{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-janvier-2021.html", "title": "28 janvier 2021", "date_published": "2021-01-28T15:58:00Z", "date_modified": "2024-10-28T15:58:37Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t« Looking for a good Tyrant » Asger Jorn 1969<\/a>\n
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« Looking for a good Tyrant » Asger Jorn 1969\n<\/strong><\/div>\n\t
« Looking for a good Tyrant » Asger Jorn 1969\n<\/div>\n\t
« Looking for a good Tyrant » Asger Jorn 1969\n<\/div>\n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Quelque chose cloche dans l\u2019espace-temps. Cela ressemble \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de tous les jours, mais ce n\u2019est pas la r\u00e9alit\u00e9. Du moins, pas celle que l\u2019on connaissait, ou que l\u2019on croyait conna\u00eetre. Une h\u00e9sitation entre les deux. Et ce doute, cette oscillation semble s\u2019acc\u00e9l\u00e9rer de plus en plus. On pressent que quelque chose ne va pas tarder \u00e0 nous tomber dessus. C\u2019est assez vague au d\u00e9but ; on pense \u00e0 l\u2019imagination qui fait des siennes. Il arrive m\u00eame qu\u2019on tente de blaguer pour exorciser cette mar\u00e9e silencieuse qui monte et ne va pas tarder \u00e0 nous submerger.<\/p>\n

Et puis, c\u2019est le choc. On apprend l\u2019in\u00e9luctable, on ne peut plus \u00e9luder. Quelque chose s\u2019en va, et c\u2019est irr\u00e9m\u00e9diable, \u00e9pouvantable. On l\u2019entend, mais on ne veut pas l\u2019entendre. On n\u2019y croit pas.<\/p>\n

Il faut quelques instants, parfois des jours, des semaines, pour faire le tour complet de ce qui vient de se produire. C\u2019est trop abstrait ; la pens\u00e9e ne peut s\u2019accaparer cela tout de suite. C\u2019est avant tout un non-sens. Un gouffre dans lequel tout le sens se perd. C\u2019est insens\u00e9. Quelque chose en relation avec l\u2019incroyable, le fantastique, la science-fiction. Tout cela encore ench\u00e2ss\u00e9 dans le banal : le froid mordant d\u2019un matin de janvier, l\u2019odeur du caf\u00e9 dans la cuisine, une cigarette qui nous d\u00e9go\u00fbte et qu\u2019on fume \u00e0 moiti\u00e9, tandis que la pr\u00e9sentatrice de la m\u00e9t\u00e9o d\u00e9bite ses minimales et maximales \u00e0 la radio allum\u00e9e machinalement, comme tous les matins. Cela a l\u2019air d\u2019un matin comme tous les autres pourtant. C\u2019est d\u2019autant plus stup\u00e9fiant.<\/p>\n

Mais tr\u00e8s vite, il faut se reprendre. On se rebiffe. Ce n\u2019est pas possible de d\u00e9marrer comme \u00e7a la journ\u00e9e. Aussi abattu, lessiv\u00e9, ruin\u00e9 totalement. On se l\u00e8ve, on fait quelques pas. Le corps doit bouger, s\u2019agiter. Comme si le mouvement pouvait d\u00e9placer les lignes, les fronti\u00e8res de l\u2019\u00e9v\u00e9nement, dans l\u2019espoir de l\u2019esquiver peut-\u00eatre, de l\u2019enjamber. Mais tout est tellement lourd, pataud, tout part \u00e0 volo.<\/p>\n

On se sent tellement lourd que c\u2019en est \u00e0 vomir. On s\u2019en veut d\u2019\u00eatre aussi lourd, ou on en veut au monde entier soudain. Il faut en vouloir, se dit-on, c\u2019est peut-\u00eatre l\u2019issue. Col\u00e8re froide ou gueulement intempestif, il faut absolument trouver un moyen de vider \u00e7a, de se d\u00e9barrasser de \u00e7a. On l\u2019esp\u00e8re tout en sachant d\u00e9j\u00e0 que c\u2019est vain. Mais on esp\u00e8re.<\/p>\n

On est d\u00e9\u00e7u d\u2019\u00eatre aussi faible d\u2019esp\u00e9rer. L\u2019\u00e9go\u00efsme comme seul refuge, toujours. « \u00c7a ne peut pas m\u2019arriver \u00e0 moi ce matin, merde ! Mais qu\u2019est-ce que j\u2019ai fait au bon Dieu ? Pourquoi moi ? » On sent bien que l\u2019on glisse vers quelque chose de trouble, de minable. On se laisse glisser malgr\u00e9 tout faute de mieux. Peut-\u00eatre, apr\u00e8s avoir serr\u00e9 les dents, les poings, tap\u00e9 dans une cloison, se laisse-t-on glisser avec cette douleur musculaire, un h\u00e9matome naissant qui nous accompagne. La douleur physique est une compagnie \u00e0 la douleur morale, mentale, cordiale. On n\u2019ose pas se sentir seul face \u00e0 \u00e7a. Surtout si on est d\u00e9j\u00e0 seul.<\/p>\n

Quant \u00e0 l\u2019autre, il devient le responsable, un instant, quand on en a plus ou moins termin\u00e9 avec soi, avec la fatigue et la col\u00e8re m\u00eal\u00e9es. L\u2019autre qui nous laisse seul. L\u2019autre qui a disparu sans pr\u00e9venir vraiment. L\u2019autre qu\u2019on ne verra plus. Comment est-ce possible de ne plus voir ce qui a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0 ? On ne sait pas faire. On ne sait pas vivre \u00e7a. C\u2019est d\u2019une brutalit\u00e9 telle qu\u2019il faut s\u2019\u00e9lever ou s\u2019abaisser \u00e0 la m\u00eame fr\u00e9quence instinctivement. \u00catre brutal aussi pour simplement tenir le coup. La col\u00e8re comme bou\u00e9e de sauvetage. La col\u00e8re contre soi, contre l\u2019autre, contre tout. Le refus dont elle ne cesse de parler, le d\u00e9ni, comme on dit.<\/p>\n

