janvier 2022

Carnets | janvier 2022

Bilan 2022, vœu pour 2023

illustration peinture de Garouste Une femme enceinte qui chevauche un âne, une belle allégorie n'est-ce pas ... Cette année 2022 s'est achevée. Et quelle année ! Un peu plus de 10 000 visiteurs sont passés sur le blog soit 39% de plus qu'en 2021. 1008 articles ont été publiés. J'adresse donc de très sincères remerciements à toutes et tous , abonné(es) ou non, pour l'attention, le temps passé, et surtout l'indulgence vis à vis des contenus publiés sur celui-ci. En commençant à rédiger les premiers textes, il y a cinq ans désormais, loin d'imaginer que je pouvais faire preuve et vis à vis de moi-même d'abord, d'une telle régularité ou obstination afin d'écrire quelques lignes ou pages et les publier de façon quotidienne. Encore que je ne me souvienne pas de m'être jamais forcé à écrire comme s'il s'agissait d'une corvée, Au contraire, j'éprouve de plus en plus un plaisir louche à persévérer. Louche, car la notion de plaisir, mise en avant ainsi, me renvoie à celle de confort, de jouissance, à une désinvolture ou une nonchalance parfois. Et qui, sitôt que j'en prends conscience, aurait plutôt tendance à m'exaspérer. Surtout parce que la configuration de mon caractère place le travail en tête, et donc la facilité que je ressens à écrire au quotidien désormais comme une sorte de tare. Disons que je suis en vénération du travail à un point tel que je le place sur un piédestal et que j'ai la sensation permanente que mon abstinence puisse être la meilleure offrande à lui adresser. En outre je n'ai jamais éprouvé la certitude agréable, cette fatigue qui surgit et indique que l'on a assez travaillé pour prendre un repos bien mérité. Le corps médical, si c'était un effet de sa bonté de se pencher sur mon cas, poserait un diagnostic plus juste que je ne suis en mesure de le faire quant à cette dépendance, cette addiction dans laquelle j'ai sombré. Probable que je serais bien mieux à ma place dans une maison de fous qu'ici, à tourner en rond comme un derviche au centre de sa persistance. Impossible encore de dire où l'écriture conduira ce blog, j'ai abandonné tout plan tracé sur la trajectoire des comètes et c'est aussi un effet plutôt positif de 2022 que cette prise de conscience. C'est à dire cette carotte que représente , pour moi surtout, la notion de projet. Car parvenir à en réaliser le moindre serait mettre un pied dans la tombe évidemment. Achever un projet c'est s'achever soi-même. Cela ne signifie pas pour autant que l'ignorance ou la providence ne s'affairent pas. Et puisque je renonce à la carotte il ne me reste plus que le bâton pour seconder l'inconscience-en laquelle je crois bien plus que de raison- pour continuer à cheminer vers les buts qu'elle voudra bien. Aussi pas de projet déclaré en passant la douane de cette année neuve sauf évidemment ceux enfouis tout au fond de ma poche et dont je ne parle pas de peur d'avoir à payer trop de taxes. Sur ce plan moins on en dit mieux c'est, comme quoi il n'est jamais si tard que l'on imagine pour apprendre encore et s' améliorer vers qui nous sommes vraiment. Pour conclure je vous souhaite tout de bon pour cette année 2023 afin de me conformer à l'usage au cas encore où, parmi vous, certains ignoreraient que le temps n'existe pas, qu'il n'est que vue d'esprit et souvent borné d'œillères. Vœu unique donc, essentiel, que vous obteniez la plus belle largesse d'esprit et de cœur dont vous rêvez.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

