septembre
Carnets | septembre
30 septembre 2018
Ce serait la première couleur, préexistante avant toutes les autres. Couleur associée à la phase de dissolution, de décomposition de la matière. Cette noirceur n’a pas d’autre qualité que celle qu’on peut lui attribuer. Elle est neutre de nature. Il y a de la boue, de la merde, des humeurs, du sang et du sperme mais ça ne sent rien de particulier en dehors de l’observateur la noirceur reste neutre scellée comme la nuit ou le vide cosmique. Cette noirceur, comment établir sa présence lorsqu’on a les yeux du quotidien, le regard du siècle et que tous les néons de la fête n’ont pour seule fonction que d’éclairer notre divertissement ? Comment savoir que sans celle ci , la « nigredo », nous ne sommes qu’enfants perdus dans la rêverie de Dieu à son 4 ème jour. Car bien sur on ne peut que le constater : la création n’est encore terminée et, si le Très haut nous a fait à sa ressemblance, nous avons encore 3 jours devant nous pour nous parfaire. Ou pas, n’oublions pas le libre arbitre. Tout peut encore basculer à l’aurore, et en dormant nous rêvons ou cauchemardons notre destinée inconnue. Englués encore dans la noirceur qu’il faut dissoudre jusqu’à la lie nous hurlons, pleurons, rions, courrons ,frappons, caressons alors que le silence nous couve de ses grands yeux sombres et brillants. Bob Dylan disait ‘écoute dans le vent’ et il avait raison. Il est bon de guetter le son de la nature et ce qu’elle laisse au vent porter jusqu’à nos oreilles souvent bouchées. Les forces de la noirceur et de la lumière ne l’oublions sont toujours associées et je mettrais bien ma main à couper ou au feu que ce n’est pas une association de malfaiteurs. Après sachant ce que donnent les paris, les plans sur la comète et les châteaux en Espagne… Féminin et masculin veillez l’une sur l’autre tandis que la lune danse dans la nuit noire ivre de souvenirs, engrossée par le vieux soleil.|couper{180}
Carnets | septembre
29 septembre 2018
Le temps, quatrième dimension de notre espace, désormais appelé « espace-temps » est un paramètre incontournable en peinture. En combien de temps vais-je réaliser cette toile ? devrait être une contrainte que le peintre se donne pour calmer son excès de liberté et sa toute puissance créatrice. Il est logique de penser qu’une œuvre d’art nécessite des dizaines d’heures de travail et qu’a contrario trois lignes placées au fusain sur une feuille de papier ne prennent que quelques secondes, ce qui ne retire en rien à la beauté et à l’émotion que ces trois lignes peuvent susciter . En fait les deux se valent. L’un n’est pas plus « beau » ou « expressif » que l’autre dans l’absolu. Ces deux œuvres ne sont que des émanations du temps dont disposait leur auteur pour les exprimer. Dans mes cours de peinture cette contrainte du temps, j’ai finit par la proposer aux élèves qui malgré un plan de réalisation assez précis parfois pouvait étendre la réalisation d’un tableau sur plusieurs mois, suivant le format choisi, la technique utilisée, leur motivation comme leur assiduité. — Je veux faire ça ! — Ok mais en combien de temps ? Et là cette question oblige à prendre en compte quelque chose d’autre : Evaluer la durée. De là à imaginer un art du temps il n’y a pas bien loin. Lorsqu’on travaille à l’huile il est souhaitable d’entreprendre plusieurs tableaux en même temps suivant les temps de séchage assez longs. Plusieurs formats également, changer le format peut accélérer ou ralentir le temps. Choisir aussi des supports inédits qui font qu’on leur attribue une plus ou moins grande importance ( feuille de journal, carton, bristol récupéré, papier d’emballage etc ) car l’importance qu’on accorde ainsi permet de traverser des frontières inédites également. Celles du mental notamment dont la propriété est de tout passer au tamis de son contrôle. En Asie, l’art du temps est plus un art du temps présent, de l’immédiateté, mêlé à la contrainte du geste juste. Mentalité différente de la notre avide de résultats immédiats, les peintres travaillent