{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-fevrier-2025.html", "title": "28 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-28T06:55:46Z", "date_modified": "2025-05-28T06:36:08Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je me suis r\u00e9veill\u00e9 avec cette phrase en t\u00eate. Ce qui est proche se doit de rester loin. Je me d\u00e9p\u00eache de la noter avant qu\u2019elle ne s\u2019efface, avant qu\u2019elle ne rejoigne ces limbes o\u00f9 s\u2019\u00e9chouent les textes morts-n\u00e9s, ceux qui naissent dans les r\u00eaves et n\u2019atteignent jamais le jour.<\/p>\n

Vers 2h. Un Doliprane effervescent. Puis relecture des Montagnes de la folie. (Hallucin\u00e9es). Je n\u2019avais jamais pris la peine de lire la pr\u00e9face de David Camus. Cette fois, je m\u2019y attarde. C\u2019est comme du Lovecraft, me suis-je dit. Puis l\u2019esprit a bifurqu\u00e9. Impossible de rester concentr\u00e9. Le Proc\u00e8s. K. J\u2019ai vu passer une annonce r\u00e9cemment. The Trial d\u2019Orson Welles, avec Anthony Perkins dans le r\u00f4le de K. J\u2019ai cherch\u00e9, retrouv\u00e9, visionn\u00e9 une bonne partie du film en attendant que le m\u00e9dicament fasse effet.<\/p>\n

Il doit y avoir un lien entre HPL et Kafka. Ces personnages, chez Lovecraft, contraints de dire alors qu\u2019ils pr\u00e9f\u00e9reraient se taire. Comme K., fig\u00e9 devant le portail de la Justice. Et puis cette id\u00e9e : Ce portail, il l\u2019a cr\u00e9\u00e9 lui-m\u00eame. Ce n\u2019est pas une barri\u00e8re ext\u00e9rieure. C\u2019est sa propre id\u00e9e de la Loi, un concept d\u2019inaccessibilit\u00e9 qu\u2019il est condamn\u00e9 \u00e0 ne jamais franchir. Parce que son r\u00f4le, le seul qu\u2019il s\u2019autorise en silence, c\u2019est de ne pas pouvoir passer. Et alors, une \u00e9vidence : L\u2019absurde d\u2019hier para\u00eet aujourd\u2019hui plus r\u00e9el que jamais.<\/p>\n

J\u2019ai toujours pens\u00e9 que nous \u00e9tions les cr\u00e9ateurs de tout ce que nous traversons. Que nous \u00e9tions, chacun, \u00e0 l\u2019origine de nos propres labyrinthes. Que le sens de cette existence ne se joue pas dans le r\u00eave que nous appelons r\u00e9alit\u00e9, mais dans une autre dimension, un hors-champ immense, supranaturel, qui nous d\u00e9passe. Que nous ne sommes que des histrions, des figures \u00e9gar\u00e9es sur une fresque gigantesque dont nous ne percevons que les contours.<\/p>\n

Un couloir d\u2019h\u00f4pital. Sous terre. Des centaines de corps nus, entass\u00e9s sur des \u00e9tag\u00e8res. Les camps. Mais quelque chose cloche. Les corps ne sont pas maigres. Ils sont luisants, pleins, presque gras. Et de leur juxtaposition insens\u00e9e se d\u00e9gage une \u00e9trange sensualit\u00e9. Un m\u00e9lange de visions. Je ne sais pas si c\u2019est un r\u00eave ou un souvenir.<\/p>\n

Au moment o\u00f9 j’\u00e9cris ces lignes, la douleur est supportable. La douleur est une foreuse de conscience. Avoir mal est une chose. Entretenir ce mal en est une autre. Mais quand ai-je compris cela pour la premi\u00e8re fois ? Je ne sais plus. \u00c9tait-ce ce jour o\u00f9 je suis rest\u00e9 allong\u00e9 sur le carrelage froid de la cuisine \u00e0 V., apr\u00e8s une trempe magistrale ? Cette sensation de froid coll\u00e9 \u00e0 la peau, ce corps immobilis\u00e9, incapable de pleurer, incapable m\u00eame de penser ? Mais d\u00e9tach\u00e9 totalement de cet ensemble bourreau\/victime qui, dans le recul soudain, ne faisait plus qu\u2019un. Ou \u00e9tait-ce cette autre fois, dans l\u2019enfance, quand la branche du cerisier s\u2019est rompue sous mon poids, m\u2019envoyant percuter la terre avec une violence inattendue ? L\u2019impact. La douleur vive. La respiration coup\u00e9e. Ce moment suspendu o\u00f9 on se demande si l\u2019on va se relever. On revisite la chute et l’on s’aper\u00e7oit que tout ne tombe pas au m\u00eame rythme. Un pr\u00e9cipit\u00e9 reste suspendu. Un t\u00e9moin silencieux qui observe l\u2019ensemble.<\/p>\n

Ou peut-\u00eatre n\u2019\u00e9tait-ce ni l\u2019un ni l\u2019autre. Peut-\u00eatre \u00e9tait-ce J., et son absence soudaine. Sa disparition. Un matin, elle n\u2019\u00e9tait plus l\u00e0. Et alors, ce n\u2019\u00e9tait plus une douleur localis\u00e9e. C\u2019\u00e9tait autre chose. Un vide sid\u00e9ral, froid, effroyable. Mais encore une fois, l\u2019\u00e9trange possibilit\u00e9 de mise \u00e0 distance, de mise en ab\u00eeme.<\/p>\n

Ce racisme que tant de gens reprochent \u00e0 Lovecraft me fait penser \u00e0 un r\u00eave r\u00e9current de mon enfance. Un g\u00e9ant terrass\u00e9 par des cr\u00e9atures affreuses. (Gulliver ?). Leur langage \u00e9tait la pire torture. Plus que les coups. Plus que la douleur physique. Je ne sais pas si c\u2019\u00e9tait la peur de l\u2019\u00e9tranget\u00e9, de l\u2019\u00e9trange, ou de l\u2019\u00e9tranger. Je ne sais m\u00eame pas si c\u2019\u00e9tait de la peur. C\u2019\u00e9tait du m\u00e9pris. On pouvait me torturer autant qu’on le voulait, cela ne m’effrayait pas. Je comprenais que ces cr\u00e9atures existaient parce que je les inventais. Elles tiraient leur raison d\u2019\u00eatre \u00e0 la fois de mon m\u00e9pris pour elles et de leur m\u00e9pris pour moi. Elles \u00e9taient les sentinelles d\u2019un territoire inconnu. Elles m\u2019accompagnaient dans cette t\u00e2che absurde : Explorer quoi ? L\u2019\u00e2me humaine ? La douleur ? L\u2019illusion magistrale que je m\u2019\u00e9tais invent\u00e9e afin d\u2019essayer, chichement, de m\u2019incarner dans ce monde.<\/p>", "content_text": " Je me suis r\u00e9veill\u00e9 avec cette phrase en t\u00eate. Ce qui est proche se doit de rester loin. Je me d\u00e9p\u00eache de la noter avant qu\u2019elle ne s\u2019efface, avant qu\u2019elle ne rejoigne ces limbes o\u00f9 s\u2019\u00e9chouent les textes morts-n\u00e9s, ceux qui naissent dans les r\u00eaves et n\u2019atteignent jamais le jour. Vers 2h. Un Doliprane effervescent. Puis relecture des Montagnes de la folie. (Hallucin\u00e9es). Je n\u2019avais jamais pris la peine de lire la pr\u00e9face de David Camus. Cette fois, je m\u2019y attarde. C\u2019est comme du Lovecraft, me suis-je dit. Puis l\u2019esprit a bifurqu\u00e9. Impossible de rester concentr\u00e9. Le Proc\u00e8s. K. J\u2019ai vu passer une annonce r\u00e9cemment. The Trial d\u2019Orson Welles, avec Anthony Perkins dans le r\u00f4le de K. J\u2019ai cherch\u00e9, retrouv\u00e9, visionn\u00e9 une bonne partie du film en attendant que le m\u00e9dicament fasse effet. Il doit y avoir un lien entre HPL et Kafka. Ces personnages, chez Lovecraft, contraints de dire alors qu\u2019ils pr\u00e9f\u00e9reraient se taire. Comme K., fig\u00e9 devant le portail de la Justice. Et puis cette id\u00e9e : Ce portail, il l\u2019a cr\u00e9\u00e9 lui-m\u00eame. Ce n\u2019est pas une barri\u00e8re ext\u00e9rieure. C\u2019est sa propre id\u00e9e de la Loi, un concept d\u2019inaccessibilit\u00e9 qu\u2019il est condamn\u00e9 \u00e0 ne jamais franchir. Parce que son r\u00f4le, le seul qu\u2019il s\u2019autorise en silence, c\u2019est de ne pas pouvoir passer. Et alors, une \u00e9vidence : L\u2019absurde d\u2019hier para\u00eet aujourd\u2019hui plus r\u00e9el que jamais. J\u2019ai toujours pens\u00e9 que nous \u00e9tions les cr\u00e9ateurs de tout ce que nous traversons. Que nous \u00e9tions, chacun, \u00e0 l\u2019origine de nos propres labyrinthes. Que le sens de cette existence ne se joue pas dans le r\u00eave que nous appelons r\u00e9alit\u00e9, mais dans une autre dimension, un hors-champ immense, supranaturel, qui nous d\u00e9passe. Que nous ne sommes que des histrions, des figures \u00e9gar\u00e9es sur une fresque gigantesque dont nous ne percevons que les contours. Un couloir d\u2019h\u00f4pital. Sous terre. Des centaines de corps nus, entass\u00e9s sur des \u00e9tag\u00e8res. Les camps. Mais quelque chose cloche. Les corps ne sont pas maigres. Ils sont luisants, pleins, presque gras. Et de leur juxtaposition insens\u00e9e se d\u00e9gage une \u00e9trange sensualit\u00e9. Un m\u00e9lange de visions. Je ne sais pas si c\u2019est un r\u00eave ou un souvenir. Au moment o\u00f9 j'\u00e9cris ces lignes, la douleur est supportable. La douleur est une foreuse de conscience. Avoir mal est une chose. Entretenir ce mal en est une autre. Mais quand ai-je compris cela pour la premi\u00e8re fois ? Je ne sais plus. \u00c9tait-ce ce jour o\u00f9 je suis rest\u00e9 allong\u00e9 sur le carrelage froid de la cuisine \u00e0 V., apr\u00e8s une trempe magistrale ? Cette sensation de froid coll\u00e9 \u00e0 la peau, ce corps immobilis\u00e9, incapable de pleurer, incapable m\u00eame de penser ? Mais d\u00e9tach\u00e9 totalement de cet ensemble bourreau\/victime qui, dans le recul soudain, ne faisait plus qu\u2019un. Ou \u00e9tait-ce cette autre fois, dans l\u2019enfance, quand la branche du cerisier s\u2019est rompue sous mon poids, m\u2019envoyant percuter la terre avec une violence inattendue ? L\u2019impact. La douleur vive. La respiration coup\u00e9e. Ce moment suspendu o\u00f9 on se demande si l\u2019on va se relever. On revisite la chute et l'on s'aper\u00e7oit que tout ne tombe pas au m\u00eame rythme. Un pr\u00e9cipit\u00e9 reste suspendu. Un t\u00e9moin silencieux qui observe l\u2019ensemble. Ou peut-\u00eatre n\u2019\u00e9tait-ce ni l\u2019un ni l\u2019autre. Peut-\u00eatre \u00e9tait-ce J., et son absence soudaine. Sa disparition. Un matin, elle n\u2019\u00e9tait plus l\u00e0. Et alors, ce n\u2019\u00e9tait plus une douleur localis\u00e9e. C\u2019\u00e9tait autre chose. Un vide sid\u00e9ral, froid, effroyable. Mais encore une fois, l\u2019\u00e9trange possibilit\u00e9 de mise \u00e0 distance, de mise en ab\u00eeme. Ce racisme que tant de gens reprochent \u00e0 Lovecraft me fait penser \u00e0 un r\u00eave r\u00e9current de mon enfance. Un g\u00e9ant terrass\u00e9 par des cr\u00e9atures affreuses. (Gulliver ?). Leur langage \u00e9tait la pire torture. Plus que les coups. Plus que la douleur physique. Je ne sais pas si c\u2019\u00e9tait la peur de l\u2019\u00e9tranget\u00e9, de l\u2019\u00e9trange, ou de l\u2019\u00e9tranger. Je ne sais m\u00eame pas si c\u2019\u00e9tait de la peur. C\u2019\u00e9tait du m\u00e9pris. On pouvait me torturer autant qu'on le voulait, cela ne m'effrayait pas. Je comprenais que ces cr\u00e9atures existaient parce que je les inventais. Elles tiraient leur raison d\u2019\u00eatre \u00e0 la fois de mon m\u00e9pris pour elles et de leur m\u00e9pris pour moi. Elles \u00e9taient les sentinelles d\u2019un territoire inconnu. Elles m\u2019accompagnaient dans cette t\u00e2che absurde : Explorer quoi ? L\u2019\u00e2me humaine ? La douleur ? L\u2019illusion magistrale que je m\u2019\u00e9tais invent\u00e9e afin d\u2019essayer, chichement, de m\u2019incarner dans ce monde. 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On pourrait croire que les choses continuent comme avant. Mais avant quoi, exactement ? \u00c0 quel moment avons-nous franchi une ligne invisible ? Et s\u2019il y avait un \u00e9v\u00e9nement, serait-il collectif, appartenant \u00e0 l\u2019\u00e9poque, ou simplement intime, projet\u00e9 sur le monde comme une ombre port\u00e9e ? Ou bien serait-ce l\u2019inverse : le monde lui-m\u00eame d\u00e9posant en nous la trace d\u2019un bouleversement que nous pensions personnel ?<\/p>\n

Aucun mal \u00e0 garer la Dacia ce matin dans le parking de l\u2019Intermarch\u00e9. Les gens sont partis en vacances. M\u00eame pas besoin de chercher une pi\u00e8ce ou un jeton : les caddies \u00e9taient libres. C\u2019\u00e9tait \u00e9trange, cette cha\u00eene rel\u00e2ch\u00e9e, son opercule rouge balan\u00e7ant doucement. Comme si, en cette matin\u00e9e ensoleill\u00e9e, quelque chose s\u2019\u00e9tait enfin d\u00e9tach\u00e9.<\/p>\n

Mes dents me lancent toujours, mais je tiens bon. J\u2019ai m\u00eame dissous un Doliprane dans un verre d\u2019eau, bu en cachette, histoire d\u2019anticiper ces longues heures hors de la maison. S. trouve inconcevable que je n\u2019aille pas chez le dentiste. Elle trouverait encore plus dingue la moindre excuse bancale que je pourrais opposer \u00e0 son verdict. \u00c7a finirait encore en brouille, et les courses ne sont d\u00e9j\u00e0 pas une sin\u00e9cure. Alors j\u2019avance, sto\u00efque, poussant le caddie \u00e0 travers les all\u00e9es.<\/p>\n

\u00c7a se sent que ce sont les vacances : les employ\u00e9s remplissent les rayons vides, il y a des visages inconnus, s\u00fbrement des int\u00e9rimaires, m\u00eame les clients ont chang\u00e9. Enfin\u2026 pas tous. Nous croisons G., une de mes \u00e9l\u00e8ves. Malaise mutuel. Qu\u2019avons-nous \u00e0 nous dire au beau milieu d\u2019un supermarch\u00e9 ? Je lui demande des nouvelles de son mari, qui vient d\u2019\u00eatre op\u00e9r\u00e9. C\u2019est de la politesse. Comme il va bien, nous nous souhaitons un « \u00e0 demain » pour l\u2019atelier et reprenons notre chemin.<\/p>\n

Ce qui est \u00e9trange, c\u2019est qu\u2019on ne la croisera plus du tout. Comme si elle s\u2019\u00e9tait volatilis\u00e9e. \u00c0 moins que cette rencontre ne m\u2019ait d\u00e9j\u00e0 \u00e9chapp\u00e9. Ce qui est sans doute plus plausible.<\/p>\n

Au retour, le rituel immuable : ranger les provisions. Un sac pour le cong\u00e9lateur dans la remise, un autre pour le frigo, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Je n\u2019ai pas faim. S. annonce qu\u2019elle va cuire des pommes de terre pour accompagner la choucroute.\nJ\u2019ai \u00e0 peine touch\u00e9 mon assiette. On a parl\u00e9 des vacances d\u2019\u00e9t\u00e9, des locations d\u00e9j\u00e0 r\u00e9serv\u00e9es \u2013 sauf que, incapable de me souvenir o\u00f9, j\u2019ai simplement balbuti\u00e9 que ce serait l\u2019occasion d\u2019aller au Prado. Par chance, nous passons par Madrid. S. a d\u00e9j\u00e0 r\u00e9serv\u00e9 deux nuits d\u2019h\u00f4tel. Pour le reste, je ne me souviens plus.\nCe que je trouve \u00e9trange, au fond. Ce manque d\u2019int\u00e9r\u00eat me pr\u00e9occupe plus que mon mal de dent. Et c\u2019est presque rassurant.<\/p>\n

\u00c0 la fin, S. comprend que je ne l\u2019\u00e9coute plus. Nous finissons le repas en silence.<\/p>\n

Par la fen\u00eatre, j\u2019aper\u00e7ois deux hommes arr\u00eat\u00e9s devant l\u2019\u00e9chafaudage de l\u2019\u00e9picerie. Tiens, les travaux vont peut-\u00eatre enfin s\u2019achever, ai-je dit, juste pour dire quelque chose. Mais non. Ils devaient simplement se heurter au rideau ferm\u00e9, comme tous les mercredis.<\/p>\n

Impossible de l\u2019ignorer : de gigantesques pancartes recouvrent la fa\u00e7ade, annon\u00e7ant des transferts d\u2019argent, et en dessous, leurs horaires en majuscules.<\/p>\n

Je ne me souviens plus comment la dispute a commenc\u00e9. Probablement de mani\u00e8re lancinante, \u00e0 l\u2019image de ma douleur dentaire, qui revenait par vagues.<\/p>\n

\u00c0 un moment, S. a l\u00e2ch\u00e9 que je n\u2019\u00e9tais plus l\u00e0 depuis des mois. Qu\u2019elle avait la sensation de vivre seule.<\/p>\n

J\u2019ai jou\u00e9 l\u2019offusqu\u00e9, bien s\u00fbr. Protester m\u2019a donn\u00e9, l\u2019espace d\u2019un instant, l\u2019illusion d\u2019\u00eatre l\u00e0, d\u2019\u00eatre encore vivant. Puis je me suis tu.<\/p>\n

Elle avait raison.<\/p>\n

Alors ma vie a d\u00e9fil\u00e9 en acc\u00e9l\u00e9r\u00e9, avec de courtes pauses. Des plans fixes sur des sc\u00e8nes d\u00e9j\u00e0 v\u00e9cues, toutes reli\u00e9es par un fil commun : j\u2019\u00e9tais absorb\u00e9 dans l\u2019\u00e9criture. J\u2019ai not\u00e9 \u00e7a quelque part dans ma t\u00eate, me disant que \u00e7a ferait un bon texte pour demain. Peut-\u00eatre m\u00eame un tr\u00e8s bon texte.<\/p>\n

Puis je suis remont\u00e9 continuer ma lecture de Autour de Lovecraft de David Camus. S., elle, allong\u00e9e sur le canap\u00e9 du salon s\u2019enfon\u00e7a aussit\u00f4t dans une s\u00e9rie polici\u00e8re idiote. Discussion close.<\/p>\n

Musique : \u00d3lafur Arnalds - saman<\/p>", "content_text": " On pourrait croire que les choses continuent comme avant. Mais avant quoi, exactement ? \u00c0 quel moment avons-nous franchi une ligne invisible ? Et s\u2019il y avait un \u00e9v\u00e9nement, serait-il collectif, appartenant \u00e0 l\u2019\u00e9poque, ou simplement intime, projet\u00e9 sur le monde comme une ombre port\u00e9e ? Ou bien serait-ce l\u2019inverse : le monde lui-m\u00eame d\u00e9posant en nous la trace d\u2019un bouleversement que nous pensions personnel ? Aucun mal \u00e0 garer la Dacia ce matin dans le parking de l\u2019Intermarch\u00e9. Les gens sont partis en vacances. M\u00eame pas besoin de chercher une pi\u00e8ce ou un jeton : les caddies \u00e9taient libres. C\u2019\u00e9tait \u00e9trange, cette cha\u00eene rel\u00e2ch\u00e9e, son opercule rouge balan\u00e7ant doucement. Comme si, en cette matin\u00e9e ensoleill\u00e9e, quelque chose s\u2019\u00e9tait enfin d\u00e9tach\u00e9. Mes dents me lancent toujours, mais je tiens bon. J\u2019ai m\u00eame dissous un Doliprane dans un verre d\u2019eau, bu en cachette, histoire d\u2019anticiper ces longues heures hors de la maison. S. trouve inconcevable que je n\u2019aille pas chez le dentiste. Elle trouverait encore plus dingue la moindre excuse bancale que je pourrais opposer \u00e0 son verdict. \u00c7a finirait encore en brouille, et les courses ne sont d\u00e9j\u00e0 pas une sin\u00e9cure. Alors j\u2019avance, sto\u00efque, poussant le caddie \u00e0 travers les all\u00e9es. \u00c7a se sent que ce sont les vacances : les employ\u00e9s remplissent les rayons vides, il y a des visages inconnus, s\u00fbrement des int\u00e9rimaires, m\u00eame les clients ont chang\u00e9. Enfin\u2026 pas tous. Nous croisons G., une de mes \u00e9l\u00e8ves. Malaise mutuel. Qu\u2019avons-nous \u00e0 nous dire au beau milieu d\u2019un supermarch\u00e9 ? Je lui demande des nouvelles de son mari, qui vient d\u2019\u00eatre op\u00e9r\u00e9. C\u2019est de la politesse. Comme il va bien, nous nous souhaitons un \u00ab \u00e0 demain \u00bb pour l\u2019atelier et reprenons notre chemin. Ce qui est \u00e9trange, c\u2019est qu\u2019on ne la croisera plus du tout. Comme si elle s\u2019\u00e9tait volatilis\u00e9e. \u00c0 moins que cette rencontre ne m\u2019ait d\u00e9j\u00e0 \u00e9chapp\u00e9. Ce qui est sans doute plus plausible. Au retour, le rituel immuable : ranger les provisions. Un sac pour le cong\u00e9lateur dans la remise, un autre pour le frigo, juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9. Je n\u2019ai pas faim. S. annonce qu\u2019elle va cuire des pommes de terre pour accompagner la choucroute. J\u2019ai \u00e0 peine touch\u00e9 mon assiette. On a parl\u00e9 des vacances d\u2019\u00e9t\u00e9, des locations d\u00e9j\u00e0 r\u00e9serv\u00e9es \u2013 sauf que, incapable de me souvenir o\u00f9, j\u2019ai simplement balbuti\u00e9 que ce serait l\u2019occasion d\u2019aller au Prado. Par chance, nous passons par Madrid. S. a d\u00e9j\u00e0 r\u00e9serv\u00e9 deux nuits d\u2019h\u00f4tel. Pour le reste, je ne me souviens plus. Ce que je trouve \u00e9trange, au fond. Ce manque d\u2019int\u00e9r\u00eat me pr\u00e9occupe plus que mon mal de dent. Et c\u2019est presque rassurant. \u00c0 la fin, S. comprend que je ne l\u2019\u00e9coute plus. Nous finissons le repas en silence. Par la fen\u00eatre, j\u2019aper\u00e7ois deux hommes arr\u00eat\u00e9s devant l\u2019\u00e9chafaudage de l\u2019\u00e9picerie. Tiens, les travaux vont peut-\u00eatre enfin s\u2019achever, ai-je dit, juste pour dire quelque chose. Mais non. Ils devaient simplement se heurter au rideau ferm\u00e9, comme tous les mercredis. Impossible de l\u2019ignorer : de gigantesques pancartes recouvrent la fa\u00e7ade, annon\u00e7ant des transferts d\u2019argent, et en dessous, leurs horaires en majuscules. Je ne me souviens plus comment la dispute a commenc\u00e9. Probablement de mani\u00e8re lancinante, \u00e0 l\u2019image de ma douleur dentaire, qui revenait par vagues. \u00c0 un moment, S. a l\u00e2ch\u00e9 que je n\u2019\u00e9tais plus l\u00e0 depuis des mois. Qu\u2019elle avait la sensation de vivre seule. J\u2019ai jou\u00e9 l\u2019offusqu\u00e9, bien s\u00fbr. Protester m\u2019a donn\u00e9, l\u2019espace d\u2019un instant, l\u2019illusion d\u2019\u00eatre l\u00e0, d\u2019\u00eatre encore vivant. Puis je me suis tu. Elle avait raison. Alors ma vie a d\u00e9fil\u00e9 en acc\u00e9l\u00e9r\u00e9, avec de courtes pauses. Des plans fixes sur des sc\u00e8nes d\u00e9j\u00e0 v\u00e9cues, toutes reli\u00e9es par un fil commun : j\u2019\u00e9tais absorb\u00e9 dans l\u2019\u00e9criture. J\u2019ai not\u00e9 \u00e7a quelque part dans ma t\u00eate, me disant que \u00e7a ferait un bon texte pour demain. Peut-\u00eatre m\u00eame un tr\u00e8s bon texte. Puis je suis remont\u00e9 continuer ma lecture de Autour de Lovecraft de David Camus. S., elle, allong\u00e9e sur le canap\u00e9 du salon s\u2019enfon\u00e7a aussit\u00f4t dans une s\u00e9rie polici\u00e8re idiote. Discussion close. Musique : \u00d3lafur Arnalds - saman", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/c8baee87-c346-4f94-b736-62262b7928cd.webp?1748065089", "tags": ["Espaces lieux ", "Autofiction et Introspection", "Lovecraft"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-fevrier-2025.html", "title": "26 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-26T07:51:40Z", "date_modified": "2025-05-28T06:51:47Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Hier soir, panne d\u2019ordinateur. Ubuntu en emergency mode<\/em>. Sans doute apr\u00e8s avoir tent\u00e9 d\u2019introduire Balzac dans le port USB. En fait, non. Ce n\u2019est pas tant l\u2019insertion qui posait probl\u00e8me, mais le montage ensuite. (Je pr\u00e9vois un certain effarement \u00e0 la relecture de ce texte simultan\u00e9ment \u00e0 sa r\u00e9daction). <\/p>\n

Probl\u00e8me de format, en tout cas. Et de permissions. Il fallait \u00eatre le<\/em> super-utilisateur, le Root<\/em> de chez root. Or, je ne suis que ce que je suis. D\u00e9racin\u00e9. <\/p>\n

J\u2019ai bien gal\u00e9r\u00e9, et pour finir, j\u2019y suis arriv\u00e9. Comme toujours, en v\u00e9rit\u00e9. Du moins, avec ce qui m\u2019int\u00e9resse essentiellement. Pour le reste, aucune pugnacit\u00e9, un d\u00e9sint\u00e9r\u00eat absolu, voire un j\u2019m\u2019en foutisme total. <\/p>\n

Vers 20h, enfin, j\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 me souvenir des manipulations oiseuses effectu\u00e9es dans le fstab<\/em> pour faire fonctionner la cl\u00e9 USB. Apr\u00e8s avoir comment\u00e9 la ligne en question, et tout revint dans l’ordre instantan\u00e9ment. <\/p>\n


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Le mardi reste un jour myst\u00e9rieux. C’est une journ\u00e9e o\u00f9 je ne donne pas cours. O\u00f9 je ne donne pas suite aux solliciations incessantes du monde. S. part g\u00e9n\u00e9ralement vers 11h pour voir sa vieille m\u00e8re. Je suis seul jusqu\u2019\u00e0 16h, parfois 17h. J\u2019oscille entre \u00e9criture et lecture, me laissant porter par l\u2019une ou l\u2019autre selon l\u2019humeur. Hier, j\u2019ai suivi David Camus dans son p\u00e9riple sur une bonne centaine de pages, dans Autour de Lovecraft<\/em> que j’ai retrouv\u00e9 en faisant du m\u00e9nage dans mes disques durs.<\/p>\n

Et soudain, une angoisse. <\/p>\n

Si ce r\u00e9cit \u00e9tait une nouvelle de fiction ? Et si ce personnage, tellement attachant, baptis\u00e9 David Camus par David Camus lui-m\u00eame, n\u2019existait pas ? Si toute cette histoire s\u2019\u00e9tait d\u00e9roul\u00e9e totalement diff\u00e9remment ?
\nA cet instant vertige car je me suis retrouv\u00e9 face \u00e0 la pens\u00e9e affreuse qu’il s’agissait d’ une sorte de trahison. \nEt j’ai compris que si j’\u00e9tais capable d’imaginer ce genre de chose, d’en avoir une trouille bleue, c’est que cela touchait un point n\u00e9vralgique en moi. Que j’\u00e9tais absolument capable de balader le lecteur et moi-m\u00eame sur des pages et des pages sans aucun scrupule quant au contrat tacite qu’impose la relation \u00e9crivain lecteur, et vice versa.\nLa pens\u00e9e m\u2019a tenu en \u00e9veil jusqu\u2019\u00e0 une heure avanc\u00e9e de la nuit. \u00c0 la fin, en sentant enfin le sommeil venir, je me suis moqu\u00e9 de moi-m\u00eame, de ma candeur enfantine. Je l\u2019ai m\u00eame salu\u00e9e amicalement, car elle m\u2019a sembl\u00e9, \u00e0 cet instant, pr\u00e9cieuse. <\/p>\n

Ce matin, il ne me reste que de tr\u00e8s vagues impressions des paysages et des \u00eatres rencontr\u00e9s durant ma courte nuit. \u00c0 l\u2019image de ma vie r\u00e9elle, sans doute. <\/p>\n

Ce qui relance, une fois de plus, la question : qu\u2019est-ce que je fais de ma vie ? Qui suis-je ? Suis-je le personnage d\u2019un r\u00eave que je ne parviens pas \u00e0 r\u00eaver moi-m\u00eame ? Un simple figurant dans une production cosmique ?
\nJe ne peux pas vraiment \u00e9voquer la jalousie. Je crois que ce mot est une rustine que je convoque par paresse et ce depuis que l’on m’a apprit \u00e0 r\u00e9parer un pneu de v\u00e9lo. Au del\u00e0 de ce mot il y a un gouffre que j’ose rarement explorer. Il y a le temps qui file \u00e0 tr\u00e8s vive allure, il y a cette silhouette, cet \u00e9pouvantail ballot\u00e9 par les intemp\u00e9ries qui part de plus en plus en lambeaux, il y a des serpents r\u00eaves qui ondulent tout autour de son chapeau depenaill\u00e9 et qui explosent les uns apr\u00e8s les autres en projetant leurs entrailles gorg\u00e9es de sang rouge ( \u00e7a doit rester rouge au moins trois mois ) vient me sussurer une voix.<\/p>\n


\nQuelque chose rode autour de ce texte que je n’arrive pas \u00e0 enregistrer pour le publier. Non pas qu’il soit bien ou mal \u00e9crit, ce n’est pas \u00e7a, il manque quelque chose tout simplement et ce manque fini par devenir une ombre de plus en plus imposante \u00e0 chaque relecture. Quelques pistes soudain avec la figure g\u00e9om\u00e9trique d’un triangle flottant tel un portail et de vagues souvenirs d’une chambre d’h\u00f4tel parisienne. En plissant les yeux j’arrive \u00e0 lire le titre d’un livre pos\u00e9 \u00e0 m\u00eame le sol en linol\u00e9um pr\u00e8s d’un lit sur lequel un homme dort. « Critique dans un souterrain » de Ren\u00e9 Girard.\nLe d\u00e9sir est sa n\u00e9cessit\u00e9 triangulaire soudain me reviennent, et tout l’effroi ancien li\u00e9 \u00e0 cette d\u00e9couverte. Puis je regarde l’homme qui dort comme pour s’\u00e9vader de cette terrible v\u00e9rit\u00e9. Empathie soudaine irr\u00e9pr\u00e9ssible, et la petite phrase de D.C \u00e0 la toute fin d’un paragraphe \u00e0 propos de HPL. « Il y a de l’amour ». \n

