juin 2021
Carnets | juin 2021
Pourquoi changer ?
L'idée de changer revient comme une ritournelle, tu sais c'est un peu cette chanson que l'on fredonne sans savoir vraiment pourquoi ni comment et qui finit par nous agacer au bout d'un certain temps. Tout ce qui est plus fort que soi est agaçant n'est-ce pas ? Tout ce que l'on ne maitrise ni ne contrôle pas l'est souvent aussi. Cette agacement je crois qu'il provient du petit enfant que l'on conserve au fond de nous-mêmes, et qui soudain comprend que beaucoup de choses dans la vie le dépassent. Qu'il ne maîtrise ni ne contrôle pas grand-chose. Alors je peux me dire que c'est enfantin de vouloir changer. C'est à dire que j'imagine grâce à l'illusion du changement devenir un autre. Mais quel autre si ce n'est celui qui espère parvenir à s'adapter, c'est à dire à maîtriser en toutes circonstances l'impact provoqué par les circonstances. Lorsque j'étais gamin j'étais fasciné par l'eau. Y t'il quelque chose qui s'adapte mieux aux circonstances que celle-ci ? Et comment s'y prend t'elle ? C'était déjà ce genre de question que je me posais lorsque j'allais m'asseoir au bord du Cher pour essayer de devenir un pêcheur aussi habile que mon père. Je l'imaginais habile évidemment comment n'aurait-t 'il pas pu l'être ? Par mimétisme je m'efforçais de m'extraire de quelque chose déjà pour me rendre vers un ailleurs imaginaire. Il me semble que si j'avais pu me filmer à 8 ou 9 ans en train de jeter ma ligne dans le fleuve j'aurais pu voir cette caricature à la fois pathétique et émouvante de ce petit garçon effectuant des efforts insensés pour devenir homme. Pas n'importe quel homme, le père. Le pouvoir et la fascination dans lesquels j'avais glissé avec une facilité déconcertante m'avait totalement déconcerté. Je n'étais plus une mélodie, mais une cacophonie. L'admiration, la haine, l'amour et la crainte formaient alors une sensation omniprésente de panique qui m'interdisait l'accès à qui j'étais. Tout mon être s'élançait alors vers ce désir de ressembler à ce père tout en détestant souvent le résultat que j'obtenais. Cela m'agaçait beaucoup et déclenchait aussi de formidables colères contre le monde entier. Puis une fois la rage passée j'entrais alors dans une sorte de catatonie. Il me fallait m'enfouir dans un trou ou bien grimper au haut d'un arbre pour retrouver mes esprits. Le lieu commun se confondait avec un platitude infinie, qui souillait toute idée d'horizon comme d'avenir . Au fond de moi lorsque je cherchais à me distinguer au delà de ce modèle qu'imprimait mon père, je ne voyais rien. Et j'habillais ce rien d'oripeaux fantasques, abracadabrants lorsque parfois j'avais l'opportunité de prendre la parole. Pour attirer l'attention des autres sur ce rien qui semblait m'envahir comme une nuit. Une sorte d'appel au secours à peine dissimulé qui provoquait évidemment l'effet contraire. La fuite ou l'évitement, la mise à l'écart. Cela se produisit tellement de fois dans dans cette enfance que peu à peu l'évènement devint un os que je rongeais. Une obsession. Cette peur ou l'ennui que je provoquais chez les autres finalement je crois que je m'en nourrissais. C'était sans doute ma seule véritable nourriture pour fortifier cette vulnérabilité que j'avais peu à peu découverte. Rien n'était aussi intense à coté de cette émotion qu'elle provoquait et qui me renvoyait à une singularité impossible à nommer. Cette singularité devint une sorte de compagnie je crois. Une confidente. Du rien dont elle était issue elle se métamorphosa sans même que je ne m'en aperçoive en tout. Puis mon enfance s'acheva, et j'entrais tout aussi lamentablement dans l'adolescence. J'espérais beaucoup dans le collège et la multiplicité des sources d'enseignement. L'espoir d'un nouveau monde me préoccupa quelques semaines, peut-être