« Je ne veux pas », voil\u00e0 ce que \u00e7a dit. En gros.<\/p>\n

Les jours passent. La digestion est lente. On est comme un boa qui a aval\u00e9 un ours. Mal au cr\u00e2ne, aux m\u00e2choires. \u00catre vache et ruminer jour et nuit la col\u00e8re, l\u2019absence, et tous les « si ». Le « si j\u2019avais su » permet l\u2019acc\u00e8s au souvenir et le d\u00e9marrage des n\u00e9gociations.<\/p>", "content_text": "Quelque chose cloche dans l\u2019espace-temps. Cela ressemble \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9 de tous les jours, mais ce n\u2019est pas la r\u00e9alit\u00e9. Du moins, pas celle que l\u2019on connaissait, ou que l\u2019on croyait conna\u00eetre. Une h\u00e9sitation entre les deux. Et ce doute, cette oscillation semble s\u2019acc\u00e9l\u00e9rer de plus en plus. On pressent que quelque chose ne va pas tarder \u00e0 nous tomber dessus. C\u2019est assez vague au d\u00e9but ; on pense \u00e0 l\u2019imagination qui fait des siennes. Il arrive m\u00eame qu\u2019on tente de blaguer pour exorciser cette mar\u00e9e silencieuse qui monte et ne va pas tarder \u00e0 nous submerger. Et puis, c\u2019est le choc. On apprend l\u2019in\u00e9luctable, on ne peut plus \u00e9luder. Quelque chose s\u2019en va, et c\u2019est irr\u00e9m\u00e9diable, \u00e9pouvantable. On l\u2019entend, mais on ne veut pas l\u2019entendre. On n\u2019y croit pas. Il faut quelques instants, parfois des jours, des semaines, pour faire le tour complet de ce qui vient de se produire. C\u2019est trop abstrait ; la pens\u00e9e ne peut s\u2019accaparer cela tout de suite. C\u2019est avant tout un non-sens. Un gouffre dans lequel tout le sens se perd. C\u2019est insens\u00e9. Quelque chose en relation avec l\u2019incroyable, le fantastique, la science-fiction. Tout cela encore ench\u00e2ss\u00e9 dans le banal : le froid mordant d\u2019un matin de janvier, l\u2019odeur du caf\u00e9 dans la cuisine, une cigarette qui nous d\u00e9go\u00fbte et qu\u2019on fume \u00e0 moiti\u00e9, tandis que la pr\u00e9sentatrice de la m\u00e9t\u00e9o d\u00e9bite ses minimales et maximales \u00e0 la radio allum\u00e9e machinalement, comme tous les matins. Cela a l\u2019air d\u2019un matin comme tous les autres pourtant. C\u2019est d\u2019autant plus stup\u00e9fiant. Mais tr\u00e8s vite, il faut se reprendre. On se rebiffe. Ce n\u2019est pas possible de d\u00e9marrer comme \u00e7a la journ\u00e9e. Aussi abattu, lessiv\u00e9, ruin\u00e9 totalement. On se l\u00e8ve, on fait quelques pas. Le corps doit bouger, s\u2019agiter. Comme si le mouvement pouvait d\u00e9placer les lignes, les fronti\u00e8res de l\u2019\u00e9v\u00e9nement, dans l\u2019espoir de l\u2019esquiver peut-\u00eatre, de l\u2019enjamber. Mais tout est tellement lourd, pataud, tout part \u00e0 volo. On se sent tellement lourd que c\u2019en est \u00e0 vomir. On s\u2019en veut d\u2019\u00eatre aussi lourd, ou on en veut au monde entier soudain. Il faut en vouloir, se dit-on, c\u2019est peut-\u00eatre l\u2019issue. Col\u00e8re froide ou gueulement intempestif, il faut absolument trouver un moyen de vider \u00e7a, de se d\u00e9barrasser de \u00e7a. On l\u2019esp\u00e8re tout en sachant d\u00e9j\u00e0 que c\u2019est vain. Mais on esp\u00e8re. On est d\u00e9\u00e7u d\u2019\u00eatre aussi faible d\u2019esp\u00e9rer. L\u2019\u00e9go\u00efsme comme seul refuge, toujours. \u00ab \u00c7a ne peut pas m\u2019arriver \u00e0 moi ce matin, merde ! Mais qu\u2019est-ce que j\u2019ai fait au bon Dieu ? Pourquoi moi ? \u00bb On sent bien que l\u2019on glisse vers quelque chose de trouble, de minable. On se laisse glisser malgr\u00e9 tout faute de mieux. Peut-\u00eatre, apr\u00e8s avoir serr\u00e9 les dents, les poings, tap\u00e9 dans une cloison, se laisse-t-on glisser avec cette douleur musculaire, un h\u00e9matome naissant qui nous accompagne. La douleur physique est une compagnie \u00e0 la douleur morale, mentale, cordiale. On n\u2019ose pas se sentir seul face \u00e0 \u00e7a. Surtout si on est d\u00e9j\u00e0 seul. Quant \u00e0 l\u2019autre, il devient le responsable, un instant, quand on en a plus ou moins termin\u00e9 avec soi, avec la fatigue et la col\u00e8re m\u00eal\u00e9es. L\u2019autre qui nous laisse seul. L\u2019autre qui a disparu sans pr\u00e9venir vraiment. L\u2019autre qu\u2019on ne verra plus. Comment est-ce possible de ne plus voir ce qui a toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0 ? On ne sait pas faire. On ne sait pas vivre \u00e7a. C\u2019est d\u2019une brutalit\u00e9 telle qu\u2019il faut s\u2019\u00e9lever ou s\u2019abaisser \u00e0 la m\u00eame fr\u00e9quence instinctivement. \u00catre brutal aussi pour simplement tenir le coup. La col\u00e8re comme bou\u00e9e de sauvetage. La col\u00e8re contre soi, contre l\u2019autre, contre tout. Le refus dont elle ne cesse de parler, le d\u00e9ni, comme on dit. \u00ab Je ne veux pas \u00bb, voil\u00e0 ce que \u00e7a dit. En gros. Les jours passent. La digestion est lente. On est comme un boa qui a aval\u00e9 un ours. Mal au cr\u00e2ne, aux m\u00e2choires. \u00catre vache et ruminer jour et nuit la col\u00e8re, l\u2019absence, et tous les \u00ab si \u00bb. Le \u00ab si j\u2019avais su \u00bb permet l\u2019acc\u00e8s au souvenir et le d\u00e9marrage des n\u00e9gociations. 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L\u2019originalit\u00e9, c\u2019est quoi ? Une sacr\u00e9e pr\u00e9occupation, avant tout, pour les jeunes peintres ou pas. Pour les amoureux \u00e9perdus dans une passion toute neuve. C\u2019est tr\u00e8s exag\u00e9r\u00e9 tout \u00e7a. M\u00eame si, pendant un instant, \u00e7a fait du bien, \u00e7a nous place sur des \u00e9chasses \u00e0 contempler le bas-monde en dessous. \u00c7a peut m\u00eame souvent faire glisser vers le m\u00e9pris, je l\u2019ai constat\u00e9 maintes fois.<\/p>\n

\u00c0 force de d\u00e9tester le familier, il est possible qu\u2019il revienne soudain au galop. Qu\u2019il se rev\u00eate de tout l\u2019apparat de l\u2019original \u00e0 nos yeux aveugl\u00e9s par l\u2019absurdit\u00e9 de tous les renouveaux. Un soleil en chocolat qui fond dans l\u2019\u0153il et qui, une fois qu\u2019il l\u2019aveugle pour de bon, nous fasse chialer.<\/p>\n

L\u2019originalit\u00e9, ce n\u2019est peut-\u00eatre rien d\u2019autre que du familier retrouv\u00e9. Du familier aval\u00e9, mal dig\u00e9r\u00e9, qu\u2019on r\u00e9gurgite. Un petit tas de vomi \u00e0 trifouiller quand on n\u2019a plus rien d\u2019autre \u00e0 b\u00e9queter, \u00e0 b\u00e9coter.<\/p>\n

M\u00eame les \u00e9pluchures peuvent constituer d\u2019excellents mets, vous savez. Quand on n\u2019a plus la force de ramer pour payer les l\u00e9gumes, de se baisser pour les attraper dans les cageots d\u00e9fonc\u00e9s en fin de march\u00e9. On r\u00e9cup\u00e8re les \u00e9pluchures, dans une anorexie qui tombe \u00e0 pic, et on invente, voil\u00e0 tout. Les \u00e9pluchures, c\u2019est moins lourd \u00e0 trimballer. Personne n\u2019en veut, personne ne viendra les jalouser, les d\u00e9rober. On ne sera pas envi\u00e9.<\/p>\n

On cuisine et on go\u00fbte.<\/p>\n

Ce n\u2019est pas mauvais, mais on ne peut pas dire non plus que ce soit go\u00fbteux. Du moins \u00e0 la premi\u00e8re cuiller\u00e9e. Le palais est encore encombr\u00e9 de souvenirs insistants, occup\u00e9 par la comparaison. C\u2019est la faim qui commande cependant. Le biologique, la survie.<\/p>\n