Musique : Max Richter On The Nature Of Daylight ( entropy) 2018 <\/p>", "content_text": " Hier soir, panne d\u2019ordinateur. Ubuntu en *emergency mode*. Sans doute apr\u00e8s avoir tent\u00e9 d\u2019introduire Balzac dans le port USB. En fait, non. Ce n\u2019est pas tant l\u2019insertion qui posait probl\u00e8me, mais le montage ensuite. (Je pr\u00e9vois un certain effarement \u00e0 la relecture de ce texte simultan\u00e9ment \u00e0 sa r\u00e9daction). Probl\u00e8me de format, en tout cas. Et de permissions. Il fallait \u00eatre *le* super-utilisateur, le *Root* de chez root. Or, je ne suis que ce que je suis. D\u00e9racin\u00e9. J\u2019ai bien gal\u00e9r\u00e9, et pour finir, j\u2019y suis arriv\u00e9. Comme toujours, en v\u00e9rit\u00e9. Du moins, avec ce qui m\u2019int\u00e9resse essentiellement. Pour le reste, aucune pugnacit\u00e9, un d\u00e9sint\u00e9r\u00eat absolu, voire un j\u2019m\u2019en foutisme total. Vers 20h, enfin, j\u2019ai r\u00e9ussi \u00e0 me souvenir des manipulations oiseuses effectu\u00e9es dans le *fstab* pour faire fonctionner la cl\u00e9 USB. Apr\u00e8s avoir comment\u00e9 la ligne en question, et tout revint dans l'ordre instantan\u00e9ment. --- Le mardi reste un jour myst\u00e9rieux. C'est une journ\u00e9e o\u00f9 je ne donne pas cours. O\u00f9 je ne donne pas suite aux solliciations incessantes du monde. S. part g\u00e9n\u00e9ralement vers 11h pour voir sa vieille m\u00e8re. Je suis seul jusqu\u2019\u00e0 16h, parfois 17h. J\u2019oscille entre \u00e9criture et lecture, me laissant porter par l\u2019une ou l\u2019autre selon l\u2019humeur. Hier, j\u2019ai suivi David Camus dans son p\u00e9riple sur une bonne centaine de pages, dans *Autour de Lovecraft* que j'ai retrouv\u00e9 en faisant du m\u00e9nage dans mes disques durs. Et soudain, une angoisse. Si ce r\u00e9cit \u00e9tait une nouvelle de fiction ? Et si ce personnage, tellement attachant, baptis\u00e9 David Camus par David Camus lui-m\u00eame, n\u2019existait pas ? Si toute cette histoire s\u2019\u00e9tait d\u00e9roul\u00e9e totalement diff\u00e9remment ? A cet instant vertige car je me suis retrouv\u00e9 face \u00e0 la pens\u00e9e affreuse qu'il s'agissait d' une sorte de trahison. Et j'ai compris que si j'\u00e9tais capable d'imaginer ce genre de chose, d'en avoir une trouille bleue, c'est que cela touchait un point n\u00e9vralgique en moi. Que j'\u00e9tais absolument capable de balader le lecteur et moi-m\u00eame sur des pages et des pages sans aucun scrupule quant au contrat tacite qu'impose la relation \u00e9crivain lecteur, et vice versa. La pens\u00e9e m\u2019a tenu en \u00e9veil jusqu\u2019\u00e0 une heure avanc\u00e9e de la nuit. \u00c0 la fin, en sentant enfin le sommeil venir, je me suis moqu\u00e9 de moi-m\u00eame, de ma candeur enfantine. Je l\u2019ai m\u00eame salu\u00e9e amicalement, car elle m\u2019a sembl\u00e9, \u00e0 cet instant, pr\u00e9cieuse. Ce matin, il ne me reste que de tr\u00e8s vagues impressions des paysages et des \u00eatres rencontr\u00e9s durant ma courte nuit. \u00c0 l\u2019image de ma vie r\u00e9elle, sans doute. Ce qui relance, une fois de plus, la question : qu\u2019est-ce que je fais de ma vie ? Qui suis-je ? Suis-je le personnage d\u2019un r\u00eave que je ne parviens pas \u00e0 r\u00eaver moi-m\u00eame ? Un simple figurant dans une production cosmique ? Je ne peux pas vraiment \u00e9voquer la jalousie. Je crois que ce mot est une rustine que je convoque par paresse et ce depuis que l'on m'a apprit \u00e0 r\u00e9parer un pneu de v\u00e9lo. Au del\u00e0 de ce mot il y a un gouffre que j'ose rarement explorer. Il y a le temps qui file \u00e0 tr\u00e8s vive allure, il y a cette silhouette, cet \u00e9pouvantail ballot\u00e9 par les intemp\u00e9ries qui part de plus en plus en lambeaux, il y a des serpents r\u00eaves qui ondulent tout autour de son chapeau depenaill\u00e9 et qui explosent les uns apr\u00e8s les autres en projetant leurs entrailles gorg\u00e9es de sang rouge ( \u00e7a doit rester rouge au moins trois mois ) vient me sussurer une voix. Quelque chose rode autour de ce texte que je n'arrive pas \u00e0 enregistrer pour le publier. Non pas qu'il soit bien ou mal \u00e9crit, ce n'est pas \u00e7a, il manque quelque chose tout simplement et ce manque fini par devenir une ombre de plus en plus imposante \u00e0 chaque relecture. Quelques pistes soudain avec la figure g\u00e9om\u00e9trique d'un triangle flottant tel un portail et de vagues souvenirs d'une chambre d'h\u00f4tel parisienne. En plissant les yeux j'arrive \u00e0 lire le titre d'un livre pos\u00e9 \u00e0 m\u00eame le sol en linol\u00e9um pr\u00e8s d'un lit sur lequel un homme dort. \"Critique dans un souterrain\" de Ren\u00e9 Girard. Le d\u00e9sir est sa n\u00e9cessit\u00e9 triangulaire soudain me reviennent, et tout l'effroi ancien li\u00e9 \u00e0 cette d\u00e9couverte. Puis je regarde l'homme qui dort comme pour s'\u00e9vader de cette terrible v\u00e9rit\u00e9. Empathie soudaine irr\u00e9pr\u00e9ssible, et la petite phrase de D.C \u00e0 la toute fin d'un paragraphe \u00e0 propos de HPL. \"Il y a de l'amour\". 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Le fragile territoire du peu<\/strong><\/p>\n

Il s\u2019en faudrait de peu. D\u2019un presque rien. Un grain de sel, une ombre, un souffle d\u2019air suspendu au bord de la fen\u00eatre. Cette sensation de peu, cousue de bric et de broc, est une \u00e9toffe effiloch\u00e9e qu\u2019on drape autour des \u00e9paules en guise de certitude. Ce peu est un territoire mouvant, une ligne trac\u00e9e du bout du doigt sur une vitre embu\u00e9e, une parole suspendue, pr\u00eate \u00e0 basculer dans le vide.<\/p>\n

C\u2019est un \u00e9quilibre instable, une marche h\u00e9sitante sur un fil qui tremble. On avance sans savoir si le prochain pas portera ou s\u2019il nous laissera tomber dans l\u2019ind\u00e9fini. Un frisson de pr\u00e9caution guide chaque geste. Le monde entier semble s\u2019\u00eatre resserr\u00e9 autour de cette sensation fugace, ce presque rien qui fait toute la diff\u00e9rence entre le vide et l\u2019existence.<\/p>\n


\n

\u00c9crire comme on rapi\u00e8ce<\/strong><\/p>\n

Une maille de solitude, une autre d\u2019ironie, une troisi\u00e8me d\u2019impatience. On tricote, on rapi\u00e8ce. Voil\u00e0 un d\u00e9but de journ\u00e9e en forme de casquette irlandaise, rugueuse et chamarr\u00e9e, pos\u00e9e de travers sur un cr\u00e2ne encombr\u00e9 d\u2019id\u00e9es dissonantes. C\u2019est \u00e7a, \u00e9crire. Une couverture en patchwork o\u00f9 chaque morceau a une humeur propre : la chaleur d\u2019un souvenir, la fra\u00eecheur d\u2019une peur qui mord la peau, la laine r\u00eache d\u2019un regret.<\/p>\n

On coud des mots comme on r\u00e9pare une veste trou\u00e9e par l\u2019usure du temps. On rajoute un pan ici, une couleur l\u00e0, sans trop savoir si l\u2019ensemble tiendra, si la structure ne s\u2019effondrera pas sous le poids de son propre d\u00e9s\u00e9quilibre. Mais il faut avancer, b\u00e2tir, m\u00eame \u00e0 coups de rafistolages. Parfois, dans la couture maladroite d\u2019une phrase, surgit une beaut\u00e9 impr\u00e9vue, une harmonie accidentelle.<\/p>\n


\n

L\u2019effort et la boucle<\/strong><\/p>\n

D\u2019ici peu, je pourrais sortir dans la rue et courir n\u2019importe comment. Faire le tour du p\u00e2t\u00e9 de maisons comme on trace une boucle dans une histoire, revenir au m\u00eame point et pr\u00e9tendre qu\u2019on avance. Mais non. Il y a cette promesse, ces 1500 mots qui s\u2019alignent comme une rang\u00e9e de moutons sur une lande battue par le vent. Ils r\u00e9sistent, s\u2019accrochent, s\u2019effacent parfois avant d\u2019\u00eatre repris, r\u00e9\u00e9crits, redessin\u00e9s dans un effort aussi vain que n\u00e9cessaire.<\/p>\n

L\u2019\u00e9criture est un marathon sans ligne d\u2019arriv\u00e9e. On court, on s\u2019essouffle, on tr\u00e9buche. On pense atteindre un sommet et, en r\u00e9alit\u00e9, on tourne en rond. L\u2019illusion du mouvement, un chemin balis\u00e9 d\u2019ombres, un jeu de piste dont le but reste inconnu.<\/p>\n


\n

Silence et fuite<\/strong><\/p>\n

Le silence grignote l\u2019espace. Un silence feutr\u00e9, comme la neige qui tombe sans bruit sur un sol glac\u00e9. \u00c7a me rappelle Zatopek, sa foul\u00e9e chaotique, son souffle coup\u00e9 en lambeaux. Est-ce que je cours apr\u00e8s quelque chose ? Ou est-ce que je fuis ?<\/p>\n

Le silence est un pi\u00e8ge. Il attend, se tend, se tapit dans les interstices. Il p\u00e8se de tout son poids sur l\u2019air. Un silence habite, un silence qui bruisse, rempli de ce que l\u2019on ne dit pas, de ce que l\u2019on tait par habitude, par peur ou par fatigue. Alors on \u00e9crit, pour briser cette chape \u00e9touffante, pour donner une voix \u00e0 ce qui autrement resterait conf\u00e9r\u00e9 aux replis de la conscience.<\/p>\n


\n

Gigue de mots<\/strong><\/p>\n

Je voudrais \u00e9crire en dentelle et en granit, avec la souplesse d\u2019une lumi\u00e8re d\u2019automne et la rudesse d\u2019une pluie de novembre. Mais les mots viennent comme ils veulent. Parfois ils tombent dru, parfois ils s\u2019effilochent. Peu ou prou. Peu me chaut.<\/p>\n

Les mots sont capricieux. Ils glissent, ils s\u2019effacent, ils r\u00e9sistent. On les cherche, on les trouve, on les perd. Parfois ils s\u2019alignent avec une \u00e9vidence \u00e9clatante, parfois ils s\u2019entrelacent en un chaos indomptable. On essaie de les guider, mais ils nous \u00e9chappent toujours, comme une musique qui refuse de se fixer sur une partition.<\/p>\n


\n

Assembler et rapi\u00e9cer<\/strong><\/p>\n

Alors j\u2019\u00e9cris. Pour assembler, pour rapi\u00e9cer. Pour voir si, de tous ces morceaux, peut na\u00eetre une forme qui tienne debout, comme une casquette irlandaise qu\u2019on enfonce bien sur la t\u00eate avant d\u2019affronter le vent.<\/p>\n

J\u2019\u00e9cris pour conjurer l\u2019absence, pour donner une texture aux pens\u00e9es \u00e9parses, pour broder du sens sur ce qui, parfois, semble n\u2019en avoir aucun. J\u2019\u00e9cris en esp\u00e9rant que, quelque part, entre les lignes et les silences, se cache une v\u00e9rit\u00e9 que je n\u2019ose pas nommer. Et si ce n\u2019\u00e9tait que \u00e7a, apr\u00e8s tout ? Une qu\u00eate absurde, mais n\u00e9cessaire. Un pas apr\u00e8s l\u2019autre, un mot apr\u00e8s l\u2019autre, sans jamais vraiment savoir o\u00f9 l\u2019on va.<\/p>\n


\n

Le flot incontr\u00f4lable des po\u00e8mes<\/strong><\/p>\n

Depuis quelques jours, des po\u00e8mes sortent de mes doigts comme des filets de bave d\u2019une bouche \u00e9dent\u00e9e. \u00c7a ne m\u2019appartient pas. Je me le dis et me le r\u00e9p\u00e8te. C\u2019est un refus dans le refus. Une tour de rondins qui d\u00e9passe la canop\u00e9e de mon marasme.<\/p>\n

Placer du gras et des titres saucissonn\u00e9s \u00e0 la mani\u00e8re marketing le rendra-t-il plus lisible, plus digeste, me demande le Dibbouk. On se regarde. Rien ne passe. Tension. Suspens qui dure. Et qui s\u2019ach\u00e8ve par une d\u00e9faite. La mienne, comme toujours. Alors je retrousse les manches, j\u2019\u00e9teins ma conscience. J\u2019\u00e9cris sous la dict\u00e9e.<\/p>\n

Musique : Nils Frahms « Says » SPACES<\/p>", "content_text": " --- **Le fragile territoire du peu** Il s\u2019en faudrait de peu. D\u2019un presque rien. Un grain de sel, une ombre, un souffle d\u2019air suspendu au bord de la fen\u00eatre. Cette sensation de peu, cousue de bric et de broc, est une \u00e9toffe effiloch\u00e9e qu\u2019on drape autour des \u00e9paules en guise de certitude. Ce peu est un territoire mouvant, une ligne trac\u00e9e du bout du doigt sur une vitre embu\u00e9e, une parole suspendue, pr\u00eate \u00e0 basculer dans le vide. C\u2019est un \u00e9quilibre instable, une marche h\u00e9sitante sur un fil qui tremble. On avance sans savoir si le prochain pas portera ou s\u2019il nous laissera tomber dans l\u2019ind\u00e9fini. Un frisson de pr\u00e9caution guide chaque geste. Le monde entier semble s\u2019\u00eatre resserr\u00e9 autour de cette sensation fugace, ce presque rien qui fait toute la diff\u00e9rence entre le vide et l\u2019existence. --- **\u00c9crire comme on rapi\u00e8ce** Une maille de solitude, une autre d\u2019ironie, une troisi\u00e8me d\u2019impatience. On tricote, on rapi\u00e8ce. Voil\u00e0 un d\u00e9but de journ\u00e9e en forme de casquette irlandaise, rugueuse et chamarr\u00e9e, pos\u00e9e de travers sur un cr\u00e2ne encombr\u00e9 d\u2019id\u00e9es dissonantes. C\u2019est \u00e7a, \u00e9crire. Une couverture en patchwork o\u00f9 chaque morceau a une humeur propre : la chaleur d\u2019un souvenir, la fra\u00eecheur d\u2019une peur qui mord la peau, la laine r\u00eache d\u2019un regret. On coud des mots comme on r\u00e9pare une veste trou\u00e9e par l\u2019usure du temps. On rajoute un pan ici, une couleur l\u00e0, sans trop savoir si l\u2019ensemble tiendra, si la structure ne s\u2019effondrera pas sous le poids de son propre d\u00e9s\u00e9quilibre. Mais il faut avancer, b\u00e2tir, m\u00eame \u00e0 coups de rafistolages. Parfois, dans la couture maladroite d\u2019une phrase, surgit une beaut\u00e9 impr\u00e9vue, une harmonie accidentelle. --- **L\u2019effort et la boucle** D\u2019ici peu, je pourrais sortir dans la rue et courir n\u2019importe comment. Faire le tour du p\u00e2t\u00e9 de maisons comme on trace une boucle dans une histoire, revenir au m\u00eame point et pr\u00e9tendre qu\u2019on avance. Mais non. Il y a cette promesse, ces 1500 mots qui s\u2019alignent comme une rang\u00e9e de moutons sur une lande battue par le vent. Ils r\u00e9sistent, s\u2019accrochent, s\u2019effacent parfois avant d\u2019\u00eatre repris, r\u00e9\u00e9crits, redessin\u00e9s dans un effort aussi vain que n\u00e9cessaire. L\u2019\u00e9criture est un marathon sans ligne d\u2019arriv\u00e9e. On court, on s\u2019essouffle, on tr\u00e9buche. On pense atteindre un sommet et, en r\u00e9alit\u00e9, on tourne en rond. L\u2019illusion du mouvement, un chemin balis\u00e9 d\u2019ombres, un jeu de piste dont le but reste inconnu. --- **Silence et fuite** Le silence grignote l\u2019espace. Un silence feutr\u00e9, comme la neige qui tombe sans bruit sur un sol glac\u00e9. \u00c7a me rappelle Zatopek, sa foul\u00e9e chaotique, son souffle coup\u00e9 en lambeaux. Est-ce que je cours apr\u00e8s quelque chose ? Ou est-ce que je fuis ? Le silence est un pi\u00e8ge. Il attend, se tend, se tapit dans les interstices. Il p\u00e8se de tout son poids sur l\u2019air. Un silence habite, un silence qui bruisse, rempli de ce que l\u2019on ne dit pas, de ce que l\u2019on tait par habitude, par peur ou par fatigue. Alors on \u00e9crit, pour briser cette chape \u00e9touffante, pour donner une voix \u00e0 ce qui autrement resterait conf\u00e9r\u00e9 aux replis de la conscience. --- **Gigue de mots** Je voudrais \u00e9crire en dentelle et en granit, avec la souplesse d\u2019une lumi\u00e8re d\u2019automne et la rudesse d\u2019une pluie de novembre. Mais les mots viennent comme ils veulent. Parfois ils tombent dru, parfois ils s\u2019effilochent. Peu ou prou. Peu me chaut. Les mots sont capricieux. Ils glissent, ils s\u2019effacent, ils r\u00e9sistent. On les cherche, on les trouve, on les perd. Parfois ils s\u2019alignent avec une \u00e9vidence \u00e9clatante, parfois ils s\u2019entrelacent en un chaos indomptable. On essaie de les guider, mais ils nous \u00e9chappent toujours, comme une musique qui refuse de se fixer sur une partition. --- **Assembler et rapi\u00e9cer** Alors j\u2019\u00e9cris. Pour assembler, pour rapi\u00e9cer. Pour voir si, de tous ces morceaux, peut na\u00eetre une forme qui tienne debout, comme une casquette irlandaise qu\u2019on enfonce bien sur la t\u00eate avant d\u2019affronter le vent. J\u2019\u00e9cris pour conjurer l\u2019absence, pour donner une texture aux pens\u00e9es \u00e9parses, pour broder du sens sur ce qui, parfois, semble n\u2019en avoir aucun. J\u2019\u00e9cris en esp\u00e9rant que, quelque part, entre les lignes et les silences, se cache une v\u00e9rit\u00e9 que je n\u2019ose pas nommer. Et si ce n\u2019\u00e9tait que \u00e7a, apr\u00e8s tout ? Une qu\u00eate absurde, mais n\u00e9cessaire. Un pas apr\u00e8s l\u2019autre, un mot apr\u00e8s l\u2019autre, sans jamais vraiment savoir o\u00f9 l\u2019on va. --- **Le flot incontr\u00f4lable des po\u00e8mes** Depuis quelques jours, des po\u00e8mes sortent de mes doigts comme des filets de bave d\u2019une bouche \u00e9dent\u00e9e. \u00c7a ne m\u2019appartient pas. Je me le dis et me le r\u00e9p\u00e8te. C\u2019est un refus dans le refus. Une tour de rondins qui d\u00e9passe la canop\u00e9e de mon marasme. Placer du gras et des titres saucissonn\u00e9s \u00e0 la mani\u00e8re marketing le rendra-t-il plus lisible, plus digeste, me demande le Dibbouk. On se regarde. Rien ne passe. Tension. Suspens qui dure. Et qui s\u2019ach\u00e8ve par une d\u00e9faite. La mienne, comme toujours. Alors je retrousse les manches, j\u2019\u00e9teins ma conscience. J\u2019\u00e9cris sous la dict\u00e9e. Musique : Nils Frahms \"Says\" SPACES", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/dsc_1058.jpg?1748065219", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire", "Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-fevrier-2025.html", "title": "24 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-24T08:34:46Z", "date_modified": "2025-04-30T16:14:11Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

Note \u00e0 moi-m\u00eame... <\/h3>\n

L\u2019\u00e9crivain moderne n\u2019\u00e9crit plus. Il cherche. Il teste, il compare, il guette. Quel est l\u2019outil parfait, celui qui alignera pour lui les phrases, qui lui \u00e9vitera l\u2019\u00e9cueil du doute et les tunnels d\u2019incertitude ? Nous avons tous commenc\u00e9 quelque part : Works, pour les pionniers du traitement de texte. Word, pour ceux qui croyaient \u00e0 la mise en page automatique. Scrivener, pour les ap\u00f4tres de l\u2019organisation. Puis Ulysses, WordPress, MacWrite, ClarisWorks, et d\u00e9sormais Substack. ( je viens de cr\u00e9er un compte sur Substack aujourd’hui je m\u00e9lange traitement de texte et plateforme de publication) Chaque outil arrive en messie, chaque mise \u00e0 jour promet le nirvana. Et demain, un autre appara\u00eetra, vant\u00e9 par des convertis. Jusqu\u2019au suivant. Mais en v\u00e9rit\u00e9, ce n\u2019est pas l\u2019outil qui manque : c\u2019est l\u2019\u00e9criture.<\/p>\n

On conna\u00eet la rengaine : « Si seulement j\u2019avais LE bon logiciel, j\u2019\u00e9crirais tellement mieux\u2026 » Non. Kerouac n\u2019a pas attendu un traitement de texte, il a d\u00e9roul\u00e9 un rouleau de papier et s\u2019est lanc\u00e9. Hemingway griffonnait sur des carnets, Modiano sur des fiches. Aucun ne s\u2019est jamais arr\u00eat\u00e9 en soupirant : Ah, si seulement j\u2019avais eu Scrivener\u2026 L\u2019outil n\u2019a jamais rien r\u00e9solu. Seule compte la discipline.<\/p>\n

L\u2019\u00e9ternel drame n\u2019est pas d\u2019\u00e9crire, mais de retrouver ce qu\u2019on a d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit. Ce roman prometteur ? Une moiti\u00e9 dans Google Docs, un quart dans un mail intitul\u00e9 « brouillon », le reste quelque part dans Word, peut-\u00eatre une note perdue dans Evernote. La solution ? Obsidian (rire). Ou simplement accepter qu\u2019une partie de notre \u0153uvre repose d\u00e9sormais au cimeti\u00e8re des fichiers oubli\u00e9s.<\/p>\n

Prendre des notes, c\u2019est croire que l\u2019on retient quelque chose. En r\u00e9alit\u00e9, c\u2019est souvent un acte de panique : Et si j\u2019oublie cette phrase lumineuse ? Alors on empile, on archive, on stocke. Mais tout cela ne fait qu\u2019alimenter une angoisse. Pendant des ann\u00e9es, j\u2019ai accumul\u00e9 : carnets, fiches, classeurs, tiroirs. \u00c0 force de tout vouloir retenir, je ne retenais plus rien. L\u2019essentiel, ce ne sont pas les fragments conserv\u00e9s mais les liens invisibles entre ce qu\u2019on vit, ce qu\u2019on lit, ce qu\u2019on per\u00e7oit. Au fond, prendre des notes par peur de perdre une id\u00e9e fait de nous des capitalistes de la pens\u00e9e. On accumule, on th\u00e9saurise, persuad\u00e9s que plus tard, on en tirera profit. Mais l\u2019inspiration ne fonctionne pas ainsi. La m\u00e9moire non plus. Et ces deux mots, \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, ne servent \u00e0 rien pour \u00e9crire.<\/p>\n

Un outil est d\u2019abord un songe. Une impulsion. Un \u00e9lan confus. La pr\u00e9cision ? L\u2019ennemie absolue. Bien s\u00fbr, un marteau sert \u00e0 planter des clous. Mais qui plante des clous par d\u00e9s\u0153uvrement ? \u00c0 moins d\u2019\u00eatre fou ou artiste \u2013 ce qui, aujourd\u2019hui, revient souvent au m\u00eame. Nous avons v\u00e9cu un si\u00e8cle fascin\u00e9 par le d\u00e9tournement des objets, des mots. Po\u00e8tes et terroristes s\u2019y sont engouffr\u00e9s. Certains d\u00e9tournent des avions, d\u2019autres le sens commun. \u00c0 qui la faute ? Peut-\u00eatre \u00e0 l\u2019obsession du profit. De l\u2019accumulation. Je ne suis pas m\u00e9decin, mais je suis s\u00fbr qu\u2019il existe un lien entre la banque, le capital, et la r\u00e9tention intestinale. Il suffit de chercher.<\/p>\n

Alors oui, les outils sont charmants. Tester de nouveaux logiciels, c\u2019est amusant. Mais le meilleur outil, c\u2019est celui que tu utilises. Tu veux \u00e9crire ? Ouvre une page blanche et \u00e9cris. Tu veux retrouver ce que tu as \u00e9crit ? Accepte simplement qu\u2019une partie s\u2019\u00e9vapore, qu\u2019un texte disparu n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre pas si essentiel. Les \u00e9crits perdus ont parfois la sagesse d\u2019avoir disparu. Il se peut aussi que l\u2019\u00e9cueil soit plut\u00f4t dans la relecture. Le meilleur des outils ne relira pas mes textes \u00e0 ma place, j\u2019ai essay\u00e9, je peux le dire, \u00e7a ne fonctionne pas. Ne cherche pas le Graal. \u00c9cris. Et si vraiment tu tiens \u00e0 un outil ultime\u2026 un carnet, un fichier texte, et une bonne organisation mentale, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s bien.<\/p>\n

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Mais en v\u00e9rit\u00e9, ce n\u2019est pas l\u2019outil qui manque : c\u2019est l\u2019\u00e9criture. On conna\u00eet la rengaine : \"Si seulement j\u2019avais LE bon logiciel, j\u2019\u00e9crirais tellement mieux\u2026\" Non. Kerouac n\u2019a pas attendu un traitement de texte, il a d\u00e9roul\u00e9 un rouleau de papier et s\u2019est lanc\u00e9. Hemingway griffonnait sur des carnets, Modiano sur des fiches. Aucun ne s\u2019est jamais arr\u00eat\u00e9 en soupirant : Ah, si seulement j\u2019avais eu Scrivener\u2026 L\u2019outil n\u2019a jamais rien r\u00e9solu. Seule compte la discipline. L\u2019\u00e9ternel drame n\u2019est pas d\u2019\u00e9crire, mais de retrouver ce qu\u2019on a d\u00e9j\u00e0 \u00e9crit. Ce roman prometteur ? Une moiti\u00e9 dans Google Docs, un quart dans un mail intitul\u00e9 \"brouillon\", le reste quelque part dans Word, peut-\u00eatre une note perdue dans Evernote. La solution ? Obsidian (rire). Ou simplement accepter qu\u2019une partie de notre \u0153uvre repose d\u00e9sormais au cimeti\u00e8re des fichiers oubli\u00e9s. Prendre des notes, c\u2019est croire que l\u2019on retient quelque chose. En r\u00e9alit\u00e9, c\u2019est souvent un acte de panique : Et si j\u2019oublie cette phrase lumineuse ? Alors on empile, on archive, on stocke. Mais tout cela ne fait qu\u2019alimenter une angoisse. Pendant des ann\u00e9es, j\u2019ai accumul\u00e9 : carnets, fiches, classeurs, tiroirs. \u00c0 force de tout vouloir retenir, je ne retenais plus rien. L\u2019essentiel, ce ne sont pas les fragments conserv\u00e9s mais les liens invisibles entre ce qu\u2019on vit, ce qu\u2019on lit, ce qu\u2019on per\u00e7oit. Au fond, prendre des notes par peur de perdre une id\u00e9e fait de nous des capitalistes de la pens\u00e9e. On accumule, on th\u00e9saurise, persuad\u00e9s que plus tard, on en tirera profit. Mais l\u2019inspiration ne fonctionne pas ainsi. La m\u00e9moire non plus. Et ces deux mots, \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, ne servent \u00e0 rien pour \u00e9crire. Un outil est d\u2019abord un songe. Une impulsion. Un \u00e9lan confus. La pr\u00e9cision ? L\u2019ennemie absolue. Bien s\u00fbr, un marteau sert \u00e0 planter des clous. Mais qui plante des clous par d\u00e9s\u0153uvrement ? \u00c0 moins d\u2019\u00eatre fou ou artiste \u2013 ce qui, aujourd\u2019hui, revient souvent au m\u00eame. Nous avons v\u00e9cu un si\u00e8cle fascin\u00e9 par le d\u00e9tournement des objets, des mots. Po\u00e8tes et terroristes s\u2019y sont engouffr\u00e9s. Certains d\u00e9tournent des avions, d\u2019autres le sens commun. \u00c0 qui la faute ? Peut-\u00eatre \u00e0 l\u2019obsession du profit. De l\u2019accumulation. Je ne suis pas m\u00e9decin, mais je suis s\u00fbr qu\u2019il existe un lien entre la banque, le capital, et la r\u00e9tention intestinale. Il suffit de chercher. Alors oui, les outils sont charmants. Tester de nouveaux logiciels, c\u2019est amusant. Mais le meilleur outil, c\u2019est celui que tu utilises. Tu veux \u00e9crire ? Ouvre une page blanche et \u00e9cris. Tu veux retrouver ce que tu as \u00e9crit ? Accepte simplement qu\u2019une partie s\u2019\u00e9vapore, qu\u2019un texte disparu n\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre pas si essentiel. Les \u00e9crits perdus ont parfois la sagesse d\u2019avoir disparu. Il se peut aussi que l\u2019\u00e9cueil soit plut\u00f4t dans la relecture. Le meilleur des outils ne relira pas mes textes \u00e0 ma place, j\u2019ai essay\u00e9, je peux le dire, \u00e7a ne fonctionne pas. Ne cherche pas le Graal. \u00c9cris. Et si vraiment tu tiens \u00e0 un outil ultime\u2026 un carnet, un fichier texte, et une bonne organisation mentale, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 tr\u00e8s bien. musique: M\u00e9tamophosis One Philip Glass", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0330.jpg?1748065138", "tags": ["id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-fevrier-2025.html", "title": "23 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-23T07:05:42Z", "date_modified": "2025-05-28T06:52:39Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Puis il arriva que je me mette \u00e0 lui imaginer des peurs. Mais sur quelle base, quelle r\u00e9f\u00e9rence, quel mod\u00e8le ? \u00c0 part les miennes, et encore. Car assez vite, je me rendis compte que j\u2019\u00e9tais tout aussi incapable de poser des mots sur mes propres peurs que sur celles de X. Comme si tout un pan du vocabulaire au sujet de la peur, de nos peurs, s\u2019\u00e9tait \u00e9vanoui. Nous vivions d\u00e9sormais dans un monde sans peur, et donc nous n\u2019avions plus besoin de mots pour la d\u00e9signer.
\nCe que nous \u00e9prouvions n\u2019avait plus rien \u00e0 voir avec la peur. M\u00eame la peur, on nous l\u2019avait vol\u00e9e. Nous n\u2019avions plus droit qu\u2019au malaise, \u00e0 la g\u00eane, \u00e0 l\u2019angoisse, au stress, \u00e0 l\u2019inqui\u00e9tude, \u00e0 l\u2019intranquillit\u00e9.
\nMais admettons.
\nAdmettons que X ait eu peur, un jour, au si\u00e8cle dernier, dans son enfance. Il faudrait alors rechercher les caract\u00e9ristiques primales de cette peur. L\u2019invisible, l\u2019in\u00e9luctable, l\u2019abandon : ces vieux termes remonteraient \u00e0 sa m\u00e9moire comme un d\u00e9p\u00f4t enseveli depuis des mill\u00e9naires sur un fond marin. Tous les enfants ont eu peur un jour, une nuit, au si\u00e8cle dernier. C\u2019\u00e9tait courant. Si d\u00e9sormais, on ne leur laisse plus le temps d\u2019avoir vraiment peur. La tablette, la t\u00e9l\u00e9, les t\u00e9l\u00e9phones portables diffusent des craintes bien encadr\u00e9es, contr\u00f4lables ais\u00e9ment par les parents, faciles \u00e0 expliquer, accompagn\u00e9es de tout un arsenal de combines pour les \u00e9luder.
\nAdmettons que l\u2019invisible ne soit plus vraiment une valeur s\u00fbre. Du moins, l\u2019invisible tel qu\u2019en parlaient Maupassant, Edgar Poe, Lovecraft et tant d\u2019autres avant eux. Comme si le modernisme, avec l\u2019\u00e9lectricit\u00e9, puis plus tard les n\u00e9ons et les LED, avait fait dispara\u00eetre ce que recouvrait auparavant l\u2019invisible. Un jeu de bonneteau. L\u2019invisible d\u2019hier encore \u00e9tait l\u00e0, on change la donne, on appuie sur l\u2019interrupteur, on rallume, o\u00f9 est-il ? Peut-\u00eatre log\u00e9 dans des mots tout neufs, sous blister : complot, fake news, lanceur d\u2019alerte, \u00c9tat profond, Davos.
\nAdmettons alors qu\u2019on puisse changer d\u2019\u00e9l\u00e9ments de langage aussi ais\u00e9ment que l\u2019on modifie notre perception de la r\u00e9alit\u00e9. Admettons que X, au si\u00e8cle dernier, ait \u00e9prouv\u00e9 tout un pan des peurs ataviques de l\u2019humanit\u00e9 et qu\u2019il ait \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin de ce cambriolage. Du fait qu\u2019en changeant la fr\u00e9quence de ce qu\u2019avait \u00e9t\u00e9, depuis l\u2019origine des temps, l\u2019invisible \u2013 aussi facilement qu\u2019on change de station de radio \u2013 on ait modifi\u00e9, en quelque sorte, le g\u00e9nome humain. Ce ne serait pas totalement sot de songer que certains eussent pratiqu\u00e9 ce sport \u00e0 profit. Pour faire toujours plus de pognon, \u00e9videmment. Puisqu\u2019il n\u2019y a plus que cela qui compte.
\nAdmettons que ce genre de chose soit \u00e9galement in\u00e9luctable. Qu\u2019il ne faille pas s\u2019illusionner, que les \u00e9poques pr\u00e9c\u00e9dentes aient \u00e9t\u00e9 mieux \u00e9quip\u00e9es en vocabulaire pour s\u2019effrayer ou se rassurer sur ces ph\u00e9nom\u00e8nes \u00e9lectriques, magiques, que sont nos \u00e9motions, nos pulsions. Rester sans voix devant la peur. En \u00eatre \u00e9bahi, \u00e9baubi, tout autant que devant le d\u00e9sir. On comprend presque aussit\u00f4t ce lien entre la peur et le d\u00e9sir dans l\u2019imaginaire des biblioth\u00e8ques. \u00c0 la fois la peur de l\u2019immensit\u00e9 du contenu d\u2019une biblioth\u00e8que et l\u2019in\u00e9luctable qui en d\u00e9coule presque en m\u00eame temps : se dire qu\u2019on ne pourra jamais tout lire. On ne le pourra plus.
\nL\u2019universalisme aussi est un mot caduque, li\u00e9 \u00e0 une certaine id\u00e9e que les \u00eatres se faisaient, ou plut\u00f4t ne se faisaient pas, de l\u2019in\u00e9luctable. On pouvait hier encore s\u2019imaginer poss\u00e9der une connaissance totale d\u2019un sujet, voire m\u00eame de plusieurs, sans doute gr\u00e2ce \u00e0 une transversalit\u00e9 du savoir. Ou encore par analogie. Ce que X \u00e9prouva, il s\u2019en \u00e9tait ouvert un jour \u00e0 Y, avec beaucoup de nostalgie.
\nAdmettons aussi que c\u2019est cette nostalgie de toute une \u00e9poque envers l\u2019universalisme qui aura engendr\u00e9 la n\u00f4tre. Une \u00e9poque pr\u00f4nant l\u2019oubli, le carpe diem, la m\u00e9ditation pleine conscience, les th\u00e9ories fumeuses sur la s\u00e9rendipit\u00e9, l\u2019instant pr\u00e9sent. Par paresse, par facilit\u00e9. Ce qui autrefois n\u00e9cessitait de lire, de s\u2019interroger, de questionner le monde nous int\u00e9resse moins que des r\u00e9ponses toutes faites, destin\u00e9es \u00e0 cr\u00e9er l\u2019\u00e9gr\u00e9gore d\u2019une nouvelle matrice rassurante.
\nAdmettons que, de toutes les peurs qui auront disparu, l\u2019abandon seul subsiste encore. Dieu nous a abandonn\u00e9s avec Nietzsche. Que nous reste-t-il apr\u00e8s cela, qui puisse ne pas se d\u00e9sagr\u00e9ger sous nos yeux fatigu\u00e9s ? La r\u00e9alit\u00e9.
\nUne id\u00e9e de r\u00e9alit\u00e9 nous abandonne, laissant la place \u00e0 un th\u00e9\u00e2tre d\u2019ombres, \u00e0 un spectacle grotesque, ubuesque. La foi en l\u2019humanit\u00e9 nous quitte r\u00e9ciproquement \u00e0 celle que nous avions plac\u00e9e dans nos institutions.
\nQu\u2019en est-il de la peur de X, \u00e0 pr\u00e9sent, de son d\u00e9sir, et des n\u00f4tres ?
\nLes mots me manquent cruellement pour les exprimer.
\nC\u2019est ce que je voulais dire.<\/p>\n

