{ "version": "https://jsonfeed.org/version/1.1", "title": "Le dibbouk", "home_page_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/", "feed_url": "https:\/\/ledibbouk.net\/spip.php?page=feed_json", "language": "fr-FR", "items": [ { "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-avril-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/30-avril-2025.html", "title": "30 avril 2025", "date_published": "2025-04-30T07:02:16Z", "date_modified": "2025-06-23T18:39:30Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>
\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Je ne suis pas un collectionneur. Non, pas un de ceux qui rassemblent les timbres, les armes rouill\u00e9es, les papillons morts ou les ex-voto exsangues — je n\u2019ai ni cette patience, ni cette foi-l\u00e0. Mais parfois, l\u2019id\u00e9e me visite. Elle entre comme un vent de moisson dans une grange vide. Elle parle bas, me flatte, me fait croire \u00e0 une vocation obscure. Alors je commence. Je trace, je num\u00e9rote, je cherche \u00e0 enfermer le monde dans des tiroirs bien rang\u00e9s. Puis vient l\u2019\u00e9coeurement. L\u2019id\u00e9e reste l\u00e0, raide, morte, comme un Christ sans croix dans l\u2019\u00e9glise d\u2019un hameau d\u00e9sert\u00e9.<\/p>\n

Ces jours derniers, une nu\u00e9e de collections a fondu sur moi. Elles ne sentaient ni la naphtaline, ni l’ordre : elles \u00e9taient \u00e9tranges, hirsutes, inclassables. Il y eut celle-l\u00e0, la plus persistante : recueillir chaque occurrence du mot silence dans ce grand fatras que je pr\u00e9tends \u00e9crire. Cent soixante-dix pages de texte serr\u00e9, cinquante-cinq mille mots. Un travail de moine sans clo\u00eetre, sans Dieu. J\u2019y passai des heures \u00e0 extraire les phrases, \u00e0 guetter le point final comme une d\u00e9livrance. Je r\u00eavais — oui, litt\u00e9ralement — qu\u2019une forme na\u00eetrait de ce chaos, une structure, une nef, un vitrail peut-\u00eatre. Mais rien. Sinon l\u2019illusion fugace d\u2019avoir domestiqu\u00e9 un peu de vide.<\/p>\n

Le soir, j\u2019ouvris Tageb\u00fccher 1910\u20131923. Kafka. L\u2019Allemand m\u2019\u00e9chappa comme l\u2019eau d\u2019une source entre des doigts gourds. Je lisais pourtant \u00e0 voix haute, en tr\u00e9buchant, avec Marthe Robert pour me rattraper. Une id\u00e9e, comme une fl\u00e8che douce, me traversa : lire Kafka au micro, en fran\u00e7ais. Faire podcast, oui, avec la voix d\u2019un autre. Celle d\u2019Alain Veinstein, par exemple. Pas la mienne — trop friable, trop moi. Une heure de si et de donc, comme Perrette et son pot au lait. Un r\u00eave. Et puis : les droits d\u2019auteur. Kafka, rien \u00e0 dire. Mais Marthe Robert ? Trente ans encore, dit-on. Trente ans, c\u2019est toute une vie pour quelqu\u2019un comme moi, quelqu\u2019un sans suite.<\/p>\n

Alors j\u2019ai fui sur le site de Gutenberg. J\u2019y ai trouv\u00e9 Kafka, nu comme un martyr, libre enfin. J\u2019ai balbuti\u00e9 Ich schreibe das ganz bestimmt aus Verzweiflung..., comme une oraison fun\u00e8bre pour mon propre corps. Puis, nouvelle illumination : et si je le traduisais, Kafka ? \u00c0 ma fa\u00e7on. En fran\u00e7ais d\u00e9pouill\u00e9, raval\u00e9. Des phrases p\u00e2les comme des os blanchis. Exemple : \u00c9crire est plus facile que vivre. Rien de plus. Mais dans cette platitude, je sentais Pessoa murmurer : Navigar \u00e9 preciso, viver n\u00e3o \u00e9 preciso. Alors j\u2019imaginai deux voix disant la m\u00eame chose : la mienne et une autre, portugaise. Deux timbres, deux silences entre les mots. Une st\u00e9r\u00e9o de l\u2019obsession.<\/p>\n

Mais alors me prit un vertige. Un vrai. Une chute lente, infinie, comme si j\u2019avais touch\u00e9 une amulette trop ancienne. J\u2019y vis, d\u2019un coup, tout : le ridicule, l\u2019inutile, l\u2019amour absent — surtout lui. L\u2019amour qui m\u2019aurait donn\u00e9 la constance. L\u2019amour qui me manque pour mener quoi que ce soit \u00e0 terme. Il me vint que je pourrais, \u00e0 d\u00e9faut de toute autre collection, faire celle de mes d\u00e9faites. Elles sont innombrables, elles sont miennes. Mon seul territoire.<\/p>\n