On entre dans une habitude comme on p\u00e9n\u00e8tre dans les miracles, sans bien s\u2019en rendre compte. La gratitude est de l\u2019ordre du superflu.<\/p>\n

C\u2019est par inadvertance qu\u2019on s\u2019en rend compte. Une pure inadvertance par laquelle toute pens\u00e9e et tout point de vue habituel s\u2019\u00e9chappent. On se retrouve la langue nue.<\/p>\n

Et l\u00e0, le go\u00fbt de la patate, de la courgette, du navet naissent enfin pour de bon. Tout comme soi-m\u00eame. Simultan\u00e9it\u00e9 et r\u00e9ciprocit\u00e9.<\/p>\n

L\u2019\u00e9pluchure nous rend \u00e0 la fois au l\u00e9gume, au fruit, et \u00e0 la vie.<\/p>\n

Alors, c\u2019est bien \u00e9trange de constater \u00e0 cet instant \u00e0 quel point l\u2019originalit\u00e9 et le familier se confondent dans l\u2019\u00eatre. Que tout cela, dans le fond, on le sait depuis toujours. On peut enfin se rendre compte de l\u2019\u00e9cart dans une solitude immense et apais\u00e9e par tous les autres encore en route pour venir s\u2019asseoir \u00e0 notre table. Peu importe le temps que \u00e7a prendra, il y aura toujours de quoi.<\/p>\n

La v\u00e9ritable abondance est l\u00e0, depuis toujours. On s\u2019en souvient. Comme c\u2019est original !<\/p>", "content_text": "L\u2019originalit\u00e9, c\u2019est quoi ? Une sacr\u00e9e pr\u00e9occupation, avant tout, pour les jeunes peintres ou pas. Pour les amoureux \u00e9perdus dans une passion toute neuve. C\u2019est tr\u00e8s exag\u00e9r\u00e9 tout \u00e7a. M\u00eame si, pendant un instant, \u00e7a fait du bien, \u00e7a nous place sur des \u00e9chasses \u00e0 contempler le bas-monde en dessous. \u00c7a peut m\u00eame souvent faire glisser vers le m\u00e9pris, je l\u2019ai constat\u00e9 maintes fois. \u00c0 force de d\u00e9tester le familier, il est possible qu\u2019il revienne soudain au galop. Qu\u2019il se rev\u00eate de tout l\u2019apparat de l\u2019original \u00e0 nos yeux aveugl\u00e9s par l\u2019absurdit\u00e9 de tous les renouveaux. Un soleil en chocolat qui fond dans l\u2019\u0153il et qui, une fois qu\u2019il l\u2019aveugle pour de bon, nous fasse chialer. L\u2019originalit\u00e9, ce n\u2019est peut-\u00eatre rien d\u2019autre que du familier retrouv\u00e9. Du familier aval\u00e9, mal dig\u00e9r\u00e9, qu\u2019on r\u00e9gurgite. Un petit tas de vomi \u00e0 trifouiller quand on n\u2019a plus rien d\u2019autre \u00e0 b\u00e9queter, \u00e0 b\u00e9coter. M\u00eame les \u00e9pluchures peuvent constituer d\u2019excellents mets, vous savez. Quand on n\u2019a plus la force de ramer pour payer les l\u00e9gumes, de se baisser pour les attraper dans les cageots d\u00e9fonc\u00e9s en fin de march\u00e9. On r\u00e9cup\u00e8re les \u00e9pluchures, dans une anorexie qui tombe \u00e0 pic, et on invente, voil\u00e0 tout. Les \u00e9pluchures, c\u2019est moins lourd \u00e0 trimballer. Personne n\u2019en veut, personne ne viendra les jalouser, les d\u00e9rober. On ne sera pas envi\u00e9. On cuisine et on go\u00fbte. Ce n\u2019est pas mauvais, mais on ne peut pas dire non plus que ce soit go\u00fbteux. Du moins \u00e0 la premi\u00e8re cuiller\u00e9e. Le palais est encore encombr\u00e9 de souvenirs insistants, occup\u00e9 par la comparaison. C\u2019est la faim qui commande cependant. Le biologique, la survie. On entre dans une habitude comme on p\u00e9n\u00e8tre dans les miracles, sans bien s\u2019en rendre compte. La gratitude est de l\u2019ordre du superflu. C\u2019est par inadvertance qu\u2019on s\u2019en rend compte. Une pure inadvertance par laquelle toute pens\u00e9e et tout point de vue habituel s\u2019\u00e9chappent. On se retrouve la langue nue. Et l\u00e0, le go\u00fbt de la patate, de la courgette, du navet naissent enfin pour de bon. Tout comme soi-m\u00eame. Simultan\u00e9it\u00e9 et r\u00e9ciprocit\u00e9. L\u2019\u00e9pluchure nous rend \u00e0 la fois au l\u00e9gume, au fruit, et \u00e0 la vie. Alors, c\u2019est bien \u00e9trange de constater \u00e0 cet instant \u00e0 quel point l\u2019originalit\u00e9 et le familier se confondent dans l\u2019\u00eatre. Que tout cela, dans le fond, on le sait depuis toujours. On peut enfin se rendre compte de l\u2019\u00e9cart dans une solitude immense et apais\u00e9e par tous les autres encore en route pour venir s\u2019asseoir \u00e0 notre table. Peu importe le temps que \u00e7a prendra, il y aura toujours de quoi. La v\u00e9ritable abondance est l\u00e0, depuis toujours. On s\u2019en souvient. Comme c\u2019est original !", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/faire-confiance.jpg?1748065153", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2021.html", "title": "16 janvier 2021", "date_published": "2021-01-16T15:49:00Z", "date_modified": "2025-02-17T02:05:47Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Elle suppose, c\u2019est son truc. Moi, j\u2019agis. Je navigue en solitaire sur l\u2019oc\u00e9an de ses suppositions, sans autre boussole que le sel qui se d\u00e9pose sur ma langue, selon le beau temps ou la bourrasque.<\/p>\n

Je suis mon instinct, et voil\u00e0 tout. Je ne suis peut-\u00eatre rien d\u2019autre. Je me confonds avec lui. On ne peut plus nous dissocier d\u00e9sormais.<\/p>\n

Je pourrais faire autre chose. Devenir riche \u00e0 millions, partir sur Mars, explorer le P\u00e9rou, ou m\u2019installer au bord d\u2019un canal bourbonnais \u00e0 lancer ma ligne toute la journ\u00e9e ; ce serait exactement pareil.<\/p>\n

Je le sais d\u00e9sormais.<\/p>\n

Mon instinct fonctionnerait de la m\u00eame mani\u00e8re sur l\u2019oc\u00e9an de toutes les suppositions.<\/p>\n

Il y a toujours ce genre d\u2019oc\u00e9an \u00e0 traverser, n\u2019est-ce pas ?<\/p>\n

Surtout en soi-m\u00eame.<\/p>\n

Et pas qu\u2019un seul.<\/p>\n

Pour trouver la terre ferme, bonjour\u2026<\/p>\n

Dans l\u2019il et dans l\u2019elle, tout essay\u00e9 comme dans le nous, le vous, les ils.<\/p>\n

Le je aussi, \u00e9norm\u00e9ment.<\/p>\n

Et puis parfois, je m\u2019arr\u00eate au tu pour me reposer.<\/p>\n

Le tu, c\u2019est bien.<\/p>\n

Tu veux ou tu ne veux pas, je n\u2019en fais pas un camembert.<\/p>\n

En fait, je m\u2019en fous. Je veux dire que cette part de moi qui navigue sur tous les oc\u00e9ans s\u2019en fout totalement.<\/p>\n