Musique Arvo P\u00e4rt-Fratres<\/p>", "content_text": " Puis il arriva que je me mette \u00e0 lui imaginer des peurs. Mais sur quelle base, quelle r\u00e9f\u00e9rence, quel mod\u00e8le ? \u00c0 part les miennes, et encore. Car assez vite, je me rendis compte que j\u2019\u00e9tais tout aussi incapable de poser des mots sur mes propres peurs que sur celles de X. Comme si tout un pan du vocabulaire au sujet de la peur, de nos peurs, s\u2019\u00e9tait \u00e9vanoui. Nous vivions d\u00e9sormais dans un monde sans peur, et donc nous n\u2019avions plus besoin de mots pour la d\u00e9signer. Ce que nous \u00e9prouvions n\u2019avait plus rien \u00e0 voir avec la peur. M\u00eame la peur, on nous l\u2019avait vol\u00e9e. Nous n\u2019avions plus droit qu\u2019au malaise, \u00e0 la g\u00eane, \u00e0 l\u2019angoisse, au stress, \u00e0 l\u2019inqui\u00e9tude, \u00e0 l\u2019intranquillit\u00e9. Mais admettons. Admettons que X ait eu peur, un jour, au si\u00e8cle dernier, dans son enfance. Il faudrait alors rechercher les caract\u00e9ristiques primales de cette peur. L\u2019invisible, l\u2019in\u00e9luctable, l\u2019abandon : ces vieux termes remonteraient \u00e0 sa m\u00e9moire comme un d\u00e9p\u00f4t enseveli depuis des mill\u00e9naires sur un fond marin. Tous les enfants ont eu peur un jour, une nuit, au si\u00e8cle dernier. C\u2019\u00e9tait courant. Si d\u00e9sormais, on ne leur laisse plus le temps d\u2019avoir vraiment peur. La tablette, la t\u00e9l\u00e9, les t\u00e9l\u00e9phones portables diffusent des craintes bien encadr\u00e9es, contr\u00f4lables ais\u00e9ment par les parents, faciles \u00e0 expliquer, accompagn\u00e9es de tout un arsenal de combines pour les \u00e9luder. Admettons que l\u2019invisible ne soit plus vraiment une valeur s\u00fbre. Du moins, l\u2019invisible tel qu\u2019en parlaient Maupassant, Edgar Poe, Lovecraft et tant d\u2019autres avant eux. Comme si le modernisme, avec l\u2019\u00e9lectricit\u00e9, puis plus tard les n\u00e9ons et les LED, avait fait dispara\u00eetre ce que recouvrait auparavant l\u2019invisible. Un jeu de bonneteau. L\u2019invisible d\u2019hier encore \u00e9tait l\u00e0, on change la donne, on appuie sur l\u2019interrupteur, on rallume, o\u00f9 est-il ? Peut-\u00eatre log\u00e9 dans des mots tout neufs, sous blister : complot, fake news, lanceur d\u2019alerte, \u00c9tat profond, Davos. Admettons alors qu\u2019on puisse changer d\u2019\u00e9l\u00e9ments de langage aussi ais\u00e9ment que l\u2019on modifie notre perception de la r\u00e9alit\u00e9. Admettons que X, au si\u00e8cle dernier, ait \u00e9prouv\u00e9 tout un pan des peurs ataviques de l\u2019humanit\u00e9 et qu\u2019il ait \u00e9t\u00e9 t\u00e9moin de ce cambriolage. Du fait qu\u2019en changeant la fr\u00e9quence de ce qu\u2019avait \u00e9t\u00e9, depuis l\u2019origine des temps, l\u2019invisible \u2013 aussi facilement qu\u2019on change de station de radio \u2013 on ait modifi\u00e9, en quelque sorte, le g\u00e9nome humain. Ce ne serait pas totalement sot de songer que certains eussent pratiqu\u00e9 ce sport \u00e0 profit. Pour faire toujours plus de pognon, \u00e9videmment. Puisqu\u2019il n\u2019y a plus que cela qui compte. Admettons que ce genre de chose soit \u00e9galement in\u00e9luctable. Qu\u2019il ne faille pas s\u2019illusionner, que les \u00e9poques pr\u00e9c\u00e9dentes aient \u00e9t\u00e9 mieux \u00e9quip\u00e9es en vocabulaire pour s\u2019effrayer ou se rassurer sur ces ph\u00e9nom\u00e8nes \u00e9lectriques, magiques, que sont nos \u00e9motions, nos pulsions. Rester sans voix devant la peur. En \u00eatre \u00e9bahi, \u00e9baubi, tout autant que devant le d\u00e9sir. On comprend presque aussit\u00f4t ce lien entre la peur et le d\u00e9sir dans l\u2019imaginaire des biblioth\u00e8ques. \u00c0 la fois la peur de l\u2019immensit\u00e9 du contenu d\u2019une biblioth\u00e8que et l\u2019in\u00e9luctable qui en d\u00e9coule presque en m\u00eame temps : se dire qu\u2019on ne pourra jamais tout lire. On ne le pourra plus. L\u2019universalisme aussi est un mot caduque, li\u00e9 \u00e0 une certaine id\u00e9e que les \u00eatres se faisaient, ou plut\u00f4t ne se faisaient pas, de l\u2019in\u00e9luctable. On pouvait hier encore s\u2019imaginer poss\u00e9der une connaissance totale d\u2019un sujet, voire m\u00eame de plusieurs, sans doute gr\u00e2ce \u00e0 une transversalit\u00e9 du savoir. Ou encore par analogie. Ce que X \u00e9prouva, il s\u2019en \u00e9tait ouvert un jour \u00e0 Y, avec beaucoup de nostalgie. Admettons aussi que c\u2019est cette nostalgie de toute une \u00e9poque envers l\u2019universalisme qui aura engendr\u00e9 la n\u00f4tre. Une \u00e9poque pr\u00f4nant l\u2019oubli, le carpe diem, la m\u00e9ditation pleine conscience, les th\u00e9ories fumeuses sur la s\u00e9rendipit\u00e9, l\u2019instant pr\u00e9sent. Par paresse, par facilit\u00e9. Ce qui autrefois n\u00e9cessitait de lire, de s\u2019interroger, de questionner le monde nous int\u00e9resse moins que des r\u00e9ponses toutes faites, destin\u00e9es \u00e0 cr\u00e9er l\u2019\u00e9gr\u00e9gore d\u2019une nouvelle matrice rassurante. Admettons que, de toutes les peurs qui auront disparu, l\u2019abandon seul subsiste encore. Dieu nous a abandonn\u00e9s avec Nietzsche. Que nous reste-t-il apr\u00e8s cela, qui puisse ne pas se d\u00e9sagr\u00e9ger sous nos yeux fatigu\u00e9s ? La r\u00e9alit\u00e9. Une id\u00e9e de r\u00e9alit\u00e9 nous abandonne, laissant la place \u00e0 un th\u00e9\u00e2tre d\u2019ombres, \u00e0 un spectacle grotesque, ubuesque. La foi en l\u2019humanit\u00e9 nous quitte r\u00e9ciproquement \u00e0 celle que nous avions plac\u00e9e dans nos institutions. Qu\u2019en est-il de la peur de X, \u00e0 pr\u00e9sent, de son d\u00e9sir, et des n\u00f4tres ? Les mots me manquent cruellement pour les exprimer. C\u2019est ce que je voulais dire. Musique Arvo P\u00e4rt-Fratres ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/gustave_courbet_-_le_desespere-672x372.jpg?1748065118", "tags": ["Narration et Exp\u00e9rimentation", "Lovecraft"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-fevrier-2025.html", "title": "22 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-22T12:40:14Z", "date_modified": "2025-02-25T07:00:31Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\tun poisson blanc traverse l'écran<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Coinc\u00e9 entre dystopie et utopie, \u00e9crire quelque chose qui ne serait pas compl\u00e8tement idiot. Qui ne s’autod\u00e9truirait pas presque aussit\u00f4t l’avoir \u00e9crit ? C’est sans doute pour cette raison que la b\u00eatise devient un vecteur. On s’accroche \u00e0 la b\u00eatise, \u00e0 la blague, \u00e0 la connerie comme \u00e0 une fus\u00e9e esp\u00e9rant qu’elle nous emportera vers d’autres cieux. Mais comme tout est invers\u00e9, c’est dans les profondeurs de la fosse des Mariannes que l’on s’enfonce sans jamais voir le bout. Dans ce no man’s land, une foule d’ectoplasmes aux yeux blancs d\u00e9visagent les \u00e9gar\u00e9s. Le sourire se fige en un rictus crisp\u00e9. Ici pas d’Atlantide, pas de base extraterrestre, que de vagues m\u00e9duses dansant un ballet lent dans la profondeur du rien. La blague, dans l’effort de lucidit\u00e9 qu’elle tente de masquer \u00e0 peine, tombe \u00e0 l’eau au plus profond de l’eau.<\/p>\n

Les maux de dents repartent de plus belle, poire pour la soif, l’attention s’y accroche de toute sa force pour s’extraire de la force centrifuge de l’horreur environnante.<\/p>\n

Ce n’est pas parce que j’\u00e9cris :« je vais chez le dentiste » que c’est vrai. C’est juste pour ne pas passer pour un parfait imb\u00e9cile. La perfection m’\u00e9tant \u00e0 ce point insupportable m\u00eame dans ma propre imb\u00e9cilit\u00e9.<\/p>\n

S’il n’y avait pas d’\u00eatre humain, le monde existerait vraiment tel qu’il est, sans bien ni mal. De l\u00e0 \u00e0 souhaiter l’extinction, d’en \u00e9prouver de la peur comme du d\u00e9sir, ce ne serait pas idiot. Cette ambivalence de l’\u00eatre humain, qui peut \u00e0 l’origine permettre aux voyants d’\u00e9quilibrer effroi et merveille, demande un effort surhumain \u00e0 pr\u00e9sent et plus que de simples dons de clairvoyance. Le d\u00e9go\u00fbt monte d’autant plus rapidement que la foi s’amenuise. Non pas le d\u00e9go\u00fbt de l’autre, qui permet toujours des rassemblements, de s’inventer l’adversaire, mais le d\u00e9go\u00fbt de soi. Et le pire est qu’on n’a m\u00eame pas envie de philosopher plus avant, de se perdre dans un labyrinthe de conjectures sur les raisons d’un tel d\u00e9go\u00fbt. Pas une seule graine de haricot magique disponible pour s’\u00e9vader dans la supputation, la p\u00e9nitence, le pardon, la sympathie, l’empathie.<\/p>\n

Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 la seule forme de transcendance possible : un ricanement \u00e9touff\u00e9 dans l’ab\u00eeme, une ironie glac\u00e9e qui \u00e9vite l’\u00e9cueil de l’espoir. Nous ne nous envolons pas, nous coulons avec une certaine gr\u00e2ce, une chute en apesanteur. La pens\u00e9e elle-m\u00eame se dissout dans cette immersion totale. Tout est diss\u00e9qu\u00e9, analys\u00e9, d\u00e9mystifi\u00e9, et pourtant tout nous \u00e9chappe. Un univers sans Atlantis, sans utopie, juste des profondeurs aveugles o\u00f9 l’on devine, entre les ombres, les contours d’un mirage que personne ne pourra jamais atteindre.<\/p>\n

Ainsi, \u00e9crire reste un acte ambigu, un geste de fou qui inscrit dans l’eau une trace appel\u00e9e \u00e0 dispara\u00eetre. Mais c’est peut-\u00eatre dans cette absurdit\u00e9 m\u00eame que r\u00e9side la r\u00e9ponse : ne rien attendre, ne rien chercher \u00e0 sauver, juste jouer le jeu de la d\u00e9rive et voir o\u00f9 cela m\u00e8ne, si tant est qu’il y ait un ailleurs.
\nMusique : Tim Hecker \u2013 Virgins \/ incense at Abu Ghraib
\n(Abu Ghraib est une prison utilis\u00e9e pour d\u00e9tenir des prisonniers pendant la guerre en Afghanistan, o\u00f9 de nombreux abus horribles ont eu lieu. La pochette de l’ album montre un homme qui pose pendant une s\u00e9ance de torture. Ce m\u00eame homme a plaid\u00e9 non coupable de multiples accusations port\u00e9es contre lui, mais a quand m\u00eame subi tous les coups et agressions. Il \u00e9tait essentiellement « vierge » au milieu de la violence.)<\/p>", "content_text": "Coinc\u00e9 entre dystopie et utopie, \u00e9crire quelque chose qui ne serait pas compl\u00e8tement idiot. Qui ne s'autod\u00e9truirait pas presque aussit\u00f4t l'avoir \u00e9crit ? C'est sans doute pour cette raison que la b\u00eatise devient un vecteur. On s'accroche \u00e0 la b\u00eatise, \u00e0 la blague, \u00e0 la connerie comme \u00e0 une fus\u00e9e esp\u00e9rant qu'elle nous emportera vers d'autres cieux. Mais comme tout est invers\u00e9, c'est dans les profondeurs de la fosse des Mariannes que l'on s'enfonce sans jamais voir le bout. Dans ce no man's land, une foule d'ectoplasmes aux yeux blancs d\u00e9visagent les \u00e9gar\u00e9s. Le sourire se fige en un rictus crisp\u00e9. Ici pas d'Atlantide, pas de base extraterrestre, que de vagues m\u00e9duses dansant un ballet lent dans la profondeur du rien. La blague, dans l'effort de lucidit\u00e9 qu'elle tente de masquer \u00e0 peine, tombe \u00e0 l'eau au plus profond de l'eau. Les maux de dents repartent de plus belle, poire pour la soif, l'attention s'y accroche de toute sa force pour s'extraire de la force centrifuge de l'horreur environnante. Ce n'est pas parce que j'\u00e9cris :\" je vais chez le dentiste\" que c'est vrai. C'est juste pour ne pas passer pour un parfait imb\u00e9cile. La perfection m'\u00e9tant \u00e0 ce point insupportable m\u00eame dans ma propre imb\u00e9cilit\u00e9. S'il n'y avait pas d'\u00eatre humain, le monde existerait vraiment tel qu'il est, sans bien ni mal. De l\u00e0 \u00e0 souhaiter l'extinction, d'en \u00e9prouver de la peur comme du d\u00e9sir, ce ne serait pas idiot. Cette ambivalence de l'\u00eatre humain, qui peut \u00e0 l'origine permettre aux voyants d'\u00e9quilibrer effroi et merveille, demande un effort surhumain \u00e0 pr\u00e9sent et plus que de simples dons de clairvoyance. Le d\u00e9go\u00fbt monte d'autant plus rapidement que la foi s'amenuise. Non pas le d\u00e9go\u00fbt de l'autre, qui permet toujours des rassemblements, de s'inventer l'adversaire, mais le d\u00e9go\u00fbt de soi. Et le pire est qu'on n'a m\u00eame pas envie de philosopher plus avant, de se perdre dans un labyrinthe de conjectures sur les raisons d'un tel d\u00e9go\u00fbt. Pas une seule graine de haricot magique disponible pour s'\u00e9vader dans la supputation, la p\u00e9nitence, le pardon, la sympathie, l'empathie. Peut-\u00eatre est-ce l\u00e0 la seule forme de transcendance possible : un ricanement \u00e9touff\u00e9 dans l'ab\u00eeme, une ironie glac\u00e9e qui \u00e9vite l'\u00e9cueil de l'espoir. Nous ne nous envolons pas, nous coulons avec une certaine gr\u00e2ce, une chute en apesanteur. La pens\u00e9e elle-m\u00eame se dissout dans cette immersion totale. Tout est diss\u00e9qu\u00e9, analys\u00e9, d\u00e9mystifi\u00e9, et pourtant tout nous \u00e9chappe. Un univers sans Atlantis, sans utopie, juste des profondeurs aveugles o\u00f9 l'on devine, entre les ombres, les contours d'un mirage que personne ne pourra jamais atteindre. Ainsi, \u00e9crire reste un acte ambigu, un geste de fou qui inscrit dans l'eau une trace appel\u00e9e \u00e0 dispara\u00eetre. Mais c'est peut-\u00eatre dans cette absurdit\u00e9 m\u00eame que r\u00e9side la r\u00e9ponse : ne rien attendre, ne rien chercher \u00e0 sauver, juste jouer le jeu de la d\u00e9rive et voir o\u00f9 cela m\u00e8ne, si tant est qu'il y ait un ailleurs. Musique : Tim Hecker \u2013 Virgins \/ incense at Abu Ghraib (Abu Ghraib est une prison utilis\u00e9e pour d\u00e9tenir des prisonniers pendant la guerre en Afghanistan, o\u00f9 de nombreux abus horribles ont eu lieu. La pochette de l' album montre un homme qui pose pendant une s\u00e9ance de torture. Ce m\u00eame homme a plaid\u00e9 non coupable de multiples accusations port\u00e9es contre lui, mais a quand m\u00eame subi tous les coups et agressions. Il \u00e9tait essentiellement \u00ab vierge \u00bb au milieu de la violence.) ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1020.jpg?1748065135", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-fevrier-2025.html", "title": "21 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-21T06:31:54Z", "date_modified": "2025-02-21T21:16:44Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

Carnet de m\u00e9moire : L’attente ou l’amour ? en \u00e9cho \u00e0 un texte \u00e9crit sur l’utopie dans la rubrique lectures.<\/a><\/h3>\n

Un amour du pass\u00e9 qui hante. L’id\u00e9e s’impose d’abord comme une \u00e9vidence. Mais quelque chose cloche. Trop affirmatif. Apr\u00e8s tout, rien n\u2019est certain. Impossible d\u2019en faire une g\u00e9n\u00e9ralit\u00e9.<\/p>\n

Replonger dans cette histoire, et le doute s’installe. Sommes-nous hant\u00e9s par l\u2019attente de l\u2019amour plus que par l\u2019amour lui-m\u00eame ? Peut-\u00eatre est-ce cette illusion, cette promesse, qui obs\u00e8de davantage que les \u00eatres aim\u00e9s. Et si, au fond, ce qui compte n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 l\u2019amour, mais cet \u00e9tat d\u2019expectative, ce vertige du « peut-\u00eatre » ?<\/p>\n

Un r\u00e9cit qui explore cette zone grise, l\u00e0 o\u00f9 l\u2019amour ne se vit pas encore et o\u00f9, paradoxalement, il est peut-\u00eatre \u00e0 son apog\u00e9e. Comme une utopie qui n\u2019existe que dans la distance, un id\u00e9al insaisissable qui recule d\u00e8s qu\u2019on s\u2019en approche. Le d\u00e9sir se nourrit de ce qui \u00e9chappe, de ce qui ne se poss\u00e8de jamais vraiment.<\/p>\n


\n

L\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019annonce immobile. \u00c0 peine arriv\u00e9 sur le quai de la gare, une chape invisible s\u2019abat. Un m\u00e9lange d\u2019ennui et de langueur, une torpeur in\u00e9vitable. G.-p. attend, en cotte noire, macul\u00e9e de taches anciennes, le regard dissimul\u00e9 sous la visi\u00e8re de sa casquette. Un hochement de t\u00eate, une main qui agrippe le bras, et sans un mot, la route vers la ferme.<\/p>\n

Premi\u00e8re nuit. Le tic-tac de l\u2019horloge emplit la maison, se diluant dans l\u2019odeur d\u2019encaustique et de tabac froid. Couch\u00e9 dans le lit \u00e9troit, \u00e0 l\u2019\u00e9coute des bruits du dehors \u2013 des coucous dans le lointain, le vent froissant les peupliers \u2013 une certitude s\u2019impose : l\u2019\u00e9t\u00e9 sera long.<\/p>\n

Les journ\u00e9es s\u2019\u00e9tirent avec la lenteur propre \u00e0 la campagne. Matin\u00e9es pass\u00e9es \u00e0 errer sur les chemins, mains dans les poches, m\u00e2chant un brin d\u2019herbe s\u00e8che. Apr\u00e8s-midis \u00e0 retrouver P., le fils du facteur, pr\u00e8s de la mare. Des lianes s\u00e9ch\u00e9es en guise de cigarette, peu de paroles. La rumeur du village s\u2019\u00e9l\u00e8ve, \u00e9touff\u00e9e par la chaleur. Puis un jour, B. appara\u00eet.<\/p>\n

Derri\u00e8re les prunelliers, un \u00e9clat de rire. Une robe l\u00e9g\u00e8re, des jambes br\u00fbl\u00e9es de soleil. P. devient rouge comme une pivoine, b\u00e9gayant des mots absurdes, l\u2019accent du pays s\u2019alourdit dans sa bouche. Un regard qui balaie l\u2019assembl\u00e9e, un sourire en coin, bras crois\u00e9s sur la poitrine, d\u00e9j\u00e0 en position de force.<\/p>\n

Mais ce n\u2019est pas elle qui bouleversera cet \u00e9t\u00e9. Ce sera N., sa s\u0153ur a\u00een\u00e9e.<\/p>\n

Un soir de pluie, toute de blanc v\u00eatue, les cheveux blonds coll\u00e9s \u00e0 la peau par l\u2019humidit\u00e9. Un regard moqueur, une d\u00e9marche assur\u00e9e. Tout en elle semble hors de port\u00e9e. D\u00e8s le lendemain, un rendez-vous tacite s\u2019installe. Chaque soir, apr\u00e8s le d\u00eener, une sortie pr\u00e9text\u00e9e. Toujours la m\u00eame attente derri\u00e8re la barri\u00e8re. Un menton lev\u00e9, un sourire qui oscille entre retenue et insolence.<\/p>\n

Des marches sur les sentiers, fr\u00f4lant les foss\u00e9s bord\u00e9s d\u2019orties. Des mains s\u2019approchant sans jamais se toucher. L\u2019air du soir impr\u00e9gn\u00e9 de camomille et de paille humide. Un rire discret, une t\u00eate d\u00e9tourn\u00e9e. Que peuvent bien attendre les filles d\u2019un gar\u00e7on ? Ignorance totale des r\u00e8gles du jeu. L\u2019espoir secret d\u2019un premier pas de sa part. Et, paradoxalement, la crainte de ce moment.<\/p>\n

Les nuits se succ\u00e8dent, \u00e9quilibre fragile entre attente et retenue. Puis l\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019ach\u00e8ve. Une adresse \u00e9chang\u00e9e. Peu de foi en une r\u00e9ponse. Pourtant, quelques semaines plus tard, une enveloppe oblit\u00e9r\u00e9e de Vallon-en-Sully. Un c\u0153ur battant au moment de l\u2019ouvrir, \u00e0 l\u2019abri des regards. Des mots simples, banals, prudents. Mais ils sont l\u00e0.<\/p>\n

Une r\u00e9ponse. Puis une autre. Bient\u00f4t, des lettres quotidiennes. Une impatience douloureuse \u00e0 chaque attente. L\u2019hiver passe, r\u00e9chauff\u00e9 par cette correspondance secr\u00e8te. Puis l\u2019\u00e9t\u00e9 revient.<\/p>\n

Le voyage entrepris seul. Huit kilom\u00e8tres sous le soleil, valise \u00e0 la main, c\u0153ur en feu. Aucun avertissement pr\u00e9alable. Chaque instant doit \u00eatre savour\u00e9. Sur le chemin, la maison de N. appara\u00eet. Dans la cour, un homme en blouson de cuir. Une \u00e9treinte. Elle, suspendue \u00e0 son cou. Un regard \u00e9chang\u00e9. Pas de surprise. Pas de trouble. Un l\u00e9ger sourire, un geste distant.<\/p>\n

Demi-tour. Retour chez G.-p., un sourire fig\u00e9, l\u2019estomac nou\u00e9.<\/p>\n

Les lettres de N. restent longtemps dans une bo\u00eete, jusqu\u2019au jour o\u00f9 elles sont br\u00fbl\u00e9es. Un autre temps. L\u2019amour s\u2019est transform\u00e9, devenu autre chose. Peut-\u00eatre \u00e0 cet instant son v\u00e9ritable visage se r\u00e9v\u00e8le-t-il : le d\u00e9sir, ce d\u00e9sir de poss\u00e9der l\u2019autre plus que tout. Une incapacit\u00e9 neuve d\u2019attendre quoi que ce soit \u2013 une fille, une femme, une pr\u00e9tendue s\u00e9curit\u00e9 affective, un soi-disant bonheur. Et encore, sans doute qu’\u00e0 l’\u00e9poque, tout cela n\u2019\u00e9tait qu\u2019une illusion de plus : imaginer le d\u00e9go\u00fbt de poss\u00e9der l’autre alors qu\u2019il ne s’agissait que du reflet d’une impossibilit\u00e9 plus profonde \u2013 celle de se poss\u00e9der soi-m\u00eame.<\/p>\n

Certains souvenirs dorment, bien rang\u00e9s, attendant d\u2019\u00eatre d\u00e9terr\u00e9s. Comme des peintures oubli\u00e9es dans un grenier, suspendues \u00e0 un regard qui leur rendra enfin leur importance. Ce qui est cach\u00e9 d\u00e9finit souvent bien plus que ce qui est montr\u00e9. Pendant longtemps, ces histoires semblent n\u2019int\u00e9resser personne. Puis, un jour, une oreille attentive. Quelqu\u2019un qui comprend. Et le pass\u00e9 reprend vie.<\/p>\n

\u00c0 la relecture de cette histoire des ann\u00e9es plus tard, une interrogation persiste : l\u2019attente de l\u2019amour n\u2019est-elle pas, en fin de compte, plus pr\u00e9cieuse que l\u2019amour lui-m\u00eame ? Peut-\u00eatre est-ce cette promesse, ce vertige du possible, qui conf\u00e8re au d\u00e9sir sa force et son myst\u00e8re. Comme si toute possession portait en elle la fin de l\u2019enchantement, la dissipation de l\u2019illusion. Un m\u00e9canisme silencieux, une m\u00e9canique intime qui trouve un \u00e9cho troublant dans ce monde o\u00f9 l\u2019on ch\u00e9rit plus l\u2019illusion d\u2019un avenir radieux que la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019un pr\u00e9sent atteint. Peut-\u00eatre l\u2019amour, comme tout ce qui se convoite, ne se vit-il pleinement que dans le manque qu\u2019il creuse.<\/p>", "content_text": "### Carnet de m\u00e9moire : L'attente ou l'amour ? en \u00e9cho \u00e0 [un texte \u00e9crit sur l'utopie dans la rubrique lectures.->https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?article764] Un amour du pass\u00e9 qui hante. L'id\u00e9e s'impose d'abord comme une \u00e9vidence. Mais quelque chose cloche. Trop affirmatif. Apr\u00e8s tout, rien n\u2019est certain. Impossible d\u2019en faire une g\u00e9n\u00e9ralit\u00e9. Replonger dans cette histoire, et le doute s'installe. Sommes-nous hant\u00e9s par l\u2019attente de l\u2019amour plus que par l\u2019amour lui-m\u00eame ? Peut-\u00eatre est-ce cette illusion, cette promesse, qui obs\u00e8de davantage que les \u00eatres aim\u00e9s. Et si, au fond, ce qui compte n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 l\u2019amour, mais cet \u00e9tat d\u2019expectative, ce vertige du \"peut-\u00eatre\" ? Un r\u00e9cit qui explore cette zone grise, l\u00e0 o\u00f9 l\u2019amour ne se vit pas encore et o\u00f9, paradoxalement, il est peut-\u00eatre \u00e0 son apog\u00e9e. Comme une utopie qui n\u2019existe que dans la distance, un id\u00e9al insaisissable qui recule d\u00e8s qu\u2019on s\u2019en approche. Le d\u00e9sir se nourrit de ce qui \u00e9chappe, de ce qui ne se poss\u00e8de jamais vraiment. --- L\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019annonce immobile. \u00c0 peine arriv\u00e9 sur le quai de la gare, une chape invisible s\u2019abat. Un m\u00e9lange d\u2019ennui et de langueur, une torpeur in\u00e9vitable. G.-p. attend, en cotte noire, macul\u00e9e de taches anciennes, le regard dissimul\u00e9 sous la visi\u00e8re de sa casquette. Un hochement de t\u00eate, une main qui agrippe le bras, et sans un mot, la route vers la ferme. Premi\u00e8re nuit. Le tic-tac de l\u2019horloge emplit la maison, se diluant dans l\u2019odeur d\u2019encaustique et de tabac froid. Couch\u00e9 dans le lit \u00e9troit, \u00e0 l\u2019\u00e9coute des bruits du dehors \u2013 des coucous dans le lointain, le vent froissant les peupliers \u2013 une certitude s\u2019impose : l\u2019\u00e9t\u00e9 sera long. Les journ\u00e9es s\u2019\u00e9tirent avec la lenteur propre \u00e0 la campagne. Matin\u00e9es pass\u00e9es \u00e0 errer sur les chemins, mains dans les poches, m\u00e2chant un brin d\u2019herbe s\u00e8che. Apr\u00e8s-midis \u00e0 retrouver P., le fils du facteur, pr\u00e8s de la mare. Des lianes s\u00e9ch\u00e9es en guise de cigarette, peu de paroles. La rumeur du village s\u2019\u00e9l\u00e8ve, \u00e9touff\u00e9e par la chaleur. Puis un jour, B. appara\u00eet. Derri\u00e8re les prunelliers, un \u00e9clat de rire. Une robe l\u00e9g\u00e8re, des jambes br\u00fbl\u00e9es de soleil. P. devient rouge comme une pivoine, b\u00e9gayant des mots absurdes, l\u2019accent du pays s\u2019alourdit dans sa bouche. Un regard qui balaie l\u2019assembl\u00e9e, un sourire en coin, bras crois\u00e9s sur la poitrine, d\u00e9j\u00e0 en position de force. Mais ce n\u2019est pas elle qui bouleversera cet \u00e9t\u00e9. Ce sera N., sa s\u0153ur a\u00een\u00e9e. Un soir de pluie, toute de blanc v\u00eatue, les cheveux blonds coll\u00e9s \u00e0 la peau par l\u2019humidit\u00e9. Un regard moqueur, une d\u00e9marche assur\u00e9e. Tout en elle semble hors de port\u00e9e. D\u00e8s le lendemain, un rendez-vous tacite s\u2019installe. Chaque soir, apr\u00e8s le d\u00eener, une sortie pr\u00e9text\u00e9e. Toujours la m\u00eame attente derri\u00e8re la barri\u00e8re. Un menton lev\u00e9, un sourire qui oscille entre retenue et insolence. Des marches sur les sentiers, fr\u00f4lant les foss\u00e9s bord\u00e9s d\u2019orties. Des mains s\u2019approchant sans jamais se toucher. L\u2019air du soir impr\u00e9gn\u00e9 de camomille et de paille humide. Un rire discret, une t\u00eate d\u00e9tourn\u00e9e. Que peuvent bien attendre les filles d\u2019un gar\u00e7on ? Ignorance totale des r\u00e8gles du jeu. L\u2019espoir secret d\u2019un premier pas de sa part. Et, paradoxalement, la crainte de ce moment. Les nuits se succ\u00e8dent, \u00e9quilibre fragile entre attente et retenue. Puis l\u2019\u00e9t\u00e9 s\u2019ach\u00e8ve. Une adresse \u00e9chang\u00e9e. Peu de foi en une r\u00e9ponse. Pourtant, quelques semaines plus tard, une enveloppe oblit\u00e9r\u00e9e de Vallon-en-Sully. Un c\u0153ur battant au moment de l\u2019ouvrir, \u00e0 l\u2019abri des regards. Des mots simples, banals, prudents. Mais ils sont l\u00e0. Une r\u00e9ponse. Puis une autre. Bient\u00f4t, des lettres quotidiennes. Une impatience douloureuse \u00e0 chaque attente. L\u2019hiver passe, r\u00e9chauff\u00e9 par cette correspondance secr\u00e8te. Puis l\u2019\u00e9t\u00e9 revient. Le voyage entrepris seul. Huit kilom\u00e8tres sous le soleil, valise \u00e0 la main, c\u0153ur en feu. Aucun avertissement pr\u00e9alable. Chaque instant doit \u00eatre savour\u00e9. Sur le chemin, la maison de N. appara\u00eet. Dans la cour, un homme en blouson de cuir. Une \u00e9treinte. Elle, suspendue \u00e0 son cou. Un regard \u00e9chang\u00e9. Pas de surprise. Pas de trouble. Un l\u00e9ger sourire, un geste distant. Demi-tour. Retour chez G.-p., un sourire fig\u00e9, l\u2019estomac nou\u00e9. Les lettres de N. restent longtemps dans une bo\u00eete, jusqu\u2019au jour o\u00f9 elles sont br\u00fbl\u00e9es. Un autre temps. L\u2019amour s\u2019est transform\u00e9, devenu autre chose. Peut-\u00eatre \u00e0 cet instant son v\u00e9ritable visage se r\u00e9v\u00e8le-t-il : le d\u00e9sir, ce d\u00e9sir de poss\u00e9der l\u2019autre plus que tout. Une incapacit\u00e9 neuve d\u2019attendre quoi que ce soit \u2013 une fille, une femme, une pr\u00e9tendue s\u00e9curit\u00e9 affective, un soi-disant bonheur. Et encore, sans doute qu'\u00e0 l'\u00e9poque, tout cela n\u2019\u00e9tait qu\u2019une illusion de plus : imaginer le d\u00e9go\u00fbt de poss\u00e9der l'autre alors qu\u2019il ne s'agissait que du reflet d'une impossibilit\u00e9 plus profonde \u2013 celle de se poss\u00e9der soi-m\u00eame. Certains souvenirs dorment, bien rang\u00e9s, attendant d\u2019\u00eatre d\u00e9terr\u00e9s. Comme des peintures oubli\u00e9es dans un grenier, suspendues \u00e0 un regard qui leur rendra enfin leur importance. Ce qui est cach\u00e9 d\u00e9finit souvent bien plus que ce qui est montr\u00e9. Pendant longtemps, ces histoires semblent n\u2019int\u00e9resser personne. Puis, un jour, une oreille attentive. Quelqu\u2019un qui comprend. Et le pass\u00e9 reprend vie. \u00c0 la relecture de cette histoire des ann\u00e9es plus tard, une interrogation persiste : l\u2019attente de l\u2019amour n\u2019est-elle pas, en fin de compte, plus pr\u00e9cieuse que l\u2019amour lui-m\u00eame ? Peut-\u00eatre est-ce cette promesse, ce vertige du possible, qui conf\u00e8re au d\u00e9sir sa force et son myst\u00e8re. Comme si toute possession portait en elle la fin de l\u2019enchantement, la dissipation de l\u2019illusion. Un m\u00e9canisme silencieux, une m\u00e9canique intime qui trouve un \u00e9cho troublant dans ce monde o\u00f9 l\u2019on ch\u00e9rit plus l\u2019illusion d\u2019un avenir radieux que la r\u00e9alit\u00e9 d\u2019un pr\u00e9sent atteint. Peut-\u00eatre l\u2019amour, comme tout ce qui se convoite, ne se vit-il pleinement que dans le manque qu\u2019il creuse. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/gare-deau-vallon-1024x1024.webp?1748065226", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-fevrier-2025.html", "title": "19 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-19T00:59:47Z", "date_modified": "2025-02-19T01:02:06Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Il pense que c\u2019est fini. Que cette boucle, il va encore la boucler, pour la forme, histoire d\u2019\u00eatre s\u00fbr. Depuis plusieurs jours, une douleur assez pr\u00e9cise, assez tenace — une dent, disons, mais pas n\u2019importe laquelle, celle qui fait mal — l\u2019emp\u00eache de penser correctement, ou du moins d\u2019avoir l\u2019illusion qu\u2019il pense correctement. Il r\u00e9siste, encore, dans une posture qui tient autant du sto\u00efcisme que du pur ent\u00eatement. Il observe, avec une sorte de patience scientifique, la douleur monter, descendre, pulser, se diffuser, revenir plus vive. <\/p>\n

