{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-mars-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-mars-2021.html", "title": "20 mars 2021", "date_published": "2024-10-28T20:12:02Z", "date_modified": "2025-10-26T05:18:03Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Elle se r\u00e9sume \u00e0 une \u00e9cume, quelques syllabes, une ou deux plumes.
\nEt toujours elle ressurgit, et ce n\u2019est pas grand-chose ; un rien recr\u00e9e le dialogue, l\u2019analogie
\nn\u00e9e d\u2019un instant suspendu, du carrefour du regard. Elle est lune traversant les nu\u00e9es, les rancunes
\nde toutes les patientes r\u00e9coltes, souvenirs d\u2019avare, le fleuron du catalogue, la nostalgie,
\nhi\u00e9roglyphe cher \u00e0 l\u2019\u00e9gyptologue peinard, bien plus pr\u00e9cieux que la moindre thune.
\n\u00c9chapper \u00e0 l\u2019enfance des yeux, ce serait fuir ton beau visage, l\u2019\u00e9ternit\u00e9, les chronologies.
\nC\u2019est pour cela sans doute qu\u2019existent les rondeurs, la brutalit\u00e9, la douceur,
\nl\u2019exploration spatiale, sans oublier les mineurs, les forgerons, les sp\u00e9l\u00e9ologues,
\nqui vont chercher dans un ailleurs la tendresse premi\u00e8re, l\u2019\u00e9blouissement du c\u0153ur.
\nTous ces errements, cet acharnement, ce naufrage oblig\u00e9 dans le monologue.
\nM\u00eame les plus grandes gueules, les brutes, se font tatouer cette putain d\u2019amertume,
\nqu\u2019enferment ces deux sons doubles qu\u2019on sonne, l\u2019horreur et la splendeur du mot « maman ».<\/p>", "content_text": "Elle se r\u00e9sume \u00e0 une \u00e9cume, quelques syllabes, une ou deux plumes. Et toujours elle ressurgit, et ce n\u2019est pas grand-chose ; un rien recr\u00e9e le dialogue, l\u2019analogie n\u00e9e d\u2019un instant suspendu, du carrefour du regard. Elle est lune traversant les nu\u00e9es, les rancunes de toutes les patientes r\u00e9coltes, souvenirs d\u2019avare, le fleuron du catalogue, la nostalgie, hi\u00e9roglyphe cher \u00e0 l\u2019\u00e9gyptologue peinard, bien plus pr\u00e9cieux que la moindre thune. \u00c9chapper \u00e0 l\u2019enfance des yeux, ce serait fuir ton beau visage, l\u2019\u00e9ternit\u00e9, les chronologies. C\u2019est pour cela sans doute qu\u2019existent les rondeurs, la brutalit\u00e9, la douceur, l\u2019exploration spatiale, sans oublier les mineurs, les forgerons, les sp\u00e9l\u00e9ologues, qui vont chercher dans un ailleurs la tendresse premi\u00e8re, l\u2019\u00e9blouissement du c\u0153ur. Tous ces errements, cet acharnement, ce naufrage oblig\u00e9 dans le monologue. M\u00eame les plus grandes gueules, les brutes, se font tatouer cette putain d\u2019amertume, qu\u2019enferment ces deux sons doubles qu\u2019on sonne, l\u2019horreur et la splendeur du mot \u00ab maman \u00bb.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/visage-corps.jpg?1748065168", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-mars-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-mars-2021.html", "title": "18 mars 2021", "date_published": "2021-03-18T20:02:00Z", "date_modified": "2025-10-26T05:17:30Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Toutes ces peines, ces chagrins, ces d\u00e9sirs, un essaim incessant qui bourdonne gentiment dans la nuit.
\nUne richesse qui se brasse toute seule au fond d\u2019un regard avare. Un ivrogne avide de conserver toute sa soif.
\nUne constipation sans fin. On voudrait tout garder encore et encore, ne rien l\u00e2cher.
\nS\u2019y vautrer par confort face \u00e0 l\u2019inqui\u00e9tude du rien.
\nRessasser, en rajouter des couches, encore et encore, des questions et des « et si ».
\nUne abondance stup\u00e9fiante et toxique qui abolit l\u2019espace et le temps.
\nIl suffirait de faire un pas de c\u00f4t\u00e9 pour sentir le froid monter.
\nGlac\u00e9 par ce face-\u00e0-face, on voudrait bien, mais on ne peut pas.
\nOn ne peut pas et on se r\u00e9fugie vite fait dans le fameux « c\u2019est plus fort que moi ».
\nOn ne peut pas, on n\u2019est que ligne.
\nMais quand m\u00eame, on retente, on s\u2019accroche, l\u2019\u00e9vasion fait r\u00eaver.
\nImagine un autre r\u00eave que celui-ci.
\nPeut-\u00eatre une autre chance, une page blanche.
\nMais que dit la mort sinon ce que l\u2019on sait d\u00e9j\u00e0, encore et encore ?
\n\u00c9puise tout \u00e7a, mon petit gars, \u00e9puise.
\n\u00c9puise encore, et tu verras.
\nUn peu comme Pavese, mal compris :
\n« La mort viendra et elle aura tes yeux. »
\nJe m\u2019attendais \u00e0 une amante, un genre de bombe qui ferait tout exploser,
\nqui r\u00e9duirait tout \u00e7a en poudre pour toujours,
\nen poussi\u00e8re d\u2019\u00e9toile, en origine.
\nAu final, je n\u2019ai vu qu\u2019un voile orange.
