Le Dibbouk
Carnets autofictifs, explorations littéraires et réflexions sur l'art
Édito
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📓 Carnets & Réflexions
• 11 octobre 2025 • 10 octobre 2025 • 09 octobre 2025 • 08 octobre 2025 • 07 octobre 2025 Tous les carnets →📖 Propos sur la fiction
• La lisière • tenir l’aveu à distance • Ce qui vient sans venir • POV • # Boost 2 # 03 | Arbitraire, narrateur principal Toutes les fictions →Dernières publications
Carnets | Phrases
Septembre-octobre 2025 | phrases
29 septembre 2025 « Faire l’expérience qu’on n’est rien est une chose nécessaire sur le chemin de la vie. » -- Nicolas Bouvier [Mots-clés :vide, rien] 30 septembre 2025 "Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant », ou « d’émouvant » --Annie Ernaux [Mots-clés : justesse] 04 octobre 2025 « Raconter une histoire (je pense à C. Rihoit), c’est tarte. La construction peut seule donner de l’intérêt à ce que je ferai. Les meilleurs passages dans La place sont ceux qui coupent, tranchent, le fragment est vraiment important. » --Annie Ernaux [Mots-clés :histoire, fragment] 05 octobre 2025 « Le mot « persil », anciennement écrit « perresil », apparaît dans la langue française vers le XIIIe siècle. Dérivant du terme grec « petroselinon », traduit par « petroselinum » en latin, il désignait à l’époque le « céleri des rochers ». Effectivement, les gens considéraient le persil et le céleri comme étant de la même espèce ou de la même plante, mais issus de variétés différentes. L’habitat naturel des plantes permettait alors de les distinguer, à savoir les rochers pour le persil et les marais pour le cèleri. » -- lu sur un site web [Mots-clés :persil , celeri]." 07 octobre 2025 « Un cheval blanc n'est pas un cheval » -- dans une conversation sur la littérature chinoise avec Deepseek. [Mots-clés : réalité, authenticité] « Tout raisonnement n'est que figure » --Joubert [Mots -clés : Forme, shéma, trope, modestie] « Rien n’existe en France pour lui faire pièce ou lui disputer ce trône sur quoi il est assis. Le roi, on le sait, a deux corps : un corps éternel, dynastique, que le texte intronise et sacre, et qu’on appelle arbitrairement Shakespeare, Joyce, Beckett, ou Bruno, Dante, Vico, Joyce, Beckett, mais qui est le même corps immortel vêtu de défroques provisoires ; et il a un autre corps mortel, fonctionnel, relatif, la défroque, qui va à la charogne, qui s’appelle et s’appelle seulement Dante et porte un petit bonnet sur un nez camus, seulement Joyce et alors il a des bagues et l’œil myope, ahuri, seulement Shakespeare et c’est un bon gros rentier à fraise élisabéthaine. » -- Pierre Michon [Mots-clés : Duplicité, paradoxe] 08 octobre 2025 « C’est comme cela pourtant que, par des objets présentés derrière des vitrines donnant sur la rue, s’annonce cette maison et que se manifeste le pouvoir qu’elle a d’arrêter le passant : car ce que l’on y voit, et ce que l’on en devine, est extraordinaire. » --Jean-Christophe Bailly [mots-clés : vitrines, s'annoncer] "En admirant la Rose des sables de Jean Nouvel lors de son inauguration, je me suis demandé combien d’ouvriers étaient morts sur le chantier." --Laurent Margentin / Bill Jenkinson [Mots-clés :Abrüpt visuel qatar des morts] « Ce qui libère est plus tendre que la raison » --Caroline D [Mots-clés : rivières, états, pieds terreux] 09 octobre 2025 « Chez certains « sauvages » (société sans État), le chef doit prouver sa domination sur les mots : pas de silence. En même temps, la parole du chef