quelques mois en raison de la force d'inertie. Puis je compris que je n'avais échappé à Charybde que pour aller buter contre Scylla. La volonté de ressembler à mon père s'évanouit doucement remplacée par celle de ressembler à d'autres, que ce soit des camarades ou des professeurs avec lesquels j'entretenais quelques affinités. J'empruntais leurs postures, leurs répliques, et jusqu'à leurs mimiques à seule fin de parvenir à exister dans ce nouveau monde. Je m'éloignais encore de qui j'étais pour devenir quelqu'un d'autre le temps de la journée d'école. Puis je rentrais et il me fallait toujours un espace temps particulier pour switcher du collège à la famille. Pour changer ce costume de collégien, en fils. J'avais saisi de plein fouet la notion de positionnement et de statut. Mais le problème était l'impossibilité d'effectuer des liens toujours avec ce rien au fond de moi. La singularité paraissait indifférente à tous les efforts que j'essayais de faire pour m'intégrer dans ces différents lieux et espaces. Et plus je faisais d'effort d'ailleurs plus il me semble que la présence de cette singularité s'en trouvait comme renforcée. Ce qui se traduisait à nouveau par des colères, des dépressions, ou encore des frénésies étranges d'aller courir dans les bois les champs à perdre haleine, de lectures boulimiques , ou encore m'allonger sur le lit de ma petite chambre en ne faisant plus attention qu'au seul fait de respirer pour tenter de me débarrasser de l'incessant tourbillon mental qui m'accablait. Tout au long de ce processus je crois que j'ai été obsédé par l'envie de changer, de pouvoir me débarrasser de cette intuition terrifiante de n'être rien. Une intuition aussi que cette intuition serait prémonitoire. J'avais tellement la trouille d'être ce rien qu'il ne pouvait être qu'un désir que je ne parvenais pas à assumer. Une sorte de fabrication imaginaire, une allégorie ou une succession de métaphores pour tenter d' échapper à la réalité de la vie et de la mort. L'idée de changer devait à peu de chose près être du même acabit que cette barre de points de vie supplémentaires qui s'affiche au haut de l'écran d'un jeu vidéo. Je pouvais changer plusieurs fois, ce n'était pas un souci tant que j'avais encore quelques petits cœurs allumés avant le Game over définitif. Evidemment on peut considérer que la vie est un rêve ou un jeu. Une sorte d'abstraction. On peut trouver une issue en imaginant cela aussi. En s'en persuadant. Lorsqu'on est seul, il n'y a aucun problème. Les difficultés viennent avec les autres et notamment ceux dont on finit par s'entourer et que l'on aime et que l'on entoure également d'attentions et de manifestations d'affections. Ces relations intimes s'attaquent directement à cet espace temps anéanti que l'on porte pour toujours au fond de soi. Elles ne cessent de vouloir l'amadouer afin qu'on puisse l'oublier. Et cela fonctionne durant un temps. Puis il arrive que ce temps s'achève. Le rien reprend possession de tous ses territoires à l'occasion d'un changement d'hygrométrie dans l'air, d'un nuage qui passe, d'un chat qui miaule. On se retrouve alors nez à nez avec ce rien, avec cette singularité d'être aussi vieux qu'Hérode par ses artères aussi naïf qu'un nouveau né par ses cris et ses larmes lorsqu'on lui refuse le sein. Alors on prend une nouvelle toile, celle que l'on a raté hier et on recommence. Peu importe qu'on réussisse cette fois ci ou pas à affronter ce rien les yeux dans les yeux. Ce n'est pas une question de victoire. C'est seulement accepter d'être en vie pendant que nous le sommes tels que nous sommes. Golgotha Nouvelle version|couper{180}
Carnets | juin 2021
Comment le beau devient le laid