Elle ne jure que par les arabesques que tracent les oiseaux dans le ciel, par le go\u00fbt du sel, la clart\u00e9 bleue de l\u2019orage, et la saveur acide des citrons.<\/p>", "content_text": "Elle suppose, c\u2019est son truc. Moi, j\u2019agis. Je navigue en solitaire sur l\u2019oc\u00e9an de ses suppositions, sans autre boussole que le sel qui se d\u00e9pose sur ma langue, selon le beau temps ou la bourrasque. Je suis mon instinct, et voil\u00e0 tout. Je ne suis peut-\u00eatre rien d\u2019autre. Je me confonds avec lui. On ne peut plus nous dissocier d\u00e9sormais. Je pourrais faire autre chose. Devenir riche \u00e0 millions, partir sur Mars, explorer le P\u00e9rou, ou m\u2019installer au bord d\u2019un canal bourbonnais \u00e0 lancer ma ligne toute la journ\u00e9e ; ce serait exactement pareil. Je le sais d\u00e9sormais. Mon instinct fonctionnerait de la m\u00eame mani\u00e8re sur l\u2019oc\u00e9an de toutes les suppositions. Il y a toujours ce genre d\u2019oc\u00e9an \u00e0 traverser, n\u2019est-ce pas ? Surtout en soi-m\u00eame. Et pas qu\u2019un seul. Pour trouver la terre ferme, bonjour\u2026 Dans l\u2019il et dans l\u2019elle, tout essay\u00e9 comme dans le nous, le vous, les ils. Le je aussi, \u00e9norm\u00e9ment. Et puis parfois, je m\u2019arr\u00eate au tu pour me reposer. Le tu, c\u2019est bien. Tu veux ou tu ne veux pas, je n\u2019en fais pas un camembert. En fait, je m\u2019en fous. Je veux dire que cette part de moi qui navigue sur tous les oc\u00e9ans s\u2019en fout totalement. Elle ne jure que par les arabesques que tracent les oiseaux dans le ciel, par le go\u00fbt du sel, la clart\u00e9 bleue de l\u2019orage, et la saveur acide des citrons. ", "image": "", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Narration et Exp\u00e9rimentation"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-janvier-2021.html", "title": "7 janvier 2021", "date_published": "2021-01-07T15:40:00Z", "date_modified": "2024-10-28T15:40:24Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tous les ans, c\u2019est la m\u00eame histoire : les bonnes r\u00e9solutions reviennent par vagues pour m\u2019envahir la caboche, et il me faut vraiment me ramasser sur moi-m\u00eame, m\u2019arcbouter farouchement pour tenter de leur r\u00e9sister. Mais parfois, certaines sont plus virulentes que d\u2019autres, et il me faut alors ajouter un petit quelque chose en plus : du bon sens, ou du discernement.<\/p>\n

En tant que peintre, la plus belle partie du travail est \u00e9videmment de peindre. Mais une fois l\u2019an, en janvier, tout me rappelle que \u00e7a ne suffit pas, d\u2019une mani\u00e8re encore plus insistante que les autres mois. Je commence \u00e0 m\u2019accabler, \u00e0 me juger f\u00e9rocement, \u00e0 me chercher des poux dans ce qu\u2019il me reste de cheveux, et tout tourne autour des termes « strat\u00e9gies », « visibilit\u00e9 », « notori\u00e9t\u00e9 » et, \u00e9videmment, « p\u00e9pettes ».<\/p>\n

Il faut faire tellement d\u2019autres choses que de peindre quand on veut vraiment vivre de sa peinture, et j\u2019avoue que \u00e7a me coupe les bras. Ce qui, convenons-en, est un inconv\u00e9nient majeur pour ma profession.<\/p>\n

Du coup, je traverse une p\u00e9riode \u00e9trange o\u00f9 une multitude d\u2019id\u00e9es biscornues et de d\u00e9sirs troubles, surgissant de je ne sais quel recoin mercantile de ma psych\u00e9, finissent par m\u2019assaillir et me prendre la t\u00eate.<\/p>\n

\u00c0 chaque t\u00eate qu\u2019Hercule coupe, il en pousse deux autres ; \u00f4 quelle salet\u00e9 que cette hydre de Lerne !<\/p>\n

Faut-il am\u00e9liorer le site web, le rendre plus joli, plus « responsive », plus professionnel, pour obtenir les faveurs Googolesques en mati\u00e8re de r\u00e9f\u00e9rencement ?<\/p>\n

Faut-il enfin s\u2019int\u00e9resser s\u00e9rieusement au fonctionnement \u00e9sot\u00e9rique de ce putain d\u2019autor\u00e9pondeur auquel je ne pige que dalle, bien que je le paie chaque mois pour pas grand-chose ?<\/p>\n

Faut-il cr\u00e9er une boutique ? Et dans ce cas, troquer WordPress pour Prestashop ?<\/p>\n

Commence alors une batterie de tests et d\u2019essais pas vraiment concluants, je l\u2019avoue. Rien n\u2019est simple lorsqu\u2019on bidouille un bout de code par ici, une classe CSS par l\u00e0. Je finis par m\u2019embrouiller dans toutes les ID.<\/p>\n

Je passe des heures \u00e0 visionner des tutos sur YouTube, \u00e0 m\u2019en faire pleurer les yeux, sur des sujets tellement \u00e9loign\u00e9s de la peinture qu\u2019\u00e0 la fin, la confusion envahit tout. Et surtout, elle \u00e9rode largement le simple plaisir de se retrouver devant son chevalet et de peindre de bon c\u0153ur.<\/p>\n

Dans le fond, c\u2019est un peu la m\u00eame chose pour la peinture elle-m\u00eame, sauf que je l\u2019avais oubli\u00e9.<\/p>\n

Au d\u00e9but, on se sent tellement d\u00e9muni de tout ce qu\u2019on imagine comme savoir ou exp\u00e9rience, qu\u2019on passe des heures innombrables \u00e0 chercher en dehors de soi des astuces techniques, sous forme de cours, de tutos, de formations et de stages, voire d\u2019une \u00e9cole d\u2019art.<\/p>\n

On croit que tout cela est absolument n\u00e9cessaire pour ne pas rester au niveau de l\u2019amateur. C\u2019est sans doute vrai en partie, mais pas compl\u00e8tement.<\/p>\n

D\u2019o\u00f9 vient vraiment toute cette confusion ?<\/p>\n

Peut-\u00eatre du fait qu\u2019on n\u2019arrive pas \u00e0 savoir ce qu\u2019on veut, ni dans le blogging, ni dans la peinture.<\/p>\n

Et si on n\u2019y parvient pas, c\u2019est qu\u2019on s\u2019y refuse peut-\u00eatre. Car « savoir ce qu\u2019on veut » m\u00e8ne g\u00e9n\u00e9ralement \u00e0 un objectif unique : « faire du pognon ».<\/p>\n

Je n\u2019ai rien contre l\u2019id\u00e9e d\u2019en gagner. J\u2019y ai consacr\u00e9 la plus grande partie de ma vie en entreprise. C\u2019est d\u2019ailleurs cette absurdit\u00e9 qui m\u2019en a fait partir.<\/p>\n

Apr\u00e8s tant d\u2019\u00e9merveillement et de libert\u00e9, en choisissant tous les al\u00e9as d\u2019une vie de peintre, il est difficile de revenir vers ce questionnement pour red\u00e9finir des strat\u00e9gies que je connais, au demeurant, assez bien.<\/p>\n