d’abord la notion d’immédiat sans recherche de but. Il faudrait un jour qu’un peintre se fasse creuset et réunissent ces deux approches du temps… Peut-être Fabienne Verdier y parvient elle mais encore isolée son travail devrait attirer plus de peintres à tenter l’expérience alchimique. Dans cet art du temps il est d’ailleurs possible que le mental soit le cyclope à enivrer afin que l’intuition agile et ses compagnons l’audace, la fulgurance, la vitesse et la souplesse puissent enfin respirer à l’air libre. Sur la dissolution. La dissolution est un terme bien connu des alchimistes qui savent l’implication des actions effectuées du microcosme vers le macrocosme. Lorsqu’on chauffe un minerai à une certaine température on » ouvre » ce minerai c’est à dire qu’on libère celui ci d’une gangue brute, sans valeur particulière pour le transmuter en un autre état plus subtil. Avec les progrès de la physique quantique ou pas on commence à comprendre que l’observateur joue un rôle capital dans toute expérimentation qu’il effectue. Nous ne sommes pas extérieurs à ce que nous pensons, faisons, ressentons, expérimentons, nous sommes l’expérience. C’est pourquoi agir sur la dissolution du métal en le chauffant dissout aussi en nous quelques scories, et ce faisant nous amène, en persévérant bien sûr, à une qualité différente de nous même, si tant est que l’or est plus précieux que le plomb ce dont je ne suis pas du tout certain, il est clair que les deux métaux sont d’une composition différente. En alchimie chercher l’or est une tarte à la crème, comme en notre époque chercher la sainteté ou la renommée revient à la même confusion des genres. D’ailleurs les chercheurs cherchent parfois longtemps alors que les anciens trouvères et autres troubadours trouvaient le mot juste pour illustrer une grande bataille, un haut fait ou bien juste rendre hommage à la beauté des filles . L’alchimiste, le peintre devraient se concentrer sur « trouver » plus que chercher car trouvant des miracles en l’extérieur, et il y en a grand nombre, ils en trouveraient par écho un grand nombre en eux mêmes. Encore que pour cela notre idole installée , fixe et rétive à tout changement laisse passer le courant. C’est en ce sens que le commencement demande de dissoudre l’idole gentiment, sans trop la heurter non plus car elle aurait tendance comme le Bernard l’Hermite à se recroqueviller sur elle même et à procurer à son possesseur des semelles de plomb sur son cheminement spirituel ou artistique.|couper{180}
Carnets | septembre
27 Septembre 2018
« L’avait l’ don, c’est vrai, j’en conviens, L’avait l’ génie, Mais sans technique, un don n’est rien Qu’un’ sal’ manie… Certes, on ne se fait pas putain Comme on s’ fait nonne. C’est du moins c’ qu’on prêche, en latin, A la Sorbonne… » Ce morceau du « mauvais sujet repenti » du très regretté Georges Brassens trotte dans ma tête depuis ce matin, belle journée d’automne, sans courrier, sans accroc, sans même une tâche de peinture. En marchant vers le supermarché le plus proche de chez moi je siffloterais presque. Ce matin j’ai décidé, aussitôt posé le pied à terre, que ce serait une bonne journée. Et du coup ma démarche s’en ressent, même le dos semble moins voûté. Pas la moindre petite douleur articulaire non plus , ce sera vraiment une journée épatante. En marchant le cerveau est bercé comme un bébé, l’âme pendouille agréablement quand le mental étourdi de lumière n’a aucune invective particulière à formuler, sans contrainte tout en soi vagabonde. Donc un don sans technique ne serait qu’une sale manie …ne perdons pas le fil quand même. La fin de la strophe fait tout de même référence à la Sorbonne en gage de sérieux et c’est encore toute la force des textes de Brassens. Le non-dit qui se planque derrière le dit tout haut. Avoir un don et ne pas le travailler c’est mal ; rappelons nous qu’on nous enseigne au catéchisme que nous sera comptée l’utilisation bonne ou mauvaise de nos talents. Il doit bien y avoir quelque chose de vrai dans cette menace. Encore qu’il ne faille pas