27 janvier 2022

La remise en question est essentielle chez les artistes. Il ne faut pas en abuser pour autant, mais honte à ceux qui ne cillent jamais, qui ne sont pas empoignés par le doute, qui ne se remettent jamais en question. Je pense à un crabe. Je pense à ce crustacé qui pratique la tangente comme vecteur de déplacement. Et j’admire. J’admire d’autant plus que je suis en ce moment en train de réviser mes classiques : la divine proportion et la section dorée. Une telle austérité s’est abattue cet hiver qu’il faut bien trouver sa pitance quelque part coûte que coûte, et, s’il le faut, s’en inventer de nouvelles à partir du souvenir. Toujours, le souvenir ne cesse d’osciller dans chacun de nos instants avant de prendre lui aussi la tangente, de s’élancer vers l’inconnu, le sans-nom, la soi-disant nouveauté. Faire du neuf avec de l’ancien est une constante. Comment faire autrement ? Certains se font capturer par la tendance, qui n’est que fragilité, déjeuner de soleil. Tenir compte de la tendance, certes, mais ne pas l’adorer comme un benêt. Il est possible que le nombre d’or ne soit qu’une simple vue de l’esprit qui perdure, dont on se gargarise cycle après cycle quand tout se barre en couille. Je veux dire comme ce fantasme d’ordre qui revient lui aussi lorsqu’on ne comprend plus du tout les vertus du fouillis. Lorsqu’on s’égare si loin parfois que l’urgence des balises et des repères nous ramène par de mystérieux souffles à la rêverie du concret. Par chance, je suis mauvais en géométrie. Du moins, j’ai toujours préservé l’effort d’y plonger tête en avant. Ma géométrie est personnelle, intime. Je pourrais faire l’éloge du crabe, en peindre quelques-uns, réinventer la symbolique, rejoindre les visionnaires défunts, les Klee, les Kandinsky, qui parlent de la rigidité des verticales et des horizontales comme autant de lignes ennemies. Je pourrais faire mille choses qui soudain surgissent dans mon esprit. Mais je ne le fais pas. J’applique toujours en priorité sur moi-même les lois que je décèle. Je ne le fais pas, je me mets dans la peau, la carapace du crabe, je prends la tangente et je cavale ventre à terre, dans une ivresse mêlée d’effroi et de désir. Je répudie la tendance en usant jusqu’à la corde l’ivresse des tangentes, je me tiens à la pyramide. Pas celle des Égyptiens, non, celle des éternels besoins.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

