{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ecrire-sous-possession.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Ecrire-sous-possession.html", "title": " \u00c9crire sous possession ", "date_published": "2025-01-31T22:02:57Z", "date_modified": "2025-02-14T22:18:39Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La ville est travers\u00e9e de voix anonymes. Fragments de conversations capt\u00e9s au vol, slogans publicitaires, injonctions m\u00e9diatiques : ces paroles ne nous appartiennent pas, mais elles s\u2019imposent, s\u2019accumulent en nous. Ce brouhaha, loin d\u2019\u00eatre anodin, fa\u00e7onne nos pens\u00e9es. Il contamine aussi l\u2019\u00e9criture. <\/p>\n

Dans la litt\u00e9rature contemporaine, la possession n\u2019est plus seulement un motif narratif li\u00e9 au fantastique. Elle est un mode d\u2019\u00e9criture. Loin du roman classique, centr\u00e9 sur un sujet ma\u00eetre de son r\u00e9cit, elle introduit des voix \u00e9trang\u00e8res dans le texte, jusqu\u2019\u00e0 troubler l\u2019\u00e9nonciation elle-m\u00eame. C\u2019est ce qui traverse des \u0153uvres comme S\u00e9rotonine<\/em> de Michel Houellebecq, o\u00f9 la voix du narrateur est satur\u00e9e de discours ext\u00e9rieurs \u2013 langage de la publicit\u00e9, \u00e9l\u00e9ments de langage politique \u2013 jusqu\u2019\u00e0 dissoudre son identit\u00e9. Ou encore Zone<\/em> de Mathias \u00c9nard, o\u00f9 la phrase unique, haletante, absorbe des fragments d\u2019Histoire, comme si le narrateur \u00e9tait lui-m\u00eame travers\u00e9 par des voix multiples. <\/p>\n

La possession, c\u2019est l\u2019\u00e9chec du roman traditionnel \u00e0 contenir la pluralit\u00e9 des voix. L\u00e0 o\u00f9 Balzac ou Flaubert s\u2019attachaient \u00e0 une narration stable, une voix contr\u00f4l\u00e9e, les \u00e9crivains contemporains explorent l\u2019\u00e9clatement du discours, la friction entre le soi et l\u2019autre. L\u2019\u00e9crivain ne parle plus seul : il est parasit\u00e9 par d\u2019autres voix, d\u2019autres temporalit\u00e9s, d\u2019autres discours. <\/p>\n

Possession et narration : un texte contamin\u00e9<\/strong><\/h3>\n

Dans Notre besoin de consolation est impossible \u00e0 rassasier<\/em>, Stig Dagerman \u00e9crit : « Je suis un autre tant que je ne suis pas moi-m\u00eame. » Cette phrase, qui fait \u00e9cho \u00e0 Rimbaud, r\u00e9sume ce que l\u2019on pourrait appeler la po\u00e9tique de la possession. L\u2019\u00e9criture devient un champ de tensions o\u00f9 la voix du narrateur est troubl\u00e9e, hant\u00e9e par ce qui la d\u00e9passe. <\/p>\n

C\u2019est ce que l\u2019on retrouve dans Lambeaux<\/em> de Charles Juliet, o\u00f9 la parole oscille entre la voix de l\u2019auteur et celle de sa m\u00e8re disparue. Le texte est travers\u00e9 par une autre conscience, comme si l\u2019acte d\u2019\u00e9crire relevait d\u2019une forme de spiritisme. De m\u00eame, dans Sombre dimanche<\/em> d\u2019Alice Zeniter, les g\u00e9n\u00e9rations se superposent, les voix s\u2019entrelacent jusqu\u2019\u00e0 faire vaciller l\u2019identit\u00e9 des personnages. <\/p>\n

Ce trouble de l\u2019\u00e9nonciation ne rel\u00e8ve pas d\u2019un simple proc\u00e9d\u00e9 stylistique : il met en crise la notion m\u00eame d\u2019auteur. Dans Les Ann\u00e9es<\/em> d\u2019Annie Ernaux, le « je » dispara\u00eet au profit d\u2019un « nous » o\u00f9 l\u2019intime se m\u00eale au collectif. Le texte est poss\u00e9d\u00e9 par les voix d\u2019une \u00e9poque, d\u2019une g\u00e9n\u00e9ration. La m\u00e9moire individuelle devient une m\u00e9moire travers\u00e9e. <\/p>\n

Traduire, r\u00e9\u00e9crire : la possession en acte<\/strong><\/h3>\n

La possession ne concerne pas seulement l\u2019\u00e9nonciation, mais aussi la r\u00e9\u00e9criture et la traduction. Traduire, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 alt\u00e9rer, habiter un texte \u00e9tranger et le transformer. C\u2019est ce que revendique Claro dans ses traductions de Vollmann ou de Pynchon : ne pas chercher \u00e0 restituer fid\u00e8lement, mais accepter la contamination du texte d\u2019origine par la langue d\u2019arriv\u00e9e. <\/p>\n

La r\u00e9\u00e9criture fonctionne sur le m\u00eame mode. Un texte en parasite un autre, le modifie, l\u2019investit. Dans \u00c9crire<\/em> de Marguerite Duras, l\u2019autrice revient sans cesse sur les m\u00eames \u00e9pisodes, comme si son propre texte lui \u00e9chappait, lui revenait sous une autre forme. De m\u00eame, dans Un Mage en \u00e9t\u00e9<\/em> d\u2019Olivier Cadiot, la narration semble hant\u00e9e par d\u2019autres \u0153uvres, d\u2019autres formes, comme si l\u2019\u00e9criture \u00e9tait toujours une appropriation, une transformation du d\u00e9j\u00e0-l\u00e0. <\/p>\n

Dans cette logique, l\u2019\u00e9crivain n\u2019est pas un cr\u00e9ateur absolu, mais un m\u00e9dium. Il capte des voix, les transpose, les fait r\u00e9sonner autrement. Son texte n\u2019est jamais clos : il est un champ de forces en perp\u00e9tuelle mutation. <\/p>\n

Possession et soci\u00e9t\u00e9 : une question politique<\/strong><\/h3>\n

Mais la possession ne concerne pas que l\u2019\u00e9criture : elle est aussi un r\u00e9v\u00e9lateur social. Qui poss\u00e8de la parole ? Qui en est d\u00e9poss\u00e9d\u00e9 ? Dans les rituels vaudous, le corps du poss\u00e9d\u00e9 devient le lieu d\u2019une parole qui lui \u00e9chappe. Il en va de m\u00eame en litt\u00e9rature : certaines voix sont consid\u00e9r\u00e9es comme l\u00e9gitimes, d\u2019autres sont marginalis\u00e9es. <\/p>\n

Dans Tram 83<\/em> de Fiston Mwanza Mujila, la langue elle-m\u00eame est travaill\u00e9e par la possession : elle absorbe les slogans, les discours politiques, les bribes de conversations. Le texte devient une polyphonie chaotique o\u00f9 la parole dominante se heurte \u00e0 celles des laiss\u00e9s-pour-compte. De m\u00eame, dans Autoportrait en noir et blanc<\/em> de Jesmyn Ward, la narratrice est travers\u00e9e par l\u2019Histoire et ses fant\u00f4mes : la m\u00e9moire de l\u2019esclavage, les r\u00e9cits familiaux, les voix des disparus hantent le texte, jusqu\u2019\u00e0 rendre poreuse la fronti\u00e8re entre pass\u00e9 et pr\u00e9sent. <\/p>\n

Aujourd\u2019hui, la possession n\u2019est plus seulement un ph\u00e9nom\u00e8ne occulte : elle est une grille de lecture du monde. \u00c0 l\u2019\u00e8re du num\u00e9rique, nos discours sont infiltr\u00e9s par des algorithmes, nos mots pr\u00e9d\u00e9termin\u00e9s par des formules automatiques. L\u2019\u00e9criture elle-m\u00eame est contamin\u00e9e par ces voix ext\u00e9rieures, qu\u2019il s\u2019agisse de discours m\u00e9diatiques ou de boucles de langage sur les r\u00e9seaux sociaux. <\/p>\n

Conclusion : \u00e9crire sous emprise<\/strong><\/h3>\n

\u00c9crire aujourd\u2019hui, c\u2019est accepter cette d\u00e9possession. Ce n\u2019est plus construire une voix unique, mais composer avec une polyphonie qui nous d\u00e9passe. L\u2019\u00e9crivain contemporain n\u2019est pas ma\u00eetre de son texte : il est travers\u00e9 par des forces qui lui \u00e9chappent. <\/p>\n

Cette contamination du texte par l\u2019ext\u00e9rieur n\u2019est pas une perte : elle est une ouverture. Elle permet de penser l\u2019\u00e9criture comme un espace de r\u00e9sonance, o\u00f9 se croisent des voix, des m\u00e9moires, des h\u00e9ritages. La possession n\u2019est pas un enfermement : elle est un mode d\u2019\u00e9criture, une mani\u00e8re d\u2019habiter le monde autrement. <\/p>\n

Dans ce th\u00e9\u00e2tre hant\u00e9 qu\u2019est la litt\u00e9rature contemporaine, l\u2019auteur ne poss\u00e8de plus sa langue. Il accepte d\u2019\u00eatre poss\u00e9d\u00e9 par elle. <\/p>", "content_text": " La ville est travers\u00e9e de voix anonymes. Fragments de conversations capt\u00e9s au vol, slogans publicitaires, injonctions m\u00e9diatiques : ces paroles ne nous appartiennent pas, mais elles s\u2019imposent, s\u2019accumulent en nous. Ce brouhaha, loin d\u2019\u00eatre anodin, fa\u00e7onne nos pens\u00e9es. Il contamine aussi l\u2019\u00e9criture. Dans la litt\u00e9rature contemporaine, la possession n\u2019est plus seulement un motif narratif li\u00e9 au fantastique. Elle est un mode d\u2019\u00e9criture. Loin du roman classique, centr\u00e9 sur un sujet ma\u00eetre de son r\u00e9cit, elle introduit des voix \u00e9trang\u00e8res dans le texte, jusqu\u2019\u00e0 troubler l\u2019\u00e9nonciation elle-m\u00eame. C\u2019est ce qui traverse des \u0153uvres comme *S\u00e9rotonine* de Michel Houellebecq, o\u00f9 la voix du narrateur est satur\u00e9e de discours ext\u00e9rieurs \u2013 langage de la publicit\u00e9, \u00e9l\u00e9ments de langage politique \u2013 jusqu\u2019\u00e0 dissoudre son identit\u00e9. Ou encore *Zone* de Mathias \u00c9nard, o\u00f9 la phrase unique, haletante, absorbe des fragments d\u2019Histoire, comme si le narrateur \u00e9tait lui-m\u00eame travers\u00e9 par des voix multiples. La possession, c\u2019est l\u2019\u00e9chec du roman traditionnel \u00e0 contenir la pluralit\u00e9 des voix. L\u00e0 o\u00f9 Balzac ou Flaubert s\u2019attachaient \u00e0 une narration stable, une voix contr\u00f4l\u00e9e, les \u00e9crivains contemporains explorent l\u2019\u00e9clatement du discours, la friction entre le soi et l\u2019autre. L\u2019\u00e9crivain ne parle plus seul : il est parasit\u00e9 par d\u2019autres voix, d\u2019autres temporalit\u00e9s, d\u2019autres discours. ### **Possession et narration : un texte contamin\u00e9** Dans *Notre besoin de consolation est impossible \u00e0 rassasier*, Stig Dagerman \u00e9crit : \u00ab Je suis un autre tant que je ne suis pas moi-m\u00eame. \u00bb Cette phrase, qui fait \u00e9cho \u00e0 Rimbaud, r\u00e9sume ce que l\u2019on pourrait appeler la po\u00e9tique de la possession. L\u2019\u00e9criture devient un champ de tensions o\u00f9 la voix du narrateur est troubl\u00e9e, hant\u00e9e par ce qui la d\u00e9passe. C\u2019est ce que l\u2019on retrouve dans *Lambeaux* de Charles Juliet, o\u00f9 la parole oscille entre la voix de l\u2019auteur et celle de sa m\u00e8re disparue. Le texte est travers\u00e9 par une autre conscience, comme si l\u2019acte d\u2019\u00e9crire relevait d\u2019une forme de spiritisme. De m\u00eame, dans *Sombre dimanche* d\u2019Alice Zeniter, les g\u00e9n\u00e9rations se superposent, les voix s\u2019entrelacent jusqu\u2019\u00e0 faire vaciller l\u2019identit\u00e9 des personnages. Ce trouble de l\u2019\u00e9nonciation ne rel\u00e8ve pas d\u2019un simple proc\u00e9d\u00e9 stylistique : il met en crise la notion m\u00eame d\u2019auteur. Dans *Les Ann\u00e9es* d\u2019Annie Ernaux, le \u00ab je \u00bb dispara\u00eet au profit d\u2019un \u00ab nous \u00bb o\u00f9 l\u2019intime se m\u00eale au collectif. Le texte est poss\u00e9d\u00e9 par les voix d\u2019une \u00e9poque, d\u2019une g\u00e9n\u00e9ration. La m\u00e9moire individuelle devient une m\u00e9moire travers\u00e9e. ### **Traduire, r\u00e9\u00e9crire : la possession en acte** La possession ne concerne pas seulement l\u2019\u00e9nonciation, mais aussi la r\u00e9\u00e9criture et la traduction. Traduire, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 alt\u00e9rer, habiter un texte \u00e9tranger et le transformer. C\u2019est ce que revendique Claro dans ses traductions de Vollmann ou de Pynchon : ne pas chercher \u00e0 restituer fid\u00e8lement, mais accepter la contamination du texte d\u2019origine par la langue d\u2019arriv\u00e9e. La r\u00e9\u00e9criture fonctionne sur le m\u00eame mode. Un texte en parasite un autre, le modifie, l\u2019investit. Dans *\u00c9crire* de Marguerite Duras, l\u2019autrice revient sans cesse sur les m\u00eames \u00e9pisodes, comme si son propre texte lui \u00e9chappait, lui revenait sous une autre forme. De m\u00eame, dans *Un Mage en \u00e9t\u00e9* d\u2019Olivier Cadiot, la narration semble hant\u00e9e par d\u2019autres \u0153uvres, d\u2019autres formes, comme si l\u2019\u00e9criture \u00e9tait toujours une appropriation, une transformation du d\u00e9j\u00e0-l\u00e0. Dans cette logique, l\u2019\u00e9crivain n\u2019est pas un cr\u00e9ateur absolu, mais un m\u00e9dium. Il capte des voix, les transpose, les fait r\u00e9sonner autrement. Son texte n\u2019est jamais clos : il est un champ de forces en perp\u00e9tuelle mutation. ### **Possession et soci\u00e9t\u00e9 : une question politique** Mais la possession ne concerne pas que l\u2019\u00e9criture : elle est aussi un r\u00e9v\u00e9lateur social. Qui poss\u00e8de la parole ? Qui en est d\u00e9poss\u00e9d\u00e9 ? Dans les rituels vaudous, le corps du poss\u00e9d\u00e9 devient le lieu d\u2019une parole qui lui \u00e9chappe. Il en va de m\u00eame en litt\u00e9rature : certaines voix sont consid\u00e9r\u00e9es comme l\u00e9gitimes, d\u2019autres sont marginalis\u00e9es. Dans *Tram 83* de Fiston Mwanza Mujila, la langue elle-m\u00eame est travaill\u00e9e par la possession : elle absorbe les slogans, les discours politiques, les bribes de conversations. Le texte devient une polyphonie chaotique o\u00f9 la parole dominante se heurte \u00e0 celles des laiss\u00e9s-pour-compte. De m\u00eame, dans *Autoportrait en noir et blanc* de Jesmyn Ward, la narratrice est travers\u00e9e par l\u2019Histoire et ses fant\u00f4mes : la m\u00e9moire de l\u2019esclavage, les r\u00e9cits familiaux, les voix des disparus hantent le texte, jusqu\u2019\u00e0 rendre poreuse la fronti\u00e8re entre pass\u00e9 et pr\u00e9sent. Aujourd\u2019hui, la possession n\u2019est plus seulement un ph\u00e9nom\u00e8ne occulte : elle est une grille de lecture du monde. \u00c0 l\u2019\u00e8re du num\u00e9rique, nos discours sont infiltr\u00e9s par des algorithmes, nos mots pr\u00e9d\u00e9termin\u00e9s par des formules automatiques. L\u2019\u00e9criture elle-m\u00eame est contamin\u00e9e par ces voix ext\u00e9rieures, qu\u2019il s\u2019agisse de discours m\u00e9diatiques ou de boucles de langage sur les r\u00e9seaux sociaux. ### **Conclusion : \u00e9crire sous emprise** \u00c9crire aujourd\u2019hui, c\u2019est accepter cette d\u00e9possession. Ce n\u2019est plus construire une voix unique, mais composer avec une polyphonie qui nous d\u00e9passe. L\u2019\u00e9crivain contemporain n\u2019est pas ma\u00eetre de son texte : il est travers\u00e9 par des forces qui lui \u00e9chappent. Cette contamination du texte par l\u2019ext\u00e9rieur n\u2019est pas une perte : elle est une ouverture. Elle permet de penser l\u2019\u00e9criture comme un espace de r\u00e9sonance, o\u00f9 se croisent des voix, des m\u00e9moires, des h\u00e9ritages. La possession n\u2019est pas un enfermement : elle est un mode d\u2019\u00e9criture, une mani\u00e8re d\u2019habiter le monde autrement. Dans ce th\u00e9\u00e2tre hant\u00e9 qu\u2019est la litt\u00e9rature contemporaine, l\u2019auteur ne poss\u00e8de plus sa langue. Il accepte d\u2019\u00eatre poss\u00e9d\u00e9 par elle. 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\n\n \n\t\tFrank Stella, le minimalisme des années 60<\/a>\n
\n\t
Frank Stella, le minimalisme des ann\u00e9es 60\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La vitre, l\u00e9g\u00e8rement trouble, laisse deviner l’int\u00e9rieur d’une pi\u00e8ce exigu\u00eb. Dans ce cadre \u00e9troit, un homme est assis devant la lueur bleut\u00e9e d’un \u00e9cran d’ordinateur. Sa silhouette massive occupe presque tout l’espace. Le haut du cr\u00e2ne, d\u00e9garni, capte parfois un reflet de la lumi\u00e8re ext\u00e9rieure.
\nImmobile, il fixe l’\u00e9cran. Seule sa poitrine se soul\u00e8ve au rythme d’une respiration lente, presque imperceptible. Puis ses mains s’animent soudain sur le clavier, comme r\u00e9pondant \u00e0 une impulsion invisible.
\nUn bruit, peut-\u00eatre, ou un mouvement dans la rue, d\u00e9tourne bri\u00e8vement son attention. Son visage p\u00e2le se tourne vers la fen\u00eatre. Les traits sont creus\u00e9s, le regard absent - celui d’un homme qui a travers\u00e9 trop de nuits blanches. L’instant d’apr\u00e8s, d\u00e9j\u00e0, il replonge dans la lumi\u00e8re artificielle de son \u00e9cran.
\n\u00c0 l’aube, une lampe s’\u00e9teint, ne laissant que la lueur bleut\u00e9e de l’\u00e9cran. \u00c0 travers la vitre sale, ce point de lueur artificiel troue l’obscurit\u00e9. Dans le ciel, les cris des martinets s’\u00e9levent.. Un train au loin s’annon\u00e7e en gare, sa rumeur port\u00e9e par le vent jusqu’aux abords du village. L’horloge de la place de l’\u00e9glise sonne sept heures, puis les derniers relents de la nuit sont balay\u00e9s par le fracas de la benne \u00e0 ordures.
\n\u00c0 midi, les bruits s’att\u00e9nuent. Par les fen\u00eatres ouvertes s’\u00e9chappent des tintements de vaisselle, des bribes de radio, des \u00e9chos de t\u00e9l\u00e9vision. Une m\u00e8re appelle ses enfants pour le repas, sa voix r\u00e9sonne dans l’air immobile. Un chien traverse la grand-rue d\u00e9serte, son ombre ramass\u00e9e sous lui glisse sur le sol, mais il file sans s’y attarder, dispara\u00eet dans une impasse. Le vent apporte l’annonce lointaine du retard du train de Marseille, quinze minutes. Une odeur de poisson frit monte de la rue, envahit la pi\u00e8ce.
\nLa luminosit\u00e9 faiblit. Les derniers cris des martinets disparaissent derri\u00e8re la silhouette des toits de tuile. P\u00e9tarade de la moto d’un voisin qui rentre du travail. Quelqu’un \u00e0 une fen\u00eatre secoue une nappe ou un drap puis referme celle-ci. Bruit caract\u00e9ristique d’un rideau \u00e9lectrique qui tombe doucement devant la devanture d’un commerce. Une odeur sucr\u00e9e monte des jardins alentours, celle des fruits oubli\u00e9s sur leurs branches, de l’humus des terres retourn\u00e9es. Tout \u00e0 l’heure, les r\u00e9verb\u00e8res s’allumeront l’un apr\u00e8s l’autre et ce sera la nuit.<\/p>\n

Dormi deux heures. Mille guerres. Sensation de fatigue. Paupi\u00e8res lourdes. Moral dans les chaussettes. Le caf\u00e9 percole audible depuis l’\u00e9tage. S. est d\u00e9j\u00e0 r\u00e9veill\u00e9e. L’odeur du caf\u00e9 parvient au nez. Presque d\u00e9j\u00e0 le go\u00fbt. Amer.
\nLe caf\u00e9 percole doucement bas dans la cuisine. S. est d\u00e9j\u00e0 r\u00e9veill\u00e9e, elle a d\u00e9j\u00e0 mis trois machines en route et se pr\u00e9pare \u00e0 allumer le transistor sur la table de la cuisine.<\/p>\n

Voil\u00e0 une chose importante, j’aime la simplicit\u00e9. Dire le plus de choses en le moins de mots possibles.<\/p>", "content_text": "La vitre, l\u00e9g\u00e8rement trouble, laisse deviner l'int\u00e9rieur d'une pi\u00e8ce exigu\u00eb. Dans ce cadre \u00e9troit, un homme est assis devant la lueur bleut\u00e9e d'un \u00e9cran d'ordinateur. Sa silhouette massive occupe presque tout l'espace. Le haut du cr\u00e2ne, d\u00e9garni, capte parfois un reflet de la lumi\u00e8re ext\u00e9rieure. Immobile, il fixe l'\u00e9cran. Seule sa poitrine se soul\u00e8ve au rythme d'une respiration lente, presque imperceptible. Puis ses mains s'animent soudain sur le clavier, comme r\u00e9pondant \u00e0 une impulsion invisible. Un bruit, peut-\u00eatre, ou un mouvement dans la rue, d\u00e9tourne bri\u00e8vement son attention. Son visage p\u00e2le se tourne vers la fen\u00eatre. Les traits sont creus\u00e9s, le regard absent - celui d'un homme qui a travers\u00e9 trop de nuits blanches. L'instant d'apr\u00e8s, d\u00e9j\u00e0, il replonge dans la lumi\u00e8re artificielle de son \u00e9cran. \u00c0 l'aube, une lampe s'\u00e9teint, ne laissant que la lueur bleut\u00e9e de l'\u00e9cran. \u00c0 travers la vitre sale, ce point de lueur artificiel troue l'obscurit\u00e9. Dans le ciel, les cris des martinets s'\u00e9levent.. Un train au loin s'annon\u00e7e en gare, sa rumeur port\u00e9e par le vent jusqu'aux abords du village. L'horloge de la place de l'\u00e9glise sonne sept heures, puis les derniers relents de la nuit sont balay\u00e9s par le fracas de la benne \u00e0 ordures. \u00c0 midi, les bruits s'att\u00e9nuent. Par les fen\u00eatres ouvertes s'\u00e9chappent des tintements de vaisselle, des bribes de radio, des \u00e9chos de t\u00e9l\u00e9vision. Une m\u00e8re appelle ses enfants pour le repas, sa voix r\u00e9sonne dans l'air immobile. Un chien traverse la grand-rue d\u00e9serte, son ombre ramass\u00e9e sous lui glisse sur le sol, mais il file sans s'y attarder, dispara\u00eet dans une impasse. Le vent apporte l'annonce lointaine du retard du train de Marseille, quinze minutes. Une odeur de poisson frit monte de la rue, envahit la pi\u00e8ce. La luminosit\u00e9 faiblit. Les derniers cris des martinets disparaissent derri\u00e8re la silhouette des toits de tuile. P\u00e9tarade de la moto d'un voisin qui rentre du travail. Quelqu'un \u00e0 une fen\u00eatre secoue une nappe ou un drap puis referme celle-ci. Bruit caract\u00e9ristique d'un rideau \u00e9lectrique qui tombe doucement devant la devanture d'un commerce. Une odeur sucr\u00e9e monte des jardins alentours, celle des fruits oubli\u00e9s sur leurs branches, de l'humus des terres retourn\u00e9es. Tout \u00e0 l'heure, les r\u00e9verb\u00e8res s'allumeront l'un apr\u00e8s l'autre et ce sera la nuit. Dormi deux heures. Mille guerres. Sensation de fatigue. Paupi\u00e8res lourdes. Moral dans les chaussettes. Le caf\u00e9 percole audible depuis l'\u00e9tage. S. est d\u00e9j\u00e0 r\u00e9veill\u00e9e. L'odeur du caf\u00e9 parvient au nez. Presque d\u00e9j\u00e0 le go\u00fbt. Amer. Le caf\u00e9 percole doucement bas dans la cuisine. S. est d\u00e9j\u00e0 r\u00e9veill\u00e9e, elle a d\u00e9j\u00e0 mis trois machines en route et se pr\u00e9pare \u00e0 allumer le transistor sur la table de la cuisine. Voil\u00e0 une chose importante, j'aime la simplicit\u00e9. Dire le plus de choses en le moins de mots possibles. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/frank-stella-art-minimaliste-1967-1.jpg?1748065100", "tags": ["peintres", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-janvier-2025.html", "title": "29 janvier 2025", "date_published": "2025-01-29T20:50:09Z", "date_modified": "2025-01-29T20:50:21Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

C’est difficile dans un journal d’aller directement \u00e0 l’essentiel. En g\u00e9n\u00e9ral je prends consid\u00e9rablement le temps de louvoyer. Comme pour retarder l’explosion d’un p\u00e9tard \u00e0 m\u00e8che. Aussi je ne vais pas y aller par quatre chemins. J’ai eu 65 ans aujourd’hui.
\nNous avons pris la voiture pour aller \u00e0 Saint-\u00c9tienne. Pass\u00e9s par Condrieu, puis la petite route qui serpente en passant par les collines, les plateaux vers Rive-de-Gier. Temps splendide. S. avait r\u00e9serv\u00e9 un restaurant pour l’occasion. Mais parvenu dans la ville, impossible de s’orienter. Nos deux GPS en panne. Vers 13h nous avons d\u00e9cid\u00e9 d’annuler la r\u00e9servation et de rebrousser chemin. Au moment o\u00f9 nous cherchions \u00e0 sortir de la ville on tombe sur l’adresse du restaurant. Mais on ne s’est pas arr\u00eat\u00e9. Le patron \u00e9tait furieux au t\u00e9l\u00e9phone. Il a dit qu’il avait refus\u00e9 du monde parce qu’on avait r\u00e9serv\u00e9. J’ai pens\u00e9 \u00e0 toute la malchance qui s’accumulait ces derniers jours. J’ai aussi pens\u00e9 baraque de merde, bagnole de merde, portables de merde, vie de merde. Puis j’ai pris une nicotinelle 2mg et je n’ai plus rien dit jusqu’\u00e0 l’Intermarch\u00e9 o\u00f9 j’ai pu \u00e9changer ma bouteille de gaz puisque j’avais pris la pr\u00e9caution de mettre la consigne dans le coffre de la Dacia. En avons profit\u00e9 pour faire quelques emplettes. Les R. passeront vendredi pour prendre l’ap\u00e9ritif. D’ailleurs les premiers \u00e0 m’envoyer un SMS pour me souhaiter un « bon anniversaire » ce matin.
\nIl a fait beau toute la journ\u00e9e. Je me suis demand\u00e9 s’il avait fait beau comme \u00e7a le 29 janvier 1960. Si j’avais vu le ciel bleu dans ma chambre d’h\u00f4pital au fond de ma couveuse. Puis d’imaginer mes tous premiers pas, mes tous premiers mots, comme si la vie ce jour anniversaire pouvait reprendre comme au d\u00e9but. J’ai m\u00eame senti quelque chose dans l’air, comme un parfum de renouveau, printanier, puis je me suis souvenu que j’avais 65 ans et j’ai dit que je reviendrai demain matin pour d\u00e9charger la bouteille de gaz, on avait d\u00e9j\u00e0 les sacs des courses \u00e0 porter.<\/p>", "content_text": "C'est difficile dans un journal d'aller directement \u00e0 l'essentiel. En g\u00e9n\u00e9ral je prends consid\u00e9rablement le temps de louvoyer. Comme pour retarder l'explosion d'un p\u00e9tard \u00e0 m\u00e8che. Aussi je ne vais pas y aller par quatre chemins. J'ai eu 65 ans aujourd'hui. Nous avons pris la voiture pour aller \u00e0 Saint-\u00c9tienne. Pass\u00e9s par Condrieu, puis la petite route qui serpente en passant par les collines, les plateaux vers Rive-de-Gier. Temps splendide. S. avait r\u00e9serv\u00e9 un restaurant pour l'occasion. Mais parvenu dans la ville, impossible de s'orienter. Nos deux GPS en panne. Vers 13h nous avons d\u00e9cid\u00e9 d'annuler la r\u00e9servation et de rebrousser chemin. Au moment o\u00f9 nous cherchions \u00e0 sortir de la ville on tombe sur l'adresse du restaurant. Mais on ne s'est pas arr\u00eat\u00e9. Le patron \u00e9tait furieux au t\u00e9l\u00e9phone. Il a dit qu'il avait refus\u00e9 du monde parce qu'on avait r\u00e9serv\u00e9. J'ai pens\u00e9 \u00e0 toute la malchance qui s'accumulait ces derniers jours. J'ai aussi pens\u00e9 baraque de merde, bagnole de merde, portables de merde, vie de merde. Puis j'ai pris une nicotinelle 2mg et je n'ai plus rien dit jusqu'\u00e0 l'Intermarch\u00e9 o\u00f9 j'ai pu \u00e9changer ma bouteille de gaz puisque j'avais pris la pr\u00e9caution de mettre la consigne dans le coffre de la Dacia. En avons profit\u00e9 pour faire quelques emplettes. Les R. passeront vendredi pour prendre l'ap\u00e9ritif. D'ailleurs les premiers \u00e0 m'envoyer un SMS pour me souhaiter un \"bon anniversaire\" ce matin. Il a fait beau toute la journ\u00e9e. Je me suis demand\u00e9 s'il avait fait beau comme \u00e7a le 29 janvier 1960. Si j'avais vu le ciel bleu dans ma chambre d'h\u00f4pital au fond de ma couveuse. Puis d'imaginer mes tous premiers pas, mes tous premiers mots, comme si la vie ce jour anniversaire pouvait reprendre comme au d\u00e9but. J'ai m\u00eame senti quelque chose dans l'air, comme un parfum de renouveau, printanier, puis je me suis souvenu que j'avais 65 ans et j'ai dit que je reviendrai demain matin pour d\u00e9charger la bouteille de gaz, on avait d\u00e9j\u00e0 les sacs des courses \u00e0 porter. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/petards-allume-1024x745.webp?1748065068", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-janvier-2025.html", "title": "28 janvier 2025", "date_published": "2025-01-28T20:44:55Z", "date_modified": "2025-01-28T20:46:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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L’hyst\u00e9rie est palpable sur les r\u00e9seaux sociaux. J’y plonge cinq minutes et j’ai des envies de meurtres. Par exemple, je tombe surun article comme celui-l\u00e0<\/a>et je fais le rapprochement avec les tr\u00e8s faibles \u00e9moluments qu’on me promet bient\u00f4t. Tour de passe-passe : il y a trois mois, on me disait 4000 euros en une fois et basta ; maintenant que j’ai pay\u00e9 toutes mes dettes, je passe \u00e0 1000 et casse-toi. Cela fait vingt ans de cotisations, oh pas la plus haute tranche, un petit prof ne peut pas s’offrir une retraite dor\u00e9e, et je ne suis pas encore le plus \u00e0 plaindre. Ce syst\u00e8me lib\u00e9ral nous a ruin\u00e9s, veut qu’on cr\u00e8ve le plus vite possible ; quand ce n’est pas avec du vent dans les seringues, c’est par p\u00e9nurie, par lassitude qu’ils nous auront.<\/p>\n