\nLe chirurgien tombe \u00e0 point nomm\u00e9, me d\u00e9barrasse gentiment de mes vieux cristallins.
\nChanger de vision, ce n\u2019est pas rien.
\nMais l\u2019habitude est reine, le confort de la peine est roi.
\nPour un clin d\u2019\u0153il de joie, on paie ici des mill\u00e9naires de chagrins.
\nC\u2019est le prix, c\u2019est sans doute ce que \u00e7a vaut.
\nJe serais bien foutu d\u2019en abuser, je me connais.
\nSe ruer vers la joie pour \u00e9chapper \u00e0 soi.
\nSe barrer \u00e0 l\u2019anglaise, encore une fois.
\nMais n\u2019as-tu pas du tout de r\u00eave ?
\nBien s\u00fbr, j\u2019en ai plein, mais rien que des r\u00eaves ne servant \u00e0 rien.
\nR\u00eaver \u00e0 rien, c\u2019est tout de m\u00eame quelque chose.
\nC\u2019est comme des coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau.
\n\u00c7a ne fait rien \u00e0 l\u2019eau.
\n\u00c7a dit juste que t\u2019as une \u00e9p\u00e9e dont tu ne sais pas quoi faire.
\nTu ne l\u2019emporteras pas au paradis, mon petit gars,
\nah \u00e7a non.
\nPour t\u2019en d\u00e9barrasser, juste un enfer \u00e0 traverser.
\nEt puis maintenant, nu comme un ver, vas-y,
\nparle-moi donc de cet autre r\u00eave.
\nJe plongerais le nez dans ton haleine de b\u00e9b\u00e9,
\nj\u2019\u00e9couterais ton silence,
\net si tout se passe bien, alors je serais apais\u00e9.<\/p>", "content_text": "Toutes ces peines, ces chagrins, ces d\u00e9sirs, un essaim incessant qui bourdonne gentiment dans la nuit. Une richesse qui se brasse toute seule au fond d\u2019un regard avare. Un ivrogne avide de conserver toute sa soif. Une constipation sans fin. On voudrait tout garder encore et encore, ne rien l\u00e2cher. S\u2019y vautrer par confort face \u00e0 l\u2019inqui\u00e9tude du rien. Ressasser, en rajouter des couches, encore et encore, des questions et des \u00ab et si \u00bb. Une abondance stup\u00e9fiante et toxique qui abolit l\u2019espace et le temps. Il suffirait de faire un pas de c\u00f4t\u00e9 pour sentir le froid monter. Glac\u00e9 par ce face-\u00e0-face, on voudrait bien, mais on ne peut pas. On ne peut pas et on se r\u00e9fugie vite fait dans le fameux \u00ab c\u2019est plus fort que moi \u00bb. On ne peut pas, on n\u2019est que ligne. Mais quand m\u00eame, on retente, on s\u2019accroche, l\u2019\u00e9vasion fait r\u00eaver. Imagine un autre r\u00eave que celui-ci. Peut-\u00eatre une autre chance, une page blanche. Mais que dit la mort sinon ce que l\u2019on sait d\u00e9j\u00e0, encore et encore ? \u00c9puise tout \u00e7a, mon petit gars, \u00e9puise. \u00c9puise encore, et tu verras. Un peu comme Pavese, mal compris : \u00ab La mort viendra et elle aura tes yeux. \u00bb Je m\u2019attendais \u00e0 une amante, un genre de bombe qui ferait tout exploser, qui r\u00e9duirait tout \u00e7a en poudre pour toujours, en poussi\u00e8re d\u2019\u00e9toile, en origine. Au final, je n\u2019ai vu qu\u2019un voile orange. Le chirurgien tombe \u00e0 point nomm\u00e9, me d\u00e9barrasse gentiment de mes vieux cristallins. Changer de vision, ce n\u2019est pas rien. Mais l\u2019habitude est reine, le confort de la peine est roi. Pour un clin d\u2019\u0153il de joie, on paie ici des mill\u00e9naires de chagrins. C\u2019est le prix, c\u2019est sans doute ce que \u00e7a vaut. Je serais bien foutu d\u2019en abuser, je me connais. Se ruer vers la joie pour \u00e9chapper \u00e0 soi. Se barrer \u00e0 l\u2019anglaise, encore une fois. Mais n\u2019as-tu pas du tout de r\u00eave ? Bien s\u00fbr, j\u2019en ai plein, mais rien que des r\u00eaves ne servant \u00e0 rien. R\u00eaver \u00e0 rien, c\u2019est tout de m\u00eame quelque chose. C\u2019est comme des coups d\u2019\u00e9p\u00e9e dans l\u2019eau. \u00c7a ne fait rien \u00e0 l\u2019eau. \u00c7a dit juste que t\u2019as une \u00e9p\u00e9e dont tu ne sais pas quoi faire. Tu ne l\u2019emporteras pas au paradis, mon petit gars, ah \u00e7a non. Pour t\u2019en d\u00e9barrasser, juste un enfer \u00e0 traverser. Et puis maintenant, nu comme un ver, vas-y, parle-moi donc de cet autre r\u00eave. Je plongerais le nez dans ton haleine de b\u00e9b\u00e9, j\u2019\u00e9couterais ton silence, et si tout se passe bien, alors je serais apais\u00e9. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_1085.jpg?1748065063", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-mars-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-mars-2021.html", "title": "17 mars 2021", "date_published": "2021-03-17T19:53:00Z", "date_modified": "2024-10-28T19:55:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n
\n\t
Huile sur toile format 60x80cm Patrick Blanchon 2021\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t
Huile sur toile format 60x80cm Patrick Blanchon 2021\n<\/div>\n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