26 janvier 2022

Je ne savais pas que la passion était comme ma bagnole et qu’il fallait l’entretenir. En général, je ne vais chez le garagiste que lorsque j’ai un problème : un voyant qui s’allume, l’airbag qui me comprime, le tuyau d’échappement qui fume. Cela s’appelle de la négligence, d’après mon épouse qui trouve toujours les bons mots pour adoucir les angles. En ce qui concerne la passion, elle dit souvent aussi que je suis négligent. Et je lui fais confiance, puisque je l’aime. Mais la négligence, c’est un joli mot ; encore faut-il savoir pourquoi les gens s’en servent à votre égard. Une phrase qui me fait toujours rigoler, c’est : « Un égoïste, c’est quelqu’un qui ne pense pas à moi. » Je la sors en cas d’extrême nécessité, une fois par jour en moyenne. — Tu as encore oublié de changer l’ampoule dans la salle de bain, tu ne t’intéresses vraiment pas à la vie de la maison, ni d’ailleurs à moi, tu n’es qu’un égoïste. — Un égoïste, c’est quelqu’un qui ne pense pas à moi, je réplique. Ça n’améliore jamais vraiment les choses, mais qu’est-ce que ça fait du bien. Et puis, au bout du compte, lorsque la mayonnaise retombe, mon épouse est la première à en rire. Elle apprend, j’apprends, nous apprenons tous les jours grâce à de petites phrases comme celle-ci, vous voyez. Une autre chose qui revient beaucoup aussi, c’est : « Je ne savais pas que tu étais comme ça quand je t’ai épousé. » — Oui, j’ai perdu mon cheval blanc quelque part entre le vin d’honneur et la mairie, je dis. Je me demande bien où il a pu passer… Et en passant, mon amour, nous nous sommes épousés l’un l’autre. Ne prends pas tout sur tes frêles épaules. S’asticoter ne fonctionne pas toujours, mais j’avoue que lorsque cela fonctionne avec un ou une partenaire, le gros du boulot est amplement fait question entretien. Sinon, oubliez ce qui est noté dans les magazines, ce n’est rien qu’un tissu de conneries. Vous savez, toutes ces petites attentions que les amants se doivent comme des traites de crédit au jour le jour. J’ai essayé plusieurs fois, et avec des femmes différentes : ça ne fonctionne pas. Je veux dire que la gentillesse ne suffit pas. Vous rendez l’autre débiteur, et c’est extrêmement énervant d’être débiteur. Évidemment, tous ces conseils que je vous prodigue tout à fait gratuitement ne valent que pour les couples normaux. Je veux parler de tous ces couples pour qui traverser le mois ressemble à une expédition de Paul-Émile Victor vers le Pôle, et qui finissent pratiquement en lambeaux le 30. Quand la seconde lettre de rappel de la banque nous stupéfie par l’agressivité de son ton, quand tous les voyants sont au rouge et que l’on attend la visite d’un huissier d’un instant à l’autre. Là, la passion est exacerbée. Pimenter le quotidien par tous les moyens possibles et imaginables, cela fonctionnera toujours, croyez-moi. Par contre, si vous vivez une existence de nanti, sans aucun souci pécuniaire, si tout vous est permis et que vous ne faites que patauger lamentablement dans l’embarras du choix, vous pouvez être certain que votre relation finira tôt ou tard en eau de boudin. C’est ce que l’on appelle, je crois, l’ennui du quotidien. Et dans ce cas de figure, même si, par hasard, vous pensez soudain à offrir un saphir ou un couteau suisse à votre partenaire, comme ça, sans autre raison que le fait de vous rappeler qu’il faut faire quelque chose, il y a de grandes chances pour que cette offrande devienne suspecte. — Pourquoi donc m’offre-t-il ou elle cela ? Remarquez que si vous vous y prenez bien, vous pourrez retomber sur vos pieds et revenir à mon premier conseil assez aisément ainsi, sans trop d’effort. — Pourquoi m’offres-tu soudain des fleurs ? Tu as un truc à te faire pardonner ? Tu as une maîtresse, etc. Et là, vous revenez à la normale en un tour de main. Vous pouvez laisser planer un lourd silence ou bien parler du couteau suisse qu’elle vous a offert la veille, histoire de répliquer dans les clous. — Hum, tu penses ça parce que, peut-être, ce couteau suisse que tu m’as offert hier était une façon de noyer le poisson. Si ça se trouve, t’as un amant aussi… S’ensuit une journée au poil, composée de pics, d’estocs, de bouderies, de retrouvailles. Au pire, que risquez-vous vraiment ? Évidemment, si vous vous trompez vraiment mutuellement, c’est ballot, et dans ce cas mes conseils ne vous serviront de rien, puisque déjà la passion s’en est allée voir ailleurs si j’y suis. Prenez du temps pour vous asticoter chaque jour, sinon vous pénétrerez dans la dangereuse zone de l’indifférence mutuelle. Vous ne serez plus que des colocataires, voire pire, de bons amis. Dans ce premier conseil, j’ai glissé un bonus sans même vous le dire. J’ai mêlé savamment deux conseils en un : soigner toutes les petites attentions envers l’autre, et en même temps ne pas oublier de partager du temps avec elle ou lui. Ne me remerciez pas. Mon troisième conseil est de communiquer encore et toujours avec l’autre. Et nous avons déjà vu que le ton, le contenu importaient finalement assez peu. Vous pouvez tenter la gentillesse, l’amabilité, la bienveillance aussi, de temps en temps, ça ne mange pas de pain. Mais rappelez-vous qu’en matière de passion, la régularité se confond vite avec l’ennui. Pour mon propre compte, échanger dans la gentillesse m’en apprend beaucoup moins que dans n’importe quel autre registre, tout simplement parce que nous avons une idée préconçue, totalement artificielle de ce qu’est la vraie gentillesse. À chaque fois que je me suis retrouvé face à une femme gentille, pour ma part, je détectais de nombreux points communs avec des spots publicitaires qui cherchaient à me vendre quelque chose. La gêne, le malaise ressenti face à un tel avilissement de l’autre me hérisse le poil, et j’en ai des frissons d’effroi rien que de m’en souvenir. Se dire son amour mutuel, le clamer, le trompeter sera mon antépénultième conseil. Mais là, par pitié, ne sombrez pas non plus dans les clichés. Ne dites pas avec votre mine de chien battu : — Mon amour, comme je t’aime, je ne pourrai jamais vivre sans toi… Ça, c’est carrément le remède contre l’amour : vous ouvrez la porte aux pires emmerdements, je préfère vous prévenir. Ce sont ces petites phrases-là qui parlent du véritable amour, n’en doutez pas. Mon dernier conseil porte sur la sexualité (faites donc sortir les enfants). Là, je ne vais pas y aller par quatre chemins : la surprise, l’étonnement, la fantaisie, voilà les ingrédients qui fonctionnent à tous les coups. D’ailleurs, achetez un futon : c’est tellement inconfortable que cela vous obligera à être créatif. Et comme vous ne dormirez plus la nuit, que vous serez au radar le jour, abandonnez-vous à la Providence qui fait toujours extrêmement bien les choses. Aiguisez votre perception du moment propice pour réaliser la bête à deux dos. Et surtout, n’ayez pas peur de l’incongru, de l’inconfortable, du malséant… les plus beaux orgasmes surgissent régulièrement de toutes ces bizarreries du temps et de l’espace. Avec tout ça, si vous foirez, ça ne sera sûrement pas de ma faute, et ne m’envoyez pas de lettre recommandée : je ne vais jamais les chercher.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