Voil\u00e0, certainement un r\u00e9sidu de cet \u00e9tat dans lequel on sort de cette bo\u00eete \u00e0 merde.
\nJe ne sais m\u00eame pas pourquoi j’y vais. Ah oui, pour partager mes textes. J’allais oublier.
\nJe m’en fous, je vais bient\u00f4t mourir.<\/p>\n

Hier, j’ai vu un squelette de 75 000 ans, un squelette de femme n\u00e9andertalienne, tranquille, au fond d’une grotte profonde. J’ai pens\u00e9 : que de merveilles et d’\u00e9pouvantes vont encore se produire dans les 75 000 prochaines ann\u00e9es. Et nous, morts, enfouis, oubli\u00e9s, \u00e7a nous la baillera belle. Il faut prier pour qu’un cr\u00e9tin ne vienne pas gratter les s\u00e9pultures et se mette \u00e0 supputer sur nos existences de merde au XXIe si\u00e8cle. Le gars en sera d’une bonne d\u00e9prime si \u00e7a existe encore d’ici l\u00e0, si l’humain n’a pas r\u00e9ussi \u00e0 tout faire p\u00e9ter en feu d’artifice - il en est fort capable.<\/p>\n

J’essaie de me calmer mais j’ai la bave aux l\u00e8vres.<\/p>\n

J’ai pass\u00e9 ma journ\u00e9e \u00e0 coder encore une fois. Mais au moins \u00e7a valait le coup, je n’ai eu affaire qu’\u00e0 moi-m\u00eame, j’ai pu m’insulter copieusement, int\u00e9rieurement car N. \u00e9tait encore sur son plafond. On se croise \u00e0 peine, bonjour bonsoir, tu veux un caf\u00e9, oui, non. C’est un taiseux, comme moi dans le fond.<\/p>\n

Je me suis rendu compte que je n’ai strictement rien compris \u00e0 la notion de mot-cl\u00e9, je les ai distribu\u00e9s comme \u00e7a me chantait. Pour moi, un mot-cl\u00e9 comme une clef de sol, de la musique. Mais non, bougre de cr\u00e9tin, un mot-cl\u00e9 c’est pour l’algorithme, pour le meilleur confort utilisateur. J’emmerde le meilleur confort utilisateur.<\/p>", "content_text": " L'hyst\u00e9rie est palpable sur les r\u00e9seaux sociaux. J'y plonge cinq minutes et j'ai des envies de meurtres. Par exemple, je tombe sur[ un article comme celui-l\u00e0 ->https:\/\/www.cipav.info\/actualites\/infos-externes\/article-libe-cipav-franc-maconnerie-affairiste-corruption-commissions-occultes-la-justice-epingle-la-caisse-de-retraite.html]et je fais le rapprochement avec les tr\u00e8s faibles \u00e9moluments qu'on me promet bient\u00f4t. Tour de passe-passe : il y a trois mois, on me disait 4000 euros en une fois et basta ; maintenant que j'ai pay\u00e9 toutes mes dettes, je passe \u00e0 1000 et casse-toi. Cela fait vingt ans de cotisations, oh pas la plus haute tranche, un petit prof ne peut pas s'offrir une retraite dor\u00e9e, et je ne suis pas encore le plus \u00e0 plaindre. Ce syst\u00e8me lib\u00e9ral nous a ruin\u00e9s, veut qu'on cr\u00e8ve le plus vite possible ; quand ce n'est pas avec du vent dans les seringues, c'est par p\u00e9nurie, par lassitude qu'ils nous auront. Voil\u00e0, certainement un r\u00e9sidu de cet \u00e9tat dans lequel on sort de cette bo\u00eete \u00e0 merde. Je ne sais m\u00eame pas pourquoi j'y vais. Ah oui, pour partager mes textes. J'allais oublier. Je m'en fous, je vais bient\u00f4t mourir. Hier, j'ai vu un squelette de 75 000 ans, un squelette de femme n\u00e9andertalienne, tranquille, au fond d'une grotte profonde. J'ai pens\u00e9 : que de merveilles et d'\u00e9pouvantes vont encore se produire dans les 75 000 prochaines ann\u00e9es. Et nous, morts, enfouis, oubli\u00e9s, \u00e7a nous la baillera belle. Il faut prier pour qu'un cr\u00e9tin ne vienne pas gratter les s\u00e9pultures et se mette \u00e0 supputer sur nos existences de merde au XXIe si\u00e8cle. Le gars en sera d'une bonne d\u00e9prime si \u00e7a existe encore d'ici l\u00e0, si l'humain n'a pas r\u00e9ussi \u00e0 tout faire p\u00e9ter en feu d'artifice - il en est fort capable. J'essaie de me calmer mais j'ai la bave aux l\u00e8vres. J'ai pass\u00e9 ma journ\u00e9e \u00e0 coder encore une fois. Mais au moins \u00e7a valait le coup, je n'ai eu affaire qu'\u00e0 moi-m\u00eame, j'ai pu m'insulter copieusement, int\u00e9rieurement car N. \u00e9tait encore sur son plafond. On se croise \u00e0 peine, bonjour bonsoir, tu veux un caf\u00e9, oui, non. C'est un taiseux, comme moi dans le fond. Je me suis rendu compte que je n'ai strictement rien compris \u00e0 la notion de mot-cl\u00e9, je les ai distribu\u00e9s comme \u00e7a me chantait. Pour moi, un mot-cl\u00e9 comme une clef de sol, de la musique. Mais non, bougre de cr\u00e9tin, un mot-cl\u00e9 c'est pour l'algorithme, pour le meilleur confort utilisateur. J'emmerde le meilleur confort utilisateur.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1714641729_tiet-lo-khuon-mat-cua-nguoi-phu-nu-neanderthal-75000.webp?1748065130", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-janvier-2025.html", "title": "27 janvier 2025", "date_published": "2025-01-27T09:50:28Z", "date_modified": "2025-04-27T23:59:40Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Le vol des id\u00e9es. Un concept absurde, presque grotesque, et pourtant terriblement obs\u00e9dant. Depuis que P.M., un auteur que je lis en ligne, a \u00e9voqu\u00e9 ce pincement au c\u0153ur en d\u00e9couvrant un ouvrage « jumeau » du sien, cette question me hante : peut-on r\u00e9ellement poss\u00e9der une id\u00e9e ? Et pire, peut-on se la faire voler ? \u00c0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, je n\u2019en suis pas s\u00fbr. Les id\u00e9es ne nous appartiennent jamais. Ce sont des oiseaux volages, des coucous . Les id\u00e9es nichent un temps dans nos cr\u00e2nes avant de s\u2019envoler ailleurs si on ne les retient pas. Il faut ajouter \u00e0 cela la course \u00e0 l’\u00e9chalotte collective, bien \u00e9videmment.<\/p>\n

J\u2019ai v\u00e9cu cette trahison. Une fois, en librairie, je suis tomb\u00e9 sur un roman sign\u00e9 J.O., un auteur dont je suis sporadiquement le blog. M\u00eame th\u00e8me, m\u00eame obsession sur la possession. Pendant une seconde, j\u2019ai eu envie de crier au plagiat. Mais quoi ? Les id\u00e9es n\u2019appartiennent \u00e0 personne. Elles voyagent, elles nous trahissent. Leur nature est infid\u00e8le, comme le reste. Il faut \u00eatre na\u00eff pour croire qu\u2019on peut les retenir, les breveter ou les enfermer.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, pendant que N. tape sur le plafond de la cuisine pour tenter de r\u00e9parer cette maison en ruine qui nous ruine \u2013 litt\u00e9ralement \u2013, je rumine tout \u00e7a. Chaque coup de racloir r\u00e9sonne comme un rappel cruel : cette maison est un gouffre. Financier, \u00e9motionnel. Une prison que je partage avec S., qui veut s\u2019obstiner \u00e0 rester. Moi, je r\u00eave de fuite. Alaska. Une cabane au bord du monde, loin de tout. Hier soir, j\u2019ai os\u00e9 le dire : « Et si on vendait ? » L\u2019id\u00e9e m\u2019a sembl\u00e9 \u00e9vidente, limpide. Mais S. s\u2019y oppose, avec ses ancrages, ses obligations, cette id\u00e9e qu\u2019on ne peut pas tout l\u00e2cher. Alors j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 une phrase cruelle : « Fifty-fifty, on vend, je te donne la moiti\u00e9, et basta. » Je ne pensais pas pouvoir aller aussi loin, mais c\u2019\u00e9tait sinc\u00e8re.<\/p>\n

La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que je glisse d\u00e9j\u00e0. Vers o\u00f9 ? Je n\u2019en sais rien. Une solitude plus profonde, peut-\u00eatre. Une sorte de n\u00e9ant int\u00e9rieur. Les relations humaines me semblent de plus en plus superficielles, presque d\u00e9coratives. La vraie bataille, elle, se joue ailleurs. Dedans.<\/p>\n

La d\u00e9pression est l\u00e0, fid\u00e8le, tapie. Elle n\u2019a rien d\u2019extraordinaire, rien de spectaculaire. Une « m\u00e9lancolie administrative », comme je l\u2019appelle. Elle revient par vagues, r\u00e9guli\u00e8res, in\u00e9vitables, comme un chien qu\u2019on a essay\u00e9 de perdre mais qui retrouve toujours sa route. Je n\u2019ai jamais eu besoin de drogues ou de stimulants pour voir les abysses : ils sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, dans chaque putain de minute. Vieillir n\u2019aide pas. Les ann\u00e9es s\u2019empilent comme des couches de poussi\u00e8re, et avec elles, l\u2019obsession idiote de r\u00e9ussir, comme si c\u2019\u00e9tait encore possible de renverser le cours des choses. Mais on ne contr\u00f4le rien. La vie, les \u00e9checs, les humiliations \u2013 tout \u00e7a nous tombe dessus, implacable.<\/p>\n

Dans ce chaos, il y a l\u2019\u00e9criture. Pas celle qui cherche la reconnaissance ou la gloire \u2013 cette ambition-l\u00e0 s\u2019efface avec le temps. L\u2019\u00e9criture, pour moi, c\u2019est juste respirer. Un acte en soi. \u00c9crire pour exister, pour donner forme \u00e0 l\u2019informe. Mais m\u00eame \u00e7a, je le complique. J\u2019ai eu cette id\u00e9e idiote de digests mensuels \u00e0 partir de mes carnets : extraire des fragments, trier, ranger le chaos. Une entreprise absurde, sans fin. Peut-\u00eatre qu\u2019il suffirait d\u2019\u00e9crire « un petit peu chaque jour ». Pas de projets pharaoniques, pas d\u2019envol\u00e9es ambitieuses. Juste avancer. Lentement. M\u00e9thodiquement. Parce que, franchement, je n\u2019ai plus l\u2019\u00e9nergie pour autre chose.<\/p>\n

En attendant, j\u2019ai travaill\u00e9 sur janvier 2023. Parfois, huit textes dans une journ\u00e9e. Je les corrige, j\u2019extrais des mots-cl\u00e9s. Je vois des r\u00e9p\u00e9titions, des liens entre les fragments, mais je ne sais pas encore ce que \u00e7a signifie. L\u2019\u00e9criture, au fond, est \u00e0 la fois la maladie et le m\u00e9dicament. Hier, le « dibbouk » \u2013 ce spectre obs\u00e9dant qui hante mes pens\u00e9es \u2013 n\u2019est pas apparu. Pas une fois. Cela m\u2019a presque inqui\u00e9t\u00e9. Au petit matin, j\u2019ai eu une vision : un cercueil dans lequel m\u2019allonger, attendre la nuit. Mais le ciel bleu, vers neuf heures, a balay\u00e9 tout \u00e7a.<\/p>\n

\u00e7a pourrait \u00eatre le d\u00e9but d’une ficton, c’est probablement le d\u00e9but d’une fiction, le d\u00e9but de la fin.<\/p>", "content_text": "Le vol des id\u00e9es. Un concept absurde, presque grotesque, et pourtant terriblement obs\u00e9dant. Depuis que P.M., un auteur que je lis en ligne, a \u00e9voqu\u00e9 ce pincement au c\u0153ur en d\u00e9couvrant un ouvrage \"jumeau\" du sien, cette question me hante : peut-on r\u00e9ellement poss\u00e9der une id\u00e9e ? Et pire, peut-on se la faire voler ? \u00c0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, je n\u2019en suis pas s\u00fbr. Les id\u00e9es ne nous appartiennent jamais. Ce sont des oiseaux volages, des coucous . Les id\u00e9es nichent un temps dans nos cr\u00e2nes avant de s\u2019envoler ailleurs si on ne les retient pas. Il faut ajouter \u00e0 cela la course \u00e0 l'\u00e9chalotte collective, bien \u00e9videmment. J\u2019ai v\u00e9cu cette trahison. Une fois, en librairie, je suis tomb\u00e9 sur un roman sign\u00e9 J.O., un auteur dont je suis sporadiquement le blog. M\u00eame th\u00e8me, m\u00eame obsession sur la possession. Pendant une seconde, j\u2019ai eu envie de crier au plagiat. Mais quoi ? Les id\u00e9es n\u2019appartiennent \u00e0 personne. Elles voyagent, elles nous trahissent. Leur nature est infid\u00e8le, comme le reste. Il faut \u00eatre na\u00eff pour croire qu\u2019on peut les retenir, les breveter ou les enfermer. Aujourd\u2019hui, pendant que N. tape sur le plafond de la cuisine pour tenter de r\u00e9parer cette maison en ruine qui nous ruine \u2013 litt\u00e9ralement \u2013, je rumine tout \u00e7a. Chaque coup de racloir r\u00e9sonne comme un rappel cruel : cette maison est un gouffre. Financier, \u00e9motionnel. Une prison que je partage avec S., qui veut s\u2019obstiner \u00e0 rester. Moi, je r\u00eave de fuite. Alaska. Une cabane au bord du monde, loin de tout. Hier soir, j\u2019ai os\u00e9 le dire : \"Et si on vendait ?\" L\u2019id\u00e9e m\u2019a sembl\u00e9 \u00e9vidente, limpide. Mais S. s\u2019y oppose, avec ses ancrages, ses obligations, cette id\u00e9e qu\u2019on ne peut pas tout l\u00e2cher. Alors j\u2019ai l\u00e2ch\u00e9 une phrase cruelle : \"Fifty-fifty, on vend, je te donne la moiti\u00e9, et basta.\" Je ne pensais pas pouvoir aller aussi loin, mais c\u2019\u00e9tait sinc\u00e8re. La v\u00e9rit\u00e9, c\u2019est que je glisse d\u00e9j\u00e0. Vers o\u00f9 ? Je n\u2019en sais rien. Une solitude plus profonde, peut-\u00eatre. Une sorte de n\u00e9ant int\u00e9rieur. Les relations humaines me semblent de plus en plus superficielles, presque d\u00e9coratives. La vraie bataille, elle, se joue ailleurs. Dedans. La d\u00e9pression est l\u00e0, fid\u00e8le, tapie. Elle n\u2019a rien d\u2019extraordinaire, rien de spectaculaire. Une \"m\u00e9lancolie administrative\", comme je l\u2019appelle. Elle revient par vagues, r\u00e9guli\u00e8res, in\u00e9vitables, comme un chien qu\u2019on a essay\u00e9 de perdre mais qui retrouve toujours sa route. Je n\u2019ai jamais eu besoin de drogues ou de stimulants pour voir les abysses : ils sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0, dans chaque putain de minute. Vieillir n\u2019aide pas. Les ann\u00e9es s\u2019empilent comme des couches de poussi\u00e8re, et avec elles, l\u2019obsession idiote de r\u00e9ussir, comme si c\u2019\u00e9tait encore possible de renverser le cours des choses. Mais on ne contr\u00f4le rien. La vie, les \u00e9checs, les humiliations \u2013 tout \u00e7a nous tombe dessus, implacable. Dans ce chaos, il y a l\u2019\u00e9criture. Pas celle qui cherche la reconnaissance ou la gloire \u2013 cette ambition-l\u00e0 s\u2019efface avec le temps. L\u2019\u00e9criture, pour moi, c\u2019est juste respirer. Un acte en soi. \u00c9crire pour exister, pour donner forme \u00e0 l\u2019informe. Mais m\u00eame \u00e7a, je le complique. J\u2019ai eu cette id\u00e9e idiote de digests mensuels \u00e0 partir de mes carnets : extraire des fragments, trier, ranger le chaos. Une entreprise absurde, sans fin. Peut-\u00eatre qu\u2019il suffirait d\u2019\u00e9crire \"un petit peu chaque jour\". Pas de projets pharaoniques, pas d\u2019envol\u00e9es ambitieuses. Juste avancer. Lentement. M\u00e9thodiquement. Parce que, franchement, je n\u2019ai plus l\u2019\u00e9nergie pour autre chose. En attendant, j\u2019ai travaill\u00e9 sur janvier 2023. Parfois, huit textes dans une journ\u00e9e. Je les corrige, j\u2019extrais des mots-cl\u00e9s. Je vois des r\u00e9p\u00e9titions, des liens entre les fragments, mais je ne sais pas encore ce que \u00e7a signifie. L\u2019\u00e9criture, au fond, est \u00e0 la fois la maladie et le m\u00e9dicament. Hier, le \"dibbouk\" \u2013 ce spectre obs\u00e9dant qui hante mes pens\u00e9es \u2013 n\u2019est pas apparu. Pas une fois. Cela m\u2019a presque inqui\u00e9t\u00e9. Au petit matin, j\u2019ai eu une vision : un cercueil dans lequel m\u2019allonger, attendre la nuit. Mais le ciel bleu, vers neuf heures, a balay\u00e9 tout \u00e7a. \u00e7a pourrait \u00eatre le d\u00e9but d'une ficton, c'est probablement le d\u00e9but d'une fiction, le d\u00e9but de la fin. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/vue-aerienne-des-paysages-enneiges-dalaska-adobe-stock-39879.jpg?1748065096", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-janvier-2025.html", "title": "26 janvier 2025", "date_published": "2025-01-26T11:37:20Z", "date_modified": "2025-02-17T02:22:10Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

R\u00e9veil \u00e0 11h. Pass\u00e9 la nuit \u00e0 retravailler des textes, \u00e0 m’arracher quelques poils du nez ou des oreilles pour tenter de comprendre ce que je voulais dire. Des voix venues d’un tr\u00e9fonds insondable, abscons. Mais qu’il faut respecter malgr\u00e9 cela. Il faut tout respecter, m\u00eame ce qui se pr\u00e9sente comme l’irrespectuosit\u00e9 flagrante. Non pas dans cette sorte de servilit\u00e9 abominable qu’affichent les collabos malgr\u00e9 eux, encore qu’elle soit respectable aussi, si l’on veut. \u00c0 condition de le vouloir, d’\u00eatre en suffisamment bonne forme, d’avoir bu un caf\u00e9 fort et sans sucre, amer, et d’\u00eatre pr\u00eat \u00e0 affronter le vaste ciel bleu qui s’\u00e9tend au-dessus de la ville.
\nIl y a dans l’auto-sabotage une forme de joie sauvage qui peut prendre la place de la m\u00e9lancolie pathologique.
\nCe que permet le r\u00e9seau social, cette mise en sc\u00e8ne de l’auto-sabotage, est-elle un acte purement narcissique ou un acte de r\u00e9sistance, de r\u00e9volte ? Pas \u00e0 toi de le dire. Il faut sans doute ne pas vouloir le savoir pour poursuivre. L’algorithme en perd son latin et toi, tu apprends la d\u00e9clinaison.<\/p>", "content_text": "R\u00e9veil \u00e0 11h. Pass\u00e9 la nuit \u00e0 retravailler des textes, \u00e0 m'arracher quelques poils du nez ou des oreilles pour tenter de comprendre ce que je voulais dire. Des voix venues d'un tr\u00e9fonds insondable, abscons. Mais qu'il faut respecter malgr\u00e9 cela. Il faut tout respecter, m\u00eame ce qui se pr\u00e9sente comme l'irrespectuosit\u00e9 flagrante. Non pas dans cette sorte de servilit\u00e9 abominable qu'affichent les collabos malgr\u00e9 eux, encore qu'elle soit respectable aussi, si l'on veut. \u00c0 condition de le vouloir, d'\u00eatre en suffisamment bonne forme, d'avoir bu un caf\u00e9 fort et sans sucre, amer, et d'\u00eatre pr\u00eat \u00e0 affronter le vaste ciel bleu qui s'\u00e9tend au-dessus de la ville. Il y a dans l'auto-sabotage une forme de joie sauvage qui peut prendre la place de la m\u00e9lancolie pathologique. Ce que permet le r\u00e9seau social, cette mise en sc\u00e8ne de l'auto-sabotage, est-elle un acte purement narcissique ou un acte de r\u00e9sistance, de r\u00e9volte ? Pas \u00e0 toi de le dire. Il faut sans doute ne pas vouloir le savoir pour poursuivre. L'algorithme en perd son latin et toi, tu apprends la d\u00e9clinaison. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dall.e_2025-01-26_12.33_16_.webp?1748065089", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-janvier-2025.html", "title": "25 janvier 2025", "date_published": "2025-01-25T13:54:06Z", "date_modified": "2025-02-17T02:24:27Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

La saturation prend \u00e0 la gorge d\u00e8s l’ouverture d’un fil d’actualit\u00e9. Cinq milliards qu’ils sont maintenant, tous l\u00e0, \u00e0 scroller sans fin dans le fil des catastrophes. Le doigt qui glisse et l’\u0153il qui suit, m\u00e9canique bien huil\u00e9e de notre temps. Deux heures vingt-trois en moyenne qu’on y passe, \u00e0 s’intoxiquer de ces fragments de monde qui nous explosent \u00e0 la figure.<\/p>\n

Le cerveau est comme \u00e7a. Plus on lui balance du n\u00e9gatif, plus il en redemande. Circuit de la r\u00e9compense <\/i> qu’ils appellent \u00e7a, les scientifiques. On cherche la menace, on fouille dans les recoins sombres de l’actualit\u00e9. Comme si \u00e7a pouvait nous pr\u00e9parer au pire. Illusion de contr\u00f4le<\/i>, qu’ils disent.<\/p>\n

L’algorithme, lui, il conna\u00eet la chanson. Il te sert ce qui fait mal, ce qui choque, ce qui indigne. Plus tu cliques, plus il t’en donne. Huit personnes sur dix qui ne lisent que les titres, alors il faut que \u00e7a saigne d\u00e8s la premi\u00e8re ligne.<\/p>\n

Dans les t\u00eates, \u00e7a travaille. La fatigue informationnelle<\/i>, nouveau mal du si\u00e8cle. Le stress monte, l’anxi\u00e9t\u00e9 s’installe, la d\u00e9pression guette. On appelle \u00e7a le « doomscrolling<\/strong> » maintenant - ce besoin compulsif de plonger toujours plus profond dans les mauvaises nouvelles.<\/p>\n

Les chiffres sont l\u00e0 pour t\u00e9moigner. Huit minutes de moins cette ann\u00e9e , sur ces r\u00e9seaux. Comme si le corps, quelque part, commen\u00e7ait \u00e0 dire non. Mais c’est pas si simple de d\u00e9crocher quand la peur de rater quelque chose te tient par les tripes - la FOMO<\/strong> qu’ils appellent \u00e7a, ces sp\u00e9cialistes en acronymes.<\/p>\n

Et pendant ce temps-l\u00e0, la machine tourne \u00e0 plein r\u00e9gime. Des millions de textes, de vid\u00e9os, d’images qui d\u00e9ferlent chaque jour. L’attention, denr\u00e9e rare dans cet oc\u00e9an de stimuli. Tous se battent pour un bout de cerveau disponible, pour un clic, pour un like.<\/p>\n

La surcharge fait son \u0153uvre. Cognitive <\/i> qu’ils disent, les experts. Modification de la m\u00e9moire \u00e0 long terme, alt\u00e9ration du jugement, ind\u00e9cision. Le cerveau qui sature, qui dit stop, mais la main qui continue de scroller.<\/p>\n

Alors certains, ils commencent \u00e0 lever le pied. La JOMO <\/strong> - la joie de rater des trucs - nouveau mantra de ceux qui veulent reprendre leur souffle. Dix, vingt minutes par jour, pas plus. Se fixer des limites, comme un sevrage.<\/p>\n

Le paradoxe est l\u00e0 : plus on est connect\u00e9, plus on se sent seul. Plus on consomme d’infos, moins on comprend le monde. La saturation qui m\u00e8ne \u00e0 la paralysie, \u00e0 l’impuissance.<\/p>\n

Mais peut-\u00eatre que c’est \u00e7a, la vraie r\u00e9sistance : r\u00e9apprendre \u00e0 respirer entre les nouvelles. Laisser le temps au temps<\/strong>, comme on disait avant. Quand les \u00e9crans n’avaient pas encore aval\u00e9 nos vies. La saturation, elle nous guette tous. Mais peut-\u00eatre qu’il suffit parfois de lever les yeux, de regarder ailleurs. \n
— Le monde continue de tourner m\u00eame quand je ne scrolle pas- dites-le 20 fois le matin, comme un av\u00e9 Maria.<\/p>", "content_text": "La saturation prend \u00e0 la gorge d\u00e8s l'ouverture d'un fil d'actualit\u00e9. Cinq milliards qu'ils sont maintenant, tous l\u00e0, \u00e0 scroller sans fin dans le fil des catastrophes. Le doigt qui glisse et l'\u0153il qui suit, m\u00e9canique bien huil\u00e9e de notre temps. Deux heures vingt-trois en moyenne qu'on y passe, \u00e0 s'intoxiquer de ces fragments de monde qui nous explosent \u00e0 la figure. Le cerveau est comme \u00e7a. Plus on lui balance du n\u00e9gatif, plus il en redemande. {Circuit de la r\u00e9compense } qu'ils appellent \u00e7a, les scientifiques. On cherche la menace, on fouille dans les recoins sombres de l'actualit\u00e9. Comme si \u00e7a pouvait nous pr\u00e9parer au pire.{ Illusion de contr\u00f4le}, qu'ils disent. L'algorithme, lui, il conna\u00eet la chanson. Il te sert ce qui fait mal, ce qui choque, ce qui indigne. Plus tu cliques, plus il t'en donne. Huit personnes sur dix qui ne lisent que les titres, alors il faut que \u00e7a saigne d\u00e8s la premi\u00e8re ligne. Dans les t\u00eates, \u00e7a travaille.{ La fatigue informationnelle}, nouveau mal du si\u00e8cle. Le stress monte, l'anxi\u00e9t\u00e9 s'installe, la d\u00e9pression guette. On appelle \u00e7a le \"{{doomscrolling}}\" maintenant - ce besoin compulsif de plonger toujours plus profond dans les mauvaises nouvelles. Les chiffres sont l\u00e0 pour t\u00e9moigner. Huit minutes de moins cette ann\u00e9e , sur ces r\u00e9seaux. Comme si le corps, quelque part, commen\u00e7ait \u00e0 dire non. Mais c'est pas si simple de d\u00e9crocher quand la peur de rater quelque chose te tient par les tripes - la {{FOMO}} qu'ils appellent \u00e7a, ces sp\u00e9cialistes en acronymes. Et pendant ce temps-l\u00e0, la machine tourne \u00e0 plein r\u00e9gime. Des millions de textes, de vid\u00e9os, d'images qui d\u00e9ferlent chaque jour. L'attention, denr\u00e9e rare dans cet oc\u00e9an de stimuli. Tous se battent pour un bout de cerveau disponible, pour un clic, pour un like. La surcharge fait son \u0153uvre. {Cognitive } qu'ils disent, les experts. Modification de la m\u00e9moire \u00e0 long terme, alt\u00e9ration du jugement, ind\u00e9cision. Le cerveau qui sature, qui dit stop, mais la main qui continue de scroller. Alors certains, ils commencent \u00e0 lever le pied. La {{JOMO }} - la joie de rater des trucs - nouveau mantra de ceux qui veulent reprendre leur souffle. Dix, vingt minutes par jour, pas plus. Se fixer des limites, comme un sevrage. Le paradoxe est l\u00e0 : plus on est connect\u00e9, plus on se sent seul. Plus on consomme d'infos, moins on comprend le monde. La saturation qui m\u00e8ne \u00e0 la paralysie, \u00e0 l'impuissance. Mais peut-\u00eatre que c'est \u00e7a, la vraie r\u00e9sistance : r\u00e9apprendre \u00e0 respirer entre les nouvelles. {{Laisser le temps au temps}}, comme on disait avant. Quand les \u00e9crans n'avaient pas encore aval\u00e9 nos vies. La saturation, elle nous guette tous. Mais peut-\u00eatre qu'il suffit parfois de lever les yeux, de regarder ailleurs. \u2014Le monde continue de tourner m\u00eame quand je ne scrolle pas- dites-le 20 fois le matin, comme un av\u00e9 Maria.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/time-spent-on-social-in-a-lifetime-e1561189241356.png?1748065081", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9", "Esth\u00e9tique et Exp\u00e9rience Sensorielle"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-janvier-2025.html", "title": "24 janvier 2025", "date_published": "2025-01-24T07:18:24Z", "date_modified": "2025-02-17T01:42:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\tillustration Keith Thompson en noir et blanc d'une scène de Léviathan de Scott Westerfeld \n
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illustration de Keith Thompson du L\u00e9viathan de Scott Westerfied\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le simple fait du vivant impose de lui-m\u00eame le respect, qui est une forme de responsabilit\u00e9. Ce que L\u00e9vinas nomme la responsabilit\u00e9 \u00e9thique envers autrui, mais que l\u2019on peut \u00e9tendre \u00e0 la totalit\u00e9 du monde vivant. Le visage, en tant que tel, impose par r\u00e9flexe une obligation morale. Ce genre de responsabilit\u00e9 n\u2019est pas conditionn\u00e9 par la volont\u00e9, mais par l\u2019existence m\u00eame, par le fait que nous sommes des \u00eatres en relation, immerg\u00e9s dans un monde partag\u00e9. Mais ce respect, qui semble naturel, impose une tension : comment entrer en relation avec ce qui nous d\u00e9passe sans chercher \u00e0 l\u2019enfermer, sans le r\u00e9duire \u00e0 une forme ma\u00eetris\u00e9e\u202f ? L\u2019appel \u00e0 l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 vient-il de nous-m\u00eames, du monde, ou de ce que L\u00e9vinas nomme un visage\u202f ? Et, au fond, qu\u2019appelle-t-on un visage\u202f ? Ce mot, qui r\u00e9sonne avec une profondeur particuli\u00e8re dans mes r\u00e9flexions, semble pourtant si difficile \u00e0 transmettre. Dans mes stages de peinture, je rencontre souvent une r\u00e9sistance. La plupart des participants esquivent. Ils ou elles disent plut\u00f4t « portrait ». Le portrait semble plus accessible, plus rassurant.<\/p>\n

G\u00e9n\u00e9ralement, je m\u2019en tire en pr\u00e9cisant qu\u2019un visage ne contient pas l\u2019injonction de ressemblance que le portrait impose. Mais ce n\u2019est qu\u2019une simplification. C\u2019est bien plus profond que cela. Le portrait, dans l\u2019imaginaire collectif, est souvent associ\u00e9 \u00e0 des notions techniques : proportions, traits, ombres, couleurs. Il s\u2019agit d\u2019une « ma\u00eetrise » que l\u2019on imagine longue, difficile, parfois p\u00e9nible \u00e0 acqu\u00e9rir. Mais cette difficult\u00e9 rassure. Elle est mesurable. Elle repose sur le temps, la patience, la pratique. Dessiner ou peindre un portrait revient alors \u00e0 s\u2019attarder sur le visible : on cherche \u00e0 fixer un moment, une image, une correspondance entre ce qui est et ce qui est repr\u00e9sent\u00e9. On se concentre sur ce qui peut \u00eatre reproduit, presque comme si on voulait contr\u00f4ler l\u2019autre. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 le probl\u00e8me. Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je m\u2019en d\u00e9tourne.<\/p>\n

