décembre

Carnets | décembre

9 décembre 2018

Je ne me souviens plus très bien, mais il me semble que ce doit être en automne lorsque, plongé dans un nouveau livre, j’entendis grommeler un homme dans la pièce attenante. Celui-là est dessinateur et on lui a confié, malgré lui visiblement, la mission de photographier la maquette d’un complexe universitaire et ça l’emmerde profondément. La pièce est aveugle, et la lueur du néon clignote au plafond, projetant des ombres désordonnées sur la blancheur du carton plume. Il râle, convaincu de se trouver à bout de force. La boîte sort d’une énième charrette, tout le monde est nerveux, un projet pharaonique ; impossible de le rater. Je m’approche et, depuis la porte, j’observe son manège. Par toute une série de contorsions, l’homme tente de trouver un angle adéquat, mais à chaque fois en vain, les ombres sont tenaces. « Et si tu utilisais une feuille de papier blanc comme réflecteur ? » lui dis-je… Il me toise comme on regarde un idiot qui vient de dire un truc intelligent et qui, du coup, fait douter de l’idiotie. Je vais chercher une ramette de papier machine et en extrais quelques feuilles que nous installons à l’aide de cales. Cela fonctionne et j’en profite, bien sûr, tout de go, et sans que je ne sache vraiment pourquoi, pour évoquer mes talents naissants de photographe. « Je pourrais bien m’occuper de prendre les photos, lui dis-je la prochaine fois, et de plus, je pourrai les développer et effectuer les agrandissements. » À la vérité, je ne savais de la photographie que très peu de choses. Durant l’été précédent, j’étais parti en Irlande avec un vieux Nikormat d’occasion et en plus acheté à tempérament. Au retour, c’est le choc : les diapos que je regarde me restituent très exactement toutes les émotions que j’ai vécues là-bas, entre Cork et Galway. Magique ! Je retrouve l’odeur de la pluie sur les champs de tourbe, le brouhaha nasillard des pubs et le goût de la bière brune sur ma langue ; et par-dessus tout, les vastes ciels, cette lumière merveilleuse qui les traverse en jouant avec les nuages. La photo, au début, c’est un peu ma petite madeleine de Proust. J’avais découvert la photographie par hasard ; elle ne devait plus me lâcher, tumultueuse passion, maîtresse envahissante pendant de nombreuses années. « Je vais en parler au patron, » répliqua-t-il, et nous en restâmes là pour cette journée. Il continua ses photos, moi ma lecture, et je n’y pensais plus. Ce fut à la fin de la même semaine que je fus convoqué dans le bureau de la direction. « Alors il paraît que vous êtes photographe aussi ? Nous avons une nouvelle version de la maquette, des photos à prendre, c’est très urgent, etc. » Et c’est ainsi que le soir même, après mon travail, je courus à la petite boutique photo du boulevard Saint Antoine, toute proche de mon domicile, pour acheter un agrandisseur et tout le nécessaire à développer les négatifs et à tirer les photos. J’avais pris soin d’acheter une dizaine de bobines de film 24×36 de la Tri-X Pan en vue du test que j’allais passer. Durant tout le week-end, je sillonne Paris pour prendre des photos, et me hâte de remplir mes 36 poses. À cette époque, pas d’internet, et je ne suis même pas sûr de savoir si je connaissais l’existence des ordinateurs. Je dois tâtonner un peu, me rendre à la bibliothèque et, à l’aide de quelques notes, apprendre à développer les films et réaliser les tirages, mais je m’en fiche, j’ai enfin découvert une vraie passion qui me hisse d’une sensation d’ennui profond et, du coup, ça me donne la pêche, ça m’excite, je sens à nouveau la sève remonter. Je m’étais engagé et je ne voulais pas décevoir, ça a fonctionné. Au final, j’ai fini par travailler comme photographe tout en conservant ma fonction première d’archiviste. J’effectuais des photos de chantier, de maquettes, que je développais dans ma petite chambre la nuit. La boîte me remboursait mes frais de produits et de papier sans que mon salaire ne soit augmenté, j’en profitais donc pour acheter bien plus que nécessaire sans être rancunier. On peut quand même se venger. Après tout, ne m’avaient-ils pas félicité, m’apprenant que mes tirages étaient meilleurs que le labo qu’ils avaient l’habitude de fréquenter ? Et puis tout s’est barré en couille à nouveau, l’ennui à nouveau, l’amour et l’argent, et le désir d’ailleurs. J’avais dû oser demander une augmentation et ça n’a pas du tout plu à monsieur le directeur financier, qui m’entretint de la vie, de ses nombreux écueils, de la pluie, du beau temps mais point d’argent. J’ai quitté mon job d’archiviste-photographe et j’ai trouvé un emploi de gardien de nuit, place Vendôme, dans les locaux d’une boîte informatique célèbre. J’avais pris la décision de devenir photographe et j’avais besoin, pensais-je, de plus de temps libre pour me parfaire dans cet art. Je n’ai jamais rechigné à trouver les pires boulots ; ça devait être dans le fond une forme inédite d’ascèse. Moquette au sol, odeur de propre, vastitude des bureaux, et du hall où je suis assigné une grande partie de la nuit avec Yafsah le Kabyle édenté, Rahim et Berouzi, deux Iraniens bac +7, la seule vraie contrainte est de monter dans les étages de ce palais moderne suivant un itinéraire et un tempo bien réglés. Yafsah est de jour et je le rencontre sur le seuil en train de fumer. Nous échangeons quelques banalités et puis je m’installe derrière un large comptoir dans ce hall démesuré. Peu de temps après, les copains iraniens arrivent et nous voici prêts à traverser la nuit, comme embarqués dans ce gigantesque vaisseau aux boiseries luxueuses pour un salaire de misère. Beruzi sort le jeu d’échec et le dico, Rahim potasse des manuels d’informatique. Ils m’enseignent le farsi, le persan, les échecs, et je commence à me débrouiller plutôt pas mal. J’adorais ces nuits passées ensemble à discuter de leur ancienne vie à Téhéran, de leur culture, qui, particulièrement chez Beruzi, était immense. Il m’apprit à comprendre Omar Khayyâm, Ibn Arabi, Hafez, mais aussi l’Étranger d’Albert Camus comme nul prof aurait eu l’idée de le faire, ainsi que les implications terribles qu’avaient eu le renversement du chah d’Iran, l’avènement de Khomeiny. En 1985-86, la guerre avec l’Irak était en cours et c’était là une des raisons principales pour lesquelles mes deux amis m’accompagnaient dans ces nuits étranges et formidables. Lorsque, plus tard, j’atteindrai l’Iran, dès les premiers pas effectués dans ce pays, je comprendrai plus profondément sa grandeur, malgré le chaos religieux et politique qui y régnait alors. Même les bouchers avec qui je sympathisais à Istanbul avant de prendre le bus m’avaient ému lorsqu’ils m’avaient demandé, au cas où j’eusse avec moi de la « musique américaine », de pouvoir l’écouter en échange du gîte et du couvert dans leur modeste maison de la banlieue de Téhéran. Y a-t-il un peuple ailleurs dans le monde où la poésie est si populaire que le moindre de ses membres connaissent par cœur les paroles, les vers de ses poètes les plus raffinés ? Étrange cette ronde qu’il faut effectuer, programmée à heures fixes et durant laquelle je peux voir par étage s’organiser le sens de la hiérarchie. Au premier étage, les bureaux quasiment collés les uns aux autres, sorte d’open space précurseur avec son absence d’intimité, les piles de dossiers, l’exiguïté des postes de travail, les plafonniers aux néons pisseux. Plus on gravit des marches, plus on atteint de plus vastes bureaux avec cloison et porte verrouillée à double tour, de plus en plus cosy et ponctués de lumières d’ambiance très mignonnes - sauf les jours de ménage où les femmes de ménage, ayant besoin d’y voir plus clair, actionnent les interrupteurs des plafonniers. Et puis tout en haut, quasiment sous les toits, loge Dieu, ambiance ultra feutrée d’appartement bourgeois, fauteuils en cuir de je ne sais quoi mais cher, confortables, cuisine impeccable avec de quoi préparer un lunch, un petit déj, un repas à n’importe quelle heure du jour, comme de la nuit. Évidemment, j’en profite pour siffler des litres de jus de fruits, éventrer les sachets apéritifs, et me préparer un joli petit café. Dieu ici pète dans la soie comme dans le cuir. « Polyphème, je m’en fous, je suis Personne et je t’emmerde. » Alors je m’assois sur le fauteuil en cuir, pivote silencieusement vers l’œil-de-bœuf qui donne sur la place Vendôme et, de haut, je contemple la nuit se refléter sur les vitrines des joailliers. Je reste un moment là, à peine distrait par les ombres des couples qui se meuvent tard dans la nuit derrière les fenêtres du Ritz. Parfois je m’endors ainsi, et c’est la sonnerie du téléphone qui me réveille… Beruzi, qui a repéré le numéro du poste, m’avertit : le contrôleur arrive. Alors je me rends à la salle d’eau en marbre sombre, me passe un peu d’eau fraîche sur le visage, et redescends pour rejoindre mon poste. Il y a tant de confort et de luxe que cela m’abrutit, et les horaires de nuit ont complètement décalé mon rythme de sommeil. Je passe des journées étranges, à me réciter des quatrains en persan et en imaginant des stratégies tout autant lumineuses que fumeuses aux échecs… Je dormais déjà peu à cette époque et, quelques heures de sommeil après mon retour à la chambre, je prends mon appareil photo et je vais par les rues photographier, amasser, avaler, croquer, dépecer, avec une avidité rageuse, tout ce qui m’interpelle.Les nuits où je suis de repos, je range la chambre, réinstalle mon laboratoire et développe mes photos. Une grande ficelle traverse la pièce et, un à un, comme les chasseurs accrochent leur gibier tué, j’accroche mes clichés avec de simples pinces à linge en bois au fur et à mesure qu’ils sont rincés à l’eau claire pour les débarrasser des résidus de fixatif. Combien de positifs ai-je tiré de tous ces négatifs… une sensation encore plus prononcée d’errance mais mêlée, cette fois, à des accents persans, des figures d’échecs, et une sensation profonde de toucher à quelque chose d’essentiel passe comme un ange pendant que j’écris ces lignes. La lecture de la poésie persane se mêle encore un peu, de façon mystique, à cette quête qui aurait, j’imagine, débuté avec la photographie. Cette quête, je vais encore la poursuivre en empruntant d’autres chemins, d’autres routes. Bien sûr, il y aura d’autres chambres étroites et aussi, parfois, d’autres plus vastes, tellement plus vastes que là non plus je ne pourrai m’y résoudre… Pourtant, j’ai un peu avancé avant de repartir ; j’ai appris à équilibrer les blancs, les gris, et les noirs profonds. De mémoire, encore toutes ces années après, je me souviens de la chanson que chantait Beruzi et Rahim : « n’aie pas peur, petit oiseau perdu sur ta branche, n’aie pas peur », et la suite se perd avec mon ami dans les ténèbres de l’âge de fer dans lequel nous allions pénétrer. Quelques mois plus tard, vous me retrouverez à la Porte de la Villette, mon sac en bandoulière. C’est enfin décidé : je pars pour la Turquie. Je quitte tout, je vais faire des photos de la guerre, celle dont on parle dans les journaux pour qu’on ne voit pas celle qui est en nous… Je ne sais quand je reprendrai ce récit, tout à l’heure, demain, dans un mois… ce n’est pas important tant elles sont devenues plus accessibles désormais. Moi qui autrefois notais les moindres détails dans des petits carnets, terrassé par la même trouille que le petit Poucet… J’ai tout brûlé un jour de déprime, grâce ou à cause du quotidien que l’on doit vivre en couple. Je m’en voulais d’avoir passé tant de temps à vouloir éviter la vraie vie. Je me sentais si démuni face aux obligations nécessaires à ce que bien des gens appellent « harmonie » ou pire encore « Amour ». Je ne voyais dans tout cela qu’une suite catastrophique de compromis. Alors, j’ai dit c’est l’écriture que je dois assassiner, brûler, évacuer de ma vie, répudier. Cette distance qu’elle pose entre la vie et la vie, qu’on en finit par s’y perdre et ne plus savoir si « je » est bien soi ou encore un autre. Mais non, en fait, l’écriture n’y est pour rien, c’est seulement un autre miroir et il suffit de s’en souvenir.|couper{180}