forcément atteindre le purgatoire le paradis ou l’enfer pour en faire l’expérience. Combien d’élèves avaient une facilité à dessiner et ont laissé tomber car il fallait pratiquer ? Sans la motivation un don ne vaut pas grand chose non plus on dirait bien. D’un autre côté le don ne procure pas que des conséquences agréables et je peux comprendre qu’on l’abandonne , qu’on ne veuille plus le montrer . Celle ou celui qui le cultive s’attire au mieux l’envie sous toutes ses déclinaisons y compris pécuniaires au pire une arrogance plus ou moins prononcée envers ceux qui en sont dépourvus. C’est que ce cadeau finalement, on pourrait le trouver louche, quelle contrepartie va t’il falloir donner ? On ne se fait pas putain comme on se fait nonne, ajoute le poète Et c’est l’avis de l’institution , la fameuse Sorbonne. Mais la mienne peut bien différer. J’ai connu dans ma jeunesse des péripatéticiennes tout à fait convaincues d’être en lien avec le Très Haut et qui avaient élevé leur pratique à la hauteur d’un sacerdoce. Nous allions, joyeuse compagnie, tous ensemble à saint Eustache une fois l’an en pèlerinage de je ne sais plus quoi et de la Sorbonne on s’en cognait bien proprement. Il fait plutôt frisquet ce matin là dans la Grande Galerie du Louvre que je traverse avec ma ventouse planquée comme une arme le long de ma cuisse. Les toilettes des dames étant encore bouchées. Il y a juste devant le très imposant Watteau, une jeune fille bien proprette qui a apporté un pliant et qui dessine le visage du Gilles. J’engagerais bien une conversation mais ma ventouse m’encombre et je me contente de faire un léger crochet pour apercevoir son travail. Copie conforme… mince me suis je dit un sacré coup de crayon et puis je suis parti vers mon labeur en esquivant presque une glissade tant le parquet était reluisant et lisse. Ils viennent souvent, les élèves des Beaux Arts et d’autres lieux sanctifiés pour se faire la main sur les beaux tableaux du grand temple quasi pharaonique parigot. Cependant ils copient tous bien fidèlement, j’en ai peu vu qui s’inspiraient, qui interprétaient à leur façon. Sauf un qui était tout chétif, dépenaillé et qui me rappelait Soutine. Lui ne regardait que sa feuille et pas du tout le tableau devant lequel il se trouvait. A priori on aurait pu penser qu’il cherchait un abri et que c’était une sorte de planque des mauvais jours . Mais non en regardant bien son travail , nous avions fini par sympathiser, il s’inspirait mais ne reproduisait pas. Il y avait un air de famille lointain avec les tableaux que je croisais tous les jours , comme une sorte de continuité d’un travail commencé bien avant lui. Je n’ai jamais su ce qu’il était devenu , un jour j’ai quitté le Louvre pour une autre aventure et je ne l’ai jamais revu.|couper{180}
Carnets | septembre
25 Septembre 2018
Dans les périodes difficiles il est nécessaire de réfléchir à ce dont on a vraiment besoin pour vivre. Tant d’éléments perturbateurs ne sont autour de soi que pour nous distraire, mais de quoi ? La distraction est un mot d’ordre, une sorte d’hypnose collective qui enrichit certains pendant qu’elle en appauvrit d’autres. De quoi voulons nous tant nous distraire ? Cette question ressassée mille fois n’a que peu de réponses. Et si c’était l’échec et la mort et toutes leurs variantes. De l’échec car dans ce monde ou seule la réussite prime celui ci est devenu incompréhensible. Et pourtant ceux qui réussissent sont ceux qui ont eu le plus d’échecs, on évite de trop y penser. Il serait intéressant de réhabiliter la notion d’échec dans tous les domaines de notre vie, et ceux qui exercent une activité artistique soutenue devrait l’accueillir en ami plus qu’en ennemi. De la mort car nous pensons qu’elle est la fin de tout, c’est une insulte larvée à notre intelligence qui nous annule, nous biffe, nous raye de la carte de l’existant vers un je ne sais quel néant . Ces deux choses dont on veut à tout prix nous distraire, il devrait exister des écoles nouvelles ou elles seraient inscrites dés le plus jeune age