Enfin, je pensai \u00e0 ce tableau qu\u2019on m\u2019a command\u00e9. Je revis la sc\u00e8ne, tr\u00e8s lente, tr\u00e8s claire : on me le demande, et je dis oui. Mais j\u2019aurais d\u00fb dire non, je le savais, je le savais d\u00e9j\u00e0. Le oui est sorti comme on tr\u00e9buche. Il ne fut pas prononc\u00e9. Il fut, tout simplement.<\/p>", "content_text": " Je ne suis pas un collectionneur. Non, pas un de ceux qui rassemblent les timbres, les armes rouill\u00e9es, les papillons morts ou les ex-voto exsangues \u2014 je n\u2019ai ni cette patience, ni cette foi-l\u00e0. Mais parfois, l\u2019id\u00e9e me visite. Elle entre comme un vent de moisson dans une grange vide. Elle parle bas, me flatte, me fait croire \u00e0 une vocation obscure. Alors je commence. Je trace, je num\u00e9rote, je cherche \u00e0 enfermer le monde dans des tiroirs bien rang\u00e9s. Puis vient l\u2019\u00e9coeurement. L\u2019id\u00e9e reste l\u00e0, raide, morte, comme un Christ sans croix dans l\u2019\u00e9glise d\u2019un hameau d\u00e9sert\u00e9. Ces jours derniers, une nu\u00e9e de collections a fondu sur moi. Elles ne sentaient ni la naphtaline, ni l'ordre : elles \u00e9taient \u00e9tranges, hirsutes, inclassables. Il y eut celle-l\u00e0, la plus persistante : recueillir chaque occurrence du mot silence dans ce grand fatras que je pr\u00e9tends \u00e9crire. Cent soixante-dix pages de texte serr\u00e9, cinquante-cinq mille mots. Un travail de moine sans clo\u00eetre, sans Dieu. J\u2019y passai des heures \u00e0 extraire les phrases, \u00e0 guetter le point final comme une d\u00e9livrance. Je r\u00eavais \u2014 oui, litt\u00e9ralement \u2014 qu\u2019une forme na\u00eetrait de ce chaos, une structure, une nef, un vitrail peut-\u00eatre. Mais rien. Sinon l\u2019illusion fugace d\u2019avoir domestiqu\u00e9 un peu de vide. Le soir, j\u2019ouvris Tageb\u00fccher 1910\u20131923. Kafka. L\u2019Allemand m\u2019\u00e9chappa comme l\u2019eau d\u2019une source entre des doigts gourds. Je lisais pourtant \u00e0 voix haute, en tr\u00e9buchant, avec Marthe Robert pour me rattraper. Une id\u00e9e, comme une fl\u00e8che douce, me traversa : lire Kafka au micro, en fran\u00e7ais. Faire podcast, oui, avec la voix d\u2019un autre. Celle d\u2019Alain Veinstein, par exemple. Pas la mienne \u2014 trop friable, trop moi. Une heure de si et de donc, comme Perrette et son pot au lait. Un r\u00eave. Et puis : les droits d\u2019auteur. Kafka, rien \u00e0 dire. Mais Marthe Robert ? Trente ans encore, dit-on. Trente ans, c\u2019est toute une vie pour quelqu\u2019un comme moi, quelqu\u2019un sans suite. Alors j\u2019ai fui sur le site de Gutenberg. J\u2019y ai trouv\u00e9 Kafka, nu comme un martyr, libre enfin. J\u2019ai balbuti\u00e9 Ich schreibe das ganz bestimmt aus Verzweiflung..., comme une oraison fun\u00e8bre pour mon propre corps. Puis, nouvelle illumination : et si je le traduisais, Kafka ? \u00c0 ma fa\u00e7on. En fran\u00e7ais d\u00e9pouill\u00e9, raval\u00e9. Des phrases p\u00e2les comme des os blanchis. Exemple : \u00c9crire est plus facile que vivre. Rien de plus. Mais dans cette platitude, je sentais Pessoa murmurer : Navigar \u00e9 preciso, viver n\u00e3o \u00e9 preciso. Alors j\u2019imaginai deux voix disant la m\u00eame chose : la mienne et une autre, portugaise. Deux timbres, deux silences entre les mots. Une st\u00e9r\u00e9o de l\u2019obsession. Mais alors me prit un vertige. Un vrai. Une chute lente, infinie, comme si j\u2019avais touch\u00e9 une amulette trop ancienne. J\u2019y vis, d\u2019un coup, tout : le ridicule, l\u2019inutile, l\u2019amour absent \u2014 surtout lui. L\u2019amour qui m\u2019aurait donn\u00e9 la constance. L\u2019amour qui me manque pour mener quoi que ce soit \u00e0 terme. Il me vint que je pourrais, \u00e0 d\u00e9faut de toute autre collection, faire celle de mes d\u00e9faites. Elles sont innombrables, elles sont miennes. Mon seul territoire. Enfin, je pensai \u00e0 ce tableau qu\u2019on m\u2019a command\u00e9. Je revis la sc\u00e8ne, tr\u00e8s lente, tr\u00e8s claire : on me le demande, et je dis oui. Mais j\u2019aurais d\u00fb dire non, je le savais, je le savais d\u00e9j\u00e0. Le oui est sorti comme on tr\u00e9buche. Il ne fut pas prononc\u00e9. Il fut, tout simplement. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/triptyque_commande.jpg?1748065069", "tags": ["Auteurs litt\u00e9raires", "Autofiction et Introspection", "r\u00eaves"] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-avril-2025.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/29-avril-2025.html", "title": "29 avril 2025", "date_published": "2025-04-29T07:04:24Z", "date_modified": "2025-04-29T07:04:24Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Le fait que nous soyons d\u00e9j\u00e0 morts,
\net que ce que nous nommons la vie
\nne soit qu’un \u00e9tat plus ou moins fumeux,
\noscillant entre r\u00eaverie et d\u00e9pression —
\npurgatoire pour les uns,
\nenfer pour d’autres,
\net pire encore :
\nparadis pour ceusses qui r\u00e9gissent cet univers carc\u00e9ral. <\/p>\n

Les milliardaires. <\/p>\n


\n

Ce serait \u00e7a, le paradis sur terre :
\navoir tout pouvoir pour faire avaler autant de mensonges qu’on peut
\naux foules
\navec des mots comme
\nlibert\u00e9
\nfraternit\u00e9
\n\u00e9galit\u00e9 <\/p>\n

tout en les ratiboisant copieusement d’ann\u00e9e en ann\u00e9e
\njusqu’\u00e0 les voir crever
\nles unes apr\u00e8s les autres
\ndans le grand d\u00e9potoir
\ndes d\u00e9g\u00e2ts collat\u00e9raux
\ndu bien-\u00eatre.<\/p>\n


\n

Je m’emballe.<\/p>\n

Pont-Neuf.
\nPlus de premi\u00e8re fra\u00eecheur.
\nMais je m’emballe quand m\u00eame.<\/p>\n

Je le vois.
\nJe le sens.<\/p>\n


\n

Or donc, tout serait \u00e9crit d’avance,
\ny compris cette phrase.<\/p>\n


\n

M
\nA
\nI
\nN
\nT
\nE
\nN
\nA
\nN
\nT<\/p>\n


\n

et<\/p>\n

de surprendre la supercherie,
\nqu\u2019est-ce que \u00e7a va encore co\u00fbter,
\nme demandai-je —
\nsoudain —
\nfaisant bien entendu semblant d\u2019\u00eatre effar\u00e9,
\npuisque je suis quelque part d\u00e9j\u00e0,
\ndepuis plusieurs mill\u00e9naires,
\nplusieurs kalpas<\/em>,
\navec mon petit calepin,
\nsix pieds sous terre.<\/p>\n