Le visage, lui, \u00e9chappe \u00e0 cette logique. Il d\u00e9borde toute tentative de le fixer uniquement par la technique. Un visage est accompagn\u00e9 d\u2019une galaxie de termes qui ne rel\u00e8vent pas du vocabulaire du dessin ou de la peinture, mais qui le d\u00e9passent : mouvement, profondeur, alt\u00e9rit\u00e9, appel, myst\u00e8re. Il n\u2019y a pas d\u2019imp\u00e9ratif \u00e0 reproduire les traits d\u2019un visage, pas plus qu\u2019\u00e0 figer la sensation \u00e9ph\u00e9m\u00e8re d\u2019une rencontre. Derri\u00e8re le visage, il y a quelque chose de mouvant, d\u2019invisible : un appel. Et c\u2019est peut-\u00eatre justement parce qu\u2019il est impossible \u00e0 cerner qu\u2019il nous trouble. Peut-\u00eatre parce qu\u2019il reste insaisissable qu\u2019il nous intimide. Le visage n\u2019est pas seulement un sujet de peinture, c\u2019est un d\u00e9fi, un miroir. Il nous renvoie \u00e0 notre propre fragilit\u00e9, \u00e0 notre incapacit\u00e9 \u00e0 tout ma\u00eetriser. Il porte en lui une inqui\u00e9tude, une angoisse, et parfois, ce que j\u2019appelle le gant retourn\u00e9 du d\u00e9sir.<\/p>\n

Hier soir, trouv\u00e9 une vid\u00e9o sur l\u2019envol du USS Los Angeles, ce dirigeable qui survolait Long Island le 24 janvier 1925. \u00c9mouvant de voir les hommes dans la nacelle, les pi\u00e8ces m\u00e9caniques expos\u00e9es, et l\u2019\u00e9clipse solaire film\u00e9e ce jour-l\u00e0. Il devait faire -12,8 ° \u00e0 New York, et encore plus froid en altitude. L\u2019ampleur du vide, la lumi\u00e8re suspendue : des images qui restent en t\u00eate, entre fascination et \u00e9tranget\u00e9.
\n
<\/span>https:\/\/youtu.be\/EhsXeUSsgXU?si=2-Y5hGKxM54tN3qs<\/span><\/a> ( elle ne peut \u00eatre visionn\u00e9e que sur YT )<\/p>\n

Le soir, je relis L\u00e9viathan de Scott Westerfeld. Cela t\u00e9lescope tout. Les machines de guerre, les cr\u00e9atures hybrides, le monde recompos\u00e9\u2026 Ces visions s\u2019entrelacent \u00e0 mes pens\u00e9es et se glissent jusque dans mes r\u00eaves. Je ne me souviens pas des d\u00e9tails, mais je me r\u00e9veille comme apr\u00e8s une course de fond, le corps lourd, l\u2019esprit encore suspendu. L\u2019inconscient, parfois, semble plus vivant que le jour.<\/p>\n

Il y a aussi cette \u00e9trange sensation : \u00eatre l\u00e0, et ne plus y \u00eatre. Comme si je fonctionnais simultan\u00e9ment \u00e0 deux niveaux. Je vois mes gestes, mes choix, mes h\u00e9sitations ; mais au-del\u00e0 de cette apparence, je me per\u00e7ois aussi comme un simple organisme vivant, un fragment d\u2019une totalit\u00e9 infinie, en dehors de l\u2019esp\u00e8ce, en dehors de toute esp\u00e8ce. Accepter cela, c\u2019est entrer dans un tout, sans dominer ni r\u00e9duire. Une forme d\u2019apaisement dans l\u2019effacement.<\/p>", "content_text": "Le simple fait du vivant impose de lui-m\u00eame le respect, qui est une forme de responsabilit\u00e9. Ce que L\u00e9vinas nomme la responsabilit\u00e9 \u00e9thique envers autrui, mais que l\u2019on peut \u00e9tendre \u00e0 la totalit\u00e9 du monde vivant. Le visage, en tant que tel, impose par r\u00e9flexe une obligation morale. Ce genre de responsabilit\u00e9 n\u2019est pas conditionn\u00e9 par la volont\u00e9, mais par l\u2019existence m\u00eame, par le fait que nous sommes des \u00eatres en relation, immerg\u00e9s dans un monde partag\u00e9. Mais ce respect, qui semble naturel, impose une tension : comment entrer en relation avec ce qui nous d\u00e9passe sans chercher \u00e0 l\u2019enfermer, sans le r\u00e9duire \u00e0 une forme ma\u00eetris\u00e9e ? L\u2019appel \u00e0 l\u2019alt\u00e9rit\u00e9 vient-il de nous-m\u00eames, du monde, ou de ce que L\u00e9vinas nomme un visage ? Et, au fond, qu\u2019appelle-t-on un visage ? Ce mot, qui r\u00e9sonne avec une profondeur particuli\u00e8re dans mes r\u00e9flexions, semble pourtant si difficile \u00e0 transmettre. Dans mes stages de peinture, je rencontre souvent une r\u00e9sistance. La plupart des participants esquivent. Ils ou elles disent plut\u00f4t \"portrait\". Le portrait semble plus accessible, plus rassurant. G\u00e9n\u00e9ralement, je m\u2019en tire en pr\u00e9cisant qu\u2019un visage ne contient pas l\u2019injonction de ressemblance que le portrait impose. Mais ce n\u2019est qu\u2019une simplification. C\u2019est bien plus profond que cela. Le portrait, dans l\u2019imaginaire collectif, est souvent associ\u00e9 \u00e0 des notions techniques : proportions, traits, ombres, couleurs. Il s\u2019agit d\u2019une \"ma\u00eetrise\" que l\u2019on imagine longue, difficile, parfois p\u00e9nible \u00e0 acqu\u00e9rir. Mais cette difficult\u00e9 rassure. Elle est mesurable. Elle repose sur le temps, la patience, la pratique. Dessiner ou peindre un portrait revient alors \u00e0 s\u2019attarder sur le visible : on cherche \u00e0 fixer un moment, une image, une correspondance entre ce qui est et ce qui est repr\u00e9sent\u00e9. On se concentre sur ce qui peut \u00eatre reproduit, presque comme si on voulait contr\u00f4ler l\u2019autre. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 le probl\u00e8me. Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je m\u2019en d\u00e9tourne. Le visage, lui, \u00e9chappe \u00e0 cette logique. Il d\u00e9borde toute tentative de le fixer uniquement par la technique. Un visage est accompagn\u00e9 d\u2019une galaxie de termes qui ne rel\u00e8vent pas du vocabulaire du dessin ou de la peinture, mais qui le d\u00e9passent : mouvement, profondeur, alt\u00e9rit\u00e9, appel, myst\u00e8re. Il n\u2019y a pas d\u2019imp\u00e9ratif \u00e0 reproduire les traits d\u2019un visage, pas plus qu\u2019\u00e0 figer la sensation \u00e9ph\u00e9m\u00e8re d\u2019une rencontre. Derri\u00e8re le visage, il y a quelque chose de mouvant, d\u2019invisible : un appel. Et c\u2019est peut-\u00eatre justement parce qu\u2019il est impossible \u00e0 cerner qu\u2019il nous trouble. Peut-\u00eatre parce qu\u2019il reste insaisissable qu\u2019il nous intimide. Le visage n\u2019est pas seulement un sujet de peinture, c\u2019est un d\u00e9fi, un miroir. Il nous renvoie \u00e0 notre propre fragilit\u00e9, \u00e0 notre incapacit\u00e9 \u00e0 tout ma\u00eetriser. Il porte en lui une inqui\u00e9tude, une angoisse, et parfois, ce que j\u2019appelle le gant retourn\u00e9 du d\u00e9sir. Hier soir, trouv\u00e9 une vid\u00e9o sur l\u2019envol du USS Los Angeles, ce dirigeable qui survolait Long Island le 24 janvier 1925. \u00c9mouvant de voir les hommes dans la nacelle, les pi\u00e8ces m\u00e9caniques expos\u00e9es, et l\u2019\u00e9clipse solaire film\u00e9e ce jour-l\u00e0. Il devait faire -12,8 \u00b0 \u00e0 New York, et encore plus froid en altitude. L\u2019ampleur du vide, la lumi\u00e8re suspendue : des images qui restent en t\u00eate, entre fascination et \u00e9tranget\u00e9. https:\/\/youtu.be\/EhsXeUSsgXU?si=2-Y5hGKxM54tN3qs ( elle ne peut \u00eatre visionn\u00e9e que sur YT ) Le soir, je relis L\u00e9viathan de Scott Westerfeld. Cela t\u00e9lescope tout. Les machines de guerre, les cr\u00e9atures hybrides, le monde recompos\u00e9\u2026 Ces visions s\u2019entrelacent \u00e0 mes pens\u00e9es et se glissent jusque dans mes r\u00eaves. Je ne me souviens pas des d\u00e9tails, mais je me r\u00e9veille comme apr\u00e8s une course de fond, le corps lourd, l\u2019esprit encore suspendu. L\u2019inconscient, parfois, semble plus vivant que le jour. Il y a aussi cette \u00e9trange sensation : \u00eatre l\u00e0, et ne plus y \u00eatre. Comme si je fonctionnais simultan\u00e9ment \u00e0 deux niveaux. Je vois mes gestes, mes choix, mes h\u00e9sitations ; mais au-del\u00e0 de cette apparence, je me per\u00e7ois aussi comme un simple organisme vivant, un fragment d\u2019une totalit\u00e9 infinie, en dehors de l\u2019esp\u00e8ce, en dehors de toute esp\u00e8ce. Accepter cela, c\u2019est entrer dans un tout, sans dominer ni r\u00e9duire. 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Rouge. Encore. Toujours. L\u2019\u00e9cran refl\u00e8te la lumi\u00e8re comme une alerte. Atelier en attente. Les doigts sur le clavier. Rien. Trop. Le gras, dit le dibbouk. Mais lequel ? L\u2019image ? Le bruit ? Les plateformes, villes flottantes. On y entre comme en exil. Mastodon. Seenthis. Bluesky. “On vient de X.” \u00c7a marque. \u00c7a trahit. On part, on reste. Pas pour la technique. Pour l\u2019image qu\u2019on donne. Qu\u2019on perd. Reprendre le contr\u00f4le. Peut-\u00eatre. Savoir se taire. Penser aux caves de l\u2019Occupation. Machines \u00e0 \u00e9crire qu\u2019on \u00e9touffait. Papiers qu\u2019on faisait circuler. L\u2019urgence de dire sans se montrer. Aujourd\u2019hui, c\u2019est l\u2019inverse. Tout se montre. Rien ne tient. Le bruit monte. Scroll. Stop. Scroll. Stop. Pri\u00e8re muette. Geste nerveux. La plan\u00e8te br\u00fble. On regarde. On continue. Trier. Filtrer. Laisser des traces dans la boue num\u00e9rique. Mais qui regarde ? Qui suit ? Le d\u00e9sert gagne. Mais j\u2019\u00e9cris. Encore.<\/p>", "content_text": " Rouge. Encore. Toujours. L\u2019\u00e9cran refl\u00e8te la lumi\u00e8re comme une alerte. Atelier en attente. Les doigts sur le clavier. Rien. Trop. Le gras, dit le dibbouk. Mais lequel ? L\u2019image ? Le bruit ? Les plateformes, villes flottantes. On y entre comme en exil. Mastodon. Seenthis. Bluesky. \u201cOn vient de X.\u201d \u00c7a marque. \u00c7a trahit. On part, on reste. Pas pour la technique. Pour l\u2019image qu\u2019on donne. Qu\u2019on perd. Reprendre le contr\u00f4le. Peut-\u00eatre. Savoir se taire. Penser aux caves de l\u2019Occupation. Machines \u00e0 \u00e9crire qu\u2019on \u00e9touffait. Papiers qu\u2019on faisait circuler. L\u2019urgence de dire sans se montrer. Aujourd\u2019hui, c\u2019est l\u2019inverse. Tout se montre. Rien ne tient. Le bruit monte. Scroll. Stop. Scroll. Stop. Pri\u00e8re muette. Geste nerveux. La plan\u00e8te br\u00fble. On regarde. On continue. Trier. Filtrer. Laisser des traces dans la boue num\u00e9rique. Mais qui regarde ? Qui suit ? Le d\u00e9sert gagne. Mais j\u2019\u00e9cris. Encore. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/the_crossing_of_the_red_sea.jpg?1748065153", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-janvier-2025.html", "title": "22 janvier 2025", "date_published": "2025-01-22T04:38:06Z", "date_modified": "2025-04-30T16:06:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Admettons que les id\u00e9es ne soient \u00e0 personne. Qu\u2019elles flottent, se diluent, se propagent dans l\u2019air du temps, dans les blogs, les bouquins, les conversations anonymes. Ce qu\u2019on croyait sien, unique, devient banalit\u00e9 partag\u00e9e. Et si ce n\u2019\u00e9tait pas grave. Si, au contraire, c\u2019\u00e9tait la preuve qu\u2019on est humain, pas cingl\u00e9, que nos obsessions r\u00e9sonnent avec celles des autres. si on voyait l\u00e0, une forme de r\u00e9compense discr\u00e8te, comme un prix litt\u00e9raire qu\u2019on n\u2019aurait jamais cherch\u00e9 \u00e0 obtenir pas plus d’aller chercher. Une consolation collective. Pourtant, il reste ce vertige : mes r\u00eaves sont derri\u00e8re moi. Je devrais m\u2019en r\u00e9jouir, m\u2019all\u00e9ger, mais non. Je reste l\u00e0, immobile, fig\u00e9 dans cet entre-deux qui n\u2019en finit pas.<\/p>\n

Ce matin, le brouillard. Blanc, dense, immobile lui aussi. Voulu aller \u00e0 Emma\u00fcs, mais pas de chance c\u2019\u00e9tait ferm\u00e9. Al\u00e9as et vicissitudes d’un vieux schnock. Devant la porte, un type pench\u00e9 sur un v\u00e9lo me l\u2019a annonc\u00e9 avant m\u00eame que je pose la question. C’est ferm\u00e9. Alors je me suis dirig\u00e9 vers LIDL. J\u2019ai arpent\u00e9 les rayons : des \u00e9pluche-l\u00e9gumes, des perceuses sans fil, des racle-vitre \u00e9lectriques, des vestes polaires. Le genre de choses qui semblent toujours remplies de promesses et d’inutilit\u00e9s \u00e0 venir mais sur quoi on mise afin d’ un changement minuscule dans la routine.<\/p>\n

Je n\u2019ai rien achet\u00e9.<\/p>\n

J\u2019ai juste tu\u00e9 le temps, sans conviction. Ma m\u00e8re faisait cela aussi, avec les lapins. \u00e7a la faisait suer mais il fallait bien que quelqu’un le fasse.<\/p>\n

\u00c0 la caisse, une autre sc\u00e8ne : je sens des regards glisser sur moi. Des regards de m\u00e9fiance. On m\u2019observe comme si j\u2019avais voler quelque chose, comme si j\u2019avais l\u2019air de quelqu\u2019un capable de franchir une limite absurde \u00e0 tout moment.<\/p>\n

Moi aussi, je m\u2019y attends, \u00e0 cette alarme qui se d\u00e9clencherait pour rien, \u00e0 la bande vigiles baveux surgissant de nulle part. v\u00e9ritable visage dissimul\u00e9 dans les r\u00e9serves des grandes surfaces. Voil\u00e0 o\u00f9 nous en sommes.<\/p>\n

Je ne pense pas \u00e0 demain.<\/p>\n

Ni \u00e0 apr\u00e8s-demain. Ni Hier. Me cramponne. Essaie d’oublier toutes ces fictions . Mais ce que je n\u2019avais pas pr\u00e9vu, c\u2019est cette sensation \u00e9trange : un pr\u00e9sent sans relief, sans direction, o\u00f9 l\u2019ennui s\u2019installe parfois comme un vieil ami. Presque complice.<\/p>\n

Tous les projets ont l\u2019air de farces. Des corps d\u2019anguille qui ondulent et se d\u00e9robent. Des regards trop accrocheurs , insistant , avec des cils d\u2019eucaryote d\u00e9glingu\u00e9 ; ce sont choses vivantes mais bancales, au final irr\u00e9els.<\/p>\n

Cette nuit, un cauchemar. L\u2019appartement de Simplon. Une voix surgit dans mon sommeil, et je sais que c\u2019est lui. Lui, sans visage, sans nom. L\u2019angoisse me prend \u00e0 la gorge, mais je me l\u00e8ve malgr\u00e9 tout, effort surhumain, traverse l\u2019appartement jusqu\u2019\u00e0 la porte d\u2019entr\u00e9e. J\u2019ouvre. Rien. Personne. Mais ce rien n\u2019est pas vide : c\u2019est Lui, je le sens. Il s\u2019est infiltr\u00e9 d\u00e8s que j\u2019ai entrouvert la porte. Sa pr\u00e9sence est l\u00e0, intangible, oppressive. Je hurle et me r\u00e9veille en sueur, incapable de dissiper l\u2019angoisse. Longtemps cru que c’\u00e9tait le dibbouk mais plus probable en y repensant que c’est un ange venu me rejoindre dans mon nulle part.<\/p>\n

Ce qui n’emp\u00eache aucunement l’\u00e9ffroi, l’augmente.<\/p>\n

Et ce matin, je me surprends \u00e0 regretter ce cuit-vapeur en inox repliable que j\u2019ai vu chez LIDL. Je l\u2019imagine rang\u00e9 dans le tiroir de la cuisine, je m’imagine l’utilisant, transformant de banals l\u00e9gumes en une promesse succulente. Des brocolis bien verts, une vapeur douce et bienfaisante. Et pourquoi pas du colin pendant que j’y suis. Comme si cela pouvait conjurer le gris du quotidien. \u00c9videmment, ce n\u2019est qu\u2019un pr\u00e9texte. Ce n\u2019est pas pour les l\u00e9gumes. Pour le poisson. C\u2019est pour m\u2019accrocher \u00e0 quelque chose. Des l\u00e9gumes verts qui, \u00e0 la cuisson, restent verts, Un poisson qu’on ne regarde jamais dans les yeux. c’est loin d’\u00eatre rien.<\/p>\n

Je me dis qu\u2019il me reste encore des choses \u00e0 faire. Avant de devenir g\u00e2teux. Mais lesquelles ? Faire une liste, peut-\u00eatre. \u00c9crire noir sur blanc ce que je pourrais encore accomplir, transformer en actes ce magma bouillonnant de pens\u00e9es.<\/p>\n

Oui, une liste. Mais je n\u2019en fais rien.<\/p>\n

Je reste l\u00e0, plant\u00e9 dans le brouillard int\u00e9rieur \u00e0 me demander encore et encore pourquoi je n’ai pas achet\u00e9 ce cuit vapeur repliable etc, etc<\/p>", "content_text": "Admettons que les id\u00e9es ne soient \u00e0 personne. Qu\u2019elles flottent, se diluent, se propagent dans l\u2019air du temps, dans les blogs, les bouquins, les conversations anonymes. Ce qu\u2019on croyait sien, unique, devient banalit\u00e9 partag\u00e9e. Et si ce n\u2019\u00e9tait pas grave. Si, au contraire, c\u2019\u00e9tait la preuve qu\u2019on est humain, pas cingl\u00e9, que nos obsessions r\u00e9sonnent avec celles des autres. si on voyait l\u00e0, une forme de r\u00e9compense discr\u00e8te, comme un prix litt\u00e9raire qu\u2019on n\u2019aurait jamais cherch\u00e9 \u00e0 obtenir pas plus d'aller chercher. Une consolation collective. Pourtant, il reste ce vertige : mes r\u00eaves sont derri\u00e8re moi. Je devrais m\u2019en r\u00e9jouir, m\u2019all\u00e9ger, mais non. Je reste l\u00e0, immobile, fig\u00e9 dans cet entre-deux qui n\u2019en finit pas. Ce matin, le brouillard. Blanc, dense, immobile lui aussi. Voulu aller \u00e0 Emma\u00fcs, mais pas de chance c\u2019\u00e9tait ferm\u00e9. Al\u00e9as et vicissitudes d'un vieux schnock. Devant la porte, un type pench\u00e9 sur un v\u00e9lo me l\u2019a annonc\u00e9 avant m\u00eame que je pose la question. C'est ferm\u00e9. Alors je me suis dirig\u00e9 vers LIDL. J\u2019ai arpent\u00e9 les rayons : des \u00e9pluche-l\u00e9gumes, des perceuses sans fil, des racle-vitre \u00e9lectriques, des vestes polaires. Le genre de choses qui semblent toujours remplies de promesses et d'inutilit\u00e9s \u00e0 venir mais sur quoi on mise afin d' un changement minuscule dans la routine. Je n\u2019ai rien achet\u00e9. J\u2019ai juste tu\u00e9 le temps, sans conviction. Ma m\u00e8re faisait cela aussi, avec les lapins. \u00e7a la faisait suer mais il fallait bien que quelqu'un le fasse. \u00c0 la caisse, une autre sc\u00e8ne : je sens des regards glisser sur moi. Des regards de m\u00e9fiance. On m\u2019observe comme si j\u2019avais voler quelque chose, comme si j\u2019avais l\u2019air de quelqu\u2019un capable de franchir une limite absurde \u00e0 tout moment. Moi aussi, je m\u2019y attends, \u00e0 cette alarme qui se d\u00e9clencherait pour rien, \u00e0 la bande vigiles baveux surgissant de nulle part. v\u00e9ritable visage dissimul\u00e9 dans les r\u00e9serves des grandes surfaces. Voil\u00e0 o\u00f9 nous en sommes. Je ne pense pas \u00e0 demain. Ni \u00e0 apr\u00e8s-demain. Ni Hier. Me cramponne. Essaie d'oublier toutes ces fictions . Mais ce que je n\u2019avais pas pr\u00e9vu, c\u2019est cette sensation \u00e9trange : un pr\u00e9sent sans relief, sans direction, o\u00f9 l\u2019ennui s\u2019installe parfois comme un vieil ami. Presque complice. Tous les projets ont l\u2019air de farces. Des corps d\u2019anguille qui ondulent et se d\u00e9robent. Des regards trop accrocheurs , insistant , avec des cils d\u2019eucaryote d\u00e9glingu\u00e9 ; ce sont choses vivantes mais bancales, au final irr\u00e9els. Cette nuit, un cauchemar. L\u2019appartement de Simplon. Une voix surgit dans mon sommeil, et je sais que c\u2019est lui. Lui, sans visage, sans nom. L\u2019angoisse me prend \u00e0 la gorge, mais je me l\u00e8ve malgr\u00e9 tout, effort surhumain, traverse l\u2019appartement jusqu\u2019\u00e0 la porte d\u2019entr\u00e9e. J\u2019ouvre. Rien. Personne. Mais ce rien n\u2019est pas vide : c\u2019est Lui, je le sens. Il s\u2019est infiltr\u00e9 d\u00e8s que j\u2019ai entrouvert la porte. Sa pr\u00e9sence est l\u00e0, intangible, oppressive. Je hurle et me r\u00e9veille en sueur, incapable de dissiper l\u2019angoisse. Longtemps cru que c'\u00e9tait le dibbouk mais plus probable en y repensant que c'est un ange venu me rejoindre dans mon nulle part. Ce qui n'emp\u00eache aucunement l'\u00e9ffroi, l'augmente. Et ce matin, je me surprends \u00e0 regretter ce cuit-vapeur en inox repliable que j\u2019ai vu chez LIDL. Je l\u2019imagine rang\u00e9 dans le tiroir de la cuisine, je m'imagine l'utilisant, transformant de banals l\u00e9gumes en une promesse succulente. Des brocolis bien verts, une vapeur douce et bienfaisante. Et pourquoi pas du colin pendant que j'y suis. Comme si cela pouvait conjurer le gris du quotidien. \u00c9videmment, ce n\u2019est qu\u2019un pr\u00e9texte. Ce n\u2019est pas pour les l\u00e9gumes. Pour le poisson. C\u2019est pour m\u2019accrocher \u00e0 quelque chose. Des l\u00e9gumes verts qui, \u00e0 la cuisson, restent verts, Un poisson qu'on ne regarde jamais dans les yeux. c'est loin d'\u00eatre rien. Je me dis qu\u2019il me reste encore des choses \u00e0 faire. Avant de devenir g\u00e2teux. Mais lesquelles ? Faire une liste, peut-\u00eatre. \u00c9crire noir sur blanc ce que je pourrais encore accomplir, transformer en actes ce magma bouillonnant de pens\u00e9es. Oui, une liste. Mais je n\u2019en fais rien. Je reste l\u00e0, plant\u00e9 dans le brouillard int\u00e9rieur \u00e0 me demander encore et encore pourquoi je n'ai pas achet\u00e9 ce cuit vapeur repliable etc, etc", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/panier-vapeur-pliable-joseph-joseph_3_f9714f1b-161a-451b-85cb-29fb25ba5d2b.webp?1748065127", "tags": ["Essai sur la fatigue", "Espaces lieux ", "affects"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-janvier-2025.html", "title": "21 janvier 2025", "date_published": "2025-01-21T06:14:27Z", "date_modified": "2025-04-30T15:59:55Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\tPhoto de Geri Forsaith sur Unsplash<\/a>\n
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Photo de Geri Forsaith sur Unsplash\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Nouvelle proposition d\u2019\u00e9criture re\u00e7ue hier. Lue en diagonale. Pas visionn\u00e9 encore la vid\u00e9o. Le mot qui me vient par rapport \u00e0 ma participation : d\u00e9cousu. Ce qui renvoie \u00e0 effiloch\u00e9, termes emprunt\u00e9s au vocabulaire de la couture. Le rapi\u00e8cement n\u2019est pas loin. Et toujours se tenir \u00e0 ce rocher comme une moule : je n\u2019\u00e9cris jamais que des brouillons, l\u2019\u0153uvre sera pour plus tard. C\u2019est path\u00e9tique \u00e0 mon \u00e2ge. Cette r\u00e9bellion qui ne me quitte pas depuis mes premi\u00e8res t\u00e2ches d\u2019encre violette, mes tous premiers p\u00e2t\u00e9s, mes d\u00e9bordements dans la marge. Que sais-je du point-virgule qui ne soit pas seulement un th\u00e9\u00e2tre ? Pas grand-chose. \u00c7a ressemble \u00e0 une parole de Normand : pt\u2019\u00eate ben que oui, pt\u2019\u00eate ben que non. Plus longue la pause que la virgule, pas autant que le point. Marque la s\u00e9paration entre deux propositions ind\u00e9pendantes.<\/p>\n

Hier donc, j\u2019ai re\u00e7u une proposition d\u2019\u00e9criture ; bien content que ce ne soit pas une \u00e9ni\u00e8me publicit\u00e9 ; tout en \u00e9pluchant des carottes. Il \u00e9tait d\u2019ailleurs temps : elles commencent \u00e0 devenir molles.<\/p>\n

Je suis revenu sur le bouquin de Tiago Forte. L\u2019histoire de la chor\u00e9graphe qui, lorsqu\u2019elle commence un nouveau projet, inscrit le nom du projet en caract\u00e8res gras et noirs sur une \u00e9tiquette, puis la colle sur une bo\u00eete. Voil\u00e0 une phrase difficile \u00e0 dire d\u2019un jet. La longueur des phrases est une pr\u00e9occupation : longues ou courtes, avec ou sans ponctuation ? Et s\u2019il y en a, s\u2019il en faut, laquelle ? Virgule, parenth\u00e8ses, tirets en tout genre\u2026 Il faut que je le dise : je n\u2019en sais rien. Je n\u2019ai jamais vraiment voulu le savoir. Pas plus que la patate chaude. Mais \u00e0 un moment — et c\u2019est peut-\u00eatre le bon d\u00e9sormais — il faut quand m\u00eame s\u2019y int\u00e9resser ; \u00e7a peut m\u00eame cr\u00e9er un semblant de motivation.<\/p>\n

La prise de notes est un po\u00e8me. Du moins cela peut s\u2019en approcher. Ce que l\u2019on conserve comme substantifique moelle d\u2019une lecture, d\u2019une conversation, d\u2019une balade au bord du Rh\u00f4ne, d\u2019une nuit de sommeil, d\u2019un repas, d\u2019une partie de jambes en l\u2019air\u2026 Se contraindre \u00e0 tendre vers un essentiel, \u00e0 cerner une sensation, un embryon d\u2019id\u00e9e. C\u2019est aussi \u00e0 cela que ce petit carnet de L. doit lui servir : pour compresser au maximum toute l\u2019information qu\u2019il juge importante dans une journ\u00e9e. Ensuite il s\u2019en sert pour \u00e9crire ses longues lettres \u00e0 ses tantes. Et la combinaison des deux certainement n\u2019est pas innocente : c\u2019est de l\u2019\u00e9criture ; ce n\u2019est pas que de la correspondance ; pas seulement de la chronique ; c\u2019est du boulot.<\/p>\n

Les longues phrases de L., en voit-il le bout quand il les commence ? Peut-\u00eatre \u00e0 la fois la peur et le d\u00e9sir de parvenir au bout ; une phrase est une vie miniature ; on \u00e9crit sa phrase comme on respire — ou bien l\u2019inverse.<\/p>\n

Donc ces textes quotidiens, les miens, sont une sorte de m\u00e9lange entre une volont\u00e9 de laconisme et le refus du laconisme. La question est de savoir si je suis du genre saproxilique ou lac\u00e9d\u00e9monien. Le chemin le plus court prenant souvent l\u2019aspect rebutant d\u2019une autoroute, possible que je pr\u00e9f\u00e8re le papier qui — si l\u2019on r\u00e9fl\u00e9chit bien — se rapproche assez bien du bois mort, de la putrescibilit\u00e9 : quelque chose proche d\u2019un essentiel, de ce qui reste du r\u00eave d\u2019une graine voulant atteindre le ciel ; de la stupeur de celle-ci voyant autant d\u2019encre vers\u00e9e sur elle en fin de partie.<\/p>\n

Donc j\u2019en \u00e9tais \u00e0 cette chor\u00e9graphe, \u00e0 son \u00e9tiquette, \u00e0 sa bo\u00eete. Elle fourre tout ce qui peut avoir le moindre lien avec son projet. P\u00eale-m\u00eale : des photos, des audios, des textes\u2026 absolument tout. Et aussi sur deux fiches bristol sur lesquelles elle r\u00e9sume en une phrase le pourquoi de son projet. Deux fiches parce qu\u2019on peut avoir des motivations personnelles et altruistes.<\/p>\n