n’est pas dite pour être écoutée — personne ne prête attention à la parole du chef, ou plutôt on feint l’inattention ; et le chef, en effet, ne dit rien, répétant comme la célébration des normes de vie traditionnelles. » --Maurice Blanchot [Mots-clés : Le désastre, l'état] « Tu sais comment cela se fait, mais tu ne sais pas comment cela réussit. Donc, tu ne sais pas vraiment comment cela se fait » --Marina Tsvetaeva [Mots-clés : risque, évenement] 10 octobre 2025 « Il est reconnu — écrit-il (Balzac) — que [l’artiste]n’est pas lui-méme dans le secret de son intelligence. Il opère sous l'empire de certaines circonstances dont la réunion est un mystère » --Balzac [Mots-clés : Création littéraire, Génie, mystère] 12 octobre 2025 « Écrivez à l’écart. Signez. Rentrez dans l’ombre… Silence autour de l’homme. Solitude. Fierté. » --Pierre Louÿs [Mots-clés : Lebrun, écrire et vivre ainsi]|couper{180}

Carnets | creative writing
Joy Sorman, Eric Lapierre : L’inhabitable
📓 Fiche Obsidian — Joy Sorman, Eric Lapierre L’inhabitable Objectif : extraire des procédés narratifs et de style réutilisables en exercice d’écriture. 1) En deux lignes Cartographie narrative de l’insalubrité urbaine. Montage alterné entre définitions, chiffres, adresses précises, et micro-scènes au présent, pour faire sentir sans pathos. 2) Geste d’écriture Observer, décrire, inventorier. Coller au concret. Laisser les faits produire l’éthique. Aucun plaidoyer frontal : la critique passe par la précision matérielle, la toponymie, et le cadrage des corps dans les lieux. 3) Architecture Découpage par lieux : chapitres titrés par adresses réelles (ex. 31 rue Ramponneau, 10 rue Mathis, 23 rue Pajol, 72 rue Philippe-de-Girard, 73 rue Riquet, 46 rue Championnet). Alternance : Fiches (définitions juridiques, historiques, statistiques) Scènes (pièces, couloirs, cages d’escaliers, hôtels sociaux, cuisines, murs, odeurs). Progression : du général au minuscule. Retour régulier au lexique administratif pour relancer. 4) Procédés narratifs clés Toponymie comme ancrage : un lieu ouvre et gouverne la séquence. Présent descriptif dominant, passé bref pour l’arrière-plan. Inventaires concrets : objets, surfaces, fluides, nuisibles, températures, bruits. Chiffres et seuils : pourcentages, loyers, normes, dates, arrêtés. Discours rapporté minimal : guillemets rares, préférer l’indirect libre discret. Focalisation témoin : un “je” parcimonieux, fonction d’interface. Transitions sèches : par liste, par deux-points, par reprise d’un mot pivot. Effet dossier : alternance “document”/“terrain” sans commentaire évaluatif. Ethos : empathie froide, précision clinique, refus du pathos. 5) Syntaxe, rythme, ponctuation Phrases courtes à moyennes (≈ 20–25 mots). Deux-points pour définir, exemplifier, inventorier. Parenthèses et chiffres pour cadrer sans digresser. Anaphores discrètes sur un nom concret (mur, porte, odeur) pour la cohésion locale. Verbes d’état et de perception + lexique technique → stabilité, netteté. 6) Lexique récurrent insalubrité, relogement, arrêté, plomb, saturnisme, cafards, humidité, murs, couloir, pièce, hôtel meublé, loyer, euros, foyer, cage d’escalier, odeur, fuite, moisi, peinture écaillée, Paris, arrondissement, immeuble, appartement, chambre, fenêtre, matelas, chaudière. 7) Cadrages et motifs Cadre : seuils et passages (portes, cages, paliers). Motifs matériels : murs qui suintent, peintures qui cloquent, bruit de tuyauterie, odeur de gaz ou de café, ampoules nues. Figures sobres : métonymie et synecdoque (la “pièce” pour la vie entière), métaphore minimale. 