Carnets | décembre

29 décembre 2018

J’ai longtemps été confus dans tous les domaines de ma vie a croire parfois que je mettais un point d’honneur à ne pas être clair, si toutefois la clarté est le contraire véritable de la confusion. Quelque chose en moi projetait comme la sèche, la pieuvre, le calamar,un nuage d’encre afin de me dissimuler certainement en cas de danger. Pour tromper l’adversaire, à l’extérieur ou à l’intérieur de moi. Et cet adversaire maintenant que j’y réfléchis pourrait être à la fois l’évidence comme la certitude et le sommeil que provoquent toujours chez moi ces deux mots. Car « moi je » voulais aller plus loin, je voulais être le meilleur en quelque chose sans savoir vraiment bien quoi. Il le fallait cela m’était consubstantiel pensais-je. Du moins c’était là le mot d’ordre servant d’excuse à une certaine forme d’arrogance, de mépris envers le reste de l’humanité qui n’était pas sur la même fréquence : lanterne éteintes et lanterne allumées. Dés les bancs de l’école je m’étais aperçu que seuls deux ou trois de mes camarades revêtaient une importance pour moi , seule forme de réalité tandis que la grande partie des autres, disparaissait dans un amas de contours incertains. Ceux que je ne choisissais pas de regarder n’avaient alors pas accès à l’existence. Il y en allait ainsi de tout, du choix que j’opérais quand au degré d’importance que j’attribuais. j’ai ainsi donné de l’importance à certains arbres particulièrement les cerisiers et j’ai un peu aimé les hêtres, les bouleaux, et les chênes. Éventuellement le sureau qui me donnait de quoi fumer. tout le reste de l’immense forêt m’est parfaitement inconnu. Et souvent je me suis juré qu’un jour j’achèterais un manuel pour combler mes lacunes, cependant ce serment n’a jamais été tenu. Dans cette notion d’importance donnée aux choses, aux êtres, le moteur, la motivation qui me poussait était souvent la curiosité. alors que je n’étais en fait curieux que d’une seule chose : explorer une version de moi-même encore inédite et ce peu importe que ce fusse en amitié, en amour, la traversée du miroir m’était inconnue. Pourtant je le savais, intellectuellement, je maîtrisais cette notion d’ego, de projection, de transfert, de rejet également, et voilà ce qui sans doute m’a retardé le plus longtemps. Cette impression, cette fabrication mentale s’appuyant à la fois sur l’instinct, l’analogie et le livre mais assez peu sur le corps, sur le ressenti ni sur le cœur. D’ailleurs très longtemps j’ai pensé être dépourvu de cet organe. Ne me le disait on pas à longueur de temps, « tu n’as pas de cœur, mets y du cœur », je n’avais pas de cœur à avoir du cœur et voilà tout. Moi c’était plutôt la tête en premier et assez rapidement les jambes que je prenais à mon cou quand on me crachait en pleine figure les vertus cardiaques C’est que du fin fond de ma confusion je comprenais bien toutes les mailles, la toile entière parfois que tissait ce prétendu « cœur à l’ouvrage » et qui me paraissait m’empêtrer dans plus de confusion encore à chaque tentative de m’en échapper. Il doit en être de tous les mots ainsi je le crains. Nous les utilisons comme des ombres s’emparant d’armes tranchantes, argentées et luisantes dans la nuit de notre ignorance. Nous croyons savoir ce que veut dire aimer, nous croyons savoir ce que veut dire haïr, nous nous formons des images mentales associées à ces mots et bornées par celles ci nous traçons des voies labyrinthiques que nous appelons alors , simplicité, évidence, clarté. En peinture je n’ai jamais cessé de savoir ces bornes et j’ai souvent compris qu’il fallait commencer par la confusion comme dans la vie. Laisser aller sa pente naturelle à désordonner le monde ou la toile ce n’est pas quand même tout à fait semblable. Les harmonies, les lumières équilibrées d’avec les ombres que je n’ai pu trouver en peinture, j’ai pu les recouvrir et reprendre par dessus de nouvelles toiles, cependant que les défaites, les guerres, les prétendues victoires obtenues au travers les ombres et les lumières de ma vie passée je les ai laissées disparaître à jamais dans la nuit de mon oubli. « A jamais dans la nuit de mon oubli » vous voyez on y croirait ! Bien sur que non, rien n’est oublié vraiment elles me hantent souvent la nuit et même en pleine lumière désormais. Sur la tolérance et la conviction Il ne peut y avoir de tolérance sans conviction, du moins c’est ce que l’on pourrait imaginer puisqu’on fait preuve d’une pour découvrir l’autre peu à peu. Mais quand on part dans la vie sans aucune conviction quel curseur utiliser pour ajuster la tolérance ? Alors je vous propose de modifier le mot conviction par intention et les choses s’éclaireront peut-être d’une lumière inédite. Pour les chamanes la notion d’intention est majeure, comme les notions d’énergie. Peu de choses dans le monde chamanique se produisent sur le plan mental, mais sur un plan énergétique. Pour parvenir au plus haut degré de connaissance, ou de pouvoir, peu importe les mots que l’on pourrait coller sur le sommet, deux qualités sont nécessaires voire indispensables : Accepter de souffrir pour comprendre la quantité de tolérance dont on peut faire preuve au travers d’une forme d’endurance à la bêtise, la sienne et celle des autres si l’on veut. Quand je dis bêtise il n’y a vraiment rien de péjoratif, je parle bien de notre nature animale. La seconde chose est l’impeccabilité que j’appelle plus modestement la justesse. Cette justesse qui, si l’on apprend à repérer la fuite d’énergie en soi ou l’appétit qui commence à sucer la notre chez autrui, réagit de plus en plus rapidement et souplement à tout débordement, de façon à rester dans l’axe. Nous ne savons pas grand chose des échanges gazeux et encore moins des échanges énergétiques qui s’opèrent entre les individus. J’ai connu des maîtresses fabuleuses qui une fois que nous nous fussions séparés m’avaient dérobé une très grande part d’énergie et je ne parle pas ici de rapports sexuels uniquement. c’est que l’idée de vampire n’est pas venue du fond des temps par hasard , nous passons notre temps à nous gorger de l’énergie des autres et eux de la notre. Je ne me souviens plus mais je ne serais pas étonné que ce soit l’écrivain Paul Claudel qui refusait même de se masturber de peur de dilapider imprudemment sa précieuse énergie.. et ainsi de perdre son inspiration, sa créativité. A mon avis, il aura rater bien des moments de plaisir mais le postulat n’était pas mauvais en soi. Les ermites aussi savent que s’éloigner de la masse les préserve de dépenses inutiles, mais sans risque alors comment tester la tolérance, comment construire une véritable conviction ? Et comment détruire celle ci une fois construite … ? C’est que peut-être tous les chemins mènent à des « Rome » très personnelles, nous arrivons avec une petite idée en tête dans le monde de la confusion et c’est toute cette confusion, ce chaos, qu’il nous faudra traverser avec ce que j’appelle « intention » Cette intention ne provient pas de notre réflexion, le mental n’est pas sa source, ni d’ailleurs le cœur. On pourrait peut être imaginer un intervalle entre deux fréquences, plus qu’une fréquence vraiment, un tout petit vide entre deux voilà ce serait cela l’intention capable à la fois de soulever des montagnes, de faire preuve peu à peu d’une tolérance infinie, et d’écarter ainsi un peu plus à chaque cran la moindre de nos convictions. Découvrir qu’une intention existe au fond de soi est un jour de fête. Lui faire confiance et la suivre aveuglément nécessite de traverser bien des déserts cependant que parvenu à l’oasis, nous sommes capables de tout oublier ou presque, heureux enfin d’étancher notre soif tout simplement.|couper{180}