\n

Il faut que je me raccroche \u00e0 l’\u00e9poque.
\nIl le faut,
\nsous peine de d\u00e9crocher
\nun direct du gauche
\n\u00e0 tout ce qui passe dans mon champ de vision.<\/p>\n

Ces monstres —
\nils sont absolument partout.<\/p>\n


\n

Je m’en suis fait la r\u00e9flexion en allant au pain.<\/p>\n

Il fait beau.
\nUne lumi\u00e8re exceptionnelle
\nqu’on peinerait \u00e0 penser artificielle.<\/p>\n

Mais —
\nil suffit que l’on soit ravi par cette id\u00e9e qu’elle puisse l’\u00eatre —
\net aussit\u00f4t
\nl’on se retrouve au sol,
\ntra\u00een\u00e9 par les bras ou les jambes
\nvers le pot aux roses,
\npar des ombres hostiles,
\nau souffle de chacal,
\nforc\u00e9ment belliqueuses,
\nabjectes.<\/p>\n


\n

Sans quoi,
\ncomment pourrions-nous avoir l’opportunit\u00e9
\nde tester notre sto\u00efcisme,
\nnotre indiff\u00e9rence crasse
\nau bien comme au mal,
\net \u00e0 toute l\u2019\u00e9tendue des nuances entre deux.<\/p>\n


\n

Donc je disais :
\nl\u2019\u00e9ternit\u00e9 peut sembler bien longue,
\nune fois cette certitude acquise
\nque nous sommes bel et bien morts et enterr\u00e9s.<\/p>\n


\n

Et que
\nla ronde des saisons nous rappelle parfois —
\npar \u00e9clats —
\ndes clameurs oubli\u00e9es.<\/p>\n

Un vieux chant de coq enrou\u00e9.
\nLe camion des ordures.
\nUne odeur de m\u00e9tal dans l\u2019air.
\nAlliage d\u2019un parfum d\u2019encaustique
\net de fourrure de chat.
\nFil de vierge scintillant,
\nserpentant dans l\u2019air paillet\u00e9
\nde poussi\u00e8res d\u2019amiante.<\/p>\n


\n

je
\ndemeure<\/p>\n


\n

Et nous place,
\ncomme toutes les fins d\u2019avril,
\nentre sanglots
\net fou rire.<\/p>", "content_text": " Le fait que nous soyons d\u00e9j\u00e0 morts, et que ce que nous nommons la vie ne soit qu'un \u00e9tat plus ou moins fumeux, oscillant entre r\u00eaverie et d\u00e9pression \u2014 purgatoire pour les uns, enfer pour d'autres, et pire encore : paradis pour ceusses qui r\u00e9gissent cet univers carc\u00e9ral. Les milliardaires. --- Ce serait \u00e7a, le paradis sur terre : avoir tout pouvoir pour faire avaler autant de mensonges qu'on peut aux foules avec des mots comme libert\u00e9 fraternit\u00e9 \u00e9galit\u00e9 tout en les ratiboisant copieusement d'ann\u00e9e en ann\u00e9e jusqu'\u00e0 les voir crever les unes apr\u00e8s les autres dans le grand d\u00e9potoir des d\u00e9g\u00e2ts collat\u00e9raux du bien-\u00eatre. --- Je m'emballe. Pont-Neuf. Plus de premi\u00e8re fra\u00eecheur. Mais je m'emballe quand m\u00eame. Je le vois. Je le sens. --- Or donc, tout serait \u00e9crit d'avance, y compris cette phrase. --- M A I N T E N A N T --- et de surprendre la supercherie, qu\u2019est-ce que \u00e7a va encore co\u00fbter, me demandai-je \u2014 soudain \u2014 faisant bien entendu semblant d\u2019\u00eatre effar\u00e9, puisque je suis quelque part d\u00e9j\u00e0, depuis plusieurs mill\u00e9naires, plusieurs *kalpas*, avec mon petit calepin, six pieds sous terre. --- Il faut que je me raccroche \u00e0 l'\u00e9poque. Il le faut, sous peine de d\u00e9crocher un direct du gauche \u00e0 tout ce qui passe dans mon champ de vision. Ces monstres \u2014 ils sont absolument partout. --- Je m'en suis fait la r\u00e9flexion en allant au pain. Il fait beau. Une lumi\u00e8re exceptionnelle qu'on peinerait \u00e0 penser artificielle. Mais \u2014 il suffit que l'on soit ravi par cette id\u00e9e qu'elle puisse l'\u00eatre \u2014 et aussit\u00f4t l'on se retrouve au sol, tra\u00een\u00e9 par les bras ou les jambes vers le pot aux roses, par des ombres hostiles, au souffle de chacal, forc\u00e9ment belliqueuses, abjectes. --- Sans quoi, comment pourrions-nous avoir l'opportunit\u00e9 de tester notre sto\u00efcisme, notre indiff\u00e9rence crasse au bien comme au mal, et \u00e0 toute l\u2019\u00e9tendue des nuances entre deux. --- Donc je disais : l\u2019\u00e9ternit\u00e9 peut sembler bien longue, une fois cette certitude acquise que nous sommes bel et bien morts et enterr\u00e9s. --- Et que la ronde des saisons nous rappelle parfois \u2014 par \u00e9clats \u2014 des clameurs oubli\u00e9es. Un vieux chant de coq enrou\u00e9. Le camion des ordures. Une odeur de m\u00e9tal dans l\u2019air. Alliage d\u2019un parfum d\u2019encaustique et de fourrure de chat. Fil de vierge scintillant, serpentant dans l\u2019air paillet\u00e9 de poussi\u00e8res d\u2019amiante. --- je demeure --- Et nous place, comme toutes les fins d\u2019avril, entre sanglots et fou rire. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/jasmin-etoile.webp?1748065224", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Je-suis-mort-j-ai-tout-mon-temps.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Je-suis-mort-j-ai-tout-mon-temps.html", "title": "Je suis mort, j'ai tout mon temps ", "date_published": "2025-04-27T11:01:48Z", "date_modified": "2025-06-23T18:39:52Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "<\/span>