En carte postale, c\u2019est bien. \u00c7a fait plaisir cinq minutes, surtout s\u2019il y a du texte \u00e9crit derri\u00e8re, un interligne qui semble dire « je pense \u00e0 toi », ou plut\u00f4t « je te fais croire que je pense \u00e0 toi » pour maintenir le lien, la relation. En r\u00e9alit\u00e9, la plupart des cartes postales sont comme des \u0153uvres de charit\u00e9 ; elles ne visent qu\u2019\u00e0 se donner bonne conscience. Ensuite, on peut aller baiser, se balader, faire du shopping le c\u0153ur serein, l\u2019\u00e2me en paix, autant que possible.<\/p>\n

Mais pour comprendre vraiment, il faut vivre quelque temps dans un pays ensoleill\u00e9 toute l\u2019ann\u00e9e. C\u2019est aussi chiant que les pays o\u00f9 il pleut toujours, o\u00f9 il fait toujours froid. Pass\u00e9 les premi\u00e8res impressions fugaces, l\u2019\u00e9tonnement, on retombe in\u00e9vitablement dans l\u2019habitude. On revient \u00e0 cette fa\u00e7on obs\u00e9dante de voir les choses du fond d\u2019un ennui personnel dont on n\u2019arrive plus \u00e0 se d\u00e9faire.<\/p>\n

Car autrement, si on est v\u00e9ritablement occup\u00e9, si on a un but, si on s\u2019y attelle avec ferveur, jour apr\u00e8s jour, quelle importance qu\u2019il fasse beau ou pas ?<\/p>\n

C\u2019est pareil pour tout : un job, une rencontre, une passion. Pass\u00e9 le cap de la surprise et de l\u2019excitation, l\u2019amygdale ne cesse de cr\u00e9er des lassitudes, des peurs, des hantises. Salet\u00e9 de glande, toujours aux aguets, avec pour seule obsession l\u2019arriv\u00e9e aussi imminente que plausible du p\u00e9pin.<\/p>\n

Le bruit du courrier dans la bo\u00eete \u00e0 lettres a remplac\u00e9 le grognement du tigre \u00e0 dents de sabre. C\u2019est toujours une jungle peupl\u00e9e de dangers. Il faut que ce soit une jungle, sinon ce ne serait pas dr\u00f4le, pas palpitant. Il ne resterait que cette impression \u00e9trange d\u2019\u00eatre un navet plant\u00e9 l\u00e0, dont le destin est de finir au mieux dans la soupe.<\/p>\n

Pas question de devenir poireau ou tomate, non non non. L\u2019image obs\u00e9dante de ce l\u00e9gume fade, accompagn\u00e9e du fameux bon sens, nous en emp\u00eache. Croyez-vous pouvoir changer \u00e0 votre guise ? Imaginez l\u2019effort, la transmutation du plomb en or. Les scientifiques savent faire, avec un appareillage qui s\u2019\u00e9tend sur des kilom\u00e8tres. Il suffit de bombarder, de cr\u00e9er des collisions, pour qu\u2019un atome de plomb l\u00e2che quelques protons et neutrons par lassitude, et devienne un atome d\u2019or. \u00c0 quel prix ? Franchement, est-ce que \u00e7a vaut vraiment la peine ?<\/p>\n

Si tout ce qui brille n\u2019est pas de l\u2019or, ce qui ne brille pas n\u2019est pas pour autant de la merde, voulais-je dire.<\/p>\n

On ne pense pas au courage qu\u2019il faut pour \u00eatre seulement ce que l\u2019on est, et s\u2019y tenir. Mais avant cela, il faut \u00eatre persuad\u00e9 d\u2019\u00eatre quelque chose, ou quelqu\u2019un. C\u2019est le plus difficile, sauf si on croit que tout ce qu\u2019on nous dit est vrai depuis le d\u00e9but. Sauf si l\u2019amour est l\u00e0. Et on met aussi un temps fou \u00e0 comprendre qu\u2019il est toujours l\u00e0. C\u2019est un sacr\u00e9 parcours que tout le monde n\u2019a pas vraiment l\u2019envie, le courage d\u2019effectuer. Et pourtant, on l\u2019effectue peu ou prou, comme aller vivre dans ce pays o\u00f9 il fait toujours beau.<\/p>\n

Car m\u00eame si l\u2019on s\u2019habitue aux \u00e9l\u00e9phants roses, si on commence \u00e0 les entretenir, \u00e0 les nourrir, il serait \u00e9tonnant qu\u2019on ne soit pas rattrap\u00e9 par un fant\u00f4me d\u2019\u00e9l\u00e9phant gris. Celui-ci dirait en barrissant : « Assassin ! Tu me rel\u00e8gues dans la cat\u00e9gorie des fossiles, des cadavres du placard, et pourtant j\u2019ai v\u00e9cu moi aussi. J\u2019ai exist\u00e9, je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 qu\u2019une illusion, une belle ou une sale histoire ! »<\/p>\n