8) Scènes-types (réutilisables) Ouverture-adresse : annonce d’une rue + impression de densité + premier objet saillant. Couloir-diagnostic : inventaire des défauts + norme rappelée + chiffre. Pièce-corps : un geste banal (faire du café, ouvrir une fenêtre) révèle l’habitat. Entrailles-immeuble : sous-sol, colonnes, compteurs, conduites → matérialité du risque. Sortie-constat : retour au trottoir, replacer l’adresse dans la ville. 9) Gabarits syntaxiques (copier-adapter) Définition + seuil : « [Terme] : est dit [terme] tout lieu où [critère 1, 2, 3]. » Adresse + densité : « [N° rue Lieu]. [Nom du lieu] est [qualificatif mesuré] : [éléments]. » Inventaire : « [Objet 1], [surface 2], [bruit 3], [odeur 4]. » Chiffre + visage : « [x % / x €], et pourtant [geste précis d’une personne]. » Constat sans morale : « [Détail concret], rien d’autre. » 10) Contraintes d’écriture (checklist) [ ] Une adresse réelle en titre. [ ] Présent pour les faits, passé bref pour l’avant. [ ] 1 chiffre minimum (%, €, année, surface, seuil). [ ] 1 norme citée ou paraphrasée (définition/arrêté/seuil). [ ] 8–12 éléments d’inventaire matériel. [ ] Zéro pathos, zéro jugement explicite. [ ] Clôture par un détail concret, sans commentaire. 11) Micro-atelier “à la manière de” Durée : 20–30 min. Longueur : 180–300 mots. Choisis une adresse (vraie). Écris 3 phrases de définition paraphrasée d’un problème (humidité, plomb, nuisibles). Ajoute 1 chiffre et 1 seuil. Décris une pièce par inventaire. Conclus par un détail neutre. Modèle # [N° RUE NOM-DE-RUE, QUARTIER] [Phrase 1]: [définition paraphrasée + seuil]. [Phrase 2]: [densité, matériaux, lumière]. Inventaire: [objet], [surface], [odeur], [bruit], [trace], [eau]. Chiffre: [x % / x € / année] + [effet local]. Geste: [action minuscule d’une personne]. Clôture: [détail concret], rien d’autre. 12) Variations possibles Bascule de focale : plan d’ensemble → gros plan sur une main ou une tache. Chrono-variation : matin vs nuit, même adresse, deux inventaires. Dossier : encadré chiffres intercalé entre deux scènes. 13) À éviter Métaphores appuyées, hyperboles, indignation verbale. Dialogues longs. Psychologisation. Conclusion morale. 14) Indices quantitatifs utiles (sur l’ouvrage analysé) Temps dominant : présent. Longueur moyenne des phrases : 23 mots. Marqueurs : nombreux deux-points, chiffres, toponymes. “Je” discret : narrateur témoin, non héroïsé. 15) Fiche “copier-coller” Obsidian --- type: "Fiche style" auteur: "Joy Sorman" oeuvre: "L’inhabitable" focus: "Procédés réutilisables" tags: [style, documentaire, urbain, inventaire, toponymie] --- ## Geste [Résumé en 2–3 phrases] ## Procédés - Toponymie: - Alternance doc/terrain: - Présent descriptif: - Inventaires: - Chiffres/Seuils: - Focalisation: - Transitions: ## Lexique utile [20–30 mots concrets] ## Gabarits 1) Définition + seuil: 2) Adresse + densité: 3) Inventaire: 4) Chiffre + visage: 5) Clôture: ## Atelier (20 min) [Adresse] — [Inventaire] — [Chiffre] — [Geste] — [Clôture] Remarque : l’autrice est Joy Sorman. La fiche cible son dispositif dans L’inhabitable et le rend opératoire pour d’autres textes.|couper{180}

Lectures
Correspondance Mallarmé-Whistler
