ne parvient jamais tout \u00e0 fait au Ch\u00e2teau.<\/p>\n

L\u2019atelier devient alors plus qu\u2019un lieu. C\u2019est un rempart contre l\u2019absurde. Contre l\u2019oubli. Un petit ch\u00e2teau fragile, mais peupl\u00e9.<\/p>", "content_text": " En atelier, on parle de tout, de rien. On dessine, on peint. Un jour, j\u2019ai eu cette id\u00e9e : une palette, c\u2019est comme un poste de radio. Un vieux transistor. Une bande de fr\u00e9quences. Tournez la molette : vous aurez de la musique triste, ou joyeuse, des \u00e9missions rigolotes ou bien barbantes. D\u00e9clinez les couleurs. D\u00e9clinez les valeurs. L\u2019important, ce ne sont pas les couleurs, mais les valeurs. Chaque jour, je r\u00e9capitule. Un exercice pour ne pas perdre le fil. Ou pour mieux s\u2019y perdre. \u00c9crire ce qui a \u00e9t\u00e9 retenu. Voir comment, \u00e0 l\u2019\u00e9crire, cela se transforme ou s\u2019efface. La peur r\u00e9siduelle, celle qui colle \u00e0 l\u2019avant, se dissout avec le temps. Elle devient vapeur, puis glace, puis gla\u00e7on. On la d\u00e9passe en ramant doucement. Contin\u00fbment. Le th\u00e8me des tapis volants est report\u00e9 apr\u00e8s la Toussaint. Je cherche un exercice qui conduise chacun \u00e0 sa propre transe. Sa propre ivresse. Par la r\u00e9p\u00e9tition. Ces deux vers de Verlaine me reviennent : *Et qui n\u2019est, chaque fois, ni tout \u00e0 fait la m\u00eame Ni tout \u00e0 fait une autre, et m\u2019aime et me comprend.* Des chaises empil\u00e9es au foyer Henri Barbusse. Des tables align\u00e9es, vides. La salle sonne. \u00c0 chaque fois, cette impression. Cette fois, je prends des photos. Pour y revenir. Kafka. Le Proc\u00e8s. Le Ch\u00e2teau. L\u2019Arpenteur. Peut-\u00eatre une autre forme de r\u00e9p\u00e9tition. {{sous-conversation}} \u2026 tournez la molette\u2026 oui\u2026 plus \u00e0 gauche\u2026 non\u2026 \u00e0 droite\u2026 l\u00e0\u2026 vous entendez ?\u2026 la couleur devient un son\u2026 une humeur\u2026 tout tient \u00e0 si peu\u2026 valeurs\u2026 pas couleurs\u2026 ce mot-l\u00e0\u2026 valeurs\u2026 \u00e7a revient\u2026 \u00e7a insiste\u2026 comme une le\u00e7on\u2026 comme un secret\u2026 r\u00e9capituler\u2026 pour ne pas perdre\u2026 ou pour perdre mieux\u2026 ce qu\u2019on retient\u2026 ce qui fuit\u2026 et cette peur\u2026 vieille compagne\u2026 toujours l\u00e0\u2026 mais plus molle\u2026 on rame\u2026 oui\u2026 on rame\u2026 et pourtant\u2026 \u00e7a avance\u2026 le tapis volant\u2026 pas maintenant\u2026 plus tard\u2026 mais Verlaine, lui, est l\u00e0\u2026 deux vers\u2026 une boucle\u2026 ni la m\u00eame\u2026 ni une autre\u2026 comme chaque s\u00e9ance\u2026 chaque visage\u2026 et ces chaises\u2026 ces tables\u2026 ces salles vides\u2026 \u00e7a r\u00e9sonne\u2026 \u00e7a fait un bruit qu\u2019on ne sait pas nommer\u2026 Kafka\u2026 bien s\u00fbr\u2026 l\u2019arpenteur\u2026 celui qui cherche sans fin\u2026 c\u2019est lui aussi\u2026 c\u2019est nous tous\u2026 {{note de travail}} Il y a dans ce fragment une douceur \u00e9trange, comme celle qu\u2019on ressent apr\u00e8s l\u2019orage, ou dans une salle vide o\u00f9 l\u2019on entend encore la pr\u00e9sence des corps absents. Le narrateur installe un cadre \u2014 celui d\u2019un atelier \u2014 puis l\u2019ouvre aussit\u00f4t vers une s\u00e9rie de glissements : couleurs devenues fr\u00e9quences, \u00e9motions devenues valeurs, jours devenus gla\u00e7ons. Je note ici un **rapport tr\u00e8s sain \u00e0 l\u2019anxi\u00e9t\u00e9** : elle est nomm\u00e9e, transform\u00e9e, d\u00e9plac\u00e9e. Il ne s\u2019agit pas de l\u2019\u00e9viter, mais de la distiller. De la traverser lentement, \u00e0 la rame. Le geste artistique devient rituel, presque liturgique. On sent l\u2019envie de **donner forme au temps**. De l\u2019ancrer. La r\u00e9p\u00e9tition (jusqu\u2019au motif Verlaine) agit comme une protection, une incantation contre la perte. Mais ce qui m\u2019interpelle le plus, c\u2019est l\u2019apparition du vide \u2014 les chaises, les salles d\u00e9sertes. Ce sont les lieux de l\u2019attente. De l\u2019apr\u00e8s. Ils r\u00e9sonnent avec Kafka, bien s\u00fbr. Avec l\u2019arpenteur qui ne parvient jamais tout \u00e0 fait au Ch\u00e2teau. L\u2019atelier devient alors plus qu\u2019un lieu. C\u2019est un rempart contre l\u2019absurde. Contre l\u2019oubli. Un petit ch\u00e2teau fragile, mais peupl\u00e9. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/atelier-roussillon.jpg?1748065077", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-octobre-2023.html", "title": "10 octobre 2023", "date_published": "2023-10-10T00:56:00Z", "date_modified": "2025-04-01T00:56:16Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Alors que nous quittions le bureau de tabac, mon ami proc\u00e9da \u00e0 un \u00e9trange tri de ses pi\u00e8ces. De l\u2019or dans la poche gauche de son gilet, de l\u2019argent dans la droite ; dans la culotte gauche, des gros sols ; et, dans la droite, une pi\u00e8ce de deux francs qu\u2019il examina longuement.<\/p>\n

« Singuli\u00e8re r\u00e9partition ! » me dis-je.<\/p>\n

Un pauvre s\u2019approcha. Il nous tendit sa casquette en silence, les yeux tremblants. Rien n\u2019est plus vertigineux que ce regard muet : \u00e0 la fois supplication, reproche, et ab\u00eeme. Ce sont les m\u00eames yeux que ceux des chiens battus.<\/p>\n

Mon ami donna bien plus que moi. Je lui dis : « Vous avez raison ; apr\u00e8s l\u2019\u00e9tonnement, rien n\u2019\u00e9gale le plaisir de surprendre. »
\n« C\u2019\u00e9tait une fausse pi\u00e8ce », r\u00e9pondit-il avec calme.<\/p>\n

Alors, dans mon cerveau fatigu\u00e9 d\u2019hypoth\u00e8ses, s\u2019insinua l\u2019id\u00e9e que ce geste n\u2019\u00e9tait excusable que par d\u00e9sir d\u2019exp\u00e9rimenter. Cr\u00e9er un \u00e9v\u00e9nement. Suivre la pi\u00e8ce fausse dans la vie du pauvre. Serait-elle l\u2019origine d\u2019une fortune ? Ou le motif d\u2019une arrestation ? Le boulanger, le cabaretier, que feraient-ils ? Et la pi\u00e8ce, peut-\u00eatre, circulerait, s\u2019essaimerait, se transformerait...<\/p>\n

Je m\u2019abandonnais \u00e0 ces divagations quand mon ami, me reprenant : « Oui, comme vous dites, surprendre un homme est un doux plaisir. »
\nJe le fixai. Ses yeux brillaient d\u2019une candeur si pure que j\u2019en eus froid. Il voulait tout \u00e0 la fois : faire la charit\u00e9 et une bonne affaire ; gagner le ciel \u00e0 bon prix ; s\u2019acheter un c\u0153ur charitable pour deux francs d\u00e9valu\u00e9s.<\/p>\n

J\u2019aurais pardonn\u00e9 le sadisme froid que je lui pr\u00eatais — ce go\u00fbt de jouer avec les pauvres — mais je ne lui pardonnerai jamais la stupidit\u00e9 de son calcul. \u00catre m\u00e9chant, soit ; mais le savoir, au moins. Le vice irr\u00e9parable, c\u2019est de faire le mal... par b\u00eatise.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026 il fouille\u2026 ses poches\u2026 comme un alchimiste ? non\u2026 comme un comptable\u2026
\nle pauvre approche — pas un mot — juste\u2026 le silence\u2026 et ce regard\u2026
\n\u00e7a pince\u2026 \u00e7a gratte\u2026 pas seulement dehors\u2026 non\u2026 dedans aussi\u2026<\/p>\n

la pi\u00e8ce — fausse — il l\u2019a donn\u00e9e — oui — mais pourquoi ?
\nil sait ? il joue ? il teste ? non — trop candide, trop\u2026 propre\u2026
\nle regard du chien, \u00e7a oui, \u00e7a\u2026 \u00e7a dit quelque chose qu\u2019on n\u2019a pas envie d\u2019entendre\u2026<\/p>\n

et moi\u2026 moi je brode\u2026 je brode des drames\u2026 des d\u00e9tours\u2026
\nje fabrique du sens — toujours — j\u2019enfante des hypoth\u00e8ses comme on vomit\u2026
\net lui, lui, tranquille\u2026 tranquille comme une eau morte\u2026<\/p>\n

il voulait gagner — gagner le ciel — faire bonne figure — et payer moins\u2026
\ntout \u00e7a pour \u00e7a\u2026 deux francs — faux — pour une aur\u00e9ole...
\nnon — pas cruel — juste\u2026 idiot\u2026 et \u00e7a, c\u2019est pire\u2026 bien pire\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Une sc\u00e8ne banale, presque burlesque : le tri de la monnaie, la rencontre d\u2019un pauvre, un don.<\/p>\n

Mais tr\u00e8s vite, la banalit\u00e9 glisse, bascule. Le narrateur d\u00e9rape dans une spirale mentale — _parano\u00efaque douce_ — o\u00f9 chaque geste est motif \u00e0 supposition. L\u2019acte devient th\u00e9\u00e2tre. Et la charit\u00e9, exp\u00e9rimentation. C\u2019est un fantasme de ma\u00eetrise : il imagine les cons\u00e9quences de la pi\u00e8ce, la vie du pauvre comme un domino renvers\u00e9.<\/p>\n

Puis le surgissement de la vraie horreur : pas le cynisme. Mais la b\u00eatise morale.<\/p>\n

Il y a chez le narrateur un d\u00e9sir violent de penser _jusqu\u2019au bout_, une compulsion \u00e0 comprendre ce qui, pourtant, ne se laisse pas penser. Il se venge de son impuissance \u00e0 comprendre en m\u00e9prisant. Ce n\u2019est plus le mendiant qui est jug\u00e9. C\u2019est l\u2019ami — _le candide_, le _faux charitable_, celui qui salit le geste sans m\u00eame le savoir.<\/p>\n

Et ce que le narrateur ne dit pas — mais que je ressens comme analyste — c\u2019est qu\u2019il aurait aim\u00e9 avoir eu l\u2019id\u00e9e. Lui. Donner la pi\u00e8ce fausse, mais en le sachant. En savourant le vertige. L\u00e0 r\u00e9side l\u2019ambivalence. Entre sadisme et lucidit\u00e9.<\/p>\n

Ce n\u2019est pas l\u2019ami qu\u2019il juge. C\u2019est lui-m\u00eame, qui s\u2019est fait voler la mise.<\/p>", "content_text": " Alors que nous quittions le bureau de tabac, mon ami proc\u00e9da \u00e0 un \u00e9trange tri de ses pi\u00e8ces. De l\u2019or dans la poche gauche de son gilet, de l\u2019argent dans la droite ; dans la culotte gauche, des gros sols ; et, dans la droite, une pi\u00e8ce de deux francs qu\u2019il examina longuement. \u00ab Singuli\u00e8re r\u00e9partition ! \u00bb me dis-je. Un pauvre s\u2019approcha. Il nous tendit sa casquette en silence, les yeux tremblants. Rien n\u2019est plus vertigineux que ce regard muet : \u00e0 la fois supplication, reproche, et ab\u00eeme. Ce sont les m\u00eames yeux que ceux des chiens battus. Mon ami donna bien plus que moi. Je lui dis : \u00ab Vous avez raison ; apr\u00e8s l\u2019\u00e9tonnement, rien n\u2019\u00e9gale le plaisir de surprendre. \u00bb \u00ab C\u2019\u00e9tait une fausse pi\u00e8ce \u00bb, r\u00e9pondit-il avec calme. Alors, dans mon cerveau fatigu\u00e9 d\u2019hypoth\u00e8ses, s\u2019insinua l\u2019id\u00e9e que ce geste n\u2019\u00e9tait excusable que par d\u00e9sir d\u2019exp\u00e9rimenter. Cr\u00e9er un \u00e9v\u00e9nement. Suivre la pi\u00e8ce fausse dans la vie du pauvre. Serait-elle l\u2019origine d\u2019une fortune ? Ou le motif d\u2019une arrestation ? Le boulanger, le cabaretier, que feraient-ils ? Et la pi\u00e8ce, peut-\u00eatre, circulerait, s\u2019essaimerait, se transformerait... Je m\u2019abandonnais \u00e0 ces divagations quand mon ami, me reprenant : \u00ab Oui, comme vous dites, surprendre un homme est un doux plaisir. \u00bb Je le fixai. Ses yeux brillaient d\u2019une candeur si pure que j\u2019en eus froid. Il voulait tout \u00e0 la fois : faire la charit\u00e9 et une bonne affaire ; gagner le ciel \u00e0 bon prix ; s\u2019acheter un c\u0153ur charitable pour deux francs d\u00e9valu\u00e9s. J\u2019aurais pardonn\u00e9 le sadisme froid que je lui pr\u00eatais \u2014 ce go\u00fbt de jouer avec les pauvres \u2014 mais je ne lui pardonnerai jamais la stupidit\u00e9 de son calcul. \u00catre m\u00e9chant, soit ; mais le savoir, au moins. Le vice irr\u00e9parable, c\u2019est de faire le mal... par b\u00eatise. {{sous-conversation}} \u2026 il fouille\u2026 ses poches\u2026 comme un alchimiste ? non\u2026 comme un comptable\u2026 le pauvre approche \u2014 pas un mot \u2014 juste\u2026 le silence\u2026 et ce regard\u2026 \u00e7a pince\u2026 \u00e7a gratte\u2026 pas seulement dehors\u2026 non\u2026 dedans aussi\u2026 la pi\u00e8ce \u2014 fausse \u2014 il l\u2019a donn\u00e9e \u2014 oui \u2014 mais pourquoi ? il sait ? il joue ? il teste ? non \u2014 trop candide, trop\u2026 propre\u2026 le regard du chien, \u00e7a oui, \u00e7a\u2026 \u00e7a dit quelque chose qu\u2019on n\u2019a pas envie d\u2019entendre\u2026 et moi\u2026 moi je brode\u2026 je brode des drames\u2026 des d\u00e9tours\u2026 je fabrique du sens \u2014 toujours \u2014 j\u2019enfante des hypoth\u00e8ses comme on vomit\u2026 et lui, lui, tranquille\u2026 tranquille comme une eau morte\u2026 il voulait gagner \u2014 gagner le ciel \u2014 faire bonne figure \u2014 et payer moins\u2026 tout \u00e7a pour \u00e7a\u2026 deux francs \u2014 faux \u2014 pour une aur\u00e9ole... non \u2014 pas cruel \u2014 juste\u2026 idiot\u2026 et \u00e7a, c\u2019est pire\u2026 bien pire\u2026 {{note de travail}} Une sc\u00e8ne banale, presque burlesque : le tri de la monnaie, la rencontre d\u2019un pauvre, un don. Mais tr\u00e8s vite, la banalit\u00e9 glisse, bascule. Le narrateur d\u00e9rape dans une spirale mentale \u2014 _parano\u00efaque douce_ \u2014 o\u00f9 chaque geste est motif \u00e0 supposition. L\u2019acte devient th\u00e9\u00e2tre. Et la charit\u00e9, exp\u00e9rimentation. C\u2019est un fantasme de ma\u00eetrise : il imagine les cons\u00e9quences de la pi\u00e8ce, la vie du pauvre comme un domino renvers\u00e9. Puis le surgissement de la vraie horreur : pas le cynisme. Mais la b\u00eatise morale. Il y a chez le narrateur un d\u00e9sir violent de penser _jusqu\u2019au bout_, une compulsion \u00e0 comprendre ce qui, pourtant, ne se laisse pas penser. Il se venge de son impuissance \u00e0 comprendre en m\u00e9prisant. Ce n\u2019est plus le mendiant qui est jug\u00e9. C\u2019est l\u2019ami \u2014 _le candide_, le _faux charitable_, celui qui salit le geste sans m\u00eame le savoir. Et ce que le narrateur ne dit pas \u2014 mais que je ressens comme analyste \u2014 c\u2019est qu\u2019il aurait aim\u00e9 avoir eu l\u2019id\u00e9e. Lui. Donner la pi\u00e8ce fausse, mais en le sachant. En savourant le vertige. L\u00e0 r\u00e9side l\u2019ambivalence. Entre sadisme et lucidit\u00e9. Ce n\u2019est pas l\u2019ami qu\u2019il juge. C\u2019est lui-m\u00eame, qui s\u2019est fait voler la mise. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/boite-a-livres.webp?1748065197", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/09-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/09-octobre-2023.html", "title": "09 octobre 2023", "date_published": "2023-10-09T11:14:00Z", "date_modified": "2025-03-31T11:14:37Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La politique rend sourd.
\nLa t\u00e9l\u00e9, la radio, la presse, rendent idiot.<\/p>\n

Il resterait les for\u00eats, peut-\u00eatre,
\nsi on \u00e9tait s\u00fbr de ne pas s\u2019y faire trouer la peau.<\/p>\n

Les livres alors ?
\nLire.
\n\u00c9crire.<\/p>\n

Pas besoin de sc\u00e9nario Matrix.
\nLa stase est r\u00e9elle.
\nLes tuyaux nous branchent \u00e0 la fabrique \u00e0 caca mondiale.<\/p>\n

Le pour. Le contre.
\nEt ses variants.
\nVaccination bisannuelle.
\nAttest\u00e9e par experts p\u00e9p\u00e8res.<\/p>\n

Le mot concitoyen
\ncoince \u00e0 la glotte
\nentre deux bouch\u00e9es
\nde tartines pas beurr\u00e9es.<\/p>\n

On ne nous prend m\u00eame plus pour des cons.
\nC\u2019est au-del\u00e0.
\nOn n\u2019existe plus.<\/p>\n

Signes. Chiffres. Cibles. Donn\u00e9es.<\/p>\n

\u00catre une donneuse ne sauve rien.
\nTu l\u00e8ches des culs \u00e0 vide.
\nLa salive ne vaut plus un pet.<\/p>\n

Se pendre — haut et court —
\nexpression toujours trouv\u00e9e \u00e9trange.<\/p>\n

Cours dans un r\u00eave.
\nSur place.
\nAffol\u00e9.<\/p>\n

Et si tu ouvres les yeux :
\nl\u2019anomalie te saute au visage.<\/p>\n

Pi\u00e8ce blanche.
\nSavants fous sous cachou.
\nCarton plume taillad\u00e9 au scalpel.
\nExtensions de labyrinthe.<\/p>\n

Quelqu\u2019un hennit.
\nUn miroir de poche surgit d\u2019une blouse.
\nEt ce rat blanc\u2026
\ntremble dans ton regard.
\nTu te souviens.<\/p>\n

*<\/p>\n

Ce dimanche
\na fil\u00e9 comme un pet
\nsur une toile cir\u00e9e.<\/p>\n

(La toile cir\u00e9e. Encore elle.)<\/p>\n

Cire. Messire. Messe. Ire. Lire.<\/p>\n

On peut vivre avec quelqu\u2019un
\net ne pas lire le m\u00eame livre.
\nM\u00eame titre.
\nLivre diff\u00e9rent.<\/p>\n

Alors se parler.
\nSe toucher le front.
\nJoue contre joue.
\nDanser.
\nMais pas la Carmagnole.<\/p>\n

Toucher > Opinion.<\/p>\n

L\u2019amour est compliqu\u00e9
\nparce que se taire est compliqu\u00e9.<\/p>\n

Trop dire.
\nTrop faire passer l\u2019orage mental.
\nLa vomissure primordiale.<\/p>\n

L\u2019amour d\u00e9form\u00e9
\npar l\u2019exc\u00e8s d\u2019informations
\nqui n\u2019informent que d\u2019un ennui crasse.<\/p>\n

Un avachissement.<\/p>\n

S\u2019avachir comme une b\u00eate dans l\u2019herbe haute.
\nToucher terre.<\/p>\n

Peser.
\nSe laisser peser.<\/p>\n

Ne plus ramer.
\nFace \u00e0 la falaise.<\/p>\n

*<\/p>\n

Une certaine atmosph\u00e8re revient.
\nUn parfum d\u2019\u00eatre.
\n“C\u2019est moi. Ce n\u2019est que moi.”
\nEn apart\u00e9.<\/p>\n

Lampe de chevet.
\nCorps horizontal.
\nPieds contre pieds.
\nMain sur le livre.
\nPages qu\u2019on tourne.
\nBu\u00e9e sur les carreaux.<\/p>\n

*<\/p>\n

Et puis, ouvrir un r\u00e9seau.
\nRegarder.
\nComme une prise de sang.
\nRelever la manche.
\nGarrot.<\/p>\n

Observer dans quelle glue
\ntout se d\u00e9forme et se reforme.<\/p>\n

R\u00e9sister.
\nMithridatisation quotidienne.<\/p>\n

S\u2019interroger.
\nPourquoi ?
\nR\u00e9flexe animal.<\/p>\n

Effroi ant\u00e9rieur.
\nAntilope dans le sang.
\nCourir.<\/p>\n

Courir pour fuir l\u2019in\u00e9luctable.
\nC\u2019est \u00e7a :
\nd\u00e9finir le mot in\u00e9luctable.<\/p>\n

*<\/p>\n

S\u2019entra\u00eener.
\nChaque jour.
\nTenir la b\u00eate en joue.<\/p>\n

Et, peut-\u00eatre, \u00e0 la fin,
\nouvrir en grand les bras.<\/p>\n

L\u2019accueil.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Tu fais quoi, l\u00e0 ? \n
— J\u2019essaie de tenir. \n
— Avec des mots ? \n
— Avec ce qui reste. \n
— Ce rat, ce miroir\u2026 \n
— C\u2019est l\u2019image. C\u2019est l\u2019anomalie. \n
— Tu trembles ? \n
— Pas encore. Mais je sais que \u00e7a vient. \n
— Et l\u2019amour ? \n
— Il est d\u00e9form\u00e9. Mais il bat encore. \n
— Tu veux quoi ? \n
— Rester un corps. Pas un chiffre. \n
— Et \u00e0 la fin ? \n
— Juste. \n
— Les bras. \n
— Ouverts.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le sujet alterne saturation et fuite. Il tente de survivre dans un monde d\u00e9sarticul\u00e9, o\u00f9 les rep\u00e8res symboliques sont an\u00e9antis, o\u00f9 le langage institutionnel ne vaut plus rien.<\/p>\n

Tout le d\u00e9but du texte d\u00e9crit une **dissolution du social**, une perte du sens collectif, de la citoyennet\u00e9, du langage partag\u00e9. L\u2019humour y est acide, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9.<\/p>\n

Mais tr\u00e8s vite, surgissent des \u00eelots de r\u00e9sistance : \n
\u2013<\/b><\/span> Le corps. \n
\u2013<\/b><\/span> Le toucher. \n
\u2013<\/b><\/span> La lecture. \n
\u2013<\/b><\/span> L\u2019attention \u00e0 l\u2019autre.<\/p>\n

La position horizontale, la lampe de chevet, les pieds frott\u00e9s l\u2019un contre l\u2019autre — ce sont des gestes de r\u00e9invention douce de soi.<\/p>\n

L\u2019image la plus forte, peut-\u00eatre : “une antilope court dans le sang”.
\nLe sujet sait que la b\u00eate qu\u2019il est court pour fuir une mort d\u00e9j\u00e0 contenue dans le langage m\u00eame.<\/p>\n

Mais il court. Il s\u2019entra\u00eene. Il r\u00e9siste.
\nEt il se pr\u00e9pare, peut-\u00eatre, \u00e0 ouvrir les bras.<\/p>\n

Pas pour capituler.
\nPour accueillir.<\/p>\n

Le monde, la chute, ou autre chose.
\nUne lucidit\u00e9 nue, non d\u00e9faite.<\/p>", "content_text": " La politique rend sourd. La t\u00e9l\u00e9, la radio, la presse, rendent idiot. Il resterait les for\u00eats, peut-\u00eatre, si on \u00e9tait s\u00fbr de ne pas s\u2019y faire trouer la peau. Les livres alors ? Lire. \u00c9crire. Pas besoin de sc\u00e9nario Matrix. La stase est r\u00e9elle. Les tuyaux nous branchent \u00e0 la fabrique \u00e0 caca mondiale. Le pour. Le contre. Et ses variants. Vaccination bisannuelle. Attest\u00e9e par experts p\u00e9p\u00e8res. Le mot concitoyen coince \u00e0 la glotte entre deux bouch\u00e9es de tartines pas beurr\u00e9es. On ne nous prend m\u00eame plus pour des cons. C\u2019est au-del\u00e0. On n\u2019existe plus. Signes. Chiffres. Cibles. Donn\u00e9es. \u00catre une donneuse ne sauve rien. Tu l\u00e8ches des culs \u00e0 vide. La salive ne vaut plus un pet. Se pendre \u2014 haut et court \u2014 expression toujours trouv\u00e9e \u00e9trange. Cours dans un r\u00eave. Sur place. Affol\u00e9. Et si tu ouvres les yeux : l\u2019anomalie te saute au visage. Pi\u00e8ce blanche. Savants fous sous cachou. Carton plume taillad\u00e9 au scalpel. Extensions de labyrinthe. Quelqu\u2019un hennit. Un miroir de poche surgit d\u2019une blouse. Et ce rat blanc\u2026 tremble dans ton regard. Tu te souviens. * Ce dimanche a fil\u00e9 comme un pet sur une toile cir\u00e9e. (La toile cir\u00e9e. Encore elle.) Cire. Messire. Messe. Ire. Lire. On peut vivre avec quelqu\u2019un et ne pas lire le m\u00eame livre. M\u00eame titre. Livre diff\u00e9rent. Alors se parler. Se toucher le front. Joue contre joue. Danser. Mais pas la Carmagnole. Toucher > Opinion. L\u2019amour est compliqu\u00e9 parce que se taire est compliqu\u00e9. Trop dire. Trop faire passer l\u2019orage mental. La vomissure primordiale. L\u2019amour d\u00e9form\u00e9 par l\u2019exc\u00e8s d\u2019informations qui n\u2019informent que d\u2019un ennui crasse. Un avachissement. S\u2019avachir comme une b\u00eate dans l\u2019herbe haute. Toucher terre. Peser. Se laisser peser. Ne plus ramer. Face \u00e0 la falaise. * Une certaine atmosph\u00e8re revient. Un parfum d\u2019\u00eatre. \u201cC\u2019est moi. Ce n\u2019est que moi.\u201d En apart\u00e9. Lampe de chevet. Corps horizontal. Pieds contre pieds. Main sur le livre. Pages qu\u2019on tourne. Bu\u00e9e sur les carreaux. * Et puis, ouvrir un r\u00e9seau. Regarder. Comme une prise de sang. Relever la manche. Garrot. Observer dans quelle glue tout se d\u00e9forme et se reforme. R\u00e9sister. Mithridatisation quotidienne. S\u2019interroger. Pourquoi ? R\u00e9flexe animal. Effroi ant\u00e9rieur. Antilope dans le sang. Courir. Courir pour fuir l\u2019in\u00e9luctable. C\u2019est \u00e7a : d\u00e9finir le mot in\u00e9luctable. * S\u2019entra\u00eener. Chaque jour. Tenir la b\u00eate en joue. Et, peut-\u00eatre, \u00e0 la fin, ouvrir en grand les bras. L\u2019accueil. {{sous-conversation}} \u2014 Tu fais quoi, l\u00e0 ? \u2014 J\u2019essaie de tenir. \u2014 Avec des mots ? \u2014 Avec ce qui reste. \u2014 Ce rat, ce miroir\u2026 \u2014 C\u2019est l\u2019image. C\u2019est l\u2019anomalie. \u2014 Tu trembles ? \u2014 Pas encore. Mais je sais que \u00e7a vient. \u2014 Et l\u2019amour ? \u2014 Il est d\u00e9form\u00e9. Mais il bat encore. \u2014 Tu veux quoi ? \u2014 Rester un corps. Pas un chiffre. \u2014 Et \u00e0 la fin ? \u2014 Juste. \u2014 Les bras. \u2014 Ouverts. {{note de travail}} Le sujet alterne saturation et fuite. Il tente de survivre dans un monde d\u00e9sarticul\u00e9, o\u00f9 les rep\u00e8res symboliques sont an\u00e9antis, o\u00f9 le langage institutionnel ne vaut plus rien. Tout le d\u00e9but du texte d\u00e9crit une **dissolution du social**, une perte du sens collectif, de la citoyennet\u00e9, du langage partag\u00e9. L\u2019humour y est acide, d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9. Mais tr\u00e8s vite, surgissent des \u00eelots de r\u00e9sistance : - Le corps. - Le toucher. - La lecture. - L\u2019attention \u00e0 l\u2019autre. La position horizontale, la lampe de chevet, les pieds frott\u00e9s l\u2019un contre l\u2019autre \u2014 ce sont des gestes de r\u00e9invention douce de soi. L\u2019image la plus forte, peut-\u00eatre : \u201cune antilope court dans le sang\u201d. Le sujet sait que la b\u00eate qu\u2019il est court pour fuir une mort d\u00e9j\u00e0 contenue dans le langage m\u00eame. Mais il court. Il s\u2019entra\u00eene. Il r\u00e9siste. Et il se pr\u00e9pare, peut-\u00eatre, \u00e0 ouvrir les bras. Pas pour capituler. Pour accueillir. Le monde, la chute, ou autre chose. Une lucidit\u00e9 nue, non d\u00e9faite. 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\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le jugement, en philosophie, n\u2019a rien d\u2019un tribunal. Ce n\u2019est pas l\u2019acte de juger, mais une op\u00e9ration de connaissance — une proposition, d\u00e9riv\u00e9e de la pr\u00e9dication. Religieux ou non, il s\u2019agit d\u2019un lien entre un sujet et un pr\u00e9dicat.<\/p>\n