\n
\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div><\/span>\n

Mon attention est partout et nulle part.<\/em><\/p>\n


\n

L\u2019attention est une opportunit\u00e9 qui se pr\u00e9sente
\nqui se pr\u00e9sente
\nqui se pr\u00e9sente
\nqui se pr\u00e9sente
\nsauf que lorsqu\u2019elle se pr\u00e9sente je suis souvent ailleurs.<\/em><\/p>\n

Mais aujourd\u2019hui, coup de chance, j\u2019\u00e9tais l\u00e0.<\/em><\/p>\n

Je n\u2019avais rien \u00e0 faire qu\u2019\u00eatre l\u00e0,
\net soudain je l\u2019ai vue arriver.<\/em><\/p>\n

Elle \u00e9tait en nage,
\nelle a pos\u00e9 son sac \u00e0 main sur le bras du canap\u00e9,
\nelle s\u2019est assise
\net elle a commenc\u00e9 \u00e0 dire comme chaque fois :
\n« ouh ouh je suis l\u00e0 »
\net j\u2019ai dit : « oui je vois. »<\/p>\n

Elle a \u00e9t\u00e9 surprise,
\net elle a eu un petit rire nerveux.
\nJe ne savais pas que j\u2019avais une t\u00eate de clown quand je suis attentif \u00e0 l\u2019attention.
\nMaintenant c\u2019est fait.<\/p>\n


\n

L\u2019attention est revenue ce matin.<\/p>\n

Elle a tr\u00e9buch\u00e9 sur le tapis de l\u2019entr\u00e9e.<\/p>\n

Son sac a gliss\u00e9 par terre avec un bruit mou.
\nElle s\u2019est redress\u00e9e, un peu penaude, et elle m\u2019a lanc\u00e9 un regard d\u2019excuse.<\/p>\n

« Ouh ouh, je suis tomb\u00e9e », a-t-elle dit, en riant comme si cela n\u2019avait pas d\u2019importance.<\/p>\n

Je n\u2019ai pas boug\u00e9.
\nJe n\u2019ai pas parl\u00e9.
\nJe l\u2019ai seulement regard\u00e9e.<\/p>\n

Peut-\u00eatre que c\u2019\u00e9tait \u00e7a, \u00eatre attentif : ne rien rattraper, ne rien r\u00e9parer, juste \u00eatre l\u00e0 quand l\u2019attention tombe.<\/em><\/p>\n

Alors elle s\u2019est assise par terre, comme si c\u2019\u00e9tait normal.
\nEt moi, j\u2019ai baiss\u00e9 les yeux \u00e0 son niveau.
\nNous sommes rest\u00e9s ainsi longtemps, sans rien faire d\u2019autre que de respirer ensemble.<\/p>\n


\n

Elle est revenue ce soir.<\/p>\n

Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e dans l\u2019embrasure de la porte.<\/p>\n

Elle avait l\u2019air fatigu\u00e9e, un peu confuse.
\nElle a cherch\u00e9 quelque chose dans ses poches, dans son sac, dans sa m\u00e9moire.<\/p>\n

« Comment que je m\u2019appelle d\u00e9j\u00e0 ? » a-t-elle murmur\u00e9.<\/p>\n

Je l\u2019ai regard\u00e9e sans rien dire.
\nJe savais qu\u2019il ne fallait pas l\u2019aider.
\nQue son oubli faisait partie du voyage.<\/p>\n

Elle a secou\u00e9 la t\u00eate, comme pour chasser un r\u00eave.
\nElle a hauss\u00e9 les \u00e9paules.
\nElle s\u2019est assise par terre, dos contre le mur, et elle a souri d\u2019un sourire \u00e9clat\u00e9, maladroit.<\/p>\n

Je me suis assis en face d\u2019elle, sans un mot.
\nEt ensemble, nous avons laiss\u00e9 l\u2019oubli s\u2019asseoir aussi, entre nous, comme un invit\u00e9 normal.<\/p>\n


\n

Ce matin-l\u00e0, je l\u2019ai vue venir de loin.<\/p>\n

Elle avan\u00e7ait entre les herbes hautes, levant parfois les bras, comme pour saluer.
\nJe me suis redress\u00e9, pr\u00eat \u00e0 lui ouvrir la porte.<\/p>\n

Mais elle a h\u00e9sit\u00e9.<\/p>\n

Elle a regard\u00e9 \u00e0 gauche, \u00e0 droite.
\nElle a tourn\u00e9 sur elle-m\u00eame, une fois, deux fois, comme si le chemin lui \u00e9chappait.<\/p>\n

Puis elle a pris un sentier de travers.
\nElle a disparu derri\u00e8re une haie, une palissade, un brouillard.<\/p>\n

J\u2019ai attendu un peu.<\/em>
\nJe me suis dit qu\u2019elle allait revenir.<\/em><\/p>\n

J\u2019ai attendu encore, plus longtemps que raisonnable.<\/em><\/p>\n

Puis j\u2019ai baiss\u00e9 les yeux.<\/em>
\nEt je suis rest\u00e9 l\u00e0, avec cette attente dans les mains, comme un oiseau trop l\u00e9ger pour \u00eatre tenu.<\/em><\/p>\n


\n

Elle est arriv\u00e9e par le chemin de traverse.
\nSes pas soulevaient \u00e0 peine la poussi\u00e8re.<\/p>\n

Elle ne m\u2019a pas vu.
\nElle regardait au loin, comme si quelque chose d\u2019urgent l\u2019appelait.<\/p>\n

Elle a travers\u00e9 l\u2019air entre nous sans rien effleurer, sans rien soulever.<\/p>\n

Je l\u2019ai suivie du regard, lentement,
\nsans faire de gestes, sans faire de bruit.<\/p>\n

Elle a disparu derri\u00e8re la haie sans se retourner.<\/p>\n

Je suis rest\u00e9 assis, les mains sur les genoux,
\n\u00e0 attendre que la poussi\u00e8re retombe sur moi.<\/p>\n


\n

Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e au milieu de la pi\u00e8ce.
\nElle a lev\u00e9 la t\u00eate, tendu l\u2019oreille.<\/p>\n

Moi je n\u2019entendais rien.
\nPas un souffle, pas un craquement, pas un murmure.<\/p>\n

