{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/31-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/31-decembre-2024.html", "title": "31 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-31T10:22:01Z", "date_modified": "2024-12-31T10:22:01Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Mon habit est fait de cambouis, de boue, de baves et de bu\u00e9es. Il p\u00e8se. Il poisse. Il bat. Est-ce que je choisis de le porter ? Peut-\u00eatre. Mais le choix, c\u2019est quoi ? Ce n\u2019est rien d\u2019autre que se souvenir qu\u2019il n\u2019y a pas d\u2019autre chemin. Rev\u00eatir ces oripeaux, tiss\u00e9s par des mains de femme, par la souffrance d\u2019un homme. Par les perdrix, les faisans, les corbeaux. Par les cumulo-nimbus, les tornades, les ouragans, les cyclones. Et par ces petits matins clairs, aussi, o\u00f9 l\u2019on regarde par la fen\u00eatre et l\u2019on d\u00e9couvre la neige sur les toits de terre cuite.<\/p>\n

Je me souviens. Ils se penchent sur mon berceau : ma\u00eetres et ma\u00eetresses des lieux, visages mille fois plus beaux que ceux d\u2019ici-bas. Et mille fois plus cruels. Ils posent ma t\u00eate sur mon nombril. M\u2019extraient les yeux pour jongler un instant, comme on jongle avec deux oranges, puis les placent doucement dans le creux de mes oreilles. Alors, presque tendrement, ils d\u00e9vissent mes bras, mes jambes, mes mains, mes pieds. Ils en font un tas bien ordonn\u00e9 sur mon nombril. Et moi, patiemment, je patiente.<\/p>\n

J\u2019ai travers\u00e9 tant de peurs, tant de d\u00e9go\u00fbts, que je n\u2019ai plus peur. Pas \u00e0 ce moment-l\u00e0.<\/p>\n

Quand je me retourne vers l\u2019obscurit\u00e9 du bureau, le dibbouk est l\u00e0. Assis \u00e0 ma place, comme s\u2019il y avait toujours \u00e9t\u00e9. Ses longs doigts noueux, translucides presque, s\u2019affairent \u00e0 limer ses ongles. Le geste est lent, pr\u00e9cis, m\u00e9ticuleux. Parfois, il l\u00e8ve les yeux vers moi. Juste un instant. Son regard ironique s\u2019\u00e9l\u00e8ve sous ses sourcils broussailleux, des sourcils si lourds qu\u2019ils semblent ombrager toute la pi\u00e8ce.<\/p>\n

Deux nouveaux bras lui poussent. Je les vois appara\u00eetre sans \u00eatre surpris. Il ne faut pas s\u2019\u00e9tonner, je crois. S\u2019\u00e9tonner, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 perdre.<\/p>\n

Et moi, je m\u2019en fous. Voici le coup de cimballe. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 tout perdu depuis bien longtemps.<\/p>\n

Du vide, deux bras surgissent. Impeccables, lisses, termin\u00e9s par des mains fines de pianiste, belles comme des promesses. Ces mains voltigent au-dessus des autres, celles qui continuent leur rituel absurde. Puis, soudain, l\u2019une claque des doigts.<\/p>\n

Le bruit est sec, net, presque solennel.<\/p>\n

Et dans l\u2019instant, toute la r\u00e9alit\u00e9 en carton se d\u00e9chire. Les gratte-ciel s\u2019effondrent comme des allumettes bris\u00e9es, des plaques de placo s\u2019\u00e9croulent en poussi\u00e8re blanche. Un grondement sourd envahit l\u2019air, un fracas venu des entrailles du monde. Les rues disparaissent, la ville se dissout en lambeaux, emport\u00e9e par un souffle invisible. Tout ce qui tenait debout bascule, s\u2019\u00e9crase, s\u2019efface. Plus rien n\u2019est solide.<\/p>\n

Le dibbouk chantonne. Une m\u00e9lop\u00e9e basse et lancinante, presque imperceptible, comme une plainte d\u2019outre-tombe qui prend racine dans un puits tr\u00e8s ancien. Il a d\u00e9sormais quatre bras. Quatre bras qui dansent lentement, presque \u00e9l\u00e9gamment, comme s\u2019ils tissaient un filet d\u2019ombre dans l\u2019air. Et le chant monte. C\u2019est l\u00e0 que je comprends. Je m\u2019en souviens. Ce chant, il m\u2019appartient. Le son me traverse avant que je ne le reconnaisse vraiment.<\/p>\n

J\u2019ouvre la bouche.<\/p>\n

Et je laisse sortir le son du puits noir.<\/p>\n

Je disparais dans le son. C\u2019est une sensation si d\u00e9licieuse de dispara\u00eetre dans un son. Comme si toutes les limites tombaient d\u2019un coup, comme si les murs se dissolvaient et que l\u2019horizon se d\u00e9pliait \u00e0 l\u2019infini, se renouvelant sans cesse. Je monte \u00e0 cru sur le dos d\u2019un \u00e9talon noir, sauvage et indomptable, mais je ne tiens pas les r\u00eanes. Je suis emport\u00e9, mais je ne tombe pas.<\/p>\n

Le son sort de moi, du plus profond de moi. Depuis la racine de mon trou du cul jusqu\u2019\u00e0 mes dents, en passant par mon foie, mon ventre, mes poumons. Je deviens le son. Le son explorant son propre espace. Le son devenant espace. Il n\u2019y a plus de diff\u00e9rence. Je suis cet espace, ouvert, immense, sans contours.<\/p>\n

Le son s\u2019enivre de l\u2019espace comme du temps. Il ne touche rien, mais il emplit tout. Il n\u2019a pas de fin. Ni de d\u00e9but.<\/p>\n

Et dans cet abandon, quelque chose se resserre, un instant. Comme un tambour qui bat pour marquer la cadence. C\u2019est la seule chose qui demeure, cette pulsation, ce rythme, cette force.<\/p>", "content_text": "Mon habit est fait de cambouis, de boue, de baves et de bu\u00e9es. Il p\u00e8se. Il poisse. Il bat. Est-ce que je choisis de le porter ? Peut-\u00eatre. Mais le choix, c\u2019est quoi ? Ce n\u2019est rien d\u2019autre que se souvenir qu\u2019il n\u2019y a pas d\u2019autre chemin. Rev\u00eatir ces oripeaux, tiss\u00e9s par des mains de femme, par la souffrance d\u2019un homme. Par les perdrix, les faisans, les corbeaux. Par les cumulo-nimbus, les tornades, les ouragans, les cyclones. Et par ces petits matins clairs, aussi, o\u00f9 l\u2019on regarde par la fen\u00eatre et l\u2019on d\u00e9couvre la neige sur les toits de terre cuite. Je me souviens. Ils se penchent sur mon berceau : ma\u00eetres et ma\u00eetresses des lieux, visages mille fois plus beaux que ceux d\u2019ici-bas. Et mille fois plus cruels. Ils posent ma t\u00eate sur mon nombril. M\u2019extraient les yeux pour jongler un instant, comme on jongle avec deux oranges, puis les placent doucement dans le creux de mes oreilles. Alors, presque tendrement, ils d\u00e9vissent mes bras, mes jambes, mes mains, mes pieds. Ils en font un tas bien ordonn\u00e9 sur mon nombril. Et moi, patiemment, je patiente. J\u2019ai travers\u00e9 tant de peurs, tant de d\u00e9go\u00fbts, que je n\u2019ai plus peur. Pas \u00e0 ce moment-l\u00e0. Quand je me retourne vers l\u2019obscurit\u00e9 du bureau, le dibbouk est l\u00e0. Assis \u00e0 ma place, comme s\u2019il y avait toujours \u00e9t\u00e9. Ses longs doigts noueux, translucides presque, s\u2019affairent \u00e0 limer ses ongles. Le geste est lent, pr\u00e9cis, m\u00e9ticuleux. Parfois, il l\u00e8ve les yeux vers moi. Juste un instant. Son regard ironique s\u2019\u00e9l\u00e8ve sous ses sourcils broussailleux, des sourcils si lourds qu\u2019ils semblent ombrager toute la pi\u00e8ce. Deux nouveaux bras lui poussent. Je les vois appara\u00eetre sans \u00eatre surpris. Il ne faut pas s\u2019\u00e9tonner, je crois. S\u2019\u00e9tonner, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 perdre. Et moi, je m\u2019en fous. Voici le coup de cimballe. J\u2019ai d\u00e9j\u00e0 tout perdu depuis bien longtemps. Du vide, deux bras surgissent. Impeccables, lisses, termin\u00e9s par des mains fines de pianiste, belles comme des promesses. Ces mains voltigent au-dessus des autres, celles qui continuent leur rituel absurde. Puis, soudain, l\u2019une claque des doigts. Le bruit est sec, net, presque solennel. Et dans l\u2019instant, toute la r\u00e9alit\u00e9 en carton se d\u00e9chire. Les gratte-ciel s\u2019effondrent comme des allumettes bris\u00e9es, des plaques de placo s\u2019\u00e9croulent en poussi\u00e8re blanche. Un grondement sourd envahit l\u2019air, un fracas venu des entrailles du monde. Les rues disparaissent, la ville se dissout en lambeaux, emport\u00e9e par un souffle invisible. Tout ce qui tenait debout bascule, s\u2019\u00e9crase, s\u2019efface. Plus rien n\u2019est solide. Le dibbouk chantonne. Une m\u00e9lop\u00e9e basse et lancinante, presque imperceptible, comme une plainte d\u2019outre-tombe qui prend racine dans un puits tr\u00e8s ancien. Il a d\u00e9sormais quatre bras. Quatre bras qui dansent lentement, presque \u00e9l\u00e9gamment, comme s\u2019ils tissaient un filet d\u2019ombre dans l\u2019air. Et le chant monte. C\u2019est l\u00e0 que je comprends. Je m\u2019en souviens. Ce chant, il m\u2019appartient. Le son me traverse avant que je ne le reconnaisse vraiment. J\u2019ouvre la bouche. Et je laisse sortir le son du puits noir. Je disparais dans le son. C\u2019est une sensation si d\u00e9licieuse de dispara\u00eetre dans un son. Comme si toutes les limites tombaient d\u2019un coup, comme si les murs se dissolvaient et que l\u2019horizon se d\u00e9pliait \u00e0 l\u2019infini, se renouvelant sans cesse. Je monte \u00e0 cru sur le dos d\u2019un \u00e9talon noir, sauvage et indomptable, mais je ne tiens pas les r\u00eanes. Je suis emport\u00e9, mais je ne tombe pas. Le son sort de moi, du plus profond de moi. Depuis la racine de mon trou du cul jusqu\u2019\u00e0 mes dents, en passant par mon foie, mon ventre, mes poumons. Je deviens le son. Le son explorant son propre espace. Le son devenant espace. Il n\u2019y a plus de diff\u00e9rence. Je suis cet espace, ouvert, immense, sans contours. Le son s\u2019enivre de l\u2019espace comme du temps. Il ne touche rien, mais il emplit tout. Il n\u2019a pas de fin. Ni de d\u00e9but. Et dans cet abandon, quelque chose se resserre, un instant. Comme un tambour qui bat pour marquer la cadence. C\u2019est la seule chose qui demeure, cette pulsation, ce rythme, cette force. 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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Lu quelques pages du Porte-Lame de Burroughs vers 3h du matin. Ce qui r\u00e9sonne avec la vid\u00e9o de Pac\u00f4me Tiellement sur son Rabelais dans sa s\u00e9rie sur l’empire romain contre le Christ ou vice versa. Toujours pas trouv\u00e9 l’angle avec lequel p\u00e9n\u00e9trer l’opacit\u00e9 de la proposition d’\u00e9criture de F. Le rire, sans doute, serait un recours, en y a-t-il vraiment un autre ?
\n\u00c0 l’institution Saint-Stanislas d’Osny, pr\u00e8s de Pontoise, je me souviens du petit Legallo, dont je fis faire le tour du parc presque complet \u00e0 coups de gifles et de coups de pied au cul. Du gros Lefranc, \u00e0 qui j’envoyais un uppercut parfait apr\u00e8s qu’il eut trait\u00e9 ma m\u00e8re de nom d’oiseau. De la nonne Th\u00e9r\u00e8sa, qui me troubla tant que j’en fis mes premiers r\u00eaves \u00e9rotiques. Sans compter la voluptueuse Mathilde, qui avait la plastique affolante des femmes pr\u00e9historiques, et que j’\u00e9piais, me portant malade les jours o\u00f9 elle venait faire le m\u00e9nage au dortoir. Et aussi de Poinsard, professeur de math\u00e9matiques aux mains baladeuses et glaciales, dont l’haleine sentait la pastille Pullmoll ou l’affreux cachou. De toute une s\u00e9rie de noms s’achevant en sky, parce que les pr\u00eatres ici furent, avant d’\u00eatre d\u00e9port\u00e9s, polonais. Je me souviens aussi du nom de la rivi\u00e8re dans laquelle je p\u00eachais avec des agrafes attach\u00e9es au bout de ficelles des \u00e9pinoches. Les \u00e9pinoches ont grosso modo la m\u00eame triste figure \u00e9crabouill\u00e9e et m\u00e9lancolique que l’une des deux s\u0153urs Richaume, dont j’\u00e9tais amoureux enfant parce que j’aurais voulu la voir sourire \u00e0 tout prix. Et Monsieur Blavette, professeur d’allemand \u00e9m\u00e9rite, qui nous parlait de la Sarthe comme du Paradis, avait aussi une gueule de traviole et je crois fermement aujourd’hui que c’est pour cette raison principale que je l’aimais bien. Setsensesich wirsetsenuns.<\/i>
\nApr\u00e8s, je ne sais plus trop ce qui s’est pass\u00e9, j’ai lu encore quelques pages de Burroughs, j’ai trouv\u00e9 \u00e7a bien, c’\u00e9tait comme si je visionnais un film, des images fabuleuses. Puis, vers le milieu de la journ\u00e9e, sans doute un blanc, le sommeil. J’ai relu ce que j’avais \u00e9crit \u00e0 4h du matin, \u00e7a ne vaut pas un pet de lapin, mais je le garde parce que c’est un auto-jugement du lendemain apr\u00e8s coup et que la nuit du 29 au 30, je ne dormirai pas bien non plus, j’avancerai dans Burroughs et peut-\u00eatre aussi sur Obsidian. J’ai cr\u00e9\u00e9 pas loin de 5000 fiches en une journ\u00e9e gr\u00e2ce \u00e0 un script Python qui va fouiller dans mes bases de donn\u00e9es SQLite. Je devrais faire une rubrique sp\u00e9ciale pour tout le temps que je passe \u00e0 bricoler sur SPIP, sur Python, sur Obsidian. Mais \u00e7a n’aurait plus rien \u00e0 voir avec le Dibbouk. \u00c0 moins que si, justement. Je n’en sais rien.
\nLu aussi quelques textes sur le blog de l’atelier d’\u00e9criture. Pas encore mis \u00e0 la proposition 7 pour autant. Et que je crois bien que j’ai foir\u00e9 totalement la pr\u00e9c\u00e9dente. Me suis m\u00eame fendu de quelques commentaires parce que tout simplement \u00e7a me venait naturellement. Je regrette un peu ce naturellement aujourd’hui. Puis je me dis que demain, un autre auto-jugement me dira encore autre chose. Une salet\u00e9 de vautour me d\u00e9vore le foie et je n’ai pas invent\u00e9 l’eau chaude ni les allumettes. C’est une injustice flagrante. Encore une. Dans le fond, la justice est l’anomalie, voil\u00e0 ce qu’il convient de se dire pour pouvoir se tenir debout.<\/p>", "content_text": "Lu quelques pages du Porte-Lame de Burroughs vers 3h du matin. Ce qui r\u00e9sonne avec la vid\u00e9o de Pac\u00f4me Tiellement sur son Rabelais dans sa s\u00e9rie sur l'empire romain contre le Christ ou vice versa. Toujours pas trouv\u00e9 l'angle avec lequel p\u00e9n\u00e9trer l'opacit\u00e9 de la proposition d'\u00e9criture de F. Le rire, sans doute, serait un recours, en y a-t-il vraiment un autre ? \u00c0 l'institution Saint-Stanislas d'Osny, pr\u00e8s de Pontoise, je me souviens du petit Legallo, dont je fis faire le tour du parc presque complet \u00e0 coups de gifles et de coups de pied au cul. Du gros Lefranc, \u00e0 qui j'envoyais un uppercut parfait apr\u00e8s qu'il eut trait\u00e9 ma m\u00e8re de nom d'oiseau. De la nonne Th\u00e9r\u00e8sa, qui me troubla tant que j'en fis mes premiers r\u00eaves \u00e9rotiques. Sans compter la voluptueuse Mathilde, qui avait la plastique affolante des femmes pr\u00e9historiques, et que j'\u00e9piais, me portant malade les jours o\u00f9 elle venait faire le m\u00e9nage au dortoir. Et aussi de Poinsard, professeur de math\u00e9matiques aux mains baladeuses et glaciales, dont l'haleine sentait la pastille Pullmoll ou l'affreux cachou. De toute une s\u00e9rie de noms s'achevant en sky, parce que les pr\u00eatres ici furent, avant d'\u00eatre d\u00e9port\u00e9s, polonais. Je me souviens aussi du nom de la rivi\u00e8re dans laquelle je p\u00eachais avec des agrafes attach\u00e9es au bout de ficelles des \u00e9pinoches. Les \u00e9pinoches ont grosso modo la m\u00eame triste figure \u00e9crabouill\u00e9e et m\u00e9lancolique que l'une des deux s\u0153urs Richaume, dont j'\u00e9tais amoureux enfant parce que j'aurais voulu la voir sourire \u00e0 tout prix. Et Monsieur Blavette, professeur d'allemand \u00e9m\u00e9rite, qui nous parlait de la Sarthe comme du Paradis, avait aussi une gueule de traviole et je crois fermement aujourd'hui que c'est pour cette raison principale que je l'aimais bien. {Setsensesich wirsetsenuns.} Apr\u00e8s, je ne sais plus trop ce qui s'est pass\u00e9, j'ai lu encore quelques pages de Burroughs, j'ai trouv\u00e9 \u00e7a bien, c'\u00e9tait comme si je visionnais un film, des images fabuleuses. Puis, vers le milieu de la journ\u00e9e, sans doute un blanc, le sommeil. J'ai relu ce que j'avais \u00e9crit \u00e0 4h du matin, \u00e7a ne vaut pas un pet de lapin, mais je le garde parce que c'est un auto-jugement du lendemain apr\u00e8s coup et que la nuit du 29 au 30, je ne dormirai pas bien non plus, j'avancerai dans Burroughs et peut-\u00eatre aussi sur Obsidian. J'ai cr\u00e9\u00e9 pas loin de 5000 fiches en une journ\u00e9e gr\u00e2ce \u00e0 un script Python qui va fouiller dans mes bases de donn\u00e9es SQLite. Je devrais faire une rubrique sp\u00e9ciale pour tout le temps que je passe \u00e0 bricoler sur SPIP, sur Python, sur Obsidian. Mais \u00e7a n'aurait plus rien \u00e0 voir avec le Dibbouk. \u00c0 moins que si, justement. Je n'en sais rien. Lu aussi quelques textes sur le blog de l'atelier d'\u00e9criture. Pas encore mis \u00e0 la proposition 7 pour autant. Et que je crois bien que j'ai foir\u00e9 totalement la pr\u00e9c\u00e9dente. Me suis m\u00eame fendu de quelques commentaires parce que tout simplement \u00e7a me venait naturellement. Je regrette un peu ce naturellement aujourd'hui. Puis je me dis que demain, un autre auto-jugement me dira encore autre chose. Une salet\u00e9 de vautour me d\u00e9vore le foie et je n'ai pas invent\u00e9 l'eau chaude ni les allumettes. C'est une injustice flagrante. Encore une. Dans le fond, la justice est l'anomalie, voil\u00e0 ce qu'il convient de se dire pour pouvoir se tenir debout. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/le-porte-lame.jpg?1748065127", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-decembre-2024.html", "title": "28 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-27T23:33:13Z", "date_modified": "2025-05-01T20:27:34Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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C\u2019est en extirpant, avec la pointe d\u2019un pic orn\u00e9 d\u2019une boule verte, un corps noir lov\u00e9 dans sa coquille que j\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 la proposition d\u2019\u00e9criture de la semaine. L\u2019escargot en soi n\u2019a pas v\u00e9ritablement de go\u00fbt. C\u2019est la sauce qui fait tout. On pourrait plonger des moules dans cette m\u00eame sauce — et bien pire encore, blattes, cancrelats, cafards — et ce serait, j\u2019en suis presque convaincu, exactement la m\u00eame chose.<\/p>\n

\u00c0 vrai dire, c\u2019est tout \u00e0 fait \u00e9pouvantable de mettre ce genre de chose dans sa bouche. Non pas que je consid\u00e8re l\u2019escargot comme un \u00eatre inf\u00e9rieur ou vil, mais qu\u2019un \u00eatre humain comme moi, suppos\u00e9ment civilis\u00e9, en fasse une bouch\u00e9e, c\u2019est proprement abject. Hormis cette ind\u00e9fectible attirance pour la sauce au beurre persill\u00e9, j\u2019imagine que je pourrais me passer, sans effort excessif, de ce genre de mets pour le reste du temps qu\u2019il me reste \u00e0 vivre.<\/p>\n

— -<\/p>\n

J\u2019ai achet\u00e9 plusieurs bo\u00eetes de Mon Ch\u00e9ri <\/i> chez Lidl. L\u2019une d\u2019elles, je l\u2019ai envelopp\u00e9e de papier cadeau pour la glisser dans les chaussures de mon \u00e9pouse. J\u2019ai aussi d\u00e9got\u00e9 un petit miroir \u00e0 LED, un truc absolument kitsch comme elle les adore. Je l\u2019ai emball\u00e9 avec la m\u00eame application minutieuse, le m\u00eame papier cadeau (en promotion, bien s\u00fbr, dans le m\u00eame magasin). Ces deux cadeaux, de toute \u00e9vidence peu s\u00e9rieux, sont l\u00e0 pour lui faire faire une grimace en les d\u00e9ballant.<\/p>\n

La grimace. Puis le petit sourir g\u00e8n\u00e9. Puis, enfin, son visage qui s\u2019illumine quand elle d\u00e9couvrira le troisi\u00e8me cadeau : un appareil photo Panasonic Lumix. Une folie que je vais payer \u00e0 temp\u00e9rament pendant des mois.<\/p>\n

Et maintenant que je l\u2019ai \u00e9crit, est-ce que \u00e7a me soulage ? Honn\u00eatement, je n\u2019en sais rien. Je me dis que, de toute fa\u00e7on, \u00e0 part moi, \u00e7a ne regarde personne. Et encore, je ne suis pas certain que \u00e7a me regarde vraiment non plus. Peut-\u00eatre qu\u2019il en est de ces gestes anodins comme de tout ce que l\u2019on traverse : \u00e7a ne nous concerne que lorsqu\u2019on implore une Providence quelconque de nous voir. De nous *regarder*.<\/p>\n

— -<\/p>\n

J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er des fiches sur Obsidian. Mais si je suis honn\u00eate, tous ces outils finissent par se ressembler. Ulysse, Scrivener, Notion, Typora, Obsidian\u2026 On passe un temps fou \u00e0 se demander comment on va les utiliser. On les param\u00e8tre, on les organise, on les diss\u00e8que. Puis, un jour, on abandonne. On comprend qu\u2019ils ne sont rien d\u2019autre que des leurres, des pi\u00e8ges sophistiqu\u00e9s pour accaparer l\u2019attention.<\/p>\n

Ils nourrissent un d\u00e9sir ubuesque d\u2019organisation. Et, par la m\u00eame occasion, enrichissent des vendeurs de formations en ligne, qui pullulent comme des cancrelats autour de nos incertitudes.<\/p>\n

Mais cette fois, je m\u2019en rends compte plus vite. Peut-\u00eatre est-ce un progr\u00e8s. J\u2019ai m\u00eame visionn\u00e9 plusieurs vid\u00e9os de cr\u00e9ateurs de contenu pour en \u00eatre bien certain. J\u2019ai t\u00e9l\u00e9charg\u00e9 le livre de Tiago Forte, *Building a Second Brain*, pour m\u2019en convaincre : l\u2019organisation qui compte vraiment, c\u2019est celle avec laquelle je vis au jour le jour. La mienne, d\u00e9sordonn\u00e9e, imparfaite, mais vivante.<\/p>\n

Cela peut para\u00eetre pr\u00e9tentieux, mais ce n\u2019est qu\u2019un \u00e9lan vers une forme d\u2019humilit\u00e9 qui me convient. Le Bouddha disait : « Ne crois qu\u2019en ce que tu exp\u00e9rimentes. » Et, surtout, si le Bouddha se dresse devant toi, tue-le.<\/p>\n

Alors je m\u2019efforce d\u2019observer tout ce qui se dresse devant moi. Ces petites boules noires que je m\u00e2che lentement, qui ont une texture caoutchouteuse et un go\u00fbt d\u00e9licieux de beurre aill\u00e9. J\u2019attrape une crevette. Je fais et je pense exactement la m\u00eame chose. Rien ne peut me r\u00e9sister. Du moins, \u00e0 table.<\/p>\n

— -<\/p>\n

Je ne suis pas du tout certain d\u2019avoir compris la proposition d\u2019\u00e9criture cette fois-ci encore . D\u2019ailleurs, je ne m\u2019y suis pas accroch\u00e9 bien longtemps. Il me semble que plus \u00e7a va, moins je les comprends, ces fameuses propositions. Ou plut\u00f4t, je ne cherche plus vraiment \u00e0 les comprendre. Ce qui m\u2019int\u00e9resse d\u00e9sormais, ce sont les pistes fugaces qui les traversent en filigrane, comme des \u00e9clats d\u2019id\u00e9es laiss\u00e9s l\u00e0, presque par hasard.<\/p>\n

Parfois, c\u2019est un mot qui surgit et que j\u2019ai envie de d\u00e9velopper. Parfois, c\u2019est une liste qui s\u2019impose, d\u2019un seul coup, sans pr\u00e9venir. D\u2019autres fois encore, c\u2019est une sensation, quelque chose de diffus, d\u2019insaisissable, que je ne parviens pas \u00e0 nommer clairement et qui me fait tourner en rond comme un derviche. Cette impossibilit\u00e9 de cerner ce que je veux dire — ou m\u00eame ce qu\u2019on attend de moi — devient presque un moteur. Une \u00e9nergie \u00e9trange, faite de confusion et de mouvement. Mauvais \u00e9l\u00e8ve comme d’habitude. Quand je b\u00e8le, j\u2019ai toujours un chat dans la gorge, et c\u2019est affreux comment je b\u00e8le faux. Je m\u2019en suis encore fait la r\u00e9flexion en disant \u00e0 voix haute : « Mazette, cette b\u00fbche bat tous les records de b\u00fbches surgel\u00e9es ! » <\/i> Une phrase idiote, et moi qui avais vraiment l\u2019air con apr\u00e8s l\u2019avoir prononc\u00e9e. Je ne peux m\u2019emp\u00eacher de trouver quelque chose de familier dans cette absurdit\u00e9, dans ce faux-b\u00ealement qui me poursuit. Comme si tout \u00e7a, finalement, faisait partie du jeu... Peut-\u00eatre que F. ne le fait pas expr\u00e8s. Ou peut-\u00eatre que si.<\/p>\n

Apr\u00e8s tout, ce ne serait pas la premi\u00e8re fois que je croise ce genre de m\u00e9thode. Mes meilleurs professeurs, tous sans exception, avaient cette fa\u00e7on de faire. De poser une question qui semblait claire, mais qui, en r\u00e9alit\u00e9, n\u2019avait aucune r\u00e9ponse \u00e9vidente. Ou bien, ils parlaient ostensiblement d\u2019une chose tout en nous entra\u00eenant ailleurs, sur un tout autre sujet. Et moi, en y r\u00e9fl\u00e9chissant bien, je r\u00e9alise que je fais exactement la m\u00eame chose avec mes \u00e9l\u00e8ves.<\/p>\n

C\u2019est un jeu subtil, presque pervers parfois. (On utilise le mot pervers \u00e0 toutes les sauces d\u00e9sormais ce qui fait qu’il ne veut strictement plus rien dire ) — Donner l\u2019impression de parler d\u2019une chose alors qu\u2019on est en train de parler d\u2019une autre. ( mais n’est-ce pas ce que tout le monde fait sans arret ?) Une sorte de mise en abyme p\u00e9dagogique. Et le plus fascinant, c\u2019est que si je prenais la peine d\u2019interroger ces professeurs aujourd\u2019hui — ceux qui m\u2019ont marqu\u00e9, ceux qui pratiquaient ce « d\u00e9placement » constant — ils me r\u00e9pondraient tous, sans exception, qu\u2019ils ne s\u2019en rendaient pas compte.<\/p>\n

Ils diraient que c\u2019est inconscient. Et, bien s\u00fbr, ils me feraient ce petit sourire en coin. Un sourire qui en dit long sans rien expliquer. Qui semble dire : « Ah ah, tu crois peut-\u00eatre avoir compris. Tu es d\u00e9cid\u00e9ment ind\u00e9crottable ! Peut-\u00eatre que c\u2019est la v\u00e9rit\u00e9. Peut-\u00eatre que c\u2019est une mani\u00e8re d\u2019\u00e9luder. Mais au fond, qu\u2019importe ? Ce n\u2019est pas tant la clart\u00e9 des r\u00e9ponses qui compte, mais cette ouverture, cet espace que ces m\u00e9thodes cr\u00e9ent en nous.<\/p>", "content_text": "C\u2019est en extirpant, avec la pointe d\u2019un pic orn\u00e9 d\u2019une boule verte, un corps noir lov\u00e9 dans sa coquille que j\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 la proposition d\u2019\u00e9criture de la semaine. L\u2019escargot en soi n\u2019a pas v\u00e9ritablement de go\u00fbt. C\u2019est la sauce qui fait tout. On pourrait plonger des moules dans cette m\u00eame sauce \u2014 et bien pire encore, blattes, cancrelats, cafards \u2014 et ce serait, j\u2019en suis presque convaincu, exactement la m\u00eame chose. \u00c0 vrai dire, c\u2019est tout \u00e0 fait \u00e9pouvantable de mettre ce genre de chose dans sa bouche. Non pas que je consid\u00e8re l\u2019escargot comme un \u00eatre inf\u00e9rieur ou vil, mais qu\u2019un \u00eatre humain comme moi, suppos\u00e9ment civilis\u00e9, en fasse une bouch\u00e9e, c\u2019est proprement abject. Hormis cette ind\u00e9fectible attirance pour la sauce au beurre persill\u00e9, j\u2019imagine que je pourrais me passer, sans effort excessif, de ce genre de mets pour le reste du temps qu\u2019il me reste \u00e0 vivre. --- J\u2019ai achet\u00e9 plusieurs bo\u00eetes de{ Mon Ch\u00e9ri } chez Lidl. L\u2019une d\u2019elles, je l\u2019ai envelopp\u00e9e de papier cadeau pour la glisser dans les chaussures de mon \u00e9pouse. J\u2019ai aussi d\u00e9got\u00e9 un petit miroir \u00e0 LED, un truc absolument kitsch comme elle les adore. Je l\u2019ai emball\u00e9 avec la m\u00eame application minutieuse, le m\u00eame papier cadeau (en promotion, bien s\u00fbr, dans le m\u00eame magasin). Ces deux cadeaux, de toute \u00e9vidence peu s\u00e9rieux, sont l\u00e0 pour lui faire faire une grimace en les d\u00e9ballant. La grimace. Puis le petit sourir g\u00e8n\u00e9. Puis, enfin, son visage qui s\u2019illumine quand elle d\u00e9couvrira le troisi\u00e8me cadeau : un appareil photo Panasonic Lumix. Une folie que je vais payer \u00e0 temp\u00e9rament pendant des mois. Et maintenant que je l\u2019ai \u00e9crit, est-ce que \u00e7a me soulage ? Honn\u00eatement, je n\u2019en sais rien. Je me dis que, de toute fa\u00e7on, \u00e0 part moi, \u00e7a ne regarde personne. Et encore, je ne suis pas certain que \u00e7a me regarde vraiment non plus. Peut-\u00eatre qu\u2019il en est de ces gestes anodins comme de tout ce que l\u2019on traverse : \u00e7a ne nous concerne que lorsqu\u2019on implore une Providence quelconque de nous voir. De nous *regarder*. --- J\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er des fiches sur Obsidian. Mais si je suis honn\u00eate, tous ces outils finissent par se ressembler. Ulysse, Scrivener, Notion, Typora, Obsidian\u2026 On passe un temps fou \u00e0 se demander comment on va les utiliser. On les param\u00e8tre, on les organise, on les diss\u00e8que. Puis, un jour, on abandonne. On comprend qu\u2019ils ne sont rien d\u2019autre que des leurres, des pi\u00e8ges sophistiqu\u00e9s pour accaparer l\u2019attention. Ils nourrissent un d\u00e9sir ubuesque d\u2019organisation. Et, par la m\u00eame occasion, enrichissent des vendeurs de formations en ligne, qui pullulent comme des cancrelats autour de nos incertitudes. Mais cette fois, je m\u2019en rends compte plus vite. Peut-\u00eatre est-ce un progr\u00e8s. J\u2019ai m\u00eame visionn\u00e9 plusieurs vid\u00e9os de cr\u00e9ateurs de contenu pour en \u00eatre bien certain. J\u2019ai t\u00e9l\u00e9charg\u00e9 le livre de Tiago Forte, *Building a Second Brain*, pour m\u2019en convaincre : l\u2019organisation qui compte vraiment, c\u2019est celle avec laquelle je vis au jour le jour. La mienne, d\u00e9sordonn\u00e9e, imparfaite, mais vivante. Cela peut para\u00eetre pr\u00e9tentieux, mais ce n\u2019est qu\u2019un \u00e9lan vers une forme d\u2019humilit\u00e9 qui me convient. Le Bouddha disait : \"Ne crois qu\u2019en ce que tu exp\u00e9rimentes.\" Et, surtout, si le Bouddha se dresse devant toi, tue-le. Alors je m\u2019efforce d\u2019observer tout ce qui se dresse devant moi. Ces petites boules noires que je m\u00e2che lentement, qui ont une texture caoutchouteuse et un go\u00fbt d\u00e9licieux de beurre aill\u00e9. J\u2019attrape une crevette. Je fais et je pense exactement la m\u00eame chose. Rien ne peut me r\u00e9sister. Du moins, \u00e0 table. --- Je ne suis pas du tout certain d\u2019avoir compris la proposition d\u2019\u00e9criture cette fois-ci encore . D\u2019ailleurs, je ne m\u2019y suis pas accroch\u00e9 bien longtemps. Il me semble que plus \u00e7a va, moins je les comprends, ces fameuses propositions. Ou plut\u00f4t, je ne cherche plus vraiment \u00e0 les comprendre. Ce qui m\u2019int\u00e9resse d\u00e9sormais, ce sont les pistes fugaces qui les traversent en filigrane, comme des \u00e9clats d\u2019id\u00e9es laiss\u00e9s l\u00e0, presque par hasard. Parfois, c\u2019est un mot qui surgit et que j\u2019ai envie de d\u00e9velopper. Parfois, c\u2019est une liste qui s\u2019impose, d\u2019un seul coup, sans pr\u00e9venir. D\u2019autres fois encore, c\u2019est une sensation, quelque chose de diffus, d\u2019insaisissable, que je ne parviens pas \u00e0 nommer clairement et qui me fait tourner en rond comme un derviche. Cette impossibilit\u00e9 de cerner ce que je veux dire \u2014 ou m\u00eame ce qu\u2019on attend de moi \u2014 devient presque un moteur. Une \u00e9nergie \u00e9trange, faite de confusion et de mouvement. Mauvais \u00e9l\u00e8ve comme d'habitude. Quand je b\u00e8le, j\u2019ai toujours un chat dans la gorge, et c\u2019est affreux comment je b\u00e8le faux. Je m\u2019en suis encore fait la r\u00e9flexion en disant \u00e0 voix haute : {\u00ab Mazette, cette b\u00fbche bat tous les records de b\u00fbches surgel\u00e9es ! \u00bb } Une phrase idiote, et moi qui avais vraiment l\u2019air con apr\u00e8s l\u2019avoir prononc\u00e9e. Je ne peux m\u2019emp\u00eacher de trouver quelque chose de familier dans cette absurdit\u00e9, dans ce faux-b\u00ealement qui me poursuit. Comme si tout \u00e7a, finalement, faisait partie du jeu... Peut-\u00eatre que F. ne le fait pas expr\u00e8s. Ou peut-\u00eatre que si. Apr\u00e8s tout, ce ne serait pas la premi\u00e8re fois que je croise ce genre de m\u00e9thode. Mes meilleurs professeurs, tous sans exception, avaient cette fa\u00e7on de faire. De poser une question qui semblait claire, mais qui, en r\u00e9alit\u00e9, n\u2019avait aucune r\u00e9ponse \u00e9vidente. Ou bien, ils parlaient ostensiblement d\u2019une chose tout en nous entra\u00eenant ailleurs, sur un tout autre sujet. Et moi, en y r\u00e9fl\u00e9chissant bien, je r\u00e9alise que je fais exactement la m\u00eame chose avec mes \u00e9l\u00e8ves. C\u2019est un jeu subtil, presque pervers parfois. (On utilise le mot pervers \u00e0 toutes les sauces d\u00e9sormais ce qui fait qu'il ne veut strictement plus rien dire ) -- Donner l\u2019impression de parler d\u2019une chose alors qu\u2019on est en train de parler d\u2019une autre. ( mais n'est-ce pas ce que tout le monde fait sans arret ?) Une sorte de mise en abyme p\u00e9dagogique. Et le plus fascinant, c\u2019est que si je prenais la peine d\u2019interroger ces professeurs aujourd\u2019hui \u2014 ceux qui m\u2019ont marqu\u00e9, ceux qui pratiquaient ce \"d\u00e9placement\" constant \u2014 ils me r\u00e9pondraient tous, sans exception, qu\u2019ils ne s\u2019en rendaient pas compte. Ils diraient que c\u2019est inconscient. Et, bien s\u00fbr, ils me feraient ce petit sourire en coin. Un sourire qui en dit long sans rien expliquer. Qui semble dire : \u00ab Ah ah, tu crois peut-\u00eatre avoir compris. Tu es d\u00e9cid\u00e9ment ind\u00e9crottable ! Peut-\u00eatre que c\u2019est la v\u00e9rit\u00e9. Peut-\u00eatre que c\u2019est une mani\u00e8re d\u2019\u00e9luder. Mais au fond, qu\u2019importe ? Ce n\u2019est pas tant la clart\u00e9 des r\u00e9ponses qui compte, mais cette ouverture, cet espace que ces m\u00e9thodes cr\u00e9ent en nous. 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statue -1279 \/ -1213 (Rams\u00e8s II) Lieu de d\u00e9couverte : Kh\u00e9nou de Rams\u00e8s II E 16357 D\u00e9partement des Antiquit\u00e9s \u00e9gyptiennes\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je peux le dire sans fausse modestie : mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui est le r\u00e9sultat de toute mon exp\u00e9rience pass\u00e9e.<\/p>\n

