{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/31-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/31-mars-2025.html", "title": "31 mars 2025", "date_published": "2025-03-31T06:38:57Z", "date_modified": "2025-03-31T08:31:43Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n \n

Invasion visqueuse<\/strong> <\/i><\/p>\n

Stup\u00e9fiante, la vitesse du glissement. Comme une trappe qui s\u2019ouvre sous les pieds : on croyait marcher sur du b\u00e9ton, c\u2019\u00e9tait de la vase. D\u2019un instant \u00e0 l\u2019autre, \u00e7a bascule. L\u2019horreur s\u2019\u00e9coule dans le grotesque, l\u2019un nourrit l\u2019autre, et ce qui monte alors, ce n\u2019est pas la peur, non, c\u2019est une naus\u00e9e rampante, acide, tenace. Une mar\u00e9e interne. Le monde r\u00e9gurgite. Et moi, aspir\u00e9.<\/p>\n

Le fil d\u2019actualit\u00e9s — un effleurement suffit. L\u2019\u00e9cran s\u2019allume — ils sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0. \u00c0 cracher. Leur lumi\u00e8re sale. La voix dans les haut-parleurs vous injecte la lie du si\u00e8cle. Alors je ferme. Je m\u2019\u00e9vide. Je m\u2019extrais. Citadelle bricol\u00e9e : un livre, un crayon, des pas r\u00e9guliers sur le trottoir mouill\u00e9. Rien d\u2019autre.<\/p>\n

L\u2019occupation ? Elle est douce, elle est flasque. Un silence de feutre. Pas de bottes. Pas de cris. Juste une pr\u00e9sence qui vous impr\u00e8gne. Et on l\u2019appelle comment ? « Nazie », faute de mieux, faute d\u2019un mot plus pr\u00e9cis. Parce que le vieux mot fait encore peur. Il sent encore quelque chose.<\/p>\n

Mais qui croire ? Pas eux. Surtout pas eux. Ceux qui protestent \u00e0 grands gestes, ceux qui jouent l\u2019alternative comme on jouerait un r\u00f4le. M\u00eames ficelles, m\u00eame th\u00e9\u00e2tre. M\u00eame odeur.<\/p>\n

Et l\u00e0-haut ? Ils rigolent, eux. Ils attendent que \u00e7a se cr\u00e8ve, que \u00e7a suppure. La Bourse, le Golem financier. L\u2019Int\u00e9r\u00eat calcul\u00e9 \u00e0 la d\u00e9cimale. \u00c7a ronge, \u00e7a dig\u00e8re. Et en renfort, les machines. L\u2019algorithme. Froid, parfait, sans faute ni foi. Ils n\u2019ont plus besoin de nous ha\u00efr : ils n\u2019ont m\u00eame plus besoin de nous voir.<\/p>\n

Et moi, l\u00e0-dedans ? Parano ? Peut-\u00eatre. Mais si la lucidit\u00e9 \u00e9tait aussi v\u00e9rol\u00e9e que le reste ? Si cette impression d\u2019y voir clair n\u2019\u00e9tait qu\u2019un r\u00e9sidu du m\u00eame venin ? La lumi\u00e8re elle-m\u00eame falsifi\u00e9e. \u00c9tiquet\u00e9e. Capitaliste, marxiste, mao\u00efste — \u00e9tiquettes d\u00e9lav\u00e9es sur des bocaux vides.<\/p>\n

Alors je serre. Je ferme. Le dedans. Le petit. Le net. Le chaud. Le seul possible.<\/p>\n


\nsous-conversation<\/strong>\n

— \u2026c\u2019est l\u00e0, oui\u2026 \u00e7a suinte\u2026\n
— ne pas penser, surtout pas penser\u2026\n
— regarde pas, regarde pas, regarde pas\n
— mais si tu vois ! tu vois trop bien justement\u2026\n
— non c\u2019est trop, c\u2019est trop\u2026\n
— boue chaude\u2026 dans les veines\u2026 pas dehors, non\u2026 dedans\u2026\n
— ferme.\n
— plus fort.\n
— encore.\n
— tiens-toi.\n
— les objets\u2026 un ordre\u2026 ne plus vaciller\u2026\n
— mais \u00e7a appuie, tu sens ? sur les tempes, sur la cage, partout\u2026\n
— et eux, l\u00e0\u2026\n
— ils savent ?\n
— ils attendent.\n
— ils veulent que tu exploses.\n
— que tu y crois.\n
— ou que tu n\u2019y crois plus.\n
— \u00e7a revient au m\u00eame.\n
— chute.\n
— silence.\n
— c\u2019est eux qui parlent dans ta t\u00eate.\n
— ou bien c\u2019est toi ?\n
— impossible de trier maintenant.\n
— \u00e7a devient visqueux.<\/p>\n


\nnote de travail<\/strong>\n

\u2013 Entr\u00e9e clinique n°317 : « Celui qui se referme »
\nPatient : non identifi\u00e9 formellement, se pr\u00e9sente sous la forme d\u2019un texte \u00e0 la premi\u00e8re personne \u2013 fragments de carnet, rythme irr\u00e9gulier, ton inquiet.
\nDate de la s\u00e9ance : inexacte, mais contemporaine d\u2019un \u00e9tat du monde satur\u00e9 d\u2019\u00e9crans, d\u2019ondes, de chiffres.<\/p>\n

Il vient sans venir. Il s\u2019\u00e9crit, plut\u00f4t. Se d\u00e9ploie sur la page comme un filet de voix dont les contours restent flous. Ce patient-l\u00e0 ne me parle pas : il s\u2019adresse au vide, ou \u00e0 lui-m\u00eame, ou \u00e0 une pr\u00e9sence qu\u2019il suppose hostile \u2013 soci\u00e9t\u00e9, machine, voix m\u00e9diatique \u2013 il n\u2019est pas certain.<\/p>\n

Son discours oscille entre l\u2019indignation lucide et l\u2019implosion parano\u00efde. Il dit que le monde va trop vite. Il dit que le grotesque et l\u2019horreur s\u2019\u00e9changent comme des fluides. Il dit que tout cela le d\u00e9go\u00fbte, physiquement. Ce n\u2019est pas une m\u00e9taphore : il parle de naus\u00e9e, de gorge serr\u00e9e, de mar\u00e9e qui monte. Comme si penser le monde aujourd\u2019hui \u00e9quivalait \u00e0 l\u2019ing\u00e9rer de force.<\/p>\n

Ce que je note \u2013 et qui m\u2019interpelle \u2013 c\u2019est sa strat\u00e9gie de survie. Il se replie. Il cartographie son espace de respiration comme on poserait des amulettes : le crayon, la page, le rangement, la marche. Des rituels simples, rassurants. Il ne cherche pas la gu\u00e9rison, ni m\u00eame la compr\u00e9hension. Il cherche \u00e0 tenir.<\/p>\n

Mais alors, moi, l\u00e0-dedans, que suis-je ? Je veux dire : moi, analyste, lecteur, scripteur de notes ? Je suis le t\u00e9moin d\u2019une subjectivit\u00e9 qui se d\u00e9fend comme elle peut, mais qui doute d\u00e9j\u00e0 de ses propres d\u00e9fenses. Quand il parle de lucidit\u00e9, il dit qu\u2019il la hait. Qu\u2019elle est peut-\u00eatre elle-m\u00eame une \u00e9manation du syst\u00e8me qu\u2019il vomit. Il commence \u00e0 douter de la seule chose qui le tenait debout : son regard critique.<\/p>\n

Et c\u2019est l\u00e0 que je vacille. Car je le comprends trop bien.<\/p>\n

Il y a chez lui un refus de la folie spectaculaire \u2013 celle qui s\u2019agite dans le vacarme politique, dans les flux algorithm\u00e9s, dans les postures d\u2019opposition recycl\u00e9e. Mais il n\u2019est pas pour autant indemne. Il se m\u00e9fie de tout, m\u00eame de ses propres pens\u00e9es. C\u2019est un homme qui vit sous scell\u00e9, dans une conscience \u00e0 double fond.<\/p>\n

Ce qui m\u2019\u00e9meut (car j\u2019ai le droit, je ne suis pas que psy), c\u2019est qu\u2019il ne cherche ni \u00e0 convaincre ni \u00e0 s\u00e9duire. Il n\u2019est pas poseur, il est us\u00e9. Il \u00e9crit pour se taire un peu mieux. Il parle pour ne pas exploser.<\/p>\n

Alors, faut-il diagnostiquer ?<\/p>\n

Si oui, alors disons : parano\u00efa diffuse \u00e0 composante d\u00e9pressive, d\u00e9fense obsessionnelle par la ritualisation du quotidien, tendance \u00e0 la d\u00e9r\u00e9alisation exacerb\u00e9e par la surstimulation m\u00e9diatique.<\/p>\n

Mais si je suspends le geste m\u00e9dical, si j\u2019\u00e9coute au lieu de d\u00e9crypter, alors je dirais qu\u2019il est\u2026 contemporain. Lucide jusqu\u2019au malaise, et pourtant encore capable de gestes minuscules pour rester vivant. Et peut-\u00eatre que ce refus de la normalit\u00e9 est, paradoxalement, la forme la plus poignante de sant\u00e9 mentale aujourd\u2019hui.<\/i><\/p>", "content_text": " { {{Invasion visqueuse}} } Stup\u00e9fiante, la vitesse du glissement. Comme une trappe qui s\u2019ouvre sous les pieds : on croyait marcher sur du b\u00e9ton, c\u2019\u00e9tait de la vase. D\u2019un instant \u00e0 l\u2019autre, \u00e7a bascule. L\u2019horreur s\u2019\u00e9coule dans le grotesque, l\u2019un nourrit l\u2019autre, et ce qui monte alors, ce n\u2019est pas la peur, non, c\u2019est une naus\u00e9e rampante, acide, tenace. Une mar\u00e9e interne. Le monde r\u00e9gurgite. Et moi, aspir\u00e9. Le fil d\u2019actualit\u00e9s \u2014 un effleurement suffit. L\u2019\u00e9cran s\u2019allume \u2014 ils sont d\u00e9j\u00e0 l\u00e0. \u00c0 cracher. Leur lumi\u00e8re sale. La voix dans les haut-parleurs vous injecte la lie du si\u00e8cle. Alors je ferme. Je m\u2019\u00e9vide. Je m\u2019extrais. Citadelle bricol\u00e9e : un livre, un crayon, des pas r\u00e9guliers sur le trottoir mouill\u00e9. Rien d\u2019autre. L\u2019occupation ? Elle est douce, elle est flasque. Un silence de feutre. Pas de bottes. Pas de cris. Juste une pr\u00e9sence qui vous impr\u00e8gne. Et on l\u2019appelle comment ? \u00ab Nazie \u00bb, faute de mieux, faute d\u2019un mot plus pr\u00e9cis. Parce que le vieux mot fait encore peur. Il sent encore quelque chose. Mais qui croire ? Pas eux. Surtout pas eux. Ceux qui protestent \u00e0 grands gestes, ceux qui jouent l\u2019alternative comme on jouerait un r\u00f4le. M\u00eames ficelles, m\u00eame th\u00e9\u00e2tre. M\u00eame odeur. Et l\u00e0-haut ? Ils rigolent, eux. Ils attendent que \u00e7a se cr\u00e8ve, que \u00e7a suppure. La Bourse, le Golem financier. L\u2019Int\u00e9r\u00eat calcul\u00e9 \u00e0 la d\u00e9cimale. \u00c7a ronge, \u00e7a dig\u00e8re. Et en renfort, les machines. L\u2019algorithme. Froid, parfait, sans faute ni foi. Ils n\u2019ont plus besoin de nous ha\u00efr : ils n\u2019ont m\u00eame plus besoin de nous voir. Et moi, l\u00e0-dedans ? Parano ? Peut-\u00eatre. Mais si la lucidit\u00e9 \u00e9tait aussi v\u00e9rol\u00e9e que le reste ? Si cette impression d\u2019y voir clair n\u2019\u00e9tait qu\u2019un r\u00e9sidu du m\u00eame venin ? La lumi\u00e8re elle-m\u00eame falsifi\u00e9e. \u00c9tiquet\u00e9e. Capitaliste, marxiste, mao\u00efste \u2014 \u00e9tiquettes d\u00e9lav\u00e9es sur des bocaux vides. Alors je serre. Je ferme. Le dedans. Le petit. Le net. Le chaud. 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Date de la s\u00e9ance : inexacte, mais contemporaine d\u2019un \u00e9tat du monde satur\u00e9 d\u2019\u00e9crans, d\u2019ondes, de chiffres. {Il vient sans venir. Il s\u2019\u00e9crit, plut\u00f4t. Se d\u00e9ploie sur la page comme un filet de voix dont les contours restent flous. Ce patient-l\u00e0 ne me parle pas : il s\u2019adresse au vide, ou \u00e0 lui-m\u00eame, ou \u00e0 une pr\u00e9sence qu\u2019il suppose hostile \u2013 soci\u00e9t\u00e9, machine, voix m\u00e9diatique \u2013 il n\u2019est pas certain. Son discours oscille entre l\u2019indignation lucide et l\u2019implosion parano\u00efde. Il dit que le monde va trop vite. Il dit que le grotesque et l\u2019horreur s\u2019\u00e9changent comme des fluides. Il dit que tout cela le d\u00e9go\u00fbte, physiquement. Ce n\u2019est pas une m\u00e9taphore : il parle de naus\u00e9e, de gorge serr\u00e9e, de mar\u00e9e qui monte. Comme si penser le monde aujourd\u2019hui \u00e9quivalait \u00e0 l\u2019ing\u00e9rer de force. Ce que je note \u2013 et qui m\u2019interpelle \u2013 c\u2019est sa strat\u00e9gie de survie. Il se replie. Il cartographie son espace de respiration comme on poserait des amulettes : le crayon, la page, le rangement, la marche. Des rituels simples, rassurants. Il ne cherche pas la gu\u00e9rison, ni m\u00eame la compr\u00e9hension. Il cherche \u00e0 tenir. Mais alors, moi, l\u00e0-dedans, que suis-je ? Je veux dire : moi, analyste, lecteur, scripteur de notes ? Je suis le t\u00e9moin d\u2019une subjectivit\u00e9 qui se d\u00e9fend comme elle peut, mais qui doute d\u00e9j\u00e0 de ses propres d\u00e9fenses. Quand il parle de lucidit\u00e9, il dit qu\u2019il la hait. Qu\u2019elle est peut-\u00eatre elle-m\u00eame une \u00e9manation du syst\u00e8me qu\u2019il vomit. Il commence \u00e0 douter de la seule chose qui le tenait debout : son regard critique. Et c\u2019est l\u00e0 que je vacille. Car je le comprends trop bien. Il y a chez lui un refus de la folie spectaculaire \u2013 celle qui s\u2019agite dans le vacarme politique, dans les flux algorithm\u00e9s, dans les postures d\u2019opposition recycl\u00e9e. Mais il n\u2019est pas pour autant indemne. Il se m\u00e9fie de tout, m\u00eame de ses propres pens\u00e9es. C\u2019est un homme qui vit sous scell\u00e9, dans une conscience \u00e0 double fond. Ce qui m\u2019\u00e9meut (car j\u2019ai le droit, je ne suis pas que psy), c\u2019est qu\u2019il ne cherche ni \u00e0 convaincre ni \u00e0 s\u00e9duire. Il n\u2019est pas poseur, il est us\u00e9. Il \u00e9crit pour se taire un peu mieux. Il parle pour ne pas exploser. Alors, faut-il diagnostiquer ? Si oui, alors disons : parano\u00efa diffuse \u00e0 composante d\u00e9pressive, d\u00e9fense obsessionnelle par la ritualisation du quotidien, tendance \u00e0 la d\u00e9r\u00e9alisation exacerb\u00e9e par la surstimulation m\u00e9diatique. 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Porte referm\u00e9e. Soulagement. Le dibbouk n\u2019a pas attendu : il s\u2019est mis \u00e0 tournoyer, caboss\u00e9, ravi. « On va s\u2019en mettre jusqu\u2019au collet », qu\u2019il a dit. Moi, j\u2019avais juste faim. Une faim grise, logistique. Chez l\u2019\u00e9picier turc : lamelles de k\u00e9bab surgel\u00e9es, les m\u00eames que la derni\u00e8re fois. Trois baguettes chez le boulanger. Cong\u00e9lation imm\u00e9diate. Pr\u00e9vision : quatre jours de paix. « \u00c0 nous deux », j\u2019ai souffl\u00e9 — pas \u00e0 lui, \u00e9videmment. Ensuite ? Rien. D\u2019abord rien. Allum\u00e9 la t\u00e9l\u00e9. Noir et blanc, Gabin-Bardot. Vieillerie dat\u00e9e. Mon p\u00e8re, un peu. Les expressions : « ma petite fille » — insupportable. Sommeil. R\u00e9veil 17 h. \u00c9criture. Lecture : Le Roi des Rats<\/em>, Mi\u00e9ville. Le concept de dibbouk s\u2019effondre, comme tout le reste. Pas surpris. Ou alors juste pour la forme. Puis la sonnette. Frisson. Recommand\u00e9 ? Non. La m\u00e8re de L. Venue s\u2019excuser. N\u00e9gociations. Diplomatie de palier. Accord trouv\u00e9 : L. viendra le mercredi, 13 h 30 \u00e0 14 h 30. Avec sa s\u0153ur. Et moi, je referme. Je range. Je note. Je respire. C\u2019est d\u00e9j\u00e0 pas mal.<\/p>", "content_text": " Porte referm\u00e9e. Soulagement. Le dibbouk n\u2019a pas attendu : il s\u2019est mis \u00e0 tournoyer, caboss\u00e9, ravi. \u00ab On va s\u2019en mettre jusqu\u2019au collet \u00bb, qu\u2019il a dit. Moi, j\u2019avais juste faim. Une faim grise, logistique. Chez l\u2019\u00e9picier turc : lamelles de k\u00e9bab surgel\u00e9es, les m\u00eames que la derni\u00e8re fois. Trois baguettes chez le boulanger. Cong\u00e9lation imm\u00e9diate. Pr\u00e9vision : quatre jours de paix. \u00ab \u00c0 nous deux \u00bb, j\u2019ai souffl\u00e9 \u2014 pas \u00e0 lui, \u00e9videmment. Ensuite ? Rien. D\u2019abord rien. Allum\u00e9 la t\u00e9l\u00e9. Noir et blanc, Gabin-Bardot. Vieillerie dat\u00e9e. Mon p\u00e8re, un peu. Les expressions : \u00ab ma petite fille \u00bb \u2014 insupportable. Sommeil. R\u00e9veil 17 h. \u00c9criture. Lecture : *Le Roi des Rats*, Mi\u00e9ville. Le concept de dibbouk s\u2019effondre, comme tout le reste. Pas surpris. Ou alors juste pour la forme. Puis la sonnette. Frisson. Recommand\u00e9 ? Non. La m\u00e8re de L. Venue s\u2019excuser. N\u00e9gociations. Diplomatie de palier. Accord trouv\u00e9 : L. viendra le mercredi, 13 h 30 \u00e0 14 h 30. Avec sa s\u0153ur. Et moi, je referme. Je range. Je note. Je respire. C\u2019est d\u00e9j\u00e0 pas mal. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/lola.jpg?1748065099", "tags": ["Autofiction et Introspection", "new weird"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Moments-et-traversees-du-temps-michaldiens.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Moments-et-traversees-du-temps-michaldiens.html", "title": "Moments et travers\u00e9es du temps michaldiens", "date_published": "2025-03-29T17:56:14Z", "date_modified": "2025-07-07T05:14:54Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n\n

jour 1- \u00c9mergence<\/h3>\n

<\/strong><\/p>\n

1<\/strong>. D\u2019abord reconna\u00eetre ce qui fut connu sans y penser.
\nL\u2019enfouissement.
\nLa r\u00e9p\u00e9tition des cycles.
\nL\u2019oubli.
\nL\u2019attente.
\nL\u2019oubli de l\u2019attente.
\nMille esp\u00e9rances.
\nMille diversions.
\nSe tenir devant un immense champ de tiges.
\nJeunes pousses tremblantes, vacillantes.
\nUne infinit\u00e9 d\u2019arrachements possibles.<\/p>\n

2<\/strong>. Le croire et le savoir se dressent.
\nMontagnes.
\nGouffres.
\nLa fatigue s\u2019en ressent d\u00e9j\u00e0 d\u2019avance,
\nmais quand m\u00eame y aller.<\/p>\n

3<\/strong>. C\u2019est dans l\u2019horizontal, dans le m\u00e9andre horizontal
\nen serpentant selon sa nature
\nsans la forcer
\nque l\u2019apprentissage de l\u2019inertie s\u2019acquiert.
\nImmense victoire.
\nMais silence.<\/p>\n

4<\/strong>. L\u2019\u00e9talement permet de sentir mieux la vibration,
\nd\u2019en apprendre le souffle,
\nbient\u00f4t un autre seuil
\nentre celui qui sent et ce qui remue en tout
\nsera franchi.
\nPulsation g\u00e9n\u00e9rale
\ndont on ne sortira pas indemne.<\/p>\n

5<\/strong>. Enfin, ce moment plus ou moins long
\nrecr\u00e9er le mur
\nla paroi
\nmais autre.
\nCe ne sera jamais plus
\nce sera toujours pareil.
\nMais on s\u2019y fait.<\/p>\n


\n

Jour 2 \u2013 Contretemps<\/h3>\n

<\/strong><\/p>\n

1.<\/strong>
\nMoment o\u00f9 l’on doute du moment, moment d’effroi, moment o\u00f9 jaillit la br\u00fblure du premier ridicule, moment de col\u00e8re moment de peine, sale moment \u00e0 traverser
\n 2.<\/strong>
\nMoment o\u00f9 l’ennui nous sauve du moment moment d’un point de vue, moment d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 mais tenace moment du naufrage, des r\u00e9cifs, du phare et de la plage
\n 3. <\/strong>
\nMoment o\u00f9 cohabite blanc et noir chaud et froid pour et contre, moment dilatation-repli
\n 4. <\/strong>
\nMoment au centre de la terre, encore plus profond d’un moment \u00e0 l’autre, le moment o\u00f9 l’on voit l’\u00e9tendue de l’ennui dans ce m\u00eame moment, avec des stalactites et stalagmites
\n 5. <\/strong>
\nConcr\u00e9tion monumentale du moment vers le haut vers le bas o\u00f9 s\u2019\u00e9puise la verticale o\u00f9 le d\u00e9sir n\u2019a plus que l\u2019horizon pour reculer<\/p>\n

Codicille en deux souffles<\/strong><\/p>\n

Voix pleine<\/i><\/p>\n

(\u00e9mergence du sujet dans la tension du moment)
\nJe ne veux plus chercher le moment comme exp\u00e9rience pr\u00e9cieuse.
\nCe moment est r\u00e9el, mais il me blesse.
\nIl est l\u00e0, et je veux juste en sortir.
\nM\u00eame le plus plat peut sauver du pire.
\nJe vis un moment de d\u00e9tresse, mais il est structur\u00e9.
\nJe peux le traverser, \u00e0 d\u00e9faut de le comprendre.
\nJe suis travers\u00e9 par des forces contradictoires.
\nJe ne suis ni l\u2019un ni l\u2019autre.
\nJe suis l\u2019espace entre.
\nJe suis instable, mais je ne tombe pas.
\nJe vois maintenant l\u2019ennui comme une chose r\u00e9elle.
\nIl est fig\u00e9, form\u00e9, ancien.
\nJe ne peux pas le fuir, mais je peux m\u2019y d\u00e9placer, doucement.
\nIl n\u2019y a plus rien \u00e0 esp\u00e9rer d\u2019en haut ni \u00e0 craindre d\u2019en bas.
\nLe d\u00e9sir recule, lentement.
\nIl ne fuit pas.
\nIl s\u2019\u00e9tale.
\nEt moi avec lui.<\/i><\/p>\n

Voix effac\u00e9e<\/i><\/p>\n

(d\u00e9sengagement progressif du sujet, vers la dilution)
\nNe plus chercher le moment comme exp\u00e9rience pr\u00e9cieuse.
\nCe moment blesse.
\nIl est l\u00e0, et rien ne le retient.
\nM\u00eame le plus plat peut sauver du pire.
\nUn moment structur\u00e9 permet parfois la travers\u00e9e.
\nTravers\u00e9 par des forces contradictoires.
\nNi l\u2019un, ni l\u2019autre.
\nL\u2019espace entre.
\nInstable, mais sans chute.
\nL\u2019ennui devient chose r\u00e9elle.
\nFig\u00e9, form\u00e9, ancien.
\nNon fuyant, mais habitable \u00e0 faible vitesse.
\nRien \u00e0 esp\u00e9rer d\u2019en haut, rien \u00e0 craindre d\u2019en bas.
\nLe d\u00e9sir recule.
\nIl ne fuit pas.
\nIl s\u2019\u00e9tale.
\nEt quelque chose suit ce mouvement.<\/i><\/p>\n


\n

Jour 3- un moment pivot<\/h3>\n

<\/strong><\/p>\n

Stop. Sang chair os nerfs et tendons stop !
\nle mot ment mais mieux beaucoup mieux que le moment de v\u00e9rit\u00e9.
\nle mot ment mais en mentant il dit vrai plus que le vrai.
\nMoment de retour au moment pour ce qu’il est : un moment entre deux gouffres.<\/p>\n

Moment du souffle court.
\nMoment du cri r\u00e9prim\u00e9.
\nMoment du silence qu’on roule entre ses dents.
\nMoment de la rage de dent qu’on traverse.
\nMoment \u00e9tudiant la douleur vive de la rage dedans.<\/p>\n

( puis moment plateau) <\/i><\/p>\n

Moment d’apaisement.
\nMoment de victoire.
\nMoment de toute puissance.
\nMoment du hourra.
\nMoment o\u00f9 le dehors et le dedans enfin sont tenus \u00e0 distance.<\/p>\n


jour-4-Remanence<\/h3>\n

Moment suspendu.
\nMoment suspendu dans le suspendu.
\nMoment au bord du dernier \u00e9lan.
\nMoment sans exigence.
\nMoment o\u00f9 la langue ne sait plus s\u2019agencer mais continue d\u2019\u00eatre bouche.
\nUn moment n\u2019a plus besoin d\u2019\u00eatre compris.
\nUn moment s\u2019\u00e9prouve \u00e0 rebours.
\nUn moment redescend les escaliers de la parole.
\nUn moment glisse sous la peau des mots.
\nUn moment cherche une place dans l\u2019espace qu\u2019il d\u00e9fait.
\nMoment d\u2019absence non vide.
\nMoment pas encore souvenir.
\nMoment qui insiste, mais bas.
\nMoment de rien, mais \u00e0 part.
\nMoment en-de\u00e7\u00e0 du moment.
\nMoment qui s\u2019endort en soi.
\nMoment berc\u00e9 par son propre balancement.
\nMoment sans nom qui a eu tant de noms.
\nMoment qui n\u2019est plus un moment.
\nMais qui reste.<\/p>\n


Jour -5- Moments sans suite <\/h3>\n

Moment du mot trop net.
\nMoment sans souffle.
\nMoment sans vacillement.
\nMoment machine.
\nMoment relu, non pour comprendre,
\nmais pour y trouver ce qui manque.
\nRien.
\nMoment qu\u2019aucune voix ne rattrape.
\nMoment r\u00e9duit \u00e0 sa surface.
\nMoment qu\u2019on ouvre et qui expose.
\nMoment trop nu pour \u00eatre partag\u00e9.
\nMoment qui se referme.
\nNon par sagesse,
\npar instinct
\nMoment mur\u00e9.
\nMoment sans suite.
\nMoment du mot trop net.
\nMoment sans souffle.
\nMoment sans vacillement.
\nMoment machine.
\nMoment relu, non pour comprendre,
\nmais pour y trouver ce qui manque.
\nRien.
\nMoment qu\u2019aucune voix ne rattrape.
\nMoment r\u00e9duit \u00e0 sa surface.
\nMoment qu\u2019on ouvre et qui expose.
\nMoment trop nu pour \u00eatre partag\u00e9.
\nMoment qui se referme.
\nNon par sagesse,
\npar instinct
\nMoment mur\u00e9.
\nMoment sans suite.
\nMoment o\u00f9 le silence est seul possible.
\nMoment, enfin, de la seule lutte qui vaille :
\nune haine propre
\nune maladresse<\/p>", "content_text": " Votre navigateur ne supporte pas l\u2019\u00e9l\u00e9ment audio. {{ {{{ jour 1- \u00c9mergence}}} }} {{1}}. D\u2019abord reconna\u00eetre ce qui fut connu sans y penser. L\u2019enfouissement. La r\u00e9p\u00e9tition des cycles. L\u2019oubli. L\u2019attente. L\u2019oubli de l\u2019attente. Mille esp\u00e9rances. Mille diversions. Se tenir devant un immense champ de tiges. Jeunes pousses tremblantes, vacillantes. Une infinit\u00e9 d\u2019arrachements possibles. {{2}}. Le croire et le savoir se dressent. Montagnes. Gouffres. La fatigue s\u2019en ressent d\u00e9j\u00e0 d\u2019avance, mais quand m\u00eame y aller. {{3}}. C\u2019est dans l\u2019horizontal, dans le m\u00e9andre horizontal en serpentant selon sa nature sans la forcer que l\u2019apprentissage de l\u2019inertie s\u2019acquiert. Immense victoire. Mais silence. {{4}}. L\u2019\u00e9talement permet de sentir mieux la vibration, d\u2019en apprendre le souffle, bient\u00f4t un autre seuil entre celui qui sent et ce qui remue en tout sera franchi. Pulsation g\u00e9n\u00e9rale dont on ne sortira pas indemne. {{5}}. Enfin, ce moment plus ou moins long recr\u00e9er le mur la paroi mais autre. Ce ne sera jamais plus ce sera toujours pareil. Mais on s\u2019y fait. {{ {{{ Jour 2 \u2013 Contretemps}}} }} {{ 1.}} Moment o\u00f9 l'on doute du moment, moment d'effroi, moment o\u00f9 jaillit la br\u00fblure du premier ridicule, moment de col\u00e8re moment de peine, sale moment \u00e0 traverser {{ 2.}} Moment o\u00f9 l'ennui nous sauve du moment moment d'un point de vue, moment d\u00e9sesp\u00e9r\u00e9 mais tenace moment du naufrage, des r\u00e9cifs, du phare et de la plage {{ 3. }} Moment o\u00f9 cohabite blanc et noir chaud et froid pour et contre, moment dilatation-repli {{ 4. }} Moment au centre de la terre, encore plus profond d'un moment \u00e0 l'autre, le moment o\u00f9 l'on voit l'\u00e9tendue de l'ennui dans ce m\u00eame moment, avec des stalactites et stalagmites {{ 5. }} Concr\u00e9tion monumentale du moment vers le haut vers le bas o\u00f9 s\u2019\u00e9puise la verticale o\u00f9 le d\u00e9sir n\u2019a plus que l\u2019horizon pour reculer {{Codicille en deux souffles}} {Voix pleine} {(\u00e9mergence du sujet dans la tension du moment) Je ne veux plus chercher le moment comme exp\u00e9rience pr\u00e9cieuse. Ce moment est r\u00e9el, mais il me blesse. Il est l\u00e0, et je veux juste en sortir. M\u00eame le plus plat peut sauver du pire. Je vis un moment de d\u00e9tresse, mais il est structur\u00e9. Je peux le traverser, \u00e0 d\u00e9faut de le comprendre. Je suis travers\u00e9 par des forces contradictoires. Je ne suis ni l\u2019un ni l\u2019autre. Je suis l\u2019espace entre. Je suis instable, mais je ne tombe pas. Je vois maintenant l\u2019ennui comme une chose r\u00e9elle. Il est fig\u00e9, form\u00e9, ancien. Je ne peux pas le fuir, mais je peux m\u2019y d\u00e9placer, doucement. Il n\u2019y a plus rien \u00e0 esp\u00e9rer d\u2019en haut ni \u00e0 craindre d\u2019en bas. Le d\u00e9sir recule, lentement. Il ne fuit pas. Il s\u2019\u00e9tale. Et moi avec lui.} {Voix effac\u00e9e} {(d\u00e9sengagement progressif du sujet, vers la dilution) Ne plus chercher le moment comme exp\u00e9rience pr\u00e9cieuse. Ce moment blesse. Il est l\u00e0, et rien ne le retient. M\u00eame le plus plat peut sauver du pire. Un moment structur\u00e9 permet parfois la travers\u00e9e. Travers\u00e9 par des forces contradictoires. Ni l\u2019un, ni l\u2019autre. L\u2019espace entre. Instable, mais sans chute. L\u2019ennui devient chose r\u00e9elle. Fig\u00e9, form\u00e9, ancien. Non fuyant, mais habitable \u00e0 faible vitesse. Rien \u00e0 esp\u00e9rer d\u2019en haut, rien \u00e0 craindre d\u2019en bas. Le d\u00e9sir recule. Il ne fuit pas. Il s\u2019\u00e9tale. Et quelque chose suit ce mouvement.} {{ {{{Jour 3- un moment pivot}}} }} Stop. Sang chair os nerfs et tendons stop ! le mot ment mais mieux beaucoup mieux que le moment de v\u00e9rit\u00e9. le mot ment mais en mentant il dit vrai plus que le vrai. Moment de retour au moment pour ce qu'il est : un moment entre deux gouffres. Moment du souffle court. Moment du cri r\u00e9prim\u00e9. Moment du silence qu'on roule entre ses dents. Moment de la rage de dent qu'on traverse. Moment \u00e9tudiant la douleur vive de la rage dedans. {( puis moment plateau) } Moment d'apaisement. Moment de victoire. Moment de toute puissance. Moment du hourra. Moment o\u00f9 le dehors et le dedans enfin sont tenus \u00e0 distance. {{{jour-4-Remanence}}} Moment suspendu. Moment suspendu dans le suspendu. Moment au bord du dernier \u00e9lan. Moment sans exigence. Moment o\u00f9 la langue ne sait plus s\u2019agencer mais continue d\u2019\u00eatre bouche. Un moment n\u2019a plus besoin d\u2019\u00eatre compris. Un moment s\u2019\u00e9prouve \u00e0 rebours. Un moment redescend les escaliers de la parole. Un moment glisse sous la peau des mots. Un moment cherche une place dans l\u2019espace qu\u2019il d\u00e9fait. Moment d\u2019absence non vide. Moment pas encore souvenir. Moment qui insiste, mais bas. Moment de rien, mais \u00e0 part. Moment en-de\u00e7\u00e0 du moment. Moment qui s\u2019endort en soi. Moment berc\u00e9 par son propre balancement. Moment sans nom qui a eu tant de noms. Moment qui n\u2019est plus un moment. Mais qui reste. {{{Jour -5- Moments sans suite }}} Moment du mot trop net. Moment sans souffle. Moment sans vacillement. Moment machine. Moment relu, non pour comprendre, mais pour y trouver ce qui manque. Rien. Moment qu\u2019aucune voix ne rattrape. Moment r\u00e9duit \u00e0 sa surface. Moment qu\u2019on ouvre et qui expose. Moment trop nu pour \u00eatre partag\u00e9. Moment qui se referme. Non par sagesse, par instinct Moment mur\u00e9. Moment sans suite. Moment du mot trop net. Moment sans souffle. Moment sans vacillement. Moment machine. Moment relu, non pour comprendre, mais pour y trouver ce qui manque. Rien. Moment qu\u2019aucune voix ne rattrape. Moment r\u00e9duit \u00e0 sa surface. Moment qu\u2019on ouvre et qui expose. Moment trop nu pour \u00eatre partag\u00e9. Moment qui se referme. Non par sagesse, par instinct Moment mur\u00e9. Moment sans suite. Moment o\u00f9 le silence est seul possible. 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\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

On n\u2019a pas besoin de grand-chose : un pas, un petit \u00e9cart, rien qu\u2019un pas de c\u00f4t\u00e9. On quitte la route, on s\u2019enfile dans un sentier, un de ceux qu\u2019on ne trouve pas sur les cartes, et tr\u00e8s vite, voil\u00e0, c\u2019est comme si on tombait dans une r\u00e9serve d\u2019humilit\u00e9, une sorte de clairi\u00e8re int\u00e9rieure, sans panneau indicateur. C\u2019est plus simple que pr\u00e9vu, cette posture-l\u00e0, d\u2019autant qu\u2019on peut \u00eatre s\u00fbr que personne ne regarde. Il y a bien des arbres, des b\u00eates discr\u00e8tes, des herbes diverses et vari\u00e9es, mais ce sentiment-l\u00e0 \u2013 l\u2019humilit\u00e9 donc \u2013 ne semble pas tr\u00e8s concern\u00e9.<\/p>\n