dans les programmes. Oui nous échouons et oui nous mourrons. Regarder la télé ou s’enfiler des litres de bières ne changera rien à cela. Alors comment aborder notre vie une fois cette chose établie ? De quoi ai je besoin pour vivre ? mais vraiment ? En tant que peintre j’ai besoin de matériel pour peindre et donc d’un peu d’argent pour l’acheter. Il me faut me loger et me nourrir ensuite afin de ne pas me prendre la tête et de pouvoir continuer à peindre. donc de montrer mon travail régulièrement et tenter de vendre mes tableaux. Il y a des périodes plus fastes que d’autres mais elles sont rares évidemment ; Car acheter un tableau ce n’est pas une distraction. C’est acheter un morceau d’âme et l’emporter avec soi. Bien sur au début on se dit c’est super j’ai vendu un tableau . Les premiers ne sont pas chers ni pour l’acheteur ni pour le peintre. Au fur et mesure du temps le peintre produit de plus en plus d’œuvres qui ne sont pas toujours vendues, mais c’est bien son âme qui s’étale de toile en toile , il parait qu’elle est infinie l’âme, mais pas le peintre . De la mort avant l’accomplissement de je ne sais quelle tâche à mener à bien. Mais il n’y a rien à mettre après la mort si ce n’est encore de la distraction. César Pavese a écrit « la mort viendra et elle aura tes yeux, » je pense que s’il avait vieilli un peu plus il aurait sans doute supprimé le « elle aura tes yeux. » De quoi ai je besoin pour vivre ? De lucidité me dis-je à 20 ans , de naïveté à 40 ans .. de presque rien c'est l’étape d’aujourd’hui. Le renoncement qui est une des variantes de la mort devrait également être considéré comme une grâce qui comme tout le monde ne le sait pas ne se cherche pas mais nous tombe dessus comme l’ennui. Juste un peu de temps, de la tranquillité, et de l’envie autant dire le plus luxueux rien que cela.|couper{180}
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18 septembre 2018
On entend tout un tas de bruits divers, des caquètements, des pépiements, des gazouillis, des feulements feutrés et des sifflements chichiteux sans oublier le vrombissement des insectes de tout acabit. Nous sommes en forêt et l’odeur de décomposition monte du sol, s’insinue dans le tissus de nos vêtements jusqu’à notre peau. Une très grande activité règne ici, ça ne rigole pas, à chaque instant quelqu’un est dévoré ou dévore l’autre. Je suis avec mon ami T. et nous cheminons sur un sentier envahi par la végétation. C’est épais, touffu, inextricable, gordien. Je l’observe. Il n’est pas bien gros, agile, et son regard est étonnant car il ressemble à celui de mon chat lorsque il fait semblant de roupiller. Il a l’air de lire mes pensées car en tranchant une liane d’un coup sec et précis il m’annonce :-Dans la forêt il ne faut rien regarder trop longtemps, sinon tu meurs. Débrouille toi avec ça me dis je … Et nous progressons encore plus loin, plus profondément dans le sous bois. En arrivant au campement dans une petite clairière nimbée d’une lumière glauque. T. m’explique : « Quand tu es en train de chasser il faut faire attention de ne pas être hypnotisé par ton envie d’avoir une proie. Il faut rester éveillé à tout ce qui se passe autour de toi. En forêt le point fixe est comme une toile d’araignée dans laquelle la mouche se prend. Un prédateur est hypnotisé par cette envie de bouffer sa proie.. du coup il ne sait pas qu’un prédateur plus gros que lui est en train de le guetter … et c’est ainsi du bas de la chaîne alimentaire jusqu’au sommet. La technique est donc d’agrandir son champ de vision en plongeant dans un état de rêve. C’est le mental qui est le donneur d’ordre des points fixes. Rêver apaise le mental qui se retire et laisse la place à l’instinct si l’on peut dire ça. Pour avancer dans la forêt il faut juste conserver l’intention d’aller quelque part et s’en souvenir dans le rêve. Cela demande un peu d’entrainement, mais tu n’es pas plus idiot qu’un autre tu devrais y arriver un jour. » Puis nous allumèrent des cigarettes et l’odeur de décomposition disparue soudain comme par enchantement. J’eus l’impression qu’une symphonie de chants, de cris, de craquements et de bruissements d’ailes saluait la fin du jour. Il était temps de dormir enfin après cette journée étonnante.|couper{180}