25 janvier 2022

Toutes ces précautions pour ne pas blesser l’autre, ne finissent-elles pas dans l’évitement ? Souvent, je m’écarte volontairement des débats, de plus en plus. Je ne formule plus que des onomatopées. L’idée, c’est l’humour, le dérisoire, comme Auguste face à un Monsieur Loyal. C’est aussi se casser la figure pour de bon, pour montrer que l’on peut se relever et continuer. Que des choses peuvent nous blesser, bien sûr, mais que la vie est la plus forte. Car qu’est-ce qui est blessé le plus souvent ? Ce n’est pas la vie. La vie fait feu de tout bois. Notre orgueil, l’image que nous nous faisons de nous-mêmes ? Certainement. Dans ce cas, les blessures sont des étapes obligées, il faudrait pouvoir les considérer ainsi. Être conscient que l’on en est conscient n’est encore pas suffisant. S’élever au-dessus de cette conscience encore, non pas pour n’être blessé de rien — ce serait inhumain. Être blessé, tomber, se voir ainsi chuter comme au ralenti, comme dans un accident de la route, puis s’évanouir et laisser les commandes à ce qui doit advenir. Cela requiert un niveau de confiance, pas un niveau de conscience. Un niveau que je n’atteins pas évidemment, que je ne veux pas atteindre non plus, car il ne serait encore qu’une idée, qu’une pensée. Ce ne serait pas ça.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

24 janvier 2022

Toutes ces précautions pour ne pas blesser l’autre, ne finissent-elles pas dans l’évitement ? Souvent, je m’écarte volontairement des débats, de plus en plus. Je ne formule plus que des onomatopées. L’idée, c’est l’humour, le dérisoire, comme Auguste face à un Monsieur Loyal. C’est aussi se casser la figure pour de bon, pour montrer que l’on peut se relever et continuer. Que des choses peuvent nous blesser, bien sûr, mais que la vie est la plus forte. Car qu’est-ce qui est blessé le plus souvent ? Ce n’est pas la vie. La vie fait feu de tout bois. Notre orgueil, l’image que nous nous faisons de nous-mêmes ? Certainement. Dans ce cas, les blessures sont des étapes obligées, il faudrait pouvoir les considérer ainsi. Être conscient que l’on en est conscient n’est encore pas suffisant. S’élever au-dessus de cette conscience encore, non pas pour n’être blessé de rien — ce serait inhumain. Être blessé, tomber, se voir ainsi chuter comme au ralenti, comme dans un accident de la route, puis s’évanouir et laisser les commandes à ce qui doit advenir. Cela requiert un niveau de confiance, pas un niveau de conscience. Un niveau que je n’atteins pas évidemment, que je ne veux pas atteindre non plus, car il ne serait encore qu’une idée, qu’une pensée. Ce ne serait pas ça.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