Je voulais me fondre. Pas dispara\u00eetre, non, je tenais encore \u00e0 certaines textures, \u00e0 l\u2019odeur de la terre mouill\u00e9e. Je voulais me m\u00ealer au myst\u00e8re. Ce myst\u00e8re sans majuscule, cette mati\u00e8re vague qui palpite derri\u00e8re les choses. Je r\u00eavais de devenir un arbre. Une foug\u00e8re. Un oiseau. Pas un faucon, trop majestueux. Un de ceux qu\u2019on entend sans les voir. Un oiseau de doute. Peut-\u00eatre qu\u2019un oiseau r\u00eave aussi de devenir homme. Peut-\u00eatre que rien n\u2019est jamais satisfait de son sort. Que cette insatisfaction fait tourner les saisons.<\/p>\n

Il y a des mots qui reviennent sans qu\u2019on les convoque. Ces temps-ci, le mot seuil. Pas un concept. Une vibration. Quelque chose \u00e0 franchir. Ou \u00e0 habiter. Un endroit entre. Entre moi et l\u2019autre. Entre l\u2019avant et l\u2019apr\u00e8s. Ce texte n\u2019est peut-\u00eatre que cela : une tentative de rester un peu plus longtemps au bord, sans fuir. D\u2019observer ce qui bouge quand on ne bouge plus.<\/p>\n

Changer de style, ou croire qu\u2019on le peut, c\u2019est sentir que le langage n\u2019est pas une cage mais un terrain modulable. Peut-\u00eatre que le style profond est justement le seuil lui-m\u00eame. Et chaque variation est une mani\u00e8re de l\u2019explorer. De se chercher en traversant. \u00c9crire comme on change de fr\u00e9quence.<\/p>\n

Les deux femmes sont arriv\u00e9es \u00e0 dix heures trente. J\u2019avais rassembl\u00e9 leurs toiles dans la biblioth\u00e8que, pas question de les laisser entrer plus avant. Pas dans l\u2019atelier. J\u2019aurais pu, bien s\u00fbr. Je n\u2019\u00e9tais pas oppos\u00e9 \u00e0 l\u2019id\u00e9e. Jusqu\u2019\u00e0 ce dernier message, sec, nerveux, satur\u00e9 de col\u00e8re.<\/p>\n

Je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 malade. Je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 soulag\u00e9. J\u2019ai not\u00e9 l\u2019\u00e9v\u00e9nement, avec une certaine distance. Leurs visages \u00e9taient tendus. J\u2019ai dit : approchez la voiture, ce sera plus simple. J\u2019ai aid\u00e9 \u00e0 charger. Y. a tent\u00e9 un mot, un appel, une relance. J\u2019ai dit peu. J\u2019ai dit que tout cela \u00e9tait s\u00fbrement pour le mieux, mais qu\u2019on ne le voyait pas encore. Puis je leur ai dit au revoir. Sept ans.<\/p>\n

Surprendre une telle ranc\u0153ur, \u00e7a m\u2019a frapp\u00e9. Mais je n\u2019ai rien montr\u00e9. J\u2019ai gard\u00e9 cette mani\u00e8re calme d\u2019\u00eatre l\u00e0. Comme si la vie avait ses plans.<\/p>\n

En voyant le cam\u00e9lia en fleur j’ai eu envie de prendre une photographie. Une v\u00e9ritable orgie de fushia et de rose, presque obsc\u00e8ne. Peut-\u00eatre demain.<\/p>", "content_text": " On n\u2019a pas besoin de grand-chose : un pas, un petit \u00e9cart, rien qu\u2019un pas de c\u00f4t\u00e9. On quitte la route, on s\u2019enfile dans un sentier, un de ceux qu\u2019on ne trouve pas sur les cartes, et tr\u00e8s vite, voil\u00e0, c\u2019est comme si on tombait dans une r\u00e9serve d\u2019humilit\u00e9, une sorte de clairi\u00e8re int\u00e9rieure, sans panneau indicateur. C\u2019est plus simple que pr\u00e9vu, cette posture-l\u00e0, d\u2019autant qu\u2019on peut \u00eatre s\u00fbr que personne ne regarde. Il y a bien des arbres, des b\u00eates discr\u00e8tes, des herbes diverses et vari\u00e9es, mais ce sentiment-l\u00e0 \u2013 l\u2019humilit\u00e9 donc \u2013 ne semble pas tr\u00e8s concern\u00e9. Je voulais me fondre. Pas dispara\u00eetre, non, je tenais encore \u00e0 certaines textures, \u00e0 l\u2019odeur de la terre mouill\u00e9e. Je voulais me m\u00ealer au myst\u00e8re. Ce myst\u00e8re sans majuscule, cette mati\u00e8re vague qui palpite derri\u00e8re les choses. Je r\u00eavais de devenir un arbre. Une foug\u00e8re. Un oiseau. Pas un faucon, trop majestueux. Un de ceux qu\u2019on entend sans les voir. Un oiseau de doute. Peut-\u00eatre qu\u2019un oiseau r\u00eave aussi de devenir homme. Peut-\u00eatre que rien n\u2019est jamais satisfait de son sort. Que cette insatisfaction fait tourner les saisons. Il y a des mots qui reviennent sans qu\u2019on les convoque. Ces temps-ci, le mot seuil. Pas un concept. Une vibration. Quelque chose \u00e0 franchir. Ou \u00e0 habiter. Un endroit entre. Entre moi et l\u2019autre. Entre l\u2019avant et l\u2019apr\u00e8s. Ce texte n\u2019est peut-\u00eatre que cela : une tentative de rester un peu plus longtemps au bord, sans fuir. D\u2019observer ce qui bouge quand on ne bouge plus. Changer de style, ou croire qu\u2019on le peut, c\u2019est sentir que le langage n\u2019est pas une cage mais un terrain modulable. Peut-\u00eatre que le style profond est justement le seuil lui-m\u00eame. Et chaque variation est une mani\u00e8re de l\u2019explorer. De se chercher en traversant. \u00c9crire comme on change de fr\u00e9quence. Les deux femmes sont arriv\u00e9es \u00e0 dix heures trente. J\u2019avais rassembl\u00e9 leurs toiles dans la biblioth\u00e8que, pas question de les laisser entrer plus avant. Pas dans l\u2019atelier. J\u2019aurais pu, bien s\u00fbr. Je n\u2019\u00e9tais pas oppos\u00e9 \u00e0 l\u2019id\u00e9e. Jusqu\u2019\u00e0 ce dernier message, sec, nerveux, satur\u00e9 de col\u00e8re. Je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 malade. Je n\u2019ai pas \u00e9t\u00e9 soulag\u00e9. J\u2019ai not\u00e9 l\u2019\u00e9v\u00e9nement, avec une certaine distance. Leurs visages \u00e9taient tendus. J\u2019ai dit : approchez la voiture, ce sera plus simple. J\u2019ai aid\u00e9 \u00e0 charger. Y. a tent\u00e9 un mot, un appel, une relance. J\u2019ai dit peu. J\u2019ai dit que tout cela \u00e9tait s\u00fbrement pour le mieux, mais qu\u2019on ne le voyait pas encore. Puis je leur ai dit au revoir. Sept ans. Surprendre une telle ranc\u0153ur, \u00e7a m\u2019a frapp\u00e9. Mais je n\u2019ai rien montr\u00e9. J\u2019ai gard\u00e9 cette mani\u00e8re calme d\u2019\u00eatre l\u00e0. Comme si la vie avait ses plans. En voyant le cam\u00e9lia en fleur j'ai eu envie de prendre une photographie. Une v\u00e9ritable orgie de fushia et de rose, presque obsc\u00e8ne. Peut-\u00eatre demain. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/camellia-2208531_1920_opt.jpg?1748065077", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/28-mars-2025.html", "title": "28 mars 2025", "date_published": "2025-03-28T18:02:39Z", "date_modified": "2025-03-28T18:02:39Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

R\u00e9veil vers deux heures. Reprise du code en local. Peut-\u00eatre que, finalement, tout ne doit pas \u00eatre « justifi\u00e9 », notamment dans les descriptions des cartes. Petit clin d\u2019\u0153il \u00e0 D.H. Ensuite, pas mal de gal\u00e8res pour installer le build Tailwind correct : la derni\u00e8re version a trop de bugs. Le *output* se trouve dans le r\u00e9pertoire `dist`, le *input* dans le `rc`, le fichier `config.js` \u00e0 la racine du site.<\/p>\n

\u00c0 peine le temps de lever la t\u00eate, d\u2019aller me faire un caf\u00e9, qu\u2019il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 quatre heures. Puis, assez vite, la vid\u00e9o journali\u00e8re de F. Me suis rendormi vers six heures pour me relever \u00e0 huit. Ensuite, cours jusqu\u2019\u00e0 midi. S. a pris la Dacia pour aller \u00e0 RDG : spectacle enfant, puis adulte, jusqu\u2019\u00e0 pas d\u2019heure. Appel dans l\u2019apr\u00e8s-midi : seulement cinq r\u00e9servations.<\/p>\n

Mang\u00e9 une tartine beurr\u00e9e, bu un caf\u00e9, reparti vers l\u2019association jusqu\u2019\u00e0 dix-sept heures. Parti \u00e0 pied, car impossible de d\u00e9marrer la Twingo, qui \u00e9tait sur la r\u00e9serve. Il faut voir dans la remise si j\u2019ai des jerricans de cinq litres pour aller chercher du 95 demain. J\u2019esp\u00e8re que ce n\u2019est que \u00e7a.<\/p>\n

S. part une semaine \u00e0 Paris, car M. part en formation. Elle appr\u00e9hende de s\u2019occuper de MX : il a encore refait le coup de se rouler par terre pour ne pas aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole. On cherche. Peut-\u00eatre une \u00e9cole pour « gros », un psy\u2026 S. est psy, \u00e7a devrait aller. Si elle ne s\u2019\u00e9nerve pas. Gros \u00e0 parier que si.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que l\u2019exp\u00e9rience de lecture des carnets de HPL avec F. m\u2019apprend quelque chose. Des notes tr\u00e8s courtes, crypt\u00e9es. Pour soi. Pourquoi continuer \u00e0 publier, dans ce cas ? Pour le rythme ? Pour ne pas perdre le rythme. On s\u2019accroche \u00e0 un rythme, difficile de le changer ?<\/p>\n

Pas de litt\u00e9rature dans ces carnets. Je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit. Il faut se concentrer sur la fiction, je me dis. S\u2019\u00e9vader dans la fiction. Moins facile. Il faut beaucoup r\u00e9\u00e9crire, pouvoir dire les phrases \u00e0 haute voix, voir si \u00e7a sonne. Et plus je r\u00e9\u00e9cris, plus cela devient un v\u00e9ritable casse-t\u00eate, exactement comme ce code Tailwind que je compile et recompile sans arr\u00eat.<\/p>\n

Je vide quelque chose avec ces phrases courtes. Hach\u00e9es. C\u2019est une purge. Une fa\u00e7on de faire place nette. Avant.<\/p>\n

Peut-\u00eatre un pr\u00e9alable. Une \u00e9tape n\u00e9cessaire. Comme un moteur diesel. Il faut attendre que tous les voyants s\u2019\u00e9teignent avant de tourner la clef de contact.<\/p>\n

Rien d\u2019autre ne m\u2019int\u00e9resse. Alors je vais boire un caf\u00e9, manger un morceau. Puis revenir devant l\u2019\u00e9cran. Voir ce qui arrive. Et m\u2019y accrocher fermement.<\/p>\n

En passant j’ai d\u00e9couvert le mod\u00e8le de g\u00e9n\u00e9ration d’images qui remplace d\u00e9sormais Dalle3 sur ChatGpt. Je lui ai demand\u00e9 de me faire un visuel \u00e0 partir de ma page d’accueil. Comment am\u00e9liorer ? Sid\u00e9ration.<\/p>", "content_text": " R\u00e9veil vers deux heures. Reprise du code en local. Peut-\u00eatre que, finalement, tout ne doit pas \u00eatre \"justifi\u00e9\", notamment dans les descriptions des cartes. Petit clin d\u2019\u0153il \u00e0 D.H. Ensuite, pas mal de gal\u00e8res pour installer le build Tailwind correct : la derni\u00e8re version a trop de bugs. Le *output* se trouve dans le r\u00e9pertoire `dist`, le *input* dans le `rc`, le fichier `config.js` \u00e0 la racine du site. \u00c0 peine le temps de lever la t\u00eate, d\u2019aller me faire un caf\u00e9, qu\u2019il \u00e9tait d\u00e9j\u00e0 quatre heures. Puis, assez vite, la vid\u00e9o journali\u00e8re de F. Me suis rendormi vers six heures pour me relever \u00e0 huit. Ensuite, cours jusqu\u2019\u00e0 midi. S. a pris la Dacia pour aller \u00e0 RDG : spectacle enfant, puis adulte, jusqu\u2019\u00e0 pas d\u2019heure. Appel dans l\u2019apr\u00e8s-midi : seulement cinq r\u00e9servations. Mang\u00e9 une tartine beurr\u00e9e, bu un caf\u00e9, reparti vers l\u2019association jusqu\u2019\u00e0 dix-sept heures. Parti \u00e0 pied, car impossible de d\u00e9marrer la Twingo, qui \u00e9tait sur la r\u00e9serve. Il faut voir dans la remise si j\u2019ai des jerricans de cinq litres pour aller chercher du 95 demain. J\u2019esp\u00e8re que ce n\u2019est que \u00e7a. S. part une semaine \u00e0 Paris, car M. part en formation. Elle appr\u00e9hende de s\u2019occuper de MX : il a encore refait le coup de se rouler par terre pour ne pas aller \u00e0 l\u2019\u00e9cole. On cherche. Peut-\u00eatre une \u00e9cole pour \"gros\", un psy\u2026 S. est psy, \u00e7a devrait aller. Si elle ne s\u2019\u00e9nerve pas. Gros \u00e0 parier que si. Peut-\u00eatre que l\u2019exp\u00e9rience de lecture des carnets de HPL avec F. m\u2019apprend quelque chose. Des notes tr\u00e8s courtes, crypt\u00e9es. Pour soi. Pourquoi continuer \u00e0 publier, dans ce cas ? Pour le rythme ? Pour ne pas perdre le rythme. On s\u2019accroche \u00e0 un rythme, difficile de le changer ? Pas de litt\u00e9rature dans ces carnets. Je l\u2019ai d\u00e9j\u00e0 dit. Il faut se concentrer sur la fiction, je me dis. S\u2019\u00e9vader dans la fiction. Moins facile. Il faut beaucoup r\u00e9\u00e9crire, pouvoir dire les phrases \u00e0 haute voix, voir si \u00e7a sonne. Et plus je r\u00e9\u00e9cris, plus cela devient un v\u00e9ritable casse-t\u00eate, exactement comme ce code Tailwind que je compile et recompile sans arr\u00eat. Je vide quelque chose avec ces phrases courtes. Hach\u00e9es. C\u2019est une purge. Une fa\u00e7on de faire place nette. Avant. Peut-\u00eatre un pr\u00e9alable. Une \u00e9tape n\u00e9cessaire. Comme un moteur diesel. Il faut attendre que tous les voyants s\u2019\u00e9teignent avant de tourner la clef de contact. Rien d\u2019autre ne m\u2019int\u00e9resse. Alors je vais boire un caf\u00e9, manger un morceau. Puis revenir devant l\u2019\u00e9cran. Voir ce qui arrive. Et m\u2019y accrocher fermement. En passant j'ai d\u00e9couvert le mod\u00e8le de g\u00e9n\u00e9ration d'images qui remplace d\u00e9sormais Dalle3 sur ChatGpt. Je lui ai demand\u00e9 de me faire un visuel \u00e0 partir de ma page d'accueil. Comment am\u00e9liorer ? Sid\u00e9ration. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/modele-site-spip.png?1748065123", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-mars-2024.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/27-mars-2024.html", "title": "27 mars 2024", "date_published": "2025-03-27T06:44:58Z", "date_modified": "2025-03-27T06:45:09Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Fuite d\u2019eau, vers quatre heures du matin. Une canalisation, dans la cave. C\u2019est le bruit qui m\u2019a r\u00e9veill\u00e9, ce glouglou lointain venu s\u2019inviter dans mon sommeil. Je suis descendu une fois la trappe ouverte, et j\u2019ai entendu l\u2019eau filer au fond de la cave. Il a fallu pousser le vaisselier pour lib\u00e9rer l\u2019acc\u00e8s, dans la cuisine — l\u00e0 o\u00f9 repose le g\u00e9n\u00e9ral, nom de guerre de cette trappe.<\/p>\n

Un fond de caf\u00e9 d\u2019hier a suffi. R\u00e9chauff\u00e9 au micro-ondes. Je me suis assis avec mes pilules : la jaune pour l\u2019hypertension, la blanche pour le cholest\u00e9rol. Puis j\u2019ai tout laiss\u00e9 en plan pour \u00e9crire. Parce que c\u2019est comme \u00e7a que je suis. Et de toute fa\u00e7on, il fallait attendre huit heures pour appeler le plombier.<\/p>\n

M. ne va plus en classe. Chaque matin, douleurs r\u00e9elles ou pas, il se replie dans la salle d\u2019eau. Sa m\u00e8re parle d\u2019internat, son p\u00e8re tente de jongler entre son poste et L., en fauteuil roulant depuis sa fracture. Chez leur m\u00e8re, plus personne ne va \u00e0 l\u2019\u00e9cole. Trop compliqu\u00e9. Moi, j\u2019en reste mi-figue, mi-raisin. L\u2019\u00e9cole est une usine \u00e0 maux de ventre — on l\u2019oublie trop. Je ne vais pas jusqu\u2019\u00e0 l\u2019admiration, mais presque.<\/p>\n

S. est \u00e0 cran. Parfois, elle me fait penser \u00e0 ces femmes m\u00e9diterran\u00e9ennes — italiennes, juives, marocaines — qui semblent porter tout le monde dans leur ventre. Une agitation permanente, comme une forme d\u2019hyst\u00e9rie. Un miroir du monde, en fait. J\u2019ai parfois l\u2019impression qu\u2019elle agit selon un script, les m\u00eames mots, les m\u00eames intonations. Et moi, suis-je un autre programme ? On s\u2019imbrique. On s\u2019ex\u00e9cute. On bugue. L\u2019affection se situe peut-\u00eatre ailleurs. Comme un code source oubli\u00e9. Ou un m\u00e8me qu\u2019on se r\u00e9p\u00e8te pour \u00e9viter de voir la tuyauterie, les raccords, les fuites.<\/p>\n

Le plombier est arriv\u00e9 vers dix-neuf heures. Frontale viss\u00e9e sur le cr\u00e2ne. On est descendus ensemble. Je pensais qu\u2019il allait constater, reporter, revenir. Non. R\u00e9paration imm\u00e9diate. Cinq minutes. Et moi de penser que j\u2019aurais d\u00fb \u00eatre plombier. Plus utile. Moins pr\u00e9caire. Mieux pay\u00e9.<\/p>\n

Les C. sont arriv\u00e9s en m\u00eame temps. Probl\u00e8mes de caravane, de jardin, de propri\u00e9taire \u00e0 bout de souffle. On a partag\u00e9 une quiche. Invit\u00e9 le plombier \u00e0 boire un verre. Il a racont\u00e9, tout sourire, comment il s\u2019\u00e9tait br\u00fbl\u00e9 le visage en soudant sous un lavabo — lunettes de ski \u00e0 la place du casque. Personne n\u2019a trouv\u00e9 \u00e7a \u00e9tonnant. Ah bon. Eh ben. On a resservi du blanc. Des chips. Des phrases convenues.<\/p>\n

Les C. ont d\u00e9fendu les \u00e9colos lyonnais, S. a repris la main. Vignette Crit\u2019Air, \u0153ufs impropres \u00e0 la consommation, femmes enceintes inqui\u00e8tes \u00e0 Pierre-B\u00e9nite. Conversation typique. Ni plus ni moins. Et nous, sommes-nous si diff\u00e9rents ? Moins dans la forme, peut-\u00eatre, mais sur le fond, nous aussi, on tourne en boucle. Le mouvement perp\u00e9tuel de la distillerie de la douleur. Chacun fait comme il peut.<\/p>\n

J\u2019ai bien avanc\u00e9 sur Gor. Douze chapitres. Deux ou trois versions chacun. Cette page « Agenda », o\u00f9 j\u2019ai not\u00e9 mes dates de publication, me file une trouille saine : elle me pousse \u00e0 courir devant. J\u2019ouvre un document, j\u2019y balance mes id\u00e9es en rouge ou en bleu, et je m\u2019en sers pour r\u00e9\u00e9crire. Je ne sais pas o\u00f9 \u00e7a va. Je pr\u00e9f\u00e8re ne pas y penser.<\/p>\n

Ce matin, les \u00e9l\u00e8ves du jeudi passent r\u00e9cup\u00e9rer leurs toiles. Fin de cycle. Apr\u00e8s quelques SMS \u00e9chang\u00e9s, ils restent f\u00e2ch\u00e9s, moi t\u00eatu. Pas d\u2019explication. Pas d\u2019excuse. Je ne suis qu\u2019un prestataire. Si \u00e7a ne va plus, on change. Apr\u00e8s sept ans, on me dit que c\u2019est triste. Moi je pense qu\u2019on aurait d\u00fb le faire plus t\u00f4t. Trois ans avec un prof, c\u2019est un maximum. Apr\u00e8s, \u00e7a devient un salon de th\u00e9. Il faut une \u00e9thique, m\u00eame si elle ne pla\u00eet pas \u00e0 tout le monde.<\/p>\n

Je ne re\u00e7ois plus de nouvelles de cette femme. Il y a quelques jours, j\u2019h\u00e9sitais entre tristesse et soulagement. Finalement, ce sera ni l\u2019un ni l\u2019autre. Les engouements me d\u00e9sesp\u00e8rent. Les miens comme ceux des autres. Ce qu\u2019il reste est assez simple : lire, \u00e9crire, photographier les fuites, partager un bon moment entre amis, parfois. Et attendre que le printemps s\u2019installe. Mais aujourd\u2019hui, ce n\u2019est pas encore le jour.<\/p>", "content_text": "Fuite d\u2019eau, vers quatre heures du matin. Une canalisation, dans la cave. C\u2019est le bruit qui m\u2019a r\u00e9veill\u00e9, ce glouglou lointain venu s\u2019inviter dans mon sommeil. Je suis descendu une fois la trappe ouverte, et j\u2019ai entendu l\u2019eau filer au fond de la cave. Il a fallu pousser le vaisselier pour lib\u00e9rer l\u2019acc\u00e8s, dans la cuisine \u2014 l\u00e0 o\u00f9 repose le g\u00e9n\u00e9ral, nom de guerre de cette trappe. Un fond de caf\u00e9 d\u2019hier a suffi. R\u00e9chauff\u00e9 au micro-ondes. Je me suis assis avec mes pilules : la jaune pour l\u2019hypertension, la blanche pour le cholest\u00e9rol. Puis j\u2019ai tout laiss\u00e9 en plan pour \u00e9crire. Parce que c\u2019est comme \u00e7a que je suis. Et de toute fa\u00e7on, il fallait attendre huit heures pour appeler le plombier. M. ne va plus en classe. Chaque matin, douleurs r\u00e9elles ou pas, il se replie dans la salle d\u2019eau. Sa m\u00e8re parle d\u2019internat, son p\u00e8re tente de jongler entre son poste et L., en fauteuil roulant depuis sa fracture. Chez leur m\u00e8re, plus personne ne va \u00e0 l\u2019\u00e9cole. Trop compliqu\u00e9. Moi, j\u2019en reste mi-figue, mi-raisin. L\u2019\u00e9cole est une usine \u00e0 maux de ventre \u2014 on l\u2019oublie trop. Je ne vais pas jusqu\u2019\u00e0 l\u2019admiration, mais presque. S. est \u00e0 cran. Parfois, elle me fait penser \u00e0 ces femmes m\u00e9diterran\u00e9ennes \u2014 italiennes, juives, marocaines \u2014 qui semblent porter tout le monde dans leur ventre. Une agitation permanente, comme une forme d\u2019hyst\u00e9rie. Un miroir du monde, en fait. J\u2019ai parfois l\u2019impression qu\u2019elle agit selon un script, les m\u00eames mots, les m\u00eames intonations. Et moi, suis-je un autre programme ? On s\u2019imbrique. On s\u2019ex\u00e9cute. On bugue. L\u2019affection se situe peut-\u00eatre ailleurs. Comme un code source oubli\u00e9. Ou un m\u00e8me qu\u2019on se r\u00e9p\u00e8te pour \u00e9viter de voir la tuyauterie, les raccords, les fuites. Le plombier est arriv\u00e9 vers dix-neuf heures. Frontale viss\u00e9e sur le cr\u00e2ne. On est descendus ensemble. Je pensais qu\u2019il allait constater, reporter, revenir. Non. R\u00e9paration imm\u00e9diate. Cinq minutes. Et moi de penser que j\u2019aurais d\u00fb \u00eatre plombier. Plus utile. Moins pr\u00e9caire. Mieux pay\u00e9. Les C. sont arriv\u00e9s en m\u00eame temps. Probl\u00e8mes de caravane, de jardin, de propri\u00e9taire \u00e0 bout de souffle. On a partag\u00e9 une quiche. Invit\u00e9 le plombier \u00e0 boire un verre. Il a racont\u00e9, tout sourire, comment il s\u2019\u00e9tait br\u00fbl\u00e9 le visage en soudant sous un lavabo \u2014 lunettes de ski \u00e0 la place du casque. Personne n\u2019a trouv\u00e9 \u00e7a \u00e9tonnant. Ah bon. Eh ben. On a resservi du blanc. Des chips. Des phrases convenues. Les C. ont d\u00e9fendu les \u00e9colos lyonnais, S. a repris la main. Vignette Crit\u2019Air, \u0153ufs impropres \u00e0 la consommation, femmes enceintes inqui\u00e8tes \u00e0 Pierre-B\u00e9nite. Conversation typique. Ni plus ni moins. Et nous, sommes-nous si diff\u00e9rents ? Moins dans la forme, peut-\u00eatre, mais sur le fond, nous aussi, on tourne en boucle. Le mouvement perp\u00e9tuel de la distillerie de la douleur. Chacun fait comme il peut. J\u2019ai bien avanc\u00e9 sur Gor. Douze chapitres. Deux ou trois versions chacun. Cette page \"Agenda\", o\u00f9 j\u2019ai not\u00e9 mes dates de publication, me file une trouille saine : elle me pousse \u00e0 courir devant. J\u2019ouvre un document, j\u2019y balance mes id\u00e9es en rouge ou en bleu, et je m\u2019en sers pour r\u00e9\u00e9crire. Je ne sais pas o\u00f9 \u00e7a va. Je pr\u00e9f\u00e8re ne pas y penser. Ce matin, les \u00e9l\u00e8ves du jeudi passent r\u00e9cup\u00e9rer leurs toiles. Fin de cycle. Apr\u00e8s quelques SMS \u00e9chang\u00e9s, ils restent f\u00e2ch\u00e9s, moi t\u00eatu. Pas d\u2019explication. Pas d\u2019excuse. Je ne suis qu\u2019un prestataire. Si \u00e7a ne va plus, on change. Apr\u00e8s sept ans, on me dit que c\u2019est triste. Moi je pense qu\u2019on aurait d\u00fb le faire plus t\u00f4t. Trois ans avec un prof, c\u2019est un maximum. Apr\u00e8s, \u00e7a devient un salon de th\u00e9. Il faut une \u00e9thique, m\u00eame si elle ne pla\u00eet pas \u00e0 tout le monde. Je ne re\u00e7ois plus de nouvelles de cette femme. Il y a quelques jours, j\u2019h\u00e9sitais entre tristesse et soulagement. Finalement, ce sera ni l\u2019un ni l\u2019autre. Les engouements me d\u00e9sesp\u00e8rent. Les miens comme ceux des autres. Ce qu\u2019il reste est assez simple : lire, \u00e9crire, photographier les fuites, partager un bon moment entre amis, parfois. Et attendre que le printemps s\u2019installe. Mais aujourd\u2019hui, ce n\u2019est pas encore le jour. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/img_3515.jpg?1748065129", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/26-mars-2025.html", "title": "26 mars 2025", "date_published": "2025-03-26T04:15:45Z", "date_modified": "2025-03-26T04:15:45Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Il faut faire son truc. On ne sait pas trop lequel, au d\u00e9but, mais \u00e7a suffit. L\u2019id\u00e9e seule du faire, sans programme ni plan de carri\u00e8re. \u00c7a tient. Et puis, \u00e0 force, on se demande : pourquoi ? \u00c0 quoi bon ? Dans quel but ? Toujours cette fringale de sens, ce besoin de comprendre. Surtout \u00e0 vingt ans, ou alors bien plus tard, quand on a travers\u00e9 des ann\u00e9es sans bien savoir ce qu\u2019on y cherchait.<\/p>\n

Entre les deux, les rails. La famille, les enfants, la connexion fibre, l\u2019administratif. Tout \u00e7a remplit le temps et emp\u00eache les grandes questions. On avance m\u00e9caniquement, sans trop savoir de quelle gare on vient ni vers laquelle on file. Et puis un jour, le train freine. Il y a un frottement, une secousse. Et la question revient, en douce : pourquoi j\u2019ai fait ce truc, bon sang ?<\/p>\n

C\u2019est dans ce genre d\u2019humeur que j\u2019ai surpris une conversation dans un replay de Zoom. \u00c0 propos de la prise de notes. Faut-il faire des fiches de lecture ? L\u2019un avait essay\u00e9 deux jours, puis avait laiss\u00e9 tomber. Une autre avouait qu\u2019elle oubliait. La discussion a bifurqu\u00e9 vers les outils, les applis, les m\u00e9thodes. Mais la vraie question, \u00e0 mon sens, c\u2019\u00e9tait : est-ce qu\u2019on en a besoin, vraiment, maintenant, de ces notes-l\u00e0 ?<\/p>\n

J\u2019en ai pris, autrefois. Beaucoup. Avant l\u2019informatique. Trente carnets Clairefontaine au bas mot, \u00e9criture serr\u00e9e, feutre \u00e0 pointe fine. J\u2019y mettais tout : \u00e9tats d\u2019\u00e2me, blagues oubli\u00e9es, extraits d\u2019auteurs, po\u00e8mes de comptoir, d\u00e9buts d\u2019histoires morts-n\u00e9s, listes de dettes. Tout \u00e7a, un jour, est parti en fum\u00e9e dans une prairie suisse. Mais c\u2019est une autre histoire.<\/p>\n

Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire ici, dans ce coin du site, c\u2019est une mani\u00e8re de reprendre. Mais sans l\u2019id\u00e9e de m\u00e9moire. Je ne cherche plus \u00e0 tout garder. Ce n\u2019est plus cette obsession. Ce n\u2019est m\u00eame plus un projet. C\u2019est juste un truc. J\u2019\u00e9cris, je fais ce truc. Je pars de ce que j\u2019ai : une id\u00e9e, un mot, une peur, un reste de r\u00eave. Peu importe.<\/p>\n

Et puis les choses s\u2019encha\u00eenent. Je convoque un personnage, le jeune homme, le dibbouk, le double flou. Il parle, il objecte. Moi, je fais semblant d\u2019\u00e9couter. Parfois je prends note, souvent non. Ce n\u2019est pas pour lui que j\u2019\u00e9cris. Ni pour me convaincre. Ni m\u00eame pour comprendre.<\/p>\n

Je fais le truc.<\/p>\n

Peu importe lequel.<\/p>\n

Je le fais parce que c\u2019est \u00e7a qu\u2019il faut faire.<\/p>\n

Et pourtant — ce serait mentir que de ne pas l\u2019avouer — ce billet m\u2019inqui\u00e8te un peu. Pas dans son contenu, non. Mais dans ce qu\u2019il dit sans le dire. Il me para\u00eet louche. Comme un retour en arri\u00e8re d\u00e9guis\u00e9 en bond en avant. Comme un chat qui h\u00e9site avant le saut, sauf que je ne suis pas un chat.<\/p>\n

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>", "content_text": " Il faut faire son truc. On ne sait pas trop lequel, au d\u00e9but, mais \u00e7a suffit. L\u2019id\u00e9e seule du faire, sans programme ni plan de carri\u00e8re. \u00c7a tient. Et puis, \u00e0 force, on se demande : pourquoi ? \u00c0 quoi bon ? Dans quel but ? Toujours cette fringale de sens, ce besoin de comprendre. Surtout \u00e0 vingt ans, ou alors bien plus tard, quand on a travers\u00e9 des ann\u00e9es sans bien savoir ce qu\u2019on y cherchait. Entre les deux, les rails. La famille, les enfants, la connexion fibre, l\u2019administratif. Tout \u00e7a remplit le temps et emp\u00eache les grandes questions. On avance m\u00e9caniquement, sans trop savoir de quelle gare on vient ni vers laquelle on file. Et puis un jour, le train freine. Il y a un frottement, une secousse. Et la question revient, en douce : pourquoi j\u2019ai fait ce truc, bon sang ? C\u2019est dans ce genre d\u2019humeur que j\u2019ai surpris une conversation dans un replay de Zoom. \u00c0 propos de la prise de notes. Faut-il faire des fiches de lecture ? L\u2019un avait essay\u00e9 deux jours, puis avait laiss\u00e9 tomber. Une autre avouait qu\u2019elle oubliait. La discussion a bifurqu\u00e9 vers les outils, les applis, les m\u00e9thodes. Mais la vraie question, \u00e0 mon sens, c\u2019\u00e9tait : est-ce qu\u2019on en a besoin, vraiment, maintenant, de ces notes-l\u00e0 ? J\u2019en ai pris, autrefois. Beaucoup. Avant l\u2019informatique. Trente carnets Clairefontaine au bas mot, \u00e9criture serr\u00e9e, feutre \u00e0 pointe fine. J\u2019y mettais tout : \u00e9tats d\u2019\u00e2me, blagues oubli\u00e9es, extraits d\u2019auteurs, po\u00e8mes de comptoir, d\u00e9buts d\u2019histoires morts-n\u00e9s, listes de dettes. Tout \u00e7a, un jour, est parti en fum\u00e9e dans une prairie suisse. Mais c\u2019est une autre histoire. Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire ici, dans ce coin du site, c\u2019est une mani\u00e8re de reprendre. Mais sans l\u2019id\u00e9e de m\u00e9moire. Je ne cherche plus \u00e0 tout garder. Ce n\u2019est plus cette obsession. Ce n\u2019est m\u00eame plus un projet. C\u2019est juste un truc. J\u2019\u00e9cris, je fais ce truc. Je pars de ce que j\u2019ai : une id\u00e9e, un mot, une peur, un reste de r\u00eave. Peu importe. Et puis les choses s\u2019encha\u00eenent. Je convoque un personnage, le jeune homme, le dibbouk, le double flou. Il parle, il objecte. Moi, je fais semblant d\u2019\u00e9couter. Parfois je prends note, souvent non. Ce n\u2019est pas pour lui que j\u2019\u00e9cris. Ni pour me convaincre. Ni m\u00eame pour comprendre. Je fais le truc. Peu importe lequel. Je le fais parce que c\u2019est \u00e7a qu\u2019il faut faire. Et pourtant \u2014 ce serait mentir que de ne pas l\u2019avouer \u2014 ce billet m\u2019inqui\u00e8te un peu. Pas dans son contenu, non. Mais dans ce qu\u2019il dit sans le dire. Il me para\u00eet louche. Comme un retour en arri\u00e8re d\u00e9guis\u00e9 en bond en avant. Comme un chat qui h\u00e9site avant le saut, sauf que je ne suis pas un chat. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/nenuphars.jpg?1748065090", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/25-mars-2025.html", "title": "25 mars 2025", "date_published": "2025-03-25T08:42:48Z", "date_modified": "2025-06-19T14:51:19Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
\n
\n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Couch\u00e9 tard, lev\u00e9 t\u00f4t, sans y voir d’h\u00e9ro\u00efsme. Lecture rapide, pain achet\u00e9. Printemps dans l\u2019air, ti\u00e9deur approximative. \u00c0 l\u2019intersection d\u2019un parfum de lilas et de gaz d\u2019\u00e9chappement, l\u2019id\u00e9e vague d\u2019une odeur naturelle du monde. Mais existe-t-elle vraiment, cette odeur ? L\u2019hypoth\u00e8se reste suspendue, comme les particules fines en suspension.<\/p>\n