Pendant ce temps, le monde s\u2019effondre, para\u00eet-il. Ce n\u2019est pas une exag\u00e9ration, c\u2019est juste une observation factuelle : guerres, famines, politiques absurdes, temp\u00e9ratures record. Une dystopie de s\u00e9rie B qui s\u2019\u00e9crit en temps r\u00e9el. Il pourrait s\u2019en alarmer, il pourrait agir, mais la douleur de la dent a ceci de pratique qu\u2019elle ram\u00e8ne tout \u00e0 une \u00e9chelle plus proche. Plus domestique. Un nerf expos\u00e9, une m\u00e2choire qui proteste. Un micro-drama dans un macro-chaos. <\/p>\n

Il n\u2019ira pas chez le dentiste. Pas encore. Pas maintenant. Pourquoi ? Toutes les raisons d\u2019y aller semblent \u00e9videntes, toutes les raisons de ne pas y aller \u00e9galement. Il reste l\u00e0, dans cet entre-deux parfait o\u00f9 la n\u00e9cessit\u00e9 ne s\u2019impose jamais vraiment. <\/p>\n

Autrefois, il aurait attendu qu\u2019une femme s\u2019en m\u00eale. Un appel, une voix l\u00e9g\u00e8rement inqui\u00e8te, une main sur son bras : Tu devrais vraiment consulter. Mais il sait qu\u2019il ne l\u2019\u00e9couterait m\u00eame plus. Il hoche peut-\u00eatre la t\u00eate, marmonne une promesse vague, mais rien ne suit. Il n\u2019y croit pas plus qu\u2019\u00e0 tout le reste. <\/p>\n

Et pourtant, il \u00e9crit. C\u2019est sa seule concession au mouvement.Une lucidit\u00e9 qu\u2019il qualifie de terrifiante certains jours, d\u2019apaisante d\u2019autres. Une lucidit\u00e9 qui ne sert \u00e0 rien, mais qui est l\u00e0, qui tient bon, qui le garde debout. <\/p>\n

Voil\u00e0 o\u00f9 il en est : pas gu\u00e9ri, pas fichu, pas sauv\u00e9. Juste l\u00e0.<\/p>\n

Quelques heures plus tard :\nDans ces cas-l\u00e0, la sagesse, autant qu\u2019elle puisse exister, impose de se rendre chez le dentiste. Musique douce, basculement du fauteuil vers l\u2019arri\u00e8re, bouche grande ouverte, la sensation un peu d\u00e9sagr\u00e9able d\u2019un doigt caoutchouteux qui p\u00e9n\u00e8tre dans la bouche. Une voix jeune, presque joyeuse : <\/p>\n

« Et l\u00e0, \u00e7a vous fait mal ? »<\/strong> <\/p>\n

C\u2019est \u00e0 ce moment qu\u2019il pense au « de base » que ne cessent de dire les petits-enfants.
\nDe base, il suffit de se rendre chez le dentiste pour ne plus savoir quelle dent fait mal. <\/p>\n

Et c\u2019est vrai. Maintenant qu\u2019il est l\u00e0, impossible de d\u00e9signer avec certitude le point d\u2019origine. Il a mal, oui, mais o\u00f9 exactement ? Cette molaire, celle du fond, ou plut\u00f4t celle d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9 ? La douleur se d\u00e9robe au moment o\u00f9 elle devient soignable. Forc\u00e9ment. <\/p>\n

Bon, a dit la voix jeune derri\u00e8re lui, je vois plusieurs caries donc on va soigner tout \u00e7a. Mais avant, je vais vous faire un petit d\u00e9tartrage.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il demande qu\u2019on le pique. <\/p>\n

Sans doute \u00e0 cause de la volont\u00e9 d\u2019amoindrir le supplice du d\u00e9tartrage par l\u2019adjectif qualificatif appos\u00e9.<\/p>\n

« Un petit d\u00e9tartrage. »<\/em>
\nNon, il ne veut pas de ce « petit »<\/em>. Il sait ce que \u00e7a cache. Il ne veut pas d’euph\u00e9misme, ni de la douceur feinte. <\/p>\n

Il veut l\u2019anesth\u00e9sie, tout de suite, avant qu\u2019on ne tente de lui faire croire que \u00e7a ne fait pas mal.<\/p>\n

La voix jeune h\u00e9site, sourit. Le doigt en caoutchouc bat en retraite. Un patient qui r\u00e9clame une anesth\u00e9sie pour un d\u00e9tartrage, ce n\u2019est pas si fr\u00e9quent. <\/p>\n

« Vous \u00eates s\u00fbr ? »<\/p>\n

Il l\u2019est. <\/p>", "content_text": " Il pense que c\u2019est fini. Que cette boucle, il va encore la boucler, pour la forme, histoire d\u2019\u00eatre s\u00fbr. Depuis plusieurs jours, une douleur assez pr\u00e9cise, assez tenace \u2014 une dent, disons, mais pas n\u2019importe laquelle, celle qui fait mal \u2014 l\u2019emp\u00eache de penser correctement, ou du moins d\u2019avoir l\u2019illusion qu\u2019il pense correctement. Il r\u00e9siste, encore, dans une posture qui tient autant du sto\u00efcisme que du pur ent\u00eatement. Il observe, avec une sorte de patience scientifique, la douleur monter, descendre, pulser, se diffuser, revenir plus vive. Pendant ce temps, le monde s\u2019effondre, para\u00eet-il. Ce n\u2019est pas une exag\u00e9ration, c\u2019est juste une observation factuelle : guerres, famines, politiques absurdes, temp\u00e9ratures record. Une dystopie de s\u00e9rie B qui s\u2019\u00e9crit en temps r\u00e9el. Il pourrait s\u2019en alarmer, il pourrait agir, mais la douleur de la dent a ceci de pratique qu\u2019elle ram\u00e8ne tout \u00e0 une \u00e9chelle plus proche. Plus domestique. Un nerf expos\u00e9, une m\u00e2choire qui proteste. Un micro-drama dans un macro-chaos. Il n\u2019ira pas chez le dentiste. Pas encore. Pas maintenant. Pourquoi ? Toutes les raisons d\u2019y aller semblent \u00e9videntes, toutes les raisons de ne pas y aller \u00e9galement. Il reste l\u00e0, dans cet entre-deux parfait o\u00f9 la n\u00e9cessit\u00e9 ne s\u2019impose jamais vraiment. Autrefois, il aurait attendu qu\u2019une femme s\u2019en m\u00eale. Un appel, une voix l\u00e9g\u00e8rement inqui\u00e8te, une main sur son bras : Tu devrais vraiment consulter. Mais il sait qu\u2019il ne l\u2019\u00e9couterait m\u00eame plus. Il hoche peut-\u00eatre la t\u00eate, marmonne une promesse vague, mais rien ne suit. Il n\u2019y croit pas plus qu\u2019\u00e0 tout le reste. Et pourtant, il \u00e9crit. C\u2019est sa seule concession au mouvement.Une lucidit\u00e9 qu\u2019il qualifie de terrifiante certains jours, d\u2019apaisante d\u2019autres. Une lucidit\u00e9 qui ne sert \u00e0 rien, mais qui est l\u00e0, qui tient bon, qui le garde debout. Voil\u00e0 o\u00f9 il en est : pas gu\u00e9ri, pas fichu, pas sauv\u00e9. Juste l\u00e0. Quelques heures plus tard : Dans ces cas-l\u00e0, la sagesse, autant qu\u2019elle puisse exister, impose de se rendre chez le dentiste. Musique douce, basculement du fauteuil vers l\u2019arri\u00e8re, bouche grande ouverte, la sensation un peu d\u00e9sagr\u00e9able d\u2019un doigt caoutchouteux qui p\u00e9n\u00e8tre dans la bouche. Une voix jeune, presque joyeuse : **\"Et l\u00e0, \u00e7a vous fait mal ?\"** C\u2019est \u00e0 ce moment qu\u2019il pense au \"de base\" que ne cessent de dire les petits-enfants. De base, il suffit de se rendre chez le dentiste pour ne plus savoir quelle dent fait mal. Et c\u2019est vrai. Maintenant qu\u2019il est l\u00e0, impossible de d\u00e9signer avec certitude le point d\u2019origine. Il a mal, oui, mais o\u00f9 exactement ? Cette molaire, celle du fond, ou plut\u00f4t celle d\u2019\u00e0 c\u00f4t\u00e9 ? La douleur se d\u00e9robe au moment o\u00f9 elle devient soignable. Forc\u00e9ment. Bon, a dit la voix jeune derri\u00e8re lui, je vois plusieurs caries donc on va soigner tout \u00e7a. Mais avant, je vais vous faire un petit d\u00e9tartrage. C\u2019est l\u00e0 qu\u2019il demande qu\u2019on le pique. Sans doute \u00e0 cause de la volont\u00e9 d\u2019amoindrir le supplice du d\u00e9tartrage par l\u2019adjectif qualificatif appos\u00e9. *\"Un petit d\u00e9tartrage.\"* Non, il ne veut pas de ce *\"petit\"*. Il sait ce que \u00e7a cache. Il ne veut pas d'euph\u00e9misme, ni de la douceur feinte. Il veut l\u2019anesth\u00e9sie, tout de suite, avant qu\u2019on ne tente de lui faire croire que \u00e7a ne fait pas mal. La voix jeune h\u00e9site, sourit. Le doigt en caoutchouc bat en retraite. Un patient qui r\u00e9clame une anesth\u00e9sie pour un d\u00e9tartrage, ce n\u2019est pas si fr\u00e9quent. \"Vous \u00eates s\u00fbr ?\" Il l\u2019est. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/scout-alzata-laterale-1.jpg?1748065218", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-fevrier-2025.html", "title": "18 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-18T05:55:50Z", "date_modified": "2025-02-18T05:56:30Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Ce mouvement de rapprochement, puis d\u2019\u00e9loignement, puis de rapprochement \u00e0 nouveau. Ce va-et-vient incessant, comme un geste de peintre, ample et mesur\u00e9. Il n\u2019est pas l\u00e0 pour rien. Il n\u2019est pas gratuit. Je le paie cher. Parce qu\u2019il en va ainsi de tout. Je me rapproche des \u00eatres, je m\u2019en \u00e9loigne pour mieux les voir, pour les voir autrement, quand la proximit\u00e9 m\u2019aveugle. Je m\u2019\u00e9loigne du collectif, puis je m\u2019en rapproche, jusqu’\u00e0 l\u2019agacement, jusqu\u2019\u00e0 la br\u00fblure, pour retrouver enfin ma qui\u00e9tude en prenant de la distance.<\/p>\n

Hier, au mus\u00e9e Science-Exp\u00e9riences, rue Thomassin, Lyon. La station ISS traverse le ciel, passant \u00e0 400 km au-dessus de nos t\u00eates, seize fois par jour. Moins qu\u2019un Lyon-Paris, mais il faut pourtant vingt-quatre heures pour l\u2019atteindre. Parce qu\u2019on ne peut la rejoindre en ligne droite. Il faut d’abord s’\u00e9lever sur la m\u00eame orbite, puis la poursuivre, l\u2019attraper dans son mouvement.<\/p>\n

De m\u00eame, pour fabriquer des cristaux de glace, il faut un certain dosage de pression. Dans une bouteille o\u00f9 se m\u00ealent neige carbonique, eau chaude et produit vaisselle, le gaz se d\u00e9tend brusquement, la temp\u00e9rature chute sous z\u00e9ro, et la glace se reforme, \u00e0 l\u2019envi.<\/p>\n

Tout est affaire d\u2019\u00e9quilibre et d\u2019ajustement. La distance ne signifie pas l\u2019abandon. L\u2019\u00e9loignement permet parfois de mieux saisir ce qui nous \u00e9chappe de trop pr\u00e8s. Et le mouvement continue, oscillation perp\u00e9tuelle entre attraction et r\u00e9pulsion, entre le d\u00e9sir et la fuite. Un cycle infini, comme une respiration.<\/p>\n

L’aller et le retour. Pour comprendre cette notion, la r\u00e9p\u00e9tition est n\u00e9cessaire. Jusqu’\u00e0 s’y perdre totalement. Jusqu’\u00e0 l’oubli. L’aller et le retour li\u00e9s au travail. Aux promenades. \u00c0 la salle de sport. Certains sont quotidiens, d’autres hebdomadaires, d’autres encore suivent un rythme que l’on ne discerne pas imm\u00e9diatement. Aller et retour de la joie et du d\u00e9go\u00fbt, de l’envie et du rejet, vers un livre, un \u00eatre, un lieu. Vers soi.<\/p>", "content_text": "Ce mouvement de rapprochement, puis d\u2019\u00e9loignement, puis de rapprochement \u00e0 nouveau. Ce va-et-vient incessant, comme un geste de peintre, ample et mesur\u00e9. Il n\u2019est pas l\u00e0 pour rien. Il n\u2019est pas gratuit. Je le paie cher. Parce qu\u2019il en va ainsi de tout. Je me rapproche des \u00eatres, je m\u2019en \u00e9loigne pour mieux les voir, pour les voir autrement, quand la proximit\u00e9 m\u2019aveugle. Je m\u2019\u00e9loigne du collectif, puis je m\u2019en rapproche, jusqu'\u00e0 l\u2019agacement, jusqu\u2019\u00e0 la br\u00fblure, pour retrouver enfin ma qui\u00e9tude en prenant de la distance. Hier, au mus\u00e9e Science-Exp\u00e9riences, rue Thomassin, Lyon. La station ISS traverse le ciel, passant \u00e0 400 km au-dessus de nos t\u00eates, seize fois par jour. Moins qu\u2019un Lyon-Paris, mais il faut pourtant vingt-quatre heures pour l\u2019atteindre. Parce qu\u2019on ne peut la rejoindre en ligne droite. Il faut d'abord s'\u00e9lever sur la m\u00eame orbite, puis la poursuivre, l\u2019attraper dans son mouvement. De m\u00eame, pour fabriquer des cristaux de glace, il faut un certain dosage de pression. Dans une bouteille o\u00f9 se m\u00ealent neige carbonique, eau chaude et produit vaisselle, le gaz se d\u00e9tend brusquement, la temp\u00e9rature chute sous z\u00e9ro, et la glace se reforme, \u00e0 l\u2019envi. Tout est affaire d\u2019\u00e9quilibre et d\u2019ajustement. La distance ne signifie pas l\u2019abandon. L\u2019\u00e9loignement permet parfois de mieux saisir ce qui nous \u00e9chappe de trop pr\u00e8s. Et le mouvement continue, oscillation perp\u00e9tuelle entre attraction et r\u00e9pulsion, entre le d\u00e9sir et la fuite. Un cycle infini, comme une respiration. L'aller et le retour. Pour comprendre cette notion, la r\u00e9p\u00e9tition est n\u00e9cessaire. Jusqu'\u00e0 s'y perdre totalement. Jusqu'\u00e0 l'oubli. L'aller et le retour li\u00e9s au travail. Aux promenades. \u00c0 la salle de sport. Certains sont quotidiens, d'autres hebdomadaires, d'autres encore suivent un rythme que l'on ne discerne pas imm\u00e9diatement. Aller et retour de la joie et du d\u00e9go\u00fbt, de l'envie et du rejet, vers un livre, un \u00eatre, un lieu. Vers soi. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/jpegpia24439.jpg?1748065071", "tags": ["Temporalit\u00e9 et Ruptures"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-fevrier-2025.html", "title": "17 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-17T04:43:55Z", "date_modified": "2025-02-17T04:59:07Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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C\u2019\u00e9tait il y a quarante ans. On descendait vers le sud, en famille ou entre amis, dans une voiture trop charg\u00e9e, fen\u00eatres entrouvertes, radio souffreteuse crachant des nouvelles de trafic sur l\u2019autoroute. Il fallait bien traverser Le P\u00e9age-de-Roussillon, il n\u2019y avait pas d\u2019alternative.<\/p>\n

Personne ne s\u2019arr\u00eatait ici par plaisir. C\u2019\u00e9tait une travers\u00e9e obligatoire, aussi in\u00e9vitable qu\u2019un p\u00e9age d\u2019autoroute, mais sans la barri\u00e8re levante, sans la logique \u00e9vidente de son existence. On y entrait sans vraiment vouloir y \u00eatre, on roulait au pas dans des embouteillages interminables, chaque feu rouge semblait une mise \u00e0 l\u2019\u00e9preuve. On passait devant une boulangerie, une boucherie, un caf\u00e9 lugubre o\u00f9 des types fixaient leur Ricard d\u2019un air absent, puis une station-service et une rang\u00e9e de maisons basses dont les volets ferm\u00e9s donnaient l\u2019impression que personne n\u2019y avait jamais vraiment habit\u00e9.<\/p>\n

On regardait tout cela \u00e0 travers le pare-brise, un coude nonchalamment pos\u00e9e sur la porti\u00e8re, en soupirant d\u2019ennui. On se promettait que jamais on ne s\u2019arr\u00eaterait l\u00e0, encore moins qu\u2019on y poserait ses valises.<\/p>\n

Puis la circulation reprenait, la voiture red\u00e9marrait, et d\u00e9j\u00e0 Le P\u00e9age-de-Roussillon s\u2019\u00e9loignait, disparaissait dans le r\u00e9troviseur, comme une contrainte dont on \u00e9tait enfin lib\u00e9r\u00e9.<\/p>\n

Et pourtant.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, on y vit. On s\u2019y l\u00e8ve, on s\u2019y couche, on y fait ses courses. On prend son caf\u00e9 dans un bistrot qui ressemble \u00e0 celui qu\u2019on avait aper\u00e7u depuis la voiture. On passe devant cette m\u00eame boulangerie qui n\u2019a pas chang\u00e9 de place \u2013 ou alors si, peut-\u00eatre, mais pas suffisamment pour en \u00eatre certain.<\/p>\n

On prend une rue, puis une autre, et quelque chose cloche. Les rues ne sont pas tout \u00e0 fait les m\u00eames que la veille. Oh, elles sont l\u00e0, elles existent, ce n\u2019est pas le probl\u00e8me, mais leur alignement, leur fa\u00e7on de s\u2019agencer, c\u2019est cela qui semble un peu d\u00e9plac\u00e9, comme un meuble que quelqu\u2019un aurait l\u00e9g\u00e8rement tir\u00e9 sans qu\u2019on sache pourquoi.<\/p>\n

Hier encore, la pharmacie \u00e9tait de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la place, non ? Ou alors c\u2019\u00e9tait un caf\u00e9, ou une banque, impossible d\u2019\u00eatre s\u00fbr. Les trottoirs paraissent plus \u00e9troits par endroits, plus larges \u00e0 d\u2019autres. La rue du Centre a pris un virage inattendu, d\u00e9bouche sur une place qui semble avoir perdu un banc ou gagn\u00e9 un lampadaire.<\/p>\n

Il y a cette devanture de magasin, ferm\u00e9e depuis des ann\u00e9es, dont on ne sait plus ce qu\u2019elle vendait, mais dont on est persuad\u00e9 qu\u2019elle affichait un autre nom autrefois. Plus loin, cette enseigne neuve semble avoir toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0, alors que non, c\u2019est impossible, elle a d\u00fb ouvrir r\u00e9cemment, et pourtant personne ne se souvient des travaux.<\/p>\n<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Peut-\u00eatre que c\u2019est une illusion. Peut-\u00eatre que c\u2019est comme \u00e7a depuis toujours et qu\u2019on ne s\u2019en \u00e9tait simplement jamais rendu compte. Peut-\u00eatre aussi que le village lui-m\u00eame n\u2019est pas s\u00fbr de son emplacement, qu\u2019il h\u00e9site encore sur son propre trac\u00e9.<\/p>\n

Le P\u00e9age-de-Roussillon n\u2019est pas une ville o\u00f9 l\u2019on arrive, c\u2019est une ville o\u00f9 l\u2019on finit par \u00eatre absorb\u00e9, o\u00f9 l\u2019on vit sans vraiment comprendre pourquoi on y est.<\/p>\n

Les habitants, eux, n\u2019ont pas l\u2019air troubl\u00e9. Ils savent qu\u2019il existe une logique ici, mais laquelle ? Ils empruntent les rues avec cette aisance tranquille de ceux qui ont accept\u00e9 que les lieux ne se laissent pas capturer facilement. Ils ne se posent plus de questions.<\/p>\n

Quarante ans plus t\u00f4t, on en sortait avec soulagement. Aujourd\u2019hui, on y habite. Et peut-\u00eatre qu\u2019un jour, on tentera d\u2019en partir, sans garantie de vraiment y parvenir.<\/p>", "content_text": " Votre navigateur ne supporte pas la vid\u00e9o. ` C\u2019\u00e9tait il y a quarante ans. On descendait vers le sud, en famille ou entre amis, dans une voiture trop charg\u00e9e, fen\u00eatres entrouvertes, radio souffreteuse crachant des nouvelles de trafic sur l\u2019autoroute. Il fallait bien traverser Le P\u00e9age-de-Roussillon, il n\u2019y avait pas d\u2019alternative. Personne ne s\u2019arr\u00eatait ici par plaisir. C\u2019\u00e9tait une travers\u00e9e obligatoire, aussi in\u00e9vitable qu\u2019un p\u00e9age d\u2019autoroute, mais sans la barri\u00e8re levante, sans la logique \u00e9vidente de son existence. On y entrait sans vraiment vouloir y \u00eatre, on roulait au pas dans des embouteillages interminables, chaque feu rouge semblait une mise \u00e0 l\u2019\u00e9preuve. On passait devant une boulangerie, une boucherie, un caf\u00e9 lugubre o\u00f9 des types fixaient leur Ricard d\u2019un air absent, puis une station-service et une rang\u00e9e de maisons basses dont les volets ferm\u00e9s donnaient l\u2019impression que personne n\u2019y avait jamais vraiment habit\u00e9. On regardait tout cela \u00e0 travers le pare-brise, un coude nonchalamment pos\u00e9e sur la porti\u00e8re, en soupirant d\u2019ennui. On se promettait que jamais on ne s\u2019arr\u00eaterait l\u00e0, encore moins qu\u2019on y poserait ses valises. Puis la circulation reprenait, la voiture red\u00e9marrait, et d\u00e9j\u00e0 Le P\u00e9age-de-Roussillon s\u2019\u00e9loignait, disparaissait dans le r\u00e9troviseur, comme une contrainte dont on \u00e9tait enfin lib\u00e9r\u00e9. Et pourtant. Aujourd\u2019hui, on y vit. On s\u2019y l\u00e8ve, on s\u2019y couche, on y fait ses courses. On prend son caf\u00e9 dans un bistrot qui ressemble \u00e0 celui qu\u2019on avait aper\u00e7u depuis la voiture. On passe devant cette m\u00eame boulangerie qui n\u2019a pas chang\u00e9 de place \u2013 ou alors si, peut-\u00eatre, mais pas suffisamment pour en \u00eatre certain. On prend une rue, puis une autre, et quelque chose cloche. Les rues ne sont pas tout \u00e0 fait les m\u00eames que la veille. Oh, elles sont l\u00e0, elles existent, ce n\u2019est pas le probl\u00e8me, mais leur alignement, leur fa\u00e7on de s\u2019agencer, c\u2019est cela qui semble un peu d\u00e9plac\u00e9, comme un meuble que quelqu\u2019un aurait l\u00e9g\u00e8rement tir\u00e9 sans qu\u2019on sache pourquoi. Hier encore, la pharmacie \u00e9tait de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9 de la place, non ? Ou alors c\u2019\u00e9tait un caf\u00e9, ou une banque, impossible d\u2019\u00eatre s\u00fbr. Les trottoirs paraissent plus \u00e9troits par endroits, plus larges \u00e0 d\u2019autres. La rue du Centre a pris un virage inattendu, d\u00e9bouche sur une place qui semble avoir perdu un banc ou gagn\u00e9 un lampadaire. Il y a cette devanture de magasin, ferm\u00e9e depuis des ann\u00e9es, dont on ne sait plus ce qu\u2019elle vendait, mais dont on est persuad\u00e9 qu\u2019elle affichait un autre nom autrefois. Plus loin, cette enseigne neuve semble avoir toujours \u00e9t\u00e9 l\u00e0, alors que non, c\u2019est impossible, elle a d\u00fb ouvrir r\u00e9cemment, et pourtant personne ne se souvient des travaux. Peut-\u00eatre que c\u2019est une illusion. Peut-\u00eatre que c\u2019est comme \u00e7a depuis toujours et qu\u2019on ne s\u2019en \u00e9tait simplement jamais rendu compte. Peut-\u00eatre aussi que le village lui-m\u00eame n\u2019est pas s\u00fbr de son emplacement, qu\u2019il h\u00e9site encore sur son propre trac\u00e9. Le P\u00e9age-de-Roussillon n\u2019est pas une ville o\u00f9 l\u2019on arrive, c\u2019est une ville o\u00f9 l\u2019on finit par \u00eatre absorb\u00e9, o\u00f9 l\u2019on vit sans vraiment comprendre pourquoi on y est. Les habitants, eux, n\u2019ont pas l\u2019air troubl\u00e9. Ils savent qu\u2019il existe une logique ici, mais laquelle ? Ils empruntent les rues avec cette aisance tranquille de ceux qui ont accept\u00e9 que les lieux ne se laissent pas capturer facilement. Ils ne se posent plus de questions. Quarante ans plus t\u00f4t, on en sortait avec soulagement. Aujourd\u2019hui, on y habite. Et peut-\u00eatre qu\u2019un jour, on tentera d\u2019en partir, sans garantie de vraiment y parvenir.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3422.jpg?1748065115", "tags": ["Espaces lieux "] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-fevrier-2025.html", "title": "16 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-16T07:14:25Z", "date_modified": "2025-02-16T07:14:25Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

R\u00eave
\nInondation dans une cave, mais pas celle de la maison. Une cave inconnue. Je descends l\u2019escalier qui y m\u00e8ne. Le fracas de l\u2019eau r\u00e9sonne dans un recoin que je ne vois pas. Certainement une canalisation qui a l\u00e2ch\u00e9, me dis-je dans mon r\u00eave. Pour le savoir, il faut tourner \u00e0 gauche : le bruit vient de la gauche. Rien de politique, me dis-je avec ironie.
\nJe m\u2019appr\u00eate \u00e0 rire de ma blague idiote quand un frisson avant-coureur me cloue sur place. Plus on en est conscient, plus il nous prend, nous glace. \u00c0 la fin, on est raide. \u00c7a y est, je suis fig\u00e9 d\u2019effroi.
\nC\u2019est alors qu\u2019une silhouette bouge au fond de la cave et s\u2019avance sous un n\u00e9on intermittent. Et l\u00e0, qu\u2019est-ce que je vois ? Un bas rouge qui remue la queue. Totalement incongru. Aussit\u00f4t, je me dis \u2013 toujours en dormant \u00e0 poings ferm\u00e9s \u2013 que si je ne crois plus en mes r\u00eaves, il me faut aussi cesser de prendre mes cauchemars au s\u00e9rieux.
\nLe lendemain, la r\u00e9alit\u00e9 n\u2019a pas l\u2019air plus limpide. Nous sommes all\u00e9s r\u00e9ceptionner les petits-enfants \u00e0 Perrache. Les employ\u00e9s de Junior SNCF vident d\u2019abord la voiture des bagages qu\u2019ils entassent sur le quai. « Si vous reconnaissez les bagages de vos enfants, allez-y », disent-ils. Ce qui semble le comble de l\u2019absurde pour la dame qui tr\u00e9pigne \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de nous. « Enchant\u00e9e, je vous pr\u00e9sente mon mari, avocat au barreau », en profite-t-elle pour placer.
\nEt de papoter avec S. de l\u2019effondrement de tout.
\nMoi, non. Je m\u2019en fous. Je trouve un si\u00e8ge libre et m\u2019assois, observant cette grappe d\u2019individus exc\u00e9d\u00e9s pour pas grand-chose. J\u2019ai mal aux dents surtout, et \u00e7a m\u2019accapare. \u00c7a me fait voir le monde encore plus laid qu\u2019il ne l\u2019est. Ce qui n\u2019est pas peu dire. Surtout vers 18 h sur le quai d\u2019une gare, alors que la nuit tombe en hiver.
\nEnfin, une fois la famille reconstitu\u00e9e, les bagages r\u00e9cup\u00e9r\u00e9s, nous regagnons l\u2019obscurit\u00e9 des parkings, place des Archives. Ce qui, soit dit en passant, me r\u00e9concilie momentan\u00e9ment avec ces exp\u00e9ditions vers la gare de Perrache : l\u2019acc\u00e8s au parking souterrain est devenu d\u2019une d\u00e9concertante facilit\u00e9. Surtout pour repartir.
\nOn est derechef sur le quai, et on file, avec en fond sonore le concert des chamailleries habituelles sur la plage arri\u00e8re. C\u2019est toujours aga\u00e7ant, mais c\u2019est moins p\u00e9nible et moins long que de s\u2019extraire de la Part-Dieu.
\nCe qui nous entra\u00eene vers 19h30 d\u00e9j\u00e0, puis vers la soupe, puis vers le salon, puis, au bout du compte, assez rapidement vers le lit. Je tente vainement de me raccrocher aux Grandes Blondes d\u2019Echenoz, mais l\u2019effort est vain. Je sombre dans le sommeil.
\nEt me retrouve au beau milieu de cette cave, face \u00e0 un chien qui remue la queue.<\/p>", "content_text": " R\u00eave Inondation dans une cave, mais pas celle de la maison. Une cave inconnue. Je descends l\u2019escalier qui y m\u00e8ne. Le fracas de l\u2019eau r\u00e9sonne dans un recoin que je ne vois pas. Certainement une canalisation qui a l\u00e2ch\u00e9, me dis-je dans mon r\u00eave. Pour le savoir, il faut tourner \u00e0 gauche : le bruit vient de la gauche. Rien de politique, me dis-je avec ironie. Je m\u2019appr\u00eate \u00e0 rire de ma blague idiote quand un frisson avant-coureur me cloue sur place. Plus on en est conscient, plus il nous prend, nous glace. \u00c0 la fin, on est raide. \u00c7a y est, je suis fig\u00e9 d\u2019effroi. C\u2019est alors qu\u2019une silhouette bouge au fond de la cave et s\u2019avance sous un n\u00e9on intermittent. Et l\u00e0, qu\u2019est-ce que je vois ? Un bas rouge qui remue la queue. Totalement incongru. Aussit\u00f4t, je me dis \u2013 toujours en dormant \u00e0 poings ferm\u00e9s \u2013 que si je ne crois plus en mes r\u00eaves, il me faut aussi cesser de prendre mes cauchemars au s\u00e9rieux. Le lendemain, la r\u00e9alit\u00e9 n\u2019a pas l\u2019air plus limpide. Nous sommes all\u00e9s r\u00e9ceptionner les petits-enfants \u00e0 Perrache. Les employ\u00e9s de Junior SNCF vident d\u2019abord la voiture des bagages qu\u2019ils entassent sur le quai. \u00ab Si vous reconnaissez les bagages de vos enfants, allez-y \u00bb, disent-ils. Ce qui semble le comble de l\u2019absurde pour la dame qui tr\u00e9pigne \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de nous. \u00ab Enchant\u00e9e, je vous pr\u00e9sente mon mari, avocat au barreau \u00bb, en profite-t-elle pour placer. Et de papoter avec S. de l\u2019effondrement de tout. Moi, non. Je m\u2019en fous. Je trouve un si\u00e8ge libre et m\u2019assois, observant cette grappe d\u2019individus exc\u00e9d\u00e9s pour pas grand-chose. J\u2019ai mal aux dents surtout, et \u00e7a m\u2019accapare. \u00c7a me fait voir le monde encore plus laid qu\u2019il ne l\u2019est. Ce qui n\u2019est pas peu dire. Surtout vers 18 h sur le quai d\u2019une gare, alors que la nuit tombe en hiver. Enfin, une fois la famille reconstitu\u00e9e, les bagages r\u00e9cup\u00e9r\u00e9s, nous regagnons l\u2019obscurit\u00e9 des parkings, place des Archives. Ce qui, soit dit en passant, me r\u00e9concilie momentan\u00e9ment avec ces exp\u00e9ditions vers la gare de Perrache : l\u2019acc\u00e8s au parking souterrain est devenu d\u2019une d\u00e9concertante facilit\u00e9. Surtout pour repartir. On est derechef sur le quai, et on file, avec en fond sonore le concert des chamailleries habituelles sur la plage arri\u00e8re. C\u2019est toujours aga\u00e7ant, mais c\u2019est moins p\u00e9nible et moins long que de s\u2019extraire de la Part-Dieu. Ce qui nous entra\u00eene vers 19h30 d\u00e9j\u00e0, puis vers la soupe, puis vers le salon, puis, au bout du compte, assez rapidement vers le lit. Je tente vainement de me raccrocher aux Grandes Blondes d\u2019Echenoz, mais l\u2019effort est vain. Je sombre dans le sommeil. Et me retrouve au beau milieu de cette cave, face \u00e0 un chien qui remue la queue. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/jp4.jpg?1748065081", "tags": ["\u00e9criture fragmentaire"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-fevrier-2025.html", "title": "15 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-15T08:09:08Z", "date_modified": "2025-02-15T08:09:43Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\tfaille-san-andreas-<\/a>\n
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faille-san-andreas-\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n \n