Carnets | décembre

27 décembre 2018

Ce n’est pas le plus facile des métiers mais pour moi c’est l’un des plus beaux. En fait comprenons nous tous les métiers peuvent être beaux cela dépend surtout de l’état d’esprit de la personne qui oeuvre. Etre artiste et plus précisément artiste peintre est le dernier métier que j’ai choisi d’effectuer après de nombreux autres qui ne me permettaient plus de m’exprimer. Ce métier ne me permet pas de vivre aussi bien que dans mes anciennes occupations qui, du reste si elles sécurisaient plus l’atmosphère générale de ma vie, m’obligeaient à de nombreux compromis, à ne pas révéler pleinement ma personnalité, à me taire beaucoup par usure, par dépit, par crainte aussi quelques fois de perdre mon emploi, de perdre ma sécurité financière. Cependant en réfléchissant bien cette pseudo sécurité financière n’était qu’un mot d’ordre hérité de père en fils, et la répétition d’un schéma ancestrale à appliquer par un manque cruel d’imagination. Quelle est la véritable richesse si ce ne sont pas les enfants que l’on élève, l’épouse que l’on épaule, les amis que l’on rencontre et avec lesquels on construit une amitié, si ce n’est pas toujours paraître plutôt qu’être tout simplement ? Car nous ne sommes vraiment que très rarement nous mêmes au travers des circonstances brutales ou douces de l’existence, nous sommes des copies plus ou moins améliorées d’un système éducatif, social, économique et politique qui jugule la notion véritable d’identité depuis tellement longtemps désormais. Système qui craque de toutes parts et devant nous se dresse un inconnu qui comme toujours nous effraie nous rappelant trop bien l’inconnu qui toujours sommeille au fond de nous. Quelle est donc la véritable richesse sinon aller au devant de cet inconnu qui est soi et pour ce faire pas besoin d’argent mais du temps, et c’est bien ce temps que l’on ne nous permet pas de prendre facilement qui me parait être le luxe le plus haut actuellement. Car il en faut du temps pour apprendre à peindre par exemple, non pas qu’il soit si difficile de maîtriser une technique, non cela est désormais à la portée d’un grand nombre de personnes. Pour améliorer le quotidien je suis moi-même professeur et j’enseigne la technique du dessin et le maniement des formes et des couleurs. Cependant que je reste toujours stupéfait par le manque de temps que prétextent mes élèves. J’ai beau dire, si vous voulez progresser, prenez une demi heure par jour pour dessiner, peindre, une demie heure ce n’est pas grand chose mais si on le fait chaque jour, pendant 365 jours imaginez… Et pourtant non , personne n’y parvient invoquant chaque semaine lorsque je pose la question des préoccupations tellement serrées qu’aucun interstice n’a pu être trouvé. Il m’a fallut du temps pour comprendre comment gérer celui-ci, pour qu’à la toute fin tout ne soit pas en vain, pour que perdure une partie précieuse de mon être inscrite dans le papier, le chant, la photographie ou la peinture, j’ai testé beaucoup de voies diverses accordant du temps à chacune autant que le pouvais , parfois d’une façon frugale, parfois avec excès. La régularité du métronome s’accorde mal avec l’idée que l’on se fait d’un artiste. Elle s’accorde déjà si mal dans le cadre que l’on pose pour exercer le moindre labeur. On la subit en général plus qu’on la choisit cette régularité. Alors devenir « libre » en tant qu’artiste demande bien plus que de l’application pour intégrer cette régularité, pour diviser son temps en parcelles, pour segmenter l’administratif du commercial, et du temps de création. Cela demande du temps et une certaine forme d’abnégation aussi. Établir un emploi du temps et s’y tenir demande de renoncer à beaucoup de choses notamment à la distraction. Je vous l’avoue, j’ai essayé plein de moyens diverses pour tenter de mettre en place cet emploi du temps. Aucun n’a pu tenir la route et toujours la distraction m’attirait pour m’extraire de ces contraintes insupportables que je m’étais fixées. C’est seulement qu’il me manquait une intention véritable. cette intention ne se trouvait pas dans l’envie de gagner de l’argent, ni dans celle de réaliser des œuvres d’où surgiraient l’évidence de ma maîtrise, encore moins dans l’idée de la beauté qui m’aura celle ci fait perdre de nombreuses années, non aucune de ses intentions ne pouvait être vouée au succès de la réalisation d’un véritable emploi du temps. Alors je me suis penché sur les tâches déjà en place, les cours que je donne, l’administratif à régler, la communication sur les réseaux sociaux à ne pas négliger et dans chacune de ces tâches j’ai tenté de donner le meilleur de ce que je pouvais, c’est à dire d’être le plus juste possible avec moi-même tout d’abord en espérant que cette justesse atteindrait les autres. Je ne dis pas que tout est en place désormais pour toujours, non il y a encore bien des choses à améliorer notamment cette propension à vouloir trop donner d’un coup comme si demain j’allais mourir. J’essaie de me restreindre désormais dans des cadres temporaires plus succincts. La création c’est un peu comme l’amour, donner tout d’un seul coup ne sert à rien et surtout à ne pas durer, à ne pas faire durer. C’est sur le long terme que la passion s’apaise et que la braise de la tendresse réchauffe les vieux amants. Bien sur la tentation est grande d’utiliser internet pour promouvoir mon travail et j’y cède désormais volontiers, non pas que j’imagine atteindre à une célébrité quelconque voir à une clientèle plus large, non cela ne me parait même pas souhaitable pour l’équilibre fragile que j’installe peu à peu dans mon emploi du temps. Internet me permet de montrer mon travail, de sortir d’une certaine façon de l’atelier, de m’exposer aussi moi-même tel que je suis sans autre retenue que celle de vouloir rester juste. C’est bien de cette justesse dont il s’agit en fait et qui pourrait bien devenir l’intention majeure de tout mon travail d’homme comme de peintre. Cette justesse emprunte des voies parfois étranges et peut-être parfois aussi laborieuses encore mais je ne désespère pas, j’adapte peu à peu mon emploi du temps à sa mesure et espère pour 2019 des œuvres nouvelles en adéquation avec celle ci plus que jamais encore auparavant. en lisant la colère exprimée par certaine chroniqueuse sur l’art contemporain, je peux comprendre au delà de son vocabulaire de façade l’indignation qu’elle ressent quant à une grande partie de l’art en France aujourd’hui qui serait délaissée par les institutions qui préfèrent miser sur des plus values rapides et des retours sur investissements plus juteux avec le denier public. C’est qu’on a tous oublié le temps dans l’affaire. Il faut du temps pour construire un emploi du temps efficace, du temps pour réaliser des tableaux qui touchent vraiment l’âme et l’esprit, et la hâte des institutions à vouloir courir plus vite que la musique en fabricant des artistes trop rapidement ne résistera sans doute pas à la postérité qui est en fait le véritable tamis du talent. Ce n’est jamais dans l’urgence qu’on décrète le juste et le beau, on peut tenter de l’imposer bien sur mais cela ne sert de rien, il faut attendre hélas encore la dissipation des brumes pour parvenir à retrouver l’horizon. Dans ce grand bateau qui pourrait ressembler à celui de la Méduse, nous voici les artistes inconnus naufragés de l’immédiateté. La faim et la soif et l’absence de reconnaissance peut bien nous tenailler et nous rendre presque fous parfois, il faut les ignorer cela ne vient pas de nous, cela n’est pas en nous. Nous sommes seulement le temps et nous n’avons besoin en fait profondément de rien d’autre que de justesse telle que nous la ressentons, toujours la même à la fois neuve et ancienne, toujours renouvelée.|couper{180}