Savoir qui on est, peut-\u00eatre que cela commence par admettre que tout est \u00e0 sa place, que le gris et le rose ont autant leur place dans la farandole que les jours de pluie et les jours ensoleill\u00e9s. Ce qui nous emp\u00eache de nous en apercevoir, c\u2019est cette id\u00e9e de confort et de s\u00e9curit\u00e9 qui accompagne obstin\u00e9ment l\u2019ennui.<\/p>", "content_text": "En carte postale, c\u2019est bien. \u00c7a fait plaisir cinq minutes, surtout s\u2019il y a du texte \u00e9crit derri\u00e8re, un interligne qui semble dire \u00ab je pense \u00e0 toi \u00bb, ou plut\u00f4t \u00ab je te fais croire que je pense \u00e0 toi \u00bb pour maintenir le lien, la relation. En r\u00e9alit\u00e9, la plupart des cartes postales sont comme des \u0153uvres de charit\u00e9 ; elles ne visent qu\u2019\u00e0 se donner bonne conscience. Ensuite, on peut aller baiser, se balader, faire du shopping le c\u0153ur serein, l\u2019\u00e2me en paix, autant que possible. Mais pour comprendre vraiment, il faut vivre quelque temps dans un pays ensoleill\u00e9 toute l\u2019ann\u00e9e. C\u2019est aussi chiant que les pays o\u00f9 il pleut toujours, o\u00f9 il fait toujours froid. Pass\u00e9 les premi\u00e8res impressions fugaces, l\u2019\u00e9tonnement, on retombe in\u00e9vitablement dans l\u2019habitude. On revient \u00e0 cette fa\u00e7on obs\u00e9dante de voir les choses du fond d\u2019un ennui personnel dont on n\u2019arrive plus \u00e0 se d\u00e9faire. Car autrement, si on est v\u00e9ritablement occup\u00e9, si on a un but, si on s\u2019y attelle avec ferveur, jour apr\u00e8s jour, quelle importance qu\u2019il fasse beau ou pas ? C\u2019est pareil pour tout : un job, une rencontre, une passion. Pass\u00e9 le cap de la surprise et de l\u2019excitation, l\u2019amygdale ne cesse de cr\u00e9er des lassitudes, des peurs, des hantises. Salet\u00e9 de glande, toujours aux aguets, avec pour seule obsession l\u2019arriv\u00e9e aussi imminente que plausible du p\u00e9pin. Le bruit du courrier dans la bo\u00eete \u00e0 lettres a remplac\u00e9 le grognement du tigre \u00e0 dents de sabre. C\u2019est toujours une jungle peupl\u00e9e de dangers. Il faut que ce soit une jungle, sinon ce ne serait pas dr\u00f4le, pas palpitant. Il ne resterait que cette impression \u00e9trange d\u2019\u00eatre un navet plant\u00e9 l\u00e0, dont le destin est de finir au mieux dans la soupe. Pas question de devenir poireau ou tomate, non non non. L\u2019image obs\u00e9dante de ce l\u00e9gume fade, accompagn\u00e9e du fameux bon sens, nous en emp\u00eache. Croyez-vous pouvoir changer \u00e0 votre guise ? Imaginez l\u2019effort, la transmutation du plomb en or. Les scientifiques savent faire, avec un appareillage qui s\u2019\u00e9tend sur des kilom\u00e8tres. Il suffit de bombarder, de cr\u00e9er des collisions, pour qu\u2019un atome de plomb l\u00e2che quelques protons et neutrons par lassitude, et devienne un atome d\u2019or. \u00c0 quel prix ? Franchement, est-ce que \u00e7a vaut vraiment la peine ? Si tout ce qui brille n\u2019est pas de l\u2019or, ce qui ne brille pas n\u2019est pas pour autant de la merde, voulais-je dire. On ne pense pas au courage qu\u2019il faut pour \u00eatre seulement ce que l\u2019on est, et s\u2019y tenir. Mais avant cela, il faut \u00eatre persuad\u00e9 d\u2019\u00eatre quelque chose, ou quelqu\u2019un. C\u2019est le plus difficile, sauf si on croit que tout ce qu\u2019on nous dit est vrai depuis le d\u00e9but. Sauf si l\u2019amour est l\u00e0. Et on met aussi un temps fou \u00e0 comprendre qu\u2019il est toujours l\u00e0. C\u2019est un sacr\u00e9 parcours que tout le monde n\u2019a pas vraiment l\u2019envie, le courage d\u2019effectuer. Et pourtant, on l\u2019effectue peu ou prou, comme aller vivre dans ce pays o\u00f9 il fait toujours beau. Car m\u00eame si l\u2019on s\u2019habitue aux \u00e9l\u00e9phants roses, si on commence \u00e0 les entretenir, \u00e0 les nourrir, il serait \u00e9tonnant qu\u2019on ne soit pas rattrap\u00e9 par un fant\u00f4me d\u2019\u00e9l\u00e9phant gris. Celui-ci dirait en barrissant : \u00ab Assassin ! Tu me rel\u00e8gues dans la cat\u00e9gorie des fossiles, des cadavres du placard, et pourtant j\u2019ai v\u00e9cu moi aussi. J\u2019ai exist\u00e9, je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 qu\u2019une illusion, une belle ou une sale histoire ! \u00bb Savoir qui on est, peut-\u00eatre que cela commence par admettre que tout est \u00e0 sa place, que le gris et le rose ont autant leur place dans la farandole que les jours de pluie et les jours ensoleill\u00e9s. Ce qui nous emp\u00eache de nous en apercevoir, c\u2019est cette id\u00e9e de confort et de s\u00e9curit\u00e9 qui accompagne obstin\u00e9ment l\u2019ennui. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/grand-format-60x80-1.jpg?1748065061", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-mars-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-mars-2021.html", "title": "10 mars 2021", "date_published": "2021-03-10T16:34:00Z", "date_modified": "2025-02-17T02:07:03Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je n\u2019ai jamais vraiment aim\u00e9 cette expression. Sans doute parce que « mettre » fait penser \u00e0 ma\u00eetrise, phon\u00e9tiquement, et pour les esprits tordus, encore \u00e0 bien d\u2019autres choses. « Faire confiance » ne m\u2019a jamais convenu non plus. Ce fer dans le « faire », je pr\u00e9sume. Toutes ces propositions auxquelles on accole la confiance n\u00e9cessitent une action. Et je pense que la confiance ne na\u00eet pas de l\u2019action, mais d\u2019un \u00e9tat.<\/p>\n