Pas de correspondance, pas de commentaires \u2013 ou alors, en mode bouffon, comedia dell\u2019arte version r\u00e9seau social, le masque comme dernier recours. Repli strat\u00e9gique et farouche, donc. Retour de F., toujours aussi elliptique. Une phrase, une seule, qui donne envie de la d\u00e9cortiquer pendant des heures pour en extraire du sens \u2013 avant de l\u00e2cher prise. Tout comprendre n\u2019est pas obligatoire. Faire le boulot et se taire : telle pourrait \u00eatre la devise non officielle de l\u2019\u00e9poque.<\/p>\n

Apprendre ? Oui, non, peut-\u00eatre. Si c\u2019est pour devenir prof, tout le monde peut. Mais qui veut encore vraiment apprendre ? Et pourquoi ? Le seuil, cette zone de clart\u00e9 trouble, revient hanter l\u2019angle de vue. Peut-\u00eatre une r\u00e9ponse vivante \u00e0 toute question abstraite. Avancer, donc. Progresser dans un livre comme on avance dans une rue qu\u2019on ne conna\u00eet pas. Ne pas chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire l\u2019oie.<\/p>\n

Halcyon Ridge, \u00eele secr\u00e8te ou fiction mal ficel\u00e9e ? Enqu\u00eate floue, opacit\u00e9 intrigante. Trop d\u2019infos tue le myst\u00e8re, ou le confirme. \u00c0 voir. (Rubrique lectures).<\/p>\n

Article de Diakritik<\/a> sur « qu\u2019est-ce qu\u2019aimer » chez les \u00e9crivains\". Int\u00e9ressant. Suite de celui sur P.V., suite attendue, comme une nouvelle saison d\u2019une s\u00e9rie sentimentale.<\/p>\n

Passage sur Liminaire de P.M article sur Artemisia Gentileschi<\/a> \u00e0 l’occasion d’une exposition au Mus\u00e9e Jacquemart Andr\u00e9<\/a> tr\u00e8s troubl\u00e9 par la photographie au rayon X de Kathleen Gilje<\/p>\n

Grande question : une histoire peut-elle \u00eatre v\u00e9cue sans devenir r\u00e9cit ? Longtemps, j\u2019ai v\u00e9cu mes histoires comme des r\u00e9cits dont je n\u2019\u00e9tais qu\u2019un figurant vaguement principal. C\u2019\u00e9tait rassurant. Et puis j\u2019avais ce sentiment un peu idiot mais utile d\u2019\u00eatre un personnage au courant de sa nature fictive, ce qui me donnait un avantage. Peut-\u00eatre.<\/p>\n

Aujourd\u2019hui, nous sommes tous des personnages, jetables comme des gobelets compostables. Les auteurs, eux, s\u2019ils existent, rient sans doute doucement depuis leur banquet c\u00e9leste, hydromel \u00e0 la main, regard tendre sur notre agitation.<\/p>\n

Dis-moi quel personnage tu fabriques, je te dirai quel genre d\u2019auteur tu es.<\/p>\n

Le rebondissement comme probl\u00e8me narratif. Les trente-six situations dramatiques ? Lassantes. Franchir le seuil, c\u2019est aussi laisser tomber cette vieille m\u00e9canique. Avancer \u00e0 t\u00e2tons. Hom\u00e8re, s\u2019il a exist\u00e9, devait d\u00e9j\u00e0 le savoir. Beethoven aussi, dans ses silences.
\nIllustration :
Kathleen Gilje<\/a> : Suzanne et les vieillards au rayon X- Mus\u00e9e national des femmes artistes<\/a><\/p>", "content_text": "Couch\u00e9 tard, lev\u00e9 t\u00f4t, sans y voir d'h\u00e9ro\u00efsme. Lecture rapide, pain achet\u00e9. Printemps dans l\u2019air, ti\u00e9deur approximative. \u00c0 l\u2019intersection d\u2019un parfum de lilas et de gaz d\u2019\u00e9chappement, l\u2019id\u00e9e vague d\u2019une odeur naturelle du monde. Mais existe-t-elle vraiment, cette odeur ? L\u2019hypoth\u00e8se reste suspendue, comme les particules fines en suspension. Pas de correspondance, pas de commentaires \u2013 ou alors, en mode bouffon, comedia dell\u2019arte version r\u00e9seau social, le masque comme dernier recours. Repli strat\u00e9gique et farouche, donc. Retour de F., toujours aussi elliptique. Une phrase, une seule, qui donne envie de la d\u00e9cortiquer pendant des heures pour en extraire du sens \u2013 avant de l\u00e2cher prise. Tout comprendre n\u2019est pas obligatoire. Faire le boulot et se taire : telle pourrait \u00eatre la devise non officielle de l\u2019\u00e9poque. Apprendre ? Oui, non, peut-\u00eatre. Si c\u2019est pour devenir prof, tout le monde peut. Mais qui veut encore vraiment apprendre ? Et pourquoi ? Le seuil, cette zone de clart\u00e9 trouble, revient hanter l\u2019angle de vue. Peut-\u00eatre une r\u00e9ponse vivante \u00e0 toute question abstraite. Avancer, donc. Progresser dans un livre comme on avance dans une rue qu\u2019on ne conna\u00eet pas. Ne pas chercher midi \u00e0 quatorze heures. Faire l\u2019oie. Halcyon Ridge, \u00eele secr\u00e8te ou fiction mal ficel\u00e9e ? Enqu\u00eate floue, opacit\u00e9 intrigante. Trop d\u2019infos tue le myst\u00e8re, ou le confirme. \u00c0 voir. (Rubrique lectures). [Article de Diakritik ->https:\/\/diacritik.com\/2025\/03\/25\/camille-laurens-ecrire-pour-etre-plus-forte-que-le-reel-ta-promesse\/] sur \"qu\u2019est-ce qu\u2019aimer\" chez les \u00e9crivains\". Int\u00e9ressant. Suite de celui sur P.V., suite attendue, comme une nouvelle saison d\u2019une s\u00e9rie sentimentale. Passage sur Liminaire de P.M article sur [Artemisia Gentileschi->https:\/\/fr.wikipedia.org\/wiki\/Artemisia_Gentileschi] \u00e0 l'occasion d'une exposition au [Mus\u00e9e Jacquemart Andr\u00e9 ->https:\/\/www.musee-jacquemart-andre.com\/fr\/artemisia] tr\u00e8s troubl\u00e9 par la photographie au rayon X de Kathleen Gilje Grande question : une histoire peut-elle \u00eatre v\u00e9cue sans devenir r\u00e9cit ? Longtemps, j\u2019ai v\u00e9cu mes histoires comme des r\u00e9cits dont je n\u2019\u00e9tais qu\u2019un figurant vaguement principal. C\u2019\u00e9tait rassurant. Et puis j\u2019avais ce sentiment un peu idiot mais utile d\u2019\u00eatre un personnage au courant de sa nature fictive, ce qui me donnait un avantage. Peut-\u00eatre. Aujourd\u2019hui, nous sommes tous des personnages, jetables comme des gobelets compostables. Les auteurs, eux, s\u2019ils existent, rient sans doute doucement depuis leur banquet c\u00e9leste, hydromel \u00e0 la main, regard tendre sur notre agitation. Dis-moi quel personnage tu fabriques, je te dirai quel genre d\u2019auteur tu es. Le rebondissement comme probl\u00e8me narratif. Les trente-six situations dramatiques ? Lassantes. Franchir le seuil, c\u2019est aussi laisser tomber cette vieille m\u00e9canique. Avancer \u00e0 t\u00e2tons. Hom\u00e8re, s\u2019il a exist\u00e9, devait d\u00e9j\u00e0 le savoir. Beethoven aussi, dans ses silences. Illustration : [Kathleen Gilje->https:\/\/kathleengilje.com\/home.html] : Suzanne et les vieillards au rayon X- [Mus\u00e9e national des femmes artistes ->https:\/\/nmwa.org\/]", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/suzanne-et-les-vieillards-au-rayon-x--kathleen-gilje.jpg?1748065168", "tags": ["nature"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/24-mars-2025.html", "title": "24 mars 2025", "date_published": "2025-03-24T06:52:21Z", "date_modified": "2025-05-28T07:15:04Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>\n

*Stage de peinture sur le minimalisme.*\nMission accomplie. Tout le monde ravi et si crev\u00e9 que partis une heure avant la fin. Repos jusqu’\u00e0 18h. Puis \u00e9cout\u00e9 FB, Boost 7, et me suis lanc\u00e9 dans la foul\u00e9e.<\/p>\n

Ce que \u00e7a donne...<\/p>\n


\n

Boost #07 | Deux formes in\u00e9dites de conjurations<\/em><\/p>\n

CONJURATIONS 1<\/p>\n

    \n
  1. \n

    Je serai on, il y aura un top de d\u00e9part, une date, une heure, on sera tous r\u00e9unis ici dans ce m\u00eame point, toutes les lignes de temps seront remises \u00e0 z\u00e9ro, une bonne fois pour toutes. \u00c0 partir de l\u00e0 on verra si on a envie de dire je \u00e0 nouveau.<\/p>\n<\/li>\n

  2. \n

    Tout sera court, il le faudra, ce sera dur, peu y arriveront et le reste ne gagnera rien par chance.<\/p>\n<\/li>\n

  3. \n

    Je me tairai. La lumi\u00e8re viendra \u00e0 l\u2019heure pr\u00e9vue. Je me tairai.<\/p>\n<\/li>\n

  4. \n

    On saura bient\u00f4t ce que nous saurons bien plus tard, ce que nous regretterons de ne pas savoir avant.<\/p>\n<\/li>\n

  5. \n

    L\u2019oiseau chiera. La merde choira. La gravit\u00e9 sera \u00e9lucid\u00e9e. Une fois. Pour toutes.<\/p>\n<\/li>\n

  6. \n

    Tu carabistouilleras avec all\u00e9gresse la l\u00e8che-frite qu’on te tendra en t’implorant de go\u00fbter aux d\u00e9lices de papouilles. Non, ce sera peau de balle et balayette. \u00c0 la pire a\u00een\u00e9e tu souhaiteras de trouver la f\u00e8ve, de coiffer la coiffe, tandis que tu agiteras ta trompe et tes larges oreilles, esclave de toi-m\u00eame, t’a\u00e9rant avec un masque aquatique et une paire de palmes.<\/p>\n<\/li>\n

  7. \n

    On retournera le matelas. Le monde sera neuf. La fra\u00eecheur p\u00e9n\u00e9trera l\u2019insomnie.<\/p>\n<\/li>\n

  8. \n

    On saura bient\u00f4t ce qu\u2019on saura plus tard. Ce qu\u2019on regrettera de ne pas savoir avant.<\/p>\n<\/li>\n

  9. \n

    Nous reviendrons nous asseoir sur ce banc, il y aura un jeune homme, nous ferons semblant de ne pas le reconna\u00eetre et lui de nous ignorer. Le seul moyen de d\u00e9passer la g\u00eane sera de ne rien dire, surtout pas.<\/p>\n<\/li>\n

  10. \n

    Tu bigueuleras, t\u00e9nu, soulogr\u00e8phe. Tu sautilleras jusqu\u2019\u00e0 la nef. Le bouffon tendra sa coiffe. Tu seras \u00e9lu capitaine. Dispens\u00e9 de ramer. Tu diras : Cap au Nord ! Qui m\u2019a piqu\u00e9 mes mitaines ?<\/p>\n<\/li>\n

  11. \n

    Tu carabistouilleras la l\u00e8che-frite. On t\u2019implorera : Capoue. Tu r\u00e9pondras : peau de balle, balayette. \u00c0 la pire a\u00een\u00e9e, la f\u00e8ve, la coiffe. Et toi : trompe agit\u00e9e, palmes aux pieds, esclave de toi-m\u00eame sous masque aquatique.<\/p>\n<\/li>\n

  12. \n

    Tu re-sucreras les fraises. Une fois sera d\u00e9j\u00e0 trop.<\/p>\n<\/li>\n

  13. \n

    Tu t\u2019ent\u00eateras jusqu\u2019\u00e0 perdre la t\u00eate. Enfin : doigt vengeur point\u00e9 vers l\u2019infini. Qui b\u00e2illera avec ta bouche close, l\u00e0-bas, sur la mousse d\u2019une vieille souche.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n

    CONJURATIONS 2<\/p>\n

      \n
    1. \n

      Se beurrer le front de beurre fondu ti\u00e9di,
      \nfaire craquer les phalanges,
      \n\u00e9carter les doigts de pied en accord\u00e9on,
      \npuis, lass\u00e9, reprendre ses vieux oripeaux d’\u00e9pouvantail,
      \nretrouver ses potes corbeaux.<\/p>\n<\/li>\n

    2. \n

      Gratter jusqu’\u00e0 l’os la peau de ce vieux r\u00eave ancien,
      \nmort depuis des lustres au fond d’un vieux grenier,
      \nle voir protester, geindre, ricaner,
      \nlaisser tomber sans oublier de se sucer les doigts.<\/p>\n<\/li>\n

    3. \n

      P\u00e9ter dans la soie,
      \ns’en vanter avec un porte-voix
      \net descendre l’avenue en amassant derri\u00e8re soi
      \nla foule des badauds,
      \npuis soudain dispara\u00eetre, rouge de honte, au coin d’une rue.<\/p>\n<\/li>\n

    4. \n

      D\u00e9boucher le champagne \u00e0 l’arriv\u00e9e des fourmis dans la cuisine,
      \nf\u00eater \u00e7a dignement sans aller jusqu’\u00e0 \u00eatre pompette,
      \nprendre des nouvelles de la reine :
      \nles petits vont-ils bien ? et votre \u00e9poux ? et votre cour, toujours Versailles ?
      \npuis mettre tout ce monde \u00e0 la porte en disant :
      \nd\u00e9sol\u00e9, ma patience a des limites.<\/p>\n<\/li>\n<\/ol>\n


      \n

      Puis exp\u00e9di\u00e9 tard le soir car lu un peu de China Mi\u00e9ville encore et me suis fait happer.<\/em><\/p>\n

      Le lendemain t\u00f4t.<\/em>
      \nElle afficha ce m\u00e9pris qui me rappela un vieux lapin \u00e0 piles jouant des cymbales. M\u00e9pris d\u00e9j\u00e0 vu mille fois, ce m\u00e9pris de ceux, de celles qui savent, vous savez. Ils et elles savent tellement. Il y eut un petit pincement de c\u0153ur. Je mesurai soudain, \u00e0 proportion inverse \u00e0 la taille de ma trotteuse absente, \u00e0 quel point la vitesse de la lumi\u00e8re est diff\u00e9rente pour chacun, contrairement \u00e0 l’id\u00e9e de constante. J’avais le choix d’en rire, peut-\u00eatre encore d’en pleurer. Vieux syst\u00e8me binaire qui nous g\u00e2che toujours la joie de s’en foutre.<\/p>\n

      Et encore un peu plus tard je d\u00e9cidai de m’enterrer, \u00e0 mains nues, tout cela d\u00e9cid\u00e9mment n’avait aucun sens.\n{Le dibbouk releva la t\u00eate \u00e0 cette pens\u00e9e il eut l’air de vouloir rajouter quelque chose, mais il estima que \u00e7a n’en valait pas la peine.}<\/p>\n

      Illustration : PB merde au bleu Acrylique 2025<\/p>", "content_text": " *Stage de peinture sur le minimalisme.* Mission accomplie. Tout le monde ravi et si crev\u00e9 que partis une heure avant la fin. Repos jusqu'\u00e0 18h. Puis \u00e9cout\u00e9 FB, Boost 7, et me suis lanc\u00e9 dans la foul\u00e9e. Ce que \u00e7a donne... --- *Boost #07 | Deux formes in\u00e9dites de conjurations* CONJURATIONS 1 1. Je serai on, il y aura un top de d\u00e9part, une date, une heure, on sera tous r\u00e9unis ici dans ce m\u00eame point, toutes les lignes de temps seront remises \u00e0 z\u00e9ro, une bonne fois pour toutes. \u00c0 partir de l\u00e0 on verra si on a envie de dire je \u00e0 nouveau. 2. Tout sera court, il le faudra, ce sera dur, peu y arriveront et le reste ne gagnera rien par chance. 3. Je me tairai. La lumi\u00e8re viendra \u00e0 l\u2019heure pr\u00e9vue. Je me tairai. 4. On saura bient\u00f4t ce que nous saurons bien plus tard, ce que nous regretterons de ne pas savoir avant. 5. L\u2019oiseau chiera. La merde choira. La gravit\u00e9 sera \u00e9lucid\u00e9e. Une fois. Pour toutes. 6. Tu carabistouilleras avec all\u00e9gresse la l\u00e8che-frite qu'on te tendra en t'implorant de go\u00fbter aux d\u00e9lices de papouilles. Non, ce sera peau de balle et balayette. \u00c0 la pire a\u00een\u00e9e tu souhaiteras de trouver la f\u00e8ve, de coiffer la coiffe, tandis que tu agiteras ta trompe et tes larges oreilles, esclave de toi-m\u00eame, t'a\u00e9rant avec un masque aquatique et une paire de palmes. 7. On retournera le matelas. Le monde sera neuf. La fra\u00eecheur p\u00e9n\u00e9trera l\u2019insomnie. 8. On saura bient\u00f4t ce qu\u2019on saura plus tard. Ce qu\u2019on regrettera de ne pas savoir avant. 9. Nous reviendrons nous asseoir sur ce banc, il y aura un jeune homme, nous ferons semblant de ne pas le reconna\u00eetre et lui de nous ignorer. Le seul moyen de d\u00e9passer la g\u00eane sera de ne rien dire, surtout pas. 10. Tu bigueuleras, t\u00e9nu, soulogr\u00e8phe. Tu sautilleras jusqu\u2019\u00e0 la nef. Le bouffon tendra sa coiffe. Tu seras \u00e9lu capitaine. Dispens\u00e9 de ramer. Tu diras : Cap au Nord ! Qui m\u2019a piqu\u00e9 mes mitaines ? 11. Tu carabistouilleras la l\u00e8che-frite. On t\u2019implorera : Capoue. Tu r\u00e9pondras : peau de balle, balayette. \u00c0 la pire a\u00een\u00e9e, la f\u00e8ve, la coiffe. Et toi : trompe agit\u00e9e, palmes aux pieds, esclave de toi-m\u00eame sous masque aquatique. 12. Tu re-sucreras les fraises. Une fois sera d\u00e9j\u00e0 trop. 13. Tu t\u2019ent\u00eateras jusqu\u2019\u00e0 perdre la t\u00eate. Enfin : doigt vengeur point\u00e9 vers l\u2019infini. Qui b\u00e2illera avec ta bouche close, l\u00e0-bas, sur la mousse d\u2019une vieille souche. CONJURATIONS 2 1. Se beurrer le front de beurre fondu ti\u00e9di, faire craquer les phalanges, \u00e9carter les doigts de pied en accord\u00e9on, puis, lass\u00e9, reprendre ses vieux oripeaux d'\u00e9pouvantail, retrouver ses potes corbeaux. 2. Gratter jusqu'\u00e0 l'os la peau de ce vieux r\u00eave ancien, mort depuis des lustres au fond d'un vieux grenier, le voir protester, geindre, ricaner, laisser tomber sans oublier de se sucer les doigts. 3. P\u00e9ter dans la soie, s'en vanter avec un porte-voix et descendre l'avenue en amassant derri\u00e8re soi la foule des badauds, puis soudain dispara\u00eetre, rouge de honte, au coin d'une rue. 4. D\u00e9boucher le champagne \u00e0 l'arriv\u00e9e des fourmis dans la cuisine, f\u00eater \u00e7a dignement sans aller jusqu'\u00e0 \u00eatre pompette, prendre des nouvelles de la reine : les petits vont-ils bien ? et votre \u00e9poux ? et votre cour, toujours Versailles ? puis mettre tout ce monde \u00e0 la porte en disant : d\u00e9sol\u00e9, ma patience a des limites. --- *Puis exp\u00e9di\u00e9 tard le soir car lu un peu de China Mi\u00e9ville encore et me suis fait happer.* *Le lendemain t\u00f4t.* Elle afficha ce m\u00e9pris qui me rappela un vieux lapin \u00e0 piles jouant des cymbales. M\u00e9pris d\u00e9j\u00e0 vu mille fois, ce m\u00e9pris de ceux, de celles qui savent, vous savez. Ils et elles savent tellement. Il y eut un petit pincement de c\u0153ur. Je mesurai soudain, \u00e0 proportion inverse \u00e0 la taille de ma trotteuse absente, \u00e0 quel point la vitesse de la lumi\u00e8re est diff\u00e9rente pour chacun, contrairement \u00e0 l'id\u00e9e de constante. J'avais le choix d'en rire, peut-\u00eatre encore d'en pleurer. Vieux syst\u00e8me binaire qui nous g\u00e2che toujours la joie de s'en foutre. Et encore un peu plus tard je d\u00e9cidai de m'enterrer, \u00e0 mains nues, tout cela d\u00e9cid\u00e9mment n'avait aucun sens. {Le dibbouk releva la t\u00eate \u00e0 cette pens\u00e9e il eut l'air de vouloir rajouter quelque chose, mais il estima que \u00e7a n'en valait pas la peine.} Illustration: PB merde au bleu Acrylique 2025 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/24mars_.jpg?1748065070", "tags": ["new weird"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/23-mars-2025.html", "title": "23 mars 2025", "date_published": "2025-03-23T08:51:04Z", "date_modified": "2025-05-28T07:14:46Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

      \u00c9crire le premier chapitre de Gor<\/em> (titre provisoire). Probl\u00e8me : cr\u00e9er la continuit\u00e9 avec le prologue d\u00e9j\u00e0 publi\u00e9. Id\u00e9e d’une page « index » avec les liens au fur et \u00e0 mesure. Aussi un article « Agenda » pour que les visiteureuses puissent, d\u2019un coup d\u2019\u0153il, voir la politique de publication du site. Ajout, en bas de page, d\u2019une licence Creative Commons restrictive (car elle interdit la modification et l\u2019usage commercial). Bien que la plupart des textes ici ne soient souvent que sous forme de brouillon, cela freinera l\u2019assaut des IA, peut-\u00eatre\u2026<\/p>\n

      Avons d\u00een\u00e9 chez C et M. Discussion sur les lectures, ils se sont lanc\u00e9s dans le sanskrit. Des piles de livres sur une table basse. Mais quand m\u00eame, \u00e0 un certain moment, C m\u2019a brusquement parl\u00e9 de Fitzcarraldo<\/em>, de l\u2019acteur Klaus Kinski, de Werner Herzog... Ce qui contrastait bizarrement avec la posture sereine qu\u2019il avait jusqu\u2019\u00e0 cet instant. Yoga oblige, mais jusqu\u2019\u00e0 un certain point. Ils ont quatre-vingts ans cette ann\u00e9e, tous les deux. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 un poisson sur l\u2019herbe de la berge, en train de se d\u00e9mener pour revenir \u00e0 l\u2019eau. Fitzcarraldo<\/em>. Merde. Des ann\u00e9es que je n\u2019avais pas entendu ce mot. Puis, vite : ce type, Klaus Kinski, est cingl\u00e9 — sa fille aussi, d\u2019ailleurs. Et puis, parler de la t\u00e9l\u00e9vision qu\u2019ils regardent peu, car ils s\u2019endorment devant.<\/p>\n

      S n\u2019a pas aim\u00e9 la truite dans le gratin. Je la regardais d\u00e9piauter son assiette, en rangeant tous les morceaux qu\u2019elle jugeait suspects sur le c\u00f4t\u00e9. La tomme de Savoie en a pris un coup par la suite. Cette lenteur avec laquelle elle ajuste le couteau pour trancher d\u2019un coup sec, soudain.<\/p>\n

      Sommes partis t\u00f4t. 22h. Ce qui laissait encore du temps pour lire et \u00e9crire, jusqu\u2019\u00e0 3h ce matin. J\u2019ai ouvert un bouquin de China Mi\u00e9ville. Tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9, je n\u2019arrive plus \u00e0 le l\u00e2cher. Sans doute que le prologue et le premier chapitre de Gor<\/em> en seront imbib\u00e9s, mais avec d\u2019autres id\u00e9es, et mon propre style.<\/p>\n

      Aujourd\u2019hui dimanche, stage sur le minimalisme. Je me pr\u00e9pare \u00e0 une plong\u00e9e en apn\u00e9e, de 10h \u00e0 17h. Difficile de penser \u00e0 autre chose que cette fiction en ce moment. Mais allez — il fait beau, les gens qui viennent sont sympas, esp\u00e9rons que la journ\u00e9e passera vite. H\u00e2te de m\u2019y remettre.<\/p>\n

      Commande re\u00e7ue pour ma plaque d\u2019immatriculation. Content au d\u00e9but, jusqu\u2019\u00e0 ce que je voie l\u2019erreur dans l\u2019immat. Envoy\u00e9 mail illico, blablabla... J\u2019esp\u00e8re qu\u2019ils ne me feront pas payer leur erreur.<\/p>\n

      Un tableau r\u00e9alis\u00e9 sans conviction, \u00e0 coups de couches successives d\u2019acrylique. Pas terrible pour le moment, c\u2019est beaucoup trop ferm\u00e9. J\u2019ai d\u00e9coup\u00e9 une forme dans du papier peint pour la r\u00e9percuter plusieurs fois par-dessus, et les colorer ensuite. Effet bizarre... Pourquoi faut-il que j\u2019accepte autant le fait qu\u2019il me faut passer par mille couches, par mille brouillons, avant de franchir enfin le seuil... Ne plus penser, agir, m\u2019en foutre totalement...<\/p>", "content_text": " \u00c9crire le premier chapitre de *Gor* (titre provisoire). Probl\u00e8me : cr\u00e9er la continuit\u00e9 avec le prologue d\u00e9j\u00e0 publi\u00e9. Id\u00e9e d'une page \"index\" avec les liens au fur et \u00e0 mesure. Aussi un article \"Agenda\" pour que les visiteureuses puissent, d\u2019un coup d\u2019\u0153il, voir la politique de publication du site. Ajout, en bas de page, d\u2019une licence Creative Commons restrictive (car elle interdit la modification et l\u2019usage commercial). Bien que la plupart des textes ici ne soient souvent que sous forme de brouillon, cela freinera l\u2019assaut des IA, peut-\u00eatre\u2026 Avons d\u00een\u00e9 chez C et M. Discussion sur les lectures, ils se sont lanc\u00e9s dans le sanskrit. Des piles de livres sur une table basse. Mais quand m\u00eame, \u00e0 un certain moment, C m\u2019a brusquement parl\u00e9 de *Fitzcarraldo*, de l\u2019acteur Klaus Kinski, de Werner Herzog... Ce qui contrastait bizarrement avec la posture sereine qu\u2019il avait jusqu\u2019\u00e0 cet instant. Yoga oblige, mais jusqu\u2019\u00e0 un certain point. Ils ont quatre-vingts ans cette ann\u00e9e, tous les deux. J\u2019ai pens\u00e9 \u00e0 un poisson sur l\u2019herbe de la berge, en train de se d\u00e9mener pour revenir \u00e0 l\u2019eau. *Fitzcarraldo*. Merde. Des ann\u00e9es que je n\u2019avais pas entendu ce mot. Puis, vite : ce type, Klaus Kinski, est cingl\u00e9 \u2014 sa fille aussi, d\u2019ailleurs. Et puis, parler de la t\u00e9l\u00e9vision qu\u2019ils regardent peu, car ils s\u2019endorment devant. S n\u2019a pas aim\u00e9 la truite dans le gratin. Je la regardais d\u00e9piauter son assiette, en rangeant tous les morceaux qu\u2019elle jugeait suspects sur le c\u00f4t\u00e9. La tomme de Savoie en a pris un coup par la suite. Cette lenteur avec laquelle elle ajuste le couteau pour trancher d\u2019un coup sec, soudain. Sommes partis t\u00f4t. 22h. Ce qui laissait encore du temps pour lire et \u00e9crire, jusqu\u2019\u00e0 3h ce matin. J\u2019ai ouvert un bouquin de China Mi\u00e9ville. Tr\u00e8s \u00e9tonn\u00e9, je n\u2019arrive plus \u00e0 le l\u00e2cher. Sans doute que le prologue et le premier chapitre de *Gor* en seront imbib\u00e9s, mais avec d\u2019autres id\u00e9es, et mon propre style. Aujourd\u2019hui dimanche, stage sur le minimalisme. Je me pr\u00e9pare \u00e0 une plong\u00e9e en apn\u00e9e, de 10h \u00e0 17h. Difficile de penser \u00e0 autre chose que cette fiction en ce moment. Mais allez \u2014 il fait beau, les gens qui viennent sont sympas, esp\u00e9rons que la journ\u00e9e passera vite. H\u00e2te de m\u2019y remettre. Commande re\u00e7ue pour ma plaque d\u2019immatriculation. Content au d\u00e9but, jusqu\u2019\u00e0 ce que je voie l\u2019erreur dans l\u2019immat. Envoy\u00e9 mail illico, blablabla... J\u2019esp\u00e8re qu\u2019ils ne me feront pas payer leur erreur. Un tableau r\u00e9alis\u00e9 sans conviction, \u00e0 coups de couches successives d\u2019acrylique. Pas terrible pour le moment, c\u2019est beaucoup trop ferm\u00e9. J\u2019ai d\u00e9coup\u00e9 une forme dans du papier peint pour la r\u00e9percuter plusieurs fois par-dessus, et les colorer ensuite. Effet bizarre... Pourquoi faut-il que j\u2019accepte autant le fait qu\u2019il me faut passer par mille couches, par mille brouillons, avant de franchir enfin le seuil... Ne plus penser, agir, m\u2019en foutre totalement... ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/pb2025-3-acry-version1.jpg?1748065100", "tags": ["peinture", "new weird"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/22-mars-2025.html", "title": "22 mars 2025", "date_published": "2025-03-22T08:04:55Z", "date_modified": "2025-03-22T08:06:05Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Seuil<\/em><\/p>\n

      Hier apr\u00e8s-midi, j\u2019ai rang\u00e9 l\u2019atelier. Pas un simple nettoyage, non : un d\u00e9placement minutieux des objets, un tri des pots, des tubes, des pinceaux, des restes de projets pass\u00e9s, un froissement d\u2019archives techniques et affectives. Dans le silence qui suivit, une \u00e9vidence : j\u2019allais cr\u00e9er un sous-domaine OVH, installer un Spip suppl\u00e9mentaire. Le geste \u00e9tait net, presque doux. Il s\u2019agissait de proposer une aide, des services pour fabriquer des sites \u2013 Spip, ou autres, mais je pr\u00e9f\u00e8re Spip. Cela va sans dire.<\/p>\n

      Le soir, je me suis lanc\u00e9 en local. Tailwind, des logos surgis de DALL\u00b7E 3, un squelette de site sobre, discret, qui tenait debout sans effort. Rien de clinquant. Juste un espace. Quelque chose de stable, de calme.
      \nJ’aimerais proposer mes services \u00e0 des artistes essentiellement.<\/p>\n

      Mais en v\u00e9rit\u00e9, ce n\u2019est pas de code que j\u2019avais envie. Et il faut que j’arrive \u00e0 faire la part des choses. C\u2019\u00e9tait de fiction. Quelque chose insiste, l\u00e0, depuis quelques nuits. L\u2019id\u00e9e d\u2019un seuil, un vrai. Un seuil qu\u2019on ne franchit pas en pensant mais en glissant. Pas de pens\u00e9e. Juste \u00e9crire. Depuis le corps. Depuis cette sensation de presque-sommeil. Les images viennent quand on les oublie. Elles clignotent, elles apparaissent-disparaissent selon qu\u2019on les regarde ou non. Ce n\u2019est pas un monde. C\u2019est une intermittence.<\/p>\n

      N\u00e9cessit\u00e9 d’un emploi du temps plus drastique, se resserrer sur l’horaire, les t\u00e2ches \u00e0 faire, celles d\u00e9testables ou moins appr\u00e9ci\u00e9es les premi\u00e8res, et le reste ensuite. Sauf que je n’ai jamais fait \u00e7a. Tous les poncifs des gourous de l’organisation m’ont toujours paru risibles.<\/p>\n

      Et jeudi matin, il y a eu ce moment pr\u00e9cis, ce basculement imperceptible mais d\u00e9cisif avec le groupe d\u2019\u00e9l\u00e8ves. Quelque chose s\u2019est pass\u00e9 \u2013 un passage, une bascule, un seuil franchi ensemble, sans qu\u2019on s\u2019en rende compte imm\u00e9diatement. Je dois le noter ici, dans cette rubrique des seuils. Ce sont eux qui comptent. M\u00eame si on ne les reconna\u00eet qu\u2019apr\u00e8s.<\/p>\n

      Hier, j\u2019ai re\u00e7u une r\u00e9ponse \u2013 un message effar\u00e9, presque agress\u00e9 \u2013 parlant de ce moment comme d\u2019un truc « intol\u00e9rable », avec les mots KO, « je suis sur le cul » et autres formules stup\u00e9faites. L\u2019id\u00e9e fait son chemin, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a. Surtout dans ma t\u00eate. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, c\u2019est que je ne me suis m\u00eame pas rendu compte, \u00e0 la premi\u00e8re lecture, que le message ne m\u2019\u00e9tait pas directement adress\u00e9. Que j\u2019\u00e9tais sur WhatsApp, dans un groupe, et que le message a \u00e9t\u00e9 supprim\u00e9 quelques secondes plus tard. Alors j\u2019ai pens\u00e9 : Y s\u2019est tromp\u00e9e d\u2019appli, elle \u00e9crivait \u00e7a pour d\u2019autres, dans le dos, ou plut\u00f4t dans l\u2019interstice. Et moi, j\u2019ai r\u00e9pondu du tac au tac, sans pr\u00eater attention non plus \u00e0 l\u2019interface, mais moi je n\u2019ai pas supprim\u00e9 mon message. Si d\u2019autres l\u2019ont lu, tant mieux.<\/p>\n

      C\u2019est curieux, ces d\u00e9placements d\u2019espace, ces seuils-l\u00e0 aussi : technologiques, sociaux, invisibles, mais tr\u00e8s r\u00e9els.<\/p>\n

      Plus \u00e7a va, plus je sens qu\u2019il faut que je me r\u00e9invente. Trouver de nouvelles ressources, peindre autrement, faire entrer un peu d\u2019argent sans y perdre l\u2019\u00e9lan. La routine, \u00e7a va un moment, mais \u00e7a fatigue tout le monde. Les \u00e9l\u00e8ves, moi. J\u2019estime que tout \u00e7a a assez dur\u00e9.<\/p>\n