M\u00eame si les outils changent et si je ne suis plus vraiment \u00e0 la page, le contenu reste le m\u00eame : promettre, faire saliver, r\u00e9pondre aux objections de ne pas acheter, promettre encore, faire saliver encore, au moins sept fois, puis cr\u00e9er une urgence avec un « call to action ».<\/p>\n

Vendre des tableaux comme \u00e7a, j\u2019y suis tent\u00e9 une fois l\u2019an, g\u00e9n\u00e9ralement en janvier. C\u2019est perturbant, et \u00e0 la fin j\u2019en ris tout seul.<\/p>\n

Peut-on vraiment diviser \u00e0 ce point son \u00e9tat d\u2019esprit pour \u00eatre \u00e0 la fois peintre, camelot et technicien en informatique ? C\u2019est encore une colle pour moi.<\/p>\n

M\u00eame si certains y parviennent et semblent avoir un franc succ\u00e8s, je me demande quel impact cette schizophr\u00e9nie peut avoir sur la justesse de leur art.<\/p>\n

Peut-\u00eatre suis-je encore trop na\u00eff, trop boh\u00e8me, mais je sais ce que je ne veux pas : je veux rester peintre, et je n\u2019ai pas envie de me transformer en homme d\u2019affaires, ni en crack de la SEO, encore moins de rester les trois quarts de la journ\u00e9e les yeux riv\u00e9s sur des \u00e9crans \u00e0 contempler des graphiques pour me rassurer sur mon talent ou sur ma s\u00e9curit\u00e9.<\/p>\n

La question importante \u00e0 se poser alors est : pourquoi je continue \u00e0 bloguer ou \u00e0 peindre ?<\/p>\n

Pour le plaisir de m\u2019exprimer, \u00e9videmment. Et en ces temps, cela peut para\u00eetre \u00e9go\u00efste, inefficace, et absolument pas rentable. Mais au fond, je m\u2019en fiche. On m\u2019a d\u00e9j\u00e0 fait le coup avec des b\u00eatises comme « le temps, c\u2019est de l\u2019argent » ou « le temps perdu ne se rattrape jamais ». Je connais la musique, et surtout le silence entre les notes.<\/p>\n

Chaque ann\u00e9e, un h\u00e9ros antique use de son arc, de ses fl\u00e8ches et de ses strat\u00e9gies pour occire le monstre du marais. En vain, du 1er janvier \u00e0 la fin janvier, jusqu\u2019\u00e0 ce que toutes les t\u00eates du monstre soient finalement calcin\u00e9es m\u00e9ticuleusement.<\/p>", "content_text": "Tous les ans, c\u2019est la m\u00eame histoire : les bonnes r\u00e9solutions reviennent par vagues pour m\u2019envahir la caboche, et il me faut vraiment me ramasser sur moi-m\u00eame, m\u2019arcbouter farouchement pour tenter de leur r\u00e9sister. Mais parfois, certaines sont plus virulentes que d\u2019autres, et il me faut alors ajouter un petit quelque chose en plus : du bon sens, ou du discernement. En tant que peintre, la plus belle partie du travail est \u00e9videmment de peindre. Mais une fois l\u2019an, en janvier, tout me rappelle que \u00e7a ne suffit pas, d\u2019une mani\u00e8re encore plus insistante que les autres mois. Je commence \u00e0 m\u2019accabler, \u00e0 me juger f\u00e9rocement, \u00e0 me chercher des poux dans ce qu\u2019il me reste de cheveux, et tout tourne autour des termes \u00ab strat\u00e9gies \u00bb, \u00ab visibilit\u00e9 \u00bb, \u00ab notori\u00e9t\u00e9 \u00bb et, \u00e9videmment, \u00ab p\u00e9pettes \u00bb. Il faut faire tellement d\u2019autres choses que de peindre quand on veut vraiment vivre de sa peinture, et j\u2019avoue que \u00e7a me coupe les bras. Ce qui, convenons-en, est un inconv\u00e9nient majeur pour ma profession. Du coup, je traverse une p\u00e9riode \u00e9trange o\u00f9 une multitude d\u2019id\u00e9es biscornues et de d\u00e9sirs troubles, surgissant de je ne sais quel recoin mercantile de ma psych\u00e9, finissent par m\u2019assaillir et me prendre la t\u00eate. \u00c0 chaque t\u00eate qu\u2019Hercule coupe, il en pousse deux autres ; \u00f4 quelle salet\u00e9 que cette hydre de Lerne ! Faut-il am\u00e9liorer le site web, le rendre plus joli, plus \"responsive\", plus professionnel, pour obtenir les faveurs Googolesques en mati\u00e8re de r\u00e9f\u00e9rencement ? Faut-il enfin s\u2019int\u00e9resser s\u00e9rieusement au fonctionnement \u00e9sot\u00e9rique de ce putain d\u2019autor\u00e9pondeur auquel je ne pige que dalle, bien que je le paie chaque mois pour pas grand-chose ? Faut-il cr\u00e9er une boutique ? Et dans ce cas, troquer WordPress pour Prestashop ? Commence alors une batterie de tests et d\u2019essais pas vraiment concluants, je l\u2019avoue. Rien n\u2019est simple lorsqu\u2019on bidouille un bout de code par ici, une classe CSS par l\u00e0. Je finis par m\u2019embrouiller dans toutes les ID. Je passe des heures \u00e0 visionner des tutos sur YouTube, \u00e0 m\u2019en faire pleurer les yeux, sur des sujets tellement \u00e9loign\u00e9s de la peinture qu\u2019\u00e0 la fin, la confusion envahit tout. Et surtout, elle \u00e9rode largement le simple plaisir de se retrouver devant son chevalet et de peindre de bon c\u0153ur. Dans le fond, c\u2019est un peu la m\u00eame chose pour la peinture elle-m\u00eame, sauf que je l\u2019avais oubli\u00e9. Au d\u00e9but, on se sent tellement d\u00e9muni de tout ce qu\u2019on imagine comme savoir ou exp\u00e9rience, qu\u2019on passe des heures innombrables \u00e0 chercher en dehors de soi des astuces techniques, sous forme de cours, de tutos, de formations et de stages, voire d\u2019une \u00e9cole d\u2019art. On croit que tout cela est absolument n\u00e9cessaire pour ne pas rester au niveau de l\u2019amateur. C\u2019est sans doute vrai en partie, mais pas compl\u00e8tement. D\u2019o\u00f9 vient vraiment toute cette confusion ? Peut-\u00eatre du fait qu\u2019on n\u2019arrive pas \u00e0 savoir ce qu\u2019on veut, ni dans le blogging, ni dans la peinture. Et si on n\u2019y parvient pas, c\u2019est qu\u2019on s\u2019y refuse peut-\u00eatre. Car \"savoir ce qu\u2019on veut\" m\u00e8ne g\u00e9n\u00e9ralement \u00e0 un objectif unique : \"faire du pognon\". Je n\u2019ai rien contre l\u2019id\u00e9e d\u2019en gagner. J\u2019y ai consacr\u00e9 la plus grande partie de ma vie en entreprise. C\u2019est d\u2019ailleurs cette absurdit\u00e9 qui m\u2019en a fait partir. Apr\u00e8s tant d\u2019\u00e9merveillement et de libert\u00e9, en choisissant tous les al\u00e9as d\u2019une vie de peintre, il est difficile de revenir vers ce questionnement pour red\u00e9finir des strat\u00e9gies que je connais, au demeurant, assez bien. M\u00eame si les outils changent et si je ne suis plus vraiment \u00e0 la page, le contenu reste le m\u00eame : promettre, faire saliver, r\u00e9pondre aux objections de ne pas acheter, promettre encore, faire saliver encore, au moins sept fois, puis cr\u00e9er une urgence avec un \"call to action\". Vendre des tableaux comme \u00e7a, j\u2019y suis tent\u00e9 une fois l\u2019an, g\u00e9n\u00e9ralement en janvier. C\u2019est perturbant, et \u00e0 la fin j\u2019en ris tout seul. Peut-on vraiment diviser \u00e0 ce point son \u00e9tat d\u2019esprit pour \u00eatre \u00e0 la fois peintre, camelot et technicien en informatique ? C\u2019est encore une colle pour moi. M\u00eame si certains y parviennent et semblent avoir un franc succ\u00e8s, je me demande quel impact cette schizophr\u00e9nie peut avoir sur la justesse de leur art. Peut-\u00eatre suis-je encore trop na\u00eff, trop boh\u00e8me, mais je sais ce que je ne veux pas : je veux rester peintre, et je n\u2019ai pas envie de me transformer en homme d\u2019affaires, ni en crack de la SEO, encore moins de rester les trois quarts de la journ\u00e9e les yeux riv\u00e9s sur des \u00e9crans \u00e0 contempler des graphiques pour me rassurer sur mon talent ou sur ma s\u00e9curit\u00e9. La question importante \u00e0 se poser alors est : pourquoi je continue \u00e0 bloguer ou \u00e0 peindre ? Pour le plaisir de m\u2019exprimer, \u00e9videmment. Et en ces temps, cela peut para\u00eetre \u00e9go\u00efste, inefficace, et absolument pas rentable. Mais au fond, je m\u2019en fiche. On m\u2019a d\u00e9j\u00e0 fait le coup avec des b\u00eatises comme \"le temps, c\u2019est de l\u2019argent\" ou \"le temps perdu ne se rattrape jamais\". Je connais la musique, et surtout le silence entre les notes. Chaque ann\u00e9e, un h\u00e9ros antique use de son arc, de ses fl\u00e8ches et de ses strat\u00e9gies pour occire le monstre du marais. En vain, du 1er janvier \u00e0 la fin janvier, jusqu\u2019\u00e0 ce que toutes les t\u00eates du monstre soient finalement calcin\u00e9es m\u00e9ticuleusement.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0727.jpg?1748065154", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/5-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/5-janvier-2021.html", "title": "5 janvier 2021", "date_published": "2021-01-05T15:29:00Z", "date_modified": "2025-07-17T21:45:41Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