Si je me sens bien dans ma peau, je n\u2019ai pas peur de grand-chose, alors la confiance vient naturellement, sans effort.<\/p>\n

C\u2019est sur ce postulat que je communique avec les groupes d\u2019enfants aupr\u00e8s desquels j\u2019interviens. Je suis ce que je suis avec eux, comme je le suis en g\u00e9n\u00e9ral.<\/p>\n

Je fournis des pistes de travail, des suggestions afin qu\u2019ils dessinent et peignent dans une atmosph\u00e8re calme et paisible le plus souvent possible. Il n\u2019y a pas d\u2019enjeu autre que celui de passer ensemble un bon moment.<\/p>\n

Cela fait des ann\u00e9es que j\u2019ai mis en place cette mani\u00e8re de faire. Ce n\u2019est pas venu tout seul, mais avec le temps et l\u2019exp\u00e9rience.<\/p>\n

Gr\u00e2ce \u00e0 une intuition qui m\u2019a permis de sortir du train-train, d\u2019une zone de confort, et peu \u00e0 peu, avec l\u2019observation des r\u00e9sultats, j\u2019ai pu cr\u00e9er ces espaces-temps propices \u00e0 la cr\u00e9ativit\u00e9 enfantine.<\/p>\n

Comme n\u2019importe qui, un enfant a besoin que l\u2019on reconnaisse son importance, qu\u2019on lui accorde de l\u2019attention.<\/p>\n

C\u2019est la seule chose v\u00e9ritable \u00e0 faire : parvenir \u00e0 pr\u00eater attention \u00e0 chacun d\u2019eux lors de ces s\u00e9ances r\u00e9cr\u00e9atives.<\/p>\n

Les laisser s\u2019exprimer oralement en premier lieu, m\u00eame si, parfois, leurs propos sortent du cadre habituel, des r\u00e8gles ordinaires qu\u2019un professeur s\u2019empresse d\u2019installer pour ne pas se laisser d\u00e9border.<\/p>\n

Cette crainte d\u2019\u00eatre d\u00e9bord\u00e9 est d\u00e9licieuse car elle m\u2019indique r\u00e9guli\u00e8rement que je ne fais pas suffisamment attention. Elle m\u2019est tr\u00e8s utile et je ne cherche pas \u00e0 m\u2019en pr\u00e9server. Au contraire, je l\u2019entretiens comme un petit monstre toujours affam\u00e9 au fond de moi, un enfant comme les autres.<\/p>\n

Et m\u00eame lorsque la petite Chlo\u00e9, 7 ans, vient me voir pour raconter \u00e0 voix haute tous ses r\u00eaves, dans lesquels des animaux formidables se jettent sur elle pour la d\u00e9vorer, ou bien lorsque c\u2019est elle qui se met \u00e0 manger les autres, je patiente. Ce n\u2019est qu\u2019une variation sur le m\u00eame th\u00e8me.<\/p>\n

Quand la petite Sara, 6 ans, m\u2019\u00e9nonce toute la liste des animaux qu\u2019elle a envie de dessiner, avec force d\u00e9tails plus ou moins rago\u00fbtants, je patiente jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle ait fini. Je regarde les commissures de sa bouche se soulever doucement, marquant sa satisfaction d\u2019\u00eatre \u00e9cout\u00e9e.<\/p>\n

Lorsque la petite Manon se renfrogne suite \u00e0 un conseil sur son dessin, je n\u2019insiste pas. Je l\u00e8ve un pouce et je dis : « Je te demande de bien vouloir m\u2019excuser, ce que je viens de dire n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019une sale habitude d\u2019artiste qui veut toujours changer ou am\u00e9liorer les choses. » Elle comprend tout \u00e0 fait. Elle se rengorge, tourne les talons, et retourne \u00e0 sa place. Je la vois s\u2019absorber de nouveau dans son dessin, comme si je lui avais donn\u00e9 une cl\u00e9 pr\u00e9cieuse.<\/p>\n

Je me suis excus\u00e9 et je lui ai donn\u00e9 l\u2019importance qui convenait \u00e0 cet instant pr\u00e9cis. Je lui ai montr\u00e9 que l\u2019essentiel venait d\u2019elle et que les jugements ext\u00e9rieurs ne sont pas toujours les meilleurs.<\/p>\n

Ces petits moments ne durent qu\u2019une heure en moyenne, et je les trouve toujours trop courts. Mais cela suffit pour qu\u2019ils puissent maintenir la concentration n\u00e9cessaire. En g\u00e9n\u00e9ral, tout le monde fait deux ou trois dessins par s\u00e9ance avec ajouts de peinture.<\/p>\n

Il en ressort souvent des choses magnifiques, non pas selon les crit\u00e8res artistiques classiques du beau ou du laid, mais peu importe.<\/p>\n

Ce qui est important, c\u2019est qu\u2019ils d\u00e9couvrent peu \u00e0 peu la libert\u00e9 de tracer la ligne qu\u2019ils d\u00e9sirent, sans se retenir. Ou plut\u00f4t, qu\u2019ils puissent associer cette libert\u00e9 \u00e0 des souvenirs positifs pour la conserver le plus longtemps possible.<\/p>\n