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04 septembre 2018
Il y a des paysages, des personnages qui n’attendent que toi pour exister. Tout le monde s’agite et ne regarde plus. Les murs ce ne sont que des murs.|couper{180}
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03 septembre 2018
Dire à quelqu’un que ce qu’il peint est super alors que lui même n’en est pas convaincu c’est entrer en conflit avec l’intégrité de cette personne. En revanche dire à quelqu’un que ce qu’il peint t’inspire l’envie de manger du chocolat et ce faisant tu prends un petit carré et tu l’avales avec une petite lueur taquine dans l’œil , c’est bien plus élégant. C’est la méthode qu’utilisait Milton Erickson dans ses entretiens avec ses patients. Il utilisait des phrases ou des actes de dépotentialisation afin d’interférer avec le schéma mental de son interlocuteur. Georges Marchais était un as dans son genre aussi pour dérouter Elkabbach lors de ses interviews explosives. Dans ce processus on joue avec le conscient et l’inconscient en même temps. L’astuce du carré du chocolat est un exemple parmi d’autres.. l’idée étant dans mon propos de dérouter l’attention vers un objet insolite sans abîmer l’intégrité de l’autre. Lorsque j’enseigne le dessin et la peinture je mange rarement du chocolat. Par contre je parle de tout et de rien, souvent de sujets en décalé qui accrochent le conscient de mes élèves plus ou moins. Ou alors je propose soudain de boire un café, un thé.. ou encore je prends des attitudes bizarres en m’asseyant, en me levant, je joue avec leur attention de cette façon afin que l’acte de peindre s’éloigne du contrôle de la pensée. Parfois je met de la musique et je joue sur le volume … Dérouter l’attention pour qu’elle laisse l’inconscient s’exprimer dans la peinture. Proposer des exercices répétitifs puis soudain introduire une contrainte supplémentaire. Proposer la contrainte de n’utiliser que deux couleurs et soudain dire que les deux couleurs peuvent se mélanger… laisser la phrase en suspens… aller chercher le café.. Ah au fait tu peux aussi mettre du blanc j’ai oublié de le dire .. J’ai perdu pas mal d’élèves avec cette façon de faire c’est vrai. Peut-être que je ne trouvais pas les bonnes clefs, les bonnes phrases, les bons gestes…je n’allais pas me contenter de leur apprendre la peinture, c’est si peu de chose. Je cherchais une pédagogie qui puisse allier à la fois la connaissance technique et autre chose, cet autre chose par laquelle le vrai travail de peinture commence. Les gens qui sont partis étaient des touristes je crois. Ceux qui sont restés se font une joie de m’apporter leurs travaux chaque semaine. Ils travaillent chez eux parce qu’ils ont trouvé l’envie de peindre. Et bien sur nous prenons un café, le thé pendant que je commente les travaux.|couper{180}
Carnets | septembre
02 septembre 2018
Dans le fond ça pourrait être une démarche solitaire. Je m’assiérais sur une pierre un matin et j’attendrais que ça me vienne. Possible que la journée n’y suffise pas, pas même plusieurs, ni les nuits qui les accompagnent. Pourtant j’ai déjà un nom. Mes parents me l’ont donné à ma naissance. Alors en quoi devenir peintre serait il associé à un changement de nom ? Je me suis habitué à la sonorité de ce nom désormais même si cela n’a pas été facile au début. Carlos Castaneda n’a jamais changé de nom et semble avoir beaucoup brouillé les pistes tant sur l’année et le lieux de sa naissance que sur l’ensemble de sa biographie. Avait il déjà compris que ce n’était pas le nom qui était important mais la légende qui s’y attachait. Il n’était pas spécialement mondain et ne devait pas rechercher à se faire mousser particulièrement. Peu d’apparition publiques, et même son décès demeure emprunt de mystère. Après avoir relaté ou fabriqué son aventure avec le vieux sorcier Yaqui