Exemple : “L\u2019orange est bleue”. Ce jugement vaut, en soi, autant que “L\u2019orange est rouge” ou “L\u2019orange est verte”. Aucun n\u2019est plus “vrai” que l\u2019autre dans le seul espace de la phrase. La v\u00e9rit\u00e9, si elle existe, est ailleurs — hors du langage.<\/p>\n

Ce geste — attribuer une qualit\u00e9 \u00e0 une impression — Aristote en avait d\u00e9j\u00e0 saisi l\u2019importance, et Kant lui a donn\u00e9 sa m\u00e9canique : j\u2019adjoins un concept (par exemple la couleur) \u00e0 une intuition sensible (ce que mes yeux per\u00e7oivent de l\u2019orange). Si je dis : “L\u2019orange est belle”, le concept devient esth\u00e9tique. Le jugement se greffe sur l\u2019impression, comme un couvercle sur une source.<\/p>\n

Mais c\u2019est une rustine. Une tentative de colmater ce qui, dans l\u2019intuition, exc\u00e8de toujours la parole.<\/p>\n

On peut ensuite s\u2019acharner \u00e0 diss\u00e9quer l\u2019a priori du post\u00e9rieur, jouer \u00e0 la chirurgie fine du concept. Ce n\u2019est l\u00e0 encore qu\u2019un jugement sur le jugement. Une boucle. Une pirouette.<\/p>\n

Ou une farce, comme chez von Max, o\u00f9 les singes s\u2019\u00e9rigent en juges de l\u2019art.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

\u2026oui mais\u2026 \u00e7a glisse\u2026 \u00e0 peine \u00e9nonc\u00e9, d\u00e9j\u00e0\u2026 \u00e7a ne colle pas\u2026 l\u2019orange est bleue — oui — pourquoi pas — c\u2019est bien \u00e7a le probl\u00e8me\u2026 on peut tout dire\u2026 c\u2019est effrayant, non ?...<\/p>\n

\u2026un mot\u2026 un mot sur l\u2019\u0153il\u2026 une id\u00e9e sur l\u2019impression\u2026 une rustine, oui, mais\u2026 alors quoi ?...<\/p>\n

\u00e7a fuit\u2026 toujours\u2026 et on veut mettre du sens, comme une cale, une bride\u2026 une rustine\u2026<\/p>\n

et puis — ce besoin — de dire que ce n\u2019est pas que \u00e7a — que \u00e7a ne suffit pas — que \u00e7a ment peut-\u00eatre ?...<\/p>\n

et cette derni\u00e8re pens\u00e9e, presque honteuse : que juger le jugement, c\u2019est encore juger\u2026 impossible de sortir du cercle\u2026<\/p>\n

et dans un coin\u2026 oui\u2026 une image\u2026 des singes\u2026 ils regardent un tableau\u2026 eux aussi, ils savent ?...
\n
\nnote de travail<\/strong><\/p>\n

Il entre en s\u00e9ance avec ce texte comme on entre dans une salle d\u2019audience. Mais ici, le juge est absent. Ou plut\u00f4t, il se d\u00e9robe.<\/p>\n

Je sens chez lui une lassitude douce face \u00e0 l\u2019institution du jugement, comme s\u2019il fallait enfin d\u00e9samorcer cette vieille machinerie rationnelle qu\u2019on continue d\u2019utiliser par habitude. La phrase “le jugement est une rustine” me frappe : voil\u00e0 une belle condensation du sympt\u00f4me. Il colmate, il bouche — mais il ne r\u00e9pare rien. Il masque la fuite.<\/p>\n

Le sujet cherche un point d\u2019ancrage entre l\u2019intuition et le concept, entre l\u2019\u0153il et l\u2019id\u00e9e. Il est du c\u00f4t\u00e9 de Kant, certes, mais il en d\u00e9place discr\u00e8tement la gravit\u00e9. Il ram\u00e8ne la pens\u00e9e vers le bricolage, vers l\u2019image du bricoleur — presque un clin d\u2019\u0153il \u00e0 Winnicott.<\/p>\n

Dans le fond, ce texte me semble \u00e9crit contre l\u2019arrogance du langage. Il tente un geste modeste : reconna\u00eetre que dire “l\u2019orange est bleue” a autant de valeur, dans le champ du jugement, que n\u2019importe quelle autre phrase. Et que ce n\u2019est pas l\u00e0 que se joue la v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n

Mais en filigrane, une inqui\u00e9tude sourd : si tout jugement est rustine\u2026 que reste-t-il pour dire ce qui ne se laisse pas juger ? Le texte finit en pirouette, mais moi j\u2019y entends un cri \u00e9touff\u00e9 — celui de l\u2019enfant confront\u00e9 \u00e0 l\u2019imposture des mots.<\/p>\n

Illustration<\/strong> : Gabriel_Cornelius_von_Max,_1840-1915,_Monkeys_as_Judges_of_Art,_1889<\/p>", "content_text": " Le jugement, en philosophie, n\u2019a rien d\u2019un tribunal. Ce n\u2019est pas l\u2019acte de juger, mais une op\u00e9ration de connaissance \u2014 une proposition, d\u00e9riv\u00e9e de la pr\u00e9dication. Religieux ou non, il s\u2019agit d\u2019un lien entre un sujet et un pr\u00e9dicat. Exemple : \u201cL\u2019orange est bleue\u201d. Ce jugement vaut, en soi, autant que \u201cL\u2019orange est rouge\u201d ou \u201cL\u2019orange est verte\u201d. Aucun n\u2019est plus \u201cvrai\u201d que l\u2019autre dans le seul espace de la phrase. La v\u00e9rit\u00e9, si elle existe, est ailleurs \u2014 hors du langage. Ce geste \u2014 attribuer une qualit\u00e9 \u00e0 une impression \u2014 Aristote en avait d\u00e9j\u00e0 saisi l\u2019importance, et Kant lui a donn\u00e9 sa m\u00e9canique : j\u2019adjoins un concept (par exemple la couleur) \u00e0 une intuition sensible (ce que mes yeux per\u00e7oivent de l\u2019orange). Si je dis : \u201cL\u2019orange est belle\u201d, le concept devient esth\u00e9tique. Le jugement se greffe sur l\u2019impression, comme un couvercle sur une source. Mais c\u2019est une rustine. Une tentative de colmater ce qui, dans l\u2019intuition, exc\u00e8de toujours la parole. On peut ensuite s\u2019acharner \u00e0 diss\u00e9quer l\u2019a priori du post\u00e9rieur, jouer \u00e0 la chirurgie fine du concept. Ce n\u2019est l\u00e0 encore qu\u2019un jugement sur le jugement. Une boucle. Une pirouette. Ou une farce, comme chez von Max, o\u00f9 les singes s\u2019\u00e9rigent en juges de l\u2019art. {{sous-conversation}} \u2026oui mais\u2026 \u00e7a glisse\u2026 \u00e0 peine \u00e9nonc\u00e9, d\u00e9j\u00e0\u2026 \u00e7a ne colle pas\u2026 l\u2019orange est bleue \u2014 oui \u2014 pourquoi pas \u2014 c\u2019est bien \u00e7a le probl\u00e8me\u2026 on peut tout dire\u2026 c\u2019est effrayant, non ?... \u2026un mot\u2026 un mot sur l\u2019\u0153il\u2026 une id\u00e9e sur l\u2019impression\u2026 une rustine, oui, mais\u2026 alors quoi ?... \u00e7a fuit\u2026 toujours\u2026 et on veut mettre du sens, comme une cale, une bride\u2026 une rustine\u2026 et puis \u2014 ce besoin \u2014 de dire que ce n\u2019est pas que \u00e7a \u2014 que \u00e7a ne suffit pas \u2014 que \u00e7a ment peut-\u00eatre ?... et cette derni\u00e8re pens\u00e9e, presque honteuse : que juger le jugement, c\u2019est encore juger\u2026 impossible de sortir du cercle\u2026 et dans un coin\u2026 oui\u2026 une image\u2026 des singes\u2026 ils regardent un tableau\u2026 eux aussi, ils savent ?... {{ note de travail}} Il entre en s\u00e9ance avec ce texte comme on entre dans une salle d\u2019audience. Mais ici, le juge est absent. Ou plut\u00f4t, il se d\u00e9robe. Je sens chez lui une lassitude douce face \u00e0 l\u2019institution du jugement, comme s\u2019il fallait enfin d\u00e9samorcer cette vieille machinerie rationnelle qu\u2019on continue d\u2019utiliser par habitude. La phrase \u201cle jugement est une rustine\u201d me frappe : voil\u00e0 une belle condensation du sympt\u00f4me. Il colmate, il bouche \u2014 mais il ne r\u00e9pare rien. Il masque la fuite. Le sujet cherche un point d\u2019ancrage entre l\u2019intuition et le concept, entre l\u2019\u0153il et l\u2019id\u00e9e. Il est du c\u00f4t\u00e9 de Kant, certes, mais il en d\u00e9place discr\u00e8tement la gravit\u00e9. Il ram\u00e8ne la pens\u00e9e vers le bricolage, vers l\u2019image du bricoleur \u2014 presque un clin d\u2019\u0153il \u00e0 Winnicott. Dans le fond, ce texte me semble \u00e9crit contre l\u2019arrogance du langage. Il tente un geste modeste : reconna\u00eetre que dire \u201cl\u2019orange est bleue\u201d a autant de valeur, dans le champ du jugement, que n\u2019importe quelle autre phrase. Et que ce n\u2019est pas l\u00e0 que se joue la v\u00e9rit\u00e9. Mais en filigrane, une inqui\u00e9tude sourd : si tout jugement est rustine\u2026 que reste-t-il pour dire ce qui ne se laisse pas juger ? Le texte finit en pirouette, mais moi j\u2019y entends un cri \u00e9touff\u00e9 \u2014 celui de l\u2019enfant confront\u00e9 \u00e0 l\u2019imposture des mots. {{Illustration}} : Gabriel_Cornelius_von_Max,_1840-1915,_Monkeys_as_Judges_of_Art,_1889 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/cornelius_von_max_1840-1915_monkeys_as_judges_of_art_1889.webp?1748065127", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-octobre-2023-871.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-octobre-2023-871.html", "title": "08 octobre 2023", "date_published": "2023-10-08T11:06:00Z", "date_modified": "2025-03-31T11:06:38Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Rosa Luxemburg, de m\u00e9moire, disait que le socialisme \u00e9tait la seule vraie forme de d\u00e9mocratie.<\/p>\n

Elle croyait \u00e0 l\u2019internationalisme. Elle estimait que la souverainet\u00e9 et le nationalisme n\u2019\u00e9taient que des erreurs de raisonnement. Elle critiquait Marx, L\u00e9nine, et d\u2019autres encore. Sans m\u00e2cher ses mots.<\/p>\n

C\u2019\u00e9tait une femme forte.<\/p>\n

« Quiconque souhaite le renforcement de la d\u00e9mocratie devra souhaiter \u00e9galement le renforcement du mouvement socialiste\u2026 »<\/p>\n

Des mots comme \u00e7a, on les paie.<\/p>\n

Elle se mit \u00e0 dos beaucoup de monde. Et pourtant, elle avan\u00e7ait. Boitant depuis l\u2019enfance. Mais avan\u00e7ant quand m\u00eame.<\/p>\n

Elle savait que le chemin du socialisme \u00e9tait pav\u00e9 de d\u00e9faites.<\/p>\n

Les canuts de Lyon. Les chartistes anglais. Juin 1848. La Commune. Toutes \u00e9cras\u00e9es.<\/p>\n

Et pourtant, elle disait :
\n*“O\u00f9 en serions-nous aujourd\u2019hui sans toutes ces d\u00e9faites ?”*<\/p>\n

Elle \u00e9crivait, elle croyait, elle affrontait.<\/p>\n

Elle disait :
\n*“Votre ordre est b\u00e2ti sur le sable. D\u00e8s demain la r\u00e9volution se dressera de nouveau\u2026 J\u2019\u00e9tais, je suis, je serai !”*<\/p>\n

Elle lisait Adam Mickiewicz. Elle croyait \u00e0 la po\u00e9sie.<\/p>\n

On l\u2019a souvent prise pour une na\u00efve. Une chieuse. Une emmerdeuse.<\/p>\n

Mais elle a march\u00e9 dans son r\u00eave.<\/p>\n

Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il la tue.<\/p>\n

Assassin\u00e9e en 1919, jet\u00e9e dans l\u2019eau comme une pierre sale.<\/p>\n

La rumeur dit qu\u2019un soldat, en la jetant, a murmur\u00e9 :
\n“Voil\u00e0 la vieille salope qui nage maintenant.”<\/p>\n

Mais savait-il que Rosa avait \u00e9crit :
\n*“Sur la pierre de mon tombeau, on ne lira que deux syllabes : tsvi-tsvi.”*<\/p>\n

Le chant des m\u00e9sanges charbonni\u00e8res.<\/p>\n

Elle les imitait si bien qu\u2019elles venaient aussit\u00f4t.<\/p>\n

Et peut-\u00eatre, quelque part, elles chantent encore.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Tu dis qu\u2019elle \u00e9tait forte.<\/p>\n

— Oui. Mais pas comme on croit.<\/p>\n

— Elle avan\u00e7ait en boitant.<\/p>\n

— Et elle disait la v\u00e9rit\u00e9.<\/p>\n

— Tu crois qu\u2019on peut encore \u00e9crire \u00e7a ?<\/p>\n

— “J\u2019\u00e9tais, je suis, je serai” ? Oui. Il le faut.<\/p>\n

— Et la m\u00e9sange ? Ce tsvi-tsvi ?<\/p>\n

— C\u2019est ce qui reste. Ce qui \u00e9chappe.<\/p>\n

— Alors m\u00eame morte\u2026<\/p>\n

— Elle trouble encore les eaux.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le sujet ne d\u00e9crit pas seulement Rosa Luxemburg. Il s\u2019y associe. Il y projette son propre rapport au courage, \u00e0 la parole, \u00e0 l\u2019histoire, \u00e0 la d\u00e9sob\u00e9issance.<\/p>\n

Il y a dans ce texte une profonde empathie, mais pas d\u2019id\u00e9alisation. Rosa n\u2019est pas un monument. Elle est une voix, une marche, une boiterie, une vibration d\u2019oiseau.<\/p>\n

La structure du texte suit un mouvement de tension : **de l\u2019intellect \u00e0 l\u2019utopie**, **de la conviction \u00e0 la pers\u00e9cution**, **de la citation \u00e0 la souillure**, puis **du meurtre au chant**.<\/p>\n

Le chant final — tsvi-tsvi — est bouleversant. Il renverse tout. C\u2019est un retour du vivant l\u00e0 o\u00f9 la violence a voulu imposer la disparition.<\/p>\n

Ce texte est un hommage, mais aussi un autoportrait en creux : celui de l\u2019auteur qui, lui aussi, continue de croire malgr\u00e9 tout, et d\u2019\u00e9crire contre l\u2019effacement.<\/p>", "content_text": " Rosa Luxemburg, de m\u00e9moire, disait que le socialisme \u00e9tait la seule vraie forme de d\u00e9mocratie. Elle croyait \u00e0 l\u2019internationalisme. Elle estimait que la souverainet\u00e9 et le nationalisme n\u2019\u00e9taient que des erreurs de raisonnement. Elle critiquait Marx, L\u00e9nine, et d\u2019autres encore. Sans m\u00e2cher ses mots. C\u2019\u00e9tait une femme forte. \u00ab Quiconque souhaite le renforcement de la d\u00e9mocratie devra souhaiter \u00e9galement le renforcement du mouvement socialiste\u2026 \u00bb Des mots comme \u00e7a, on les paie. Elle se mit \u00e0 dos beaucoup de monde. Et pourtant, elle avan\u00e7ait. Boitant depuis l\u2019enfance. Mais avan\u00e7ant quand m\u00eame. Elle savait que le chemin du socialisme \u00e9tait pav\u00e9 de d\u00e9faites. Les canuts de Lyon. Les chartistes anglais. Juin 1848. La Commune. Toutes \u00e9cras\u00e9es. Et pourtant, elle disait : *\u201cO\u00f9 en serions-nous aujourd\u2019hui sans toutes ces d\u00e9faites ?\u201d* Elle \u00e9crivait, elle croyait, elle affrontait. Elle disait : *\u201cVotre ordre est b\u00e2ti sur le sable. D\u00e8s demain la r\u00e9volution se dressera de nouveau\u2026 J\u2019\u00e9tais, je suis, je serai !\u201d* Elle lisait Adam Mickiewicz. Elle croyait \u00e0 la po\u00e9sie. On l\u2019a souvent prise pour une na\u00efve. Une chieuse. Une emmerdeuse. Mais elle a march\u00e9 dans son r\u00eave. Jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il la tue. Assassin\u00e9e en 1919, jet\u00e9e dans l\u2019eau comme une pierre sale. La rumeur dit qu\u2019un soldat, en la jetant, a murmur\u00e9 : \u201cVoil\u00e0 la vieille salope qui nage maintenant.\u201d Mais savait-il que Rosa avait \u00e9crit : *\u201cSur la pierre de mon tombeau, on ne lira que deux syllabes : tsvi-tsvi.\u201d* Le chant des m\u00e9sanges charbonni\u00e8res. Elle les imitait si bien qu\u2019elles venaient aussit\u00f4t. Et peut-\u00eatre, quelque part, elles chantent encore. {{sous-conversation}} \u2014 Tu dis qu\u2019elle \u00e9tait forte. \u2014 Oui. Mais pas comme on croit. \u2014 Elle avan\u00e7ait en boitant. \u2014 Et elle disait la v\u00e9rit\u00e9. \u2014 Tu crois qu\u2019on peut encore \u00e9crire \u00e7a ? \u2014 \u201cJ\u2019\u00e9tais, je suis, je serai\u201d ? Oui. Il le faut. \u2014 Et la m\u00e9sange ? Ce tsvi-tsvi ? \u2014 C\u2019est ce qui reste. Ce qui \u00e9chappe. \u2014 Alors m\u00eame morte\u2026 \u2014 Elle trouble encore les eaux. {{note de travail}} Le sujet ne d\u00e9crit pas seulement Rosa Luxemburg. Il s\u2019y associe. Il y projette son propre rapport au courage, \u00e0 la parole, \u00e0 l\u2019histoire, \u00e0 la d\u00e9sob\u00e9issance. Il y a dans ce texte une profonde empathie, mais pas d\u2019id\u00e9alisation. Rosa n\u2019est pas un monument. Elle est une voix, une marche, une boiterie, une vibration d\u2019oiseau. La structure du texte suit un mouvement de tension : **de l\u2019intellect \u00e0 l\u2019utopie**, **de la conviction \u00e0 la pers\u00e9cution**, **de la citation \u00e0 la souillure**, puis **du meurtre au chant**. Le chant final \u2014 tsvi-tsvi \u2014 est bouleversant. Il renverse tout. C\u2019est un retour du vivant l\u00e0 o\u00f9 la violence a voulu imposer la disparition. Ce texte est un hommage, mais aussi un autoportrait en creux : celui de l\u2019auteur qui, lui aussi, continue de croire malgr\u00e9 tout, et d\u2019\u00e9crire contre l\u2019effacement. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/rosa_luxemburg.webp?1748065125", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023-869.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023-869.html", "title": "07 octobre 2023", "date_published": "2023-10-07T10:52:00Z", "date_modified": "2025-03-31T10:53:03Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Que dire des jardins qui soit \u00e0 moi — vraiment \u00e0 moi.<\/p>\n

Et pourquoi ce besoin de poss\u00e9der un dire, de d\u00e9clarer quelque chose comme sien.<\/p>\n

Le premier jardin \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 une division.<\/p>\n

Un monde d\u00e9coup\u00e9 : le carr\u00e9 des simples, celui des l\u00e9gumes, les parterres de fleurs, les rang\u00e9es d\u2019haricots beurre, de pois, de poiriers, de pommiers, de prunus.<\/p>\n

Au centre, un bassin circulaire.<\/p>\n

Un monde en miniature. Une image d\u2019absolu. Du temps, aussi. De ses saisons, de ses m\u00e9tamorphoses, dans une structure stable — dans la division elle-m\u00eame.<\/p>\n

Et ce tapis, sous la table de la salle \u00e0 manger parisienne, sur lequel j\u2019ai pass\u00e9 tant de temps enfant, \u00e9tait lui aussi un jardin.<\/p>\n

Divis\u00e9 en motifs vifs sur fond rouge sombre.<\/p>\n

Jardin. Tapis. Tapis volant.<\/p>\n

Et grimper aux arbres, bien s\u00fbr.<\/p>\n

Chercher le point de vue sur\u00e9lev\u00e9. Voir le jardin s\u2019\u00e9tendre. Le suivre du regard, le jeudi.<\/p>\n

Et la reine de Saba, apportant un pr\u00e9sent \u00e0 Salomon. Et le palais tout entier s\u2019\u00e9levant dans les airs — par ce seul pr\u00e9sent : un tapis volant.<\/p>\n

S\u2019\u00e9corcher les genoux en grimpant, en descendant du grand cerisier. La peine, toujours. Comme il se doit.<\/p>\n

Et puis en mars, l\u2019\u00e9blouissement.<\/p>\n

L\u2019\u00e9clat des petites fleurs blanches, partout. Le ravissement.<\/p>\n

Et dans ce tremblement, la visitation des esprits.<\/p>\n

Des fant\u00f4mes. Du samoura\u00ef.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Ce jardin\u2026 tu le d\u00e9coupes encore ?<\/p>\n

— Il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 d\u00e9coup\u00e9. Je n\u2019ai rien fait.<\/p>\n

— Et ce tapis\u2026 sous la table ?<\/p>\n

— Un jardin, lui aussi. Couch\u00e9. Compact.<\/p>\n

— Et tu grimpes ?<\/p>\n

— Pour voir plus loin. Pour voir en haut. Pour voir autrement.<\/p>\n

— Tu t\u2019\u00e9corches ?<\/p>\n

— Toujours. Rien ne se donne sans la br\u00fblure.<\/p>\n

— Et cette histoire\u2026 Salomon, Saba ?<\/p>\n

— Une offrande. Un envol. Un souvenir invent\u00e9.<\/p>\n

— Et les fleurs blanches ?<\/p>\n

— Elles reviennent. Tous les mars. Comme des fant\u00f4mes qui ne font pas peur.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte est un jardin. Mais pas un jardin sauvage. Un jardin dessin\u00e9, arpent\u00e9, ordonn\u00e9 dans la m\u00e9moire.<\/p>\n

Le sujet ne revendique pas un savoir, mais un droit au fragment. Il interroge son besoin de dire — et ce besoin m\u00eame devient mati\u00e8re.<\/p>\n

Le jardin est d\u2019abord per\u00e7u comme **structure** : ordre, centre, subdivision. Mais tr\u00e8s vite, ce d\u00e9coupage ouvre sur autre chose : le tapis. L\u2019enfance. Le jeu. L\u2019envol.<\/p>\n

Et surtout : la **douleur initiatique**. Monter, tomber, s\u2019\u00e9corcher. La beaut\u00e9 ne vient qu\u2019apr\u00e8s la peine. C\u2019est une v\u00e9rit\u00e9 intime, mais aussi mystique.<\/p>\n

Le texte est travers\u00e9 par des figures **de passage** : Salomon, Saba, le samoura\u00ef, les esprits. Tous portent en eux **une charge de sagesse \u00e9trang\u00e8re**, de savoir lointain.<\/p>\n

\u00c0 la fin, les fleurs blanches — symboles de l\u2019\u00e9veil, ou peut-\u00eatre du deuil.<\/p>\n

Ce texte est une chambre d\u2019enfance dans laquelle le souvenir et le mythe se croisent doucement, en silence.<\/p>\n

Une m\u00e9ditation sur la division. Et sur ce qui la relie.<\/p>", "content_text": " Que dire des jardins qui soit \u00e0 moi \u2014 vraiment \u00e0 moi. Et pourquoi ce besoin de poss\u00e9der un dire, de d\u00e9clarer quelque chose comme sien. Le premier jardin \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 une division. Un monde d\u00e9coup\u00e9 : le carr\u00e9 des simples, celui des l\u00e9gumes, les parterres de fleurs, les rang\u00e9es d\u2019haricots beurre, de pois, de poiriers, de pommiers, de prunus. Au centre, un bassin circulaire. Un monde en miniature. Une image d\u2019absolu. Du temps, aussi. De ses saisons, de ses m\u00e9tamorphoses, dans une structure stable \u2014 dans la division elle-m\u00eame. Et ce tapis, sous la table de la salle \u00e0 manger parisienne, sur lequel j\u2019ai pass\u00e9 tant de temps enfant, \u00e9tait lui aussi un jardin. Divis\u00e9 en motifs vifs sur fond rouge sombre. Jardin. Tapis. Tapis volant. Et grimper aux arbres, bien s\u00fbr. Chercher le point de vue sur\u00e9lev\u00e9. Voir le jardin s\u2019\u00e9tendre. Le suivre du regard, le jeudi. Et la reine de Saba, apportant un pr\u00e9sent \u00e0 Salomon. Et le palais tout entier s\u2019\u00e9levant dans les airs \u2014 par ce seul pr\u00e9sent : un tapis volant. S\u2019\u00e9corcher les genoux en grimpant, en descendant du grand cerisier. La peine, toujours. Comme il se doit. Et puis en mars, l\u2019\u00e9blouissement. L\u2019\u00e9clat des petites fleurs blanches, partout. Le ravissement. Et dans ce tremblement, la visitation des esprits. Des fant\u00f4mes. Du samoura\u00ef. {{sous-conversation}} \u2014 Ce jardin\u2026 tu le d\u00e9coupes encore ? \u2014 Il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 d\u00e9coup\u00e9. Je n\u2019ai rien fait. \u2014 Et ce tapis\u2026 sous la table ? \u2014 Un jardin, lui aussi. Couch\u00e9. Compact. \u2014 Et tu grimpes ? \u2014 Pour voir plus loin. Pour voir en haut. Pour voir autrement. \u2014 Tu t\u2019\u00e9corches ? \u2014 Toujours. Rien ne se donne sans la br\u00fblure. \u2014 Et cette histoire\u2026 Salomon, Saba ? \u2014 Une offrande. Un envol. Un souvenir invent\u00e9. \u2014 Et les fleurs blanches ? \u2014 Elles reviennent. Tous les mars. Comme des fant\u00f4mes qui ne font pas peur. {{note de travail}} Ce texte est un jardin. Mais pas un jardin sauvage. Un jardin dessin\u00e9, arpent\u00e9, ordonn\u00e9 dans la m\u00e9moire. Le sujet ne revendique pas un savoir, mais un droit au fragment. Il interroge son besoin de dire \u2014 et ce besoin m\u00eame devient mati\u00e8re. Le jardin est d\u2019abord per\u00e7u comme **structure** : ordre, centre, subdivision. Mais tr\u00e8s vite, ce d\u00e9coupage ouvre sur autre chose : le tapis. L\u2019enfance. Le jeu. L\u2019envol. Et surtout : la **douleur initiatique**. Monter, tomber, s\u2019\u00e9corcher. La beaut\u00e9 ne vient qu\u2019apr\u00e8s la peine. C\u2019est une v\u00e9rit\u00e9 intime, mais aussi mystique. Le texte est travers\u00e9 par des figures **de passage** : Salomon, Saba, le samoura\u00ef, les esprits. Tous portent en eux **une charge de sagesse \u00e9trang\u00e8re**, de savoir lointain. \u00c0 la fin, les fleurs blanches \u2014 symboles de l\u2019\u00e9veil, ou peut-\u00eatre du deuil. Ce texte est une chambre d\u2019enfance dans laquelle le souvenir et le mythe se croisent doucement, en silence. Une m\u00e9ditation sur la division. Et sur ce qui la relie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/tapis-persan.webp?1748065218", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023.html", "title": "07 octobre 2023", "date_published": "2023-10-07T10:47:00Z", "date_modified": "2025-03-31T10:47:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Toujours deux temps.<\/p>\n