Je ne suis que le servant vigilant et bienveillant de leur libert\u00e9 d\u2019enfant.<\/p>", "content_text": "Je n\u2019ai jamais vraiment aim\u00e9 cette expression. Sans doute parce que \u00ab mettre \u00bb fait penser \u00e0 ma\u00eetrise, phon\u00e9tiquement, et pour les esprits tordus, encore \u00e0 bien d\u2019autres choses. \u00ab Faire confiance \u00bb ne m\u2019a jamais convenu non plus. Ce fer dans le \u00ab faire \u00bb, je pr\u00e9sume. Toutes ces propositions auxquelles on accole la confiance n\u00e9cessitent une action. Et je pense que la confiance ne na\u00eet pas de l\u2019action, mais d\u2019un \u00e9tat. Si je me sens bien dans ma peau, je n\u2019ai pas peur de grand-chose, alors la confiance vient naturellement, sans effort. C\u2019est sur ce postulat que je communique avec les groupes d\u2019enfants aupr\u00e8s desquels j\u2019interviens. Je suis ce que je suis avec eux, comme je le suis en g\u00e9n\u00e9ral. Je fournis des pistes de travail, des suggestions afin qu\u2019ils dessinent et peignent dans une atmosph\u00e8re calme et paisible le plus souvent possible. Il n\u2019y a pas d\u2019enjeu autre que celui de passer ensemble un bon moment. Cela fait des ann\u00e9es que j\u2019ai mis en place cette mani\u00e8re de faire. Ce n\u2019est pas venu tout seul, mais avec le temps et l\u2019exp\u00e9rience. Gr\u00e2ce \u00e0 une intuition qui m\u2019a permis de sortir du train-train, d\u2019une zone de confort, et peu \u00e0 peu, avec l\u2019observation des r\u00e9sultats, j\u2019ai pu cr\u00e9er ces espaces-temps propices \u00e0 la cr\u00e9ativit\u00e9 enfantine. Comme n\u2019importe qui, un enfant a besoin que l\u2019on reconnaisse son importance, qu\u2019on lui accorde de l\u2019attention. C\u2019est la seule chose v\u00e9ritable \u00e0 faire : parvenir \u00e0 pr\u00eater attention \u00e0 chacun d\u2019eux lors de ces s\u00e9ances r\u00e9cr\u00e9atives. Les laisser s\u2019exprimer oralement en premier lieu, m\u00eame si, parfois, leurs propos sortent du cadre habituel, des r\u00e8gles ordinaires qu\u2019un professeur s\u2019empresse d\u2019installer pour ne pas se laisser d\u00e9border. Cette crainte d\u2019\u00eatre d\u00e9bord\u00e9 est d\u00e9licieuse car elle m\u2019indique r\u00e9guli\u00e8rement que je ne fais pas suffisamment attention. Elle m\u2019est tr\u00e8s utile et je ne cherche pas \u00e0 m\u2019en pr\u00e9server. Au contraire, je l\u2019entretiens comme un petit monstre toujours affam\u00e9 au fond de moi, un enfant comme les autres. Et m\u00eame lorsque la petite Chlo\u00e9, 7 ans, vient me voir pour raconter \u00e0 voix haute tous ses r\u00eaves, dans lesquels des animaux formidables se jettent sur elle pour la d\u00e9vorer, ou bien lorsque c\u2019est elle qui se met \u00e0 manger les autres, je patiente. Ce n\u2019est qu\u2019une variation sur le m\u00eame th\u00e8me. Quand la petite Sara, 6 ans, m\u2019\u00e9nonce toute la liste des animaux qu\u2019elle a envie de dessiner, avec force d\u00e9tails plus ou moins rago\u00fbtants, je patiente jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019elle ait fini. Je regarde les commissures de sa bouche se soulever doucement, marquant sa satisfaction d\u2019\u00eatre \u00e9cout\u00e9e. Lorsque la petite Manon se renfrogne suite \u00e0 un conseil sur son dessin, je n\u2019insiste pas. Je l\u00e8ve un pouce et je dis : \u00ab Je te demande de bien vouloir m\u2019excuser, ce que je viens de dire n\u2019est rien d\u2019autre qu\u2019une sale habitude d\u2019artiste qui veut toujours changer ou am\u00e9liorer les choses. \u00bb Elle comprend tout \u00e0 fait. Elle se rengorge, tourne les talons, et retourne \u00e0 sa place. Je la vois s\u2019absorber de nouveau dans son dessin, comme si je lui avais donn\u00e9 une cl\u00e9 pr\u00e9cieuse. Je me suis excus\u00e9 et je lui ai donn\u00e9 l\u2019importance qui convenait \u00e0 cet instant pr\u00e9cis. Je lui ai montr\u00e9 que l\u2019essentiel venait d\u2019elle et que les jugements ext\u00e9rieurs ne sont pas toujours les meilleurs. Ces petits moments ne durent qu\u2019une heure en moyenne, et je les trouve toujours trop courts. Mais cela suffit pour qu\u2019ils puissent maintenir la concentration n\u00e9cessaire. En g\u00e9n\u00e9ral, tout le monde fait deux ou trois dessins par s\u00e9ance avec ajouts de peinture. Il en ressort souvent des choses magnifiques, non pas selon les crit\u00e8res artistiques classiques du beau ou du laid, mais peu importe. Ce qui est important, c\u2019est qu\u2019ils d\u00e9couvrent peu \u00e0 peu la libert\u00e9 de tracer la ligne qu\u2019ils d\u00e9sirent, sans se retenir. Ou plut\u00f4t, qu\u2019ils puissent associer cette libert\u00e9 \u00e0 des souvenirs positifs pour la conserver le plus longtemps possible. Je ne suis que le servant vigilant et bienveillant de leur libert\u00e9 d\u2019enfant. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_1990.jpg?1748065088", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/3-mars-2021.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/3-mars-2021.html", "title": "3 mars 2021", "date_published": "2021-03-03T16:14:00Z", "date_modified": "2024-10-28T16:16:48Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n
\n\t
« com\u00e9dia » Huile sur toile 2.50m x 1,50m Patrick Blanchon 2014 collection priv\u00e9e.\n<\/strong><\/div>\n\t
« com\u00e9dia » Huile sur toile 2.50m x 1,50m Patrick Blanchon 2014 collection priv\u00e9e.\n<\/div>\n\t
« com\u00e9dia » Huile sur toile 2.50m x 1,50m Patrick Blanchon 2014 collection priv\u00e9e.\n<\/div>\n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je venais d\u2019avoir 35 ans et j\u2019habitais une chouette maison que j\u2019avais trouv\u00e9e dans un chouette village des Yvelines. Je mettais bien deux heures chaque matin pour atteindre mon bureau, \u00e0 cause des embouteillages, mais je m\u2019en fichais. J\u2019allumais la radio dans ce vieux break Nevada que je m\u2019\u00e9tais offert pour l\u2019occasion, et je prenais mon mal en patience. Prendre son mal en patience devait \u00eatre, je crois, une sorte de synonyme pour d\u00e9signer le fait de devenir un peu plus adulte. Quelques mois plus t\u00f4t, j\u2019avais m\u00eame accept\u00e9 de m\u2019occuper d\u2019une petite chatte que l\u2019on m\u2019avait propos\u00e9e. \u00catre responsable de quelque chose d\u2019autre que de moi-m\u00eame devait aller dans le m\u00eame sens, plus ou moins consciemment.<\/p>\n