Livre de correspondance mais monté comme un récit, ce volume reconstruit les dix années où Stéphane Mallarmé et James McNeill Whistler deviennent l’un pour l’autre ce que la fin d’un siècle invente de plus tenace : une amitié d’atelier, de lettres brèves, de rendez-vous manqués, d’affaires juridiques qui consomment des journées entières et de gestes d’art qui comptent plus que le reste, et c’est la force du montage de Carl Paul Barbier : accumuler, classer, annoter, mais sans gommer l’accroc des timbres, les orthographes vacillantes, la vitesse de la carte pneumatique, l’énergie qui passe entre la rue de Rome, la rue du Bac, Valvins, Londres, les gares, les salles d’audience, les librairies qui vendent peu, et l’atelier où tout recommence le soir venu . On commence par la table matérielle : des planches, un frontispice où Whistler mord le cuivre pour fixer Mallarmé, un Avant-propos qui promet l’exactitude et le refus de lisser les curiosités de langue du peintre, un Appendice qui reproduit en français le « Ten O’Clock », puis les Provenances et l’Index : c’est un livre d’archives qui assume sa fabrique, mais qui se lit comme la chronique serrée d’une fraternité esthétique . Le nœud se fait en 1887-1888 : Monet en tiers discret, Café de la Paix, déjeuner à trois, et l’accord tombé net : Mallarmé traduira la conférence de Whistler, ce Ten O’Clock qui affirme l’autonomie du fait pictural, l’art pour l’art, le refus de la morale illustrative et du récit plaqué sur l’image ; à partir de là, les cartes filent, les rendez-vous s’aimantent, Dujardin s’occupe de l’édition, Gillot et Wason pour les questions d’imprimeur et d’épreuves, Vielé-Griffin vient prêter sa compétence bilingue, on travaille jusque tard un samedi pour tenir la date : scène d’atelier à quatre mains, où la prose de Mallarmé cherche l’équivalent de l’attaque whistlérienne, où l’on hésite, où l’auteur retourne sur ses ambiguïtés, demande d’arrêter les presses, d’ajuster telle nuance, puis signe : c’est une page essentielle du livre parce qu’on y voit la traduction comme lieu même de l’amitié — on se lit pour se rectifier, on s’admire pour mieux couper — et parce que la diffusion restera cette affaire paradoxale : silence poli des grands journaux, circulation sûre chez les initiés, Italie, Bruxelles, cercles symbolistes, avec la querelle sourde sur « la clarté » française face à ce dandysme d’outre-Manche . Sitôt dit, autre séquence qui donne sa texture romanesque à l’ensemble : l’affaire Sheridan Ford et The Gentle Art of Making Enemies, Whistler qui se bat pour bloquer une édition pirate, l’avocat Sir George Lewis côté Londres, puis Beurdeley et Ratier côté Paris, Mallarmé qui conseille et relaie, la saisie obtenue en Belgique, on tente d’empêcher l’impression à Paris, les nuits trop pleines d’« allers-retours » : ce que la correspondance retient, ce n’est pas seulement le dossier, c’est la façon de s’en parler, l’humour, la dureté, l’entêtement, et ce qu’une telle bataille révèle : la gestion moderne d’une œuvre, son image publique, la part de publicité que Whistler sait manier, l’ombre courte des maisons d’édition et des revues ; l’amitié, ici, c’est aussi une compétence qu’on partage, une énergie à tenir la ligne esthétique jusque dans les tribunaux . 