Carnets | décembre

26 décembre 2018

On ne sait d’où elle vient mais on est certain qu’elle est là, elle s’empare de tout notre être et rien ne peut y faire : l’état de siège s’annonce long et austère. Les anciens attribuaient à la bile noire sa raison d’être, réglant ainsi le problème par une production d’humeur anormale. Ils accompagnaient leurs observations quant au phénomène en indiquant que les personnes frappées de mélancolie n’étaient pas épargnées non plus par le génie. Les premiers accès remontent à loin, durant les vacances sans doute, l’été certainement, alors que rien ne m’y préparait. Soudain elle arriva presque en même temps que moi dans le hameau du Bourbonnais où je venais rejoindre mes grands parents paternels. J’aurais juré percevoir sa présence et ce des les premiers pas sur le quai de la petite gare où grand-père venait me chercher dans son éternelle cotte de coton noire et sale. Même si j’avais voulu les surprendre et venir sans prévenir, alors j’aurais bien sur emprunté la route menant vers leur maison, il n’y aurait rien eut à faire, elle m’aurait devancé. Ce sentiment inouï d’ennui mêlé de solitude et d’à quoi bon, à peine poivré d’un sentiment mortel d’infini qui rend à la fois maussade, lucide et bon à rien. Même la pêche que j’adorais ne pouvait m’en distraire totalement. Bien sur le soleil perçant au travers les brumes de l’aurore sur la terre meuble me charmait, bien sur le vent dans les arbres, leur longue respiration de feuille, bien sur le bouchon que l’on guette et qui soudain s’enfonce, bien sur l’éclat d’argent du poisson ferré.. bien sur que la distraction fleurissait à proportion que ce poison terrassait mon corps, mon cœur, ma tête.Et même mon âme semblait inquiète, menacée de désastre comme le reste, la sournoiserie alors venait à la rescousse comme pour m’extraire du bourbier à grande secousses d’adrénaline. Ce fut là, à cet instant précisément que l’amour choisit d’arriver.Un jour que le gros Paula et moi fumions de vieilles lianes sur les marches de la petite maison abandonnée, il devait être aux alentours de 17 heures les ombres s’allongeaient et les voitures sur la route départementale se raréfiaient de plus en plus, il y eut un petit ploc et un petit gravier toucha mon camarade à la têtePuis un rire léger stria l’air et Babette surgit de derrière une haie de prunelliers. C’était une petite noiraude à l’air effronté, vêtue d’une jolie robe légère, ce devait être la première fois que j’apercevais la présence d’une fille dans le hameau que je me targuais pourtant bien connaitre.Paula devint rouge comme une pivoine et je compris qu’il était amoureux rapidement, au fur et à mesure ou la Babette avançait vers nous. Il bégaya des paroles de bienvenue exagérée avec son fort accent de la campagne, celui là même que je m’étais bien acharné à perdre lorsque nous avions dû déménager et aller vivre en région parisienne.Paula c’était un peu moi si j’étais resté là bas, si je n’avais jamais connu la ville, la rouerie des gamins des cités, la méchanceté crasse des filles, si j’étais resté simple et innocent à gober les mouches et à croire aux bondieuseries.Paula lui était encore intact, une terre vierge prête à être piétinée. Babette arrivant je comprenais confusément qu’elle n’allait pas se gêner. La première rencontre nous emporta à la frontière de la nuit, nous bavardâmes tous les trois, je restais le plus silencieux cependant me sentant étranger plus que jamais dans ce pays qui avait été mien et dont l’éloignement m’avait banni à tout jamais. Chaque été je revenais espérant retrouver quelque chose que je pensais avoir perdu , et des le début j’éprouvais l’ inéluctable, la présence d’une absence que je ne retrouverai jamais plus.Ce soir là je retournais chez mes grands parents encore plus triste que jamais. tout paraissait encore plus présent que jamais : le tic tac de la vieille horloge, l’odeur d’encaustique, celle de sueur et de tabac mêlé de grand-père, comme si l’instant dilatait ses parois pour que mon mal être et moi-même puissions y tenir plus à l’aise. Mes grand parents regardaient la météo, guettant l’accident éventuel de la pluie, l’espérant sans doute , il avait vraiment fait très chaud cette année là.Je grignotais un reste d’omelette que grand-mère m’avait laissé, à même la poêle et j’allais me coucher avant que grand-père ne me rejoigne. Il m’eut été impossible de m’endormir avec l’odeur de cigarette se consumant dans le cendrier Cinzano qui trônait sur la table de chevet.Le lendemain était si semblable à la veille, à peine les quelques minutes d’espoir accompagné de tartines beurrées et trempées dans le grand bol de café au lait se terminaient-elles que je retrouvais cet instant incommensurable et le »ne pas savoir quoi faire ».Grand mère s’inquiétait souvent me voyant ainsi .Elle me parlait d’ennui tentant de s’infiltrer mais je déclinais vite son invitation à discuter en allant prendre ma douche, m’habiller et je m’évadais une bonne partie de la matinée par les chemins qui m’éloignaient de la ferme, du hameau, et me conduisaient vers plus de plus profondes solitudes encore.Aussi ces moments de camaraderie avec Paula le fils du facteur et plus tard avec le fils du couvreur m’étaient ils chers et j’aimais les retrouver en fin d’après midi sur les marches de la petite maison prés de la mare. Dans mon for intérieur je les imaginais frappés du même mal que moi d’une façon plus trouble, plus confuse, et leurs taquineries, leurs jeux de brutes n’étaient que pales tentatives pour masquer notre plaie commune cet ennui de l’adolescence. Enfin la pluie surgit et nous nous réfugiâmes tous dans la grange en face ce jour là. J’avais apporté ma guitare et nous chantions assis dans le foin. La Babette m’adressait des œillades appuyées que je prenais grand soin de ne pas soutenir eut égard envers Paula. C’est à cet instant, agrandit, éternisé, que Nadine la sœur aînée de Babette apparut toute de blanc vêtue avec ses cheveux blonds et longs et ses yeux de biche moqueurs. Le Coup de foudre fut immédiat pour cette grande de 5 ans mon aînée.L’amour m’extirpa de ma mélancolie, de mon ennui et probablement si tant est que j’en eut jamais de mon génie, je devins parfaitement idiot et passais le reste de ces vacances dans un état d’apesanteur et de grâce jamais vu. Les deux sœurs habitaient en face de la petite maison de la mare et, le soir j’avais pris l’habitude d’attendre Nadine elle aussi en plus de mes trois camarades. Lorsque je la voyais arriver de l’autre coté de la barrière, l’attente alors si douloureuse laissait place à une sensation d’apaisement merveilleux. Je la dévorais du regard qu’elle soutenait de façon timide et effrontée tout en même temps.Pour être un peu plus seuls, nous avions convenu Nadine et moi de nous retrouver au même endroit après l’heure du dîner sans Babette Paula et Pierre. Alors mes grand parents riaient ils de bon coeur de me voir quitter la table et de repartir dans le soir, ils me comprenaient heureux et ça les rendait heureux je crois.Jamais je n’ai été capable après cela d’attendre aussi longtemps une fille. Parfois elle surgissait en pleine nuit et je la devinais à la clarté de la lune, parfois je croyais l’entendre arriver, je croyais respirer l’odeur de camomille de ses cheveux, sa peau parfumée de savon de lait d’amande, mais il n’y avait que l’obscurité et je devais encore patienter avant d’entendre enfin le petit portail de bois grincer sur ses vieux gonds.Elle me faisait attendre, elle se faisait attendre, je n’y avais jamais pris garde mais c’est bien elle qui avait le dessus. Enfin réunis, nous évoquions un vague but de promenade et nous nous élancions dans la nuit sombre seulement guidés par la clarté du sable des chemins. Sa hanche frôlant ma main , ma main frôlant ses fesses mais jamais de contact évident, juste une avancée de retenue en retenue en bavardant de tout de rien. A la vérité je ne savais rien du tout de ce que les filles pouvaient vouloir d’un garçon et à fortiori une fille plus âgée. Peut-être confusément attendais je qu’elle fisse le premier pas et en même temps cette idée me terrorisait comme elle me désolait. Que de chemins avons nous ainsi empruntés pour explorer la nuit de nos désirs barricadés de pudeur et de crainte que tout ne s’effondre, d’un accord tacite cet état de fait continua jusqu’à la fin des vacances. Le dernier jour nous échangeâmes nos adresses, je lui donnais celle de la pension ou j’étais déjà depuis une année. Et puis nous nous séparâmes en nous faisant la bise … Je ne pensais pas qu’elle m’écrirait jamais. Après tout bien que de 5 ans mon aînée Nadine était une fille de la campagne, avait des buts arrêtés dans la vie, elle voulait devenir infirmière et préparait sa rentrée à l’école de Montluçon. Franchement me disais-je elle va vite m’oublier. La rentrée fut maussade autant qu’elle pouvait l’être. Je retrouvais toutes les tètes connues et quelques nouvelles qui venaient agrandir la cohorte de mes camarades de classe. Les premières semaines passèrent et la rectitude des horaires et des rituels , ou les habitudes retrouvées, m’éloignèrent peu à peu de ces fabuleux souvenirs de l’été. Nous étions les pieds dans la Viosne, un camarade et moi en train d’attraper un orvet quand le garçon préposé au courrier me héla de loin en brandissant une enveloppe. Comme nul ne m’écrivait jamais il supposait que cela valait le coup d’appuyer un peu plus l’événement et il alla jusqu’à nous rejoindre en courant pour me donner la lettre.Je ne connaissais pas l’écriture sur l’enveloppe et soudain je pensais à elle , à Nadine en découvrant le tampon de la poste de Vallon en Sully.Je la mettais dans ma poche pour ne pas la lire devant mes camarades et repartait à la recherche des serpents et des épinoches, seules occupations à peu prés intéressantes durant les interclasses. Ce fut le soir venu, après le dîner et la chapelle, lorsque je me retrouvais dans la chambre à l’abri des regards de mes camarades partis à la douche que je décachetais la lettre et découvrais pour la première fois l’écriture fine et resserrée de Nadine. La première lecture fut brouillée par la recherche de mots précis que je n’y découvrais pas. A la seconde je comprenais qu’il devait sans doute y avoir la même pudeur se cachant derrière la banalité des mots que je lisais et relisais.. un vrai bégaiement de lecture . Il n’y avait là que des nouvelles de sa vie, toutes simples et rien d’affectif ne semblait percer sinon un je t’embrasse en bas de page.Mais ce n’était pas grave, j’avais une lettre de Nadine et la pension toute entière se transforma en un établissement de luxe estival dans les profondeurs de l’automne cette année là . Je crois que je répondis une première fois à Nadine en tentant de placer un peu plus de chaleur qu’elle dans mes mots sans pour autant parler de sentiment. Finalement l’ambiguïté me paraissait être le garde fou nécessaire à cet échange épistolaire. Je lui racontais mes journées, mes déboires, mes réussites, mes rêves d’adolescent , avec de temps à autre une référence discrète au souvenir de nos promenades. Et à la fin j’avais écrit une lettre par jour à Nadine, il était temps de revenir chez mes grand parents pour un nouvel été.. Mon cœur battait la chamade j’avais la tête en feu alors que je gravissais la cote après les 8 km à pied que j’avais déjà effectués ma valise à la main. Je n’avais prévenu personne du jour de mon arrivée. Je voulais tout savourer dans le menu, que nul ne vienne déranger ma joie, mon bonheur.C’est en fin d’après midi que j’arrivais au hameau, les coucous se répondaient dans le lointain et un parfum d’herbe coupée flottait dans l’air.La maison des deux sœurs était sur mon chemin j’en profitais pour faire un saut , peut être apercevrais je Nadine enfin ? Effectivement elle était là, je mis un moment à comprendre ce que je regardais, un gros gaillard vêtu de cuir chevauchant une moto dans la cour était en train de l’embrasser . Elle était pendue à son cou.. et soudain elle me vit, se détacha à peine et me fit un petit signe de loin. Un sourire arriva je ne sais comment sur mes lèvres et sans un mot je tournais les talons pour rejoindre la ferme de mes grand parents. J’ai gardé longtemps toutes les lettres que m’avait envoyées Nadine, je me souviens aussi avoir regretté de n’avoir pas conservé de doubles de celles que je lui avais adressées. C’est bien plus tard prés de la trentaine, que j’ai décidé de les brûler. Un nouvel amour arrivait comme une page vierge il fallait faire du vide. Il y a ainsi des histoires, des récits plus ou moins inscrits à mi chemin de la réalité et du rêve comme désormais des tableaux rangés au fond de mon atelier qui n’attendent que le bon moment, le juste regard peut-être aussi pour atteindre à l’importance qu’ils méritent. Qui décide de la valeur de cette importance..? Moi bien sur car j’ai bien peur qu’il n’y aurait personne au final si de temps à autre je ne partageais pas ces objets enfouis comme des secrets. Un bon ami à moi à coutume de dire : » Qu’est ce qu’un homme ? et il rajoute c’est tout ce qu’il ne montre pas, tout ce qu’il cache. » J’ai longtemps caché, dissimulé jugeant tout cela autant impudique qu’insignifiant, banal, mais mon chemin m’amène à rencontrer des gens qui, dans la confusion qui hier était mienne, peuvent entendre parfois comme un écho de leur préoccupations, de leurs entraves en accompagnant les miennes dans leur lecture. Et juste pour ça, pour établir des ponts entre les êtres le partage et le don sont importants.|couper{180}