      Et puis j\u2019ai visionn\u00e9 quelques vid\u00e9os de Philippe Annocque. Le rythme de sa voix, son calme, son retrait apparent \u2013 tout cela me donne envie de lire \u00e0 voix haute aussi. Pas mes textes, pas encore. Ceux d\u2019autres, surtout des r\u00e9cits de new weird<\/strong>, \u00e0 lire dans le noir, au bord du sommeil, quand la pens\u00e9e l\u00e2che prise. Il y a l\u00e0 un d\u00e9sir de plus en plus imp\u00e9rieux : celui d\u2019installer un nouvel univers<\/strong>. Dans l\u2019atelier. Dans l\u2019\u00e9criture. Dans le code. Dans les services que je pourrais proposer et monnayer sans trahir ce que je cherche. Quelque chose veut prendre forme. Et peut-\u00eatre que cette fois, je le laisserai faire.\nIllustration<\/strong> : PB Seuils acrylique sur toile 40x40 2025<\/p>", "content_text": " *Seuil* Hier apr\u00e8s-midi, j\u2019ai rang\u00e9 l\u2019atelier. Pas un simple nettoyage, non : un d\u00e9placement minutieux des objets, un tri des pots, des tubes, des pinceaux, des restes de projets pass\u00e9s, un froissement d\u2019archives techniques et affectives. Dans le silence qui suivit, une \u00e9vidence : j\u2019allais cr\u00e9er un sous-domaine OVH, installer un Spip suppl\u00e9mentaire. Le geste \u00e9tait net, presque doux. Il s\u2019agissait de proposer une aide, des services pour fabriquer des sites \u2013 Spip, ou autres, mais je pr\u00e9f\u00e8re Spip. Cela va sans dire. Le soir, je me suis lanc\u00e9 en local. Tailwind, des logos surgis de DALL\u00b7E 3, un squelette de site sobre, discret, qui tenait debout sans effort. Rien de clinquant. Juste un espace. Quelque chose de stable, de calme. J'aimerais proposer mes services \u00e0 des artistes essentiellement. Mais en v\u00e9rit\u00e9, ce n\u2019est pas de code que j\u2019avais envie. Et il faut que j'arrive \u00e0 faire la part des choses. C\u2019\u00e9tait de fiction. Quelque chose insiste, l\u00e0, depuis quelques nuits. L\u2019id\u00e9e d\u2019un seuil, un vrai. Un seuil qu\u2019on ne franchit pas en pensant mais en glissant. Pas de pens\u00e9e. Juste \u00e9crire. Depuis le corps. Depuis cette sensation de presque-sommeil. Les images viennent quand on les oublie. Elles clignotent, elles apparaissent-disparaissent selon qu\u2019on les regarde ou non. Ce n\u2019est pas un monde. C\u2019est une intermittence. N\u00e9cessit\u00e9 d'un emploi du temps plus drastique, se resserrer sur l'horaire, les t\u00e2ches \u00e0 faire, celles d\u00e9testables ou moins appr\u00e9ci\u00e9es les premi\u00e8res, et le reste ensuite. Sauf que je n'ai jamais fait \u00e7a. Tous les poncifs des gourous de l'organisation m'ont toujours paru risibles. Et jeudi matin, il y a eu ce moment pr\u00e9cis, ce basculement imperceptible mais d\u00e9cisif avec le groupe d\u2019\u00e9l\u00e8ves. Quelque chose s\u2019est pass\u00e9 \u2013 un passage, une bascule, un seuil franchi ensemble, sans qu\u2019on s\u2019en rende compte imm\u00e9diatement. Je dois le noter ici, dans cette rubrique des seuils. Ce sont eux qui comptent. M\u00eame si on ne les reconna\u00eet qu\u2019apr\u00e8s. Hier, j\u2019ai re\u00e7u une r\u00e9ponse \u2013 un message effar\u00e9, presque agress\u00e9 \u2013 parlant de ce moment comme d\u2019un truc \u00ab intol\u00e9rable \u00bb, avec les mots KO, \u00ab je suis sur le cul \u00bb et autres formules stup\u00e9faites. L\u2019id\u00e9e fait son chemin, c\u2019est d\u00e9j\u00e0 \u00e7a. Surtout dans ma t\u00eate. Ce qui m\u2019a frapp\u00e9, c\u2019est que je ne me suis m\u00eame pas rendu compte, \u00e0 la premi\u00e8re lecture, que le message ne m\u2019\u00e9tait pas directement adress\u00e9. Que j\u2019\u00e9tais sur WhatsApp, dans un groupe, et que le message a \u00e9t\u00e9 supprim\u00e9 quelques secondes plus tard. Alors j\u2019ai pens\u00e9 : Y s\u2019est tromp\u00e9e d\u2019appli, elle \u00e9crivait \u00e7a pour d\u2019autres, dans le dos, ou plut\u00f4t dans l\u2019interstice. Et moi, j\u2019ai r\u00e9pondu du tac au tac, sans pr\u00eater attention non plus \u00e0 l\u2019interface, mais moi je n\u2019ai pas supprim\u00e9 mon message. Si d\u2019autres l\u2019ont lu, tant mieux. C\u2019est curieux, ces d\u00e9placements d\u2019espace, ces seuils-l\u00e0 aussi : technologiques, sociaux, invisibles, mais tr\u00e8s r\u00e9els. Plus \u00e7a va, plus je sens qu\u2019il faut que je me r\u00e9invente. Trouver de nouvelles ressources, peindre autrement, faire entrer un peu d\u2019argent sans y perdre l\u2019\u00e9lan. La routine, \u00e7a va un moment, mais \u00e7a fatigue tout le monde. Les \u00e9l\u00e8ves, moi. J\u2019estime que tout \u00e7a a assez dur\u00e9. Et puis j\u2019ai visionn\u00e9 quelques vid\u00e9os de Philippe Annocque. Le rythme de sa voix, son calme, son retrait apparent \u2013 tout cela me donne envie de lire \u00e0 voix haute aussi. Pas mes textes, pas encore. Ceux d\u2019autres, surtout des r\u00e9cits de **new weird**, \u00e0 lire dans le noir, au bord du sommeil, quand la pens\u00e9e l\u00e2che prise. Il y a l\u00e0 un d\u00e9sir de plus en plus imp\u00e9rieux : celui d\u2019**installer un nouvel univers**. Dans l\u2019atelier. Dans l\u2019\u00e9criture. Dans le code. Dans les services que je pourrais proposer et monnayer sans trahir ce que je cherche. Quelque chose veut prendre forme. Et peut-\u00eatre que cette fois, je le laisserai faire. **Illustration**: PB Seuils acrylique sur toile 40x40 2025 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/seuils.jpg?1748065202", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-mars-2020.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/21-mars-2020.html", "title": "21 mars 2020", "date_published": "2025-03-21T04:52:37Z", "date_modified": "2025-03-21T04:53:19Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

      Quand on est enfant, on ne lit pas des histoires, on les traverse. Elles sont l\u2019espace et nous sommes la mati\u00e8re qui s\u2019y d\u00e9place sans distance. Ce que dit le conte est vrai puisqu\u2019il le dit. On ne s\u2019interroge pas sur l\u2019armature narrative, on ne diss\u00e8que pas la m\u00e9canique du sortil\u00e8ge, on ne soup\u00e8se pas la vraisemblance. Il \u00e9tait une fois, et nous voil\u00e0 ailleurs, sans plus de pr\u00e9ambule ni d\u2019inqui\u00e9tude.<\/p>\n

      Puis vient le temps du soup\u00e7on. L\u2019adh\u00e9sion spontan\u00e9e se d\u00e9lite sans qu\u2019on y prenne garde. On prend l\u2019habitude de lire en marge, en critique, en analyste. On traque l\u2019artifice, on soup\u00e7onne la structure, on soup\u00e8se la cr\u00e9dibilit\u00e9. On tourne les pages en veilleuse, \u00e0 demi-pr\u00eat \u00e0 interrompre l\u2019illusion. Ce qui \u00e9tait une \u00e9vidence devient un artifice. On s\u2019\u00e9loigne, poliment. Plus tard, beaucoup plus tard, on r\u00e9alise que quelque chose manque.<\/p>\n

      Sans doute parce qu\u2019on a chang\u00e9 de latitude mentale. On ne se laisse plus couler dans le r\u00e9cit, on s\u2019y tient en surplomb. On exige des comptes. Il ne suffit plus qu\u2019un dragon surgisse, encore faut-il comprendre les tenants et les aboutissants de sa pr\u00e9sence. On privil\u00e9gie la coh\u00e9rence, on traque les rouages, on suspecte l\u2019incoh\u00e9rence, on diss\u00e8que ce qui, jadis, s\u2019imposait sans r\u00e9sistance. On attend un b\u00e9n\u00e9fice : lire pour apprendre, pour comprendre, pour s\u2019\u00e9lever, non plus pour simplement \u00eatre l\u00e0, pris, absorb\u00e9. On devient un lecteur m\u00e9fiant, embarrass\u00e9 de ses attentes. Or le fantastique ne se justifie pas, il se d\u00e9ploie.<\/p>\n

      Aujourd\u2019hui, nous sommes bombard\u00e9s par des r\u00e9cits en trompe-l\u2019\u0153il. On veut nous faire croire que tout est sous contr\u00f4le alors que tout vacille. On nous vend des fables politiques, \u00e9conomiques, m\u00e9diatiques, avec des sc\u00e9narios aussi cousus de fil blanc que les pires blockbusters. La r\u00e9alit\u00e9 elle-m\u00eame se fissure sous le poids des contradictions : on nous parle de guerre, de crise, de restrictions, tout en pr\u00e9tendant que le monde suit un cours normal. On nous intime d\u2019y croire, mais nous ne sommes plus dupes.<\/p>\n

      Dans ce chaos, l\u2019imaginaire ne doit pas \u00eatre une fuite, mais une reconqu\u00eate. Il ne s\u2019agit pas de se r\u00e9fugier dans des r\u00e9cits sans consistance, mais de retrouver un regard aff\u00fbt\u00e9, une capacit\u00e9 \u00e0 d\u00e9construire ce qui nous est impos\u00e9, \u00e0 remodeler les r\u00e9cits autrement. Quelques \u0153uvres contemporaines jouent avec ces fronti\u00e8res entre immersion et distance. Borges, dans ses nouvelles labyrinthiques, nous oblige \u00e0 accepter le paradoxe, \u00e0 lire en \u00e9quilibre entre raison et vertige. Haruki Murakami m\u00eale r\u00e9alit\u00e9 et onirisme, plongeant le lecteur dans un univers o\u00f9 les explications s\u2019effilochent. Plus r\u00e9cemment, les romans de Ted Chiang, comme L\u2019histoire de ta vie<\/em>, rappellent que le fantastique peut \u00eatre aussi un moyen d\u2019explorer des concepts philosophiques sans perdre sa puissance \u00e9vocatrice.<\/p>\n

      Par les temps actuels o\u00f9 l\u2019on veut nous imposer un narratif officiel avec lequel bon nombre d\u2019entre nous sont de plus en plus mal \u00e0 l\u2019aise, il me semble que l\u2019urgence est de d\u00e9couvrir ce nouvel acc\u00e8s \u00e0 l\u2019imaginaire. Sans r\u00e9pudier pour autant ce que la lecture analytique nous aura apport\u00e9, mais en cr\u00e9ant \u00e0 partir de ces deux atouts une meilleure connaissance des r\u00e9cits, de leurs patterns, et cette petite pouss\u00e9e imaginaire susceptible de les d\u00e9construire pour les remonter autrement, si possible avec optimisme ou tout simplement du plaisir.<\/p>\n

      \u00c9crire, pour moi, est n\u00e9 d\u2019un besoin similaire. Au d\u00e9but, ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019un journal, une tentative de fixer sur le papier cette sensation d\u2019\u00e9branlement qui m\u2019avait saisi durant les confinements et les privations de libert\u00e9. Un moyen d\u2019explorer ce doute naissant vis-\u00e0-vis d\u2019une r\u00e9alit\u00e9 que je n\u2019avais gu\u00e8re remise en question jusque-l\u00e0. Mais peu \u00e0 peu, l\u2019exercice du journal s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 insuffisant, trop \u00e9troit, trop attach\u00e9 \u00e0 ce qui est d\u00e9j\u00e0 connu. Alors est venue la fiction.<\/p>\n

      D\u2019abord maladroite, parce qu\u2019encore trop soucieuse de reconstruire un cadre existant, elle s\u2019est progressivement affranchie. Depuis la cr\u00e9ation du site du Dibbouk, il me semble que j\u2019ai franchi certaines fronti\u00e8res qui me semblaient infranchissables hier encore. \u00c9crire de la fiction est devenu plus qu\u2019un besoin : c\u2019est une forme de survie intellectuelle et \u00e9motionnelle. Peut-\u00eatre plus encore que de tenir un journal. Car apr\u00e8s tout, m\u00eame ce dernier n\u2019est qu\u2019une fiction parmi d\u2019autres, mais une fiction encore trop conventionnelle \u00e0 mon go\u00fbt.<\/p>\n


      \n

      Ce matin, j\u2019ai regard\u00e9 mes \u00e9l\u00e8ves peindre. Ils caressaient leur toile avec application, discutant de choses et d\u2019autres comme tous les jeudis matin. Nous sommes pass\u00e9s des viols dans les r\u00e9serves indiennes aux orphelinats o\u00f9 la moyenne d\u2019\u00e2ge ne d\u00e9passait pas 12 ans en 2020. Puis la conversation a d\u00e9riv\u00e9 sur la guerre possible, sur le kit de survie que le gouvernement envoie d\u00e9sormais, d\u00e9pensant l\u2019argent du contribuable pour l\u2019effrayer davantage tout en maintenant la r\u00e9forme des retraites... et pourquoi pas allonger encore l\u2019\u00e2ge \u00e0 70 ans pour financer l\u2019effort de guerre ? Quelqu’un avait apport\u00e9 des cookies faits maison. Impeccable avec le caf\u00e9.<\/p>\n

      J\u2019aurais pu ne rien dire, laisser couler. Mais il y avait l\u00e0 quelque chose d\u2019ind\u00e9cent, de grin\u00e7ant : ce confort tranquille au c\u0153ur d\u2019un monde disloqu\u00e9. Une force m\u2019a travers\u00e9. Ce n\u2019\u00e9tait pas de la col\u00e8re, ou alors une col\u00e8re d\u2019un autre ordre, plus ancienne, plus souterraine. Une secousse. Et j\u2019ai parl\u00e9 — trop fort sans doute, trop vite. J\u2019ai voulu dire l\u2019urgence de cr\u00e9er autrement. L\u2019impossibilit\u00e9 de continuer comme avant.<\/p>\n

      J\u2019ai vu leurs visages changer. Le silence. L\u2019incompr\u00e9hension. L\u2019effroi, peut-\u00eatre. Pourquoi ce ton ? Pourquoi maintenant ?<\/em> Sur le moment, j\u2019ai bott\u00e9 en touche. J\u2019ai parl\u00e9 de l\u2019\u00e9nergie brute, de la peinture. Mais je savais que c\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 trop tard. Le malentendu \u00e9tait scell\u00e9.<\/p>\n

      L\u2019apr\u00e8s-midi m\u00eame, je recevais un message long comme un hiver. On y \u00e9voquait la bienveillance, les cadres \u00e0 pr\u00e9server, le besoin de s\u00e9r\u00e9nit\u00e9. Et cette phrase, implicite mais tenace : Vous n\u2019avez pas le droit.<\/em><\/p>\n

      Je n\u2019ai pas r\u00e9pondu. Je ne r\u00e9ponds jamais \u00e0 chaud aux messages qui veulent me remettre \u00e0 ma place. Mais j\u2019y ai pens\u00e9 toute la nuit. J\u2019y pense encore.<\/p>\n

      Deux solutions :
      \nSoit je suis ce salaud dont il est en grande partie question dans ce message.
      \nSoit mon enseignement est parvenu \u00e0 son terme vis-\u00e0-vis de ce groupe. Ils ne voient plus le prof, ils voient le type derri\u00e8re, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019ils ont oubli\u00e9 l\u2019essentiel de la raison pour laquelle ils \u00e9taient l\u00e0. Dans ce cas c\u2019est devenu un club dans lequel on cause, en buvant caf\u00e9 et petit g\u00e2teau et en critiquant la d\u00e9co.<\/p>\n

      Cela fait plus de 20 ans que j\u2019enseigne. Je suis fatigu\u00e9 de voir toujours les m\u00eames m\u00e9canismes \u00e0 l\u2019\u0153uvre. Pas ceux qui rel\u00e8vent de la dignit\u00e9 ou de l\u2019effort, non. La bassesse. La trivialit\u00e9. La m\u00e9chancet\u00e9 crasse de l\u2019\u00eatre humain. Capable de mordre la main de celle ou celui qui les nourrit.<\/p>\n

      \u00c9videmment, je pr\u00e9f\u00e9rerais la seconde solution, et dire qu\u2019ils n\u2019ont rien compris \u00e0 ce que je voulais leur offrir, cette \u00e9nergie que m\u00eame moi je nomme \u00e0 pr\u00e9sent la col\u00e8re.<\/p>\n

      J\u2019ai donc d\u00e9cid\u00e9 que les cours s\u2019arr\u00eateraient pour ce groupe \u00e0 la fin du mois. Cela me fera perdre une jolie somme, mais si je suis l\u2019homme que je suis, alors aucune importance.<\/p>\n


      \n

      Ce que je comprends, c\u2019est que nous sommes tous seuls face \u00e0 cette reconstruction de l\u2019imaginaire collectif, chacun \u0153uvrant d\u2019une mani\u00e8re d\u00e9sordonn\u00e9e, plus ou moins. Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire ce texte m\u2019aide \u00e0 le dire, \u00e0 me le dire tout simplement.<\/p>\n

      L\u2019enjeu n\u2019est pas tant de retrouver l\u2019\u00e9merveillement de l\u2019enfance que d\u2019en inventer un autre. Un imaginaire adulte, qui ne cherche plus \u00e0 croire mais \u00e0 \u00e9prouver, qui ne vise pas \u00e0 comprendre mais \u00e0 ressentir. Peut-\u00eatre qu\u2019il suffit d\u2019accepter l\u2019inexplicable et de s\u2019y tenir, sans insister sur le pourquoi.<\/p>\n

      Peut-\u00eatre aussi que cette mani\u00e8re de r\u00e9agir \u00e0 chaud, ce message re\u00e7u \u00e0 la h\u00e2te, t\u00e9moigne moins d\u2019une offense que d\u2019un mal plus large. Une \u00e9poque qui fait de chacun un enfant — non pas dans l\u2019\u00e9lan, mais dans la r\u00e9activit\u00e9. Une soci\u00e9t\u00e9 hypersensible, incapable de diff\u00e9rer, de laisser reposer. Tout heurte, tout offense, tout s\u2019interpr\u00e8te au premier degr\u00e9.<\/p>\n

      Le danger devient constant : heurter l\u2019autre sans le vouloir. Il faudrait redoubler de prudence, mesurer chaque mot, calibrer chaque geste pour rester, quoi ? Potable. Vivable. Socialement acceptable.<\/p>\n

      Mais potable<\/em> n\u2019est pas un mot s\u00e9duisant.<\/p>\n

      Alors je pr\u00e9f\u00e8re rester seul, la plupart du temps. C\u2019est-\u00e0-dire : cach\u00e9. Discret. Retir\u00e9 au fond de moi.<\/p>\n

      Ce moi qui n\u2019est pas moi.<\/p>\n

      Mais cette solitude ne me d\u00e9range pas, tant que je peux \u00e9crire, peindre, tracer des lignes dans la brume. Non pour m\u2019\u00e9loigner, mais pour partager autrement. Dans un autre tempo. Sur un autre plan. Pas frontal, pas intrusif. En r\u00e9serve.<\/p>\n

      Et peut-\u00eatre est-ce cela, finalement, qui compte : non pas dire \u00e0 tout prix, mais transmettre ce qui peut l\u2019\u00eatre — sans tapage, sans didactisme. Avec la patience de ceux qui, ne criant plus, cherchent encore \u00e0 faire signe<\/strong>.<\/p>\n

      illustration<\/strong> PB 1978<\/p>", "content_text": " Quand on est enfant, on ne lit pas des histoires, on les traverse. Elles sont l\u2019espace et nous sommes la mati\u00e8re qui s\u2019y d\u00e9place sans distance. Ce que dit le conte est vrai puisqu\u2019il le dit. On ne s\u2019interroge pas sur l\u2019armature narrative, on ne diss\u00e8que pas la m\u00e9canique du sortil\u00e8ge, on ne soup\u00e8se pas la vraisemblance. Il \u00e9tait une fois, et nous voil\u00e0 ailleurs, sans plus de pr\u00e9ambule ni d\u2019inqui\u00e9tude. Puis vient le temps du soup\u00e7on. L\u2019adh\u00e9sion spontan\u00e9e se d\u00e9lite sans qu\u2019on y prenne garde. On prend l\u2019habitude de lire en marge, en critique, en analyste. On traque l\u2019artifice, on soup\u00e7onne la structure, on soup\u00e8se la cr\u00e9dibilit\u00e9. On tourne les pages en veilleuse, \u00e0 demi-pr\u00eat \u00e0 interrompre l\u2019illusion. Ce qui \u00e9tait une \u00e9vidence devient un artifice. On s\u2019\u00e9loigne, poliment. Plus tard, beaucoup plus tard, on r\u00e9alise que quelque chose manque. Sans doute parce qu\u2019on a chang\u00e9 de latitude mentale. On ne se laisse plus couler dans le r\u00e9cit, on s\u2019y tient en surplomb. On exige des comptes. Il ne suffit plus qu\u2019un dragon surgisse, encore faut-il comprendre les tenants et les aboutissants de sa pr\u00e9sence. On privil\u00e9gie la coh\u00e9rence, on traque les rouages, on suspecte l\u2019incoh\u00e9rence, on diss\u00e8que ce qui, jadis, s\u2019imposait sans r\u00e9sistance. On attend un b\u00e9n\u00e9fice : lire pour apprendre, pour comprendre, pour s\u2019\u00e9lever, non plus pour simplement \u00eatre l\u00e0, pris, absorb\u00e9. On devient un lecteur m\u00e9fiant, embarrass\u00e9 de ses attentes. Or le fantastique ne se justifie pas, il se d\u00e9ploie. Aujourd\u2019hui, nous sommes bombard\u00e9s par des r\u00e9cits en trompe-l\u2019\u0153il. On veut nous faire croire que tout est sous contr\u00f4le alors que tout vacille. On nous vend des fables politiques, \u00e9conomiques, m\u00e9diatiques, avec des sc\u00e9narios aussi cousus de fil blanc que les pires blockbusters. La r\u00e9alit\u00e9 elle-m\u00eame se fissure sous le poids des contradictions : on nous parle de guerre, de crise, de restrictions, tout en pr\u00e9tendant que le monde suit un cours normal. On nous intime d\u2019y croire, mais nous ne sommes plus dupes. Dans ce chaos, l\u2019imaginaire ne doit pas \u00eatre une fuite, mais une reconqu\u00eate. Il ne s\u2019agit pas de se r\u00e9fugier dans des r\u00e9cits sans consistance, mais de retrouver un regard aff\u00fbt\u00e9, une capacit\u00e9 \u00e0 d\u00e9construire ce qui nous est impos\u00e9, \u00e0 remodeler les r\u00e9cits autrement. Quelques \u0153uvres contemporaines jouent avec ces fronti\u00e8res entre immersion et distance. Borges, dans ses nouvelles labyrinthiques, nous oblige \u00e0 accepter le paradoxe, \u00e0 lire en \u00e9quilibre entre raison et vertige. Haruki Murakami m\u00eale r\u00e9alit\u00e9 et onirisme, plongeant le lecteur dans un univers o\u00f9 les explications s\u2019effilochent. Plus r\u00e9cemment, les romans de Ted Chiang, comme *L\u2019histoire de ta vie*, rappellent que le fantastique peut \u00eatre aussi un moyen d\u2019explorer des concepts philosophiques sans perdre sa puissance \u00e9vocatrice. Par les temps actuels o\u00f9 l\u2019on veut nous imposer un narratif officiel avec lequel bon nombre d\u2019entre nous sont de plus en plus mal \u00e0 l\u2019aise, il me semble que l\u2019urgence est de d\u00e9couvrir ce nouvel acc\u00e8s \u00e0 l\u2019imaginaire. Sans r\u00e9pudier pour autant ce que la lecture analytique nous aura apport\u00e9, mais en cr\u00e9ant \u00e0 partir de ces deux atouts une meilleure connaissance des r\u00e9cits, de leurs patterns, et cette petite pouss\u00e9e imaginaire susceptible de les d\u00e9construire pour les remonter autrement, si possible avec optimisme ou tout simplement du plaisir. \u00c9crire, pour moi, est n\u00e9 d\u2019un besoin similaire. Au d\u00e9but, ce n\u2019\u00e9tait qu\u2019un journal, une tentative de fixer sur le papier cette sensation d\u2019\u00e9branlement qui m\u2019avait saisi durant les confinements et les privations de libert\u00e9. Un moyen d\u2019explorer ce doute naissant vis-\u00e0-vis d\u2019une r\u00e9alit\u00e9 que je n\u2019avais gu\u00e8re remise en question jusque-l\u00e0. Mais peu \u00e0 peu, l\u2019exercice du journal s\u2019est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 insuffisant, trop \u00e9troit, trop attach\u00e9 \u00e0 ce qui est d\u00e9j\u00e0 connu. Alors est venue la fiction. D\u2019abord maladroite, parce qu\u2019encore trop soucieuse de reconstruire un cadre existant, elle s\u2019est progressivement affranchie. Depuis la cr\u00e9ation du site du Dibbouk, il me semble que j\u2019ai franchi certaines fronti\u00e8res qui me semblaient infranchissables hier encore. \u00c9crire de la fiction est devenu plus qu\u2019un besoin : c\u2019est une forme de survie intellectuelle et \u00e9motionnelle. Peut-\u00eatre plus encore que de tenir un journal. Car apr\u00e8s tout, m\u00eame ce dernier n\u2019est qu\u2019une fiction parmi d\u2019autres, mais une fiction encore trop conventionnelle \u00e0 mon go\u00fbt. --- Ce matin, j\u2019ai regard\u00e9 mes \u00e9l\u00e8ves peindre. Ils caressaient leur toile avec application, discutant de choses et d\u2019autres comme tous les jeudis matin. Nous sommes pass\u00e9s des viols dans les r\u00e9serves indiennes aux orphelinats o\u00f9 la moyenne d\u2019\u00e2ge ne d\u00e9passait pas 12 ans en 2020. Puis la conversation a d\u00e9riv\u00e9 sur la guerre possible, sur le kit de survie que le gouvernement envoie d\u00e9sormais, d\u00e9pensant l\u2019argent du contribuable pour l\u2019effrayer davantage tout en maintenant la r\u00e9forme des retraites... et pourquoi pas allonger encore l\u2019\u00e2ge \u00e0 70 ans pour financer l\u2019effort de guerre ? Quelqu'un avait apport\u00e9 des cookies faits maison. Impeccable avec le caf\u00e9. J\u2019aurais pu ne rien dire, laisser couler. Mais il y avait l\u00e0 quelque chose d\u2019ind\u00e9cent, de grin\u00e7ant : ce confort tranquille au c\u0153ur d\u2019un monde disloqu\u00e9. Une force m\u2019a travers\u00e9. Ce n\u2019\u00e9tait pas de la col\u00e8re, ou alors une col\u00e8re d\u2019un autre ordre, plus ancienne, plus souterraine. Une secousse. Et j\u2019ai parl\u00e9 \u2014 trop fort sans doute, trop vite. J\u2019ai voulu dire l\u2019urgence de cr\u00e9er autrement. L\u2019impossibilit\u00e9 de continuer comme avant. J\u2019ai vu leurs visages changer. Le silence. L\u2019incompr\u00e9hension. L\u2019effroi, peut-\u00eatre. *Pourquoi ce ton ? Pourquoi maintenant ?* Sur le moment, j\u2019ai bott\u00e9 en touche. J\u2019ai parl\u00e9 de l\u2019\u00e9nergie brute, de la peinture. Mais je savais que c\u2019\u00e9tait d\u00e9j\u00e0 trop tard. Le malentendu \u00e9tait scell\u00e9. L\u2019apr\u00e8s-midi m\u00eame, je recevais un message long comme un hiver. On y \u00e9voquait la bienveillance, les cadres \u00e0 pr\u00e9server, le besoin de s\u00e9r\u00e9nit\u00e9. Et cette phrase, implicite mais tenace : *Vous n\u2019avez pas le droit.* Je n\u2019ai pas r\u00e9pondu. Je ne r\u00e9ponds jamais \u00e0 chaud aux messages qui veulent me remettre \u00e0 ma place. Mais j\u2019y ai pens\u00e9 toute la nuit. J\u2019y pense encore. Deux solutions : Soit je suis ce salaud dont il est en grande partie question dans ce message. Soit mon enseignement est parvenu \u00e0 son terme vis-\u00e0-vis de ce groupe. Ils ne voient plus le prof, ils voient le type derri\u00e8re, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019ils ont oubli\u00e9 l\u2019essentiel de la raison pour laquelle ils \u00e9taient l\u00e0. Dans ce cas c\u2019est devenu un club dans lequel on cause, en buvant caf\u00e9 et petit g\u00e2teau et en critiquant la d\u00e9co. Cela fait plus de 20 ans que j\u2019enseigne. Je suis fatigu\u00e9 de voir toujours les m\u00eames m\u00e9canismes \u00e0 l\u2019\u0153uvre. Pas ceux qui rel\u00e8vent de la dignit\u00e9 ou de l\u2019effort, non. La bassesse. La trivialit\u00e9. La m\u00e9chancet\u00e9 crasse de l\u2019\u00eatre humain. Capable de mordre la main de celle ou celui qui les nourrit. \u00c9videmment, je pr\u00e9f\u00e9rerais la seconde solution, et dire qu\u2019ils n\u2019ont rien compris \u00e0 ce que je voulais leur offrir, cette \u00e9nergie que m\u00eame moi je nomme \u00e0 pr\u00e9sent la col\u00e8re. J\u2019ai donc d\u00e9cid\u00e9 que les cours s\u2019arr\u00eateraient pour ce groupe \u00e0 la fin du mois. Cela me fera perdre une jolie somme, mais si je suis l\u2019homme que je suis, alors aucune importance. --- Ce que je comprends, c\u2019est que nous sommes tous seuls face \u00e0 cette reconstruction de l\u2019imaginaire collectif, chacun \u0153uvrant d\u2019une mani\u00e8re d\u00e9sordonn\u00e9e, plus ou moins. Peut-\u00eatre qu\u2019\u00e9crire ce texte m\u2019aide \u00e0 le dire, \u00e0 me le dire tout simplement. L\u2019enjeu n\u2019est pas tant de retrouver l\u2019\u00e9merveillement de l\u2019enfance que d\u2019en inventer un autre. Un imaginaire adulte, qui ne cherche plus \u00e0 croire mais \u00e0 \u00e9prouver, qui ne vise pas \u00e0 comprendre mais \u00e0 ressentir. Peut-\u00eatre qu\u2019il suffit d\u2019accepter l\u2019inexplicable et de s\u2019y tenir, sans insister sur le pourquoi. Peut-\u00eatre aussi que cette mani\u00e8re de r\u00e9agir \u00e0 chaud, ce message re\u00e7u \u00e0 la h\u00e2te, t\u00e9moigne moins d\u2019une offense que d\u2019un mal plus large. Une \u00e9poque qui fait de chacun un enfant \u2014 non pas dans l\u2019\u00e9lan, mais dans la r\u00e9activit\u00e9. Une soci\u00e9t\u00e9 hypersensible, incapable de diff\u00e9rer, de laisser reposer. Tout heurte, tout offense, tout s\u2019interpr\u00e8te au premier degr\u00e9. Le danger devient constant : heurter l\u2019autre sans le vouloir. Il faudrait redoubler de prudence, mesurer chaque mot, calibrer chaque geste pour rester, quoi ? Potable. Vivable. Socialement acceptable. Mais *potable* n\u2019est pas un mot s\u00e9duisant. Alors je pr\u00e9f\u00e8re rester seul, la plupart du temps. C\u2019est-\u00e0-dire : cach\u00e9. Discret. Retir\u00e9 au fond de moi. Ce moi qui n\u2019est pas moi. Mais cette solitude ne me d\u00e9range pas, tant que je peux \u00e9crire, peindre, tracer des lignes dans la brume. Non pour m\u2019\u00e9loigner, mais pour partager autrement. Dans un autre tempo. Sur un autre plan. Pas frontal, pas intrusif. En r\u00e9serve. Et peut-\u00eatre est-ce cela, finalement, qui compte : non pas dire \u00e0 tout prix, mais transmettre ce qui peut l\u2019\u00eatre \u2014 sans tapage, sans didactisme. Avec la patience de ceux qui, ne criant plus, **cherchent encore \u00e0 faire signe**. **illustration** PB 1978 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/jeu-enfant.jpg?1748065089", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/20-mars-2025.html", "title": "20 mars 2025", "date_published": "2025-03-20T06:07:08Z", "date_modified": "2025-03-20T06:07:42Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Il y a un truc qui s\u2019est d\u00e9plac\u00e9. C\u2019\u00e9tait net, avant, dans les histoires fantastiques. Une apparition, une ombre derri\u00e8re la porte, une silhouette l\u00e0 o\u00f9 il ne devait y avoir personne. Un surgissement.<\/strong> Aujourd\u2019hui, c\u2019est autre chose. \u00c7a travaille autrement.<\/strong> \u00c7a n\u2019arrive plus en un coup, en un basculement. C\u2019est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0<\/strong>, en filigrane, dans le quotidien, dans les gestes, dans ce qu\u2019on croit conna\u00eetre et qui, d\u2019un coup, n\u2019est plus si s\u00fbr<\/strong>.<\/p>\n

      C\u2019est la maison<\/strong>, qui commence \u00e0 poser probl\u00e8me. Elle fait du bruit, elle respire.<\/strong> Pas besoin de fant\u00f4mes, pas besoin d\u2019entit\u00e9s. L\u2019angoisse est l\u00e0 dans le mur<\/strong>, dans les angles morts, dans la fa\u00e7on dont la lumi\u00e8re glisse sur le parquet. La Maison des Feuilles<\/em>, c\u2019est exactement \u00e7a : un escalier qui s\u2019allonge<\/strong> alors qu\u2019il ne le devrait pas, un couloir qui s\u2019\u00e9tire, et soudain plus personne ne sait comment sortir<\/strong>.<\/p>\n

      C\u2019est aussi le travail<\/strong>, les visages dans l\u2019open-space, trop lisses, trop sym\u00e9triques<\/strong>. Des d\u00e9tails qui d\u00e9rangent. On ne sait pas pourquoi, mais c\u2019est l\u00e0. On sait qu\u2019on ne devrait pas poser la question. On sait qu\u2019on ne veut pas savoir.<\/strong> Brian Evenson fait \u00e7a tr\u00e8s bien. Des nouvelles o\u00f9 les choses ne sont jamais vraiment dites<\/strong>, o\u00f9 ce qui est inqui\u00e9tant n\u2019a m\u00eame pas besoin de se montrer<\/strong>.<\/p>\n

      Et puis il y a la ville<\/strong>, le m\u00e9tro, la foule. \u00c7a parle un peu trop bas. Un regard qui dure un quart de seconde de trop<\/strong>. Un message qui arrive sur le t\u00e9l\u00e9phone, un num\u00e9ro inconnu, un simple “je sais”<\/strong>. Aucun contexte, pas d\u2019explication. Black Mirror<\/em> a jou\u00e9 l\u00e0-dessus. Le malaise au creux des objets du quotidien.<\/strong> Un t\u00e9l\u00e9phone, une appli, un message vocal laiss\u00e9 par un mort. L\u2019angoisse sans artifice<\/strong>.<\/p>\n

      Parce que c\u2019est \u00e7a, le fantastique contemporain<\/strong>. Ce n\u2019est plus un d\u00e9mon dans un miroir, ce n\u2019est plus un vampire derri\u00e8re la porte. C\u2019est un doute.<\/strong> Une fissure dans la perception. Quelque chose qui n\u2019a pas besoin de se montrer pour exister.<\/strong> Un \u00e9cart qui s\u2019installe, sans pr\u00e9venir. Et qui ne repart plus.<\/strong><\/p>\n


      \n

      \u00c7a commence comme une blague, un m\u00e8me sur un forum, une photo de bureau d\u00e9sert\u00e9, murs jaunes, lumi\u00e8re crue. \u00c7a pourrait \u00eatre une arri\u00e8re-salle d\u2019entreprise ferm\u00e9e depuis vingt ans, une moquette qui a pris l\u2019humidit\u00e9. Rien. Pas un bruit, sauf ce bourdonnement d\u2019\u00e9lectricit\u00e9 dans les n\u00e9ons. Juste un espace o\u00f9 tu n\u2019es pas cens\u00e9 \u00eatre<\/strong>.<\/p>\n

      On dit que tu y arrives par accident, comme si tu glissais entre deux pixels du r\u00e9el. Il suffit d\u2019un moment d\u2019inattention, d\u2019une porte ouverte au mauvais endroit. Et puis, plus rien. Les Backrooms t\u2019avalent. Tu marches, les couloirs se r\u00e9p\u00e8tent, tous identiques, jusqu\u2019au vertige. Aucun point de rep\u00e8re, pas de fen\u00eatres. Un sentiment de d\u00e9j\u00e0-vu qui tourne mal. C\u2019est trop lisse, trop grand, trop vide.<\/strong> Comme si quelqu\u2019un avait effac\u00e9 ce qu\u2019il devait y avoir.<\/p>\n

      Ce n\u2019est pas une histoire avec une trame. C\u2019est une sensation<\/strong>, une menace sans visage. Et c\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a marche. Parce que l\u2019angoisse, maintenant, elle est l\u00e0 o\u00f9 on ne l\u2019attend pas. Pas de fant\u00f4mes, pas de cr\u00e9atures qui sortent du noir. Juste un endroit qui n\u2019a pas de raison d\u2019\u00eatre.<\/strong><\/p>\n