J\u2019habitais une chambre de bonne au septi\u00e8me \u00e9tage d\u2019un immeuble place de la Bastille. Au troisi\u00e8me vivait la famille Laraison, le p\u00e8re directeur de la Banque de France. Le tapis rouge s\u2019arr\u00eatait \u00e0 leur \u00e9tage. Quand je d\u00e9valais les escaliers, je les croisais parfois. Monsieur Laraison, v\u00eatu de gris. Sa femme, son ombre. Leurs marmots, joufflus, regard en biais. Le mardi, ils recevaient. \u00c0 20h, je remontais. Dans l\u2019escalier : parfums inconnus. J\u2019\u00e9coutais \u00e0 la porte : rires bourgeois. J\u2019en parlais \u00e0 Pauline apr\u00e8s l\u2019amour. Nous riions. Cela nous rassurait. Le jour o\u00f9 j\u2019ai perdu Pauline, j\u2019ai quitt\u00e9 la piaule. Je me suis barr\u00e9. Je ne les ai jamais revus. Parfois, \u00e7a me revient. Je colle mon oreille \u00e0 la porte des souvenirs. Je revois Pauline. Puis un pet sonore fend l\u2019air du troisi\u00e8me. Et je me mets \u00e0 rire. Je pensais \u00e0 tout \u00e7a en voyant une \u0153uvre de Chen Wenling : Le taureau qui p\u00e8te.
\nEn fait : Ce que vous voyez pourrait ne pas \u00eatre r\u00e9el. Un taureau propuls\u00e9 par un pet, \u00e9crasant Madoff. La critique de la crise financi\u00e8re. Ou autre chose.<\/p>", "content_text": "J\u2019habitais une chambre de bonne au septi\u00e8me \u00e9tage d\u2019un immeuble place de la Bastille. Au troisi\u00e8me vivait la famille Laraison, le p\u00e8re directeur de la Banque de France. Le tapis rouge s\u2019arr\u00eatait \u00e0 leur \u00e9tage. Quand je d\u00e9valais les escaliers, je les croisais parfois. Monsieur Laraison, v\u00eatu de gris. Sa femme, son ombre. Leurs marmots, joufflus, regard en biais. Le mardi, ils recevaient. \u00c0 20h, je remontais. Dans l\u2019escalier : parfums inconnus. J\u2019\u00e9coutais \u00e0 la porte : rires bourgeois. J\u2019en parlais \u00e0 Pauline apr\u00e8s l\u2019amour. Nous riions. Cela nous rassurait. Le jour o\u00f9 j\u2019ai perdu Pauline, j\u2019ai quitt\u00e9 la piaule. Je me suis barr\u00e9. Je ne les ai jamais revus. Parfois, \u00e7a me revient. Je colle mon oreille \u00e0 la porte des souvenirs. Je revois Pauline. Puis un pet sonore fend l\u2019air du troisi\u00e8me. Et je me mets \u00e0 rire. Je pensais \u00e0 tout \u00e7a en voyant une \u0153uvre de Chen Wenling : Le taureau qui p\u00e8te. En fait : Ce que vous voyez pourrait ne pas \u00eatre r\u00e9el. Un taureau propuls\u00e9 par un pet, \u00e9crasant Madoff. La critique de la crise financi\u00e8re. Ou autre chose.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/le-taureau-qui-pete-de-chen-wenling-1-2.jpg?1748065209", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Narration et Exp\u00e9rimentation", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-janvier-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/03-janvier-2021.html", "title": "03 janvier 2021", "date_published": "2021-01-03T15:15:00Z", "date_modified": "2025-04-30T14:42:33Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Peut-\u00eatre que tout tient dans cette id\u00e9e : rester quelque part, rester en lien.
\nSe r\u00e9soudre \u00e0 devenir une sorte de solide, une cristallisation. Mais au fond, ce n\u2019est pas vraiment une question de choix ou de volont\u00e9. Aussi loin que je me souvienne, chaque rencontre avec l\u2019autre m\u2019a toujours inspir\u00e9 une peur brutale, visc\u00e9rale. Une peur difficile \u00e0 d\u00e9finir, mais si vive qu\u2019elle paralysait tout \u00e9lan naturel. Cette angoisse primaire m\u2019a pouss\u00e9, sans doute inconsciemment, \u00e0 me prot\u00e9ger, \u00e0 dresser des barri\u00e8res autour de moi. Le cerveau, lui, s\u2019est charg\u00e9 du reste. Il a cr\u00e9\u00e9 des sch\u00e9mas de survie, alternant entre des \u00e9lans d\u2019affection sinc\u00e8re envers certaines personnes proches et des mouvements de rejet tout aussi spontan\u00e9s. La sinc\u00e9rit\u00e9, la qu\u00eate d\u2019authenticit\u00e9, sont venues plus tard, comme des tentatives d\u2019explication, un moyen de rationaliser ce sentiment profond d\u2019inadaptation. Tout repose sur l\u2019id\u00e9e qu\u2019on se fait du lien. Je suppose qu\u2019elle peut \u00eatre envisag\u00e9e de mani\u00e8re positive ou n\u00e9gative. Chez moi, le n\u00e9gatif l\u2019emporte toujours. Non que j\u2019aie « coup\u00e9 » consciemment ni syst\u00e9matiquement. Je ne dirais pas cela, car m\u00eame si les choses se passent mal dans une relation, on peut malgr\u00e9 tout rester en lien.
\n \u00c0 de rares exceptions pr\u00e8s, les gens font cela. Il y a aussi cette id\u00e9e de convenance qui dicte de ne pas rester en lien avec certaines personnes — des flirts de jeunesse, des anciens camarades de classe. Face \u00e0 cette porosit\u00e9, j\u2019ai toujours rencontr\u00e9 des difficult\u00e9s. Non pas par esprit de contradiction ou par influence ext\u00e9rieure, mais par un rejet visc\u00e9ral de ce qui, en moi, aurait pu se figer en quelque chose d\u2019insinc\u00e8re. Je ne supporte pas l\u2019id\u00e9e de me voir devenir ce que je ne suis pas, de me compromettre avec des attentes sociales ou des convenances qui finiraient par me d\u00e9former. Comme si le simple fait de s\u2019y conformer risquait d\u2019ab\u00eemer l\u2019\u00eatre que j\u2019imagine \u00eatre. Fuir cela, c\u2019est peut-\u00eatre fuir une fatalit\u00e9 sociale, la compromission qui semble in\u00e9vitable. Mais en cherchant \u00e0 rester sinc\u00e8re, une question persiste : qui suis-je vraiment pour en d\u00e9cider ? Quelle l\u00e9gitimit\u00e9 ai-je \u00e0 d\u00e9cr\u00e9ter