Carnets | décembre

23 décembre 2018

La mode est devenue fade, comme c’est l’usage pour celle-ci, mais il y a eu un temps où j'ai essayé de devenir positif. Tout à commencé au boulot et bien sur comme il se doit : dans l’ennui. Un de mes collègues, que j’avais connu sur un site parisien revenait sur Lyon et, le soir, nous finissions notre job aux alentours de 21h, nous nous mettions en quête d’un restaurant pour dîner et papoter avant de retourner chacun dans nos trous à rat respectifs. P. n’était pas d’équerre mais faisait tout, au boulot, pour le paraître le mieux du monde. Il saquait, persiflait, chuchotait, relatait,trichait, mentait.. bref il s’était fabriqué une conduite impeccable dans ce cloaque professionnel dans lequel nous pataugions depuis potron-minet jusqu’à pas d’heure et souvent les week-end. N’ayant encore rien compris à l’essentiel je me cantonnais à travailler en tentant d’améliorer certains process qui m’étaient aussitôt « empruntés », et avec lesquels mes « n+1, +2,etc » déclenchaient en leur faveur des « oh » et des « ah » admiratifs. Je n’en avais pas grand chose à faire, l’anonymat ayant toujours été pour moi un refuge, si on ne m’avait pas dérangé de ma routine, sans doute, serais je encore là-bas. Mais la providence dans sa grande clémence en décida autrement. Donc entre la poire et le fromage, P. me parla de ses lectures, dont les auteurs la plupart du temps m’étaient totalement inconnus. celles ci se situaient dans un lieu mental étonnant à mi chemin entre le New-age et le marketting , le développement personnel et la spiritualité. Je me mis progressivement à ces lectures, curieux de nature, et aussi peu à peu à acheter des fleurs de Bach, des bâtonnets d’encens estampillés Sathya Sai Baba, et à refonder mon système de croyances sur de nouvelles bases. Et c’est aussi bien vite que je m’inscrivis à un stage de programmation neuro linguistique pour les prochaines vacances hivernales. J’arrivais à Grenoble et rencontrai un petit groupe de personnes qui, pour la plupart comme moi, désireuses de changer leurs vies s’étaient payé à tempérament le montant conséquent de ce stage. Le postulat de devenir libre s’en trouvait légèrement effrité mais ce fait semblait passer inaperçu, y compris pour moi-même. Ça sentait un peu des pieds. Dehors les chaussures , comme les ceintures qu’il valait mieux défaire, le mot d’ordre « d’être à l’aise » presque inscrit en rides grasses sur le front de notre animateur aurait du, au minimum m’inciter à me méfier mais trop tard, j’avais payé. Nous passâmes 3 jours enchanteurs en tous cas. Ce qui est relativement facile lorsque tout le monde se fixe sur l’objectif de devenir meilleur. C’était à qui ferait le plus de compliments, le plus de bisous mentaux à ses compatriotes, et des vas-y que je te flatte, que je te caresse, que je te porte au pinacle j’en passe et des moins bonnes… évidemment le tout mué par l’espoir jamais déçu de réflexivité. Et si, le cas échéant, ce retour sur investissement semblait un peu poussif, l’animateur prenait le relais et nous nous retrouvions dans le meilleur des mondes … oh Aldeus comment j’ai bien rigolé ! Le pire de tout c’est de se sentir différent du monde entier quand, muni de quelques croyances en la vertu des prédicats, on se met à ausculter les voix, à évaluer les regards, à croire qu’on a pigé le signal d’un croisement de jambes, à deviner de fait tout ce que l’autre ne dit pas. De ce stage donc je sortais augmenté et aussitôt dans la foulée je m’inscrivis pour la suite, qui, encore plus onéreuse pour ma bourse modeste, se déroulerait cette fois en Belgique. Je ne me souviens plus combien de stages en tout j’ai effectué dans ce milieu formidable des bisounours. Cependant je me souviens très bien comment je me suis sorti de cette illusion. L’option « stage chamanisme » était à 50% si on prenait le package alors me frottant les mains j’en profitais. Là, c’était le cran au dessus. Il devait y avoir une bonne cinquantaine de personnes. J »avais épluché le dépliant publicitaire et tout, pour une fois, était conforme à défaut d’être vrai ! Des locaux immenses, un restaurant, des chambres proprettes, le tout dans une abbaye magnifique avec un joli parc. Au moins cela ferait une semaine de vacances si le contenu n’était pas à la hauteur de mes espérances. Porté par cette atmosphère magique, je repérai tout à coup une petite rouquine dans la quarantaine, et comme les exercices devaient s’effectuer souvent à deux elle devint peu à peu ma partenaire en chamaneries. On allait main dans la main faire le tour des bâtiments en écoutant le vent nettoyer nos mauvaises ondes, et au besoin on aidait celui ci par des nettoyages énergétiques des hugh et des papouilles – dans ma paume à quelques cm de sa peau je pouvais sentir la chaleur, l’énergie, pas de doute ça dépotait grave. Du coup c’est comme ça que nous fîmes le lien de l’Amérique vers l’Inde car il fut question de chakra..bon j’avais bien sur un peu lu là dessus, et je savais que le premier se situait aux alentour du trou du cul .. c’était le premier à s’éveiller, pour que la kundalini puisse monter … Tout cela aurait pu finir en partouze gigantesque n’eut été le lieu, n’eut été les moines, n’eut été aussi le temps car ces quelques jours passèrent à une vitesse folle et je me retrouvais vite dans le TGV avec la petite rouquine sur le siège en face. Nous étions redevenus deux voyageurs dans un train qui les ramenait chez eux et rien de plus. Sans doute évitions nous l’essentiel, rendus troubles et confus de par ce rapprochement intempestif. Bien sur nous n’allions quand même pas imaginer autre chose qu’une alliance spirituelle, on était nettoyé de tout pas question de déconner. A la Part Dieu nous osâmes échanger nos coordonnées quand même et puis je m’engouffrais à nouveau dans le quotidien avec l’étonnante sensation de n’être à peine plus avancé que je ne l’étais avant de devenir « chaman ». J’avais tout oublié comme d’habitude quand, à l’ heure du déjeuner quelques jours plus tard je recevais un SMS.. – « Ce soir au gros caillou ? » C’était ma rouquine et je galopais comme un adolescent vers la croix rousse le soir venu. Nous dînâmes en éprouvant une excitation inextinguible à relever tous nos points communs. Et au moment de nous quitter elle s’accrocha à moi en me priant intensément de l’emporter vers mon 7ème étage sans ascenseur. Je refusais tout de go prétextant le désordre inouï qui y régnait, me réfugiant derrière la honte d’être découvert brouillon et sale alors qu’en fait c’était une trouille bien plus profonde qui m’empêchait. Nous eûmes une relation un peu houleuse durant quelques mois, deux mages féroces et potaches s’envoyant des sorts n’auraient pas fait mieux. Mais dans le fond des choses, ma rouquine, peut-être se sentait-t’elle vieillir et cherchait un compagnon en déployant comme les roses ses derniers artifices avant de se faner. Quant à moi je n’étais pas encore prêt à endosser la responsabilité d’une vie de couple à nouveau. On aurait pu faire durer le plaisir mais l’anticipation nous obsédait bien trop. Une chose fut vraiment bonne et je dois remercier P. Finalement l’instigateur de ce parcours de vie, ou pion placé par le destin … je ne sais Sans doute l’éveil du premier chakra dû à l’effort de vouloir changer de vie, restera-t’il durant longtemps, dans mon esprit, une notion bien confuse. Si je n’avais suivi scrupuleusement le parcours énigmatique chuchoté à voix basse mais o combien insistante par mon trou de balle accompagné de celle de mon nombril que serais je devenu ? je l’ignore totalement et finalement quelle importance ? Ce qui n’était pas dit c’est que ce réveil allait m’emporter vers de nouvelles aventures, de multiples défaites, avant qu’enfin exténué par la bêtise toute bourse vide je lâche prise, abdique face à mes nombreuses résistances comme autant de fiefs illusoires pour que cette énergie enfin libérée continue de s’élever, et à atteindre le cœur. Et c’est ainsi que je démissionnais de ce travail où j’étais depuis de trop longues années et m’agrippant à une nouvelle illusion je quittais tout à nouveau pour me rendre vers l’inconnu. De mes peintures de cette époque j’ai tout jeté qui n’était que vulves,mamelles,matrices, fellations exagérées et sodomies intempestives. La projection si l’on veut du résultat de mes obsessions grandiloquentes de découvrir le mystère de la vie, de l’univers prenaient à cette époque naissance dans le trou de balle et je ne sais pourquoi je songe tout à coup au poème de Rimbaud « Le dormeur du val » : « C’est un trou de verdure où chante une rivière, Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent ; où le soleil, de la montagne fière, Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. » …. « Les parfums ne font pas frissonner sa narine ; Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. » Le premier mensonge Ce devait être un matin, j’ai un peu de mal à situer l’heure, mais je jurerais que c’était vers 7h30 du matin, juste quand il faut se lever, prendre la douche, se brosser les dents et déjeuner. C’est vers 7h30 que je commis mon tout premier mensonge. J’ai inventé une maladie, et je me suis glissé comme un acteur dans la peau de celle ci tellement profondément que j’ai même pu en ressentir les effets. Maux de gorge, toussotements, fébrilité.. Tout cela je suppose pour éviter les lacis et quolibets que j’essuyais à l’école.Car pour inventer un mensonge la première fois il me semblait qu’il fallait une excellente raison. Prévoyant la catastrophe universelle que je n’avais pas manqué de déclencher, je mis pendant plusieurs mois un point d’honneur, tous les jours à me le rappeler. A la fin j’avais même tellement peur de l’oublier que je l’avais noté sur un petit bout de papier que j’avais enterré au fond du jardin entre deux clapiers. C’est que ce premier mensonge en déclencha tellement d’autres, que tenir un registre me paraissait non seulement fastidieux mais en outre complètement inutile. Seul le premier valait-t’il que je ne l’omette pas, que j’entretienne son souvenir comme la flamme d’une première victime inconnue. En l’occurrence moi-même tombé au champ d’honneur des vérités muettes, non assumées. Ainsi peu à peu m’enhardis je et du mensonge passais-je au vol avec une facilité déconcertante. Ma toute première victime fut ma mère qui laissait traîner son porte monnaie sur la table de la cuisine.Elle fit semblant de ne pas voir que je me servais dedans. Oh ce n’était pas grand chose à chaque fois, de quoi juste acheter quelques bonbons chez le buraliste prés de l’école, négocier une ou deux billes ou un calot, et puis je ne pouvais prendre que de la ferraille , nous ne roulions pas sur l’or ce se serait vu. Et puis il y eut les vacances à Paris, mes grands parents habitaient encore dans le 15eme et j’accompagnais grand-père le matin de bonne heure pour aller aux halles, charger le camion de lourds cageots de volailles. Nous passions les matins sur les marchés des boulevards environnants. Chaque jour un nouveau, avec ses têtes particulières tant chez les marchands que chez les chalands. Un crayon sur l’oreille et un tablier blanc un peu trop grand je poussais la réclame à tue tête : « venez acheter mes beaux oeufs tout frais, 13 à la douzaine, aller ma petite dame c’est pas le moment d’hésiter dans une heure y en aura plus et vous le regretterez… » J’avais développé là aussi un talent d’acteur consommé pour toucher le cœur des clientes et les faire acheter à peu près tout ce qui se trouvait sur l’étalage, car une fois ferrées, grand-père prenait le relais lui son truc c’était la gaudriole et l’affabilité. Vers 11h le grand Totor s’amenait , et en me voyant il soulevait un peu sa casquette en me toisant de sa hauteur de géant. Mais voyez vous ce sale petit menteur voleur disait il je m’en vais lui couper les oreilles en pointe, et il sortait de sa poche un opinel gigantesque comme pour mieux me montrer son aptitude à passer bientôt à l’acte. J’en tremblais, non pas que je ne l’adorasse pas ce Totor, mais son acuité à lire mon âme par le menu, dans sa noirceur, m’avait ébranlé, et je courrai alors dans les jupes de grand-mère qui à cette heure ci nous avait rejoint. Enfin, ce petit rituel achevé nous allions , grand père, Totor et moi au bistrot pour prendre un apéro bien mérité. Je crois que c’est au marché du boulevard Brune que je préférais aller, il y avait le perroquet. De son oeil rond il me regardait en inclinant un peu la tête et pendant que je sirotais ma grenadine ou mon diabolo menthe il commençait à éructer des menteur , menteur, picoteur qui me glaçaient le sang et rire à gorge déployée. Cela faisait aussi beaucoup rire les hommes autour de me voir sursauter. Mais ils recommandaient leurs verres, chacun payant sa tournée ça pouvait durer un bon moment, et on nous oubliait le perroquet et moi.. C’était d’une évidence limpide que j’étais un menteur pour tout à chacun et surement aussi un voleur. Même s’ils n’avaient pas de preuve, ils savaient tous. Et le plus étrange pour moi c’est qu’ils en rigolaient.Tout comme le perroquet. Aussi ai je commencé à dérober des butins plus conséquents. Dans la caisse les billets s’amoncelaient, grand père n’avait pas vraiment l’air de tenir des comptes précis alors j’en piquais un et le cachais au fond de mes poches. Quand nous faisions la sieste aussi , je me levais en catimini et allais inspecter les poches de sa cotte de travail noire, il n’avait pas de porte monnaie lui, et toutes les poches tintaient car toutes étaient chargées de ferraille. Une poignée d’un coup que j’enfouissais dans les miennes et je retournais me coucher. Un matin, alors que nous rentrions du marché, je fis tomber les billets que j’avais amassés peu à peu toute la semaine juste devant grand mère, dans la rue, je me baissais et d’un air innocent et étonné je lui montrais mon butin. Elle rit et s’exclama que j’étais un fameux chanceux, et ainsi pu je valider sans soucis mes dépenses à venir. Cette longue cohorte de méfaits non sanctionnés dans l’œuf produisit de lourds effets collatéraux. Tout d’abord je pris l’habitude de prendre les adultes pour des idiots, et par conséquent de me croire réciproquement malin. Et puis comme nul ne m’arrêtait jamais j’ai continué, en m’améliorant bien entendu et comme dépendant d’une drogue dure, j’ai commis des larcins de tout acabit envers la droiture et l’honnêteté. Celle du moins que je leur attribuais inconsciemment par ricochet de ma sensation d’être tordu et faux. Un jour, après des années d’exil, m’en revenant de je ne sais plus quel bagne je revins chez mes parents. Rien n’avait changé.Tout était comme je l’avais laissé en partant. Aucun meuble n’avait bougé.. et puis je demandai soudain : et grand mère ? Ils m’apprirent qu’elle avait perdu la tête depuis longtemps déjà dans la petite maison de retraite qui leur coûtait si chère chaque mois, aussi le lendemain nous primes la décision d’aller la visiter. Elle ne me reconnut pas , pas plus que mon père qui les larmes aux yeux sorti de la chambre et s’en alla fumer dans le parc. C’était l’heure du ménage de la chambre aussi l’installa t’on dans une salle au bout du couloir. Là devant un écran bleu de télévision, tous ces visages hébétés tournés vers une émission débile de jeu , me serrèrent le cœur. Même à l’antichambre du néant il fallait qu’on avait encore droit à ces conneries. Je posais la main sur la tête de celle qui avait été ma grand mère, lui caressant les cheveux, la chaleur que je sentais sous mes doigts était réelle, c’était un être humain bien plus qu’une idée, c’était une rencontre magistrale qui arrivait bien tard. C’est bon ce que vous me faites ricana t’elle d’une voix de petite fille, et puis tout de suite après : Mais vous êtes qui jeune homme je ne connais aucun barbu..? Alors je me suis tu cette fois, j’ai compris que c’était mon tour de faire semblant, et j’ai continué à caresser ses cheveux sans dire un mot. Le lendemain très tôt le médecin de la maison de retraite téléphona, elle était partie et je pleurais toutes les larmes de mon corps. Ainsi je crois que je parvins à l’art par la fatigue du mensonge inutile et des larcins médiocres. Ayant confusément détecté en moi une sorte d’habileté à travestir les faits et les êtres vis à vis de moi-même en tout premier lieu, j’ai du me dire naïvement que je pourrai donner le change au travers d’une oeuvre quelle qu’elle soit. La grande difficulté qui me restait à résoudre, c’était de trouver ce qui ne se montre pas , l’ellipse magistrale, le non dit au delà de ce qui est posé comme évidence, comme autorité.|couper{180}