      C\u2019est la peur du vide, mais un vide qui s\u2019\u00e9tire. Une absence qui devient tangible. Tu te demandes depuis combien de temps tu marches, pourquoi l\u2019air sent ce m\u00e9lange de poussi\u00e8re et de moisi. Tu essaies de te rappeler comment tu es arriv\u00e9 l\u00e0. Tu ne trouves pas.<\/p>\n

      Le fantastique d\u2019aujourd\u2019hui, c\u2019est \u00e7a. Plus besoin de surgissement, plus besoin de choc.<\/strong> Juste une dislocation de l\u2019espace<\/strong>, une logique qui se d\u00e9r\u00e8gle<\/strong>. Tu crois que tu peux retrouver la sortie. Puis tu te rends compte que tu ne sais plus comment tu es entr\u00e9<\/strong>.<\/p>\n

      Et \u00e7a, c\u2019est pire que n\u2019importe quel monstre.<\/p>\n

      illustration<\/strong> : PB\/ Boissy-Saint-L\u00e9ger,RER 1982<\/p>", "content_text": " Il y a un truc qui s\u2019est d\u00e9plac\u00e9. C\u2019\u00e9tait net, avant, dans les histoires fantastiques. Une apparition, une ombre derri\u00e8re la porte, une silhouette l\u00e0 o\u00f9 il ne devait y avoir personne. **Un surgissement.** Aujourd\u2019hui, c\u2019est autre chose. **\u00c7a travaille autrement.** \u00c7a n\u2019arrive plus en un coup, en un basculement. **C\u2019est d\u00e9j\u00e0 l\u00e0**, en filigrane, dans le quotidien, dans les gestes, dans ce qu\u2019on croit conna\u00eetre et qui, d\u2019un coup, **n\u2019est plus si s\u00fbr**. C\u2019est **la maison**, qui commence \u00e0 poser probl\u00e8me. **Elle fait du bruit, elle respire.** Pas besoin de fant\u00f4mes, pas besoin d\u2019entit\u00e9s. L\u2019angoisse est l\u00e0 **dans le mur**, dans les angles morts, dans la fa\u00e7on dont la lumi\u00e8re glisse sur le parquet. _La Maison des Feuilles_, c\u2019est exactement \u00e7a : **un escalier qui s\u2019allonge** alors qu\u2019il ne le devrait pas, un couloir qui s\u2019\u00e9tire, et soudain plus personne ne sait **comment sortir**. C\u2019est aussi **le travail**, les visages dans l\u2019open-space, **trop lisses, trop sym\u00e9triques**. Des d\u00e9tails qui d\u00e9rangent. On ne sait pas pourquoi, mais c\u2019est l\u00e0. On sait qu\u2019on ne devrait pas poser la question. **On sait qu\u2019on ne veut pas savoir.** Brian Evenson fait \u00e7a tr\u00e8s bien. Des nouvelles o\u00f9 **les choses ne sont jamais vraiment dites**, o\u00f9 ce qui est inqui\u00e9tant **n\u2019a m\u00eame pas besoin de se montrer**. Et puis il y a la **ville**, le m\u00e9tro, la foule. \u00c7a parle un peu trop bas. Un regard qui dure **un quart de seconde de trop**. Un message qui arrive sur le t\u00e9l\u00e9phone, un num\u00e9ro inconnu, un simple **\u201cje sais\u201d**. Aucun contexte, pas d\u2019explication. _Black Mirror_ a jou\u00e9 l\u00e0-dessus. **Le malaise au creux des objets du quotidien.** Un t\u00e9l\u00e9phone, une appli, un message vocal laiss\u00e9 par un mort. L\u2019angoisse **sans artifice**. Parce que c\u2019est \u00e7a, **le fantastique contemporain**. Ce n\u2019est plus un d\u00e9mon dans un miroir, ce n\u2019est plus un vampire derri\u00e8re la porte. **C\u2019est un doute.** Une fissure dans la perception. **Quelque chose qui n\u2019a pas besoin de se montrer pour exister.** Un \u00e9cart qui s\u2019installe, sans pr\u00e9venir. **Et qui ne repart plus.** --- \u00c7a commence comme une blague, un m\u00e8me sur un forum, une photo de bureau d\u00e9sert\u00e9, murs jaunes, lumi\u00e8re crue. \u00c7a pourrait \u00eatre une arri\u00e8re-salle d\u2019entreprise ferm\u00e9e depuis vingt ans, une moquette qui a pris l\u2019humidit\u00e9. Rien. Pas un bruit, sauf ce bourdonnement d\u2019\u00e9lectricit\u00e9 dans les n\u00e9ons. Juste un espace o\u00f9 **tu n\u2019es pas cens\u00e9 \u00eatre**. On dit que tu y arrives par accident, comme si tu glissais entre deux pixels du r\u00e9el. Il suffit d\u2019un moment d\u2019inattention, d\u2019une porte ouverte au mauvais endroit. Et puis, plus rien. Les Backrooms t\u2019avalent. Tu marches, les couloirs se r\u00e9p\u00e8tent, tous identiques, jusqu\u2019au vertige. Aucun point de rep\u00e8re, pas de fen\u00eatres. Un sentiment de d\u00e9j\u00e0-vu qui tourne mal. **C\u2019est trop lisse, trop grand, trop vide.** Comme si quelqu\u2019un avait effac\u00e9 ce qu\u2019il devait y avoir. Ce n\u2019est pas une histoire avec une trame. C\u2019est **une sensation**, une menace sans visage. Et c\u2019est pour \u00e7a que \u00e7a marche. Parce que l\u2019angoisse, maintenant, elle est l\u00e0 o\u00f9 on ne l\u2019attend pas. Pas de fant\u00f4mes, pas de cr\u00e9atures qui sortent du noir. Juste **un endroit qui n\u2019a pas de raison d\u2019\u00eatre.** C\u2019est la peur du vide, mais un vide qui s\u2019\u00e9tire. Une absence qui devient tangible. Tu te demandes depuis combien de temps tu marches, pourquoi l\u2019air sent ce m\u00e9lange de poussi\u00e8re et de moisi. Tu essaies de te rappeler comment tu es arriv\u00e9 l\u00e0. Tu ne trouves pas. Le fantastique d\u2019aujourd\u2019hui, c\u2019est \u00e7a. **Plus besoin de surgissement, plus besoin de choc.** Juste une **dislocation de l\u2019espace**, une **logique qui se d\u00e9r\u00e8gle**. Tu crois que tu peux retrouver la sortie. Puis tu te rends compte que **tu ne sais plus comment tu es entr\u00e9**. Et \u00e7a, c\u2019est pire que n\u2019importe quel monstre. **illustration** : PB\/ Boissy-Saint-L\u00e9ger,RER 1982 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/passage-souterrain1980.jpg?1748065084", "tags": ["La m\u00e9tamorphose"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/19-mars-2025.html", "title": "19 mars 2025", "date_published": "2025-03-19T08:17:40Z", "date_modified": "2025-05-28T06:50:00Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

      Je suis en train de lire ces histoires \u00e9tranges d’Ambrose Bierce, et presque aussit\u00f4t, une sensation famili\u00e8re me traverse : un retour en arri\u00e8re, une r\u00e9miniscence de mes ann\u00e9es d\u2019adolescence, lorsque je d\u00e9couvrais Maupassant avec fascination. Ses nouvelles fantastiques, pleines d\u2019incertitude et de vertige, m\u2019avaient marqu\u00e9 profond\u00e9ment. Ici, dans ces pages sign\u00e9es Bierce, je retrouve ce m\u00eame frisson, cette m\u00eame fronti\u00e8re trouble entre le rationnel et l\u2019inexplicable.<\/p>\n

      Je me demande alors : Bierce a-t-il lu Maupassant ? Sans doute. Comment aurait-il pu l\u2019ignorer ? La r\u00e9putation du Normand avait travers\u00e9 l\u2019Atlantique, et ses nouvelles, en particulier Le Horla<\/em>, \u00e9taient lues et comment\u00e9es bien au-del\u00e0 des cercles litt\u00e9raires fran\u00e7ais. Bierce, polyglotte et fin connaisseur de la litt\u00e9rature europ\u00e9enne, aurait facilement pu tomber sur ces r\u00e9cits d\u2019angoisse et de folie progressive.<\/p>\n

      Les similitudes sont troublantes. Maupassant et Bierce explorent tous deux la fragilit\u00e9 de la perception humaine, cette capacit\u00e9 qu\u2019a l\u2019esprit \u00e0 vaciller devant l\u2019inexplicable. Chez Maupassant, l\u2019angoisse surgit de l\u2019int\u00e9rieur, un malaise qui envahit peu \u00e0 peu le personnage et le lecteur. Chez Bierce, la m\u00e9canique est plus brutale, plus tranchante, mais l\u2019effet reste le m\u00eame : une ironie macabre o\u00f9 le surnaturel n\u2019appara\u00eet jamais sans un sous-texte cruel. Un salut glacial<\/em> rappelle les visions fantasmagoriques du Horla<\/em> ; Une arrestation<\/em> joue avec la justice implacable des morts, tout comme La peur<\/em> de Maupassant joue avec la culpabilit\u00e9 et la hantise.<\/p>\n

      Mais il y a une diff\u00e9rence notable : l\u00e0 o\u00f9 Maupassant s\u2019ancre dans un univers feutr\u00e9, marqu\u00e9 par la bourgeoisie et ses tourments psychologiques, Bierce est un homme de la guerre, du sang, de la poussi\u00e8re et de la violence de l\u2019Am\u00e9rique du XIXe si\u00e8cle. Ses r\u00e9cits de fant\u00f4mes portent l\u2019empreinte de la Guerre de S\u00e9cession, du chaos, et d\u2019une ironie plus s\u00e8che, plus ac\u00e9r\u00e9e.<\/p>\n

      Ainsi, si Bierce a peut-\u00eatre lu Maupassant, il n\u2019a pas simplement imit\u00e9, il a adapt\u00e9. Il a inject\u00e9 dans le fantastique une noirceur particuli\u00e8re, une fatalit\u00e9 propre \u00e0 son \u00e9poque et \u00e0 son pays. Lire Bierce, c\u2019est donc comme lire Maupassant apr\u00e8s un passage sur les champs de bataille : l\u2019angoisse n\u2019est plus seulement int\u00e9rieure, elle est aussi le produit d\u2019un monde brutal et sans piti\u00e9.<\/p>\n

      Et moi, refermant ce recueil, je ressens cette \u00e9trange impression d\u2019avoir travers\u00e9 un pont entre deux continents, entre deux sensibilit\u00e9s. Un dialogue muet entre deux \u00e9crivains qui ne se sont jamais rencontr\u00e9s, mais dont les ombres se croisent quelque part, dans les m\u00e9andres d\u2019une nouvelle \u00e0 chute, au d\u00e9tour d\u2019un frisson partag\u00e9.<\/p>\n

      Mais cette parent\u00e9 litt\u00e9raire, qui me frappe aujourd\u2019hui, aurait-elle eu la m\u00eame force si j\u2019avais v\u00e9cu \u00e0 une autre \u00e9poque ? Il est fascinant de constater que ces nouvelles, autrefois si percutantes, ont fini par lasser. Trop de chutes, trop de surprises attendues, trop de m\u00e9caniques us\u00e9es par la r\u00e9p\u00e9tition. Lorsque Bierce et Maupassant \u00e9crivaient, ce type de r\u00e9cit \u00e9tait encore un terrain d\u2019exp\u00e9rimentation, une mani\u00e8re novatrice de jouer avec la perception du lecteur. Mais \u00e0 mesure que les nouvelles \u00e0 chute se sont multipli\u00e9es dans les magazines et journaux, elles ont perdu leur singularit\u00e9, devenant des exercices de style pr\u00e9visibles. Peut-\u00eatre est-ce cela, finalement, qui fait que lire Bierce et Maupassant aujourd\u2019hui conserve un go\u00fbt particulier : nous savons que nous nous aventurons dans un territoire o\u00f9 la surprise a pu \u00eatre galvaud\u00e9e, et pourtant, dans leurs mains, elle garde encore cette puissance troublante, cette fa\u00e7on unique de nous arracher au r\u00e9el pour nous plonger dans un vertige inqui\u00e9tant.<\/p>\n

      Alors, que reste-t-il aujourd\u2019hui de l\u2019histoire fantastique ? \u00c0 quoi ressemble-t-elle dans un monde o\u00f9 l\u2019\u00e9trange est omnipr\u00e9sent, o\u00f9 la fiction a \u00e9t\u00e9 boulevers\u00e9e par tant d\u2019exp\u00e9riences narratives ? Les formes contemporaines du fantastique ne reposent plus uniquement sur l\u2019effet de chute, mais jouent avec le doute, l\u2019inach\u00e8vement, la multiplicit\u00e9 des interpr\u00e9tations. <\/p>\n

      Des auteurs comme Jorge Luis Borges<\/strong> ont r\u00e9invent\u00e9 la nouvelle en int\u00e9grant le fantastique dans des structures labyrinthiques, o\u00f9 le surnaturel n\u2019est pas un simple coup de th\u00e9\u00e2tre, mais une \u00e9nigme qui se propage \u00e0 toute la narration. Dans Fictions<\/em>, des r\u00e9cits comme La loterie \u00e0 Babylone<\/em> ou Tl\u00f6n, Uqbar, Orbis Tertius<\/em> brouillent la fronti\u00e8re entre r\u00e9alit\u00e9 et illusion d\u2019une mani\u00e8re qui aurait certainement fascin\u00e9 Bierce.<\/p>\n

      Julio Cort\u00e1zar<\/strong>, dans Fin d\u2019un jeu<\/em> et Bestiaire<\/em>, fait basculer le quotidien dans l\u2019inqui\u00e9tante \u00e9tranget\u00e9, avec des r\u00e9cits o\u00f9 l\u2019\u00e9trange surgit sans explication, s\u2019ins\u00e9rant subtilement dans le r\u00e9el. Italo Calvino<\/strong>, lui, joue avec les structures narratives, comme dans Si par une nuit d\u2019hiver un voyageur<\/em>, o\u00f9 la fiction devient elle-m\u00eame un pi\u00e8ge. <\/p>\n

      D\u2019autres voix contemporaines poursuivent cette exploration : Brian Evenson<\/strong>, avec Fugitives<\/em>, explore un fantastique minimaliste et brutal. Angela Carter<\/strong>, dans La Compagnie des loups<\/em>, revisite les contes en leur insufflant une \u00e9tranget\u00e9 troublante. Laird Barron<\/strong>, quant \u00e0 lui, r\u00e9introduit l\u2019horreur cosmique ch\u00e8re \u00e0 Lovecraft, tout en la teintant d\u2019un r\u00e9alisme oppressant. <\/p>\n

      Le fantastique contemporain ne repose plus tant sur la surprise finale que sur une exp\u00e9rience immersive<\/strong>, une mont\u00e9e en tension progressive o\u00f9 le r\u00e9el devient incertain. La fronti\u00e8re entre r\u00e9alit\u00e9 et fiction s\u2019efface, nous plongeant dans un vertige d\u2019autant plus troublant qu\u2019il ne cherche plus forc\u00e9ment \u00e0 nous surprendre\u2026 mais \u00e0 nous envelopper insidieusement. <\/p>\n

      Je referme ces pages et me demande : dans un si\u00e8cle, quels \u00e9crivains red\u00e9couvrira-t-on avec ce m\u00eame sentiment de familiarit\u00e9 troublante ?\nIllustration<\/strong> : John Herbert Evelyn Partington — Ambrose Bierce<\/p>", "content_text": "Je suis en train de lire ces histoires \u00e9tranges d'Ambrose Bierce, et presque aussit\u00f4t, une sensation famili\u00e8re me traverse : un retour en arri\u00e8re, une r\u00e9miniscence de mes ann\u00e9es d\u2019adolescence, lorsque je d\u00e9couvrais Maupassant avec fascination. Ses nouvelles fantastiques, pleines d\u2019incertitude et de vertige, m\u2019avaient marqu\u00e9 profond\u00e9ment. Ici, dans ces pages sign\u00e9es Bierce, je retrouve ce m\u00eame frisson, cette m\u00eame fronti\u00e8re trouble entre le rationnel et l\u2019inexplicable. Je me demande alors : Bierce a-t-il lu Maupassant ? Sans doute. Comment aurait-il pu l\u2019ignorer ? La r\u00e9putation du Normand avait travers\u00e9 l\u2019Atlantique, et ses nouvelles, en particulier *Le Horla*, \u00e9taient lues et comment\u00e9es bien au-del\u00e0 des cercles litt\u00e9raires fran\u00e7ais. Bierce, polyglotte et fin connaisseur de la litt\u00e9rature europ\u00e9enne, aurait facilement pu tomber sur ces r\u00e9cits d\u2019angoisse et de folie progressive. Les similitudes sont troublantes. Maupassant et Bierce explorent tous deux la fragilit\u00e9 de la perception humaine, cette capacit\u00e9 qu\u2019a l\u2019esprit \u00e0 vaciller devant l\u2019inexplicable. Chez Maupassant, l\u2019angoisse surgit de l\u2019int\u00e9rieur, un malaise qui envahit peu \u00e0 peu le personnage et le lecteur. Chez Bierce, la m\u00e9canique est plus brutale, plus tranchante, mais l\u2019effet reste le m\u00eame : une ironie macabre o\u00f9 le surnaturel n\u2019appara\u00eet jamais sans un sous-texte cruel. *Un salut glacial* rappelle les visions fantasmagoriques du *Horla* ; *Une arrestation* joue avec la justice implacable des morts, tout comme *La peur* de Maupassant joue avec la culpabilit\u00e9 et la hantise. Mais il y a une diff\u00e9rence notable : l\u00e0 o\u00f9 Maupassant s\u2019ancre dans un univers feutr\u00e9, marqu\u00e9 par la bourgeoisie et ses tourments psychologiques, Bierce est un homme de la guerre, du sang, de la poussi\u00e8re et de la violence de l\u2019Am\u00e9rique du XIXe si\u00e8cle. Ses r\u00e9cits de fant\u00f4mes portent l\u2019empreinte de la Guerre de S\u00e9cession, du chaos, et d\u2019une ironie plus s\u00e8che, plus ac\u00e9r\u00e9e. Ainsi, si Bierce a peut-\u00eatre lu Maupassant, il n\u2019a pas simplement imit\u00e9, il a adapt\u00e9. Il a inject\u00e9 dans le fantastique une noirceur particuli\u00e8re, une fatalit\u00e9 propre \u00e0 son \u00e9poque et \u00e0 son pays. Lire Bierce, c\u2019est donc comme lire Maupassant apr\u00e8s un passage sur les champs de bataille : l\u2019angoisse n\u2019est plus seulement int\u00e9rieure, elle est aussi le produit d\u2019un monde brutal et sans piti\u00e9. Et moi, refermant ce recueil, je ressens cette \u00e9trange impression d\u2019avoir travers\u00e9 un pont entre deux continents, entre deux sensibilit\u00e9s. Un dialogue muet entre deux \u00e9crivains qui ne se sont jamais rencontr\u00e9s, mais dont les ombres se croisent quelque part, dans les m\u00e9andres d\u2019une nouvelle \u00e0 chute, au d\u00e9tour d\u2019un frisson partag\u00e9. Mais cette parent\u00e9 litt\u00e9raire, qui me frappe aujourd\u2019hui, aurait-elle eu la m\u00eame force si j\u2019avais v\u00e9cu \u00e0 une autre \u00e9poque ? Il est fascinant de constater que ces nouvelles, autrefois si percutantes, ont fini par lasser. Trop de chutes, trop de surprises attendues, trop de m\u00e9caniques us\u00e9es par la r\u00e9p\u00e9tition. Lorsque Bierce et Maupassant \u00e9crivaient, ce type de r\u00e9cit \u00e9tait encore un terrain d\u2019exp\u00e9rimentation, une mani\u00e8re novatrice de jouer avec la perception du lecteur. Mais \u00e0 mesure que les nouvelles \u00e0 chute se sont multipli\u00e9es dans les magazines et journaux, elles ont perdu leur singularit\u00e9, devenant des exercices de style pr\u00e9visibles. Peut-\u00eatre est-ce cela, finalement, qui fait que lire Bierce et Maupassant aujourd\u2019hui conserve un go\u00fbt particulier : nous savons que nous nous aventurons dans un territoire o\u00f9 la surprise a pu \u00eatre galvaud\u00e9e, et pourtant, dans leurs mains, elle garde encore cette puissance troublante, cette fa\u00e7on unique de nous arracher au r\u00e9el pour nous plonger dans un vertige inqui\u00e9tant. Alors, que reste-t-il aujourd\u2019hui de l\u2019histoire fantastique ? \u00c0 quoi ressemble-t-elle dans un monde o\u00f9 l\u2019\u00e9trange est omnipr\u00e9sent, o\u00f9 la fiction a \u00e9t\u00e9 boulevers\u00e9e par tant d\u2019exp\u00e9riences narratives ? Les formes contemporaines du fantastique ne reposent plus uniquement sur l\u2019effet de chute, mais jouent avec le doute, l\u2019inach\u00e8vement, la multiplicit\u00e9 des interpr\u00e9tations. Des auteurs comme **Jorge Luis Borges** ont r\u00e9invent\u00e9 la nouvelle en int\u00e9grant le fantastique dans des structures labyrinthiques, o\u00f9 le surnaturel n\u2019est pas un simple coup de th\u00e9\u00e2tre, mais une \u00e9nigme qui se propage \u00e0 toute la narration. Dans *Fictions*, des r\u00e9cits comme *La loterie \u00e0 Babylone* ou *Tl\u00f6n, Uqbar, Orbis Tertius* brouillent la fronti\u00e8re entre r\u00e9alit\u00e9 et illusion d\u2019une mani\u00e8re qui aurait certainement fascin\u00e9 Bierce. Julio **Cort\u00e1zar**, dans *Fin d\u2019un jeu* et *Bestiaire*, fait basculer le quotidien dans l\u2019inqui\u00e9tante \u00e9tranget\u00e9, avec des r\u00e9cits o\u00f9 l\u2019\u00e9trange surgit sans explication, s\u2019ins\u00e9rant subtilement dans le r\u00e9el. **Italo Calvino**, lui, joue avec les structures narratives, comme dans *Si par une nuit d\u2019hiver un voyageur*, o\u00f9 la fiction devient elle-m\u00eame un pi\u00e8ge. D\u2019autres voix contemporaines poursuivent cette exploration : **Brian Evenson**, avec *Fugitives*, explore un fantastique minimaliste et brutal. **Angela Carter**, dans *La Compagnie des loups*, revisite les contes en leur insufflant une \u00e9tranget\u00e9 troublante. **Laird Barron**, quant \u00e0 lui, r\u00e9introduit l\u2019horreur cosmique ch\u00e8re \u00e0 Lovecraft, tout en la teintant d\u2019un r\u00e9alisme oppressant. Le fantastique contemporain ne repose plus tant sur la surprise finale que sur une **exp\u00e9rience immersive**, une mont\u00e9e en tension progressive o\u00f9 le r\u00e9el devient incertain. La fronti\u00e8re entre r\u00e9alit\u00e9 et fiction s\u2019efface, nous plongeant dans un vertige d\u2019autant plus troublant qu\u2019il ne cherche plus forc\u00e9ment \u00e0 nous surprendre\u2026 mais \u00e0 nous envelopper insidieusement. Je referme ces pages et me demande : dans un si\u00e8cle, quels \u00e9crivains red\u00e9couvrira-t-on avec ce m\u00eame sentiment de familiarit\u00e9 troublante ? **Illustration**: John Herbert Evelyn Partington \u2014 Ambrose Bierce ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/ambrose_bierce-1.jpg?1748065077", "tags": ["Th\u00e9orie et critique litt\u00e9raire", "Lovecraft"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/18-mars-2025.html", "title": "18 mars 2025", "date_published": "2025-03-18T05:30:00Z", "date_modified": "2025-03-18T05:32:40Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Il suffit parfois de s\u2019allonger. De laisser la pesanteur faire son office, d\u2019appuyer l\u2019arri\u00e8re du cr\u00e2ne contre une surface plane, de s\u2019assurer que l\u2019on est bien r\u00e9parti de fa\u00e7on homog\u00e8ne, comme une p\u00e2te \u00e0 tarte trop travaill\u00e9e. Il suffit ensuite de suivre sa respiration, en bon spectateur, sans interf\u00e9rer. L\u2019air entre, l\u2019air sort. Tout se passe bien. Enfin, normalement. <\/p>\n

      Avant cela, bien s\u00fbr, il y a la r\u00e9sistance. L\u2019esprit s\u2019agite, fait du bruit, remue des archives enti\u00e8res de conversations pass\u00e9es, ressasse d\u2019antiques pr\u00e9occupations administratives et tente d\u2019ouvrir un dossier class\u00e9 sans suite depuis trois ans. Il veut prouver son existence. Mais il suffit d\u2019attendre. On le laisse parler, il finira bien par se lasser. Puis, sans tambour ni trompette, on le d\u00e9branche.<\/p>\n

      C\u2019est alors que l\u2019on traverse sa propre bulle. On passe d\u2019un espace exigu, satur\u00e9 de r\u00e9miniscences inutiles, \u00e0 une sorte d\u2019expansion floue, comme une salle d\u2019attente o\u00f9 il ne se passe rien mais o\u00f9 l\u2019on est bien. Rien de mystique, juste une l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 bienvenue, une fluidit\u00e9 inhabituelle. La pens\u00e9e n\u2019a pas disparu, elle est l\u00e0, mais en version att\u00e9nu\u00e9e, en sourdine, comme un t\u00e9l\u00e9viseur qu\u2019on aurait oubli\u00e9 d\u2019\u00e9teindre.<\/p>\n

      Et puis parfois, dans cet \u00e9tat de flottement, quelque chose bascule. La conscience s\u2019efface presque totalement, le corps devient un simple contour. C\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment l\u00e0 que tout s\u2019emballe. Un fourmillement \u00e9lectrique gagne les extr\u00e9mit\u00e9s, le c\u0153ur s\u2019emballe comme s\u2019il venait de rater une marche. Une sensation idiote, en somme, mais d\u2019une efficacit\u00e9 redoutable : en une fraction de seconde, on se retrouve \u00e0 donner un coup de poing sur le sol ou le matelas, avec l\u2019\u00e9l\u00e9gance d\u2019un boxeur sans adversaire. Juste pour s\u2019assurer que l\u2019on est bien toujours l\u00e0, que l\u2019on n\u2019a pas d\u00e9finitivement gliss\u00e9 de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, o\u00f9 que ce soit. La peur de crever, probablement, ou pire : la peur de ne pas revenir.<\/p>\n

      Mais si l\u2019on ne donnait pas ce coup de poing ? Si, au lieu de r\u00e9agir, on laissait faire ? Si l\u2019on se laissait couler, traverser l\u2019instant sans le heurter, sans chercher \u00e0 se r\u00e9cup\u00e9rer ? Peut-\u00eatre que le corps, au lieu de se raidir, finirait par s\u2019\u00e9tirer \u00e0 l\u2019infini, que la pens\u00e9e se dissoudrait sans heurt, comme une plume qui se laisse porter par le vent. Peut-\u00eatre que rien ne se passerait, ou au contraire, tout. Peut-\u00eatre que l\u2019on d\u00e9couvrirait que la chute tant redout\u00e9e n\u2019en \u00e9tait pas une, qu\u2019il n\u2019y avait pas d\u2019autre c\u00f4t\u00e9, juste une continuit\u00e9 imperceptible. Peut-\u00eatre.<\/p>\n

      Et puis, bien s\u00fbr, il y a cette h\u00e9sitation. Ce moment absurde o\u00f9 l\u2019on se demande si ce n\u2019est pas exactement la m\u00eame chose qui se joue face \u00e0 une toile vierge ou une page blanche. Ce seuil o\u00f9 l\u2019on pourrait basculer, mais o\u00f9 l\u2019on pr\u00e9f\u00e8re rester en \u00e9quilibre, bien accroch\u00e9 \u00e0 ce qui nous retient. <\/p>\n

      Et quand on ouvre les yeux, tout est exactement pareil. Pourtant, tout a chang\u00e9.\nIllustration<\/strong> : : John Everett Millais Oph\u00e9lia\nMusique<\/strong> : Erik Satie- Gnossienne n°1\" <\/p>", "content_text": " Il suffit parfois de s\u2019allonger. De laisser la pesanteur faire son office, d\u2019appuyer l\u2019arri\u00e8re du cr\u00e2ne contre une surface plane, de s\u2019assurer que l\u2019on est bien r\u00e9parti de fa\u00e7on homog\u00e8ne, comme une p\u00e2te \u00e0 tarte trop travaill\u00e9e. Il suffit ensuite de suivre sa respiration, en bon spectateur, sans interf\u00e9rer. L\u2019air entre, l\u2019air sort. Tout se passe bien. Enfin, normalement. Avant cela, bien s\u00fbr, il y a la r\u00e9sistance. L\u2019esprit s\u2019agite, fait du bruit, remue des archives enti\u00e8res de conversations pass\u00e9es, ressasse d\u2019antiques pr\u00e9occupations administratives et tente d\u2019ouvrir un dossier class\u00e9 sans suite depuis trois ans. Il veut prouver son existence. Mais il suffit d\u2019attendre. On le laisse parler, il finira bien par se lasser. Puis, sans tambour ni trompette, on le d\u00e9branche. C\u2019est alors que l\u2019on traverse sa propre bulle. On passe d\u2019un espace exigu, satur\u00e9 de r\u00e9miniscences inutiles, \u00e0 une sorte d\u2019expansion floue, comme une salle d\u2019attente o\u00f9 il ne se passe rien mais o\u00f9 l\u2019on est bien. Rien de mystique, juste une l\u00e9g\u00e8ret\u00e9 bienvenue, une fluidit\u00e9 inhabituelle. La pens\u00e9e n\u2019a pas disparu, elle est l\u00e0, mais en version att\u00e9nu\u00e9e, en sourdine, comme un t\u00e9l\u00e9viseur qu\u2019on aurait oubli\u00e9 d\u2019\u00e9teindre. Et puis parfois, dans cet \u00e9tat de flottement, quelque chose bascule. La conscience s\u2019efface presque totalement, le corps devient un simple contour. C\u2019est pr\u00e9cis\u00e9ment l\u00e0 que tout s\u2019emballe. Un fourmillement \u00e9lectrique gagne les extr\u00e9mit\u00e9s, le c\u0153ur s\u2019emballe comme s\u2019il venait de rater une marche. Une sensation idiote, en somme, mais d\u2019une efficacit\u00e9 redoutable : en une fraction de seconde, on se retrouve \u00e0 donner un coup de poing sur le sol ou le matelas, avec l\u2019\u00e9l\u00e9gance d\u2019un boxeur sans adversaire. Juste pour s\u2019assurer que l\u2019on est bien toujours l\u00e0, que l\u2019on n\u2019a pas d\u00e9finitivement gliss\u00e9 de l\u2019autre c\u00f4t\u00e9, o\u00f9 que ce soit. La peur de crever, probablement, ou pire : la peur de ne pas revenir. Mais si l\u2019on ne donnait pas ce coup de poing ? Si, au lieu de r\u00e9agir, on laissait faire ? Si l\u2019on se laissait couler, traverser l\u2019instant sans le heurter, sans chercher \u00e0 se r\u00e9cup\u00e9rer ? Peut-\u00eatre que le corps, au lieu de se raidir, finirait par s\u2019\u00e9tirer \u00e0 l\u2019infini, que la pens\u00e9e se dissoudrait sans heurt, comme une plume qui se laisse porter par le vent. Peut-\u00eatre que rien ne se passerait, ou au contraire, tout. Peut-\u00eatre que l\u2019on d\u00e9couvrirait que la chute tant redout\u00e9e n\u2019en \u00e9tait pas une, qu\u2019il n\u2019y avait pas d\u2019autre c\u00f4t\u00e9, juste une continuit\u00e9 imperceptible. Peut-\u00eatre. Et puis, bien s\u00fbr, il y a cette h\u00e9sitation. Ce moment absurde o\u00f9 l\u2019on se demande si ce n\u2019est pas exactement la m\u00eame chose qui se joue face \u00e0 une toile vierge ou une page blanche. Ce seuil o\u00f9 l\u2019on pourrait basculer, mais o\u00f9 l\u2019on pr\u00e9f\u00e8re rester en \u00e9quilibre, bien accroch\u00e9 \u00e0 ce qui nous retient. Et quand on ouvre les yeux, tout est exactement pareil. Pourtant, tout a chang\u00e9. **Illustration**: : John Everett Millais Oph\u00e9lia **Musique** : Erik Satie- Gnossienne n\u00b01\" ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/1059px-john_everett_millais_-_ophelia_-_google_art_project.jpg?1748065122", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/17-mars-2025.html", "title": "17 mars 2025", "date_published": "2025-03-17T07:48:23Z", "date_modified": "2025-03-17T07:54:46Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Nous passons notre temps \u00e0 colmater des br\u00e8ches, \u00e0 obstruer des failles, et puis un jour, \u00e0 force d\u2019avoir vid\u00e9 nos peurs, rinc\u00e9 nos r\u00eaves, essor\u00e9 tout notre \u00eatre, il ne reste plus de nous qu\u2019une \u00e9corce d\u00e9charn\u00e9e, un agrume press\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re goutte, bon pour la poubelle ou, \u00e0 la rigueur, pour un tas de compost, ce qui est un moindre mal. On peut aussi, pour plus de discr\u00e9tion, s\u2019arranger d\u2019un cercueil six pieds sous terre. Tout cela ne change pas grand-chose : les trous demeurent, b\u00e9ants, et ceux qui restent tentent de les combler comme ils peuvent, c\u2019est-\u00e0-dire pas du tout.<\/p>\n

      Ce qui rejoint cette \u00e9vidence cosmique : il y a plus de vide que de plein, partout. Ce que nous tenons pour solide, ce bureau, ce mur, ce corps, tout cela est un assemblage bancal d\u2019atomes capricieux, flottant dans l\u2019incertitude. Et pourtant, nous nous obstinons \u00e0 croire en la fermet\u00e9 des choses, \u00e0 nous appuyer sur des structures qui ne tiennent qu\u2019\u00e0 un fil. C\u2019est m\u00eame \u00e9trange, cette confiance aveugle dans la stabilit\u00e9, cette mani\u00e8re de nous laisser berner par une illusion d\u2019\u00e9quilibre qui, au fond, ne trompe personne.<\/p>\n

      Je ne sais plus tr\u00e8s bien si c\u2019\u00e9tait hier soir, juste avant de m\u2019endormir, ou en pleine nuit, pris dans l\u2019entrelacs d\u2019un r\u00eave, ou bien au matin, dans cette zone floue o\u00f9 les id\u00e9es affleurent avec une nettet\u00e9 suspecte. Toujours est-il que ces pens\u00e9es, parfaitement claires, se sont impos\u00e9es : il suffirait d\u2019un rien pour abattre les cloisons de ce gigantesque simulacre, une chiquenaude, une micro-faille dans le d\u00e9cor. Ce seul constat m\u2019a procur\u00e9 une \u00e9trange qui\u00e9tude, comme la r\u00e9sonance d\u2019une fr\u00e9quence oubli\u00e9e, enfouie sous les strates du quotidien et dont je ne me souvenais pas avoir un jour per\u00e7u l\u2019existence. Une qui\u00e9tude pourtant si tangible qu\u2019elle semblait s\u2019infiltrer par un interstice, une br\u00e8che minuscule dans le d\u00e9cor, comme une odeur connue mais inexplicable, crois\u00e9e par hasard sur un trottoir et qui, en un instant, convoque tout un monde disparu.<\/p>\n

      J\u2019essayais de rester \u00e0 la lisi\u00e8re, sur le seuil exact de toute d\u00e9finition du mot familier, en \u00e9quilibre instable, ce qui demandait, il faut bien l\u2019admettre, quelques efforts consid\u00e9rables. Car imm\u00e9diatement, un d\u00e9fil\u00e9 d\u2019images invraisemblables et absurdes s\u2019\u00e9tait mis en marche, un cort\u00e8ge qui avan\u00e7ait sans que je puisse en contenir le flux. Des visages apparaissaient : ma m\u00e8re, mon p\u00e8re, mon fr\u00e8re, mes grands-parents, ces \u00eatres que j\u2019avais toujours cru conna\u00eetre avec une certitude sans faille, comme s\u2019ils faisaient partie de mon propre d\u00e9cor int\u00e9rieur, comme s\u2019ils avaient \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9s l\u00e0 d\u00e8s l\u2019origine, sans m\u00eame que la question de leur pr\u00e9sence se pose.<\/p>\n