1892 condense une autre lueur : Vers et Prose sort chez Perrin, Whistler trouve « le petit livre charmant », Mallarmé lui réserve l’exemplaire Japon avec un distique bravache qui mesure la fraternité dans l’aiguille de la lithographie, et la fabrique matérielle de l’ouvrage est documentée jusqu’aux feuilles, aux heures de corrections, aux papiers Chine, Hollande, Japon : un savouré de chiffres qui, chez Barbier, fait raisonner la prose avec le plomb des ateliers ; c’est tout Mallarmé : la page, son air, ses blancs, et la gravure de Whistler venant comme une signature partagée, l’« à mon Mallarmé » au crayon : l’amitié a sa matérialité, sa monnaie d’épreuves, sa circulation d’images, et le livre en garde la cadence exacte . Le milieu des années 1890 bascule vers les complications : santé, deuils, rumeurs, procès interminables — l’affaire Eden qui mènera jusqu’à la Cour d’appel de Paris fin 1897 — et l’on voit comment Mallarmé se met au service tactique du peintre, lettres à Dujardin, visites à l’avocat, messages aux Présidents, cartes qui appellent à « ce tact Mallarmé infaillible », pendant que Whistler est cloué au lit d’un hôtel, rhume, puis grippe, dans l’attente d’une audience reportée : la prose s’échauffe, « je vous écris, cela devient Poésie », et c’est tout le drôle de ce livre : la poésie sort des contraintes, de la police des couloirs, des « conclusions de l’Avocat Général » qu’on lit à l’heure du dîner ; à la fin de novembre, décembre, on s’organise, on cale le rendez-vous rue du Bac, on partage les nouvelles, on tient ferme le cap du procès, et c’est un hiver français à deux : visites au Louvre où Julie Manet se souviendra d’un bouton couleur cassis, salons du mardi, portrait de Geneviève montré, donné, choisi dans une pile d’épreuves — l’atelier circule au milieu de la ville, le livre fait entendre sa rumeur de pas, de fièvre, d’art vu de près . Dans les lettres qui suivent, une page suspendue : Whistler veuf, Mallarmé qui répond avec une simplicité droite, refusant d’isoler l’ami de la présence de celle qui fut « le bonheur », rappelant Valvins, la maison, la dernière feuille qui tombe, et promettant de revenir à Paris pour « les trompettes » du procès : un ton d’extrême pudeur, l’évidence d’un lien qui tient mieux que les dates ; l’éditeur a laissé ce tremblement intact, c’est là que la correspondance devient récit, et c’est pour cela qu’on la lit : pas pour le pittoresque fin-de-siècle, mais pour la tenue d’un langage de fidélité qui n’a pas besoin d’emphase . Le dernier chapitre de leur proximité s’écrit en 1898 : invitations à l’atelier de la rue Notre-Dame-des-Champs, Renoir au menu des conversations, dîners qui prolongent la lumière, Vanderbilt posé puis achevé, une journée d’août à Valvins, fêtes le lundi, au revoir de saison, et puis chacun retourne à sa ville, ses portraits, ses textes, ses soucis ; on sait la date butée, septembre, la fin de Mallarmé, si proche, que le livre ne dramatise pas, préférant aux grands nœuds tragiques l’enchaînement des gestes courts : « venez, voyez, dînons, demain à midi, pardonnez-moi de ne pas vous rencontrer à mi-chemin » ; la modernité de ce duo est là : l’art se fabrique dans une géographie réduite à quelques rues, à des cartes portées en une heure, à des épreuves qu’on signe et redistribue, et dans cette compacité la pensée du poème et de la peinture s’aiguise ; la correspondance, comme forme, devient l’espace de travail même . Entre ces pôles, Barbier insère des seconds rôles décisifs : Duret, Mirbeau, Huysmans, Moore, Heinemann, Pennell, Whibley, Berthe Morisot, Méry Laurent, et ce réseau explique comment les idées du « Ten O’Clock » se débrouillent en France, par cercles, comment elle rencontrent les réserves : question de clarté, d’humeur nationale, de presse qui traîne, de librairie qui n’insiste pas ; on voit aussi la fabrication d’une image publique, les toasts, un dîner d’hommage où Mallarmé remercie d’une voix familiale, la critique de