Carnets | décembre

22 décembre 2018

Un jour que j’en avais par dessus la tête, que je piétinais, que je faisais des bonds, que je m’allongeais des heures sur mon lit à écouter ma respiration, un jour donc je me suis levé et je me suis dit : » bon ça va merde je reviens en enfance ! » Alors j’ai virer toute la paperasse qui traînait sur la table ronde de la chambre, j’ai tout enfoncer d’un grand coup de talon dans un carton. J’ai scotché, plutôt 5 fois qu’une pour être bien sûr. Et je me suis étiré en baillant un bon coup. C’est à ce moment là que je me suis mis à dessiner et à peindre comme un enfant A la gouache sur de petites feuilles de papier bon marché. Ce fut une révélation vraiment, toutes ces lignes maladroites, ces erreurs, ces pâtés quelle jouissance ! C’était juste pour moi, pour m’amuser comme un enfant. Chaque fois que je terminais une de ces petites peintures je les déposais sur le rebord de la cheminée de ma chambre d’hôtel et je m’asseyais devant pour les regarder. Je me souviens que j’avais pris comme idée de départ le joueur de flûte de Hamelin .. allez savoir pourquoi.. en tous cas ça a fonctionné j’ai tenté plusieurs techniques différentes gouache, aquarelle, acrylique, toujours comme un gamin jusqu’à peindre même avec les doigts. Des dizaines de petits tableaux en quelques journées. C’était juste à un moment où l’écriture m’avait tellement terrassé que je n’en pouvais plus de voir le monde au travers de son filtre. Le retour à l’enfance par la peinture m’a lavé de quelque chose de mortifère , peut être d’une adolescence qui n’en finissait pas se s’achever. Evidemment j’ai tout égaré de ces dessins et peinture dans mes multiples déménagement, on avance à condition de rester léger. Une chose me stupéfie encore quand j’y repense : pourquoi avoir choisi ce thème du joueur de flûte de Hamelin … ? Je n’en sais toujours fichtre rien et au fond peu importe. Et vous savez quoi ? en voulant retrouver le livre je vais sur Google et je ne trouve pas même pas en vente chez Amazon.. bizarre non ? Un peu plus tard Tagore et moi Nous nous retrouvions le soir et dans la nuit d’été. Lorsque dans le couloir j’entendais son pas léger je coupais la télé et brûlais de l’encens dans ma tasse vide. Alors nous nous serrions ensemble sur le lit défait et il me racontait les mystères sans trop les dévoiler. Rabindranath était de Calcutta, bien plus âgé que moi qui passait mon temps à m’abîmer dans l’idée de vieillir, sa souplesse physique n’avait de pendant que l’habileté de son discours concis . Je me souviens encore : sa langue limpide et ses mots simples pénétrant mon cœur comme la lame d’un scalpel. Enivré par Tagore je devenais fou. Il fallait jaillir, retrouver urgemment la rue. Jaillir de la boite étroite que représentait la chambre, que représentait mon corps, que représentait mon cœur, oui jaillir comme un diable à ressort, s’élancer à à sa poursuite. Tagore marchait à grand pas et je me demande encore s’il ne lévitait pas … Irrémédiablement et ce malgré toute ma mauvaise volonté, je me retrouvais devant un comptoir. Je comptais mes pièces en lorgnant l’échanson.. la marche donne soif alors je buvais. Je buvais à Tagore, à mon insignifiance, à l’indicible toujours renouvelé, et à la fin je crois bien que je buvais tout bêtement pour boire. C’est tout proche de l’aube que je rentrais chez moi , les premiers camions- poubelle jetaient leur lueurs bleutées sur l’asphalte mouillé, alors je remontais lentement l’escalier , rejoignais mes boites, me rangeais en vrac, et pour tout oublier enfin j’allumais la télé. Et encore après, la nuit de Noël Malgré le froid piquant j’avais ouvert la fenêtre pour écouter battre le pouls de la ville affolée. C’était ce soir réveillon, rien n’était à louper. En bas le clodo gueulait comme un beau diable, sur sa litière cartonnée. Sa voix légèrement gutturale escaladait les façades et se perdait dans le crépuscule. Des passants passaient comme des poux tout en bas, ça me grattait la peine, ça me grattait l’ennui. J’avais refusé l’offrande obligatoire. Non que j’eusse un manque de disponibilité, comme disent les banquiers. Non ça m’écœurait tout ce raffut, cette fête à neuneu, cette fabuleuse orgie alimentaire, ce désastre d’hypocrisie familialement partagé. Cela faisait plus de 8 ans que je n’avais vu mes parents. Pas de coup de fil, pas de lettre, rien. La coupure totale et franche sans bavure. J’imaginais noël la bas et ça ne m’enchantait pas. Ces montagnes de bidoche, de pâtés, de foie gras, d’ortolans ou de dindes additionnés d’un ou deux gros chapons …non, ça ne me disait pas d’entendre en tâche de fond pour éviter de se parler les chansons d’Henri, les conneries de Jacques, à la télé et la voix de ma mère ajoutant » il est bien bon ce petit Sauternes » en se réservant copieusement. J’avais choisi l’exil par nécessité vitale, à rester au chaud là-bas rien n’aurait jamais poussé, une fatalité stérile, et une putain d’odeur de renfermé et de tabac froid mélangée aux non-dit, à ce qui jamais ne se dit, à ce qu’il ne peut se dire. Et depuis chaque jour je pensais à eux, ils n’avaient pas quitté ma tête ni mon cœur, à croire que le Génie des familles m’avait bien eut. Je l’entendais ricaner, allongé sur un profond canapé de cuir.. fallait bien faire avec, y a toujours un prix à payer. C’est comme ça. Difficile à comprendre cette banalité. Mon inaptitude crasse m’avait éreinté. J’allumais une cigarette et regardais encore en bas. Les gens l’enjambaient sans même s’excuser tant ils semblaient pressés. J’avais un peu de soupe en boite et deux trois pommes de terre alors j’eus une idée dingue, comme ceux qui osent tout je me dépêchais de passer à l’acte avant qu’une autre idée aussi fameuse la supplante et annule ce bel empressement. Je descendis les escaliers de l’hôtel pour apporter un bol de soupe et deux patates chaudes au clodo. Evidemment celui ci m’envoya chier copieusement et je remontais dans ma boite la queue entre les jambes tout penaud voir même en colère contre le bougre. Quel con il a pas voulu de ma soupe… c’est pourtant le soir de noël merde ! Et là je crois que j’ai appris plusieurs choses d’un coup.. dont je vous ferai l’économie bien sur.|couper{180}

Carnets | décembre

21 décembre 2018

Le père du Ying et du Yang Paysage abstrait huile sur toile @PatrickBlanchon Je sors dans la cour pour sentir le temps qu’il fait tout d’abord. En général j’ai avec moi une tasse de café noir que je sirote doucement en écoutant les premiers oiseaux chanter. Ce chant qui vient du fond des temps, à la frontière de l’aube et de la nuit , un divertissement apaisant qui m’éloigne par désœuvrement de l’essentiel. Une fois le seuil de l’atelier franchi, j’ai toujours un petit malaise, une petite épreuve à traverser entre l' »à quoi bon » et le « je ne sais pas quoi faire. » Bien sur je fais des plans sur la comète, bien détaillés, fouillés, documentés, et en les relisant je grille cigarette sur cigarette. Toute notion de planification m’impose de me quitter. De retrouver ce moi qui ne sera pas moi. Cette apparence. Puis j’envoie tout cela bouler et je m’installe devant ma toile vierge ou inachevée. Je reste là sans rien faire un petit moment. J’essaie de comprendre et je ne comprend jamais. Mais je renouvelle la tentative pratiquement chaque matin. Sans cette tentative à quoi bon renoncer ? Puis, une fois rendu à l’évidence, désarmé par celle-ci, je prépare mes couleurs, en général seulement les 3 primaires avec un peu de blanc dans le centre de la palette. Et puis je disparais, réapparaît, au fur et à mesure des effacements, des ajouts, des erreurs, des tons gris ou sales, des excès de gras, des manques de gras, des couleurs trop vives, des couleurs trop ternes. Et tout cela ne tient qu’à moi, et moi je tiens à lui … à tout ce désordre dont j’ai besoin absolument pour trouver l’ordre. Le Graal c’est un peu ça la quête… Et les pièges sont nombreux avant d’y arriver. D’ailleurs je ne cesse de tomber dans tous, sans doute parce qu’au fond je sais très bien de quoi il s’agit. Il faut faire des centaines de tableaux pour le comprendre, pour en être définitivement certain. Et des que l’on croit comprendre, surtout ne pas s’y arrêter, ce n’est jamais cela vous comprenez. Ce sont juste, chaque tableau un indice, une coquille vide, celle d’une défaite toujours renouvelée. Il n’y a rien d’important là dedans, rien que l’on puisse voir sur un seul tableau, non ça je ne pense pas qu’on puisse le voir, j’ai beaucoup espéré la dedans.. mais c’est passé. J’imagine que quelque chose se situe entre tous les tableaux, oui il y a cette histoire dont je vous parle un peu, l’intimité du peintre si l’on veut. Ah j’oubliais de préciser ne tentez pas de faire comme moi, vous n’y parviendrez pas, je m’entraîne depuis trop longtemps et maintenant je me tais, il est l’heure d’y aller .|couper{180}