Ce que tu voudrais dire, et ce que tu dis vraiment.<\/p>\n

Ce que tu crois avoir \u00e0 dire, et la mani\u00e8re dont tu l\u2019ach\u00e8ves — toujours un peu de travers. Comme en peinture.<\/p>\n

D\u2019un c\u00f4t\u00e9 le geste vivant, spontan\u00e9, brouillon peut-\u00eatre. De l\u2019autre, la fa\u00e7on dont tu le dis, corriges, rumines. Le doute t\u2019y ram\u00e8ne toujours. Il revient, esp\u00e9rant s\u2019effacer. Mais non. Il s\u2019installe.<\/p>\n

Ce second temps peut durer des ann\u00e9es. Une id\u00e9e, un souvenir, une image changent, simplement parce que tu les exprimes autrement.<\/p>\n

Rien n\u2019est fixe.<\/p>\n

Tout d\u00e9pend du point de vue, de la distance, de l\u2019espace.<\/p>\n

Peindre, \u00e9crire, parler : un acte sans savoir. Un refus t\u00eatu de comprendre enti\u00e8rement ce qu\u2019on cherche pourtant \u00e0 exprimer.<\/p>\n

Un soin. Une th\u00e9rapie peut-\u00eatre — mot d\u00e9sagr\u00e9able. Qui fait de toi un patient chronique. Un d\u00e9sir de dire pour, au final, ne rien dire.<\/p>\n

Mais le mieux possible.<\/p>\n

*<\/p>\n

Ta propre volatilit\u00e9 \u00e9gale celle de tes points de vue. Et tu restes sid\u00e9r\u00e9 de ceux qui s\u2019imaginent solides, entiers, assur\u00e9s. Comme fig\u00e9s dans l\u2019ambre. Ou dans la graisse d\u2019une vieille po\u00eale. Ce choix t\u2019\u00e9chappe.<\/p>\n

Rien ne tient sans effort. Et m\u00eame l\u00e0, \u00e7a glisse.<\/p>\n

*<\/p>\n

Tu ne crois pas aux opinions. Travailler dans les sondages t\u2019en a d\u00e9go\u00fbt\u00e9. L\u2019opinion est toujours fabriqu\u00e9e. Toujours instrumentalis\u00e9e. M\u00eame les plus lucides y tombent.<\/p>\n

Ce qu\u2019on pense nous penser est souvent inject\u00e9, longtemps \u00e0 l\u2019avance.<\/p>\n

C\u2019est une poup\u00e9e russe.<\/p>\n

Et au c\u0153ur : une intention. Un usage.<\/p>\n

*<\/p>\n

Alors on se tait. On trinque. On mange. On se prom\u00e8ne.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 qu\u2019on se retrouve. L\u00e0 qu\u2019on touche un peu la for\u00eat ancienne.<\/p>\n

*<\/p>\n

Hier soir, B et B sont pass\u00e9s. S., sans pr\u00e9venir, d\u00e9balle tout.<\/p>\n

Experts comptables. Pression. B dit qu\u2019il faisait tout seul. Maintenant, il paie 1600 euros par an. Mais ce n\u2019est pas ton cas.<\/p>\n

Et l\u00e0, col\u00e8re. Ton indigence d\u2019artiste. Choisie ? Oui. Mais indigente quand m\u00eame.<\/p>\n

Il te dit : fais ta 2035 toi-m\u00eame. Si besoin, appelle-moi. Ensuite, appelle tes escrocs. Menace-les de plainte. Conseil de l\u2019ordre.<\/p>\n

L\u2019ordre des enfoir\u00e9s, oui.<\/p>\n

*<\/p>\n

Ce matin, tu essaies de sauver quelque chose de la veille.<\/p>\n

C. est venu. A peint deux petits tableaux. Puis s\u2019est arr\u00eat\u00e9. Fatigu\u00e9. Mais heureux de le voir, l\u00e0, dans l\u2019encadrement de la porte.<\/p>\n

Le groupe s\u2019est reform\u00e9. Une femme, mutique, fig\u00e9e. Tu plaisantes. Rien ne passe. Tu crois deviner : son mari est mort.<\/p>\n

Mais peut-\u00eatre pas. Peut-\u00eatre que tu l\u2019inventes.<\/p>\n

Cette vigilance t\u2019\u00e9tonne. Ce doute sur ce que tu vois. Ce que tu entends.<\/p>\n

Parfois, tu as l\u2019impression d\u2019\u00eatre mort. Que tu regardes ta vie d\u00e9filer, depuis le fond du cercueil.<\/p>\n

Ce n\u2019est pas effrayant. Plut\u00f4t surprenant.<\/p>\n

Et puis ce geste. Prendre une poign\u00e9e de tiroir. Tirer.<\/p>\n

Ta vraie vie est peut-\u00eatre l\u00e0.<\/p>\n

Dans ce mouvement minuscule.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Tu veux dire. Tu ne dis pas. Tu voudrais dire mieux.<\/p>\n

— Mais \u00e7a flotte. Toujours.<\/p>\n

— Et le doute ?<\/p>\n

— Il revient. Comme un vieux chien.<\/p>\n

— Tu regardes les gens solides.<\/p>\n

— Je ne les comprends pas.<\/p>\n

— Et toi ?<\/p>\n

— Je suis... travers\u00e9. \u00c7a passe. \u00c7a repart.<\/p>\n

— Et ce que tu captes ?<\/p>\n

— Je n\u2019y crois qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9. Et j\u2019y crois trop.<\/p>\n

— Tu penses \u00eatre mort ?<\/p>\n

— Pas tout \u00e0 fait. Juste... en suspens.<\/p>\n

— Et le tiroir ?<\/p>\n

— C\u2019est le seul geste qui a du poids.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte est une s\u00e9ance en soi.<\/p>\n

Le sujet ne cherche pas \u00e0 r\u00e9soudre. Il explore. Il creuse. Il revient. Toujours.<\/p>\n

Le point central : cette incapacit\u00e9 \u00e0 fixer — la pens\u00e9e, la parole, l\u2019identit\u00e9. Il y a une honn\u00eatet\u00e9 radicale \u00e0 dire cela. \u00c0 ne pas croire en soi-m\u00eame comme en une entit\u00e9 stable.<\/p>\n

Tout ici est rumin\u00e9. Rev\u00e9cu. R\u00e9\u00e9crit. Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment cette instabilit\u00e9 qui rend le texte vivant.<\/p>\n

La peinture, l\u2019\u00e9criture, ne sont pas ici des productions. Ce sont des sympt\u00f4mes. Des pratiques de l\u2019entre-deux. Des mani\u00e8res de rendre visible ce qui se d\u00e9robe.<\/p>\n

Le sujet sait que ce qu\u2019il exprime n\u2019est peut-\u00eatre pas r\u00e9el. Il doute m\u00eame de ses perceptions. Et pourtant, il continue.<\/p>\n

Il \u00e9crit. Il reconstruit le jour d\u2019hier. Il nomme les \u00e9motions, les figures, les absences. Il offre, sans le dire, une **topographie int\u00e9rieure**.<\/p>\n

Et \u00e0 la fin, cette poign\u00e9e. Ce tiroir. Ce geste minuscule, mais solide.<\/p>\n

Un point d\u2019ancrage. Peut-\u00eatre le seul.<\/p>", "content_text": " Toujours deux temps. Ce que tu voudrais dire, et ce que tu dis vraiment. Ce que tu crois avoir \u00e0 dire, et la mani\u00e8re dont tu l\u2019ach\u00e8ves \u2014 toujours un peu de travers. Comme en peinture. D\u2019un c\u00f4t\u00e9 le geste vivant, spontan\u00e9, brouillon peut-\u00eatre. De l\u2019autre, la fa\u00e7on dont tu le dis, corriges, rumines. Le doute t\u2019y ram\u00e8ne toujours. Il revient, esp\u00e9rant s\u2019effacer. Mais non. Il s\u2019installe. Ce second temps peut durer des ann\u00e9es. Une id\u00e9e, un souvenir, une image changent, simplement parce que tu les exprimes autrement. Rien n\u2019est fixe. Tout d\u00e9pend du point de vue, de la distance, de l\u2019espace. Peindre, \u00e9crire, parler : un acte sans savoir. Un refus t\u00eatu de comprendre enti\u00e8rement ce qu\u2019on cherche pourtant \u00e0 exprimer. Un soin. Une th\u00e9rapie peut-\u00eatre \u2014 mot d\u00e9sagr\u00e9able. Qui fait de toi un patient chronique. Un d\u00e9sir de dire pour, au final, ne rien dire. Mais le mieux possible. * Ta propre volatilit\u00e9 \u00e9gale celle de tes points de vue. Et tu restes sid\u00e9r\u00e9 de ceux qui s\u2019imaginent solides, entiers, assur\u00e9s. Comme fig\u00e9s dans l\u2019ambre. Ou dans la graisse d\u2019une vieille po\u00eale. Ce choix t\u2019\u00e9chappe. Rien ne tient sans effort. Et m\u00eame l\u00e0, \u00e7a glisse. * Tu ne crois pas aux opinions. Travailler dans les sondages t\u2019en a d\u00e9go\u00fbt\u00e9. L\u2019opinion est toujours fabriqu\u00e9e. Toujours instrumentalis\u00e9e. M\u00eame les plus lucides y tombent. Ce qu\u2019on pense nous penser est souvent inject\u00e9, longtemps \u00e0 l\u2019avance. C\u2019est une poup\u00e9e russe. Et au c\u0153ur : une intention. Un usage. * Alors on se tait. On trinque. On mange. On se prom\u00e8ne. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019on se retrouve. L\u00e0 qu\u2019on touche un peu la for\u00eat ancienne. * Hier soir, B et B sont pass\u00e9s. S., sans pr\u00e9venir, d\u00e9balle tout. Experts comptables. Pression. B dit qu\u2019il faisait tout seul. Maintenant, il paie 1600 euros par an. Mais ce n\u2019est pas ton cas. Et l\u00e0, col\u00e8re. Ton indigence d\u2019artiste. Choisie ? Oui. Mais indigente quand m\u00eame. Il te dit : fais ta 2035 toi-m\u00eame. Si besoin, appelle-moi. Ensuite, appelle tes escrocs. Menace-les de plainte. Conseil de l\u2019ordre. L\u2019ordre des enfoir\u00e9s, oui. * Ce matin, tu essaies de sauver quelque chose de la veille. C. est venu. A peint deux petits tableaux. Puis s\u2019est arr\u00eat\u00e9. Fatigu\u00e9. Mais heureux de le voir, l\u00e0, dans l\u2019encadrement de la porte. Le groupe s\u2019est reform\u00e9. Une femme, mutique, fig\u00e9e. Tu plaisantes. Rien ne passe. Tu crois deviner : son mari est mort. Mais peut-\u00eatre pas. Peut-\u00eatre que tu l\u2019inventes. Cette vigilance t\u2019\u00e9tonne. Ce doute sur ce que tu vois. Ce que tu entends. Parfois, tu as l\u2019impression d\u2019\u00eatre mort. Que tu regardes ta vie d\u00e9filer, depuis le fond du cercueil. Ce n\u2019est pas effrayant. Plut\u00f4t surprenant. Et puis ce geste. Prendre une poign\u00e9e de tiroir. Tirer. Ta vraie vie est peut-\u00eatre l\u00e0. Dans ce mouvement minuscule. {{sous-conversation}} \u2014 Tu veux dire. Tu ne dis pas. Tu voudrais dire mieux. \u2014 Mais \u00e7a flotte. Toujours. \u2014 Et le doute ? \u2014 Il revient. Comme un vieux chien. \u2014 Tu regardes les gens solides. \u2014 Je ne les comprends pas. \u2014 Et toi ? \u2014 Je suis... travers\u00e9. \u00c7a passe. \u00c7a repart. \u2014 Et ce que tu captes ? \u2014 Je n\u2019y crois qu\u2019\u00e0 moiti\u00e9. Et j\u2019y crois trop. \u2014 Tu penses \u00eatre mort ? \u2014 Pas tout \u00e0 fait. Juste... en suspens. \u2014 Et le tiroir ? \u2014 C\u2019est le seul geste qui a du poids. {{note de travail}} Ce texte est une s\u00e9ance en soi. Le sujet ne cherche pas \u00e0 r\u00e9soudre. Il explore. Il creuse. Il revient. Toujours. Le point central : cette incapacit\u00e9 \u00e0 fixer \u2014 la pens\u00e9e, la parole, l\u2019identit\u00e9. Il y a une honn\u00eatet\u00e9 radicale \u00e0 dire cela. \u00c0 ne pas croire en soi-m\u00eame comme en une entit\u00e9 stable. Tout ici est rumin\u00e9. Rev\u00e9cu. R\u00e9\u00e9crit. Et c\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment cette instabilit\u00e9 qui rend le texte vivant. La peinture, l\u2019\u00e9criture, ne sont pas ici des productions. Ce sont des sympt\u00f4mes. Des pratiques de l\u2019entre-deux. Des mani\u00e8res de rendre visible ce qui se d\u00e9robe. Le sujet sait que ce qu\u2019il exprime n\u2019est peut-\u00eatre pas r\u00e9el. Il doute m\u00eame de ses perceptions. Et pourtant, il continue. Il \u00e9crit. Il reconstruit le jour d\u2019hier. Il nomme les \u00e9motions, les figures, les absences. Il offre, sans le dire, une **topographie int\u00e9rieure**. Et \u00e0 la fin, cette poign\u00e9e. Ce tiroir. Ce geste minuscule, mais solide. Un point d\u2019ancrage. Peut-\u00eatre le seul. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/arbre-mort.jpg?1748065121", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023-866.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023-866.html", "title": "07 octobre 2023", "date_published": "2023-10-07T09:28:00Z", "date_modified": "2025-06-18T23:44:56Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Quand je me sens vuln\u00e9rable, je prends la voiture. Je roule loin, \u00e0 plusieurs centaines de kilom\u00e8tres des lieux familiers. L\u00e0, je descends dans un motel banal, un peu triste, et je me r\u00e9jouis de ne conna\u00eetre personne dans l\u2019annuaire local.<\/p>\n

Mon t\u00e9l\u00e9phone ne sonne pas. Sauf en cas de catastrophe. Mon \u00e9pouse sait : j\u2019ai besoin de ces chambres anonymes.<\/p>\n

L\u00e0, je me d\u00e9nude de mes syst\u00e8mes de survie. Et parfois, au bout d\u2019un jour ou deux, je comprends ce qui me ronge. Parfois, rien. Juste ce besoin de m\u2019\u00e9loigner un peu. Faire un pas de c\u00f4t\u00e9. Marcher ailleurs.<\/p>\n

\u00c0 l\u2019aube, carte en poche, je pars dans les bois, les canyons, les champs. Toujours pr\u00e8s d\u2019une rivi\u00e8re. J\u2019aime son bruit. Depuis l\u2019enfance. L\u2019eau vive est toujours pr\u00e9sente. Elle n\u2019\u00e9vite pas le temps. Nous, si.<\/p>\n

Je choisis des lieux sans qualit\u00e9. Pour l\u2019anonymat. Parce que l\u2019inconnu — m\u00eame modeste — aiguise l\u2019attention. Qui viendrait ici ? Personne.<\/p>\n

C\u2019est ainsi que viennent les id\u00e9es, les images, la po\u00e9sie, les romans. C\u2019est ainsi qu\u2019on revient \u00e0 soi.<\/p>\n

J\u2019ai aussi fait des voyages sans but. Des semaines enti\u00e8res. Sur la route. L\u00e0, vous voyez passer votre vie dans un d\u00e9cor vierge. Vous refusez les pens\u00e9es anciennes. Vous rafra\u00eechissez le mental. Et des images neuves surgissent — du pass\u00e9, ou de ce qui fut avant vous.<\/p>\n

C\u2019est un jeu. Presque dangereux.<\/p>\n

Votre vie est votre v\u00e9rit\u00e9. Elle vous aveugle, sauf si vous la retravaillez, lourdement.<\/p>\n

Vous \u00e9liminez les routines. Ce qu\u2019elles offrent de r\u00e9confort est \u00e0 la hauteur de leur banalit\u00e9. Une carte de v\u0153ux.<\/p>\n

Cette soustraction vous lib\u00e8re.<\/p>\n

Snyder disait : nos vies se ressemblent. Mais nos visions, nos r\u00eaves, eux, sont parfois uniques.<\/p>\n

Et le mien — \u00e9crire un bon po\u00e8me, un bon roman, un bon film — m\u2019a d\u00e9vor\u00e9.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Partir. Juste partir.<\/p>\n

— Pour te perdre ?<\/p>\n

— Pour me retrouver. Peut-\u00eatre.<\/p>\n

— Le motel\u2026 ce n\u2019est pas un refuge. C\u2019est une mise \u00e0 nu.<\/p>\n

— Et l\u2019eau ? Toujours l\u2019eau ?<\/p>\n

— Elle ne ment pas. Elle ne pense pas. Elle coule.<\/p>\n

— Tu veux quoi, l\u00e0-bas ?<\/p>\n

— Qu\u2019on ne me cherche pas. Qu\u2019on ne me parle pas.<\/p>\n

— Et l\u2019\u00e9criture ?<\/p>\n

— Elle attend. Elle surgit. Elle d\u00e9vore.<\/p>\n

— Et toi, tu t\u2019\u00e9loignes, pour mieux la nourrir.<\/p>\n

— Exactement \u00e7a.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte est une confession sans drame.<\/p>\n

L\u2019auteur ne fuit pas. Il se d\u00e9place. Il s\u2019\u00e9loigne sans fuir. Il choisit l\u2019anonymat, non pour s\u2019oublier, mais pour **redevenir sensible \u00e0 ce qui vit encore en lui**.<\/p>\n

Ce qu\u2019il dit, c\u2019est une fatigue. Une saturation. Une n\u00e9cessit\u00e9 de **d\u00e9saturation sensorielle et \u00e9motionnelle**. L\u2019h\u00f4tel triste devient un sas. La rivi\u00e8re, une m\u00e9moire sonore. La route, une zone de d\u00e9programmation.<\/p>\n

Il parle de vuln\u00e9rabilit\u00e9 avec pudeur. De la cr\u00e9ation comme une b\u00eate tapie qui attend qu\u2019on soit \u00e0 genoux.<\/p>\n

Il y a chez lui une conscience aigu\u00eb que **la vie quotidienne est une distraction**, une anesth\u00e9sie douce. Et que la vraie vie, celle qu\u2019on \u00e9crit, celle qu\u2019on r\u00eave, est ailleurs — dans le silence, dans le d\u00e9tour, dans l\u2019\u00e9tranget\u00e9 retrouv\u00e9e.<\/p>\n

Le r\u00eave de cr\u00e9er un bon po\u00e8me est une forme de foi. Mais une foi d\u00e9vorante.<\/p>\n

Ce texte est une pri\u00e8re. Une offrande. Un pas de c\u00f4t\u00e9 salutaire.<\/p>", "content_text": " Quand je me sens vuln\u00e9rable, je prends la voiture. Je roule loin, \u00e0 plusieurs centaines de kilom\u00e8tres des lieux familiers. L\u00e0, je descends dans un motel banal, un peu triste, et je me r\u00e9jouis de ne conna\u00eetre personne dans l\u2019annuaire local. Mon t\u00e9l\u00e9phone ne sonne pas. Sauf en cas de catastrophe. Mon \u00e9pouse sait : j\u2019ai besoin de ces chambres anonymes. L\u00e0, je me d\u00e9nude de mes syst\u00e8mes de survie. Et parfois, au bout d\u2019un jour ou deux, je comprends ce qui me ronge. Parfois, rien. Juste ce besoin de m\u2019\u00e9loigner un peu. Faire un pas de c\u00f4t\u00e9. Marcher ailleurs. \u00c0 l\u2019aube, carte en poche, je pars dans les bois, les canyons, les champs. Toujours pr\u00e8s d\u2019une rivi\u00e8re. J\u2019aime son bruit. Depuis l\u2019enfance. L\u2019eau vive est toujours pr\u00e9sente. Elle n\u2019\u00e9vite pas le temps. Nous, si. Je choisis des lieux sans qualit\u00e9. Pour l\u2019anonymat. Parce que l\u2019inconnu \u2014 m\u00eame modeste \u2014 aiguise l\u2019attention. Qui viendrait ici ? Personne. C\u2019est ainsi que viennent les id\u00e9es, les images, la po\u00e9sie, les romans. C\u2019est ainsi qu\u2019on revient \u00e0 soi. J\u2019ai aussi fait des voyages sans but. Des semaines enti\u00e8res. Sur la route. L\u00e0, vous voyez passer votre vie dans un d\u00e9cor vierge. Vous refusez les pens\u00e9es anciennes. Vous rafra\u00eechissez le mental. Et des images neuves surgissent \u2014 du pass\u00e9, ou de ce qui fut avant vous. C\u2019est un jeu. Presque dangereux. Votre vie est votre v\u00e9rit\u00e9. Elle vous aveugle, sauf si vous la retravaillez, lourdement. Vous \u00e9liminez les routines. Ce qu\u2019elles offrent de r\u00e9confort est \u00e0 la hauteur de leur banalit\u00e9. Une carte de v\u0153ux. Cette soustraction vous lib\u00e8re. Snyder disait : nos vies se ressemblent. Mais nos visions, nos r\u00eaves, eux, sont parfois uniques. Et le mien \u2014 \u00e9crire un bon po\u00e8me, un bon roman, un bon film \u2014 m\u2019a d\u00e9vor\u00e9. {{sous-conversation}} \u2014 Partir. Juste partir. \u2014 Pour te perdre ? \u2014 Pour me retrouver. Peut-\u00eatre. \u2014 Le motel\u2026 ce n\u2019est pas un refuge. C\u2019est une mise \u00e0 nu. \u2014 Et l\u2019eau ? Toujours l\u2019eau ? \u2014 Elle ne ment pas. Elle ne pense pas. Elle coule. \u2014 Tu veux quoi, l\u00e0-bas ? \u2014 Qu\u2019on ne me cherche pas. Qu\u2019on ne me parle pas. \u2014 Et l\u2019\u00e9criture ? \u2014 Elle attend. Elle surgit. Elle d\u00e9vore. \u2014 Et toi, tu t\u2019\u00e9loignes, pour mieux la nourrir. \u2014 Exactement \u00e7a. {{note de travail}} Ce texte est une confession sans drame. L\u2019auteur ne fuit pas. Il se d\u00e9place. Il s\u2019\u00e9loigne sans fuir. Il choisit l\u2019anonymat, non pour s\u2019oublier, mais pour **redevenir sensible \u00e0 ce qui vit encore en lui**. Ce qu\u2019il dit, c\u2019est une fatigue. Une saturation. Une n\u00e9cessit\u00e9 de **d\u00e9saturation sensorielle et \u00e9motionnelle**. L\u2019h\u00f4tel triste devient un sas. La rivi\u00e8re, une m\u00e9moire sonore. La route, une zone de d\u00e9programmation. Il parle de vuln\u00e9rabilit\u00e9 avec pudeur. De la cr\u00e9ation comme une b\u00eate tapie qui attend qu\u2019on soit \u00e0 genoux. Il y a chez lui une conscience aigu\u00eb que **la vie quotidienne est une distraction**, une anesth\u00e9sie douce. Et que la vraie vie, celle qu\u2019on \u00e9crit, celle qu\u2019on r\u00eave, est ailleurs \u2014 dans le silence, dans le d\u00e9tour, dans l\u2019\u00e9tranget\u00e9 retrouv\u00e9e. Le r\u00eave de cr\u00e9er un bon po\u00e8me est une forme de foi. Mais une foi d\u00e9vorante. Ce texte est une pri\u00e8re. Une offrande. Un pas de c\u00f4t\u00e9 salutaire. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/jim-harrisson.jpg?1748065232", "tags": ["Essai sur la fatigue", "r\u00eaves"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023-865.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-octobre-2023-865.html", "title": "07 octobre 2023", "date_published": "2023-10-07T09:20:00Z", "date_modified": "2025-03-31T09:21:21Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Lieux autres. Lieux qui, dans une soci\u00e9t\u00e9 donn\u00e9e, proposent d\u2019autres r\u00e8gles. Foucault, en 1967, les appelait “espaces autres”. Selon lui, notre \u00e9poque est plus d\u00e9termin\u00e9e par l\u2019espace que par le temps.<\/p>\n

Alors je pars — en pens\u00e9e — vers le jardin. Un jardin persan. Un tapis volant.<\/p>\n

Un monde \u00e0 refaire. Une utopie \u00e0 replanter. Le jardin d\u00e9coup\u00e9 en quatre : quatre mondes. Et au centre, l\u2019ombilic.<\/p>\n

On raconte que certains chercheurs se sont inspir\u00e9s des raies manta pour construire un tapis volant. Mais cela demandait trop d\u2019\u00e9nergie. Pas assez rentable. Pas concurrentiel. Rien ne vaut un bon vieux Airbus.<\/p>\n

\u00c9crire, pour moi, c\u2019est jardiner. Le jardin : une utopie, un livre en germe.<\/p>\n

Pain b\u00e9ni.<\/p>\n

Tirer une harmonie d\u2019une terre sauvage.<\/p>\n

Revenir dans les carr\u00e9s oubli\u00e9s. Consid\u00e9rer les mauvaises herbes. A\u00e9rer. Repailler. R\u00e9flechir aux saisons, aux alliances v\u00e9g\u00e9tales.<\/p>\n

Comme en dessin. Du g\u00e9n\u00e9ral au d\u00e9tail. Une composition vivante.<\/p>\n

Et tracer, \u00e0 l\u2019\u00e9cart, des r\u00e8gles muettes. Une graphie secr\u00e8te, parfois illisible, m\u00eame pour moi.<\/p>\n

La m\u00e9moire peut embellir, bien s\u00fbr.<\/p>\n

Mais de T\u00e9h\u00e9ran, je garde un vieux tapis volant. Celui de mes nuits.<\/p>\n

J\u2019y remonte pour retrouver la douceur des vers d\u2019Omar, le nectar de grenade — le *charaab*, vin jeune, press\u00e9 \u00e0 la main par des filles aux yeux de biche, modernes, libres.<\/p>\n

Un r\u00eave qui persiste.<\/p>\n

Une utopie qui tient bon.
\n
\nsous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Tu crois vraiment \u00e0 ces lieux autres ?<\/p>\n

— Pas plus qu\u2019\u00e0 l\u2019Airbus.<\/p>\n

— Mais le jardin\u2026 tu le vois encore ?<\/p>\n

— Je le vois, je l\u2019\u00e9cris.<\/p>\n

— Et le tapis ?<\/p>\n

— Il vole. M\u00eame s\u2019il ne marche pas.<\/p>\n

— Tu veux des r\u00e8gles mais sans loi.<\/p>\n

— Des carr\u00e9s. Mais ouverts.<\/p>\n

— Tu crois encore au r\u00eave ?<\/p>\n

— Je m\u2019en sers pour a\u00e9rer la terre.<\/p>\n

— Et les filles aux yeux de biche ?<\/p>\n

— Elles savent presser le vin. Et faire pousser le livre.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce fragment est une d\u00e9rive douce — mais lucide. Un texte d\u2019\u00e9quilibriste entre **pens\u00e9e th\u00e9orique, m\u00e9moire sensorielle et pratique po\u00e9tique**.<\/p>\n

Foucault en est l\u2019amorce, mais tr\u00e8s vite le sujet bifurque : il r\u00eave d\u2019un espace qui \u00e9chappe aux lois — celles du march\u00e9, de la physique, de la langue m\u00eame. Le jardin devient symbole d\u2019un lieu qui peut encore \u00eatre organis\u00e9 selon des principes personnels, souples, renouvelables.<\/p>\n