Elle, pourtant, restait immobile, concentr\u00e9e, comme suspendue \u00e0 une vibration tr\u00e8s fine, tr\u00e8s loin, tr\u00e8s loin d\u2019ici.<\/p>\n

Je l\u2019ai regard\u00e9e sans bouger.<\/p>\n

Je n\u2019ai pas os\u00e9 parler.<\/em>
\nJe n\u2019ai pas os\u00e9 me lever.<\/em>
\nJe n\u2019ai pas os\u00e9 respirer plus fort.<\/em><\/p>\n

Elle semblait entendre quelque chose d\u2019important,
\nquelque chose que je ne pouvais pas atteindre.<\/p>\n

Alors je suis rest\u00e9 l\u00e0,
\n\u00e0 partager avec elle le silence que je ne comprenais pas.<\/p>\n


\n

Elle s\u2019est approch\u00e9e du banc.
\nElle a fr\u00f4l\u00e9 le bois du bout des doigts.<\/p>\n

Elle a regard\u00e9 le ciel, puis le sol, puis ses mains.<\/p>\n

Ses \u00e9paules ont boug\u00e9 imperceptiblement, comme si un poids invisible h\u00e9sitait \u00e0 se poser ou \u00e0 s\u2019envoler.<\/p>\n

Elle a fait un pas en arri\u00e8re, un pas en avant.
\nElle a effleur\u00e9 le bord du banc, sans s\u2019asseoir.<\/p>\n

Moi, je n\u2019ai rien dit.
\nJe n\u2019ai pas boug\u00e9.
\nJe me suis content\u00e9 d\u2019ouvrir un peu plus mon silence pour qu\u2019il l\u2019accueille, si elle voulait.<\/p>\n

Apr\u00e8s un long moment, elle a soupir\u00e9, tr\u00e8s bas,
\npuis elle s\u2019est tourn\u00e9e doucement et elle est repartie,
\nen laissant derri\u00e8re elle une forme vide, une attente polie.<\/p>\n


\n

Elle est entr\u00e9e sans bruit.<\/p>\n

Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e \u00e0 deux pas de moi.<\/p>\n

Elle ne s\u2019est pas assise.
\nElle n\u2019a pas parl\u00e9.<\/p>\n

Elle est rest\u00e9e debout, les bras le long du corps,
\nle regard pos\u00e9 quelque part entre moi et un point que je ne voyais pas.<\/p>\n

Je n\u2019ai pas boug\u00e9 non plus.
\nJe n\u2019ai pas rompu le fil t\u00e9nu qui flottait entre nous.<\/p>\n

Le temps a commenc\u00e9 \u00e0 s\u2019\u00e9tirer,
\n\u00e0 s\u2019\u00e9taler,
\n\u00e0 s\u2019\u00e9paissir.<\/p>\n

Il n\u2019\u00e9tait plus ni t\u00f4t ni tard.<\/em>
\nIl n\u2019y avait plus ni matin ni soir.<\/em><\/p>\n

Il n\u2019y avait que son silence debout,<\/em>
\net le mien qui essayait d\u2019\u00eatre aussi debout que possible.<\/em><\/p>\n


\n

Elle est revenue sans bruit.<\/p>\n

Elle s\u2019est approch\u00e9e plus pr\u00e8s que d\u2019habitude.
\nTellement pr\u00e8s que j\u2019aurais pu sentir son souffle,
\nsi elle avait respir\u00e9.<\/p>\n

Elle ne disait rien.
\nElle ne bougeait presque pas.
\nElle attendait que je regarde vraiment.<\/p>\n

Alors j\u2019ai eu peur.<\/p>\n

Pas peur d\u2019elle.
\nPeur de ce qui allait se passer si je m\u2019y plongeais sans retour.
\nPeur que l\u2019attention m\u2019engloutisse comme un puits sans fond,
\nm\u2019efface jusqu\u2019\u00e0 ce que je ne sois plus qu\u2019une tache d\u2019\u00e9coute sur le monde.<\/p>\n

J\u2019ai d\u00e9tourn\u00e9 les yeux.<\/p>\n

Pas brusquement,
\npas m\u00e9chamment.
\nJuste assez pour \u00e9chapper au vertige.<\/p>\n

Quand je suis revenu,
\nelle \u00e9tait partie.<\/p>\n

Elle n\u2019avait pas eu besoin de courir.
\nSeulement de se fondre doucement dans l\u2019air.<\/p>\n


\n

Elle \u00e9tait l\u00e0.
\nJe la voyais.<\/p>\n

Elle tenait debout, fragile,
\ncomme une flamme qui h\u00e9site entre la nuit et l\u2019aube.<\/p>\n

Je n\u2019ai pas boug\u00e9.
\nJe n\u2019ai pas clign\u00e9 des yeux.<\/p>\n

Mais d\u00e9j\u00e0 elle devenait floue.<\/p>\n

Ses contours tremblaient,
\nse d\u00e9liaient,
\ns\u2019effilochaient dans l\u2019air.<\/p>\n

Je voulais tendre la main,
\npas pour la retenir,
\njuste pour \u00eatre l\u00e0 au moment o\u00f9 elle se dissoudrait.<\/p>\n

Mais m\u00eame ce geste-l\u00e0 aurait \u00e9t\u00e9 trop lourd.<\/p>\n

Alors je suis rest\u00e9 immobile,
\n\u00e0 la regarder devenir presque rien,
\npuis plus rien.<\/p>\n