Une préoccupation de peintre : le beau En tant que peintre évidemment la beauté est un sujet de préoccupation. Une sorte de tarte à la crème si je peux dire. Il y aurait quelque chose d'impérieux qui gouvernerait toutes les intentions du peintre afin de les ramener tant bien que mal à une idée de beau. La question que l'on pourrait alors se poser si on avait un tant soit peu de jugeotte c'est de savoir si le beau est une notion subjective ou objective ? Elle est un peu des deux à mon avis lorsqu'on débute. Une confusion s'opère entre le gout personnel et l'opinion générale concernant la beauté dans laquelle nous baignons en toute inconscience. Parvenir à effectuer le distinguo, n'est certes pas une sinécure. Le beau est t'il une décision ? Et puis il faut une sacrée dose de vanité aussi pour déclarer quelque chose comme "c'est beau parce que j'ai décidé que ce l'est tout simplement" et persister afin d'éprouver ce sentiment très particulier : celui de vouloir avoir raison. Cette décision est le fruit d'un choix et de nombreux renoncements. Mais malgré tous les efforts à produire pour y parvenir nul ne peut en garantir la réalité pas plus que la véracité. C'est un "beau empirique". Et cela tombe bien car nous sommes désormais dans l'ère la plus empirique qu'il soit. Si les grecs se perdaient autrefois dans les méandres de la philosophie et des mathématiques pour rêver d'harmonie, notamment en architecture on voit clairement désormais le résultat de cette formidable perte de temps. Y a t'il encore beaucoup de temples hellènes vaillants ? La plupart ne sont plus que ruines plus ou moins bucoliques. Ce qui n'est pas le cas du Colisée à Rome apogée si l'on veut d'un apprentissage "à la dure" ou dans "le vif" du sujet. C'est qu'il y a une grande différence entre ceux qui réfléchissent et qui au bout de longues réflexions parfois agissent, et ceux qui font, subissent des échecs puis recommencent. Le beau chez les anciens Ce qui est beau pour un romain est sans doute ce qui dure, ce qui est utile et se mesure à la sueur de tous les fronts qui l'ont bâti. Depuis le premier muret , la première route départementale, en passant par les aqueducs petits moyens puis grands. Alors que pour un Grec le beau est du domaine des Idées et la plupart du temps il y reste. Cela fait réfléchir sur l'apprentissage en général et en peinture en particulier. Faut-il donc un diplôme sanctionnant un parcours intellectuel la plupart du temps et très peu de pratique ? Ou bien faut il l'intensité et la persévérance, l'obstination de vouloir seulement s'exprimer ? L'idéal serait de posséder les deux évidemment mais ce n'est jamais vraiment le cas. Ce que l'on gagne en savoir, en connaissance agit de façon inversement proportionnelle à l'intensité, à l'énergie que l'on doit déployer en toute ignorance pour parvenir à ses fins. C'est sans doute la raison pour laquelle tellement de diplômés des Beaux-arts entament une carrière dans le marketing ou sur Youtube plutôt que de s'acharner devant une toile, une sculpture. Pour en revenir à nos moutons Vous me direz c'est intéressant mais comment le beau devient-il le laid ? puisque tu le dis, puisque en quelque sorte tu l'as promis ... c'est que forcément tu as une idée là dessus, non ? C'est vrai j'ai une idée. Mais ne croyez pas que cette idée apparaisse dans mon esprit d'une façon claire, une idée n'apparait jamais ainsi, ou du moins ce qui s'avance en tant que tel n'est jamais une idée intéressante. C'est plutôt une couche superficielle d'éléments qui s'agglutinent à la va vite pour masquer autre chose. Et il faut d'abord s'intéresser à cette pellicule et la gratter avec un minimum de patience pour la crever et apercevoir enfin se qui se dérobe pour être capturé. L'Idée comme le Beau se dérobent. C'est la raison pour laquelle la plupart des gens restent attachés à une notion collective, rassurante, facile de ces ces deux notions. Le beau un lieu commun