Le “tapis volant” est ici le r\u00eave de **l\u2019insoumission douce**, du voyage int\u00e9rieur, du lien \u00e0 des savoirs anciens. Il \u00e9voque un besoin de chaleur, de texture, d\u2019enracinement po\u00e9tique.<\/p>\n

La fin est magnifique : le mot “*charaab*”, le souvenir du vin, la main, les filles. On sent une tendresse qui vient adoucir la crispation conceptuelle du d\u00e9but. Comme si, au fond, l\u2019utopie n\u2019\u00e9tait pas une abstraction mais une **mani\u00e8re d\u2019aimer, de cultiver, de cuisiner, de transmettre**.<\/p>\n

Ce texte est un lieu autre en lui-m\u00eame.<\/p>", "content_text": " Lieux autres. Lieux qui, dans une soci\u00e9t\u00e9 donn\u00e9e, proposent d\u2019autres r\u00e8gles. Foucault, en 1967, les appelait \u201cespaces autres\u201d. Selon lui, notre \u00e9poque est plus d\u00e9termin\u00e9e par l\u2019espace que par le temps. Alors je pars \u2014 en pens\u00e9e \u2014 vers le jardin. Un jardin persan. Un tapis volant. Un monde \u00e0 refaire. Une utopie \u00e0 replanter. Le jardin d\u00e9coup\u00e9 en quatre : quatre mondes. Et au centre, l\u2019ombilic. On raconte que certains chercheurs se sont inspir\u00e9s des raies manta pour construire un tapis volant. Mais cela demandait trop d\u2019\u00e9nergie. Pas assez rentable. Pas concurrentiel. Rien ne vaut un bon vieux Airbus. \u00c9crire, pour moi, c\u2019est jardiner. Le jardin : une utopie, un livre en germe. Pain b\u00e9ni. Tirer une harmonie d\u2019une terre sauvage. Revenir dans les carr\u00e9s oubli\u00e9s. Consid\u00e9rer les mauvaises herbes. A\u00e9rer. Repailler. R\u00e9flechir aux saisons, aux alliances v\u00e9g\u00e9tales. Comme en dessin. Du g\u00e9n\u00e9ral au d\u00e9tail. Une composition vivante. Et tracer, \u00e0 l\u2019\u00e9cart, des r\u00e8gles muettes. Une graphie secr\u00e8te, parfois illisible, m\u00eame pour moi. La m\u00e9moire peut embellir, bien s\u00fbr. Mais de T\u00e9h\u00e9ran, je garde un vieux tapis volant. Celui de mes nuits. J\u2019y remonte pour retrouver la douceur des vers d\u2019Omar, le nectar de grenade \u2014 le *charaab*, vin jeune, press\u00e9 \u00e0 la main par des filles aux yeux de biche, modernes, libres. Un r\u00eave qui persiste. Une utopie qui tient bon. {{ sous-conversation}} \u2014 Tu crois vraiment \u00e0 ces lieux autres ? \u2014 Pas plus qu\u2019\u00e0 l\u2019Airbus. \u2014 Mais le jardin\u2026 tu le vois encore ? \u2014 Je le vois, je l\u2019\u00e9cris. \u2014 Et le tapis ? \u2014 Il vole. M\u00eame s\u2019il ne marche pas. \u2014 Tu veux des r\u00e8gles mais sans loi. \u2014 Des carr\u00e9s. Mais ouverts. \u2014 Tu crois encore au r\u00eave ? \u2014 Je m\u2019en sers pour a\u00e9rer la terre. \u2014 Et les filles aux yeux de biche ? \u2014 Elles savent presser le vin. Et faire pousser le livre. {{note de travail}} Ce fragment est une d\u00e9rive douce \u2014 mais lucide. Un texte d\u2019\u00e9quilibriste entre **pens\u00e9e th\u00e9orique, m\u00e9moire sensorielle et pratique po\u00e9tique**. Foucault en est l\u2019amorce, mais tr\u00e8s vite le sujet bifurque : il r\u00eave d\u2019un espace qui \u00e9chappe aux lois \u2014 celles du march\u00e9, de la physique, de la langue m\u00eame. Le jardin devient symbole d\u2019un lieu qui peut encore \u00eatre organis\u00e9 selon des principes personnels, souples, renouvelables. Le \u201ctapis volant\u201d est ici le r\u00eave de **l\u2019insoumission douce**, du voyage int\u00e9rieur, du lien \u00e0 des savoirs anciens. Il \u00e9voque un besoin de chaleur, de texture, d\u2019enracinement po\u00e9tique. La fin est magnifique : le mot \u201c*charaab*\u201d, le souvenir du vin, la main, les filles. On sent une tendresse qui vient adoucir la crispation conceptuelle du d\u00e9but. Comme si, au fond, l\u2019utopie n\u2019\u00e9tait pas une abstraction mais une **mani\u00e8re d\u2019aimer, de cultiver, de cuisiner, de transmettre**. Ce texte est un lieu autre en lui-m\u00eame. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/vasnetsov_-tapis-volant-.webp?1748065147", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/06-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/06-octobre-2023.html", "title": "06 octobre 2023", "date_published": "2023-10-06T09:15:00Z", "date_modified": "2025-03-31T09:16:16Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je ne compte plus le nombre
\nMais l\u2019entr\u00e9e dans le d\u00e9sert remonte \u00e0 mars 2019. Depuis qu\u2019on nous a montr\u00e9 la vraie gueule de cette pseudo-d\u00e9mocratie.<\/p>\n

Depuis, je n\u2019ai pas vraiment repeint. Juste des gestes r\u00e9flexes. De quoi laisser des traces. Puis plus rien.<\/p>\n

Quelque chose s\u2019est rebell\u00e9.<\/p>\n

Une haine du mensonge, du doute, des excuses. Comme si cet \u00e9pisode autoritaire avait creus\u00e9 en moi un point noir, une faille d\u2019o\u00f9 remonte tout : enfance, culpabilit\u00e9 diffuse, fautes anciennes — p\u00e9ch\u00e9 contre un p\u00e8re qu\u2019on ne nomme pas, contre une loi qu\u2019on ne comprend plus.<\/p>\n

Et moi, l\u00e0, r\u00e9duit \u00e0 rien. Une vermine. Mais peinte d\u00e9j\u00e0, un an plus t\u00f4t, sans le savoir, dans un diptyque. Mon c\u00f4t\u00e9 juif, peut-\u00eatre. Agneau attach\u00e9. En attente d\u2019une balle, d\u2019une meute.<\/p>\n

Toujours le m\u00eame chant : r\u00e9sister ou c\u00e9der.<\/p>\n

R\u00e9sister \u00e0 quoi ? C\u00e9der \u00e0 quoi ?<\/p>\n

Un jeu. Un simulacre. Pour continuer \u00e0 se mentir. Pour trouver un angle doux, une excuse. Mektoub. Fatalit\u00e9.<\/p>\n

Puis \u00e7a revient : fatigue, maux de t\u00eate, crampes — signes de guerre. Signe qu\u2019il faut reprendre les armes. Mais pas les pinceaux.<\/p>\n

Et puis on c\u00e8de. Pour souffler. On se dit que non, c\u2019est s\u00fbrement exag\u00e9r\u00e9. Qu\u2019ils ne veulent pas vraiment nous d\u00e9truire. Qu\u2019on dramatise. R\u00f4le de victime, encore.<\/p>\n

Mais pas de peinture de crucifixion. Je ne suis pas Mantegna.<\/p>\n

Et eux : les institutions, l\u2019administration, les banques — d\u2019une rigueur m\u00e9canique. Tu paies, tu te tais. Sinon, ils te prennent tout. Aucune humanit\u00e9. Juste des lignes de commande, des saisines, des relances. Leurs visages ? Jamais vus. Jamais assum\u00e9s.<\/p>\n

On ne veut pas le croire. C\u2019est tout.<\/p>\n

J\u2019ai envoy\u00e9 un mail aux experts-comptables il y a une semaine. Pas de r\u00e9ponse. Ils laissent pourrir. C\u2019est \u00e7a, leur m\u00e9thode. Laiss\u00e9s pourrir.<\/p>\n

C\u2019est m\u00eame une politique d\u2019\u00c9tat.<\/p>\n

Regarde nos messageries : que des urgences, des priorit\u00e9s, des “importants”. Mais plus personne ne sait ce qui compte. Et tout \u00e0 coup : une explosion. Un attentat. Un pan de l\u2019Antarctique qui se d\u00e9tache.<\/p>\n

Et vu de l\u00e0-bas — du Y\u00e9men, du Pakistan, de la Chine — notre vie doit sembler \u00e0 la fois enviable et grotesque.<\/p>\n

On est ridicules.<\/p>\n

Et ce n\u2019est pas \u00e9tonnant que tout craque, que l\u2019\u00e9quilibre c\u00e8de, que la Terre elle-m\u00eame parte en vrille.<\/p>\n

Regarde les guignols qui nous gouvernent.<\/p>\n

Des marionnettes. Des clowns tristes.<\/p>\n

Et la guerre ? L\u2019Ukraine ? Un soufflet.<\/p>\n

Un combat de bites pour savoir qui l\u2019a plus grosse.<\/p>\n

Et on gobe encore. On nous prend pour des imb\u00e9ciles.<\/p>\n

*<\/p>\n

Alors que faire ? Fuir dans le concret. Dans la rencontre. L\u2019associatif.<\/p>\n

J\u2019ai anim\u00e9 un atelier dans une salle des f\u00eates. J\u2019ai vu des visages s\u2019\u00e9clairer. Th\u00e9r\u00e8sa. Margaret. Shana. Nicolas. Gigi. Chantal.<\/p>\n

Leur surprise quand on a retir\u00e9 le ruban de masquage.<\/p>\n

C. et B. sont descendus. C. reprend des couleurs. J\u2019ai grond\u00e9 B. pour son texte pas encore envoy\u00e9.<\/p>\n

Timidit\u00e9. G\u00eane. Toujours l\u2019orgueil derri\u00e8re.<\/p>\n

C\u2019est presque la fin du monde, et on h\u00e9site encore.<\/p>\n

*<\/p>\n

Alors je pense \u00e0 la cuisine.<\/p>\n

Je veux qu\u2019on retrouve \u00e7a : le go\u00fbt. Les plats. Le partage.<\/p>\n

La viande ? Plus les moyens. Mais on peut cuisiner v\u00e9g\u00e9tarien. Herbes, \u00e9pices : le secret est l\u00e0.<\/p>\n

J\u2019ai claqu\u00e9 vingt euros pour du cumin, du paprika, du poivre de Madagascar, de la coriandre fra\u00eeche. Tout au cong\u00e9lo, par petits sacs.<\/p>\n

Des l\u00e9gumes secs : pois chiches, lentilles, haricots. Et du riz, bien s\u00fbr. Beaucoup de riz.<\/p>\n

S. regarde tout \u00e7a avec des yeux ronds. C\u2019est moi qui cuisinerai, j\u2019ai dit.<\/p>\n

Une envie de l\u2019Asie, des saveurs persanes, indiennes.<\/p>\n

Une science mill\u00e9naire pour r\u00e9chauffer les organes.<\/p>\n

Je ferai des nans au fromage ce week-end. J\u2019ai trouv\u00e9 la bo\u00eete de Vache qui Rit. Avec du beurre fondu, ce sera un r\u00e9gal.<\/p>\n

Pas di\u00e9t\u00e9tique. Mais nous avons perdu cinq kilos chacun depuis les vacances. Le stress a tout d\u00e9vor\u00e9.<\/p>\n

Alors maintenant, on mange. On partage. On pr\u00e9pare. On s\u2019\u00e9tonne encore.<\/p>\n

Et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Encore ce d\u00e9sert. Tu crois que tu vas en sortir ?<\/p>\n

— Peut-\u00eatre pas. Mais j\u2019y marche encore.<\/p>\n

— Et les mails ? Tu y crois encore ?<\/p>\n

— Non. Je les envoie quand m\u00eame.<\/p>\n

— Tu cries ?<\/p>\n

— Non. Je marmonne. Je tisse. Je coupe. Je cuis.<\/p>\n

— Tu cuisines donc ?<\/p>\n

— Pour tenir. Pour donner un go\u00fbt \u00e0 tout \u00e7a.<\/p>\n

— Et cette haine ? Tu l\u2019as dig\u00e9r\u00e9e ?<\/p>\n

— Pas vraiment. Mais elle a chang\u00e9 de forme. Elle s\u2019est mise \u00e0 mijoter.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Il s\u2019agit d\u2019un texte en ruine. Mais pas d\u2019un texte ruin\u00e9.<\/p>\n

Le patient raconte une descente : politique, picturale, existentielle. Il ne peint plus. Il survit. Il d\u00e9nonce. Il s\u2019\u00e9puise. Il mange peu. Il maigrit. Il crie sans bruit.<\/p>\n

Mais ce texte est aussi un acte de soin. Un retour aux gestes — simples, mat\u00e9riels, partag\u00e9s.<\/p>\n

La haine du mensonge est ici le premier moteur. Elle transforme l\u2019auteur en guetteur de v\u00e9rit\u00e9s. Mais cette qu\u00eate n\u2019est pas vaine. Elle le pousse \u00e0 se r\u00e9incarner. D\u2019abord dans des noms. Puis dans des \u00e9pices.<\/p>\n

La cuisine devient une langue. Un atelier. Une pri\u00e8re.<\/p>\n

Il ne croit plus au pouvoir. Mais il croit encore aux nans au fromage.<\/p>\n

Et c\u2019est, peut-\u00eatre, une forme de transcendance.<\/p>", "content_text": " Je ne compte plus le nombre Mais l\u2019entr\u00e9e dans le d\u00e9sert remonte \u00e0 mars 2019. Depuis qu\u2019on nous a montr\u00e9 la vraie gueule de cette pseudo-d\u00e9mocratie. Depuis, je n\u2019ai pas vraiment repeint. Juste des gestes r\u00e9flexes. De quoi laisser des traces. Puis plus rien. Quelque chose s\u2019est rebell\u00e9. Une haine du mensonge, du doute, des excuses. Comme si cet \u00e9pisode autoritaire avait creus\u00e9 en moi un point noir, une faille d\u2019o\u00f9 remonte tout : enfance, culpabilit\u00e9 diffuse, fautes anciennes \u2014 p\u00e9ch\u00e9 contre un p\u00e8re qu\u2019on ne nomme pas, contre une loi qu\u2019on ne comprend plus. Et moi, l\u00e0, r\u00e9duit \u00e0 rien. Une vermine. Mais peinte d\u00e9j\u00e0, un an plus t\u00f4t, sans le savoir, dans un diptyque. Mon c\u00f4t\u00e9 juif, peut-\u00eatre. Agneau attach\u00e9. En attente d\u2019une balle, d\u2019une meute. Toujours le m\u00eame chant : r\u00e9sister ou c\u00e9der. R\u00e9sister \u00e0 quoi ? C\u00e9der \u00e0 quoi ? Un jeu. Un simulacre. Pour continuer \u00e0 se mentir. Pour trouver un angle doux, une excuse. Mektoub. Fatalit\u00e9. Puis \u00e7a revient : fatigue, maux de t\u00eate, crampes \u2014 signes de guerre. Signe qu\u2019il faut reprendre les armes. Mais pas les pinceaux. Et puis on c\u00e8de. Pour souffler. On se dit que non, c\u2019est s\u00fbrement exag\u00e9r\u00e9. Qu\u2019ils ne veulent pas vraiment nous d\u00e9truire. Qu\u2019on dramatise. R\u00f4le de victime, encore. Mais pas de peinture de crucifixion. Je ne suis pas Mantegna. Et eux : les institutions, l\u2019administration, les banques \u2014 d\u2019une rigueur m\u00e9canique. Tu paies, tu te tais. Sinon, ils te prennent tout. Aucune humanit\u00e9. Juste des lignes de commande, des saisines, des relances. Leurs visages ? Jamais vus. Jamais assum\u00e9s. On ne veut pas le croire. C\u2019est tout. J\u2019ai envoy\u00e9 un mail aux experts-comptables il y a une semaine. Pas de r\u00e9ponse. Ils laissent pourrir. C\u2019est \u00e7a, leur m\u00e9thode. Laiss\u00e9s pourrir. C\u2019est m\u00eame une politique d\u2019\u00c9tat. Regarde nos messageries : que des urgences, des priorit\u00e9s, des \u201cimportants\u201d. Mais plus personne ne sait ce qui compte. Et tout \u00e0 coup : une explosion. Un attentat. Un pan de l\u2019Antarctique qui se d\u00e9tache. Et vu de l\u00e0-bas \u2014 du Y\u00e9men, du Pakistan, de la Chine \u2014 notre vie doit sembler \u00e0 la fois enviable et grotesque. On est ridicules. Et ce n\u2019est pas \u00e9tonnant que tout craque, que l\u2019\u00e9quilibre c\u00e8de, que la Terre elle-m\u00eame parte en vrille. Regarde les guignols qui nous gouvernent. Des marionnettes. Des clowns tristes. Et la guerre ? L\u2019Ukraine ? Un soufflet. Un combat de bites pour savoir qui l\u2019a plus grosse. Et on gobe encore. On nous prend pour des imb\u00e9ciles. * Alors que faire ? Fuir dans le concret. Dans la rencontre. L\u2019associatif. J\u2019ai anim\u00e9 un atelier dans une salle des f\u00eates. J\u2019ai vu des visages s\u2019\u00e9clairer. Th\u00e9r\u00e8sa. Margaret. Shana. Nicolas. Gigi. Chantal. Leur surprise quand on a retir\u00e9 le ruban de masquage. C. et B. sont descendus. C. reprend des couleurs. J\u2019ai grond\u00e9 B. pour son texte pas encore envoy\u00e9. Timidit\u00e9. G\u00eane. Toujours l\u2019orgueil derri\u00e8re. C\u2019est presque la fin du monde, et on h\u00e9site encore. * Alors je pense \u00e0 la cuisine. Je veux qu\u2019on retrouve \u00e7a : le go\u00fbt. Les plats. Le partage. La viande ? Plus les moyens. Mais on peut cuisiner v\u00e9g\u00e9tarien. Herbes, \u00e9pices : le secret est l\u00e0. J\u2019ai claqu\u00e9 vingt euros pour du cumin, du paprika, du poivre de Madagascar, de la coriandre fra\u00eeche. Tout au cong\u00e9lo, par petits sacs. Des l\u00e9gumes secs : pois chiches, lentilles, haricots. Et du riz, bien s\u00fbr. Beaucoup de riz. S. regarde tout \u00e7a avec des yeux ronds. C\u2019est moi qui cuisinerai, j\u2019ai dit. Une envie de l\u2019Asie, des saveurs persanes, indiennes. Une science mill\u00e9naire pour r\u00e9chauffer les organes. Je ferai des nans au fromage ce week-end. J\u2019ai trouv\u00e9 la bo\u00eete de Vache qui Rit. Avec du beurre fondu, ce sera un r\u00e9gal. Pas di\u00e9t\u00e9tique. Mais nous avons perdu cinq kilos chacun depuis les vacances. Le stress a tout d\u00e9vor\u00e9. Alors maintenant, on mange. On partage. On pr\u00e9pare. On s\u2019\u00e9tonne encore. Et c\u2019est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a. {{sous-conversation}} \u2014 Encore ce d\u00e9sert. Tu crois que tu vas en sortir ? \u2014 Peut-\u00eatre pas. Mais j\u2019y marche encore. \u2014 Et les mails ? Tu y crois encore ? \u2014 Non. Je les envoie quand m\u00eame. \u2014 Tu cries ? \u2014 Non. Je marmonne. Je tisse. Je coupe. Je cuis. \u2014 Tu cuisines donc ? \u2014 Pour tenir. Pour donner un go\u00fbt \u00e0 tout \u00e7a. \u2014 Et cette haine ? Tu l\u2019as dig\u00e9r\u00e9e ? \u2014 Pas vraiment. Mais elle a chang\u00e9 de forme. Elle s\u2019est mise \u00e0 mijoter. {{note de travail}} Il s\u2019agit d\u2019un texte en ruine. Mais pas d\u2019un texte ruin\u00e9. Le patient raconte une descente : politique, picturale, existentielle. Il ne peint plus. Il survit. Il d\u00e9nonce. Il s\u2019\u00e9puise. Il mange peu. Il maigrit. Il crie sans bruit. Mais ce texte est aussi un acte de soin. Un retour aux gestes \u2014 simples, mat\u00e9riels, partag\u00e9s. La haine du mensonge est ici le premier moteur. Elle transforme l\u2019auteur en guetteur de v\u00e9rit\u00e9s. Mais cette qu\u00eate n\u2019est pas vaine. Elle le pousse \u00e0 se r\u00e9incarner. D\u2019abord dans des noms. Puis dans des \u00e9pices. La cuisine devient une langue. Un atelier. Une pri\u00e8re. Il ne croit plus au pouvoir. Mais il croit encore aux nans au fromage. Et c\u2019est, peut-\u00eatre, une forme de transcendance. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/mantegna-lamentation-sur-le-christ-mort-c-1490.webp?1748065069", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/06-octobre-2023-863.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/06-octobre-2023-863.html", "title": "06 octobre 2023", "date_published": "2023-10-06T08:58:00Z", "date_modified": "2025-07-16T21:48:49Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Il y a des ann\u00e9es, un \u00e9t\u00e9, j\u2019ai tent\u00e9 un premier voyage \u00e0 pied. Je me souviens de ce que j\u2019ai crois\u00e9 : des choses modestes, curieuses, magnifiques. J\u2019\u00e9tais mal \u00e9quip\u00e9. Un pantalon clair, un vieux chapeau, une petite musette ridicule \u00e0 la main, et dans la poche int\u00e9rieure, cousu \u00e0 m\u00eame la doublure, un ch\u00e8que, mes \u00e9conomies, comme un talisman. Je marchais. Une bande d\u2019enfants passait. L\u2019un m\u2019a lanc\u00e9, moqueur : « O\u00f9 va-t-il donc, ce grand type avec sa musette ? » J\u2019ai souri. Un peu honteux, un peu fier. Je savais que tout \u00e7a faisait un peu piti\u00e9. Mais je continuais. Et j\u2019ai eu cette impression bizarre, que le monde autour bougeait avec moi. Que la route, les champs, les bois, m\u00eame les labours, avan\u00e7aient un peu aussi. Pas beaucoup. Mais un peu. Comme s\u2019ils m\u2019accompagnaient.<\/p>\n

Ce long type, il est ridicule. Oui. Mais il marche. Il a un ch\u00e8que cousu dans la poche. Comme un secret. Comme une promesse. Il rit jaune, mais il avance. Il se laisse traverser. Il ne croit pas, il regarde. Et le monde, il l\u2019accompagne ? Peut-\u00eatre pas. Mais lui, il sent que oui. C\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup.<\/p>", "content_text": " Il y a des ann\u00e9es, un \u00e9t\u00e9, j\u2019ai tent\u00e9 un premier voyage \u00e0 pied. Je me souviens de ce que j\u2019ai crois\u00e9 : des choses modestes, curieuses, magnifiques. J\u2019\u00e9tais mal \u00e9quip\u00e9. Un pantalon clair, un vieux chapeau, une petite musette ridicule \u00e0 la main, et dans la poche int\u00e9rieure, cousu \u00e0 m\u00eame la doublure, un ch\u00e8que, mes \u00e9conomies, comme un talisman. Je marchais. Une bande d\u2019enfants passait. L\u2019un m\u2019a lanc\u00e9, moqueur : \u00ab O\u00f9 va-t-il donc, ce grand type avec sa musette ? \u00bb J\u2019ai souri. Un peu honteux, un peu fier. Je savais que tout \u00e7a faisait un peu piti\u00e9. Mais je continuais. Et j\u2019ai eu cette impression bizarre, que le monde autour bougeait avec moi. Que la route, les champs, les bois, m\u00eame les labours, avan\u00e7aient un peu aussi. Pas beaucoup. Mais un peu. Comme s\u2019ils m\u2019accompagnaient. Ce long type, il est ridicule. Oui. Mais il marche. Il a un ch\u00e8que cousu dans la poche. Comme un secret. Comme une promesse. Il rit jaune, mais il avance. Il se laisse traverser. Il ne croit pas, il regarde. Et le monde, il l\u2019accompagne ? Peut-\u00eatre pas. Mais lui, il sent que oui. C\u2019est d\u00e9j\u00e0 beaucoup. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/robert-walser.webp?1748065065", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/05-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/05-octobre-2023.html", "title": "05 octobre 2023", "date_published": "2023-10-05T08:51:00Z", "date_modified": "2025-03-31T08:52:16Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Petit \u00e0 petit tout s\u2019effiloche.<\/p>\n

Un fil sort de la manche, tu tires.<\/p>\n

Plus de manche. Plus de pull. Plus de Don Quichotte.<\/p>\n

La haine, comme la laine — on peut la prendre par tous les bouts. Le monde entier pourrait se d\u00e9tricoter.<\/p>\n

Et tu te retrouverais l\u00e0, avec un mouton dans une main, et dans l\u2019autre\u2026 une plume. Une paille.<\/p>\n

Cocktail chez les siphonn\u00e9s du bulbe.<\/p>\n

*<\/p>\n

Sinon.<\/p>\n

Les mots “expert” et “comptable”, accol\u00e9s, me font le m\u00eame effet que “sens” et “giratoire”.<\/p>\n

D\u00e9gueulis.<\/p>\n

*<\/p>\n

Tu vas \u00e0 la pharmacie louer un tensiom\u00e8tre.<\/p>\n

Arriv\u00e9 chez toi : il marche pas.<\/p>\n

Tu le poses l\u00e0. Et dans un coin de ta t\u00eate : *faut le ramener*.<\/p>\n

Une semaine plus tard : il est toujours l\u00e0. T\u2019as rien fait.<\/p>\n

Y avait toujours un truc plus urgent.<\/p>\n

*<\/p>\n

Scrollement du fil Twitter. Coup de boule de p\u00e9riph\u00e9rique.<\/p>\n

C\u2019est plus trop de mon \u00e2ge.<\/p>\n

Certains hurlent, insultent, s\u2019\u00e9charpent. Duels de phrases mortes. Rien ne claque.<\/p>\n

Et l\u00e0 — un compte LREM me suit.<\/p>\n

L\u00e0 je me dis : qu\u2019est-ce que j\u2019ai foutu ?<\/p>\n

*<\/p>\n

La daube, l\u2019excitation, la roue qu\u2019on suce. J\u2019ai d\u00fb ? Non.<\/p>\n

Mais on croit que oui.<\/p>\n

Moi je suce pas de roue. Juste mes pastilles 2.5mg de nicotine.<\/p>\n

Par plaquette.<\/p>\n

Pour r\u00e9sister \u00e0 l\u2019envie de fumer.<\/p>\n

D\u2019ailleurs. Est-ce que j\u2019ai encore envie ?<\/p>\n

Je me l\u00e8ve, un pas, deux pas.<\/p>\n

Je me regarde. Je m\u2019\u00e9claire en pleine gueule avec la lampe d\u2019architecte.<\/p>\n

Alors, vous disiez que vous n\u2019aviez plus envie de fumer ?<\/p>\n

Je me pose l\u00e0, comme un enfoir\u00e9.<\/p>\n

Et je sors le paquet. Une Winfield.<\/p>\n

Je le regarde. Je dis : merci camarade, mais non.<\/p>\n

Je d\u00e9cline. Je parviens \u00e0 le dire. Youpi.<\/p>\n

*<\/p>\n

La lumi\u00e8re s\u2019\u00e9teint.<\/p>\n

Pas de flonflon.<\/p>\n

Pas de musique.<\/p>\n

Je ne fume plus. Voili voilou. C\u2019est tout.<\/p>\n

*<\/p>\n

Pendant une heure, dire tout ce qui passe.<\/p>\n

C\u2019est plus trop \u00e7a.<\/p>\n

Pendant une heure, surveiller mes trois tifs qui repoussent.<\/p>\n

\u00c9viter d\u2019\u00eatre trop cr\u00e2ne.<\/p>\n

Le courage ne m\u2019\u00e9touffe pas — j\u2019arrive encore \u00e0 respirer.<\/p>\n

Je suis la pente des mots, les phrases, les vides.<\/p>\n

Et je d\u00e9vide ma pelote.<\/p>\n

Me d\u00e9barrasse un peu.<\/p>\n

\u00c9crire, comme on avale un cacheton, le matin.<\/p>\n

Voil\u00e0.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Le fil\u2026 tu le tires ou tu le laisses ?<\/p>\n