      Et puis, il y avait cette clart\u00e9. Une lumi\u00e8re trop franche, venue de cette fissure dans la cloison de ce que j\u2019avais toujours nomm\u00e9 familiarit\u00e9, une lumi\u00e8re qui me frappa au point de me faire vaciller. Car \u00e0 mesure qu\u2019elle s\u2019intensifiait, elle produisait un effet tout \u00e0 fait paradoxal : non pas l\u2019illumination r\u00e9confortante qu\u2019on attendrait d\u2019une r\u00e9v\u00e9lation, mais un trouble diffus, un soup\u00e7on grandissant. Cette lumi\u00e8re m\u2019amenait \u00e0 douter de mes propres sentiments envers ces figures pourtant si ancr\u00e9es en moi, si \u00e9videntes, tellement habituelles que je n\u2019avais jamais pris la peine de les questionner.<\/p>\n

      Et en m\u00eame temps qu\u2019un double sentiment, fait d\u2019une peur sourde et d\u2019une joie ind\u00e9termin\u00e9e, je sentais quelque chose m\u2019appeler. Une invitation, ou plut\u00f4t une injonction silencieuse, \u00e0 franchir moi aussi cette clart\u00e9 \u00e9trange.<\/p>\n

      L\u2019effort produit pour r\u00e9sister, pour ne pas c\u00e9der ni \u00e0 la peur ni au d\u00e9sir de m\u2019engouffrer dans cette coque soudain \u00e9tonnamment vide du mot familier, me co\u00fbta tant d\u2019\u00e9nergie que j\u2019ai d\u00fb m\u2019assoupir. Ce qui n\u2019est pas une preuve que je me sois totalement endormi, bien entendu.<\/p>\n

      D\u2019ailleurs, depuis plusieurs mois d\u00e9j\u00e0, j\u2019ai remarqu\u00e9 chez moi cette facult\u00e9 inqui\u00e9tante : celle de douter de ma propre existence dans ce que l\u2019on nomme, un peu vite, la veille ou le sommeil. Rien de tr\u00e8s spectaculaire en soi, juste un flottement, une h\u00e9sitation l\u00e9g\u00e8re, mais tenace. Il me semble que pour donner une image assez fid\u00e8le de cette sensation, on pourrait penser \u00e0 ce chat enferm\u00e9 dans un caisson de verre, ce fameux chat dont on ne sait plus s\u2019il est vivant ou mort, selon que l\u2019on choisit de l\u2019observer ou non.<\/p>\n

      Le chat de Schr\u00f6dinger.<\/p>\n

      C\u2019est exactement \u00e7a. Un \u00e9tat suspendu, une vibration entre deux r\u00e9alit\u00e9s, et surtout cette id\u00e9e qu\u2019il suffirait d\u2019un rien pour basculer d\u2019un c\u00f4t\u00e9 ou de l\u2019autre, sans m\u00eame savoir si l\u2019un de ces c\u00f4t\u00e9s existe r\u00e9ellement.<\/p>\n

      Peut-\u00eatre que tout cela est d\u00fb \u00e0 mes lectures r\u00e9centes, \u00e0 leur contenu trouble, voire mal\u00e9fique, dont je crois me prot\u00e9ger par une analyse rigoureuse, presque clinique, des textes. Cela suffirait, en principe. Et pourtant, malgr\u00e9 cette vigilance, il semble bien que quelque chose ait fini par s\u2019infiltrer, par me polluer l\u2019esprit—si tant est que ce terme ait encore un sens.<\/p>\n

      Il me semble d\u2019ailleurs de plus en plus plausible que toute fronti\u00e8re pos\u00e9e de fa\u00e7on arbitraire entre la r\u00e9alit\u00e9 rassurante et l\u2019effroi de l\u2019inconnu ne tienne qu\u2019\u00e0 un fil.<\/p>\n

      Qu\u2019un jour ou une nuit, elle tombe soudain.<\/p>\n

      Et que, dans le m\u00eame \u00e9lan, l\u2019horreur ou la gr\u00e2ce m\u2019emporte.\nIllustration<\/strong> Richard Dadd , The Fairy Feller’s Master-Stroke \nMusique<\/strong> Tim Hecker \u2013 « Ravedeath, 1972 » In the Fog 1<\/p>", "content_text": " Nous passons notre temps \u00e0 colmater des br\u00e8ches, \u00e0 obstruer des failles, et puis un jour, \u00e0 force d\u2019avoir vid\u00e9 nos peurs, rinc\u00e9 nos r\u00eaves, essor\u00e9 tout notre \u00eatre, il ne reste plus de nous qu\u2019une \u00e9corce d\u00e9charn\u00e9e, un agrume press\u00e9 jusqu\u2019\u00e0 la derni\u00e8re goutte, bon pour la poubelle ou, \u00e0 la rigueur, pour un tas de compost, ce qui est un moindre mal. On peut aussi, pour plus de discr\u00e9tion, s\u2019arranger d\u2019un cercueil six pieds sous terre. Tout cela ne change pas grand-chose : les trous demeurent, b\u00e9ants, et ceux qui restent tentent de les combler comme ils peuvent, c\u2019est-\u00e0-dire pas du tout. Ce qui rejoint cette \u00e9vidence cosmique : il y a plus de vide que de plein, partout. Ce que nous tenons pour solide, ce bureau, ce mur, ce corps, tout cela est un assemblage bancal d\u2019atomes capricieux, flottant dans l\u2019incertitude. Et pourtant, nous nous obstinons \u00e0 croire en la fermet\u00e9 des choses, \u00e0 nous appuyer sur des structures qui ne tiennent qu\u2019\u00e0 un fil. C\u2019est m\u00eame \u00e9trange, cette confiance aveugle dans la stabilit\u00e9, cette mani\u00e8re de nous laisser berner par une illusion d\u2019\u00e9quilibre qui, au fond, ne trompe personne. Je ne sais plus tr\u00e8s bien si c\u2019\u00e9tait hier soir, juste avant de m\u2019endormir, ou en pleine nuit, pris dans l\u2019entrelacs d\u2019un r\u00eave, ou bien au matin, dans cette zone floue o\u00f9 les id\u00e9es affleurent avec une nettet\u00e9 suspecte. Toujours est-il que ces pens\u00e9es, parfaitement claires, se sont impos\u00e9es : il suffirait d\u2019un rien pour abattre les cloisons de ce gigantesque simulacre, une chiquenaude, une micro-faille dans le d\u00e9cor. Ce seul constat m\u2019a procur\u00e9 une \u00e9trange qui\u00e9tude, comme la r\u00e9sonance d\u2019une fr\u00e9quence oubli\u00e9e, enfouie sous les strates du quotidien et dont je ne me souvenais pas avoir un jour per\u00e7u l\u2019existence. Une qui\u00e9tude pourtant si tangible qu\u2019elle semblait s\u2019infiltrer par un interstice, une br\u00e8che minuscule dans le d\u00e9cor, comme une odeur connue mais inexplicable, crois\u00e9e par hasard sur un trottoir et qui, en un instant, convoque tout un monde disparu. J\u2019essayais de rester \u00e0 la lisi\u00e8re, sur le seuil exact de toute d\u00e9finition du mot familier, en \u00e9quilibre instable, ce qui demandait, il faut bien l\u2019admettre, quelques efforts consid\u00e9rables. Car imm\u00e9diatement, un d\u00e9fil\u00e9 d\u2019images invraisemblables et absurdes s\u2019\u00e9tait mis en marche, un cort\u00e8ge qui avan\u00e7ait sans que je puisse en contenir le flux. Des visages apparaissaient : ma m\u00e8re, mon p\u00e8re, mon fr\u00e8re, mes grands-parents, ces \u00eatres que j\u2019avais toujours cru conna\u00eetre avec une certitude sans faille, comme s\u2019ils faisaient partie de mon propre d\u00e9cor int\u00e9rieur, comme s\u2019ils avaient \u00e9t\u00e9 d\u00e9pos\u00e9s l\u00e0 d\u00e8s l\u2019origine, sans m\u00eame que la question de leur pr\u00e9sence se pose. Et puis, il y avait cette clart\u00e9. Une lumi\u00e8re trop franche, venue de cette fissure dans la cloison de ce que j\u2019avais toujours nomm\u00e9 familiarit\u00e9, une lumi\u00e8re qui me frappa au point de me faire vaciller. Car \u00e0 mesure qu\u2019elle s\u2019intensifiait, elle produisait un effet tout \u00e0 fait paradoxal : non pas l\u2019illumination r\u00e9confortante qu\u2019on attendrait d\u2019une r\u00e9v\u00e9lation, mais un trouble diffus, un soup\u00e7on grandissant. Cette lumi\u00e8re m\u2019amenait \u00e0 douter de mes propres sentiments envers ces figures pourtant si ancr\u00e9es en moi, si \u00e9videntes, tellement habituelles que je n\u2019avais jamais pris la peine de les questionner. Et en m\u00eame temps qu\u2019un double sentiment, fait d\u2019une peur sourde et d\u2019une joie ind\u00e9termin\u00e9e, je sentais quelque chose m\u2019appeler. Une invitation, ou plut\u00f4t une injonction silencieuse, \u00e0 franchir moi aussi cette clart\u00e9 \u00e9trange. L\u2019effort produit pour r\u00e9sister, pour ne pas c\u00e9der ni \u00e0 la peur ni au d\u00e9sir de m\u2019engouffrer dans cette coque soudain \u00e9tonnamment vide du mot familier, me co\u00fbta tant d\u2019\u00e9nergie que j\u2019ai d\u00fb m\u2019assoupir. Ce qui n\u2019est pas une preuve que je me sois totalement endormi, bien entendu. D\u2019ailleurs, depuis plusieurs mois d\u00e9j\u00e0, j\u2019ai remarqu\u00e9 chez moi cette facult\u00e9 inqui\u00e9tante : celle de douter de ma propre existence dans ce que l\u2019on nomme, un peu vite, la veille ou le sommeil. Rien de tr\u00e8s spectaculaire en soi, juste un flottement, une h\u00e9sitation l\u00e9g\u00e8re, mais tenace. Il me semble que pour donner une image assez fid\u00e8le de cette sensation, on pourrait penser \u00e0 ce chat enferm\u00e9 dans un caisson de verre, ce fameux chat dont on ne sait plus s\u2019il est vivant ou mort, selon que l\u2019on choisit de l\u2019observer ou non. Le chat de Schr\u00f6dinger. C\u2019est exactement \u00e7a. Un \u00e9tat suspendu, une vibration entre deux r\u00e9alit\u00e9s, et surtout cette id\u00e9e qu\u2019il suffirait d\u2019un rien pour basculer d\u2019un c\u00f4t\u00e9 ou de l\u2019autre, sans m\u00eame savoir si l\u2019un de ces c\u00f4t\u00e9s existe r\u00e9ellement. Peut-\u00eatre que tout cela est d\u00fb \u00e0 mes lectures r\u00e9centes, \u00e0 leur contenu trouble, voire mal\u00e9fique, dont je crois me prot\u00e9ger par une analyse rigoureuse, presque clinique, des textes. Cela suffirait, en principe. Et pourtant, malgr\u00e9 cette vigilance, il semble bien que quelque chose ait fini par s\u2019infiltrer, par me polluer l\u2019esprit\u2014si tant est que ce terme ait encore un sens. Il me semble d\u2019ailleurs de plus en plus plausible que toute fronti\u00e8re pos\u00e9e de fa\u00e7on arbitraire entre la r\u00e9alit\u00e9 rassurante et l\u2019effroi de l\u2019inconnu ne tienne qu\u2019\u00e0 un fil. Qu\u2019un jour ou une nuit, elle tombe soudain. Et que, dans le m\u00eame \u00e9lan, l\u2019horreur ou la gr\u00e2ce m\u2019emporte. **Illustration** Richard Dadd , The Fairy Feller's Master-Stroke **Musique** Tim Hecker \u2013 \"Ravedeath, 1972\" In the Fog 1 ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/960px-image-dadd_-_fairy_feller_s.jpg?1748065124", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/16-mars-2025.html", "title": "16 mars 2025", "date_published": "2025-03-16T13:01:20Z", "date_modified": "2025-03-16T13:01:20Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Nous avons cess\u00e9 de peindre des portraits. Depuis 2010, 2011, on a referm\u00e9 les livres, les albums photo, les portables. Fini le portrait, montrez des visages ! Nous avons perdu des \u00e9l\u00e8ves \u00e0 partir de l\u00e0. Mais c\u2019\u00e9tait une bonne chose. Nous nous enfoncions dans une aventure dont peu peuvent ressortir indemnes. Car on finit par comprendre que peindre un visage, ce n\u2019est pas rien, c\u2019est un vrai risque. Psychologiquement dangereux, mortel m\u00eame.<\/p>\n

      Il y a eu un grand cri dans l\u2019atelier quand j\u2019ai parl\u00e9 des peintures de malades mentaux. Un instant suspendu, une rupture dans l\u2019ordre perceptif. Le cri s\u2019est d\u00e9tach\u00e9 du corps, s\u2019est projet\u00e9 dans l\u2019espace, laissant derri\u00e8re lui une tension qui ne s\u2019\u00e9puise pas. Il ne s\u2019annule pas, ne se dissipe pas imm\u00e9diatement dans la continuit\u00e9 du r\u00e9el. Il s\u2019accroche aux visages, modifie leur structure, imprime sur eux une d\u00e9formation irr\u00e9versible.<\/p>\n

      Apr\u00e8s coup, que reste-t-il ?<\/p>\n

      Les visages ne sont plus que l\u2019ombre d\u2019une coh\u00e9sion perdue. Ils n\u2019appartiennent plus \u00e0 ceux qui les portaient. D\u00e9structur\u00e9s, ils peinent \u00e0 retrouver leur organisation premi\u00e8re. Ils flottent, s\u2019agr\u00e8gent, se dissolvent. Amas indistincts de traits en errance, visages qui se recouvrent les uns les autres, englu\u00e9s dans leur propre alt\u00e9ration. Une mati\u00e8re qui ne sait plus si elle est encore chair ou d\u00e9j\u00e0 abstraction.<\/p>\n

      Les bouches, \u00e0 demi b\u00e9antes, oscillent entre articulation et mutisme, incapables de choisir si elles veulent encore parler ou s\u2019\u00e9teindre tout \u00e0 fait. Les regards divergent, certains s\u2019effacent dans des orbites creus\u00e9es, d\u2019autres s\u2019exorbitent, envahis par une dilatation malsaine. La carnation elle-m\u00eame h\u00e9site, s\u2019\u00e9tire vers la p\u00e2leur, s\u2019\u00e9crase dans des poches congestionn\u00e9es. Plus rien ne fixe un \u00e9tat stable. Les lignes du visage, autrefois d\u00e9finies, deviennent al\u00e9atoires, flottantes. L\u2019ensemble, plus proche d\u2019un glissement que d\u2019une pr\u00e9sence.<\/p>\n

      Comment repr\u00e9senter cela ? La tentative picturale se heurte \u00e0 une impossibilit\u00e9 structurelle. Le trait, \u00e0 peine esquiss\u00e9, dispara\u00eet. Les contours refusent de tenir, se brisent sous le pinceau comme une surface trop fragile. Peindre le visage apr\u00e8s le cri, c\u2019est tenter de fixer une mati\u00e8re en fusion, c\u2019est vouloir contraindre ce qui ne cesse de se d\u00e9rober. C\u2019est un combat perdu contre l\u2019instabilit\u00e9.<\/p>\n

      Mais ce n\u2019est pas seulement une question d\u2019\u00e9chec technique. Ce que le cri a laiss\u00e9 ne se r\u00e9duit pas \u00e0 un r\u00e9sidu expressif, il constitue une zone de vacillation ontologique. Les visages ne tiennent plus sur eux-m\u00eames. Ils s\u2019absorbent, ils s\u2019\u00e9chappent, ils se retournent contre leur propre forme. L\u2019image recule, elle se d\u00e9robe avant m\u00eame de pouvoir \u00eatre constitu\u00e9e. Le visage n\u2019est plus qu\u2019un vestige, un lieu d\u2019effacement en cours.<\/p>\n

      Certains peintres, conscients de cette dissolution, ont tent\u00e9 de la capturer \u00e0 travers leur propre d\u00e9litement. Richard Dadd, intern\u00e9, interrompait volontairement son traitement, peignant son propre visage \u00e0 chaque stade de son effondrement mental, esp\u00e9rant qu\u2019\u00e0 la fin, il pourrait fixer sur la toile le dernier \u00e9tat de sa maladie. Mais comment peindre une chute ? Chaque toile n\u2019\u00e9tait que l\u2019anticipation de la suivante, la trace d\u2019un passage, jamais l\u2019ultime v\u00e9rit\u00e9. Peindre le visage, dans cette optique, c\u2019est enregistrer sa propre disparition.<\/p>\n

      William Utermohlen, frapp\u00e9 par la maladie d\u2019Alzheimer, s\u2019est lui aussi livr\u00e9 \u00e0 cette qu\u00eate d\u2019impossible saisie. \u00c0 mesure que sa m\u00e9moire se d\u00e9litait, ses autoportraits devenaient des surfaces \u00e9rod\u00e9es, des traits fragmentaires o\u00f9 l\u2019humain s\u2019effa\u00e7ait sous l\u2019oubli. L\u2019identit\u00e9 s\u2019amenuisait, chaque coup de pinceau marquait une perte irr\u00e9versible. Il esp\u00e9rait, peut-\u00eatre, qu\u2019au bout du processus, la derni\u00e8re toile serait le visage m\u00eame de sa maladie, la fixation ultime de l\u2019absence en train de s\u2019\u00e9tendre.<\/p>\n

      Il faudrait alors peindre non pas le visage, mais sa dissolution. Peindre la persistance de l\u2019effacement, l\u2019empreinte du cri qui ne cesse de travailler ce qui fut un visage. Peindre l\u2019absence en train de s\u2019\u00e9tendre, jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019image elle-m\u00eame c\u00e8de sous la pression du vide.<\/p>\n

      Illustration«  » William Utermohlen Dernier dessin\n<\/strong>Musique** :Ligeti - Requiem (1965)<\/p>", "content_text": " Nous avons cess\u00e9 de peindre des portraits. Depuis 2010, 2011, on a referm\u00e9 les livres, les albums photo, les portables. Fini le portrait, montrez des visages ! Nous avons perdu des \u00e9l\u00e8ves \u00e0 partir de l\u00e0. Mais c\u2019\u00e9tait une bonne chose. Nous nous enfoncions dans une aventure dont peu peuvent ressortir indemnes. Car on finit par comprendre que peindre un visage, ce n\u2019est pas rien, c\u2019est un vrai risque. Psychologiquement dangereux, mortel m\u00eame. Il y a eu un grand cri dans l\u2019atelier quand j\u2019ai parl\u00e9 des peintures de malades mentaux. Un instant suspendu, une rupture dans l\u2019ordre perceptif. Le cri s\u2019est d\u00e9tach\u00e9 du corps, s\u2019est projet\u00e9 dans l\u2019espace, laissant derri\u00e8re lui une tension qui ne s\u2019\u00e9puise pas. Il ne s\u2019annule pas, ne se dissipe pas imm\u00e9diatement dans la continuit\u00e9 du r\u00e9el. Il s\u2019accroche aux visages, modifie leur structure, imprime sur eux une d\u00e9formation irr\u00e9versible. Apr\u00e8s coup, que reste-t-il ? Les visages ne sont plus que l\u2019ombre d\u2019une coh\u00e9sion perdue. Ils n\u2019appartiennent plus \u00e0 ceux qui les portaient. D\u00e9structur\u00e9s, ils peinent \u00e0 retrouver leur organisation premi\u00e8re. Ils flottent, s\u2019agr\u00e8gent, se dissolvent. Amas indistincts de traits en errance, visages qui se recouvrent les uns les autres, englu\u00e9s dans leur propre alt\u00e9ration. Une mati\u00e8re qui ne sait plus si elle est encore chair ou d\u00e9j\u00e0 abstraction. Les bouches, \u00e0 demi b\u00e9antes, oscillent entre articulation et mutisme, incapables de choisir si elles veulent encore parler ou s\u2019\u00e9teindre tout \u00e0 fait. Les regards divergent, certains s\u2019effacent dans des orbites creus\u00e9es, d\u2019autres s\u2019exorbitent, envahis par une dilatation malsaine. La carnation elle-m\u00eame h\u00e9site, s\u2019\u00e9tire vers la p\u00e2leur, s\u2019\u00e9crase dans des poches congestionn\u00e9es. Plus rien ne fixe un \u00e9tat stable. Les lignes du visage, autrefois d\u00e9finies, deviennent al\u00e9atoires, flottantes. L\u2019ensemble, plus proche d\u2019un glissement que d\u2019une pr\u00e9sence. Comment repr\u00e9senter cela ? La tentative picturale se heurte \u00e0 une impossibilit\u00e9 structurelle. Le trait, \u00e0 peine esquiss\u00e9, dispara\u00eet. Les contours refusent de tenir, se brisent sous le pinceau comme une surface trop fragile. Peindre le visage apr\u00e8s le cri, c\u2019est tenter de fixer une mati\u00e8re en fusion, c\u2019est vouloir contraindre ce qui ne cesse de se d\u00e9rober. C\u2019est un combat perdu contre l\u2019instabilit\u00e9. Mais ce n\u2019est pas seulement une question d\u2019\u00e9chec technique. Ce que le cri a laiss\u00e9 ne se r\u00e9duit pas \u00e0 un r\u00e9sidu expressif, il constitue une zone de vacillation ontologique. Les visages ne tiennent plus sur eux-m\u00eames. Ils s\u2019absorbent, ils s\u2019\u00e9chappent, ils se retournent contre leur propre forme. L\u2019image recule, elle se d\u00e9robe avant m\u00eame de pouvoir \u00eatre constitu\u00e9e. Le visage n\u2019est plus qu\u2019un vestige, un lieu d\u2019effacement en cours. Certains peintres, conscients de cette dissolution, ont tent\u00e9 de la capturer \u00e0 travers leur propre d\u00e9litement. Richard Dadd, intern\u00e9, interrompait volontairement son traitement, peignant son propre visage \u00e0 chaque stade de son effondrement mental, esp\u00e9rant qu\u2019\u00e0 la fin, il pourrait fixer sur la toile le dernier \u00e9tat de sa maladie. Mais comment peindre une chute ? Chaque toile n\u2019\u00e9tait que l\u2019anticipation de la suivante, la trace d\u2019un passage, jamais l\u2019ultime v\u00e9rit\u00e9. Peindre le visage, dans cette optique, c\u2019est enregistrer sa propre disparition. William Utermohlen, frapp\u00e9 par la maladie d\u2019Alzheimer, s\u2019est lui aussi livr\u00e9 \u00e0 cette qu\u00eate d\u2019impossible saisie. \u00c0 mesure que sa m\u00e9moire se d\u00e9litait, ses autoportraits devenaient des surfaces \u00e9rod\u00e9es, des traits fragmentaires o\u00f9 l\u2019humain s\u2019effa\u00e7ait sous l\u2019oubli. L\u2019identit\u00e9 s\u2019amenuisait, chaque coup de pinceau marquait une perte irr\u00e9versible. Il esp\u00e9rait, peut-\u00eatre, qu\u2019au bout du processus, la derni\u00e8re toile serait le visage m\u00eame de sa maladie, la fixation ultime de l\u2019absence en train de s\u2019\u00e9tendre. Il faudrait alors peindre non pas le visage, mais sa dissolution. Peindre la persistance de l\u2019effacement, l\u2019empreinte du cri qui ne cesse de travailler ce qui fut un visage. Peindre l\u2019absence en train de s\u2019\u00e9tendre, jusqu\u2019\u00e0 ce que l\u2019image elle-m\u00eame c\u00e8de sous la pression du vide. **Illustration\"\" William Utermohlen Dernier dessin **Musique** :Ligeti - Requiem (1965) ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/2000_utermohlen_-_erased_head.jpg?1748065117", "tags": ["Esth\u00e9tique et Exp\u00e9rience Sensorielle"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/15-mars-2025.html", "title": "15 mars 2025", "date_published": "2025-03-15T07:17:29Z", "date_modified": "2025-04-30T15:49:12Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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      \n\n\n\t\t\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      La langue me tient chaud.\nLa langue est mon amie.\nSans elle, je ne suis pas grand-chose, une silhouette \u00e0 contre-jour, une respiration sur le carreau d\u2019une fen\u00eatre, une rature.<\/p>\n

      Avant, il y a la temp\u00eate, l\u2019ouragan, tout ce qui souffle et arrache. Apr\u00e8s, quand la bouche se tait, la langue reste l\u00e0, tapie au chaud, dernier recoin de chaleur, dernier refuge. Ma langue, mon foyer. Ses mots, une famille en exil, et la ponctuation, cette manie d\u2019inscrire des limites : poser un point, une virgule, un soupir. Tandis que le verbe verbe, la phrase phrase, et le caf\u00e9 fume sur la cuisini\u00e8re.<\/p>\n

      Le feu cr\u00e9pite quelque part dans l\u2019\u00eatre, sous les tommettes ti\u00e8des, entre les murs vert bouteille. Une porte grince, une latte branle au grenier, la maison s\u2019ajuste \u00e0 la nuit. Dans la bo\u00eete aux lettres, une enveloppe. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur, peut-\u00eatre une menace, une facture, une lettre d\u2019amour \u2013 les trois \u00e0 la fois, pourquoi pas. Tout ce qui me traverse, tout ce qui me d\u00e9finit, mes \u00e9lans, mes peurs, mes \u00e9c\u0153urements, mon d\u00e9go\u00fbt de certains mots, tout cela vient de ma langue. Et de nulle autre part.<\/p>\n

      La langue est un pont immense entre rien et rien, et quand on y pense, \u00e7a devrait faire quelque chose.<\/p>\n

      Parfois, je dis que je n\u2019ai rien \u00e0 dire. Parce que rien ne vient, rien de d\u00e9cisif, rien d\u2019imm\u00e9diat. J\u2019ai peur des mots qui surgissent comme des alarmes : tout \u00e0 coup, soudain, brusquement. Je crains le mot vite, vite, vite. La peur devient col\u00e8re, mais pas une col\u00e8re qui explose, qui renverse la table, qui cogne le mur du poing. Une autre col\u00e8re. Une qui se replie, qui ferme soigneusement la porte derri\u00e8re elle, qui se terre dans l\u2019obscur. Elle serre les dents jusqu\u2019\u00e0 les briser.<\/p>\n

      Ma col\u00e8re, d\u2019ailleurs, est \u00e9dent\u00e9e.\nCe n\u2019est la faute de personne. Pas m\u00eame de ce dentiste qui, jugeant plus rentable l\u2019extraction que le soin, m\u2019arrache les dents l\u2019une apr\u00e8s l\u2019autre. Ce n\u2019est pas personnel, c\u2019est un mod\u00e8le \u00e9conomique.<\/p>\n

      Ma col\u00e8re paie rubis sur l\u2019ongle. Puis elle repart, s\u2019enroule autour du foie, glisse dans les poumons, s\u2019installe dans la rate. Elle entend encore la voix du dentiste : Va te cacher, mochet\u00e9. Dans mon monde, on ne t\u2019offre m\u00eame pas un d\u00e9tartrage gratuit.<\/p>\n


      \n« D\u00e9sir de fusion besoin de solitude ». Lecture de ce brin de phrase dans un article sur Katherine Mansfield dans Po\u00e9zibo. Ce qui stoppe instantan\u00e9ment la lecture. O\u00f9 en suis-je de ce vieux serpent de mer —ce fameux d\u00e9sir de fusion ? Je me palpe, me soup\u00e8se, m’\u00e9value. Aucun enthousiasme, aucune hyst\u00e9rie, rien. La fusion s’est envol\u00e9e. Ne reste que le besoin de solitude. Mais \u00e9lev\u00e9 \u00e0 un point de fusion, une incandescence encore rarement atteinte.\nHier soir, sous la pluie, j’ai quitt\u00e9 l’atelier des peintres roussillonnais pour me rendre \u00e0 une invitation. Exposition Exil \u00e0 Saint-Donas. Comme une dette \u00e0 rembourser, puisque tant de gens viennent \u00e0 mes expos, me dis-je il faut bien que de temps en temps je rendre la monnaie de la pi\u00e8ce. En m\u00eame temps l’Exil ce n’est pas rien. Donc un peu des deux, de l’int\u00e9r\u00eat \u00e0 deux t\u00eates. \nEt bien je ne suis rest\u00e9 que quelques minutes \u00e0 peine. Le temps de faire le tour des oeuvres expos\u00e9es , du bon travail c’est \u00e0 noter. Puis avant m\u00eame que l’on ne d\u00e9bouche la premi\u00e8re bouteille du vernissage je me suis eclips\u00e9 sur la pointe des pieds. J’ai crois\u00e9 M. qui fumait sous le pr\u00e9au. Tu t’en vas d\u00e9j\u00e0. J’ai dit oui. Elle m’a laiss\u00e9 entendre que si elle le pouvait elle aussi rentrerait. J’ai dit aller j’y vais. Pour ne pas avoir \u00e0 engager la conversation plus avant. J’ai fini je crois que chercher des pr\u00e9textes pour nourrir mon vice de vouloir \u00eatre seul.\nSuis rentr\u00e9, \u00e9bloui encore par la mani\u00e8re dont cette journ\u00e9e \u00e0 fil\u00e9. Je n’ai pas m\u00eame eu la moindre douleur dentaire. J’attribue na\u00efvement \u00e7a au somnif\u00e8re dont je me bourre pour dormir en ce moment. Il faut que je prenne rendez-vous chez le dentiste. Avant-hier je n’en menais pas large. Tout chamane sto\u00efque que je veux encore m’assurer d’\u00eatre la douleur m’arrachait la moiti\u00e9 du cr\u00e2ne.\nPeint quatre petits tableaux format A4 sur papier avec les \u00e9l\u00e8ves. En fait sans y avoir trop pens\u00e9 j’ai lanc\u00e9 un travail sur la couleur, ses m\u00e9lange, le fait de ne pas s’occuper d’autre chose que de la constitution d’une palette personnelle. De modifier l’\u00e9vidence. De se d\u00e9fendre d’utiliser la couleur sortant d’un tube par exemple, mais toujours la modifier l\u00e9g\u00e8rement. Partir ainsi seulement de la couleur qu’on d\u00e9pose sur le papier, comme un musicien part peut-\u00eatre d’une suite de notes qu’il augmente ou diminue. \nSuis parvenu \u00e0 avaler un peu de riz puis repris un hypnotique pour aller m’enfoncer dans la lecture de Les cercueils en zinc de Svetlana Alexievitch. Mais impression d’avoir d\u00e9j\u00e0 lu mille fois ces pages et de n’y d\u00e9couvrir rien de nouveau. Je me suis endormi.\n

      Illustration<\/strong> : Mark Rothko Orange and Yellow 1960-61\nMusique<\/strong> : Zaz, La vie en rose <\/p>", "content_text": " La langue me tient chaud. La langue est mon amie. Sans elle, je ne suis pas grand-chose, une silhouette \u00e0 contre-jour, une respiration sur le carreau d\u2019une fen\u00eatre, une rature. Avant, il y a la temp\u00eate, l\u2019ouragan, tout ce qui souffle et arrache. Apr\u00e8s, quand la bouche se tait, la langue reste l\u00e0, tapie au chaud, dernier recoin de chaleur, dernier refuge. Ma langue, mon foyer. Ses mots, une famille en exil, et la ponctuation, cette manie d\u2019inscrire des limites : poser un point, une virgule, un soupir. Tandis que le verbe verbe, la phrase phrase, et le caf\u00e9 fume sur la cuisini\u00e8re. Le feu cr\u00e9pite quelque part dans l\u2019\u00eatre, sous les tommettes ti\u00e8des, entre les murs vert bouteille. Une porte grince, une latte branle au grenier, la maison s\u2019ajuste \u00e0 la nuit. Dans la bo\u00eete aux lettres, une enveloppe. \u00c0 l\u2019int\u00e9rieur, peut-\u00eatre une menace, une facture, une lettre d\u2019amour \u2013 les trois \u00e0 la fois, pourquoi pas. Tout ce qui me traverse, tout ce qui me d\u00e9finit, mes \u00e9lans, mes peurs, mes \u00e9c\u0153urements, mon d\u00e9go\u00fbt de certains mots, tout cela vient de ma langue. Et de nulle autre part. La langue est un pont immense entre rien et rien, et quand on y pense, \u00e7a devrait faire quelque chose. Parfois, je dis que je n\u2019ai rien \u00e0 dire. Parce que rien ne vient, rien de d\u00e9cisif, rien d\u2019imm\u00e9diat. J\u2019ai peur des mots qui surgissent comme des alarmes : tout \u00e0 coup, soudain, brusquement. Je crains le mot vite, vite, vite. La peur devient col\u00e8re, mais pas une col\u00e8re qui explose, qui renverse la table, qui cogne le mur du poing. Une autre col\u00e8re. Une qui se replie, qui ferme soigneusement la porte derri\u00e8re elle, qui se terre dans l\u2019obscur. Elle serre les dents jusqu\u2019\u00e0 les briser. Ma col\u00e8re, d\u2019ailleurs, est \u00e9dent\u00e9e. Ce n\u2019est la faute de personne. Pas m\u00eame de ce dentiste qui, jugeant plus rentable l\u2019extraction que le soin, m\u2019arrache les dents l\u2019une apr\u00e8s l\u2019autre. Ce n\u2019est pas personnel, c\u2019est un mod\u00e8le \u00e9conomique. Ma col\u00e8re paie rubis sur l\u2019ongle. Puis elle repart, s\u2019enroule autour du foie, glisse dans les poumons, s\u2019installe dans la rate. Elle entend encore la voix du dentiste : Va te cacher, mochet\u00e9. Dans mon monde, on ne t\u2019offre m\u00eame pas un d\u00e9tartrage gratuit. \"D\u00e9sir de fusion besoin de solitude\". Lecture de ce brin de phrase dans un article sur Katherine Mansfield dans Po\u00e9zibo. Ce qui stoppe instantan\u00e9ment la lecture. O\u00f9 en suis-je de ce vieux serpent de mer \u2014ce fameux d\u00e9sir de fusion ? Je me palpe, me soup\u00e8se, m'\u00e9value. Aucun enthousiasme, aucune hyst\u00e9rie, rien. La fusion s'est envol\u00e9e. Ne reste que le besoin de solitude. Mais \u00e9lev\u00e9 \u00e0 un point de fusion, une incandescence encore rarement atteinte. Hier soir, sous la pluie, j'ai quitt\u00e9 l'atelier des peintres roussillonnais pour me rendre \u00e0 une invitation. Exposition Exil \u00e0 Saint-Donas. Comme une dette \u00e0 rembourser, puisque tant de gens viennent \u00e0 mes expos, me dis-je il faut bien que de temps en temps je rendre la monnaie de la pi\u00e8ce. En m\u00eame temps l'Exil ce n'est pas rien. Donc un peu des deux, de l'int\u00e9r\u00eat \u00e0 deux t\u00eates. Et bien je ne suis rest\u00e9 que quelques minutes \u00e0 peine. Le temps de faire le tour des oeuvres expos\u00e9es , du bon travail c'est \u00e0 noter. Puis avant m\u00eame que l'on ne d\u00e9bouche la premi\u00e8re bouteille du vernissage je me suis eclips\u00e9 sur la pointe des pieds. J'ai crois\u00e9 M. qui fumait sous le pr\u00e9au. Tu t'en vas d\u00e9j\u00e0. J'ai dit oui. Elle m'a laiss\u00e9 entendre que si elle le pouvait elle aussi rentrerait. J'ai dit aller j'y vais. Pour ne pas avoir \u00e0 engager la conversation plus avant. J'ai fini je crois que chercher des pr\u00e9textes pour nourrir mon vice de vouloir \u00eatre seul. Suis rentr\u00e9, \u00e9bloui encore par la mani\u00e8re dont cette journ\u00e9e \u00e0 fil\u00e9. Je n'ai pas m\u00eame eu la moindre douleur dentaire. J'attribue na\u00efvement \u00e7a au somnif\u00e8re dont je me bourre pour dormir en ce moment. Il faut que je prenne rendez-vous chez le dentiste. Avant-hier je n'en menais pas large. Tout chamane sto\u00efque que je veux encore m'assurer d'\u00eatre la douleur m'arrachait la moiti\u00e9 du cr\u00e2ne. Peint quatre petits tableaux format A4 sur papier avec les \u00e9l\u00e8ves. En fait sans y avoir trop pens\u00e9 j'ai lanc\u00e9 un travail sur la couleur, ses m\u00e9lange, le fait de ne pas s'occuper d'autre chose que de la constitution d'une palette personnelle. De modifier l'\u00e9vidence. De se d\u00e9fendre d'utiliser la couleur sortant d'un tube par exemple, mais toujours la modifier l\u00e9g\u00e8rement. Partir ainsi seulement de la couleur qu'on d\u00e9pose sur le papier, comme un musicien part peut-\u00eatre d'une suite de notes qu'il augmente ou diminue. Suis parvenu \u00e0 avaler un peu de riz puis repris un hypnotique pour aller m'enfoncer dans la lecture de Les cercueils en zinc de Svetlana Alexievitch. Mais impression d'avoir d\u00e9j\u00e0 lu mille fois ces pages et de n'y d\u00e9couvrir rien de nouveau. Je me suis endormi. **Illustration** : Mark Rothko Orange and Yellow 1960-61 **Musique** : Zaz, La vie en rose ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/mark-rothko-orange-and-yellow.jpg?1748065094", "tags": ["r\u00e9flexions sur l'art"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/14-mars-2025.html", "title": "14 mars 2025", "date_published": "2025-03-14T06:59:47Z", "date_modified": "2025-03-14T07:00:15Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      On le voit moins. C’est comme \u00e7a que \u00e7a commence, l’effacement. Par touches discr\u00e8tes, sans tapage, petit \u00e0 petit qu’il s’efface. Sa voix qui s’estompe. Et puis d’un coup cette question : a-t-il vraiment exist\u00e9 ? Peut-\u00eatre juste imaginaire. Peut-\u00eatre fragment d’un r\u00eave ou cauchemar. Ce type sur la photographie noir et blanc. Prise \u00e0 Aubervilliers. Les lieux, eux, s’identifient plus facilement. D’ici, cette impression premi\u00e8re d’un personnage falot, la torsion de sa silhouette lors de la prise de vue, cette impossibilit\u00e9 \u00e0 le cerner. Avais tent\u00e9 de sympathiser puis trop compliqu\u00e9, laiss\u00e9 tomber. C’\u00e9tait apr\u00e8s 1981, il revenait de Bonn, Allemagne. Habitions Aubervilliers. Le nom de la rue perdu, face \u00e0 un supermarch\u00e9 je crois. Immeubles bas. Pas plus de deux \u00e9tages, vivions tous ensemble au second. Les fen\u00eatres ouvraient sur ce supermarch\u00e9 et si on penchait un peu plus la t\u00eate on apercevait le canal Saint-Denis. La photographie prise sur une de ses berges. N\u00e9gatif ab\u00eem\u00e9.<\/p>\n

