{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-experience-de-l-inutile.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/l-experience-de-l-inutile.html", "title": "L'exp\u00e9rience de l'inutile.", "date_published": "2020-07-08T03:49:32Z", "date_modified": "2025-07-18T07:17:01Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "
J’ai longtemps choisi l’inutile, par go\u00fbt de revanche, par tendresse aussi pour mes parents que je voyais prisonniers de l’utilit\u00e9, du profit. Le malentendu entre nous venait de l\u00e0. Ils avaient connu la guerre, la faim, les Trente Glorieuses. Ils ne comprenaient pas qu’on puisse refuser l’effort, la rentabilit\u00e9. Dormir tard les angoissait. Ils me le faisaient savoir \u00e0 coups de ceinturon, de cris. Le dialogue passait par la violence. Elle d\u00e9bordait d\u00e9j\u00e0 le cadre familial, saturait le monde entier. On s\u2019y habituait. Je me souviens des voix de guerre, Alg\u00e9rie, Vietnam, devenues bruit de fond. La politique, la g\u00e9opolitique, rien de tout cela ne me parlait. L\u2019\u00e9cole non plus. On y apprenait surtout l\u2019ob\u00e9issance, \u00e0 coups de r\u00e8gle sur les doigts. Mes parents y croyaient dur. \u00c7a m\u2019a vaccin\u00e9. Je ne comprenais rien \u00e0 l\u2019utile. Le mot me glissait dessus. On m\u2019expliquait pourtant, parfois gentiment. Mais ce qu\u2019on appelait utile ressemblait \u00e0 des contes : ne pas \u00e9nerver mon p\u00e8re, \u00e9viter le qu’en-dira-t-on. Cette derni\u00e8re formule me semblait prometteuse — j\u2019ai cru qu\u2019elle m\u2019aiderait \u00e0 s\u00e9duire. J\u2019ai compris plus tard : les filles ne cherchent pas l\u2019utile, elles veulent qu\u2019on y croie. Une Am\u00e9ricaine de passage m\u2019avait dit : “Sans croyance, rien n\u2019est possible.” On avait sept ans. Je l\u2019aimais. J\u2019ai essay\u00e9 de devenir utile \u00e0 ma mani\u00e8re : moqueries, coups, humiliations. \u00c9chec total. J\u2019ai su alors que l\u2019utilit\u00e9 ne servait \u00e0 rien en amour. \u00c0 sept ans, je suis entr\u00e9 dans l\u2019inutile comme dans un monde neuf. Je jouais l\u2019Indien, j\u2019improvisais des guerres, des exils. Je lisais Fenimore Cooper. Une part de moi y est rest\u00e9e. Je construisais des cabanes, des arcs, je fumais des lianes. J\u2019\u00e9tais un survivant. Cela m\u2019a reli\u00e9, sans le savoir, \u00e0 l\u2019exil familial de 17. Il faut toujours que \u00e7a tombe sur un. L\u2019air fragile, un peu \u00e0 c\u00f4t\u00e9. De fil en aiguille, j\u2019ai ajout\u00e9 l\u2019\u00c9gypte, le Sina\u00ef, le buisson ardent. L\u2019inutile m\u2019ouvrait. \u00c0 coups de secousses. Je ne sais m\u00eame plus pourquoi j\u2019ai commenc\u00e9 ce texte. Faut-il une raison pour \u00e9crire ? On me parle encore de plan, de style. La guerre continue. Mais j\u2019ai tenu 60 ans. Je ne vais pas retourner ma veste maintenant. J\u2019ai trouv\u00e9 ce qui m\u2019est utile : \u00eatre soi. Totalement. Avec ses d\u00e9fauts, ses contradictions. Dire ce qu\u2019on pense. Quoi qu\u2019il en co\u00fbte. Voil\u00e0 ce qui me semble n\u00e9cessaire. 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Le mot me glissait dessus. On m\u2019expliquait pourtant, parfois gentiment. Mais ce qu\u2019on appelait utile ressemblait \u00e0 des contes : ne pas \u00e9nerver mon p\u00e8re, \u00e9viter le qu'en-dira-t-on. Cette derni\u00e8re formule me semblait prometteuse \u2014 j\u2019ai cru qu\u2019elle m\u2019aiderait \u00e0 s\u00e9duire. J\u2019ai compris plus tard : les filles ne cherchent pas l\u2019utile, elles veulent qu\u2019on y croie. Une Am\u00e9ricaine de passage m\u2019avait dit : \u201cSans croyance, rien n\u2019est possible.\u201d On avait sept ans. Je l\u2019aimais. J\u2019ai essay\u00e9 de devenir utile \u00e0 ma mani\u00e8re : moqueries, coups, humiliations. \u00c9chec total. J\u2019ai su alors que l\u2019utilit\u00e9 ne servait \u00e0 rien en amour. \u00c0 sept ans, je suis entr\u00e9 dans l\u2019inutile comme dans un monde neuf. Je jouais l\u2019Indien, j\u2019improvisais des guerres, des exils. Je lisais Fenimore Cooper. Une part de moi y est rest\u00e9e. Je construisais des cabanes, des arcs, je fumais des lianes. J\u2019\u00e9tais un survivant. Cela m\u2019a reli\u00e9, sans le savoir, \u00e0 l\u2019exil familial de 17. Il faut toujours que \u00e7a tombe sur un. L\u2019air fragile, un peu \u00e0 c\u00f4t\u00e9. De fil en aiguille, j\u2019ai ajout\u00e9 l\u2019\u00c9gypte, le Sina\u00ef, le buisson ardent. L\u2019inutile m\u2019ouvrait. \u00c0 coups de secousses. Je ne sais m\u00eame plus pourquoi j\u2019ai commenc\u00e9 ce texte. Faut-il une raison pour \u00e9crire ? On me parle encore de plan, de style. La guerre continue. Mais j\u2019ai tenu 60 ans. Je ne vais pas retourner ma veste maintenant. J\u2019ai trouv\u00e9 ce qui m\u2019est utile : \u00eatre soi. Totalement. Avec ses d\u00e9fauts, ses contradictions. Dire ce qu\u2019on pense. Quoi qu\u2019il en co\u00fbte. Voil\u00e0 ce qui me semble n\u00e9cessaire. N\u00e9cessit\u00e9 fait loi. ", "image": "", "tags": [] } ] }