L\u2019erreur serait donc d\u2019avoir trente-six bo\u00eetes pour se faire croire qu\u2019on a trente-six projets et dans aucune les deux fiches bristol qu\u2019on verrait peu \u00e0 peu s\u2019enfoncer comme des graines dans le terreau de la mati\u00e8re accumul\u00e9e.<\/p>", "content_text": "Nouvelle proposition d\u2019\u00e9criture re\u00e7ue hier. Lue en diagonale. Pas visionn\u00e9 encore la vid\u00e9o. Le mot qui me vient par rapport \u00e0 ma participation : d\u00e9cousu. Ce qui renvoie \u00e0 effiloch\u00e9, termes emprunt\u00e9s au vocabulaire de la couture. Le rapi\u00e8cement n\u2019est pas loin. Et toujours se tenir \u00e0 ce rocher comme une moule : je n\u2019\u00e9cris jamais que des brouillons, l\u2019\u0153uvre sera pour plus tard. C\u2019est path\u00e9tique \u00e0 mon \u00e2ge. Cette r\u00e9bellion qui ne me quitte pas depuis mes premi\u00e8res t\u00e2ches d\u2019encre violette, mes tous premiers p\u00e2t\u00e9s, mes d\u00e9bordements dans la marge. Que sais-je du point-virgule qui ne soit pas seulement un th\u00e9\u00e2tre ? Pas grand-chose. \u00c7a ressemble \u00e0 une parole de Normand : pt\u2019\u00eate ben que oui, pt\u2019\u00eate ben que non. Plus longue la pause que la virgule, pas autant que le point. Marque la s\u00e9paration entre deux propositions ind\u00e9pendantes. Hier donc, j\u2019ai re\u00e7u une proposition d\u2019\u00e9criture ; bien content que ce ne soit pas une \u00e9ni\u00e8me publicit\u00e9 ; tout en \u00e9pluchant des carottes. Il \u00e9tait d\u2019ailleurs temps : elles commencent \u00e0 devenir molles. Je suis revenu sur le bouquin de Tiago Forte. L\u2019histoire de la chor\u00e9graphe qui, lorsqu\u2019elle commence un nouveau projet, inscrit le nom du projet en caract\u00e8res gras et noirs sur une \u00e9tiquette, puis la colle sur une bo\u00eete. Voil\u00e0 une phrase difficile \u00e0 dire d\u2019un jet. La longueur des phrases est une pr\u00e9occupation : longues ou courtes, avec ou sans ponctuation ? Et s\u2019il y en a, s\u2019il en faut, laquelle ? Virgule, parenth\u00e8ses, tirets en tout genre\u2026 Il faut que je le dise : je n\u2019en sais rien. Je n\u2019ai jamais vraiment voulu le savoir. Pas plus que la patate chaude. Mais \u00e0 un moment \u2014 et c\u2019est peut-\u00eatre le bon d\u00e9sormais \u2014 il faut quand m\u00eame s\u2019y int\u00e9resser ; \u00e7a peut m\u00eame cr\u00e9er un semblant de motivation. La prise de notes est un po\u00e8me. Du moins cela peut s\u2019en approcher. Ce que l\u2019on conserve comme substantifique moelle d\u2019une lecture, d\u2019une conversation, d\u2019une balade au bord du Rh\u00f4ne, d\u2019une nuit de sommeil, d\u2019un repas, d\u2019une partie de jambes en l\u2019air\u2026 Se contraindre \u00e0 tendre vers un essentiel, \u00e0 cerner une sensation, un embryon d\u2019id\u00e9e. C\u2019est aussi \u00e0 cela que ce petit carnet de L. doit lui servir : pour compresser au maximum toute l\u2019information qu\u2019il juge importante dans une journ\u00e9e. Ensuite il s\u2019en sert pour \u00e9crire ses longues lettres \u00e0 ses tantes. Et la combinaison des deux certainement n\u2019est pas innocente : c\u2019est de l\u2019\u00e9criture ; ce n\u2019est pas que de la correspondance ; pas seulement de la chronique ; c\u2019est du boulot. Les longues phrases de L., en voit-il le bout quand il les commence ? Peut-\u00eatre \u00e0 la fois la peur et le d\u00e9sir de parvenir au bout ; une phrase est une vie miniature ; on \u00e9crit sa phrase comme on respire \u2014 ou bien l\u2019inverse. Donc ces textes quotidiens, les miens, sont une sorte de m\u00e9lange entre une volont\u00e9 de laconisme et le refus du laconisme. La question est de savoir si je suis du genre saproxilique ou lac\u00e9d\u00e9monien. Le chemin le plus court prenant souvent l\u2019aspect rebutant d\u2019une autoroute, possible que je pr\u00e9f\u00e8re le papier qui \u2014 si l\u2019on r\u00e9fl\u00e9chit bien \u2014 se rapproche assez bien du bois mort, de la putrescibilit\u00e9 : quelque chose proche d\u2019un essentiel, de ce qui reste du r\u00eave d\u2019une graine voulant atteindre le ciel ; de la stupeur de celle-ci voyant autant d\u2019encre vers\u00e9e sur elle en fin de partie. Donc j\u2019en \u00e9tais \u00e0 cette chor\u00e9graphe, \u00e0 son \u00e9tiquette, \u00e0 sa bo\u00eete. Elle fourre tout ce qui peut avoir le moindre lien avec son projet. P\u00eale-m\u00eale : des photos, des audios, des textes\u2026 absolument tout. Et aussi sur deux fiches bristol sur lesquelles elle r\u00e9sume en une phrase le pourquoi de son projet. Deux fiches parce qu\u2019on peut avoir des motivations personnelles et altruistes. L\u2019erreur serait donc d\u2019avoir trente-six bo\u00eetes pour se faire croire qu\u2019on a trente-six projets et dans aucune les deux fiches bristol qu\u2019on verrait peu \u00e0 peu s\u2019enfoncer comme des graines dans le terreau de la mati\u00e8re accumul\u00e9e. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/photo_de_geri_forsaith_sur_unsplash.jpg?1748065167", "tags": ["Autofiction et Introspection", "Technologies et Postmodernit\u00e9", "r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-janvier-2025.html", "title": "20 janvier 2025", "date_published": "2025-01-20T18:26:45Z", "date_modified": "2025-02-17T02:28:07Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Pas grand-chose \u00e0 dire, mais il faut le dire. L\u2019injonction, d\u2019o\u00f9 sort-elle. D\u2019un contrat, d\u2019une r\u00e8gle, d\u2019un verset, peut-\u00eatre m\u00eame d\u2019un r\u00eave. Ce r\u00eave o\u00f9 tout cela existe : fabriquer de la pression, de l\u2019oppression. Pas grand-chose \u00e0 dire sur tout \u00e7a, en fait. Parce qu\u2019on n\u2019y pense pas. Parce qu\u2019on ne veut pas y penser. Mais si on s\u2019y mettait vraiment, si on creusait dans ce « pas grand-chose », alors peut-\u00eatre que \u00e7a deviendrait quelque chose. Une r\u00e9sistance. Une r\u00e9sistance \u00e0 cette foutue injonction de toujours devoir dire quelque chose.<\/p>\n

Et \u00e7a marche dans les deux sens.<\/p>\n

Tu as tellement \u00e0 dire. Qui te dit \u00e7a . Qui te fait croire que tu as tellement \u00e0 dire. Et pourquoi. \u00c0 quelle date pr\u00e9cis\u00e9ment. Te souviens-tu. Quelle heure \u00e9tait-il. Qu\u2019avais-tu mang\u00e9 ce matin-l\u00e0. Avais-tu bien dormi ou mal dormi. \u00c9tait-ce un jour o\u00f9 tu \u00e9tais amoureux. Cocu. Sous-pay\u00e9. P\u00e9tant dans la soie ?<\/p>\n

C\u2019est toujours comme \u00e7a que \u00e7a commence. Quand on est jeune. On pousse les meubles dans la chambre pour voir si ce n\u2019est pas une prison. Ou si cette prison, am\u00e9nag\u00e9e autrement, pourrait devenir vivable.<\/p>\n

On monte \u00e0 l\u2019assaut des poncifs, en g\u00e9n\u00e9ral ou en troufion. Dire ou ne pas dire. O\u00f9 est la gloire l\u00e0-dedans ? La vraie gloire. On oscille entre deux p\u00f4les : trop ou pas assez. On pourrait m\u00eame prendre la pose : \u00e9crire qu\u2019on n\u2019a rien \u00e0 dire, se taire parce qu\u2019on aurait trop \u00e0 dire.<\/p>\n

Et puis il y a les gros mots qui montent \u00e0 la gorge, comme dans un vieux film japonais. Kobayashi peut-\u00eatre, ou un autre de cette trempe-l\u00e0. Un vieux bonhomme silencieux qui pr\u00e9pare le th\u00e9 pour son seigneur nippon avec une servilit\u00e9 parfaite : prison polie comme un miroir. Il ne dit jamais rien, ce vieux bonhomme. Jusqu\u2019\u00e0 la fin.<\/p>\n

Et l\u00e0 : « Merde, tu n\u2019es qu\u2019un gros con de seigneur nippon. »<\/p>\n

Parce que c\u2019est \u00e7a, non. Toute une vie exploit\u00e9e dans des cadres rigides, o\u00f9 la seule issue \u00e9tait l\u2019attention port\u00e9e au fr\u00e9missement de l\u2019eau ; \u00e0 la quantit\u00e9 exacte de th\u00e9 vers\u00e9e dans une th\u00e9i\u00e8re ; au silence drap\u00e9 autour de soi pour ne heurter personne.<\/p>\n

Gros con de seigneur nippon !<\/p>\n

Mais apr\u00e8s \u00e7a, je ne sauterai pas du haut d\u2019une falaise ni du Mont Fuji. Pas m\u00eame d\u2019un escabeau. Non, je rigolerai. Je rigolerai de toute cette farce absurde et grotesque. Parce que le rire, c\u2019est l\u2019interstice. C\u2019est le trou par o\u00f9 passe l\u2019air ; la fissure qui relie les bouts \u00e9pars : le « je n\u2019ai rien \u00e0 dire » et le « je vais tout te dire ».<\/p>\n

Mais je dis \u00e7a comme \u00e7a. \u00c9videmment je ne dis rien.<\/p>", "content_text": "Pas grand-chose \u00e0 dire, mais il faut le dire. L\u2019injonction, d\u2019o\u00f9 sort-elle. D\u2019un contrat, d\u2019une r\u00e8gle, d\u2019un verset, peut-\u00eatre m\u00eame d\u2019un r\u00eave. Ce r\u00eave o\u00f9 tout cela existe : fabriquer de la pression, de l\u2019oppression. Pas grand-chose \u00e0 dire sur tout \u00e7a, en fait. Parce qu\u2019on n\u2019y pense pas. Parce qu\u2019on ne veut pas y penser. Mais si on s\u2019y mettait vraiment, si on creusait dans ce \"pas grand-chose\", alors peut-\u00eatre que \u00e7a deviendrait quelque chose. Une r\u00e9sistance. Une r\u00e9sistance \u00e0 cette foutue injonction de toujours devoir dire quelque chose. Et \u00e7a marche dans les deux sens. Tu as tellement \u00e0 dire. Qui te dit \u00e7a . Qui te fait croire que tu as tellement \u00e0 dire. Et pourquoi. \u00c0 quelle date pr\u00e9cis\u00e9ment. Te souviens-tu. Quelle heure \u00e9tait-il. Qu\u2019avais-tu mang\u00e9 ce matin-l\u00e0. Avais-tu bien dormi ou mal dormi. \u00c9tait-ce un jour o\u00f9 tu \u00e9tais amoureux. Cocu. Sous-pay\u00e9. P\u00e9tant dans la soie ? C\u2019est toujours comme \u00e7a que \u00e7a commence. Quand on est jeune. On pousse les meubles dans la chambre pour voir si ce n\u2019est pas une prison. Ou si cette prison, am\u00e9nag\u00e9e autrement, pourrait devenir vivable. On monte \u00e0 l\u2019assaut des poncifs, en g\u00e9n\u00e9ral ou en troufion. Dire ou ne pas dire. O\u00f9 est la gloire l\u00e0-dedans ? La vraie gloire. On oscille entre deux p\u00f4les : trop ou pas assez. On pourrait m\u00eame prendre la pose : \u00e9crire qu\u2019on n\u2019a rien \u00e0 dire, se taire parce qu\u2019on aurait trop \u00e0 dire. Et puis il y a les gros mots qui montent \u00e0 la gorge, comme dans un vieux film japonais. Kobayashi peut-\u00eatre, ou un autre de cette trempe-l\u00e0. Un vieux bonhomme silencieux qui pr\u00e9pare le th\u00e9 pour son seigneur nippon avec une servilit\u00e9 parfaite : prison polie comme un miroir. Il ne dit jamais rien, ce vieux bonhomme. Jusqu\u2019\u00e0 la fin. Et l\u00e0 : \u00ab Merde, tu n\u2019es qu\u2019un gros con de seigneur nippon. \u00bb Parce que c\u2019est \u00e7a, non. Toute une vie exploit\u00e9e dans des cadres rigides, o\u00f9 la seule issue \u00e9tait l\u2019attention port\u00e9e au fr\u00e9missement de l\u2019eau ; \u00e0 la quantit\u00e9 exacte de th\u00e9 vers\u00e9e dans une th\u00e9i\u00e8re ; au silence drap\u00e9 autour de soi pour ne heurter personne. Gros con de seigneur nippon ! Mais apr\u00e8s \u00e7a, je ne sauterai pas du haut d\u2019une falaise ni du Mont Fuji. Pas m\u00eame d\u2019un escabeau. Non, je rigolerai. Je rigolerai de toute cette farce absurde et grotesque. Parce que le rire, c\u2019est l\u2019interstice. C\u2019est le trou par o\u00f9 passe l\u2019air ; la fissure qui relie les bouts \u00e9pars : le \u00ab je n\u2019ai rien \u00e0 dire \u00bb et le \u00ab je vais tout te dire \u00bb. Mais je dis \u00e7a comme \u00e7a. \u00c9videmment je ne dis rien. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dsc_0191_1.jpg?1748065063", "tags": ["Essai sur la fatigue", "Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-janvier-2025.html", "title": "19 janvier 2025", "date_published": "2025-01-19T07:03:46Z", "date_modified": "2025-10-17T16:21:57Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n
\n\t
Photographie extraite du site « La loire \u00e0 v\u00e9lo »\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le temps file sous les doigts nerveux et pr\u00e9cis des Parques. Je ne sais quelle mesure elles jugeront correcte pour, au final, couper le fil de mon existence. Cela se fera, je le sais, machinalement, entre deux bavardages sans cons\u00e9quence.<\/p>\n

Tout a commenc\u00e9 dans ma vie par la mythologie, et tout finira probablement dans la mythologie. La mort elle-m\u00eame sera, pour moi, un \u00e9chec. Je l\u2019imagine glaciale, ouh ouh ouh, entrant dans la pi\u00e8ce. Alors, et c\u2019est encore l\u00e0 la force de l\u2019esp\u00e9rance, je verrai la vanit\u00e9 de tout ce que j\u2019avais cru \u00eatre une r\u00e9ussite.<\/p>\n

Du plus loin que je m\u2019en souvienne, j\u2019ai toujours aim\u00e9 les mythologies. Elles m\u2019ont ouvert un monde. Ce furent d\u2019abord leurs h\u00e9ros qui capt\u00e8rent mon attention, comme le papier collant attire les mouches au plafond. Je ne savais pas qu\u2019ils n\u2019\u00e9taient pas r\u00e9els. Et m\u00eame lorsque l\u2019on a tent\u00e9 de m\u2019en convaincre, je n\u2019ai abdiqu\u00e9 qu\u2019en apparence. Ils \u00e9taient tellement humains. Comment auraient-ils pu ne pas exister ? Plus que mes voisins, plus que les adultes anonymes crois\u00e9s au quotidien, eux avaient une vie br\u00fblante.<\/p>\n

Puis le temps a pass\u00e9. Mon regard a d\u00e9riv\u00e9, quittant les figures h\u00e9ro\u00efques pour s\u2019attacher aux paysages qu\u2019ils habitaient, ces lieux o\u00f9 ils vivaient, se battaient, aimaient, d\u00e9chantaient. La Gr\u00e8ce, pour moi, fut longtemps un lieu purement mythologique. Ce n\u2019est que des ann\u00e9es plus tard que j\u2019ai pu poser mes pieds sur cette terre.<\/p>\n

En ai-je \u00e9t\u00e9 \u00e9merveill\u00e9 ? D\u00e9\u00e7u ? Je ne sais pas. \u00c0 mon arriv\u00e9e \u00e0 Ath\u00e8nes, mon esprit \u00e9tait satur\u00e9 de pr\u00e9occupations triviales : trouver l\u2019h\u00f4tel, m\u2019orienter dans cette ville inconnue, g\u00e9rer l\u2019imm\u00e9diat. Cela \u00e9crasait mes vell\u00e9it\u00e9s de r\u00eaveur patent\u00e9. L\u2019Acropole n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 un choc. Ce fut ailleurs, devant une assiette de souvlakis dans une ruelle sombre, que je ressentis un \u00e9trange malaise. \u00c0 chaque classe sa cat\u00e9gorie de malaise, non ?<\/p>\n

Ce n\u2019\u00e9tait pas la premi\u00e8re fois que ce sentiment me traversait, mais ce fut peut-\u00eatre la premi\u00e8re fois qu\u2019il me saisit avec une telle clart\u00e9. Ce « malaise » me confrontait \u00e0 ma propre ombre, comme une question tapie depuis toujours dans l\u2019obscurit\u00e9. Elle jaillit soudain de mon cr\u00e2ne, comme Ath\u00e9na toute arm\u00e9e, me d\u00e9fiant de lui r\u00e9pondre.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 qu\u2019intervient mon dibbouk. Ce mot, cette figure, je l\u2019ai emprunt\u00e9e pour nommer mon site, mais aussi pour nommer cette part de moi. Le dibbouk, personnage issu de la mythologie juive, est mon double d\u2019\u00e9criture. Une voix d\u2019alt\u00e9rit\u00e9, celle qui dialogue avec mes ombres et parfois avec mes clart\u00e9s. Maupassant avait son Horla, Gogol son nez et son manteau, Dosto\u00efevski son double souterrain, cheminant entre profondeur et altitude. Ces figures, finalement, nous parlent d\u2019un m\u00eame h\u00e9ritage : cette lutte int\u00e9rieure entre ce que nous sommes et ce que nous craignons de devenir.<\/p>\n

Hier, je suis rest\u00e9 longtemps \u00e0 contempler des paysages d\u2019hiver, film\u00e9s par un homme. Son appareil photo devait \u00eatre de grande qualit\u00e9, car chaque d\u00e9tail semblait presque irr\u00e9el. Les noirs, visqueux et profonds comme de l\u2019encre d\u2019imprimerie, s\u2019opposaient aux blancs qui fr\u00f4laient la surexposition sans jamais s\u2019y abandonner totalement. Une harmonie troublante se d\u00e9gageait de ces contrastes.<\/p>\n

Ce n\u2019\u00e9tait pas juste une image, c\u2019\u00e9tait une sensation. Une texture presque tactile. \u00c0 travers l\u2019\u00e9cran, je sentais l\u2019air glac\u00e9, le silence qui enveloppe ces paysages d\u2019hiver, le crissement lointain d\u2019une semelle ou la succion d\u2019une botte s\u2019arrachant \u00e0 la boue.<\/p>\n

En regardant ces images, j\u2019ai ressenti un lien avec cet homme derri\u00e8re la cam\u00e9ra. Pas besoin de le conna\u00eetre, mais une certitude silencieuse : il avait vu quelque chose qui nous ressemblait. Ce silence, ce vide apparent entre les arbres nus, portait en lui une densit\u00e9. Je n\u2019avais pas besoin de voir son visage. \u00c0 travers son regard, je voyais le mien.<\/p>\n

Cet homme, je l\u2019imagine marchant dans le froid, attendant immobile pour saisir l\u2019instant parfait. \u00c9tait-ce un effort pour lui ? Peut-\u00eatre pas. Mais pour moi, l\u2019ensemble de ses gestes \u2013 charger son appareil, enfiler son blouson, sortir \u2013 \u00e9tait l\u2019expression d\u2019une volont\u00e9 presque h\u00e9ro\u00efque. Un geste \u00e0 la fois minuscule et mythologique.<\/p>\n

Cela m\u2019a rappel\u00e9 les matins glac\u00e9s o\u00f9 l\u2019on s\u2019entasse dans les trains de banlieue, les RER, ces paysages qui d\u00e9filent au-del\u00e0 des vitres embu\u00e9es. L\u2019h\u00e9ro\u00efsme est l\u00e0, dans l\u2019interstice entre l\u2019envie de sortir et la lutte contre toutes les excuses int\u00e9rieures.<\/p>\n

Je me suis vu marcher encore et encore, sur une autre berge, longeant un autre fleuve. J\u2019ai ressenti cet appel et, presque aussit\u00f4t, l\u2019h\u00e9sitation : trop froid, trop loin, trop inutile. Ce combat silencieux, entre l\u2019\u00e9lan et la paralysie, est peut-\u00eatre la plus grande \u00e9preuve. L\u2019effort n\u2019est pas dans le geste lui-m\u00eame, mais dans tout ce qui pr\u00e9c\u00e8de, tout ce qui l\u2019emp\u00eache.<\/p>\n

Le dibbouk, dans mon esprit, applaudissait doucement. Avec ce geste mesur\u00e9, presque moqueur, on aurait dit qu\u2019il f\u00e9licitait un enfant pour une \u00e9vidence qu\u2019il venait de d\u00e9couvrir.<\/p>\n

— « Le sacr\u00e9 s\u2019est enfui, bien s\u00fbr, » dit-il en allumant une cigarette, d\u00e9go\u00fbt\u00e9. \u00c9c\u0153ur\u00e9. Mais toi, tu sembles dire que tu ne t\u2019enfuis pas. Et pourtant regarde : tu restes l\u00e0, les pieds dans la boue, comme tout le monde. Parce que tu attends, toi aussi. Tu ne sais pas quoi, mais tu attends. Un signe, un souffle, une voix, quelque chose pour te dire : je suis encore l\u00e0. M\u00eame dans cette fange. Et en attendant, tu continues d\u2019\u00e9crire. Comme si \u00e7a pouvait changer quoi que ce soit.\"<\/p>\n

Pour le coup, rien \u00e0 ajouter. Je garde le silence.<\/p>", "content_text": " Le temps file sous les doigts nerveux et pr\u00e9cis des Parques. Je ne sais quelle mesure elles jugeront correcte pour, au final, couper le fil de mon existence. Cela se fera, je le sais, machinalement, entre deux bavardages sans cons\u00e9quence. Tout a commenc\u00e9 dans ma vie par la mythologie, et tout finira probablement dans la mythologie. La mort elle-m\u00eame sera, pour moi, un \u00e9chec. Je l\u2019imagine glaciale, ouh ouh ouh, entrant dans la pi\u00e8ce. Alors, et c\u2019est encore l\u00e0 la force de l\u2019esp\u00e9rance, je verrai la vanit\u00e9 de tout ce que j\u2019avais cru \u00eatre une r\u00e9ussite. Du plus loin que je m\u2019en souvienne, j\u2019ai toujours aim\u00e9 les mythologies. Elles m\u2019ont ouvert un monde. Ce furent d\u2019abord leurs h\u00e9ros qui capt\u00e8rent mon attention, comme le papier collant attire les mouches au plafond. Je ne savais pas qu\u2019ils n\u2019\u00e9taient pas r\u00e9els. Et m\u00eame lorsque l\u2019on a tent\u00e9 de m\u2019en convaincre, je n\u2019ai abdiqu\u00e9 qu\u2019en apparence. Ils \u00e9taient tellement humains. Comment auraient-ils pu ne pas exister ? Plus que mes voisins, plus que les adultes anonymes crois\u00e9s au quotidien, eux avaient une vie br\u00fblante. Puis le temps a pass\u00e9. Mon regard a d\u00e9riv\u00e9, quittant les figures h\u00e9ro\u00efques pour s\u2019attacher aux paysages qu\u2019ils habitaient, ces lieux o\u00f9 ils vivaient, se battaient, aimaient, d\u00e9chantaient. La Gr\u00e8ce, pour moi, fut longtemps un lieu purement mythologique. Ce n\u2019est que des ann\u00e9es plus tard que j\u2019ai pu poser mes pieds sur cette terre. En ai-je \u00e9t\u00e9 \u00e9merveill\u00e9 ? D\u00e9\u00e7u ? Je ne sais pas. \u00c0 mon arriv\u00e9e \u00e0 Ath\u00e8nes, mon esprit \u00e9tait satur\u00e9 de pr\u00e9occupations triviales : trouver l\u2019h\u00f4tel, m\u2019orienter dans cette ville inconnue, g\u00e9rer l\u2019imm\u00e9diat. Cela \u00e9crasait mes vell\u00e9it\u00e9s de r\u00eaveur patent\u00e9. L\u2019Acropole n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 un choc. Ce fut ailleurs, devant une assiette de souvlakis dans une ruelle sombre, que je ressentis un \u00e9trange malaise. \u00c0 chaque classe sa cat\u00e9gorie de malaise, non ? Ce n\u2019\u00e9tait pas la premi\u00e8re fois que ce sentiment me traversait, mais ce fut peut-\u00eatre la premi\u00e8re fois qu\u2019il me saisit avec une telle clart\u00e9. Ce \"malaise\" me confrontait \u00e0 ma propre ombre, comme une question tapie depuis toujours dans l\u2019obscurit\u00e9. Elle jaillit soudain de mon cr\u00e2ne, comme Ath\u00e9na toute arm\u00e9e, me d\u00e9fiant de lui r\u00e9pondre. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019intervient mon dibbouk. Ce mot, cette figure, je l\u2019ai emprunt\u00e9e pour nommer mon site, mais aussi pour nommer cette part de moi. Le dibbouk, personnage issu de la mythologie juive, est mon double d\u2019\u00e9criture. Une voix d\u2019alt\u00e9rit\u00e9, celle qui dialogue avec mes ombres et parfois avec mes clart\u00e9s. Maupassant avait son Horla, Gogol son nez et son manteau, Dosto\u00efevski son double souterrain, cheminant entre profondeur et altitude. Ces figures, finalement, nous parlent d\u2019un m\u00eame h\u00e9ritage : cette lutte int\u00e9rieure entre ce que nous sommes et ce que nous craignons de devenir. Hier, je suis rest\u00e9 longtemps \u00e0 contempler des paysages d\u2019hiver, film\u00e9s par un homme. Son appareil photo devait \u00eatre de grande qualit\u00e9, car chaque d\u00e9tail semblait presque irr\u00e9el. Les noirs, visqueux et profonds comme de l\u2019encre d\u2019imprimerie, s\u2019opposaient aux blancs qui fr\u00f4laient la surexposition sans jamais s\u2019y abandonner totalement. Une harmonie troublante se d\u00e9gageait de ces contrastes. Ce n\u2019\u00e9tait pas juste une image, c\u2019\u00e9tait une sensation. Une texture presque tactile. \u00c0 travers l\u2019\u00e9cran, je sentais l\u2019air glac\u00e9, le silence qui enveloppe ces paysages d\u2019hiver, le crissement lointain d\u2019une semelle ou la succion d\u2019une botte s\u2019arrachant \u00e0 la boue. En regardant ces images, j\u2019ai ressenti un lien avec cet homme derri\u00e8re la cam\u00e9ra. Pas besoin de le conna\u00eetre, mais une certitude silencieuse : il avait vu quelque chose qui nous ressemblait. Ce silence, ce vide apparent entre les arbres nus, portait en lui une densit\u00e9. Je n\u2019avais pas besoin de voir son visage. \u00c0 travers son regard, je voyais le mien. Cet homme, je l\u2019imagine marchant dans le froid, attendant immobile pour saisir l\u2019instant parfait. \u00c9tait-ce un effort pour lui ? Peut-\u00eatre pas. Mais pour moi, l\u2019ensemble de ses gestes \u2013 charger son appareil, enfiler son blouson, sortir \u2013 \u00e9tait l\u2019expression d\u2019une volont\u00e9 presque h\u00e9ro\u00efque. Un geste \u00e0 la fois minuscule et mythologique. Cela m\u2019a rappel\u00e9 les matins glac\u00e9s o\u00f9 l\u2019on s\u2019entasse dans les trains de banlieue, les RER, ces paysages qui d\u00e9filent au-del\u00e0 des vitres embu\u00e9es. L\u2019h\u00e9ro\u00efsme est l\u00e0, dans l\u2019interstice entre l\u2019envie de sortir et la lutte contre toutes les excuses int\u00e9rieures. Je me suis vu marcher encore et encore, sur une autre berge, longeant un autre fleuve. J\u2019ai ressenti cet appel et, presque aussit\u00f4t, l\u2019h\u00e9sitation : trop froid, trop loin, trop inutile. Ce combat silencieux, entre l\u2019\u00e9lan et la paralysie, est peut-\u00eatre la plus grande \u00e9preuve. L\u2019effort n\u2019est pas dans le geste lui-m\u00eame, mais dans tout ce qui pr\u00e9c\u00e8de, tout ce qui l\u2019emp\u00eache. Le dibbouk, dans mon esprit, applaudissait doucement. Avec ce geste mesur\u00e9, presque moqueur, on aurait dit qu\u2019il f\u00e9licitait un enfant pour une \u00e9vidence qu\u2019il venait de d\u00e9couvrir. \u2014 \"Le sacr\u00e9 s\u2019est enfui, bien s\u00fbr,\" dit-il en allumant une cigarette, d\u00e9go\u00fbt\u00e9. \u00c9c\u0153ur\u00e9. Mais toi, tu sembles dire que tu ne t\u2019enfuis pas. Et pourtant regarde : tu restes l\u00e0, les pieds dans la boue, comme tout le monde. Parce que tu attends, toi aussi. Tu ne sais pas quoi, mais tu attends. Un signe, un souffle, une voix, quelque chose pour te dire : je suis encore l\u00e0. M\u00eame dans cette fange. Et en attendant, tu continues d\u2019\u00e9crire. Comme si \u00e7a pouvait changer quoi que ce soit.\" Pour le coup, rien \u00e0 ajouter. Je garde le silence. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/la-loire-a-velo.webp?1748065081", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "photographie", "Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-janvier-2025.html", "title": "18 janvier 2025", "date_published": "2025-01-18T06:58:51Z", "date_modified": "2025-04-30T16:08:23Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Nous avons le go\u00fbt de nos d\u00e9go\u00fbts.
\nEt sommes capables d\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s tout au nom de la distinction. Une dame, l\u2019autre soir, a qualifi\u00e9 mon tableau favori de vulgaire. Je n\u2019ai rien dit. Son pull orange vif faisait d\u00e9j\u00e0 tout le travail.<\/p>\n

Nous attendrons que l\u2019endroit devienne convenable.<\/i>
\nUne phrase entendue, peut-\u00eatre dans l\u2019une des enqu\u00eates sociologiques de Pierre Bourdieu. \u00c0 Beaubourg, sans doute. Elle remonte d’un vieux cauchemar de cette nuit. Les tapis roulants. Le prix d\u2019entr\u00e9e. Les collections permanentes, les temporaires, et, au sommet, le lunch sur la terrasse. On aper\u00e7oit les gargouilles de la Tour Saint-Jacques. Elles nous toisent, mais c\u2019est nous, en bas, qui sommes grotesques.<\/p>\n

Le pot aux roses.
\nQue tout repose sur un malentendu, un malentendu de taille. Un chiffre au sens de code, de secret, de dissimul\u00e9.
\nC’est du chinois.<\/strong><\/p>\n

Et toi, comment tu r\u00e9agis ? Tu t\u2019\u00e9nerves, tu rigoles, tu casses tout. Ou bien tu restes l\u00e0, bras ballants, coll\u00e9 contre le tronc. La t\u00eate dodeline l\u00e9g\u00e8rement, puis d\u00e9vale, vesse de loup \u00e9crabouill\u00e9e par un talon aiguille. Une \u00e9jaculation de fum\u00e9e grise sort par les trous de nez.<\/p>\n

Si Garett nous la fait \u00e0 l’envers, on gardera un chien de sa chienne \u00e0 son endroit.<\/i><\/p>\n

Tu aimerais entendre le bruit des vagues, du ressac<\/strong>. Mais tout ce que tu entends, ce sont les mots des autres, leur va-et-vient, leurs jugements qui montent et descendent.<\/p>\n

On ne s\u2019entend d\u00e9j\u00e0 pas soi-m\u00eame avec soi-m\u00eame, alors s\u2019entendre avec les autres, vous pensez.<\/i><\/p>\n

Et cette autre, une dame bien comme il faut<\/strong> en apparence :
\n« Moi monsieur, je suis anarchiste, non seulement je vous emmerde, mais j’emmerde la Terre toute enti\u00e8re et particuli\u00e8rement les promoteurs, les d\u00e9fenseurs de la vignette Crit’Air<\/strong> ! » (si possible en roulant les r).<\/p>\n

Et l\u00e0 on entendrait la chanson de Dutronc :<\/p>\n

C’\u00e9tait un petit jardin
\nQui sentait bon le M\u00e9tropolitain
\nQui sentait bon le bassin parisien
\nC’\u00e9tait un petit jardin
\nAvec une table et une chaise de jardin
\nAvec deux arbres, un pommier et un sapin
\nAu fond d’une cour \u00e0 la Chauss\u00e9e-d’Antin
\nMais un jour pr\u00e8s du jardin
\nPassa un homme qui au revers de son veston
\nPortait une fleur de b\u00e9ton.<\/p>\n

