17 novembre 2019

La nuit existe. Elle est en nous. On peut éclairer la ville, la rue, la maison, elle ne disparaît pas. Elle ne disparaîtra jamais.

Je me souviens d’avoir été frappé par un texte des présocratiques qui soulignait l’importance que certains accordaient à la nuit. Elle était là au tout début, et elle sera encore là après que toute lumière aura disparu.

La nuit est un territoire sans limite, et ce n’est pas le jour qui pâlit, à l’aube de nos sociétés exsangues, qui pourra imposer une barrière sûre à celle-ci.

La barbarie, que nous rejetons depuis si longtemps, l’associant inconsciemment à la nuit de l’intelligence, à la nuit de la bienveillance, à la nuit de la civilisation, n’existe pas vraiment.

Elle n’a jamais vraiment existé, pas plus que toutes ces créatures invraisemblables que l’on attribue à la nuit.

La barbarie agit toujours en plein jour, sous un soleil éclatant, celui-là même que l’on ne peut regarder en face, tant il aveugle.

La nuit, tous les chats sont gris. Ils revêtent l’uniforme de l’indistinct, de l’indifférencié, pour entrer dans l’immanence.

Qu’une souris passe, elle est croquée. Qu’une femelle passe, c’est une femelle comme les autres. Pas besoin d’entretenir de familiarité ou de reconnaissance.

La nuit gomme les couleurs, tout comme elle gomme les sentiments personnels, et il arrive que nous perdions ainsi nos fameux points de repère.

À moins que l’on ne lève la tête et que l’on se fie aux constellations. Ces lumières, témoins de leur disparition depuis des millénaires, traversent la nuit pour guider les voyageurs.

Pour continuer

Carnets | novembre

Hopper, ou l’élégance de l’insignifiant

Il y a cette station-service. Seule. Presque vide. "Gas", dit le tableau. Un mot. Court. Brut. Et pourtant, tout y est. Une lumière diffuse, en bout de journée peut-être. Rien ne bouge. Ou si peu. L’homme, silhouette penchée, affairée à quelque chose. Un geste quotidien. Répété mille fois. Sans intérêt. Mais regardez mieux. "Mobilegas", lit-on sur la pancarte. On pense à Pégase. On ne sait pas pourquoi. Peut-être à cause du cheval. Ou de l’envol. Une image qui se dérobe. Hopper ne montre rien, il suggère. C’est sa manière. La scène, prise trop tôt. Ou trop tard. Un peu comme une photo manquée. Mais volontairement. C’est là tout l’art. Il y a chez Hopper un refus. Subtil. Élégant. De raconter. De donner un sens. Il peint l’interstice. Le battement vide entre deux actions. Ce qu’on ignore, d’ordinaire. Ce qu’on oublie. Et c’est précisément ce qui inquiète. L’« inquiétante étrangeté », disait Freud. Das Unheimliche. Hitchcock, lui aussi, connaissait ça. L’homme qui regarde par la fenêtre. Et rien ne se passe. Pas encore. Mais on reste. On attend. Parce qu’on sait. Que quelque chose va arriver. Chez Hopper, c’est pareil. L’événement est suspendu. Juste hors champ. La tension est dans la lumière. Dans la fixité. Dans l’ordinaire trop scruté. Un bureau. Une femme. Un homme. C’est "La nuit au bureau". La scène pourrait être banale. Mais elle ne l’est pas. La femme regarde l’homme. Ou bien c’est l’inverse. Cela dépend des esquisses. Hopper hésite. Puis tranche. Mais laisse le doute. Comme dans un flip-book silencieux, les regards s’animent. L’un vers l’autre. L’un contre l’autre. Et rien ne se dit. Hopper n’est pas réaliste. Il est au-delà. Il peint ce que nous n’osons plus voir. Ce que nous fuyons : le banal. L’ennui. L’attente. Il peint notre vie. Celle que nous ne regardons jamais.|couper{180}

peintres réflexions sur l’art

Carnets | novembre

24 novembre 2019

Écrire un livre a toujours été là, une tâche de fond. J’y ai renoncé, faute de forme. Roman, essais, nouvelles, autofiction — je tentais de rapprocher ma production d’une forme existante. Une forme rassurante. La question revient en voyant la quantité de textes écrits ici. Quant à moi, je n’en sais rien. J’écris au jour le jour, comme un paysan va aux champs. Parce que c’est son quotidien. Parce que sans cela, il ne peut pas vivre. Un paysan vit de peu. De l’amour de son travail, d’eau fraîche, et d’une régularité têtue.|couper{180}

Autofiction et Introspection écriture fragmentaire peintres

Carnets | novembre

Ecrire

J'ai pris l'habitude d'écrire chaque jour, assez souvent chaque nuit, le jour et la nuit se mélangeant dans l'acte d'écrire. Je me creuse moins la tête qu'auparavant plus jeune où je cherchais mes mots, ignorant quoi écrire à chaque fois que j'ouvrais un carnet. Désormais je n'ai plus qu'à ouvrir la page neuve de ce logiciel et poser un mot comme fanal en titre pour que tout coule au fur et à mesure comme une eau parfois trouble, parfois vive selon l'humeur. Ecrire est devenu une addiction tranquille qui ne dérange personne. Ecrire m'aide à tenir pour le reste du temps de la journée à traverser à me resserrer un peu avant de m'éparpiller. Ecrire me donne parfois l'impression de m'être utile, ou complètement inutile, cela aussi c'est selon. Selon le dernier repas pris selon le climat Selon ce qui me traverse aussi à cet instant ou je décide de m'immobiliser sur la chaise, au bureau pour me mettre à table noir sur blanc. Je ne sais pas pourquoi je passe par l'écriture plutot que par la peinture. Je pourrais faire la même chose avec le dessin, la peinture. Me dire aller à table et tous les jours un peu noircis et coloris des feuilles, des toiles, tu sais maintenant que ça s'accumule que chaque jour est une partie à produire comme la pierre que l'on pose entre deux pierres. Cependant que je ne m'y résoud pas bien dans le dessin et la peinture. Jusqu'à me dire aussi que je ne suis pas dessinateur, ni peintre, que j'ai emprunté un personnage encore qui jour le dessinateur et le peintre et qui n'est pas moi. C'est une grande question ces jours derniers de savoir quoi dessiner et quoi peindre désormais. Un vide encore Que je tente de combler maladroitement en remplissant d'autres trous tout autour de celui ci. L'écriture est une pelle sans doute une pelle ou une pioche qui sert à la fois à creuser et combler ce fichu trou. Le trou formé par les mensonges, les illusions, leur acidité corrosive. Je m'y enfonce chaque jour chaque nuit un peu plus comme dans une sorte d'aveu. Et quand je me pose la question de savoir à qui cela est adressé Est ce à moi ? Est ce à toi ? Je préfère m'extraire de la chaise d'un seul coup, et me retrouver dans la cour à fumer en regardant les petits paquets de la neige qui fond, qui ne tiennent pas.|couper{180}

Ecrire