Preuve déjà, que la pagaye n’est pas un vain mot, j’ai trouvé trois façons de l’écrire différemment :

Pagaye comme Céline :
« Y avait à croûter chez lui et en abondance !… Du muscadet comme en bas, du saucisson, des artichauts et des petits suisses… en pagaye alors ! » (Céline, Mort à crédit).

Pagaïe comme Cendrars :
« La pagaïe ? Mais c’est quand les événements débordent les règlements édictés dans un État bien policé qui n’a rien laissé à l’imprévu » (Cendrars, La Main coupée).

Pagaille comme Malraux :
« Là-bas, c’est la pagaille effroyable : les pauvres vieux se piétinent dans les escaliers » (Malraux, L’Espoir, 1937, p. 719).

Allez, il faut choisir :

Am, stram, gram,
Pic et pic et colégram,
Bour et bour et ratatam,
Am, stram, gram.

Céline, en ce moment, m’est le plus proche, donc : pagaye, ça ira.

Je pense à la pagaye de mon disque dur. Sans déconner, je n’essaie pas de proposer une métaphore, c’est vraiment un bordel sans nom, une truie n’y retrouverait pas ses petits. Ça me reprend encore de vouloir mettre de l’ordre. Signe des temps, j’imagine. Tous voudraient mettre de l’ordre partout, quand on les écoute attentivement : tous leurs discours, en gros, ne font que tourner en rond autour de ça.

Mon ordre est plus gros que le tien, plus beau, plus ceci, plus cela. Ça doit influencer les masses, moi y compris.

Mais qu’est-ce que cette pagaye ? D’où vient-elle ?

Dans le dictionnaire des marins, ils en parlent : ils parlent de la pagale, qui est une façon de laisser tomber l’ancre comme on s’écroule sur le canapé après une journée de boulot. Plouf ! Ça ira bien comme ça, et laissez tomber, pas besoin de carguer ni de serrer les voiles. Tout le monde dans la cambuse, on mange la soupe et on se couche, on verra bien demain.

Les mêmes disent aussi jeter en pagale tout un tas de choses hétéroclites dans la cale, c’est-à-dire en se foutant royalement de l’encombrement que ça prendra. Généralement bien plus de place ainsi « occupée » que dans le rangement.

D’ailleurs, prenez une pagaye et essayez de la mettre en ordre, et vous verrez un truc étrange. Il y a plein de choses qui ne servent strictement à rien, ou alors les mêmes choses plusieurs fois, comme des tentatives de clonage de l’inutile.

Servir à rien. Je m’arrête là-dessus un petit instant, car la question est là :

Qu’est-ce qui sert à quelque chose, finalement ? Et nous, avec nos occupations, est-ce qu’on sert à quoi que ce soit, vraiment ?

Dans ce disque dur, qu’y a-t-il donc de si important pour que je mette autant de pagaye par-dessus afin de ne pas le trouver ?