Que veut dire ’avoir le sens de la formule’ ? Que veut dire ’avoir le sens’ ? Que veut dire ’formule’ ? Que veut dire ’que veut dire’ ? Rien qui ne retienne mon attention plus de quelques minutes ce matin.<\/p>\n

Admettons que j\u2019\u00e9crive une seule phrase par jour, qu\u2019au bout de trois cent soixante-cinq jours j\u2019en efface les trois quarts, et qu\u2019enfin le peu qui reste atterrisse dans un tiroir : serais-je pour autant plus r\u00e9aliste ? Pourquoi tant de questions ? La journ\u00e9e commence donc ainsi, avec l\u2019acuit\u00e9 d\u2019une inexp\u00e9rience n\u00e9e de l\u2019exp\u00e9rience d\u2019hier, et l\u2019ignorance encore neuve du lendemain.<\/p>\n

Le froid mordant m\u2019a pris la main, s\u2019est insinu\u00e9 jusque dans mes os, en traversant la cour pour me rendre \u00e0 l\u2019atelier. Le froid m\u2019a rendu. Donc voil\u00e0 : me voici vomi, vomissure du froid. At\u00e8le-toi donc encore \u00e0 \u00e7a. Je crois que ma main ne m\u2019appartient plus. Il faut absolument que je d\u00e9pose cette main courante. Elle pend, inerte, et je la regarde comme on regarde un merle sans vie qu\u2019on n\u2019a pas le courage de jeter.<\/p>\n

Aux ordures.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui est, selon EDF, un jour rouge. Ils envoient un mail pour te pr\u00e9venir. En voudrais-je du rouge que je l\u2019aurais. En vous, d\u2019rage, du roux. Du sucre et du miel. Je n\u2019sais plus. En. Vous. E. Rouge sang. Rouge EDF. Rouge et bon baiser de Russie.<\/p>\n

J\u2019anonne Jeanneton, sans faux cil ni Marthe Oh.<\/p>\n

vous voici arriv\u00e9s \u00e0 ORL\u00c9ANS deux minutes d\u2019arr\u00eat.<\/i><\/p>\n

Je tente de remonter l\u2019Amazone pour trouver sa source, mais je n\u2019ai en main qu\u2019un **LUBRIQUE CUBE**.<\/p>\n

Vous jouez au LEGO, mon salaud, vous et tous vos actes ill\u00e9gaux.<\/i><\/p>\n

J\u2019erre, monte, descend, en pire rogue, l\u2019amas zone. Du c\u00f4t\u00e9 de j\u2019erre honte, de guerre lasse \u00e7a descend, monte, bifurque. Parce qu\u2019en plus, \u00e0 moins que vous l\u2019ignoriez, tout cela devrait avoir un SENS. Sauf qu\u2019on ne peut pas \u00eatre et avoir \u00e9t\u00e9. De plus c\u2019est l\u2019hiver.<\/p>\n

Quand la bise fut venue nue qu\u2019elle eut \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9e sur des l\u00e8vres gerc\u00e9es.<\/i><\/p>\n

L\u2019ascenseur, sir, vous voici pri\u00e9 d\u2019y monter. Un groom, gras, un loukoum Oum Kel SOUM qu\u2019il assume. Avec un \u00e9trange chapeau en forme de pot de yaourt, le regard oblique, me fait le signe que l\u2019on adresse aux oblig\u00e9s. Vous voici oblig\u00e9, mon cher. Ils se sont donc ligu\u00e9s, ce ne sera pas possible autrement, Dotremont. L\u2019ascenseur grince. Chaque \u00e9tage : un bruit sourd, quelque chose se d\u00e9croche lentement derri\u00e8re les parois. BADABOUM.<\/p>\n

Je peux le dire sans d\u00e9tour : mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui est l\u2019aboutissement de toute mon exp\u00e9rience pass\u00e9e. Mais pourquoi mettre ’d\u2019’ ?<\/p>\n

D\u2019accord : aujourd\u2019hui est l\u2019aboutissement de mon exp\u00e9rience d\u2019hier.<\/p>\n

Au jour d\u2019hui. Au jour. Au. A. U.<\/p>\n

Hue !<\/p>\n

Quelque chose. Un clapotis.<\/strong> (Prononc\u00e9 Capoti pour Truman). L\u2019homme trou. La bocca de la verita.<\/p>\n

Je vais mourir. Mais quand ? M\u00e9chant.<\/p>\n

Je vis mourir tant de m\u00e9cr\u00e9ants qui s\u2019\u00e9criaient des choses affreuses \u00e0 propos d\u2019eux-m\u00eames. Ce qu\u2019ils croyaient \u00eatre eux-m\u00eames. Ils se tordaient comme des marionnettes d\u00e9sarticul\u00e9es. Des vers de terre, des vers jet\u00e9s par des Russes dans une large chemin\u00e9e. MA\u00efakovski. Je crois que c\u2019est l\u2019un d\u2019eux qui m\u2019a cri\u00e9 : « Tu viens avec moi ? » Je n\u2019ai pas r\u00e9pondu.<\/p>\n

J\u2019ai \u00e0 dorer, humer, l\u2019odeur de la fum\u00e9e du calumet.<\/p>\n

Mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui est l\u2019aboutissement naturel de toute l\u2019exp\u00e9rience d\u2019hier. Le mot « naturel » donne l\u2019id\u00e9e d\u2019une \u00e9volution logique, et « toute » amplifie la richesse et la compl\u00e9tude des exp\u00e9riences pass\u00e9es.
\nJe ne suis pas fou. Mais patrac, parfois Patrick. Non, non, pas de trique, je vous en prie. J\u2019aurais volontiers contre un violon troqu\u00e9 ma trique. Les sans gland long des eunuques, les grelots des gr\u00eales, le go\u00fbt de la grenade \u00e9clat\u00e9e. La grenade m\u2019explose en bouche. Mille balles de ping-pong m\u2019emp\u00eachent de parler. Mille et une nuits ch\u00e8res \u00e0 rasades. Les grains se collent \u00e0 mon palais. J\u2019avale, moi aussi j\u2019avale. Je le vois d\u00e9sormais quand je sors de la vall\u00e9e : j\u2019ai beaucoup et souvent aval\u00e9.<\/p>\n

Des cools \u0153uvres.<\/i><\/p>\n

Mais voil\u00e0 : mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui d\u00e9coule de l\u2019exp\u00e9rience d\u2019hier. Plus directe, plus incisive. Cette version simplifie encore davantage le message tout en conservant son essence.<\/p>\n

Admettons que j\u2019\u00e9crive une seule phrase par jour, pas pas jour, maman nuit<\/i>. Et que dans trois cent soixante-cinq jours, j\u2019en efface les trois quarts. Il est minuit moins le quart.<\/i> Puis qu\u2019enfin le pneu qui reste termine sa course dans un tiroir : serais-je plus r\u00e9aliste pour autant ?<\/p>\n

En Is\u00e8re, mis\u00e8re si tu n\u2019as pas les bons pneus, dit la s\u00e9curit\u00e9 routi\u00e8re.<\/p>\n

Je retirerais bien ma peau si j\u2019\u00e9tais certain qu\u2019elle n\u2019en recouvre pas une autre, et ainsi de suite. Et \u00e0 la fin encore une autre, encore. En corps \u00e7a germe. Mais j\u2019ai peur de ce que je trouverais en corps : un carnet, un de ces vieux carnets br\u00fbl\u00e9s. De la cendre, le fameux go\u00fbt ou d\u00e9go\u00fbt des cendres.<\/p>\n

Un mercredi.<\/p>\n

Avoir le sens de la formule, c\u2019est \u00eatre capable de formuler une id\u00e9e de mani\u00e8re concise, percutante et m\u00e9morable.<\/i> Cela revient \u00e0 trouver la phrase juste, souvent empreinte de finesse, d\u2019humour ou de profondeur, qui marquera les esprits.<\/p>\n

\u00c7a revient. C\u2019est s\u00fbr. \u00c7a revient.
\n\u00e7a s\u2019en va et \u00e7a revient.<\/i><\/p>\n

L\u2019HISTOIRE est tr\u00e8s loin d\u2019\u00eatre lin\u00e9aire, elle donne des claques, elle est six cliques.<\/p>\n

Empreintes relev\u00e9es, on ne d\u00e9couvrit aucune finesse chez Eliott Ness.<\/p>\n

Mais les abonnements grimpent \u00e0 la salle de fitness.<\/p>\n

« Ce matin », l\u2019id\u00e9e d\u2019apprendre ou de comprendre le « sens de la formule » semble poser une question rh\u00e9torique : est-ce un besoin r\u00e9el ou simplement une pens\u00e9e passag\u00e8re ? Cela refl\u00e8te peut-\u00eatre une h\u00e9sitation entre l\u2019envie de ma\u00eetriser cet art pour briller, et une certaine indiff\u00e9rence ou lassitude face \u00e0 cette notion.
\nQue veut dire avoir le sens de la formule ? Rien qui n\u2019attire mon int\u00e9r\u00eat ce matin.<\/p>\n

Tu aimerais bien dire \u00e7a suffit comme \u00e7a me suffit les villas au bord des plages, la t\u00eate de chien qui remue sur le haillon arri\u00e8re, villa mon cul ou pan ! chaud vilain !<\/p>\n

mais tu dis rien.<\/p>\n

T\u2019es mort, la m\u00e2choire broie du silence de mort. Tu avales du rien. Le mors aux dents n\u2019est plus l\u00e0. Le vieux cuir bouilli a fondu dans la neige blanche tout autour de ton corps qui n\u2019\u00e9met plus aucun son au fond des bois.<\/p>", "content_text": "Je peux le dire sans fausse modestie : mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui est le r\u00e9sultat de toute mon exp\u00e9rience pass\u00e9e. Que veut dire 'avoir le sens de la formule' ? Que veut dire 'avoir le sens' ? Que veut dire 'formule' ? Que veut dire 'que veut dire' ? Rien qui ne retienne mon attention plus de quelques minutes ce matin. Admettons que j\u2019\u00e9crive une seule phrase par jour, qu\u2019au bout de trois cent soixante-cinq jours j\u2019en efface les trois quarts, et qu\u2019enfin le peu qui reste atterrisse dans un tiroir : serais-je pour autant plus r\u00e9aliste ? Pourquoi tant de questions ? La journ\u00e9e commence donc ainsi, avec l\u2019acuit\u00e9 d\u2019une inexp\u00e9rience n\u00e9e de l\u2019exp\u00e9rience d\u2019hier, et l\u2019ignorance encore neuve du lendemain. Le froid mordant m\u2019a pris la main, s\u2019est insinu\u00e9 jusque dans mes os, en traversant la cour pour me rendre \u00e0 l\u2019atelier. Le froid m\u2019a rendu. Donc voil\u00e0 : me voici vomi, vomissure du froid. At\u00e8le-toi donc encore \u00e0 \u00e7a. Je crois que ma main ne m\u2019appartient plus. Il faut absolument que je d\u00e9pose cette main courante. Elle pend, inerte, et je la regarde comme on regarde un merle sans vie qu\u2019on n\u2019a pas le courage de jeter. Aux ordures. Aujourd\u2019hui est, selon EDF, un jour rouge. Ils envoient un mail pour te pr\u00e9venir. En voudrais-je du rouge que je l\u2019aurais. En vous, d\u2019rage, du roux. Du sucre et du miel. Je n\u2019sais plus. En. Vous. E. Rouge sang. Rouge EDF. Rouge et bon baiser de Russie. J\u2019anonne Jeanneton, sans faux cil ni Marthe Oh. {vous voici arriv\u00e9s \u00e0 ORL\u00c9ANS deux minutes d\u2019arr\u00eat.} Je tente de remonter l\u2019Amazone pour trouver sa source, mais je n\u2019ai en main qu\u2019un **LUBRIQUE CUBE**. {Vous jouez au LEGO, mon salaud, vous et tous vos actes ill\u00e9gaux.} J\u2019erre, monte, descend, en pire rogue, l\u2019amas zone. Du c\u00f4t\u00e9 de j\u2019erre honte, de guerre lasse \u00e7a descend, monte, bifurque. Parce qu\u2019en plus, \u00e0 moins que vous l\u2019ignoriez, tout cela devrait avoir un SENS. Sauf qu\u2019on ne peut pas \u00eatre et avoir \u00e9t\u00e9. De plus c\u2019est l\u2019hiver. {Quand la bise fut venue nue qu\u2019elle eut \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9e sur des l\u00e8vres gerc\u00e9es.} L\u2019ascenseur, sir, vous voici pri\u00e9 d\u2019y monter. Un groom, gras, un loukoum Oum Kel SOUM qu\u2019il assume. Avec un \u00e9trange chapeau en forme de pot de yaourt, le regard oblique, me fait le signe que l\u2019on adresse aux oblig\u00e9s. Vous voici oblig\u00e9, mon cher. Ils se sont donc ligu\u00e9s, ce ne sera pas possible autrement, Dotremont. L\u2019ascenseur grince. Chaque \u00e9tage : un bruit sourd, quelque chose se d\u00e9croche lentement derri\u00e8re les parois. BADABOUM. Je peux le dire sans d\u00e9tour : mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui est l\u2019aboutissement de toute mon exp\u00e9rience pass\u00e9e. Mais pourquoi mettre 'd\u2019' ? D\u2019accord : aujourd\u2019hui est l\u2019aboutissement de mon exp\u00e9rience d\u2019hier. Au jour d\u2019hui. Au jour. Au. A. U. Hue ! Quelque chose. {{Un clapotis.}} (Prononc\u00e9 Capoti pour Truman). L\u2019homme trou. La bocca de la verita. Je vais mourir. Mais quand ? M\u00e9chant. Je vis mourir tant de m\u00e9cr\u00e9ants qui s\u2019\u00e9criaient des choses affreuses \u00e0 propos d\u2019eux-m\u00eames. Ce qu\u2019ils croyaient \u00eatre eux-m\u00eames. Ils se tordaient comme des marionnettes d\u00e9sarticul\u00e9es. Des vers de terre, des vers jet\u00e9s par des Russes dans une large chemin\u00e9e. MA\u00efakovski. Je crois que c\u2019est l\u2019un d\u2019eux qui m\u2019a cri\u00e9 : \"Tu viens avec moi ?\" Je n\u2019ai pas r\u00e9pondu. J\u2019ai \u00e0 dorer, humer, l\u2019odeur de la fum\u00e9e du calumet. Mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui est l\u2019aboutissement naturel de toute l\u2019exp\u00e9rience d\u2019hier. Le mot \"naturel\" donne l\u2019id\u00e9e d\u2019une \u00e9volution logique, et \"toute\" amplifie la richesse et la compl\u00e9tude des exp\u00e9riences pass\u00e9es. Je ne suis pas fou. Mais patrac, parfois Patrick. Non, non, pas de trique, je vous en prie. J\u2019aurais volontiers contre un violon troqu\u00e9 ma trique. Les sans gland long des eunuques, les grelots des gr\u00eales, le go\u00fbt de la grenade \u00e9clat\u00e9e. La grenade m\u2019explose en bouche. Mille balles de ping-pong m\u2019emp\u00eachent de parler. Mille et une nuits ch\u00e8res \u00e0 rasades. Les grains se collent \u00e0 mon palais. J\u2019avale, moi aussi j\u2019avale. Je le vois d\u00e9sormais quand je sors de la vall\u00e9e : j\u2019ai beaucoup et souvent aval\u00e9. {Des cools \u0153uvres.} Mais voil\u00e0 : mon inexp\u00e9rience d\u2019aujourd\u2019hui d\u00e9coule de l\u2019exp\u00e9rience d\u2019hier. Plus directe, plus incisive. Cette version simplifie encore davantage le message tout en conservant son essence. Admettons que j\u2019\u00e9crive une seule phrase par jour,{ pas pas jour, maman nuit}. Et que dans trois cent soixante-cinq jours, j\u2019en efface les trois quarts. {Il est minuit moins le quart.} Puis qu\u2019enfin le pneu qui reste termine sa course dans un tiroir : serais-je plus r\u00e9aliste pour autant ? En Is\u00e8re, mis\u00e8re si tu n\u2019as pas les bons pneus, dit la s\u00e9curit\u00e9 routi\u00e8re. Je retirerais bien ma peau si j\u2019\u00e9tais certain qu\u2019elle n\u2019en recouvre pas une autre, et ainsi de suite. Et \u00e0 la fin encore une autre, encore. En corps \u00e7a germe. Mais j\u2019ai peur de ce que je trouverais en corps : un carnet, un de ces vieux carnets br\u00fbl\u00e9s. De la cendre, le fameux go\u00fbt ou d\u00e9go\u00fbt des cendres. Un mercredi. {Avoir le sens de la formule, c\u2019est \u00eatre capable de formuler une id\u00e9e de mani\u00e8re concise, percutante et m\u00e9morable.} Cela revient \u00e0 trouver la phrase juste, souvent empreinte de finesse, d\u2019humour ou de profondeur, qui marquera les esprits. \u00c7a revient. C\u2019est s\u00fbr. \u00c7a revient. {\u00e7a s\u2019en va et \u00e7a revient.} L\u2019HISTOIRE est tr\u00e8s loin d\u2019\u00eatre lin\u00e9aire, elle donne des claques, elle est six cliques. Empreintes relev\u00e9es, on ne d\u00e9couvrit aucune finesse chez Eliott Ness. Mais les abonnements grimpent \u00e0 la salle de fitness. \"Ce matin\", l\u2019id\u00e9e d\u2019apprendre ou de comprendre le \"sens de la formule\" semble poser une question rh\u00e9torique : est-ce un besoin r\u00e9el ou simplement une pens\u00e9e passag\u00e8re ? Cela refl\u00e8te peut-\u00eatre une h\u00e9sitation entre l\u2019envie de ma\u00eetriser cet art pour briller, et une certaine indiff\u00e9rence ou lassitude face \u00e0 cette notion. Que veut dire avoir le sens de la formule ? Rien qui n\u2019attire mon int\u00e9r\u00eat ce matin. Tu aimerais bien dire \u00e7a suffit comme \u00e7a me suffit les villas au bord des plages, la t\u00eate de chien qui remue sur le haillon arri\u00e8re, villa mon cul ou pan ! chaud vilain ! mais tu dis rien. T\u2019es mort, la m\u00e2choire broie du silence de mort. Tu avales du rien. Le mors aux dents n\u2019est plus l\u00e0. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

No\u00ebl et les f\u00eates de fin d’ann\u00e9e me rappellent surtout une partie de ma famille disparue, celle avec qui autrefois ce sentiment de partage \u00e9tait nouveau, merveilleux et, bien s\u00fbr, plus ou moins int\u00e9ress\u00e9 : c\u2019\u00e9tait l\u2019\u00e9poque des \u00e9trennes. Plus de cinquante-cinq ans plus tard, me voici membre d\u2019une autre famille par alliance, et je me rends compte que l\u2019indiff\u00e9rence \u00e0 cette p\u00e9riode gagne de plus en plus de terrain. Pourtant, parfois, je lutte encore contre quelques bouff\u00e9es de nostalgie intempestives.<\/p>\n

La petite dame qui nous re\u00e7oit a pass\u00e9 le cap des 95 ans. Elle n’a plus toute sa t\u00eate. Elle s\u2019\u00e9tonne toutes les cinq minutes : « Mais comment, mais vous ne m\u2019aviez pas pr\u00e9venu que vous veniez ! Comme je suis contente de vous voir, j\u2019en pleurerais\u2026 » Et cela recommence, toutes les cinq minutes, durant une bonne demi-heure. \u00c7a fait beaucoup, \u00e9videmment. Mais elle nous accueille avec une \u00e9motion sinc\u00e8re, d\u00e9sarmante, qui rappelle un autre temps, o\u00f9 l\u2019id\u00e9e de recevoir et de partager avait un poids plus tangible.<\/p>\n

Je ne suis pas « pour », mais pourquoi serais-je « contre » ? Les enfants ont d\u00e9ball\u00e9 leurs cadeaux avec une \u00e9nergie brutale, comme si l\u2019attente, l\u2019impatience, l\u2019ennui accumul\u00e9 s\u2019\u00e9taient concentr\u00e9s en un seul geste, quelque part autour de 22 heures. Une fois cette fr\u00e9n\u00e9sie pass\u00e9e et les embrassades \u00e9chang\u00e9es, tout est redevenu calme. La « petite dame », elle, \u00e9tait assise dans un fauteuil, l\u00e9g\u00e8rement vacillante. On aurait dit qu\u2019elle n\u2019en revenait pas. Elle s\u2019est m\u00eame lev\u00e9e tout \u00e0 l\u2019heure pour chanter La Valse bleue et Le Pont de Saint-Jean. Elle n\u2019y croyait pas quand on lui disait qu\u2019elle chantait bien :\n
— Ah bon ? Mais comment le savez-vous ? Il y a si longtemps que je n\u2019ai pas chant\u00e9.<\/p>\n

J\u2019ai ensuite pass\u00e9 un moment avec L. Enfin, non. Pas discut\u00e9, \u00e9cout\u00e9. Parce qu\u2019avec L., il est impossible de discuter. Quand je me suis lev\u00e9, esp\u00e9rant trouver du saumon quelque part, tout avait disparu. Les plats \u00e9taient d\u00e9barrass\u00e9s. Je me suis demand\u00e9 si c\u2019\u00e9tait une perte. Pas vraiment. Je ne raffole pas du saumon en r\u00e8gle g\u00e9n\u00e9rale.<\/p>\n

\u00c0 la place, de nouveaux plats avaient fait leur apparition : du rosbif froid, du poulet. « Deux heures avec du fromage blanc », m\u2019a-t-on pr\u00e9cis\u00e9, « c\u2019est ce qui lui donne cette tendresse. » Est-ce vraiment le mot qu\u2019on doit employer pour du cadavre ? Tendresse ? Tendret\u00e9 ? Tout \u00e7a \u00e0 cause de deux heures et d\u2019un peu de fromage blanc. Incroyable. Il y avait aussi deux mayonnaises : une aux agrumes et l\u2019autre absolument normale. J\u2019ai, bien s\u00fbr, pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 la normale. Elle avait un go\u00fbt rassurant, comme si elle me reliait \u00e0 quelque chose que je ne pourrais pas nommer.<\/p>\n

La nuit, en voiture, \u00e9tait limpide. Curieusement, je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 trop \u00e9bloui par les phares. Nous avons d\u00e9pos\u00e9 J. \u00e0 Vienne, profitant d\u2019un feu rouge juste devant le Mus\u00e9e Gallo-Romain. M. dormait derri\u00e8re, affal\u00e9 sur le si\u00e8ge. J\u2019ai \u00e9teint la radio. La Nationale 7 s\u2019\u00e9tendait devant moi, large et claire, si claire que je n\u2019avais pas besoin des pleins phares. J\u2019avais l\u2019impression d\u2019y voir comme en plein jour. \u00c9tait-ce une nuit de pleine lune ? Je ne sais pas. Je n\u2019y ai m\u00eame pas pens\u00e9.<\/p>\n

En arrivant \u00e0 la maison, tout a bascul\u00e9 dans l\u2019obscurit\u00e9. Une obscurit\u00e9 tellement soudaine qu\u2019elle semblait irr\u00e9elle. Par r\u00e9flexe, j\u2019ai profit\u00e9 de la lumi\u00e8re du plafonnier pour saisir la cl\u00e9 de la voiture et celle de la maison. C\u2019est \u00e9trange, cette sensation d\u2019obscurit\u00e9 en rentrant chez soi, comme si l\u2019endroit avait chang\u00e9. \u00c0 un moment, j\u2019ai m\u00eame eu peur : et si quelqu\u2019un avait profit\u00e9 de notre absence pour nous cambrioler ? J\u2019ai acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 le pas, mais M., \u00e0 moiti\u00e9 endormi, n\u2019en pouvait plus.\n
— Tu peux prendre le sac des bouteilles, a-t-il murmur\u00e9.
\nJ\u2019ai pris la courroie du sac d\u2019une main, tenant encore les cl\u00e9s dans l\u2019autre. Avec un peu de peine, j\u2019ai trouv\u00e9 la serrure. Finalement, la porte s\u2019est ouverte sur une autre obscurit\u00e9, plus dense encore. J\u2019ai t\u00e2t\u00e9 le mur \u00e0 la recherche de l\u2019interrupteur. Ensuite, tout est all\u00e9 tr\u00e8s vite. S. est arriv\u00e9e peu de temps apr\u00e8s avec Mat et Lottie. Tout le monde s\u2019est couch\u00e9 presque imm\u00e9diatement.<\/p>\n

Quant \u00e0 moi, je me suis enferm\u00e9 dans le bureau. L\u00e0, j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er un nouveau site en local pour r\u00e9installer SPIP, encore une fois, encore plus rapidement et plus efficacement que toutes les autres fois. Une demi-heure plus tard, je suis mont\u00e9 me coucher. Mais le sommeil ne venait pas. J\u2019ai lu quelques pages de Voyage au centre de Pierre Patrolin. Je n\u2019arrivais pas \u00e0 me concentrer. J\u2019ai repos\u00e9 la tablette et ouvert les yeux en grand dans le noir.<\/p>\n

Tout allait d\u00e9cid\u00e9ment bien trop vite. Il faudrait ralentir. Trouver une p\u00e9dale de frein, appuyer dessus. J\u2019ai pens\u00e9 aussi que ce n\u2019\u00e9tait pas si difficile d\u2019\u00eatre heureux. Il suffisait peut-\u00eatre de choisir de l\u2019\u00eatre, un peu comme ce conducteur de TGV qui ouvre la porte et saute.<\/p>", "content_text": "No\u00ebl et les f\u00eates de fin d'ann\u00e9e me rappellent surtout une partie de ma famille disparue, celle avec qui autrefois ce sentiment de partage \u00e9tait nouveau, merveilleux et, bien s\u00fbr, plus ou moins int\u00e9ress\u00e9 : c\u2019\u00e9tait l\u2019\u00e9poque des \u00e9trennes. Plus de cinquante-cinq ans plus tard, me voici membre d\u2019une autre famille par alliance, et je me rends compte que l\u2019indiff\u00e9rence \u00e0 cette p\u00e9riode gagne de plus en plus de terrain. Pourtant, parfois, je lutte encore contre quelques bouff\u00e9es de nostalgie intempestives. La petite dame qui nous re\u00e7oit a pass\u00e9 le cap des 95 ans. Elle n'a plus toute sa t\u00eate. Elle s\u2019\u00e9tonne toutes les cinq minutes : \"Mais comment, mais vous ne m\u2019aviez pas pr\u00e9venu que vous veniez ! Comme je suis contente de vous voir, j\u2019en pleurerais\u2026\" Et cela recommence, toutes les cinq minutes, durant une bonne demi-heure. \u00c7a fait beaucoup, \u00e9videmment. Mais elle nous accueille avec une \u00e9motion sinc\u00e8re, d\u00e9sarmante, qui rappelle un autre temps, o\u00f9 l\u2019id\u00e9e de recevoir et de partager avait un poids plus tangible. Je ne suis pas \"pour\", mais pourquoi serais-je \"contre\" ? Les enfants ont d\u00e9ball\u00e9 leurs cadeaux avec une \u00e9nergie brutale, comme si l\u2019attente, l\u2019impatience, l\u2019ennui accumul\u00e9 s\u2019\u00e9taient concentr\u00e9s en un seul geste, quelque part autour de 22 heures. Une fois cette fr\u00e9n\u00e9sie pass\u00e9e et les embrassades \u00e9chang\u00e9es, tout est redevenu calme. La \"petite dame\", elle, \u00e9tait assise dans un fauteuil, l\u00e9g\u00e8rement vacillante. On aurait dit qu\u2019elle n\u2019en revenait pas. Elle s\u2019est m\u00eame lev\u00e9e tout \u00e0 l\u2019heure pour chanter La Valse bleue et Le Pont de Saint-Jean. Elle n\u2019y croyait pas quand on lui disait qu\u2019elle chantait bien : \u2014 Ah bon ? Mais comment le savez-vous ? Il y a si longtemps que je n\u2019ai pas chant\u00e9. J\u2019ai ensuite pass\u00e9 un moment avec L. Enfin, non. Pas discut\u00e9, \u00e9cout\u00e9. Parce qu\u2019avec L., il est impossible de discuter. Quand je me suis lev\u00e9, esp\u00e9rant trouver du saumon quelque part, tout avait disparu. Les plats \u00e9taient d\u00e9barrass\u00e9s. Je me suis demand\u00e9 si c\u2019\u00e9tait une perte. Pas vraiment. Je ne raffole pas du saumon en r\u00e8gle g\u00e9n\u00e9rale. \u00c0 la place, de nouveaux plats avaient fait leur apparition : du rosbif froid, du poulet. \"Deux heures avec du fromage blanc\", m\u2019a-t-on pr\u00e9cis\u00e9, \"c\u2019est ce qui lui donne cette tendresse.\" Est-ce vraiment le mot qu\u2019on doit employer pour du cadavre ? Tendresse ? Tendret\u00e9 ? Tout \u00e7a \u00e0 cause de deux heures et d\u2019un peu de fromage blanc. Incroyable. Il y avait aussi deux mayonnaises : une aux agrumes et l\u2019autre absolument normale. J\u2019ai, bien s\u00fbr, pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 la normale. Elle avait un go\u00fbt rassurant, comme si elle me reliait \u00e0 quelque chose que je ne pourrais pas nommer. La nuit, en voiture, \u00e9tait limpide. Curieusement, je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 trop \u00e9bloui par les phares. Nous avons d\u00e9pos\u00e9 J. \u00e0 Vienne, profitant d\u2019un feu rouge juste devant le Mus\u00e9e Gallo-Romain. M. dormait derri\u00e8re, affal\u00e9 sur le si\u00e8ge. J\u2019ai \u00e9teint la radio. La Nationale 7 s\u2019\u00e9tendait devant moi, large et claire, si claire que je n\u2019avais pas besoin des pleins phares. J\u2019avais l\u2019impression d\u2019y voir comme en plein jour. \u00c9tait-ce une nuit de pleine lune ? Je ne sais pas. Je n\u2019y ai m\u00eame pas pens\u00e9. En arrivant \u00e0 la maison, tout a bascul\u00e9 dans l\u2019obscurit\u00e9. Une obscurit\u00e9 tellement soudaine qu\u2019elle semblait irr\u00e9elle. Par r\u00e9flexe, j\u2019ai profit\u00e9 de la lumi\u00e8re du plafonnier pour saisir la cl\u00e9 de la voiture et celle de la maison. C\u2019est \u00e9trange, cette sensation d\u2019obscurit\u00e9 en rentrant chez soi, comme si l\u2019endroit avait chang\u00e9. \u00c0 un moment, j\u2019ai m\u00eame eu peur : et si quelqu\u2019un avait profit\u00e9 de notre absence pour nous cambrioler ? J\u2019ai acc\u00e9l\u00e9r\u00e9 le pas, mais M., \u00e0 moiti\u00e9 endormi, n\u2019en pouvait plus. \u2014 Tu peux prendre le sac des bouteilles, a-t-il murmur\u00e9. J\u2019ai pris la courroie du sac d\u2019une main, tenant encore les cl\u00e9s dans l\u2019autre. Avec un peu de peine, j\u2019ai trouv\u00e9 la serrure. Finalement, la porte s\u2019est ouverte sur une autre obscurit\u00e9, plus dense encore. J\u2019ai t\u00e2t\u00e9 le mur \u00e0 la recherche de l\u2019interrupteur. Ensuite, tout est all\u00e9 tr\u00e8s vite. S. est arriv\u00e9e peu de temps apr\u00e8s avec Mat et Lottie. Tout le monde s\u2019est couch\u00e9 presque imm\u00e9diatement. Quant \u00e0 moi, je me suis enferm\u00e9 dans le bureau. L\u00e0, j\u2019ai commenc\u00e9 \u00e0 cr\u00e9er un nouveau site en local pour r\u00e9installer SPIP, encore une fois, encore plus rapidement et plus efficacement que toutes les autres fois. Une demi-heure plus tard, je suis mont\u00e9 me coucher. Mais le sommeil ne venait pas. J\u2019ai lu quelques pages de Voyage au centre de Pierre Patrolin. Je n\u2019arrivais pas \u00e0 me concentrer. J\u2019ai repos\u00e9 la tablette et ouvert les yeux en grand dans le noir. Tout allait d\u00e9cid\u00e9ment bien trop vite. Il faudrait ralentir. Trouver une p\u00e9dale de frein, appuyer dessus. J\u2019ai pens\u00e9 aussi que ce n\u2019\u00e9tait pas si difficile d\u2019\u00eatre heureux. Il suffisait peut-\u00eatre de choisir de l\u2019\u00eatre, un peu comme ce conducteur de TGV qui ouvre la porte et saute.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/impossible_hd.jpg?1748065098", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-decembre-2024.html", "title": "24 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-24T05:07:03Z", "date_modified": "2025-05-17T16:16:14Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Louvre, la galerie des expositions temporaires\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

D’abord, il y avait ce mot. **Exposition**. Rien de spectaculaire \u00e0 premi\u00e8re vue, juste un mot comme un autre. Mais les mots, parfois, sont des pi\u00e8ges. On croit les saisir, et c\u2019est eux qui vous attrapent. Alors, \u00e0 partir de ce mot, on d\u00e9cide de chercher, d\u2019explorer, de faire tourner un moteur de recherche pour d\u00e9terrer tout ce qu\u2019il a pu produire, inspirer, contaminer. R\u00e9sultat : une centaine de pages. Des fragments, des \u00e9clats, des d\u00e9buts et des fins tronqu\u00e9es. Le tout copi\u00e9-coll\u00e9 sur un document Word. C\u2019\u00e9tait un d\u00e9but.<\/p>\n

Le document, lui, est soumis \u00e0 une machine. Une intelligence artificielle. On lui demande d\u2019organiser ces morceaux : num\u00e9roter, d\u00e9couper, agencer, tout ce que nous, humains, avons la flemme de faire. La machine ob\u00e9it, docile. En quelques secondes, tout est class\u00e9, num\u00e9rot\u00e9, pr\u00eat \u00e0 servir. Alors, pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas demander \u00e0 cette m\u00eame machine d\u2019imaginer des combinaisons, de tisser des liens ? C\u2019est l\u00e0 que \u00e7a devient int\u00e9ressant. On confie \u00e0 la machine des t\u00e2ches barbantes, elle les ex\u00e9cute ; ensuite, elle propose des axes, elle \u00e9claire des pistes. Son travail est pr\u00e9cis, mais sa logique nous \u00e9chappe. Et c\u2019est justement ce qui compte.<\/p>\n

Exposition. Le mot revient, tourne, insiste. La machine en d\u00e9cline les variations, les interpr\u00e9tations, les sens possibles.<\/p>\n

Exposition comme r\u00e9v\u00e9lation : Ce qui est offert au regard, montr\u00e9, parfois malgr\u00e9 soi.
\nExposition comme vuln\u00e9rabilit\u00e9 : Se mettre \u00e0 nu, s\u2019exposer au danger, au jugement.
\nExposition comme espace : Les lieux, les fronti\u00e8res, les passages entre int\u00e9rieur et ext\u00e9rieur.
\nExposition comme processus : Comment expose-t-on une id\u00e9e, une \u0153uvre, ou soi-m\u00eame ?
\nTout cela pourrait sembler th\u00e9orique, mais non. L\u2019exercice a r\u00e9veill\u00e9 une vieille sc\u00e8ne. Une conversation, en apparence anodine. Avec « F. ». Une mise en garde lanc\u00e9e comme \u00e7a, un soir, au d\u00e9tour d\u2019un \u00e9change : « Tu ne trouves pas que tu prends des risques \u00e0 t\u2019exposer comme \u00e7a ? » Une phrase. Une r\u00e9plique. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, on la balaie d\u2019un geste, d\u2019une pirouette. Pfff. Les risques, quelle blague. Moi, bien au-dessus de \u00e7a, confortablement assis sur le tr\u00f4ne bancal de ma toute-puissance imaginaire.<\/p>\n

Mais aujourd\u2019hui, avec le recul, la sc\u00e8ne s\u2019\u00e9claire diff\u00e9remment. On n\u2019est plus acteur, on devient spectateur. On regarde le moment, d\u00e9tach\u00e9, comme un spectateur devant une pi\u00e8ce de th\u00e9\u00e2tre. Deux personnages, deux r\u00f4les. Le premier croit \u00e9mettre une v\u00e9rit\u00e9 ; le second, dans son r\u00f4le de roi d\u00e9chu, esquive sans r\u00e9fl\u00e9chir. Sauf qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9, ces r\u00f4les nous d\u00e9passent. Ce qu\u2019on dit, ce qu\u2019on fait, ce qu\u2019on balaye d\u2019un revers de la main, tout cela s\u2019inscrit dans quelque chose de plus vaste, de plus opaque. F. lui-m\u00eame n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre pas ma\u00eetre de cette phrase, qui a jailli de sa bouche comme une r\u00e9plique dict\u00e9e par une force ext\u00e9rieure. Peut-\u00eatre qu\u2019une fois dite, il en a \u00e9t\u00e9 effar\u00e9, se demandant d\u2019o\u00f9 elle venait. Mais elle \u00e9tait l\u00e0, la r\u00e9plique. Et moi, je l\u2019ai ignor\u00e9e.<\/p>\n

Tout cela revient, bien s\u00fbr, parce qu\u2019au fond, c\u2019est \u00e7a, l\u2019exposition : ce qui nous \u00e9chappe. Ce qui est montr\u00e9, livr\u00e9, parfois contre notre gr\u00e9. Les mots qu\u2019on dit, les textes qu\u2019on \u00e9crit, les pens\u00e9es qu\u2019on partage. Une fois expos\u00e9s, ils ne nous appartiennent plus tout \u00e0 fait. Ils s\u2019\u00e9vadent, trouvent leur chemin, rebondissent sur des lecteurs, sur des critiques, sur des malentendus. Et nous ? Nous restons l\u00e0, fig\u00e9s, \u00e0 regarder ce qui \u00e9tait \u00e0 nous devenir quelque chose d\u2019autre.<\/p>\n

Alors, ces fragments num\u00e9rot\u00e9s par la machine, ces \u00e9clats d\u2019\u00e9criture, qu\u2019en faire ? Comment les relier ? La m\u00e9thode, aussi froide et impersonnelle soit-elle, laisse \u00e9merger des motifs : des r\u00e9currences, des oppositions, des \u00e9chos. On commence \u00e0 voir des lignes, des structures. On pourrait croire qu\u2019on contr\u00f4le tout cela. Mais c\u2019est faux. On s\u2019imagine ma\u00eetre de l\u2019organisation, mais ce sont les fragments eux-m\u00eames qui d\u00e9cident. On leur donne une direction, vaguement, et ensuite ils nous \u00e9chappent.<\/p>\n