Et le silence, doucement, a reflu\u00e9 vers moi.<\/p>\n


", "content_text": " *Mon attention est partout et nulle part.* --- *L\u2019attention est une opportunit\u00e9 qui se pr\u00e9sente qui se pr\u00e9sente qui se pr\u00e9sente qui se pr\u00e9sente sauf que lorsqu\u2019elle se pr\u00e9sente je suis souvent ailleurs.* *Mais aujourd\u2019hui, coup de chance, j\u2019\u00e9tais l\u00e0.* *Je n\u2019avais rien \u00e0 faire qu\u2019\u00eatre l\u00e0, et soudain je l\u2019ai vue arriver.* Elle \u00e9tait en nage, elle a pos\u00e9 son sac \u00e0 main sur le bras du canap\u00e9, elle s\u2019est assise et elle a commenc\u00e9 \u00e0 dire comme chaque fois : \u00ab ouh ouh je suis l\u00e0 \u00bb et j\u2019ai dit : \u00ab oui je vois. \u00bb Elle a \u00e9t\u00e9 surprise, et elle a eu un petit rire nerveux. Je ne savais pas que j\u2019avais une t\u00eate de clown quand je suis attentif \u00e0 l\u2019attention. Maintenant c\u2019est fait. --- L\u2019attention est revenue ce matin. Elle a tr\u00e9buch\u00e9 sur le tapis de l\u2019entr\u00e9e. Son sac a gliss\u00e9 par terre avec un bruit mou. Elle s\u2019est redress\u00e9e, un peu penaude, et elle m\u2019a lanc\u00e9 un regard d\u2019excuse. \u00ab Ouh ouh, je suis tomb\u00e9e \u00bb, a-t-elle dit, en riant comme si cela n\u2019avait pas d\u2019importance. Je n\u2019ai pas boug\u00e9. Je n\u2019ai pas parl\u00e9. Je l\u2019ai seulement regard\u00e9e. *Peut-\u00eatre que c\u2019\u00e9tait \u00e7a, \u00eatre attentif : ne rien rattraper, ne rien r\u00e9parer, juste \u00eatre l\u00e0 quand l\u2019attention tombe.* Alors elle s\u2019est assise par terre, comme si c\u2019\u00e9tait normal. Et moi, j\u2019ai baiss\u00e9 les yeux \u00e0 son niveau. Nous sommes rest\u00e9s ainsi longtemps, sans rien faire d\u2019autre que de respirer ensemble. --- Elle est revenue ce soir. Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e dans l\u2019embrasure de la porte. Elle avait l\u2019air fatigu\u00e9e, un peu confuse. Elle a cherch\u00e9 quelque chose dans ses poches, dans son sac, dans sa m\u00e9moire. \u00ab Comment que je m\u2019appelle d\u00e9j\u00e0 ? \u00bb a-t-elle murmur\u00e9. Je l\u2019ai regard\u00e9e sans rien dire. Je savais qu\u2019il ne fallait pas l\u2019aider. Que son oubli faisait partie du voyage. Elle a secou\u00e9 la t\u00eate, comme pour chasser un r\u00eave. Elle a hauss\u00e9 les \u00e9paules. Elle s\u2019est assise par terre, dos contre le mur, et elle a souri d\u2019un sourire \u00e9clat\u00e9, maladroit. Je me suis assis en face d\u2019elle, sans un mot. Et ensemble, nous avons laiss\u00e9 l\u2019oubli s\u2019asseoir aussi, entre nous, comme un invit\u00e9 normal. --- Ce matin-l\u00e0, je l\u2019ai vue venir de loin. Elle avan\u00e7ait entre les herbes hautes, levant parfois les bras, comme pour saluer. Je me suis redress\u00e9, pr\u00eat \u00e0 lui ouvrir la porte. Mais elle a h\u00e9sit\u00e9. Elle a regard\u00e9 \u00e0 gauche, \u00e0 droite. Elle a tourn\u00e9 sur elle-m\u00eame, une fois, deux fois, comme si le chemin lui \u00e9chappait. Puis elle a pris un sentier de travers. Elle a disparu derri\u00e8re une haie, une palissade, un brouillard. *J\u2019ai attendu un peu.* *Je me suis dit qu\u2019elle allait revenir.* *J\u2019ai attendu encore, plus longtemps que raisonnable.* *Puis j\u2019ai baiss\u00e9 les yeux.* *Et je suis rest\u00e9 l\u00e0, avec cette attente dans les mains, comme un oiseau trop l\u00e9ger pour \u00eatre tenu.* --- Elle est arriv\u00e9e par le chemin de traverse. Ses pas soulevaient \u00e0 peine la poussi\u00e8re. Elle ne m\u2019a pas vu. Elle regardait au loin, comme si quelque chose d\u2019urgent l\u2019appelait. Elle a travers\u00e9 l\u2019air entre nous sans rien effleurer, sans rien soulever. Je l\u2019ai suivie du regard, lentement, sans faire de gestes, sans faire de bruit. Elle a disparu derri\u00e8re la haie sans se retourner. Je suis rest\u00e9 assis, les mains sur les genoux, \u00e0 attendre que la poussi\u00e8re retombe sur moi. --- Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e au milieu de la pi\u00e8ce. Elle a lev\u00e9 la t\u00eate, tendu l\u2019oreille. Moi je n\u2019entendais rien. Pas un souffle, pas un craquement, pas un murmure. Elle, pourtant, restait immobile, concentr\u00e9e, comme suspendue \u00e0 une vibration tr\u00e8s fine, tr\u00e8s loin, tr\u00e8s loin d\u2019ici. Je l\u2019ai regard\u00e9e sans bouger. *Je n\u2019ai pas os\u00e9 parler.* *Je n\u2019ai pas os\u00e9 me lever.* *Je n\u2019ai pas os\u00e9 respirer plus fort.* Elle semblait entendre quelque chose d\u2019important, quelque chose que je ne pouvais pas atteindre. Alors je suis rest\u00e9 l\u00e0, \u00e0 partager avec elle le silence que je ne comprenais pas. --- Elle s\u2019est approch\u00e9e du banc. Elle a fr\u00f4l\u00e9 le bois du bout des doigts. Elle a regard\u00e9 le ciel, puis le sol, puis ses mains. Ses \u00e9paules ont boug\u00e9 imperceptiblement, comme si un poids invisible h\u00e9sitait \u00e0 se poser ou \u00e0 s\u2019envoler. Elle a fait un pas en arri\u00e8re, un pas en avant. Elle a effleur\u00e9 le bord du banc, sans s\u2019asseoir. Moi, je n\u2019ai rien dit. Je n\u2019ai pas boug\u00e9. Je me suis content\u00e9 d\u2019ouvrir un peu plus mon silence pour qu\u2019il l\u2019accueille, si elle voulait. Apr\u00e8s un long moment, elle a soupir\u00e9, tr\u00e8s bas, puis elle s\u2019est tourn\u00e9e doucement et elle est repartie, en laissant derri\u00e8re elle une forme vide, une attente polie. --- Elle est entr\u00e9e sans bruit. Elle s\u2019est arr\u00eat\u00e9e \u00e0 deux pas de moi. Elle ne s\u2019est pas assise. Elle n\u2019a pas parl\u00e9. Elle est rest\u00e9e debout, les bras le long du corps, le regard pos\u00e9 quelque part entre moi et un point que je ne voyais pas. Je n\u2019ai pas boug\u00e9 non plus. Je n\u2019ai pas rompu le fil t\u00e9nu qui flottait entre nous. Le temps a commenc\u00e9 \u00e0 s\u2019\u00e9tirer, \u00e0 s\u2019\u00e9taler, \u00e0 s\u2019\u00e9paissir. *Il n\u2019\u00e9tait plus ni t\u00f4t ni tard.* *Il n\u2019y avait plus ni matin ni soir.* *Il n\u2019y avait que son silence debout,* *et le mien qui essayait d\u2019\u00eatre aussi debout que possible.* --- Elle est revenue sans bruit. Elle s\u2019est approch\u00e9e plus pr\u00e8s que d\u2019habitude. Tellement pr\u00e8s que j\u2019aurais pu sentir son souffle, si elle avait respir\u00e9. Elle ne disait rien. Elle ne bougeait presque pas. Elle attendait que je regarde vraiment. Alors j\u2019ai eu peur. Pas peur d\u2019elle. Peur de ce qui allait se passer si je m\u2019y plongeais sans retour. Peur que l\u2019attention m\u2019engloutisse comme un puits sans fond, m\u2019efface jusqu\u2019\u00e0 ce que je ne sois plus qu\u2019une tache d\u2019\u00e9coute sur le monde. J\u2019ai d\u00e9tourn\u00e9 les yeux. Pas brusquement, pas m\u00e9chamment. Juste assez pour \u00e9chapper au vertige. Quand je suis revenu, elle \u00e9tait partie. Elle n\u2019avait pas eu besoin de courir. Seulement de se fondre doucement dans l\u2019air. --- Elle \u00e9tait l\u00e0. Je la voyais. Elle tenait debout, fragile, comme une flamme qui h\u00e9site entre la nuit et l\u2019aube. Je n\u2019ai pas boug\u00e9. Je n\u2019ai pas clign\u00e9 des yeux. Mais d\u00e9j\u00e0 elle devenait floue. Ses contours tremblaient, se d\u00e9liaient, s\u2019effilochaient dans l\u2019air. Je voulais tendre la main, pas pour la retenir, juste pour \u00eatre l\u00e0 au moment o\u00f9 elle se dissoudrait. Mais m\u00eame ce geste-l\u00e0 aurait \u00e9t\u00e9 trop lourd. Alors je suis rest\u00e9 immobile, \u00e0 la regarder devenir presque rien, puis plus rien. 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La r\u00e9p\u00e9tition, ce mouvement sourd et patient qui m\u00e8ne l’existence, porte en elle le tragique et la com\u00e9die, tout ensemble, \u00e0 la mani\u00e8re d’une antique machinerie dont nous serions les modestes rouages. C’est sans doute pourquoi les humoristes, qui connaissent la vanit\u00e9 des choses, en ont fait un ressort, ce qu’on appelle le comique de r\u00e9p\u00e9tition.<\/p>\n