la vie « mise en musique » qu’un correspondant lit dans ses pages, et ces minuscules transferts : sucre d’orge, prévenances, cartes de visite, dont le livre garde trace, comme s’il fallait faire droit aux choses infimes qui maintiennent les liens quand la grande machine du monde devient fatigante . Reste l’appareil : Barbier l’écrit net dans son Avant-propos — il ne corrige pas Whistler, garde jusqu’aux « curiosités orthographiques », et s’il semble parfois donner au peintre « le beau rôle », c’est que les lettres l’imposent, et parce qu’aussi, côté français, la bibliographie sur Mallarmé abonde quand l’Américain a besoin d’un surcroît de contextes ; le pari est d’ailleurs réussi : on sort du livre avec un Whistler plus proche, drôle, félin, obstiné, et un Mallarmé plus concret, tacticien et disponible, logicien des moindres détails matériels du livre et de l’image, sans renoncer à sa souveraine économie de parole . Résumer : une histoire d’alliance entre deux souverainetés — la phrase et la touche — dont la scène première est une traduction, dont la scène seconde est un livre de poèmes accompagné d’une gravure, dont la scène troisième est un tribunal, et entre les scènes des couloirs, des salons, des musées, des petites villes où on rentre fermer la maison, l’air d’automne qui passe, le bouton « cassis » sur l’épaule d’une jeune fille qui copie au Louvre, les « trompettes » d’un procès qui n’achève rien, la page qui prend, au jour le jour, le relais de la conversation : la correspondance dit cela, exactement : comment l’art, pour tenir, a besoin de cette trame têtue d’attention, de disponibilité, de logistique et d’élégance, et comment, dans l’Europe 1888-1898, deux noms la tissent au présent, Mallarmé et Whistler, jusqu’à la dernière poignée de main, jusqu’au dernier « à demain », et ce « pardon de ne pas vous rencontrer à mi-chemin » qui sonne comme la formule même de l’amitié, quand l’art vous occupe à plein et que le monde, lui, ne cède pas .|couper{180}

Carnets | octobre 2025
12 octobre 2025
On dit vivre au présent. Le présent n’a pas lieu. Il se soutient d’une lacune qu’on nomme instant. Une époque répond à une autre, sans rencontre. Revenir ne rejoint rien. Cela répète. Nommer l’instant le retire. Ce qui se montre se défait. Rien à retenir. Aller sans objet. Passages. Lire. Relire. Couper. Laisser le reste. Parfois l’écriture a lieu dans le sommeil. Au réveil, rien. Mieux, peut-être. Se soustraire au présent nommé n’éclaire pas. Une ouverture a lieu, sans lieu. Exposé au neutre. Sans accueil, sans refus. L’inquiétude prévaut sur l’assurance. Il y a, peut-être, urgence. Non à comprendre. À sortir. Un pas se fait, sans direction. Pourquoi, comment, en suspens. Rien n’est décidé. Le présent n’a pas lieu. S’il n’a pas lieu, il oblige. Tenir l’écart. Suspendre l’assentiment. Reporter le jugement. Réduire la phrase. Épreuve minimale. L’horloge passe de 12:00 à 12:01. Rien n’a eu lieu. Le fichier porte une date. Rien ne s’est passé. Différence constatée sans événement. Conséquence. Conduite basse intensité. Ne pas conclure. Laisser ouvert. Geste minimal. Sortir plutôt que comprendre. Risque. Séparation. Silence pris pour refus. Perte d’usage. Ce que cela sauve. Attention. Possibilité d’entendre. Place pour quiconque. Il y a, peut-être, urgence. Un pas se fait, sans destination. Ni adhésion ni déni. Le neutre travaille. Rien n’est décidé. illustration : Whistler, nocturne en bleu et or, 1872-75, huile sur toile, Tate, Londres.|couper{180}