C\u2019est alors que j\u2019ai entendu cette histoire aux infos de 7 heures, en arrivant sur la Transilienne. L\u2019homme s\u2019appelait McArthur Wheeler et il s\u2019\u00e9tait fait pincer apr\u00e8s avoir cambriol\u00e9 une banque \u00e0 Pittsburgh. Je n\u2019aurais pas accord\u00e9 autant d\u2019importance \u00e0 cette information si le commentateur n\u2019avait pas ajout\u00e9 la raison de son arrestation. Une cam\u00e9ra vid\u00e9o l\u2019avait film\u00e9 en plein d\u00e9lit et, lorsqu\u2019on lui avait montr\u00e9 la bande, l\u2019homme avait d\u2019abord ni\u00e9 \u00eatre l\u2019auteur du d\u00e9lit. Puis il avait invoqu\u00e9 le fait qu\u2019il \u00e9tait impossible de l\u2019identifier, car il s\u2019\u00e9tait enduit le visage de jus de citron.<\/p>\n

C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il croyait dur comme fer \u00e0 sa m\u00e9thode, qu\u2019il continuait encore de juger infaillible. L\u2019\u00e9vidence que les autorit\u00e9s lui pr\u00e9sentaient ne pouvait \u00eatre, \u00e0 ses yeux, qu\u2019un fake.<\/p>\n

C\u2019\u00e9tait \u00e9videmment un message du sort qui s\u2019adressait directement \u00e0 moi, il ne pouvait y avoir de doute. Et tandis que je jouais avec le levier de vitesse et la p\u00e9dale d\u2019embrayage de la Nevada pour rester au pas, ma premi\u00e8re r\u00e9action, qui \u00e9tait de consid\u00e9rer le type comme compl\u00e8tement timbr\u00e9, se transforma peu \u00e0 peu en un koan zen. Un truc parfaitement incompr\u00e9hensible que l\u2019on se force \u00e0 tourner en boucle pour y trouver un sens.<\/p>\n

Il devait bien y avoir un rapport entre cette histoire de jus de citron et moi-m\u00eame. L\u2019\u00e9vidence devenait de plus en plus \u00e9vidente dans mon esprit, comme lorsque Forrest Gump d\u00e9clare que « n\u2019est stupide que la stupidit\u00e9 ».<\/p>\n

Les embouteillages sont parfaits, \u00e0 condition de ne pas s\u2019\u00e9nerver. On peut y faire le point sur sa vie.<\/p>\n

\u00c0 35 ans, je d\u00e9couvrais que je ne me projetais vers aucun avenir, sinon dans la r\u00eaverie. Je ne faisais que ressasser les aspects les plus n\u00e9gatifs de mon pass\u00e9 et je tournais en boucle, de d\u00e9prime en d\u00e9pression. \u00c7a ne se voyait pas trop ; je portais un costume et une cravate, et j\u2019\u00e9tais en pilote automatique de 9 h \u00e0 17 h.<\/p>\n

Puis, \u00e0 17 h 01, quand je remontais dans ma Nevada pour revenir vers ce fichu village, j\u2019endossais la peau du personnage d\u2019\u00e9crivain que je m\u2019\u00e9tais invent\u00e9, comme on plante ses dents dans l\u2019acidit\u00e9 d\u2019un citron pour tenter d\u2019att\u00e9nuer le durcissement des art\u00e8res.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0, je crois, que j\u2019ai compris que j\u2019\u00e9tais comme ce type \u00e0 qui on pr\u00e9sente une \u00e9vidence et qui se rebelle en toute « bonne foi », refusant absolument toute forme d\u2019objectivit\u00e9.<\/p>\n

« Mais je croyais pourtant \u00eatre invisible, je m\u2019\u00e9tais tartin\u00e9 le visage de jus de citron\u2026 »<\/p>\n