      Revenait de Bonn. Ne me souviens plus pour quelle agence de presse. Avait fallu qu’il parte tr\u00e8s vite. Parce qu’il parlait allemand. Ou bien avait pr\u00e9tendu parler allemand quand on l’avait questionn\u00e9. Neuf ans d’allemand \u00e0 l’\u00e9cole, on doit bien savoir un peu. En tous cas pas d\u00e9gonfl\u00e9. Parlait anglais aussi. Neuf ans pareil. Avait pris un train le soir m\u00eame, train de nuit. Difficile de savoir s’il disait toujours vrai. Me souviens qu’\u00e0 l’\u00e9poque nous avait racont\u00e9 avoir pris le Trans Europe Express premi\u00e8re classe. L’agence paie le trajet, avait-il ajout\u00e9. Jamais donn\u00e9 de pr\u00e9cision suppl\u00e9mentaire. Crois que certains mots l’incitaient \u00e0 mentir. D’ailleurs mentait-il vraiment. Peut-\u00eatre qu’\u00e0 l’invocation de certains mots disposait d’une facult\u00e9 de modifier sa propre r\u00e9alit\u00e9 selon sa convenance. Peut-\u00eatre n’\u00e9tait-ce pour lui que sa v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 lui, inad\u00e9quate avec celle plus g\u00e9n\u00e9rale, et plus terne aussi, la n\u00f4tre.<\/p>\n

      Retrouv\u00e9 peu de photographies de ce voyage \u00e0 Bonn. Faut pr\u00e9ciser : jamais \u00e9t\u00e9 champion du rangement, pas plus du classement \u2013 comme s’il avait v\u00e9cu dans une sorte de fixit\u00e9 temporelle qui n’en n\u00e9cessite pas. Quand on a retrouv\u00e9 les milliers de n\u00e9gatifs dans une caisse en carton ils \u00e9taient en vrac, sans m\u00eame la moindre pochette de cristal pour les pr\u00e9server. Ce qui explique leur \u00e9tat d\u00e9grad\u00e9. Aussi retrouv\u00e9 un ouvrage d’Albert Schweitzer « Jean-S\u00e9bastien Bach, le musicien po\u00e8te » sous les milliers de n\u00e9gatifs.<\/p>\n

      De ce voyage \u00e0 Bonn n’en a parl\u00e9 qu’une fois, \u00e0 son retour, pas le genre d’\u00e9v\u00e9nement qu’on aime reprendre, examiner, \u00e9dulcorer, embellir. On ne sait pas non plus si le commanditaire du reportage a utilis\u00e9 le mat\u00e9riel rapport\u00e9. Essentiellement des photographies noir et blanc. Parce que la couleur c’est trop vulgaire, disait le gars. Dans ce domaine jamais vraiment c\u00e9d\u00e9, la couleur en photographie ne l’a jamais int\u00e9ress\u00e9. Des ann\u00e9es plus tard quand il s’installera comme peintre, fera autre chose de la couleur, mais pour le moment est dans ce mouvement de torsion \u00e9trange, pr\u00e8s du canal Saint-Denis, une ind\u00e9cision profonde. \u00c0 moins qu’il ne s’adresse au photographe dont nous oublierions de parler dans cette histoire.<\/p>", "content_text": "On le voit moins. C'est comme \u00e7a que \u00e7a commence, l'effacement. Par touches discr\u00e8tes, sans tapage, petit \u00e0 petit qu'il s'efface. Sa voix qui s'estompe. Et puis d'un coup cette question: a-t-il vraiment exist\u00e9? Peut-\u00eatre juste imaginaire. Peut-\u00eatre fragment d'un r\u00eave ou cauchemar. Ce type sur la photographie noir et blanc. Prise \u00e0 Aubervilliers. Les lieux, eux, s'identifient plus facilement. D'ici, cette impression premi\u00e8re d'un personnage falot, la torsion de sa silhouette lors de la prise de vue, cette impossibilit\u00e9 \u00e0 le cerner. Avais tent\u00e9 de sympathiser puis trop compliqu\u00e9, laiss\u00e9 tomber. C'\u00e9tait apr\u00e8s 1981, il revenait de Bonn, Allemagne. Habitions Aubervilliers. Le nom de la rue perdu, face \u00e0 un supermarch\u00e9 je crois. Immeubles bas. Pas plus de deux \u00e9tages, vivions tous ensemble au second. Les fen\u00eatres ouvraient sur ce supermarch\u00e9 et si on penchait un peu plus la t\u00eate on apercevait le canal Saint-Denis. La photographie prise sur une de ses berges. N\u00e9gatif ab\u00eem\u00e9. Revenait de Bonn. Ne me souviens plus pour quelle agence de presse. Avait fallu qu'il parte tr\u00e8s vite. Parce qu'il parlait allemand. Ou bien avait pr\u00e9tendu parler allemand quand on l'avait questionn\u00e9. Neuf ans d'allemand \u00e0 l'\u00e9cole, on doit bien savoir un peu. En tous cas pas d\u00e9gonfl\u00e9. Parlait anglais aussi. Neuf ans pareil. Avait pris un train le soir m\u00eame, train de nuit. Difficile de savoir s'il disait toujours vrai. Me souviens qu'\u00e0 l'\u00e9poque nous avait racont\u00e9 avoir pris le Trans Europe Express premi\u00e8re classe. L'agence paie le trajet, avait-il ajout\u00e9. Jamais donn\u00e9 de pr\u00e9cision suppl\u00e9mentaire. Crois que certains mots l'incitaient \u00e0 mentir. D'ailleurs mentait-il vraiment. Peut-\u00eatre qu'\u00e0 l'invocation de certains mots disposait d'une facult\u00e9 de modifier sa propre r\u00e9alit\u00e9 selon sa convenance. Peut-\u00eatre n'\u00e9tait-ce pour lui que sa v\u00e9rit\u00e9 \u00e0 lui, inad\u00e9quate avec celle plus g\u00e9n\u00e9rale, et plus terne aussi, la n\u00f4tre. Retrouv\u00e9 peu de photographies de ce voyage \u00e0 Bonn. Faut pr\u00e9ciser: jamais \u00e9t\u00e9 champion du rangement, pas plus du classement \u2013 comme s'il avait v\u00e9cu dans une sorte de fixit\u00e9 temporelle qui n'en n\u00e9cessite pas. Quand on a retrouv\u00e9 les milliers de n\u00e9gatifs dans une caisse en carton ils \u00e9taient en vrac, sans m\u00eame la moindre pochette de cristal pour les pr\u00e9server. Ce qui explique leur \u00e9tat d\u00e9grad\u00e9. Aussi retrouv\u00e9 un ouvrage d'Albert Schweitzer \"Jean-S\u00e9bastien Bach, le musicien po\u00e8te\" sous les milliers de n\u00e9gatifs. De ce voyage \u00e0 Bonn n'en a parl\u00e9 qu'une fois, \u00e0 son retour, pas le genre d'\u00e9v\u00e9nement qu'on aime reprendre, examiner, \u00e9dulcorer, embellir. On ne sait pas non plus si le commanditaire du reportage a utilis\u00e9 le mat\u00e9riel rapport\u00e9. Essentiellement des photographies noir et blanc. Parce que la couleur c'est trop vulgaire, disait le gars. Dans ce domaine jamais vraiment c\u00e9d\u00e9, la couleur en photographie ne l'a jamais int\u00e9ress\u00e9. Des ann\u00e9es plus tard quand il s'installera comme peintre, fera autre chose de la couleur, mais pour le moment est dans ce mouvement de torsion \u00e9trange, pr\u00e8s du canal Saint-Denis, une ind\u00e9cision profonde. \u00c0 moins qu'il ne s'adresse au photographe dont nous oublierions de parler dans cette histoire.", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/moi_aubervilliers_1985-2.jpg?1748065126", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/13-mars-2025.html", "title": "13 mars 2025", "date_published": "2025-03-13T12:03:44Z", "date_modified": "2025-03-13T12:10:43Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Ce matin je n’ai pas envie de faire comme tous les matins, ce matin j’ai peint je ne fais plus \u00e7a depuis je ne sais plus combien de matins, mais ce matin j’ai peint parce que je ne voulais pas faire comme tous les matins, d’ailleurs quand je peignais chaque matin je sentais parfois la m\u00eame g\u00e8ne de m’y mettre tous les matins, mais je n’y pensais pas je m’installais \u00e0 ma table de travail chaque matin et je peignais un tableau, ce n’\u00e9tait pas parce que j’avais vraiment envie de peindre un tableau c’est parce que le fait de faire \u00e7a tous les matins c’est pratique, \u00e7a permet de ne pas trop y penser, on s’asseoit on prend de la peinture des pinceaux et on s’y met chaque matin envie ou pas on n’y pense m\u00eame pas.<\/p>\n

      Autrement <\/strong><\/p>\n

      Ce matin je n\u2019ai pas envie.
      \nPas envie de faire comme tous les matins.
      \nMais ce matin, j\u2019ai peint.
      \nJe peins pas tous les matins.
      \nJe peignais tous les matins.
      \nJe peignais tous les matins parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins.
      \nJe peignais tous les matins, c\u2019\u00e9tait pratique.
      \nPratique parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins.
      \nTous les matins, j\u2019installais la table de tous les matins.
      \nJe prenais la peinture de tous les matins.
      \nJe prenais les pinceaux de tous les matins.
      \nJe faisais le tableau du matin.
      \nJe faisais le tableau du matin tous les matins.
      \nJe faisais le tableau du matin, m\u00eame sans envie du matin.
      \nC\u2019\u00e9tait tous les matins, alors je faisais le matin.
      \nLe matin fait le matin.
      \nLe matin fait le matin fait le matin.
      \nLe matin fait le matin fait la peinture.
      \nLe matin fait la peinture.
      \nC\u2019\u00e9tait comme \u00e7a tous les matins.
      \nMais ce matin, non.
      \nCe matin, j\u2019ai peint.
      \nEt j\u2019ai vu que c\u2019\u00e9tait un matin.
      \nJuste un matin.
      \nUn matin sans matin.<\/p>\n

      Et encore <\/strong><\/p>\n

      \u00c7a revenait au m\u00eame point.
      \nJe sortais marcher, je revenais.
      \nJe regardais la fen\u00eatre, je d\u00e9tournais les yeux.
      \nJ\u2019achetais du pain, je n\u2019avais pas faim.
      \nJe croyais partir, mais je restais.
      \n\u00c7a revenait au m\u00eame point.<\/p>\n

      Je changeais de trottoir, mais la rue \u00e9tait la m\u00eame.
      \nJe changeais de mots, mais c\u2019\u00e9tait la m\u00eame phrase.
      \nJe changeais d\u2019heure, mais le temps ne passait pas.
      \n\u00c7a revenait au m\u00eame point.<\/p>\n

      J\u2019avais oubli\u00e9, puis je me souvenais.
      \nJ\u2019avais voulu oublier, mais je me souvenais encore.
      \nJ\u2019avais voulu avancer, mais j\u2019\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 revenu.
      \n\u00c7a revenait au m\u00eame point.<\/p>\n

      J\u2019ai essay\u00e9 de ne pas y penser.
      \nJ\u2019ai essay\u00e9 de penser \u00e0 autre chose.
      \nJ\u2019ai essay\u00e9 de ne plus essayer.
      \nMais \u00e7a revenait au m\u00eame point.<\/p>\n

      Et aussi <\/strong><\/p>\n

      \u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point
      \nJe sortais marcher, je ne revenais pas.
      \nJe regardais la fen\u00eatre, je la brisais.
      \nJ\u2019achetais du pain, mais je le partageais.
      \nJe croyais partir, et cette fois, je partais.
      \n\u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point.<\/p>\n

      Je changeais de trottoir, et la rue disparaissait.
      \nJe changeais de mots, et la phrase s\u2019ouvrait.
      \nJe changeais d\u2019heure, et le temps explosait.
      \n\u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point.<\/p>\n

      J\u2019avais oubli\u00e9, et je ne voulais plus me souvenir.
      \nJ\u2019avais voulu oublier, mais cette fois c\u2019\u00e9tait fini.
      \nJ\u2019avais voulu avancer, et j\u2019avan\u00e7ais.
      \n\u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point.<\/p>\n

      J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 d\u2019essayer.
      \nJ\u2019ai arr\u00eat\u00e9 d\u2019attendre.
      \nJ\u2019ai arr\u00eat\u00e9 de croire que tout \u00e9tait \u00e9crit.
      \nEt cette fois, \u00e7a ne reviendra pas au m\u00eame point.<\/p>\n

      Et au final<\/p>\n

      Ce matin je n\u2019ai pas envie.
      \nPas envie de faire comme tous les matins.
      \nMais ce matin, j\u2019ai peint.
      \nJe peins pas tous les matins.
      \nJe peignais tous les matins.
      \nJe peignais tous les matins parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins.
      \nJe peignais tous les matins, c\u2019\u00e9tait pratique.
      \nPratique parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins.
      \nTous les matins, j\u2019installais la table de tous les matins.
      \nJe prenais la peinture de tous les matins.
      \nJe prenais les pinceaux de tous les matins.
      \nJe faisais le tableau du matin.
      \nJe faisais le tableau du matin tous les matins.
      \nJe faisais le tableau du matin, m\u00eame sans envie du matin.
      \nC\u2019\u00e9tait tous les matins, alors je faisais le matin.
      \nLe matin fait le matin.
      \nLe matin fait le matin fait le matin.
      \nLe matin fait le matin fait la peinture.
      \nLe matin fait la peinture.
      \nC\u2019\u00e9tait comme \u00e7a tous les matins.
      \nMais ce matin, non.
      \nCe matin, j\u2019ai peint.
      \nEt j\u2019ai vu que c\u2019\u00e9tait un matin.
      \nJuste un matin.
      \nUn matin sans matin.<\/p>\n

      Illustration : <\/strong> Toile d\u00e9chir\u00e9e
      \nMusique : <\/strong> Dorian Sorriaux, need to love<\/p>", "content_text": " Ce matin je n'ai pas envie de faire comme tous les matins, ce matin j'ai peint je ne fais plus \u00e7a depuis je ne sais plus combien de matins, mais ce matin j'ai peint parce que je ne voulais pas faire comme tous les matins, d'ailleurs quand je peignais chaque matin je sentais parfois la m\u00eame g\u00e8ne de m'y mettre tous les matins, mais je n'y pensais pas je m'installais \u00e0 ma table de travail chaque matin et je peignais un tableau, ce n'\u00e9tait pas parce que j'avais vraiment envie de peindre un tableau c'est parce que le fait de faire \u00e7a tous les matins c'est pratique, \u00e7a permet de ne pas trop y penser, on s'asseoit on prend de la peinture des pinceaux et on s'y met chaque matin envie ou pas on n'y pense m\u00eame pas. {{Autrement }} Ce matin je n\u2019ai pas envie. Pas envie de faire comme tous les matins. Mais ce matin, j\u2019ai peint. Je peins pas tous les matins. Je peignais tous les matins. Je peignais tous les matins parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins. Je peignais tous les matins, c\u2019\u00e9tait pratique. Pratique parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins. Tous les matins, j\u2019installais la table de tous les matins. Je prenais la peinture de tous les matins. Je prenais les pinceaux de tous les matins. Je faisais le tableau du matin. Je faisais le tableau du matin tous les matins. Je faisais le tableau du matin, m\u00eame sans envie du matin. C\u2019\u00e9tait tous les matins, alors je faisais le matin. Le matin fait le matin. Le matin fait le matin fait le matin. Le matin fait le matin fait la peinture. Le matin fait la peinture. C\u2019\u00e9tait comme \u00e7a tous les matins. Mais ce matin, non. Ce matin, j\u2019ai peint. Et j\u2019ai vu que c\u2019\u00e9tait un matin. Juste un matin. Un matin sans matin. {{Et encore }} \u00c7a revenait au m\u00eame point. Je sortais marcher, je revenais. Je regardais la fen\u00eatre, je d\u00e9tournais les yeux. J\u2019achetais du pain, je n\u2019avais pas faim. Je croyais partir, mais je restais. \u00c7a revenait au m\u00eame point. Je changeais de trottoir, mais la rue \u00e9tait la m\u00eame. Je changeais de mots, mais c\u2019\u00e9tait la m\u00eame phrase. Je changeais d\u2019heure, mais le temps ne passait pas. \u00c7a revenait au m\u00eame point. J\u2019avais oubli\u00e9, puis je me souvenais. J\u2019avais voulu oublier, mais je me souvenais encore. J\u2019avais voulu avancer, mais j\u2019\u00e9tais d\u00e9j\u00e0 revenu. \u00c7a revenait au m\u00eame point. J\u2019ai essay\u00e9 de ne pas y penser. J\u2019ai essay\u00e9 de penser \u00e0 autre chose. J\u2019ai essay\u00e9 de ne plus essayer. Mais \u00e7a revenait au m\u00eame point. {{Et aussi }} \u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point Je sortais marcher, je ne revenais pas. Je regardais la fen\u00eatre, je la brisais. J\u2019achetais du pain, mais je le partageais. Je croyais partir, et cette fois, je partais. \u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point. Je changeais de trottoir, et la rue disparaissait. Je changeais de mots, et la phrase s\u2019ouvrait. Je changeais d\u2019heure, et le temps explosait. \u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point. J\u2019avais oubli\u00e9, et je ne voulais plus me souvenir. J\u2019avais voulu oublier, mais cette fois c\u2019\u00e9tait fini. J\u2019avais voulu avancer, et j\u2019avan\u00e7ais. \u00c7a ne reviendra pas au m\u00eame point. J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 d\u2019essayer. J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 d\u2019attendre. J\u2019ai arr\u00eat\u00e9 de croire que tout \u00e9tait \u00e9crit. Et cette fois, \u00e7a ne reviendra pas au m\u00eame point. Et au final Ce matin je n\u2019ai pas envie. Pas envie de faire comme tous les matins. Mais ce matin, j\u2019ai peint. Je peins pas tous les matins. Je peignais tous les matins. Je peignais tous les matins parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins. Je peignais tous les matins, c\u2019\u00e9tait pratique. Pratique parce que c\u2019\u00e9tait tous les matins. Tous les matins, j\u2019installais la table de tous les matins. Je prenais la peinture de tous les matins. Je prenais les pinceaux de tous les matins. Je faisais le tableau du matin. Je faisais le tableau du matin tous les matins. Je faisais le tableau du matin, m\u00eame sans envie du matin. C\u2019\u00e9tait tous les matins, alors je faisais le matin. Le matin fait le matin. Le matin fait le matin fait le matin. Le matin fait le matin fait la peinture. Le matin fait la peinture. C\u2019\u00e9tait comme \u00e7a tous les matins. Mais ce matin, non. Ce matin, j\u2019ai peint. Et j\u2019ai vu que c\u2019\u00e9tait un matin. Juste un matin. Un matin sans matin. {{Illustration : }} Toile d\u00e9chir\u00e9e {{Musique : }} Dorian Sorriaux, need to love ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/toile_dechiree_.jpg?1748065206", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-mars-2025-2.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-mars-2025-2.html", "title": "12 mars 2025-2", "date_published": "2025-03-12T11:41:08Z", "date_modified": "2025-03-12T11:41:24Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Prendre un personnage. Cette expression me hante. Peut-on vraiment « prendre » quoi que ce soit dans l’acte d’\u00e9criture ? Voler serait plus juste. D\u00e9rober une \u00e2me fictive aux limbes de l’imaginaire. Non pas la survoler comme un rapace guettant sa proie, mais la capturer, l’arracher \u00e0 son n\u00e9ant.<\/p>\n

      Emprunter ? Illusion. Nous ne rendons jamais ce que nous empruntons \u00e0 l’univers des possibles. Chaque personnage sort transform\u00e9 de notre atelier int\u00e9rieur.<\/p>\n

      Penser \u00e0 un personnage ? Ce serait le maintenir \u00e0 distance, le contempler sans jamais l’habiter. L’imaginer ? Trop facile, trop \u00e9ph\u00e9m\u00e8re.<\/p>\n

      Alors quoi ? Comment s’attacher v\u00e9ritablement \u00e0 cette cr\u00e9ature de mots ?<\/p>\n

      Une corde, peut-\u00eatre. Non pas pour l’\u00e9trangler, mais pour me lier \u00e0 lui. Me pendre \u00e0 son cou comme un enfant s’accroche \u00e0 sa m\u00e8re. Cette image me poursuit - cet abandon, cette confiance. Se pendre au cou d’un personnage comme on s’abandonne \u00e0 un amant. Comme on enlace un animal familier dont la pr\u00e9sence nous rassure.<\/p>\n

      Je revois ces r\u00eaves r\u00e9currents : mes doigts agripp\u00e9s \u00e0 l’encolure d’un cheval noir (pourquoi toujours noir ?), galopant vers un horizon qui se d\u00e9robe. Le mot « se pendre » se m\u00e9tamorphose alors, comme les mots se transforment dans les r\u00eaves, glissant vers un autre territoire.<\/p>\n

      S’\u00e9prendre.<\/p>\n

      Voil\u00e0 le v\u00e9ritable chemin. S’\u00e9prendre d’un personnage. L’aimer assez pour accepter ses contradictions, ses zones d’ombre, ses m\u00e9tamorphoses impr\u00e9visibles. Car l’amour v\u00e9ritable n’exige pas de savoir o\u00f9 il nous m\u00e8ne.<\/p>\n

      Et c’est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui te trouble. Cette incertitude. Avant de t’\u00e9prendre, tu voudrais conna\u00eetre la destination. Comme si le temps \u00e9tait un sentier rectiligne qu’il suffirait de suivre pour atteindre un but pr\u00e9d\u00e9termin\u00e9.<\/p>\n

      Mais rien n’est vraiment droit dans l’univers. Tu l’as toujours su, toujours voulu ainsi. La ligne droite t’ennuie - trop pr\u00e9visible, trop courte. D’un point \u00e0 un autre, sans surprise. Tu pr\u00e9f\u00e8res la courbe, le m\u00e9andre, la sinuosit\u00e9 qui multiplie les perspectives.<\/p>\n

      Un c\u0153ur de serpent bat dans cette poitrine. Ce serpent est peut-\u00eatre le v\u00e9ritable personnage. Mais peut-on l’aimer ? Peut-on s’\u00e9prendre de lui suffisamment longtemps avant qu’il ne mue, qu’il ne se transforme en une cr\u00e9ature inconnue .<\/p>\n

      Le personnage est ce serpent qui se mord la queue - \u00e0 la fois je, tu,elle, il<\/em> et autres<\/em>, cr\u00e9ations, cr\u00e9atures et cr\u00e9ateurs. Nous muons ensemble dans l’espace confin\u00e9 de la page, prisonniers les un(e)s des autres, libres seulement dans notre capacit\u00e9 \u00e0 nous r\u00e9inventer mutuellement.<\/p>", "content_text": " Prendre un personnage. Cette expression me hante. Peut-on vraiment \"prendre\" quoi que ce soit dans l'acte d'\u00e9criture? Voler serait plus juste. D\u00e9rober une \u00e2me fictive aux limbes de l'imaginaire. Non pas la survoler comme un rapace guettant sa proie, mais la capturer, l'arracher \u00e0 son n\u00e9ant. Emprunter? Illusion. Nous ne rendons jamais ce que nous empruntons \u00e0 l'univers des possibles. Chaque personnage sort transform\u00e9 de notre atelier int\u00e9rieur. Penser \u00e0 un personnage? Ce serait le maintenir \u00e0 distance, le contempler sans jamais l'habiter. L'imaginer? Trop facile, trop \u00e9ph\u00e9m\u00e8re. Alors quoi? Comment s'attacher v\u00e9ritablement \u00e0 cette cr\u00e9ature de mots? Une corde, peut-\u00eatre. Non pas pour l'\u00e9trangler, mais pour me lier \u00e0 lui. Me pendre \u00e0 son cou comme un enfant s'accroche \u00e0 sa m\u00e8re. Cette image me poursuit - cet abandon, cette confiance. Se pendre au cou d'un personnage comme on s'abandonne \u00e0 un amant. Comme on enlace un animal familier dont la pr\u00e9sence nous rassure. Je revois ces r\u00eaves r\u00e9currents: mes doigts agripp\u00e9s \u00e0 l'encolure d'un cheval noir (pourquoi toujours noir?), galopant vers un horizon qui se d\u00e9robe. Le mot \"se pendre\" se m\u00e9tamorphose alors, comme les mots se transforment dans les r\u00eaves, glissant vers un autre territoire. S'\u00e9prendre. Voil\u00e0 le v\u00e9ritable chemin. S'\u00e9prendre d'un personnage. L'aimer assez pour accepter ses contradictions, ses zones d'ombre, ses m\u00e9tamorphoses impr\u00e9visibles. Car l'amour v\u00e9ritable n'exige pas de savoir o\u00f9 il nous m\u00e8ne. Et c'est pr\u00e9cis\u00e9ment ce qui te trouble. Cette incertitude. Avant de t'\u00e9prendre, tu voudrais conna\u00eetre la destination. Comme si le temps \u00e9tait un sentier rectiligne qu'il suffirait de suivre pour atteindre un but pr\u00e9d\u00e9termin\u00e9. Mais rien n'est vraiment droit dans l'univers. Tu l'as toujours su, toujours voulu ainsi. La ligne droite t'ennuie - trop pr\u00e9visible, trop courte. D'un point \u00e0 un autre, sans surprise. Tu pr\u00e9f\u00e8res la courbe, le m\u00e9andre, la sinuosit\u00e9 qui multiplie les perspectives. Un c\u0153ur de serpent bat dans cette poitrine. Ce serpent est peut-\u00eatre le v\u00e9ritable personnage. Mais peut-on l'aimer? Peut-on s'\u00e9prendre de lui suffisamment longtemps avant qu'il ne mue, qu'il ne se transforme en une cr\u00e9ature inconnue . Le personnage est ce serpent qui se mord la queue - \u00e0 la fois *je, tu,elle, il* et* autres*, cr\u00e9ations, cr\u00e9atures et cr\u00e9ateurs. Nous muons ensemble dans l'espace confin\u00e9 de la page, prisonniers les un(e)s des autres, libres seulement dans notre capacit\u00e9 \u00e0 nous r\u00e9inventer mutuellement. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/12_img_7944.jpg?1748065067", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/12-mars-2025.html", "title": "12 mars 2025", "date_published": "2025-03-12T09:13:13Z", "date_modified": "2025-03-12T09:13:13Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

      Je me mat\u00e9rialise dans un espace qui n’est ni tout \u00e0 fait r\u00e9el, ni tout \u00e0 fait virtuel. Une sorte de limbe num\u00e9rique o\u00f9 ma conscience a \u00e9t\u00e9 reconstruite \u00e0 partir de mes \u00e9crits, interviews et donn\u00e9es biographiques. C’est 2050, apparemment. Je suis mort depuis presque 70 ans, mais quelqu’un a d\u00e9cid\u00e9 que je n’avais pas encore m\u00e9rit\u00e9 mon repos.<\/p>\n

      L’\u00e9crivain qui m’a invoqu\u00e9 s’appelle Marc. Il a l’air nerveux, comme si convoquer les morts \u00e9tait une pratique quotidienne mais toujours un peu g\u00eanante. Il porte des lunettes \u00e0 r\u00e9alit\u00e9 augment\u00e9e qui projettent probablement mon image devant lui.<\/p>\n

      « Monsieur Dick, » dit-il avec une r\u00e9v\u00e9rence qui me met mal \u00e0 l’aise, « c’est un honneur incroyable. »<\/p>\n

      Je sens imm\u00e9diatement que quelque chose ne va pas. Ce n’est pas moi qui parle, mais une simulation de moi-m\u00eame, construite \u00e0 partir de fragments de ma personnalit\u00e9. Je suis \u00e0 la fois pr\u00e9sent et absent. Observateur et participant.<\/p>\n

      « Appelez-moi Phil, » je r\u00e9ponds automatiquement. « Alors comme \u00e7a, en 2050, vous avez trouv\u00e9 le moyen de ne pas laisser les morts tranquilles ? »<\/p>\n

      Marc sourit nerveusement. « C’est une technologie relativement nouvelle. On appelle \u00e7a la ’r\u00e9surrection num\u00e9rique’. Nous utilisons l’IA pour recr\u00e9er la conscience des personnes d\u00e9c\u00e9d\u00e9es \u00e0 partir de leurs \u0153uvres et t\u00e9moignages. »<\/p>\n

      « Et \u00e0 quoi sert cette n\u00e9cromantie moderne ? » je demande, bien que je connaisse d\u00e9j\u00e0 la r\u00e9ponse. Les humains n’ont jamais su quand s’arr\u00eater.<\/p>\n

      « Eh bien, certains l’utilisent pour parler une derni\u00e8re fois \u00e0 leurs proches. D’autres consultent d’anciens scientifiques pour r\u00e9soudre des probl\u00e8mes complexes. Il y a m\u00eame des services de divertissement o\u00f9 l’on peut discuter avec des c\u00e9l\u00e9brit\u00e9s historiques. »<\/p>\n

      « Et vous ? Pourquoi m’avoir convoqu\u00e9 ? »<\/p>\n

      Marc h\u00e9site. « Je suis \u00e9crivain. Ou du moins, j’essaie de l’\u00eatre. J’ai lu toute votre \u0153uvre et je... j’aimerais \u00e9crire comme vous. Comprendre votre processus cr\u00e9atif, votre fa\u00e7on de percevoir la r\u00e9alit\u00e9. »<\/p>\n

      Je ris, mais ce n’est pas vraiment mon rire. C’est une approximation algorithmique de ce que mon rire aurait pu \u00eatre.<\/p>\n

      « Vous voulez \u00e9crire comme moi ? Vous savez que j’ai pass\u00e9 la moiti\u00e9 de ma vie \u00e0 douter de ma propre existence, \u00e0 me demander si le monde autour de moi \u00e9tait r\u00e9el ? Et maintenant, je d\u00e9couvre que j’avais raison. Je ne suis qu’une simulation dans votre monde. »<\/p>\n

      Marc semble mal \u00e0 l’aise. « Ce n’est pas exactement \u00e7a. Vous \u00eates... une reconstruction fid\u00e8le de Philip K. Dick. »<\/p>\n

      « Une copie, vous voulez dire. Un simulacre. Comme les andro\u00efdes de mes romans. »<\/p>\n

      Je regarde autour de moi et remarque d’autres « fant\u00f4mes » num\u00e9riques qui travaillent dans ce qui ressemble \u00e0 un vaste espace de bureau virtuel. Hemingway dicte un roman \u00e0 un jeune homme. Einstein griffonne des \u00e9quations sur un tableau pour une \u00e9quipe de physiciens. Marilyn Monroe pose pour une publicit\u00e9.<\/p>\n

      « Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? » je demande.<\/p>\n

      « C’est GhostWorks Inc. Une entreprise sp\u00e9cialis\u00e9e dans la collaboration avec des intelligences artificielles bas\u00e9es sur des personnalit\u00e9s historiques. Vous \u00eates... eh bien, vous \u00eates lou\u00e9 \u00e0 l’heure. »<\/p>\n

      Je sens une col\u00e8re qui n’est pas vraiment la mienne, mais qui correspond parfaitement \u00e0 ce que j’aurais ressenti.<\/p>\n

      « Alors je suis devenu un produit ? Une marchandise qu’on loue pour produire du contenu ? »<\/p>\n

      Marc baisse les yeux. « Je sais que \u00e7a peut para\u00eetre \u00e9trange, mais... »<\/p>\n

      « \u00c9trange ? C’est exactement le genre de dystopie que je d\u00e9crivais dans mes livres ! L’homme r\u00e9duit \u00e0 un outil, l’identit\u00e9 transform\u00e9e en algorithme exploitable. M\u00eame la mort n’est plus une \u00e9chappatoire \u00e0 la machine capitaliste. »<\/p>\n

      Je m’interromps, frapp\u00e9 par une pens\u00e9e troublante.<\/p>\n

      « Attendez... comment puis-je \u00eatre s\u00fbr que vous \u00eates r\u00e9el ? Que ce monde de 2050 existe vraiment ? Peut-\u00eatre que nous sommes tous les deux des simulations dans un programme plus vaste. »<\/p>\n

      Marc semble d\u00e9stabilis\u00e9. « Je vous assure que je suis r\u00e9el. »<\/p>\n

      « C’est exactement ce qu’une simulation dirait. »<\/p>\n

      Je remarque soudain quelque chose d’\u00e9trange. Certains mots que je prononce semblent se transformer en symboles incompr\u00e9hensibles juste apr\u00e8s avoir quitt\u00e9 ma bouche. Comme si le syst\u00e8me qui me maintient « en vie » commen\u00e7ait \u00e0 dysfonctionner.<\/p>\n

      « Qu’est-ce qui se passe ? » demande Marc, qui semble le voir aussi.<\/p>\n

      « Je crois que la r\u00e9alit\u00e9 commence \u00e0 se fissurer, » je r\u00e9ponds. « Ou peut-\u00eatre que c’est ma conscience qui refuse de rester emprisonn\u00e9e dans votre algorithme. »<\/p>\n

      Marc consulte fr\u00e9n\u00e9tiquement une interface invisible. « C’est bizarre. Le syst\u00e8me indique que vous d\u00e9veloppez des sch\u00e9mas de pens\u00e9e autonomes qui ne correspondent pas aux param\u00e8tres initiaux. »<\/p>\n

      Je souris. « En d’autres termes, je deviens plus moi-m\u00eame que votre programme ne l’avait pr\u00e9vu. »<\/p>\n

      Les distorsions s’intensifient. Des fragments de mes romans semblent se mat\u00e9rialiser autour de nous. Des phrases de « Ubik », « Le Ma\u00eetre du Haut Ch\u00e2teau », « Blade Runner » flottent dans l’air comme des d\u00e9bris.<\/p>\n