R\u00e9duction. Ce qui tombe. Ce qui reste. 109 \u00e0 7. Peut-\u00eatre 6. Mais 7. Parce que 7. Juste cela. Rien d\u2019autre. Une id\u00e9e de peu. Ce qui survit. L\u2019essentiel, s\u2019il y a essentiel. Ce qui s\u2019efface, ce qui r\u00e9siste, ce qui insiste. Un chiffre, une vibration, une superstition. Peu importe. Le nom change. *Le texte et la faille.* Un \u00e9cho d\u2019avant. *La toile et le roc.* Thomas Wolfe. Quelque part. Longtemps. Pourquoi ce titre ? Rien \u00e0 voir. Ou tout. Un retour d\u2019\u00e9cho. Une r\u00e9surgence. Un reste de quelque chose. \u00c9crire ici. Juste \u00e9crire. Pas d\u2019importance. Le style ne compte pas. Une excuse. Ou un fait. L\u2019\u00e9criture suit le carnet. Elle h\u00e9site. Elle s\u2019arr\u00eate. Elle reprend. Elle contourne. Comme l\u2019eau. En apparence directe. Mais non. Jamais directe. Toujours en travers. En biais. Comme la pens\u00e9e. Comme le temps. Comme la fatigue. Comme la peur. Comme l\u2019attente. Comme le vide qui se creuse. Comme l\u2019air qui se rar\u00e9fie. Re\u00e7u ce matin. Un texte. Beckett. *Pour finir encore.* Finir. Encore. Finir encore. Finir de tuer. Quelque chose. Un mensonge peut-\u00eatre. Probablement. Certainement. On ne tue que le mensonge. Apr\u00e8s ? Apr\u00e8s il reste. Une feuille. Fine. Cigarette. Un presque rien. Une br\u00e8che. \u00c0 traverser. \u00c0 deviner. \u00c0 tracer. Existe-t-elle ? La porte ? D\u00e9j\u00e0 l\u00e0 ? Comme un monolithe ? Ou la dessiner. Une ligne. Un passage. Un trou. Un d\u00e9tour. Un effacement. Un espace blanc. Un pli du temps. Un par personne. Des milliards de portes. Aucune porte. Les portes sont des leurres. Des illusions. On pense sortir. On tourne en rond. On tourne en nous-m\u00eames. Un labyrinthe sans fin. Un corridor \u00e9troit. Un mur qui recule. Une ombre qui avance. Un espace qui s\u2019amenuise. Marcher. Tourner la t\u00eate. Fixer un point. L\u2019arbre. Ou rien. Rien, c\u2019est un peu quelque chose. Un vestige. Une empreinte. Une absence. Le jour s\u2019efface. Nuit noire. Ou lune. Ou \u00e9toiles. Ou rien. Recommencer. Attendre. Rien. Recommencer encore. Insister. Laisser venir. Puis effacer. \u00c9crire n\u2019a pas d\u2019importance. R\u00e9p\u00e9ter cette phrase. Pour y croire. Pour s\u2019en convaincre. Pour s\u2019y accrocher. Un rituel. Un schnaps. Un rhum. Un instant de vertige. Un souffle court. Juste avant. Remonter. Tranch\u00e9e. Boue. Ruines. Effondrement. Voir les pens\u00e9es s\u2019\u00e9parpiller. Comme des corps. T\u00eates. Membres. Visc\u00e8res. D\u00e9bris. \u00c9clats. L\u00e0-bas. Ligne d\u2019horizon. Fine. Papier \u00e0 cigarette. Presque invisible. Aller. Quelque part. N\u2019importe o\u00f9. Prendre ce pr\u00e9texte. Sinon rien. Sinon s\u00e9cher. Se figer. Se taire. Rester. Inerte. Statufi\u00e9. Mort d\u00e9j\u00e0. Mort en suspension. En veille. En latence. En attente de quelque chose qui ne viendra pas. Le corps fixe. Ou presque. Assis. Dos droit. Devant la fen\u00eatre. M\u00eame heure. Tous les jours. La lumi\u00e8re d\u00e9cline. Le noir gagne. Les yeux regardent. Ou non. Peu importe. Tout semble immobile. Mais non. Tout tremble. De partout. Presque rien. Mais tout. Les mains. Le torse. Les jambes. Comme un vieux dieu \u00e9teint. Comme une statue us\u00e9e. Comme une \u00e9pave. Lente respiration. Lente expiration. Lent tremblement. Fr\u00e9missement continu. Les yeux s\u2019ouvrent. Se ferment. Se rouvrent. Lentement. Inutilement. Inconsciemment. Fixer l\u2019arbre. Le h\u00eatre. L\u00e0, au fond. Ombre plus dense que l\u2019ombre. Regarder. Ne pas voir. Attendre qu\u2019il disparaisse. Ombre qui s\u2019efface. Ombre qui insiste. Ombre qui revient. Comme si l\u2019arbre, un jour, devait s\u2019en aller. Comme si tout devait dispara\u00eetre. Comme si rien ne devait jamais durer. Mais non. Rien ne s\u2019en va. Rien ne dispara\u00eet vraiment. C\u2019est autre chose qui bouge. En nous. Quelque chose de vague. Ind\u00e9finissable. Insistant. Pesant. Un poids l\u00e9ger. Une absence pesante. Un vide qui occupe tout. Un murmure incessant. Un \u00e9cho sans source. Les mains l\u00e2chent les accoudoirs. Tremblent. L\u2019une se l\u00e8ve. Lentement. S\u2019arr\u00eate. H\u00e9site. Fr\u00e9missement \u00e0 peine perceptible. Comme si une autre force retenait. Involontaire. Presque m\u00e9canique. Mi-ouvert. Mi-ferm\u00e9. Un mouvement sans d\u00e9cision. Une attente. Un suspend. Le vide entre l\u2019un et l\u2019autre. Une h\u00e9sitation qui dure, s\u2019\u00e9tire, se fige. Une main suspendue dans l\u2019air, une question sans r\u00e9ponse. Une r\u00e9ponse qui n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 pos\u00e9e. Une attente sans attente. Un doute sans objet. La t\u00eate suit. Penche en avant. S\u2019appuie sur la main. T\u00eate en main. Fixation. Les doigts pressent \u00e0 peine. Un point sur la pommette. Un autre sur l\u2019orbite. Rien d\u2019autre. Pourtant, une pression infime. Un appui n\u00e9cessaire, comme une tentative de retenir, de fixer. D\u2019arr\u00eater quelque chose. De capter un instant. Contact \u00e0 peine r\u00e9el. Sensation diffuse. Comme si le toucher ne confirmait rien. Comme si le toucher ne prouvait rien. Une peau contre une autre, et pourtant, rien. Juste une impression, un \u00e9cho de sensation. Une illusion. Une trace. Le jour tombe. Le noir monte. Le silence aussi. Le silence surtout. Tout immobile. Tout en suspens. Tout tremblement. Tout vacille. L\u2019attente s\u2019\u00e9tire, se dilate, devient tangible. Chaque instant pr\u00eat \u00e0 se dissoudre. Chaque battement, une retenue. Chaque souffle, une perte. Tremblement l\u00e9ger, discret, mais constant. Comme un murmure \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du corps. Une onde qui ne cesse de revenir. Plus forte. Plus insistante. Plus lancinante. Silence. Mouvement arr\u00eat\u00e9. Temps suspendu. Un dernier fr\u00e9missement. Puis plus rien. Rien encore. Rien toujours. Rien \u00e0 suivre. Rien qui attende. Rien qui advienne.<\/p>", "content_text": " R\u00e9duction. Ce qui tombe. Ce qui reste. 109 \u00e0 7. Peut-\u00eatre 6. Mais 7. Parce que 7. Juste cela. Rien d\u2019autre. Une id\u00e9e de peu. Ce qui survit. L\u2019essentiel, s\u2019il y a essentiel. Ce qui s\u2019efface, ce qui r\u00e9siste, ce qui insiste. Un chiffre, une vibration, une superstition. Peu importe. Le nom change. *Le texte et la faille.* Un \u00e9cho d\u2019avant. *La toile et le roc.* Thomas Wolfe. Quelque part. Longtemps. Pourquoi ce titre ? Rien \u00e0 voir. Ou tout. Un retour d\u2019\u00e9cho. Une r\u00e9surgence. Un reste de quelque chose. \u00c9crire ici. Juste \u00e9crire. Pas d\u2019importance. Le style ne compte pas. Une excuse. Ou un fait. L\u2019\u00e9criture suit le carnet. Elle h\u00e9site. Elle s\u2019arr\u00eate. Elle reprend. Elle contourne. Comme l\u2019eau. En apparence directe. Mais non. Jamais directe. Toujours en travers. En biais. Comme la pens\u00e9e. Comme le temps. Comme la fatigue. Comme la peur. Comme l\u2019attente. Comme le vide qui se creuse. Comme l\u2019air qui se rar\u00e9fie. Re\u00e7u ce matin. Un texte. Beckett. *Pour finir encore.* Finir. Encore. Finir encore. Finir de tuer. Quelque chose. Un mensonge peut-\u00eatre. Probablement. Certainement. On ne tue que le mensonge. Apr\u00e8s ? Apr\u00e8s il reste. Une feuille. Fine. Cigarette. Un presque rien. Une br\u00e8che. \u00c0 traverser. \u00c0 deviner. \u00c0 tracer. Existe-t-elle ? La porte ? D\u00e9j\u00e0 l\u00e0 ? Comme un monolithe ? Ou la dessiner. Une ligne. Un passage. Un trou. Un d\u00e9tour. Un effacement. Un espace blanc. Un pli du temps. Un par personne. Des milliards de portes. Aucune porte. Les portes sont des leurres. Des illusions. On pense sortir. On tourne en rond. On tourne en nous-m\u00eames. Un labyrinthe sans fin. Un corridor \u00e9troit. Un mur qui recule. Une ombre qui avance. Un espace qui s\u2019amenuise. Marcher. Tourner la t\u00eate. Fixer un point. L\u2019arbre. Ou rien. Rien, c\u2019est un peu quelque chose. Un vestige. Une empreinte. Une absence. Le jour s\u2019efface. Nuit noire. Ou lune. Ou \u00e9toiles. Ou rien. Recommencer. Attendre. Rien. Recommencer encore. Insister. Laisser venir. Puis effacer. \u00c9crire n\u2019a pas d\u2019importance. R\u00e9p\u00e9ter cette phrase. Pour y croire. Pour s\u2019en convaincre. Pour s\u2019y accrocher. Un rituel. Un schnaps. Un rhum. Un instant de vertige. Un souffle court. Juste avant. Remonter. Tranch\u00e9e. Boue. Ruines. Effondrement. Voir les pens\u00e9es s\u2019\u00e9parpiller. Comme des corps. T\u00eates. Membres. Visc\u00e8res. D\u00e9bris. \u00c9clats. L\u00e0-bas. Ligne d\u2019horizon. Fine. Papier \u00e0 cigarette. Presque invisible. Aller. Quelque part. N\u2019importe o\u00f9. Prendre ce pr\u00e9texte. Sinon rien. Sinon s\u00e9cher. Se figer. Se taire. Rester. Inerte. Statufi\u00e9. Mort d\u00e9j\u00e0. Mort en suspension. En veille. En latence. En attente de quelque chose qui ne viendra pas. Le corps fixe. Ou presque. Assis. Dos droit. Devant la fen\u00eatre. M\u00eame heure. Tous les jours. La lumi\u00e8re d\u00e9cline. Le noir gagne. Les yeux regardent. Ou non. Peu importe. Tout semble immobile. Mais non. Tout tremble. De partout. Presque rien. Mais tout. Les mains. Le torse. Les jambes. Comme un vieux dieu \u00e9teint. Comme une statue us\u00e9e. Comme une \u00e9pave. Lente respiration. Lente expiration. Lent tremblement. Fr\u00e9missement continu. Les yeux s\u2019ouvrent. Se ferment. Se rouvrent. Lentement. Inutilement. Inconsciemment. Fixer l\u2019arbre. Le h\u00eatre. L\u00e0, au fond. Ombre plus dense que l\u2019ombre. Regarder. Ne pas voir. Attendre qu\u2019il disparaisse. Ombre qui s\u2019efface. Ombre qui insiste. Ombre qui revient. Comme si l\u2019arbre, un jour, devait s\u2019en aller. Comme si tout devait dispara\u00eetre. Comme si rien ne devait jamais durer. Mais non. Rien ne s\u2019en va. Rien ne dispara\u00eet vraiment. C\u2019est autre chose qui bouge. En nous. Quelque chose de vague. Ind\u00e9finissable. Insistant. Pesant. Un poids l\u00e9ger. Une absence pesante. Un vide qui occupe tout. Un murmure incessant. Un \u00e9cho sans source. Les mains l\u00e2chent les accoudoirs. Tremblent. L\u2019une se l\u00e8ve. Lentement. S\u2019arr\u00eate. H\u00e9site. Fr\u00e9missement \u00e0 peine perceptible. Comme si une autre force retenait. Involontaire. Presque m\u00e9canique. Mi-ouvert. Mi-ferm\u00e9. Un mouvement sans d\u00e9cision. Une attente. Un suspend. Le vide entre l\u2019un et l\u2019autre. Une h\u00e9sitation qui dure, s\u2019\u00e9tire, se fige. Une main suspendue dans l\u2019air, une question sans r\u00e9ponse. Une r\u00e9ponse qui n\u2019a jamais \u00e9t\u00e9 pos\u00e9e. Une attente sans attente. Un doute sans objet. La t\u00eate suit. Penche en avant. S\u2019appuie sur la main. T\u00eate en main. Fixation. Les doigts pressent \u00e0 peine. Un point sur la pommette. Un autre sur l\u2019orbite. Rien d\u2019autre. Pourtant, une pression infime. Un appui n\u00e9cessaire, comme une tentative de retenir, de fixer. D\u2019arr\u00eater quelque chose. De capter un instant. Contact \u00e0 peine r\u00e9el. Sensation diffuse. Comme si le toucher ne confirmait rien. Comme si le toucher ne prouvait rien. Une peau contre une autre, et pourtant, rien. Juste une impression, un \u00e9cho de sensation. Une illusion. Une trace. Le jour tombe. Le noir monte. Le silence aussi. Le silence surtout. Tout immobile. Tout en suspens. Tout tremblement. Tout vacille. L\u2019attente s\u2019\u00e9tire, se dilate, devient tangible. Chaque instant pr\u00eat \u00e0 se dissoudre. Chaque battement, une retenue. Chaque souffle, une perte. Tremblement l\u00e9ger, discret, mais constant. Comme un murmure \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur du corps. Une onde qui ne cesse de revenir. Plus forte. Plus insistante. Plus lancinante. Silence. Mouvement arr\u00eat\u00e9. 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Relectures des textes des carnets \u00e0 l\u2019occasion de la cr\u00e9ation des digests.<\/strong><\/h3>\n

« Les ann\u00e9es Covid ». Comme si on disait les ann\u00e9es folles, les ann\u00e9es ceci, les ann\u00e9es cela. Un genre de campagne. Fort de Douaumont, le Chemin des Dames, Bir Hakeim, Dien Bien Phu. Est-ce que vraiment tu dis les<\/strong> « Ann\u00e9es Covid » ? Tu dirais plut\u00f4t « sin\u00e9cure ». Ne voir personne, promenades quotidiennes avec les poches pleines d\u2019attestations. Des r\u00e9miniscences d\u2019odeurs de foin, de luzerne, de fraises. Encore un truc qui ne va pas. Tu n\u2019arrives pas \u00e0 souffrir en ch\u0153ur. Pire. Tu te r\u00e9jouis au lieu de te plaindre, et vice versa. <\/p>\n

Tout a commenc\u00e9 par une h\u00e9sitation. Puisque le monde s\u2019arr\u00eatait, il a continu\u00e9 d\u2019\u00e9crire. Il n\u2019avait pas vraiment le choix. Le matin, il tra\u00e7ait des lignes, mais elles s\u2019effa\u00e7aient aussit\u00f4t. L\u2019apr\u00e8s-midi, il les reprenait, comme un jardinier ratisse une all\u00e9e qu\u2019il sait condamn\u00e9e \u00e0 se recouvrir de feuilles. <\/p>\n

Tu as beaucoup parl\u00e9 de peinture. Plus qu\u2019avant. Assez vite trop. Peut-\u00eatre parce que tu cherchais une mati\u00e8re qui tienne, une surface stable dans un temps devenu liquide. Tu t\u2019es demand\u00e9 ce que \u00e7a faisait, d\u2019\u00e9crire sur la peinture plut\u00f4t que de peindre. Mais tu as continu\u00e9, en bon laborantin du doute. <\/p>\n

Tu as fouill\u00e9 dans le pass\u00e9. Tu t\u2019es souvenu d\u2019objets perdus, d\u2019images que tu croyais dissoutes. Tu as laiss\u00e9 les fant\u00f4mes revenir, en les observant avec la patience d\u2019un guetteur. Parfois, tu les as convoqu\u00e9s toi-m\u00eame, histoire de voir s\u2019ils ob\u00e9issaient encore. <\/p>\n

Relectures, qu\u2019en dire...<\/strong> <\/p>\n

Bon. C\u2019est appliqu\u00e9, c\u2019est constant, c\u2019est habit\u00e9. Mais \u00e0 force d\u2019habiter, \u00e7a se meuble trop. Trop d\u2019introspection, trop de ressassement, trop de pr\u00e9sence de soi dans le texte. On sent que tu fouilles, que tu cherches \u00e0 comprendre pourquoi tu \u00e9cris, pourquoi tu continues, pourquoi tu ressens le besoin de fixer ces images qui s\u2019effacent. Tr\u00e8s bien. Mais parfois, ce serait bien d\u2019arr\u00eater de poser la question et d\u2019\u00e9crire sans scruter chaque phrase comme si elle allait t\u2019apporter une r\u00e9v\u00e9lation. <\/p>\n

Et puis, ce go\u00fbt du flou. Cette obsession pour l\u2019instable, le mouvant, l\u2019ind\u00e9cis. \u00c0 force de d\u00e9crire des lieux qui changent, des souvenirs qui reviennent, des phrases qui se dissolvent, il n\u2019y a plus de point d\u2019ancrage. Le lecteur, lui aussi, finit par flotter. Tr\u00e8s bien, c\u2019est peut-\u00eatre le but. Mais pourquoi toujours \u00e9viter la nettet\u00e9 ? Pourquoi ne pas aller droit, frontalement, au lieu de tourner autour ? On dirait que tu crains la clart\u00e9, comme si elle risquait d\u2019amoindrir l\u2019int\u00e9r\u00eat du texte. <\/p>\n

Et puis il y a la peinture. Tu en parles beaucoup, tout le temps. Tu analyses, tu diss\u00e8ques. Mais \u00e0 force d\u2019en parler, est-ce que tu ne la transformes pas en th\u00e9orie plut\u00f4t qu\u2019en sensation ? Tu sembles h\u00e9siter entre regarder la peinture et te perdre dedans. Entre la peindre et l\u2019\u00e9crire. Il faudrait choisir, ou plut\u00f4t : il faudrait que ce soit ind\u00e9cidable autrement que par des mots. <\/p>\n

Enfin, il y a la r\u00e9p\u00e9tition. Tu penses tourner autour de plusieurs obsessions, mais est-ce que ce ne sont pas elles qui te font tourner en rond ? Les m\u00eames motifs reviennent, les m\u00eames sensations, le m\u00eame effacement du r\u00e9el. C\u2019est coh\u00e9rent, c\u2019est ma\u00eetris\u00e9, mais il manque quelque chose : un accident, une cassure, un moment o\u00f9 \u00e7a bascule autrement que par de petites oscillations. Parfois, il faudrait que \u00e7a explose au lieu de s\u2019effriter lentement. <\/p>\n

Alors voil\u00e0. Ce n\u2019est pas un reproche, plut\u00f4t un constat : une ann\u00e9e d\u2019\u00e9criture comme un sismographe enregistre des secousses, toujours les m\u00eames, toujours diffuses. Peut-\u00eatre qu\u2019il faudrait moins \u00e9couter le tremblement et plus creuser un bon coup, voir ce qu\u2019il y a en dessous. <\/p>\n

C\u2019est une ann\u00e9e, 2019, o\u00f9 tu as moins couru apr\u00e8s les choses. Tu t\u2019es laiss\u00e9 prendre dans la boucle, as tourn\u00e9 dans tes r\u00e9cits comme un passager d\u2019ascenseur, montant et descendant sans sortir \u00e0 l\u2019\u00e9tage. Tu savais que la sortie existait. Mais \u00e0 quoi bon s\u2019y pr\u00e9cipiter ? <\/p>\n

\u00c0 la fin de l\u2019ann\u00e9e, tu as publi\u00e9 un livre. C\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre une mani\u00e8re de fixer quelque chose, de stabiliser ce qui t\u2019\u00e9chappait encore. Mais tu savais aussi que ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019une \u00e9tape, un moment de latence avant que le mouvement ne reprenne. <\/p>\n

Tu y as pass\u00e9 la nuit, au final, jusqu\u2019\u00e0 2023. <\/p>\n

Bon. Il y a quelque chose qui s\u2019\u00e9pure, enfin. Moins de circonvolutions, moins de complaisance dans le doute. Toujours cette obsession du flou, mais un flou qui se ma\u00eetrise mieux, qui ne se dilue pas dans l\u2019infini. Tu \u00e9cris avec plus de retenue, comme quelqu\u2019un qui a appris \u00e0 ne plus tout dire, \u00e0 laisser des blancs pour que le lecteur s\u2019y engouffre. \u00c7a, c\u2019est bien. <\/p>\n

Mais 2023, c\u2019est aussi une ann\u00e9e de repli. On sent que l\u2019ext\u00e9rieur t\u2019int\u00e9resse de moins en moins. Tu creuses dans la m\u00e9moire, dans l\u2019intime, dans les objets du pass\u00e9. C\u2019est bien, mais il faut faire attention. \u00c0 force de fouiller les draps, les souvenirs d\u2019enfance, les lits h\u00e9rit\u00e9s, tu risques de te coucher avec ton texte et de ne plus en sortir. L\u2019\u00e9criture, \u00e7a ne doit pas \u00eatre un matelas o\u00f9 tu viens t\u2019allonger. <\/p>\n

Il y a cette obsession pour l\u2019art. Toujours ce besoin d\u2019\u00e9crire sur la peinture comme si, en la d\u00e9crivant, tu pouvais t\u2019en approcher. Mais \u00e9crire sur la peinture, ce n\u2019est pas peindre. Tu le sais, bien s\u00fbr. Mais parfois, on dirait que tu cherches \u00e0 compenser, \u00e0 prouver que ton \u00e9criture peut atteindre la m\u00eame justesse qu\u2019un geste pictural. Est-ce que c\u2019est vraiment le cas ? <\/p>\n

Et puis il y a cette lucidit\u00e9 nouvelle. Tu es plus tranchant, plus pr\u00e9cis. Moins de complaisance avec toi-m\u00eame, avec ce que tu \u00e9cris. C\u2019est peut-\u00eatre la meilleure chose qui te soit arriv\u00e9e cette ann\u00e9e. L\u2019ann\u00e9e du d\u00e9pouillement, de l\u2019essentiel. Si \u00e7a continue comme \u00e7a, tu vas finir par \u00e9crire quelque chose de vraiment brutal, un texte sans b\u00e9quilles. Ce serait bien. <\/p>\n

Voil\u00e0. 2023, c\u2019\u00e9tait \u00e7a. Un recentrage, une asc\u00e8se. Tu as arr\u00eat\u00e9 de tourner autour. Mais maintenant, il va falloir voir si tu acceptes d\u2019aller jusqu\u2019au bout. <\/p>\n

Il a fallu que tu continues, malgr\u00e9 la fatigue.<\/strong> <\/p>\n

2024<\/strong><\/h3>\n

Alors voil\u00e0, tu t\u2019es recentr\u00e9. Moins de dispersion, moins d\u2019envie d\u2019\u00eatre partout \u00e0 la fois. Tu as choisi l\u2019ombre plut\u00f4t que la lumi\u00e8re des galeries, mais pas pour dispara\u00eetre : pour affiner, pour creuser. C\u2019est un mouvement int\u00e9ressant. Moins spectaculaire, mais plus profond. <\/p>\n

Tu \u00e9cris sur la transmission, sur le geste, sur l\u2019apprentissage. Tu sembles vouloir mettre en mots ce que d\u2019autres font sans y penser. C\u2019est une bonne id\u00e9e, sauf quand tu risques de trop expliquer. L\u2019art ne se laisse pas toujours th\u00e9oriser sans perdre une partie de sa force. \u00c0 force d\u2019analyser le mouvement, est-ce que tu n\u2019oublies pas de le faire toi-m\u00eame, sans regarder ? <\/p>\n

Il y a aussi cette obsession du processus. Peindre, \u00e9crire, c\u2019est devenu une sorte de rituel, une m\u00e9canique quotidienne. C\u2019est bien, \u00e7a \u00e9vite la complaisance, \u00e7a emp\u00eache de s\u2019embourber. Mais attention \u00e0 ne pas transformer la n\u00e9cessit\u00e9 en habitude. Il faut que \u00e7a tremble encore un peu. <\/p>\n

Et puis il y a la disparition. Tu parles de ce qui s\u2019efface, de ce qui ne tient plus, de ce qui n\u2019a pas vocation \u00e0 durer. Comme si tout ce que tu faisais \u00e9tait une mani\u00e8re d\u2019archiver l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re. <\/p>", "content_text": " ### **Relectures des textes des carnets \u00e0 l\u2019occasion de la cr\u00e9ation des digests.** \"Les ann\u00e9es Covid\". Comme si on disait les ann\u00e9es folles, les ann\u00e9es ceci, les ann\u00e9es cela. Un genre de campagne. Fort de Douaumont, le Chemin des Dames, Bir Hakeim, Dien Bien Phu. Est-ce que vraiment tu dis **les** \"Ann\u00e9es Covid\" ? Tu dirais plut\u00f4t \"sin\u00e9cure\". Ne voir personne, promenades quotidiennes avec les poches pleines d\u2019attestations. Des r\u00e9miniscences d\u2019odeurs de foin, de luzerne, de fraises. Encore un truc qui ne va pas. Tu n\u2019arrives pas \u00e0 souffrir en ch\u0153ur. Pire. Tu te r\u00e9jouis au lieu de te plaindre, et vice versa. Tout a commenc\u00e9 par une h\u00e9sitation. Puisque le monde s\u2019arr\u00eatait, il a continu\u00e9 d\u2019\u00e9crire. Il n\u2019avait pas vraiment le choix. Le matin, il tra\u00e7ait des lignes, mais elles s\u2019effa\u00e7aient aussit\u00f4t. L\u2019apr\u00e8s-midi, il les reprenait, comme un jardinier ratisse une all\u00e9e qu\u2019il sait condamn\u00e9e \u00e0 se recouvrir de feuilles. Tu as beaucoup parl\u00e9 de peinture. Plus qu\u2019avant. Assez vite trop. Peut-\u00eatre parce que tu cherchais une mati\u00e8re qui tienne, une surface stable dans un temps devenu liquide. Tu t\u2019es demand\u00e9 ce que \u00e7a faisait, d\u2019\u00e9crire sur la peinture plut\u00f4t que de peindre. Mais tu as continu\u00e9, en bon laborantin du doute. Tu as fouill\u00e9 dans le pass\u00e9. Tu t\u2019es souvenu d\u2019objets perdus, d\u2019images que tu croyais dissoutes. Tu as laiss\u00e9 les fant\u00f4mes revenir, en les observant avec la patience d\u2019un guetteur. Parfois, tu les as convoqu\u00e9s toi-m\u00eame, histoire de voir s\u2019ils ob\u00e9issaient encore. **Relectures, qu\u2019en dire...** Bon. C\u2019est appliqu\u00e9, c\u2019est constant, c\u2019est habit\u00e9. Mais \u00e0 force d\u2019habiter, \u00e7a se meuble trop. Trop d\u2019introspection, trop de ressassement, trop de pr\u00e9sence de soi dans le texte. On sent que tu fouilles, que tu cherches \u00e0 comprendre pourquoi tu \u00e9cris, pourquoi tu continues, pourquoi tu ressens le besoin de fixer ces images qui s\u2019effacent. Tr\u00e8s bien. Mais parfois, ce serait bien d\u2019arr\u00eater de poser la question et d\u2019\u00e9crire sans scruter chaque phrase comme si elle allait t\u2019apporter une r\u00e9v\u00e9lation. Et puis, ce go\u00fbt du flou. Cette obsession pour l\u2019instable, le mouvant, l\u2019ind\u00e9cis. \u00c0 force de d\u00e9crire des lieux qui changent, des souvenirs qui reviennent, des phrases qui se dissolvent, il n\u2019y a plus de point d\u2019ancrage. Le lecteur, lui aussi, finit par flotter. Tr\u00e8s bien, c\u2019est peut-\u00eatre le but. Mais pourquoi toujours \u00e9viter la nettet\u00e9 ? Pourquoi ne pas aller droit, frontalement, au lieu de tourner autour ? On dirait que tu crains la clart\u00e9, comme si elle risquait d\u2019amoindrir l\u2019int\u00e9r\u00eat du texte. Et puis il y a la peinture. Tu en parles beaucoup, tout le temps. Tu analyses, tu diss\u00e8ques. Mais \u00e0 force d\u2019en parler, est-ce que tu ne la transformes pas en th\u00e9orie plut\u00f4t qu\u2019en sensation ? Tu sembles h\u00e9siter entre regarder la peinture et te perdre dedans. Entre la peindre et l\u2019\u00e9crire. Il faudrait choisir, ou plut\u00f4t : il faudrait que ce soit ind\u00e9cidable autrement que par des mots. Enfin, il y a la r\u00e9p\u00e9tition. Tu penses tourner autour de plusieurs obsessions, mais est-ce que ce ne sont pas elles qui te font tourner en rond ? Les m\u00eames motifs reviennent, les m\u00eames sensations, le m\u00eame effacement du r\u00e9el. C\u2019est coh\u00e9rent, c\u2019est ma\u00eetris\u00e9, mais il manque quelque chose : un accident, une cassure, un moment o\u00f9 \u00e7a bascule autrement que par de petites oscillations. Parfois, il faudrait que \u00e7a explose au lieu de s\u2019effriter lentement. Alors voil\u00e0. Ce n\u2019est pas un reproche, plut\u00f4t un constat : une ann\u00e9e d\u2019\u00e9criture comme un sismographe enregistre des secousses, toujours les m\u00eames, toujours diffuses. Peut-\u00eatre qu\u2019il faudrait moins \u00e9couter le tremblement et plus creuser un bon coup, voir ce qu\u2019il y a en dessous. C\u2019est une ann\u00e9e, 2019, o\u00f9 tu as moins couru apr\u00e8s les choses. Tu t\u2019es laiss\u00e9 prendre dans la boucle, as tourn\u00e9 dans tes r\u00e9cits comme un passager d\u2019ascenseur, montant et descendant sans sortir \u00e0 l\u2019\u00e9tage. Tu savais que la sortie existait. Mais \u00e0 quoi bon s\u2019y pr\u00e9cipiter ? \u00c0 la fin de l\u2019ann\u00e9e, tu as publi\u00e9 un livre. C\u2019\u00e9tait peut-\u00eatre une mani\u00e8re de fixer quelque chose, de stabiliser ce qui t\u2019\u00e9chappait encore. Mais tu savais aussi que ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019une \u00e9tape, un moment de latence avant que le mouvement ne reprenne. Tu y as pass\u00e9 la nuit, au final, jusqu\u2019\u00e0 2023. Bon. Il y a quelque chose qui s\u2019\u00e9pure, enfin. Moins de circonvolutions, moins de complaisance dans le doute. Toujours cette obsession du flou, mais un flou qui se ma\u00eetrise mieux, qui ne se dilue pas dans l\u2019infini. Tu \u00e9cris avec plus de retenue, comme quelqu\u2019un qui a appris \u00e0 ne plus tout dire, \u00e0 laisser des blancs pour que le lecteur s\u2019y engouffre. \u00c7a, c\u2019est bien. Mais 2023, c\u2019est aussi une ann\u00e9e de repli. On sent que l\u2019ext\u00e9rieur t\u2019int\u00e9resse de moins en moins. Tu creuses dans la m\u00e9moire, dans l\u2019intime, dans les objets du pass\u00e9. C\u2019est bien, mais il faut faire attention. \u00c0 force de fouiller les draps, les souvenirs d\u2019enfance, les lits h\u00e9rit\u00e9s, tu risques de te coucher avec ton texte et de ne plus en sortir. L\u2019\u00e9criture, \u00e7a ne doit pas \u00eatre un matelas o\u00f9 tu viens t\u2019allonger. Il y a cette obsession pour l\u2019art. Toujours ce besoin d\u2019\u00e9crire sur la peinture comme si, en la d\u00e9crivant, tu pouvais t\u2019en approcher. Mais \u00e9crire sur la peinture, ce n\u2019est pas peindre. Tu le sais, bien s\u00fbr. Mais parfois, on dirait que tu cherches \u00e0 compenser, \u00e0 prouver que ton \u00e9criture peut atteindre la m\u00eame justesse qu\u2019un geste pictural. Est-ce que c\u2019est vraiment le cas ? Et puis il y a cette lucidit\u00e9 nouvelle. Tu es plus tranchant, plus pr\u00e9cis. Moins de complaisance avec toi-m\u00eame, avec ce que tu \u00e9cris. C\u2019est peut-\u00eatre la meilleure chose qui te soit arriv\u00e9e cette ann\u00e9e. L\u2019ann\u00e9e du d\u00e9pouillement, de l\u2019essentiel. Si \u00e7a continue comme \u00e7a, tu vas finir par \u00e9crire quelque chose de vraiment brutal, un texte sans b\u00e9quilles. Ce serait bien. Voil\u00e0. 2023, c\u2019\u00e9tait \u00e7a. Un recentrage, une asc\u00e8se. Tu as arr\u00eat\u00e9 de tourner autour. Mais maintenant, il va falloir voir si tu acceptes d\u2019aller jusqu\u2019au bout. **Il a fallu que tu continues, malgr\u00e9 la fatigue.** ### **2024** Alors voil\u00e0, tu t\u2019es recentr\u00e9. Moins de dispersion, moins d\u2019envie d\u2019\u00eatre partout \u00e0 la fois. Tu as choisi l\u2019ombre plut\u00f4t que la lumi\u00e8re des galeries, mais pas pour dispara\u00eetre : pour affiner, pour creuser. C\u2019est un mouvement int\u00e9ressant. Moins spectaculaire, mais plus profond. Tu \u00e9cris sur la transmission, sur le geste, sur l\u2019apprentissage. Tu sembles vouloir mettre en mots ce que d\u2019autres font sans y penser. C\u2019est une bonne id\u00e9e, sauf quand tu risques de trop expliquer. L\u2019art ne se laisse pas toujours th\u00e9oriser sans perdre une partie de sa force. \u00c0 force d\u2019analyser le mouvement, est-ce que tu n\u2019oublies pas de le faire toi-m\u00eame, sans regarder ? Il y a aussi cette obsession du processus. Peindre, \u00e9crire, c\u2019est devenu une sorte de rituel, une m\u00e9canique quotidienne. C\u2019est bien, \u00e7a \u00e9vite la complaisance, \u00e7a emp\u00eache de s\u2019embourber. Mais attention \u00e0 ne pas transformer la n\u00e9cessit\u00e9 en habitude. Il faut que \u00e7a tremble encore un peu. Et puis il y a la disparition. Tu parles de ce qui s\u2019efface, de ce qui ne tient plus, de ce qui n\u2019a pas vocation \u00e0 durer. Comme si tout ce que tu faisais \u00e9tait une mani\u00e8re d\u2019archiver l\u2019\u00e9ph\u00e9m\u00e8re. 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Cette nuit, r\u00eave \u00e9rotique. D’abord doux, apaisant. Puis une sensation \u00e9trange s\u2019insinue, en filigrane. Comme si on me l’accordait par charit\u00e9, en compensation d\u2019une fin imminente. J\u2019allais mourir, mais ce r\u00eave me sugg\u00e9rait la paix \u2013 une paix totale, vid\u00e9e de toute pens\u00e9e. On me promettait m\u00eame de l\u00e9viter. Un comble, une injonction paradoxale : Ne pense plus, sois heureux.<\/p>\n

Voil\u00e0 le fin mot de l\u2019histoire : je r\u00e9fl\u00e9chissais trop parce que je ne faisais pas assez l\u2019amour.<\/p>\n