L’implosion aura-t-elle lieu \u00e0 une heure pr\u00e9cise ?
\nBien qu’on n’en sache encore pas le jour. Peut-\u00eatre a-t-elle d\u00e9j\u00e0 eu lieu. Tout est d\u00e9sormais question d’espace et de temps.
\nNous sommes tous morts, certains se sont invent\u00e9 un paradis, d’autres un enfer, les h\u00e9sitants un purgatoire, un no man’s land.<\/p>\n

David Lynch<\/strong> est mort, bon.
\nIl \u00e9tait n\u00e9 un 20 janvier, moi le 29... \u00e7a fait peur. JANVIER.
\nEt alors.
\nIl est mort.
\nPaix \u00e0 son \u00e2me.
\nQue peut-on dire de plus qui ne soit pas totalement obsc\u00e8ne.
\nTous ces charognards qui profitent des morts c\u00e9l\u00e8bres m’exasp\u00e8rent. D’ailleurs « mort c\u00e9l\u00e8bre », c’est illogique. La mort a pour vocation la remise \u00e0 niveau, le plein d’huile, et nettoyer le pare-brise. De quoi ? Y a presque plus un insecte volant la nuit. Donc oui, des gens c\u00e9l\u00e8bres, des vivants, perdent la vie.<\/p>\n

Comme tout un tas de gens, en fait. Notamment \u00e0 Gaza, en Ukraine, en Russie, \u00e0 Vienne, et aussi dans un ou deux taudis \u00e0 deux pas de chez moi. Moi-m\u00eame, je ne suis plus tr\u00e8s s\u00fbr d’\u00eatre vivant.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que tout est une farce.
\nOn meurt. Le rideau retombe, de l’autre c\u00f4t\u00e9 on allume un clope et tout continue comme avant.<\/p>", "content_text": "Nous avons le go\u00fbt de nos d\u00e9go\u00fbts. Et sommes capables d\u2019\u00e0 peu pr\u00e8s tout au nom de la distinction. Une dame, l\u2019autre soir, a qualifi\u00e9 mon tableau favori de vulgaire. Je n\u2019ai rien dit. Son pull orange vif faisait d\u00e9j\u00e0 tout le travail. {Nous attendrons que l\u2019endroit devienne convenable.} Une phrase entendue, peut-\u00eatre dans l\u2019une des enqu\u00eates sociologiques de Pierre Bourdieu. \u00c0 Beaubourg, sans doute. Elle remonte d'un vieux cauchemar de cette nuit. Les tapis roulants. Le prix d\u2019entr\u00e9e. Les collections permanentes, les temporaires, et, au sommet, le lunch sur la terrasse. On aper\u00e7oit les gargouilles de la Tour Saint-Jacques. Elles nous toisent, mais c\u2019est nous, en bas, qui sommes grotesques. Le pot aux roses. Que tout repose sur un malentendu, un malentendu de taille. Un chiffre au sens de code, de secret, de dissimul\u00e9. {{C'est du chinois.}} Et toi, comment tu r\u00e9agis ? Tu t\u2019\u00e9nerves, tu rigoles, tu casses tout. Ou bien tu restes l\u00e0, bras ballants, coll\u00e9 contre le tronc. La t\u00eate dodeline l\u00e9g\u00e8rement, puis d\u00e9vale, vesse de loup \u00e9crabouill\u00e9e par un talon aiguille. Une \u00e9jaculation de fum\u00e9e grise sort par les trous de nez. {Si Garett nous la fait \u00e0 l'envers, on gardera un chien de sa chienne \u00e0 son endroit.} Tu aimerais entendre le bruit des vagues, du {{ressac}}. Mais tout ce que tu entends, ce sont les mots des autres, leur va-et-vient, leurs jugements qui montent et descendent. {On ne s\u2019entend d\u00e9j\u00e0 pas soi-m\u00eame avec soi-m\u00eame, alors s\u2019entendre avec les autres, vous pensez.} Et cette autre, une dame {{bien comme il faut}} en apparence : \"Moi monsieur, je suis anarchiste, non seulement je vous emmerde, mais j'emmerde la Terre toute enti\u00e8re et particuli\u00e8rement les promoteurs, les d\u00e9fenseurs de la vignette {{Crit'Air}} !\" (si possible en roulant les r). Et l\u00e0 on entendrait la chanson de Dutronc : C'\u00e9tait un petit jardin Qui sentait bon le M\u00e9tropolitain Qui sentait bon le bassin parisien C'\u00e9tait un petit jardin Avec une table et une chaise de jardin Avec deux arbres, un pommier et un sapin Au fond d'une cour \u00e0 la Chauss\u00e9e-d'Antin Mais un jour pr\u00e8s du jardin Passa un homme qui au revers de son veston Portait une fleur de b\u00e9ton. L'implosion aura-t-elle lieu \u00e0 une heure pr\u00e9cise ? Bien qu'on n'en sache encore pas le jour. Peut-\u00eatre a-t-elle d\u00e9j\u00e0 eu lieu. Tout est d\u00e9sormais question d'espace et de temps. Nous sommes tous morts, certains se sont invent\u00e9 un paradis, d'autres un enfer, les h\u00e9sitants un purgatoire, un no man's land. {{David Lynch}} est mort, bon. Il \u00e9tait n\u00e9 un 20 janvier, moi le 29... \u00e7a fait peur. JANVIER. Et alors. Il est mort. Paix \u00e0 son \u00e2me. Que peut-on dire de plus qui ne soit pas totalement obsc\u00e8ne. Tous ces charognards qui profitent des morts c\u00e9l\u00e8bres m'exasp\u00e8rent. D'ailleurs \"mort c\u00e9l\u00e8bre\", c'est illogique. La mort a pour vocation la remise \u00e0 niveau, le plein d'huile, et nettoyer le pare-brise. De quoi ? Y a presque plus un insecte volant la nuit. Donc oui, des gens c\u00e9l\u00e8bres, des vivants, perdent la vie. Comme tout un tas de gens, en fait. Notamment \u00e0 Gaza, en Ukraine, en Russie, \u00e0 Vienne, et aussi dans un ou deux taudis \u00e0 deux pas de chez moi. Moi-m\u00eame, je ne suis plus tr\u00e8s s\u00fbr d'\u00eatre vivant. Peut-\u00eatre que tout est une farce. On meurt. Le rideau retombe, de l'autre c\u00f4t\u00e9 on allume un clope et tout continue comme avant. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pierre_bourdieu.jpg?1748065158", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "oeuvres litt\u00e9raires ", "affects"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-janvier-2025.html", "title": "17 janvier 2025", "date_published": "2025-01-17T07:41:51Z", "date_modified": "2025-02-17T01:43:42Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Il n\u2019y a rien. Pas d\u2019id\u00e9e, pas de phrase. Juste le vide. Je regarde l\u2019\u00e9cran, la fen\u00eatre. Il fait nuit. J\u2019attends. Rien ne bouge.<\/p>\n

Les mots ne viennent pas. Je cherche, je force un peu, mais tout reste bloqu\u00e9. Chaque fois que je commence une phrase dans ma t\u00eate, elle s\u2019efface. Ce n\u2019est pas la premi\u00e8re fois que \u00e7a arrive. Ce ne sera pas la derni\u00e8re. Et chaque fois, le doute revient. Stupeur et tremblements.<\/p>\n

Je me demande si \u00e7a reviendra, si je vais pouvoir continuer. Aller, un peu de drama, histoire d\u2019exalter mes globules sanguins slaves.<\/p>\n

Mais je reste. Je connais la musique. J\u2019attends encore un peu. Je pose une phrase.<\/p>\n

« Il n\u2019y a rien. » Voil\u00e0 la phrase.<\/p>\n

Elle flotte. Elle baigne comme un vieux m\u00e9g\u00f4t dans une flaque de caf\u00e9 froid. Je la regarde. Elle ne s\u2019enfonce pas sous la surface. Elle surnage. \u00c7a pourrait \u00eatre une \u00eele. Une autre arrive. Elles ne se r\u00e9pondent pas vraiment. Ce sont des \u00eeles isol\u00e9es, le d\u00e9but d\u2019un archipel, ou ce qu\u2019il reste d\u2019un continent englouti. Je les observe. D\u2019autres affleurent de ce pr\u00e9tendu n\u00e9ant. Elles s\u2019accrochent l\u2019une \u00e0 l\u2019autre. Le vide recule un peu.<\/p>\n

Tout commence comme \u00e7a. Pas avec des id\u00e9es claires. Pas avec des mots pr\u00e9cis. Seulement avec un geste. Celui d\u2019\u00e9crire une phrase, m\u00eame si elle vacille. Puis une autre. C\u2019est tout.<\/p>\n

Le rien, on le fuit. On le prend pour une impasse. Mais ce n\u2019est pas \u00e7a. C\u2019est un espace. Un endroit o\u00f9 quelque chose peut na\u00eetre. Il ne faut pas le forcer. Juste rester. Laisser les mots venir.<\/p>\n

Je pense \u00e0 Beckett. « Fail again. Fail better. » Ce n\u2019est pas une le\u00e7on. C\u2019est une m\u00e9thode. Recommencer. Accepter que rien ne soit parfait. \u00c9crire mal. \u00c9crire quand m\u00eame. Perec fait \u00e7a aussi. Il regarde les objets, les gestes simples, ce qui ne semble pas compter. Il commence par rien. Et ce rien devient quelque chose.<\/p>\n

Les jours comme aujourd\u2019hui, je fais pareil. Je n\u2019attends pas l\u2019inspiration. Je ne cherche pas la phrase juste. J\u2019avance dans le brouillard. Je pose des mots. Ils ne me paraissent pas bons. Tant pis. Ce n\u2019est pas important. Ce qui compte, c\u2019est qu\u2019ils soient l\u00e0. Qu\u2019un acte soit pos\u00e9.<\/p>\n

Au bout d\u2019un moment, \u00e7a change. Rien de spectaculaire. Ce n\u2019est pas rapide. Ce n\u2019est pas extraordinaire. Il faut \u00e9vacuer cette id\u00e9e d\u2019extraordinaire, je crois. La chasser, plisser un peu les yeux.<\/p>\n

Quelque chose bouge. Les phrases s\u2019alignent. Comme les d\u00e9chets que l\u2019on voit flotter dans un bassin. Ce n\u2019est pas pour rien qu\u2019on dit que les choses qui se ressemblent s\u2019assemblent. Il faut des heures \u00e0 ne rien faire, des jours, des ann\u00e9es, peut-\u00eatre une vie enti\u00e8re pour voir \u00e7a. Les choses s\u2019assemblent par nature. Les phrases aussi. Elles trouvent leur rythme. Elles poussent.<\/p>\n

Je ne sais pas comment \u00e7a arrive. \u00c7a vient juste parce que je d\u00e9cide de r\u00e9sister \u00e0 la r\u00e9sistance.<\/p>\n

Je regarde le texte. Il tient debout. Pas comme je l\u2019aurais voulu. Pas comme je l\u2019avais imagin\u00e9. Mais il est l\u00e0.<\/p>\n

Je pose une phrase.<\/p>\n

Il n\u2019y a rien.<\/p>\n

Et cette fois, je sais que c\u2019est faux.<\/p>", "content_text": "Il n\u2019y a rien. Pas d\u2019id\u00e9e, pas de phrase. Juste le vide. Je regarde l\u2019\u00e9cran, la fen\u00eatre. Il fait nuit. J\u2019attends. Rien ne bouge. Les mots ne viennent pas. Je cherche, je force un peu, mais tout reste bloqu\u00e9. Chaque fois que je commence une phrase dans ma t\u00eate, elle s\u2019efface. Ce n\u2019est pas la premi\u00e8re fois que \u00e7a arrive. Ce ne sera pas la derni\u00e8re. Et chaque fois, le doute revient. Stupeur et tremblements. Je me demande si \u00e7a reviendra, si je vais pouvoir continuer. Aller, un peu de drama, histoire d\u2019exalter mes globules sanguins slaves. Mais je reste. Je connais la musique. J\u2019attends encore un peu. Je pose une phrase. \"Il n\u2019y a rien.\" Voil\u00e0 la phrase. Elle flotte. Elle baigne comme un vieux m\u00e9g\u00f4t dans une flaque de caf\u00e9 froid. Je la regarde. Elle ne s\u2019enfonce pas sous la surface. Elle surnage. \u00c7a pourrait \u00eatre une \u00eele. Une autre arrive. Elles ne se r\u00e9pondent pas vraiment. Ce sont des \u00eeles isol\u00e9es, le d\u00e9but d\u2019un archipel, ou ce qu\u2019il reste d\u2019un continent englouti. Je les observe. D\u2019autres affleurent de ce pr\u00e9tendu n\u00e9ant. Elles s\u2019accrochent l\u2019une \u00e0 l\u2019autre. Le vide recule un peu. Tout commence comme \u00e7a. Pas avec des id\u00e9es claires. Pas avec des mots pr\u00e9cis. Seulement avec un geste. Celui d\u2019\u00e9crire une phrase, m\u00eame si elle vacille. Puis une autre. C\u2019est tout. Le rien, on le fuit. On le prend pour une impasse. Mais ce n\u2019est pas \u00e7a. C\u2019est un espace. Un endroit o\u00f9 quelque chose peut na\u00eetre. Il ne faut pas le forcer. Juste rester. Laisser les mots venir. Je pense \u00e0 Beckett. \"Fail again. Fail better.\" Ce n\u2019est pas une le\u00e7on. C\u2019est une m\u00e9thode. Recommencer. Accepter que rien ne soit parfait. \u00c9crire mal. \u00c9crire quand m\u00eame. Perec fait \u00e7a aussi. Il regarde les objets, les gestes simples, ce qui ne semble pas compter. Il commence par rien. Et ce rien devient quelque chose. Les jours comme aujourd\u2019hui, je fais pareil. Je n\u2019attends pas l\u2019inspiration. Je ne cherche pas la phrase juste. J\u2019avance dans le brouillard. Je pose des mots. Ils ne me paraissent pas bons. Tant pis. Ce n\u2019est pas important. Ce qui compte, c\u2019est qu\u2019ils soient l\u00e0. Qu\u2019un acte soit pos\u00e9. Au bout d\u2019un moment, \u00e7a change. Rien de spectaculaire. Ce n\u2019est pas rapide. Ce n\u2019est pas extraordinaire. Il faut \u00e9vacuer cette id\u00e9e d\u2019extraordinaire, je crois. La chasser, plisser un peu les yeux. Quelque chose bouge. Les phrases s\u2019alignent. Comme les d\u00e9chets que l\u2019on voit flotter dans un bassin. Ce n\u2019est pas pour rien qu\u2019on dit que les choses qui se ressemblent s\u2019assemblent. Il faut des heures \u00e0 ne rien faire, des jours, des ann\u00e9es, peut-\u00eatre une vie enti\u00e8re pour voir \u00e7a. Les choses s\u2019assemblent par nature. Les phrases aussi. Elles trouvent leur rythme. Elles poussent. Je ne sais pas comment \u00e7a arrive. \u00c7a vient juste parce que je d\u00e9cide de r\u00e9sister \u00e0 la r\u00e9sistance. Je regarde le texte. Il tient debout. Pas comme je l\u2019aurais voulu. Pas comme je l\u2019avais imagin\u00e9. Mais il est l\u00e0. Je pose une phrase. Il n\u2019y a rien. Et cette fois, je sais que c\u2019est faux.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dsc_0025.jpg?1748065067", "tags": ["Essai sur la fatigue", "Espaces lieux ", "Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-janvier-2025.html", "title": "16 janvier 2025", "date_published": "2025-01-16T07:13:15Z", "date_modified": "2025-05-28T06:48:17Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Ce n\u2019est pas le moment, ce n\u2019est jamais le moment, et donc j\u2019ai ajout\u00e9 20 \u20ac en plus de mon abonnement ce mois-ci pour recevoir, chaque matin, un email qui me replonge dans l\u2019ann\u00e9e 1925. Un saut dans la vie quotidienne de Lovecraft.<\/p>\n

J\u2019ai appris un mot que je ne connaissais pas : logogryphe.
\nJ\u2019ai appris l\u2019existence d\u2019Alexander Pope, que je ne connaissais pas non plus. Pas plus que celle de Samuel Johnson, dit Dr Johnson. Je ne savais pas non plus que Pierre Vinclair avait traduit Le Rapt de la Boucle.
\nIl est \u00e9vident qu\u2019avant tout cela, je ne savais pas grand-chose. Et demain, je n\u2019aurai pas plus l\u2019impression d\u2019en savoir davantage.<\/p>\n

J\u2019ai trouv\u00e9 int\u00e9ressant de poser ces faits, simplement, les uns apr\u00e8s les autres. Un empilement quotidien. Tenter d\u2019examiner les contours de mon ignorance. Alors, j\u2019ai ouvert un blog sur Blogger. J\u2019y r\u00e9colte tout ce que je croise : fragments culturels, images, mots-cl\u00e9s. Une collection de miettes. Pourquoi ? Je n\u2019en ai aucune id\u00e9e. \u00c7a me prend dix minutes, et \u00e7a me donne l\u2019impression d\u2019\u00eatre sous la douche.<\/p>\n

Comme il fallait s\u2019y attendre, la semaine a \u00e9t\u00e9 difficile. Pourtant, j\u2019essaie de maintenir un semblant d\u2019ordre. N\u00e9ant moins.
\nLa notion de rythme devient d\u2019autant plus cruciale quand on est seul. Laver l\u2019assiette et les couverts juste apr\u00e8s le repas. \u00c9teindre l\u2019ordinateur \u00e0 22 heures. Lire, surtout lire. Et tenter, autant que possible, de contrer cette tendance \u00e0 m\u2019\u00e9parpiller dans tous les sens. C\u2019est plus difficile. Mais un peu de tout, ce n\u2019est pas rien.<\/p>\n

Sur les r\u00e9seaux sociaux, c\u2019est le d\u00e9sert. Je dois \u00eatre ban sur X. Plus personne ne me parle, mais il faut dire que je ne parle \u00e0 personne non plus. Impossible de revenir sur BKY. J\u2019ai envoy\u00e9 un mail au support, mais ils semblent d\u00e9bord\u00e9s et me pr\u00e9viennent qu\u2019il faudra du temps avant de recevoir une r\u00e9ponse.<\/p>\n

J\u2019essaie de ne pas penser \u00e0 l\u2019horreur ambiante, mais \u00e0 peine je ferme les yeux, des images atroces surgissent. Peut-\u00eatre un manque de min\u00e9raux. Mon alimentation ? Des sandwichs.<\/p>\n

Crit’Air, c\u2019est une belle saloperie sous couvert de bons sentiments affich\u00e9s (r\u00e9chauffement climatique, \u00e9cologie, tout le tintouin). Le vrai but, \u00e0 peine dissimul\u00e9, est de faire gagner du fric aux compagnies d\u2019assurances. Les pauvres, les gueux, qui auraient le malheur d\u2019avoir un accident dans une ZFE (zone \u00e0 faibles \u00e9missions) pourraient ne pas \u00eatre indemnis\u00e9s. Pourquoi ? Parce qu\u2019ils n\u2019avaient rien \u00e0 faire l\u00e0 avec leurs poubelles roulantes.<\/p>\n

Ajoutez \u00e0 cela les banques, qui augmentent leurs frais financiers dans tous les sens. On parle de taux oscillant entre 5 et 10 %, selon les services. Ce qui donne cette impression d\u00e9sagr\u00e9able de tonte g\u00e9n\u00e9rale, accompagn\u00e9e des b\u00ealements plaintifs habituels. Ce qui veut aussi dire qu\u2019on s\u2019enfonce dans cette crise comme un vieux clou dans du polystyr\u00e8ne.<\/p>\n

Hier soir, \u00e9pisode 3 de la s\u00e9rie « Bouteille de gaz ».
\nAntargaz est en rupture. Coup de malchance : la consigne dans mon coffre n\u2019\u00e9tait pas compatible avec la marque distribu\u00e9e par Intermarch\u00e9. \u00c0 l\u2019accueil, j\u2019explique que je voudrais \u00e9changer ma consigne contre une des leurs, pour pouvoir acheter une nouvelle recharge. \u00c7a ne marche pas comme \u00e7a, me dit-on.<\/p>\n

Il faisait super froid dans l\u2019entr\u00e9e. J\u2019ai gard\u00e9 mon calme face \u00e0 cette jeune femme qui me demandait mon num\u00e9ro de t\u00e9l\u00e9phone pour \u00e9tablir un bon.\n
— En quoi le fait d\u2019avoir mon t\u00e9l\u00e9phone est-il important pour obtenir une bouteille de gaz ?\n
— C\u2019est comme \u00e7a, ils le demandent sur l\u2019ordinateur.\n
— Tr\u00e8s bien, mettez ooooooooooooooooooooooooooo. Je ne donne plus mon t\u00e9l\u00e9phone. Je suis emmerd\u00e9 toute la sainte journ\u00e9e par des appels intempestifs.<\/p>\n

R\u00e9sultat : encore 76 balles d\u00e9pens\u00e9es, et d\u00e9sormais, j\u2019ai trois bouteilles de gaz pour l\u2019atelier, au lieu d\u2019une seule.<\/p>\n

Et voil\u00e0. Une collection de faits, sans logique apparente, pos\u00e9s l\u00e0. Entre Crit’Air, les banques, et les courses absurdes pour une bouteille de gaz, le monde ressemble de plus en plus \u00e0 une mauvaise plaisanterie. J\u2019essaie, entre deux batailles avec l\u2019absurde, de tenir debout. Je blogue, je lave mes couverts, je d\u00e9couvre des mots. Je m\u2019\u00e9parpille, mais au fond, ce d\u00e9sordre a peut-\u00eatre sa propre coh\u00e9rence.
\nEn m\u00eame temps je rale je rale mais je suis tout autant responsable que n’importe quel putain de baby boomer de cette situation. Cette insouciance affolante avec laquelle nous avons v\u00e9cu, j’ai bien peur qu’aucune autre g\u00e9n\u00e9ration apr\u00e8s la notre ne puisse la conna\u00eetre. Que disaient ma m\u00e8re et ma grand-m\u00e8re \u00e0 cette occasion ... Comme on fait son lit on se couche !<\/p>\n

J’ai mis en ligne la nouvelle mouture du site. Encore quelques petites am\u00e9liorations \u00e0 venir que je suis en train de tester en local notamment concernant les pages recherche, mot, groupes de mot... Mise en place \u00e9galement d’une nouvelle rubrique « Edito » , et reflexion sur un digest mensuel des carnets, ce qui devrait permettre de mettre l’accent sur les th\u00e9matiques de cette montagne de textes.<\/p>", "content_text": "Ce n\u2019est pas le moment, ce n\u2019est jamais le moment, et donc j\u2019ai ajout\u00e9 20 \u20ac en plus de mon abonnement ce mois-ci pour recevoir, chaque matin, un email qui me replonge dans l\u2019ann\u00e9e 1925. Un saut dans la vie quotidienne de Lovecraft. J\u2019ai appris un mot que je ne connaissais pas : logogryphe. J\u2019ai appris l\u2019existence d\u2019Alexander Pope, que je ne connaissais pas non plus. Pas plus que celle de Samuel Johnson, dit Dr Johnson. Je ne savais pas non plus que Pierre Vinclair avait traduit Le Rapt de la Boucle. Il est \u00e9vident qu\u2019avant tout cela, je ne savais pas grand-chose. Et demain, je n\u2019aurai pas plus l\u2019impression d\u2019en savoir davantage. J\u2019ai trouv\u00e9 int\u00e9ressant de poser ces faits, simplement, les uns apr\u00e8s les autres. Un empilement quotidien. Tenter d\u2019examiner les contours de mon ignorance. Alors, j\u2019ai ouvert un blog sur Blogger. J\u2019y r\u00e9colte tout ce que je croise : fragments culturels, images, mots-cl\u00e9s. Une collection de miettes. Pourquoi ? Je n\u2019en ai aucune id\u00e9e. \u00c7a me prend dix minutes, et \u00e7a me donne l\u2019impression d\u2019\u00eatre sous la douche. Comme il fallait s\u2019y attendre, la semaine a \u00e9t\u00e9 difficile. Pourtant, j\u2019essaie de maintenir un semblant d\u2019ordre. N\u00e9ant moins. La notion de rythme devient d\u2019autant plus cruciale quand on est seul. Laver l\u2019assiette et les couverts juste apr\u00e8s le repas. \u00c9teindre l\u2019ordinateur \u00e0 22 heures. Lire, surtout lire. Et tenter, autant que possible, de contrer cette tendance \u00e0 m\u2019\u00e9parpiller dans tous les sens. C\u2019est plus difficile. Mais un peu de tout, ce n\u2019est pas rien. Sur les r\u00e9seaux sociaux, c\u2019est le d\u00e9sert. Je dois \u00eatre ban sur X. Plus personne ne me parle, mais il faut dire que je ne parle \u00e0 personne non plus. Impossible de revenir sur BKY. J\u2019ai envoy\u00e9 un mail au support, mais ils semblent d\u00e9bord\u00e9s et me pr\u00e9viennent qu\u2019il faudra du temps avant de recevoir une r\u00e9ponse. J\u2019essaie de ne pas penser \u00e0 l\u2019horreur ambiante, mais \u00e0 peine je ferme les yeux, des images atroces surgissent. Peut-\u00eatre un manque de min\u00e9raux. Mon alimentation ? Des sandwichs. Crit'Air, c\u2019est une belle saloperie sous couvert de bons sentiments affich\u00e9s (r\u00e9chauffement climatique, \u00e9cologie, tout le tintouin). Le vrai but, \u00e0 peine dissimul\u00e9, est de faire gagner du fric aux compagnies d\u2019assurances. Les pauvres, les gueux, qui auraient le malheur d\u2019avoir un accident dans une ZFE (zone \u00e0 faibles \u00e9missions) pourraient ne pas \u00eatre indemnis\u00e9s. Pourquoi ? Parce qu\u2019ils n\u2019avaient rien \u00e0 faire l\u00e0 avec leurs poubelles roulantes. Ajoutez \u00e0 cela les banques, qui augmentent leurs frais financiers dans tous les sens. On parle de taux oscillant entre 5 et 10 %, selon les services. Ce qui donne cette impression d\u00e9sagr\u00e9able de tonte g\u00e9n\u00e9rale, accompagn\u00e9e des b\u00ealements plaintifs habituels. Ce qui veut aussi dire qu\u2019on s\u2019enfonce dans cette crise comme un vieux clou dans du polystyr\u00e8ne. Hier soir, \u00e9pisode 3 de la s\u00e9rie \"Bouteille de gaz\". Antargaz est en rupture. Coup de malchance : la consigne dans mon coffre n\u2019\u00e9tait pas compatible avec la marque distribu\u00e9e par Intermarch\u00e9. \u00c0 l\u2019accueil, j\u2019explique que je voudrais \u00e9changer ma consigne contre une des leurs, pour pouvoir acheter une nouvelle recharge. \u00c7a ne marche pas comme \u00e7a, me dit-on. Il faisait super froid dans l\u2019entr\u00e9e. J\u2019ai gard\u00e9 mon calme face \u00e0 cette jeune femme qui me demandait mon num\u00e9ro de t\u00e9l\u00e9phone pour \u00e9tablir un bon. \u2014 En quoi le fait d\u2019avoir mon t\u00e9l\u00e9phone est-il important pour obtenir une bouteille de gaz ? \u2014 C\u2019est comme \u00e7a, ils le demandent sur l\u2019ordinateur. \u2014 Tr\u00e8s bien, mettez ooooooooooooooooooooooooooo. Je ne donne plus mon t\u00e9l\u00e9phone. Je suis emmerd\u00e9 toute la sainte journ\u00e9e par des appels intempestifs. R\u00e9sultat : encore 76 balles d\u00e9pens\u00e9es, et d\u00e9sormais, j\u2019ai trois bouteilles de gaz pour l\u2019atelier, au lieu d\u2019une seule. Et voil\u00e0. Une collection de faits, sans logique apparente, pos\u00e9s l\u00e0. Entre Crit'Air, les banques, et les courses absurdes pour une bouteille de gaz, le monde ressemble de plus en plus \u00e0 une mauvaise plaisanterie. J\u2019essaie, entre deux batailles avec l\u2019absurde, de tenir debout. Je blogue, je lave mes couverts, je d\u00e9couvre des mots. Je m\u2019\u00e9parpille, mais au fond, ce d\u00e9sordre a peut-\u00eatre sa propre coh\u00e9rence. En m\u00eame temps je rale je rale mais je suis tout autant responsable que n'importe quel putain de baby boomer de cette situation. Cette insouciance affolante avec laquelle nous avons v\u00e9cu, j'ai bien peur qu'aucune autre g\u00e9n\u00e9ration apr\u00e8s la notre ne puisse la conna\u00eetre. Que disaient ma m\u00e8re et ma grand-m\u00e8re \u00e0 cette occasion ... Comme on fait son lit on se couche ! J'ai mis en ligne la nouvelle mouture du site. Encore quelques petites am\u00e9liorations \u00e0 venir que je suis en train de tester en local notamment concernant les pages recherche, mot, groupes de mot... Mise en place \u00e9galement d'une nouvelle rubrique \"Edito\" , et reflexion sur un digest mensuel des carnets, ce qui devrait permettre de mettre l'accent sur les th\u00e9matiques de cette montagne de textes. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/fourvoiements-1.jpg?1748065146", "tags": ["Lovecraft"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-janvier-2025.html", "title": "15 janvier 2025", "date_published": "2025-01-15T09:40:22Z", "date_modified": "2025-04-30T14:36:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n
\n\t
Mise en abyme, Duane Michals\n<\/strong><\/div>\n\t
« La plupart des photographes sont des reporters, moi je suis un \u00e9crivain de la photographie » explique-t-il. Dans cette s\u00e9rie, chaque image vient faire mentir la pr\u00e9c\u00e9dente, dans une mise en abyme permanente.\n<\/div>\n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>

Une mise en abyme infinie<\/h3>\n

Roman du site. Roman de l\u2019\u00e9volution du narrateur du roman. Roman du roman du roman. Une mise en abyme <\/strong> infinie, vertigineuse. Mais voil\u00e0 : choisir. En garder une. S\u2019y tenir. Toujours.<\/p>\n

Ce « toujours », je le hais. Insupportable dans l\u2019instant m\u00eame o\u00f9 je l\u2019\u00e9cris. Et ce « jamais » non plus, je n\u2019en veux pas. Pourquoi faudrait-il choisir une mise en abyme comme une prison ? Pourquoi ne pas toutes les empiler, les superposer comme des poup\u00e9es russes, \u00e0 la limite du chaos, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9c\u0153urement ? Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire, ce n\u2019est rien d\u2019autre : jongler entre des miroirs, sans chercher \u00e0 les aligner parfaitement.<\/p>\n

Mais ce vertige ne suffit pas. Il y a aussi cette id\u00e9e qui me trotte dans la t\u00eate : le roman de la publication. Parce que tout texte publi\u00e9 raconte une histoire, bien au-del\u00e0 de ce qu\u2019il contient. Publier, c\u2019est affirmer que quelque chose m\u00e9rite d\u2019exister hors de soi. Ce geste n\u2019est jamais neutre. Il porte en lui une intention, m\u00eame inconsciente.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 que commence le doute. Quand je dis « roman », qu\u2019est-ce que je veux dire ? Une forme d\u00e9finie ? Une id\u00e9e floue ? Ou juste une tentative pour attraper quelque chose qui m\u2019\u00e9chappe ? Publier, c\u2019est toujours n\u00e9gocier : entre ce qu\u2019on croit dire, ce qu\u2019on veut dire et ce que les autres entendent.<\/p>\n

Et pourtant, j\u2019aimerais tellement retrouver une certaine na\u00efvet\u00e9. \u00c9crire comme si personne ne lisait. Comme si le monde ext\u00e9rieur n\u2019existait pas. Mais ce n\u2019est pas vrai. \u00c7a ne l\u2019est jamais. Si je dis que je ne m\u2019int\u00e9resse pas au qu\u2019en-dira-t-on, pourquoi ressentir le besoin de le dire ? Pourquoi cette d\u00e9claration m\u2019est-elle n\u00e9cessaire ? Une m\u00e9thode Cou\u00e9, encore une.<\/p>\n