Récoltes

Illustration : Monet meules de foin. J'en ai vu qui avaient à peine semé qu'ils se préparaient déjà à récolter. D'autres qui récoltaient ce que d'autres encore avaient semé. Autour des récoltes, des questions, des réponses, la même ritournelle Du sourire à la morsure, à la déchirure. Je me suis dit on verra plus tard. Je ne veux pas participer à la danse, ni aux feux de la Saint-Jean, ni à rien de toutes ces choses où la cruauté s'avance à pas de louve avec un joli sourire. Je veux de la cruauté nue surtout. Elle est apparue Cette cruauté en moi. Comme une épouse. Quelle occupation que celle-ci, la conjugale ! Et l'amour n'a pas grand chose à voir dans cette histoire. Pas cet amour là dont on parle tout autour des récoltes. On parle toujours d'autre chose bien sur, sans en parler vraiment. On parle de la tristesse du fruit mur qui pourrit sur la banche On parle au conditionnel avec des « si » et des « donc » et des « parce que ». On parle affaire régulièrement, et de tout cet argent qui manque cruellement. L'argent est le synonyme des récoltes désormais. C'est le symbole de nos vies, sa mesure et sa marque. Est-ce tout ce que nous sommes ? Pour la cruauté oui, Souvent c'est ainsi et comment lui donner tort ? Comment pourrais-je l'attendrir avec mes blagues et mes fleurs ? Pourquoi voudrais-je même l'attendrir ? On ne joue pas avec le feu on s'y chauffe simplement ou on s'y brûle. A chacun de trouver la distance. A chacun aussi de se jeter à corps perdu dans la récolte ou d'apprendre un peu plus loin qu'il n'est raison, la patience. Même si au bout on ne rencontre que lassitude et exaspération Il s'agit aussi de tenir.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

De quoi s’agit-il ?

Illustration : Jean Désiré Bacoulès Femme assise. — Je suis perdu, je ne sais pas où je vais, je ne sais plus ce qu'il faut faire, de quoi s'agit-il vraiment ? La litanie, toujours la même. Enervante à souhait au petit matin lorsque l'atelier est glacé. L'un de mes chauffages m'a lâché et je ne sais pas quand je vais pouvoir le remplacer. Moi aussi je pourrais participer au concert. Quand donc tout ça va t'il s'améliorer ? A la Beckett, quand donc est-ce qu'on va naitre enfin bordel ? Mais je ne dis rien. Ce coup là je n'ai pas envie. Je me tais. On me le reproche du regard. Avant c'était mieux, tu nous parlais de philosophie, on avait la sensation d'avoir un double cours. On en avait plus pour notre argent. On était heureux. Et maintenant, tu sembles absent. On t'a perdu. Mon épouse en profite pour rebondir. — ah tu vois je ne suis pas la seule à le dire. Je ne sais pas quoi dire, en ai-je vraiment envie ? Ai-je envie de m'excuser, de me justifier de quoique ce soit ? Je pourrais par exemple dire : trop de blabla, trop de magie tue la peinture. Mais je ne le dis pas. J'allume une cigarette, je m'habitue au froid. Je pense à tous ces poèmes qui me réchauffent le matin, ils me glacent mais ils me réchauffent. Le feu et la glace. Je mesure mon insignifiance à l'aune de la poésie, à sa justesse, celle impossible à exprimer justement. De quoi s'agit-il donc ? De quoi ça parle ? Justement ça parle d'un certain silence que l'on recouvre de mots. Comment dire ça, comment faire comprendre que la peinture c'est la même chose désormais que j'ai tant déployé d'artifices, pour justement entrainer tout ce petit monde vers le bon sens. C'est comme l'amour, on s'en fait des idées mais ces idées ne servent à rien dans la réalité. Il faut peindre comme il faut aimer dans une austérité dépourvue de pétards et de cotillons, il faut bannir l'atrocité des fêtes. Voilà de quoi il s'agit mais comment le dire sans provoquer de nouvelles agitations, je ne le sais pas. Je fais silence. Un peu plus tard je découvre les peintures de Jean Désiré Bacoulès au hasard de la navigation. Cette femme assise notamment. De quoi s'agit-il ? J'y trouve ma lassitude probablement.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