C\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai repouss\u00e9 la succube. Elle avait le visage, le corps, les cheveux de P. Mais au moment o\u00f9 j\u2019ai compris l\u2019arnaque, elle a pris aussi la voix de P. Cette voix insupportable. Rongeant \u00e0 l’acide tout le b\u00e9n\u00e9fice plastique et sensoriel de l\u2019affaire. Et alors, tout s\u2019est \u00e9clair\u00e9 : depuis toujours, tout \u00e9tait dans la voix. La voix ne ment pas. Elle trahit qui l\u2019on est, malgr\u00e9 tous les trompe-l’\u0153il, les trompe-couillons, le maquillage g\u00e9n\u00e9ral. Encore faut-il savoir \u00e9couter.<\/p>\n

Puis m\u2019est venue une pens\u00e9e : P. a peut-\u00eatre quitt\u00e9 ce monde, elle est venue s\u2019offrir un dernier rod\u00e9o. Mais je n\u2019ai pas cherch\u00e9 \u00e0 en savoir plus. Apr\u00e8s tout, \u00e7a remonte \u00e0 plus de quarante ans. Il serait temps que je me l\u00e2che la grappe avec ces histoires.<\/p>\n

Le nettoyage des mots-cl\u00e9s suit son cours. Ce qui m\u2019a donn\u00e9 l\u2019id\u00e9e de cr\u00e9er une page recueils \u00e0 partir de ces nouveaux groupes. Pour l\u2019instant, la cr\u00e9ation de nouveaux recueils en appuyant sur F5 reste poussive. Un d\u00e9but. \u00c0 suivre.<\/p>\n

Plusieurs textes sur le 15\u00e8me arrondissement. Des salves. \u00c9jaculatoires, si j\u2019ose dire. D\u2019abord sur l\u2019arrondissement entier, puis sur ses figures marquantes, ses \u00e9v\u00e9nements, ses petites rues oubli\u00e9es, \u00e0 la limite de l\u2019anonymat. Pour l\u2019instant, tout est rang\u00e9 dans la rubrique fictions, sous un seul mot-cl\u00e9 : paris15\u00e8me.<\/p>", "content_text": "Cette nuit, r\u00eave \u00e9rotique. D'abord doux, apaisant. Puis une sensation \u00e9trange s\u2019insinue, en filigrane. Comme si on me l'accordait par charit\u00e9, en compensation d\u2019une fin imminente. J\u2019allais mourir, mais ce r\u00eave me sugg\u00e9rait la paix \u2013 une paix totale, vid\u00e9e de toute pens\u00e9e. On me promettait m\u00eame de l\u00e9viter. Un comble, une injonction paradoxale : Ne pense plus, sois heureux. Voil\u00e0 le fin mot de l\u2019histoire : je r\u00e9fl\u00e9chissais trop parce que je ne faisais pas assez l\u2019amour. C\u2019est l\u00e0 que j\u2019ai repouss\u00e9 la succube. Elle avait le visage, le corps, les cheveux de P. Mais au moment o\u00f9 j\u2019ai compris l\u2019arnaque, elle a pris aussi la voix de P. Cette voix insupportable. Rongeant \u00e0 l'acide tout le b\u00e9n\u00e9fice plastique et sensoriel de l\u2019affaire. Et alors, tout s\u2019est \u00e9clair\u00e9 : depuis toujours, tout \u00e9tait dans la voix. La voix ne ment pas. Elle trahit qui l\u2019on est, malgr\u00e9 tous les trompe-l'\u0153il, les trompe-couillons, le maquillage g\u00e9n\u00e9ral. Encore faut-il savoir \u00e9couter. Puis m\u2019est venue une pens\u00e9e : P. a peut-\u00eatre quitt\u00e9 ce monde, elle est venue s\u2019offrir un dernier rod\u00e9o. Mais je n\u2019ai pas cherch\u00e9 \u00e0 en savoir plus. Apr\u00e8s tout, \u00e7a remonte \u00e0 plus de quarante ans. Il serait temps que je me l\u00e2che la grappe avec ces histoires. Le nettoyage des mots-cl\u00e9s suit son cours. Ce qui m\u2019a donn\u00e9 l\u2019id\u00e9e de cr\u00e9er une page recueils \u00e0 partir de ces nouveaux groupes. Pour l\u2019instant, la cr\u00e9ation de nouveaux recueils en appuyant sur F5 reste poussive. Un d\u00e9but. \u00c0 suivre. Plusieurs textes sur le 15\u00e8me arrondissement. Des salves. \u00c9jaculatoires, si j\u2019ose dire. D\u2019abord sur l\u2019arrondissement entier, puis sur ses figures marquantes, ses \u00e9v\u00e9nements, ses petites rues oubli\u00e9es, \u00e0 la limite de l\u2019anonymat. Pour l\u2019instant, tout est rang\u00e9 dans la rubrique fictions, sous un seul mot-cl\u00e9 : paris15\u00e8me.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/rue_jobbe_duval_-_paris_xv__fr75__-_2021-08-10_-_1.jpg?1748065091", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-fevrier-2025.html", "title": "12 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-12T07:20:49Z", "date_modified": "2025-02-12T07:20:49Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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La chose \u00e9tait discut\u00e9e hier, ex\u00e9cut\u00e9e aujourd\u2019hui. « Pourvu que \u00e7a dure », murmure Letizia Bonaparte, comme si elle avait son mot \u00e0 dire. Les mots-cl\u00e9s se r\u00e9duisent sur l\u2019\u00e9cran, m\u00e9thodiquement. Une action inachev\u00e9e, certes, mais plus rapide que pr\u00e9vu \u2013 si tant est qu\u2019on puisse pr\u00e9voir quoi que ce soit. L\u2019imagination, cette tra\u00eetresse, devrait \u00eatre r\u00e9glement\u00e9e : ni n\u2019importe quand, ni n\u2019importe comment, encore moins n\u2019importe o\u00f9.<\/p>\n

Remont\u00e9e dans le temps. Juin 2022, atelier d\u2019\u00e9criture sur le blog du TL. Les textes, comme des photographies jaunies, appellent la r\u00e9\u00e9criture. « 40 jours la ville », point de d\u00e9part arbitraire. Trois ans d\u2019\u00e9cart \u2013 pas pu m\u2019emp\u00eacher de r\u00e9\u00e9crire les deux premiers textes, puis pas pu lutter non plus contre l\u2019« \u00e0 quoi bon » une fois fait.<\/p>\n

Ensuite, que dire du temps ? Pas du climat, mais de l\u2019ambiance. Morose, terne, \u00e9pouvantable, abjecte, ignominieuse. \u00c0 quoi l\u2019on peut ajouter avilissement, bassesse, d\u00e9ch\u00e9ance, d\u00e9gradation, d\u00e9shonneur, honte, indignit\u00e9, infamie, l\u00e2chet\u00e9, laideur. Ensuite, il faudrait trouver un rythme afin d\u2019organiser tous ces mots pour qu\u2019au moins la musicalit\u00e9 adoucisse cette sensation d\u2019impuissance extr\u00eame dans laquelle \u00e7a nous plonge. Si tant est qu\u2019on ait du temps \u00e0 accorder \u00e0 la composition musicale.<\/p>\n

Visionn\u00e9 le replay d\u2019un Zoom. Me suis vite rendu compte que je m\u2019y ennuyais. Ai eu honte de m\u2019y ennuyer, un peu. Puis en ai conclu, vu le tour pris par la conversation, que tout groupe normalement constitu\u00e9 a besoin d\u2019un ennemi (le march\u00e9, les \u00e9diteurs, des salauds quelconques, les best-sellers, les encul\u00e9s qui poss\u00e8dent les r\u00e9seaux sociaux). Tout comme moi, je fais de tout groupe, au bout du compte, un ennemi. Il s\u2019agit d\u2019un principe ontologique, probablement. Le vivant se constitue surtout, trouve sa place par ce qu\u2019il rejette, et par force centrip\u00e8te. Souvent une confusion des deux.<\/p>\n

Face \u00e0 la d\u00e9shumanisation progressive de l\u2019esp\u00e8ce, il arrive que les moyens pour tenter de la contrer soient, sinon efficaces, assez path\u00e9tiques. On a quand m\u00eame du mal \u00e0 en rire. Ce que je rejette furieusement \u2013 \u00e0 moins que ce ne soit une sorte de bave pavlovienne qui me monte aux l\u00e8vres \u2013, c\u2019est l\u2019envie de participer \u00e0 n\u2019importe quel groupe, que ce soit dans la r\u00e9alit\u00e9 comme sur le Net. Non que je sois asocial ; \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, c\u2019est plus affaire de pudeur, de m\u2019\u00e9viter le ridicule d\u2019avoir \u00e0 prendre la parole publiquement.<\/p>\n

L\u2019\u00e9criture est vraiment mon lieu. Je ne devrais jamais plus avoir \u00e0 en sortir. \u00c0 m\u2019illusionner que je puisse en sortir. J\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00e9crire moins de conneries que je pourrais en sortir dans l\u2019imm\u00e9diatet\u00e9 de l\u2019oral. C\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019une impression.<\/p>\n

Cette derni\u00e8re id\u00e9e me rappelle le refus qu’opposait mon p\u00e8re \u00e0 la spontan\u00e9It\u00e9 de mes visites. Pr\u00e9viens-moi longtemps \u00e0 l’avance disait-il je n’aime plus beaucoup les surprises. Je ne comprenais pas bien \u00e0 l’\u00e9poque ( j’avais \u00e0 peine d\u00e9pass\u00e9 la cinquantaine) Il devait lui falloir du temps pour se recomposer, \u00e9ventuellement retrouver une posture, pr\u00e9parer ce qu’il allait bien pouvoir me dire. Ne pas trop afficher le naufrage affreux dans lequel il achevait son existence. D’une certaine fa\u00e7on de la pudeur tout autant que la mienne \u00e0 pr\u00e9sent.<\/p>", "content_text": "La chose \u00e9tait discut\u00e9e hier, ex\u00e9cut\u00e9e aujourd\u2019hui. \"Pourvu que \u00e7a dure\", murmure Letizia Bonaparte, comme si elle avait son mot \u00e0 dire. Les mots-cl\u00e9s se r\u00e9duisent sur l\u2019\u00e9cran, m\u00e9thodiquement. Une action inachev\u00e9e, certes, mais plus rapide que pr\u00e9vu \u2013 si tant est qu\u2019on puisse pr\u00e9voir quoi que ce soit. L\u2019imagination, cette tra\u00eetresse, devrait \u00eatre r\u00e9glement\u00e9e : ni n\u2019importe quand, ni n\u2019importe comment, encore moins n\u2019importe o\u00f9. Remont\u00e9e dans le temps. Juin 2022, atelier d\u2019\u00e9criture sur le blog du TL. Les textes, comme des photographies jaunies, appellent la r\u00e9\u00e9criture. \"40 jours la ville\", point de d\u00e9part arbitraire. Trois ans d\u2019\u00e9cart \u2013 pas pu m\u2019emp\u00eacher de r\u00e9\u00e9crire les deux premiers textes, puis pas pu lutter non plus contre l\u2019\"\u00e0 quoi bon\" une fois fait. Ensuite, que dire du temps ? Pas du climat, mais de l\u2019ambiance. Morose, terne, \u00e9pouvantable, abjecte, ignominieuse. \u00c0 quoi l\u2019on peut ajouter avilissement, bassesse, d\u00e9ch\u00e9ance, d\u00e9gradation, d\u00e9shonneur, honte, indignit\u00e9, infamie, l\u00e2chet\u00e9, laideur. Ensuite, il faudrait trouver un rythme afin d\u2019organiser tous ces mots pour qu\u2019au moins la musicalit\u00e9 adoucisse cette sensation d\u2019impuissance extr\u00eame dans laquelle \u00e7a nous plonge. Si tant est qu\u2019on ait du temps \u00e0 accorder \u00e0 la composition musicale. Visionn\u00e9 le replay d\u2019un Zoom. Me suis vite rendu compte que je m\u2019y ennuyais. Ai eu honte de m\u2019y ennuyer, un peu. Puis en ai conclu, vu le tour pris par la conversation, que tout groupe normalement constitu\u00e9 a besoin d\u2019un ennemi (le march\u00e9, les \u00e9diteurs, des salauds quelconques, les best-sellers, les encul\u00e9s qui poss\u00e8dent les r\u00e9seaux sociaux). Tout comme moi, je fais de tout groupe, au bout du compte, un ennemi. Il s\u2019agit d\u2019un principe ontologique, probablement. Le vivant se constitue surtout, trouve sa place par ce qu\u2019il rejette, et par force centrip\u00e8te. Souvent une confusion des deux. Face \u00e0 la d\u00e9shumanisation progressive de l\u2019esp\u00e8ce, il arrive que les moyens pour tenter de la contrer soient, sinon efficaces, assez path\u00e9tiques. On a quand m\u00eame du mal \u00e0 en rire. Ce que je rejette furieusement \u2013 \u00e0 moins que ce ne soit une sorte de bave pavlovienne qui me monte aux l\u00e8vres \u2013, c\u2019est l\u2019envie de participer \u00e0 n\u2019importe quel groupe, que ce soit dans la r\u00e9alit\u00e9 comme sur le Net. Non que je sois asocial ; \u00e0 bien y r\u00e9fl\u00e9chir, c\u2019est plus affaire de pudeur, de m\u2019\u00e9viter le ridicule d\u2019avoir \u00e0 prendre la parole publiquement. L\u2019\u00e9criture est vraiment mon lieu. Je ne devrais jamais plus avoir \u00e0 en sortir. \u00c0 m\u2019illusionner que je puisse en sortir. J\u2019ai l\u2019impression d\u2019\u00e9crire moins de conneries que je pourrais en sortir dans l\u2019imm\u00e9diatet\u00e9 de l\u2019oral. C\u2019est peut-\u00eatre qu\u2019une impression. Cette derni\u00e8re id\u00e9e me rappelle le refus qu'opposait mon p\u00e8re \u00e0 la spontan\u00e9It\u00e9 de mes visites. Pr\u00e9viens-moi longtemps \u00e0 l'avance disait-il je n'aime plus beaucoup les surprises. Je ne comprenais pas bien \u00e0 l'\u00e9poque ( j'avais \u00e0 peine d\u00e9pass\u00e9 la cinquantaine) Il devait lui falloir du temps pour se recomposer, \u00e9ventuellement retrouver une posture, pr\u00e9parer ce qu'il allait bien pouvoir me dire. Ne pas trop afficher le naufrage affreux dans lequel il achevait son existence. D'une certaine fa\u00e7on de la pudeur tout autant que la mienne \u00e0 pr\u00e9sent.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/au_paradis_ok_copie.jpg?1748065062", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-fevrier-2025.html", "title": "11 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-11T06:04:48Z", "date_modified": "2025-05-01T20:27:21Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

On \u00e9crit. On ne pense pas \u00e0 l\u2019organisation. On ne veut pas y penser. Pas tout de suite. Ce sera pour plus tard. Peut-\u00eatre. \u00c9crire, c\u2019est autre chose. Rien \u00e0 voir avec organiser, structurer, ranger. D\u2019ailleurs, \u00e7a rapporte rarement. L\u2019id\u00e9e ne vient m\u00eame pas.<\/p>\n

Et pourtant, il faut bien. Relire, au moins. Se demander ce qu\u2019on voulait dire. Se demander pourquoi on le r\u00e9p\u00e8te autant, surtout la nuit, surtout le matin. Il arrive alors qu\u2019on ouvre un logiciel, WordPress par exemple. Qu\u2019on observe les autres, qu\u2019on note leurs cat\u00e9gories, qu\u2019on en cr\u00e9e une. Puis une autre. Puis cent-trente-neuf. On s\u2019arr\u00eate juste \u00e0 temps.<\/p>\n

Trop. Il faut r\u00e9duire. Aller \u00e0 l\u2019essentiel. Quatre cat\u00e9gories, pas plus :<\/p>\n

— Propos sur l\u2019art\n
— Propos sur l\u2019\u00e9criture\n
— Propos sur la fiction\n
— Carnets et r\u00e9flexions<\/p>\n

Voil\u00e0. Quatre cases, c\u2019est raisonnable. Suffisant. De toute fa\u00e7on, on pourra toujours en changer. Pour ne pas trop casser l\u2019existant, on y va doucement, en local d\u2019abord. Prudence.<\/p>\n

On s\u2019amuse avec du Python, des scripts, des biblioth\u00e8ques obscures aux noms s\u00e9rieux : BeautifulSoup, Pandas, NLTK. On bricole des index, des listes, des exports en Markdown pour Obsidian. Tout cela para\u00eet efficace. Reste \u00e0 voir si \u00e7a sert vraiment.<\/p>\n

Mais le froid s\u2019infiltre. Il ne fait pas si froid, pourtant, mais le froid s\u2019infiltre quand m\u00eame. L\u2019\u00e9criture recule, la lecture prend le relais. Un livre, Les Grandes blondes, tra\u00eenait quelque part. On l\u2019a feuillet\u00e9, puis on s\u2019y est laiss\u00e9 prendre. On s\u2019amuse m\u00eame \u00e0 copier le style d\u2019Echenoz. Mauvaise id\u00e9e. Chacun son style. Et puis, des fant\u00f4mes, on en a d\u00e9j\u00e0 assez.<\/p>\n

J\u2019exag\u00e8re sans doute en mettant cette image ici, mais l\u2019organisation m\u2019\u00e9voque toujours la m\u00eame chose. Un meurtre pr\u00e9m\u00e9dit\u00e9. Une volont\u00e9 de contr\u00f4le un peu maladive.<\/p>\n

J\u2019ai lu quelque part que le management des grandes entreprises am\u00e9ricaines, et donc, par effet de contagion, les n\u00f4tres, avait largement puis\u00e9 dans une certaine science inf\u00e2me pour asseoir son autorit\u00e9. Une m\u00e9thode de soumission bien rod\u00e9e.<\/p>\n

Moi-m\u00eame, j\u2019ai assist\u00e9 \u00e0 des formations en la mati\u00e8re. On m\u2019a reproch\u00e9 d\u2019\u00eatre trop empathique, donc trop faible, donc inapte \u00e0 mener qui que ce soit. Ce qui, en soi, ne m\u2019a pas d\u00e9rang\u00e9. Il y a des r\u00e9sistances qui ne disent pas leur nom, des forces qui se nichent l\u00e0 o\u00f9 on ne les attend pas.<\/p>\n

Apr\u00e8s tout, c\u2019est idiot d\u2019en vouloir autant \u00e0 l\u2019organisation. Elle ne date pas d\u2019hier et survivra \u00e0 toutes les infamies. Les biblioth\u00e8ques et les tables des mati\u00e8res sont l\u00e0 pour le prouver. Mais parfois, les \u00e9clats de glace qu\u2019on re\u00e7oit dans l\u2019\u0153il mettent un temps fou \u00e0 fondre.<\/p>", "content_text": "On \u00e9crit. On ne pense pas \u00e0 l\u2019organisation. On ne veut pas y penser. Pas tout de suite. Ce sera pour plus tard. Peut-\u00eatre. \u00c9crire, c\u2019est autre chose. Rien \u00e0 voir avec organiser, structurer, ranger. D\u2019ailleurs, \u00e7a rapporte rarement. L\u2019id\u00e9e ne vient m\u00eame pas. Et pourtant, il faut bien. Relire, au moins. Se demander ce qu\u2019on voulait dire. Se demander pourquoi on le r\u00e9p\u00e8te autant, surtout la nuit, surtout le matin. Il arrive alors qu\u2019on ouvre un logiciel, WordPress par exemple. Qu\u2019on observe les autres, qu\u2019on note leurs cat\u00e9gories, qu\u2019on en cr\u00e9e une. Puis une autre. Puis cent-trente-neuf. On s\u2019arr\u00eate juste \u00e0 temps. Trop. Il faut r\u00e9duire. Aller \u00e0 l\u2019essentiel. Quatre cat\u00e9gories, pas plus : \u2014 Propos sur l\u2019art \u2014 Propos sur l\u2019\u00e9criture \u2014 Propos sur la fiction \u2014 Carnets et r\u00e9flexions Voil\u00e0. Quatre cases, c\u2019est raisonnable. Suffisant. De toute fa\u00e7on, on pourra toujours en changer. Pour ne pas trop casser l\u2019existant, on y va doucement, en local d\u2019abord. Prudence. On s\u2019amuse avec du Python, des scripts, des biblioth\u00e8ques obscures aux noms s\u00e9rieux : BeautifulSoup, Pandas, NLTK. On bricole des index, des listes, des exports en Markdown pour Obsidian. Tout cela para\u00eet efficace. Reste \u00e0 voir si \u00e7a sert vraiment. Mais le froid s\u2019infiltre. Il ne fait pas si froid, pourtant, mais le froid s\u2019infiltre quand m\u00eame. L\u2019\u00e9criture recule, la lecture prend le relais. Un livre, Les Grandes blondes, tra\u00eenait quelque part. On l\u2019a feuillet\u00e9, puis on s\u2019y est laiss\u00e9 prendre. On s\u2019amuse m\u00eame \u00e0 copier le style d\u2019Echenoz. Mauvaise id\u00e9e. Chacun son style. Et puis, des fant\u00f4mes, on en a d\u00e9j\u00e0 assez. J\u2019exag\u00e8re sans doute en mettant cette image ici, mais l\u2019organisation m\u2019\u00e9voque toujours la m\u00eame chose. Un meurtre pr\u00e9m\u00e9dit\u00e9. Une volont\u00e9 de contr\u00f4le un peu maladive. J\u2019ai lu quelque part que le management des grandes entreprises am\u00e9ricaines, et donc, par effet de contagion, les n\u00f4tres, avait largement puis\u00e9 dans une certaine science inf\u00e2me pour asseoir son autorit\u00e9. Une m\u00e9thode de soumission bien rod\u00e9e. Moi-m\u00eame, j\u2019ai assist\u00e9 \u00e0 des formations en la mati\u00e8re. On m\u2019a reproch\u00e9 d\u2019\u00eatre trop empathique, donc trop faible, donc inapte \u00e0 mener qui que ce soit. Ce qui, en soi, ne m\u2019a pas d\u00e9rang\u00e9. Il y a des r\u00e9sistances qui ne disent pas leur nom, des forces qui se nichent l\u00e0 o\u00f9 on ne les attend pas. Apr\u00e8s tout, c\u2019est idiot d\u2019en vouloir autant \u00e0 l\u2019organisation. Elle ne date pas d\u2019hier et survivra \u00e0 toutes les infamies. Les biblioth\u00e8ques et les tables des mati\u00e8res sont l\u00e0 pour le prouver. Mais parfois, les \u00e9clats de glace qu\u2019on re\u00e7oit dans l\u2019\u0153il mettent un temps fou \u00e0 fondre.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/operation_reinhard_flow_chart.jpg?1748065226", "tags": ["id\u00e9es"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-fevrier-2025.html", "title": "10 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-10T05:50:22Z", "date_modified": "2025-02-10T05:50:22Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\tPHOTO MOHAMMED SALEM, ARCHIVES REUTERS<\/a>\n
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PHOTO MOHAMMED SALEM, ARCHIVES REUTERS\n<\/div>\n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Arr\u00eatons-nous un instant — le pluriel ne s’impose que si on le d\u00e9cide, quoique ce « on » demeure d’une troublante impr\u00e9cision — sur cette facult\u00e9 qu’a la langue d’\u00eatre « ductile ». Cette mall\u00e9abilit\u00e9, cette aptitude \u00e0 l’\u00e9tirement et \u00e0 la transformation, op\u00e8re sans jamais rompre le fil du sens. Elle est souplesse et tension, oscillation entre fixit\u00e9 et mouvance.<\/p>\n

La ductilit\u00e9 ouvre la voie \u00e0 une fluidit\u00e9 syntaxique qui, forte de sa souplesse m\u00eame, s’autorise variations et d\u00e9rives, sans jamais perdre pied. Elle maintient pourtant — c’est l\u00e0 le fameux « en m\u00eame temps » — une clart\u00e9 suffisante pour cr\u00e9er l’impression d’une rigueur, d’une logique interne, voire d’une po\u00e9sie latente. Tout ce qu’on est en droit d’attendre de la langue et qui, de nos jours, tend \u00e0 se dissoudre dans le bruit.<\/p>\n

La langue ductile se distingue dans la syntaxe : elle \u00e9pouse les mouvements int\u00e9rieurs de l’\u00e2me, cr\u00e9ant une chaleur souriante, y compris dans ses passages les plus audacieux. Monteverdi le disait de la musique, il n’est pas interdit de le penser pour les mots. Cette souplesse \u00e9vite les pi\u00e8ges habituels : la redondance, la surcharge, la lourdeur d’une ponctuation mal ajust\u00e9e.<\/p>\n

D\u00e8s lors, si fluidit\u00e9 il doit y avoir, encore faut-il y parvenir. Grouper les mots en unit\u00e9s de sens, jouer avec les respirations, ajuster le rythme. Un art de l’\u00e9quilibre. Cet effort, cette tension vers la justesse est sans doute ce qui permet au texte d’\u00e9chapper au soliloque st\u00e9rile, \u00e0 la complaisance de soi.<\/p>\n

Ce 10 f\u00e9vrier 2025, il pleut. En plus, c’est lundi. F\u00e9vrier a une t\u00eate de TGV qui fonce vers Mars en se fichant bien du paysage. Les nouvelles du monde ext\u00e9rieur ne sont pas tr\u00e8s bonnes. L’id\u00e9e d’une fin du monde s’affine, se pr\u00e9cise, gagne en contours nets. Ce n’est pas tant la fin qui inqui\u00e8te que l’apr\u00e8s, cette opacit\u00e9 suspendue o\u00f9 l’on ne sait pas.<\/p>\n

Hier, B. et D. \u00e9taient l\u00e0. Soixante-dix-huit et soixante-dix-neuf ans. Un poulet au four, des pommes de terre pr\u00e9alablement cuites \u00e0 l’eau pour r\u00e9duire leur temps de r\u00f4tissage. Conversation floue, \u00e9parse au matin. Reste l’\u00e9cho d’un inventaire : maladies, difficult\u00e9s \u00e0 se mouvoir, les avantages d’une maison de plain-pied. Peu de livres lus r\u00e9cemment, tr\u00e8s peu de voyages, encore moins de films qui laissent une trace. Comme si l’on glissait, progressivement, vers une fadeur indistincte.<\/p>\n

La mort a \u00e9t\u00e9 fr\u00f4l\u00e9e, puis \u00e9cart\u00e9e. J’ai tent\u00e9 une relance, sans succ\u00e8s, sur la question du paradis. Le silence fut sans appel. Moi-m\u00eame, suis-je encore en mesure d’affronter cette id\u00e9e sans ironie, sans d\u00e9tournement ? En y songeant aux toilettes, j’en suis venu \u00e0 douter. N’est-ce pas absurde, cet espoir d’une persistance radieuse, d’un lieu immobile o\u00f9 tout ne serait que contentement, o\u00f9 nous afficherions, sans faille, une b\u00e9atitude ?<\/p>\n

Puis le rouleau de PQ s’est achev\u00e9, heureusement. Le temps de tendre la main vers un autre, j’\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 ailleurs, sur la notion de ductilit\u00e9 de la langue. Retour d’un leitmotiv. Certainement \u00e0 cause des *Grandes Blondes*. J’ai r\u00e9ouvert le roman d’Echenoz, relu certains passages, notamment celui de l’homoncule perch\u00e9 sur l’\u00e9paule de Gloria Abgrall, ou de Gloria Stella. Effar\u00e9 de n’avoir pas fait plus t\u00f4t le lien avec mon Dibbouk. Sacr\u00e9 Echenoz.<\/p>\n

Ainsi, la parole int\u00e9rieure, les divagations infimes, les rebonds de pens\u00e9e trouvent un \u00e9cho ailleurs, dans d’autres pages, d’autres r\u00e9cits. Ce qui nous traverse, d’autres l’ont pens\u00e9, formul\u00e9, port\u00e9 avant nous. De l\u00e0, sans doute, l’utilit\u00e9 du pluriel.<\/p>", "content_text": "Arr\u00eatons-nous un instant \u2014 le pluriel ne s'impose que si on le d\u00e9cide, quoique ce \"on\" demeure d'une troublante impr\u00e9cision \u2014 sur cette facult\u00e9 qu'a la langue d'\u00eatre \"ductile\". Cette mall\u00e9abilit\u00e9, cette aptitude \u00e0 l'\u00e9tirement et \u00e0 la transformation, op\u00e8re sans jamais rompre le fil du sens. Elle est souplesse et tension, oscillation entre fixit\u00e9 et mouvance. La ductilit\u00e9 ouvre la voie \u00e0 une fluidit\u00e9 syntaxique qui, forte de sa souplesse m\u00eame, s'autorise variations et d\u00e9rives, sans jamais perdre pied. Elle maintient pourtant \u2014 c'est l\u00e0 le fameux \"en m\u00eame temps\" \u2014 une clart\u00e9 suffisante pour cr\u00e9er l'impression d'une rigueur, d'une logique interne, voire d'une po\u00e9sie latente. Tout ce qu'on est en droit d'attendre de la langue et qui, de nos jours, tend \u00e0 se dissoudre dans le bruit. La langue ductile se distingue dans la syntaxe : elle \u00e9pouse les mouvements int\u00e9rieurs de l'\u00e2me, cr\u00e9ant une chaleur souriante, y compris dans ses passages les plus audacieux. Monteverdi le disait de la musique, il n'est pas interdit de le penser pour les mots. Cette souplesse \u00e9vite les pi\u00e8ges habituels : la redondance, la surcharge, la lourdeur d'une ponctuation mal ajust\u00e9e. D\u00e8s lors, si fluidit\u00e9 il doit y avoir, encore faut-il y parvenir. Grouper les mots en unit\u00e9s de sens, jouer avec les respirations, ajuster le rythme. Un art de l'\u00e9quilibre. Cet effort, cette tension vers la justesse est sans doute ce qui permet au texte d'\u00e9chapper au soliloque st\u00e9rile, \u00e0 la complaisance de soi. Ce 10 f\u00e9vrier 2025, il pleut. En plus, c'est lundi. F\u00e9vrier a une t\u00eate de TGV qui fonce vers Mars en se fichant bien du paysage. Les nouvelles du monde ext\u00e9rieur ne sont pas tr\u00e8s bonnes. L'id\u00e9e d'une fin du monde s'affine, se pr\u00e9cise, gagne en contours nets. Ce n'est pas tant la fin qui inqui\u00e8te que l'apr\u00e8s, cette opacit\u00e9 suspendue o\u00f9 l'on ne sait pas. Hier, B. et D. \u00e9taient l\u00e0. Soixante-dix-huit et soixante-dix-neuf ans. Un poulet au four, des pommes de terre pr\u00e9alablement cuites \u00e0 l'eau pour r\u00e9duire leur temps de r\u00f4tissage. Conversation floue, \u00e9parse au matin. Reste l'\u00e9cho d'un inventaire : maladies, difficult\u00e9s \u00e0 se mouvoir, les avantages d'une maison de plain-pied. Peu de livres lus r\u00e9cemment, tr\u00e8s peu de voyages, encore moins de films qui laissent une trace. Comme si l'on glissait, progressivement, vers une fadeur indistincte. La mort a \u00e9t\u00e9 fr\u00f4l\u00e9e, puis \u00e9cart\u00e9e. J'ai tent\u00e9 une relance, sans succ\u00e8s, sur la question du paradis. Le silence fut sans appel. Moi-m\u00eame, suis-je encore en mesure d'affronter cette id\u00e9e sans ironie, sans d\u00e9tournement ? En y songeant aux toilettes, j'en suis venu \u00e0 douter. N'est-ce pas absurde, cet espoir d'une persistance radieuse, d'un lieu immobile o\u00f9 tout ne serait que contentement, o\u00f9 nous afficherions, sans faille, une b\u00e9atitude ? Puis le rouleau de PQ s'est achev\u00e9, heureusement. Le temps de tendre la main vers un autre, j'\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 ailleurs, sur la notion de ductilit\u00e9 de la langue. Retour d'un leitmotiv. Certainement \u00e0 cause des *Grandes Blondes*. J'ai r\u00e9ouvert le roman d'Echenoz, relu certains passages, notamment celui de l'homoncule perch\u00e9 sur l'\u00e9paule de Gloria Abgrall, ou de Gloria Stella. Effar\u00e9 de n'avoir pas fait plus t\u00f4t le lien avec mon Dibbouk. Sacr\u00e9 Echenoz. Ainsi, la parole int\u00e9rieure, les divagations infimes, les rebonds de pens\u00e9e trouvent un \u00e9cho ailleurs, dans d'autres pages, d'autres r\u00e9cits. Ce qui nous traverse, d'autres l'ont pens\u00e9, formul\u00e9, port\u00e9 avant nous. De l\u00e0, sans doute, l'utilit\u00e9 du pluriel. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/157fce1baf2036adbb19ede8c2729a90.jpg?1748065131", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/9-fevrier-2025.html", "title": "9 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-09T00:51:32Z", "date_modified": "2025-02-09T00:51:32Z", "author": {"name": "Auteur"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Davos, janvier 2025. La neige qui tombe sur les costumes Armani pendant que Trump pr\u00eate serment \u00e0 Washington. Dans leurs salons feutr\u00e9s, les \u00e9lites mondiales se chient dessus devant leurs \u00e9crans plasma. Le spectacle est total : pendant qu’ils causent r\u00e9chauffement climatique entre deux coupes de champagne, l’autre tar\u00e9 annonce qu’il va tout cramer.<\/p>\n

« L’\u00e2ge d’or commence maintenant », qu’il gueule, le m\u00e9galo en chef. Et pendant que les pontes de Davos s’\u00e9touffent avec leurs petits fours, il balance ses premi\u00e8res mesures comme des uppercuts : sortie des accords de Paris, gr\u00e2ce pour les \u00e9meutiers du Capitole, deux doigts d’honneur \u00e0 l’OMS.<\/p>\n

Le plus jouissif, c’est de voir ces m\u00eames connards qui se foutaient de sa gueule y a trois mois commencer \u00e0 piger que cette fois, c’est pas du cin\u00e9ma. Trump version 2025, c’est plus le bouffon qu’ils pensaient pouvoir g\u00e9rer entre deux r\u00e9unions sur la « croissance durable ».<\/p>\n

Il veut planter son drapeau sur Mars, reprendre le canal de Panama. Le complexe du petit kiki pouss\u00e9 \u00e0 son paroxysme. Pendant ce temps-l\u00e0, \u00e0 Davos, ils parlent « transition \u00e9nerg\u00e9tique » et « stakeholder capitalism ». Des grands mots pour masquer qu’ils ont plus aucun contr\u00f4le sur le monstre qu’ils ont cr\u00e9\u00e9.<\/p>\n

Et puis y a ce truc avec les deux sexes. Comme si d\u00e9finir le genre par d\u00e9cret pr\u00e9sidentiel allait changer quoi que ce soit \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9. Mais c’est \u00e7a son truc : faire croire que le monde peut redevenir simple, binaire, contr\u00f4lable.<\/p>\n

Le plus dingue dans tout \u00e7a, c’est de voir la pr\u00e9sidente de la Commission europ\u00e9enne qui essaie de faire bonne figure. « Nous serons pragmatiques », qu’elle dit. Traduction : on va continuer \u00e0 sucer la bite de l’oncle Sam en esp\u00e9rant qu’il nous frappe pas trop fort avec ses taxes douani\u00e8res.<\/p>\n