Et c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0 tout l\u2019enjeu de l\u2019\u00e9criture. Accepter cette perte de contr\u00f4le. Accepter qu\u2019en s\u2019exposant, on se livre \u00e0 l\u2019inconnu. Tout comme ces fragments expos\u00e9s \u00e0 la machine. Tout comme cette conversation avec F. Tout comme cette r\u00e9flexion qui, \u00e0 l\u2019instant, m\u2019\u00e9chappe encore une fois, et je perds le fil.<\/p>\n

\u00e7a m’a \u00e9chapp\u00e9.
\nC’est tr\u00e8s bien que \u00e7a m’\u00e9chappe.
\nJe ne vais pas m’en plaindre, au contraire.
\nPuisque \u00e7a m’\u00e9chappe \u00e7a peut se transformer, rien ne se perd rien ne se cr\u00e9e tout se transforme.<\/p>\n

\u00e7a pourrait se transformer en du Duras :<\/p>\n

« L\u2019exposition. Oui, le mot. Toujours le m\u00eame. Exposition, c\u2019est ce que \u00e7a veut dire : \u00eatre l\u00e0, dehors. \u00catre vu. M\u00eame quand on ne veut pas. Quand on veut rester. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur. \u00c7a traverse, malgr\u00e9 tout. C\u2019est dans l\u2019air. La machine organise, c\u2019est son r\u00f4le, sa fonction, mais elle ne sent pas. Pas comme nous. Nous, on sait. Que l\u2019exposition blesse. Et que l\u2019exposition cr\u00e9e aussi. On le sait. M\u00eame si on n\u2019en parle pas. »<\/p>\n

\u00e7a pourrait se transformer en du Perec :
\n\"On commence par un mot. Exposition.
\nCe mot se r\u00e9p\u00e8te.
\nOn l\u2019imprime, on le classe, on l\u2019ordonne. Mais on s\u2019aper\u00e7oit qu\u2019il n\u2019a pas qu\u2019un seul sens.
\nIl en a quatre, cinq, dix peut-\u00eatre.
\nEt si l\u2019on multipliait les sens \u00e0 l\u2019infini ?
\nExposer, c\u2019est montrer. Ou se montrer. Montrer, c\u2019est risquer. Risquer, c\u2019est perdre. Mais perdre, c\u2019est gagner. Non ?« Ou encore si \u00e7a passe par Annie Ernaux : »J\u2019ai toujours \u00e9crit pour m\u2019exposer. M\u00eame quand je disais que non, que ce n\u2019\u00e9tait pas pour \u00e7a. L\u2019exposition, c\u2019\u00e9tait la peur et le d\u00e9sir en m\u00eame temps. La peur qu\u2019on me voie, qu\u2019on me juge. Le d\u00e9sir qu\u2019on me voie, qu\u2019on me comprenne. Quand F. m\u2019a dit cette phrase \u2013 « Tu prends des risques \u00e0 t\u2019exposer » \u2013 c\u2019\u00e9tait une phrase comme une autre, banale, mais elle est rest\u00e9e. Je ne sais pas pourquoi. Peut-\u00eatre parce qu\u2019elle disait quelque chose que je savais d\u00e9j\u00e0 mais que je ne voulais pas entendre. Aujourd\u2019hui encore, je l\u2019entends.« On peut aussi essayer de passer la patate chaude \u00e0 Laurent Mauvignier : »Et puis il y a F., un soir, qui dit \u00e7a, comme \u00e7a, sur un ton presque neutre, presque rien, une phrase l\u00e2ch\u00e9e au milieu d\u2019un autre sujet, comme une fl\u00e8che qu\u2019on ne voit pas venir mais qui frappe quand m\u00eame, et il dit : « Tu prends des risques \u00e0 t\u2019exposer comme \u00e7a. » Et je me vois, \u00e0 ce moment-l\u00e0, sourire \u2013 oui, sourire \u2013, comme si c\u2019\u00e9tait rien, rien du tout, un conseil qu\u2019on balaye parce qu\u2019on n\u2019a pas envie de s\u2019arr\u00eater, pas envie d\u2019\u00e9couter, pas envie de sentir ce qu\u2019il y a derri\u00e8re, la v\u00e9rit\u00e9 peut-\u00eatre, ou la peur qu\u2019il a pour moi, ou la peur que j\u2019ai pour moi mais que je ne veux pas admettre.« il ne faudrait pas oublier non plus Nathalie Sarraute : »« Exposition\u2026 » Voil\u00e0, c\u2019est dit. Le mot revient, s\u2019installe, s\u2019\u00e9tale. Il ne devrait pas peser autant, mais il p\u00e8se. Trop lourd, ce mot, il d\u00e9borde. Et pourtant on le garde. On veut le comprendre. On veut le diss\u00e9quer. Comme si c\u2019\u00e9tait possible. Mais non, il reste l\u00e0, opaque, glissant, insaisissable. Et puis F. qui parle, qui dit \u00e7a, une phrase, une question, comme un coup, pas violent, pas brutal, non, mais l\u00e0, juste l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a fait mal. Et tout de suite, cette pirouette, cette fa\u00e7on d\u2019\u00e9viter, de d\u00e9tourner, d\u2019\u00e9chapper\u2026 Pourquoi ? Pourquoi cette peur de r\u00e9pondre ?« Et, pour finir, en tout bien tout honneur par »F« lui-m\u00eame : »Expositio, dis-je, ce mot latin, plein de savante r\u00e9sonnance et d\u2019exquisit\u00e9, combien est-il fertile en sens et en subtilitez ! Certes, il vient du noble verbe exponere, qui vault \u00e0 dire « mettre dehors », « exposer au jour », mais aussi « expliquer », « d\u00e9couvrir et monstrer ». Ce mot est de nature \u00e0 contenir tant de faces diverses qu\u2019on le prendroit pour ung diamant facett\u00e9, chascune de ses parois refletant une lumi\u00e8re nouvelle.<\/p>\n

Premi\u00e8rement, voyez l\u2019expositio comme revelation. C\u2019est ung geste solennel et majestueux, le lever de rideaux, le monstrer d\u2019une chose jadis taincte (cach\u00e9e) et occulte. Tel estoit le labeur des bons doctes, tant \u00e8s scolastiques qu\u2019en saincte th\u00e9ologie, lorsqu\u2019ils exposoient par sermons, gloses et ex\u00e9g\u00e8ses les obscurs passages des sacrez livres. Mais s\u00e7achez bien que ce geste noble est aussi dangereux !<\/p>\n

Car voici venir le second sens de l\u2019expositio : c\u2019est la mise en danger, la vuln\u00e9rabilit\u00e9. Qui s\u2019expose, \u00f4 mon amy, se met en adventure. Estre expos\u00e9, c\u2019est se tenir nud devant les yeux curieux et parfois m\u00e9chans. C\u2019est offrir son flanc au glaive, au brocart et au venin des langues jalouses. Rappelez-vous des enfans qu\u2019on exposoit aux champs ou sur les degr\u00e9s des \u00e9glises, laiss\u00e9s au sort du hasard et du vent. Ainsi, expositio est toujours pleine de p\u00e9ril.<\/p>\n

Mais ce n\u2019est mie tout. L\u2019expositio se fait aussi lieu, espace, fronti\u00e8re. C\u2019est ung seuil o\u00f9 le dedans rencontre le dehors, o\u00f9 l\u2019ombre fait courtiz \u00e0 la lumi\u00e8re. C\u2019est l\u2019entr\u00e9e d\u2019ung chasteau, la grand\u2019salle o\u00f9 tout se passe. C\u2019est la plaine o\u00f9 viennent se rencogner les errans et se rencontrer les esprits curieux. Bref, c\u2019est ung lieu d\u2019entre-deux, o\u00f9 rien n\u2019est clos ni certain.<\/p>\n

Et finalement, voyez le dernier sens de l\u2019expositio : c\u2019est la cr\u00e9ation. Car exposer une id\u00e9e, une \u0153uvre, c\u2019est la faire naistre, la tirer hors du ventre de la pens\u00e9e et la mettre au monde. Mais ici encore, tout enfantement est douleur, tout geste est perte. Car ce qui est expos\u00e9 ne demeure plus nostre. Les mots s\u2019envolent comme oysillons, et jamais plus ne reviennent. L\u2019expositio est une offrande et une s\u00e9paration.<\/p>\n

Or, que penser de ce mot, mes amis ? Est-il bont\u00e9 ou malechance ? Don ou d\u00e9pouillement ? Sachez-le : il est tout cela \u00e0 la fois. Et plus encore, il est une \u00e9nigme, ung jeu o\u00f9 le hasard, la hardiesse et le g\u00e9nie se rencontrent. Et si vous le craignez, c\u2019est que vous ne comprenez pas qu\u2019au fond, tout est expositio en ce monde\"<\/p>", "content_text": " D'abord, il y avait ce mot. **Exposition**. Rien de spectaculaire \u00e0 premi\u00e8re vue, juste un mot comme un autre. Mais les mots, parfois, sont des pi\u00e8ges. On croit les saisir, et c\u2019est eux qui vous attrapent. Alors, \u00e0 partir de ce mot, on d\u00e9cide de chercher, d\u2019explorer, de faire tourner un moteur de recherche pour d\u00e9terrer tout ce qu\u2019il a pu produire, inspirer, contaminer. R\u00e9sultat : une centaine de pages. Des fragments, des \u00e9clats, des d\u00e9buts et des fins tronqu\u00e9es. Le tout copi\u00e9-coll\u00e9 sur un document Word. C\u2019\u00e9tait un d\u00e9but. Le document, lui, est soumis \u00e0 une machine. Une intelligence artificielle. On lui demande d\u2019organiser ces morceaux : num\u00e9roter, d\u00e9couper, agencer, tout ce que nous, humains, avons la flemme de faire. La machine ob\u00e9it, docile. En quelques secondes, tout est class\u00e9, num\u00e9rot\u00e9, pr\u00eat \u00e0 servir. Alors, pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas demander \u00e0 cette m\u00eame machine d\u2019imaginer des combinaisons, de tisser des liens ? C\u2019est l\u00e0 que \u00e7a devient int\u00e9ressant. On confie \u00e0 la machine des t\u00e2ches barbantes, elle les ex\u00e9cute ; ensuite, elle propose des axes, elle \u00e9claire des pistes. Son travail est pr\u00e9cis, mais sa logique nous \u00e9chappe. Et c\u2019est justement ce qui compte. Exposition. Le mot revient, tourne, insiste. La machine en d\u00e9cline les variations, les interpr\u00e9tations, les sens possibles. Exposition comme r\u00e9v\u00e9lation : Ce qui est offert au regard, montr\u00e9, parfois malgr\u00e9 soi. Exposition comme vuln\u00e9rabilit\u00e9 : Se mettre \u00e0 nu, s\u2019exposer au danger, au jugement. Exposition comme espace : Les lieux, les fronti\u00e8res, les passages entre int\u00e9rieur et ext\u00e9rieur. Exposition comme processus : Comment expose-t-on une id\u00e9e, une \u0153uvre, ou soi-m\u00eame ? Tout cela pourrait sembler th\u00e9orique, mais non. L\u2019exercice a r\u00e9veill\u00e9 une vieille sc\u00e8ne. Une conversation, en apparence anodine. Avec \u00ab F. \u00bb. Une mise en garde lanc\u00e9e comme \u00e7a, un soir, au d\u00e9tour d\u2019un \u00e9change : \u00ab Tu ne trouves pas que tu prends des risques \u00e0 t\u2019exposer comme \u00e7a ? \u00bb Une phrase. Une r\u00e9plique. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, on la balaie d\u2019un geste, d\u2019une pirouette. Pfff. Les risques, quelle blague. Moi, bien au-dessus de \u00e7a, confortablement assis sur le tr\u00f4ne bancal de ma toute-puissance imaginaire. Mais aujourd\u2019hui, avec le recul, la sc\u00e8ne s\u2019\u00e9claire diff\u00e9remment. On n\u2019est plus acteur, on devient spectateur. On regarde le moment, d\u00e9tach\u00e9, comme un spectateur devant une pi\u00e8ce de th\u00e9\u00e2tre. Deux personnages, deux r\u00f4les. Le premier croit \u00e9mettre une v\u00e9rit\u00e9 ; le second, dans son r\u00f4le de roi d\u00e9chu, esquive sans r\u00e9fl\u00e9chir. Sauf qu\u2019en r\u00e9alit\u00e9, ces r\u00f4les nous d\u00e9passent. Ce qu\u2019on dit, ce qu\u2019on fait, ce qu\u2019on balaye d\u2019un revers de la main, tout cela s\u2019inscrit dans quelque chose de plus vaste, de plus opaque. F. lui-m\u00eame n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre pas ma\u00eetre de cette phrase, qui a jailli de sa bouche comme une r\u00e9plique dict\u00e9e par une force ext\u00e9rieure. Peut-\u00eatre qu\u2019une fois dite, il en a \u00e9t\u00e9 effar\u00e9, se demandant d\u2019o\u00f9 elle venait. Mais elle \u00e9tait l\u00e0, la r\u00e9plique. Et moi, je l\u2019ai ignor\u00e9e. Tout cela revient, bien s\u00fbr, parce qu\u2019au fond, c\u2019est \u00e7a, l\u2019exposition : ce qui nous \u00e9chappe. Ce qui est montr\u00e9, livr\u00e9, parfois contre notre gr\u00e9. Les mots qu\u2019on dit, les textes qu\u2019on \u00e9crit, les pens\u00e9es qu\u2019on partage. Une fois expos\u00e9s, ils ne nous appartiennent plus tout \u00e0 fait. Ils s\u2019\u00e9vadent, trouvent leur chemin, rebondissent sur des lecteurs, sur des critiques, sur des malentendus. Et nous ? Nous restons l\u00e0, fig\u00e9s, \u00e0 regarder ce qui \u00e9tait \u00e0 nous devenir quelque chose d\u2019autre. Alors, ces fragments num\u00e9rot\u00e9s par la machine, ces \u00e9clats d\u2019\u00e9criture, qu\u2019en faire ? Comment les relier ? La m\u00e9thode, aussi froide et impersonnelle soit-elle, laisse \u00e9merger des motifs : des r\u00e9currences, des oppositions, des \u00e9chos. On commence \u00e0 voir des lignes, des structures. On pourrait croire qu\u2019on contr\u00f4le tout cela. Mais c\u2019est faux. On s\u2019imagine ma\u00eetre de l\u2019organisation, mais ce sont les fragments eux-m\u00eames qui d\u00e9cident. On leur donne une direction, vaguement, et ensuite ils nous \u00e9chappent. Et c\u2019est peut-\u00eatre l\u00e0 tout l\u2019enjeu de l\u2019\u00e9criture. Accepter cette perte de contr\u00f4le. Accepter qu\u2019en s\u2019exposant, on se livre \u00e0 l\u2019inconnu. Tout comme ces fragments expos\u00e9s \u00e0 la machine. Tout comme cette conversation avec F. Tout comme cette r\u00e9flexion qui, \u00e0 l\u2019instant, m\u2019\u00e9chappe encore une fois, et je perds le fil. \u00e7a m'a \u00e9chapp\u00e9. C'est tr\u00e8s bien que \u00e7a m'\u00e9chappe. Je ne vais pas m'en plaindre, au contraire. Puisque \u00e7a m'\u00e9chappe \u00e7a peut se transformer, rien ne se perd rien ne se cr\u00e9e tout se transforme. \u00e7a pourrait se transformer en du Duras : \"L\u2019exposition. Oui, le mot. Toujours le m\u00eame. Exposition, c\u2019est ce que \u00e7a veut dire : \u00eatre l\u00e0, dehors. \u00catre vu. M\u00eame quand on ne veut pas. Quand on veut rester. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur. \u00c7a traverse, malgr\u00e9 tout. C\u2019est dans l\u2019air. La machine organise, c\u2019est son r\u00f4le, sa fonction, mais elle ne sent pas. Pas comme nous. Nous, on sait. Que l\u2019exposition blesse. Et que l\u2019exposition cr\u00e9e aussi. On le sait. M\u00eame si on n\u2019en parle pas.\" \u00e7a pourrait se transformer en du Perec: \"On commence par un mot. Exposition. Ce mot se r\u00e9p\u00e8te. On l\u2019imprime, on le classe, on l\u2019ordonne. Mais on s\u2019aper\u00e7oit qu\u2019il n\u2019a pas qu\u2019un seul sens. Il en a quatre, cinq, dix peut-\u00eatre. Et si l\u2019on multipliait les sens \u00e0 l\u2019infini ? Exposer, c\u2019est montrer. Ou se montrer. Montrer, c\u2019est risquer. Risquer, c\u2019est perdre. Mais perdre, c\u2019est gagner. Non ?\" Ou encore si \u00e7a passe par Annie Ernaux : \"J\u2019ai toujours \u00e9crit pour m\u2019exposer. M\u00eame quand je disais que non, que ce n\u2019\u00e9tait pas pour \u00e7a. L\u2019exposition, c\u2019\u00e9tait la peur et le d\u00e9sir en m\u00eame temps. La peur qu\u2019on me voie, qu\u2019on me juge. Le d\u00e9sir qu\u2019on me voie, qu\u2019on me comprenne. Quand F. m\u2019a dit cette phrase \u2013 \u00ab Tu prends des risques \u00e0 t\u2019exposer \u00bb \u2013 c\u2019\u00e9tait une phrase comme une autre, banale, mais elle est rest\u00e9e. Je ne sais pas pourquoi. Peut-\u00eatre parce qu\u2019elle disait quelque chose que je savais d\u00e9j\u00e0 mais que je ne voulais pas entendre. Aujourd\u2019hui encore, je l\u2019entends.\" On peut aussi essayer de passer la patate chaude \u00e0 Laurent Mauvignier : \"Et puis il y a F., un soir, qui dit \u00e7a, comme \u00e7a, sur un ton presque neutre, presque rien, une phrase l\u00e2ch\u00e9e au milieu d\u2019un autre sujet, comme une fl\u00e8che qu\u2019on ne voit pas venir mais qui frappe quand m\u00eame, et il dit : \u00ab Tu prends des risques \u00e0 t\u2019exposer comme \u00e7a. \u00bb Et je me vois, \u00e0 ce moment-l\u00e0, sourire \u2013 oui, sourire \u2013, comme si c\u2019\u00e9tait rien, rien du tout, un conseil qu\u2019on balaye parce qu\u2019on n\u2019a pas envie de s\u2019arr\u00eater, pas envie d\u2019\u00e9couter, pas envie de sentir ce qu\u2019il y a derri\u00e8re, la v\u00e9rit\u00e9 peut-\u00eatre, ou la peur qu\u2019il a pour moi, ou la peur que j\u2019ai pour moi mais que je ne veux pas admettre.\" il ne faudrait pas oublier non plus Nathalie Sarraute : \"\u00ab Exposition\u2026 \u00bb Voil\u00e0, c\u2019est dit. Le mot revient, s\u2019installe, s\u2019\u00e9tale. Il ne devrait pas peser autant, mais il p\u00e8se. Trop lourd, ce mot, il d\u00e9borde. Et pourtant on le garde. On veut le comprendre. On veut le diss\u00e9quer. Comme si c\u2019\u00e9tait possible. Mais non, il reste l\u00e0, opaque, glissant, insaisissable. Et puis F. qui parle, qui dit \u00e7a, une phrase, une question, comme un coup, pas violent, pas brutal, non, mais l\u00e0, juste l\u00e0 o\u00f9 \u00e7a fait mal. Et tout de suite, cette pirouette, cette fa\u00e7on d\u2019\u00e9viter, de d\u00e9tourner, d\u2019\u00e9chapper\u2026 Pourquoi ? Pourquoi cette peur de r\u00e9pondre ?\" Et, pour finir, en tout bien tout honneur par \"F\" lui-m\u00eame : \"Expositio, dis-je, ce mot latin, plein de savante r\u00e9sonnance et d\u2019exquisit\u00e9, combien est-il fertile en sens et en subtilitez ! Certes, il vient du noble verbe exponere, qui vault \u00e0 dire \u00ab mettre dehors \u00bb, \u00ab exposer au jour \u00bb, mais aussi \u00ab expliquer \u00bb, \u00ab d\u00e9couvrir et monstrer \u00bb. Ce mot est de nature \u00e0 contenir tant de faces diverses qu\u2019on le prendroit pour ung diamant facett\u00e9, chascune de ses parois refletant une lumi\u00e8re nouvelle. Premi\u00e8rement, voyez l\u2019expositio comme revelation. C\u2019est ung geste solennel et majestueux, le lever de rideaux, le monstrer d\u2019une chose jadis taincte (cach\u00e9e) et occulte. Tel estoit le labeur des bons doctes, tant \u00e8s scolastiques qu\u2019en saincte th\u00e9ologie, lorsqu\u2019ils exposoient par sermons, gloses et ex\u00e9g\u00e8ses les obscurs passages des sacrez livres. Mais s\u00e7achez bien que ce geste noble est aussi dangereux ! Car voici venir le second sens de l\u2019expositio : c\u2019est la mise en danger, la vuln\u00e9rabilit\u00e9. Qui s\u2019expose, \u00f4 mon amy, se met en adventure. Estre expos\u00e9, c\u2019est se tenir nud devant les yeux curieux et parfois m\u00e9chans. C\u2019est offrir son flanc au glaive, au brocart et au venin des langues jalouses. Rappelez-vous des enfans qu\u2019on exposoit aux champs ou sur les degr\u00e9s des \u00e9glises, laiss\u00e9s au sort du hasard et du vent. Ainsi, expositio est toujours pleine de p\u00e9ril. Mais ce n\u2019est mie tout. L\u2019expositio se fait aussi lieu, espace, fronti\u00e8re. C\u2019est ung seuil o\u00f9 le dedans rencontre le dehors, o\u00f9 l\u2019ombre fait courtiz \u00e0 la lumi\u00e8re. C\u2019est l\u2019entr\u00e9e d\u2019ung chasteau, la grand\u2019salle o\u00f9 tout se passe. C\u2019est la plaine o\u00f9 viennent se rencogner les errans et se rencontrer les esprits curieux. Bref, c\u2019est ung lieu d\u2019entre-deux, o\u00f9 rien n\u2019est clos ni certain. Et finalement, voyez le dernier sens de l\u2019expositio : c\u2019est la cr\u00e9ation. Car exposer une id\u00e9e, une \u0153uvre, c\u2019est la faire naistre, la tirer hors du ventre de la pens\u00e9e et la mettre au monde. Mais ici encore, tout enfantement est douleur, tout geste est perte. Car ce qui est expos\u00e9 ne demeure plus nostre. Les mots s\u2019envolent comme oysillons, et jamais plus ne reviennent. L\u2019expositio est une offrande et une s\u00e9paration. Or, que penser de ce mot, mes amis ? Est-il bont\u00e9 ou malechance ? Don ou d\u00e9pouillement ? Sachez-le : il est tout cela \u00e0 la fois. Et plus encore, il est une \u00e9nigme, ung jeu o\u00f9 le hasard, la hardiesse et le g\u00e9nie se rencontrent. Et si vous le craignez, c\u2019est que vous ne comprenez pas qu\u2019au fond, tout est expositio en ce monde\" ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/exposition-dansez-embrassez.jpg?1748065142", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-decembre-2024.html", "title": "23 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-23T05:24:36Z", "date_modified": "2025-05-01T20:32:25Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Photographie Dany Leriche et Jean-Michel Fickinger\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>

J’ai lu toute la nuit l’ouvrage de Campbell, Le H\u00e9ros aux mille et un visages<\/em>. Au matin, l\u00e0 o\u00f9 beaucoup se seraient agenouill\u00e9s devant la puissance de ses th\u00e9ories, j’ai ressenti une \u00e9trange r\u00e9volte. Non pas une r\u00e9volte bruyante ou spectaculaire, mais quelque chose de plus intime, comme un malaise latent. Ce n\u2019\u00e9tait pas Campbell lui-m\u00eame que je rejetais, mais la force presque invisible de sa structure narrative — cette chose vague mais oppressante que je nomme souvent le dibbouk<\/em>.<\/p>\n

\u00c9crire, c\u2019est affronter des fant\u00f4mes. Et parmi eux, le « voyage du h\u00e9ros » de Campbell est sans doute l\u2019un des plus tenaces. Ce mod\u00e8le narratif, avec sa s\u00e9paration, son initiation et son retour, exerce une force gravitationnelle sur tout auteur qui se lance dans une fiction. Pour beaucoup, il incarne une forme universelle, un passage oblig\u00e9 qui semble \u00e0 la fois offrir une structure rassurante et imposer des limites \u00e9triqu\u00e9es. Mais que faire lorsque ce « monomythe » devient un \u00e9trange parasite ? Une sorte de dibbouk<\/em> qui, loin d\u2019inspirer, s\u2019immisce dans l\u2019\u00e9criture pour en d\u00e9ranger la spontanit\u00e9 et imposer une forme reconnaissable, voire banalis\u00e9e ?<\/p>\n

Pour de nombreux auteurs, le voyage du h\u00e9ros est une boussole narrative. Depuis sa formalisation par Campbell, il a \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9 au rang de sch\u00e9ma universel. C\u2019est une structure qui r\u00e9pond \u00e0 notre besoin collectif de voir des personnages surmonter des \u00e9preuves, triompher de l\u2019adversit\u00e9, et revenir enrichis. De l\u2019\u00e9pop\u00e9e antique \u00e0 la superproduction hollywoodienne, ce mod\u00e8le est devenu omnipr\u00e9sent.<\/p>\n

Mais cette omnipr\u00e9sence est \u00e9galement une prison. Le monomythe agit comme une musique de fond impossible \u00e0 faire taire. D\u00e8s qu\u2019on tente de s\u2019en \u00e9carter, il revient en force, r\u00e9clamant son droit d\u2019\u00eatre la structure par d\u00e9faut. Cette insistance refl\u00e8te une dynamique culturelle plus large : le triomphe de la « culture populaire », o\u00f9 le r\u00e9cit doit \u00eatre clair, accessible, et conforme \u00e0 des attentes pr\u00e9\u00e9tablies. Cette conformit\u00e9, si elle est r\u00e9confortante pour le lecteur ou le spectateur, peut \u00eatre \u00e9touffante pour l\u2019\u00e9crivain.<\/p>\n

Il y a dans le monomythe quelque chose de spectral. Ce mod\u00e8le s\u2019infiltre dans l\u2019\u00e9criture comme un dibbouk<\/em>, un esprit \u00e9tranger qui cherche \u00e0 poss\u00e9der l\u2019auteur et \u00e0 lui imposer des choix narratifs pr\u00e9visibles. Vous voulez \u00e9crire une histoire fragment\u00e9e, sans climax clair ni transformation majeure ? Le monomythe s\u2019y oppose : Mais o\u00f9 est l\u2019appel de l\u2019aventure ? Le h\u00e9ros ne va-t-il pas triompher ?<\/em><\/p>\n

Cette dynamique est particuli\u00e8rement pernicieuse car elle s\u2019inscrit dans un imaginaire collectif si puissant qu\u2019il semble impossible \u00e0 d\u00e9ranger. Pourtant, cet imaginaire n\u2019est pas universel. Il est le produit d\u2019un contexte culturel occidental, renforc\u00e9 par des industries culturelles avides de mod\u00e8les facilement reproductibles. En ce sens, r\u00e9sister au monomythe n\u2019est pas seulement un choix esth\u00e9tique, c\u2019est un acte de d\u00e9sob\u00e9issance.<\/p>\n

Comment un \u00e9crivain peut-il r\u00e9sister \u00e0 cette force d\u2019attraction ? La premi\u00e8re \u00e9tape consiste \u00e0 identifier le monomythe pour ce qu\u2019il est : une forme parmi d\u2019autres, et non une v\u00e9rit\u00e9 absolue. Cette d\u00e9marche implique de chercher activement des alternatives, qu\u2019elles soient issues d\u2019autres traditions narratives (le conte oral africain, la litt\u00e9rature japonaise, ou les sagas nordiques) ou qu\u2019elles naissent d\u2019une volont\u00e9 de fragmenter, de subvertir.<\/p>\n

Ensuite, il faut accepter que l\u2019absence de forme reconnaissable puisse \u00eatre une qualit\u00e9 et non un d\u00e9faut. Beaucoup de r\u00e9cits contemporains, de l\u2019\u0153uvre d\u2019Annie Ernaux \u00e0 certains romans de W.G. Sebald, rejettent le climax pour privil\u00e9gier la m\u00e9moire, l\u2019\u00e9vocation et les fragments. Ces \u00e9critures, loin de plaire \u00e0 tous, ouvrent des chemins nouveaux et d\u00e9rangent les attentes codifi\u00e9es.<\/p>\n

Le terme « culture populaire » est souvent invoqu\u00e9 pour justifier l\u2019h\u00e9g\u00e9monie du monomythe. Mais qu\u2019est-ce que cette culture populaire, sinon une construction ? Ce qui est pl\u00e9biscit\u00e9 aujourd\u2019hui ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. D\u2019autres formes narratives, d\u2019autres mod\u00e8les, ont connu des h\u00e9g\u00e9monies pass\u00e9es. Penser la « culture populaire » comme une force immuable, c\u2019est ignorer son caract\u00e8re mall\u00e9able et historiquement contingent.<\/p>\n

En r\u00e9alit\u00e9, ce que nous appelons la culture populaire est souvent le reflet de ce que les industries culturelles choisissent de promouvoir. En ce sens, r\u00e9sister au monomythe, c\u2019est aussi remettre en question l\u2019id\u00e9e que l\u2019\u00e9criture doit plaire \u00e0 une majorit\u00e9 pr\u00e9sum\u00e9e.<\/p>\n

\u00catre \u00e9crivain aujourd\u2019hui, c\u2019est naviguer dans un champ de forces contradictoires. Le monomythe de Campbell, puissant mais limitant, est \u00e0 la fois une ressource et un adversaire. Pour certains, il reste un mod\u00e8le utile ; pour d\u2019autres, il est une forme \u00e0 combattre. La solution n\u2019est pas d\u2019ignorer son existence, mais de choisir avec lucidit\u00e9 : s\u2019en servir, s\u2019en \u00e9carter, ou le subvertir.<\/p>\n

Et peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire, c\u2019est justement cela : apprendre \u00e0 dialoguer avec ses fant\u00f4mes, qu\u2019ils soient monomythe, dibbouk<\/em>, ou toute autre pr\u00e9sence tapie dans l\u2019ombre de la page blanche.<\/p>", "content_text": "J'ai lu toute la nuit l'ouvrage de Campbell, *Le H\u00e9ros aux mille et un visages*. Au matin, l\u00e0 o\u00f9 beaucoup se seraient agenouill\u00e9s devant la puissance de ses th\u00e9ories, j'ai ressenti une \u00e9trange r\u00e9volte. Non pas une r\u00e9volte bruyante ou spectaculaire, mais quelque chose de plus intime, comme un malaise latent. Ce n\u2019\u00e9tait pas Campbell lui-m\u00eame que je rejetais, mais la force presque invisible de sa structure narrative \u2014 cette chose vague mais oppressante que je nomme souvent *le dibbouk*. \u00c9crire, c\u2019est affronter des fant\u00f4mes. Et parmi eux, le \"voyage du h\u00e9ros\" de Campbell est sans doute l\u2019un des plus tenaces. Ce mod\u00e8le narratif, avec sa s\u00e9paration, son initiation et son retour, exerce une force gravitationnelle sur tout auteur qui se lance dans une fiction. Pour beaucoup, il incarne une forme universelle, un passage oblig\u00e9 qui semble \u00e0 la fois offrir une structure rassurante et imposer des limites \u00e9triqu\u00e9es. Mais que faire lorsque ce \"monomythe\" devient un \u00e9trange parasite ? Une sorte de *dibbouk* qui, loin d\u2019inspirer, s\u2019immisce dans l\u2019\u00e9criture pour en d\u00e9ranger la spontanit\u00e9 et imposer une forme reconnaissable, voire banalis\u00e9e ? Pour de nombreux auteurs, le voyage du h\u00e9ros est une boussole narrative. Depuis sa formalisation par Campbell, il a \u00e9t\u00e9 \u00e9lev\u00e9 au rang de sch\u00e9ma universel. C\u2019est une structure qui r\u00e9pond \u00e0 notre besoin collectif de voir des personnages surmonter des \u00e9preuves, triompher de l\u2019adversit\u00e9, et revenir enrichis. De l\u2019\u00e9pop\u00e9e antique \u00e0 la superproduction hollywoodienne, ce mod\u00e8le est devenu omnipr\u00e9sent. Mais cette omnipr\u00e9sence est \u00e9galement une prison. Le monomythe agit comme une musique de fond impossible \u00e0 faire taire. D\u00e8s qu\u2019on tente de s\u2019en \u00e9carter, il revient en force, r\u00e9clamant son droit d\u2019\u00eatre la structure par d\u00e9faut. Cette insistance refl\u00e8te une dynamique culturelle plus large : le triomphe de la \"culture populaire\", o\u00f9 le r\u00e9cit doit \u00eatre clair, accessible, et conforme \u00e0 des attentes pr\u00e9\u00e9tablies. Cette conformit\u00e9, si elle est r\u00e9confortante pour le lecteur ou le spectateur, peut \u00eatre \u00e9touffante pour l\u2019\u00e9crivain. Il y a dans le monomythe quelque chose de spectral. Ce mod\u00e8le s\u2019infiltre dans l\u2019\u00e9criture comme un *dibbouk*, un esprit \u00e9tranger qui cherche \u00e0 poss\u00e9der l\u2019auteur et \u00e0 lui imposer des choix narratifs pr\u00e9visibles. Vous voulez \u00e9crire une histoire fragment\u00e9e, sans climax clair ni transformation majeure ? Le monomythe s\u2019y oppose : *Mais o\u00f9 est l\u2019appel de l\u2019aventure ? Le h\u00e9ros ne va-t-il pas triompher ?* Cette dynamique est particuli\u00e8rement pernicieuse car elle s\u2019inscrit dans un imaginaire collectif si puissant qu\u2019il semble impossible \u00e0 d\u00e9ranger. Pourtant, cet imaginaire n\u2019est pas universel. Il est le produit d\u2019un contexte culturel occidental, renforc\u00e9 par des industries culturelles avides de mod\u00e8les facilement reproductibles. En ce sens, r\u00e9sister au monomythe n\u2019est pas seulement un choix esth\u00e9tique, c\u2019est un acte de d\u00e9sob\u00e9issance. Comment un \u00e9crivain peut-il r\u00e9sister \u00e0 cette force d\u2019attraction ? La premi\u00e8re \u00e9tape consiste \u00e0 identifier le monomythe pour ce qu\u2019il est : une forme parmi d\u2019autres, et non une v\u00e9rit\u00e9 absolue. Cette d\u00e9marche implique de chercher activement des alternatives, qu\u2019elles soient issues d\u2019autres traditions narratives (le conte oral africain, la litt\u00e9rature japonaise, ou les sagas nordiques) ou qu\u2019elles naissent d\u2019une volont\u00e9 de fragmenter, de subvertir. Ensuite, il faut accepter que l\u2019absence de forme reconnaissable puisse \u00eatre une qualit\u00e9 et non un d\u00e9faut. Beaucoup de r\u00e9cits contemporains, de l\u2019\u0153uvre d\u2019Annie Ernaux \u00e0 certains romans de W.G. Sebald, rejettent le climax pour privil\u00e9gier la m\u00e9moire, l\u2019\u00e9vocation et les fragments. Ces \u00e9critures, loin de plaire \u00e0 tous, ouvrent des chemins nouveaux et d\u00e9rangent les attentes codifi\u00e9es. Le terme \"culture populaire\" est souvent invoqu\u00e9 pour justifier l\u2019h\u00e9g\u00e9monie du monomythe. Mais qu\u2019est-ce que cette culture populaire, sinon une construction ? Ce qui est pl\u00e9biscit\u00e9 aujourd\u2019hui ne l\u2019a pas toujours \u00e9t\u00e9. D\u2019autres formes narratives, d\u2019autres mod\u00e8les, ont connu des h\u00e9g\u00e9monies pass\u00e9es. Penser la \"culture populaire\" comme une force immuable, c\u2019est ignorer son caract\u00e8re mall\u00e9able et historiquement contingent. En r\u00e9alit\u00e9, ce que nous appelons la culture populaire est souvent le reflet de ce que les industries culturelles choisissent de promouvoir. En ce sens, r\u00e9sister au monomythe, c\u2019est aussi remettre en question l\u2019id\u00e9e que l\u2019\u00e9criture doit plaire \u00e0 une majorit\u00e9 pr\u00e9sum\u00e9e. \u00catre \u00e9crivain aujourd\u2019hui, c\u2019est naviguer dans un champ de forces contradictoires. Le monomythe de Campbell, puissant mais limitant, est \u00e0 la fois une ressource et un adversaire. Pour certains, il reste un mod\u00e8le utile ; pour d\u2019autres, il est une forme \u00e0 combattre. La solution n\u2019est pas d\u2019ignorer son existence, mais de choisir avec lucidit\u00e9 : s\u2019en servir, s\u2019en \u00e9carter, ou le subvertir. Et peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire, c\u2019est justement cela : apprendre \u00e0 dialoguer avec ses fant\u00f4mes, qu\u2019ils soient monomythe, *dibbouk*, ou toute autre pr\u00e9sence tapie dans l\u2019ombre de la page blanche. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/griot2.jpg?1748065083", "tags": ["arc narratif", "Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-decembre-2024.html", "title": "22 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-22T04:31:48Z", "date_modified": "2024-12-22T04:31:48Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Tu t\u2019\u00e9loignes suffisamment longtemps, jusqu\u2019\u00e0 tout oublier. Puis, un jour, tu tombes sur des tableaux que tu as peints il y a trois ans. Ils sont l\u00e0, dans un coin, empil\u00e9s, recouverts d\u2019un voile de poussi\u00e8re. Trois ans ont pass\u00e9. Trois ans que tu n\u2019as pas vus passer, comme si le temps lui-m\u00eame t\u2019avait \u00e9t\u00e9 vol\u00e9.<\/p>\n

C\u2019est \u00e7a que fait le dibbouk. Il te d\u00e9pouille. De tout. De ton temps, de tes gestes, parfois m\u00eame de ta m\u00e9moire. Et il ne laisse derri\u00e8re lui qu\u2019un vide. Une distance immense entre toi et ce que tu as fait, ce que tu as laiss\u00e9.<\/p>\n