dans ses ouvrages, peut-être s’est il rendu compte de la position sibylline qu’occupe tout narrateur. Je est un autre ne pouvait pas être mieux compris et même développé tout au long de son récit passionnant autour de la réalité, des réalités environnantes. Le tonal et le nagual, termes qu’il explique à plusieurs reprises nous mettent sur la voie. Dans le tonal même Dieu y est compris. Ce serait comme la nappe d’une table et tous les objets posés sur celle ci.. Dieu, l’univers, c’est la nappe. Le nagual est tout ce qui entoure cette table. Il est invisible et nous ne pouvons y avoir accès que par de profondes modifications de conscience. Sa logique est proche de la mécanique quantique et même plus affolante encore car même la mécanique quantique appartient au tonal. Changer de nom ne fait pas traverser le tonal. Raconter sa vie la met à distance. La vivre en ne croyant rien d’acquis et en expérimentant par soi-même les choses demande une impeccabilité qu’on ne saurait partager. Dans le fond c’est pas changer de nom l’important c’est pas de mentir le plus important , c’est de rester impeccable au fond de soi comme un guerrier, une guerrière prêt à tout moment à tout quitter pour traverser la porte. Il n’est pas rare que les plus grands maîtres fassent le clown parfois consciemment et souvent inconsciemment. Ce qui déstabilise leurs élèves qui, au bout de tant d’efforts s’attendent au pire à un peu de compassion, au mieux à une certaine reconnaissance. Mais non. Le rire du maître décoiffe l’élève, le chauffe à blanc avant de le laisser retomber dans un état atonique. Il y a longtemps que je ne me suis rendu au cirque d’hiver à Paris. La dernière fois ce devait être dans les années 80 à l’occasion d’interview de clowns que je réalisais en vue d’aider un ami. La figure de l’Auguste me passionnait, et sans doute encore jeune, m’allait elle comme un gant. Peut-être aurez vous l’occasion de tomber sur un tout petit livre d’Henri Miller qui a pour titre » Le sourire au pied de l’échelle ». Si vous passez devant ne le ratez pas ! il y a vraiment l’essentiel. L’auguste tombe, se relève, retombe, commet gaffe sur gaffe en se faisant reprendre par Monsieur Loyal et à chaque fois c’est de nous, public, que le rire fuse.. Il s’en fout l’auguste il continue à faire ses erreurs, voire même à proportion de la férocité des rires il en comment encore plus. Lorsque le spectacle s’achève, que nous sortons dehors, la nuit est là, je me souviens d’un parfum de marrons grillés qui flotte dans l’air sans doute arrivant de la Bastille et remontant le boulevard des Filles du Calvaire. Peu de circulation, les cafés sont dépeuplés. Et du coup mon ami et moi éprouvons une sorte de soulagement. Toute la violence que nous avions avant d’entrer au spectacle, cette énergie brute de la jeunesse semble s’être dissipée avec nos rires. Nous sommes paisibles et nous rentrons à pied silencieusement pour ne pas perdre cette sensation rare.En marchant je me demandais le but de tout cela. Pourquoi les clowns, les augustes, ont ils pour vocation de nous débarrasser de notre rire … Quelques jours plus tard j’avais rendez vous avec Annie Fratellini dans son école de cirque à la Villette. Je ne sais ce qui m’a pris mais à peine discutions nous depuis quelques minutes, je bouillonnais : – « Annie ne croyez vous pas que les moines zen et les clowns suivent une voie semblable ? » A son regard j’ai compris que j’avais touché une corde sensible chez elle. Elle opina du chef en disant oui ça se pourrait bien et puis je la quittais rapidement pour nous débarrasser de cette gène qui s’était installée. Il n’y avait rien d’autre à dire une fois ce constat établi. Parfois mon travail de peintre me rappelle celui d’Auguste, tous ces ratages, ces échecs, ces demi réussites… l’autre jour dans une exposition, deux dames sont entrées et se sont mises à voir des bestioles dans mes toiles : – oh c’est rigolo on dirait un âne – non moi je vois plutôt un boeuf Et alors j’ai enfin compris et n’ai pu qu’esquisser un sourire.|couper{180}