Pendant ce temps-l\u00e0, le vrai monde continue de crever. Les pauvres toujours plus pauvres, les riches toujours plus riches. Le climat qui part en couille pendant que Trump promet la prosp\u00e9rit\u00e9 gr\u00e2ce au p\u00e9trole. La grande blague am\u00e9ricaine version 2025.<\/p>\n

Y a bien Zelensky qui essaie de se raccrocher aux branches, qui parle de « paix juste et durable ». Comme si la paix avait quoi que ce soit \u00e0 voir avec la justice dans ce monde de tar\u00e9s. Comme si Trump en avait quelque chose \u00e0 branler de l’Ukraine.<\/p>\n

C’est \u00e7a qui est fascinant avec 2025 : tout part en vrille en m\u00eame temps. Les \u00e9lites qui flippent dans leurs bunkers de luxe, Trump qui joue au m\u00e9galo spatial, l’Europe qui fait semblant d’avoir encore une colonne vert\u00e9brale.<\/p>\n

Mais peut-\u00eatre que c’est \u00e7a qu’il nous fallait : que tout parte vraiment en couille pour qu’on arr\u00eate de faire semblant. Que les masques tombent enfin. Que m\u00eame les plus cons comprennent que le syst\u00e8me est foutu.<\/p>\n

Alors ouais, peut-\u00eatre que c’est la fin du monde tel qu’on le conna\u00eet. Peut-\u00eatre que Trump va vraiment tout faire p\u00e9ter. Mais au moins, on pourra plus dire qu’on savait pas. Plus personne pourra faire semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes.<\/p>\n

Et pendant que les riches flippent \u00e0 Davos, que Trump joue les empereurs romains \u00e0 Washington, y a peut-\u00eatre une chance que les vrais gens se r\u00e9veillent enfin. Qu’ils comprennent que le vrai pouvoir, il est pas dans les tours de verre ou \u00e0 la Maison Blanche. Peut-\u00eatre que c’est \u00e7a, finalement, la vraie r\u00e9volution : quand m\u00eame les ma\u00eetres du monde commencent \u00e0 avoir peur de leurs propres monstres. Quand le chaos qu’ils ont cr\u00e9\u00e9 leur revient dans la gueule comme un boomerang<\/p>", "content_text": "Davos, janvier 2025. La neige qui tombe sur les costumes Armani pendant que Trump pr\u00eate serment \u00e0 Washington. Dans leurs salons feutr\u00e9s, les \u00e9lites mondiales se chient dessus devant leurs \u00e9crans plasma. Le spectacle est total : pendant qu'ils causent r\u00e9chauffement climatique entre deux coupes de champagne, l'autre tar\u00e9 annonce qu'il va tout cramer. \"L'\u00e2ge d'or commence maintenant\", qu'il gueule, le m\u00e9galo en chef. Et pendant que les pontes de Davos s'\u00e9touffent avec leurs petits fours, il balance ses premi\u00e8res mesures comme des uppercuts : sortie des accords de Paris, gr\u00e2ce pour les \u00e9meutiers du Capitole, deux doigts d'honneur \u00e0 l'OMS. Le plus jouissif, c'est de voir ces m\u00eames connards qui se foutaient de sa gueule y a trois mois commencer \u00e0 piger que cette fois, c'est pas du cin\u00e9ma. Trump version 2025, c'est plus le bouffon qu'ils pensaient pouvoir g\u00e9rer entre deux r\u00e9unions sur la \"croissance durable\". Il veut planter son drapeau sur Mars, reprendre le canal de Panama. Le complexe du petit kiki pouss\u00e9 \u00e0 son paroxysme. Pendant ce temps-l\u00e0, \u00e0 Davos, ils parlent \"transition \u00e9nerg\u00e9tique\" et \"stakeholder capitalism\". Des grands mots pour masquer qu'ils ont plus aucun contr\u00f4le sur le monstre qu'ils ont cr\u00e9\u00e9. Et puis y a ce truc avec les deux sexes. Comme si d\u00e9finir le genre par d\u00e9cret pr\u00e9sidentiel allait changer quoi que ce soit \u00e0 la r\u00e9alit\u00e9. Mais c'est \u00e7a son truc : faire croire que le monde peut redevenir simple, binaire, contr\u00f4lable. Le plus dingue dans tout \u00e7a, c'est de voir la pr\u00e9sidente de la Commission europ\u00e9enne qui essaie de faire bonne figure. \"Nous serons pragmatiques\", qu'elle dit. Traduction : on va continuer \u00e0 sucer la bite de l'oncle Sam en esp\u00e9rant qu'il nous frappe pas trop fort avec ses taxes douani\u00e8res. Pendant ce temps-l\u00e0, le vrai monde continue de crever. Les pauvres toujours plus pauvres, les riches toujours plus riches. Le climat qui part en couille pendant que Trump promet la prosp\u00e9rit\u00e9 gr\u00e2ce au p\u00e9trole. La grande blague am\u00e9ricaine version 2025. Y a bien Zelensky qui essaie de se raccrocher aux branches, qui parle de \"paix juste et durable\". Comme si la paix avait quoi que ce soit \u00e0 voir avec la justice dans ce monde de tar\u00e9s. Comme si Trump en avait quelque chose \u00e0 branler de l'Ukraine. C'est \u00e7a qui est fascinant avec 2025 : tout part en vrille en m\u00eame temps. Les \u00e9lites qui flippent dans leurs bunkers de luxe, Trump qui joue au m\u00e9galo spatial, l'Europe qui fait semblant d'avoir encore une colonne vert\u00e9brale. Mais peut-\u00eatre que c'est \u00e7a qu'il nous fallait : que tout parte vraiment en couille pour qu'on arr\u00eate de faire semblant. Que les masques tombent enfin. Que m\u00eame les plus cons comprennent que le syst\u00e8me est foutu. Alors ouais, peut-\u00eatre que c'est la fin du monde tel qu'on le conna\u00eet. Peut-\u00eatre que Trump va vraiment tout faire p\u00e9ter. Mais au moins, on pourra plus dire qu'on savait pas. Plus personne pourra faire semblant que tout va bien dans le meilleur des mondes. Et pendant que les riches flippent \u00e0 Davos, que Trump joue les empereurs romains \u00e0 Washington, y a peut-\u00eatre une chance que les vrais gens se r\u00e9veillent enfin. Qu'ils comprennent que le vrai pouvoir, il est pas dans les tours de verre ou \u00e0 la Maison Blanche. Peut-\u00eatre que c'est \u00e7a, finalement, la vraie r\u00e9volution : quand m\u00eame les ma\u00eetres du monde commencent \u00e0 avoir peur de leurs propres monstres. Quand le chaos qu'ils ont cr\u00e9\u00e9 leur revient dans la gueule comme un boomerang", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pfilm1810-king-kong-500x500.webp?1748065088", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/8-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/8-fevrier-2025.html", "title": "8 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-08T06:03:40Z", "date_modified": "2025-02-17T01:41:30Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Des fois, j\u2019ai honte, des fois non. \u00c7a d\u00e9pend de la r\u00e9sonance du monde. Si j\u2019ouvre la fen\u00eatre et que j\u2019entends les oiseaux, oui. Si j\u2019entends le camion-poubelle, non. La honte ne d\u00e9pend pas que de moi. C\u2019est la r\u00e9sultante d\u2019une mise en sc\u00e8ne, \u00e0 la fois c\u00f4t\u00e9 cour et c\u00f4t\u00e9 jardin. Il est assez rare d\u2019avoir honte assis dans une salle de cin\u00e9ma. Cela ne m\u2019est arriv\u00e9 que trois fois, au coll\u00e8ge, lorsqu\u2019on m\u2019infligea la vision d\u2019Auschwitz, le p\u00e8re Kolbe se sacrifiant \u00e0 la place d\u2019un autre. Mais honte pour nous tous. Pour l\u2019esp\u00e8ce.<\/p>\n

Ensuite, la honte est une pr\u00e9misse. Je reste rarement fig\u00e9 de honte, emp\u00eatr\u00e9 dans la honte. Honteux n\u2019est pas un \u00e9tat stable, mais volatile. Ou du moins, une fois la honte bue, il reste ce d\u00e9p\u00f4t crasseux au fond du verre, sur lequel on ne se g\u00eanera pas pour resservir du rouge \u00e0 son voisin. Si tant est qu\u2019un voisin, dans les environs, soit assez cingl\u00e9 ou ignorant pour venir boire un coup \u00e0 la maison.<\/p>\n

Bien s\u00fbr, il y a de la honte, mais elle se transforme g\u00e9n\u00e9ralement assez vite en rage, en haine. C\u2019est la pente naturelle de la chose.<\/p>\n

Il faut attendre parfois des mois pour que certaines hontes se transforment en tr\u00e9sor. Toujours la vieille histoire de dragon et de meurtre. Tout cela est imaginaire, virtuel \u00e9videmment. Mais, quand m\u00eame, \u00e0 chaque fois, on y laisse un petit bout de c\u0153ur ou de cerveau bien r\u00e9el.<\/p>\n

J\u2019aurais du mal \u00e0 \u00eatre ami avec quelqu\u2019un qui ne montrerait aucune r\u00e9ticence \u00e0 table. Qui engloutirait de bon c\u0153ur du bifteck, des choux-fleurs, tout en parlant d\u2019autre chose que de la tendret\u00e9 de la viande, de l\u2019onctuosit\u00e9 des cr\u00e8mes. Je veux dire, dans le fond, que j\u2019ai simplement bien du mal d\u00e9sormais \u00e0 vouloir \u00eatre ami avec qui que ce soit. \u00c0 la fois parce que ma honte naturelle m\u2019en emp\u00eache, et d\u2019autre part parce que la sienne, au bout d\u2019un temps, de m\u00eame. Voil\u00e0 o\u00f9 va l\u2019humanit\u00e9, dans ce lieu o\u00f9 l\u2019on n\u2019ose plus \u00eatre ami parce qu\u2019on ne veut jamais le croupion, toujours la cuisse.<\/p>\n

Pass\u00e9 une sale journ\u00e9e comme pr\u00e9vu. Maux de gorge, nez coulant, du coup, parl\u00e9 au minimum. M\u00eame mis de la musique pour meubler.<\/p>\n

Travail \u00e0 l\u2019encre de Chine le matin, collages l\u2019apr\u00e8s-midi. Et toujours ces phrases : **\u00e7a ne ressemble \u00e0 rien, je ne sais pas o\u00f9 je vais.** Il faisait un vent \u00e0 d\u00e9corner les cocus l\u2019apr\u00e8s-midi. **\u00c7a ne ressemble \u00e0 rien, je ne sais pas o\u00f9 je vais.** Bruits de voiture passant dans la rue. Train qui fonce sur la voie ferr\u00e9e. Porte qui claque dans la profondeur du b\u00e2timent. **\u00c7a ne ressemble \u00e0 rien, je ne sais pas o\u00f9 je vais.** Peut-\u00eatre que chaque texte que j\u2019\u00e9cris dans ce journal est un *\u00e7aneresemblarien*, un *jenesaipasouj\u2019vais.*<\/p>\n

La honte vient aussi du fait de se rendre compte que l\u2019on n\u2019est pas seul \u00e0 \u00e9prouver les m\u00eames hontes. C\u2019est un r\u00e9flexe \u00e9tonnant. De m\u00eame qu\u2019il est aussi \u00e9tonnant de voir que les amis qui disparaissent le plus vite sont ceux qu\u2019on a le plus aid\u00e9s. Comme si la honte et une forme d\u2019ingratitude \u00e9taient \u00e9troitement li\u00e9es.<\/p>\n

La honte, en fait, peut d\u00e9sormais surgir de toute part, et je ne peux pas croire que ce n\u2019est pas voulu. \u00c0 nous tenir ainsi dans la honte perp\u00e9tuelle de qui l\u2019on est, on nous gouverne certainement bien plus efficacement. On ne partage que tr\u00e8s peu ses hontes, on les conserve comme des t\u00eates r\u00e9duites accroch\u00e9es au sombre r\u00e9duit de la maison. Nos hontes sont nos m\u00e2nes, nos lares, nos l\u00e9mures, nos g\u00e9nies tout autant.<\/p>\n

— **« Voil\u00e0, gars, appelle-moi g\u00e9nie »**, me dit le dibbouk en conservant les yeux ferm\u00e9s quand il fait semblant de lire par-dessus mon \u00e9paule.<\/p>\n

Cette fois-ci je n’y fais pas attention. Je ne r\u00e9plique m\u00eame pas. je sais \u00e0 pr\u00e9sent que le dibbouk peut \u00eatre aussi con que moi, aussi honteux parfois, encore que de le savoir me fait une belle jambe.<\/p>\n

\n<\/md><\/p>", "content_text": " Des fois, j\u2019ai honte, des fois non. \u00c7a d\u00e9pend de la r\u00e9sonance du monde. Si j\u2019ouvre la fen\u00eatre et que j\u2019entends les oiseaux, oui. Si j\u2019entends le camion-poubelle, non. La honte ne d\u00e9pend pas que de moi. C\u2019est la r\u00e9sultante d\u2019une mise en sc\u00e8ne, \u00e0 la fois c\u00f4t\u00e9 cour et c\u00f4t\u00e9 jardin. Il est assez rare d\u2019avoir honte assis dans une salle de cin\u00e9ma. Cela ne m\u2019est arriv\u00e9 que trois fois, au coll\u00e8ge, lorsqu\u2019on m\u2019infligea la vision d\u2019Auschwitz, le p\u00e8re Kolbe se sacrifiant \u00e0 la place d\u2019un autre. Mais honte pour nous tous. Pour l\u2019esp\u00e8ce. Ensuite, la honte est une pr\u00e9misse. Je reste rarement fig\u00e9 de honte, emp\u00eatr\u00e9 dans la honte. Honteux n\u2019est pas un \u00e9tat stable, mais volatile. Ou du moins, une fois la honte bue, il reste ce d\u00e9p\u00f4t crasseux au fond du verre, sur lequel on ne se g\u00eanera pas pour resservir du rouge \u00e0 son voisin. Si tant est qu\u2019un voisin, dans les environs, soit assez cingl\u00e9 ou ignorant pour venir boire un coup \u00e0 la maison. Bien s\u00fbr, il y a de la honte, mais elle se transforme g\u00e9n\u00e9ralement assez vite en rage, en haine. C\u2019est la pente naturelle de la chose. Il faut attendre parfois des mois pour que certaines hontes se transforment en tr\u00e9sor. Toujours la vieille histoire de dragon et de meurtre. Tout cela est imaginaire, virtuel \u00e9videmment. Mais, quand m\u00eame, \u00e0 chaque fois, on y laisse un petit bout de c\u0153ur ou de cerveau bien r\u00e9el. J\u2019aurais du mal \u00e0 \u00eatre ami avec quelqu\u2019un qui ne montrerait aucune r\u00e9ticence \u00e0 table. Qui engloutirait de bon c\u0153ur du bifteck, des choux-fleurs, tout en parlant d\u2019autre chose que de la tendret\u00e9 de la viande, de l\u2019onctuosit\u00e9 des cr\u00e8mes. Je veux dire, dans le fond, que j\u2019ai simplement bien du mal d\u00e9sormais \u00e0 vouloir \u00eatre ami avec qui que ce soit. \u00c0 la fois parce que ma honte naturelle m\u2019en emp\u00eache, et d\u2019autre part parce que la sienne, au bout d\u2019un temps, de m\u00eame. Voil\u00e0 o\u00f9 va l\u2019humanit\u00e9, dans ce lieu o\u00f9 l\u2019on n\u2019ose plus \u00eatre ami parce qu\u2019on ne veut jamais le croupion, toujours la cuisse. Pass\u00e9 une sale journ\u00e9e comme pr\u00e9vu. Maux de gorge, nez coulant, du coup, parl\u00e9 au minimum. M\u00eame mis de la musique pour meubler. Travail \u00e0 l\u2019encre de Chine le matin, collages l\u2019apr\u00e8s-midi. Et toujours ces phrases : **\u00e7a ne ressemble \u00e0 rien, je ne sais pas o\u00f9 je vais.** Il faisait un vent \u00e0 d\u00e9corner les cocus l\u2019apr\u00e8s-midi. **\u00c7a ne ressemble \u00e0 rien, je ne sais pas o\u00f9 je vais.** Bruits de voiture passant dans la rue. Train qui fonce sur la voie ferr\u00e9e. Porte qui claque dans la profondeur du b\u00e2timent. **\u00c7a ne ressemble \u00e0 rien, je ne sais pas o\u00f9 je vais.** Peut-\u00eatre que chaque texte que j\u2019\u00e9cris dans ce journal est un *\u00e7aneresemblarien*, un *jenesaipasouj\u2019vais.* La honte vient aussi du fait de se rendre compte que l\u2019on n\u2019est pas seul \u00e0 \u00e9prouver les m\u00eames hontes. C\u2019est un r\u00e9flexe \u00e9tonnant. De m\u00eame qu\u2019il est aussi \u00e9tonnant de voir que les amis qui disparaissent le plus vite sont ceux qu\u2019on a le plus aid\u00e9s. Comme si la honte et une forme d\u2019ingratitude \u00e9taient \u00e9troitement li\u00e9es. La honte, en fait, peut d\u00e9sormais surgir de toute part, et je ne peux pas croire que ce n\u2019est pas voulu. \u00c0 nous tenir ainsi dans la honte perp\u00e9tuelle de qui l\u2019on est, on nous gouverne certainement bien plus efficacement. On ne partage que tr\u00e8s peu ses hontes, on les conserve comme des t\u00eates r\u00e9duites accroch\u00e9es au sombre r\u00e9duit de la maison. Nos hontes sont nos m\u00e2nes, nos lares, nos l\u00e9mures, nos g\u00e9nies tout autant. \u2014 **\"Voil\u00e0, gars, appelle-moi g\u00e9nie\"**, me dit le dibbouk en conservant les yeux ferm\u00e9s quand il fait semblant de lire par-dessus mon \u00e9paule. Cette fois-ci je n'y fais pas attention. Je ne r\u00e9plique m\u00eame pas. je sais \u00e0 pr\u00e9sent que le dibbouk peut \u00eatre aussi con que moi, aussi honteux parfois, encore que de le savoir me fait une belle jambe. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_0306.jpg?1748065069", "tags": ["Essai sur la fatigue", "Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-fevrier-2025.html", "title": "7 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-07T04:09:12Z", "date_modified": "2025-02-15T06:05:00Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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Nechilik\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Peu dormi. Feuillet\u00e9 Je m\u2019en vais<\/i> de Jean Echenoz. Vu, ou cru voir des liens entre Flaubert, Maupassant, Echenoz. La pr\u00e9cision, la qu\u00eate de justesse s\u00fbrement. M. disait : « Il faut de la maturit\u00e9 pour vouloir \u00e9crire. » Je ne sais pas si c\u2019est vrai. Peut-\u00eatre est-ce moins une question de maturit\u00e9 que d\u2019usure. Un degr\u00e9 de fatigue, oui, c\u2019est \u00e7a. Comme si \u00e9crire \u00e9tait un exercice d\u2019\u00e9puisement n\u00e9cessaire pour atteindre un \u00e9tat de tranquillit\u00e9. Encore que\u2026 Tranquille, est-ce vraiment le mot ? Mort conviendrait mieux. Mais \u00e9crire, ce n\u2019est pas mourir. C\u2019est apprendre \u00e0 ne plus rien vouloir. \u00c0 atteindre un bon port, peut-\u00eatre.<\/p>\n

Je crois qu’il m’est aussi arriv\u00e9 plusieurs fois de m\u2019entra\u00eener \u00e0 \u00e9crire tout haut ce genre de phrase : « Je m\u2019en vais, dit Ferrer, je te quitte. Je te laisse tout mais je pars. »<\/p>\n

Ma vie ne fut qu\u2019un \u00e9ternel brouillon. C\u2019est un tantinet grandiloquent, mais parfois la grandiloquence aussi sonne juste.<\/p>\n

D\u2019ailleurs, ce mot me fait presque aussit\u00f4t penser \u00e0 Jacques Brel et, parall\u00e8lement, \u00e0 un mouvement allant de l’engouement idiot au rejet imb\u00e9cile. Ai-je vraiment appr\u00e9ci\u00e9 Brel ou seulement l’exub\u00e9rance de Brel ? Comme plus tard la m\u00eame question se posera pour la fausse bonhomie de Brassens. C’\u00e9tait mon adolescence, toujours en perp\u00e9tuelle qu\u00eate de figures tut\u00e9laires, faute — pensais-je \u00e0 tort — d’en avoir une disponible sous la main.<\/p>\n

Un mouvement de vis sans fin : \u00e0 peine le rejet dig\u00e9r\u00e9, voil\u00e0 qu\u2019un autre engouement tout aussi idiot se profile.<\/p>\n

Je pourrais trouver cela tellement d\u00e9primant d\u00e9sormais, mais ce ne serait encore qu’un jugement \u00e0 l’emporte-pi\u00e8ce. J’ai l’\u00e2me d’une midinette dans le fond et l’allure d’un \u00e9l\u00e9phant dans un magasin de porcelaine. Ce qui me pla\u00eet assez finalement. Pas un contentement de soi b\u00e9at, non, mais je me dis que \u00e7a aurait pu \u00eatre pire.<\/p>\n

Il est 4 h 32 et toujours pas envie de dormir. Je pense \u00e0 cette journ\u00e9e \u00e0 venir, ce n’est pas raisonnable. D’un autre c\u00f4t\u00e9, cette fatigue att\u00e9nue la brutalit\u00e9 du monde. C’est peut-\u00eatre d’ailleurs l’unique raison de chercher cette fatigue, encore que ce ne soit pas conscient, vraiment. C’est un r\u00e9flexe. Je ne dors pas pour me fatiguer, afin de me cr\u00e9er un scaphandre de cosmonaute pour ne pas trop \u00eatre endommag\u00e9 par l’irradiation de la journ\u00e9e. \u00c7a para\u00eet tellement absurde que \u00e7a pourrait bien \u00eatre vrai.<\/p>\n

Je suis peu satisfait de mes textes. Jamais satisfait. Parfois, j’en \u00e9prouve m\u00eame un peu de honte. Toujours cette sensation de honte qui finit par tout balayer. Honte et \u00e0 quoi bon, voil\u00e0 la t\u00eate de l’adversaire. Voil\u00e0 aussi le mod\u00e8le que j’avais sous la main et dont je ne voulais pas embo\u00eeter le pas. Sauf que ne pas vouloir, c’est vouloir \u00e0 l’envers. Il faut un bon degr\u00e9 de fatigue pour admettre enfin qu\u2019\u00e0 force de refuser, on finit par avancer quand m\u00eame.<\/p>", "content_text": "Peu dormi. Feuillet\u00e9 {Je m\u2019en vais} de Jean Echenoz. Vu, ou cru voir des liens entre Flaubert, Maupassant, Echenoz. La pr\u00e9cision, la qu\u00eate de justesse s\u00fbrement. M. disait : \"Il faut de la maturit\u00e9 pour vouloir \u00e9crire.\" Je ne sais pas si c\u2019est vrai. Peut-\u00eatre est-ce moins une question de maturit\u00e9 que d\u2019usure. Un degr\u00e9 de fatigue, oui, c\u2019est \u00e7a. Comme si \u00e9crire \u00e9tait un exercice d\u2019\u00e9puisement n\u00e9cessaire pour atteindre un \u00e9tat de tranquillit\u00e9. Encore que\u2026 Tranquille, est-ce vraiment le mot ? Mort conviendrait mieux. Mais \u00e9crire, ce n\u2019est pas mourir. C\u2019est apprendre \u00e0 ne plus rien vouloir. \u00c0 atteindre un bon port, peut-\u00eatre. Je crois qu'il m'est aussi arriv\u00e9 plusieurs fois de m\u2019entra\u00eener \u00e0 \u00e9crire tout haut ce genre de phrase : \"Je m\u2019en vais, dit Ferrer, je te quitte. Je te laisse tout mais je pars.\" Ma vie ne fut qu\u2019un \u00e9ternel brouillon. C\u2019est un tantinet grandiloquent, mais parfois la grandiloquence aussi sonne juste. D\u2019ailleurs, ce mot me fait presque aussit\u00f4t penser \u00e0 Jacques Brel et, parall\u00e8lement, \u00e0 un mouvement allant de l'engouement idiot au rejet imb\u00e9cile. Ai-je vraiment appr\u00e9ci\u00e9 Brel ou seulement l'exub\u00e9rance de Brel ? Comme plus tard la m\u00eame question se posera pour la fausse bonhomie de Brassens. C'\u00e9tait mon adolescence, toujours en perp\u00e9tuelle qu\u00eate de figures tut\u00e9laires, faute \u2014 pensais-je \u00e0 tort \u2014 d'en avoir une disponible sous la main. Un mouvement de vis sans fin : \u00e0 peine le rejet dig\u00e9r\u00e9, voil\u00e0 qu\u2019un autre engouement tout aussi idiot se profile. Je pourrais trouver cela tellement d\u00e9primant d\u00e9sormais, mais ce ne serait encore qu'un jugement \u00e0 l'emporte-pi\u00e8ce. J'ai l'\u00e2me d'une midinette dans le fond et l'allure d'un \u00e9l\u00e9phant dans un magasin de porcelaine. Ce qui me pla\u00eet assez finalement. Pas un contentement de soi b\u00e9at, non, mais je me dis que \u00e7a aurait pu \u00eatre pire. Il est 4 h 32 et toujours pas envie de dormir. Je pense \u00e0 cette journ\u00e9e \u00e0 venir, ce n'est pas raisonnable. D'un autre c\u00f4t\u00e9, cette fatigue att\u00e9nue la brutalit\u00e9 du monde. C'est peut-\u00eatre d'ailleurs l'unique raison de chercher cette fatigue, encore que ce ne soit pas conscient, vraiment. C'est un r\u00e9flexe. Je ne dors pas pour me fatiguer, afin de me cr\u00e9er un scaphandre de cosmonaute pour ne pas trop \u00eatre endommag\u00e9 par l'irradiation de la journ\u00e9e. \u00c7a para\u00eet tellement absurde que \u00e7a pourrait bien \u00eatre vrai. Je suis peu satisfait de mes textes. Jamais satisfait. Parfois, j'en \u00e9prouve m\u00eame un peu de honte. Toujours cette sensation de honte qui finit par tout balayer. Honte et \u00e0 quoi bon, voil\u00e0 la t\u00eate de l'adversaire. Voil\u00e0 aussi le mod\u00e8le que j'avais sous la main et dont je ne voulais pas embo\u00eeter le pas. Sauf que ne pas vouloir, c'est vouloir \u00e0 l'envers. Il faut un bon degr\u00e9 de fatigue pour admettre enfin qu\u2019\u00e0 force de refuser, on finit par avancer quand m\u00eame. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/nechilik.jpg?1748065098", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "oeuvres litt\u00e9raires "] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/6-fevrier-2025.html", "title": "6 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-06T06:19:47Z", "date_modified": "2025-02-17T01:42:01Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\u00a9 Florie Cotenceau\n<\/div>\n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>

Le mot articule<\/em>, quand il s’agit d’un imp\u00e9ratif, me fait encore pouffer sit\u00f4t que je l’entends. Puis le mot abattis<\/em> s’am\u00e8ne avec sa t\u00eate de comptable. Et derri\u00e8re lui, toute une arm\u00e9e d’abrutis. Num\u00e9rote tes abattis<\/em>, disent-ils tous en ch\u0153ur. Je ne me souviens pas avoir regard\u00e9 ces mots dans un dictionnaire. Leur rencontre frontale m’a enseign\u00e9 un sens figur\u00e9 et personnel. Voil\u00e0 comment je me figure<\/em> (si tu te figures qu’\u00e7a va qu’\u00e7a) le borborygme incessant du monde qui m’environne et cherche par tous moyens possibles, imaginables, \u00e0 me phagocyter. <\/p>\n

Mais revenons \u00e0 articule<\/em>, je voulais dire quelque chose et \u00e7a m’a tellement vite \u00e9chapp\u00e9. R\u00e9ticules<\/em> serait un sac \u00e0 main rempli de bruits de clefs, de cartilages en d\u00e9composition, d’osselets blancs. Quant \u00e0 p\u00e9doncule<\/em>, il n’indique qu’ un filet baveux laiss\u00e9 par les limaces traversant les champs de batavia. Je dis tout \u00e7a de bonne heure pour ne pas l’oublier. Parce que j’ai lu encore qu’un homme de mon \u00e2ge s’\u00e9tait pr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 l’h\u00f4pital pour des maux de t\u00eate et qu’on lui a diagnostiqu\u00e9 un oc\u00e9an d’eau dans le cr\u00e2ne. <\/p>\n

Je ne m’int\u00e9resse plus gu\u00e8re qu’aux \u00e9v\u00e9nements arrivant aux femmes et aux hommes de mon \u00e2ge. Il faut bien faire un choix. Parfois, je m’accorde un peu de distraction pour aller voir ce qui peut bien se passer chez les septuag\u00e9naires, voire quelques octog\u00e9naires, mais c’est tellement d\u00e9primant que je reviens vite au temps pr\u00e9sent. \u00c0 tout ce qui a l\u2019heur d’\u00eatre de mon \u00e2ge. C’est de son \u00e2ge<\/em>, disait-on au caf\u00e9 apr\u00e8s avoir englouti la poire et le fromage. Sous-entendu, \u00e7a lui passera. L’\u00e2ge et ses inconv\u00e9nients, je suis bien d\u00e9sol\u00e9 de le dire, ne passent jamais\u202f : ils filent, ils emportent tout sur leur passage. L’\u00e2ge, le n\u00f4tre, indubitablement, nous conduit vers la pourriture, la d\u00e9composition \u00e0 la fois psychologique et physique. <\/p>\n

Du coup, je me serais laiss\u00e9 emporter, je ne sais plus tr\u00e8s bien o\u00f9 j’en suis. <\/p>\n

Un oc\u00e9an liquide dans le cr\u00e2ne, voil\u00e0. Savez-vous que ce ne serait pas pour me d\u00e9plaire\u202f ? Et m\u00eame, \u00e7a me botterait. Moi qui ai toujours eu des vell\u00e9it\u00e9s de p\u00eacheur au harpon ou de baleine blanche. Dans un cr\u00e2ne, certainement, les contradictions, les paradoxes s’abordent-ils copieusement, se sabrent. <\/p>\n

Hier, vers 17h30, j’ai soulev\u00e9 un loup. J’\u00e9tais en train de relire ce bon vieux Horla<\/em> quand, tout \u00e0 coup, j’ai repens\u00e9 \u00e0 ces impressions \u00e9tranges que j’avais travers\u00e9es adolescent en parvenant sur le seuil de La Ville sans nom<\/em>. Comme il \u00e9tait l’heure du th\u00e9, j’ai laiss\u00e9 en plan, non sans faire un n\u0153ud \u00e0 mon mouchoir afin d’y repenser vers 19h, heure \u00e0 laquelle je suis suffisamment tranquille pour penser \u00e0 des choses absconses, idiotes, affreusement inutiles. <\/p>\n

Figure-toi<\/em>, me suis-je dit, que L. ait lu Le Horla<\/em>, qu’il ne l’ait dit \u00e0 personne et s’en soit inspir\u00e9. Et \u00e0 partir de l\u00e0, trois petits articles que l’on pourra trouver dans la rubrique lectures<\/em>. Quand ils seront pr\u00eats \u00e9videmment, il faut encore les relire, sait-on jamais qu’on voie encore des pans entiers de myst\u00e8re se lever, num\u00e9roter leurs abattis et, quelque part, au-dessus de cette masse grouillante et gluante, une esp\u00e8ce de bouffon en guenilles hurlant : <\/p>\n

— ARTICULE ! ARTICULE !<\/strong> <\/p>\n

L\u2019empereur imp\u00e9rial, imp\u00e9rativement.\nLe dibbouk a sorti un vieux mouchoir sale de la poche de sa redingote et l’a agit\u00e9 devant lui. \n--Adieu raison, vaches et cochons ! a t’il ajout\u00e9 en se moquant bien s\u00fbr.\nDe mon c\u00f4t\u00e9 je me suis demand\u00e9 si je n’allais pas me raser c’est jeudi, l’heure d’aller enseigner arrive \u00e0 grand pas. <\/p>", "content_text": " Le mot *articule*, quand il s'agit d'un imp\u00e9ratif, me fait encore pouffer sit\u00f4t que je l'entends. Puis le mot *abattis* s'am\u00e8ne avec sa t\u00eate de comptable. Et derri\u00e8re lui, toute une arm\u00e9e d'abrutis. *Num\u00e9rote tes abattis*, disent-ils tous en ch\u0153ur. Je ne me souviens pas avoir regard\u00e9 ces mots dans un dictionnaire. Leur rencontre frontale m'a enseign\u00e9 un sens figur\u00e9 et personnel. Voil\u00e0 comment je me *figure* (si tu te figures qu'\u00e7a va qu'\u00e7a) le borborygme incessant du monde qui m'environne et cherche par tous moyens possibles, imaginables, \u00e0 me phagocyter. Mais revenons \u00e0 *articule*, je voulais dire quelque chose et \u00e7a m'a tellement vite \u00e9chapp\u00e9. *R\u00e9ticules* serait un sac \u00e0 main rempli de bruits de clefs, de cartilages en d\u00e9composition, d'osselets blancs. Quant \u00e0 *p\u00e9doncule*, il n'indique qu' un filet baveux laiss\u00e9 par les limaces traversant les champs de batavia. Je dis tout \u00e7a de bonne heure pour ne pas l'oublier. Parce que j'ai lu encore qu'un homme de mon \u00e2ge s'\u00e9tait pr\u00e9sent\u00e9 \u00e0 l'h\u00f4pital pour des maux de t\u00eate et qu'on lui a diagnostiqu\u00e9 un oc\u00e9an d'eau dans le cr\u00e2ne. Je ne m'int\u00e9resse plus gu\u00e8re qu'aux \u00e9v\u00e9nements arrivant aux femmes et aux hommes de mon \u00e2ge. Il faut bien faire un choix. Parfois, je m'accorde un peu de distraction pour aller voir ce qui peut bien se passer chez les septuag\u00e9naires, voire quelques octog\u00e9naires, mais c'est tellement d\u00e9primant que je reviens vite au temps pr\u00e9sent. \u00c0 tout ce qui a l\u2019heur d'\u00eatre de mon \u00e2ge. *C'est de son \u00e2ge*, disait-on au caf\u00e9 apr\u00e8s avoir englouti la poire et le fromage. Sous-entendu, \u00e7a lui passera. L'\u00e2ge et ses inconv\u00e9nients, je suis bien d\u00e9sol\u00e9 de le dire, ne passent jamais : ils filent, ils emportent tout sur leur passage. L'\u00e2ge, le n\u00f4tre, indubitablement, nous conduit vers la pourriture, la d\u00e9composition \u00e0 la fois psychologique et physique. Du coup, je me serais laiss\u00e9 emporter, je ne sais plus tr\u00e8s bien o\u00f9 j'en suis. Un oc\u00e9an liquide dans le cr\u00e2ne, voil\u00e0. Savez-vous que ce ne serait pas pour me d\u00e9plaire ? Et m\u00eame, \u00e7a me botterait. Moi qui ai toujours eu des vell\u00e9it\u00e9s de p\u00eacheur au harpon ou de baleine blanche. Dans un cr\u00e2ne, certainement, les contradictions, les paradoxes s'abordent-ils copieusement, se sabrent. Hier, vers 17h30, j'ai soulev\u00e9 un loup. J'\u00e9tais en train de relire ce bon vieux *Horla* quand, tout \u00e0 coup, j'ai repens\u00e9 \u00e0 ces impressions \u00e9tranges que j'avais travers\u00e9es adolescent en parvenant sur le seuil de *La Ville sans nom*. Comme il \u00e9tait l'heure du th\u00e9, j'ai laiss\u00e9 en plan, non sans faire un n\u0153ud \u00e0 mon mouchoir afin d'y repenser vers 19h, heure \u00e0 laquelle je suis suffisamment tranquille pour penser \u00e0 des choses absconses, idiotes, affreusement inutiles. *Figure-toi*, me suis-je dit, que L. ait lu *Le Horla*, qu'il ne l'ait dit \u00e0 personne et s'en soit inspir\u00e9. Et \u00e0 partir de l\u00e0, trois petits articles que l'on pourra trouver dans la rubrique *lectures*. Quand ils seront pr\u00eats \u00e9videmment, il faut encore les relire, sait-on jamais qu'on voie encore des pans entiers de myst\u00e8re se lever, num\u00e9roter leurs abattis et, quelque part, au-dessus de cette masse grouillante et gluante, une esp\u00e8ce de bouffon en guenilles hurlant : **\u2014 ARTICULE ! ARTICULE !** L\u2019empereur imp\u00e9rial, imp\u00e9rativement. Le dibbouk a sorti un vieux mouchoir sale de la poche de sa redingote et l'a agit\u00e9 devant lui. \u2014Adieu raison, vaches et cochons ! a t'il ajout\u00e9 en se moquant bien s\u00fbr. De mon c\u00f4t\u00e9 je me suis demand\u00e9 si je n'allais pas me raser c'est jeudi, l'heure d'aller enseigner arrive \u00e0 grand pas. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/63f381391cdd3_gp-livre-ubu-jarry.webp?1748065182", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "oeuvres litt\u00e9raires ", "Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/5-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/5-fevrier-2025.html", "title": "5 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-05T06:50:31Z", "date_modified": "2025-04-30T15:51:18Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n
\n\t
Delphine Seyrig, 1972 Wonder6789 — Travail personnel\n<\/strong><\/div>\n\t \n\t \n<\/figcaption><\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Il faut raconter ses cauchemars \u00e0 voix haute. Elle m’avait dit \u00e7a comme bien d’autres choses. J’ai oubli\u00e9 les autres, mais celle-l\u00e0 me revient. Je ne me rappelle pas d\u2019en avoir profit\u00e9, je ne me souviens que de \u00e7a, comme d\u2019une br\u00fblure, une erreur, une faute de ne pas en avoir profit\u00e9. Profiter. Le mot r\u00e9sonnait partout \u00e0 cette \u00e9poque. Le petit, \u00e7a lui profite. Il ne profite pas bien, pas assez, peu. \u00c7a me rappelle saprophyte. Qui tire les substances qui lui sont n\u00e9cessaires des mati\u00e8res organiques en d\u00e9composition. Un champignon, une moisissure. Bien s\u00fbr, n\u2019h\u00e9site surtout pas \u00e0 dire parasite.<\/p>\n