Tu regardes les toiles. Les couleurs sont rest\u00e9es vives, \u00e9tonnamment vives, malgr\u00e9 le temps. Elles t\u2019\u00e9meuvent, mais tu ne saurais dire pourquoi. Peut-\u00eatre est-ce cette distance qui les rend si vibrantes, ce recul forc\u00e9 qui transforme chaque teinte, chaque nuance. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, tu ne les avais qu\u2019entraper\u00e7ues. Quand tu peignais, les couleurs ne te parlaient pas comme aujourd\u2019hui. Elles \u00e9taient juste l\u00e0, des outils au service d\u2019un geste presque m\u00e9canique, un geste que tu r\u00e9p\u00e9tais encore et encore.<\/p>\n

Mais aujourd\u2019hui, elles te frappent comme quelque chose de neuf. Comme si elles avaient attendu que tu t\u2019\u00e9loignes, que tu perdes tout pour pouvoir te r\u00e9v\u00e9ler leur v\u00e9ritable nature. Et toi, tu les regardes. \u00c9merveill\u00e9, mais aussi vid\u00e9. Parce que tu sais que ces couleurs, ce regard neuf, sont le fruit d\u2019un immense sacrifice.<\/p>\n

Trois ans. Trois ans que le dibbouk te tient. Trois ans qu\u2019il te harc\u00e8le, qu\u2019il te fait tourner en rond. Trois ans qu\u2019il te paralyse avec ses questions : « Pourquoi peindre ? \u00c0 quoi bon \u00e9crire ? Et m\u00eame, pourquoi vivre comme \u00e7a, \u00e0 quoi cela m\u00e8ne-t-il ? » Tu l\u2019as laiss\u00e9 faire. Tu t\u2019es laiss\u00e9 terrasser. Est-ce par orgueil, par faiblesse ? Ou pour rien, parce que de toute fa\u00e7on le terrassement est aussi n\u00e9cessaire que les fondations.<\/p>\n

Peut-\u00eatre parce que tu ressens toujours cette intuition qu\u2019il y a encore quelque chose \u00e0 voir, \u00e0 ressentir, une fois que tout est r\u00e9duit en cendre, en pourrissement, en d\u00e9composition, en humus. Comme si chaque coup port\u00e9 \u00e0 ces toiles, chaque silence impos\u00e9 \u00e0 tes gestes, les avait rendues plus vivantes.<\/p>\n

Le dibbouk, cet exc\u00e8s de r\u00e9flexion, ne t\u2019apporte rien de concret. Il ne construit rien. Il ne fait qu\u2019\u00f4ter, r\u00e9duire, effacer. Mais ce qu\u2019il te donne en \u00e9change, c\u2019est un regard. Un regard charg\u00e9 de perte, d\u2019abandon, de temps dissout. Ce regard que tu poses aujourd\u2019hui sur tes toiles, sur leurs couleurs, sur ce qui reste. Ce regard qui te frappe et te terrasse encore. Le regard de Narcisse bu par l\u2019eau de la rivi\u00e8re quand son visage plonge en celle-ci.<\/p>\n

Et pourtant, dans cette eau qui t\u2019absorbe, dans ces couleurs qui t\u2019engloutissent, tu sens peut-\u00eatre une possibilit\u00e9. Une flamme l\u00e9g\u00e8re, fragile. Celle de recommencer, malgr\u00e9 tout. Parce que tout simplement, tu n\u2019as pas d\u2019autre choix.<\/p>", "content_text": "Tu t\u2019\u00e9loignes suffisamment longtemps, jusqu\u2019\u00e0 tout oublier. Puis, un jour, tu tombes sur des tableaux que tu as peints il y a trois ans. Ils sont l\u00e0, dans un coin, empil\u00e9s, recouverts d\u2019un voile de poussi\u00e8re. Trois ans ont pass\u00e9. Trois ans que tu n\u2019as pas vus passer, comme si le temps lui-m\u00eame t\u2019avait \u00e9t\u00e9 vol\u00e9. C\u2019est \u00e7a que fait le dibbouk. Il te d\u00e9pouille. De tout. De ton temps, de tes gestes, parfois m\u00eame de ta m\u00e9moire. Et il ne laisse derri\u00e8re lui qu\u2019un vide. Une distance immense entre toi et ce que tu as fait, ce que tu as laiss\u00e9. Tu regardes les toiles. Les couleurs sont rest\u00e9es vives, \u00e9tonnamment vives, malgr\u00e9 le temps. Elles t\u2019\u00e9meuvent, mais tu ne saurais dire pourquoi. Peut-\u00eatre est-ce cette distance qui les rend si vibrantes, ce recul forc\u00e9 qui transforme chaque teinte, chaque nuance. \u00c0 l\u2019\u00e9poque, tu ne les avais qu\u2019entraper\u00e7ues. Quand tu peignais, les couleurs ne te parlaient pas comme aujourd\u2019hui. Elles \u00e9taient juste l\u00e0, des outils au service d\u2019un geste presque m\u00e9canique, un geste que tu r\u00e9p\u00e9tais encore et encore. Mais aujourd\u2019hui, elles te frappent comme quelque chose de neuf. Comme si elles avaient attendu que tu t\u2019\u00e9loignes, que tu perdes tout pour pouvoir te r\u00e9v\u00e9ler leur v\u00e9ritable nature. Et toi, tu les regardes. \u00c9merveill\u00e9, mais aussi vid\u00e9. Parce que tu sais que ces couleurs, ce regard neuf, sont le fruit d\u2019un immense sacrifice. Trois ans. Trois ans que le dibbouk te tient. Trois ans qu\u2019il te harc\u00e8le, qu\u2019il te fait tourner en rond. Trois ans qu\u2019il te paralyse avec ses questions : \"Pourquoi peindre ? \u00c0 quoi bon \u00e9crire ? Et m\u00eame, pourquoi vivre comme \u00e7a, \u00e0 quoi cela m\u00e8ne-t-il ?\" Tu l\u2019as laiss\u00e9 faire. Tu t\u2019es laiss\u00e9 terrasser. Est-ce par orgueil, par faiblesse ? Ou pour rien, parce que de toute fa\u00e7on le terrassement est aussi n\u00e9cessaire que les fondations. Peut-\u00eatre parce que tu ressens toujours cette intuition qu\u2019il y a encore quelque chose \u00e0 voir, \u00e0 ressentir, une fois que tout est r\u00e9duit en cendre, en pourrissement, en d\u00e9composition, en humus. Comme si chaque coup port\u00e9 \u00e0 ces toiles, chaque silence impos\u00e9 \u00e0 tes gestes, les avait rendues plus vivantes. Le dibbouk, cet exc\u00e8s de r\u00e9flexion, ne t\u2019apporte rien de concret. Il ne construit rien. Il ne fait qu\u2019\u00f4ter, r\u00e9duire, effacer. Mais ce qu\u2019il te donne en \u00e9change, c\u2019est un regard. Un regard charg\u00e9 de perte, d\u2019abandon, de temps dissout. Ce regard que tu poses aujourd\u2019hui sur tes toiles, sur leurs couleurs, sur ce qui reste. Ce regard qui te frappe et te terrasse encore. Le regard de Narcisse bu par l\u2019eau de la rivi\u00e8re quand son visage plonge en celle-ci. Et pourtant, dans cette eau qui t\u2019absorbe, dans ces couleurs qui t\u2019engloutissent, tu sens peut-\u00eatre une possibilit\u00e9. Une flamme l\u00e9g\u00e8re, fragile. Celle de recommencer, malgr\u00e9 tout. Parce que tout simplement, tu n\u2019as pas d\u2019autre choix.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/28032021-_mg_1778.png?1748065146", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-decembre-2024.html", "title": "21 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-21T08:40:10Z", "date_modified": "2025-04-30T16:22:09Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Ce matin, je me sens vide. Si plein de rien. Un trop-plein de rien. D\u00e9bordant d’absence. Pourtant, je n\u2019en \u00e9prouve plus de honte. C’est presque obsc\u00e8ne d’y apercevoir comme une jouissance. Je go\u00fbte pleinement cette sensation. C\u2019est un acte de r\u00e9sistance. Je refuse de croire que le vide est une faute. Ce vide, c\u2019est mon luxe personnel. L\u2019oppos\u00e9 de cette opulence qu\u2019on m\u2019a toujours vant\u00e9e, celle qui cache les manques sous des artifices inutiles. Me voici \u00e0 la source du d\u00e9sir. L\u00e0 o\u00f9 rien n\u2019est nomm\u00e9, o\u00f9 tout peut commencer. J\u2019entends les voix qui murmurent : comme c\u2019est enfantin. Mais qu\u2019importe. Ce vide est un espace creux, mais habit\u00e9. L\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, l\u2019adolescent r\u00e9volt\u00e9, le jeune homme arrogant, le vieillard larmoyant \u2013 tous continuent d\u2019y exister, \u00e0 leur mani\u00e8re. Je ne les fuis pas. Je sais ce que je dois au monde pour avoir la force de dire « je ». Mais je sais aussi ce que je dois \u00e0 ce « je » pour m\u2019extraire du poids du monde. Ce vide n\u2019est ni une fuite ni une faiblesse. C\u2019est un point de d\u00e9part qui se confond avec l’arriv\u00e9e. Un lieu o\u00f9 je peux \u00eatre, simplement. C’est comme prendre le temps de s’asseoir au bord de la rivi\u00e8re et regarder passer les nuages se refl\u00e9tant \u00e0 la surface. Puis l’injonction de se relever, de revenir de nouveau dans le mouvement, le brouhaha, ressurgira t\u00f4t ou tard, elle revient toujours, pour tenter d’imposer silence \u00e0 jamais.<\/p>", "content_text": "Ce matin, je me sens vide. Si plein de rien. Un trop-plein de rien. D\u00e9bordant d'absence. Pourtant, je n\u2019en \u00e9prouve plus de honte. C'est presque obsc\u00e8ne d'y apercevoir comme une jouissance. Je go\u00fbte pleinement cette sensation. C\u2019est un acte de r\u00e9sistance. Je refuse de croire que le vide est une faute. Ce vide, c\u2019est mon luxe personnel. L\u2019oppos\u00e9 de cette opulence qu\u2019on m\u2019a toujours vant\u00e9e, celle qui cache les manques sous des artifices inutiles. Me voici \u00e0 la source du d\u00e9sir. L\u00e0 o\u00f9 rien n\u2019est nomm\u00e9, o\u00f9 tout peut commencer. J\u2019entends les voix qui murmurent : comme c\u2019est enfantin. Mais qu\u2019importe. Ce vide est un espace creux, mais habit\u00e9. L\u2019enfant que j\u2019\u00e9tais, l\u2019adolescent r\u00e9volt\u00e9, le jeune homme arrogant, le vieillard larmoyant \u2013 tous continuent d\u2019y exister, \u00e0 leur mani\u00e8re. Je ne les fuis pas. Je sais ce que je dois au monde pour avoir la force de dire \"je\". Mais je sais aussi ce que je dois \u00e0 ce \"je\" pour m\u2019extraire du poids du monde. Ce vide n\u2019est ni une fuite ni une faiblesse. C\u2019est un point de d\u00e9part qui se confond avec l'arriv\u00e9e. Un lieu o\u00f9 je peux \u00eatre, simplement. C'est comme prendre le temps de s'asseoir au bord de la rivi\u00e8re et regarder passer les nuages se refl\u00e9tant \u00e0 la surface. Puis l'injonction de se relever, de revenir de nouveau dans le mouvement, le brouhaha, ressurgira t\u00f4t ou tard, elle revient toujours, pour tenter d'imposer silence \u00e0 jamais.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/la-drome-1.webp?1748065145", "tags": ["Espaces lieux ", "Autofiction et Introspection", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-decembre-2024.html", "title": "20 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-20T07:43:26Z", "date_modified": "2024-12-20T07:43:32Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

C\u2019est l\u2019histoire du ressort que l\u2019on comprime et qui, d\u00e8s qu\u2019on ne le comprime plus, se rel\u00e2che.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une fin du monde qui prend son temps pour finir.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une r\u00e9publique banani\u00e8re dont on pourrait rire si l\u2019on n\u2019avait pas les l\u00e8vres gerc\u00e9es.
\nC\u2019est l\u2019histoire toujours recommenc\u00e9e de la guerre des Andouilles et des Quaresmeprenant.
\nC\u2019est l\u2019histoire du temps, plut\u00f4t cyclique que lin\u00e9aire.
\nC\u2019est l\u2019histoire du bouchon qui se brise dans le goulot.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une journ\u00e9e commenc\u00e9e la veille.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019un instant qui dure une \u00e9ternit\u00e9.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une d\u00e9croissance qui fait rire jaune les petites gens.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019un fou qui se fait damer le pion par son bouffon.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019un radis, le dernier tomb\u00e9 d\u2019une poche, qui s\u2019agrippe \u00e0 une coquille Saint-Jacques pour vivre une grande aventure.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019un soleil qui s\u2019\u00e9bouriffe les cheveux.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019un ouragan qui ne supporte plus les bidonvilles.
\nC\u2019est l\u2019histoire sempiternelle des grands de ce monde qui m\u00e9prisent tout le monde, y compris eux-m\u00eames.
\nC\u2019est l\u2019histoire de la candeur comme ultime refuge.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019un obus qui attend son heure.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une ville souffl\u00e9e par la peur, la haine, la b\u00eatise.
\nC\u2019est l\u2019histoire de Sodome r\u00e9concili\u00e9e avec Gomorrhe.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une cath\u00e9drale qu\u2019on br\u00fble pour mieux la reconstruire.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une valeur qui s\u2019inverse, comme s\u2019inversent les p\u00f4les magn\u00e9tiques.
\nC\u2019est l\u2019histoire de la ruine qui suit toujours l\u2019opulence.
\nC\u2019est l\u2019histoire du mou dans lequel on s\u2019enfonce comme dans du beurre.
\nC\u2019est l\u2019histoire du c\u0153ur au bord des l\u00e8vres, de la langue p\u00e2teuse et des yeux inject\u00e9s de sang qui sortent de leurs orbites.
\nC\u2019est l\u2019histoire du petit v\u00e9lo qu\u2019on n\u2019a jamais retrouv\u00e9.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019un ch\u00e2teau en Espagne vendu en pi\u00e8ces d\u00e9tach\u00e9es \u00e0 un fonds de pension am\u00e9ricain.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une voiture qui ne fait pas de bruit et qui fauche les passants.
\nC\u2019est l\u2019histoire d\u2019une Afrique devenue russo-chinoise, o\u00f9 l\u2019on fait pousser du riz et des usines de composants \u00e9lectroniques apr\u00e8s le ma\u00efs et le manioc.
\nC\u2019est l\u2019histoire de l\u2019enfant que l\u2019on bat et rebat jusqu\u2019\u00e0 plus soif.
\nC\u2019est l\u2019histoire de Rome qui ne s\u2019est jamais termin\u00e9e.
\nC\u2019est l\u2019histoire de la col\u00e8re, du ressentiment et de la haine, sans cesse r\u00e9aliment\u00e9s avec une augmentation de 20 % de TVA, car c\u2019est rentable.
\nC\u2019est l\u2019histoire stupide, f\u00e9roce, risible autant qu\u2019\u00e9pouvantable et merveilleuse de notre existence, ballot\u00e9e par les \u00e9l\u00e9ments naturels, surnaturels et contre-nature que nous rencontrons.<\/p>", "content_text": " C\u2019est l\u2019histoire du ressort que l\u2019on comprime et qui, d\u00e8s qu\u2019on ne le comprime plus, se rel\u00e2che. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une fin du monde qui prend son temps pour finir. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une r\u00e9publique banani\u00e8re dont on pourrait rire si l\u2019on n\u2019avait pas les l\u00e8vres gerc\u00e9es. C\u2019est l\u2019histoire toujours recommenc\u00e9e de la guerre des Andouilles et des Quaresmeprenant. C\u2019est l\u2019histoire du temps, plut\u00f4t cyclique que lin\u00e9aire. C\u2019est l\u2019histoire du bouchon qui se brise dans le goulot. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une journ\u00e9e commenc\u00e9e la veille. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019un instant qui dure une \u00e9ternit\u00e9. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une d\u00e9croissance qui fait rire jaune les petites gens. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019un fou qui se fait damer le pion par son bouffon. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019un radis, le dernier tomb\u00e9 d\u2019une poche, qui s\u2019agrippe \u00e0 une coquille Saint-Jacques pour vivre une grande aventure. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019un soleil qui s\u2019\u00e9bouriffe les cheveux. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019un ouragan qui ne supporte plus les bidonvilles. C\u2019est l\u2019histoire sempiternelle des grands de ce monde qui m\u00e9prisent tout le monde, y compris eux-m\u00eames. C\u2019est l\u2019histoire de la candeur comme ultime refuge. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019un obus qui attend son heure. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une ville souffl\u00e9e par la peur, la haine, la b\u00eatise. C\u2019est l\u2019histoire de Sodome r\u00e9concili\u00e9e avec Gomorrhe. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une cath\u00e9drale qu\u2019on br\u00fble pour mieux la reconstruire. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une valeur qui s\u2019inverse, comme s\u2019inversent les p\u00f4les magn\u00e9tiques. C\u2019est l\u2019histoire de la ruine qui suit toujours l\u2019opulence. C\u2019est l\u2019histoire du mou dans lequel on s\u2019enfonce comme dans du beurre. C\u2019est l\u2019histoire du c\u0153ur au bord des l\u00e8vres, de la langue p\u00e2teuse et des yeux inject\u00e9s de sang qui sortent de leurs orbites. C\u2019est l\u2019histoire du petit v\u00e9lo qu\u2019on n\u2019a jamais retrouv\u00e9. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019un ch\u00e2teau en Espagne vendu en pi\u00e8ces d\u00e9tach\u00e9es \u00e0 un fonds de pension am\u00e9ricain. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une voiture qui ne fait pas de bruit et qui fauche les passants. C\u2019est l\u2019histoire d\u2019une Afrique devenue russo-chinoise, o\u00f9 l\u2019on fait pousser du riz et des usines de composants \u00e9lectroniques apr\u00e8s le ma\u00efs et le manioc. C\u2019est l\u2019histoire de l\u2019enfant que l\u2019on bat et rebat jusqu\u2019\u00e0 plus soif. C\u2019est l\u2019histoire de Rome qui ne s\u2019est jamais termin\u00e9e. C\u2019est l\u2019histoire de la col\u00e8re, du ressentiment et de la haine, sans cesse r\u00e9aliment\u00e9s avec une augmentation de 20 % de TVA, car c\u2019est rentable. C\u2019est l\u2019histoire stupide, f\u00e9roce, risible autant qu\u2019\u00e9pouvantable et merveilleuse de notre existence, ballot\u00e9e par les \u00e9l\u00e9ments naturels, surnaturels et contre-nature que nous rencontrons. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/tempetesolaire.jpg?1748065138", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-decembre-2024.html", "title": "19 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-19T07:27:01Z", "date_modified": "2025-02-15T05:59:05Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Encore relev\u00e9 l\u2019expression « la petite chose priv\u00e9e » \u00e0 propos d\u2019un genre d\u2019\u00e9criture « autobiographique » chez un \u00e9crivain de renom — ce qui m\u2019a bien tarabust\u00e9 durant de longues heures cette nuit, en m\u00eame temps que, morveux, je me mouchais, raclais, hahanais, me tournant par-ci, me retournant par-l\u00e0, sueurs, larmes et humeurs de toutes sortes et genres.<\/p>\n

Qu\u2019est-ce qui est priv\u00e9, qu\u2019est-ce qui est petit, qu\u2019est-ce qui, dans l\u2019impossibilit\u00e9 de la nommer, reste dans ce cas \u00e0 l\u2019\u00e9tat de chose ? \u00c7a fait bien des questions, m\u00eame pour une insomnie.<\/p>\n

Pour ma part (quelle dr\u00f4le d\u2019expression), j\u2019appr\u00e9cie le particulier quand il m\u00e8ne au g\u00e9n\u00e9ral, mais c\u2019est aussi vrai que j\u2019ai du mal, souvent, \u00e0 faire le distingo entre particulier et g\u00e9n\u00e9ral. Je suis en mesure (j\u2019aime bien \u00eatre en mesure, \u00e7a m\u2019illusionne d\u2019\u00eatre musicien) de dire, par exemple, « tous des pourris », ce qui est \u00e0 la fois g\u00e9n\u00e9ral et arbitraire, comme je suis en mesure de dire « mon voisin n\u2019a pas invent\u00e9 l\u2019eau chaude », ce qui est du particulier. \u00c7a ne me g\u00eane pas du tout.<\/p>\n

Ceci \u00e9tant, \u00e7a place le narrateur \u00e0 une position telle qu\u2019on esp\u00e8re qu\u2019il ne craint pas le vertige.<\/p>\n

Le retour sur investissement \u00e0 partir de ces quelques phrases jet\u00e9es est maigre, sauf qu\u2019on sait \u00e0 pr\u00e9sent que le narrateur oscille entre la vanit\u00e9 crasse et cette fameuse « petite chose priv\u00e9e », \u00e0 la fois si banale pour certain(es), voire repoussante, et l\u2019aura magn\u00e9tique des trois mots pos\u00e9s c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : petite chose priv\u00e9e.<\/p>\n

La source de l\u2019expression se pla\u00e7ant, elle aussi, \u00e0 une hauteur tout aussi vertigineuse de m\u00e9pris et de d\u00e9dain.<\/p>\n

Je relis et soudain irr\u00e9pr\u00e9ssible envie de me rendre \u00e0 la biblioth\u00e8que de chercher le journal de Leautaud. Avec un peu de chance retrouver la m\u00eame « m\u00e9chancet\u00e9 » me permettra, je l’esp\u00e8re, de m’engouffrer avec une belle \u00e9nergie dans cette nouvelle journ\u00e9e.<\/p>", "content_text": " Encore relev\u00e9 l\u2019expression \"la petite chose priv\u00e9e\" \u00e0 propos d\u2019un genre d\u2019\u00e9criture \"autobiographique\" chez un \u00e9crivain de renom \u2014 ce qui m\u2019a bien tarabust\u00e9 durant de longues heures cette nuit, en m\u00eame temps que, morveux, je me mouchais, raclais, hahanais, me tournant par-ci, me retournant par-l\u00e0, sueurs, larmes et humeurs de toutes sortes et genres. Qu\u2019est-ce qui est priv\u00e9, qu\u2019est-ce qui est petit, qu\u2019est-ce qui, dans l\u2019impossibilit\u00e9 de la nommer, reste dans ce cas \u00e0 l\u2019\u00e9tat de chose ? \u00c7a fait bien des questions, m\u00eame pour une insomnie. Pour ma part (quelle dr\u00f4le d\u2019expression), j\u2019appr\u00e9cie le particulier quand il m\u00e8ne au g\u00e9n\u00e9ral, mais c\u2019est aussi vrai que j\u2019ai du mal, souvent, \u00e0 faire le distingo entre particulier et g\u00e9n\u00e9ral. Je suis en mesure (j\u2019aime bien \u00eatre en mesure, \u00e7a m\u2019illusionne d\u2019\u00eatre musicien) de dire, par exemple, \"tous des pourris\", ce qui est \u00e0 la fois g\u00e9n\u00e9ral et arbitraire, comme je suis en mesure de dire \"mon voisin n\u2019a pas invent\u00e9 l\u2019eau chaude\", ce qui est du particulier. \u00c7a ne me g\u00eane pas du tout. Ceci \u00e9tant, \u00e7a place le narrateur \u00e0 une position telle qu\u2019on esp\u00e8re qu\u2019il ne craint pas le vertige. Le retour sur investissement \u00e0 partir de ces quelques phrases jet\u00e9es est maigre, sauf qu\u2019on sait \u00e0 pr\u00e9sent que le narrateur oscille entre la vanit\u00e9 crasse et cette fameuse \"petite chose priv\u00e9e\", \u00e0 la fois si banale pour certain(es), voire repoussante, et l\u2019aura magn\u00e9tique des trois mots pos\u00e9s c\u00f4te \u00e0 c\u00f4te : petite chose priv\u00e9e. La source de l\u2019expression se pla\u00e7ant, elle aussi, \u00e0 une hauteur tout aussi vertigineuse de m\u00e9pris et de d\u00e9dain. Je relis et soudain irr\u00e9pr\u00e9ssible envie de me rendre \u00e0 la biblioth\u00e8que de chercher le journal de Leautaud. Avec un peu de chance retrouver la m\u00eame \"m\u00e9chancet\u00e9\" me permettra, je l'esp\u00e8re, de m'engouffrer avec une belle \u00e9nergie dans cette nouvelle journ\u00e9e.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/leautaud_1915.jpg?1748065192", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-decembre-2024.html", "title": "18 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-18T10:37:37Z", "date_modified": "2025-04-30T16:22:23Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

R\u00eave math\u00e9matique ; \u00e9quation d\u2019apparence simple, trop simple. Peut-\u00eatre un d\u00e9but de grippe ou de rhume. Le mot « kal\u00e9idoscope ». Des images de fleurs arrang\u00e9es en rond et un bruit de lamelles m\u00e9talliques lorsque l\u2019image change, ce qui renvoie \u00e0 ces motifs de la tapisserie. Mais o\u00f9 et quand ? Impossible de le dire sans commettre d\u2019erreur. Marcher sur le haut du mur, au fond d\u2019un jardin, pour r\u00e9colter des cerises. (Des queues de cerises aigres et acides dans le go\u00fbt, et les taches violac\u00e9es : le dessin d\u2019un Buc\u00e9phale aux yeux noirs, effray\u00e9.) La d\u00e9formation d\u2019une ligne d\u2019horizon sur la rotondit\u00e9 d\u2019un \u0153il \u00e9quin. Le soir tombe. Des fleurs de pissenlit s\u2019\u00e9l\u00e8vent, les ombres progressent, les bl\u00e9s sont fauch\u00e9s. Dans le bleu du noir de l\u2019aile d\u2019un corbeau, une l\u00e9g\u00e8re pointe de rouge carmin : un op\u00e9ra de Bizet, une chemise blanche qu\u2019on arrache avec violence pour mettre en \u00e9vidence un c\u0153ur \u00e0 assassiner. Une Micheline peinte en blanc et rouge. L\u2019odeur des cheveux mouill\u00e9s, les couinements des culs pos\u00e9s sur la moleskine, le claquement des porti\u00e8res. Le roulis des mondes, et mon visage renvoy\u00e9 par le reflet commun qui d\u00e9file. Des sc\u00e8nes de la ville de nuit, au temps des brumes et des \u00e9clairages au gaz ou au benz\u00e8ne. Le temps des chapeaux mous et des bas de nylon, la Seine et ses reflets changeants comme un d\u00e9cor sans cesse renouvel\u00e9. Kal\u00e9idoscope.<\/p>\n

— Vous ai-je d\u00e9j\u00e0 dit que je suis de Saint-Pour\u00e7ain-sur-Sioule ? — demanda la dame, pour dire quelque chose \u00e0 l\u2019autre dame en face.
\nCela fait penser aux nappes Vichy, \u00e0 ces carreaux blancs et rouges, \u00e0 ce petit bouquet pos\u00e9 au centre de la table, g\u00e9n\u00e9ralement carr\u00e9e, dans ce restaurant pr\u00e8s de l\u2019All\u00e9e des Soupirs. Doucement, il ne faut pas faire de bruit, ne pas se faire rep\u00e9rer, soulever lentement les feuilles pour avoir une chance de ne pas les rater.<\/p>\n

La sixi\u00e8me corde de la guitare peine toujours \u00e0 s\u2019accorder ; chanterelle et c\u00e8pes dans la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e. Gare au garde-champ\u00eatre ! La loi, omnipr\u00e9sente, chapeau mou sur les sourcils, guette le faux-pas. Faut pas ci, faut pas \u00e7a. \u00c0 Passy, cela me ram\u00e8ne \u00e0 une chanson de B\u00e9ranger, et, si l\u2019on insiste un tout petit peu plus, \u00e0 un pont : un pont jet\u00e9 par-dessus le fleuve, large \u00e0 cet endroit. Les beaux quartiers. La clart\u00e9, celle qu\u2019on nous a de tout temps vol\u00e9e. De ce pont et de ce pas, on se jetterait dans les reflets du ciel courant sur la surface glac\u00e9e. Mais les rambardes, les parapets ne sont pas faits pour les chiens.<\/p>\n

Le coussin du chien se trouve au bout du canap\u00e9 : il a sa place, il tr\u00f4ne. Impossible d\u2019en vouloir au chien. « C\u2019est un concours de circonstances malheureux », dit-on en r\u00e9chauffant un cognac dans la paume d\u2019une grosse main. Odeur de cigare, forte, \u00e9c\u0153urante. Un vieux cigare tordu, lacanien ou freudien. Il faut toujours que le nain sorte du jardin pour faire son malin.<\/p>\n

Je tourne encore une page. J\u2019aimerais bien revoir les lieux dans leur ensemble, me tenir enfin dans une paisible \u00e9quidistance. Tranquille, comme on dit : comment tu vas ? Tranquille.<\/p>", "content_text": "R\u00eave math\u00e9matique ; \u00e9quation d\u2019apparence simple, trop simple. Peut-\u00eatre un d\u00e9but de grippe ou de rhume. Le mot \u00ab kal\u00e9idoscope \u00bb. Des images de fleurs arrang\u00e9es en rond et un bruit de lamelles m\u00e9talliques lorsque l\u2019image change, ce qui renvoie \u00e0 ces motifs de la tapisserie. Mais o\u00f9 et quand ? Impossible de le dire sans commettre d\u2019erreur. Marcher sur le haut du mur, au fond d\u2019un jardin, pour r\u00e9colter des cerises. (Des queues de cerises aigres et acides dans le go\u00fbt, et les taches violac\u00e9es : le dessin d\u2019un Buc\u00e9phale aux yeux noirs, effray\u00e9.) La d\u00e9formation d\u2019une ligne d\u2019horizon sur la rotondit\u00e9 d\u2019un \u0153il \u00e9quin. Le soir tombe. Des fleurs de pissenlit s\u2019\u00e9l\u00e8vent, les ombres progressent, les bl\u00e9s sont fauch\u00e9s. Dans le bleu du noir de l\u2019aile d\u2019un corbeau, une l\u00e9g\u00e8re pointe de rouge carmin : un op\u00e9ra de Bizet, une chemise blanche qu\u2019on arrache avec violence pour mettre en \u00e9vidence un c\u0153ur \u00e0 assassiner. Une Micheline peinte en blanc et rouge. L\u2019odeur des cheveux mouill\u00e9s, les couinements des culs pos\u00e9s sur la moleskine, le claquement des porti\u00e8res. Le roulis des mondes, et mon visage renvoy\u00e9 par le reflet commun qui d\u00e9file. Des sc\u00e8nes de la ville de nuit, au temps des brumes et des \u00e9clairages au gaz ou au benz\u00e8ne. Le temps des chapeaux mous et des bas de nylon, la Seine et ses reflets changeants comme un d\u00e9cor sans cesse renouvel\u00e9. Kal\u00e9idoscope. \u2014 Vous ai-je d\u00e9j\u00e0 dit que je suis de Saint-Pour\u00e7ain-sur-Sioule ? \u2014 demanda la dame, pour dire quelque chose \u00e0 l\u2019autre dame en face. Cela fait penser aux nappes Vichy, \u00e0 ces carreaux blancs et rouges, \u00e0 ce petit bouquet pos\u00e9 au centre de la table, g\u00e9n\u00e9ralement carr\u00e9e, dans ce restaurant pr\u00e8s de l\u2019All\u00e9e des Soupirs. Doucement, il ne faut pas faire de bruit, ne pas se faire rep\u00e9rer, soulever lentement les feuilles pour avoir une chance de ne pas les rater. La sixi\u00e8me corde de la guitare peine toujours \u00e0 s\u2019accorder ; chanterelle et c\u00e8pes dans la propri\u00e9t\u00e9 priv\u00e9e. Gare au garde-champ\u00eatre ! La loi, omnipr\u00e9sente, chapeau mou sur les sourcils, guette le faux-pas. Faut pas ci, faut pas \u00e7a. \u00c0 Passy, cela me ram\u00e8ne \u00e0 une chanson de B\u00e9ranger, et, si l\u2019on insiste un tout petit peu plus, \u00e0 un pont : un pont jet\u00e9 par-dessus le fleuve, large \u00e0 cet endroit. Les beaux quartiers. La clart\u00e9, celle qu\u2019on nous a de tout temps vol\u00e9e. De ce pont et de ce pas, on se jetterait dans les reflets du ciel courant sur la surface glac\u00e9e. Mais les rambardes, les parapets ne sont pas faits pour les chiens. Le coussin du chien se trouve au bout du canap\u00e9 : il a sa place, il tr\u00f4ne. Impossible d\u2019en vouloir au chien. \u00ab C\u2019est un concours de circonstances malheureux \u00bb, dit-on en r\u00e9chauffant un cognac dans la paume d\u2019une grosse main. Odeur de cigare, forte, \u00e9c\u0153urante. Un vieux cigare tordu, lacanien ou freudien. Il faut toujours que le nain sorte du jardin pour faire son malin. Je tourne encore une page. J\u2019aimerais bien revoir les lieux dans leur ensemble, me tenir enfin dans une paisible \u00e9quidistance. Tranquille, comme on dit : comment tu vas ? Tranquille.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/flowers-3550934_1280.jpg?1748065104", "tags": ["fictions br\u00e8ves", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-decembre-2024.html", "title": "16 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-16T08:41:43Z", "date_modified": "2025-04-30T16:26:02Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Bien des minutes plus tard, alors que j’\u00e9tais sur le point de dispara\u00eetre dans cette nouvelle journ\u00e9e, je me suis souvenu que je n’avais rien \u00e9crit sur la journ\u00e9e d’hier. Ce serait alors une journ\u00e9e perdue, une journ\u00e9e pour rien, une journ\u00e9e comme tant d’autres que, pour rien au monde, je n’aimerais revivre. Pourtant, tout avait commenc\u00e9 par l’arriv\u00e9e d’un camion devant le portail de notre maison. C’\u00e9tait la livraison de bois, cette cargaison qui devait nous permettre de passer l’hiver.<\/p>\n

Le camion effectuait sa man\u0153uvre pour d\u00e9verser les rondins dans la cour, et moi, pendant ce temps, je comptais mentalement le nombre de chemin\u00e9es dans la maison. Je les \u00e9num\u00e9rais une \u00e0 une, comme si le simple fait d’\u00e9tablir cette liste pouvait m’occuper l’esprit et m’emp\u00eacher de voir la montagne de travail qui m’attendait. En un clin d’\u0153il, le souvenir de ces foyers m’a fait traverser les deux \u00e9tages et toutes les pi\u00e8ces de la maison. Puis, tout \u00e0 coup, il y avait de nouveau ce tas monumental dans la cour.<\/p>\n

Le chauffeur a referm\u00e9 les grilles derri\u00e8re lui, et j’ai vu le camion repartir vers la scierie de La Grave, laissant derri\u00e8re lui ce monticule de bois, un silence ensuite comme un d\u00e9fi.<\/p>\n

\u00c0 cette \u00e9poque, j’avais environ sept ans. J’avais d\u00e9j\u00e0 cette manie d’accorder une attention particuli\u00e8re aux petites choses du quotidien, mais je ne les \u00e9crivais pas encore. Elles restaient enfouies quelque part, peut-\u00eatre dans mon corps.<\/p>\n

Parfois, elles remontaient vers la surface de la conscience , une sorte de capillarit\u00e9 le long des parois tremblantes des r\u00eaves ou des cauchemars, mais jamais sous forme de mots. Ces souvenirs, je ne le savais pas encore, finiraient par r\u00e9appara\u00eetre bien des ann\u00e9es plus tard, au d\u00e9tour de l’\u00e9criture.<\/p>\n

Je me souviens encore du poids de la brouette remplie de rondins. Chaque trajet jusqu’\u00e0 l\u2019appentis, au fond du jardin, \u00e9tait une \u00e9preuve. Il fallait empiler le bois avec soin, sur plusieurs strates, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il forme une muraille vertigineuse. Le bois \u00e9tait humide, moussu, visqueux , et nous savions qu\u2019il deviendrait encore plus lourd si nous n\u2019agissions pas avant les pluies. Alors, on me confiait la t\u00e2che de travailler avec cette sorte d\u2019urgence. Il fallait soulever, d\u00e9poser, rouler durant de longues minutes, puis d\u00e9charger, aligner , accumuler. Sans savoir que, bien plus tard, ces efforts resteraient inscrits quelque part, non pas dans une m\u00e9moire imm\u00e9diate, mais dans le corps. Des ann\u00e9es apr\u00e8s, je peux encore sentir les ampoules sur mes paumes, les \u00e9raflures sur mes mollets, mes genoux, la fatigue de mes bras, et l\u2019odeur ent\u00eatante du bois humide, simplement en repensant \u00e0 ces journ\u00e9es.<\/p>\n

Cette mission, r\u00e9p\u00e9t\u00e9e chaque fois \u00e0 l’entr\u00e9e de l’ hiver, \u00e9tait une t\u00e2che banale. Pourtant, elle laissait en moi des marques plus profondes que je ne l\u2019aurais imagin\u00e9. Aujourd’hui, je vois cela diff\u00e9remment. Peut-\u00eatre qu\u2019une partie de l\u2019\u00e9criture commence l\u00e0, dans cet entrep\u00f4t qu’est le corps tout entier , l\u00e0 o\u00f9 les souvenirs s\u2019accumulent sans \u00eatre conscients d’eux-m\u00eames. Et un jour, ils ressortent, non pas sous forme de simples r\u00e9miniscences, mais transform\u00e9s : en listes de dol\u00e9ances, en inventaires de nostalgies, ou encore en rage, rarement en joies ou satisfactions \u00e0 coucher sur une page blanche. Sans doute que le peu de joies et de satisfactions qu’on en retient est aussi une sorte de moteur trompeur de l’\u00e9criture.<\/p>\n