Chaque ann\u00e9e, S. et moi, nous tombons malades, \u00e0 l’heure o\u00f9 s’annonce le repos qu’on attendait. De mon c\u00f4t\u00e9, \u00e7a s’est manifest\u00e9 d\u00e8s le d\u00e9but de la semaine : je me suis tra\u00een\u00e9, noueux, v\u00e9tuste, pour honorer mes cours. L’annulation n’\u00e9tait pas pensable — perte trop grande, peu d’entr\u00e9es, d\u00e9j\u00e0. Nous autres, aux marges de l’\u00e9conomie, nous n’avons gu\u00e8re le choix.<\/p>\n

Mais au-del\u00e0 de la fatigue, de cette mollesse interne qui \u00e9vide jusqu’au geste, le pire, le plus dur \u00e0 supporter, c’est l’humiliation d’\u00eatre, devant l’\u00e9cran, pareil \u00e0 un invert\u00e9br\u00e9 \u00e0 demi ass\u00e9ch\u00e9. Pourtant, dans le d\u00e9labrement, dans les poches encore industrieuses du for int\u00e9rieur, j’ai trouv\u00e9 de quoi repenser la structure du site : organisation th\u00e9matique plut\u00f4t que rubricaire, une circulation plus fluide, plus lisible.<\/p>\n

En chemin, le mod\u00e8le o3 de ChatGPT — \u00e0 grand renfort de mes efforts en prompt engineering — s’est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 inapte \u00e0 la t\u00e2che la plus \u00e9l\u00e9mentaire : b\u00e2tir un layout basique, trois colonnes, l’une escamotable \u00e0 l’aide d’un toggle. C’est o4 turbo — la vieille machine, \u00e0 la robustesse \u00e9prouv\u00e9e — qui a repris l’ouvrage et l’a men\u00e9 \u00e0 terme.<\/p>\n

Je me suis m\u00eame amus\u00e9, pour m’\u00e9prouver peut-\u00eatre ou combler un vide, \u00e0 verser dans o4 l’int\u00e9gralit\u00e9 de l’\u0153uvre balzacienne. Il m’en est sorti un document .md, un inventaire de plus de deux mille personnages, leur fonction, leur ascendance, leur destin, une fresque class\u00e9e par familles — les ambitieux, les r\u00eaveurs, les pauvres types —, et, au mur, le graphique pour suivre, \u00e0 la mani\u00e8re d’un arpenteur obstin\u00e9, les chemins de F.B.<\/p>\n

Il me faut cependant convenir que je n’ai pas eu, ces derniers mois, le temps, le nerf de tout poursuivre de front. Personne ne m’en fait le reproche. Il n’y a que moi pour en rougir, pour me heurter \u00e0 ce hiatus insupportable entre ce que je d\u00e9sire, ce que j’accomplis, et cette impossibilit\u00e9, \u00e9trangement, de faire concorder les deux figures.<\/p>\n