Les maux de gorge, le nez qui coule, la faiblesse des vieux rappellent aussi celle des enfants, cet aspect recroquevill\u00e9, fichez-moi la paix. Ne venez pas. Sauf si votre oreille accepte d\u2019\u00e9couter les horreurs, les effrois, ces cauchemars que je ne raconte plus depuis longtemps \u00e0 haute voix. D\u00e9j\u00e0 petit, tu avais tout saisi. Et tu l\u2019avais vite rel\u00e2ch\u00e9. Tu n\u2019en voulais pas. R\u00e9flexe de survie. Tu disais non non non, tu t\u2019enterreras sous terre, tu grimperas aux arbres. Tu as longtemps cherch\u00e9 le point de d\u00e9part, le point d\u2019origine, et il reculait \u00e0 chaque fois, comme un vieillard recule la vieillesse.<\/p>\n

Tu es un point entre deux points, tu te fais point d\u2019illusion, point \u00e0 la ligne, et la phrase recommence, qu\u2019elle soit dite \u00e0 voix haute par toi ou par un autre. N\u2019oublie pas la majuscule quand il la faut.<\/p>\n

La faux te fauche la faute. Elle s\u00e9pare le bon grain des pertes dues \u00e0 l\u2019ivresse.<\/p>\n

Martingale : M\u00e9fie-toi de ce dont tu te plains, parce que \u00e7a montre trop ce que tu veux et que tu ne te donnes pas les moyens d\u2019avoir. Ne te cache pas derri\u00e8re le verbe \u00eatre parce que tu ne peux pas conjuguer avoir.<\/p>\n

Ensuite, rame encore un bon moment sur la fa\u00e7on d\u2019organiser du CSS, pour t\u2019apercevoir \u00e0 la fin que \u00e7a ne sert \u00e0 rien. Que tout \u00e7a est voulu. Que tout \u00e7a ressemble \u00e0 quelque chose d\u2019autre encore. Que l\u2019organisation n\u2019est qu\u2019un leurre, un pi\u00e8ge dans lequel on tombe sans m\u00eame s\u2019en rendre compte, accumulant des r\u00e8gles, croyant structurer alors que chaque ajout nous enfonce davantage. Ce qui te ram\u00e8ne \u00e0 l\u2019origine de la t\u00e2che en peinture, aux premiers coups de ciseaux, au cutter dans ses toiles \u00e0 elle, ce moyen sauvage d\u2019attirer l\u2019attention au sortir du cauchemar.<\/p>\n

Elle disait raconte-moi. Puis elle tournait les talons. Et je ne voyais plus que ses fesses bouger sous sa jupe. Je ne pouvais plus me concentrer. Mes cauchemars se transformaient. Ils devenaient plus empoisonn\u00e9s que le poison. Ils devenaient des envies honteuses, des envies tordues, des envies sorties des photographies de pin-ups accroch\u00e9es dans la cabine d\u2019un camionneur, des envies vomies par du papier glac\u00e9.<\/p>\n

Ce n\u2019\u00e9taient pas mes envies. Je ne le crois pas. Je ne le crois plus. C\u2019\u00e9taient des envies de tout le monde, qu\u2019on imposait \u00e0 tout le monde, pour en dissimuler d\u2019autres encore plus effrayantes, plus profondes, en prise directe avec le sang, les boyaux, la mort. Mais celles-l\u00e0, on ne peut jamais les dire \u00e0 voix haute. On les dissimule tout le temps. Sinon, voil\u00e0. Il n\u2019y aurait plus de temps. Ce serait la fin des temps.<\/p>\n

Elle a dit tu as le diable dans la peau. Et je l\u2019ai crue. Parce que c\u2019\u00e9tait elle qui le disait. Je l\u2019ai crue malgr\u00e9 moi. Peut-\u00eatre que c\u2019est la seule chose que j\u2019ai vraiment \u00e0 dire. Depuis toujours. Pour toujours. Je l\u2019ai crue, m\u00eame si une part de moi savait tr\u00e8s bien que ce qu\u2019elle disait, c\u2019\u00e9tait son cauchemar \u00e0 elle. Que le diable dans ma peau \u00e9tait avant tout dans la sienne, avant de p\u00e9n\u00e9trer dans la mienne.<\/p>\n

C\u2019est pour \u00e7a que je tue la toile.
\n\u00c0 coups de ciseaux.
\n\u00c0 coups de cutter.<\/p>\n

Je cr\u00e8ve la toile. Parce qu\u2019elle n\u2019est qu\u2019une surface tendue pour cacher qu\u2019on a le diable dans la peau. Parce que c\u2019est honteux. Parce que \u00e7a ne se fait pas. Parce que sinon, on serait seul. V\u00e9ritablement seul, cette fois.<\/p>\n

Hier soir, je n\u2019arrivais pas \u00e0 dormir. Pas parce que je ne pouvais pas. Parce que je ne voulais pas. Je le sais maintenant. Tout est de la volont\u00e9 ou rien.<\/p>\n

Hier soir, j\u2019ai vu un film de Chantal Akerman. Et peut-\u00eatre que j\u2019ai tout retrouv\u00e9 d\u2019un seul coup, sans m\u2019en rendre compte imm\u00e9diatement. Les bruits surtout.<\/p>\n

Et puis l\u2019organisation.
\nLes pi\u00e8ces de l\u2019appartement.
\nLe rythme des lumi\u00e8res.<\/p>\n

On allume. On \u00e9teint.
\nOn change de pi\u00e8ce.
\nOn allume. On \u00e9teint.<\/p>\n

On passe sa vie \u00e0 allumer et \u00e9teindre des pi\u00e8ces.<\/p>\n

En ce temps-l\u00e0.
\nTemps mythique.
\nTemps tragique.
\nTemps mythologique.<\/p>\n

Parce que tout prend un sens \u00e9norme.
\nTellement \u00e9norme que l\u2019on voit tout de suite quand \u00e7a d\u00e9rape.
\nQuand \u00e7a sort malgr\u00e9 tous les efforts de la routine.<\/p>\n

La routine est un parapet.<\/p>\n

Et je ne sais pas pourquoi parapet me fait penser \u00e0 Paraclet.<\/p>", "content_text": "Il faut raconter ses cauchemars \u00e0 voix haute. Elle m'avait dit \u00e7a comme bien d'autres choses. J'ai oubli\u00e9 les autres, mais celle-l\u00e0 me revient. Je ne me rappelle pas d\u2019en avoir profit\u00e9, je ne me souviens que de \u00e7a, comme d\u2019une br\u00fblure, une erreur, une faute de ne pas en avoir profit\u00e9. Profiter. Le mot r\u00e9sonnait partout \u00e0 cette \u00e9poque. Le petit, \u00e7a lui profite. Il ne profite pas bien, pas assez, peu. \u00c7a me rappelle saprophyte. Qui tire les substances qui lui sont n\u00e9cessaires des mati\u00e8res organiques en d\u00e9composition. Un champignon, une moisissure. Bien s\u00fbr, n\u2019h\u00e9site surtout pas \u00e0 dire parasite. Les maux de gorge, le nez qui coule, la faiblesse des vieux rappellent aussi celle des enfants, cet aspect recroquevill\u00e9, fichez-moi la paix. Ne venez pas. Sauf si votre oreille accepte d\u2019\u00e9couter les horreurs, les effrois, ces cauchemars que je ne raconte plus depuis longtemps \u00e0 haute voix. D\u00e9j\u00e0 petit, tu avais tout saisi. Et tu l\u2019avais vite rel\u00e2ch\u00e9. Tu n\u2019en voulais pas. R\u00e9flexe de survie. Tu disais non non non, tu t\u2019enterreras sous terre, tu grimperas aux arbres. Tu as longtemps cherch\u00e9 le point de d\u00e9part, le point d\u2019origine, et il reculait \u00e0 chaque fois, comme un vieillard recule la vieillesse. Tu es un point entre deux points, tu te fais point d\u2019illusion, point \u00e0 la ligne, et la phrase recommence, qu\u2019elle soit dite \u00e0 voix haute par toi ou par un autre. N\u2019oublie pas la majuscule quand il la faut. La faux te fauche la faute. Elle s\u00e9pare le bon grain des pertes dues \u00e0 l\u2019ivresse. Martingale : M\u00e9fie-toi de ce dont tu te plains, parce que \u00e7a montre trop ce que tu veux et que tu ne te donnes pas les moyens d\u2019avoir. Ne te cache pas derri\u00e8re le verbe \u00eatre parce que tu ne peux pas conjuguer avoir. Ensuite, rame encore un bon moment sur la fa\u00e7on d\u2019organiser du CSS, pour t\u2019apercevoir \u00e0 la fin que \u00e7a ne sert \u00e0 rien. Que tout \u00e7a est voulu. Que tout \u00e7a ressemble \u00e0 quelque chose d\u2019autre encore. Que l\u2019organisation n\u2019est qu\u2019un leurre, un pi\u00e8ge dans lequel on tombe sans m\u00eame s\u2019en rendre compte, accumulant des r\u00e8gles, croyant structurer alors que chaque ajout nous enfonce davantage. Ce qui te ram\u00e8ne \u00e0 l\u2019origine de la t\u00e2che en peinture, aux premiers coups de ciseaux, au cutter dans ses toiles \u00e0 elle, ce moyen sauvage d\u2019attirer l\u2019attention au sortir du cauchemar. Elle disait raconte-moi. Puis elle tournait les talons. Et je ne voyais plus que ses fesses bouger sous sa jupe. Je ne pouvais plus me concentrer. Mes cauchemars se transformaient. Ils devenaient plus empoisonn\u00e9s que le poison. Ils devenaient des envies honteuses, des envies tordues, des envies sorties des photographies de pin-ups accroch\u00e9es dans la cabine d\u2019un camionneur, des envies vomies par du papier glac\u00e9. Ce n\u2019\u00e9taient pas mes envies. Je ne le crois pas. Je ne le crois plus. C\u2019\u00e9taient des envies de tout le monde, qu\u2019on imposait \u00e0 tout le monde, pour en dissimuler d\u2019autres encore plus effrayantes, plus profondes, en prise directe avec le sang, les boyaux, la mort. Mais celles-l\u00e0, on ne peut jamais les dire \u00e0 voix haute. On les dissimule tout le temps. Sinon, voil\u00e0. Il n\u2019y aurait plus de temps. Ce serait la fin des temps. Elle a dit tu as le diable dans la peau. Et je l\u2019ai crue. Parce que c\u2019\u00e9tait elle qui le disait. Je l\u2019ai crue malgr\u00e9 moi. Peut-\u00eatre que c\u2019est la seule chose que j\u2019ai vraiment \u00e0 dire. Depuis toujours. Pour toujours. Je l\u2019ai crue, m\u00eame si une part de moi savait tr\u00e8s bien que ce qu\u2019elle disait, c\u2019\u00e9tait son cauchemar \u00e0 elle. Que le diable dans ma peau \u00e9tait avant tout dans la sienne, avant de p\u00e9n\u00e9trer dans la mienne. C\u2019est pour \u00e7a que je tue la toile. \u00c0 coups de ciseaux. \u00c0 coups de cutter. Je cr\u00e8ve la toile. Parce qu\u2019elle n\u2019est qu\u2019une surface tendue pour cacher qu\u2019on a le diable dans la peau. Parce que c\u2019est honteux. Parce que \u00e7a ne se fait pas. Parce que sinon, on serait seul. V\u00e9ritablement seul, cette fois. Hier soir, je n\u2019arrivais pas \u00e0 dormir. Pas parce que je ne pouvais pas. Parce que je ne voulais pas. Je le sais maintenant. Tout est de la volont\u00e9 ou rien. Hier soir, j\u2019ai vu un film de Chantal Akerman. Et peut-\u00eatre que j\u2019ai tout retrouv\u00e9 d\u2019un seul coup, sans m\u2019en rendre compte imm\u00e9diatement. Les bruits surtout. Et puis l\u2019organisation. Les pi\u00e8ces de l\u2019appartement. Le rythme des lumi\u00e8res. On allume. On \u00e9teint. On change de pi\u00e8ce. On allume. On \u00e9teint. On passe sa vie \u00e0 allumer et \u00e9teindre des pi\u00e8ces. En ce temps-l\u00e0. Temps mythique. Temps tragique. Temps mythologique. Parce que tout prend un sens \u00e9norme. Tellement \u00e9norme que l\u2019on voit tout de suite quand \u00e7a d\u00e9rape. Quand \u00e7a sort malgr\u00e9 tous les efforts de la routine. La routine est un parapet. Et je ne sais pas pourquoi parapet me fait penser \u00e0 Paraclet. 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\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

Tout ne sera pas \u00e9gal<\/strong><\/h3>\n

Tout ne sera pas \u00e9gal. Il y aura du long et du court, du gras et du maigre, du vrai—un peu—et,
\nprobablement que la majorit\u00e9 sera fausse, comme elle l’est toujours. <\/p>\n

\u00c9coute. Ce matin, j\u2019ai envie.
\nMa col\u00e8re se transforme. Ma peur change de masque. Mon d\u00e9sespoir a les fesses qui tombent. <\/p>\n

J\u2019ai envie.
\nJe fais un feu.
\nJ\u2019ai ouvert le chauffage au gaz au cran deux.
\nBr\u00fblure. La grille m\u00e9tallique de protection au bleu. <\/p>\n

Recouvrir de rouge.
\nDes toiles.
\nJ\u2019ai envie.
\nDans un premier temps.
\nUn temps de souffle de pigment. Un temps de main n\u00e9gative.
\nUn temps d\u2019aurochs et de gel.
\nUn temps d\u2019indigence opulente.
\nUn temps. <\/p>\n

Et en moins de mots, plus de gestes.
\nDe grands gestes.
\nComme on dit au revoir, adieu, \u00e0 l\u2019an prochain, \u00e0 jamais. <\/p>\n

Tout ne sera pas \u00e9gal.
\nPas plus que \u00e7a ne l\u2019a jamais \u00e9t\u00e9. <\/p>\n

Quand tu remontes tes manches, \u00e7a te rappelle tes bras.
\nQuand tu restes immobile dans le froid, \u00e7a te redonne du pied et de la main.
\n\u00c7a te fait perdre la langue de pute aussi. <\/p>\n

De merde.
\nCe charabia. <\/p>\n

Pause.<\/strong>
\nIl faut du feu pour obtenir la cendre.
\nS\u2019en recouvrir la t\u00eate ensuite. <\/p>\n

Imagine.<\/strong>
\nLe h\u00e9ros foire.
\nTout ce qu\u2019il y avait d\u2019h\u00e9ro\u00efque d\u00e9bande, tombe en quenouille. <\/p>\n

Il faut le vivre une fois. <\/p>\n

Ensuite, le monde se prend en grande piti\u00e9.
\nQuoiqu\u2019il fasse, on ne peut plus lui en vouloir. Jamais. <\/p>\n

On sait.
\nC\u2019est impossible de savoir ce que l\u2019on sait, mais on le sait. <\/p>\n

La honte.
\nPour l\u2019esp\u00e8ce. <\/p>\n

Hommes et femmes, tout pareil.
\nArr\u00eatez.
\nStop. <\/p>\n

Mais rien. Peine perdue. <\/p>\n

Ils continuent.
\nNous continuons. <\/p>\n

C\u2019est l\u2019agitation qui rendra fi\u00e8re l\u2019immobile.<\/p>\n

Musique : His Electro Blue Voice - Das.<\/a><\/p>", "content_text": " ### **Tout ne sera pas \u00e9gal** Tout ne sera pas \u00e9gal. Il y aura du long et du court, du gras et du maigre, du vrai\u2014un peu\u2014et, probablement que la majorit\u00e9 sera fausse, comme elle l'est toujours. \u00c9coute. Ce matin, j\u2019ai envie. Ma col\u00e8re se transforme. Ma peur change de masque. Mon d\u00e9sespoir a les fesses qui tombent. J\u2019ai envie. Je fais un feu. J\u2019ai ouvert le chauffage au gaz au cran deux. Br\u00fblure. La grille m\u00e9tallique de protection au bleu. Recouvrir de rouge. Des toiles. J\u2019ai envie. Dans un premier temps. Un temps de souffle de pigment. Un temps de main n\u00e9gative. Un temps d\u2019aurochs et de gel. Un temps d\u2019indigence opulente. Un temps. Et en moins de mots, plus de gestes. De grands gestes. Comme on dit au revoir, adieu, \u00e0 l\u2019an prochain, \u00e0 jamais. Tout ne sera pas \u00e9gal. Pas plus que \u00e7a ne l\u2019a jamais \u00e9t\u00e9. Quand tu remontes tes manches, \u00e7a te rappelle tes bras. Quand tu restes immobile dans le froid, \u00e7a te redonne du pied et de la main. \u00c7a te fait perdre la langue de pute aussi. De merde. Ce charabia. **Pause.** Il faut du feu pour obtenir la cendre. S\u2019en recouvrir la t\u00eate ensuite. **Imagine.** Le h\u00e9ros foire. Tout ce qu\u2019il y avait d\u2019h\u00e9ro\u00efque d\u00e9bande, tombe en quenouille. Il faut le vivre une fois. Ensuite, le monde se prend en grande piti\u00e9. Quoiqu\u2019il fasse, on ne peut plus lui en vouloir. Jamais. On sait. C\u2019est impossible de savoir ce que l\u2019on sait, mais on le sait. La honte. Pour l\u2019esp\u00e8ce. Hommes et femmes, tout pareil. Arr\u00eatez. Stop. Mais rien. Peine perdue. Ils continuent. Nous continuons. C\u2019est l\u2019agitation qui rendra fi\u00e8re l\u2019immobile. Musique : [His Electro Blue Voice - Das.->https:\/\/freemusicarchive.org\/music\/His_Electro_Blue_Voice\/]", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1645959193_sm-web-actu-cendres-mini.jpg?1748065092", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/02-fevrier-2025.html", "title": "02 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-02T21:46:19Z", "date_modified": "2025-05-01T20:32:59Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Visionn\u00e9 Le Journal du regard ( janvier 2025) de Pierre M\u00e9nard et red\u00e9couvre la ville telle que j’ai l\u2019impression de l\u2019avoir laiss\u00e9e depuis 1990. Peut-\u00eatre un petit temps d\u2019adaptation. Mais ces promenades sont les m\u00eames. Le texte lu me rappelle cruellement \u00e0 la perte de mes carnets Clairefontaine. Mais ce n\u2019est qu\u2019un fantasme d\u2019imaginer que j\u2019\u00e9crivais \u00e0 l\u2019\u00e9poque de telles choses. Bien s\u00fbr que non. C\u2019\u00e9tait une autre errance. Peut-\u00eatre que toutes les errances \u00e9crites, \u00e0 la fin, se valent.<\/p>\n

S\u2019int\u00e9resser aux travaux des autres me d\u00e9douanerait de leur adresser la parole, me prodiguerait bonne conscience. Si j\u2019avais encore besoin d\u2019une bonne conscience. Non, ce n\u2019est pas \u00e7a. Le solipsisme ne fonctionne que lorsqu\u2019on est encore jeune, vigoureux, bon marcheur. La v\u00e9rit\u00e9 est que je ne peux me passer des autres et que je ne peux en m\u00eame temps aller vers eux. Pour quoi faire ? Pour quoi dire ?
\nJuste l’impression d’une pr\u00e9sence fantome, la mienne, la leur, la n\u00f4tre.<\/p>\n

J\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 la rue Custine, que j\u2019empruntais beaucoup dans les ann\u00e9es 80, puis en 85 et encore en 90, trois \u00e9poques de ma vie parisienne. Je me souviens que, sit\u00f4t que je m\u2019y engouffrais — peut-\u00eatre pour me rendre \u00e0 Jules Joffrin, peut-\u00eatre vers Montmartre —, je renouais avec d\u2019autres \u00e9poques encore bien plus lointaines que je n\u2019avais pas v\u00e9cues dans cette vie. Pur fantasme, bien s\u00fbr. Et je pensais que nous avions \u00e9t\u00e9 nombreux \u00e0 voir les platanes reverdir, \u00e0 projeter leurs ombres rafra\u00eechissantes, l\u2019\u00e9t\u00e9.<\/p>\n

Il me semble que si je devais choisir un lieu qui caract\u00e9rise au mieux l\u2019impermanence, l\u2019intemporel, ce serait celui-ci : la rue Custine, ses platanes — \u00e0 moins que ce ne fussent des tilleuls. Et voil\u00e0 comment on revient au pr\u00e9sent : par le doute.<\/p>\n

Il semble, par ces temps d\u2019apocalypse, que tout a \u00e9t\u00e9 dit, que l\u2019on n\u2019a plus tant besoin de les entendre, ces dits, que de les partager. Pas tous. Certains. Le choix effectu\u00e9 en dira encore long sur ce que l\u2019on tait, ce que l\u2019on fait parfois semblant d\u2019entendre, comme on fait semblant de vivre pour ne pas dispara\u00eetre au premier coin de rue qui s\u2019offre, telle une opportunit\u00e9.<\/p>\n

Musique : M\u00e9ditation from Tha\u00efs<\/a><\/p>", "content_text": "Visionn\u00e9 Le Journal du regard ( janvier 2025) de Pierre M\u00e9nard et red\u00e9couvre la ville telle que j'ai l\u2019impression de l\u2019avoir laiss\u00e9e depuis 1990. Peut-\u00eatre un petit temps d\u2019adaptation. Mais ces promenades sont les m\u00eames. Le texte lu me rappelle cruellement \u00e0 la perte de mes carnets Clairefontaine. Mais ce n\u2019est qu\u2019un fantasme d\u2019imaginer que j\u2019\u00e9crivais \u00e0 l\u2019\u00e9poque de telles choses. Bien s\u00fbr que non. C\u2019\u00e9tait une autre errance. Peut-\u00eatre que toutes les errances \u00e9crites, \u00e0 la fin, se valent. S\u2019int\u00e9resser aux travaux des autres me d\u00e9douanerait de leur adresser la parole, me prodiguerait bonne conscience. Si j\u2019avais encore besoin d\u2019une bonne conscience. Non, ce n\u2019est pas \u00e7a. Le solipsisme ne fonctionne que lorsqu\u2019on est encore jeune, vigoureux, bon marcheur. La v\u00e9rit\u00e9 est que je ne peux me passer des autres et que je ne peux en m\u00eame temps aller vers eux. Pour quoi faire ? Pour quoi dire ? Juste l'impression d'une pr\u00e9sence fantome, la mienne, la leur, la n\u00f4tre. J\u2019ai repens\u00e9 \u00e0 la rue Custine, que j\u2019empruntais beaucoup dans les ann\u00e9es 80, puis en 85 et encore en 90, trois \u00e9poques de ma vie parisienne. Je me souviens que, sit\u00f4t que je m\u2019y engouffrais \u2014 peut-\u00eatre pour me rendre \u00e0 Jules Joffrin, peut-\u00eatre vers Montmartre \u2014, je renouais avec d\u2019autres \u00e9poques encore bien plus lointaines que je n\u2019avais pas v\u00e9cues dans cette vie. Pur fantasme, bien s\u00fbr. Et je pensais que nous avions \u00e9t\u00e9 nombreux \u00e0 voir les platanes reverdir, \u00e0 projeter leurs ombres rafra\u00eechissantes, l\u2019\u00e9t\u00e9. Il me semble que si je devais choisir un lieu qui caract\u00e9rise au mieux l\u2019impermanence, l\u2019intemporel, ce serait celui-ci : la rue Custine, ses platanes \u2014 \u00e0 moins que ce ne fussent des tilleuls. Et voil\u00e0 comment on revient au pr\u00e9sent : par le doute. Il semble, par ces temps d\u2019apocalypse, que tout a \u00e9t\u00e9 dit, que l\u2019on n\u2019a plus tant besoin de les entendre, ces dits, que de les partager. Pas tous. Certains. Le choix effectu\u00e9 en dira encore long sur ce que l\u2019on tait, ce que l\u2019on fait parfois semblant d\u2019entendre, comme on fait semblant de vivre pour ne pas dispara\u00eetre au premier coin de rue qui s\u2019offre, telle une opportunit\u00e9. Musique: [M\u00e9ditation from Tha\u00efs->https:\/\/freemusicarchive.org\/music\/Nicola_Benedetti_violin_Julien_Quentin_piano\/Nicola_Benedetti__Julien_Quentin_Music_from_the_Isabella_Stewart_Gardner_Museum_Boston\/massenet_meditation\/]", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/rue-custine-a-montmartre-1909-1910.jpg?1748065132", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Espaces lieux ", "peintres"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/01-fevrier-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/01-fevrier-2025.html", "title": "01 f\u00e9vrier 2025", "date_published": "2025-02-01T05:28:14Z", "date_modified": "2025-02-01T06:03:29Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Avant-hier, M. m\u2019a tendu un bout de papier \u00e0 la fin du cours. Deux adresses, des num\u00e9ros de t\u00e9l\u00e9phone, et ce mot en capitales : POSSED\u00c9E<\/strong>. <\/p>\n

J\u2019ai repli\u00e9 le papier, je l\u2019ai gliss\u00e9 dans ma poche. Ce matin, il a disparu. Peut-\u00eatre jet\u00e9 avec les tickets de caisse, peut-\u00eatre oubli\u00e9 quelque part, entre deux pages, au fond d\u2019un livre que je ne rouvrirai jamais. <\/p>\n

J\u2019aurais pu le noter ailleurs. <\/p>\n

Je ne l\u2019ai pas fait. <\/p>\n

J\u2019ai bien peur que ce soit volontaire. <\/p>\n

—<\/strong> <\/p>\n

Je dors par morceaux, par tranches courtes, deux heures tout au plus. Puis je reste allong\u00e9, \u00e0 l\u2019\u00e9coute d\u2019un silence compact, inentamable. Cette nuit, j\u2019\u00e9tais graphiste pour un groupe de jazz en banlieue parisienne. On m\u2019avait command\u00e9 une affiche. Je me souviens de la peinture que j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9e : des formes nettes, des couleurs profondes, un bleu qui vibrait encore dans mes yeux au r\u00e9veil.<\/strong> Une affiche parfaite. <\/p>\n

Disparue. <\/p>\n

Comme si quelque chose, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, d\u00e9cidait que rien ne devait rester. <\/p>\n

—<\/strong> <\/p>\n

Hier soir, avec les R., nous avons compt\u00e9 les Alzheimer autour de nous. Un bon paquet. Des pr\u00e9coces. Un type de 55 ans, une femme de 66. \u00c0 chaque nouveau nom, je me suis retenu de me toucher le front, la m\u00e2choire. <\/p>\n

On parle. On meuble. On sort des phrases en kit :
\nMais tout \u00e0 fait. Mais bien s\u00fbr. Assur\u00e9ment. Et comment.<\/em> <\/p>\n

Et puis cette pens\u00e9e, soudaine : Alzheimer a peut-\u00eatre aussi ses bons c\u00f4t\u00e9s.<\/strong> <\/p>\n

J\u2019ai gard\u00e9 \u00e7a pour moi. <\/p>\n

—<\/strong> <\/p>\n

Hier, c\u2019\u00e9tait initiation \u00e0 l\u2019aquarelle pour le groupe du jeudi. Je peignais et en m\u00eame temps, je ne peignais pas<\/strong>. Quelqu\u2019un d\u2019autre tenait le pinceau. Un mouvement s\u00fbr, un trac\u00e9 qui ne m\u2019appartenait pas. Quand j\u2019ai lev\u00e9 la t\u00eate, ils \u00e9taient l\u00e0, autour, \u00e0 regarder. Il y a eu des oh !<\/em>, des ah !<\/em>, des exclamations contenues. <\/p>\n

J\u2019ai souri.
\nMais jaune. <\/p>\n

—<\/strong> <\/p>\n

Les conversations tournent en boucle. Les petits-enfants. Les maladies. Les mots de vieux, les peurs de vieux.<\/strong> <\/p>\n

Alors je pense \u00e0 partir. Prendre un sac tube. Ne rien dire. Suivre une ligne droite, ventre \u00e0 terre. <\/p>\n

Mais pas aujourd\u2019hui. <\/p>\n

Aujourd\u2019hui, une part de tarte aux pommes. Une gorg\u00e9e de th\u00e9. Quelques pages de L\u00e9viathan<\/em>, m\u00eame si c\u2019est laborieux vers la fin. <\/p>\n

Ne pas dispara\u00eetre tout de suite. <\/p>\n

Attendre encore un peu. Ecrire un nouvel \u00e9dito pour f\u00e9vrier <\/p>", "content_text": " Avant-hier, M. m\u2019a tendu un bout de papier \u00e0 la fin du cours. Deux adresses, des num\u00e9ros de t\u00e9l\u00e9phone, et ce mot en capitales : **POSSED\u00c9E**. J\u2019ai repli\u00e9 le papier, je l\u2019ai gliss\u00e9 dans ma poche. Ce matin, il a disparu. Peut-\u00eatre jet\u00e9 avec les tickets de caisse, peut-\u00eatre oubli\u00e9 quelque part, entre deux pages, au fond d\u2019un livre que je ne rouvrirai jamais. J\u2019aurais pu le noter ailleurs. Je ne l\u2019ai pas fait. J\u2019ai bien peur que ce soit volontaire. **\u2014** Je dors par morceaux, par tranches courtes, deux heures tout au plus. Puis je reste allong\u00e9, \u00e0 l\u2019\u00e9coute d\u2019un silence compact, inentamable. Cette nuit, j\u2019\u00e9tais graphiste pour un groupe de jazz en banlieue parisienne. On m\u2019avait command\u00e9 une affiche. Je me souviens de la peinture que j\u2019ai r\u00e9alis\u00e9e : **des formes nettes, des couleurs profondes, un bleu qui vibrait encore dans mes yeux au r\u00e9veil.** Une affiche parfaite. Disparue. Comme si quelque chose, \u00e0 l\u2019int\u00e9rieur, d\u00e9cidait que rien ne devait rester. **\u2014** Hier soir, avec les R., nous avons compt\u00e9 les Alzheimer autour de nous. Un bon paquet. Des pr\u00e9coces. Un type de 55 ans, une femme de 66. \u00c0 chaque nouveau nom, je me suis retenu de me toucher le front, la m\u00e2choire. On parle. On meuble. On sort des phrases en kit : *Mais tout \u00e0 fait. Mais bien s\u00fbr. Assur\u00e9ment. Et comment.* Et puis cette pens\u00e9e, soudaine : **Alzheimer a peut-\u00eatre aussi ses bons c\u00f4t\u00e9s.** J\u2019ai gard\u00e9 \u00e7a pour moi. **\u2014** Hier, c\u2019\u00e9tait initiation \u00e0 l\u2019aquarelle pour le groupe du jeudi. Je peignais et en m\u00eame temps, **je ne peignais pas**. Quelqu\u2019un d\u2019autre tenait le pinceau. Un mouvement s\u00fbr, un trac\u00e9 qui ne m\u2019appartenait pas. Quand j\u2019ai lev\u00e9 la t\u00eate, ils \u00e9taient l\u00e0, autour, \u00e0 regarder. Il y a eu des *oh !*, des *ah !*, des exclamations contenues. J\u2019ai souri. Mais jaune. **\u2014** Les conversations tournent en boucle. Les petits-enfants. Les maladies. **Les mots de vieux, les peurs de vieux.** Alors je pense \u00e0 partir. Prendre un sac tube. Ne rien dire. Suivre une ligne droite, ventre \u00e0 terre. Mais pas aujourd\u2019hui. Aujourd\u2019hui, une part de tarte aux pommes. Une gorg\u00e9e de th\u00e9. Quelques pages de *L\u00e9viathan*, m\u00eame si c\u2019est laborieux vers la fin. Ne pas dispara\u00eetre tout de suite. Attendre encore un peu. Ecrire un nouvel \u00e9dito pour f\u00e9vrier ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/2b6191d3-9776-401b-941d-8d9ab9af4456.webp?1748065179", "tags": ["Essai sur la fatigue"] } ] }