— Je tire. Je veux voir jusqu\u2019o\u00f9 \u00e7a va.<\/p>\n

— Jusqu\u2019\u00e0 plus rien ? Plus de Don Quichotte ?<\/p>\n

— Jusqu\u2019\u00e0 moi, peut-\u00eatre. Ce qui reste.<\/p>\n

— Et la pelote ? Tu la d\u00e9roules ?<\/p>\n

— C\u2019est \u00e7a. J\u2019en ai marre de faire des pulls.<\/p>\n

— Et ce paquet\u2026 ce geste\u2026<\/p>\n

— J\u2019ai dit non.<\/p>\n

— T\u2019as r\u00e9ussi.<\/p>\n

— Mais j\u2019ai pas cri\u00e9 victoire.<\/p>\n

— Juste dit. C\u2019est tout.<\/p>\n

— C\u2019est d\u00e9j\u00e0 pas mal, non ?<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le sujet se pr\u00e9sente comme un corps en pelote, un fil tendu entre pulsions et gestes avort\u00e9s.<\/p>\n

Tout ici tourne autour d\u2019un mouvement : celui du retrait. Retirer un pull. Reculer d\u2019un paquet de cigarettes. Ne pas retourner le tensiom\u00e8tre. Ne pas crier.<\/p>\n

Mais ces absences ne sont pas des vides — ce sont des choix. Des affirmations silencieuses.<\/p>\n

Le texte tisse une logique d\u2019\u00e9puisement ma\u00eetris\u00e9. Il ne s\u2019agit pas d\u2019une perte de contr\u00f4le, mais d\u2019un **ralentissement lucide du flux**. Le sujet n\u2019est pas en fuite : il observe, il \u00e9crit, il d\u00e9plie. C\u2019est un monologue de survie. Un mode mineur, mais pas mineur du tout.<\/p>\n

Il y a une grande maturit\u00e9 dans cette mani\u00e8re de “dire tout ce qui passe”, sans pathos, sans appel au spectaculaire.<\/p>\n

L\u2019addiction, la col\u00e8re, la honte, la procrastination, la lucidit\u00e9 sur la vacuit\u00e9 politique : tout est l\u00e0. Mais rien n\u2019est fig\u00e9. Rien n\u2019est ferm\u00e9.<\/p>\n

Et cette phrase magnifique : “\u00e9crire comme on avale un m\u00e9dicament le matin”.<\/p>\n

C\u2019est la ligne de vie.<\/p>", "content_text": " Petit \u00e0 petit tout s\u2019effiloche. Un fil sort de la manche, tu tires. Plus de manche. Plus de pull. Plus de Don Quichotte. La haine, comme la laine \u2014 on peut la prendre par tous les bouts. Le monde entier pourrait se d\u00e9tricoter. Et tu te retrouverais l\u00e0, avec un mouton dans une main, et dans l\u2019autre\u2026 une plume. Une paille. Cocktail chez les siphonn\u00e9s du bulbe. * Sinon. Les mots \u201cexpert\u201d et \u201ccomptable\u201d, accol\u00e9s, me font le m\u00eame effet que \u201csens\u201d et \u201cgiratoire\u201d. D\u00e9gueulis. * Tu vas \u00e0 la pharmacie louer un tensiom\u00e8tre. Arriv\u00e9 chez toi : il marche pas. Tu le poses l\u00e0. Et dans un coin de ta t\u00eate : *faut le ramener*. Une semaine plus tard : il est toujours l\u00e0. T\u2019as rien fait. Y avait toujours un truc plus urgent. * Scrollement du fil Twitter. Coup de boule de p\u00e9riph\u00e9rique. C\u2019est plus trop de mon \u00e2ge. Certains hurlent, insultent, s\u2019\u00e9charpent. Duels de phrases mortes. Rien ne claque. Et l\u00e0 \u2014 un compte LREM me suit. L\u00e0 je me dis : qu\u2019est-ce que j\u2019ai foutu ? * La daube, l\u2019excitation, la roue qu\u2019on suce. J\u2019ai d\u00fb ? Non. Mais on croit que oui. Moi je suce pas de roue. Juste mes pastilles 2.5mg de nicotine. Par plaquette. Pour r\u00e9sister \u00e0 l\u2019envie de fumer. D\u2019ailleurs. Est-ce que j\u2019ai encore envie ? Je me l\u00e8ve, un pas, deux pas. Je me regarde. Je m\u2019\u00e9claire en pleine gueule avec la lampe d\u2019architecte. Alors, vous disiez que vous n\u2019aviez plus envie de fumer ? Je me pose l\u00e0, comme un enfoir\u00e9. Et je sors le paquet. Une Winfield. Je le regarde. Je dis : merci camarade, mais non. Je d\u00e9cline. Je parviens \u00e0 le dire. Youpi. * La lumi\u00e8re s\u2019\u00e9teint. Pas de flonflon. Pas de musique. Je ne fume plus. Voili voilou. C\u2019est tout. * Pendant une heure, dire tout ce qui passe. C\u2019est plus trop \u00e7a. Pendant une heure, surveiller mes trois tifs qui repoussent. \u00c9viter d\u2019\u00eatre trop cr\u00e2ne. Le courage ne m\u2019\u00e9touffe pas \u2014 j\u2019arrive encore \u00e0 respirer. Je suis la pente des mots, les phrases, les vides. Et je d\u00e9vide ma pelote. Me d\u00e9barrasse un peu. \u00c9crire, comme on avale un cacheton, le matin. Voil\u00e0. {{sous-conversation}} \u2014 Le fil\u2026 tu le tires ou tu le laisses ? \u2014 Je tire. Je veux voir jusqu\u2019o\u00f9 \u00e7a va. \u2014 Jusqu\u2019\u00e0 plus rien ? Plus de Don Quichotte ? \u2014 Jusqu\u2019\u00e0 moi, peut-\u00eatre. Ce qui reste. \u2014 Et la pelote ? Tu la d\u00e9roules ? \u2014 C\u2019est \u00e7a. J\u2019en ai marre de faire des pulls. \u2014 Et ce paquet\u2026 ce geste\u2026 \u2014 J\u2019ai dit non. \u2014 T\u2019as r\u00e9ussi. \u2014 Mais j\u2019ai pas cri\u00e9 victoire. \u2014 Juste dit. C\u2019est tout. \u2014 C\u2019est d\u00e9j\u00e0 pas mal, non ? {{note de travail}} Le sujet se pr\u00e9sente comme un corps en pelote, un fil tendu entre pulsions et gestes avort\u00e9s. Tout ici tourne autour d\u2019un mouvement : celui du retrait. Retirer un pull. Reculer d\u2019un paquet de cigarettes. Ne pas retourner le tensiom\u00e8tre. Ne pas crier. Mais ces absences ne sont pas des vides \u2014 ce sont des choix. Des affirmations silencieuses. Le texte tisse une logique d\u2019\u00e9puisement ma\u00eetris\u00e9. Il ne s\u2019agit pas d\u2019une perte de contr\u00f4le, mais d\u2019un **ralentissement lucide du flux**. Le sujet n\u2019est pas en fuite : il observe, il \u00e9crit, il d\u00e9plie. C\u2019est un monologue de survie. Un mode mineur, mais pas mineur du tout. Il y a une grande maturit\u00e9 dans cette mani\u00e8re de \u201cdire tout ce qui passe\u201d, sans pathos, sans appel au spectaculaire. L\u2019addiction, la col\u00e8re, la honte, la procrastination, la lucidit\u00e9 sur la vacuit\u00e9 politique : tout est l\u00e0. Mais rien n\u2019est fig\u00e9. Rien n\u2019est ferm\u00e9. Et cette phrase magnifique : \u201c\u00e9crire comme on avale un m\u00e9dicament le matin\u201d. C\u2019est la ligne de vie. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lost-in-the-horizon.webp?1748065225", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/cocktail-chez-les-siphonnes-du-bulbe.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/cocktail-chez-les-siphonnes-du-bulbe.html", "title": "Cocktail chez les siphonn\u00e9s du bulbe.", "date_published": "2023-10-05T06:40:39Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Petit \u00e0 petit tout s\u2019effiloche, un fil sort de la manche, on tire, plus de manche, plus de pull. Plus de Don Quichotte. Toute cette haine est comme une laine, on peut la prendre par tous les bouts, tout pourrait se d\u00e9tricoter, le monde entier. On se retrouverait avec un mouton dans une main et dans l\u2019autre le poids d\u2019une plume, une paille.<\/p>\n

Cocktail chez les siphonn\u00e9s du bulbe.<\/p>\n

A part \u00e7a<\/p>\n

Les mots expert et comptable associ\u00e9s me font le m\u00eame effet que sens et giratoire accol\u00e9s.<\/p>\n

D\u00e9gueulis.<\/p>\n

Tu vas dans une pharmacie pour louer un tensiom\u00e8tre, arriv\u00e9 \u00e0 la maison tu t\u2019aper\u00e7ois qu\u2019il ne fonctionne pas. Tu poses le tensiom\u00e8tre d\u00e9fectueux quelque part. Tu places dans un coin de ta t\u00eate l\u2019id\u00e9e de retourner l\u00e0-bas pour le rapporter, l\u2019\u00e9changer. A la fin, une semaine plus tard le tensiom\u00e8tre est toujours \u00e0 la m\u00eame place. T\u2019as rien fait. Y avait toujours autre chose de plus important \u00e0 faire.<\/p>\n

Rest\u00e9 quelques instants \u00e0 d\u00e9plier le fil d\u2019actualit\u00e9 sur Twitter. Lire tout \u00e7a d\u2019un coup comme on prendrait une bouff\u00e9e de p\u00e9riph\u00e9rique, un coup de boule. C\u2019est plus trop de mon \u00e2ge. Certains \u00e9cument de rage d\u00e9sespoir tristesse. L\u2019insulte est vite d\u00e9gain\u00e9e. Des duels, des phrases qui claquent qui cr\u00e9pitent , m\u00eame pas. Que dalle. Tout \u00e0 coup je vois un compte nouveau qui me suit, du LREM, mais quelle horreur. Qu\u2019ai-je fait ou dit pour en arriver l\u00e0.<\/p>\n

L\u2019excitation li\u00e9e \u00e0 toute la daube parfois j\u2019ai d\u00fb jouer des coudes, sucer une roue ? non pas trop mon genre mais \u00e7a peut \u00eatre pris ainsi malgr\u00e9 tout. Je suce pas de roue, que mes pastilles de 2.5 mg de nicotine que je m\u2019enfile par plaquette enti\u00e8re pour r\u00e9sister \u00e0 l\u2019envie de fumer. D\u2019ailleurs pendant que j\u2019y suis, est-ce que j\u2019ai encore envie de fumer vraiment ? je fais un pas, deux pas en dehors de ma chaise. Je me toise me sonde m\u2019examine attentivement, puis tourne la lampe d\u2019architecte pour me la flanquer en pleine poire.<\/p>\n

Donc vous disiez que vous n\u2019aviez plus du tout envie de fumer.<\/p>\n

Et comme enfoir\u00e9 je me pose l\u00e0. Et je sors un paquet de Winfield de je ne sais o\u00f9, et je me le pr\u00e9sente.<\/p>\n

Je te remercie camarade mais dois d\u00e9cliner. Je parviens \u00e0 le dire youpi.<\/p>\n

La lumi\u00e8re s\u2019\u00e9teint.<\/p>\n

Pas de fanfare pas de flonflon<\/p>\n

Je ne fume plus, voili voilou c\u2019est tout.<\/p>\n

Pendant une heure dire tout ce qui me passe par la t\u00eate, c\u2019est plus \u00e7a quand m\u00eame. Pendant une heure \u00eatre attentif aux quelques tifs qui poussent lentement sur mon cr\u00e2ne et \u00e9viter d\u2019\u00eatre trop cr\u00e2ne. Le courage ne m\u2019\u00e9touffe pas tant que \u00e7a, j\u2019arrive encore \u00e0 respirer. Suivre la pente des mots des phrases des vides entre tout \u00e7a, et d\u00e9vide ta pelote mon pote. Te d\u00e9barrasser surtout du surplus, d\u2019un peu de pression de tension ainsi. Ecrire comme on avale un m\u00e9dicament le matin c\u2019est tout.<\/p>\n

Illustration : Lost in the horizon ( \u00e7a fait toujours mieux en anglais ) Huile sur toile<\/p>", "content_text": "Petit \u00e0 petit tout s\u2019effiloche, un fil sort de la manche, on tire, plus de manche, plus de pull. Plus de Don Quichotte. Toute cette haine est comme une laine, on peut la prendre par tous les bouts, tout pourrait se d\u00e9tricoter, le monde entier. On se retrouverait avec un mouton dans une main et dans l\u2019autre le poids d\u2019une plume, une paille. Cocktail chez les siphonn\u00e9s du bulbe. A part \u00e7a Les mots expert et comptable associ\u00e9s me font le m\u00eame effet que sens et giratoire accol\u00e9s. D\u00e9gueulis. Tu vas dans une pharmacie pour louer un tensiom\u00e8tre, arriv\u00e9 \u00e0 la maison tu t\u2019aper\u00e7ois qu\u2019il ne fonctionne pas. Tu poses le tensiom\u00e8tre d\u00e9fectueux quelque part. Tu places dans un coin de ta t\u00eate l\u2019id\u00e9e de retourner l\u00e0-bas pour le rapporter, l\u2019\u00e9changer. A la fin, une semaine plus tard le tensiom\u00e8tre est toujours \u00e0 la m\u00eame place. T\u2019as rien fait. Y avait toujours autre chose de plus important \u00e0 faire. Rest\u00e9 quelques instants \u00e0 d\u00e9plier le fil d\u2019actualit\u00e9 sur Twitter. Lire tout \u00e7a d\u2019un coup comme on prendrait une bouff\u00e9e de p\u00e9riph\u00e9rique, un coup de boule. C\u2019est plus trop de mon \u00e2ge. Certains \u00e9cument de rage d\u00e9sespoir tristesse. L\u2019insulte est vite d\u00e9gain\u00e9e. Des duels, des phrases qui claquent qui cr\u00e9pitent , m\u00eame pas. Que dalle. Tout \u00e0 coup je vois un compte nouveau qui me suit, du LREM, mais quelle horreur. Qu\u2019ai-je fait ou dit pour en arriver l\u00e0. L\u2019excitation li\u00e9e \u00e0 toute la daube parfois j\u2019ai d\u00fb jouer des coudes, sucer une roue ? non pas trop mon genre mais \u00e7a peut \u00eatre pris ainsi malgr\u00e9 tout. Je suce pas de roue, que mes pastilles de 2.5 mg de nicotine que je m\u2019enfile par plaquette enti\u00e8re pour r\u00e9sister \u00e0 l\u2019envie de fumer. D\u2019ailleurs pendant que j\u2019y suis, est-ce que j\u2019ai encore envie de fumer vraiment ? je fais un pas, deux pas en dehors de ma chaise. Je me toise me sonde m\u2019examine attentivement, puis tourne la lampe d\u2019architecte pour me la flanquer en pleine poire. Donc vous disiez que vous n\u2019aviez plus du tout envie de fumer. Et comme enfoir\u00e9 je me pose l\u00e0. Et je sors un paquet de Winfield de je ne sais o\u00f9, et je me le pr\u00e9sente. Je te remercie camarade mais dois d\u00e9cliner. Je parviens \u00e0 le dire youpi. La lumi\u00e8re s\u2019\u00e9teint. Pas de fanfare pas de flonflon Je ne fume plus, voili voilou c\u2019est tout. Pendant une heure dire tout ce qui me passe par la t\u00eate, c\u2019est plus \u00e7a quand m\u00eame. Pendant une heure \u00eatre attentif aux quelques tifs qui poussent lentement sur mon cr\u00e2ne et \u00e9viter d\u2019\u00eatre trop cr\u00e2ne. Le courage ne m\u2019\u00e9touffe pas tant que \u00e7a, j\u2019arrive encore \u00e0 respirer. Suivre la pente des mots des phrases des vides entre tout \u00e7a, et d\u00e9vide ta pelote mon pote. Te d\u00e9barrasser surtout du surplus, d\u2019un peu de pression de tension ainsi. Ecrire comme on avale un m\u00e9dicament le matin c\u2019est tout. Illustration: Lost in the horizon ( \u00e7a fait toujours mieux en anglais ) Huile sur toile", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lost_in_the_horizon.png?1748065068", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-octobre-2023-861.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-octobre-2023-861.html", "title": "04 octobre 2023", "date_published": "2023-10-04T08:46:00Z", "date_modified": "2025-03-31T08:47:14Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Peu de mots ont surv\u00e9cu au voyage \u00e0 travers la mati\u00e8re scolaire. Des cours de techno, presque rien ne reste. Mais *barycentre*, si.<\/p>\n

Un mot massif, presque dr\u00f4le. Quelque chose dans sa sonorit\u00e9 l’emp\u00eache de dispara\u00eetre. Il r\u00e9siste. Il p\u00e8se.<\/p>\n

Et ce matin, je lis un po\u00e8me. Une premi\u00e8re strate d\u2019\u00e9motion monte, douce. Mais dessous, une autre remue. S\u2019interroge.<\/p>\n

Je pense au barycentre.<\/p>\n

\u00c0 l\u2019\u00e9quilibre.<\/p>\n

\u00c0 ce point muet autour duquel tout tient, ou vacille.<\/p>\n

M\u00eame nos pri\u00e8res, nos d\u00e9sordres, nos d\u00e9sirs — eux aussi cherchent, sans le savoir, leur centre de gravit\u00e9. Leur point d\u2019appui.<\/p>\n

Camille Claudel le savait. Elle sculptait cette tension-l\u00e0 : l\u2019\u00e9lan retenu. Le cri fig\u00e9.<\/p>\n

Sans barycentre, tout tombe. Et ceux qui tiennent debout, par force ou par fortune, diraient que tomber, c\u2019est ridicule.<\/p>\n

Mais ils ont juste de bonnes assises.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Ce mot. Tu ne sais m\u00eame plus d\u2019o\u00f9 il vient. Mais il est l\u00e0.<\/p>\n

— Barycentre. \u00c9norme. Insolite.<\/p>\n

— Tu l\u2019as appris ? Tu l\u2019as subi ?<\/p>\n

— Il est rest\u00e9. Il a surv\u00e9cu.<\/p>\n

— Et maintenant\u2026 un po\u00e8me, une \u0153uvre, et \u00e7a revient.<\/p>\n

— Ce n\u2019est pas qu\u2019un mot. C\u2019est un point. Invisible. In\u00e9vitable.<\/p>\n

— Tout cherche son centre. M\u00eame toi ?<\/p>\n

— Oui. Peut-\u00eatre surtout moi.<\/p>\n

— Et eux, les puissants ? Ils croient tenir ?<\/p>\n

— Ils oublient qu\u2019eux aussi\u2026 chutent.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Le patient revient sur un souvenir d\u2019\u00e9cole — mais ce n\u2019est pas la nostalgie qui travaille ici. C\u2019est un mot. Isol\u00e9. Rescap\u00e9. *Barycentre*.<\/p>\n

Il en fait le pivot d\u2019une r\u00e9flexion sur l\u2019\u00e9quilibre humain. Et c\u2019est cela qui frappe : la tentative d\u2019ordonner l\u2019\u00e9motion, de **donner une forme \u00e0 ce qui tremble**. L\u2019\u00e9motion esth\u00e9tique (devant un po\u00e8me, devant Claudel) est aussit\u00f4t interrog\u00e9e par une autre strate — plus mentale, plus inqui\u00e8te.<\/p>\n

Le barycentre devient alors **symbole de la tension interne entre d\u00e9sir et chute, \u00e9l\u00e9vation et effondrement**. Il incarne ce point autour duquel nous construisons — ou \u00e9chouons \u00e0 construire — notre stabilit\u00e9.<\/p>\n

L\u2019auteur semble dire : *m\u00eame nos pri\u00e8res ont un poids*. Et si elles n\u2019en ont pas, elles tombent. Ridicules. C\u2019est ce que diraient ceux dont l\u2019\u00e9quilibre est garanti par l\u2019ext\u00e9rieur : statut, argent, solidit\u00e9 sociale.<\/p>\n

Mais ce texte n\u2019est pas cynique. Il est fragile, lucide, habit\u00e9 d\u2019une qu\u00eate.<\/p>\n

Et c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0, dans cette oscillation m\u00eame, que r\u00e9side sa beaut\u00e9.<\/p>", "content_text": "Peu de mots ont surv\u00e9cu au voyage \u00e0 travers la mati\u00e8re scolaire. Des cours de techno, presque rien ne reste. Mais *barycentre*, si. Un mot massif, presque dr\u00f4le. Quelque chose dans sa sonorit\u00e9 l'emp\u00eache de dispara\u00eetre. Il r\u00e9siste. Il p\u00e8se. Et ce matin, je lis un po\u00e8me. Une premi\u00e8re strate d\u2019\u00e9motion monte, douce. Mais dessous, une autre remue. S\u2019interroge. Je pense au barycentre. \u00c0 l\u2019\u00e9quilibre. \u00c0 ce point muet autour duquel tout tient, ou vacille. M\u00eame nos pri\u00e8res, nos d\u00e9sordres, nos d\u00e9sirs \u2014 eux aussi cherchent, sans le savoir, leur centre de gravit\u00e9. Leur point d\u2019appui. Camille Claudel le savait. Elle sculptait cette tension-l\u00e0 : l\u2019\u00e9lan retenu. Le cri fig\u00e9. Sans barycentre, tout tombe. Et ceux qui tiennent debout, par force ou par fortune, diraient que tomber, c\u2019est ridicule. Mais ils ont juste de bonnes assises. {{sous-conversation}} \u2014 Ce mot. Tu ne sais m\u00eame plus d\u2019o\u00f9 il vient. Mais il est l\u00e0. \u2014 Barycentre. \u00c9norme. Insolite. \u2014 Tu l\u2019as appris ? Tu l\u2019as subi ? \u2014 Il est rest\u00e9. Il a surv\u00e9cu. \u2014 Et maintenant\u2026 un po\u00e8me, une \u0153uvre, et \u00e7a revient. \u2014 Ce n\u2019est pas qu\u2019un mot. C\u2019est un point. Invisible. In\u00e9vitable. \u2014 Tout cherche son centre. M\u00eame toi ? \u2014 Oui. Peut-\u00eatre surtout moi. \u2014 Et eux, les puissants ? Ils croient tenir ? \u2014 Ils oublient qu\u2019eux aussi\u2026 chutent. {{note de travail}} Le patient revient sur un souvenir d\u2019\u00e9cole \u2014 mais ce n\u2019est pas la nostalgie qui travaille ici. C\u2019est un mot. Isol\u00e9. Rescap\u00e9. *Barycentre*. Il en fait le pivot d\u2019une r\u00e9flexion sur l\u2019\u00e9quilibre humain. Et c\u2019est cela qui frappe : la tentative d\u2019ordonner l\u2019\u00e9motion, de **donner une forme \u00e0 ce qui tremble**. L\u2019\u00e9motion esth\u00e9tique (devant un po\u00e8me, devant Claudel) est aussit\u00f4t interrog\u00e9e par une autre strate \u2014 plus mentale, plus inqui\u00e8te. Le barycentre devient alors **symbole de la tension interne entre d\u00e9sir et chute, \u00e9l\u00e9vation et effondrement**. Il incarne ce point autour duquel nous construisons \u2014 ou \u00e9chouons \u00e0 construire \u2014 notre stabilit\u00e9. L\u2019auteur semble dire : *m\u00eame nos pri\u00e8res ont un poids*. Et si elles n\u2019en ont pas, elles tombent. Ridicules. C\u2019est ce que diraient ceux dont l\u2019\u00e9quilibre est garanti par l\u2019ext\u00e9rieur : statut, argent, solidit\u00e9 sociale. Mais ce texte n\u2019est pas cynique. Il est fragile, lucide, habit\u00e9 d\u2019une qu\u00eate. Et c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0, dans cette oscillation m\u00eame, que r\u00e9side sa beaut\u00e9. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/camille-claudel-barycentre.jpg?1748065224", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-octobre-2023.html", "title": "04 octobre 2023", "date_published": "2023-10-04T08:40:00Z", "date_modified": "2025-03-31T08:41:12Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le silence n\u2019est pas toujours d\u2019or. Parfois, il est poison.<\/p>\n

Le silence tue. Il \u00e9touffe \u00e0 petits feux. Il enferme sans trace. Il creuse des tombes sans bruit.<\/p>\n

Si tu ne dis rien, tu consens. C\u2019est ce qu\u2019on veut : que tu consentes. Que tu courbes l\u2019\u00e9chine. Que tu ne poses pas de questions, surtout en r\u00e9union. Reste \u00e0 ta place, tais-toi. Ne d\u00e9range pas. Si personne n\u2019est d\u00e9rang\u00e9, c\u2019est que tout va bien.<\/p>\n

C\u2019est faux. Mais c\u2019est ce qu\u2019on dit.<\/p>\n

Le silence est devenu une idole.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, les r\u00f4les se sont invers\u00e9s : le bruit bavarde, le silence hurle. Parler, c\u2019est meubler le vide. Se taire, c\u2019est parfois crier tout.<\/p>\n

Autrefois, on devenait sage dans le silence. Aujourd\u2019hui, on y devient fou.<\/p>\n

Rien n\u2019est grav\u00e9 pour toujours, m\u00eame pas dans le marbre.<\/p>\n

Alors dis ton silence. \u00c9cris-le. Crie-le.<\/p>\n

Et surtout : ne dis pas ce qu\u2019on dit trop facilement.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Il faut parler. Il faut dire. Tu crois vraiment ?<\/p>\n

— Sinon quoi ?<\/p>\n

— Sinon ils gagnent.<\/p>\n

— Mais tu sais ce que c\u2019est que parler ? Ce que \u00e7a implique ? Ce que \u00e7a d\u00e9clenche ?<\/p>\n

— Je sais ce que \u00e7a co\u00fbte. Mais je sais ce que le silence co\u00fbte aussi.<\/p>\n

— Ce n\u2019est pas que je ne veux pas parler\u2026<\/p>\n

— C\u2019est que tu sais que les mots peuvent servir \u00e0 tout.<\/p>\n

— M\u00eame \u00e0 cacher.<\/p>\n

— Surtout \u00e0 cacher.<\/p>\n

— Et si je parlais du silence lui-m\u00eame ?<\/p>\n

— L\u00e0, peut-\u00eatre, on entendrait.<\/p>\n

— Peut-\u00eatre\u2026<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte a la densit\u00e9 d\u2019un cri r\u00e9prim\u00e9. C\u2019est une parole qui s\u2019avance sur la corde raide entre mutisme impos\u00e9 et n\u00e9cessit\u00e9 de dire. Il ne s\u2019agit pas ici du silence m\u00e9ditatif ou mystique, mais du silence social, institutionnel, celui qui \u00e9crase.<\/p>\n

Le texte met \u00e0 nu une m\u00e9canique : **celui qui se tait n\u2019existe plus — ou devient complice**. Le sujet semble ici pris dans un double bind : parler, c\u2019est parfois trahir. Se taire, c\u2019est toujours se trahir.<\/p>\n

L\u2019identification au Cri de Munch n\u2019est pas anecdotique : le tableau ne montre pas quelqu\u2019un qui hurle, mais quelqu\u2019un **que le monde hurle**. Ce texte aussi est travers\u00e9 par cette onde.<\/p>\n

Et il y a cette phrase magnifique, presque imperceptible : “Parle de ton silence. Tais-toi de ce qui se dit trop facilement.” Le retournement est subtil, mais radical. C\u2019est une \u00e9thique de la parole : **ne dire que ce que le silence a m\u00fbri**.<\/p>\n