Carnets | décembre

19 décembre 2018

Cela commença imperceptiblement, par un léger frisson, sans doute dû à la fatigue, à ces nuits d’insomnies traversées, à tous ces mots jetés sur le papier comme on remplit des sacs poubelles lors de déménagements. Puis cela devint plus net. Tout le corps tremblait désormais et j’éprouvais une sensation de froid glacial. Nous étions en août et les voix fortes et épicées des grand Zaïrois s’élevaient depuis la rue des Poissonniers rejoignant les cris des martinets dans une proximité d’heure de pointe. Même la fenêtre refermée je ne pouvais pas ne pas les entendre. Des odeurs de chevreaux grillés les avaient accompagnées ces voix. L’odeur de viande brûlée m’était insupportable. Me relevant mollement pour faire couler l’eau de l’unique robinet du lavabo, je remplis le verre et le bu d’un trait. Peut-être un peu de fièvre aussi saisissais-je la boite de doliprane il devait être 18h et le soleil était encore haut dans le ciel. Normalement, à cette heure j’aimais sortir de l’hôtel et prendre le pouls de la ville dans ce coin fabuleux du 18 eme. Au rez de chaussée je ne manquais jamais de saluer la concierge en échangeant un mot ou deux. Elle serait ainsi moins virulente qu’avec d’autres lorsqu’il s’agirait de payer le terme et puis bon dieu comme je me sentais seul. Alors échanger deux mots dans la journée me permettrait de conserver un rapport si minime soit il avec le reste de l’humanité. Ainsi cultivant mon gout pour la survie, entretenais je le même type d’échanges minimalistes avec les caissières du supermarché voisin, le buraliste qui me fournissait en tabac et le loufiat du bar du coin ou j’aimais prendre quand je le pouvais mon petit crème du matin. La folle de la chambre attenante, nous n’étions séparés que par une cloison fine comme du papier, devait être absente car je n’entendais pas le bruit familier de ses toussotements, de ses paroles incohérentes qu’elle jetaient d’ordinaire sur les parois comme un boxeur s’entraîne à molester son sac. Ce qui me décida c’était qu’il ne me restait presque plus de tabac. J’envisageais la nuit proche et ne me résolvant pas à m’en passer, je fouillais toutes les poches de pantalons, vestes, manteaux pour trouver un peu de monnaie, lorsqu’un billet de 50 francs tomba comme une manne sur le plancher. Joyeux de ces retrouvailles et plein de gratitude envers la providence et ma nature désordonnée je descendis. La concierge absente, j’économisais mes mots puis m’engouffrais dans la chaleur du soir. J’avais traversé à grandes enjambées la place de Chateau-Rouge, sa cohue, ses odeurs de piment, de sueur et d’épices, pour enfin parvenir à mon hâvre de paix, la Rue Custine. Alors peu à peu je ralentissais le pas, la rage retombait et mon regard suivait les mouvements des feuillages des hauts platanes qui à la façon d’une haie d’honneur m’accompagnaient vers Jules Joffrin. Ce doit être dans ce café, que je m’arrêtai. La première bière accéléra rapidement mon envie d’uriner et c’est en ressortant des toilettes que je la vis, appuyée contre le bar. C’était une femme sans age, mal fagotée, je ne me souviens plus si elle était brune ou blonde. Elle était ivre ça c’est certain et nous nous accrochâmes l’un à l’autre sans trop tourner autour du pot. Après m’avoir asticoté un bon moment elle me ferra d’un « on va chez toi ? » Je me rappelle encore des années après cette humiliation dont elle m’abreuva en critiquant ma vigueur sexuelle à son égard .. c’était des vas y bon dieu baise moi mais baise donc, plus loin, plus fort .. mais je restais définitivement d’une mollesse insultante à son égard. Aux environs du troisième ou quatrième « qu’est ce tu fous connard » je me levais, me rhabillais et la flanquais dehors. Et tu crois que c’est gratuit me jeta t’elle encore ? Alors je sentis dans ma poche le billet de 50 francs et lui donnais. Elle partit sans demander son reste et je m’asseyais sur mon lit une migraine terrible me terrassant à nouveau. En mettant la bouilloire en route pour me préparer mon nescafé je ne me sentais pas bien fier mais je me mis quand même à rigoler. Mon rire au début léger comme un coureur à pied qui s’élance à petite foulée devint assez rapidement tonitruant, puis carrément hystérique enfin, il me permit de me vider les poumons, de chasser l’air et les pensées viciées de ces dernières heures. J’ouvrai la fenêtre, la nuit était là projetant ses grands bras sur les façades de craie. j’allumais une cigarette et respirait lentement. Peu à peu le calme revint. Dans le couloir des bruits de talons, la folle rentrait chez elle. J’entendis un moment ses hurlements étouffés ses grattements aux murs et puis tout s’arrêta. Je crois que c’est à partir de ce jour que j’ai décidé de ne plus écrire une seule ligne. Nous fabriquons parfois des objets dans l’instant présent mués par des intentions multiples tant la confusion de vivre se mélange dans l’être et dans l’avoir. Pour retrouver la clarté, il faut bien plus biffer qu’ajouter. Mais comment se séparer de l’excès ? Du trop plein pour retrouver la faim, la soif naturelles ? Dans la régularité peu à peu le chaos cent fois, mille fois revisité par la mémoire mensongère, par l’idée de beau et de laid qui choisit et rejette, laisse l’eau troublée malgré tout effort. Sans doute par ce que cet effort ne sert à rien que de parvenir à la conclusion que notre lucidité n’est rien d’autre que la dernière de nos illusions.|couper{180}

Carnets | décembre

17 décembre 2018

Plus j’avance en âge plus je suis pris d’un vertige quand je pense à tout ce que je ne sais pas faire et que probablement je ne ferai sans doute jamais. Je ne piloterai jamais un avion de chasse, je ne jouerai jamais de premier rôle dans un film d’aventure, je n’épouserai pas Marylin Monroe et le soufflé au fromage, je le crains, restera à tout jamais une énigme. En fait, plus je réfléchis à ma vie, plus je me dis que jamais je n’ai rien su faire vraiment de mes dix doigts. Je veux dire par là, en y croyant vraiment, car bien sur j’ai fait trente six mille métiers j’ai connu des maîtresses qui valaient bien Marilyn et j’ai aussi sauté en parachute à défaut de conduire un Mirage. Mais ce n’était toujours que moi comprenez vous ..? Bien sur la malédiction de » l’a quoi bon » pourrait expliquer en partie une telle inaptitude à l’appropriation franche et massive de mes actes passés et dans ce cas sans doute je pourrais me lamenter sur mon sort en me réveillant à presque 60 ans d’une crise d’adolescence un peu trop prolongée. Cependant ce malaise s’envole aussitôt dès que je me retrouve attablé devant vous à écrire ces mots. Se mettre à table dans le cadre policier est un aveu, alors soit, puisque j’ai décidé d’utiliser ce cadre je vais avouer. Je vais avouer que j’ai toujours pensé être bien plus malin que les autres pour commencer. Plus malin que mes parents que j’ai regardé trimer toute leur vie en cherchant à les faire sortir d’eux même de nombreuses fois par mes écarts de conduite répétés. Je n’avais pas de haine, pas de colère, non juste une envie persistante de les voir eux , en tant qu’êtres humains et non comme des stéréotypes de ne je sais quelle feuilleton de série B. Alors pour cela j’ai utilisé de nombreux stratagèmes, pour commencer envers moi-même afin d’oublier le but de mes actes, de mes erreurs, de mes errances. Il fallait que tout soit enfoui au plus profond de moi que je ne m’en souvienne plus. Donc oui j’ai éprouvé de la haine, de la colère, oui et j’ai fait largement de mon mieux pour bien comprendre l’entourloupe, le vol et le massacre. Et si cela vous parait contradictoire c’est que vous avez encore pas mal de chemin à faire pour être vraiment vous. Je veux dire au delà de moi. Moi, éternel insatisfait tremblant de trouille et de rage. Moi capable de toutes les petitesses pour ne jamais dire je t’aime. Moi hypertrophie des neurones sur pattes Moi gros con attendrissant et désarmant pour mieux vous planter par derriere Moi le salaud, l’horrible, l’insupportable. Ce sale petit gamin qui se cache derrière un masque en espérant être découvert un jour. Ce petit garçon envahit par toute l’ignorance du monde à un tel point qu’il s’invente un rasoir de lucidité tranchante pour le découper, le déchiqueter, l’entendre se dégonfler hurler gémir. Tout ce que je ne sais pas faire et que je ne saurai jamais faire : c’est être sans faille, lisse et poli comme un beau galet avec lequel le vent et l’eau jouent en se déchirant, dans le cri de la mouette, la naissance des ruches. Pourquoi pas le silence ? Oui tu es froid et blanc sans accroc et sans rêve, l’haleine des rivières à l’aube embrume tes lointains et mon bouchon sur l’onde tremble, taquineries des algues ici pas de lourd brochet ni de fine ablette à ferrer Pas de ploiement de scion aucune tension de fil Juste le long cri de l’hirondelle là haut qui s’apprête à rejoindre les vents chauds du sud. Alors pourquoi pas le silence Total assourdissant comme un arbre qui tombe Et laisse derrière lui le blanc d’une trouée Et laisse derrière lui l’amitié des racines, la voix de l’étoile pâle jusqu’à la pierre enfouie. Pourquoi pas le silence Un chevreuil est passé près de lui une biche Les deux m’ont regardé J’étais au bord de dire au bord de leur parler quand soudain je ne sais plus je me suis rappelé Pourquoi pas le silence Alors je suis rentré. Puis ceci sur la Dombe : Quand je traverse la Dombe, je guette l’envol des grues, la pâleur des marais, le bruissement des herbes et tout m’appelle vers toi. Garce magnifique, amère comme une pinte dont le souvenir reste après qu’on t’ait baisée , si peu qu’on t’ait aimée… « Être vivant, c’est être prêt. Prêt à ce qui peut arriver, dans la jungle des villes et de la journée. D’une prévoyance incessamment et subsconciemment ajustée. L’état normal, bien loin d’être un repos, est une mise sous tension en vue d’efforts à fournir… Mise sous tension si habituelle et inaperçue qu’on ne sait comment la faire baisser. L’état normal est un état de préparation, de disposition vers les gouffres » « connaissance par les gouffres » Henri Michaux.|couper{180}

affects Auteurs littéraires écriture fragmentaire
peinture à l'huile représentant un visage de clown en gros plan