ce qui est juste ou ce qui ne l\u2019est pas, m\u00eame en moi ? Peut-\u00eatre que cette qu\u00eate d\u2019authenticit\u00e9, au fond, n\u2019est qu\u2019une autre illusion, une fa\u00e7ade derri\u00e8re laquelle je me cache. Une fa\u00e7on de fuir, sous pr\u00e9texte de sinc\u00e9rit\u00e9, ce que la vie pourrait exiger de moi. Si je n\u2019entretiens pas de liens avec les personnes que j\u2019ai rencontr\u00e9es dans ma vie, elles n\u2019en ont pourtant jamais totalement disparues. Elles se situent dans ma m\u00e9moire et je peux revenir vers les moments pass\u00e9s ensemble autant que je le d\u00e9sire pour les examiner. Peut-\u00eatre pour comprendre aussi pourquoi nous ne nous voyons plus. Pourquoi nous nous sommes perdus de vue. Ce n\u2019est jamais de la faute \u00e0 quelqu\u2019un en particulier. C\u2019est la vie qui veut \u00e7a, je crois. Et puis sur l\u2019id\u00e9e que l\u2019on se fait de soi-m\u00eame aussi. Pour certaines personnes, rester en lien avec les autres c\u2019est aussi rester en lien avec soi-m\u00eame par un jeu de miroirs utiles. Comme je n\u2019ai jamais eu d\u2019id\u00e9e de moi-m\u00eame suffisamment solide et durable, rester en lien n\u2019a peut-\u00eatre jamais eu d\u2019importance. J\u2019ai v\u00e9cu de cercles de connaissances en cercles de connaissances, abandonnant ces cercles \u00e0 chaque fois que j\u2019en p\u00e9n\u00e9trais un nouveau, sans vraiment me poser de question. Cela demande des efforts d\u2019entretenir les relations, d\u2019autant plus si on ne trouve pas de sens \u00e0 les conserver.
\n Ce qui m\u2019a toujours effray\u00e9, c\u2019est la cristallisation d\u2019un \u00eatre dans un r\u00f4le d\u00e9termin\u00e9, choisi, « devenir quelqu\u2019un » en toute conscience et s\u2019y accrocher. Je me suis dissimul\u00e9 cette peur derri\u00e8re la stupidit\u00e9 que j\u2019attribuais \u00e0 toutes ces personnes prisonni\u00e8res de la constance, sans voir que j\u2019\u00e9tais tout aussi attach\u00e9 \u00e0 la constance de ne pas en avoir du tout. Cette ironie masquait un malheur profond, un renoncement d\u00e9finitif tr\u00e8s t\u00f4t \u00e0 ce que l\u2019on appelle « la chaleur humaine ».
\n C\u2019est Roger, le peintre en lettres de l\u2019imprimerie o\u00f9 je travaille, qui a mis le doigt sur le probl\u00e8me. J\u2019ai ri doucement lorsqu\u2019il m\u2019a dit \u00e7a pour ne pas montrer qu\u2019il m\u2019avait mis KO. Avec lui non plus je ne suis pas rest\u00e9 en lien, pourtant on s\u2019appr\u00e9ciait vraiment bien. \u00c7a ne m\u2019emp\u00eache pas de penser souvent \u00e0 lui, comme \u00e0 toutes ces personnes perdues en chemin. J\u2019entretiens une conversation ininterrompue avec chacune d\u2019entre elles, chacun d\u2019entre eux. Avec leurs fant\u00f4mes comme avec le mien, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019homme que j\u2019ai pu \u00eatre \u00e0 un moment donn\u00e9 d\u2019une ligne de temps. J\u2019ai essay\u00e9 parfois d\u2019entretenir les relations, mais d\u2019une fa\u00e7on tellement maladroite, tellement peu convaincante\u2026 Mon manque de chaleur humaine va dans les deux sens : je ne peux ni en obtenir ni en donner vraiment. C\u2019est la m\u00eame chose avec les objectifs que j\u2019ai pu me fixer dans la vie. Le risque d\u2019acqu\u00e9rir une v\u00e9ritable solidit\u00e9, une existence « r\u00e9elle » aux yeux des autres, c\u2019est-\u00e0-dire quelqu\u2019un sur lequel on peut « compter ». Les objectifs que je me fixe ne peuvent pas plus compter sur moi que je ne peux compter sur eux pour devenir « quelqu\u2019un » que je ne suis pas. Pour \u00eatre ce que je suis et me tenir \u00e0 cela, j\u2019ai envoy\u00e9 valdinguer tout ce \u00e0 quoi un \u00eatre humain s\u2019accroche g\u00e9n\u00e9ralement. Le seul objectif que j\u2019ai toujours suivi finalement, c\u2019est de ne pas \u00eatre en lien, ni avec les gens ni avec les objectifs trop longtemps, pour pouvoir comprendre combien le temps est un mensonge, une illusion. Et peut-\u00eatre, finalement, que cette obsession est li\u00e9e \u00e0 la mort. Ne pas rester en lien pour \u00e9chapper \u00e0 la nouvelle de la mort des gens, comme \u00e0 la mienne in\u00e9luctable au bout du compte.<\/p>", "content_text": "Peut-\u00eatre que tout tient dans cette id\u00e9e : rester quelque part, rester en lien. Se r\u00e9soudre \u00e0 devenir une sorte de solide, une cristallisation. Mais au fond, ce n\u2019est pas vraiment une question de choix ou de volont\u00e9. Aussi loin que je me souvienne, chaque rencontre avec l\u2019autre m\u2019a toujours inspir\u00e9 une peur brutale, visc\u00e9rale. Une peur difficile \u00e0 d\u00e9finir, mais si vive qu\u2019elle paralysait tout \u00e9lan naturel. Cette angoisse primaire m\u2019a pouss\u00e9, sans doute inconsciemment, \u00e0 me prot\u00e9ger, \u00e0 dresser des barri\u00e8res autour de moi. Le cerveau, lui, s\u2019est charg\u00e9 du reste. Il a cr\u00e9\u00e9 des sch\u00e9mas de survie, alternant entre des \u00e9lans d\u2019affection sinc\u00e8re envers certaines personnes proches et des mouvements de rejet tout aussi spontan\u00e9s. La sinc\u00e9rit\u00e9, la qu\u00eate d\u2019authenticit\u00e9, sont venues plus tard, comme des tentatives d\u2019explication, un moyen de rationaliser ce sentiment profond d\u2019inadaptation. Tout repose sur l\u2019id\u00e9e qu\u2019on se fait du lien. Je suppose qu\u2019elle peut \u00eatre envisag\u00e9e de mani\u00e8re positive ou n\u00e9gative. Chez moi, le n\u00e9gatif l\u2019emporte toujours. Non que j\u2019aie \u00ab coup\u00e9 \u00bb consciemment