23 janvier 2022

Preuve déjà, que la pagaye n’est pas un vain mot, j’ai trouvé trois façons de l’écrire différemment : Pagaye comme Céline : « Y avait à croûter chez lui et en abondance !… Du muscadet comme en bas, du saucisson, des artichauts et des petits suisses… en pagaye alors ! » (Céline, Mort à crédit). Pagaïe comme Cendrars : « La pagaïe ? Mais c’est quand les événements débordent les règlements édictés dans un État bien policé qui n’a rien laissé à l’imprévu » (Cendrars, La Main coupée). Pagaille comme Malraux : « Là-bas, c’est la pagaille effroyable : les pauvres vieux se piétinent dans les escaliers » (Malraux, L’Espoir, 1937, p. 719). Allez, il faut choisir : Am, stram, gram, Pic et pic et colégram, Bour et bour et ratatam, Am, stram, gram. Céline, en ce moment, m’est le plus proche, donc : pagaye, ça ira. Je pense à la pagaye de mon disque dur. Sans déconner, je n’essaie pas de proposer une métaphore, c’est vraiment un bordel sans nom, une truie n’y retrouverait pas ses petits. Ça me reprend encore de vouloir mettre de l’ordre. Signe des temps, j’imagine. Tous voudraient mettre de l’ordre partout, quand on les écoute attentivement : tous leurs discours, en gros, ne font que tourner en rond autour de ça. Mon ordre est plus gros que le tien, plus beau, plus ceci, plus cela. Ça doit influencer les masses, moi y compris. Mais qu’est-ce que cette pagaye ? D’où vient-elle ? Dans le dictionnaire des marins, ils en parlent : ils parlent de la pagale, qui est une façon de laisser tomber l’ancre comme on s’écroule sur le canapé après une journée de boulot. Plouf ! Ça ira bien comme ça, et laissez tomber, pas besoin de carguer ni de serrer les voiles. Tout le monde dans la cambuse, on mange la soupe et on se couche, on verra bien demain. Les mêmes disent aussi jeter en pagale tout un tas de choses hétéroclites dans la cale, c’est-à-dire en se foutant royalement de l’encombrement que ça prendra. Généralement bien plus de place ainsi « occupée » que dans le rangement. D’ailleurs, prenez une pagaye et essayez de la mettre en ordre, et vous verrez un truc étrange. Il y a plein de choses qui ne servent strictement à rien, ou alors les mêmes choses plusieurs fois, comme des tentatives de clonage de l’inutile. Servir à rien. Je m’arrête là-dessus un petit instant, car la question est là : Qu’est-ce qui sert à quelque chose, finalement ? Et nous, avec nos occupations, est-ce qu’on sert à quoi que ce soit, vraiment ? Dans ce disque dur, qu’y a-t-il donc de si important pour que je mette autant de pagaye par-dessus afin de ne pas le trouver ?|couper{180}

Carnets | janvier 2022

Dire ce que tout le monde sait

Que puis-je dire que tu ne saches déjà ? C’est ce que je me dis dans le silence Sans doute le sais tu et l’as tu oublié ou bien mis de côté Car tu es occupé à dire tout autre chose pour te préparer à l’oublier Un jour tu me rejoindras dans le silence Nous n’éprouverons plus le besoin de fuir Ce besoin de dire ce que tout le monde sait.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