Carnets | décembre

14 décembre 2018

Intense mais calme, méditative, continuelle mais pas têtue, l’intention polarise le sable du chemin sur lequel s'engager. Mieux, l’intention est chemin. Son ennemie pourrait être la distraction mais il n’en est rien. On pourait même imaginer que celle-ci lui est liée ontologiquement. Comme un chauffeur de taxi dans le fond silencieux, mais avisé, l’intention parlerait de la pluie du beau temps, de la politique, pour mieux reposer le voyageur en elle. Puis arrive le mot {revers } Il y aurait un endroit où le revers serait annoncé par un ensemble de fifres, de hautbois et de couverts dominicaux. Le vin coulerait à flots dans des coupes adamantines, en l’honneur du Héros , des pages et des gueux qui l’accompagnent. Car le revers a tant de choses à dire qu’il se présente non glorieux mais un tantinet buté de prime abord. C’est bien la l’unique raison de le fêter comme on cognerait sur une viande pour l’attendrir. Ainsi, enivré par la louange et la douceur, se mettrait il à table. Confiant de par l’attention que lui prêteraient les convives, il sortirait de sa poche le butin de sa quête. C’est bien connu que chaque revers se doit de nous montrer à son retour ce qu’il n’a pas atteint. Tout le monde ouvrirait alors de grands yeux et évidemment le rien deviendrait pour chacun un quelque chose à sa mesure. C’est là le génie de tout revers de nous apprendre le plan de table de l’Hôte qui nous convie à écrire ou lire ces quelques lignes. lacedemoniens @PatrickBlanchon Suite à une panne subite mais certainement providentielle, me voici contraint de ramasser mon propos, n’ayant que mon smartphone pour assouvir mon envie d’écrire. Et cela me rappelle Villiers de L’Isle-Adam quand il raconte Sparte. {Située à l’extrémité Sud du Péloponnèse entre la Messénie et l’Argolide se tient Sparte en Laconie.} A Sparte donc le vol est le passage obligé par lequel tout enfant Lacédémonien doit jouer des coudes pour parvenir au regard de ses congénères. André Gide précise aussi la raison du pourcentage proche de 0 du nombre d’artistes qu’à connu la ville qui précipitait les gamins chétifs dans des oubliettes. Et cela me réjouit de comprendre soudain d’où je viens. Si j’étais moi je m’applaudirais presque. Mais restons laconiques. Un tableau nommé L'écuyère et un petit poème Entre ses cuisses douces et chaudes lorsqu’elle chevauche, L’axe des limbes, vers l’oubli, ourdit l’orage et des espoirs œuf coupé Immobile et vibrant, robuste Energiquement s’élance vers les sommets rêvés par la plus noire des profondeurs Se tient satin inouï, orange Amère l’amie, la mort, la vie.|couper{180}

Auteurs littéraires idées

Carnets | décembre

12 décembre 2018

Ce mot provient du persan, du nom d’un mathématicien du XI ème siècle, Al-Khwârizmî,né dans les années 780 dans une région de l’Ouzbékistan nommée Khwarezm. Ses écrits, la plupart du temps rédigés en langue arabe furent traduits en latin au XII ème siècle et permirent ainsi l’introduction de l’algèbre en Europe. Le bonhomme, mathématicien, géographe, astronome et astrologue prodigua ses services, et probablement son enseignement dans l’ une des « maisons de la sagesse » qui fleurissait dans le nouveau souffle d’un nouveau monde , le temps du califat Abasside. Muhammad Ibn Musa al-Khwârizmi exerçait son art quant à lui à Bagdad. Fondée en 762 après la bataille du grand Zab contre les Omeyades , Bagdad tirerait son nom du persan (donnée par Dieu) et c’est la toute jeune capitale du monde Arabe qui dardera ses rayons pendant environ 500 ans durée approximative de la dynastie Abasside. Le calife Al Mansour, est en effet très influencé par la culture persane et désire donc déplacer l’attention du monde depuis l’ancien Damas en Syrie ( La ville du Jasmin ) qui était la capitale administrative d’une province de l’empire Ottoman. Damas entretient des liens étymologiques avec »sham », on retrouve ainsi cette étymologie dans la province de Sham, le pays de Sham mais aussi dans le mot cham qui désigne la gauche lorsqu’on se tourne vers l’orient, à contrario du sud, le Yemen . Damas, est une évolution abrégée sans doute de la locution Dimachq al sham. (arabe) Dans ses maisons de sagesse , l’attention est portée sur des traductions de textes concernant les mathématiques,discipline peut-être voire surement tirée de l’étude des cosmogonies, branche de l’astrophysique qui a pour but d’étudier l’origine, la nature, la structure et l’évolution de l’univers, mais également sur l’histoire, la géographie, la philosophie, et la poésie tant, pour les savants de cette époque, universalistes, des connections évidentes s’effectuent encore entre toutes ces disciplines. Mais revenons à cette notion d’algorithme. Un algorithme est donc une sorte de panacée apte, sinon à trouver un remède à tous les maux, à résoudre d’une manière générale une quantité importante de problèmes donnés. Comprenez qu’il faille les préciser, c’est à dire les couper en instances, de la même manière qu’on couperait les cheveux en quatre. C’est que pour résoudre un problème nous avons pris l’habitude de le découper. Ici ce qui m’importe ce n’est pas le problème mais le mot « résoudre » qui possède le triple sens de décider ( je me résous à résumer mon propos ) mais aussi » décomposer » dans le sens de faire passer un corps d’un état à un autre. Et enfin « trouver » la solution à un problème. Comme Picasso par exemple qui pour résoudre le problème du sujet se mit à le trouver dans la ligne plutôt qu’à le chercher dans les méandres de son esprit. C’est la version « mystique » en quelque sorte, tout droit issue du monde Soufiste et en ce sens je reviens un peu à l’origine de mon propos de départ, cette relation secrète entre l’ algorithme et l’un de mes poètes préféré : Omar Khayyâm. qui vécu dans le milieu de la période Abasside ( 1048-1131). A cette époque l’Afghanistan s’appelle encore le Khorassan et Omar passe une partie de son enfance à Bahli puis s’établit à Nishapur. Entre temps on le retrouve à Ispahan pour organiser la réforme du calendrier solaire durant 5 années durant lesquelles il s’occupera d’observations astronomiques en même temps que d’élaborer son oeuvre poétique et fréquenter les tavernes. Comme il risque la disgrâce après la mort du sultan Mālikshāh pour être allé un peu loin avec ses poèmes, il alla faire un tour à la Mecque et tout rentrera dans l’ordre pour mon plus grand bonheur car ainsi il continuera à écrire ses quatrains et moi de les lire comme des mantra. Le nom de Khayyâm indique que probablement son père était fabriquant de tentes. Mais sous une autre lecture, selon un système ésotérique que l’on appelle le systeme abjad, Kayyâm deviendrait al-Ghaqi : « le dissipateur de biens. »expression qui dans la terminologie soufie est attribuée à « celui qui distribue ou ignore les biens du monde constituant un fardeau dans le voyage qu’il entreprend sur le sentier soufi » .d’après Omar Ali-Shah. « Khayyam, qui cousait les tentes de l’intelligence, Dans une forge de souffrances tomba, subitement brûla ; Des ciseaux coupèrent les attaches de la tente de sa vie ; Le brocanteur de destins le mit en vente contre du vent » (Omar Khayyam (trad. Armand Robin), Rubayat, Poésie/Gallimard) La difficulté du traitement de l’information en tant que problème, instance c’est sa susceptibilité face à la croissance ou l’inflation , c’est à dire comment interagir de façon élastique, souple dans une forme donnée lorsque celle-ci subit la pression ou la dépression de ce qui la constitue . Quel est le filtre ou le critère majeur qui perpétuera son écologie en le faisant croître sans l’exploser ..? Ce qu’il convient de comprendre c’est qu’il faut un filtre. Peu importe lequel. Ce dernier est un ensemble de variables à ajuster selon le client qui paie dans le monde de l’avoir . Dans le monde de l’art ce filtre, il se pourrait que ce fut longtemps la beauté, pour des raisons de volumétrie ( la plus-value est plus longue à obtenir et inclut le paramètre de postérité) . Quant au monde de l’Etre si l’on cherche la plus haute qualité mieux vaut aller au simple et ne conserver qu’un filtre de justesse. « Au printemps, je vais quelques fois m’asseoir à la lisière d’un champ fleuri. Lorsqu’une belle jeune fille m’apporte une coupe de vin, je ne pense guère à mon salut. Si j’avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu’un chien. » Omar Kayyâm Un peu plus tard dans la journée ... Pour cette fois c’est vers le mot anglais readiness que je dirigerais mes pas écartant dans un même temps les mots alicrity et enthusiasm. Ces derniers contenant une aura d’avidité pragmatique ou mystique qui ne sied pas à mon propos. Readiness, de readi ou ready être prêt..me propose plus une connection intime à l’instant et l’ajout du suffixe ness marquant en outre une notion de qualité me convient dans ce contexte encore mieux. Aussi loin que remontent mes souvenirs j’ai toujours fait preuve d’empressement donc, de readiness. Que ce soit sur le chemin de l’école, accompagné de mon père, je m’empressais de saluer toutes les personnes rencontrées en ressentant un trouble au cas ou je puisse en omettre la plus petite la plus insignifiante. Cet état, à la fois de grâce et d’obligation contraignante tout de même ,s’acheva lorsqu’un matin, mon père n’y tenant plus me demanda si je connaissais tous ces gens que je saluais de bon cœur. Malgré tout ma bonne volonté je dus me résoudre à répondre par la négative ce qui occasionna deux choses : Les rides que mon père portait au front se renforcèrent et je crois qu’il abandonna définitivement l’idée d’être l’auteur d’un génie. Ce qui aurait pu nous soulager tous les deux d’un poids et nous rassembler une bonne fois pour toutes comme un père et un fils dans un magnifique sourire. Mais la providence ou peut-être le crachin qui commençait à tomber pendant que je vous raconte ce moment, entrava cette possibilité naissance et elle avorta dans l’œuf. Permettez cependant que j’y revienne. A cet empressement. Car malgré tous les tourments, toutes les claques, tous les rires, tous les dos tournés qu’il provoqua je parvins à ma maintenir vivant suffisamment longtemps pour me sentir apte à en parler. Parallèlement, mon père, toujours lui, avait sur son bureau une petite sculpture en laiton ou en cuivre représentant les 3 singes, celui qui ne dit, ni n’entends, ni ne voit. Ce symbole de la retenue magistrale, d’une pudeur génétique m’intrigua longtemps avant que je ne comprenne qu’il s’agisse d’un emblème. Celui là même semble t’il à opposer à tout empressement. Il en résulta entre mon père et moi un très long quiproquo qui ne s’acheva et songeais je encore avant d’écrire ses lignes qu’à sa mort. Il n’en fut pas tout à fait comme cela. Car depuis que je m’empresse envers la moindre personne, je ne peux m’empêcher concomitamment d’apercevoir dans les yeux de celle ci désormais un regard aussi mystérieux que simiesque et entendre le rire tonitruant de mon paternel.|couper{180}

Technologies et Postmodernité

Carnets | décembre

10 décembre_2 2018

Dans le livre : « Le chemin des nuages blancs » écrit par le lama Anagarika Govinda , un allemand convertit au bouddhisme tibétain et qui vécut 30 ans en Inde du Nord, il y a un passage dans lequel il parle d’un vieux moine qui entretient le temple où il a trouvé refuge. C’est un très vieil homme qui reçoit apparemment une petite pension de la part de la confrérie des moines et l’auteur comprend qu’il reverse presque tout l’argent à l’entretien du Temple. Pour vivre le vieil homme ne conserve qu’une natte et un bol.|couper{180}