ni syst\u00e9matiquement. Je ne dirais pas cela, car m\u00eame si les choses se passent mal dans une relation, on peut malgr\u00e9 tout rester en lien. \u00c0 de rares exceptions pr\u00e8s, les gens font cela. Il y a aussi cette id\u00e9e de convenance qui dicte de ne pas rester en lien avec certaines personnes \u2014 des flirts de jeunesse, des anciens camarades de classe. Face \u00e0 cette porosit\u00e9, j\u2019ai toujours rencontr\u00e9 des difficult\u00e9s. Non pas par esprit de contradiction ou par influence ext\u00e9rieure, mais par un rejet visc\u00e9ral de ce qui, en moi, aurait pu se figer en quelque chose d\u2019insinc\u00e8re. Je ne supporte pas l\u2019id\u00e9e de me voir devenir ce que je ne suis pas, de me compromettre avec des attentes sociales ou des convenances qui finiraient par me d\u00e9former. Comme si le simple fait de s\u2019y conformer risquait d\u2019ab\u00eemer l\u2019\u00eatre que j\u2019imagine \u00eatre. Fuir cela, c\u2019est peut-\u00eatre fuir une fatalit\u00e9 sociale, la compromission qui semble in\u00e9vitable. Mais en cherchant \u00e0 rester sinc\u00e8re, une question persiste : qui suis-je vraiment pour en d\u00e9cider ? Quelle l\u00e9gitimit\u00e9 ai-je \u00e0 d\u00e9cr\u00e9ter ce qui est juste ou ce qui ne l\u2019est pas, m\u00eame en moi ? Peut-\u00eatre que cette qu\u00eate d\u2019authenticit\u00e9, au fond, n\u2019est qu\u2019une autre illusion, une fa\u00e7ade derri\u00e8re laquelle je me cache. Une fa\u00e7on de fuir, sous pr\u00e9texte de sinc\u00e9rit\u00e9, ce que la vie pourrait exiger de moi. Si je n\u2019entretiens pas de liens avec les personnes que j\u2019ai rencontr\u00e9es dans ma vie, elles n\u2019en ont pourtant jamais totalement disparues. Elles se situent dans ma m\u00e9moire et je peux revenir vers les moments pass\u00e9s ensemble autant que je le d\u00e9sire pour les examiner. Peut-\u00eatre pour comprendre aussi pourquoi nous ne nous voyons plus. Pourquoi nous nous sommes perdus de vue. Ce n\u2019est jamais de la faute \u00e0 quelqu\u2019un en particulier. C\u2019est la vie qui veut \u00e7a, je crois. Et puis sur l\u2019id\u00e9e que l\u2019on se fait de soi-m\u00eame aussi. Pour certaines personnes, rester en lien avec les autres c\u2019est aussi rester en lien avec soi-m\u00eame par un jeu de miroirs utiles. Comme je n\u2019ai jamais eu d\u2019id\u00e9e de moi-m\u00eame suffisamment solide et durable, rester en lien n\u2019a peut-\u00eatre jamais eu d\u2019importance. J\u2019ai v\u00e9cu de cercles de connaissances en cercles de connaissances, abandonnant ces cercles \u00e0 chaque fois que j\u2019en p\u00e9n\u00e9trais un nouveau, sans vraiment me poser de question. Cela demande des efforts d\u2019entretenir les relations, d\u2019autant plus si on ne trouve pas de sens \u00e0 les conserver. Ce qui m\u2019a toujours effray\u00e9, c\u2019est la cristallisation d\u2019un \u00eatre dans un r\u00f4le d\u00e9termin\u00e9, choisi, \u00ab devenir quelqu\u2019un \u00bb en toute conscience et s\u2019y accrocher. Je me suis dissimul\u00e9 cette peur derri\u00e8re la stupidit\u00e9 que j\u2019attribuais \u00e0 toutes ces personnes prisonni\u00e8res de la constance, sans voir que j\u2019\u00e9tais tout aussi attach\u00e9 \u00e0 la constance de ne pas en avoir du tout. Cette ironie masquait un malheur profond, un renoncement d\u00e9finitif tr\u00e8s t\u00f4t \u00e0 ce que l\u2019on appelle \u00ab la chaleur humaine \u00bb. C\u2019est Roger, le peintre en lettres de l\u2019imprimerie o\u00f9 je travaille, qui a mis le doigt sur le probl\u00e8me. J\u2019ai ri doucement lorsqu\u2019il m\u2019a dit \u00e7a pour ne pas montrer qu\u2019il m\u2019avait mis KO. Avec lui non plus je ne suis pas rest\u00e9 en lien, pourtant on s\u2019appr\u00e9ciait vraiment bien. \u00c7a ne m\u2019emp\u00eache pas de penser souvent \u00e0 lui, comme \u00e0 toutes ces personnes perdues en chemin. J\u2019entretiens une conversation ininterrompue avec chacune d\u2019entre elles, chacun d\u2019entre eux. Avec leurs fant\u00f4mes comme avec le mien, c\u2019est-\u00e0-dire l\u2019homme que j\u2019ai pu \u00eatre \u00e0 un moment donn\u00e9 d\u2019une ligne de temps. J\u2019ai essay\u00e9 parfois d\u2019entretenir les relations, mais d\u2019une fa\u00e7on tellement maladroite, tellement peu convaincante\u2026 Mon manque de chaleur humaine va dans les deux sens : je ne peux ni en obtenir ni en donner vraiment. C\u2019est la m\u00eame chose avec les objectifs que j\u2019ai pu me fixer dans la vie. Le risque d\u2019acqu\u00e9rir une v\u00e9ritable solidit\u00e9, une existence \u00ab r\u00e9elle \u00bb aux yeux des autres, c\u2019est-\u00e0-dire quelqu\u2019un sur lequel on peut \u00ab compter \u00bb. Les objectifs que je me fixe ne peuvent pas plus compter sur moi que je ne peux compter sur eux pour devenir \u00ab quelqu\u2019un \u00bb que je ne suis pas. Pour \u00eatre ce que je suis et me tenir \u00e0 cela, j\u2019ai envoy\u00e9 valdinguer tout ce \u00e0 quoi un \u00eatre humain s\u2019accroche g\u00e9n\u00e9ralement. Le seul objectif que j\u2019ai toujours suivi finalement, c\u2019est de ne pas \u00eatre en lien, ni avec les gens ni avec les objectifs trop longtemps, pour pouvoir comprendre combien le temps est un mensonge, une illusion. Et peut-\u00eatre, finalement, que cette obsession est li\u00e9e \u00e0 la mort. Ne pas rester en lien pour \u00e9chapper \u00e0 la nouvelle de la mort des gens, comme \u00e0 la mienne in\u00e9luctable au bout du compte.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0080.jpg?1748065120", "tags": ["peintres"] } ] }