Ce texte est \u00e0 garder. \u00c0 agrandir.<\/p>", "content_text": " Le silence n\u2019est pas toujours d\u2019or. Parfois, il est poison. Le silence tue. Il \u00e9touffe \u00e0 petits feux. Il enferme sans trace. Il creuse des tombes sans bruit. Si tu ne dis rien, tu consens. C\u2019est ce qu\u2019on veut : que tu consentes. Que tu courbes l\u2019\u00e9chine. Que tu ne poses pas de questions, surtout en r\u00e9union. Reste \u00e0 ta place, tais-toi. Ne d\u00e9range pas. Si personne n\u2019est d\u00e9rang\u00e9, c\u2019est que tout va bien. C\u2019est faux. Mais c\u2019est ce qu\u2019on dit. Le silence est devenu une idole. Aujourd\u2019hui, les r\u00f4les se sont invers\u00e9s : le bruit bavarde, le silence hurle. Parler, c\u2019est meubler le vide. Se taire, c\u2019est parfois crier tout. Autrefois, on devenait sage dans le silence. Aujourd\u2019hui, on y devient fou. Rien n\u2019est grav\u00e9 pour toujours, m\u00eame pas dans le marbre. Alors dis ton silence. \u00c9cris-le. Crie-le. Et surtout : ne dis pas ce qu\u2019on dit trop facilement. {{sous-conversation}} \u2014 Il faut parler. Il faut dire. Tu crois vraiment ? \u2014 Sinon quoi ? \u2014 Sinon ils gagnent. \u2014 Mais tu sais ce que c\u2019est que parler ? Ce que \u00e7a implique ? Ce que \u00e7a d\u00e9clenche ? \u2014 Je sais ce que \u00e7a co\u00fbte. Mais je sais ce que le silence co\u00fbte aussi. \u2014 Ce n\u2019est pas que je ne veux pas parler\u2026 \u2014 C\u2019est que tu sais que les mots peuvent servir \u00e0 tout. \u2014 M\u00eame \u00e0 cacher. \u2014 Surtout \u00e0 cacher. \u2014 Et si je parlais du silence lui-m\u00eame ? \u2014 L\u00e0, peut-\u00eatre, on entendrait. \u2014 Peut-\u00eatre\u2026 {{note de travail}} Ce texte a la densit\u00e9 d\u2019un cri r\u00e9prim\u00e9. C\u2019est une parole qui s\u2019avance sur la corde raide entre mutisme impos\u00e9 et n\u00e9cessit\u00e9 de dire. Il ne s\u2019agit pas ici du silence m\u00e9ditatif ou mystique, mais du silence social, institutionnel, celui qui \u00e9crase. Le texte met \u00e0 nu une m\u00e9canique : **celui qui se tait n\u2019existe plus \u2014 ou devient complice**. Le sujet semble ici pris dans un double bind : parler, c\u2019est parfois trahir. Se taire, c\u2019est toujours se trahir. L\u2019identification au Cri de Munch n\u2019est pas anecdotique : le tableau ne montre pas quelqu\u2019un qui hurle, mais quelqu\u2019un **que le monde hurle**. Ce texte aussi est travers\u00e9 par cette onde. Et il y a cette phrase magnifique, presque imperceptible : \u201cParle de ton silence. Tais-toi de ce qui se dit trop facilement.\u201d Le retournement est subtil, mais radical. C\u2019est une \u00e9thique de la parole : **ne dire que ce que le silence a m\u00fbri**. Ce texte est \u00e0 garder. \u00c0 agrandir. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/le-cri-munch-silence.webp?1748065235", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/terre-de-lecture-d-ecriture.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/terre-de-lecture-d-ecriture.html", "title": "Terre de lecture, d'\u00e9criture", "date_published": "2023-10-04T08:01:25Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Rejoindre en s\u2019\u00e9cartelant bras t\u00eate et jambes l\u2019ici, comme jadis pouss\u00e9 par la rumeur ce l\u00e0-bas si loin.<\/p>\n

Je dis soudain « Terre » comme en marin.<\/p>\n

Houles et embruns \u00e0 gogo.<\/p>\n

L\u2019\u00e9cume surnage.<\/p>\n

de ce genre dans lequel<\/p>\n

pipe \u00e0 tronche de cap-hornier<\/p>\n

« Au premier voyage \u00e9tait moussaillon.<\/p>\n

Ho hisse, allons !<\/p>\n

Fit l\u2019tour du monde et tant et plus.<\/p>\n

Dit au cap Horn en crachant d\u2019ssus !<\/p>\n

J\u2019t\u2019ai eu ! »<\/p>\n

Puis un mec coiff\u00e9 d\u2019 un Panama est pass\u00e9<\/p>\n

Fini l\u2019aventure aller.<\/p>\n

J\u2019t\u2019aurai encor comme je t\u2019ai eu !<\/p>\n

Du cinqui\u00e8m\u2019 voyage n\u2019est point revenu,<\/p>\n

Good bye, foutu !<\/p>\n

Fit l\u2019tour du monde mais n\u2019en r\u2019vint plus.<\/p>\n

Et le cap Horn en crachant d\u2019ssus,<\/p>\n

Lui dit : j\u2019t\u2019ai eu !<\/p>\n

J\u2019t\u2019ai eu, mon gars,<\/p>\n

mieux qu\u2019tu m\u2019as eu ! (1)<\/p>\n

Non mais sans d\u00e9conner, il n\u2019y a que l\u00e0 que je me sentes en vie, s\u00e9rieux.<\/p>\n

La tourmente m\u2019apaise<\/p>\n

Tout le reste m\u2019embrume<\/p>\n

Tout ce en quoi j\u2019ai cru<\/p>\n

dur comme fer<\/p>\n

C\u2019est tout rouill\u00e9.<\/p>\n

J\u2019avance en nage indienne vers le rivage dreadlocks d\u2019algues sur la t\u00eate.<\/p>\n

Suis-je dead ?<\/p>\n

J\u2019aimerais un de ces quatre toucher terre<\/p>\n

Mais l\u2019espoir est si violent<\/p>\n

continue \u00e0 nager en rond<\/p>\n

avec ma t\u00eate plant\u00e9e dans la carr\u00e9e<\/p>\n

espoir d\u2019y voir un jour pousser<\/p>\n

un bananier bleu encore<\/p>\n

La culpabilit\u00e9 d\u2019\u00eatre sans un radis l\u2019agace toujours autant, au plus haut point. Le culminant pour fulminer. Non qu\u2019il veuille avoir des radis absolument, imp\u00e9rieusement. Non, il r\u00e9siste dans l\u2019ensemble plut\u00f4t bien \u00e0 la pression, \u00e0 l\u2019hallali de l\u2019urgence . S\u2019en d\u00e9tourne plut\u00f4t \u00e9l\u00e9gamment comme un dadais prude, des d\u00e9cisions importantes \u00e0 prendre, ou \u00e0 marquer d\u2019une pierre blanche. Et dont ensuite l\u2019usage impose qu\u2019on frottera son ventre rond de contentement b\u00e9at. Comme vous aurez eu bon nez de prendre telle ou telle en amont de ceci en aval de cela. Non. Lui entretient toujours des doutes envers toute d\u00e9cision. Et quelle injustice de se retrouver toujours plus ou moins coupable d\u2019\u00eatre pauvre. Le sens giratoire de la d\u00e9bine a certes \u00e9t\u00e9 con\u00e7u par les grosses t\u00eates de la voirie. Surtout si, quand cela vous saute au visage, vous ne d\u00e9truisez pas tout sur le passage. Que vous persistiez envers relances et huissiers, ces Rapetou, \u00e0 emprunter sages passages clout\u00e9s. Fakir de la d\u00e8che. Sto\u00efque, brave, imbib\u00e9, implant\u00e9 d\u2019un irlandais implant via Hollywood, oh oui John Wayne te revoilou.<\/p>\n

Dilemme des d\u00e9cisions d\u00e9biles d\u00e9bilitantes.<\/p>\n

En \u00eatre ou ne pas en \u00eatre.<\/p>\n

Du monde. De toute cette chienlit. De toute cette gloire. De ces splendeurs et mis\u00e8res. A tousser tous ces salamalecs interminables. Ces pr\u00e9ambules, ces vestibules, ces antichambres, prologues et pr\u00e9liminaires.<\/p>\n

Pour un peu on cr\u00e9erait une religion pour \u00e9chapper au s\u00e9culier.<\/p>\n

Mais quand est-ce qu\u2019on graille bordel ?<\/p>\n

Puis de l\u2019\u00e9cume de la bave du monstre en soi qui beugle et se lamente, terre ingrate, la graine plant\u00e9e par le p\u00e8re, la m\u00e8re , la cellule familiale, l\u2019\u00e9cole de la R\u00e9publique, la morale judeo-chr\u00e9tienne au gout de carton bouilli, les banques, le rouleau compresseur impitoyable, les totems, les tabous<\/p>\n

La graine.<\/p>\n

Bonne graine ou mauvaise graine va savoir.<\/p>\n

Toujours l\u2019\u00e9trange impression d\u2019avoir pas bien fait, comme si le caca ne choit pas d\u2019entre deux fesses comme il se doit. D\u2019o\u00f9 cette ru\u00e9e vers l\u2019ivresse procur\u00e9e par les lectures, sous la tente des draps, r\u00eaver de rencontrer la f\u00e9e clochette. Peter Pan.<\/p>\n

Pendant que tu r\u00eaves ainsi dans ton caca tu nous fous bien la paix n\u2019est-ce pas.<\/p>\n

La col\u00e8re est une toile vierge. La col\u00e8re est une pate. La col\u00e8re change de couleur et d\u2019outil, pinceau, index, pouce ou couteau. La col\u00e8re se m\u00e9tamorphose de station de m\u00e9tro en station de m\u00e9tro dans le calvaire lent, poussif du m\u00e9tro. Dans tout ce qu\u2019il faut chaque jour endurer d\u2019images, d\u2019odeurs, de sons pour parvenir au normal, \u00e0 gagner son pain. Parlez moi encore d\u2019amour apr\u00e8s cela dit la col\u00e8re. Mais ce ne sont que coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau. La banque en rit, pouffe. Et cette mine compass\u00e9e \u2013 cette caricature affreuse d\u2019empathie- D\u00e9sol\u00e9 vous n\u2019avez plus un radis, qu\u2019est-ce que j\u2019y peux, sucez donc des graviers.<\/p>\n

Ce qui emp\u00eache de se lever alors, de renverser la table, la chaise d\u2019empoigner par le cou le petit con, c\u2019est m\u00eame pas la peur vous savez. C\u2019est du d\u00e9go\u00fbt.<\/p>\n

Le d\u00e9gout de constater o\u00f9 l\u2019Homme est parvenu.<\/p>\n

On serre les dents par r\u00e9flexe. On broie une violence dont on sait tout l\u2019inutile. On ne voudrait surtout pas en rajouter.<\/p>\n

On se met \u00e0 fabriquer du brouillard, une terre, de la boue des tristesses, des ruines, des rages et des ranc\u0153urs. Une terre qu\u2019on abordera comme un nouveau monde de nuit.<\/p>\n

On n\u2019y conquiert rien tout \u00e0 l\u2019inverse.<\/p>\n

Un livre. Une page blanche. Un espace pour des plus profondes profondeurs remonter et respirer.<\/p>\n

Une Terre promise de lecture, d\u2019\u00e9criture.<\/p>\n

Illustration Huile sur toile ( collection priv\u00e9e ) Le pays bleu<\/p>\n

On retrouve la « chanson du Cap-Hornier » dans le livre Cap Horn, Aux Portes du Large d\u2019Henry-Jacques, sorti en 1947. N\u00e9 \u00e0 Nantes, Henry-Jacques (1886-1973) fut cap-hornier<\/p>", "content_text": "Rejoindre en s\u2019\u00e9cartelant bras t\u00eate et jambes l\u2019ici, comme jadis pouss\u00e9 par la rumeur ce l\u00e0-bas si loin. Je dis soudain \u00ab Terre \u00bb comme en marin. Houles et embruns \u00e0 gogo. L\u2019\u00e9cume surnage. de ce genre dans lequel pipe \u00e0 tronche de cap-hornier \u00ab Au premier voyage \u00e9tait moussaillon. Ho hisse, allons ! Fit l\u2019tour du monde et tant et plus. Dit au cap Horn en crachant d\u2019ssus ! J\u2019t\u2019ai eu ! \u00bb Puis un mec coiff\u00e9 d\u2019 un Panama est pass\u00e9 Fini l\u2019aventure aller. J\u2019t\u2019aurai encor comme je t\u2019ai eu ! Du cinqui\u00e8m\u2019 voyage n\u2019est point revenu, Good bye, foutu ! Fit l\u2019tour du monde mais n\u2019en r\u2019vint plus. Et le cap Horn en crachant d\u2019ssus, Lui dit : j\u2019t\u2019ai eu ! J\u2019t\u2019ai eu, mon gars, mieux qu\u2019tu m\u2019as eu ! (1) Non mais sans d\u00e9conner, il n\u2019y a que l\u00e0 que je me sentes en vie, s\u00e9rieux. La tourmente m\u2019apaise Tout le reste m\u2019embrume Tout ce en quoi j\u2019ai cru dur comme fer C\u2019est tout rouill\u00e9. J\u2019avance en nage indienne vers le rivage dreadlocks d\u2019algues sur la t\u00eate. Suis-je dead ? J\u2019aimerais un de ces quatre toucher terre Mais l\u2019espoir est si violent continue \u00e0 nager en rond avec ma t\u00eate plant\u00e9e dans la carr\u00e9e espoir d\u2019y voir un jour pousser un bananier bleu encore La culpabilit\u00e9 d\u2019\u00eatre sans un radis l\u2019agace toujours autant, au plus haut point. Le culminant pour fulminer. Non qu\u2019il veuille avoir des radis absolument, imp\u00e9rieusement. Non, il r\u00e9siste dans l\u2019ensemble plut\u00f4t bien \u00e0 la pression, \u00e0 l\u2019hallali de l\u2019urgence . S\u2019en d\u00e9tourne plut\u00f4t \u00e9l\u00e9gamment comme un dadais prude, des d\u00e9cisions importantes \u00e0 prendre, ou \u00e0 marquer d\u2019une pierre blanche. Et dont ensuite l\u2019usage impose qu\u2019on frottera son ventre rond de contentement b\u00e9at. Comme vous aurez eu bon nez de prendre telle ou telle en amont de ceci en aval de cela. Non. Lui entretient toujours des doutes envers toute d\u00e9cision. Et quelle injustice de se retrouver toujours plus ou moins coupable d\u2019\u00eatre pauvre. Le sens giratoire de la d\u00e9bine a certes \u00e9t\u00e9 con\u00e7u par les grosses t\u00eates de la voirie. Surtout si, quand cela vous saute au visage, vous ne d\u00e9truisez pas tout sur le passage. Que vous persistiez envers relances et huissiers, ces Rapetou, \u00e0 emprunter sages passages clout\u00e9s. Fakir de la d\u00e8che. Sto\u00efque, brave, imbib\u00e9, implant\u00e9 d\u2019un irlandais implant via Hollywood, oh oui John Wayne te revoilou. Dilemme des d\u00e9cisions d\u00e9biles d\u00e9bilitantes. En \u00eatre ou ne pas en \u00eatre. Du monde. De toute cette chienlit. De toute cette gloire. De ces splendeurs et mis\u00e8res. A tousser tous ces salamalecs interminables. Ces pr\u00e9ambules, ces vestibules, ces antichambres, prologues et pr\u00e9liminaires. Pour un peu on cr\u00e9erait une religion pour \u00e9chapper au s\u00e9culier. Mais quand est-ce qu\u2019on graille bordel ? Puis de l\u2019\u00e9cume de la bave du monstre en soi qui beugle et se lamente, terre ingrate, la graine plant\u00e9e par le p\u00e8re, la m\u00e8re , la cellule familiale, l\u2019\u00e9cole de la R\u00e9publique, la morale judeo-chr\u00e9tienne au gout de carton bouilli, les banques, le rouleau compresseur impitoyable, les totems, les tabous La graine. Bonne graine ou mauvaise graine va savoir. Toujours l\u2019\u00e9trange impression d\u2019avoir pas bien fait, comme si le caca ne choit pas d\u2019entre deux fesses comme il se doit. D\u2019o\u00f9 cette ru\u00e9e vers l\u2019ivresse procur\u00e9e par les lectures, sous la tente des draps, r\u00eaver de rencontrer la f\u00e9e clochette. Peter Pan. Pendant que tu r\u00eaves ainsi dans ton caca tu nous fous bien la paix n\u2019est-ce pas. La col\u00e8re est une toile vierge. La col\u00e8re est une pate. La col\u00e8re change de couleur et d\u2019outil, pinceau, index, pouce ou couteau. La col\u00e8re se m\u00e9tamorphose de station de m\u00e9tro en station de m\u00e9tro dans le calvaire lent, poussif du m\u00e9tro. Dans tout ce qu\u2019il faut chaque jour endurer d\u2019images, d\u2019odeurs, de sons pour parvenir au normal, \u00e0 gagner son pain. Parlez moi encore d\u2019amour apr\u00e8s cela dit la col\u00e8re. Mais ce ne sont que coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau. La banque en rit, pouffe. Et cette mine compass\u00e9e \u2013 cette caricature affreuse d\u2019empathie- D\u00e9sol\u00e9 vous n\u2019avez plus un radis, qu\u2019est-ce que j\u2019y peux, sucez donc des graviers. Ce qui emp\u00eache de se lever alors, de renverser la table, la chaise d\u2019empoigner par le cou le petit con, c\u2019est m\u00eame pas la peur vous savez. C\u2019est du d\u00e9go\u00fbt. Le d\u00e9gout de constater o\u00f9 l\u2019Homme est parvenu. On serre les dents par r\u00e9flexe. On broie une violence dont on sait tout l\u2019inutile. On ne voudrait surtout pas en rajouter. On se met \u00e0 fabriquer du brouillard, une terre, de la boue des tristesses, des ruines, des rages et des ranc\u0153urs. Une terre qu\u2019on abordera comme un nouveau monde de nuit. On n\u2019y conquiert rien tout \u00e0 l\u2019inverse. Un livre. Une page blanche. Un espace pour des plus profondes profondeurs remonter et respirer. Une Terre promise de lecture, d\u2019\u00e9criture. Illustration Huile sur toile ( collection priv\u00e9e ) Le pays bleu On retrouve la \u00ab chanson du Cap-Hornier \u00bb dans le livre Cap Horn, Aux Portes du Large d\u2019Henry-Jacques, sorti en 1947. N\u00e9 \u00e0 Nantes, Henry-Jacques (1886-1973) fut cap-hornier", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/le_pays_bleu.png?1748065070", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-859.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-859.html", "title": "03 octobre 2023", "date_published": "2023-10-03T08:28:00Z", "date_modified": "2025-03-31T08:28:52Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Rejoindre. En s\u2019\u00e9cartelant — bras, t\u00eate, jambes — l\u2019ici, comme jadis, pouss\u00e9 par la rumeur d\u2019un l\u00e0-bas trop lointain.<\/p>\n

Je crie “Terre !” comme un marin hallucin\u00e9.<\/p>\n

Houles, embruns, \u00e9cumes. Tout surnage.<\/p>\n

Il avait une pipe, gueule de cap-hornier :\n
— Premier voyage, moussaillon. Ho hisse ! Fit l\u2019tour du monde. Cracha sur le cap Horn : “J\u2019t\u2019ai eu !”
\nMais au cinqui\u00e8me, il rentra pas. Et le cap, ricanant : “Non, c\u2019est moi qui t\u2019ai eu !”<\/p>\n

Et moi, sans d\u00e9conner, c\u2019est l\u00e0 — seulement l\u00e0 — que je me sens en vie. La tourmente m\u2019apaise. Tout le reste m\u2019embrume.<\/p>\n

Tout ce en quoi j\u2019ai cru dur comme fer : rouill\u00e9.<\/p>\n

Je nage en silence vers une rive que je vois pas, algues en dreadlocks, t\u00eate dans le carr\u00e9. Est-ce que je suis dead ?<\/p>\n

J\u2019aimerais un jour toucher terre. Mais l\u2019espoir, c\u2019est violent, c\u2019est circulaire. Un bananier bleu pourrait y pousser. Ou rien.<\/p>\n

\u00catre pauvre, \u00e7a l\u2019agace, oui. Pas d\u2019avoir pas, non. Mais cette injonction rampante \u00e0 avoir. Cette culpabilit\u00e9 sociale qui suinte de partout. Cette logique de radis et de honte. Et lui — sto\u00efque, flou\u00e9, John Wayne dans le RER — endure. Fakir de la d\u00e8che.<\/p>\n

Et le dilemme revient : \u00eatre ou pas de ce monde. Cette foire. Cette chienlit. Ces vestibules et leurs \u00e9ternels pr\u00e9liminaires. Pour un peu, on fonderait une religion, rien que pour \u00e9chapper au quotidien.<\/p>\n

Mais bordel, quand est-ce qu\u2019on graille ?<\/p>\n

Pendant ce temps, la bave du monstre en soi, la graine plant\u00e9e par mille totems, se gorge de col\u00e8re.<\/p>\n

Bonne ou mauvaise, va savoir.<\/p>\n

On r\u00eave sous les draps. Peter Pan dans la merde. On fout la paix \u00e0 tout le monde tant qu\u2019on y reste.<\/p>\n

Et la col\u00e8re... p\u00e2te, index, couteau. Une toile blanche. Une station de m\u00e9tro. Une lente avanc\u00e9e dans la puanteur du r\u00e9el. Parlez-moi encore d\u2019amour, oui, apr\u00e8s tout \u00e7a. La banque pouffe.<\/p>\n

Mais ce qui emp\u00eache de se lever, de tout casser, c\u2019est pas la peur.<\/p>\n

C\u2019est le d\u00e9go\u00fbt.<\/p>\n

Alors on fabrique. Du brouillard. De la boue. Une terre de ruines. Une nuit nouvelle. On y conquiert rien. On y creuse. On y \u00e9crit.<\/p>\n

Un livre. Une page blanche.<\/p>\n

Une Terre promise. Par les mots.<\/p>\n

(huile sur toile \u2013 Le pays bleu)<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Encore ce cap Horn\u2026 encore ce cri.\n
— C\u2019est pas un cap, c\u2019est un mur.\n
— Et toi, t\u2019as crach\u00e9 ? Ou t\u2019as juste regard\u00e9 ?\n
— Il t\u2019a eu, hein ?\n
— Oui. Il m\u2019a eu. Comme tous les autres.\n
— T\u2019en fais quoi de \u00e7a ?\n
— Rien. J\u2019\u00e9cris. Je flotte.\n
— Tu veux \u00eatre pauvre, mais propre.\n
— Mais la d\u00e8che t\u2019impr\u00e8gne.\n
— Et tu r\u00eaves\u2026 toujours. M\u00eame dans ton caca.\n
— Tu crois encore \u00e0 la f\u00e9e ?\n
— Non. Mais j\u2019aime l\u2019attendre.\n
— Et cette col\u00e8re ? Tu la dresses ?\n
— Je la peins. J\u2019y plonge les doigts. J\u2019\u00e9cris avec.<\/p>\n


\nnote de travail<\/strong><\/p>\n

La parole ici est en crue. Il ne s\u2019agit pas d\u2019une confession, mais d\u2019un orage. Ce texte est un sympt\u00f4me, mais aussi une tentative de soin. Il contient des fractures sociales, historiques, intimes. Il travaille — au sens le plus noble.<\/p>\n

Tout est l\u00e0 : la pauvret\u00e9 v\u00e9cue comme honte impos\u00e9e ; le d\u00e9sir d\u2019\u00e9vasion contrari\u00e9 ; l\u2019imaginaire bless\u00e9 mais encore f\u00e9cond ; l\u2019alcool, la mer, les mythes d\u2019enfance, les injonctions sociales, les humiliations bancaires.<\/p>\n

Et surtout, une phrase : “Ce n\u2019est pas la peur, c\u2019est le d\u00e9go\u00fbt.”<\/p>\n

Ce d\u00e9go\u00fbt n\u2019est pas celui de soi. Il est celui du monde, tel qu\u2019il s\u2019impose. Ce texte ne crie pas pour \u00eatre entendu. Il crie pour survivre. Il crie pour ne pas tout casser.<\/p>\n

L\u2019auteur n\u2019\u00e9rige pas de barricade. Il \u00e9rige un livre. Une page blanche comme radeau.<\/p>\n

C\u2019est, peut-\u00eatre, cela la vraie insurrection.<\/p>", "content_text": " Rejoindre. En s\u2019\u00e9cartelant \u2014 bras, t\u00eate, jambes \u2014 l\u2019ici, comme jadis, pouss\u00e9 par la rumeur d\u2019un l\u00e0-bas trop lointain. Je crie \u201cTerre !\u201d comme un marin hallucin\u00e9. Houles, embruns, \u00e9cumes. Tout surnage. Il avait une pipe, gueule de cap-hornier : \u2014 Premier voyage, moussaillon. Ho hisse ! Fit l\u2019tour du monde. Cracha sur le cap Horn : \u201cJ\u2019t\u2019ai eu !\u201d Mais au cinqui\u00e8me, il rentra pas. Et le cap, ricanant : \u201cNon, c\u2019est moi qui t\u2019ai eu !\u201d Et moi, sans d\u00e9conner, c\u2019est l\u00e0 \u2014 seulement l\u00e0 \u2014 que je me sens en vie. La tourmente m\u2019apaise. Tout le reste m\u2019embrume. Tout ce en quoi j\u2019ai cru dur comme fer : rouill\u00e9. Je nage en silence vers une rive que je vois pas, algues en dreadlocks, t\u00eate dans le carr\u00e9. Est-ce que je suis dead ? J\u2019aimerais un jour toucher terre. Mais l\u2019espoir, c\u2019est violent, c\u2019est circulaire. Un bananier bleu pourrait y pousser. Ou rien. \u00catre pauvre, \u00e7a l\u2019agace, oui. Pas d\u2019avoir pas, non. Mais cette injonction rampante \u00e0 avoir. Cette culpabilit\u00e9 sociale qui suinte de partout. Cette logique de radis et de honte. Et lui \u2014 sto\u00efque, flou\u00e9, John Wayne dans le RER \u2014 endure. Fakir de la d\u00e8che. Et le dilemme revient : \u00eatre ou pas de ce monde. Cette foire. Cette chienlit. Ces vestibules et leurs \u00e9ternels pr\u00e9liminaires. Pour un peu, on fonderait une religion, rien que pour \u00e9chapper au quotidien. Mais bordel, quand est-ce qu\u2019on graille ? Pendant ce temps, la bave du monstre en soi, la graine plant\u00e9e par mille totems, se gorge de col\u00e8re. Bonne ou mauvaise, va savoir. On r\u00eave sous les draps. Peter Pan dans la merde. On fout la paix \u00e0 tout le monde tant qu\u2019on y reste. Et la col\u00e8re... p\u00e2te, index, couteau. Une toile blanche. Une station de m\u00e9tro. Une lente avanc\u00e9e dans la puanteur du r\u00e9el. Parlez-moi encore d\u2019amour, oui, apr\u00e8s tout \u00e7a. La banque pouffe. Mais ce qui emp\u00eache de se lever, de tout casser, c\u2019est pas la peur. C\u2019est le d\u00e9go\u00fbt. Alors on fabrique. Du brouillard. De la boue. Une terre de ruines. Une nuit nouvelle. On y conquiert rien. On y creuse. On y \u00e9crit. Un livre. Une page blanche. Une Terre promise. Par les mots. (huile sur toile \u2013 Le pays bleu) {{sous-conversation}} \u2014 Encore ce cap Horn\u2026 encore ce cri. \u2014 C\u2019est pas un cap, c\u2019est un mur. \u2014 Et toi, t\u2019as crach\u00e9 ? Ou t\u2019as juste regard\u00e9 ? \u2014 Il t\u2019a eu, hein ? \u2014 Oui. Il m\u2019a eu. Comme tous les autres. \u2014 T\u2019en fais quoi de \u00e7a ? \u2014 Rien. J\u2019\u00e9cris. Je flotte. \u2014 Tu veux \u00eatre pauvre, mais propre. \u2014 Mais la d\u00e8che t\u2019impr\u00e8gne. \u2014 Et tu r\u00eaves\u2026 toujours. M\u00eame dans ton caca. \u2014 Tu crois encore \u00e0 la f\u00e9e ? \u2014 Non. Mais j\u2019aime l\u2019attendre. \u2014 Et cette col\u00e8re ? Tu la dresses ? \u2014 Je la peins. J\u2019y plonge les doigts. J\u2019\u00e9cris avec. {{ note de travail}} La parole ici est en crue. Il ne s\u2019agit pas d\u2019une confession, mais d\u2019un orage. Ce texte est un sympt\u00f4me, mais aussi une tentative de soin. Il contient des fractures sociales, historiques, intimes. Il travaille \u2014 au sens le plus noble. Tout est l\u00e0 : la pauvret\u00e9 v\u00e9cue comme honte impos\u00e9e ; le d\u00e9sir d\u2019\u00e9vasion contrari\u00e9 ; l\u2019imaginaire bless\u00e9 mais encore f\u00e9cond ; l\u2019alcool, la mer, les mythes d\u2019enfance, les injonctions sociales, les humiliations bancaires. Et surtout, une phrase : \u201cCe n\u2019est pas la peur, c\u2019est le d\u00e9go\u00fbt.\u201d Ce d\u00e9go\u00fbt n\u2019est pas celui de soi. Il est celui du monde, tel qu\u2019il s\u2019impose. Ce texte ne crie pas pour \u00eatre entendu. Il crie pour survivre. Il crie pour ne pas tout casser. L\u2019auteur n\u2019\u00e9rige pas de barricade. Il \u00e9rige un livre. Une page blanche comme radeau. C\u2019est, peut-\u00eatre, cela la vraie insurrection. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/le-pays-bleu.webp?1748065123", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-858.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-858.html", "title": "03 octobre 2023", "date_published": "2023-10-03T08:22:00Z", "date_modified": "2025-03-31T08:22:39Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

r\u00e9ecrire un texte de G. Bataille dans Madame Edwarda.<\/strong><\/p>\n

Au coin d\u2019une rue, l\u2019angoisse — une angoisse \u00e2cre, saline, presque exaltante — me lac\u00e9ra tout entier. Peut-\u00eatre \u00e0 cause de deux filles, entrevue furtive dans l\u2019escalier d\u2019un lavabo. \u00c0 ces moments, je sens monter cette envie obscure : me vomir. Me renverser. M\u2019\u00e9vider. Il faudrait me mettre nu, ou elles. Que leur peau ti\u00e8de, leur fadeur charnelle, me ram\u00e8ne au silence. Mais je pris le d\u00e9tour le plus pauvre : un pernod au comptoir, bu d\u2019un trait. Puis un autre. Puis encore.<\/p>\n