Bien des ann\u00e9es plus tard, et presque surpris d’avoir \u00e9crit ces quelques lignes, je me demande pourquoi ce souvenir particulier a ressurgi aujourd’hui. D\u00e9sormais, je ne commande plus de bois. La maison o\u00f9 je vis est chauff\u00e9e au gaz de ville. J\u2019approche de mes soixante-cinq ans, et je ressens de plus en plus cette impression \u00e9trange que ma vie s\u2019est \u00e9coul\u00e9e comme un r\u00eave. Cette id\u00e9e m’obs\u00e8de, le jour comme la nuit. Les ann\u00e9es, que je pensais avoir empil\u00e9es comme ces tas de b\u00fbches destin\u00e9es \u00e0 nous r\u00e9chauffer, m\u2019\u00e9chappent. Dans mes r\u00eaves, je revois souvent ce tas de bois. Il s\u2019effondre sous son propre poids, comme si sa hauteur vertigineuse n\u2019avait \u00e9t\u00e9 qu\u2019un \u00e9quilibre fragile, une illusion. Une ivresse \u00e9prouv\u00e9e par le vertige en lui-m\u00eame. Le temps s\u2019\u00e9croule avec lui. Ce qui paraissait solide et continu se brise en fragments. Et ces fragments, je ne peux les relier les uns aux autres que par une sensation : celle de l\u2019effondrement. Une chute, lente mais in\u00e9luctable, o\u00f9 je comprends que toutes ces ann\u00e9es que j\u2019ai cru accumuler en briguant une sorte de m\u00e9thode, une autobiographie, un livre, n\u2019\u00e9taient en r\u00e9alit\u00e9 qu\u2019un mensonge. Un tas de bois ordinaire, en apparence, mais dont la fragilit\u00e9 m\u2019\u00e9chappait.<\/p>", "content_text": "Bien des minutes plus tard, alors que j'\u00e9tais sur le point de dispara\u00eetre dans cette nouvelle journ\u00e9e, je me suis souvenu que je n'avais rien \u00e9crit sur la journ\u00e9e d'hier. Ce serait alors une journ\u00e9e perdue, une journ\u00e9e pour rien, une journ\u00e9e comme tant d'autres que, pour rien au monde, je n'aimerais revivre. Pourtant, tout avait commenc\u00e9 par l'arriv\u00e9e d'un camion devant le portail de notre maison. C'\u00e9tait la livraison de bois, cette cargaison qui devait nous permettre de passer l'hiver. Le camion effectuait sa man\u0153uvre pour d\u00e9verser les rondins dans la cour, et moi, pendant ce temps, je comptais mentalement le nombre de chemin\u00e9es dans la maison. Je les \u00e9num\u00e9rais une \u00e0 une, comme si le simple fait d'\u00e9tablir cette liste pouvait m'occuper l'esprit et m'emp\u00eacher de voir la montagne de travail qui m'attendait. En un clin d'\u0153il, le souvenir de ces foyers m'a fait traverser les deux \u00e9tages et toutes les pi\u00e8ces de la maison. Puis, tout \u00e0 coup, il y avait de nouveau ce tas monumental dans la cour. Le chauffeur a referm\u00e9 les grilles derri\u00e8re lui, et j'ai vu le camion repartir vers la scierie de La Grave, laissant derri\u00e8re lui ce monticule de bois, un silence ensuite comme un d\u00e9fi. \u00c0 cette \u00e9poque, j'avais environ sept ans. J'avais d\u00e9j\u00e0 cette manie d'accorder une attention particuli\u00e8re aux petites choses du quotidien, mais je ne les \u00e9crivais pas encore. Elles restaient enfouies quelque part, peut-\u00eatre dans mon corps. Parfois, elles remontaient vers la surface de la conscience , une sorte de capillarit\u00e9 le long des parois tremblantes des r\u00eaves ou des cauchemars, mais jamais sous forme de mots. Ces souvenirs, je ne le savais pas encore, finiraient par r\u00e9appara\u00eetre bien des ann\u00e9es plus tard, au d\u00e9tour de l'\u00e9criture. Je me souviens encore du poids de la brouette remplie de rondins. Chaque trajet jusqu'\u00e0 l\u2019appentis, au fond du jardin, \u00e9tait une \u00e9preuve. Il fallait empiler le bois avec soin, sur plusieurs strates, jusqu\u2019\u00e0 ce qu\u2019il forme une muraille vertigineuse. Le bois \u00e9tait humide, moussu, visqueux , et nous savions qu\u2019il deviendrait encore plus lourd si nous n\u2019agissions pas avant les pluies. Alors, on me confiait la t\u00e2che de travailler avec cette sorte d\u2019urgence. Il fallait soulever, d\u00e9poser, rouler durant de longues minutes, puis d\u00e9charger, aligner , accumuler. Sans savoir que, bien plus tard, ces efforts resteraient inscrits quelque part, non pas dans une m\u00e9moire imm\u00e9diate, mais dans le corps. Des ann\u00e9es apr\u00e8s, je peux encore sentir les ampoules sur mes paumes, les \u00e9raflures sur mes mollets, mes genoux, la fatigue de mes bras, et l\u2019odeur ent\u00eatante du bois humide, simplement en repensant \u00e0 ces journ\u00e9es. Cette mission, r\u00e9p\u00e9t\u00e9e chaque fois \u00e0 l'entr\u00e9e de l' hiver, \u00e9tait une t\u00e2che banale. Pourtant, elle laissait en moi des marques plus profondes que je ne l\u2019aurais imagin\u00e9. Aujourd'hui, je vois cela diff\u00e9remment. Peut-\u00eatre qu\u2019une partie de l\u2019\u00e9criture commence l\u00e0, dans cet entrep\u00f4t qu'est le corps tout entier , l\u00e0 o\u00f9 les souvenirs s\u2019accumulent sans \u00eatre conscients d'eux-m\u00eames. Et un jour, ils ressortent, non pas sous forme de simples r\u00e9miniscences, mais transform\u00e9s : en listes de dol\u00e9ances, en inventaires de nostalgies, ou encore en rage, rarement en joies ou satisfactions \u00e0 coucher sur une page blanche. Sans doute que le peu de joies et de satisfactions qu'on en retient est aussi une sorte de moteur trompeur de l'\u00e9criture. Bien des ann\u00e9es plus tard, et presque surpris d'avoir \u00e9crit ces quelques lignes, je me demande pourquoi ce souvenir particulier a ressurgi aujourd'hui. D\u00e9sormais, je ne commande plus de bois. La maison o\u00f9 je vis est chauff\u00e9e au gaz de ville. J\u2019approche de mes soixante-cinq ans, et je ressens de plus en plus cette impression \u00e9trange que ma vie s\u2019est \u00e9coul\u00e9e comme un r\u00eave. Cette id\u00e9e m'obs\u00e8de, le jour comme la nuit. Les ann\u00e9es, que je pensais avoir empil\u00e9es comme ces tas de b\u00fbches destin\u00e9es \u00e0 nous r\u00e9chauffer, m\u2019\u00e9chappent. Dans mes r\u00eaves, je revois souvent ce tas de bois. Il s\u2019effondre sous son propre poids, comme si sa hauteur vertigineuse n\u2019avait \u00e9t\u00e9 qu\u2019un \u00e9quilibre fragile, une illusion. Une ivresse \u00e9prouv\u00e9e par le vertige en lui-m\u00eame. Le temps s\u2019\u00e9croule avec lui. Ce qui paraissait solide et continu se brise en fragments. Et ces fragments, je ne peux les relier les uns aux autres que par une sensation : celle de l\u2019effondrement. Une chute, lente mais in\u00e9luctable, o\u00f9 je comprends que toutes ces ann\u00e9es que j\u2019ai cru accumuler en briguant une sorte de m\u00e9thode, une autobiographie, un livre, n\u2019\u00e9taient en r\u00e9alit\u00e9 qu\u2019un mensonge. Un tas de bois ordinaire, en apparence, mais dont la fragilit\u00e9 m\u2019\u00e9chappait.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/33cm02.jpg?1748065093", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-decembre-2024.html", "title": "14 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-14T05:53:35Z", "date_modified": "2025-04-30T16:14:28Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Emmanuel Macron et Fran\u00e7ois Bayrou, \u00e0 Pau en janvier 2020. Pool\/ABACA\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Personne ne parle vraiment de ce qui se passe. Pas en public, pas directement. Mais on le sent dans les silences, dans les gestes fatigu\u00e9s, dans les discussions banales qui n\u2019aboutissent \u00e0 rien. C\u2019est l\u00e0, flottant, comme une odeur de cendre apr\u00e8s un incendie.<\/p>\n

Tu allumes la t\u00e9l\u00e9. Ils parlent d\u2019\u00e9lections, d\u2019\u00e9conomie, de « restructurations ». Rien qui fasse battre le c\u0153ur, rien qui donne envie de croire que demain sera diff\u00e9rent. \u00c7a laisse juste un vide, un d\u00e9sordre ordinaire. Et toi, tu te demandes comment tout le monde peut vivre avec \u00e7a sans \u00e9clater en morceaux.<\/p>\n

On a essay\u00e9, autrefois. On a manifest\u00e9, cri\u00e9, \u00e9crit des pancartes. Puis il n\u2019y avait plus que les \u00e9checs, les votes « contre », les compromis. Les journaux disaient que c\u2019\u00e9tait la faute de personne, mais que rien ne pouvait changer. Alors les gens ont arr\u00eat\u00e9.<\/p>\n

Pas d\u2019un coup. Petit \u00e0 petit. Ils se sont dit que quelqu\u2019un d\u2019autre s\u2019en occuperait, puis que personne ne le ferait, puis que de toute fa\u00e7on, \u00e7a ne changerait rien. Maintenant, il ne reste plus que ce silence, ces regards vides quand on parle de politique. On appelle \u00e7a le « moins pire ». Mais ce « moins pire », c\u2019est comme un \u00e9tang stagnant. \u00c7a pue. Et pourtant, on continue \u00e0 boire dedans.<\/p>\n

Le duel est toujours le m\u00eame. L\u2019\u00e9pouvantail \u00e0 droite, la promesse \u00e9triqu\u00e9e au centre. Tous les cinq ans. Le centre se d\u00e9roule comme un tapis de bienvenue : « Votez pour moi ou le pire arrivera. » Et \u00e0 force de crier au loup, les gens commencent \u00e0 se demander si ce pire serait vraiment pire. Peut-\u00eatre que oui. Peut-\u00eatre que non.<\/p>\n

Mais voil\u00e0 : \u00e7a les arrange. Cette peur maintient l\u2019ordre. On se retrouve pris dans une partie d\u2019\u00e9checs qu\u2019on n\u2019a jamais voulu jouer. Les coups sont calcul\u00e9s longtemps en avance. Et nous, on est les pions. Pas les cavaliers, pas les tours. Juste des pions.<\/p>\n

Il y a des moments o\u00f9 tout semble sur le point de basculer. Une foule dans la rue. Des cris, des chants. Et puis\u2026 rien. Le silence revient comme un couvercle. Les gens repartent, un par un. Ils se disent qu\u2019ils ont essay\u00e9. Que ce n\u2019\u00e9tait pas le moment. Que \u00e7a ne servait \u00e0 rien.<\/p>\n

La fatigue. Elle est l\u00e0, partout. On dirait qu\u2019elle suinte des murs, qu\u2019elle \u00e9teint les lumi\u00e8res. On veut bien croire que tout ira mieux, mais pas aujourd\u2019hui. Pas demain non plus. Peut-\u00eatre jamais.<\/p>\n

Mais il y a les mots. Les mots sont encore l\u00e0. Des phrases griffonn\u00e9es sur des carnets, sur des murs, sur des \u00e9crans. Parfois, ce sont des histoires. Parfois, juste des cris. Mais chaque mot est une fissure dans ce mur de silence. Une mani\u00e8re de dire : « Je suis encore vivant. »<\/p>\n

La litt\u00e9rature, c\u2019est \u00e7a. Pas une r\u00e9ponse, mais une r\u00e9bellion. Pas un cri de guerre, mais un murmure qui refuse de mourir. On \u00e9crit parce qu\u2019on n\u2019a plus rien. Parce que c\u2019est la seule chose qu\u2019ils ne peuvent pas nous prendre.<\/p>\n

Peut-\u00eatre qu\u2019il ne reste que cela : r\u00e9\u00e9crire l\u2019impuissance, la transformer en quelque chose d\u2019autre. On ne sait pas si \u00e7a changera quelque chose. Mais on continue. Parce que parfois, continuer est la seule victoire possible.<\/p>", "content_text": "Personne ne parle vraiment de ce qui se passe. Pas en public, pas directement. Mais on le sent dans les silences, dans les gestes fatigu\u00e9s, dans les discussions banales qui n\u2019aboutissent \u00e0 rien. C\u2019est l\u00e0, flottant, comme une odeur de cendre apr\u00e8s un incendie. Tu allumes la t\u00e9l\u00e9. Ils parlent d\u2019\u00e9lections, d\u2019\u00e9conomie, de \"restructurations\". Rien qui fasse battre le c\u0153ur, rien qui donne envie de croire que demain sera diff\u00e9rent. \u00c7a laisse juste un vide, un d\u00e9sordre ordinaire. Et toi, tu te demandes comment tout le monde peut vivre avec \u00e7a sans \u00e9clater en morceaux. On a essay\u00e9, autrefois. On a manifest\u00e9, cri\u00e9, \u00e9crit des pancartes. Puis il n\u2019y avait plus que les \u00e9checs, les votes \"contre\", les compromis. Les journaux disaient que c\u2019\u00e9tait la faute de personne, mais que rien ne pouvait changer. Alors les gens ont arr\u00eat\u00e9. Pas d\u2019un coup. Petit \u00e0 petit. Ils se sont dit que quelqu\u2019un d\u2019autre s\u2019en occuperait, puis que personne ne le ferait, puis que de toute fa\u00e7on, \u00e7a ne changerait rien. Maintenant, il ne reste plus que ce silence, ces regards vides quand on parle de politique. On appelle \u00e7a le \"moins pire\". Mais ce \"moins pire\", c\u2019est comme un \u00e9tang stagnant. \u00c7a pue. Et pourtant, on continue \u00e0 boire dedans. Le duel est toujours le m\u00eame. L\u2019\u00e9pouvantail \u00e0 droite, la promesse \u00e9triqu\u00e9e au centre. Tous les cinq ans. Le centre se d\u00e9roule comme un tapis de bienvenue : \"Votez pour moi ou le pire arrivera.\" Et \u00e0 force de crier au loup, les gens commencent \u00e0 se demander si ce pire serait vraiment pire. Peut-\u00eatre que oui. Peut-\u00eatre que non. Mais voil\u00e0 : \u00e7a les arrange. Cette peur maintient l\u2019ordre. On se retrouve pris dans une partie d\u2019\u00e9checs qu\u2019on n\u2019a jamais voulu jouer. Les coups sont calcul\u00e9s longtemps en avance. Et nous, on est les pions. Pas les cavaliers, pas les tours. Juste des pions. Il y a des moments o\u00f9 tout semble sur le point de basculer. Une foule dans la rue. Des cris, des chants. Et puis\u2026 rien. Le silence revient comme un couvercle. Les gens repartent, un par un. Ils se disent qu\u2019ils ont essay\u00e9. Que ce n\u2019\u00e9tait pas le moment. Que \u00e7a ne servait \u00e0 rien. La fatigue. Elle est l\u00e0, partout. On dirait qu\u2019elle suinte des murs, qu\u2019elle \u00e9teint les lumi\u00e8res. On veut bien croire que tout ira mieux, mais pas aujourd\u2019hui. Pas demain non plus. Peut-\u00eatre jamais. Mais il y a les mots. Les mots sont encore l\u00e0. Des phrases griffonn\u00e9es sur des carnets, sur des murs, sur des \u00e9crans. Parfois, ce sont des histoires. Parfois, juste des cris. Mais chaque mot est une fissure dans ce mur de silence. Une mani\u00e8re de dire : \"Je suis encore vivant.\" La litt\u00e9rature, c\u2019est \u00e7a. Pas une r\u00e9ponse, mais une r\u00e9bellion. Pas un cri de guerre, mais un murmure qui refuse de mourir. On \u00e9crit parce qu\u2019on n\u2019a plus rien. Parce que c\u2019est la seule chose qu\u2019ils ne peuvent pas nous prendre. Peut-\u00eatre qu\u2019il ne reste que cela : r\u00e9\u00e9crire l\u2019impuissance, la transformer en quelque chose d\u2019autre. On ne sait pas si \u00e7a changera quelque chose. Mais on continue. Parce que parfois, continuer est la seule victoire possible. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/809db5e0cb0c0c8276742e76a1240740047a6f229b6dfb3c12626c4a449ef4af.webp?1748065235", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-decembre-2024.html", "title": "13 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-13T07:49:27Z", "date_modified": "2024-12-13T08:42:27Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La nuit. La peur. Les dents claquent. Froid, toujours. Un corps. Pas stable. Un souffle ? Non. Plus rien. Cage. Dedans, tambour — pas de rythme. Bruit. Bruit sourd. Peut-\u00eatre le c\u0153ur. Peut-\u00eatre rien.<\/p>\n

Et toi. Pas toi. Une ombre. Juste derri\u00e8re. Non, pas dehors. Ni dedans. Tu h\u00e9sites. Pourquoi ? Ce n\u2019est rien. Rien que toi. Je suis toi, dit-il. Pas d\u2019\u00e9chappatoire. Regarde. Regarde ce poids. Ce corps. Tu refuses. Pourtant, il est l\u00e0. Moi, toujours.<\/p>\n

Silence. Non, un rire. Cassant. Tu veux fuir ? Impossible. Ce soir. Ce corps. Et moi.<\/p>\n

Dans l\u2019ombre. Une image. Un \u00e9clat. L\u2019enfant. Assassin\u00e9. Meurt, meurt encore. Cri blanc. Un \u00e9clatement sourd dans l\u2019obscurit\u00e9. Ils ricanent. Coups de pied. Des gestes flous, r\u00e9p\u00e9t\u00e9s. Ils cognent. Ils d\u00e9chirent. L\u2019enfant tombe, se rel\u00e8ve dans l\u2019esprit, encore et encore.<\/p>\n

Un souffle. Trop faible. L\u2019air glisse, traverse. Vide. Toi, pas l\u00e0. Pas vraiment. Mais eux, si. Ils bougent. Tremblent. Leurs mains. Ces mains. Serrent. Frappent. Arrachent. Maintenant immobiles.<\/p>\n

Toi, dans le coin. Ou au centre. Peu importe. Plus de poids. Plus de place.
\nPourquoi ? dis-tu. D\u2019abord doucement. Puis. Plus fort. Pourquoi moi ? Pourquoi pas vous ?<\/p>\n

Ils ne bougent pas. Ne regardent pas. Ne r\u00e9pondent pas.<\/p>\n

Ta main. Petite. Douce. Translucide. Elle aurait grandi. Aurait tenu des choses. Jou\u00e9. Dessin\u00e9. Aim\u00e9 ? Non. Rien. Seulement ce silence.<\/p>\n

Tu avances. Si pr\u00e8s. Maintenant. Tu veux hurler. Le son. Monte. T\u2019\u00e9touffe. Pourquoi pas vous ? Pourquoi pas vous ?<\/p>\n

Rien. Pas un souffle. Juste leur respiration. Ce bruit. La vie. Immonde.<\/p>\n

Et toi. Ton corps.<\/p>\n

Il colle. P\u00e8se. Chaque pas. Une lutte. Chaque souffle. Une faille. Tu voudrais t\u2019en d\u00e9barrasser. Mais il reste. Accroch\u00e9. Implacable.<\/p>\n

Pas moi, dis-tu. Pas ce soir. Pas jamais. Dire. Dire encore. Il faut mourir \u00e0 en \u00e9crire.<\/p>\n

Je ne sais pas ce que j\u2019\u00e9cris. Ce n\u2019est plus moi. Moi n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9. Ne sera plus.<\/p>\n

Le fant\u00f4me revient. Une ombre contre ton ombre. Retourne. Essaie encore.<\/p>\n

Mais l\u2019enfant murmure. Ne pars pas, dit-il. Ils n\u2019en valent pas la peine. Regarde. Ils tremblent. Ont d\u00e9j\u00e0 tout perdu. Mais toi... toi, tu peux encore.
\nEncore quoi ?<\/p>\n

Tu ne sais pas. Pas encore.<\/p>\n

Je trace une ligne. Je veux \u00e9crire une entr\u00e9e de journal. Espoir. C’est pour rire non. Je pense qu\u2019apr\u00e8s la ligne, je reviens. Qui revient. Dans quel \u00e9tat. Mon corps est assis l\u00e0 \u00e0 la table. C\u2019est un \u00e9tranger, je ne reconnais rien de lui. On ne badine pas avec la mort, le meutre.<\/p>\n

Il faut se d\u00e9p\u00eacher. \u00c7a part. Sort. Tout s\u2019efface. Je ne sais plus si je veux le conserver. L\u2019\u00e9jecter. Le perdre. Encore le perdre.
\nPorter \u00e0 bout de bras. L\u2019amabilit\u00e9. La politesse. La gentillesse. C\u2019est pas trop lourd pour toi superman ? Regarde, t\u2019es tout seul. Ils ont laiss\u00e9 tomber depuis belle lurette. Tu peux y aller. Laisse tomber. Fauve redeviens. Hurle \u00e0 la mort.<\/p>\n

Un poids glisse. Ce qui reste ? Des lambeaux d\u2019images. Une fausse lumi\u00e8re. Ils ont voulu faire croire que \u00e7a comptait. \u00catre aimable, poli, gentil. Toujours poli. Toujours aimable. \u00c0 quoi \u00e7a a servi ? Tu regardes tes mains. Toujours vides. Toujours tremblantes. Tu rel\u00e8ves la t\u00eate. Une ombre passe. Ou peut-\u00eatre toi. Fauve, redeviens.<\/p>\n

Assis toi sur ton cul. Hume l’air. Il fait froid. L’air est tonique. Prononce \u00e0 voix haute tout ce qui s’ach\u00e8ve en hic : synth\u00e9tique, \u00e9lastique, onomastique, sac en plastique, colique n\u00e9phr\u00e9tique, path\u00e9tique. Le son ricoche, monte, \u00e9clate. Une rythmique absurde qui cogne les murs invisibles. Tu continues, encore et encore. Jusqu’\u00e0 ce que les mots deviennent \u00e9tranget\u00e9, presque un r\u00e2le, quelque chose qui n’est plus tout \u00e0 fait humain. Fauve, redeviens.<\/p>\n

Sinon tu peux aussi examiner les lieux. Le p\u00e9rim\u00e8tre de la sc\u00e8ne de crime. Sors ta loupe, tes lorgnons, ton monocle. Penche toi sur la merde qui git \u00e9tal\u00e9e de tout son long sur le sol. Examine la duret\u00e9 des \u00e9trons. T\u00e2te de l’index la temp\u00e9rature de l’excr\u00e9ment. C’est encore ti\u00e8de, ce n’est donc pas encore tout \u00e0 fait mort pour de vrai. Mets \u00e7a dans un sac en plastique. Pi\u00e8ce \u00e0 conviction. Si tu veux encore une conviction.<\/p>\n

Ce n’est pas politiquement correct. Excuse-moi. C’est pour rire, bien s\u00fbr. Quel malaise, mazette. Rire sarcastique, parall\u00e9l\u00e9pip\u00e9dique, scolastique, empirique...<\/p>", "content_text": " La nuit. La peur. Les dents claquent. Froid, toujours. Un corps. Pas stable. Un souffle ? Non. Plus rien. Cage. Dedans, tambour \u2014 pas de rythme. Bruit. Bruit sourd. Peut-\u00eatre le c\u0153ur. Peut-\u00eatre rien. Et toi. Pas toi. Une ombre. Juste derri\u00e8re. Non, pas dehors. Ni dedans. Tu h\u00e9sites. Pourquoi ? Ce n\u2019est rien. Rien que toi. Je suis toi, dit-il. Pas d\u2019\u00e9chappatoire. Regarde. Regarde ce poids. Ce corps. Tu refuses. Pourtant, il est l\u00e0. Moi, toujours. Silence. Non, un rire. Cassant. Tu veux fuir ? Impossible. Ce soir. Ce corps. Et moi. Dans l\u2019ombre. Une image. Un \u00e9clat. L\u2019enfant. Assassin\u00e9. Meurt, meurt encore. Cri blanc. Un \u00e9clatement sourd dans l\u2019obscurit\u00e9. Ils ricanent. Coups de pied. Des gestes flous, r\u00e9p\u00e9t\u00e9s. Ils cognent. Ils d\u00e9chirent. L\u2019enfant tombe, se rel\u00e8ve dans l\u2019esprit, encore et encore. Un souffle. Trop faible. L\u2019air glisse, traverse. Vide. Toi, pas l\u00e0. Pas vraiment. Mais eux, si. Ils bougent. Tremblent. Leurs mains. Ces mains. Serrent. Frappent. Arrachent. Maintenant immobiles. Toi, dans le coin. Ou au centre. Peu importe. Plus de poids. Plus de place. Pourquoi ? dis-tu. D\u2019abord doucement. Puis. Plus fort. Pourquoi moi ? Pourquoi pas vous ? Ils ne bougent pas. Ne regardent pas. Ne r\u00e9pondent pas. Ta main. Petite. Douce. Translucide. Elle aurait grandi. Aurait tenu des choses. Jou\u00e9. Dessin\u00e9. Aim\u00e9 ? Non. Rien. Seulement ce silence. Tu avances. Si pr\u00e8s. Maintenant. Tu veux hurler. Le son. Monte. T\u2019\u00e9touffe. Pourquoi pas vous ? Pourquoi pas vous ? Rien. Pas un souffle. Juste leur respiration. Ce bruit. La vie. Immonde. Et toi. Ton corps. Il colle. P\u00e8se. Chaque pas. Une lutte. Chaque souffle. Une faille. Tu voudrais t\u2019en d\u00e9barrasser. Mais il reste. Accroch\u00e9. Implacable. Pas moi, dis-tu. Pas ce soir. Pas jamais. Dire. Dire encore. Il faut mourir \u00e0 en \u00e9crire. Je ne sais pas ce que j\u2019\u00e9cris. Ce n\u2019est plus moi. Moi n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9. Ne sera plus. Le fant\u00f4me revient. Une ombre contre ton ombre. Retourne. Essaie encore. Mais l\u2019enfant murmure. Ne pars pas, dit-il. Ils n\u2019en valent pas la peine. Regarde. Ils tremblent. Ont d\u00e9j\u00e0 tout perdu. Mais toi... toi, tu peux encore. Encore quoi ? Tu ne sais pas. Pas encore. Je trace une ligne. Je veux \u00e9crire une entr\u00e9e de journal. Espoir. C'est pour rire non. Je pense qu\u2019apr\u00e8s la ligne, je reviens. Qui revient. Dans quel \u00e9tat. Mon corps est assis l\u00e0 \u00e0 la table. C\u2019est un \u00e9tranger, je ne reconnais rien de lui. On ne badine pas avec la mort, le meutre. Il faut se d\u00e9p\u00eacher. \u00c7a part. Sort. Tout s\u2019efface. Je ne sais plus si je veux le conserver. L\u2019\u00e9jecter. Le perdre. Encore le perdre. Porter \u00e0 bout de bras. L\u2019amabilit\u00e9. La politesse. La gentillesse. C\u2019est pas trop lourd pour toi superman ? Regarde, t\u2019es tout seul. Ils ont laiss\u00e9 tomber depuis belle lurette. Tu peux y aller. Laisse tomber. Fauve redeviens. Hurle \u00e0 la mort. Un poids glisse. Ce qui reste ? Des lambeaux d\u2019images. Une fausse lumi\u00e8re. Ils ont voulu faire croire que \u00e7a comptait. \u00catre aimable, poli, gentil. Toujours poli. Toujours aimable. \u00c0 quoi \u00e7a a servi ? Tu regardes tes mains. Toujours vides. Toujours tremblantes. Tu rel\u00e8ves la t\u00eate. Une ombre passe. Ou peut-\u00eatre toi. Fauve, redeviens. Assis toi sur ton cul. Hume l'air. Il fait froid. L'air est tonique. Prononce \u00e0 voix haute tout ce qui s'ach\u00e8ve en hic : synth\u00e9tique, \u00e9lastique, onomastique, sac en plastique, colique n\u00e9phr\u00e9tique, path\u00e9tique. Le son ricoche, monte, \u00e9clate. Une rythmique absurde qui cogne les murs invisibles. Tu continues, encore et encore. Jusqu'\u00e0 ce que les mots deviennent \u00e9tranget\u00e9, presque un r\u00e2le, quelque chose qui n'est plus tout \u00e0 fait humain. Fauve, redeviens. Sinon tu peux aussi examiner les lieux. Le p\u00e9rim\u00e8tre de la sc\u00e8ne de crime. Sors ta loupe, tes lorgnons, ton monocle. Penche toi sur la merde qui git \u00e9tal\u00e9e de tout son long sur le sol. Examine la duret\u00e9 des \u00e9trons. T\u00e2te de l'index la temp\u00e9rature de l'excr\u00e9ment. C'est encore ti\u00e8de, ce n'est donc pas encore tout \u00e0 fait mort pour de vrai. Mets \u00e7a dans un sac en plastique. Pi\u00e8ce \u00e0 conviction. Si tu veux encore une conviction. Ce n'est pas politiquement correct. Excuse-moi. C'est pour rire, bien s\u00fbr. Quel malaise, mazette. Rire sarcastique, parall\u00e9l\u00e9pip\u00e9dique, scolastique, empirique... ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dscf1977.jpg?1748065096", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-decembre-2024.html", "title": "12 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-12T06:59:29Z", "date_modified": "2025-09-17T23:34:37Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Plan de ma journ\u00e9e d\u2019hier<\/p>\n

R\u00e9veil :<\/p>\n

7h<\/p>\n

Caf\u00e9, trois tartines beurr\u00e9es<\/p>\n

Prise de mes deux cachets : l\u2019un pour la tension, l\u2019autre contre le mauvais cholest\u00e9rol<\/p>\n

Matin\u00e9e :<\/p>\n

Tentative de refondre la page d\u2019accueil de mon site, qui ne me convient plus. J\u2019ai jug\u00e9 que la pr\u00e9sentation actuelle manquait de clart\u00e9 et d\u2019attrait, notamment en ce qui concerne l\u2019organisation des rubriques et l\u2019\u00e9quilibre entre texte et images.<\/p>\n

Tentative de refondre la page d\u2019accueil de mon site, qui ne me convient plus.<\/p>\n

R\u00e9daction d\u2019une nouvelle page sommaire :<\/p>\n

Ajout d\u2019un \u00e9dito<\/p>\n

Int\u00e9gration de br\u00e8ves<\/p>\n

Inclusion de th\u00e9matiques sur la litt\u00e9rature contemporaine, notamment l\u2019autofictif.<\/p>\n

Lecture :<\/p>\n

Quelques passages de Meurtre de D. Collobert.<\/p>\n

Feuillet\u00e9 La r\u00e8gle du Je de Chlo\u00e9 Delaume (PUF) : « Refuser les fables qui saturent le r\u00e9el ».<\/p>\n

Recherche :<\/p>\n

Consult\u00e9 le site de F.B. pour tout ce qui concerne l\u2019autofiction. J\u2019y ai trouv\u00e9 des pistes int\u00e9ressantes, plusieurs vid\u00e9os \u00e9taient indisponibles- Ce qui m’a fait songer au temps d’existence des objets num\u00e9riques ce qui m\u2019a conduit \u00e0 m\u2019interroger sur l\u2019\u00e9volution des th\u00e9matiques en g\u00e9n\u00e9ral. Qu’est-ce qui restera actuel encore dans cinq ans par exemple.<\/p>\n

J’ai plus trouv\u00e9 d\u2019entr\u00e9es sur l\u2019autobiographie que sur l’autofiction.<\/p>\n

D\u00e9jeuner :<\/p>\n

Salade iceberg et betteraves rouges<\/p>\n

Paella congel\u00e9e<\/p>\n

Apr\u00e8s-midi :<\/p>\n

D\u00e9part pour Saint-Donat \u00e0 13h<\/p>\n

Arriv\u00e9e \u00e0 14h, allum\u00e9 tous les radiateurs (4° selon mon t\u00e9l\u00e9phone).<\/p>\n

L\u2019apr\u00e8s-midi a \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e \u00e0 r\u00e9soudre des probl\u00e8mes logiques concernant la mise en page brigu\u00e9e, une id\u00e9e inspir\u00e9e par la page d\u2019accueil de EAN ou encore par la revue ERROR. Cette recherche visait \u00e0 d\u00e9finir une structure claire et \u00e9l\u00e9gante pour aligner mon projet sur les codes des revues contemporaines. D\u00e9couverte que je pouvais installer Koder sur la tablette et voir le r\u00e9sultat de mes tripatouillages sur Chrome en direct.<\/p>\n

Entre 14h et 16h :<\/p>\n

Pas vu de monde. Pas un chat.<\/p>\n

R\u00e9solution de probl\u00e8mes logiques sur la mise en page brigu\u00e9e \u2013 inspir\u00e9e par la page d\u2019accueil de EAN ou par la revue ERROR ?<\/p>\n

R\u00e9flexion sur une grille semblable \u00e0 un jeu de go (je de go, je d\u00e9go\u00fbt).<\/p>\n

16h :<\/p>\n

Arriv\u00e9e de G, l’ami peintre, 79 ans, emmitoufl\u00e9 jusqu\u2019aux oreilles avec un fichu de grand-m\u00e8re.<\/p>\n

D\u00e9crochage : plusieurs allers-retours entre le palais Delphinal et le parking en luttant contre la bise glaciale.<\/p>\n

Troc entre peintres :<\/p>\n

Il a choisi un paysage de for\u00eat tordue \u00e0 la Soutine.<\/p>\n

J\u2019ai pris un sous-verre repr\u00e9sentant un paysage fantasmagorique, \u00e9voquant selon l\u2019humeur : les Highlands d\u2019\u00c9cosse, un coin du Morbihan en Bretagne, ou les environs de Galway en Irlande.<\/p>\n

17h :<\/p>\n

Fermeture des portes.<\/p>\n

Retour entre chien et loup.<\/p>\n

Soir\u00e9e :<\/p>\n

\u00c9coute de France Culture :<\/p>\n

Emission sur la nuit, le SAMU social.<\/p>\n

R\u00e9flexion sur l\u2019importance des lumi\u00e8res artificielles pour que la nuit ressemble au jour d\u2019un point de vue d\u00e9mocratique et l\u00e9gal.<\/p>\n

Zones o\u00f9 l\u2019on ferme les yeux faute de mieux.<\/p>\n

Pens\u00e9e finale : la chance de pouvoir fermer les yeux, quand on y pense.<\/p>", "content_text": "Plan de ma journ\u00e9e d\u2019hier R\u00e9veil : 7h Caf\u00e9, trois tartines beurr\u00e9es Prise de mes deux cachets : l\u2019un pour la tension, l\u2019autre contre le mauvais cholest\u00e9rol Matin\u00e9e : Tentative de refondre la page d\u2019accueil de mon site, qui ne me convient plus. J\u2019ai jug\u00e9 que la pr\u00e9sentation actuelle manquait de clart\u00e9 et d\u2019attrait, notamment en ce qui concerne l\u2019organisation des rubriques et l\u2019\u00e9quilibre entre texte et images. Tentative de refondre la page d\u2019accueil de mon site, qui ne me convient plus. R\u00e9daction d\u2019une nouvelle page sommaire : Ajout d\u2019un \u00e9dito Int\u00e9gration de br\u00e8ves Inclusion de th\u00e9matiques sur la litt\u00e9rature contemporaine, notamment l\u2019autofictif. Lecture : Quelques passages de Meurtre de D. Collobert. Feuillet\u00e9 La r\u00e8gle du Je de Chlo\u00e9 Delaume (PUF) : \u00ab Refuser les fables qui saturent le r\u00e9el \u00bb. Recherche : Consult\u00e9 le site de F.B. pour tout ce qui concerne l\u2019autofiction. J\u2019y ai trouv\u00e9 des pistes int\u00e9ressantes, plusieurs vid\u00e9os \u00e9taient indisponibles- Ce qui m'a fait songer au temps d'existence des objets num\u00e9riques ce qui m\u2019a conduit \u00e0 m\u2019interroger sur l\u2019\u00e9volution des th\u00e9matiques en g\u00e9n\u00e9ral. Qu'est-ce qui restera actuel encore dans cinq ans par exemple. J'ai plus trouv\u00e9 d\u2019entr\u00e9es sur l\u2019autobiographie que sur l'autofiction. D\u00e9jeuner : Salade iceberg et betteraves rouges Paella congel\u00e9e Apr\u00e8s-midi : D\u00e9part pour Saint-Donat \u00e0 13h Arriv\u00e9e \u00e0 14h, allum\u00e9 tous les radiateurs (4\u00b0 selon mon t\u00e9l\u00e9phone). L\u2019apr\u00e8s-midi a \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e \u00e0 r\u00e9soudre des probl\u00e8mes logiques concernant la mise en page brigu\u00e9e, une id\u00e9e inspir\u00e9e par la page d\u2019accueil de EAN ou encore par la revue ERROR. Cette recherche visait \u00e0 d\u00e9finir une structure claire et \u00e9l\u00e9gante pour aligner mon projet sur les codes des revues contemporaines. D\u00e9couverte que je pouvais installer Koder sur la tablette et voir le r\u00e9sultat de mes tripatouillages sur Chrome en direct. Entre 14h et 16h : Pas vu de monde. Pas un chat. R\u00e9solution de probl\u00e8mes logiques sur la mise en page brigu\u00e9e \u2013 inspir\u00e9e par la page d\u2019accueil de EAN ou par la revue ERROR ? R\u00e9flexion sur une grille semblable \u00e0 un jeu de go (je de go, je d\u00e9go\u00fbt). 16h : Arriv\u00e9e de G, l'ami peintre, 79 ans, emmitoufl\u00e9 jusqu\u2019aux oreilles avec un fichu de grand-m\u00e8re. D\u00e9crochage : plusieurs allers-retours entre le palais Delphinal et le parking en luttant contre la bise glaciale. Troc entre peintres : Il a choisi un paysage de for\u00eat tordue \u00e0 la Soutine. J\u2019ai pris un sous-verre repr\u00e9sentant un paysage fantasmagorique, \u00e9voquant selon l\u2019humeur : les Highlands d\u2019\u00c9cosse, un coin du Morbihan en Bretagne, ou les environs de Galway en Irlande. 17h : Fermeture des portes. Retour entre chien et loup. Soir\u00e9e : \u00c9coute de France Culture : Emission sur la nuit, le SAMU social. R\u00e9flexion sur l\u2019importance des lumi\u00e8res artificielles pour que la nuit ressemble au jour d\u2019un point de vue d\u00e9mocratique et l\u00e9gal. Zones o\u00f9 l\u2019on ferme les yeux faute de mieux. Pens\u00e9e finale : la chance de pouvoir fermer les yeux, quand on y pense. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/le-petit-poucet-version-courte-du-conte-de-fees-illustration-moderne-contesdefees-com.jpg?1748065225", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-decembre-2024.html", "title": "10 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-10T18:30:18Z", "date_modified": "2025-05-28T06:28:07Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n
\n\t
H.P. Lovecraft\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Retour de la permanence \u00e0 Saint-Donat en \u00e9coutant des textes de H.P Lovecraft lus sur la chaine Youtube Tindalos<\/a>. Plus que l’histoire en elle-m\u00eame, mon attention est sur la prononciation de chaque phrase. Je me suis amus\u00e9 \u00e0 rep\u00e9r\u00e9 l’accent tonique, \u00e0 compter le nombre d’adverbes, d’adjectifs destin\u00e9s \u00e0 inspirer l’horreur. Il en r\u00e9sulte \u00e0 la fin une sorte de gait\u00e9, de bonne humeur, une euphorie. Notamment cette histoire du Temple, cet Allemand qui reste seul dans son sous-marin apr\u00e8s que tout son \u00e9quipage a perdu la raison et c’est enfui ou noy\u00e9, sans doute les deux. Cette rigidit\u00e9 qui revient dans un rythme lancinant en parall\u00e8le du r\u00e9cit— Ma volont\u00e9 allemande, mon intelligence prussienne, ma volont\u00e9 teutonne, le tout primant sur le simple p\u00e9quin vivant par hasard au bord du Rhin au bout d’un moment fait rire . Ce m\u00e9lange d’humour, d’adverbes et d’adjectifs sens\u00e9s installer la peur tout au contraire me met en joie. C’est que c’est le style justement l’important dans toute cette histoire, un style exag\u00e9r\u00e9ment gonfl\u00e9, superf\u00e9tatoire, dont on ne prend pas la mesure exacte lors des lectures adolescentes de HP Lovecraft.
\nIl faut que je note sur nom J. B, cette peintre qui vit \u00e0 Bourg de P\u00e9age et qui est rest\u00e9e un long moment \u00e0 me montrer ses tableaux sur son smartphone. J’ai eu peur au d\u00e9but, elle parlait de Notre Dame, que Notre Dame l’avait inspir\u00e9e. Qu’elle avait commenc\u00e9 \u00e0 peindre cette s\u00e9rie de tableaux ( 12 ) depuis l’incendie de Notre Dame. Heureusement dans ces cas l\u00e0 on attend que \u00e7a passe poliment, que \u00e7a s’arr\u00e8te tout seul si on ne relance pas. Et puis je ne sais pas est-ce que l’on se pr\u00e9sente aux gens en disant dans les ann\u00e9es 77 j’ai beaucoup vendu, c’est tout \u00e0 fait grossier, c’est m\u00eame carr\u00e9ment vulgaire. Puis j’apprends qu’elle a travers\u00e9 toute une cohorte de malheurs, je m’attendris, je compatis. Je n’irais pas mettre un cierge pour autant. Lui ai laiss\u00e9 mon adresse mail au cas ou elle veuille m’inviter \u00e0 son exposition prochaine.<\/p>\n