J’abhorre l’id\u00e9e que la d\u00e9faillance pourrait venir de l’\u00e2ge, de la fatigue, des atteintes sourdes que le corps, \u00e0 notre insu, enregistre. J’ai, au fond de moi, cette \u00e9ducation t\u00eanue, qui me souffle \u00e0 voix basse : « Encore un effort. Tu peux. »<\/p>\n

Et pourtant, quand sonne l’heure, rare, presque honteuse, de « prendre des vacances », cette permission qu’une fois l’an je m’accorde pour accompagner S., le corps, soudain, rend les armes. Il c\u00e8de. Et moi avec.<\/p>\n

Badaboum.<\/p>\n

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\n\n \n\t\t<\/a>\n<\/figure>\n<\/div>", "content_text": " La r\u00e9p\u00e9tition, ce mouvement sourd et patient qui m\u00e8ne l'existence, porte en elle le tragique et la com\u00e9die, tout ensemble, \u00e0 la mani\u00e8re d'une antique machinerie dont nous serions les modestes rouages. C'est sans doute pourquoi les humoristes, qui connaissent la vanit\u00e9 des choses, en ont fait un ressort, ce qu'on appelle le comique de r\u00e9p\u00e9tition. Chaque ann\u00e9e, S. et moi, nous tombons malades, \u00e0 l'heure o\u00f9 s'annonce le repos qu'on attendait. De mon c\u00f4t\u00e9, \u00e7a s'est manifest\u00e9 d\u00e8s le d\u00e9but de la semaine : je me suis tra\u00een\u00e9, noueux, v\u00e9tuste, pour honorer mes cours. L'annulation n'\u00e9tait pas pensable \u2014 perte trop grande, peu d'entr\u00e9es, d\u00e9j\u00e0. Nous autres, aux marges de l'\u00e9conomie, nous n'avons gu\u00e8re le choix. Mais au-del\u00e0 de la fatigue, de cette mollesse interne qui \u00e9vide jusqu'au geste, le pire, le plus dur \u00e0 supporter, c'est l'humiliation d'\u00eatre, devant l'\u00e9cran, pareil \u00e0 un invert\u00e9br\u00e9 \u00e0 demi ass\u00e9ch\u00e9. Pourtant, dans le d\u00e9labrement, dans les poches encore industrieuses du for int\u00e9rieur, j'ai trouv\u00e9 de quoi repenser la structure du site : organisation th\u00e9matique plut\u00f4t que rubricaire, une circulation plus fluide, plus lisible. En chemin, le mod\u00e8le o3 de ChatGPT \u2014 \u00e0 grand renfort de mes efforts en prompt engineering \u2014 s'est r\u00e9v\u00e9l\u00e9 inapte \u00e0 la t\u00e2che la plus \u00e9l\u00e9mentaire : b\u00e2tir un layout basique, trois colonnes, l'une escamotable \u00e0 l'aide d'un toggle. C'est o4 turbo \u2014 la vieille machine, \u00e0 la robustesse \u00e9prouv\u00e9e \u2014 qui a repris l'ouvrage et l'a men\u00e9 \u00e0 terme. Je me suis m\u00eame amus\u00e9, pour m'\u00e9prouver peut-\u00eatre ou combler un vide, \u00e0 verser dans o4 l'int\u00e9gralit\u00e9 de l'\u0153uvre balzacienne. Il m'en est sorti un document .md, un inventaire de plus de deux mille personnages, leur fonction, leur ascendance, leur destin, une fresque class\u00e9e par familles \u2014 les ambitieux, les r\u00eaveurs, les pauvres types \u2014, et, au mur, le graphique pour suivre, \u00e0 la mani\u00e8re d'un arpenteur obstin\u00e9, les chemins de F.B. Il me faut cependant convenir que je n'ai pas eu, ces derniers mois, le temps, le nerf de tout poursuivre de front. Personne ne m'en fait le reproche. Il n'y a que moi pour en rougir, pour me heurter \u00e0 ce hiatus insupportable entre ce que je d\u00e9sire, ce que j'accomplis, et cette impossibilit\u00e9, \u00e9trangement, de faire concorder les deux figures. J'abhorre l'id\u00e9e que la d\u00e9faillance pourrait venir de l'\u00e2ge, de la fatigue, des atteintes sourdes que le corps, \u00e0 notre insu, enregistre. J'ai, au fond de moi, cette \u00e9ducation t\u00eanue, qui me souffle \u00e0 voix basse : \"Encore un effort. Tu peux.\" Et pourtant, quand sonne l'heure, rare, presque honteuse, de \"prendre des vacances\", cette permission qu'une fois l'an je m'accorde pour accompagner S., le corps, soudain, rend les armes. Il c\u00e8de. Et moi avec. Badaboum. ", "image": "https:\/\/ledibbouk.net\/IMG\/logo\/fruitiers-web.jpg?1748065124", "tags": [] } ,{ "id": "https:\/\/ledibbouk.net\/Scintilla-cogitationis.html", "url": "https:\/\/ledibbouk.net\/Scintilla-cogitationis.html", "title": "Scintilla cogitationis", "date_published": "2025-04-25T04:50:40Z", "date_modified": "2025-04-25T04:50:40Z", "author": {"name": "Patrick Blanchon"}, "content_html": "

Dire ne signifie pas forc\u00e9ment s\u2019adresser. Non ideo quod cogitatio dicitur, alicui dicitur.<\/em> Association soudaine avec les cours de Deleuze \u00e0 Vincennes. Aucune note. La parole cr\u00e9e la pens\u00e9e. La parole comme lieu de l’\u00e9laboration d’une pens\u00e9e. Si c’est ainsi, pourquoi avoir besoin d’un auditoire ? Pourquoi ne pas s’en aller parler en plein champ ? Sans doute parce que la pr\u00e9sence de l’autre (au sens le plus large) ajoute une intensit\u00e9. Il est possible que le besoin d’une divinit\u00e9 se manifeste d’autant plus lorsqu’on est seul. La divinit\u00e9 prend le r\u00f4le de cette alt\u00e9rit\u00e9 qui produit l’intensit\u00e9 du discours, le frottement qui cr\u00e9e l’\u00e9tincelle d’une pens\u00e9e.<\/p>\n

Voici un texte qui contient plusieurs noyaux de sens :<\/p>\n