Quelques mois plus tard, j\u2019ai d\u00e9m\u00e9nag\u00e9 d\u00e8s la premi\u00e8re occasion, en emportant la chatte qui m\u2019a accompagn\u00e9 durant 22 belles ann\u00e9es. J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 d\u2019\u00e9crire pendant une bonne quinzaine d\u2019ann\u00e9es parce que, tout simplement, je n\u2019avais plus rien de particulier \u00e0 dire.<\/p>", "content_text": "Je venais d\u2019avoir 35 ans et j\u2019habitais une chouette maison que j\u2019avais trouv\u00e9e dans un chouette village des Yvelines. Je mettais bien deux heures chaque matin pour atteindre mon bureau, \u00e0 cause des embouteillages, mais je m\u2019en fichais. J\u2019allumais la radio dans ce vieux break Nevada que je m\u2019\u00e9tais offert pour l\u2019occasion, et je prenais mon mal en patience. Prendre son mal en patience devait \u00eatre, je crois, une sorte de synonyme pour d\u00e9signer le fait de devenir un peu plus adulte. Quelques mois plus t\u00f4t, j\u2019avais m\u00eame accept\u00e9 de m\u2019occuper d\u2019une petite chatte que l\u2019on m\u2019avait propos\u00e9e. \u00catre responsable de quelque chose d\u2019autre que de moi-m\u00eame devait aller dans le m\u00eame sens, plus ou moins consciemment. C\u2019est alors que j\u2019ai entendu cette histoire aux infos de 7 heures, en arrivant sur la Transilienne. L\u2019homme s\u2019appelait McArthur Wheeler et il s\u2019\u00e9tait fait pincer apr\u00e8s avoir cambriol\u00e9 une banque \u00e0 Pittsburgh. Je n\u2019aurais pas accord\u00e9 autant d\u2019importance \u00e0 cette information si le commentateur n\u2019avait pas ajout\u00e9 la raison de son arrestation. Une cam\u00e9ra vid\u00e9o l\u2019avait film\u00e9 en plein d\u00e9lit et, lorsqu\u2019on lui avait montr\u00e9 la bande, l\u2019homme avait d\u2019abord ni\u00e9 \u00eatre l\u2019auteur du d\u00e9lit. Puis il avait invoqu\u00e9 le fait qu\u2019il \u00e9tait impossible de l\u2019identifier, car il s\u2019\u00e9tait enduit le visage de jus de citron. C\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019il croyait dur comme fer \u00e0 sa m\u00e9thode, qu\u2019il continuait encore de juger infaillible. L\u2019\u00e9vidence que les autorit\u00e9s lui pr\u00e9sentaient ne pouvait \u00eatre, \u00e0 ses yeux, qu\u2019un fake. C\u2019\u00e9tait \u00e9videmment un message du sort qui s\u2019adressait directement \u00e0 moi, il ne pouvait y avoir de doute. Et tandis que je jouais avec le levier de vitesse et la p\u00e9dale d\u2019embrayage de la Nevada pour rester au pas, ma premi\u00e8re r\u00e9action, qui \u00e9tait de consid\u00e9rer le type comme compl\u00e8tement timbr\u00e9, se transforma peu \u00e0 peu en un koan zen. Un truc parfaitement incompr\u00e9hensible que l\u2019on se force \u00e0 tourner en boucle pour y trouver un sens. Il devait bien y avoir un rapport entre cette histoire de jus de citron et moi-m\u00eame. L\u2019\u00e9vidence devenait de plus en plus \u00e9vidente dans mon esprit, comme lorsque Forrest Gump d\u00e9clare que \u00ab n\u2019est stupide que la stupidit\u00e9 \u00bb. Les embouteillages sont parfaits, \u00e0 condition de ne pas s\u2019\u00e9nerver. On peut y faire le point sur sa vie. \u00c0 35 ans, je d\u00e9couvrais que je ne me projetais vers aucun avenir, sinon dans la r\u00eaverie. Je ne faisais que ressasser les aspects les plus n\u00e9gatifs de mon pass\u00e9 et je tournais en boucle, de d\u00e9prime en d\u00e9pression. \u00c7a ne se voyait pas trop ; je portais un costume et une cravate, et j\u2019\u00e9tais en pilote automatique de 9 h \u00e0 17 h. Puis, \u00e0 17 h 01, quand je remontais dans ma Nevada pour revenir vers ce fichu village, j\u2019endossais la peau du personnage d\u2019\u00e9crivain que je m\u2019\u00e9tais invent\u00e9, comme on plante ses dents dans l\u2019acidit\u00e9 d\u2019un citron pour tenter d\u2019att\u00e9nuer le durcissement des art\u00e8res. C\u2019est l\u00e0, je crois, que j\u2019ai compris que j\u2019\u00e9tais comme ce type \u00e0 qui on pr\u00e9sente une \u00e9vidence et qui se rebelle en toute \u00ab bonne foi \u00bb, refusant absolument toute forme d\u2019objectivit\u00e9. \u00ab Mais je croyais pourtant \u00eatre invisible, je m\u2019\u00e9tais tartin\u00e9 le visage de jus de citron\u2026 \u00bb Quelques mois plus tard, j\u2019ai d\u00e9m\u00e9nag\u00e9 d\u00e8s la premi\u00e8re occasion, en emportant la chatte qui m\u2019a accompagn\u00e9 durant 22 belles ann\u00e9es. J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 d\u2019\u00e9crire pendant une bonne quinzaine d\u2019ann\u00e9es parce que, tout simplement, je n\u2019avais plus rien de particulier \u00e0 dire. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/comedia.webp?1748065216", "tags": [] } ] }