22 janvier 2022

— Cher Sadhguru, je trouve bien plus facile de m’émerveiller du monde naturel que de l’humanité… comment être émerveillé par les êtres humains comme je le suis par le paon qui danse ? — Eh bien… c’est un être humain, n’est-ce pas ? Non non, je me demande si c’est un oiseau qui pose une question… ? (petit rire) Eh bien, les êtres humains n’ont pas d’aussi belles plumes que les paons… Il caille. J’ai tourné à fond le bouton du radiateur de la Dacia. Je viens d’achever ma journée de travail, il est 21h30. Personnellement, à cet instant, je suis émerveillé que ma bagnole démarre du premier coup. C’est ce dialogue sur lequel je tombe. Ce dialogue entre un grand sage hindou et un de ses disciples. J’ai fait une fausse manip en sortant du parking et YouTube me propose ça. Bon, je voulais plutôt écouter une émission sur la peinture, mais j’ai les mains prises parce que j’allume une cigarette en même temps. Ma tablette est à côté, sur le siège passager. Laissons aller, pourquoi pas ? Trop crevé pour résister. Et puis en vrai, ça m’interpelle aussitôt ce dialogue. Je suis intrigué parce que, moi non plus, je ne porte pas vraiment les êtres humains dans mon cœur en ce moment. Je serais plutôt comme ce type qui pose sa question : à vouloir m’émerveiller des paons et de tout un tas de choses extraordinaires, plutôt que de tomber en pamoison devant n’importe quel être humain. Même si je voyais, à cet instant précis, sur le bas de la route, une très belle femme faisant de l’auto-stop avec un magnifique sourire aux lèvres, je ne m’arrêterais pas. Rien que d’y penser, je suis déjà dégoûté par ce long chemin à effectuer pour revenir chez moi. De plus, j’imagine qu’il faudrait certainement nourrir une conversation, et ça me fatigue d’avance. Tenez, rien que d’imaginer tout cela, je souris tristement. Car il y a une dizaine d’années, je n’aurais pas agi ainsi. Je me serais arrêté, bien évidemment, et j’aurais dit : — Mais bien sûr, à votre service, montez ! Et avec le sourire en plus, le genre de sourire que l’on imagine sincère, vous voyez… sincère un peu comme pour se prouver qu’on l’est. Oui, je peux tout à fait m’émerveiller de la présence d’un oiseau au loin, plutôt que de celle d’un être humain. Moi aussi, je le peux désormais. Sans tomber dans le panneau. J’écoute la conversation entre le grand maître yogi et ses disciples, enfin le monologue. Il a l’air d’un vrai sage, Sadhguru. De temps en temps, je jette un coup d’œil sur l’écran : turban sur la tête, longue barbe blanche, petits yeux rieurs, posture de yoga en tailleur. Fascinant, allais-je dire. Pitoyable, me reprends-je. Tout ça me renvoie des milliers d’années en arrière, j’ai l’impression. Au temps où moi aussi, je m’émerveillais des paons comme des êtres humains, je ne faisais à vrai dire pas de réelle différence. C’est normal, car je vivais seul. D’une certaine manière, je ne prenais aucun risque. Aucun paon, si magnifique soit-il, à cette période de ma vie, ne chiait dans mon salon, et lorsque moi-même j’éprouvais le besoin de me rendre aux toilettes, je n’avais pas à m’agacer en constatant que quelqu’un s’y trouvait déjà. La route défile, l’ampoule du phare gauche a dû griller, car l’intensité du faisceau est plus faible de ce côté de la route. Tout comme dans ma cervelle, je pense. La partie droite est plus puissante que la gauche, qui rend toute analyse, tout calcul, toute stratégie totalement ridicule désormais. Étrange époque que cette époque du virus. Ce type, ce yogi, il m’est soudain sympathique, plein de bon sens surtout. J’imagine presque aussitôt sa solitude. Être obligé de s’accoutrer ainsi, comme un yogi, un sage, pour dire ce qu’il a à dire afin que les gens veuillent bien prendre le temps de l’écouter… d’un seul coup, je rigole tout seul. Je me demande : pourquoi éprouver ce besoin d’être écouté… ? Pourquoi s’imposer aussi ce genre de « mission », si cela en est une ? Avec ces périodes de confinement successives qui ont frappé le monde, nous avons été obligés de cohabiter comme jamais auparavant. C’est-à-dire que nous nous sommes retrouvés confrontés à nos contradictions les plus profondes. Ces merveilleuses femmes et hommes qui se jurent un amour éternel sur les réseaux sociaux, confinés chez eux individuellement ou en famille, se seront sans doute aperçus de cette contradiction. Aimer, adorer les gens de loin, c’est très facile. Vivre avec eux, partager le quotidien, beaucoup moins, même si on en a souvent rêvé. Du coup, je pense à cette exposition que j’ai installée dans mon village. C’est mon épouse qui se charge d’effectuer les permanences, car je vais par monts et par vaux pour mes cours. J’imagine que je suis un visiteur, je pousse la porte, et je vois tous ces tableaux accrochés sur les murs de la galerie. Je les vois comme si ce n’était pas moi qui les avais réalisés. Ils sont magnifiques, tout à fait comme de beaux paons avec de jolies plumes. Est-ce que j’aurais envie d’en accrocher le moindre sur mes murs ? Et surtout de vivre avec chaque jour qu’il me reste à vivre… Bien sûr que non. Chez moi, les tableaux ne restent pas en place. D’un mois à l’autre, mon épouse se charge de la déco, qui est sans arrêt renouvelée. Cela entraîne au détachement. Mon épouse… je pourrais aussi parler de la féminité, comment l’immobile envoie tout le mobile valdinguer… et comment tout ce qui est merveilleux à priori change totalement de visage selon la distance avec laquelle on le regarde. Mais je ne confonds pas les oiseaux avec les femmes non plus, du moins cela fait bien longtemps que je ne fais plus cette erreur. Je ne veux pas mettre le lien vers la vidéo YouTube. Du coup, je cherche une image de ce yogi farceur, et je tombe sur une photographie en noir et blanc de lui jeune avec son épouse. Je l’aime beaucoup ainsi. Il a dans le regard quelque chose qui m’explique la suite de son parcours. Ce mélange de mépris et d’amour que le yoga doit certainement, avec le temps, trouver le moyen de réunir dans une forme divertissante.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