Alors, \u00e0 quoi bon \u00e9crire, si ce n\u2019est pour s\u2019avouer ses propres paradoxes ? Peut-\u00eatre que le v\u00e9ritable roman, ce n\u2019est pas une histoire. C\u2019est une h\u00e9sitation. Une oscillation constante entre des p\u00f4les oppos\u00e9s. Entre l\u2019insouciance et l\u2019introspection. Entre l\u2019envie d\u2019\u00e9crire pour soi et la certitude d\u2019\u00eatre lu.<\/p>\n

Et pourtant, ce doute me pousse. La vie elle-m\u00eame est une fuite, non ? Une \u00e9vasion permanente, qu\u2019on maquille sous des formes vari\u00e9es : la pens\u00e9e, la lecture effr\u00e9n\u00e9e, les longues promenades o\u00f9 l\u2019on cherche \u00e0 se perdre dans les rues de la ville, les biblioth\u00e8ques, les abonnements \u00e0 ceci ou cela.<\/p>\n

Je crois que tout \u00e7a revient au m\u00eame. On fuit. Toujours. \u00c9crire, au fond, est peut-\u00eatre la seule fuite qui ose se regarder en face.<\/p>", "content_text": " {{{Une mise en abyme infinie}}} Roman du site. Roman de l\u2019\u00e9volution du narrateur du roman. Roman du roman du roman. {{Une mise en abyme }} infinie, vertigineuse. Mais voil\u00e0 : choisir. En garder une. S\u2019y tenir. Toujours. Ce \"toujours\", je le hais. Insupportable dans l\u2019instant m\u00eame o\u00f9 je l\u2019\u00e9cris. Et ce \"jamais\" non plus, je n\u2019en veux pas. Pourquoi faudrait-il choisir une mise en abyme comme une prison ? Pourquoi ne pas toutes les empiler, les superposer comme des poup\u00e9es russes, \u00e0 la limite du chaos, jusqu\u2019\u00e0 l\u2019\u00e9c\u0153urement ? Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire, ce n\u2019est rien d\u2019autre : jongler entre des miroirs, sans chercher \u00e0 les aligner parfaitement. Mais ce vertige ne suffit pas. Il y a aussi cette id\u00e9e qui me trotte dans la t\u00eate : le roman de la publication. Parce que tout texte publi\u00e9 raconte une histoire, bien au-del\u00e0 de ce qu\u2019il contient. Publier, c\u2019est affirmer que quelque chose m\u00e9rite d\u2019exister hors de soi. Ce geste n\u2019est jamais neutre. Il porte en lui une intention, m\u00eame inconsciente. C\u2019est l\u00e0 que commence le doute. Quand je dis \"roman\", qu\u2019est-ce que je veux dire ? Une forme d\u00e9finie ? Une id\u00e9e floue ? Ou juste une tentative pour attraper quelque chose qui m\u2019\u00e9chappe ? Publier, c\u2019est toujours n\u00e9gocier : entre ce qu\u2019on croit dire, ce qu\u2019on veut dire et ce que les autres entendent. Et pourtant, j\u2019aimerais tellement retrouver une certaine na\u00efvet\u00e9. \u00c9crire comme si personne ne lisait. Comme si le monde ext\u00e9rieur n\u2019existait pas. Mais ce n\u2019est pas vrai. \u00c7a ne l\u2019est jamais. Si je dis que je ne m\u2019int\u00e9resse pas au qu\u2019en-dira-t-on, pourquoi ressentir le besoin de le dire ? Pourquoi cette d\u00e9claration m\u2019est-elle n\u00e9cessaire ? Une m\u00e9thode Cou\u00e9, encore une. Alors, \u00e0 quoi bon \u00e9crire, si ce n\u2019est pour s\u2019avouer ses propres paradoxes ? Peut-\u00eatre que le v\u00e9ritable roman, ce n\u2019est pas une histoire. C\u2019est une h\u00e9sitation. Une oscillation constante entre des p\u00f4les oppos\u00e9s. Entre l\u2019insouciance et l\u2019introspection. Entre l\u2019envie d\u2019\u00e9crire pour soi et la certitude d\u2019\u00eatre lu. Et pourtant, ce doute me pousse. La vie elle-m\u00eame est une fuite, non ? Une \u00e9vasion permanente, qu\u2019on maquille sous des formes vari\u00e9es : la pens\u00e9e, la lecture effr\u00e9n\u00e9e, les longues promenades o\u00f9 l\u2019on cherche \u00e0 se perdre dans les rues de la ville, les biblioth\u00e8ques, les abonnements \u00e0 ceci ou cela. Je crois que tout \u00e7a revient au m\u00eame. On fuit. Toujours. \u00c9crire, au fond, est peut-\u00eatre la seule fuite qui ose se regarder en face. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/miseenabime.jpg?1748065105", "tags": ["photographes"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-janvier-2025.html", "title": "14 janvier 2025", "date_published": "2025-01-13T23:28:00Z", "date_modified": "2025-02-15T06:14:33Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

Dialogue entre le narrateur et le dibbouk<\/h3>
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C\u2019est en vain qu\u2019au Parnasse un t\u00e9m\u00e9raire auteur
\nPense de l\u2019art des vers atteindre la hauteur.
\nS\u2019il ne sent point du Ciel l\u2019influence secr\u00e8te,
\nSi son astre en naissant ne l\u2019a form\u00e9 po\u00e8te,
\nDans son g\u00e9nie \u00e9troit il est toujours captif ;
\nPour lui Ph\u00e9bus est sourd, et P\u00e9gase est r\u00e9tif.<\/p>\n<\/blockquote>\n

(Le narrateur est seul, plong\u00e9 dans ses pens\u00e9es apr\u00e8s une lecture de Villon et de Boileau. Le dibbouk, silhouette troublante et moqueuse, appara\u00eet \u00e0 la limite de l\u2019ombre.)<\/p>\n

Narrateur<\/strong> :
\nLecture de Villon, puis de Boileau. Leur langue me parle comme si elle venait d\u2019un temps o\u00f9 j\u2019\u00e9tais encore entier, encore ouvert. Et voil\u00e0 que je pleure, de grosses larmes qui roulent sur mes joues vieillies. Elles sont l\u00e0, non pas comme une faiblesse, mais comme une force douce. Comme des haleurs,<\/i> et qui tirent, oui, un souffle qui me tire vers le fond de moi-m\u00eame, l\u00e0 o\u00f9 tout commence.<\/p>\n

Dibbouk<\/strong> :
\n(Surgissant, une redingote r\u00e2p\u00e9e sur les \u00e9paules, un mouchoir douteux \u00e0 la main.)
\nEh bien, te voil\u00e0 ! En plein drame po\u00e9tique, avec des larmes et tout le reste. Tu as l\u2019air fin. Prends donc ce mouchoir, qu\u2019on \u00e9vite au moins la mare sur le parquet.<\/p>\n

Narrateur<\/strong> :
\n(Le regarde, sans col\u00e8re, presque amus\u00e9.)
\nTe moquer, toujours. Mais je sais ce que tu veux. Tu esp\u00e8res m\u2019arracher \u00e0 cet instant. Tu voudrais que je me justifie, que je me d\u00e9fende. Peut-\u00eatre m\u00eame que je me mette en col\u00e8re.<\/p>\n

Dibbouk<\/strong> :
\n(Il ricane, tendant le mouchoir \u00e0 bout de bras.)
\nLa col\u00e8re ? Mais ce serait un cadeau ! Au moins ce serait vivant. Regarde-toi, avec tes grandes phrases sur l\u2019haleur. Tu sais que si tu rajoutes un « b », \u00e7a fait hableur, non ? Une belle posture pour un homme en larmes.<\/p>\n

Narrateur<\/strong> :
\n(Un silence. Puis il r\u00e9pond, doucement.)
\nHableur, peut-\u00eatre. Si c\u2019est ce que tu veux voir. Mais pour moi, c\u2019est haleur. Pas une posture, juste un effort, partag\u00e9 avec tous ceux qui tirent le poids de leur vie le long du fleuve. Je ne suis pas seul. Nous sommes tous dans cette file, et je prends ma place.<\/p>\n

Dibbouk<\/strong> :
\n(S\u2019approchant, moqueur mais un peu troubl\u00e9.)
\nEt tu trouves \u00e7a glorieux, cet effort ? Tirer, tirer encore, avec la corde qui te scie l\u2019\u00e9paule ? Tu ne cherches m\u00eame pas \u00e0 t\u2019\u00e9chapper ? Tu crois vraiment que \u00e7a suffit, ce tirage collectif ?<\/p>\n

Narrateur<\/strong> :
\n(Souriant, presque tendre.)
\nOui, \u00e7a suffit. Parce que ce n\u2019est pas une question de gloire ou d\u2019arriv\u00e9e. Je ne tire pas pour atteindre un port. Je tire parce que c\u2019est ce qui donne un sens. Parce que dans cette haleur, il y a une chaleur, un souffle. Et ce souffle, c\u2019est la vie.<\/p>\n

Dibbouk<\/strong> :
\n(Il recule l\u00e9g\u00e8rement, mais son ironie revient, comme une d\u00e9fense.)
\nTu es vraiment pr\u00eat \u00e0 te contenter de \u00e7a ? Pas de feu, pas de sublime, juste ce pas apr\u00e8s l\u2019autre, cette corde qui avance le long du fleuve ? Allons, avoue que \u00e7a te ronge un peu.<\/p>\n

Narrateur<\/strong> :
\n(Le regarde droit dans les yeux, avec une douceur ferme.)
\nNon. Ce n\u2019est pas une fuite, ni une r\u00e9signation. C\u2019est un choix. Je ne veux pas fuir cette sensation, je veux m\u2019y plonger. \u00catre haleur, c\u2019est accepter d\u2019\u00eatre en lien avec les autres, avec ce fleuve qui nous traverse tous. M\u00eame toi, tu es li\u00e9 \u00e0 cette file, malgr\u00e9 toi.<\/p>\n

Dibbouk<\/strong> :
\n(Silencieux un instant, comme d\u00e9contenanc\u00e9. Puis il murmure, presque pour lui-m\u00eame.)
\nHaleur, hableur\u2026 Peut-\u00eatre qu\u2019il n\u2019y a pas tant de diff\u00e9rence.<\/p>\n

Narrateur<\/strong> :
\n(Se tourne vers l\u2019horizon, les yeux fix\u00e9s sur le mouvement du fleuve.)
\nTu verras. Peut-\u00eatre qu\u2019un jour, toi aussi, tu sentiras ce souffle. Pas besoin de le comprendre, ni de l\u2019expliquer. Juste le vivre, comme une corde tendue qui chante sous l\u2019effort.<\/p>\n

(Le dibbouk s\u2019\u00e9loigne, marmonnant, pendant que le narrateur reste l\u00e0, calme, respirant l\u2019air humide du fleuve.)<\/p>", "content_text": " {{{Dialogue entre le narrateur et le dibbouk}}} C\u2019est en vain qu\u2019au Parnasse un t\u00e9m\u00e9raire auteur Pense de l\u2019art des vers atteindre la hauteur. S\u2019il ne sent point du Ciel l\u2019influence secr\u00e8te, Si son astre en naissant ne l\u2019a form\u00e9 po\u00e8te, Dans son g\u00e9nie \u00e9troit il est toujours captif ; Pour lui Ph\u00e9bus est sourd, et P\u00e9gase est r\u00e9tif. (Le narrateur est seul, plong\u00e9 dans ses pens\u00e9es apr\u00e8s une lecture de Villon et de Boileau. Le dibbouk, silhouette troublante et moqueuse, appara\u00eet \u00e0 la limite de l\u2019ombre.) {{Narrateur}} : Lecture de Villon, puis de Boileau. Leur langue me parle comme si elle venait d\u2019un temps o\u00f9 j\u2019\u00e9tais encore entier, encore ouvert. Et voil\u00e0 que je pleure, de grosses larmes qui roulent sur mes joues vieillies. Elles sont l\u00e0, non pas comme une faiblesse, mais comme une force douce. {Comme des haleurs,} et qui tirent, oui, un souffle qui me tire vers le fond de moi-m\u00eame, l\u00e0 o\u00f9 tout commence. {{Dibbouk}} : (Surgissant, une redingote r\u00e2p\u00e9e sur les \u00e9paules, un mouchoir douteux \u00e0 la main.) Eh bien, te voil\u00e0 ! En plein drame po\u00e9tique, avec des larmes et tout le reste. Tu as l\u2019air fin. Prends donc ce mouchoir, qu\u2019on \u00e9vite au moins la mare sur le parquet. {{Narrateur}} : (Le regarde, sans col\u00e8re, presque amus\u00e9.) Te moquer, toujours. Mais je sais ce que tu veux. Tu esp\u00e8res m\u2019arracher \u00e0 cet instant. Tu voudrais que je me justifie, que je me d\u00e9fende. Peut-\u00eatre m\u00eame que je me mette en col\u00e8re. {{Dibbouk}} : (Il ricane, tendant le mouchoir \u00e0 bout de bras.) La col\u00e8re ? Mais ce serait un cadeau ! Au moins ce serait vivant. Regarde-toi, avec tes grandes phrases sur l\u2019haleur. Tu sais que si tu rajoutes un \"b\", \u00e7a fait hableur, non ? Une belle posture pour un homme en larmes. {{Narrateur}} : (Un silence. Puis il r\u00e9pond, doucement.) Hableur, peut-\u00eatre. Si c\u2019est ce que tu veux voir. Mais pour moi, c\u2019est haleur. Pas une posture, juste un effort, partag\u00e9 avec tous ceux qui tirent le poids de leur vie le long du fleuve. Je ne suis pas seul. Nous sommes tous dans cette file, et je prends ma place. {{Dibbouk}} : (S\u2019approchant, moqueur mais un peu troubl\u00e9.) Et tu trouves \u00e7a glorieux, cet effort ? Tirer, tirer encore, avec la corde qui te scie l\u2019\u00e9paule ? Tu ne cherches m\u00eame pas \u00e0 t\u2019\u00e9chapper ? Tu crois vraiment que \u00e7a suffit, ce tirage collectif ? {{Narrateur}} : (Souriant, presque tendre.) Oui, \u00e7a suffit. Parce que ce n\u2019est pas une question de gloire ou d\u2019arriv\u00e9e. Je ne tire pas pour atteindre un port. Je tire parce que c\u2019est ce qui donne un sens. Parce que dans cette haleur, il y a une chaleur, un souffle. Et ce souffle, c\u2019est la vie. {{Dibbouk}} : (Il recule l\u00e9g\u00e8rement, mais son ironie revient, comme une d\u00e9fense.) Tu es vraiment pr\u00eat \u00e0 te contenter de \u00e7a ? Pas de feu, pas de sublime, juste ce pas apr\u00e8s l\u2019autre, cette corde qui avance le long du fleuve ? Allons, avoue que \u00e7a te ronge un peu. {{Narrateur}} : (Le regarde droit dans les yeux, avec une douceur ferme.) Non. Ce n\u2019est pas une fuite, ni une r\u00e9signation. C\u2019est un choix. Je ne veux pas fuir cette sensation, je veux m\u2019y plonger. \u00catre haleur, c\u2019est accepter d\u2019\u00eatre en lien avec les autres, avec ce fleuve qui nous traverse tous. M\u00eame toi, tu es li\u00e9 \u00e0 cette file, malgr\u00e9 toi. {{Dibbouk}} : (Silencieux un instant, comme d\u00e9contenanc\u00e9. Puis il murmure, presque pour lui-m\u00eame.) Haleur, hableur\u2026 Peut-\u00eatre qu\u2019il n\u2019y a pas tant de diff\u00e9rence. {{Narrateur}} : (Se tourne vers l\u2019horizon, les yeux fix\u00e9s sur le mouvement du fleuve.) Tu verras. Peut-\u00eatre qu\u2019un jour, toi aussi, tu sentiras ce souffle. Pas besoin de le comprendre, ni de l\u2019expliquer. Juste le vivre, comme une corde tendue qui chante sous l\u2019effort. (Le dibbouk s\u2019\u00e9loigne, marmonnant, pendant que le narrateur reste l\u00e0, calme, respirant l\u2019air humide du fleuve.)", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/876baaac-d68b-458b-b007-4de2cc894e9b.webp?1748065160", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-janvier-2025.html", "title": "13 janvier 2025", "date_published": "2025-01-13T06:59:28Z", "date_modified": "2025-05-28T06:43:37Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Dans le mot r\u00e9sistif, il y a quelque chose de plus actif que dans le simple fait de r\u00e9sister. Il est acceptable, dans ce cas, de dire que je suis plus r\u00e9sistif que r\u00e9sistant. C’est peut-\u00eatre une discipline yogique : la r\u00e9sistance active. D’ailleurs, je ne m’\u00e9parpille pas, focalis\u00e9 sur l’action de r\u00e9sister sans m\u00eame me demander \u00e0 quoi ou contre quoi. On dirait bien que seule la r\u00e9sistance m\u00e9rite une attention soutenue.<\/p>\n

C’est comme dire non par r\u00e9flexe. \u00c0 partir du moment o\u00f9 l’intonation ressemblerait un tant soit peu \u00e0 une question : Non !
\nCe pourrait \u00eatre amusant si je n’avais pas d\u00e9j\u00e0 l’\u00e2me us\u00e9e jusqu’\u00e0 la corde.<\/p>\n

J’ai lu, ou plut\u00f4t feuillet\u00e9, quelques ouvrages parmi lesquels Fran\u00e7ois 1er de Didier Le Fur et les essais sur les artistes de la Renaissance de Walter Horacio Pater. J’ai m\u00eame fait traduire \u00e0 l’IA un ouvrage complet de l’anglais vers le fran\u00e7ais pour ne pas avoir \u00e0 l’acheter. \u00c9videmment, ce sont deux visions que l’on pourrait penser oppos\u00e9es : entre froideur et lyrisme, ce qui correspond \u00e0 ce vieil antagonisme qui loge depuis toujours en moi.<\/p>\n

J’ai effectu\u00e9 quelques analogies entre le fait que le p\u00e8re de Pater soit n\u00e9 \u00e0 New York, qu’il ait \u00e9prouv\u00e9, \u00e0 un moment de sa vie, l’envie de venir s’installer en Angleterre et qu’il soit mort alors que l’auteur n’avait que deux ans. D’o\u00f9, peut-\u00eatre, une l\u00e9gende familiale qu’il aurait tiss\u00e9e autour de la notion de l’\u00e9ternel retour, d’une Renaissance hypoth\u00e9tique, et donc l’inclination lyrique qui en d\u00e9coule. H.P. Lovecraft, lui, perd son p\u00e8re \u00e0 huit ans. Faut-il voir une sorte d’affinit\u00e9 entre Pater et Lovecraft \u00e0 ce sujet ? Et aussi dans le fait que cette \u00e9poque victorienne, \u00e9tendue outre-Atlantique, ait caus\u00e9 autant de contradictions chez l’un comme chez l’autre ?<\/p>\n

Le fait que Swinburne et les pr\u00e9rapha\u00e9lites aient attir\u00e9 Pater un temps, puis qu’il s’en soit sans doute \u00e9loign\u00e9, correspondrait peut-\u00eatre \u00e0 la prise de conscience d’une stupidit\u00e9. Mais laquelle ? La sienne, celle de son \u00e9poque ? Elles le sont toutes : la stupidit\u00e9 de l’esprit victorien, tout autant que le contre-pouvoir, tout aussi stupide au bout du compte. Ainsi avance donc l’histoire et l’art, en crabe, par cercles concentriques. La stupidit\u00e9 serait \u00e0 la fois source d’une force centrip\u00e8te et centrifuge.<\/p>\n

L\u00e0 o\u00f9 les pr\u00e9rapha\u00e9lites cherchaient un r\u00e9alisme intransigeant et une puret\u00e9 artistique, Pater d\u00e9veloppe une philosophie plus h\u00e9doniste. Il repr\u00e9sente une transition entre le pr\u00e9rapha\u00e9lisme et l’esth\u00e9tisme britannique. Il prolonge certains aspects de l’art pr\u00e9rapha\u00e9lite tout en d\u00e9veloppant une approche plus personnelle et philosophique. Il s’int\u00e9resse davantage \u00e0 la sensation et \u00e0 la jouissance esth\u00e9tique qu’au r\u00e9alisme pr\u00f4n\u00e9 par les pr\u00e9rapha\u00e9lites. Sa position peut \u00eatre vue comme une \u00e9volution du pr\u00e9rapha\u00e9lisme vers une philosophie plus sensuelle et subjective, d\u00e9passant les principes initiaux du mouvement pour d\u00e9velopper une esth\u00e9tique plus personnelle et contemplative.<\/p>\n

J’ai retrouv\u00e9, dans un coin de la biblioth\u00e8que, un Ruskin sur les ma\u00eetres anciens que je ne me souvenais pas avoir lu. Ce que je remarque aussi, c’est cette attirance, depuis plusieurs ann\u00e9es, pour le XIX\u1d49 si\u00e8cle, peut-\u00eatre m\u00eame avant la naissance de la r\u00e9volution industrielle. D’ailleurs, nous vivons dans une maison b\u00e2tie en 1850. Peut-\u00eatre quelques fant\u00f4mes r\u00f4dent-ils encore et viennent lire par-dessus mon \u00e9paule. \u00c0 ceux-l\u00e0, je n’ai pas le c\u0153ur tant que \u00e7a \u00e0 dire non. Il me semble parfois que je ne suis qu’un fant\u00f4me parmi d’autres.<\/p>\n

C’est aussi se poser la question d’installer une lettre d’information, une newsletter. Je ne sais pas si j’en ai vraiment envie. L\u00e0 encore, le non domine. Entre le peut-\u00eatre et le et si, le non tranche. Ce qui, dans un certain sens, est un confort, et dans un autre, la p\u00e9nibilit\u00e9 de reconna\u00eetre qu’il s’agit pr\u00e9cis\u00e9ment d’un confort.<\/p>\n

Le mot ridicule s’estompe par moments pour \u00eatre remplac\u00e9 par stupidit\u00e9. Conserver le courage d’\u00eatre stupide n’est pas une chose facile. C’est r\u00e9sistif.<\/p>\n

Je n’ai pas beaucoup avanc\u00e9 sur la refonte du site. Mais je ma\u00eetrise de mieux en mieux les boucles dans SPIP et me suis lanc\u00e9 dans Grid sur CSS, histoire de changer un peu de point de vue. J’ai aussi vir\u00e9 Uikit et une grande partie de ce qui \u00e9tait en Flexbox.<\/p>", "content_text": "Dans le mot r\u00e9sistif, il y a quelque chose de plus actif que dans le simple fait de r\u00e9sister. Il est acceptable, dans ce cas, de dire que je suis plus r\u00e9sistif que r\u00e9sistant. C'est peut-\u00eatre une discipline yogique : la r\u00e9sistance active. D'ailleurs, je ne m'\u00e9parpille pas, focalis\u00e9 sur l'action de r\u00e9sister sans m\u00eame me demander \u00e0 quoi ou contre quoi. On dirait bien que seule la r\u00e9sistance m\u00e9rite une attention soutenue. C'est comme dire non par r\u00e9flexe. \u00c0 partir du moment o\u00f9 l'intonation ressemblerait un tant soit peu \u00e0 une question : Non ! Ce pourrait \u00eatre amusant si je n'avais pas d\u00e9j\u00e0 l'\u00e2me us\u00e9e jusqu'\u00e0 la corde. J'ai lu, ou plut\u00f4t feuillet\u00e9, quelques ouvrages parmi lesquels Fran\u00e7ois 1er de Didier Le Fur et les essais sur les artistes de la Renaissance de Walter Horacio Pater. J'ai m\u00eame fait traduire \u00e0 l'IA un ouvrage complet de l'anglais vers le fran\u00e7ais pour ne pas avoir \u00e0 l'acheter. \u00c9videmment, ce sont deux visions que l'on pourrait penser oppos\u00e9es : entre froideur et lyrisme, ce qui correspond \u00e0 ce vieil antagonisme qui loge depuis toujours en moi. J'ai effectu\u00e9 quelques analogies entre le fait que le p\u00e8re de Pater soit n\u00e9 \u00e0 New York, qu'il ait \u00e9prouv\u00e9, \u00e0 un moment de sa vie, l'envie de venir s'installer en Angleterre et qu'il soit mort alors que l'auteur n'avait que deux ans. D'o\u00f9, peut-\u00eatre, une l\u00e9gende familiale qu'il aurait tiss\u00e9e autour de la notion de l'\u00e9ternel retour, d'une Renaissance hypoth\u00e9tique, et donc l'inclination lyrique qui en d\u00e9coule. H.P. Lovecraft, lui, perd son p\u00e8re \u00e0 huit ans. Faut-il voir une sorte d'affinit\u00e9 entre Pater et Lovecraft \u00e0 ce sujet ? Et aussi dans le fait que cette \u00e9poque victorienne, \u00e9tendue outre-Atlantique, ait caus\u00e9 autant de contradictions chez l'un comme chez l'autre ? Le fait que Swinburne et les pr\u00e9rapha\u00e9lites aient attir\u00e9 Pater un temps, puis qu'il s'en soit sans doute \u00e9loign\u00e9, correspondrait peut-\u00eatre \u00e0 la prise de conscience d'une stupidit\u00e9. Mais laquelle ? La sienne, celle de son \u00e9poque ? Elles le sont toutes : la stupidit\u00e9 de l'esprit victorien, tout autant que le contre-pouvoir, tout aussi stupide au bout du compte. Ainsi avance donc l'histoire et l'art, en crabe, par cercles concentriques. La stupidit\u00e9 serait \u00e0 la fois source d'une force centrip\u00e8te et centrifuge. L\u00e0 o\u00f9 les pr\u00e9rapha\u00e9lites cherchaient un r\u00e9alisme intransigeant et une puret\u00e9 artistique, Pater d\u00e9veloppe une philosophie plus h\u00e9doniste. Il repr\u00e9sente une transition entre le pr\u00e9rapha\u00e9lisme et l'esth\u00e9tisme britannique. Il prolonge certains aspects de l'art pr\u00e9rapha\u00e9lite tout en d\u00e9veloppant une approche plus personnelle et philosophique. Il s'int\u00e9resse davantage \u00e0 la sensation et \u00e0 la jouissance esth\u00e9tique qu'au r\u00e9alisme pr\u00f4n\u00e9 par les pr\u00e9rapha\u00e9lites. Sa position peut \u00eatre vue comme une \u00e9volution du pr\u00e9rapha\u00e9lisme vers une philosophie plus sensuelle et subjective, d\u00e9passant les principes initiaux du mouvement pour d\u00e9velopper une esth\u00e9tique plus personnelle et contemplative. J'ai retrouv\u00e9, dans un coin de la biblioth\u00e8que, un Ruskin sur les ma\u00eetres anciens que je ne me souvenais pas avoir lu. Ce que je remarque aussi, c'est cette attirance, depuis plusieurs ann\u00e9es, pour le XIX\u1d49 si\u00e8cle, peut-\u00eatre m\u00eame avant la naissance de la r\u00e9volution industrielle. D'ailleurs, nous vivons dans une maison b\u00e2tie en 1850. Peut-\u00eatre quelques fant\u00f4mes r\u00f4dent-ils encore et viennent lire par-dessus mon \u00e9paule. \u00c0 ceux-l\u00e0, je n'ai pas le c\u0153ur tant que \u00e7a \u00e0 dire non. Il me semble parfois que je ne suis qu'un fant\u00f4me parmi d'autres. C'est aussi se poser la question d'installer une lettre d'information, une newsletter. Je ne sais pas si j'en ai vraiment envie. L\u00e0 encore, le non domine. Entre le peut-\u00eatre et le et si, le non tranche. Ce qui, dans un certain sens, est un confort, et dans un autre, la p\u00e9nibilit\u00e9 de reconna\u00eetre qu'il s'agit pr\u00e9cis\u00e9ment d'un confort. Le mot ridicule s'estompe par moments pour \u00eatre remplac\u00e9 par stupidit\u00e9. Conserver le courage d'\u00eatre stupide n'est pas une chose facile. C'est r\u00e9sistif. Je n'ai pas beaucoup avanc\u00e9 sur la refonte du site. Mais je ma\u00eetrise de mieux en mieux les boucles dans SPIP et me suis lanc\u00e9 dans Grid sur CSS, histoire de changer un peu de point de vue. 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J’ai toujours un moment dans la journ\u00e9e, la plupart du temps le soir avant le souper, o\u00f9 il faut que je dise n’importe quoi. Il y a quelque chose d’autodestructeur en moi, une envie de d\u00e9truire ce que les hommes les plus riches du monde ont fait de moi<\/i>. Et bien s\u00fbr, pour cela, j’utilise l’ancien Twitter.
\nX.com est mon d\u00e9fouloir du soir. Cela me procure un vertige, une dose d’adr\u00e9naline, et au bout du compte un sentiment m\u00eal\u00e9 d’angoisse et de ridicule. Je crois que je suis un homme profond\u00e9ment ridicule. Je le crois comme on croit \u00e0 Dieu, au P\u00e8re No\u00ebl, \u00e0 la Terre quand elle se met \u00e0 \u00eatre d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment plate, et aussi que des martiens nous observent, chacun de nous, \u00e0 la jumelle.<\/p>\n

En fait, la r\u00e9alit\u00e9 est que je suis la r\u00e9incarnation fortuite d’un derviche tourneur. Je ne m’en plains pas ni ne m’en r\u00e9jouis, c’est simplement comme \u00e7a.<\/p>\n

Ce matin, j\u2019ai re\u00e7u un email d\u2019une autrice qui \u00e9crit de magnifiques po\u00e8mes sur son blog. Elle m\u2019a confi\u00e9 que l\u2019un de mes derniers articles l\u2019avait frapp\u00e9e en plein c\u0153ur. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 touch\u00e9 en retour par ses mots, et cela m\u2019a rappel\u00e9 pourquoi j\u2019\u00e9cris. Je me suis demand\u00e9 si je devais la citer ou mentionner son blog ici. Est-ce maladroit de le faire ? Est-ce que cela pourrait sembler trop intrusif ? Finalement, j\u2019ai choisi de ne pas la citer ici pour ne pas \u00eatre intrusif et par superstition, esp\u00e9re qu’elle renouvelera son geste.<\/p>\n

Recevoir ce type de retour, c\u2019est comme voir une fleur s’ouvrir encore une fois avant qu’elle ne se referme \u00e0 jamais. Ce qui commence par un vertige solitaire trouve parfois un r\u00e9ceptacle, quelqu\u2019un qui entre dans cette danse et en comprend le rythme. C\u2019est rare, mais quand cela arrive, cela redonne tout son sens \u00e0 cette manie bizarre d\u2019\u00e9crire.<\/p>\n

Et pourtant, il faut quand m\u00eame que j’essaie de r\u00e9unir quelques id\u00e9es qui aient un peu de sens, de temps \u00e0 autre. Ne serait-ce que pour me rappeler \u00e0 quel point le sens ne cesse de m’\u00e9chapper de plus en plus. Peut-\u00eatre que je devrais m\u2019y r\u00e9soudre. Acheter un kilo de gros sel, et tenter, comme dans l’enfance, d\u2019attraper cet oiseau par la queue.<\/p>\n

Crois\u00e9 mon voisin de droite ce matin. Un ancien ing\u00e9nieur \u00e0 la retraite qui a mont\u00e9 seul une imprimante 3D en kit venue de Chine. Rien que pour cela, il m\u00e9rite tout mon respect. On s\u2019est souhait\u00e9 la bonne ann\u00e9e. Ce genre d\u2019\u00e9change o\u00f9 tout se confond dans un ballet feutr\u00e9 de courbettes \u00e0 peine amorc\u00e9es et de politesses \u00e7a finit par ressembler \u00e0 une po\u00e9sie (presque) involontaire :\n
— Bonjour comment allez-vous , comment \u00e7a va, Bonne ann\u00e9e !\n
— Bonjour comment \u00e7a va, \u00e7a va bien ? Meilleurs v\u0153ux !<\/p>\n

On s\u2019est souri, chacun reprenant sa route, comme si ce petit rituel suffisait \u00e0 valider une nouvelle ann\u00e9e de non relation qui commence. Peut-\u00eatre que le sens, finalement, se trouve l\u00e0 aussi : dans ces petits gestes m\u00e9caniques, ces g\u00e8nes pudiques r\u00e9p\u00e9titives qui, contre toute attente, forment avec le sable et l’eau le ciment qui tient les choses ensemble.<\/p>\n