La nuit tombait — noire, nue.<\/p>\n

Je me mis \u00e0 marcher, titubant, entre Poissonni\u00e8re et Saint-Denis. Ivresse et solitude se nouaient. La nuit, dans ces rues d\u00e9sertes, m\u2019offrait sa nudit\u00e9. Alors, je retirai mon pantalon, le jetai sur mon bras. J\u2019aurais voulu que la fra\u00eecheur de la nuit s\u2019insinue dans mes jambes, qu\u2019elle p\u00e9n\u00e8tre, lave, emporte. Une libert\u00e9 folle me portait. Je me sentais grandir. Dans ma main, je tenais mon sexe, dress\u00e9 comme une affirmation, un refus.<\/p>\n

(J\u2019aurais pu taire cela. M\u2019offrir un d\u00e9tour, une d\u00e9cence. Mais non. L\u2019entr\u00e9e est dure. Il fallait ce heurt. Je continue — plus dur encore.)<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— L\u00e0. L\u00e0, \u00e7a vient. Cette secousse, cette vague — l\u2019angoisse ? Non, plus. L\u2019\u00e9lan.<\/p>\n

— Tu les as vues ? Ou tu les as invent\u00e9es ?<\/p>\n

— Peu importe. C\u2019est le corps qui s\u2019est tendu, la gorge, l\u2019envie.<\/p>\n

— Et ce pernod\u2026 pour faire passer quoi ?<\/p>\n

— Pour emp\u00eacher d\u2019exploser.<\/p>\n

— Et la rue ? Tu cherches quoi dans cette nudit\u00e9-l\u00e0 ?<\/p>\n

— \u00catre plus nu qu\u2019elle. Plus vrai. Plus hors de tout.<\/p>\n

— C\u2019est obsc\u00e8ne.<\/p>\n

— C\u2019est sacr\u00e9.<\/p>\n

— C\u2019est ton commencement, ta coupure.<\/p>\n

— Et si tu continuais encore\u2026 plus bas, plus cru ?<\/p>\n

— Je suis d\u00e9j\u00e0 l\u00e0.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Ce texte est une plong\u00e9e brutale dans un moment de d\u00e9sint\u00e9gration du sujet. Le patient (ou plut\u00f4t, l\u2019\u00e9crivain-patient) entre dans une phase o\u00f9 le d\u00e9sir, l\u2019angoisse et la dissolution du moi sont intriqu\u00e9s.<\/p>\n

La vue furtive des filles d\u00e9clenche une crise — non pas une simple excitation, mais une **violence int\u00e9rieure, une naus\u00e9e ontologique**. Ce n\u2019est pas le corps des autres qu\u2019il convoite : c\u2019est **l\u2019effondrement du sien** qu\u2019il r\u00e9clame. Il veut s\u2019arracher \u00e0 lui-m\u00eame.<\/p>\n

Le pernod, l\u2019alcool, l\u2019errance : autant de moyens de se perdre. Mais surtout, il y a cette sc\u00e8ne puissante : se d\u00e9nuder dans la nuit nue, dans des rues vides. La nudit\u00e9 devient un **rite sacrificiel**, un d\u00e9sir d\u2019effacement ou de d\u00e9passement.<\/p>\n

Et puis cette phrase-miroir : « J\u2019aurais pu \u00e9viter cela. Mais je continue — plus dur. » Le patient sait. Il sait ce qu\u2019il fait. Il s\u2019expose, il s\u2019agresse, il transgresse. C\u2019est une forme d\u2019**auto-sacrifice litt\u00e9raire**. L\u2019obsc\u00e8ne ici n\u2019est jamais gratuit : c\u2019est un passage, une br\u00fblure n\u00e9cessaire.<\/p>\n

Ce texte, comme une psychanalyse, ne commence pas par la surface. Il entre directement dans la plaie.<\/p>\n

\u00e0 voir cet article pour l’illustration et le contenu<\/a><\/p>", "content_text": "{{r\u00e9ecrire un texte de G. Bataille dans Madame Edwarda.}} Au coin d\u2019une rue, l\u2019angoisse \u2014 une angoisse \u00e2cre, saline, presque exaltante \u2014 me lac\u00e9ra tout entier. Peut-\u00eatre \u00e0 cause de deux filles, entrevue furtive dans l\u2019escalier d\u2019un lavabo. \u00c0 ces moments, je sens monter cette envie obscure : me vomir. Me renverser. M\u2019\u00e9vider. Il faudrait me mettre nu, ou elles. Que leur peau ti\u00e8de, leur fadeur charnelle, me ram\u00e8ne au silence. Mais je pris le d\u00e9tour le plus pauvre : un pernod au comptoir, bu d\u2019un trait. Puis un autre. Puis encore. La nuit tombait \u2014 noire, nue. Je me mis \u00e0 marcher, titubant, entre Poissonni\u00e8re et Saint-Denis. Ivresse et solitude se nouaient. La nuit, dans ces rues d\u00e9sertes, m\u2019offrait sa nudit\u00e9. Alors, je retirai mon pantalon, le jetai sur mon bras. J\u2019aurais voulu que la fra\u00eecheur de la nuit s\u2019insinue dans mes jambes, qu\u2019elle p\u00e9n\u00e8tre, lave, emporte. Une libert\u00e9 folle me portait. Je me sentais grandir. Dans ma main, je tenais mon sexe, dress\u00e9 comme une affirmation, un refus. (J\u2019aurais pu taire cela. M\u2019offrir un d\u00e9tour, une d\u00e9cence. Mais non. L\u2019entr\u00e9e est dure. Il fallait ce heurt. Je continue \u2014 plus dur encore.) {{sous-conversation}} \u2014 L\u00e0. L\u00e0, \u00e7a vient. Cette secousse, cette vague \u2014 l\u2019angoisse ? Non, plus. L\u2019\u00e9lan. \u2014 Tu les as vues ? Ou tu les as invent\u00e9es ? \u2014 Peu importe. C\u2019est le corps qui s\u2019est tendu, la gorge, l\u2019envie. \u2014 Et ce pernod\u2026 pour faire passer quoi ? \u2014 Pour emp\u00eacher d\u2019exploser. \u2014 Et la rue ? Tu cherches quoi dans cette nudit\u00e9-l\u00e0 ? \u2014 \u00catre plus nu qu\u2019elle. Plus vrai. Plus hors de tout. \u2014 C\u2019est obsc\u00e8ne. \u2014 C\u2019est sacr\u00e9. \u2014 C\u2019est ton commencement, ta coupure. \u2014 Et si tu continuais encore\u2026 plus bas, plus cru ? \u2014 Je suis d\u00e9j\u00e0 l\u00e0. {{note de travail}} Ce texte est une plong\u00e9e brutale dans un moment de d\u00e9sint\u00e9gration du sujet. Le patient (ou plut\u00f4t, l\u2019\u00e9crivain-patient) entre dans une phase o\u00f9 le d\u00e9sir, l\u2019angoisse et la dissolution du moi sont intriqu\u00e9s. La vue furtive des filles d\u00e9clenche une crise \u2014 non pas une simple excitation, mais une **violence int\u00e9rieure, une naus\u00e9e ontologique**. Ce n\u2019est pas le corps des autres qu\u2019il convoite : c\u2019est **l\u2019effondrement du sien** qu\u2019il r\u00e9clame. Il veut s\u2019arracher \u00e0 lui-m\u00eame. Le pernod, l\u2019alcool, l\u2019errance : autant de moyens de se perdre. Mais surtout, il y a cette sc\u00e8ne puissante : se d\u00e9nuder dans la nuit nue, dans des rues vides. La nudit\u00e9 devient un **rite sacrificiel**, un d\u00e9sir d\u2019effacement ou de d\u00e9passement. Et puis cette phrase-miroir : \"J\u2019aurais pu \u00e9viter cela. Mais je continue \u2014 plus dur.\" Le patient sait. Il sait ce qu\u2019il fait. Il s\u2019expose, il s\u2019agresse, il transgresse. C\u2019est une forme d\u2019**auto-sacrifice litt\u00e9raire**. L\u2019obsc\u00e8ne ici n\u2019est jamais gratuit : c\u2019est un passage, une br\u00fblure n\u00e9cessaire. Ce texte, comme une psychanalyse, ne commence pas par la surface. Il entre directement dans la plaie. [\u00e0 voir cet article pour l'illustration et le contenu->https:\/\/avotreservice.net\/notes\/madame-edwarda] ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/madame-edwarda.jpg?1748065108", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-857.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-857.html", "title": "03 octobre 2023", "date_published": "2023-10-03T08:12:00Z", "date_modified": "2025-03-31T08:13:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Figure. Faire bonne — se casser la — si tu te — qu\u2019\u00e7a va qu\u2019\u00e7a.<\/p>\n

Au sens propre comme au figur\u00e9.<\/p>\n

Il n\u2019avait pas de face. Elle, pas de fa\u00e7ade.<\/p>\n

On se dit, se tait, se devine — tellement de choses<\/p>\n

\u2026Toi, tu t\u2019accroches \u00e0 l\u2019id\u00e9e que \u00e7a se passe comme \u00e7a. Pas autrement.<\/p>\n

Et puis tout s\u2019ach\u00e8ve. Toujours.<\/p>\n

Par une mine de dix pieds de large. Bien creus\u00e9e. Bien noire.<\/p>\n

*<\/p>\n

(Travail d\u2019\u00e9l\u00e8ve, fusain sur papier. Le trait h\u00e9site. La ligne tremble. On n\u2019efface pas ce qu\u2019on n\u2019a pas dit.)<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— Figure\u2026 quoi ? \u00c7a commence mais\u2026 tu sais pas\u2026\n
— Justement. Tu crois que \u00e7a tient ?\n
— Faire bonne figure ? Ou casser la tienne ?\n
— Il n\u2019avait pas de face. C\u2019est pas une image.\n
— Non. C\u2019est \u00e7a. Juste \u00e7a.\n
— Et elle ? Fa\u00e7ade effondr\u00e9e.\n
— Le langage s\u2019\u00e9croule.\n
— C\u2019est des formules mortes. On les conna\u00eet trop. On les r\u00e9p\u00e8te. On les oublie.\n
— Et \u00e0 la fin ? C\u2019est une mine.\n
— Une vraie. Ou juste\u2026 la gueule qu\u2019on tire.\n
— Et le fusain ? Il dit tout \u00e7a ?\n
— Il l\u2019efface en m\u00eame temps qu\u2019il l\u2019\u00e9crit.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Je lis ce fragment comme un exercice sur le bord de l\u2019effondrement linguistique. L\u2019\u00e9l\u00e8ve — car il s\u2019agit peut-\u00eatre d\u2019un sujet en formation, en « travail d\u2019\u00e9l\u00e8ve » — explore ici non pas tant le silence, que **la disparition du dicible**.<\/p>\n

Les expressions fig\u00e9es sont volontairement bris\u00e9es, suspendues. C\u2019est une tentative de reprendre possession d\u2019un langage trop us\u00e9. Les formules ne sont plus des protections, elles sont des pi\u00e8ges.<\/p>\n

« Il n\u2019avait pas de face, elle pas de\u2026 » — il y a l\u00e0 une **disparition des identit\u00e9s par l\u2019\u00e9nonciation m\u00eame**, comme si parler, c\u2019\u00e9tait se d\u00e9rober. L\u2019ellipse agit ici comme un sympt\u00f4me : le mot manque, parce qu\u2019il est trop charg\u00e9, trop risqu\u00e9, ou d\u00e9j\u00e0 trop entendu.<\/p>\n

Le mot « mine », enfin, est \u00e0 double fond : **explosif, creus\u00e9, facial**. Tout s\u2019ach\u00e8ve l\u00e0 — sur ce terrain instable, noirci de fusain, o\u00f9 les visages sont absents, o\u00f9 les phrases b\u00e9gaient.<\/p>\n

Il ne s\u2019agit pas d\u2019un mutisme, mais d\u2019un langage **creus\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 l\u2019os**.<\/p>\n

Une \u00e9criture mini\u00e8re, vraiment.<\/p>", "content_text": "Figure. Faire bonne \u2014 se casser la \u2014 si tu te \u2014 qu\u2019\u00e7a va qu\u2019\u00e7a. Au sens propre comme au figur\u00e9. Il n\u2019avait pas de face. Elle, pas de fa\u00e7ade. On se dit, se tait, se devine \u2014 tellement de choses \u2026Toi, tu t\u2019accroches \u00e0 l\u2019id\u00e9e que \u00e7a se passe comme \u00e7a. Pas autrement. Et puis tout s\u2019ach\u00e8ve. Toujours. Par une mine de dix pieds de large. Bien creus\u00e9e. Bien noire. * (Travail d\u2019\u00e9l\u00e8ve, fusain sur papier. Le trait h\u00e9site. La ligne tremble. On n\u2019efface pas ce qu\u2019on n\u2019a pas dit.) {{sous-conversation}} \u2014 Figure\u2026 quoi ? \u00c7a commence mais\u2026 tu sais pas\u2026 \u2014 Justement. Tu crois que \u00e7a tient ? \u2014 Faire bonne figure ? Ou casser la tienne ? \u2014 Il n\u2019avait pas de face. C\u2019est pas une image. \u2014 Non. C\u2019est \u00e7a. Juste \u00e7a. \u2014 Et elle ? Fa\u00e7ade effondr\u00e9e. \u2014 Le langage s\u2019\u00e9croule. \u2014 C\u2019est des formules mortes. On les conna\u00eet trop. On les r\u00e9p\u00e8te. On les oublie. \u2014 Et \u00e0 la fin ? C\u2019est une mine. \u2014 Une vraie. Ou juste\u2026 la gueule qu\u2019on tire. \u2014 Et le fusain ? Il dit tout \u00e7a ? \u2014 Il l\u2019efface en m\u00eame temps qu\u2019il l\u2019\u00e9crit. {{note de travail}} Je lis ce fragment comme un exercice sur le bord de l\u2019effondrement linguistique. L\u2019\u00e9l\u00e8ve \u2014 car il s\u2019agit peut-\u00eatre d\u2019un sujet en formation, en \"travail d\u2019\u00e9l\u00e8ve\" \u2014 explore ici non pas tant le silence, que **la disparition du dicible**. Les expressions fig\u00e9es sont volontairement bris\u00e9es, suspendues. C\u2019est une tentative de reprendre possession d\u2019un langage trop us\u00e9. Les formules ne sont plus des protections, elles sont des pi\u00e8ges. \"Il n\u2019avait pas de face, elle pas de\u2026\" \u2014 il y a l\u00e0 une **disparition des identit\u00e9s par l\u2019\u00e9nonciation m\u00eame**, comme si parler, c\u2019\u00e9tait se d\u00e9rober. L\u2019ellipse agit ici comme un sympt\u00f4me : le mot manque, parce qu\u2019il est trop charg\u00e9, trop risqu\u00e9, ou d\u00e9j\u00e0 trop entendu. Le mot \"mine\", enfin, est \u00e0 double fond : **explosif, creus\u00e9, facial**. Tout s\u2019ach\u00e8ve l\u00e0 \u2014 sur ce terrain instable, noirci de fusain, o\u00f9 les visages sont absents, o\u00f9 les phrases b\u00e9gaient. Il ne s\u2019agit pas d\u2019un mutisme, mais d\u2019un langage **creus\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 l\u2019os**. Une \u00e9criture mini\u00e8re, vraiment. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/travail-eleve-fusain.webp?1748065081", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023.html", "title": "03 octobre 2023", "date_published": "2023-10-03T08:05:00Z", "date_modified": "2025-03-31T08:05:46Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Et de nos plaintes<\/p>\n

comme du vent dans les arbres —<\/p>\n

bruissement sans fin,<\/p>\n

bruit de fond de fin de temps,<\/p>\n

un barrage de silence<\/p>\n

s\u2019\u00e9rige, s\u2019oppose.<\/p>\n

Ponctu\u00e9 parfois d\u2019un p\u00e9piement d\u2019oiseau,<\/p>\n

d\u2019une sonnette de v\u00e9lo,<\/p>\n

d\u2019un m\u00e9tro qui passe<\/p>\n

kif kif bourricot.<\/p>\n

Je ne suis pas d\u2019accord pour \u00eatre triste aujourd\u2019hui.<\/p>\n

Pas encore une fois.<\/p>\n

Pas encore \u00eatre jet\u00e9 \u00e0 bas, humili\u00e9, r\u00e9duit \u00e0 rien.<\/p>\n

Je ne suis pas d\u2019accord.<\/p>\n

Mais eux, ils sont les plus forts.<\/p>\n

Ils ont la loi pour eux, vous savez.<\/p>\n

Et nous ? Juste nos yeux pour pleurer.<\/p>\n

Et la vie reprend comme si de rien.<\/p>\n

Exactement.<\/p>\n

Juste l\u00e0, au beau milieu,<\/p>\n

une ar\u00eate en gorge,<\/p>\n

une rouelle de rat blanc dans la cervelle.<\/p>\n

On maugr\u00e9e au gr\u00e9 du vent mauvais.<\/p>\n

Les r\u00e9volutions ? Sang et cendres.<\/p>\n

Finissent vinaigre en salade.<\/p>\n

Les r\u00e9voltes refroidissent<\/p>\n

comme des bols de soupe oubli\u00e9s<\/p>\n

devant la t\u00e9l\u00e9.<\/p>\n

Elle disait qu\u2019elle n\u2019en avait pas pour son espoir, son argent.<\/p>\n

Elle le disait souvent. Qu\u2019elle regrettait.<\/p>\n

Et lui ? Il regardait de biais.<\/p>\n

Il ne savait plus que faire.<\/p>\n

Alors il se tut.<\/p>\n

Serrant les dents<\/p>\n

jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elles \u00e9clatent en silence,<\/p>\n

comme des vitres int\u00e9rieures.<\/p>\n

Il ravala. Encore.<\/p>\n

Ce qui est beau l\u2019est depuis si longtemps<\/p>\n

qu\u2019on n\u2019y voit plus rien.<\/p>\n

Et le laid aussi.<\/p>\n

Alors ce beau-l\u00e0 — ce beau ancr\u00e9 —<\/p>\n

est devenu laid.<\/p>\n

Do r\u00e9 mi<\/p>\n

mi r\u00e9 do.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— On n\u2019a plus envie, tu comprends ?\n
— De plier.\n
— Encore une fois ?\n
— Oui, encore. Toujours.<\/p>\n

— Ils sont plus forts. Ils ont la loi.<\/p>\n

— Et nous ?<\/p>\n

— Rien.<\/p>\n

— Si. Le bruit.<\/p>\n

— Le vent. Les arbres. La gorge.<\/p>\n

— Mais \u00e7a suffit pas.<\/p>\n

— C\u2019est \u00e7a le pire : que \u00e7a ne suffise pas.<\/p>\n

— Et pourtant, on revient. On r\u00e9\u00e9crit. On maugr\u00e9e.<\/p>\n

— Un r\u00e2le, une note. Une ar\u00eate.<\/p>\n

— Do. R\u00e9. Mi.<\/p>\n

— La musique du trop-plein.<\/p>\n

— Celle qu\u2019on ravale.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Un texte-nerf. Un texte-\u00e9piderme. Le sujet n\u2019\u00e9crit pas ici pour dire, mais pour d\u00e9faire ce qui le serre, ce qui l\u2019\u00e9touffe. Il y a une col\u00e8re, oui, mais ce n\u2019est pas une explosion : c\u2019est un repli. Une r\u00e9tention. Le corps implose sous la r\u00e9p\u00e9tition du m\u00e9pris.<\/p>\n

La formule est brutale mais exacte : « ils ont la loi pour eux ». Le sentiment d\u2019injustice est ancr\u00e9, ancien. Il traverse les g\u00e9n\u00e9rations (la femme qui regrette), les sexes (lui, silencieux), et s\u2019incarne dans la bouche : dents serr\u00e9es, ravale tout.<\/p>\n

C\u2019est un po\u00e8me politique, mais sans drapeau. Un texte de combat int\u00e9rieur, pas de slogan. Le « do r\u00e9 mi » qui cl\u00f4t n\u2019est pas innocent : c\u2019est une **notation du d\u00e9risoire**, ou une **gamme de l\u2019infantile**, un retour \u00e0 la base, apr\u00e8s l\u2019implosion.<\/p>\n

Il n\u2019y a pas de solution dans ce texte. Mais il y a un refus. Un refus lucide, articul\u00e9, profond\u00e9ment vivant.<\/p>\n

Et ce refus, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 un souffle.<\/p>", "content_text": " Et de nos plaintes comme du vent dans les arbres \u2014 bruissement sans fin, bruit de fond de fin de temps, un barrage de silence s\u2019\u00e9rige, s\u2019oppose. Ponctu\u00e9 parfois d\u2019un p\u00e9piement d\u2019oiseau, d\u2019une sonnette de v\u00e9lo, d\u2019un m\u00e9tro qui passe kif kif bourricot. Je ne suis pas d\u2019accord pour \u00eatre triste aujourd\u2019hui. Pas encore une fois. Pas encore \u00eatre jet\u00e9 \u00e0 bas, humili\u00e9, r\u00e9duit \u00e0 rien. Je ne suis pas d\u2019accord. Mais eux, ils sont les plus forts. Ils ont la loi pour eux, vous savez. Et nous ? Juste nos yeux pour pleurer. Et la vie reprend comme si de rien. Exactement. Juste l\u00e0, au beau milieu, une ar\u00eate en gorge, une rouelle de rat blanc dans la cervelle. On maugr\u00e9e au gr\u00e9 du vent mauvais. Les r\u00e9volutions ? Sang et cendres. Finissent vinaigre en salade. Les r\u00e9voltes refroidissent comme des bols de soupe oubli\u00e9s devant la t\u00e9l\u00e9. Elle disait qu\u2019elle n\u2019en avait pas pour son espoir, son argent. Elle le disait souvent. Qu\u2019elle regrettait. Et lui ? Il regardait de biais. Il ne savait plus que faire. Alors il se tut. Serrant les dents jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elles \u00e9clatent en silence, comme des vitres int\u00e9rieures. Il ravala. Encore. Ce qui est beau l\u2019est depuis si longtemps qu\u2019on n\u2019y voit plus rien. Et le laid aussi. Alors ce beau-l\u00e0 \u2014 ce beau ancr\u00e9 \u2014 est devenu laid. Do r\u00e9 mi mi r\u00e9 do. {{sous-conversation}} \u2014 On n\u2019a plus envie, tu comprends ? \u2014 De plier. \u2014 Encore une fois ? \u2014 Oui, encore. Toujours. \u2014 Ils sont plus forts. Ils ont la loi. \u2014 Et nous ? \u2014 Rien. \u2014 Si. Le bruit. \u2014 Le vent. Les arbres. La gorge. \u2014 Mais \u00e7a suffit pas. \u2014 C\u2019est \u00e7a le pire : que \u00e7a ne suffise pas. \u2014 Et pourtant, on revient. On r\u00e9\u00e9crit. On maugr\u00e9e. \u2014 Un r\u00e2le, une note. Une ar\u00eate. \u2014 Do. R\u00e9. Mi. \u2014 La musique du trop-plein. \u2014 Celle qu\u2019on ravale. {{note de travail}} Un texte-nerf. Un texte-\u00e9piderme. Le sujet n\u2019\u00e9crit pas ici pour dire, mais pour d\u00e9faire ce qui le serre, ce qui l\u2019\u00e9touffe. Il y a une col\u00e8re, oui, mais ce n\u2019est pas une explosion : c\u2019est un repli. Une r\u00e9tention. Le corps implose sous la r\u00e9p\u00e9tition du m\u00e9pris. La formule est brutale mais exacte : \"ils ont la loi pour eux\". Le sentiment d\u2019injustice est ancr\u00e9, ancien. Il traverse les g\u00e9n\u00e9rations (la femme qui regrette), les sexes (lui, silencieux), et s\u2019incarne dans la bouche : dents serr\u00e9es, ravale tout. C\u2019est un po\u00e8me politique, mais sans drapeau. Un texte de combat int\u00e9rieur, pas de slogan. Le \"do r\u00e9 mi\" qui cl\u00f4t n\u2019est pas innocent : c\u2019est une **notation du d\u00e9risoire**, ou une **gamme de l\u2019infantile**, un retour \u00e0 la base, apr\u00e8s l\u2019implosion. Il n\u2019y a pas de solution dans ce texte. Mais il y a un refus. Un refus lucide, articul\u00e9, profond\u00e9ment vivant. Et ce refus, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 un souffle. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/peinturesemiabstraite.webp?1748065151", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-854.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-octobre-2023-854.html", "title": "03 octobre 2023", "date_published": "2023-10-03T07:51:00Z", "date_modified": "2025-03-31T07:51:22Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je ne jetterai plus l\u2019eau des pois chiches. Elle a un nom : Aquafaba. Un mot d\u2019\u00e9cume, de lagune l\u00e9g\u00e8re. On dirait une nymphe douce, une cousine lointaine de l\u2019Aurore ou de la Brume.<\/p>\n

Cette eau, pourtant grise, presque triste, monte en neige. Elle se transforme. Elle devient mousse, souffle, nuage.<\/p>\n

Avec elle, on peut faire des meringues, des cr\u00e8mes, des desserts — sans \u0153ufs. C\u2019est magique, presque dr\u00f4le. Presque politique.<\/p>\n

On peut la faire r\u00e9duire, oui. La faire \u00e9paissir. La rendre plus dense. Comme une promesse plus facile \u00e0 tenir.<\/p>\n

Les haricots, les lentilles, les rouges, les blancs — eux aussi murmurent une Aquafaba. Chacun sa variation, son grain, sa note.<\/p>\n

Et pendant ce temps, les poules s\u2019agitent \u00e0 peine. \u00c9pargn\u00e9es. Reconnues. Peut-\u00eatre m\u00eame contentes, va savoir.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— C\u2019est\u2026 joli, non ? Aquafaba\u2026 \u00e7a sonne bien.\n
— On dirait un nom de parfum.\n
— Tu t\u2019\u00e9meus pour de l\u2019eau de conserve\u2026 s\u00e9rieusement ?\n
— Ce n\u2019est pas \u00e7a, c\u2019est\u2026 l\u2019id\u00e9e. L\u2019id\u00e9e de transformer.\n
— D\u2019\u00e9pargner ? Ah, les \u0153ufs, les poules\u2026\n
— Un peu de bont\u00e9, en cuisine.\n
— Tu te donnes bonne conscience ?\n
— Non. Enfin si. Mais pas que.\n
— Tu veux juste garder cette sensation \u00e9trange : avoir trouv\u00e9 quelque chose de doux, de simple, de juste.\n
— M\u00eame dans un bocal.<\/p>\n

note de travail<\/strong><\/p>\n

Texte apport\u00e9 spontan\u00e9ment. L\u2019\u00e9nonc\u00e9 para\u00eet modeste : une eau r\u00e9cup\u00e9r\u00e9e, un nom exotique, un tour de main. Mais derri\u00e8re cette anecdote culinaire, quelque chose se joue.<\/p>\n

Il s\u2019agit d\u2019un geste d\u2019\u00e9conomie, mais aussi de r\u00e9habilitation. Ce qui \u00e9tait destin\u00e9 au rebut est nomm\u00e9, sauv\u00e9, transform\u00e9. « Aquafaba » devient une figure presque maternelle, nourrici\u00e8re, transformatrice. Une sorte de r\u00e9paration po\u00e9tique.<\/p>\n

Le sujet montre une attention nouvelle aux d\u00e9tails, aux r\u00e9sidus, aux marges. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 une tentative de recoller les morceaux, de soigner une culpabilit\u00e9 sourde \u2013 celle d\u2019avoir trop jet\u00e9, trop consomm\u00e9, trop oubli\u00e9.<\/p>\n

Et la derni\u00e8re phrase, faussement na\u00efve \u2013 « Ce sont les poules qui vont \u00eatre dr\u00f4lement contentes » \u2013 fonctionne comme un trait d\u2019humour protecteur. Elle dissimule l\u2019\u00e9motion derri\u00e8re un sourire.<\/p>\n