Une demie- heure apr\u00e8s mon arriv\u00e9e \u00e0 la maison coup de fil de S. qui me hurle dans l’oreille qu’elle est perdue que son GPS ne marche pas qu’elle ne sait pas o\u00f9 elle est. Qu’est-ce que j’y peux ? je monte voir la carte sur l’ordinateur Eysin Pinet tu as le choix entre revenir en arri\u00e8re vers Pont l’Eveque, ensuite Vienne ou bien te diriger vers cours et Buis et il y aura une route sur ta droite directe pour Vienne. Elle me hurle \u00e0 nouveau dans l’oreille Je suis perdue , je suis perdue. J’en ai marre —qu’est-ce que j’y peux ? ... on raccroche . Elle me rappelle je suis perdue j’en ai marre etc. Calme toi tu conduis. Je r\u00e9p\u00e8te. On raccroche encore. Du coup suis \u00e9nerv\u00e9 aussi maintenant<\/p>\n

Je suis redescendu pour aller visiter le frigo. Pas grand chose. Je vais faire des p\u00e2tes. Il reste un peu de fromage rap\u00e9 et du beurre. Tout va bien. Je me demande ce que \u00e7a pourrait donner si je racontais \u00e7a dans le style de Lovecraft. Et tiens bizarre, pas beaucoup de personnages f\u00e9minins dans ses histoires maintenant que j’y pense.<\/p>", "content_text": "Retour de la permanence \u00e0 Saint-Donat en \u00e9coutant des textes de H.P Lovecraft lus sur la chaine Youtube [Tindalos->https:\/\/www.youtube.com\/@Tindalos]. Plus que l'histoire en elle-m\u00eame, mon attention est sur la prononciation de chaque phrase. Je me suis amus\u00e9 \u00e0 rep\u00e9r\u00e9 l'accent tonique, \u00e0 compter le nombre d'adverbes, d'adjectifs destin\u00e9s \u00e0 inspirer l'horreur. Il en r\u00e9sulte \u00e0 la fin une sorte de gait\u00e9, de bonne humeur, une euphorie. Notamment cette histoire du Temple, cet Allemand qui reste seul dans son sous-marin apr\u00e8s que tout son \u00e9quipage a perdu la raison et c'est enfui ou noy\u00e9, sans doute les deux. Cette rigidit\u00e9 qui revient dans un rythme lancinant en parall\u00e8le du r\u00e9cit\u2014 Ma volont\u00e9 allemande, mon intelligence prussienne, ma volont\u00e9 teutonne, le tout primant sur le simple p\u00e9quin vivant par hasard au bord du Rhin au bout d'un moment fait rire . Ce m\u00e9lange d'humour, d'adverbes et d'adjectifs sens\u00e9s installer la peur tout au contraire me met en joie. C'est que c'est le style justement l'important dans toute cette histoire, un style exag\u00e9r\u00e9ment gonfl\u00e9, superf\u00e9tatoire, dont on ne prend pas la mesure exacte lors des lectures adolescentes de HP Lovecraft. Il faut que je note sur nom J. B, cette peintre qui vit \u00e0 Bourg de P\u00e9age et qui est rest\u00e9e un long moment \u00e0 me montrer ses tableaux sur son smartphone. J'ai eu peur au d\u00e9but, elle parlait de Notre Dame, que Notre Dame l'avait inspir\u00e9e. Qu'elle avait commenc\u00e9 \u00e0 peindre cette s\u00e9rie de tableaux ( 12 ) depuis l'incendie de Notre Dame. Heureusement dans ces cas l\u00e0 on attend que \u00e7a passe poliment, que \u00e7a s'arr\u00e8te tout seul si on ne relance pas. Et puis je ne sais pas est-ce que l'on se pr\u00e9sente aux gens en disant dans les ann\u00e9es 77 j'ai beaucoup vendu, c'est tout \u00e0 fait grossier, c'est m\u00eame carr\u00e9ment vulgaire. Puis j'apprends qu'elle a travers\u00e9 toute une cohorte de malheurs, je m'attendris, je compatis. Je n'irais pas mettre un cierge pour autant. Lui ai laiss\u00e9 mon adresse mail au cas ou elle veuille m'inviter \u00e0 son exposition prochaine. Une demie- heure apr\u00e8s mon arriv\u00e9e \u00e0 la maison coup de fil de S. qui me hurle dans l'oreille qu'elle est perdue que son GPS ne marche pas qu'elle ne sait pas o\u00f9 elle est. Qu'est-ce que j'y peux ? je monte voir la carte sur l'ordinateur Eysin Pinet tu as le choix entre revenir en arri\u00e8re vers Pont l'Eveque, ensuite Vienne ou bien te diriger vers cours et Buis et il y aura une route sur ta droite directe pour Vienne. Elle me hurle \u00e0 nouveau dans l'oreille Je suis perdue , je suis perdue. J'en ai marre \u2014qu'est-ce que j'y peux ? ... on raccroche . Elle me rappelle je suis perdue j'en ai marre etc. Calme toi tu conduis. Je r\u00e9p\u00e8te. On raccroche encore. Du coup suis \u00e9nerv\u00e9 aussi maintenant Je suis redescendu pour aller visiter le frigo. Pas grand chose. Je vais faire des p\u00e2tes. Il reste un peu de fromage rap\u00e9 et du beurre. Tout va bien. Je me demande ce que \u00e7a pourrait donner si je racontais \u00e7a dans le style de Lovecraft. Et tiens bizarre, pas beaucoup de personnages f\u00e9minins dans ses histoires maintenant que j'y pense. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/mv5bzjk2njhjytmty2zkys00zgq2ltg2nzytmde1ngnmmme3ytfmxkeyxkfqcgc___v1_.jpg?1748065092", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Autofiction et Introspection", "Lovecraft"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/09-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/09-decembre-2024.html", "title": "09 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-09T06:00:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:37:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

« Il ne faut pas avoir honte de se souvenir qu’on a \u00e9t\u00e9 un « crevard », un squelette, qu’on a couru dans tous les sens et qu’on a fouill\u00e9 dans les fosses \u00e0 ordures [...]. Les prisonniers \u00e9taient des ennemis imaginaires et invent\u00e9s avec lesquels le gouvernement r\u00e9glait ses comptes comme avec de v\u00e9ritables ennemis qu’il fusillait, tuait et faisait mourir de faim. La faux mortelle de Staline fauchait tout le monde sans distinction, en nivelant selon des r\u00e9partitions, des listes et un plan \u00e0 r\u00e9aliser. Il y avait le m\u00eame pourcentage de vauriens et de l\u00e2ches parmi les hommes qui ont p\u00e9ri au camp qu’au sein des gens en libert\u00e9. Tous \u00e9taient des gens pris au hasard parmi les indiff\u00e9rents, les l\u00e2ches, les bourgeois et m\u00eame les bourreaux. Et ils sont devenus des victimes par hasard. »<\/p>\n

— Varlam Chalamov, R\u00e9cits de la Kolyma, 1978<\/p>\n

Il \u00e9crit aussi comme la prison l’a aid\u00e9 pour \u00e9crire. Ou peut-\u00eatre ce que l’on attend comme pr\u00e9texte pour \u00e9crire. Il est tout \u00e0 fait possible \u00e9galement— toute proportion gard\u00e9e — que je comprenne d\u00e9sormais bien mieux la notion de pr\u00e9texte pour faire ceci ou cela. Ou plut\u00f4t ne pas le faire. La jeunesse a besoin de pr\u00e9texte, comme la violence. Mais le pr\u00e9texte n’a jamais \u00e9t\u00e9 vraiment une raison, m\u00eame pas une excuse.<\/p>\n

Repense encore une fois \u00e0 tout \u00e7a, en \u00e9coutant cette \u00e9mission sur Chamalov ( France Culture) sur la route de Saint-Donat \u00e0 ces ann\u00e9es pass\u00e9es d’une chambre d’h\u00f4tel \u00e0 une autre, \u00e0 l’indigence volontaire dans laquelle je me suis oblig\u00e9 de vivre sous pr\u00e9texte que l’art, la peinture, l’\u00e9criture exigeait que l’on assassine ce qui nous est le plus cher pour r\u00e9cup\u00e9rer des boyaux, fabriquer des cordes de violon. D’o\u00f9 l’expression joue moi un p’tit air de violon, aller. <\/i> Une pr\u00e9tention \u00e0 l’exacte mesure du total manque de confiance en soi. Qu’aurais-je support\u00e9 encore pour avoir ne serait-ce que le droit d’\u00e9crire une seule ligne sans m’en rendre malade, je n’en ai jamais eu le droit alors je l’ai pris voil\u00e0 tout. Avec l’effroyable suite de cons\u00e9quences que l’acte d’\u00e9crire provoque. Ecrire c’est provoquer, je suis toujours parti de ce principe, rien ne dit qu’il soit bon ou n\u00e9cessaire voire utile. C’est comme pisser dans un violon parfois aussi.<\/p>\n

Il fait si froid. Nous avons mis en route les chauffages mais la surface est si grande et ce ne sont que des grille-pains. Le Palais Delphinal n’a rien \u00e0 voir avec Sevvostlag un des plus grands r\u00e9seaux de camps de la r\u00e9gion de la Kolyma, o\u00f9 Chalamov a \u00e9t\u00e9 transf\u00e9r\u00e9 en 1937. J’ai r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 « r\u00e9cits de la Kolyma » que je parcours durant cette journ\u00e9e de permanence, j’ai m\u00eame eu le temps de r\u00e9organiser un peu mes notes pour r\u00e9diger un billet dans la rubrique « lectures ».<\/a><\/p>\n

Autre id\u00e9e qui me vient : \u00e9crire un article plus sp\u00e9cifique sur la po\u00e9tique du froid chez Chalamov.<\/p>\n

\u00c0 la Kolyma, le froid est omnipr\u00e9sent, in\u00e9vitable. Il n\u2019est pas un simple \u00e9l\u00e9ment du d\u00e9cor, mais un v\u00e9ritable protagoniste qui d\u00e9termine les actes et les pens\u00e9es des prisonniers. Dans un passage saisissant, Chalamov \u00e9crit :<\/p>\n

« Le froid \u00e9tait une force universelle, indiff\u00e9rente \u00e0 la volont\u00e9 humaine. Il tuait, il brisait, il gouvernait. »<\/p>\n

Ce froid n\u2019a pas de visage, mais il est dot\u00e9 d\u2019une volont\u00e9 propre. Il r\u00e9duit l\u2019homme \u00e0 un \u00e9tat de survie, rappelant que la nature, dans sa neutralit\u00e9 absolue, est souvent plus implacable que la cruaut\u00e9 humaine. Pour les prisonniers, le froid est le premier et le dernier ennemi, celui contre lequel aucune lutte n\u2019est vraiment possible.
\nLe froid, chez Chalamov, n\u2019est pas seulement une temp\u00e9rature, mais une m\u00e9taphore du d\u00e9pouillement. Tout se r\u00e9duit \u00e0 l\u2019essentiel : l\u2019homme perd ses illusions, ses ambitions, ses croyances. Le froid efface les d\u00e9tails superflus pour ne laisser qu\u2019une r\u00e9alit\u00e9 brute. Dans ce cadre, les mots de Chalamov sont eux-m\u00eames taill\u00e9s dans une langue glaciale et pr\u00e9cise. Pas de place pour les fioritures ou les ornements.<\/p>\n

Il \u00e9crit :<\/p>\n

« Le froid nous apprenait l\u2019\u00e9conomie de tout—des gestes, des mots, des pens\u00e9es. Une sorte de silence gagnait m\u00eame nos esprits. »<\/p>\n

Dans cette po\u00e9tique du froid, l\u2019\u00e9criture elle-m\u00eame refl\u00e8te cette \u00e9conomie. Chaque phrase semble gel\u00e9e dans sa perfection aust\u00e8re, comme si la survie de l\u2019id\u00e9e d\u00e9pendait de la pr\u00e9cision du mot choisi.<\/p>\n

Dans cet environnement polaire, l\u2019homme devient pierre. Chalamov d\u00e9crit cette lente transformation, o\u00f9 le corps se durcit, o\u00f9 les \u00e9motions s\u2019\u00e9teignent. Le froid agit comme une machine \u00e0 effacer, r\u00e9duisant l\u2019\u00eatre \u00e0 un simple organisme luttant contre l\u2019entropie.<\/p>\n

Dans l\u2019un de ses passages les plus frappants, il \u00e9crit :<\/p>\n

« La neige recouvrait tout. Les corps, les chemins, les souvenirs. Nous devenions nous-m\u00eames de la neige, quelque chose qui pouvait dispara\u00eetre sans laisser de trace. »<\/p>\n

Cet effacement n\u2019est pas seulement physique. La personnalit\u00e9, les liens sociaux, m\u00eame le langage se dissolvent sous la pression du froid. L\u2019homme, dans la po\u00e9tique de Chalamov, devient un fragment anonyme du paysage.
\nMais Chalamov ne se contente pas de d\u00e9crire le froid comme une force oppressive. Il le transforme en une \u00e9preuve m\u00e9taphysique, un test ultime pour l\u2019esprit et le corps. Face au froid, les prisonniers sont confront\u00e9s \u00e0 des questions fondamentales : qu\u2019est-ce que vivre ? Qu\u2019est-ce que l\u2019humain ?<\/p>\n

Dans un passage cl\u00e9, il observe :<\/p>\n

« Nous n\u2019\u00e9tions pas des h\u00e9ros. Le froid d\u00e9cide pour nous. Il montre que l\u2019esprit n\u2019est pas plus fort que le corps. Que ce sont toujours les instincts qui gagnent. »<\/p>\n

Ce constat pourrait sembler nihiliste, mais il contient une forme d\u2019\u00e9loge paradoxal de la condition humaine. M\u00eame r\u00e9duit \u00e0 l\u2019essentiel, m\u00eame confront\u00e9 \u00e0 sa propre annihilation, l\u2019homme endure. Cette r\u00e9silience passive devient une forme d\u2019\u00e9thique, un humanisme minimaliste ancr\u00e9 dans la survie elle-m\u00eame.
\nUne esth\u00e9tique du vide<\/p>\n

Le paysage polaire de la Kolyma n\u2019est jamais d\u00e9crit comme spectaculaire ou sublime. Chalamov rejette tout exotisme. Pourtant, dans cette aust\u00e9rit\u00e9, une beaut\u00e9 paradoxale \u00e9merge. Le vide, la blancheur, le silence deviennent des \u00e9l\u00e9ments esth\u00e9tiques \u00e0 part enti\u00e8re.<\/p>\n

Il \u00e9crit :<\/p>\n

« Dans ce monde o\u00f9 il n\u2019y avait rien, nous d\u00e9couvrions que ce rien avait un poids. Le vide nous entourait, mais il \u00e9tait vivant, il \u00e9tait palpable. »<\/p>\n

Cette esth\u00e9tique du vide refl\u00e8te l\u2019\u00e9tat d\u2019\u00e2me des prisonniers, pris entre la mort et la survie, entre l\u2019\u00e9puisement et une sorte de transcendance inconsciente.<\/p>\n

En milieu d’apr\u00e8s-midi le visage jaune<\/i> part pour Romans, c’est la soeur de O. qui l’ach\u00e8te, l’op\u00e9ration a dur\u00e9 m\u00eame pas cinq minutes. Encore une fois ne jamais se faire d’id\u00e9e sur les lieux, le public qui visite les expositions, sur l’issue bonne ou mauvaise de celles-ci. Aper\u00e7u une nouvelle proposition d’\u00e9criture passer mais j’\u00e9tais si profond\u00e9ment install\u00e9 dans le bouquin de Chalamov et la r\u00e9daction de mes notes que je ne l’ai pas encore regard\u00e9e en d\u00e9tail. Si encore nuit d’insomnie la quatri\u00e8me \u00e0 la suite cette semaine , j’aurai le temps certainement.<\/p>\n<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>", "content_text": " \u00ab Il ne faut pas avoir honte de se souvenir qu'on a \u00e9t\u00e9 un \u00ab crevard \u00bb, un squelette, qu'on a couru dans tous les sens et qu'on a fouill\u00e9 dans les fosses \u00e0 ordures [...]. Les prisonniers \u00e9taient des ennemis imaginaires et invent\u00e9s avec lesquels le gouvernement r\u00e9glait ses comptes comme avec de v\u00e9ritables ennemis qu'il fusillait, tuait et faisait mourir de faim. La faux mortelle de Staline fauchait tout le monde sans distinction, en nivelant selon des r\u00e9partitions, des listes et un plan \u00e0 r\u00e9aliser. Il y avait le m\u00eame pourcentage de vauriens et de l\u00e2ches parmi les hommes qui ont p\u00e9ri au camp qu'au sein des gens en libert\u00e9. Tous \u00e9taient des gens pris au hasard parmi les indiff\u00e9rents, les l\u00e2ches, les bourgeois et m\u00eame les bourreaux. Et ils sont devenus des victimes par hasard. \u00bb \u2014 Varlam Chalamov, R\u00e9cits de la Kolyma, 1978 Il \u00e9crit aussi comme la prison l'a aid\u00e9 pour \u00e9crire. Ou peut-\u00eatre ce que l'on attend comme pr\u00e9texte pour \u00e9crire. Il est tout \u00e0 fait possible \u00e9galement\u2014 toute proportion gard\u00e9e \u2014 que je comprenne d\u00e9sormais bien mieux la notion de pr\u00e9texte pour faire ceci ou cela. Ou plut\u00f4t ne pas le faire. La jeunesse a besoin de pr\u00e9texte, comme la violence. Mais le pr\u00e9texte n'a jamais \u00e9t\u00e9 vraiment une raison, m\u00eame pas une excuse. Repense encore une fois \u00e0 tout \u00e7a, en \u00e9coutant cette \u00e9mission sur Chamalov ( France Culture) sur la route de Saint-Donat \u00e0 ces ann\u00e9es pass\u00e9es d'une chambre d'h\u00f4tel \u00e0 une autre, \u00e0 l'indigence volontaire dans laquelle je me suis oblig\u00e9 de vivre sous pr\u00e9texte que l'art, la peinture, l'\u00e9criture exigeait que l'on assassine ce qui nous est le plus cher pour r\u00e9cup\u00e9rer des boyaux, fabriquer des cordes de violon. D'o\u00f9 l'expression {joue moi un p'tit air de violon, aller. } Une pr\u00e9tention \u00e0 l'exacte mesure du total manque de confiance en soi. Qu'aurais-je support\u00e9 encore pour avoir ne serait-ce que le droit d'\u00e9crire une seule ligne sans m'en rendre malade, je n'en ai jamais eu le droit alors je l'ai pris voil\u00e0 tout. Avec l'effroyable suite de cons\u00e9quences que l'acte d'\u00e9crire provoque. Ecrire c'est provoquer, je suis toujours parti de ce principe, rien ne dit qu'il soit bon ou n\u00e9cessaire voire utile. C'est comme pisser dans un violon parfois aussi. Il fait si froid. Nous avons mis en route les chauffages mais la surface est si grande et ce ne sont que des grille-pains. Le Palais Delphinal n'a rien \u00e0 voir avec Sevvostlag un des plus grands r\u00e9seaux de camps de la r\u00e9gion de la Kolyma, o\u00f9 Chalamov a \u00e9t\u00e9 transf\u00e9r\u00e9 en 1937. J'ai r\u00e9cup\u00e9r\u00e9 \"r\u00e9cits de la Kolyma\" que je parcours durant cette journ\u00e9e de permanence, j'ai m\u00eame eu le temps de r\u00e9organiser un peu mes notes pour r\u00e9diger [ un billet dans la rubrique \"lectures\". ->https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?article553] Autre id\u00e9e qui me vient: \u00e9crire un article plus sp\u00e9cifique sur la po\u00e9tique du froid chez Chalamov. \u00c0 la Kolyma, le froid est omnipr\u00e9sent, in\u00e9vitable. Il n\u2019est pas un simple \u00e9l\u00e9ment du d\u00e9cor, mais un v\u00e9ritable protagoniste qui d\u00e9termine les actes et les pens\u00e9es des prisonniers. Dans un passage saisissant, Chalamov \u00e9crit : \u00ab Le froid \u00e9tait une force universelle, indiff\u00e9rente \u00e0 la volont\u00e9 humaine. Il tuait, il brisait, il gouvernait. \u00bb Ce froid n\u2019a pas de visage, mais il est dot\u00e9 d\u2019une volont\u00e9 propre. Il r\u00e9duit l\u2019homme \u00e0 un \u00e9tat de survie, rappelant que la nature, dans sa neutralit\u00e9 absolue, est souvent plus implacable que la cruaut\u00e9 humaine. Pour les prisonniers, le froid est le premier et le dernier ennemi, celui contre lequel aucune lutte n\u2019est vraiment possible. Le froid, chez Chalamov, n\u2019est pas seulement une temp\u00e9rature, mais une m\u00e9taphore du d\u00e9pouillement. Tout se r\u00e9duit \u00e0 l\u2019essentiel : l\u2019homme perd ses illusions, ses ambitions, ses croyances. Le froid efface les d\u00e9tails superflus pour ne laisser qu\u2019une r\u00e9alit\u00e9 brute. Dans ce cadre, les mots de Chalamov sont eux-m\u00eames taill\u00e9s dans une langue glaciale et pr\u00e9cise. Pas de place pour les fioritures ou les ornements. Il \u00e9crit : \u00ab Le froid nous apprenait l\u2019\u00e9conomie de tout\u2014des gestes, des mots, des pens\u00e9es. Une sorte de silence gagnait m\u00eame nos esprits. \u00bb Dans cette po\u00e9tique du froid, l\u2019\u00e9criture elle-m\u00eame refl\u00e8te cette \u00e9conomie. Chaque phrase semble gel\u00e9e dans sa perfection aust\u00e8re, comme si la survie de l\u2019id\u00e9e d\u00e9pendait de la pr\u00e9cision du mot choisi. Dans cet environnement polaire, l\u2019homme devient pierre. Chalamov d\u00e9crit cette lente transformation, o\u00f9 le corps se durcit, o\u00f9 les \u00e9motions s\u2019\u00e9teignent. Le froid agit comme une machine \u00e0 effacer, r\u00e9duisant l\u2019\u00eatre \u00e0 un simple organisme luttant contre l\u2019entropie. Dans l\u2019un de ses passages les plus frappants, il \u00e9crit : \u00ab La neige recouvrait tout. Les corps, les chemins, les souvenirs. Nous devenions nous-m\u00eames de la neige, quelque chose qui pouvait dispara\u00eetre sans laisser de trace. \u00bb Cet effacement n\u2019est pas seulement physique. La personnalit\u00e9, les liens sociaux, m\u00eame le langage se dissolvent sous la pression du froid. L\u2019homme, dans la po\u00e9tique de Chalamov, devient un fragment anonyme du paysage. Mais Chalamov ne se contente pas de d\u00e9crire le froid comme une force oppressive. Il le transforme en une \u00e9preuve m\u00e9taphysique, un test ultime pour l\u2019esprit et le corps. Face au froid, les prisonniers sont confront\u00e9s \u00e0 des questions fondamentales : qu\u2019est-ce que vivre ? Qu\u2019est-ce que l\u2019humain ? Dans un passage cl\u00e9, il observe : \u00ab Nous n\u2019\u00e9tions pas des h\u00e9ros. Le froid d\u00e9cide pour nous. Il montre que l\u2019esprit n\u2019est pas plus fort que le corps. Que ce sont toujours les instincts qui gagnent. \u00bb Ce constat pourrait sembler nihiliste, mais il contient une forme d\u2019\u00e9loge paradoxal de la condition humaine. M\u00eame r\u00e9duit \u00e0 l\u2019essentiel, m\u00eame confront\u00e9 \u00e0 sa propre annihilation, l\u2019homme endure. Cette r\u00e9silience passive devient une forme d\u2019\u00e9thique, un humanisme minimaliste ancr\u00e9 dans la survie elle-m\u00eame. Une esth\u00e9tique du vide Le paysage polaire de la Kolyma n\u2019est jamais d\u00e9crit comme spectaculaire ou sublime. Chalamov rejette tout exotisme. Pourtant, dans cette aust\u00e9rit\u00e9, une beaut\u00e9 paradoxale \u00e9merge. Le vide, la blancheur, le silence deviennent des \u00e9l\u00e9ments esth\u00e9tiques \u00e0 part enti\u00e8re. Il \u00e9crit : \u00ab Dans ce monde o\u00f9 il n\u2019y avait rien, nous d\u00e9couvrions que ce rien avait un poids. Le vide nous entourait, mais il \u00e9tait vivant, il \u00e9tait palpable. \u00bb Cette esth\u00e9tique du vide refl\u00e8te l\u2019\u00e9tat d\u2019\u00e2me des prisonniers, pris entre la mort et la survie, entre l\u2019\u00e9puisement et une sorte de transcendance inconsciente. En milieu d'apr\u00e8s-midi {le visage jaune} part pour Romans, c'est la soeur de O. qui l'ach\u00e8te, l'op\u00e9ration a dur\u00e9 m\u00eame pas cinq minutes. Encore une fois ne jamais se faire d'id\u00e9e sur les lieux, le public qui visite les expositions, sur l'issue bonne ou mauvaise de celles-ci. Aper\u00e7u une nouvelle proposition d'\u00e9criture passer mais j'\u00e9tais si profond\u00e9ment install\u00e9 dans le bouquin de Chalamov et la r\u00e9daction de mes notes que je ne l'ai pas encore regard\u00e9e en d\u00e9tail. Si encore nuit d'insomnie la quatri\u00e8me \u00e0 la suite cette semaine , j'aurai le temps certainement. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0315.jpg?1748065153", "tags": ["oeuvres litt\u00e9raires ", "Espaces lieux ", "Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/08-decembre-2024.html", "title": "08 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-08T00:42:56Z", "date_modified": "2024-12-10T10:14:24Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Joyce donnait cette sorte de d\u00e9finition de l\u2019\u00e9crivain : « sniffer of carrion, premature gravedigger, seeker of the nest of evil in the bosom of a good word. »
\nRenifleur de charogne, fossoyeur pr\u00e9coce, chercheur du nid du mal dans le sein d\u2019un bon mot (in Finnegans Wake, traduction Michel Butor).<\/p>\n

Extrait de La Langue et ses monstres — Christian Prigent.<\/p>\n

Mon opinion n\u2019a absolument aucune esp\u00e8ce d\u2019importance. Pas plus pour moi que pour qui que ce soit. Encore que. Va savoir o\u00f9 niche la p\u00e9danterie. La cuistrerie. Ce mot, cuistrerie, est-il juste ? Je n\u2019en sais rien. Mais il me fallait l\u2019\u00e9crire. Pour le bruit qu\u2019il fait. Pour sa morsure. Pas tant une d\u00e9finition qu\u2019une sensation.<\/p>\n

Dans les recoins les plus sombres d\u2019une volont\u00e9 de modestie peut se tapir l\u2019orgueil. Retire modestie. Toute volont\u00e9 cache un orgueil. Comme le timide l\u2019ignore. Et quand il cesse de l\u2019ignorer, il s\u2019effondre.<\/p>\n

Cependant, je ne peux parler de volont\u00e9 en ce qui me concerne. Tout me concerne. Et rien. Je suis d\u2019une minceur d\u2019opinion telle qu\u2019une feuille de papier \u00e0 cigarette. Une feuille que je ne fumerai m\u00eame pas. Je ne fume plus.<\/p>\n

Ce que je me reproche, sans rel\u00e2che, c\u2019est l\u2019impossibilit\u00e9 d\u2019\u00e9crire une seule ligne sans parler de moi. Et comment. Je crois m\u00eame que j\u2019\u00e9cris chaque ligne de cette fa\u00e7on, pouss\u00e9 par le d\u00e9sir et le d\u00e9go\u00fbt d\u2019en parler. \u00c0 tue-t\u00eate.<\/p>\n

C\u2019est peut-\u00eatre cela, \u00eatre \u00e9crivain : hurler sa pr\u00e9sence tout en cherchant \u00e0 s\u2019effacer.<\/p>\n

Hier, c\u2019\u00e9tait le vernissage de l\u2019exposition, \u00e0 Saint-Donas. Une quarantaine de personnes, malgr\u00e9 la pluie, le froid, la grande inauguration de l\u2019exploit cathomacroniquenotredamesque. En boucle, radio, journaux, TV. Nous avons eu de la chance. D\u2019autant plus que le parking est un mouchoir de poche.<\/p>\n

Georges \u00e9tait l\u00e0 avant nous, il arpentait d\u00e9j\u00e0 les deux salles pour choisir ses textes. G. et lui avaient d\u00e9j\u00e0 fait connaissance, \u00e9vitant ainsi cette petite solennit\u00e9 des pr\u00e9sentations. Je me pr\u00e9sente, tu te pr\u00e9sentes, nous nous vous vous ils.<\/p>\n

C\u2019est en l\u2019\u00e9crivant apr\u00e8s coup que je peux mesurer cette chance. Sinon, bien s\u00fbr, je me serais encore une fois empress\u00e9, dans le feu du moment, de pr\u00e9senter \u00e0 tout crin.<\/p>\n

C\u2019est notre plus beau score. Une lecture devant quarante personnes. Inesp\u00e9r\u00e9.<\/p>\n

J.E et D.P sont arriv\u00e9es vers 15h30. Grand plaisir \u00e0 les revoir. D. nous a enfin racont\u00e9 la suite de l\u2019histoire. Bloqu\u00e9e en Cisjordanie \u00e0 la suite de l\u2019affreuse date du 7 octobre, elle a pu partir en vill\u00e9giature dans le d\u00e9sert, puis revenir vers le 15 \u00e0 J\u00e9rusalem, puis Tel Aviv o\u00f9 elle s\u2019est envol\u00e9e, rapatri\u00e9e dans l\u2019un des six vols du jour destin\u00e9 aux ressortissants fran\u00e7ais.<\/p>\n

« Je ne re\u00e7ois plus de mail depuis septembre », nous a-t-elle dit, se plaignant de n\u2019avoir pas eu le programme des stages. Puis elle m\u2019ach\u00e8te un tableau. R\u00e9flexion faite, un second. J. s\u2019en m\u00eale aussi et de trois.<\/p>\n

Enfin, sur le point de partir, nous entendons des pas gravir l\u2019escalier. C. et une amie apparaissent. « Pour rien au monde je n\u2019aurais voulu rater cela », nous dit-elle. Elle habite Mercurol, \u00e0 deux pas. Ce serait un comble. Elle conna\u00eet G. Je ne me souvenais plus qu\u2019ils s\u2019\u00e9taient rencontr\u00e9s \u00e0 l\u2019un de mes stages. Un petit tableau repr\u00e9sentant des figures (floues) de la volupt\u00e9, une sorte de vue d\u2019un bain turc, d\u2019un hammam. Comme c\u2019est \u00e9tonnant, justement j\u2019en sors, c\u2019\u00e9tait mon cadeau d\u2019anniversaire. Heureusement, j\u2019ai pu me retenir \u00e0 temps avant de l\u00e2cher : « Bon anniversaire ».<\/p>\n

J\u2019ai achet\u00e9 un livre \u00e0 Georges. Nuages suivi de Variations sur le po\u00e8me de la fin de Marina Tsvetaeva.<\/i><\/p>\n

S. a conduit au retour. La route m’a paru moins longue qu’\u00e0 l’all\u00e9e bien que je n’aime pas que l’on passe de nuit par les collines au-dessus de Saint-Uze.<\/p>\n

Et aussi l\u2019affreuse pens\u00e9e qui m\u2019a travers\u00e9. Le mot d\u00e9rouiller. Le fait d\u2019avoir d\u00e9rouill\u00e9. Une expression de R., autrefois, qui faisait les cartes aux prostitu\u00e9es de la rue des Lombards : « Elle est contente, elle a bien d\u00e9rouill\u00e9 aujourd\u2019hui. »<\/p>\n