Et puis, il y a ces moments o\u00f9 tout semble se d\u00e9lier. S. part demain \u00e0 Lyon, puis elle prendra le train pour Paris de bonne heure dimanche. Devant moi s\u2019ouvre une semaine encore floue : gouffre ou sin\u00e9cure, je ne sais pas encore le tour qu\u2019elle prendra.<\/p>\n

Il para\u00eet que le froid revient \u00e0 la charge dimanche. Il faut que je pense \u00e0 remplacer la bonbonne de gaz \u00e0 l\u2019atelier. c’est pas grand chose, aller \u00e0 la station service et lacher encore une carte bleue. petit geste de rien du tout mais qui, dans l’imm\u00e9diat, para\u00eet plus tangible que le reste. Parce que le sens est aussi l\u00e0, dans cette bonbonne qui doit \u00eatre chang\u00e9e, dans le froid qui s\u2019annonce, dans ces petits rep\u00e8res concrets qui jalonnent les jours.<\/p>", "content_text": "J'ai toujours un moment dans la journ\u00e9e, la plupart du temps le soir avant le souper, o\u00f9 il faut que je dise n'importe quoi. Il y a quelque chose d'autodestructeur en moi, une envie de d\u00e9truire{ ce que les hommes les plus riches du monde ont fait de moi}. Et bien s\u00fbr, pour cela, j'utilise l'ancien Twitter. X.com est mon d\u00e9fouloir du soir. Cela me procure un vertige, une dose d'adr\u00e9naline, et au bout du compte un sentiment m\u00eal\u00e9 d'angoisse et de ridicule. Je crois que je suis un homme profond\u00e9ment ridicule. Je le crois comme on croit \u00e0 Dieu, au P\u00e8re No\u00ebl, \u00e0 la Terre quand elle se met \u00e0 \u00eatre d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9ment plate, et aussi que des martiens nous observent, chacun de nous, \u00e0 la jumelle. En fait, la r\u00e9alit\u00e9 est que je suis la r\u00e9incarnation fortuite d'un derviche tourneur. Je ne m'en plains pas ni ne m'en r\u00e9jouis, c'est simplement comme \u00e7a. Ce matin, j\u2019ai re\u00e7u un email d\u2019une autrice qui \u00e9crit de magnifiques po\u00e8mes sur son blog. Elle m\u2019a confi\u00e9 que l\u2019un de mes derniers articles l\u2019avait frapp\u00e9e en plein c\u0153ur. J\u2019ai \u00e9t\u00e9 touch\u00e9 en retour par ses mots, et cela m\u2019a rappel\u00e9 pourquoi j\u2019\u00e9cris. Je me suis demand\u00e9 si je devais la citer ou mentionner son blog ici. Est-ce maladroit de le faire ? Est-ce que cela pourrait sembler trop intrusif ? Finalement, j\u2019ai choisi de ne pas la citer ici pour ne pas \u00eatre intrusif et par superstition, esp\u00e9re qu'elle renouvelera son geste. Recevoir ce type de retour, c\u2019est comme voir une fleur s'ouvrir encore une fois avant qu'elle ne se referme \u00e0 jamais. Ce qui commence par un vertige solitaire trouve parfois un r\u00e9ceptacle, quelqu\u2019un qui entre dans cette danse et en comprend le rythme. C\u2019est rare, mais quand cela arrive, cela redonne tout son sens \u00e0 cette manie bizarre d\u2019\u00e9crire. Et pourtant, il faut quand m\u00eame que j'essaie de r\u00e9unir quelques id\u00e9es qui aient un peu de sens, de temps \u00e0 autre. Ne serait-ce que pour me rappeler \u00e0 quel point le sens ne cesse de m'\u00e9chapper de plus en plus. Peut-\u00eatre que je devrais m\u2019y r\u00e9soudre. Acheter un kilo de gros sel, et tenter, comme dans l'enfance, d\u2019attraper cet oiseau par la queue. Crois\u00e9 mon voisin de droite ce matin. Un ancien ing\u00e9nieur \u00e0 la retraite qui a mont\u00e9 seul une imprimante 3D en kit venue de Chine. Rien que pour cela, il m\u00e9rite tout mon respect. On s\u2019est souhait\u00e9 la bonne ann\u00e9e. Ce genre d\u2019\u00e9change o\u00f9 tout se confond dans un ballet feutr\u00e9 de courbettes \u00e0 peine amorc\u00e9es et de politesses \u00e7a finit par ressembler \u00e0 une po\u00e9sie (presque) involontaire : \u2014 Bonjour comment allez-vous , comment \u00e7a va, Bonne ann\u00e9e ! \u2014 Bonjour comment \u00e7a va, \u00e7a va bien ? Meilleurs v\u0153ux ! On s\u2019est souri, chacun reprenant sa route, comme si ce petit rituel suffisait \u00e0 valider une nouvelle ann\u00e9e de non relation qui commence. Peut-\u00eatre que le sens, finalement, se trouve l\u00e0 aussi : dans ces petits gestes m\u00e9caniques, ces g\u00e8nes pudiques r\u00e9p\u00e9titives qui, contre toute attente, forment avec le sable et l'eau le ciment qui tient les choses ensemble. Et puis, il y a ces moments o\u00f9 tout semble se d\u00e9lier. S. part demain \u00e0 Lyon, puis elle prendra le train pour Paris de bonne heure dimanche. Devant moi s\u2019ouvre une semaine encore floue : gouffre ou sin\u00e9cure, je ne sais pas encore le tour qu\u2019elle prendra. Il para\u00eet que le froid revient \u00e0 la charge dimanche. Il faut que je pense \u00e0 remplacer la bonbonne de gaz \u00e0 l\u2019atelier. c'est pas grand chose, aller \u00e0 la station service et lacher encore une carte bleue. petit geste de rien du tout mais qui, dans l'imm\u00e9diat, para\u00eet plus tangible que le reste. Parce que le sens est aussi l\u00e0, dans cette bonbonne qui doit \u00eatre chang\u00e9e, dans le froid qui s\u2019annonce, dans ces petits rep\u00e8res concrets qui jalonnent les jours. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0469.jpg?1748065146", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-janvier-2025.html", "title": "9 janvier 2025", "date_published": "2025-01-09T17:11:19Z", "date_modified": "2025-04-30T16:29:02Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Reprise des cours aujourd’hui. La chatte ne vient plus dans l’atelier. Elle qui, l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re, dormait sur une chaise, parfaitement immobile, indiff\u00e9rente aux discussions, aux rires, aux \u00e9clats de voix,. Elle a trouv\u00e9 un petit coin tranquille dans la remise. Je ne sais pas si c\u2019est le bruit, ou cette tension dans l\u2019air que tout le monde semble ressentir sans jamais la nommer. Une tension qui p\u00e8se dans chaque recoin, m\u00eame dans les lieux o\u00f9 elle n\u2019a rien \u00e0 faire : un cours de peinture, une r\u00e9union associative, un coin de coworking.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que nous non plus, nous ne savons plus o\u00f9 aller.<\/p>\n

Les tiers lieux, autrefois, avaient un sens. Ils n\u2019\u00e9taient pas des refuges ou des parenth\u00e8ses, mais des bastions. Des lieux o\u00f9 les gens se rassemblaient non pas pour oublier le monde, mais pour le changer. Des bars populaires o\u00f9 l\u2019on d\u00e9cidait des gr\u00e8ves, des mutuelles o\u00f9 l\u2019on organisait la solidarit\u00e9 face aux accidents de la vie, des coop\u00e9ratives o\u00f9 l\u2019on apprenait \u00e0 se passer de ceux qui nous exploitaient.<\/p>\n

Ces lieux sentaient la sueur, le tabac froid, le caf\u00e9 bon march\u00e9. Ils n\u2019avaient rien de design ou d\u2019inspirant. Mais ils vibraient d\u2019une col\u00e8re qui n\u2019avait rien de st\u00e9rile. Une col\u00e8re qui, transform\u00e9e en action, devenait une force collective.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, quand je vois un attroupement, j\u2019ai peur. Pas peur qu\u2019il se passe quelque chose de grave, mais peur que ce soit pire : qu\u2019il ne se passe rien. Que cet attroupement ne soit qu\u2019un simulacre, une mise en sc\u00e8ne vide de sens.<\/p>\n

Les attroupements d\u2019aujourd\u2019hui ne se forment pas autour de chats \u00e9cras\u00e9s, mais autour d\u2019id\u00e9es polies jusqu\u2019\u00e0 en devenir inoffensives. La charit\u00e9, par exemple. Cette charit\u00e9 qui donne \u00e0 certains le sentiment d\u2019\u00eatre des sauveurs et aux autres celui d\u2019\u00eatre des objets de piti\u00e9. Ou encore ces initiatives de coworking, o\u00f9 chacun travaille pour soi dans une illusion de collectif. Ou alors ce sont des pr\u00e9textes \u00e0 vocif\u00e9rer, \u00e0 danser sur les cadavres, \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n’importe quoi et dans le m\u00eame temps cracher sur son contraire.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que j\u2019ai peur parce que je me reconnais dans cette bande d\u2019individualistes forcen\u00e9s. Parce que moi aussi, je me cache sans doute \u00e0 ma fa\u00e7on derri\u00e8re des mots. Et sans doute est-ce pire puisque je le fais tout \u00e0 fait lucidement.<\/p>\n

La chute des tiers lieux, celle qui a commenc\u00e9 dans les ann\u00e9es 1980, n\u2019est pas seulement une histoire de d\u00e9sindustrialisation ou de politiques n\u00e9olib\u00e9rales. C\u2019est une histoire de fracture. Dire que j’ai embrass\u00e9 des inconnus un certain mois de mai 1981... \u00e7a me fait dr\u00f4le d’y repenser.<\/p>\n

\u00c0 mesure que les usines fermaient et que les quartiers ouvriers perdaient leur coh\u00e9sion, l\u2019\u00c9tat a trouv\u00e9 une nouvelle strat\u00e9gie : d\u00e9l\u00e9guer. Sous pr\u00e9texte de subventions, il a transform\u00e9 les espaces collectifs en lieux de gestion des probl\u00e8mes sociaux. Les associations ont pris le relais des services publics, mais sous des conditions strictes, avec des moyens d\u00e9risoires.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 que tout a bascul\u00e9. Les tiers lieux sont devenus des espaces de charit\u00e9 et de gestion, et non plus des lieux d\u2019\u00e9mancipation.<\/p>\n

Dans les associations o\u00f9 j\u2019ai enseign\u00e9, je l\u2019ai vu de mes propres yeux. La r\u00e9sistance \u00e0 payer, m\u00eame une cotisation d\u00e9risoire. Cette id\u00e9e que tout doit \u00eatre gratuit, que tout est d\u00fb, mais que rien ne doit engager. Un professeur de peinture, l\u00e0-bas, gagne moins qu\u2019une femme de m\u00e9nage \u00e0 l\u2019heure. Ce n\u2019est pas une plainte. C\u2019est un fait. Et c\u2019est un fait qui dit tout.<\/p>\n

Quand le confinement de 2020 a interdit les rassemblements, j\u2019ai pens\u00e9 que quelque chose venait de mourir pour de bon. Pendant des mois, il \u00e9tait interdit de se voir, de se parler, m\u00eame maladroitement. On a ferm\u00e9 les portes des espaces qui existaient encore, fragiles et imparfaits.<\/p>\n

Quand elles ont rouvert, ce n\u2019\u00e9tait plus pareil.<\/p>\n

Dans mes cours de peinture, je vois ces tensions remonter \u00e0 la surface. Les \u00e9l\u00e8ves arrivent avec leurs pinceaux, leurs toiles, leur silence. Ils veulent peindre, \u00e9chapper un moment aux fractures du quotidien. Mais \u00e0 chaque cours, ou presque, quelque chose explose. Une remarque, un soupir, une frustration.<\/p>\n

Je me souviens de cette \u00e9l\u00e8ve, un jour. Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e au milieu de son tableau et a dit, presque en riant : « Ma zone de confort, c\u2019est \u00e7a. Ce d\u00e9sespoir. » Le vent s\u2019est lev\u00e9 juste apr\u00e8s. L\u2019auvent a claqu\u00e9 avec une force qui semblait r\u00e9pondre \u00e0 sa phrase. Personne n\u2019a boug\u00e9. On est rest\u00e9s l\u00e0, fig\u00e9s, comme si quelque chose venait de nous traverser.<\/p>\n

Et la chatte, elle, n\u2019est jamais revenue.<\/p>\n

Les tiers lieux manquent. Pas les espaces qu\u2019on appelle ainsi aujourd\u2019hui, avec leurs brochures bien l\u00e9ch\u00e9es et leurs hashtags de campagne. Mais les vrais, ceux qui donnaient un cadre aux tensions, un sens \u00e0 la col\u00e8re. Sans eux, tout flotte. La violence surgit dans les endroits les plus improbables : dans un cours de peinture, dans une file d\u2019attente, dans un regard qui s\u2019attarde trop longtemps.<\/p>\n

Parfois, je me dis que je dramatise. Que tout \u00e7a n\u2019est qu\u2019un reflet de mes propres frustrations, de mes propres peurs. Mais quand je vois ces attroupements, ces silences, ces \u00e9clats, je ne peux m\u2019emp\u00eacher de penser qu\u2019il nous manque quelque chose.<\/p>\n

Quelque chose qui ressemblait \u00e0 ces lieux o\u00f9 l\u2019on pouvait tout poser sur la table, sans crainte. Ces lieux o\u00f9 l\u2019on pouvait \u00eatre humain, pleinement, sans performance ni masque.<\/p>", "content_text": " Reprise des cours aujourd'hui. La chatte ne vient plus dans l'atelier. Elle qui, l\u2019ann\u00e9e derni\u00e8re, dormait sur une chaise, parfaitement immobile, indiff\u00e9rente aux discussions, aux rires, aux \u00e9clats de voix,. Elle a trouv\u00e9 un petit coin tranquille dans la remise. Je ne sais pas si c\u2019est le bruit, ou cette tension dans l\u2019air que tout le monde semble ressentir sans jamais la nommer. Une tension qui p\u00e8se dans chaque recoin, m\u00eame dans les lieux o\u00f9 elle n\u2019a rien \u00e0 faire : un cours de peinture, une r\u00e9union associative, un coin de coworking. Peut-\u00eatre que nous non plus, nous ne savons plus o\u00f9 aller. Les tiers lieux, autrefois, avaient un sens. Ils n\u2019\u00e9taient pas des refuges ou des parenth\u00e8ses, mais des bastions. Des lieux o\u00f9 les gens se rassemblaient non pas pour oublier le monde, mais pour le changer. Des bars populaires o\u00f9 l\u2019on d\u00e9cidait des gr\u00e8ves, des mutuelles o\u00f9 l\u2019on organisait la solidarit\u00e9 face aux accidents de la vie, des coop\u00e9ratives o\u00f9 l\u2019on apprenait \u00e0 se passer de ceux qui nous exploitaient. Ces lieux sentaient la sueur, le tabac froid, le caf\u00e9 bon march\u00e9. Ils n\u2019avaient rien de design ou d\u2019inspirant. Mais ils vibraient d\u2019une col\u00e8re qui n\u2019avait rien de st\u00e9rile. Une col\u00e8re qui, transform\u00e9e en action, devenait une force collective. Aujourd\u2019hui, quand je vois un attroupement, j\u2019ai peur. Pas peur qu\u2019il se passe quelque chose de grave, mais peur que ce soit pire : qu\u2019il ne se passe rien. Que cet attroupement ne soit qu\u2019un simulacre, une mise en sc\u00e8ne vide de sens. Les attroupements d\u2019aujourd\u2019hui ne se forment pas autour de chats \u00e9cras\u00e9s, mais autour d\u2019id\u00e9es polies jusqu\u2019\u00e0 en devenir inoffensives. La charit\u00e9, par exemple. Cette charit\u00e9 qui donne \u00e0 certains le sentiment d\u2019\u00eatre des sauveurs et aux autres celui d\u2019\u00eatre des objets de piti\u00e9. Ou encore ces initiatives de coworking, o\u00f9 chacun travaille pour soi dans une illusion de collectif. Ou alors ce sont des pr\u00e9textes \u00e0 vocif\u00e9rer, \u00e0 danser sur les cadavres, \u00e0 c\u00e9l\u00e9brer \u00e0 peu pr\u00e8s tout et n'importe quoi et dans le m\u00eame temps cracher sur son contraire. Peut-\u00eatre que j\u2019ai peur parce que je me reconnais dans cette bande d\u2019individualistes forcen\u00e9s. Parce que moi aussi, je me cache sans doute \u00e0 ma fa\u00e7on derri\u00e8re des mots. Et sans doute est-ce pire puisque je le fais tout \u00e0 fait lucidement. La chute des tiers lieux, celle qui a commenc\u00e9 dans les ann\u00e9es 1980, n\u2019est pas seulement une histoire de d\u00e9sindustrialisation ou de politiques n\u00e9olib\u00e9rales. C\u2019est une histoire de fracture. Dire que j'ai embrass\u00e9 des inconnus un certain mois de mai 1981... \u00e7a me fait dr\u00f4le d'y repenser. \u00c0 mesure que les usines fermaient et que les quartiers ouvriers perdaient leur coh\u00e9sion, l\u2019\u00c9tat a trouv\u00e9 une nouvelle strat\u00e9gie : d\u00e9l\u00e9guer. Sous pr\u00e9texte de subventions, il a transform\u00e9 les espaces collectifs en lieux de gestion des probl\u00e8mes sociaux. Les associations ont pris le relais des services publics, mais sous des conditions strictes, avec des moyens d\u00e9risoires. C\u2019est l\u00e0 que tout a bascul\u00e9. Les tiers lieux sont devenus des espaces de charit\u00e9 et de gestion, et non plus des lieux d\u2019\u00e9mancipation. Dans les associations o\u00f9 j\u2019ai enseign\u00e9, je l\u2019ai vu de mes propres yeux. La r\u00e9sistance \u00e0 payer, m\u00eame une cotisation d\u00e9risoire. Cette id\u00e9e que tout doit \u00eatre gratuit, que tout est d\u00fb, mais que rien ne doit engager. Un professeur de peinture, l\u00e0-bas, gagne moins qu\u2019une femme de m\u00e9nage \u00e0 l\u2019heure. Ce n\u2019est pas une plainte. C\u2019est un fait. Et c\u2019est un fait qui dit tout. Quand le confinement de 2020 a interdit les rassemblements, j\u2019ai pens\u00e9 que quelque chose venait de mourir pour de bon. Pendant des mois, il \u00e9tait interdit de se voir, de se parler, m\u00eame maladroitement. On a ferm\u00e9 les portes des espaces qui existaient encore, fragiles et imparfaits. Quand elles ont rouvert, ce n\u2019\u00e9tait plus pareil. Dans mes cours de peinture, je vois ces tensions remonter \u00e0 la surface. Les \u00e9l\u00e8ves arrivent avec leurs pinceaux, leurs toiles, leur silence. Ils veulent peindre, \u00e9chapper un moment aux fractures du quotidien. Mais \u00e0 chaque cours, ou presque, quelque chose explose. Une remarque, un soupir, une frustration. Je me souviens de cette \u00e9l\u00e8ve, un jour. Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e au milieu de son tableau et a dit, presque en riant : \u00ab Ma zone de confort, c\u2019est \u00e7a. Ce d\u00e9sespoir. \u00bb Le vent s\u2019est lev\u00e9 juste apr\u00e8s. L\u2019auvent a claqu\u00e9 avec une force qui semblait r\u00e9pondre \u00e0 sa phrase. Personne n\u2019a boug\u00e9. On est rest\u00e9s l\u00e0, fig\u00e9s, comme si quelque chose venait de nous traverser. Et la chatte, elle, n\u2019est jamais revenue. Les tiers lieux manquent. Pas les espaces qu\u2019on appelle ainsi aujourd\u2019hui, avec leurs brochures bien l\u00e9ch\u00e9es et leurs hashtags de campagne. Mais les vrais, ceux qui donnaient un cadre aux tensions, un sens \u00e0 la col\u00e8re. Sans eux, tout flotte. La violence surgit dans les endroits les plus improbables : dans un cours de peinture, dans une file d\u2019attente, dans un regard qui s\u2019attarde trop longtemps. Parfois, je me dis que je dramatise. Que tout \u00e7a n\u2019est qu\u2019un reflet de mes propres frustrations, de mes propres peurs. Mais quand je vois ces attroupements, ces silences, ces \u00e9clats, je ne peux m\u2019emp\u00eacher de penser qu\u2019il nous manque quelque chose. Quelque chose qui ressemblait \u00e0 ces lieux o\u00f9 l\u2019on pouvait tout poser sur la table, sans crainte. Ces lieux o\u00f9 l\u2019on pouvait \u00eatre humain, pleinement, sans performance ni masque. 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Il y a des jours o\u00f9 l’on a l’impression de ne rien faire. O\u00f9 les heures s’\u00e9tirent comme ces jeans stretch qui ne vous avertissent pas que vous sombrez dans l’ob\u00e9sit\u00e9. Et soudain, l\u2019\u00e9lastique p\u00e8te, le pantalon tombe, et on se retrouve cul nul, les mains en croix, tentant d\u2019imiter la feuille de vigne. On se retrouve \u00e0 poil devant son propre n\u00e9ant, sa propre absurdit\u00e9.<\/p>\n<\/span>

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Etrange, peinture huile 2010\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Hier, j\u2019ai cod\u00e9. Toute la journ\u00e9e, absorb\u00e9, aval\u00e9 par le temps comme l\u2019enfant du tableau de Goya. Chronos n\u2019est pas cruel : il est indiff\u00e9rent.<\/p>\n

Des lignes de code, comme on taille des pierres. Sauf que je n’ai pas l’abn\u00e9gation d’un b\u00e2tisseur de cath\u00e9drale. On voudrait savoir toujours ce qu’on fait, quel r\u00e9sultat, pour quand, \u00e9videmment pour le plus vite possible. Pour hier ou avant-hier. Alors que ces gars-l\u00e0, pensaient-ils au temps, \u00e0 100, 200, 300 ans apr\u00e8s eux ? Avaient-ils seulement le temps d\u2019y penser, l\u2019envie ? Nul ne le sait.<\/p>\n

Et moi, je travaille dans l\u2019urgence, sous la pression silencieuse d\u2019un monde qui exige des r\u00e9sultats imm\u00e9diats. Chaque ligne de code ressemble davantage \u00e0 une pierre pos\u00e9e \u00e0 la h\u00e2te qu\u2019\u00e0 un bloc sculpt\u00e9 pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9. Alors, hier, je me suis dit que j\u2019\u00e9tais un vieux nul, que ma vie \u00e9tait g\u00e2ch\u00e9e. Que le temps n\u2019offre aucune r\u00e9demption aux salauds qui s\u2019\u00e9garent.<\/p>\n

Et puis cette impression perp\u00e9tuelle de ne pas \u00eatre fini. D\u2019\u00eatre « fini \u00e0 la pisse ». Ce n\u2019est pas de la tristesse qui en d\u00e9coule, mais de la rage. Une rage brutale, dirig\u00e9e contre moi-m\u00eame. Et ce que je d\u00e9couvre, c\u2019est que m\u00eame cette rage ne m\u2019appartient pas vraiment. Elle est un programme, une routine \u00e9crite par le syst\u00e8me qui m\u2019entoure. Ce syst\u00e8me, capitaliste, s\u2019insinue jusque dans mes neurones, mes globules rouges et blancs, mon ADN.<\/p>\n

Alors vient la question pavlovienne : comment s\u2019en sortir ? Ce « comment » est une bo\u00eete noire. D\u00e8s que je l\u2019ouvre, surgit une foule. Des noms tir\u00e9s de ma m\u00e9moire, de l\u2019actualit\u00e9, des figures suspectes et nocives, incapables d\u2019aider. Je le sais : personne ne m\u2019aidera. Mais je continue \u00e0 entretenir cette pens\u00e9e, comme on nourrit un animal de compagnie. Peut-\u00eatre pour ne pas affronter cette certitude effrayante : \u00eatre irr\u00e9m\u00e9diablement seul.<\/p>\n

Et il y a eu cette vid\u00e9o. Une interview de Sylvie Ferr\u00e9. Je ne savais pas qui elle \u00e9tait. Mon ignorance m\u2019a frapp\u00e9 comme une gifle. Ce n\u2019\u00e9tait pas seulement une inconnue. C\u2019\u00e9tait un gouffre qui s\u2019ouvrait sous mes pieds, un rappel brutal de tout ce que je ne sais pas, de tout ce que je ne saurais jamais. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 ces listes infinies de livres que je n\u2019ai pas lus, \u00e0 ces auteurs qui disparaissent dans les marges de mon esprit, jamais explor\u00e9s. \u00c0 quoi bon coder, \u00e9crire, cr\u00e9er, si les gouffres restent si vastes ?<\/p>\n

Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je me suis int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 la po\u00e9sie informatique de Philippe Bootz. Une envie de sortir du sens, d\u2019abandonner la qu\u00eate de la signification pour ne garder que l\u2019\u00e9motion. Pure. Ind\u00e9finie. Est-ce une fuite ? Un effacement de moi-m\u00eame dans des lignes abstraites ? Je n\u2019en sais rien. Je sais seulement que ce d\u00e9go\u00fbt que je ressens envers moi-m\u00eame m\u2019oblige \u00e0 m\u2019\u00e9loigner du monde. Je ne peux que lui renvoyer ce que je porte en moi.<\/p>\n

Hier, dans la lumi\u00e8re froide d\u2019un \u00e9cran, j\u2019ai cr\u00e9\u00e9 des fiches dans Obsidian pour consigner tout cela. Comme si \u00e9crire pouvait r\u00e9duire ce que je ressens. Comme si, au bord du gouffre, les mots pouvaient construire un pont, branlant mais suffisant pour s\u2019engager de quelques pas de plus dans la jungle \u00e9paisse, moite, dangereuse de soi-m\u00eame, sans guide ni carte ni boussole.<\/p>\n

Plus je rentre au fond de moi-m\u00eame, plus j’ai l’impression de p\u00e9n\u00e9trer dans un b\u00e2timent d\u00e9labr\u00e9, une ruine. Sauf que dans le t\u00e2tonnement, mes mains effleurent parfois des asp\u00e9rit\u00e9s sur les parois, une sorte d’\u00e9criture ant\u00e9diluvienne. Et l\u00e0, me revient cette pens\u00e9e qui m’avait entra\u00een\u00e9 dans une folle aventure : l\u2019\u00e9criture d\u2019un feuilleton, au jour le jour, sur un ancien blog. Celle de ce type qui d\u00e9couvre peu \u00e0 peu qu’il est une cr\u00e9ature extraterrestre de la pire esp\u00e8ce, venue passer des vacances sur la plan\u00e8te Terre.<\/p>\n

Tu parles de vacances.<\/p>", "content_text": "Il y a des jours o\u00f9 l'on a l'impression de ne rien faire. O\u00f9 les heures s'\u00e9tirent comme ces jeans stretch qui ne vous avertissent pas que vous sombrez dans l'ob\u00e9sit\u00e9. Et soudain, l\u2019\u00e9lastique p\u00e8te, le pantalon tombe, et on se retrouve cul nul, les mains en croix, tentant d\u2019imiter la feuille de vigne. On se retrouve \u00e0 poil devant son propre n\u00e9ant, sa propre absurdit\u00e9. Hier, j\u2019ai cod\u00e9. Toute la journ\u00e9e, absorb\u00e9, aval\u00e9 par le temps comme l\u2019enfant du tableau de Goya. Chronos n\u2019est pas cruel : il est indiff\u00e9rent. Des lignes de code, comme on taille des pierres. Sauf que je n'ai pas l'abn\u00e9gation d'un b\u00e2tisseur de cath\u00e9drale. On voudrait savoir toujours ce qu'on fait, quel r\u00e9sultat, pour quand, \u00e9videmment pour le plus vite possible. Pour hier ou avant-hier. Alors que ces gars-l\u00e0, pensaient-ils au temps, \u00e0 100, 200, 300 ans apr\u00e8s eux ? Avaient-ils seulement le temps d\u2019y penser, l\u2019envie ? Nul ne le sait. Et moi, je travaille dans l\u2019urgence, sous la pression silencieuse d\u2019un monde qui exige des r\u00e9sultats imm\u00e9diats. Chaque ligne de code ressemble davantage \u00e0 une pierre pos\u00e9e \u00e0 la h\u00e2te qu\u2019\u00e0 un bloc sculpt\u00e9 pour l\u2019\u00e9ternit\u00e9. Alors, hier, je me suis dit que j\u2019\u00e9tais un vieux nul, que ma vie \u00e9tait g\u00e2ch\u00e9e. Que le temps n\u2019offre aucune r\u00e9demption aux salauds qui s\u2019\u00e9garent. Et puis cette impression perp\u00e9tuelle de ne pas \u00eatre fini. D\u2019\u00eatre \"fini \u00e0 la pisse\". Ce n\u2019est pas de la tristesse qui en d\u00e9coule, mais de la rage. Une rage brutale, dirig\u00e9e contre moi-m\u00eame. Et ce que je d\u00e9couvre, c\u2019est que m\u00eame cette rage ne m\u2019appartient pas vraiment. Elle est un programme, une routine \u00e9crite par le syst\u00e8me qui m\u2019entoure. Ce syst\u00e8me, capitaliste, s\u2019insinue jusque dans mes neurones, mes globules rouges et blancs, mon ADN. Alors vient la question pavlovienne : comment s\u2019en sortir ? Ce \"comment\" est une bo\u00eete noire. D\u00e8s que je l\u2019ouvre, surgit une foule. Des noms tir\u00e9s de ma m\u00e9moire, de l\u2019actualit\u00e9, des figures suspectes et nocives, incapables d\u2019aider. Je le sais : personne ne m\u2019aidera. Mais je continue \u00e0 entretenir cette pens\u00e9e, comme on nourrit un animal de compagnie. Peut-\u00eatre pour ne pas affronter cette certitude effrayante : \u00eatre irr\u00e9m\u00e9diablement seul. Et il y a eu cette vid\u00e9o. Une interview de Sylvie Ferr\u00e9. Je ne savais pas qui elle \u00e9tait. Mon ignorance m\u2019a frapp\u00e9 comme une gifle. Ce n\u2019\u00e9tait pas seulement une inconnue. C\u2019\u00e9tait un gouffre qui s\u2019ouvrait sous mes pieds, un rappel brutal de tout ce que je ne sais pas, de tout ce que je ne saurais jamais. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 ces listes infinies de livres que je n\u2019ai pas lus, \u00e0 ces auteurs qui disparaissent dans les marges de mon esprit, jamais explor\u00e9s. \u00c0 quoi bon coder, \u00e9crire, cr\u00e9er, si les gouffres restent si vastes ? Peut-\u00eatre est-ce pour cela que je me suis int\u00e9ress\u00e9 \u00e0 la po\u00e9sie informatique de Philippe Bootz. Une envie de sortir du sens, d\u2019abandonner la qu\u00eate de la signification pour ne garder que l\u2019\u00e9motion. Pure. Ind\u00e9finie. Est-ce une fuite ? Un effacement de moi-m\u00eame dans des lignes abstraites ? Je n\u2019en sais rien. Je sais seulement que ce d\u00e9go\u00fbt que je ressens envers moi-m\u00eame m\u2019oblige \u00e0 m\u2019\u00e9loigner du monde. Je ne peux que lui renvoyer ce que je porte en moi. Hier, dans la lumi\u00e8re froide d\u2019un \u00e9cran, j\u2019ai cr\u00e9\u00e9 des fiches dans Obsidian pour consigner tout cela. Comme si \u00e9crire pouvait r\u00e9duire ce que je ressens. Comme si, au bord du gouffre, les mots pouvaient construire un pont, branlant mais suffisant pour s\u2019engager de quelques pas de plus dans la jungle \u00e9paisse, moite, dangereuse de soi-m\u00eame, sans guide ni carte ni boussole. Plus je rentre au fond de moi-m\u00eame, plus j'ai l'impression de p\u00e9n\u00e9trer dans un b\u00e2timent d\u00e9labr\u00e9, une ruine. Sauf que dans le t\u00e2tonnement, mes mains effleurent parfois des asp\u00e9rit\u00e9s sur les parois, une sorte d'\u00e9criture ant\u00e9diluvienne. Et l\u00e0, me revient cette pens\u00e9e qui m'avait entra\u00een\u00e9 dans une folle aventure : l\u2019\u00e9criture d\u2019un feuilleton, au jour le jour, sur un ancien blog. Celle de ce type qui d\u00e9couvre peu \u00e0 peu qu'il est une cr\u00e9ature extraterrestre de la pire esp\u00e8ce, venue passer des vacances sur la plan\u00e8te Terre. Tu parles de vacances. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/etrangete.jpg?1748065224", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-janvier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-janvier-2025.html", "title": "6 janvier 2025", "date_published": "2025-01-06T08:49:14Z", "date_modified": "2025-05-28T06:44:33Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n
\n\t
Peinture : G\u00e9rard Garouste\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le savoir, c\u2019est tr\u00e8s bien. Mais d\u00e9sormais, il semble accessible \u00e0 profusion, partout, tout le temps. Ce qui ne change pas, ce sont les rivalit\u00e9s qu\u2019il suscite. Les v\u00e9n\u00e9rations absurdes. Les jalousies. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je recule devant des expressions comme : « Tu sais », « Moi, je sais », « Comment ? Mais tu ne sais pas \u00e7a ? ». <\/i> Elles m\u2019agacent. Elles me fatiguent.<\/p>\n