Un transfert du soin. Une mani\u00e8re de dire : j\u2019essaie. Je fais ce que je peux. M\u00eame \u00e0 travers un flan v\u00e9g\u00e9tal.<\/p>", "content_text": "Je ne jetterai plus l\u2019eau des pois chiches. Elle a un nom : Aquafaba. Un mot d\u2019\u00e9cume, de lagune l\u00e9g\u00e8re. On dirait une nymphe douce, une cousine lointaine de l\u2019Aurore ou de la Brume. Cette eau, pourtant grise, presque triste, monte en neige. Elle se transforme. Elle devient mousse, souffle, nuage. Avec elle, on peut faire des meringues, des cr\u00e8mes, des desserts \u2014 sans \u0153ufs. C\u2019est magique, presque dr\u00f4le. Presque politique. On peut la faire r\u00e9duire, oui. La faire \u00e9paissir. La rendre plus dense. Comme une promesse plus facile \u00e0 tenir. Les haricots, les lentilles, les rouges, les blancs \u2014 eux aussi murmurent une Aquafaba. Chacun sa variation, son grain, sa note. Et pendant ce temps, les poules s\u2019agitent \u00e0 peine. \u00c9pargn\u00e9es. Reconnues. Peut-\u00eatre m\u00eame contentes, va savoir. {{sous-conversation}} \u2014 C\u2019est\u2026 joli, non ? Aquafaba\u2026 \u00e7a sonne bien. \u2014 On dirait un nom de parfum. \u2014 Tu t\u2019\u00e9meus pour de l\u2019eau de conserve\u2026 s\u00e9rieusement ? \u2014 Ce n\u2019est pas \u00e7a, c\u2019est\u2026 l\u2019id\u00e9e. L\u2019id\u00e9e de transformer. \u2014 D\u2019\u00e9pargner ? Ah, les \u0153ufs, les poules\u2026 \u2014 Un peu de bont\u00e9, en cuisine. \u2014 Tu te donnes bonne conscience ? \u2014 Non. Enfin si. Mais pas que. \u2014 Tu veux juste garder cette sensation \u00e9trange : avoir trouv\u00e9 quelque chose de doux, de simple, de juste. \u2014 M\u00eame dans un bocal. {{note de travail}} Texte apport\u00e9 spontan\u00e9ment. L\u2019\u00e9nonc\u00e9 para\u00eet modeste : une eau r\u00e9cup\u00e9r\u00e9e, un nom exotique, un tour de main. Mais derri\u00e8re cette anecdote culinaire, quelque chose se joue. Il s\u2019agit d\u2019un geste d\u2019\u00e9conomie, mais aussi de r\u00e9habilitation. Ce qui \u00e9tait destin\u00e9 au rebut est nomm\u00e9, sauv\u00e9, transform\u00e9. \"Aquafaba\" devient une figure presque maternelle, nourrici\u00e8re, transformatrice. Une sorte de r\u00e9paration po\u00e9tique. Le sujet montre une attention nouvelle aux d\u00e9tails, aux r\u00e9sidus, aux marges. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 une tentative de recoller les morceaux, de soigner une culpabilit\u00e9 sourde \u2013 celle d\u2019avoir trop jet\u00e9, trop consomm\u00e9, trop oubli\u00e9. Et la derni\u00e8re phrase, faussement na\u00efve \u2013 \"Ce sont les poules qui vont \u00eatre dr\u00f4lement contentes\" \u2013 fonctionne comme un trait d\u2019humour protecteur. Elle dissimule l\u2019\u00e9motion derri\u00e8re un sourire. Un transfert du soin. Une mani\u00e8re de dire : j\u2019essaie. Je fais ce que je peux. M\u00eame \u00e0 travers un flan v\u00e9g\u00e9tal. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/aquafaba.jpg?1748065066", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-octobre-2023.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-octobre-2023.html", "title": "02 octobre 2023", "date_published": "2023-10-02T07:58:00Z", "date_modified": "2025-03-31T07:58:32Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

\u00e0 propos d’une phrase d’Erman Broch dans la Mort de Vrigile <\/strong>
\nBleu d\u2019acier sous un souffle presque imperceptible, les vagues de l\u2019Adriatique d\u00e9ferlaient \u00e0 la rencontre lente et majestueuse de l\u2019escadre imp\u00e9riale. \u00c0 b\u00e2bord, les collines \u00e9tales de la Calabre s\u2019approchaient peu \u00e0 peu tandis que la flotte cinglait vers Brindisium, et d\u00e9j\u00e0 la solitude \u00e9clatante de la haute mer, sa lumi\u00e8re fun\u00e8bre, laissait place \u00e0 l\u2019effervescence douce des choses humaines.<\/p>\n

L\u00e0, sur cette mer transfigur\u00e9e, l\u2019apparition des voiles, des coques, des silhouettes lanc\u00e9es vers le port ou tout juste parties, rendait le flot vivant, habit\u00e9. Les barques de p\u00eache, aux voiles brunes, prenaient le large pour leurs veilles nocturnes, s\u2019\u00e9loignant des jet\u00e9es \u00e9troites des hameaux bordant les plages blanches.<\/p>\n

Alors, la mer, quelques instants encore, conservait la m\u00e9moire du sauvage et du sacr\u00e9 — mais d\u00e9j\u00e0 elle devenait miroir, calme, surface docile offerte \u00e0 la pr\u00e9sence humaine.<\/p>\n

*<\/p>\n

« Le po\u00e8te ne peut rien. On ne l\u2019\u00e9coute que lorsqu\u2019il glorifie. Pas quand il nomme. »<\/p>\n

Ainsi la parole qui voit trop est condamn\u00e9e au silence. Le chant est admis, la lucidit\u00e9, non.<\/p>\n

sous-conversation<\/strong><\/p>\n

— C\u2019\u00e9tait beau, n\u2019est-ce pas ? La mer, les voiles, l\u2019arriv\u00e9e\u2026\n
— Et pourtant\u2026 ce bleu, ce miroir\u2026 ce n\u2019\u00e9tait pas\u2026 une paix, non ?\n
— Un lissage. Une soumission.\n
— Le port, c\u2019est la fin du chant.\n
— On pr\u00e9f\u00e8re les marins qui chantent, pas ceux qui parlent.\n
— Le po\u00e8te\u2026 il regarde trop.\n
— Trop loin, trop profond\u00e9ment.\n
— Quand il dit, quand il dit vraiment, il d\u00e9range.\n
— Alors il chante, on l\u2019\u00e9coute. On applaudit.\n
— Mais on ne l\u2019entend pas.<\/p>\n

note de travail <\/strong><\/p>\n

Ce texte fonctionne comme une sc\u00e8ne primitive invers\u00e9e. On y voit la mer, les collines, la flotte imp\u00e9riale, mais ce n\u2019est pas la naissance du monde — c\u2019est celle de la parole po\u00e9tique, et de son exil simultan\u00e9.<\/p>\n

La mer est d\u2019abord sauvage, fun\u00e8bre, belle. Elle se peuple lentement, elle devient humaine, mais en devenant miroir, elle perd quelque chose de son myst\u00e8re. Ce que Broch donne \u00e0 voir, c\u2019est la tension entre le sacr\u00e9 et le civilis\u00e9, entre le monde et sa repr\u00e9sentation.<\/p>\n

Et puis, en contrepoint, cette phrase terrible : « Le po\u00e8te ne peut rien\u2026 ». Une v\u00e9rit\u00e9 nue. Le po\u00e8te est c\u00e9l\u00e9br\u00e9 tant qu\u2019il sublime, il est ignor\u00e9 s\u2019il d\u00e9crit. On pourrait dire : tant qu\u2019il sert l\u2019id\u00e9al, on l\u2019admire. D\u00e8s qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le le r\u00e9el, on le bannit.<\/p>\n

C\u2019est une injonction paradoxale \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du moi po\u00e9tique : sois visible mais muet, \u00e9blouis mais ne dis pas.<\/p>\n

Ce que le texte met en sc\u00e8ne, c\u2019est l\u2019impossibilit\u00e9 d\u2019\u00eatre \u00e0 la fois po\u00e8te et lucide, et d\u2019\u00eatre entendu.<\/p>\n

Il y a l\u00e0 une douleur ancienne — celle de l\u2019inefficacit\u00e9 du langage. Mais aussi une obstination tragique \u00e0 continuer malgr\u00e9 tout.<\/p>", "content_text": "{{ \u00e0 propos d'une phrase d'Erman Broch dans la Mort de Vrigile }} Bleu d\u2019acier sous un souffle presque imperceptible, les vagues de l\u2019Adriatique d\u00e9ferlaient \u00e0 la rencontre lente et majestueuse de l\u2019escadre imp\u00e9riale. \u00c0 b\u00e2bord, les collines \u00e9tales de la Calabre s\u2019approchaient peu \u00e0 peu tandis que la flotte cinglait vers Brindisium, et d\u00e9j\u00e0 la solitude \u00e9clatante de la haute mer, sa lumi\u00e8re fun\u00e8bre, laissait place \u00e0 l\u2019effervescence douce des choses humaines. L\u00e0, sur cette mer transfigur\u00e9e, l\u2019apparition des voiles, des coques, des silhouettes lanc\u00e9es vers le port ou tout juste parties, rendait le flot vivant, habit\u00e9. Les barques de p\u00eache, aux voiles brunes, prenaient le large pour leurs veilles nocturnes, s\u2019\u00e9loignant des jet\u00e9es \u00e9troites des hameaux bordant les plages blanches. Alors, la mer, quelques instants encore, conservait la m\u00e9moire du sauvage et du sacr\u00e9 \u2014 mais d\u00e9j\u00e0 elle devenait miroir, calme, surface docile offerte \u00e0 la pr\u00e9sence humaine. * \u00ab Le po\u00e8te ne peut rien. On ne l\u2019\u00e9coute que lorsqu\u2019il glorifie. Pas quand il nomme. \u00bb Ainsi la parole qui voit trop est condamn\u00e9e au silence. Le chant est admis, la lucidit\u00e9, non. {{sous-conversation}} \u2014 C\u2019\u00e9tait beau, n\u2019est-ce pas ? La mer, les voiles, l\u2019arriv\u00e9e\u2026 \u2014 Et pourtant\u2026 ce bleu, ce miroir\u2026 ce n\u2019\u00e9tait pas\u2026 une paix, non ? \u2014 Un lissage. Une soumission. \u2014 Le port, c\u2019est la fin du chant. \u2014 On pr\u00e9f\u00e8re les marins qui chantent, pas ceux qui parlent. \u2014 Le po\u00e8te\u2026 il regarde trop. \u2014 Trop loin, trop profond\u00e9ment. \u2014 Quand il dit, quand il dit vraiment, il d\u00e9range. \u2014 Alors il chante, on l\u2019\u00e9coute. On applaudit. \u2014 Mais on ne l\u2019entend pas. {{note de travail }} Ce texte fonctionne comme une sc\u00e8ne primitive invers\u00e9e. On y voit la mer, les collines, la flotte imp\u00e9riale, mais ce n\u2019est pas la naissance du monde \u2014 c\u2019est celle de la parole po\u00e9tique, et de son exil simultan\u00e9. La mer est d\u2019abord sauvage, fun\u00e8bre, belle. Elle se peuple lentement, elle devient humaine, mais en devenant miroir, elle perd quelque chose de son myst\u00e8re. Ce que Broch donne \u00e0 voir, c\u2019est la tension entre le sacr\u00e9 et le civilis\u00e9, entre le monde et sa repr\u00e9sentation. Et puis, en contrepoint, cette phrase terrible : \u00ab Le po\u00e8te ne peut rien\u2026 \u00bb. Une v\u00e9rit\u00e9 nue. Le po\u00e8te est c\u00e9l\u00e9br\u00e9 tant qu\u2019il sublime, il est ignor\u00e9 s\u2019il d\u00e9crit. On pourrait dire : tant qu\u2019il sert l\u2019id\u00e9al, on l\u2019admire. D\u00e8s qu\u2019il r\u00e9v\u00e8le le r\u00e9el, on le bannit. C\u2019est une injonction paradoxale \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du moi po\u00e9tique : sois visible mais muet, \u00e9blouis mais ne dis pas. Ce que le texte met en sc\u00e8ne, c\u2019est l\u2019impossibilit\u00e9 d\u2019\u00eatre \u00e0 la fois po\u00e8te et lucide, et d\u2019\u00eatre entendu. Il y a l\u00e0 une douleur ancienne \u2014 celle de l\u2019inefficacit\u00e9 du langage. Mais aussi une obstination tragique \u00e0 continuer malgr\u00e9 tout. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/reflets.webp?1748065216", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/bruissement-de-la-langue.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/bruissement-de-la-langue.html", "title": "Bruissement de la langue ", "date_published": "2023-10-02T06:42:46Z", "date_modified": "2024-10-19T16:14:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Le bruissement de la langue. Etrange bruissement. Hier nous parlions du chant, du lyrisme, et aujourd\u2019hui le hasard nous conduit vers ce recueil de textes \u00e9crits par Roland Barthes. Le premier texte a pour titre « Science et litt\u00e9rature ». Avec en exergue cette phrase de Bonald ( Mais lequel, on ne le sait pas car le pr\u00e9nom est manquant.)<\/p>\n

« L\u2019homme ne peut parler sa pens\u00e9e, sans penser sa parole ».<\/p>\n

Parler sa pens\u00e9e, penser sa parole. Nous nous le r\u00e9p\u00e9tons plusieurs fois. Puis je change un peu les termes, j\u2019essaie d\u2019y placer un peu de peinture. L\u2019homme ne peut peindre sa pens\u00e9e sans peindre sa parole. Est-ce que \u00e7a ne pourrait pas fonctionner tout autant, et suffisant afin de pr\u00e9tendre appartenir \u00e0 une quelconque acad\u00e9mie ?<\/p>\n

Bref.<\/p>\n

Ensuite il est question d\u2019une liste officielle des sciences, sociales et humaines qui font l\u2019objet d\u2019un enseignement « reconnu ». Cela indique en creux une liste parall\u00e8le ( non fournie) de sciences non reconnues par l\u2019institution. Qu\u2019on \u00e9vitera de fournir.<\/p>\n

Tout \u00e7a pour dire que ce n\u2019est pas le contenu ni la m\u00e9thode qui compte dans les sciences dites reconnues mais uniquement leur statut. Ce que Barthes appelle une d\u00e9termination sociale. Autrement dit : est objet de science toute mati\u00e8re que la soci\u00e9t\u00e9 juge digne d\u2019\u00eatre transmise. C\u2019est ce qui s\u2019enseigne.<\/p>\n

Puis il est question de la litt\u00e9rature qui poss\u00e8de toutes les caract\u00e9ristiques secondaires de la science. Veut-il indiquer ici tout ce qui n\u2019est pas de l\u2019ordre d\u2019un statut ?<\/p>\n

L\u00e0 o\u00f9 science et litt\u00e9rature se rejoignent et se divisent c\u2019est le discours, le langage qui les constitue l\u2019une et ( ou ) l\u2019autre.<\/p>\n

Le langage est un instrument pour les sciences qu\u2019elles ont int\u00e9r\u00eat \u00e0 rendre le plus neutre possible afin de traiter d\u2019une mati\u00e8re scientifique ( qui existerait donc en tant qu\u2019 objet dissoci\u00e9 c\u2019est \u00e0 dire en dehors du langage ? )<\/p>\n

Le langage est l\u2019\u00eatre de la litt\u00e9rature au contraire d\u2019\u00eatre cet instrument commode ou « le d\u00e9cor luxueux d\u2019une « r\u00e9alit\u00e9 » sociale, passionnelle, ou po\u00e9tique, qui lui pr\u00e9existerait moyennant de se soumettre \u00e0 quelques r\u00e8gles de style.<\/p>\n

Et cette observation \u00e0 propos d\u2019une r\u00e9gression de l\u2019autonomie du langage que Barthes date du XVI \u00e8me si\u00e8cle. Au moment o\u00f9 se constitue un esprit scientifique qui rel\u00e8gue le langage au rang d\u2019instrument ou de beau style. Alors qu\u2019au Moyen Age la culture humaine sous les esp\u00e8ces du Septenium, se partageait presque \u00e0 \u00e9galit\u00e9 les secrets de la parole et ceux de la nature.<\/p>\n

Notes sur le Septenium trouv\u00e9 par le trivium sur Wikip\u00e9dia<\/p>\n

Traditionnellement, on distingue sept arts lib\u00e9raux. Trois d’entre eux, la grammaire, la dialectique et la rh\u00e9torique, forment le trivium. Les quatre autres, l’arithm\u00e9tique, la g\u00e9om\u00e9trie, l’astronomie et la musique, forment le quadrivium. Pour d’autres, le trivium repr\u00e9sente les trois arts, le quadrivium, les quatre sciences. Leur limitation \u00e0 sept, leur division, d’apr\u00e8s les nombres trois et quatre, en trivium et en quadrivium apparaissent chez Martianus Capella, Cassiodore et Bo\u00e8ce, et leurs successeurs, o\u00f9 elles r\u00e9pondent aux pr\u00e9occupations mystiques qui se m\u00ealaient alors aux conjectures sur les nombres. B\u00e8de le V\u00e9n\u00e9rable, Alcuin, Jean Scot Erig\u00e8ne, Gerbert d’Aurillac, Fulbert de Chartres enseignent les sept arts ou les consid\u00e8rent dans la succession indiqu\u00e9e par le trivium et le quadrivium. Mais il ne faudrait pas croire qu’\u00e0 cela se borna l’activit\u00e9 intellectuelle des hommes du Moyen \u00c2ge. En dehors de la th\u00e9ologie et des livres saints, auxquels tous donnaient une grande place, ils \u00e9tudiaient l’histoire, la physique, la philosophie, la m\u00e9taphysique (ou la morale), la m\u00e9decine, plus tard le droit (canon ou romain), l’alchimie, etc. Le trivium et le quadrivium ne repr\u00e9sentent qu’une partie de l’enseignement m\u00e9di\u00e9val.
\nA quel point sommes nous ignorants de ce qui nous enferme avant d\u2019en sentir sur le front la contrainte r\u00e9ellement. Et surtout pourquoi vouloir encore le rester une fois le contact avec les murs \u00e9prouv\u00e9.<\/p>\n

Qu\u2019une autorit\u00e9 quelconque ait \u00e0 fournir sa preuve et s\u2019en sera finit d\u2019elle. On essuie les coups bien s\u00fbr puis on se met \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur la raison pour laquelle on les subit. De quel droit. C\u2019est le probl\u00e8me central de toute une vie parfois que de comprendre cette affaire de droit. Qu\u2019une soci\u00e9t\u00e9 toute enti\u00e8re ait le droit de juger un seul de ses membres. Qu\u2019un membre s\u2019y oppose farouchement parce que lui estime que ce droit est une injustice, une bouffonnerie, une mascarade de justice.<\/p>\n

L\u2019heure des juges, des experts sonne au m\u00eame moment que le tocsin.<\/p>\n

Cette col\u00e8re inou\u00efe remonte \u00e0 loin, tout comme l\u2019eau qui sort des joints du parquet de la cuisine en ce moment. Elle ne fait que s\u2019accentuer, ne me laisse que tr\u00e8s peu de r\u00e9pit. Lire et \u00e9crire sont les seuls rem\u00e8des et en m\u00eame temps les causes de cette position de sac de frappe choisie.<\/p>\n

L\u2019angoisse provoqu\u00e9e par l\u2019 acceptation des normes frise chez nous celle provoqu\u00e9e par le mysticisme.<\/p>\n

Elle en ressort du salon, d\u2019un bond dans la rue, regonfl\u00e9e d\u2019illusions, blonde peroxyd\u00e9e.<\/p>\n

Comme un enfant qui cherche \u00e0 se faire pardonner quelque chose toute une vie. A ce point qu\u2019\u00e0 la fin seulement il se rend compte que ce quelque chose est \u00eatre.<\/p>\n

Ce qui sans queue ni t\u00eate me ravit c\u2019est la balle qui roule le long du talus vers le canal, et effectue un voyage vers son aval. Images d\u2019un petit soldat de plomb ballott\u00e9 par la lumi\u00e8re dans une coquille de noix, glissant le long d\u2019un caniveau parisien du 15 \u00e8me.<\/p>\n

\u00eatre \u00e9cervel\u00e9 \u00e0 l\u2019origine l\u2019oblige \u00e0 s\u2019inventer une cervelle.<\/p>\n

Des coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau.<\/p>\n

D\u00e9couverte de deux chaines YouTube
\n
<\/span>https:\/\/youtu.be\/ihMs0YwEVbQ<\/span><\/a>
\n
<\/span>https:\/\/youtu.be\/yHPeghxpUxA<\/span><\/a><\/p>\n

Est-ce que c\u2019est affaire de contenu ? Des textes en eux-m\u00eames ? des voix ? d\u2019un souffle ?<\/p>\n

Il y a un point commun \u00e0 ces deux chaines qui n\u2019est pas de l\u2019ordre du po\u00e9tique habituel.<\/p>\n

Un \u00e9cho ? un \u00e9cho encore tr\u00e8s lointain nous nous le r\u00e9p\u00e9t\u00e2mes plusieurs fois \u00e0 la fa\u00e7on des soufis, en dansant sur nous-m\u00eames en rond.<\/p>\n

Une musique tout bonnement.<\/p>", "content_text": "Le bruissement de la langue. Etrange bruissement. Hier nous parlions du chant, du lyrisme, et aujourd\u2019hui le hasard nous conduit vers ce recueil de textes \u00e9crits par Roland Barthes. Le premier texte a pour titre \u00ab Science et litt\u00e9rature \u00bb. Avec en exergue cette phrase de Bonald ( Mais lequel, on ne le sait pas car le pr\u00e9nom est manquant.) \u00ab L\u2019homme ne peut parler sa pens\u00e9e, sans penser sa parole \u00bb. Parler sa pens\u00e9e, penser sa parole. Nous nous le r\u00e9p\u00e9tons plusieurs fois. Puis je change un peu les termes, j\u2019essaie d\u2019y placer un peu de peinture. L\u2019homme ne peut peindre sa pens\u00e9e sans peindre sa parole. Est-ce que \u00e7a ne pourrait pas fonctionner tout autant, et suffisant afin de pr\u00e9tendre appartenir \u00e0 une quelconque acad\u00e9mie ? Bref. Ensuite il est question d\u2019une liste officielle des sciences, sociales et humaines qui font l\u2019objet d\u2019un enseignement \u00ab reconnu \u00bb. Cela indique en creux une liste parall\u00e8le ( non fournie) de sciences non reconnues par l\u2019institution. Qu\u2019on \u00e9vitera de fournir. Tout \u00e7a pour dire que ce n\u2019est pas le contenu ni la m\u00e9thode qui compte dans les sciences dites reconnues mais uniquement leur statut. Ce que Barthes appelle une d\u00e9termination sociale. Autrement dit : est objet de science toute mati\u00e8re que la soci\u00e9t\u00e9 juge digne d\u2019\u00eatre transmise. C\u2019est ce qui s\u2019enseigne. Puis il est question de la litt\u00e9rature qui poss\u00e8de toutes les caract\u00e9ristiques secondaires de la science. Veut-il indiquer ici tout ce qui n\u2019est pas de l\u2019ordre d\u2019un statut ? L\u00e0 o\u00f9 science et litt\u00e9rature se rejoignent et se divisent c\u2019est le discours, le langage qui les constitue l\u2019une et ( ou ) l\u2019autre. Le langage est un instrument pour les sciences qu\u2019elles ont int\u00e9r\u00eat \u00e0 rendre le plus neutre possible afin de traiter d\u2019une mati\u00e8re scientifique ( qui existerait donc en tant qu\u2019 objet dissoci\u00e9 c\u2019est \u00e0 dire en dehors du langage ? ) Le langage est l\u2019\u00eatre de la litt\u00e9rature au contraire d\u2019\u00eatre cet instrument commode ou \u00ab le d\u00e9cor luxueux d\u2019une \u00ab r\u00e9alit\u00e9 \u00bb sociale, passionnelle, ou po\u00e9tique, qui lui pr\u00e9existerait moyennant de se soumettre \u00e0 quelques r\u00e8gles de style. Et cette observation \u00e0 propos d\u2019une r\u00e9gression de l\u2019autonomie du langage que Barthes date du XVI \u00e8me si\u00e8cle. Au moment o\u00f9 se constitue un esprit scientifique qui rel\u00e8gue le langage au rang d\u2019instrument ou de beau style. Alors qu\u2019au Moyen Age la culture humaine sous les esp\u00e8ces du Septenium, se partageait presque \u00e0 \u00e9galit\u00e9 les secrets de la parole et ceux de la nature. Notes sur le Septenium trouv\u00e9 par le trivium sur Wikip\u00e9dia Traditionnellement, on distingue sept arts lib\u00e9raux. Trois d'entre eux, la grammaire, la dialectique et la rh\u00e9torique, forment le trivium. Les quatre autres, l'arithm\u00e9tique, la g\u00e9om\u00e9trie, l'astronomie et la musique, forment le quadrivium. Pour d'autres, le trivium repr\u00e9sente les trois arts, le quadrivium, les quatre sciences. Leur limitation \u00e0 sept, leur division, d'apr\u00e8s les nombres trois et quatre, en trivium et en quadrivium apparaissent chez Martianus Capella, Cassiodore et Bo\u00e8ce, et leurs successeurs, o\u00f9 elles r\u00e9pondent aux pr\u00e9occupations mystiques qui se m\u00ealaient alors aux conjectures sur les nombres. B\u00e8de le V\u00e9n\u00e9rable, Alcuin, Jean Scot Erig\u00e8ne, Gerbert d'Aurillac, Fulbert de Chartres enseignent les sept arts ou les consid\u00e8rent dans la succession indiqu\u00e9e par le trivium et le quadrivium. Mais il ne faudrait pas croire qu'\u00e0 cela se borna l'activit\u00e9 intellectuelle des hommes du Moyen \u00c2ge. En dehors de la th\u00e9ologie et des livres saints, auxquels tous donnaient une grande place, ils \u00e9tudiaient l'histoire, la physique, la philosophie, la m\u00e9taphysique (ou la morale), la m\u00e9decine, plus tard le droit (canon ou romain), l'alchimie, etc. Le trivium et le quadrivium ne repr\u00e9sentent qu'une partie de l'enseignement m\u00e9di\u00e9val. A quel point sommes nous ignorants de ce qui nous enferme avant d\u2019en sentir sur le front la contrainte r\u00e9ellement. Et surtout pourquoi vouloir encore le rester une fois le contact avec les murs \u00e9prouv\u00e9. Qu\u2019une autorit\u00e9 quelconque ait \u00e0 fournir sa preuve et s\u2019en sera finit d\u2019elle. On essuie les coups bien s\u00fbr puis on se met \u00e0 r\u00e9fl\u00e9chir sur la raison pour laquelle on les subit. De quel droit. C\u2019est le probl\u00e8me central de toute une vie parfois que de comprendre cette affaire de droit. Qu\u2019une soci\u00e9t\u00e9 toute enti\u00e8re ait le droit de juger un seul de ses membres. Qu\u2019un membre s\u2019y oppose farouchement parce que lui estime que ce droit est une injustice, une bouffonnerie, une mascarade de justice. L\u2019heure des juges, des experts sonne au m\u00eame moment que le tocsin. Cette col\u00e8re inou\u00efe remonte \u00e0 loin, tout comme l\u2019eau qui sort des joints du parquet de la cuisine en ce moment. Elle ne fait que s\u2019accentuer, ne me laisse que tr\u00e8s peu de r\u00e9pit. Lire et \u00e9crire sont les seuls rem\u00e8des et en m\u00eame temps les causes de cette position de sac de frappe choisie. L\u2019angoisse provoqu\u00e9e par l\u2019 acceptation des normes frise chez nous celle provoqu\u00e9e par le mysticisme. Elle en ressort du salon, d\u2019un bond dans la rue, regonfl\u00e9e d\u2019illusions, blonde peroxyd\u00e9e. Comme un enfant qui cherche \u00e0 se faire pardonner quelque chose toute une vie. A ce point qu\u2019\u00e0 la fin seulement il se rend compte que ce quelque chose est \u00eatre. Ce qui sans queue ni t\u00eate me ravit c\u2019est la balle qui roule le long du talus vers le canal, et effectue un voyage vers son aval. Images d\u2019un petit soldat de plomb ballott\u00e9 par la lumi\u00e8re dans une coquille de noix, glissant le long d\u2019un caniveau parisien du 15 \u00e8me. \u00eatre \u00e9cervel\u00e9 \u00e0 l\u2019origine l\u2019oblige \u00e0 s\u2019inventer une cervelle. Des coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau. D\u00e9couverte de deux chaines YouTube https:\/\/youtu.be\/ihMs0YwEVbQ https:\/\/youtu.be\/yHPeghxpUxA Est-ce que c\u2019est affaire de contenu ? Des textes en eux-m\u00eames ? des voix ? d\u2019un souffle ? Il y a un point commun \u00e0 ces deux chaines qui n\u2019est pas de l\u2019ordre du po\u00e9tique habituel. Un \u00e9cho ? un \u00e9cho encore tr\u00e8s lointain nous nous le r\u00e9p\u00e9t\u00e2mes plusieurs fois \u00e0 la fa\u00e7on des soufis, en dansant sur nous-m\u00eames en rond. Une musique tout bonnement.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/soufisme.jpg?1748065122", "tags": [] } ] }