Un peintre n’est pas si \u00e9loign\u00e9 d’une prostitu\u00e9e. D\u00e8s que l’on vend quelque chose, finalement, d\u00e8s qu’on d\u00e9rouille.<\/i>
\nMais probable que l’attention port\u00e9 \u00e0 ce terme provienne aussi des d\u00e9rouill\u00e9es re\u00e7ues autrefois dans l’enfance. Il faudrait creuser le rapprochement qui a l’air intempestif. Tellement, que \u00e7a doit bien vouloir dire quelque chose.<\/p>", "content_text": "Joyce donnait cette sorte de d\u00e9finition de l\u2019\u00e9crivain : \u00ab sniffer of carrion, premature gravedigger, seeker of the nest of evil in the bosom of a good word. \u00bb Renifleur de charogne, fossoyeur pr\u00e9coce, chercheur du nid du mal dans le sein d\u2019un bon mot (in Finnegans Wake, traduction Michel Butor). Extrait de La Langue et ses monstres \u2014 Christian Prigent. Mon opinion n\u2019a absolument aucune esp\u00e8ce d\u2019importance. Pas plus pour moi que pour qui que ce soit. Encore que. Va savoir o\u00f9 niche la p\u00e9danterie. La cuistrerie. Ce mot, cuistrerie, est-il juste ? Je n\u2019en sais rien. Mais il me fallait l\u2019\u00e9crire. Pour le bruit qu\u2019il fait. Pour sa morsure. Pas tant une d\u00e9finition qu\u2019une sensation. Dans les recoins les plus sombres d\u2019une volont\u00e9 de modestie peut se tapir l\u2019orgueil. Retire modestie. Toute volont\u00e9 cache un orgueil. Comme le timide l\u2019ignore. Et quand il cesse de l\u2019ignorer, il s\u2019effondre. Cependant, je ne peux parler de volont\u00e9 en ce qui me concerne. Tout me concerne. Et rien. Je suis d\u2019une minceur d\u2019opinion telle qu\u2019une feuille de papier \u00e0 cigarette. Une feuille que je ne fumerai m\u00eame pas. Je ne fume plus. Ce que je me reproche, sans rel\u00e2che, c\u2019est l\u2019impossibilit\u00e9 d\u2019\u00e9crire une seule ligne sans parler de moi. Et comment. Je crois m\u00eame que j\u2019\u00e9cris chaque ligne de cette fa\u00e7on, pouss\u00e9 par le d\u00e9sir et le d\u00e9go\u00fbt d\u2019en parler. \u00c0 tue-t\u00eate. C\u2019est peut-\u00eatre cela, \u00eatre \u00e9crivain : hurler sa pr\u00e9sence tout en cherchant \u00e0 s\u2019effacer. Hier, c\u2019\u00e9tait le vernissage de l\u2019exposition, \u00e0 Saint-Donas. Une quarantaine de personnes, malgr\u00e9 la pluie, le froid, la grande inauguration de l\u2019exploit cathomacroniquenotredamesque. En boucle, radio, journaux, TV. Nous avons eu de la chance. D\u2019autant plus que le parking est un mouchoir de poche. Georges \u00e9tait l\u00e0 avant nous, il arpentait d\u00e9j\u00e0 les deux salles pour choisir ses textes. G. et lui avaient d\u00e9j\u00e0 fait connaissance, \u00e9vitant ainsi cette petite solennit\u00e9 des pr\u00e9sentations. Je me pr\u00e9sente, tu te pr\u00e9sentes, nous nous vous vous ils. C\u2019est en l\u2019\u00e9crivant apr\u00e8s coup que je peux mesurer cette chance. Sinon, bien s\u00fbr, je me serais encore une fois empress\u00e9, dans le feu du moment, de pr\u00e9senter \u00e0 tout crin. C\u2019est notre plus beau score. Une lecture devant quarante personnes. Inesp\u00e9r\u00e9. J.E et D.P sont arriv\u00e9es vers 15h30. Grand plaisir \u00e0 les revoir. D. nous a enfin racont\u00e9 la suite de l\u2019histoire. Bloqu\u00e9e en Cisjordanie \u00e0 la suite de l\u2019affreuse date du 7 octobre, elle a pu partir en vill\u00e9giature dans le d\u00e9sert, puis revenir vers le 15 \u00e0 J\u00e9rusalem, puis Tel Aviv o\u00f9 elle s\u2019est envol\u00e9e, rapatri\u00e9e dans l\u2019un des six vols du jour destin\u00e9 aux ressortissants fran\u00e7ais. \u00ab Je ne re\u00e7ois plus de mail depuis septembre \u00bb, nous a-t-elle dit, se plaignant de n\u2019avoir pas eu le programme des stages. Puis elle m\u2019ach\u00e8te un tableau. R\u00e9flexion faite, un second. J. s\u2019en m\u00eale aussi et de trois. Enfin, sur le point de partir, nous entendons des pas gravir l\u2019escalier. C. et une amie apparaissent. \u00ab Pour rien au monde je n\u2019aurais voulu rater cela \u00bb, nous dit-elle. Elle habite Mercurol, \u00e0 deux pas. Ce serait un comble. Elle conna\u00eet G. Je ne me souvenais plus qu\u2019ils s\u2019\u00e9taient rencontr\u00e9s \u00e0 l\u2019un de mes stages. Un petit tableau repr\u00e9sentant des figures (floues) de la volupt\u00e9, une sorte de vue d\u2019un bain turc, d\u2019un hammam. Comme c\u2019est \u00e9tonnant, justement j\u2019en sors, c\u2019\u00e9tait mon cadeau d\u2019anniversaire. Heureusement, j\u2019ai pu me retenir \u00e0 temps avant de l\u00e2cher : \u00ab Bon anniversaire \u00bb. J\u2019ai achet\u00e9 un livre \u00e0 Georges. {Nuages suivi de Variations sur le po\u00e8me de la fin de Marina Tsvetaeva.} S. a conduit au retour. La route m'a paru moins longue qu'\u00e0 l'all\u00e9e bien que je n'aime pas que l'on passe de nuit par les collines au-dessus de Saint-Uze. Et aussi l\u2019affreuse pens\u00e9e qui m\u2019a travers\u00e9. Le mot d\u00e9rouiller. Le fait d\u2019avoir d\u00e9rouill\u00e9. Une expression de R., autrefois, qui faisait les cartes aux prostitu\u00e9es de la rue des Lombards : \u00ab Elle est contente, elle a bien d\u00e9rouill\u00e9 aujourd\u2019hui. \u00bb Un peintre n'est pas si \u00e9loign\u00e9 d'une prostitu\u00e9e. D\u00e8s que l'on vend quelque chose, finalement, d\u00e8s qu'on {d\u00e9rouille.} Mais probable que l'attention port\u00e9 \u00e0 ce terme provienne aussi des d\u00e9rouill\u00e9es re\u00e7ues autrefois dans l'enfance. Il faudrait creuser le rapprochement qui a l'air intempestif. Tellement, que \u00e7a doit bien vouloir dire quelque chose.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0314.jpg?1748065094", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/07-decembre-2024.html", "title": "07 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-07T07:00:00Z", "date_modified": "2025-04-30T16:20:54Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Dire. D\u00e9duire. Disserter. D\u00e9couvrir. De fa\u00e7on assez souvent d\u00e9sordonn\u00e9e contre un ordre \u00e9tabli ( normal ) ce que l’on peut dire, ce qu’on ne peut pas dire. Il m’arrive souvent de glisser vers ce qu’on ne doit pas dire. Je le dis sans y penser, je ne crois pas l’avoir dit, mais je l’ai dit, on me le dit, je suis horrifi\u00e9 de l’avoir dit \u00e9videmment, je ne voulais pas dire \u00e7a, mais je l’ai dit. Puis je me calme. J’ai donc dit quelque chose qu’il n’est pas convenable de dire. Qu’est ce qui est convenable, qu’est-ce qui ne l’est pas. Il y a un foss\u00e9. Je suis au fond de ce foss\u00e9. difficile de remonter d’un c\u00f4t\u00e9 ou de l’autre de ce foss\u00e9. Donc je dis des choses \u00e0 moiti\u00e9 convenables et d’autres \u00e0 moiti\u00e9 cingl\u00e9es. j’essaie de faire la part des choses.
\nPenser et dire. Je pense des choses horribles assez souvent mais je ne les dis pas toutes. C’est effrayant d\u00e9j\u00e0 pour moi de penser ce genre de choses. J’ai peur de les dire \u00e0 haute voix pour moi-m\u00eame en premier lieu. En second lieu il est possible qu’elles s’expriment contre toute attente sans que je n’y fasse attention. Dans une sorte d’inconscience. La plupart des gens parlent ainsi dans une totale inconscience de ce qu’ils disent v\u00e9ritablement. Ils ne se rendent pas compte. Ils croient dire des choses insignifiantes. Ce ne sont pas les choses qui sont insignifiantes, mais les mots qu’ils utilisent, ils les disent d’une fa\u00e7on machinale, sans r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 chaque mot qu’ils disent. J’ai du mal \u00e0 les entendre car j’entends le souffle plus que les mots, et dans le souffle il y a autre chose. De la violence la plupart du temps. La m\u00eame qui est port\u00e9e par le souffle de mes propres mots. C’est une sorte de reflet de ricochet de retour \u00e0 l’envoyeur qui s’op\u00e8re.<\/p>", "content_text": "Dire. D\u00e9duire. Disserter. D\u00e9couvrir. De fa\u00e7on assez souvent d\u00e9sordonn\u00e9e contre un ordre \u00e9tabli ( normal ) ce que l'on peut dire, ce qu'on ne peut pas dire. Il m'arrive souvent de glisser vers ce qu'on ne doit pas dire. Je le dis sans y penser, je ne crois pas l'avoir dit, mais je l'ai dit, on me le dit, je suis horrifi\u00e9 de l'avoir dit \u00e9videmment, je ne voulais pas dire \u00e7a, mais je l'ai dit. Puis je me calme. J'ai donc dit quelque chose qu'il n'est pas convenable de dire. Qu'est ce qui est convenable, qu'est-ce qui ne l'est pas. Il y a un foss\u00e9. Je suis au fond de ce foss\u00e9. difficile de remonter d'un c\u00f4t\u00e9 ou de l'autre de ce foss\u00e9. Donc je dis des choses \u00e0 moiti\u00e9 convenables et d'autres \u00e0 moiti\u00e9 cingl\u00e9es. j'essaie de faire la part des choses. Penser et dire. Je pense des choses horribles assez souvent mais je ne les dis pas toutes. C'est effrayant d\u00e9j\u00e0 pour moi de penser ce genre de choses. J'ai peur de les dire \u00e0 haute voix pour moi-m\u00eame en premier lieu. En second lieu il est possible qu'elles s'expriment contre toute attente sans que je n'y fasse attention. Dans une sorte d'inconscience. La plupart des gens parlent ainsi dans une totale inconscience de ce qu'ils disent v\u00e9ritablement. Ils ne se rendent pas compte. Ils croient dire des choses insignifiantes. Ce ne sont pas les choses qui sont insignifiantes, mais les mots qu'ils utilisent, ils les disent d'une fa\u00e7on machinale, sans r\u00e9fl\u00e9chir \u00e0 chaque mot qu'ils disent. J'ai du mal \u00e0 les entendre car j'entends le souffle plus que les mots, et dans le souffle il y a autre chose. De la violence la plupart du temps. La m\u00eame qui est port\u00e9e par le souffle de mes propres mots. C'est une sorte de reflet de ricochet de retour \u00e0 l'envoyeur qui s'op\u00e8re.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/2022-04-16_11_35.03.jpg?1748065119", "tags": ["Autofiction et Introspection", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/06-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/06-decembre-2024.html", "title": "06 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-06T07:00:00Z", "date_modified": "2024-12-06T03:38:29Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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<\/span>https:\/\/youtu.be\/s0CUdAG6px4?si=-IwYS_9aklapU60a<\/span><\/a>\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

L\u2019int\u00e9r\u00eat. Que dis-je, le plaisir. L\u2019\u00e9tonnement qu\u2019apporte avec lui ce plaisir. Ou peut-\u00eatre le contraire. Celui d\u2019entendre le mot fl\u00e8che. Puis marcher, avec ce l\u00e9ger doute, vers la cible. Est-ce un neuf, un dix\u202f ? Sans lunettes, je n\u2019y vois rien. \u00c0 cheval sur la ligne, le doute subsiste. On attend l\u2019arbitre. C\u2019est donc un neuf. Un neuf prometteur, qui manque de peu d\u2019\u00eatre un dix. Un \u0153uf, presque.<\/p>\n

Un \u0153uf vaut ici mieux qu\u2019un dix. Respire.<\/p>\n

Puis vient l\u2019acte suivant\u202f : empoigner le corps de carbone, extraire la fl\u00e8che d\u2019un coup sec, d\u2019abord du blason, puis plus profond\u00e9ment encore, de la paille. Retourner enfin sur le pas de tir. Observer les autres.<\/p>\n

Le tir \u00e0 l\u2019arc d\u00e9veloppe une attention particuli\u00e8re\u202f : non pas en force, mais en ou par patience. Patience et humilit\u00e9. Si toutefois on parvient \u00e0 se rapprocher de cette id\u00e9e d\u2019humilit\u00e9 jamais atteinte. \u00catre attentif \u00e0 chaque geste, le d\u00e9composer, le r\u00e9p\u00e9ter. \u00c9pauler, lever, viser, rel\u00e2cher. \u00c0 force \u2013 non justement, inutile la force \u2013 le geste s\u2019affine, s\u2019inscrit dans le corps. Et ainsi que je le devinais d\u00e9j\u00e0 enfant, le v\u00e9ritable d\u00e9fi n\u2019est pas tant de « mettre dans le mille » (le fameux dix) que de pouvoir r\u00e9p\u00e9ter, \u00e0 l\u2019infini, le m\u00eame encha\u00eenement de mouvements. S\u2019y essayer, joyeuse contrainte. \u00c0 la virgule pr\u00e8s. Toujours \u00e0 la virgule pr\u00e8s.<\/p>\n

« Mais tu peux briguer le dix tout de m\u00eame », me dit l\u2019entra\u00eeneur, qui pense comp\u00e9tition.<\/p>\n

Et l\u00e0, un souvenir s\u2019impose\u202f : le « dix », c\u2019est aussi la note que l\u2019on donne \u00e0 l\u2019\u00e9cole. La meilleure note d\u2019une \u00e9chelle de 0 \u00e0 10. \u00c0 l\u2019\u00e9poque d\u00e9j\u00e0, je humais, reniflais, aspirais, esp\u00e9rais que viser toujours la perfection posait la question de cette perfection elle-m\u00eame. (C\u2019\u00e9tait forc\u00e9ment tr\u00e8s intuitif.) Elle me paraissait \u00e0 la fois louche et id\u00e9ale. Bref, je me m\u00e9fiais des dix avant qu\u2019ils ne deviennent des vingt.<\/p>\n

Un \u0153uf vaut mieux qu\u2019un dix. Au grand regret de mes parents.<\/p>\n

Pourquoi, soudain, parler de Ma\u00efakovski\u202f ? Pour ne pas oublier de me souvenir de Lili Brik, sa muse ins\u00e9parable, s\u0153ur d\u2019Elsa Triolet. Peut-\u00eatre aussi pour tisser, sans trop m\u2019y attarder, un lien avec mes pens\u00e9es r\u00e9centes sur Aragon. Ma\u00efakovski me ram\u00e8ne \u00e0 une tension essentielle\u202f : celle d\u2019une po\u00e9sie qui br\u00fble tout sur son passage, une po\u00e9sie amoureuse et explosive, souvent bris\u00e9e. Et pourtant, tout en contraste, je me demande encore si cette intensit\u00e9 br\u00fblante a quelque chose \u00e0 voir avec l\u2019humilit\u00e9 dont je parlais plus haut.<\/p>\n

J\u2019ai eu moins peur de dire je en \u00e9crivant en lisant Ma\u00efakovski. Le je, c\u2019est-\u00e0-dire ce narcissisme paradoxal qui devient un outil pour lutter contre le maelstrom qu\u2019impose le travail de la langue\u202f : son chaos, son autorit\u00e9. Je pense alors \u00e0 Montaigne. \u00c0 son je qui s\u2019installe tranquillement, presque en souriant, face \u00e0 des cadres de pens\u00e9e imposants, face \u00e0 des langages fig\u00e9s. Un je qui s\u2019\u00e9tonne, qui t\u00e2tonne, et qui explore \u2013 ce m\u00eame je que j\u2019ai peut-\u00eatre reconnu en lisant Ma\u00efakovski.<\/p>\n

Quant \u00e0 Khlebnikov\u202f ? Lui, c\u2019est autre chose. Je l\u2019invoque \u00e0 cause du bruit imaginaire d\u2019une fl\u00e8che qui part\u202f : zaoum. Ce mot qui n\u2019est pas un mot, cette langue au-del\u00e0 ou en de\u00e7\u00e0, un trait, une lettre qui traverse l\u2019air, d\u00e9pourvu de sens imm\u00e9diat, seulement charg\u00e9 de vibrations. Un son de fl\u00e8che, purement invent\u00e9, mais tellement r\u00e9el qu\u2019on pourrait presque l\u2019entendre. Une fl\u00e8che zaoum.<\/p>\n

Aucun rapport avec la lecture de Ma\u00efakovski ou de Khlebnikov, ai-je dit. Et pourtant, une intuition\u202f : \u00e9crire, comme tirer \u00e0 l\u2019arc, rel\u00e8ve d\u2019une succession de mouvements. Mais ici, sous une surface\u202f : la feuille, peut-\u00eatre. Ou une autre, plus abstraite. Dans tous les sens du terme, un encha\u00eenement\u202f : des gestes pr\u00e9cis, un effort millim\u00e9tr\u00e9. Ou encore une bonne grosse pierre attach\u00e9e \u00e0 la cheville (ouvri\u00e8re) pour \u00eatre certain de rester immerg\u00e9, de ne pas c\u00e9der \u00e0 la tentation de remonter trop vite \u00e0 la surface.<\/p>\n

Mouvement. Quelle sorte de mouvement, exactement\u202f ? Dans l\u2019exp\u00e9rience du tir \u00e0 l\u2019arc, je crois saisir \u2013 \u00e0 peu pr\u00e8s. \u00c9crire, en revanche, reste une autre affaire. C\u2019est l\u00e0, sur le bout de la langue. Impossible de dire pr\u00e9cis\u00e9ment de quoi il s\u2019agit. Peut-\u00eatre d\u2019une envie\u202f : briser quelque chose \u00e0 grand cri. C\u2019est souvent trop ridicule. Et justement parce que c\u2019est ridicule, j\u2019en cr\u00e8ve d\u2019envie.<\/p>\n

Hier, j\u2019ai appris, par un compte Bluesky que je viens tout juste de cr\u00e9er, la mort de Jacques Roubaud. Il m\u2019a accompagn\u00e9, plusieurs fois l\u2019\u00e9t\u00e9 dernier, sur l\u2019itin\u00e9raire qui m\u00e8ne au march\u00e9 de Roussillon. J\u2019enfilais mes \u00e9couteurs, et il me parlait\u202f : des noms des rues parisiennes, de la mani\u00e8re d\u2019\u00e9crire plusieurs autobiographies en une seule.<\/p>\n

M\u00eame en remplissant mon cabas de pommes de terre et d\u2019oignons, m\u00eame en recevant la monnaie, je ne l\u00e2chais pas un mot de peur d\u2019en perdre l\u2019essentiel. Mais quel essentiel\u202f ? Peut-\u00eatre rien d\u2019autre que sa voix\u202f : calme, apaisante, dr\u00f4le. Et, au bout du compte, amicale. C\u2019est bien cela, le mot\u202f : amicale.<\/p>\n

\u00c7a fait de la peine, parce qu\u2019on se sent un peu plus seul. Cette pr\u00e9sence se dissipe dans l\u2019absence, devient un autre genre de pr\u00e9sence, qui nous renvoie \u00e0 notre propre absence. C\u2019est \u00e0 chaque fois pareil. \u00c7a fait de la peine et, en m\u00eame temps, on esp\u00e8re. Une sorte de soulagement, un d\u00e9nouement.<\/p>\n

Ce que je retiens\u202f ? La r\u00e9p\u00e9tition. Au tir \u00e0 l\u2019arc. Dans l\u2019\u00e9criture. Dans le fait aussi de voir partir ces pr\u00e9sences, de voir tout se m\u00e9tamorphoser en quelque chose qui n\u2019est pas non plus rien. Dans cette m\u00e9moire de gestes et de voix. R\u00e9p\u00e9ter jusqu\u2019\u00e0 ce que le geste devienne pr\u00e9cis. R\u00e9p\u00e9ter pour inscrire dans le corps une m\u00e9moire qui hurle \u00e0 force de rester muette. Ne plus avoir cette peur panique du hurlement. R\u00e9p\u00e9ter, encore, pour que quelque chose, enfin, advienne. Un dix. Ou presque. Un \u0153uf, peut-\u00eatre.<\/p>", "content_text": "L\u2019int\u00e9r\u00eat. Que dis-je, le plaisir. L\u2019\u00e9tonnement qu\u2019apporte avec lui ce plaisir. Ou peut-\u00eatre le contraire. Celui d\u2019entendre le mot fl\u00e8che. Puis marcher, avec ce l\u00e9ger doute, vers la cible. Est-ce un neuf, un dix ? Sans lunettes, je n\u2019y vois rien. \u00c0 cheval sur la ligne, le doute subsiste. On attend l\u2019arbitre. C\u2019est donc un neuf. Un neuf prometteur, qui manque de peu d\u2019\u00eatre un dix. Un \u0153uf, presque. Un \u0153uf vaut ici mieux qu\u2019un dix. Respire. Puis vient l\u2019acte suivant : empoigner le corps de carbone, extraire la fl\u00e8che d\u2019un coup sec, d\u2019abord du blason, puis plus profond\u00e9ment encore, de la paille. Retourner enfin sur le pas de tir. Observer les autres. Le tir \u00e0 l\u2019arc d\u00e9veloppe une attention particuli\u00e8re : non pas en force, mais en ou par patience. Patience et humilit\u00e9. Si toutefois on parvient \u00e0 se rapprocher de cette id\u00e9e d\u2019humilit\u00e9 jamais atteinte. \u00catre attentif \u00e0 chaque geste, le d\u00e9composer, le r\u00e9p\u00e9ter. \u00c9pauler, lever, viser, rel\u00e2cher. \u00c0 force \u2013 non justement, inutile la force \u2013 le geste s\u2019affine, s\u2019inscrit dans le corps. Et ainsi que je le devinais d\u00e9j\u00e0 enfant, le v\u00e9ritable d\u00e9fi n\u2019est pas tant de \"mettre dans le mille\" (le fameux dix) que de pouvoir r\u00e9p\u00e9ter, \u00e0 l\u2019infini, le m\u00eame encha\u00eenement de mouvements. S\u2019y essayer, joyeuse contrainte. \u00c0 la virgule pr\u00e8s. Toujours \u00e0 la virgule pr\u00e8s. \"Mais tu peux briguer le dix tout de m\u00eame\", me dit l\u2019entra\u00eeneur, qui pense comp\u00e9tition. Et l\u00e0, un souvenir s\u2019impose : le \"dix\", c\u2019est aussi la note que l\u2019on donne \u00e0 l\u2019\u00e9cole. La meilleure note d\u2019une \u00e9chelle de 0 \u00e0 10. \u00c0 l\u2019\u00e9poque d\u00e9j\u00e0, je humais, reniflais, aspirais, esp\u00e9rais que viser toujours la perfection posait la question de cette perfection elle-m\u00eame. (C\u2019\u00e9tait forc\u00e9ment tr\u00e8s intuitif.) Elle me paraissait \u00e0 la fois louche et id\u00e9ale. Bref, je me m\u00e9fiais des dix avant qu\u2019ils ne deviennent des vingt. Un \u0153uf vaut mieux qu\u2019un dix. Au grand regret de mes parents. Pourquoi, soudain, parler de Ma\u00efakovski ? Pour ne pas oublier de me souvenir de Lili Brik, sa muse ins\u00e9parable, s\u0153ur d\u2019Elsa Triolet. Peut-\u00eatre aussi pour tisser, sans trop m\u2019y attarder, un lien avec mes pens\u00e9es r\u00e9centes sur Aragon. Ma\u00efakovski me ram\u00e8ne \u00e0 une tension essentielle : celle d\u2019une po\u00e9sie qui br\u00fble tout sur son passage, une po\u00e9sie amoureuse et explosive, souvent bris\u00e9e. Et pourtant, tout en contraste, je me demande encore si cette intensit\u00e9 br\u00fblante a quelque chose \u00e0 voir avec l\u2019humilit\u00e9 dont je parlais plus haut. J\u2019ai eu moins peur de dire je en \u00e9crivant en lisant Ma\u00efakovski. Le je, c\u2019est-\u00e0-dire ce narcissisme paradoxal qui devient un outil pour lutter contre le maelstrom qu\u2019impose le travail de la langue : son chaos, son autorit\u00e9. Je pense alors \u00e0 Montaigne. \u00c0 son je qui s\u2019installe tranquillement, presque en souriant, face \u00e0 des cadres de pens\u00e9e imposants, face \u00e0 des langages fig\u00e9s. Un je qui s\u2019\u00e9tonne, qui t\u00e2tonne, et qui explore \u2013 ce m\u00eame je que j\u2019ai peut-\u00eatre reconnu en lisant Ma\u00efakovski. Quant \u00e0 Khlebnikov ? Lui, c\u2019est autre chose. Je l\u2019invoque \u00e0 cause du bruit imaginaire d\u2019une fl\u00e8che qui part : zaoum. Ce mot qui n\u2019est pas un mot, cette langue au-del\u00e0 ou en de\u00e7\u00e0, un trait, une lettre qui traverse l\u2019air, d\u00e9pourvu de sens imm\u00e9diat, seulement charg\u00e9 de vibrations. Un son de fl\u00e8che, purement invent\u00e9, mais tellement r\u00e9el qu\u2019on pourrait presque l\u2019entendre. Une fl\u00e8che zaoum. Aucun rapport avec la lecture de Ma\u00efakovski ou de Khlebnikov, ai-je dit. Et pourtant, une intuition : \u00e9crire, comme tirer \u00e0 l\u2019arc, rel\u00e8ve d\u2019une succession de mouvements. Mais ici, sous une surface : la feuille, peut-\u00eatre. Ou une autre, plus abstraite. Dans tous les sens du terme, un encha\u00eenement : des gestes pr\u00e9cis, un effort millim\u00e9tr\u00e9. Ou encore une bonne grosse pierre attach\u00e9e \u00e0 la cheville (ouvri\u00e8re) pour \u00eatre certain de rester immerg\u00e9, de ne pas c\u00e9der \u00e0 la tentation de remonter trop vite \u00e0 la surface. Mouvement. Quelle sorte de mouvement, exactement ? Dans l\u2019exp\u00e9rience du tir \u00e0 l\u2019arc, je crois saisir \u2013 \u00e0 peu pr\u00e8s. \u00c9crire, en revanche, reste une autre affaire. C\u2019est l\u00e0, sur le bout de la langue. Impossible de dire pr\u00e9cis\u00e9ment de quoi il s\u2019agit. Peut-\u00eatre d\u2019une envie : briser quelque chose \u00e0 grand cri. C\u2019est souvent trop ridicule. Et justement parce que c\u2019est ridicule, j\u2019en cr\u00e8ve d\u2019envie. Hier, j\u2019ai appris, par un compte Bluesky que je viens tout juste de cr\u00e9er, la mort de Jacques Roubaud. Il m\u2019a accompagn\u00e9, plusieurs fois l\u2019\u00e9t\u00e9 dernier, sur l\u2019itin\u00e9raire qui m\u00e8ne au march\u00e9 de Roussillon. J\u2019enfilais mes \u00e9couteurs, et il me parlait : des noms des rues parisiennes, de la mani\u00e8re d\u2019\u00e9crire plusieurs autobiographies en une seule. M\u00eame en remplissant mon cabas de pommes de terre et d\u2019oignons, m\u00eame en recevant la monnaie, je ne l\u00e2chais pas un mot de peur d\u2019en perdre l\u2019essentiel. Mais quel essentiel ? Peut-\u00eatre rien d\u2019autre que sa voix : calme, apaisante, dr\u00f4le. Et, au bout du compte, amicale. C\u2019est bien cela, le mot : amicale. \u00c7a fait de la peine, parce qu\u2019on se sent un peu plus seul. Cette pr\u00e9sence se dissipe dans l\u2019absence, devient un autre genre de pr\u00e9sence, qui nous renvoie \u00e0 notre propre absence. C\u2019est \u00e0 chaque fois pareil. \u00c7a fait de la peine et, en m\u00eame temps, on esp\u00e8re. Une sorte de soulagement, un d\u00e9nouement. Ce que je retiens ? La r\u00e9p\u00e9tition. Au tir \u00e0 l\u2019arc. Dans l\u2019\u00e9criture. Dans le fait aussi de voir partir ces pr\u00e9sences, de voir tout se m\u00e9tamorphoser en quelque chose qui n\u2019est pas non plus rien. Dans cette m\u00e9moire de gestes et de voix. R\u00e9p\u00e9ter jusqu\u2019\u00e0 ce que le geste devienne pr\u00e9cis. R\u00e9p\u00e9ter pour inscrire dans le corps une m\u00e9moire qui hurle \u00e0 force de rester muette. Ne plus avoir cette peur panique du hurlement. R\u00e9p\u00e9ter, encore, pour que quelque chose, enfin, advienne. Un dix. Ou presque. 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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Hier apr\u00e9s-midi. Sur la route.Hier, j’h\u00e9site. Un ou une apr\u00e9s-midi. Je ne savais plus mon genre. Et ma conjugaison. Plus tr\u00e9s s\u00fbr de rien. Plus s\u00fbr du tout. Ce qui me rappelle quelque chose. Chose. Un personnage. Le petit Chose de Daudet. Non. Chose qui cro\u00eet au phallus de la m\u00e8re. Chose comme dans Le Meurtrion. Il fait beau et voil\u00e0 que tout \u00e0 coup je pense \u00e0 ce Chose ou cette Chose. Tout s’entrechoque. La langue. Et me voici face aux \u00e9oliennes. Du c\u00f4t\u00e9 de Fay-le-clos. Je suis mont\u00e9 pour redescendre. Pas que \u00e7a m’enchante. C’est le boulot. Mais les arbres ne sont pas encore nus. Le soleil tape sur les feuilles jaunes. Le premier mot qui vient c’est l’or. Puis du m\u00e9tal en fusion. Une chose en fusion. Ce qui fut utile. Car \u00e0 Saint-Donat, tout \u00e9tait glac\u00e9. J’ai d\u00fb voir au moins six personnes. Leur t\u00eate disparaissait. Leur t\u00eate \u00e9tait interchangeable. Un Cerbere divis\u00e9. s’essayant \u00e0 l’autonomie. Individualis\u00e9. Mais tu gardes quoi comme enfer. Essoufl\u00e9 au bout de trois marches gravies de ce grand escalier. Observ\u00e9 une mouche qui montait.Observ\u00e9 la m\u00eame qui descendait. Entre un panneau de bois frapp\u00e9 de soleil et la vitre dont le verre ( le mot m’\u00e9chappe pour dire sa nature de verre qui rend le monde flou) Peut-\u00eatre bien « d\u00e9poli ». La mouche donc monte et descend. Le m\u00eame trajet durant un bon quart d’heure. Et mes globes oculaires la m\u00eame chose. On commence \u00e0 devenir chose par l’oeil si \u00e7a se trouve. C’est \u00e0 partir de l\u00e0 que le hiatus d\u00e9marre. Dire ensuite ce que l’oeil voit si possible or voil\u00e0 la plupart du temps, justement, c’est impossible. Et donc tout le jeu ( passionnant mais fatiguant, \u00e9reintant, ext\u00e9nuant) consiste \u00e0 se rapprocher de \u00e7a en s’\u00e9loignant de papa, maman, la bonne et moi. C’est \u00e0 peu pr\u00e8s ainsi que le d\u00e9moniaque se manifeste. Bouh ! Comment vas-tu vieille chose me dit-il. Pas tr\u00e8s bien. Pas tr\u00e8s bien. L’\u00e9cart m’a eu. Pas encore jusqu’\u00e0 la corde. Je m’y aggripe. Sacr\u00e9 Je, si je ne t’avais pas. Mon petit fil \u00e0 la patte, mon lambeau de chair qui pend entre la gencive et la dent. Breloque.<\/p>", "content_text": " Hier apr\u00e9s-midi. Sur la route.Hier, j'h\u00e9site. Un ou une apr\u00e9s-midi. Je ne savais plus mon genre. Et ma conjugaison. Plus tr\u00e9s s\u00fbr de rien. Plus s\u00fbr du tout. Ce qui me rappelle quelque chose. Chose. Un personnage. Le petit Chose de Daudet. Non. Chose qui cro\u00eet au phallus de la m\u00e8re. Chose comme dans Le Meurtrion. Il fait beau et voil\u00e0 que tout \u00e0 coup je pense \u00e0 ce Chose ou cette Chose. Tout s'entrechoque. La langue. Et me voici face aux \u00e9oliennes. Du c\u00f4t\u00e9 de Fay-le-clos. Je suis mont\u00e9 pour redescendre. Pas que \u00e7a m'enchante. C'est le boulot. Mais les arbres ne sont pas encore nus. Le soleil tape sur les feuilles jaunes. Le premier mot qui vient c'est l'or. Puis du m\u00e9tal en fusion. Une chose en fusion. Ce qui fut utile. Car \u00e0 Saint-Donat, tout \u00e9tait glac\u00e9. J'ai d\u00fb voir au moins six personnes. Leur t\u00eate disparaissait. Leur t\u00eate \u00e9tait interchangeable. Un Cerbere divis\u00e9. s'essayant \u00e0 l'autonomie. Individualis\u00e9. Mais tu gardes quoi comme enfer. Essoufl\u00e9 au bout de trois marches gravies de ce grand escalier. Observ\u00e9 une mouche qui montait.Observ\u00e9 la m\u00eame qui descendait. Entre un panneau de bois frapp\u00e9 de soleil et la vitre dont le verre ( le mot m'\u00e9chappe pour dire sa nature de verre qui rend le monde flou) Peut-\u00eatre bien \"d\u00e9poli\". La mouche donc monte et descend. Le m\u00eame trajet durant un bon quart d'heure. Et mes globes oculaires la m\u00eame chose. On commence \u00e0 devenir chose par l'oeil si \u00e7a se trouve. C'est \u00e0 partir de l\u00e0 que le hiatus d\u00e9marre. Dire ensuite ce que l'oeil voit si possible or voil\u00e0 la plupart du temps, justement, c'est impossible. Et donc tout le jeu ( passionnant mais fatiguant, \u00e9reintant, ext\u00e9nuant) consiste \u00e0 se rapprocher de \u00e7a en s'\u00e9loignant de papa, maman, la bonne et moi. C'est \u00e0 peu pr\u00e8s ainsi que le d\u00e9moniaque se manifeste. Bouh ! Comment vas-tu vieille chose me dit-il. Pas tr\u00e8s bien. Pas tr\u00e8s bien. L'\u00e9cart m'a eu. Pas encore jusqu'\u00e0 la corde. Je m'y aggripe. Sacr\u00e9 Je, si je ne t'avais pas. Mon petit fil \u00e0 la patte, mon lambeau de chair qui pend entre la gencive et la dent. Breloque.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0309.jpg?1748065115", "tags": ["Autofiction et Introspection", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/04-decembre-2024.html", "title": "04 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-04T06:00:00Z", "date_modified": "2025-04-30T15:47:35Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

En revenant de Saint-Donat aval\u00e9 un bol de soupe puis \u00e9tal\u00e9 de tout mon long vers vingt heure. R\u00e9veill\u00e9 \u00e0 minuit, bu un caf\u00e9, ce qu’il ne faudrait jamais faire, mais —bien que je le sache—, le plaisir infantile d’explorer encore la limite, d’enfreindre la r\u00e8gle, l’envie ind\u00e9cente de profiter du calme de la maison, de ma solitude, jouir de cette solitude \u00e0 cet instant furent prioritaires. Et d’un \u00e9go\u00efsme assum\u00e9. Rien ne me convient mieux que de m’asseoir devant mon clavier et d’\u00e9crire ce qui me passe par la t\u00eate. C’est l\u00e0 que je trouve, dans l’agitation primordiale, le v\u00e9ritable repos, et mes vrais amis qui tour \u00e0 tour semble passer pour me visiter. En ce moment, Aragon que j’ai cit\u00e9 d\u00e9j\u00e0 hier, mais \u00e9galement Novarina, Bataille, Perec, Burrough, Cummings, Michaux, Beckett, Ponge, Prigent, d\u00e9sol\u00e9 de ne pas vous citer tous mes bon amis.. Je me rends compte en plein milieu de phrase de l’absurdit\u00e9 vaine de cette \u00e9num\u00e9ration.
\nEcrit bizarre qui jaillit soudain apr\u00e8s ce semblant de r\u00e9flexion :<\/p>\n

C\u2019\u00e9tait de ce temps o\u00f9 parcourant lentement la ville abjecte, o\u00f9 accabl\u00e9 par la hideur du monde je tentais encore d\u2019avancer p\u00e9niblement par les rues souill\u00e9es d\u2019ordures et d\u2019inconnus<\/i>
\n Chaque pas s’arrachait de haute lutte au sol collant, je tra\u00eenais comme un boeuf son socle de charrue, mes semelles sur l\u2019asphalte macul\u00e9 de flaques graisseuses et de d\u00e9tritus. Hahanant int\u00e9rieurment, pestant.<\/i>
\n Les visages flottent ici comme des masques vides, des ombres sans regards, et leurs rires, quand ils \u00e9clatent, leurs paroles insens\u00e9es , r\u00e9sonnent contre les fa\u00e7ades, tournoient et frappent sans pr\u00e9venir \u00e0 la mani\u00e8re interlope d’o\u00f9 surgissent les gifles aussi humiliantes qu’absurdes<\/i>
\nMe revoici donc \u00e9cras\u00e9 par cette hideur, Bouchon aux couleurs ternies, cette fatigue, ce poids sans nom.<\/i>
\n Et pourtant, quelque chose me pousse encore malgr\u00e9 tout vers l’avant, un reste d\u2019instinct peut-\u00eatre une simple habitude la fameuse du marche ou cr\u00e8ve, d’un pas apr\u00e8s l’autre. cette chose qui ne cesse de prononcer le terrible « Avancer, toujours avancer. »
\nEt c\u2019est alors, dans cet enfer d\u2019immondices et de visages fuyants, qu\u2019un \u00e9clat inattendu vint fissurer ce mur d\u2019abjection : une lumi\u00e8re d\u2019or, filtrant \u00e0 travers un rideau d\u00e9chir\u00e9, une feuille tourbillonnant et toute son infinie petitesse, dans un souffle de vent, sans oublier l’aper\u00e7u rapide et lent au relenti de ce chat roux, endormi sur un tas de journaux, indiff\u00e9rent au chaos. Ce n\u2019\u00e9tait rien. Et pourtant, c\u2019\u00e9tait tout. La ville tomba son masque, dans un \u00e9clat tellement fugace que j’eus peine \u00e0 le consid\u00e9rer pour vrai, elle \u00e9baucha un sourire de premi\u00e8re communiante.\"<\/i><\/p>\n

Ce n’est pas fini. SI ? Pas encore, pas maintenant. Quelque chose me le dit encore : patiente . Il faut vivre. tout vient de l\u00e0 et y revient.<\/p>\n

La r\u00e9ponse viendra comme la question est arriv\u00e9e : La r\u00e9ponse vient comme elle vient, de l’existence elle-m\u00eame. A port\u00e9e de main du manchot.<\/p>\n

\u00eatre boue \u00eatre lumi\u00e8re \u00eatre nuit \u00eatre jour \u00eatre pluie \u00eatre s\u00e9cheresse \u00eatre seul \u00eatre innombrable \u00eatre cri cri cri \u00eatre silence \u00eatre vent \u00eatre vide \u00eatre \u00e9tendu et plat \u00eatre resserr\u00e9 et pointu \u00eatre point de d\u00e9part \u00eatre point final \u00eatre big et bang \u00eatre proche et loin \u00eatre immobilit\u00e9 et mouvement \u00eatre noyau \u00eatre n\u00e9ant \u00eatre \u00e9tincelle et explosion \u00eatre naissance \u00eatre mort \u00eatre vie et mort \u00eatre amour \u00eatre absence \u00eatre un pied dans l\u2019orgueil l\u2019autre dans la merde \u00eatre cave un jour grenier une nuit \u00eatre ail\u00e9 et aussi lourd qu\u2019un jour \u00e0 devoir gagner son pain \u00eatre unique \u00eatre multiple \u00eatre secou\u00e9 de sanglots sanglots sanglots de rire et de chagrin \u00eatre vainqueur par accident perdant par habitude \u00eatre gueux et roi \u00eatre au parfum du monde et \u00e0 sa puanteur \u00eatre une mont\u00e9e \u00eatre une chute \u00eatre une fracture \u00eatre une ligne droite \u00eatre froiss\u00e9 comme une lettre jamais lue \u00eatre repass\u00e9 pour des noces oubli\u00e9es \u00eatre soleil \u00eatre pluie \u00eatre gouffre \u00eatre pic \u00eatre tout \u00eatre rien \u00eatre tout et rien \u00eatre l\u2019aube et le cr\u00e9puscule \u00eatre un cercle une spirale \u00eatre nulle part \u00eatre partout osciller osciller osciller entre g\u00e9nie et idiotie<\/i><\/p>\n