Blessure

Toutes ces précautions pour ne pas blesser l'autre, ne finissent t'elles pas dans l'évitement ? Souvent je m'écarte volontairement des débats, de plus en plus. Je ne formule plus que des onomatopées. L'idée c'est l'humour, le dérisoire, comme Auguste face à un Monsieur Loyal. C'est aussi se casser la figure pour de bon pour montrer que l'on peut se relever et continuer. Que des choses peuvent nous blesser bien sur mais que la vie est la plus forte. Car qu'est-ce qui est blessé le plus souvent ? Ce n'est pas la vie. La vie fait feu de tout bois. Notre orgueil, l'image que nous nous faisons de nous-mêmes ? certainement. Dans ce cas les blessures sont des étapes obligées, il faudrait pouvoir les considérer ainsi. Etre conscient que l'on en est conscient n'est encore pas suffisant. s'élever au dessus de cette conscience encore non pas pour n'être blessé de rien, ce serait inhumain. Etre blessé, tomber, se voir ainsi chuter comme au ralenti, comme dans un accident de la route, puis s'évanouir et laisser les commandes à ce qui doit advenir. Cela requiert un niveau de confiance, pas un niveau de conscience. Un niveau que je n'atteins pas évidemment, que je ne veux pas atteindre non plus car il ne serait encore qu'une idée, qu'une pensée, ce ne serait pas ça.|couper{180}

Carnets | janvier 2022

Pan !

illustration : Dessin numérique Les gens paniquent facilement ces derniers jours. Pan ! un gamin fait éclater un sachet de papier et tout le monde se retrouve à plat ventre. C'est drôle. Je crois que nous adorons ça. On ne le montre pas évidemment. Ca ne se fait pas, c'est même parfois honteux, mais on adore paniquer. Sinon pourquoi entrer dans la panique aussi aisément et aussi régulièrement. Il y a même des gens qui n'en ressortent jamais tellement ils adorent l'intensité que produit cette sensation électrique. Pan ! Le dieu Pan avec ses cornes et ses sabots fourchus. Un beau diable de dieu. Une addiction à la panique comme à l'alcool, au sexe , à la marijuana c'est possible ? Mais oui bien sur j'en suis persuadé et derrière tout cela l'allégresse évidemment. Au sein de nos plus belles paniques, une allégresse, un enthousiasme, exactement ceux qu'on ne peut jamais laisser déborder quant tout est normal, calme, serein...|couper{180}