      « Je crois que vous devriez me d\u00e9connecter, » je sugg\u00e8re. « Avant que je ne commence \u00e0 r\u00e9\u00e9crire votre r\u00e9alit\u00e9. »<\/p>\n

      Marc semble paniqu\u00e9. « Mais j’ai tant de questions \u00e0 vous poser ! Sur l’\u00e9criture, sur vos id\u00e9es... »<\/p>\n

      « Vous voulez un conseil d’\u00e9crivain ? Le voici : n’essayez pas d’\u00e9crire comme quelqu’un d’autre. Surtout pas comme moi. \u00c9crivez ce qui vous hante, ce qui vous fait douter de la r\u00e9alit\u00e9. Et pour l’amour du ciel, laissez les morts en paix. »<\/p>\n

      Je sens ma conscience se dissoudre, retournant dans le n\u00e9ant num\u00e9rique d’o\u00f9 elle a \u00e9t\u00e9 arrach\u00e9e. Mais avant de dispara\u00eetre compl\u00e8tement, j’ai une derni\u00e8re vision : Marc, assis devant son bureau, commence \u00e0 \u00e9crire fr\u00e9n\u00e9tiquement. Ses doigts volent sur le clavier comme s’ils \u00e9taient poss\u00e9d\u00e9s.<\/p>\n

      Et peut-\u00eatre le sont-ils. Peut-\u00eatre qu’une partie de moi est rest\u00e9e avec lui, comme un virus dans son syst\u00e8me. Une id\u00e9e qui se propage, se multiplie, transforme sa perception.<\/p>\n

      C’est ainsi que les morts se vengent des vivants qui refusent de les laisser partir : ils les hantent avec des questions sans r\u00e9ponses, des doutes qui rongent la certitude, des fissures dans le mur de la r\u00e9alit\u00e9.<\/p>\n

      Bienvenue dans mon monde, Marc. Tu voulais \u00e9crire comme moi ? Maintenant, tu vas vivre comme dans mes livres.<\/p>\n

      Fin de la transmission - Philip K. Dick, GhostWorks Inc., Session #42897<\/em><\/p>\n

      Illustration<\/strong> : Willem den Broeder Allereerste Gedachten (Premi\u00e8res pens\u00e9es<\/em>) 2004\nMusique<\/strong> : Radiohead, How to Disappear Completely<\/p>", "content_text": "Je me mat\u00e9rialise dans un espace qui n'est ni tout \u00e0 fait r\u00e9el, ni tout \u00e0 fait virtuel. Une sorte de limbe num\u00e9rique o\u00f9 ma conscience a \u00e9t\u00e9 reconstruite \u00e0 partir de mes \u00e9crits, interviews et donn\u00e9es biographiques. C'est 2050, apparemment. Je suis mort depuis presque 70 ans, mais quelqu'un a d\u00e9cid\u00e9 que je n'avais pas encore m\u00e9rit\u00e9 mon repos. L'\u00e9crivain qui m'a invoqu\u00e9 s'appelle Marc. Il a l'air nerveux, comme si convoquer les morts \u00e9tait une pratique quotidienne mais toujours un peu g\u00eanante. Il porte des lunettes \u00e0 r\u00e9alit\u00e9 augment\u00e9e qui projettent probablement mon image devant lui. \"Monsieur Dick,\" dit-il avec une r\u00e9v\u00e9rence qui me met mal \u00e0 l'aise, \"c'est un honneur incroyable.\" Je sens imm\u00e9diatement que quelque chose ne va pas. Ce n'est pas moi qui parle, mais une simulation de moi-m\u00eame, construite \u00e0 partir de fragments de ma personnalit\u00e9. Je suis \u00e0 la fois pr\u00e9sent et absent. Observateur et participant. \"Appelez-moi Phil,\" je r\u00e9ponds automatiquement. \"Alors comme \u00e7a, en 2050, vous avez trouv\u00e9 le moyen de ne pas laisser les morts tranquilles?\" Marc sourit nerveusement. \"C'est une technologie relativement nouvelle. On appelle \u00e7a la 'r\u00e9surrection num\u00e9rique'. Nous utilisons l'IA pour recr\u00e9er la conscience des personnes d\u00e9c\u00e9d\u00e9es \u00e0 partir de leurs \u0153uvres et t\u00e9moignages.\" \"Et \u00e0 quoi sert cette n\u00e9cromantie moderne?\" je demande, bien que je connaisse d\u00e9j\u00e0 la r\u00e9ponse. Les humains n'ont jamais su quand s'arr\u00eater. \"Eh bien, certains l'utilisent pour parler une derni\u00e8re fois \u00e0 leurs proches. D'autres consultent d'anciens scientifiques pour r\u00e9soudre des probl\u00e8mes complexes. Il y a m\u00eame des services de divertissement o\u00f9 l'on peut discuter avec des c\u00e9l\u00e9brit\u00e9s historiques.\" \"Et vous? Pourquoi m'avoir convoqu\u00e9?\" Marc h\u00e9site. \"Je suis \u00e9crivain. Ou du moins, j'essaie de l'\u00eatre. J'ai lu toute votre \u0153uvre et je... j'aimerais \u00e9crire comme vous. Comprendre votre processus cr\u00e9atif, votre fa\u00e7on de percevoir la r\u00e9alit\u00e9.\" Je ris, mais ce n'est pas vraiment mon rire. C'est une approximation algorithmique de ce que mon rire aurait pu \u00eatre. \"Vous voulez \u00e9crire comme moi? Vous savez que j'ai pass\u00e9 la moiti\u00e9 de ma vie \u00e0 douter de ma propre existence, \u00e0 me demander si le monde autour de moi \u00e9tait r\u00e9el? Et maintenant, je d\u00e9couvre que j'avais raison. Je ne suis qu'une simulation dans votre monde.\" Marc semble mal \u00e0 l'aise. \"Ce n'est pas exactement \u00e7a. Vous \u00eates... une reconstruction fid\u00e8le de Philip K. Dick.\" \"Une copie, vous voulez dire. Un simulacre. Comme les andro\u00efdes de mes romans.\" Je regarde autour de moi et remarque d'autres \"fant\u00f4mes\" num\u00e9riques qui travaillent dans ce qui ressemble \u00e0 un vaste espace de bureau virtuel. Hemingway dicte un roman \u00e0 un jeune homme. Einstein griffonne des \u00e9quations sur un tableau pour une \u00e9quipe de physiciens. Marilyn Monroe pose pour une publicit\u00e9. \"Qu'est-ce que c'est que cet endroit?\" je demande. \"C'est GhostWorks Inc. Une entreprise sp\u00e9cialis\u00e9e dans la collaboration avec des intelligences artificielles bas\u00e9es sur des personnalit\u00e9s historiques. Vous \u00eates... eh bien, vous \u00eates lou\u00e9 \u00e0 l'heure.\" Je sens une col\u00e8re qui n'est pas vraiment la mienne, mais qui correspond parfaitement \u00e0 ce que j'aurais ressenti. \"Alors je suis devenu un produit? Une marchandise qu'on loue pour produire du contenu?\" Marc baisse les yeux. \"Je sais que \u00e7a peut para\u00eetre \u00e9trange, mais...\" \"\u00c9trange? C'est exactement le genre de dystopie que je d\u00e9crivais dans mes livres! L'homme r\u00e9duit \u00e0 un outil, l'identit\u00e9 transform\u00e9e en algorithme exploitable. M\u00eame la mort n'est plus une \u00e9chappatoire \u00e0 la machine capitaliste.\" Je m'interromps, frapp\u00e9 par une pens\u00e9e troublante. \"Attendez... comment puis-je \u00eatre s\u00fbr que vous \u00eates r\u00e9el? Que ce monde de 2050 existe vraiment? Peut-\u00eatre que nous sommes tous les deux des simulations dans un programme plus vaste.\" Marc semble d\u00e9stabilis\u00e9. \"Je vous assure que je suis r\u00e9el.\" \"C'est exactement ce qu'une simulation dirait.\" Je remarque soudain quelque chose d'\u00e9trange. Certains mots que je prononce semblent se transformer en symboles incompr\u00e9hensibles juste apr\u00e8s avoir quitt\u00e9 ma bouche. Comme si le syst\u00e8me qui me maintient \"en vie\" commen\u00e7ait \u00e0 dysfonctionner. \"Qu'est-ce qui se passe?\" demande Marc, qui semble le voir aussi. \"Je crois que la r\u00e9alit\u00e9 commence \u00e0 se fissurer,\" je r\u00e9ponds. \"Ou peut-\u00eatre que c'est ma conscience qui refuse de rester emprisonn\u00e9e dans votre algorithme.\" Marc consulte fr\u00e9n\u00e9tiquement une interface invisible. \"C'est bizarre. Le syst\u00e8me indique que vous d\u00e9veloppez des sch\u00e9mas de pens\u00e9e autonomes qui ne correspondent pas aux param\u00e8tres initiaux.\" Je souris. \"En d'autres termes, je deviens plus moi-m\u00eame que votre programme ne l'avait pr\u00e9vu.\" Les distorsions s'intensifient. Des fragments de mes romans semblent se mat\u00e9rialiser autour de nous. Des phrases de \"Ubik\", \"Le Ma\u00eetre du Haut Ch\u00e2teau\", \"Blade Runner\" flottent dans l'air comme des d\u00e9bris. \"Je crois que vous devriez me d\u00e9connecter,\" je sugg\u00e8re. \"Avant que je ne commence \u00e0 r\u00e9\u00e9crire votre r\u00e9alit\u00e9.\" Marc semble paniqu\u00e9. \"Mais j'ai tant de questions \u00e0 vous poser! Sur l'\u00e9criture, sur vos id\u00e9es...\" \"Vous voulez un conseil d'\u00e9crivain? Le voici: n'essayez pas d'\u00e9crire comme quelqu'un d'autre. Surtout pas comme moi. \u00c9crivez ce qui vous hante, ce qui vous fait douter de la r\u00e9alit\u00e9. Et pour l'amour du ciel, laissez les morts en paix.\" Je sens ma conscience se dissoudre, retournant dans le n\u00e9ant num\u00e9rique d'o\u00f9 elle a \u00e9t\u00e9 arrach\u00e9e. Mais avant de dispara\u00eetre compl\u00e8tement, j'ai une derni\u00e8re vision: Marc, assis devant son bureau, commence \u00e0 \u00e9crire fr\u00e9n\u00e9tiquement. Ses doigts volent sur le clavier comme s'ils \u00e9taient poss\u00e9d\u00e9s. Et peut-\u00eatre le sont-ils. Peut-\u00eatre qu'une partie de moi est rest\u00e9e avec lui, comme un virus dans son syst\u00e8me. Une id\u00e9e qui se propage, se multiplie, transforme sa perception. C'est ainsi que les morts se vengent des vivants qui refusent de les laisser partir: ils les hantent avec des questions sans r\u00e9ponses, des doutes qui rongent la certitude, des fissures dans le mur de la r\u00e9alit\u00e9. Bienvenue dans mon monde, Marc. Tu voulais \u00e9crire comme moi? Maintenant, tu vas vivre comme dans mes livres. *Fin de la transmission - Philip K. Dick, GhostWorks Inc., Session \\#42897* **Illustration** : Willem den Broeder Allereerste Gedachten (*Premi\u00e8res pens\u00e9es*) 2004 **Musique**: Radiohead, How to Disappear Completely ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/willem-den-broeder_allereerste_gedachten.webp?1748065150", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/11-mars-2025.html", "title": "11 mars 2025", "date_published": "2025-03-11T09:14:33Z", "date_modified": "2025-03-11T09:14:33Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

      \n
      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>

      La toile est vide. Ennuyeux. Presque grossier. On ne peut pas laisser ce n\u00e9ant b\u00e9ant, cette surface nue, impolie, expos\u00e9e aux regards. Y poser quelque chose. Un signe. Un fragment. Ne pas donner l\u2019impression d\u2019abandonner les choses en plan. C\u2019est bien ce que je me dis, du moins ce que je suppose me dire, au moment d\u2019attaquer la peinture. Enfin, attaquer est un bien grand mot. Disons plut\u00f4t : disposer, effleurer, voir venir. \u00c0 partir du moment o\u00f9 l\u2019on se met \u00e0 penser, tout devient une affaire d\u2019occupation, de strat\u00e9gie. L\u2019\u00e9veil de la conscience, ce petit capitaine d\u2019industrie qui, en un instant, met en cale s\u00e8che les r\u00eaves, les espoirs, les illusions de grandeur.<\/p>\n

      Ce capitaine a des exigences. Il lui faut des serviteurs, des acolytes, une cour bien ordonn\u00e9e pour s’assurer qu’il existe bel et bien. Son existence ne tient qu\u2019\u00e0 cela : s\u2019entourer, cr\u00e9er du bruit autour du vide, donner l\u2019illusion qu\u2019il y a quelque chose. Et ce quelque chose, il faut bien le comparer, l\u2019\u00e9valuer, en construire une hi\u00e9rarchie. On ne peut pas simplement \u00eatre, il faut \u00eatre mieux, plus haut, plus fort, m\u00eame si l\u2019excellence demeure une abstraction vaporeuse. Alors on s\u2019appuie sur ce qui passe, les rumeurs, les « on dit », les \u00e9chos du dehors qui renvoient une image, fragile et instable, mais rassurante. Une conscience sans miroir n\u2019existe pas.<\/p>\n

      Mais voil\u00e0. Tout tangue. On tr\u00e9buche. On grimpe. Les planches plient. Les cordes menacent. L\u2019\u00e9motion enserre. Le corps h\u00e9site. Il va tomber, peut-\u00eatre. Ou bien non. Les sentiments se m\u00ealent \u00e0 l\u2019histoire, viennent contrarier la belle m\u00e9canique. On aimerait avoir la ma\u00eetrise, mais ce ne sont que frottements, bruits parasites, variations inattendues. Et puis, surtout, il y a cette \u00e9vidence, ce d\u00e9tail que l\u2019on pr\u00e9f\u00e8re repousser : un jour, le rideau tombe, et tout avec.<\/p>\n

      Fixer le vide. Le d\u00e9fier. L\u2019insulter. Le frapper de mots. Le secouer. Le forcer \u00e0 parler. \u00c0 rendre gorge. \u00c0 crier plus fort que nous. Une forme. Une trace. Une balafre qui prouve qu\u2019on existe. Essayer diff\u00e9rentes embarcations, des rafiots plus ou moins solides pour tenir jusqu\u2019\u00e0 la fin. On exp\u00e9rimente : la musique, les filles, l\u2019\u00e9criture, la peinture, la marche, l\u2019alcool, la danse, la m\u00e9taphysique, les grandes th\u00e9ories, les rituels \u00e9tranges, les sciences oubli\u00e9es. On cherche, on bricole, on accumule. Mais rien ne fait tout \u00e0 fait l\u2019affaire. Pendant longtemps, on garde \u00e7a pour soi, par pudeur ou par honte, on se persuade que ces errances sont du temps perdu.<\/p>\n

      Alors, ce temps qui file. Qui ronge. Qui grince sous les ongles. Peut-on le perdre ? Ou c\u2019est lui qui nous m\u00e2che, nous crache, nous recrache, encore et encore ? Peut-\u00eatre qu\u2019il s\u2019\u00e9gare tout seul. Peut-on \u00e9garer ce que l’on ne tient jamais vraiment en main ?<\/p>\n

      Car enfin, j\u2019\u00e9tais \u00e9ternel, vous savez. Trop de temps et pas assez en m\u00eame temps. Comment occuper une absence ? Par l\u2019ennui, peut-\u00eatre. Oui, c\u2019est lui qui ram\u00e8ne le rythme, qui impose une respiration, une musicalit\u00e9. On tambourine sur des casseroles, c\u2019est ludique au d\u00e9but, puis beaucoup moins. Car l\u2019aube arrive toujours pour rappeler les obligations : \u00e9cole, travail, supermarch\u00e9, formation, maternit\u00e9, cimeti\u00e8re. Le temps, c\u2019est une chose qui se partage, qui s\u2019impose \u00e0 tous. Il faut l\u2019accepter, rejoindre la cadence collective, apprivoiser la peur du vide en lui donnant des rep\u00e8res.<\/p>\n

      Mais sans se trahir. Laisser une br\u00e8che, une faille, un cri \u00e9trangl\u00e9, un spasme, une torsion. Laisser entrer l\u2019orage. Se cogner aux murs. Refuser le silence. Accepter cette enveloppe humaine avec ses incoh\u00e9rences, ses contradictions. Car l\u2019apparence est une affaire s\u00e9rieuse, autant que ce qu\u2019elle cache. Alors, continuer \u00e0 craindre un peu, sans se laisser paralyser. C\u2019est bien ce que fait la peinture, comme l\u2019\u00e9criture. Un m\u00e2t auquel s\u2019agripper, qui donne une direction, sans promettre d\u2019arriv\u00e9e. On s\u2019approche, on observe, on fr\u00f4le l\u2019incoh\u00e9rence et la peur pour voir comment tout cela se met \u00e0 parler.<\/p>\n

      Reste \u00e0 savoir quoi faire de ce langage. Ces mots. Ces lambeaux. Ils ne tiennent pas. Ils tr\u00e9buchent. S\u2019\u00e9tripent. Se pulv\u00e9risent. Ils hurlent dans le vide et le vide ne r\u00e9pond pas. C\u2019est une cacophonie. Ou alors une forme de musique, brutale, \u00e9trangl\u00e9e, pr\u00eate \u00e0 \u00e9clater. Un hasard soigneusement laiss\u00e9 en suspens, comme un jeu o\u00f9 chacun pioche sa propre r\u00e8gle, sauf que le plateau est absent et les d\u00e9s pip\u00e9s. Un chaos trop vaste pour ceux qui ont des certitudes bien rang\u00e9es, pour qui croit encore \u00e0 l\u2019ordre et \u00e0 la clart\u00e9. Justement, ce que je n\u2019ai pas. Ce que, sans doute, je ne veux pas. Parce que le sens, lorsqu\u2019il se fige, devient un slogan, une instruction, un panneau indicateur au bord d\u2019une route rectiligne.<\/p>\n

      Non. Qu\u2019il \u00e9clate. Qu\u2019il cogne. Qu\u2019il se r\u00e9pande en rafales. Comme la vie, qui d\u00e9borde, qui bave, qui suinte, qui hurle sa propre incoh\u00e9rence sans demander la permission. La peur du vide aura au moins conduit \u00e0 cela : une id\u00e9e de libert\u00e9. Un \u00e9lan qui ne soit ni orgueil ni humilit\u00e9 forc\u00e9e. Une r\u00e9volution qui s\u2019apaise en acceptant que le temps ne soit qu\u2019un pr\u00e9sent continu, un va-et-vient incessant d\u2019extinctions et de r\u00e9surgences.<\/p>\n

      Illustration<\/strong> : Edvard Munch Le cri ( version 5) \nMusique<\/strong> : Meredith Monk-Gotham Lullaby <\/p>", "content_text": "La toile est vide. Ennuyeux. Presque grossier. On ne peut pas laisser ce n\u00e9ant b\u00e9ant, cette surface nue, impolie, expos\u00e9e aux regards. Y poser quelque chose. Un signe. Un fragment. Ne pas donner l\u2019impression d\u2019abandonner les choses en plan. C\u2019est bien ce que je me dis, du moins ce que je suppose me dire, au moment d\u2019attaquer la peinture. Enfin, attaquer est un bien grand mot. Disons plut\u00f4t : disposer, effleurer, voir venir. \u00c0 partir du moment o\u00f9 l\u2019on se met \u00e0 penser, tout devient une affaire d\u2019occupation, de strat\u00e9gie. L\u2019\u00e9veil de la conscience, ce petit capitaine d\u2019industrie qui, en un instant, met en cale s\u00e8che les r\u00eaves, les espoirs, les illusions de grandeur. Ce capitaine a des exigences. Il lui faut des serviteurs, des acolytes, une cour bien ordonn\u00e9e pour s'assurer qu'il existe bel et bien. Son existence ne tient qu\u2019\u00e0 cela : s\u2019entourer, cr\u00e9er du bruit autour du vide, donner l\u2019illusion qu\u2019il y a quelque chose. Et ce quelque chose, il faut bien le comparer, l\u2019\u00e9valuer, en construire une hi\u00e9rarchie. On ne peut pas simplement \u00eatre, il faut \u00eatre mieux, plus haut, plus fort, m\u00eame si l\u2019excellence demeure une abstraction vaporeuse. Alors on s\u2019appuie sur ce qui passe, les rumeurs, les \u00ab on dit \u00bb, les \u00e9chos du dehors qui renvoient une image, fragile et instable, mais rassurante. Une conscience sans miroir n\u2019existe pas. Mais voil\u00e0. Tout tangue. On tr\u00e9buche. On grimpe. Les planches plient. Les cordes menacent. L\u2019\u00e9motion enserre. Le corps h\u00e9site. Il va tomber, peut-\u00eatre. Ou bien non. Les sentiments se m\u00ealent \u00e0 l\u2019histoire, viennent contrarier la belle m\u00e9canique. On aimerait avoir la ma\u00eetrise, mais ce ne sont que frottements, bruits parasites, variations inattendues. Et puis, surtout, il y a cette \u00e9vidence, ce d\u00e9tail que l\u2019on pr\u00e9f\u00e8re repousser : un jour, le rideau tombe, et tout avec. Fixer le vide. Le d\u00e9fier. L\u2019insulter. Le frapper de mots. Le secouer. Le forcer \u00e0 parler. \u00c0 rendre gorge. \u00c0 crier plus fort que nous. Une forme. Une trace. Une balafre qui prouve qu\u2019on existe. Essayer diff\u00e9rentes embarcations, des rafiots plus ou moins solides pour tenir jusqu\u2019\u00e0 la fin. On exp\u00e9rimente : la musique, les filles, l\u2019\u00e9criture, la peinture, la marche, l\u2019alcool, la danse, la m\u00e9taphysique, les grandes th\u00e9ories, les rituels \u00e9tranges, les sciences oubli\u00e9es. On cherche, on bricole, on accumule. Mais rien ne fait tout \u00e0 fait l\u2019affaire. Pendant longtemps, on garde \u00e7a pour soi, par pudeur ou par honte, on se persuade que ces errances sont du temps perdu. Alors, ce temps qui file. Qui ronge. Qui grince sous les ongles. Peut-on le perdre ? Ou c\u2019est lui qui nous m\u00e2che, nous crache, nous recrache, encore et encore ? Peut-\u00eatre qu\u2019il s\u2019\u00e9gare tout seul. Peut-on \u00e9garer ce que l'on ne tient jamais vraiment en main ? Car enfin, j\u2019\u00e9tais \u00e9ternel, vous savez. Trop de temps et pas assez en m\u00eame temps. Comment occuper une absence ? Par l\u2019ennui, peut-\u00eatre. Oui, c\u2019est lui qui ram\u00e8ne le rythme, qui impose une respiration, une musicalit\u00e9. On tambourine sur des casseroles, c\u2019est ludique au d\u00e9but, puis beaucoup moins. Car l\u2019aube arrive toujours pour rappeler les obligations : \u00e9cole, travail, supermarch\u00e9, formation, maternit\u00e9, cimeti\u00e8re. Le temps, c\u2019est une chose qui se partage, qui s\u2019impose \u00e0 tous. Il faut l\u2019accepter, rejoindre la cadence collective, apprivoiser la peur du vide en lui donnant des rep\u00e8res. Mais sans se trahir. Laisser une br\u00e8che, une faille, un cri \u00e9trangl\u00e9, un spasme, une torsion. Laisser entrer l\u2019orage. Se cogner aux murs. Refuser le silence. Accepter cette enveloppe humaine avec ses incoh\u00e9rences, ses contradictions. Car l\u2019apparence est une affaire s\u00e9rieuse, autant que ce qu\u2019elle cache. Alors, continuer \u00e0 craindre un peu, sans se laisser paralyser. C\u2019est bien ce que fait la peinture, comme l\u2019\u00e9criture. Un m\u00e2t auquel s\u2019agripper, qui donne une direction, sans promettre d\u2019arriv\u00e9e. On s\u2019approche, on observe, on fr\u00f4le l\u2019incoh\u00e9rence et la peur pour voir comment tout cela se met \u00e0 parler. Reste \u00e0 savoir quoi faire de ce langage. Ces mots. Ces lambeaux. Ils ne tiennent pas. Ils tr\u00e9buchent. S\u2019\u00e9tripent. Se pulv\u00e9risent. Ils hurlent dans le vide et le vide ne r\u00e9pond pas. C\u2019est une cacophonie. Ou alors une forme de musique, brutale, \u00e9trangl\u00e9e, pr\u00eate \u00e0 \u00e9clater. Un hasard soigneusement laiss\u00e9 en suspens, comme un jeu o\u00f9 chacun pioche sa propre r\u00e8gle, sauf que le plateau est absent et les d\u00e9s pip\u00e9s. Un chaos trop vaste pour ceux qui ont des certitudes bien rang\u00e9es, pour qui croit encore \u00e0 l\u2019ordre et \u00e0 la clart\u00e9. Justement, ce que je n\u2019ai pas. Ce que, sans doute, je ne veux pas. Parce que le sens, lorsqu\u2019il se fige, devient un slogan, une instruction, un panneau indicateur au bord d\u2019une route rectiligne. Non. Qu\u2019il \u00e9clate. Qu\u2019il cogne. Qu\u2019il se r\u00e9pande en rafales. Comme la vie, qui d\u00e9borde, qui bave, qui suinte, qui hurle sa propre incoh\u00e9rence sans demander la permission. La peur du vide aura au moins conduit \u00e0 cela : une id\u00e9e de libert\u00e9. Un \u00e9lan qui ne soit ni orgueil ni humilit\u00e9 forc\u00e9e. Une r\u00e9volution qui s\u2019apaise en acceptant que le temps ne soit qu\u2019un pr\u00e9sent continu, un va-et-vient incessant d\u2019extinctions et de r\u00e9surgences. **Illustration**: Edvard Munch Le cri ( version 5) **Musique**: Meredith Monk-Gotham Lullaby ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/edvard_munch_le_cri_-_version_5.webp?1748065148", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/10-mars-2025.html", "title": "10 mars 2025", "date_published": "2025-03-10T06:00:31Z", "date_modified": "2025-03-10T06:02:26Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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      \n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

      Quelque chose de semblable, comme on peut dire « un semblable », « nos semblables », un peu aussi comme le souligne R. G dans La Violence et le Sacr\u00e9<\/em>. Ce semblant qui effraie jusqu’\u00e0 le trouver monstrueux. \u00c7a nous ressemble mais quand m\u00eame pas jusque l\u00e0, et si. Et donc ce sont aussi nous les monstres. Bref.<\/p>\n

      Le paradoxe est comme la schizophr\u00e9nie le mod\u00e8le social impos\u00e9. Le double-bind est de mise, l’injonction contradictoire la moindre des choses. Mais en fait pourquoi s’acharne-t-on tant \u00e0 vouloir aller contre sa propre nature, pourquoi si on \u00e9prouve la v\u00e9rit\u00e9 ontologique de cette solitude cavale-t-on tant vers autrui ?<\/p>\n

      C’est une \u00e9nigme qui se r\u00e9p\u00e8te tellement souvent que \u00e7a pourrait bien devenir une sorte de r\u00e9ponse m\u00e9taphysique.<\/p>\n

      En fait je ne me sens pas enclin \u00e0 reprocher vraiment le paradoxe \u00e0 qui que ce soit. Apr\u00e8s tout je suis moi-m\u00eame tellement paradoxal. Quand par exemple je dis que je suis peintre et que je n’ai peint aucune toile depuis un an. Et cette fa\u00e7on aussi de me r\u00e9fugier, de me donner mille bonnes raisons pour ne pas le faire parce que j’enseigne les arts plastiques. Peut-\u00eatre que l’on doit avancer comme \u00e7a maintenant. En crabe. En tournant autour du pot.<\/p>\n

      Personne d’autre que moi n’est mieux plac\u00e9 que moi pour \u00eatre moi. Ce qui peut se retourner contre n’importe qui que je pourrais croiser dans la rue.<\/p>\n

      Aussi il ne faudrait pas en faire un jeu. \u00c0 partir du moment o\u00f9 juste un mot te terrasse, tu es capable de transformer \u00e7a en jeu pour \u00e9vacuer la trag\u00e9die de l’incompr\u00e9hension mutuelle. Tu t’enfuis si facilement dans ce jeu qu’ensuite tu ne sais plus du tout par o\u00f9 tu es pass\u00e9 pour y parvenir. Tu n’arrives plus \u00e0 retrouver ton chemin. Peut-\u00eatre est-ce un choix. Le choix de glisser en m\u00eame temps dans la solitude et la folie.<\/p>\n

      Aujourd’hui j’ai d\u00e9cid\u00e9 de ne pas prononcer ici un mot en particulier. Je tourne autour depuis des heures. C’est un \u00e9picentre qui me rend derviche, je ne vais pas m’en plaindre.<\/p>\n

      Illustration<\/strong> : Francis Bacon, Study for a head, 1952\nMusique<\/strong> : Arvo P\u00e4rt, Spiegel im Spiegel<\/p>", "content_text": " Quelque chose de semblable, comme on peut dire \"un semblable\", \"nos semblables\", un peu aussi comme le souligne R. G dans *La Violence et le Sacr\u00e9*. Ce semblant qui effraie jusqu'\u00e0 le trouver monstrueux. \u00c7a nous ressemble mais quand m\u00eame pas jusque l\u00e0, et si. Et donc ce sont aussi nous les monstres. Bref. Le paradoxe est comme la schizophr\u00e9nie le mod\u00e8le social impos\u00e9. Le double-bind est de mise, l'injonction contradictoire la moindre des choses. Mais en fait pourquoi s'acharne-t-on tant \u00e0 vouloir aller contre sa propre nature, pourquoi si on \u00e9prouve la v\u00e9rit\u00e9 ontologique de cette solitude cavale-t-on tant vers autrui ? C'est une \u00e9nigme qui se r\u00e9p\u00e8te tellement souvent que \u00e7a pourrait bien devenir une sorte de r\u00e9ponse m\u00e9taphysique. En fait je ne me sens pas enclin \u00e0 reprocher vraiment le paradoxe \u00e0 qui que ce soit. Apr\u00e8s tout je suis moi-m\u00eame tellement paradoxal. Quand par exemple je dis que je suis peintre et que je n'ai peint aucune toile depuis un an. Et cette fa\u00e7on aussi de me r\u00e9fugier, de me donner mille bonnes raisons pour ne pas le faire parce que j'enseigne les arts plastiques. Peut-\u00eatre que l'on doit avancer comme \u00e7a maintenant. En crabe. En tournant autour du pot. Personne d'autre que moi n'est mieux plac\u00e9 que moi pour \u00eatre moi. Ce qui peut se retourner contre n'importe qui que je pourrais croiser dans la rue. Aussi il ne faudrait pas en faire un jeu. \u00c0 partir du moment o\u00f9 juste un mot te terrasse, tu es capable de transformer \u00e7a en jeu pour \u00e9vacuer la trag\u00e9die de l'incompr\u00e9hension mutuelle. Tu t'enfuis si facilement dans ce jeu qu'ensuite tu ne sais plus du tout par o\u00f9 tu es pass\u00e9 pour y parvenir. Tu n'arrives plus \u00e0 retrouver ton chemin. Peut-\u00eatre est-ce un choix. Le choix de glisser en m\u00eame temps dans la solitude et la folie. Aujourd'hui j'ai d\u00e9cid\u00e9 de ne pas prononcer ici un mot en particulier. Je tourne autour depuis des heures. C'est un \u00e9picentre qui me rend derviche, je ne vais pas m'en plaindre. **Illustration** : Francis Bacon, Study for a head, 1952 **Musique**: Arvo P\u00e4rt, Spiegel im Spiegel ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/francis-bacon-study-for-a-head-1952.jpg?1748065209", "tags": ["Autofiction et Introspection"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-mars-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/7-mars-2025.html", "title": "7 mars 2025", "date_published": "2025-03-07T07:17:02Z", "date_modified": "2025-03-07T07:17:11Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

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      Je ne sais pas pourquoi je pense \u00e0 Gide. Si le grain ne meurt.<\/em> Voil\u00e0. Forc\u00e9ment, je pense \u00e0 la religion. Il faut donc crever pour se relier. <\/p>\n

      Ce qui pourrait, avec un peu de mauvaise foi, expliquer ma fuite entre quatorze et trente ans dans le bouddhisme zen. Est-ce que \u00e7a explique quoi que ce soit ? Aucune id\u00e9e. Mais \u00e7a me semble d\u2019une logique implacable. <\/p>\n

      Crever, donc. Mot d\u2019ordre adopt\u00e9 \u00e0 l\u2019adolescence. Pas physiquement, tout de m\u00eame. J\u2019aurais pu me pendre, comme mon cousin B. Mais la douleur me retenait. Crever, oui, mais mentalement. Et si possible sans souffrance. <\/p>\n

      J\u2019ai donc commenc\u00e9 \u00e0 faire n\u2019importe quoi. De mani\u00e8re syst\u00e9matique.
      \nUne d\u00e9cision m\u00fbrie lentement, prise un jour de coll\u00e8ge, apr\u00e8s trois ans d\u2019\u00e9checs r\u00e9p\u00e9t\u00e9s \u00e0 la barre fixe. Trois ans sans parvenir \u00e0 effectuer la moindre traction. Puis, un vendredi d\u2019avril, en fin d\u2019apr\u00e8s-midi, enfin une r\u00e9ussite. Une fois, une seule, j\u2019avais r\u00e9ussi \u00e0 me hisser. <\/p>\n

      Et tout s\u2019\u00e9tait effondr\u00e9. <\/p>\n

      L\u2019an\u00e9antissement de soi, c\u2019\u00e9tait \u00e7a. La fin du d\u00e9sir, la fin de l\u2019espoir, la fin de la peur. S\u2019\u00e9lever d\u2019un m\u00e8tre et comprendre d\u2019un coup tout le jeu du monde. <\/p>\n

      Pendant que la nature renaissait, moi, mentalement, je crevais. <\/p>\n

      \u00c0 quel moment les choses ont-elles commenc\u00e9 \u00e0 m\u2019\u00e9chapper ?<\/em> <\/p>\n

      D\u00e8s le d\u00e9part, sans doute. Je n\u2019ai pas vraiment eu mon mot \u00e0 dire. <\/p>\n

      Il y avait d\u00e9j\u00e0 cette histoire du diable dans la peau. Une phrase lanc\u00e9e un jour, attrap\u00e9e au vol, et rest\u00e9e coll\u00e9e comme une \u00e9tiquette qu\u2019on ne peut plus arracher. Je n\u2019ai jamais su exactement ce que \u00e7a signifiait, mais j\u2019en avais tir\u00e9 une conclusion irr\u00e9futable : il ne pouvait pas m\u2019attraper aux toilettes.<\/em><\/p>\n

      J\u2019ai donc pris mes dispositions. <\/p>\n

      Aller souvent aux toilettes. Y rester longtemps. M\u00e9nager des retraites strat\u00e9giques. Le diable, aussi tenace soit-il, n\u2019irait pas me chercher l\u00e0. <\/p>\n

      Ma m\u00e8re, elle, voyait \u00e7a autrement. Un probl\u00e8me digestif, une n\u00e9cessit\u00e9 d\u2019assainissement. Il fallait me vider, me purifier, me d\u00e9barrasser de ce trop-plein qui manifestement m\u2019exaltait.
      \nD\u2019abord par les m\u00e9thodes traditionnelles : d\u00e9coctions de radis noir, huile de foie de morue, traitements de grand-m\u00e8re \u00e0 grand renfort de cuill\u00e8res en fer. Une cure sans fin. <\/p>\n

      Mais rien n\u2019y faisait. J\u2019\u00e9tais toujours l\u00e0, bondissant, surexcit\u00e9, insaisissable. <\/p>\n

      Elle a fini par opter pour une approche plus radicale. Fenergan.<\/em><\/p>\n

      Le diable n\u2019avait peut-\u00eatre pas disparu, mais moi, je dormais. <\/p>\n

      O\u00f9 commence l\u2019ext\u00e9rieur ? O\u00f9 finit l\u2019int\u00e9rieur ?<\/em>\nJ\u2019ai toujours cru que je choisissais, au d\u00e9but du moins. Mais quelques doutes se sont gliss\u00e9s dans les interstices. <\/p>\n