A la fin c’est encore trop long, il faut que j’en garde encore un peu pour demain. Que me retienne.<\/p>", "content_text": "En revenant de Saint-Donat aval\u00e9 un bol de soupe puis \u00e9tal\u00e9 de tout mon long vers vingt heure. R\u00e9veill\u00e9 \u00e0 minuit, bu un caf\u00e9, ce qu'il ne faudrait jamais faire, mais \u2014bien que je le sache\u2014, le plaisir infantile d'explorer encore la limite, d'enfreindre la r\u00e8gle, l'envie ind\u00e9cente de profiter du calme de la maison, de ma solitude, jouir de cette solitude \u00e0 cet instant furent prioritaires. Et d'un \u00e9go\u00efsme assum\u00e9. Rien ne me convient mieux que de m'asseoir devant mon clavier et d'\u00e9crire ce qui me passe par la t\u00eate. C'est l\u00e0 que je trouve, dans l'agitation primordiale, le v\u00e9ritable repos, et mes vrais amis qui tour \u00e0 tour semble passer pour me visiter. En ce moment, Aragon que j'ai cit\u00e9 d\u00e9j\u00e0 hier, mais \u00e9galement Novarina, Bataille, Perec, Burrough, Cummings, Michaux, Beckett, Ponge, Prigent, d\u00e9sol\u00e9 de ne pas vous citer tous mes bon amis.. Je me rends compte en plein milieu de phrase de l'absurdit\u00e9 vaine de cette \u00e9num\u00e9ration. Ecrit bizarre qui jaillit soudain apr\u00e8s ce semblant de r\u00e9flexion : {C\u2019\u00e9tait de ce temps o\u00f9 parcourant lentement la ville abjecte, o\u00f9 accabl\u00e9 par la hideur du monde je tentais encore d\u2019avancer p\u00e9niblement par les rues souill\u00e9es d\u2019ordures et d\u2019inconnus} { Chaque pas s'arrachait de haute lutte au sol collant, je tra\u00eenais comme un boeuf son socle de charrue, mes semelles sur l\u2019asphalte macul\u00e9 de flaques graisseuses et de d\u00e9tritus. Hahanant int\u00e9rieurment, pestant.} { Les visages flottent ici comme des masques vides, des ombres sans regards, et leurs rires, quand ils \u00e9clatent, leurs paroles insens\u00e9es , r\u00e9sonnent contre les fa\u00e7ades, tournoient et frappent sans pr\u00e9venir \u00e0 la mani\u00e8re interlope d'o\u00f9 surgissent les gifles aussi humiliantes qu'absurdes} {Me revoici donc \u00e9cras\u00e9 par cette hideur, Bouchon aux couleurs ternies, cette fatigue, ce poids sans nom.} Et pourtant, quelque chose me pousse encore malgr\u00e9 tout vers l'avant, un reste d\u2019instinct peut-\u00eatre une simple habitude la fameuse du marche ou cr\u00e8ve, d'un pas apr\u00e8s l'autre. cette chose qui ne cesse de prononcer le terrible \"Avancer, toujours avancer.\" {Et c\u2019est alors, dans cet enfer d\u2019immondices et de visages fuyants, qu\u2019un \u00e9clat inattendu vint fissurer ce mur d\u2019abjection : une lumi\u00e8re d\u2019or, filtrant \u00e0 travers un rideau d\u00e9chir\u00e9, une feuille tourbillonnant et toute son infinie petitesse, dans un souffle de vent, sans oublier l'aper\u00e7u rapide et lent au relenti de ce chat roux, endormi sur un tas de journaux, indiff\u00e9rent au chaos. Ce n\u2019\u00e9tait rien. Et pourtant, c\u2019\u00e9tait tout. La ville tomba son masque, dans un \u00e9clat tellement fugace que j'eus peine \u00e0 le consid\u00e9rer pour vrai, elle \u00e9baucha un sourire de premi\u00e8re communiante.\"} Ce n'est pas fini. SI ? Pas encore, pas maintenant. Quelque chose me le dit encore : patiente . Il faut vivre. tout vient de l\u00e0 et y revient. La r\u00e9ponse viendra comme la question est arriv\u00e9e : La r\u00e9ponse vient comme elle vient, de l'existence elle-m\u00eame. A port\u00e9e de main du manchot. {\u00eatre boue \u00eatre lumi\u00e8re \u00eatre nuit \u00eatre jour \u00eatre pluie \u00eatre s\u00e9cheresse \u00eatre seul \u00eatre innombrable \u00eatre cri cri cri \u00eatre silence \u00eatre vent \u00eatre vide \u00eatre \u00e9tendu et plat \u00eatre resserr\u00e9 et pointu \u00eatre point de d\u00e9part \u00eatre point final \u00eatre big et bang \u00eatre proche et loin \u00eatre immobilit\u00e9 et mouvement \u00eatre noyau \u00eatre n\u00e9ant \u00eatre \u00e9tincelle et explosion \u00eatre naissance \u00eatre mort \u00eatre vie et mort \u00eatre amour \u00eatre absence \u00eatre un pied dans l\u2019orgueil l\u2019autre dans la merde \u00eatre cave un jour grenier une nuit \u00eatre ail\u00e9 et aussi lourd qu\u2019un jour \u00e0 devoir gagner son pain \u00eatre unique \u00eatre multiple \u00eatre secou\u00e9 de sanglots sanglots sanglots de rire et de chagrin \u00eatre vainqueur par accident perdant par habitude \u00eatre gueux et roi \u00eatre au parfum du monde et \u00e0 sa puanteur \u00eatre une mont\u00e9e \u00eatre une chute \u00eatre une fracture \u00eatre une ligne droite \u00eatre froiss\u00e9 comme une lettre jamais lue \u00eatre repass\u00e9 pour des noces oubli\u00e9es \u00eatre soleil \u00eatre pluie \u00eatre gouffre \u00eatre pic \u00eatre tout \u00eatre rien \u00eatre tout et rien \u00eatre l\u2019aube et le cr\u00e9puscule \u00eatre un cercle une spirale \u00eatre nulle part \u00eatre partout osciller osciller osciller entre g\u00e9nie et idiotie} A la fin c'est encore trop long, il faut que j'en garde encore un peu pour demain. 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archive Dauphin\u00e9 Lib\u00e9r\u00e9 Aragon et Elsa\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Accrochage aujourd\u2019hui \u00e0 Saint-Donat-sur-l\u2019Herbasse, dans le nord de la Dr\u00f4me. Une quarantaine de toiles au Palais Delphinal, et au moins autant de l\u2019ami G. Pour l\u2019occasion, j\u2019ai relu Le Trait\u00e9 du Style et Le Paysan de Paris, m\u2019imaginant croiser le couple Andrieux <\/i> dans les ruelles alentour. Peut-\u00eatre en apprendrai-je davantage samedi, lors du vernissage. L\u2019autre ami G., po\u00e8te de son \u00e9tat, conna\u00eet, il me semble, quelqu\u2019un de l\u2019association qui s\u2019occupe de pr\u00e9server la m\u00e9moire des promenades de Louis et Elsa dans les environs.<\/p>\n

Je n\u2019ai que peu de connaissances pr\u00e9cises sur Aragon. Je sais qu\u2019il s\u2019est battu pendant les deux guerres, pas qu\u2019un peu, en tant que m\u00e9decin. Qu\u2019il a connu Breton dans la biffe,<\/i> ce terme ancien d\u00e9signant les tranch\u00e9es, qui ajoute \u00e0 la violence de l\u2019\u00e9poque. Que leur d\u00e9saccord fut certainement politique par la suite. Quelques po\u00e8mes de lui me reviennent, glan\u00e9s sur les bancs de l\u2019\u00e9cole, notamment La Rose et le R\u00e9s\u00e9da<\/i>. J\u2019ai toujours imagin\u00e9 Aragon plus fr\u00eale qu\u2019il ne devait l\u2019\u00eatre, sans savoir pourquoi, mais il m\u2019est devenu admirable au fil du temps, presque malgr\u00e9 moi, et sans m\u00eame avoir lu l\u2019ensemble de ses livres. En additionnant ses prises de position contre le franquisme, sa fid\u00e9lit\u00e9 au Parti communiste \u2013 quoi qu\u2019on en dise \u2013 et ce que j\u2019ai appris de son enfance tourment\u00e9e, peu \u00e0 peu une figure d\u2019homme, bien avant celle de l\u2019\u00e9crivain, s\u2019est impos\u00e9e. Comme \u00e7a. Tout bonnement.<\/p>\n

Quand je red\u00e9couvre Feu ( Feu sur le Parti socialiste !<\/i> ) je trouve qu’il irait tout \u00e0 fait bien dans le contexte actuel, il me semble si \u00e9clatant. Toute la rage mise ainsi en mots, formidable. Mais ce n\u2019est pas tant ses positions politiques, que son style, qui parach\u00e8ve mon admiration. La lecture de quelques pages du Paysan de Paris <\/i> m\u2019a renvoy\u00e9 \u00e0 mes propres d\u00e9ambulations urbaines. Ce sentiment de proximit\u00e9 m\u2019a pris aux tripes, comme si je pla\u00e7ais mes pas dans les siens, presque au m\u00eame endroit, presque avec les m\u00eames pens\u00e9es. Errer dans une ville, laisser l\u2019esprit divaguer, c\u2019est une exp\u00e9rience que je connais tellement. Moi aussi, je pr\u00e9f\u00e8re les passages aux grands boulevards, qui n\u2019ont jamais \u00e9t\u00e9 ma tasse de th\u00e9. D\u00e8s que je le pouvais, je m\u2019y engouffrais, \u00e0 la recherche de cette suspension onirique que seuls ces lieux interm\u00e9diaires semblent offrir.<\/p>\n

Un souvenir m\u2019est revenu en lisant ces lignes d\u2019Aragon. Ce restaurant o\u00f9 je me rendais parfois, chez Chartier,<\/i> qui incarnait \u00e0 mes yeux une forme de modestie joyeuse. On pouvait y d\u00e9jeuner pour des sommes correctes, mais ma bourse plate m\u2019obligeait tout de m\u00eame \u00e0 regarder \u00e0 deux fois avant d\u2019y mettre les pieds. C\u2019\u00e9tait un autre temps, o\u00f9 les serrures des portes \u2013 comme celles \u00e9voqu\u00e9es par Aragon \u2013 semblaient r\u00e9ellement s\u2019ouvrir sur l\u2019infini. Aujourd’hui, je m’y suis rendu il y a quelques ann\u00e9es ce n’est plus tout \u00e0 fait le m\u00eame \u00e9tablissement et nous avons pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 tourner les talons pour aller manger un couscous \u00e0 Belleville. Voir des choses que personne ne prendrait le temps de regarder. Perdre du temps, en somme, r\u00eavasser. Transformer, en continu, ce que la r\u00e9alit\u00e9 nous impose. La lire chez d’autres est toujours un bonheur, un pincement au coeur, on aimerait \u00e9crire rien que pour pouvoir provoquer \u00e7a.<\/p>\n

Mais, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, je ne savais pas poser de mots sur ce que je voyais, ou plut\u00f4t sur ce que j\u2019imaginais. J\u2019avais ce regard mais pas encore la langue pour le dire. Et c\u2019est en cela que la lecture a du bon. Souvent, les sots pensent que lire n\u2019est qu\u2019une activit\u00e9 inutile, passive, un simple passe-temps. Mais c\u2019est tout le contraire. On refait le plein de souvenirs qu\u2019on croyait perdus, d\u2019\u00e9motions qu\u2019on n\u2019avait pas su avec raison capter. \u00c0 chaque nouvelle page, paragraphe, phrase, c\u2019est comme si un chalut invisible ramenait \u00e0 la surface ce qui avait sombr\u00e9 dans les eaux profondes de l\u2019oubli.<\/p>\n

Aragon, finalement, a cette facult\u00e9 rare d\u2019\u00e9clairer ce qu\u2019il y a de flou et d\u2019illisible en nous. Il nomme ces « serrures s\u2019ouvrant sur l\u2019infini », et je comprends. Je le comprends \u00e0 travers lui, et je me comprends un peu aussi. Ce que je n\u2019ai jamais su \u00e9crire, il l\u2019a pos\u00e9 sur papier. Ses mots r\u00e9veillent en moi un monde oubli\u00e9, et je pense qu\u2019il est l\u00e0, le v\u00e9ritable miracle de la lecture. Pas seulement d\u00e9couvrir l\u2019autre, mais red\u00e9couvrir ce qu\u2019on porte en soi. Il y a encore aller vingt ans j’en aurais \u00e9t\u00e9 jaloux, aujourd’hui ce que je ressens est bien plus un sentiment de fraternit\u00e9.<\/p>\n

Je ne sais pas si samedi, lors du vernissage, je croiserai quelqu\u2019un de cette association qui saura me parler des itin\u00e9raires emprunt\u00e9s par Elsa et Aragon , apprendre encore autre chose, autrement, sous un autre angle. Mais peu importe. Ce qu\u2019il m\u2019a d\u00e9j\u00e0 donn\u00e9 dans ses pages, ces souvenirs greff\u00e9s aux miens, me suffit d\u00e9j\u00e0 amplement. Il faut que ma cervelle saisisse le moment o\u00f9 la sati\u00e9t\u00e9 l’atteint, l’apaise, toute avidit\u00e9 n’\u00e9tant que passage \u00e0 vide.<\/p>", "content_text": "Accrochage aujourd\u2019hui \u00e0 Saint-Donat-sur-l\u2019Herbasse, dans le nord de la Dr\u00f4me. Une quarantaine de toiles au Palais Delphinal, et au moins autant de l\u2019ami G. Pour l\u2019occasion, j\u2019ai relu Le Trait\u00e9 du Style et Le Paysan de Paris, m\u2019imaginant croiser{ le couple Andrieux } dans les ruelles alentour. Peut-\u00eatre en apprendrai-je davantage samedi, lors du vernissage. L\u2019autre ami G., po\u00e8te de son \u00e9tat, conna\u00eet, il me semble, quelqu\u2019un de l\u2019association qui s\u2019occupe de pr\u00e9server la m\u00e9moire des promenades de Louis et Elsa dans les environs. Je n\u2019ai que peu de connaissances pr\u00e9cises sur Aragon. Je sais qu\u2019il s\u2019est battu pendant les deux guerres, pas qu\u2019un peu, en tant que m\u00e9decin. Qu\u2019il a connu Breton dans {la biffe,} ce terme ancien d\u00e9signant les tranch\u00e9es, qui ajoute \u00e0 la violence de l\u2019\u00e9poque. Que leur d\u00e9saccord fut certainement politique par la suite. Quelques po\u00e8mes de lui me reviennent, glan\u00e9s sur les bancs de l\u2019\u00e9cole, notamment {La Rose et le R\u00e9s\u00e9da}. J\u2019ai toujours imagin\u00e9 Aragon plus fr\u00eale qu\u2019il ne devait l\u2019\u00eatre, sans savoir pourquoi, mais il m\u2019est devenu admirable au fil du temps, presque malgr\u00e9 moi, et sans m\u00eame avoir lu l\u2019ensemble de ses livres. En additionnant ses prises de position contre le franquisme, sa fid\u00e9lit\u00e9 au Parti communiste \u2013 quoi qu\u2019on en dise \u2013 et ce que j\u2019ai appris de son enfance tourment\u00e9e, peu \u00e0 peu une figure d\u2019homme, bien avant celle de l\u2019\u00e9crivain, s\u2019est impos\u00e9e. Comme \u00e7a. Tout bonnement. Quand je red\u00e9couvre Feu ( {Feu sur le Parti socialiste !} ) je trouve qu'il irait tout \u00e0 fait bien dans le contexte actuel, il me semble si \u00e9clatant. Toute la rage mise ainsi en mots, formidable. Mais ce n\u2019est pas tant ses positions politiques, que son style, qui parach\u00e8ve mon admiration. La lecture de quelques pages du {Paysan de Paris } m\u2019a renvoy\u00e9 \u00e0 mes propres d\u00e9ambulations urbaines. Ce sentiment de proximit\u00e9 m\u2019a pris aux tripes, comme si je pla\u00e7ais mes pas dans les siens, presque au m\u00eame endroit, presque avec les m\u00eames pens\u00e9es. Errer dans une ville, laisser l\u2019esprit divaguer, c\u2019est une exp\u00e9rience que je connais tellement. Moi aussi, je pr\u00e9f\u00e8re les passages aux grands boulevards, qui n\u2019ont jamais \u00e9t\u00e9 ma tasse de th\u00e9. D\u00e8s que je le pouvais, je m\u2019y engouffrais, \u00e0 la recherche de cette suspension onirique que seuls ces lieux interm\u00e9diaires semblent offrir. Un souvenir m\u2019est revenu en lisant ces lignes d\u2019Aragon. Ce restaurant o\u00f9 je me rendais parfois,{ chez Chartier,} qui incarnait \u00e0 mes yeux une forme de modestie joyeuse. On pouvait y d\u00e9jeuner pour des sommes correctes, mais ma bourse plate m\u2019obligeait tout de m\u00eame \u00e0 regarder \u00e0 deux fois avant d\u2019y mettre les pieds. C\u2019\u00e9tait un autre temps, o\u00f9 les serrures des portes \u2013 comme celles \u00e9voqu\u00e9es par Aragon \u2013 semblaient r\u00e9ellement s\u2019ouvrir sur l\u2019infini. Aujourd'hui, je m'y suis rendu il y a quelques ann\u00e9es ce n'est plus tout \u00e0 fait le m\u00eame \u00e9tablissement et nous avons pr\u00e9f\u00e9r\u00e9 tourner les talons pour aller manger un couscous \u00e0 Belleville. Voir des choses que personne ne prendrait le temps de regarder. Perdre du temps, en somme, r\u00eavasser. Transformer, en continu, ce que la r\u00e9alit\u00e9 nous impose. La lire chez d'autres est toujours un bonheur, un pincement au coeur, on aimerait \u00e9crire rien que pour pouvoir provoquer \u00e7a. Mais, \u00e0 l\u2019\u00e9poque, je ne savais pas poser de mots sur ce que je voyais, ou plut\u00f4t sur ce que j\u2019imaginais. J\u2019avais ce regard mais pas encore la langue pour le dire. Et c\u2019est en cela que la lecture a du bon. Souvent, les sots pensent que lire n\u2019est qu\u2019une activit\u00e9 inutile, passive, un simple passe-temps. Mais c\u2019est tout le contraire. On refait le plein de souvenirs qu\u2019on croyait perdus, d\u2019\u00e9motions qu\u2019on n\u2019avait pas su avec raison capter. \u00c0 chaque nouvelle page, paragraphe, phrase, c\u2019est comme si un chalut invisible ramenait \u00e0 la surface ce qui avait sombr\u00e9 dans les eaux profondes de l\u2019oubli. Aragon, finalement, a cette facult\u00e9 rare d\u2019\u00e9clairer ce qu\u2019il y a de flou et d\u2019illisible en nous. Il nomme ces \"serrures s\u2019ouvrant sur l\u2019infini\", et je comprends. Je le comprends \u00e0 travers lui, et je me comprends un peu aussi. Ce que je n\u2019ai jamais su \u00e9crire, il l\u2019a pos\u00e9 sur papier. Ses mots r\u00e9veillent en moi un monde oubli\u00e9, et je pense qu\u2019il est l\u00e0, le v\u00e9ritable miracle de la lecture. Pas seulement d\u00e9couvrir l\u2019autre, mais red\u00e9couvrir ce qu\u2019on porte en soi. Il y a encore aller vingt ans j'en aurais \u00e9t\u00e9 jaloux, aujourd'hui ce que je ressens est bien plus un sentiment de fraternit\u00e9. Je ne sais pas si samedi, lors du vernissage, je croiserai quelqu\u2019un de cette association qui saura me parler des itin\u00e9raires emprunt\u00e9s par Elsa et Aragon , apprendre encore autre chose, autrement, sous un autre angle. Mais peu importe. Ce qu\u2019il m\u2019a d\u00e9j\u00e0 donn\u00e9 dans ses pages, ces souvenirs greff\u00e9s aux miens, me suffit d\u00e9j\u00e0 amplement. Il faut que ma cervelle saisisse le moment o\u00f9 la sati\u00e9t\u00e9 l'atteint, l'apaise, toute avidit\u00e9 n'\u00e9tant que passage \u00e0 vide.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/archives-le-dl-1344833636.jpg?1748065095", "tags": ["\u00e9criture onirique"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-decembre-2024.html", "title": "02 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-02T07:55:25Z", "date_modified": "2024-12-02T07:55:25Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Moi non plus je n\u2019ai pas lu Regain. \u00c0 moins que, pire, je l\u2019aie lu et que j\u2019aie tout oubli\u00e9. Et pour ce qui est de tenir une information quelconque, j\u2019y renonce : c\u2019est beaucoup trop lourd \u00e0 porter. Les gens se refilent l\u2019information qu\u2019ils n\u2019arrivent pas \u00e0 tenir, ils la tiennent d\u2019autres qui, d\u00e9j\u00e0, avaient du mal. Donc on se d\u00e9barrasse plut\u00f4t de l\u2019information et voil\u00e0 comment elle se venge, en se d\u00e9formant toute seule, comme une grande. C\u2019est comme aller faire une diff\u00e9rence entre le vrai et le faux de nos jours. Bonne chance. Merde, plut\u00f4t.<\/p>\n

Mais bon, le fait est que je manque cruellement de position pour clamer mon opinion \u00e0 tue-t\u00eate. Sur cet \u00e9crivain, par exemple, je n\u2019ai pas lu une seule ligne de ce qu\u2019il a bien pu \u00e9crire pour f\u00e2cher les gens comme \u00e7a. Apr\u00e8s, on va me dire que je ne perds rien, que l\u00e0 n\u2019est pas le probl\u00e8me. C\u2019est la libert\u00e9 d\u2019expression qu\u2019on attaque, bon Dieu, r\u00e9veille-toi. Ah bon ? Il y a encore une libert\u00e9 d\u2019expression ? Puis-je vraiment dire « je vous emmerde » \u00e0 tous les carrefours ? C\u2019est vrai ?<\/p>\n

J\u2019en ai un peu marre de faire mon Voltaire. Je passe au crapaud, \u00e0 la carpe, aux bulles, \u00e0 la vase. En fait, je n\u2019ai pas d\u2019avis et je ne veux toujours pas en avoir un. Je tourne autour de l\u2019avis comme un chien autour d\u2019un arbre, pour trouver le meilleur angle d\u2019attaque afin de me soulager.<\/p>\n

Parce que d\u00e9sormais, tous les avis sont r\u00e9colt\u00e9s \u00e0 la pelle, et on les fourre dans une fosse commune en pla\u00e7ant une statue de commandeur par-dessus. Brassard avec croix gamm\u00e9e prioritaire. Et \u00e7a touche tous les bords tellement qu\u2019on se demande si tout n\u2019est pas que du bord, comme la Terre est plate. Pourquoi diantre la Terre ne serait-elle pas plate ? Et qu\u2019est-ce que j\u2019en ai \u00e0 faire, franchement, qu\u2019elle soit patato\u00efde, parall\u00e9l\u00e9pip\u00e9dique, ovo\u00efde, cubique, plate, creuse, boursoufl\u00e9e ? Je m\u2019en tamponne carr\u00e9ment le coquillard, tant que j\u2019arrive encore \u00e0 tenir debout, la seule chose que je suis en mesure encore \u00e0 peu pr\u00e8s de tenir.<\/p>\n

Tout ce qui n\u2019est pas \u00e0 gauche n\u2019est pas toujours \u00e0 droite et vice-versa, ni m\u00eame au centre, ni en dessous, ni au-dessus. Il est tout \u00e0 fait possible que ce que l\u2019on nomme « politique » ne m\u2019int\u00e9resse plus du tout. Qu\u2019elle soit rendue, comme vomie par une accumulation de d\u00e9go\u00fbts successifs qui n\u2019a jamais cess\u00e9 de me soulever le c\u0153ur, qui m\u2019est ensuite rest\u00e9 en travers de la gorge pour redescendre brutalement afin de me casser les couilles et les pieds. J\u2019abhorre la politique telle qu\u2019on me la pr\u00e9sente. Un oripeau, une guenille, un vieux slip, une vieille culotte qui pue la merde et l\u2019urine. La politique, ce truc de vieux.<\/p>\n

Hier, par exemple, j\u2019entends ce type, avec sa voix nasillarde et m\u00e9tallique, et j\u2019ai tout de suite pens\u00e9 \u00e0 la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse qu\u2019un b\u0153uf. Maintenant que j\u2019y repense, \u00e7a me ferait bien rire si j\u2019avais envie de chercher du propre dans l\u2019homme en tant que singe.<\/p>", "content_text": "Moi non plus je n\u2019ai pas lu Regain. \u00c0 moins que, pire, je l\u2019aie lu et que j\u2019aie tout oubli\u00e9. Et pour ce qui est de tenir une information quelconque, j\u2019y renonce : c\u2019est beaucoup trop lourd \u00e0 porter. Les gens se refilent l\u2019information qu\u2019ils n\u2019arrivent pas \u00e0 tenir, ils la tiennent d\u2019autres qui, d\u00e9j\u00e0, avaient du mal. Donc on se d\u00e9barrasse plut\u00f4t de l\u2019information et voil\u00e0 comment elle se venge, en se d\u00e9formant toute seule, comme une grande. C\u2019est comme aller faire une diff\u00e9rence entre le vrai et le faux de nos jours. Bonne chance. Merde, plut\u00f4t. Mais bon, le fait est que je manque cruellement de position pour clamer mon opinion \u00e0 tue-t\u00eate. Sur cet \u00e9crivain, par exemple, je n\u2019ai pas lu une seule ligne de ce qu\u2019il a bien pu \u00e9crire pour f\u00e2cher les gens comme \u00e7a. Apr\u00e8s, on va me dire que je ne perds rien, que l\u00e0 n\u2019est pas le probl\u00e8me. C\u2019est la libert\u00e9 d\u2019expression qu\u2019on attaque, bon Dieu, r\u00e9veille-toi. Ah bon ? Il y a encore une libert\u00e9 d\u2019expression ? Puis-je vraiment dire \"je vous emmerde\" \u00e0 tous les carrefours ? C\u2019est vrai ? J\u2019en ai un peu marre de faire mon Voltaire. Je passe au crapaud, \u00e0 la carpe, aux bulles, \u00e0 la vase. En fait, je n\u2019ai pas d\u2019avis et je ne veux toujours pas en avoir un. Je tourne autour de l\u2019avis comme un chien autour d\u2019un arbre, pour trouver le meilleur angle d\u2019attaque afin de me soulager. Parce que d\u00e9sormais, tous les avis sont r\u00e9colt\u00e9s \u00e0 la pelle, et on les fourre dans une fosse commune en pla\u00e7ant une statue de commandeur par-dessus. Brassard avec croix gamm\u00e9e prioritaire. Et \u00e7a touche tous les bords tellement qu\u2019on se demande si tout n\u2019est pas que du bord, comme la Terre est plate. Pourquoi diantre la Terre ne serait-elle pas plate ? Et qu\u2019est-ce que j\u2019en ai \u00e0 faire, franchement, qu\u2019elle soit patato\u00efde, parall\u00e9l\u00e9pip\u00e9dique, ovo\u00efde, cubique, plate, creuse, boursoufl\u00e9e ? Je m\u2019en tamponne carr\u00e9ment le coquillard, tant que j\u2019arrive encore \u00e0 tenir debout, la seule chose que je suis en mesure encore \u00e0 peu pr\u00e8s de tenir. Tout ce qui n\u2019est pas \u00e0 gauche n\u2019est pas toujours \u00e0 droite et vice-versa, ni m\u00eame au centre, ni en dessous, ni au-dessus. Il est tout \u00e0 fait possible que ce que l\u2019on nomme \"politique\" ne m\u2019int\u00e9resse plus du tout. Qu\u2019elle soit rendue, comme vomie par une accumulation de d\u00e9go\u00fbts successifs qui n\u2019a jamais cess\u00e9 de me soulever le c\u0153ur, qui m\u2019est ensuite rest\u00e9 en travers de la gorge pour redescendre brutalement afin de me casser les couilles et les pieds. J\u2019abhorre la politique telle qu\u2019on me la pr\u00e9sente. Un oripeau, une guenille, un vieux slip, une vieille culotte qui pue la merde et l\u2019urine. La politique, ce truc de vieux. Hier, par exemple, j\u2019entends ce type, avec sa voix nasillarde et m\u00e9tallique, et j\u2019ai tout de suite pens\u00e9 \u00e0 la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse qu\u2019un b\u0153uf. Maintenant que j\u2019y repense, \u00e7a me ferait bien rire si j\u2019avais envie de chercher du propre dans l\u2019homme en tant que singe. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/icarus_van_buuren.jpg?1748065097", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/01-decembre-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/01-decembre-2024.html", "title": "01 d\u00e9cembre 2024", "date_published": "2024-12-01T18:01:09Z", "date_modified": "2025-06-18T09:33:57Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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Dans la salle d\u2019attente du pavillon C de l\u2019h\u00f4pital Herriot \u00e0 Lyon, ce dimanche matin, j\u2019attends.<\/p>\n

Un panneau repr\u00e9sentant un personnage en fauteuil roulant blanc sur fond bleu turquoise sombre est occup\u00e9 par une corbeille de plastique sombre dans laquelle on a plac\u00e9 un sac souple de plastique sombre \u00e9galement. Le bord ouvert du sac poubelle, visiblement plus grand que son r\u00e9cipient, a \u00e9t\u00e9 retourn\u00e9 autour du bord du r\u00e9cipient. C’est un quart d’heure plus tard que j’ai vu qu’il y avait un strapontin repli\u00e9 contre le mur.<\/p>\n

Les murs sont d\u2019une couleur ind\u00e9finissable, entre blanc cass\u00e9 et beige clair, avec par endroits, selon les \u00e9clairages, des rehauts de jaune.<\/p>\n

L\u2019\u00e9clairage est compos\u00e9 de quatre appliques \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur desquelles on peut imaginer des ampoules LED. Sur ma gauche, accroch\u00e9 au mur, un large \u00e9cran semblable aux \u00e9crans plats de t\u00e9l\u00e9vision affiche en noir les noms des patients qui se trouvent ici dans la salle d\u2019attente.<\/p>\n

\u00c0 chaque fois qu\u2019un nouveau ou une nouvelle venue entre en disant bonjour, presque tous les autres r\u00e9pondent \u00e0 son bonjour. Certains sont plus audibles que d’autres. La plupart se r\u00e9fugient aussit\u00f4t sur l’\u00e9cran de leurs smartphones. Certains encore portent des lunettes noires.<\/p>\n

Les si\u00e8ges sont constitu\u00e9s de plastique dur, ajourn\u00e9s par endroits, dossier et emplacement pour s\u2019asseoir (formant sur ce dernier un genre de motif en forme de demi-lune).<\/p>\n

Sur un des murs, un palmier, tronc noir feuillage vert sapin, agr\u00e9ment\u00e9 de cactus aux coloris divers, bleu p\u00e2le, vert de vessie. Quelques fleurs rouges parachevant le tout. Ce qui rompt (un peu, \u00e0 condition qu’on prenne le temps de le remarquer) avec l’aust\u00e9rit\u00e9 des lieux.<\/p>\n

\u00c0 travers tout cela, des images de cuisine diverses et vari\u00e9es me parasitent l’esprit. Notamment les images p\u00eale-m\u00eale de coins cuisine. Une table bancale le plus souvent, un morceau de toile cir\u00e9e, un r\u00e9chaud \u00e0 deux feux et quelque part dans la chambre l’affichette « Gaz \u00e0 tous les \u00e9tages ».<\/p>\n

Lu la nouvelle proposition de F.B., mais pas encore visionn\u00e9 la vid\u00e9o. J’ai d\u00e9cid\u00e9 de reporter une fois la r\u00e9daction de la proposition 02 achev\u00e9e et publi\u00e9e. D’ailleurs, j’ai fait exactement la m\u00eame chose la semaine pass\u00e9e. Une semaine plus tard, je ne me souviens plus du tout du contenu de la proposition pr\u00e9c\u00e9dente. Ce qui entra\u00eene, par cons\u00e9quent, qu’il faudra que je lise \u00e0 nouveau la proposition 02 et que je visionne la vid\u00e9o que j’avais report\u00e9e car je r\u00e9digeais la proposition 01.<\/p>\n

J’essaie de ne pas penser \u00e0 ces f\u00eates de fin d’ann\u00e9e en feuilletant Esp\u00e8ces d\u2019espaces encore une fois de retour de l’h\u00f4pital. J’en profite pour prendre quelques notes que je pourrai placer dans une entr\u00e9e des carnets pour ce 1er d\u00e9cembre 2024.<\/p>\n

Chez Perec, les contraintes formelles peuvent \u00eatre soumises \u00e0 des transformations de complexit\u00e9 croissante : l’oubli, qui s’accompagne souvent de sa propre d\u00e9signation m\u00e9taphorique ; la suspension momentan\u00e9e, zone libre dans l’espace textuel r\u00e9gl\u00e9 ; le dysfonctionnement volontaire ou « clinamen », affectant les r\u00e8gles du texte ou les structures de la langue ; la surcontrainte, qui ajoute une ou plusieurs exigences suppl\u00e9mentaires ; la m\u00e9tacontrainte : contrainte pr\u00e9voyant \u00e0 l’int\u00e9rieur d’elle-m\u00eame ses propres m\u00e9canismes d’autotransformation, ou modification d’une contrainte par une autre. Par ces diverses man\u0153uvres, Perec impose au lecteur une activit\u00e9 de rep\u00e9rage, de mise ensemble et d’interpr\u00e9tation : bref, au contraire de la fascination passive, un d\u00e9fi tonique et jubilatoire.
\n (d\u00e9couvert et recopi\u00e9 en passant un bout d’ article sur ce site :
<\/span>https:\/\/www.erudit.org\/fr\/revues\/etudlitt\/1990-v23-n1-2-etudlitt2242\/500924ar.pdf<\/span><\/a>)<\/p>\n

Dans Esp\u00e8ces d\u2019espaces, Perec \u00e9crit : « Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement, soit de mur, soit de tableau, mettre sans cesse d\u2019autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau de mur. »<\/p>\n

Et encore : « Les immeubles sont \u00e0 c\u00f4t\u00e9 les uns des autres. Ils sont align\u00e9s. Il est pr\u00e9vu qu\u2019ils soient align\u00e9s, c\u2019est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas align\u00e9s : on dit alors qu\u2019ils sont frapp\u00e9s d\u2019alignement, cela veut dire que l\u2019on est en droit de les d\u00e9molir, afin de les reconstruire dans l\u2019alignement des autres. »<\/p>\n

Perec m\u2019accompagne dans cette salle d\u2019attente, o\u00f9 l\u2019alignement des objets, des murs, des noms sur l\u2019\u00e9cran, semble imposer un ordre rigide mais vide de sens. Je traque, comme lui, les d\u00e9tails inutiles, les failles dans cet alignement — un strapontin repli\u00e9, un palmier artificiel, un bonjour \u00e0 peine audible.<\/p>", "content_text": " Dans la salle d\u2019attente du pavillon C de l\u2019h\u00f4pital Herriot \u00e0 Lyon, ce dimanche matin, j\u2019attends. Un panneau repr\u00e9sentant un personnage en fauteuil roulant blanc sur fond bleu turquoise sombre est occup\u00e9 par une corbeille de plastique sombre dans laquelle on a plac\u00e9 un sac souple de plastique sombre \u00e9galement. Le bord ouvert du sac poubelle, visiblement plus grand que son r\u00e9cipient, a \u00e9t\u00e9 retourn\u00e9 autour du bord du r\u00e9cipient. C'est un quart d'heure plus tard que j'ai vu qu'il y avait un strapontin repli\u00e9 contre le mur. Les murs sont d\u2019une couleur ind\u00e9finissable, entre blanc cass\u00e9 et beige clair, avec par endroits, selon les \u00e9clairages, des rehauts de jaune. L\u2019\u00e9clairage est compos\u00e9 de quatre appliques \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur desquelles on peut imaginer des ampoules LED. Sur ma gauche, accroch\u00e9 au mur, un large \u00e9cran semblable aux \u00e9crans plats de t\u00e9l\u00e9vision affiche en noir les noms des patients qui se trouvent ici dans la salle d\u2019attente. \u00c0 chaque fois qu\u2019un nouveau ou une nouvelle venue entre en disant bonjour, presque tous les autres r\u00e9pondent \u00e0 son bonjour. Certains sont plus audibles que d'autres. La plupart se r\u00e9fugient aussit\u00f4t sur l'\u00e9cran de leurs smartphones. Certains encore portent des lunettes noires. Les si\u00e8ges sont constitu\u00e9s de plastique dur, ajourn\u00e9s par endroits, dossier et emplacement pour s\u2019asseoir (formant sur ce dernier un genre de motif en forme de demi-lune). Sur un des murs, un palmier, tronc noir feuillage vert sapin, agr\u00e9ment\u00e9 de cactus aux coloris divers, bleu p\u00e2le, vert de vessie. Quelques fleurs rouges parachevant le tout. Ce qui rompt (un peu, \u00e0 condition qu'on prenne le temps de le remarquer) avec l'aust\u00e9rit\u00e9 des lieux. \u00c0 travers tout cela, des images de cuisine diverses et vari\u00e9es me parasitent l'esprit. Notamment les images p\u00eale-m\u00eale de coins cuisine. Une table bancale le plus souvent, un morceau de toile cir\u00e9e, un r\u00e9chaud \u00e0 deux feux et quelque part dans la chambre l'affichette \"Gaz \u00e0 tous les \u00e9tages\". Lu la nouvelle proposition de F.B., mais pas encore visionn\u00e9 la vid\u00e9o. J'ai d\u00e9cid\u00e9 de reporter une fois la r\u00e9daction de la proposition 02 achev\u00e9e et publi\u00e9e. D'ailleurs, j'ai fait exactement la m\u00eame chose la semaine pass\u00e9e. Une semaine plus tard, je ne me souviens plus du tout du contenu de la proposition pr\u00e9c\u00e9dente. Ce qui entra\u00eene, par cons\u00e9quent, qu'il faudra que je lise \u00e0 nouveau la proposition 02 et que je visionne la vid\u00e9o que j'avais report\u00e9e car je r\u00e9digeais la proposition 01. J'essaie de ne pas penser \u00e0 ces f\u00eates de fin d'ann\u00e9e en feuilletant Esp\u00e8ces d\u2019espaces encore une fois de retour de l'h\u00f4pital. J'en profite pour prendre quelques notes que je pourrai placer dans une entr\u00e9e des carnets pour ce 1er d\u00e9cembre 2024. Chez Perec, les contraintes formelles peuvent \u00eatre soumises \u00e0 des transformations de complexit\u00e9 croissante : l'oubli, qui s'accompagne souvent de sa propre d\u00e9signation m\u00e9taphorique ; la suspension momentan\u00e9e, zone libre dans l'espace textuel r\u00e9gl\u00e9 ; le dysfonctionnement volontaire ou \u00ab clinamen \u00bb, affectant les r\u00e8gles du texte ou les structures de la langue ; la surcontrainte, qui ajoute une ou plusieurs exigences suppl\u00e9mentaires ; la m\u00e9tacontrainte : contrainte pr\u00e9voyant \u00e0 l'int\u00e9rieur d'elle-m\u00eame ses propres m\u00e9canismes d'autotransformation, ou modification d'une contrainte par une autre. Par ces diverses man\u0153uvres, Perec impose au lecteur une activit\u00e9 de rep\u00e9rage, de mise ensemble et d'interpr\u00e9tation : bref, au contraire de la fascination passive, un d\u00e9fi tonique et jubilatoire. (d\u00e9couvert et recopi\u00e9 en passant un bout d' article sur ce site : https:\/\/www.erudit.org\/fr\/revues\/etudlitt\/1990-v23-n1-2-etudlitt2242\/500924ar.pdf) Dans Esp\u00e8ces d\u2019espaces, Perec \u00e9crit : \u00ab Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux. Ou alors il faudrait changer continuellement, soit de mur, soit de tableau, mettre sans cesse d\u2019autres tableaux sur les murs, ou tout le temps changer le tableau de mur. \u00bb Et encore : \u00ab Les immeubles sont \u00e0 c\u00f4t\u00e9 les uns des autres. Ils sont align\u00e9s. Il est pr\u00e9vu qu\u2019ils soient align\u00e9s, c\u2019est une faute grave pour eux quand ils ne sont pas align\u00e9s : on dit alors qu\u2019ils sont frapp\u00e9s d\u2019alignement, cela veut dire que l\u2019on est en droit de les d\u00e9molir, afin de les reconstruire dans l\u2019alignement des autres. \u00bb Perec m\u2019accompagne dans cette salle d\u2019attente, o\u00f9 l\u2019alignement des objets, des murs, des noms sur l\u2019\u00e9cran, semble imposer un ordre rigide mais vide de sens. Je traque, comme lui, les d\u00e9tails inutiles, les failles dans cet alignement \u2014 un strapontin repli\u00e9, un palmier artificiel, un bonjour \u00e0 peine audible.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/images_2_.jpg?1748065227", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "Autofiction et Introspection", "Murs"] } ] }