F.B., lui, avance. Il s\u2019est lanc\u00e9 dans une entreprise folle : d\u00e9crypter les carnets de Lovecraft, ces deux lignes quotidiennes, s\u00e8ches et laconiques autour de quoi il recr\u00e9e toute une vie et toute une \u00e9poque en parall\u00e8le de la notre 1925-2025. Je regarde ses vid\u00e9os, hypnotis\u00e9. Lovecraft \u00e9crivait peu \u00e0 chaque fois, mais chaque jour dans ces commonplace books. Deux lignes par jour la plupart du temps. Moi, j\u2019\u00e9cris beaucoup, souvent pour rien. Je ne dispose pas de la facult\u00e9 de concision, qui n\u00e9cessite celle du tri, du rangement, propre \u00e0 une certaine rigidit\u00e9 d’esprit. Ce qui n’emp\u00e8che pas le « vouloir \u00e9crire » <\/i> l’aspect obsessif ( j’ai vu qu’on pouvait d\u00e9sormais remplacer obsessionnel par obsessif )<\/p>\n

Je repense \u00e0 ce que disait Daniel Oster, \u00e0 propos de la fa\u00e7on dont Apollinaire a invent\u00e9 son nom. Un nom comme un Non. Un refus crach\u00e9 au monde. Combien de fois ai-je r\u00eav\u00e9 de m\u2019allonger sous un ch\u00eane, attendre que les choses invisibles m\u2019appellent par mon vrai nom<\/i> ? Mais rien n\u2019est venu. Juste quelques cacas d\u2019oiseau. Alors je me fabrique un couvre-chef de brindilles, la t\u00eate haute. Lefol, Lepitre tu portes bien ton nom ! crient encore les gamins en riant. Mais moi, je continue d’avancer je suis C\u00e9sar, J\u00e9sus, ou Saint Jean-Baptiste transperc\u00e9 de fl\u00e8ches. PORC-\u00c9PIQUE ensanglant\u00e9.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que c\u2019est \u00e7a, \u00e9crire : une navigation entre les brindilles et les livres, les \u00e9pines , la candeur, la lucidit\u00e9, le silence et le trop-plein. Peut-\u00eatre que c\u2019est dire non, \u00e0 chaque fois, tout en cherchant dans ce chaos la v\u00e9rit\u00e9 d\u2019une seule ligne. Quelque chose qui tienne, donne l’illusion de l’unit\u00e9, jusqu\u2019au lendemain.<\/p>\n

\u00c0 la fin de la journ\u00e9e, au d\u00e9but d\u2019une autre, j\u2019ai toujours l\u2019impression de sortir d\u2019un r\u00eave. Comme d\u2019une vid\u00e9o, d\u2019une lecture, d\u2019une s\u00e9ance d\u2019\u00e9criture. Un tout petit moment de lucidit\u00e9, extr\u00eamement douloureux. Comme une agrafe plant\u00e9e dans le pouce. \u00c7a ne dure pas. Presque aussit\u00f4t, apr\u00e8s \u00eatre remont\u00e9 \u00e0 la surface, je m\u2019enfonce \u00e0 nouveau : un somnambulisme oblig\u00e9 pour supporter la d\u00e9liquescence g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019\u00e9poque.<\/p>", "content_text": "Le savoir, c\u2019est tr\u00e8s bien. Mais d\u00e9sormais, il semble accessible \u00e0 profusion, partout, tout le temps. Ce qui ne change pas, ce sont les rivalit\u00e9s qu\u2019il suscite. Les v\u00e9n\u00e9rations absurdes. Les jalousies. C\u2019est aussi pour \u00e7a que je recule devant des expressions comme : \"{Tu sais\", \"Moi, je sais\", \"Comment ? Mais tu ne sais pas \u00e7a ?\". } Elles m\u2019agacent. Elles me fatiguent. F.B., lui, avance. Il s\u2019est lanc\u00e9 dans une entreprise folle : d\u00e9crypter les carnets de Lovecraft, ces deux lignes quotidiennes, s\u00e8ches et laconiques autour de quoi il recr\u00e9e toute une vie et toute une \u00e9poque en parall\u00e8le de la notre 1925-2025. Je regarde ses vid\u00e9os, hypnotis\u00e9. Lovecraft \u00e9crivait peu \u00e0 chaque fois, mais chaque jour dans ces commonplace books. Deux lignes par jour la plupart du temps. Moi, j\u2019\u00e9cris beaucoup, souvent pour rien. Je ne dispose pas de la facult\u00e9 de concision, qui n\u00e9cessite celle du tri, du rangement, propre \u00e0 une certaine rigidit\u00e9 d'esprit. Ce qui n'emp\u00e8che pas le {\"vouloir \u00e9crire\" } l'aspect obsessif ( j'ai vu qu'on pouvait d\u00e9sormais remplacer obsessionnel par obsessif ) Je repense \u00e0 ce que disait Daniel Oster, \u00e0 propos de la fa\u00e7on dont Apollinaire a invent\u00e9 son nom. Un nom comme un Non. Un refus crach\u00e9 au monde. Combien de fois ai-je r\u00eav\u00e9 de m\u2019allonger sous un ch\u00eane, attendre que les choses invisibles m\u2019appellent par mon{ vrai nom} ? Mais rien n\u2019est venu. Juste quelques cacas d\u2019oiseau. Alors je me fabrique un couvre-chef de brindilles, la t\u00eate haute. Lefol, Lepitre tu portes bien ton nom ! crient encore les gamins en riant. Mais moi, je continue d'avancer je suis C\u00e9sar, J\u00e9sus, ou Saint Jean-Baptiste transperc\u00e9 de fl\u00e8ches. PORC-\u00c9PIQUE ensanglant\u00e9. Peut-\u00eatre que c\u2019est \u00e7a, \u00e9crire : une navigation entre les brindilles et les livres, les \u00e9pines , la candeur, la lucidit\u00e9, le silence et le trop-plein. Peut-\u00eatre que c\u2019est dire non, \u00e0 chaque fois, tout en cherchant dans ce chaos la v\u00e9rit\u00e9 d\u2019une seule ligne. Quelque chose qui tienne, donne l'illusion de l'unit\u00e9, jusqu\u2019au lendemain. \u00c0 la fin de la journ\u00e9e, au d\u00e9but d\u2019une autre, j\u2019ai toujours l\u2019impression de sortir d\u2019un r\u00eave. Comme d\u2019une vid\u00e9o, d\u2019une lecture, d\u2019une s\u00e9ance d\u2019\u00e9criture. Un tout petit moment de lucidit\u00e9, extr\u00eamement douloureux. Comme une agrafe plant\u00e9e dans le pouce. \u00c7a ne dure pas. Presque aussit\u00f4t, apr\u00e8s \u00eatre remont\u00e9 \u00e0 la surface, je m\u2019enfonce \u00e0 nouveau : un somnambulisme oblig\u00e9 pour supporter la d\u00e9liquescence g\u00e9n\u00e9rale de l\u2019\u00e9poque.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/gerard_garouste.jpg?1748065132", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "Autofiction et Introspection", "Lovecraft"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/5-janvier-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/5-janvier-2024.html", "title": "5 janvier 2024", "date_published": "2025-01-05T15:00:08Z", "date_modified": "2025-02-15T06:08:53Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je sombre. Une ardoise d\u00e9gringole du toit , glisse en zigzag, en nuances de gris : aile de pigeon, pierre ponce, volcanique, anthracite. Guid\u00e9 par une \u00e9trange d\u00e9sinvolture, fruit de l\u2019apprentissage des r\u00e9p\u00e9titions. Ces jours peu glorieux que nous traversons, accabl\u00e9s. Ces jours o\u00f9 le plus petit pr\u00e9texte suffit pour ne pas se r\u00e9jouir. De rien. Tout au contraire : psalmodier int\u00e9rieurement une plainte, en boucle. Une volont\u00e9. Celle de sombrer. Plus profond\u00e9ment encore.<\/p>\n

Apn\u00e9e. Une image facile. Elle remonte \u00e0 la surface comme une bulle : le plongeur du film Le Grand Bleu. Mais moi, je suis encore l\u00e0. Pas dans l\u2019eau, non. Dans le d\u00e9sert. Ce mirage : cet horizon qui recule \u00e0 mesure que l\u2019on avance vers lui. L\u2019inatteignable.<\/p>\n

Le dibbouk dort sur le fauteuil crapaud. Son ronflement est r\u00e9gulier, tenace, obstin\u00e9. Il a retir\u00e9 ses godasses, et j\u2019ai vu ses chaussettes trou\u00e9es, son gros orteil \u00e0 l\u2019ongle recourb\u00e9, comme une griffe d\u2019animal. Une bouff\u00e9e de compassion a bien failli me tomber dessus. Mais j\u2019ai ouvert mon parapluie juste \u00e0 temps. Vieux salaud ! Vieille bourrique !<\/p>\n

J\u2019ai pens\u00e9 si fort qu\u2019il a entrouvert une paupi\u00e8re. Puis il a ouvert sa bouche \u00e9dent\u00e9e, a baill\u00e9. Ses coudes ont pris appui, il a redress\u00e9 son tronc et sa t\u00eate et, apr\u00e8s un instant, il a articul\u00e9 lentement : « Pe-tit con-nard. » Chaque syllabe frappait comme un marteau. J\u2019ai d\u00e9tourn\u00e9 le regard.<\/p>\n

Ma chatte m\u2019a appris \u00e7a la semaine derni\u00e8re. Ou peut-\u00eatre que je ne l\u2019ai compris que r\u00e9cemment. Les b\u00e9b\u00e9s, les chattes, les loups ne s\u2019accrochent pas au regard. Pas tous les b\u00e9b\u00e9s. Mais la plupart des chattes et des loups, oui.<\/p>\n

J\u2019ai lu Les Vestiges du jour de Kazuo Ishiguro.<\/strong> Bien. Mais c\u2019est de la litt\u00e9rature. Et je me demande si ce que je fourre dans ce mot, « litt\u00e9rature », n\u2019est pas la m\u00eame chose que Monique Pin\u00e7on-Charlot<\/strong> fourre dans le mot « riche ». Nous fourrons. Nous avons besoin de \u00e7a, de cette manie du fourrage. On y enfouit tout ce qui passe, tout ce qui tra\u00eene, tout ce qui nous g\u00eane. Au bout du compte, ce n\u2019est qu\u2019une collection de charentaises confortables. Un fourre-tout. Mais \u00e7a donne l\u2019illusion d\u2019avoir quelque chose, pour ne pas se retrouver avec rien.<\/p>\n

Pass\u00e9 une grande partie de la nuit \u00e0 m’amuser sur trois phrases accompagn\u00e9es de java script, de css. Puis au matin j’ai tout effac\u00e9. C’est l’histoire de ma vie en trois mots. Un brouillon qu’on ne cesse pas de biffer. \n
\u2013<\/b><\/span> Tu pourrais m’appeler par mon petit nom geint le dibbouk. Etre un peu aimable ...\n
\u2013<\/b><\/span> Ta gueule !<\/p>\n


\nun peu plus tard...\nJe sombre. Ardoise qui chute, d\u00e9gringole, se fracasse. Nuances de gris. Pierre ponce, aile de pigeon, volcanique, anthracite. Une palette de cendres. Rien d\u2019autre. Le go\u00fbt de rien. L\u2019apathie d\u2019une pierre. Je descends, c’est de tout fa\u00e7on une r\u00e9p\u00e9tition. Une rengaine. Une lassitude qui s\u2019\u00e9tire, interminable. Ces jours \u00e9crasants, plomb\u00e9s. Ces jours o\u00f9 tout devient pr\u00e9texte \u00e0 ne pas se r\u00e9jouir. Pas une seule raison valable, et pourtant\u2026 sombrer. Creuser. Toujours plus bas.\n

Apn\u00e9e. L\u2019image est facile. Une bulle qui remonte mollement \u00e0 la surface, d\u00e9gonfl\u00e9e. Le plongeur du Grand Bleu, oui, mais il n\u2019y a pas d\u2019eau ici. Juste du sable. Le d\u00e9sert. Cet horizon qui te ment en pleine gueule, qui te fait croire qu\u2019il est l\u00e0 alors qu\u2019il est toujours plus loin. Une blague. Un mirage. L\u2019inatteignable.<\/p>\n

Le dibbouk dort sur le fauteuil crapaud. Il ronfle comme un moteur grippe\u0301, r\u00e9gulier, implacable. Il a jet\u00e9 ses godasses dans un coin, et ses chaussettes, trou\u00e9es aux talons, laissent voir la crasse. Un ongle noir, \u00e9pais comme une griffe d\u2019animal. Ce spectacle m\u2019a fil\u00e9 la naus\u00e9e. Un instant. Peut-\u00eatre une once de piti\u00e9. Mais non. J\u2019ai ouvert mon parapluie avant que \u00e7a me tombe dessus. Pas aujourd\u2019hui. Vieil enfoir\u00e9.<\/p>\n

Je pensais si fort qu\u2019il a fini par bouger. Un \u0153il s\u2019est entrouvert. Puis il a baill\u00e9, une bouche vide comme une tombe. Il s\u2019est redress\u00e9, lentement, poussant sur ses coudes. Puis il m\u2019a balanc\u00e9 : « Pe-tit con-nard. » Chaque syllabe \u00e9tait une gifle. Je n\u2019ai rien r\u00e9pondu. Rien. J\u2019ai tourn\u00e9 la t\u00eate, comme ma chatte me l\u2019a appris la semaine derni\u00e8re. Oui, ma chatte. Elle d\u00e9tourne le regard. Les b\u00e9b\u00e9s aussi, parfois. Les loups, souvent. Instinct de survie : ne jamais affronter les regards inutiles.<\/p>\n

Et puis, Ishiguro. Les Vestiges du jour. Un bon livre, sans doute. Mais \u00e7a reste de la litt\u00e9rature. Je dis « litt\u00e9rature » comme Monique Pin\u00e7on-Charlot dit « riche ». Un mot fourre-tout. On y jette ce qu\u2019on ne sait pas nommer autrement. On fourre, on remplit, on meuble. \u00c7a donne l\u2019impression d\u2019avoir quelque chose, n\u2019importe quoi, au lieu de rien. Des pantoufles bien us\u00e9es dans un sac trou\u00e9. Voil\u00e0 tout.<\/p>\n


\nJe lis Claro. Tous les diamants du ciel<\/strong>. C\u2019est une \u00e9criture qui brille, qui scintille, qui jette des \u00e9clats \u00e0 chaque phrase. Il y a l\u00e0 un petit miracle. \u00c0 chaque foutue phrase, oui. Et c\u2019est aga\u00e7ant. Parce que trop de miracle tue le miracle. Parce qu\u2019\u00e0 force de s\u2019\u00e9merveiller, on se lasse. Parce que tu aurais aim\u00e9 faire pareil ?... Le bouquin me tombe des mains. Pas la t\u00eate \u00e0 la religion, pas aujourd\u2019hui.\n

Je l’ai vu y a pas longtemps ( toujours le m\u00eame ) il parle de po\u00e9sie d\u00e9sormais. Je crois que la po\u00e9sie c’est une autre histoire. La performance flirt rapidement avec le ridicule en po\u00e9sie. Je n’ai absolument rien contre le ridicule.<\/p>\n

Et puis, autre chose. Concernant la litt\u00e9rature<\/i> Je vois les coutures. Le fil. Les ficelles. Je les vois chez moi, \u00e9videmment, comment ne pas les voir ? C\u2019est mon travail, mon chantier, mon fatras d\u2019imperfections. Mais chez Claro ? L\u00e0 o\u00f9 je m\u2019attendais \u00e0 une fluidit\u00e9 parfaite, une absence de traces, de grincements ? L\u00e0 o\u00f9 je m\u2019attendais \u00e0 oublier l\u2019artifice ?<\/p>\n

C\u2019est comme d\u00e9couvrir le c\u00e2blage derri\u00e8re une sc\u00e8ne de magie. Le fil qui soutient le miracle. Et une fois que tu le vois, impossible de ne plus le voir. Tout tombe en morceaux.<\/p>\n

Ce qu\u2019il me reste de tout \u00e7a, c\u2019est une impression mi-figue mi-raisin. Un go\u00fbt de d\u00e9ception douce-am\u00e8re. Une id\u00e9e de performance, surtout. Voil\u00e0 ce que c\u2019est : un exercice, un tour de force. Une mani\u00e8re de dire : « Regardez comme c\u2019est bien fait, comme c\u2019est brillant. » Et cette id\u00e9e me d\u00e9serte. Elle me fuit. Elle s\u2019efface un peu plus chaque jour, me laissant avec un vide abyssal.<\/p>\n

Et si je ne peux m\u00eame plus esp\u00e9rer performer, alors quoi ? Si m\u00eame cet espoir \u2013 cet espoir d\u00e9risoire, fragile, de faire quelque chose de juste, de puissant, d\u2019in\u00e9vitable \u2013 s\u2019effondre, alors que me reste-t-il ? Rien. Pas m\u00eame la peau sur les os. Juste une vieille peau, us\u00e9e, bonne \u00e0 jeter.<\/p>\n

Il y a dans la litt\u00e9rature \u2013 et je commence seulement \u00e0 le comprendre \u2013 une sorte de caste. ( \u00e0 moins que j’ai la berlue ) Rien de nouveau, \u00e9videmment. Mais les \u00e9vidences, quand elles frappent, c\u2019est toujours elles qui surprennent le plus. Parce qu\u2019elles ne se contentent pas d\u2019\u00eatre l\u00e0, non : elles se d\u00e9placent. Elles glissent. Elles se cachent, et puis, un jour, elles \u00e9clatent au grand jour. Et ce d\u00e9placement du curseur, c\u2019est justement le fascinant : la mani\u00e8re dont l’\u00e9vidence peut mener aussi bien \u00e0 la catastrophe qu’\u00e0 l’\u00e9merveillement. N’est-ce pas finalement la m\u00eame chose ?<\/p>\n

Je le vois, ce curseur. Il glisse lentement, presque imperceptiblement. Entre le « dedans » et le « dehors ». Entre ceux qui appartiennent \u00e0 ce cercle feutr\u00e9 qu\u2019on appelle la litt\u00e9rature <\/i> \u2013 ses r\u00e9seaux, ses connivences, ses clins d\u2019\u0153il \u2013 et ceux qui restent sur le seuil, \u00e0 regarder. Un d\u00e9placement minuscule, mais aux cons\u00e9quences \u00e9normes. Parce que ce curseur ne se contente pas de d\u00e9limiter, il tranche. Il exclut, il choisit. Et si tu le vois trop tard, il t\u2019a d\u00e9j\u00e0 renvoy\u00e9 dans l\u2019ombre.<\/p>\n

C\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a, la litt\u00e9rature : un jeu d\u2019\u00e9quilibres, une tension entre la caste et l\u2019ouverture, entre le sublime et le grotesque. Un mouvement perp\u00e9tuel, une oscillation entre ce qui illumine et ce qui consume. La catastrophe ou l\u2019extraordinaire. Rien au milieu.<\/p>\n

\u2013<\/b><\/span> C’est vraiment pas clair ton histoire dit le dibbouk , t’as besoin de raconter ta vie, tu peux pas foutre un peu la paix aux gens ?
\nIl veut arrondir les angles il me fait un sourire \u00e9dent\u00e9. Ecoeurant.<\/p>", "content_text": "Je sombre. Une ardoise d\u00e9gringole du toit , glisse en zigzag, en nuances de gris : aile de pigeon, pierre ponce, volcanique, anthracite. Guid\u00e9 par une \u00e9trange d\u00e9sinvolture, fruit de l\u2019apprentissage des r\u00e9p\u00e9titions. Ces jours peu glorieux que nous traversons, accabl\u00e9s. Ces jours o\u00f9 le plus petit pr\u00e9texte suffit pour ne pas se r\u00e9jouir. De rien. Tout au contraire : psalmodier int\u00e9rieurement une plainte, en boucle. Une volont\u00e9. Celle de sombrer. Plus profond\u00e9ment encore. Apn\u00e9e. Une image facile. Elle remonte \u00e0 la surface comme une bulle : le plongeur du film Le Grand Bleu. Mais moi, je suis encore l\u00e0. Pas dans l\u2019eau, non. Dans le d\u00e9sert. Ce mirage : cet horizon qui recule \u00e0 mesure que l\u2019on avance vers lui. L\u2019inatteignable. Le dibbouk dort sur le fauteuil crapaud. Son ronflement est r\u00e9gulier, tenace, obstin\u00e9. Il a retir\u00e9 ses godasses, et j\u2019ai vu ses chaussettes trou\u00e9es, son gros orteil \u00e0 l\u2019ongle recourb\u00e9, comme une griffe d\u2019animal. Une bouff\u00e9e de compassion a bien failli me tomber dessus. Mais j\u2019ai ouvert mon parapluie juste \u00e0 temps. Vieux salaud ! Vieille bourrique ! J\u2019ai pens\u00e9 si fort qu\u2019il a entrouvert une paupi\u00e8re. Puis il a ouvert sa bouche \u00e9dent\u00e9e, a baill\u00e9. Ses coudes ont pris appui, il a redress\u00e9 son tronc et sa t\u00eate et, apr\u00e8s un instant, il a articul\u00e9 lentement : \u00ab Pe-tit con-nard. \u00bb Chaque syllabe frappait comme un marteau. J\u2019ai d\u00e9tourn\u00e9 le regard. Ma chatte m\u2019a appris \u00e7a la semaine derni\u00e8re. Ou peut-\u00eatre que je ne l\u2019ai compris que r\u00e9cemment. Les b\u00e9b\u00e9s, les chattes, les loups ne s\u2019accrochent pas au regard. Pas tous les b\u00e9b\u00e9s. Mais la plupart des chattes et des loups, oui. J\u2019ai lu Les {{Vestiges du jour de Kazuo Ishiguro.}} Bien. Mais c\u2019est de la litt\u00e9rature. Et je me demande si ce que je fourre dans ce mot, \u00ab litt\u00e9rature \u00bb, n\u2019est pas la m\u00eame chose que {{Monique Pin\u00e7on-Charlot}} fourre dans le mot \u00ab riche \u00bb. Nous fourrons. Nous avons besoin de \u00e7a, de cette manie du fourrage. On y enfouit tout ce qui passe, tout ce qui tra\u00eene, tout ce qui nous g\u00eane. Au bout du compte, ce n\u2019est qu\u2019une collection de charentaises confortables. Un fourre-tout. Mais \u00e7a donne l\u2019illusion d\u2019avoir quelque chose, pour ne pas se retrouver avec rien. Pass\u00e9 une grande partie de la nuit \u00e0 m'amuser sur trois phrases accompagn\u00e9es de java script, de css. Puis au matin j'ai tout effac\u00e9. C'est l'histoire de ma vie en trois mots. Un brouillon qu'on ne cesse pas de biffer. -Tu pourrais m'appeler par mon petit nom geint le dibbouk. Etre un peu aimable ... -Ta gueule ! un peu plus tard... Je sombre. Ardoise qui chute, d\u00e9gringole, se fracasse. Nuances de gris. Pierre ponce, aile de pigeon, volcanique, anthracite. Une palette de cendres. Rien d\u2019autre. Le go\u00fbt de rien. L\u2019apathie d\u2019une pierre. Je descends, c'est de tout fa\u00e7on une r\u00e9p\u00e9tition. Une rengaine. Une lassitude qui s\u2019\u00e9tire, interminable. Ces jours \u00e9crasants, plomb\u00e9s. Ces jours o\u00f9 tout devient pr\u00e9texte \u00e0 ne pas se r\u00e9jouir. Pas une seule raison valable, et pourtant\u2026 sombrer. Creuser. Toujours plus bas. Apn\u00e9e. L\u2019image est facile. Une bulle qui remonte mollement \u00e0 la surface, d\u00e9gonfl\u00e9e. Le plongeur du Grand Bleu, oui, mais il n\u2019y a pas d\u2019eau ici. Juste du sable. Le d\u00e9sert. Cet horizon qui te ment en pleine gueule, qui te fait croire qu\u2019il est l\u00e0 alors qu\u2019il est toujours plus loin. Une blague. Un mirage. L\u2019inatteignable. Le dibbouk dort sur le fauteuil crapaud. Il ronfle comme un moteur grippe\u0301, r\u00e9gulier, implacable. Il a jet\u00e9 ses godasses dans un coin, et ses chaussettes, trou\u00e9es aux talons, laissent voir la crasse. Un ongle noir, \u00e9pais comme une griffe d\u2019animal. Ce spectacle m\u2019a fil\u00e9 la naus\u00e9e. Un instant. Peut-\u00eatre une once de piti\u00e9. Mais non. J\u2019ai ouvert mon parapluie avant que \u00e7a me tombe dessus. Pas aujourd\u2019hui. Vieil enfoir\u00e9. Je pensais si fort qu\u2019il a fini par bouger. Un \u0153il s\u2019est entrouvert. Puis il a baill\u00e9, une bouche vide comme une tombe. Il s\u2019est redress\u00e9, lentement, poussant sur ses coudes. Puis il m\u2019a balanc\u00e9 : \u00ab Pe-tit con-nard. \u00bb Chaque syllabe \u00e9tait une gifle. Je n\u2019ai rien r\u00e9pondu. Rien. J\u2019ai tourn\u00e9 la t\u00eate, comme ma chatte me l\u2019a appris la semaine derni\u00e8re. Oui, ma chatte. Elle d\u00e9tourne le regard. Les b\u00e9b\u00e9s aussi, parfois. Les loups, souvent. Instinct de survie : ne jamais affronter les regards inutiles. Et puis, Ishiguro. Les Vestiges du jour. Un bon livre, sans doute. Mais \u00e7a reste de la litt\u00e9rature. Je dis \u00ab litt\u00e9rature \u00bb comme Monique Pin\u00e7on-Charlot dit \u00ab riche \u00bb. Un mot fourre-tout. On y jette ce qu\u2019on ne sait pas nommer autrement. On fourre, on remplit, on meuble. \u00c7a donne l\u2019impression d\u2019avoir quelque chose, n\u2019importe quoi, au lieu de rien. Des pantoufles bien us\u00e9es dans un sac trou\u00e9. Voil\u00e0 tout. Je lis Claro. {{Tous les diamants du ciel}}. C\u2019est une \u00e9criture qui brille, qui scintille, qui jette des \u00e9clats \u00e0 chaque phrase. Il y a l\u00e0 un petit miracle. \u00c0 chaque foutue phrase, oui. Et c\u2019est aga\u00e7ant. Parce que trop de miracle tue le miracle. Parce qu\u2019\u00e0 force de s\u2019\u00e9merveiller, on se lasse. Parce que tu aurais aim\u00e9 faire pareil ?... Le bouquin me tombe des mains. Pas la t\u00eate \u00e0 la religion, pas aujourd\u2019hui. Je l'ai vu y a pas longtemps ( toujours le m\u00eame ) il parle de po\u00e9sie d\u00e9sormais. Je crois que la po\u00e9sie c'est une autre histoire. La performance flirt rapidement avec le ridicule en po\u00e9sie. Je n'ai absolument rien contre le ridicule. Et puis, autre chose.{ Concernant la litt\u00e9rature} Je vois les coutures. Le fil. Les ficelles. Je les vois chez moi, \u00e9videmment, comment ne pas les voir ? C\u2019est mon travail, mon chantier, mon fatras d\u2019imperfections. Mais chez Claro ? L\u00e0 o\u00f9 je m\u2019attendais \u00e0 une fluidit\u00e9 parfaite, une absence de traces, de grincements ? L\u00e0 o\u00f9 je m\u2019attendais \u00e0 oublier l\u2019artifice ? C\u2019est comme d\u00e9couvrir le c\u00e2blage derri\u00e8re une sc\u00e8ne de magie. Le fil qui soutient le miracle. Et une fois que tu le vois, impossible de ne plus le voir. Tout tombe en morceaux. Ce qu\u2019il me reste de tout \u00e7a, c\u2019est une impression mi-figue mi-raisin. Un go\u00fbt de d\u00e9ception douce-am\u00e8re. Une id\u00e9e de performance, surtout. Voil\u00e0 ce que c\u2019est : un exercice, un tour de force. Une mani\u00e8re de dire : \u00ab Regardez comme c\u2019est bien fait, comme c\u2019est brillant. \u00bb Et cette id\u00e9e me d\u00e9serte. Elle me fuit. Elle s\u2019efface un peu plus chaque jour, me laissant avec un vide abyssal. Et si je ne peux m\u00eame plus esp\u00e9rer performer, alors quoi ? Si m\u00eame cet espoir \u2013 cet espoir d\u00e9risoire, fragile, de faire quelque chose de juste, de puissant, d\u2019in\u00e9vitable \u2013 s\u2019effondre, alors que me reste-t-il ? Rien. Pas m\u00eame la peau sur les os. Juste une vieille peau, us\u00e9e, bonne \u00e0 jeter. Il y a dans la litt\u00e9rature \u2013 et je commence seulement \u00e0 le comprendre \u2013 une sorte de caste. ( \u00e0 moins que j'ai la berlue ) Rien de nouveau, \u00e9videmment. Mais les \u00e9vidences, quand elles frappent, c\u2019est toujours elles qui surprennent le plus. Parce qu\u2019elles ne se contentent pas d\u2019\u00eatre l\u00e0, non : elles se d\u00e9placent. Elles glissent. Elles se cachent, et puis, un jour, elles \u00e9clatent au grand jour. Et ce d\u00e9placement du curseur, c\u2019est justement le fascinant : la mani\u00e8re dont l'\u00e9vidence peut mener aussi bien \u00e0 la catastrophe qu'\u00e0 l'\u00e9merveillement. N'est-ce pas finalement la m\u00eame chose ? Je le vois, ce curseur. Il glisse lentement, presque imperceptiblement. Entre le \"dedans\" et le \"dehors\". Entre ceux qui appartiennent \u00e0 ce cercle feutr\u00e9 qu\u2019on appelle {la litt\u00e9rature } \u2013 ses r\u00e9seaux, ses connivences, ses clins d\u2019\u0153il \u2013 et ceux qui restent sur le seuil, \u00e0 regarder. Un d\u00e9placement minuscule, mais aux cons\u00e9quences \u00e9normes. Parce que ce curseur ne se contente pas de d\u00e9limiter, il tranche. Il exclut, il choisit. Et si tu le vois trop tard, il t\u2019a d\u00e9j\u00e0 renvoy\u00e9 dans l\u2019ombre. C\u2019est peut-\u00eatre \u00e7a, la litt\u00e9rature : un jeu d\u2019\u00e9quilibres, une tension entre la caste et l\u2019ouverture, entre le sublime et le grotesque. Un mouvement perp\u00e9tuel, une oscillation entre ce qui illumine et ce qui consume. La catastrophe ou l\u2019extraordinaire. Rien au milieu. -C'est vraiment pas clair ton histoire dit le dibbouk , t'as besoin de raconter ta vie, tu peux pas foutre un peu la paix aux gens ? Il veut arrondir les angles il me fait un sourire \u00e9dent\u00e9. 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