d'où surgit la laideur ? On se rassemble ainsi dans les idées comme dans une notion de beauté d'une époque Cela ne serait pas bien grave après tout, s'il n'y avait cette fichue manie de tout vouloir s'approprier pour soi. C'est mon idée, Moi je trouve ça beau et puis ça laid. Comme on le dit encore dans certaines campagnes : "la fille la plus belle du monde ne peut donner que ce qu'elle a." C'est à dire que ces mots d'ordre de l'Idée et du Beau si rassurants puissent ils être, si attrayants par le confort dans lequel ils nous installent sont comme un sein. On peut les pétrir autant que l'on veut il n'en sortira pas une seule goutte de lait. La disparition du banal C'est lorsque on se détourne du sein comme du mot d'ordre qu'une fissure s'opère, que la matière s'écarte mystérieusement. C'est du plus profond de l'ennui et de l'à quoi bon que soudain l'aurore pointe son joli minois. Eblouissement du banal jusqu'au plus haut degré du vertige ! On lévite sans même le vouloir tout à coup au dessus des cohortes qui s'étripent et qui s'accolent. Comment le beau devient-il le laid ? Il n'y a qu'à constater les dégâts, à compter les points, à ramasser les cadavres et les enterrer. Et même si l'on veut pour marquer le coup graver des noms pour la postérité à la craie blanche. Le beau c'est un peu comme la connerie au bout du compte c'est la chose la mieux partagée du monde. Sauf que chacun veut se l'approprier rien que pour soi envers et contre tous mine de rien. L'Idée et la Beauté stigmatisées par l'idée de propriété. Et ce, même dans un état dit démocratique, ce qui est plutôt fort de café ! parce que d'emblée on pourrait penser que c'est une préoccupation de privilégié, pour ne pas dire de seigneur ou de bourgeois.|couper{180}
Carnets | juin 2021
Désorientation
"Je ne sais pas où je vais" est une des phrases récurrentes que j'ai entendue le plus avec "je ne vais pas y arriver", "c'est moche", " je n'arrive à rien". Ces phrases m'ont beaucoup posé de problèmes au début de ma carrière d'enseignant car évidemment je me sentais responsable, ce ne pouvait être que de ma faute si les élèves émettaient des opinions que je considérais moi-même comme négatives vis à vis de la progression de leurs travaux. Pourtant la culpabilité possède certaines limites. Et à force d'avoir les boyaux en chantier permanent j'ai cherché à résoudre ce problème peu à peu en expérimentant ce concept de "désorientation". Je crois même que désormais le cœur de mon métier est d'entrainer les élèves à reconnaitre cet état de désorientation le plus rapidement possible. A se sentir à l'aise si je peux dire avec le fait d'être totalement désorienté durant une bonne partie du temps de leur travaux. Pourquoi rendre "confortable" la désorientation La plupart des gens se font des idées de là où ils veulent se rendre, cela signifie qu'ils prennent une carte, ou plutôt désormais une application de GPS puis ils étudient plus ou moins la route avec quelques critères comme le temps, la beauté du paysage à traverser ou pas, Les différentes villes où ils désireront s'arrêter ou les contourner jusqu'à parvenir enfin au but final. Il y a des lieux que l'on connait déjà et dont la familiarité procure un "je ne sais quoi" d'apaisant, et puis il y a tous les autres, inconnus que l'on découvre totalement différents de ce que l'on a pu imaginer, même si on s'est documenter. La sensation de réalité balaie en général toutes les autres. En peinture c'est souvent la même chose. Si vous voulez vous lancer dans la reproduction d'un tableau il est fort possible que le résultat soit assez différent de ce que vous aviez imaginé. C'est à dire la copie parfaite à s'y méprendre de votre modèle. Qu'allez vous ressentir en percevant soudain le gouffre qui sépare l'original de la copie ? Et même dans le cas où vous parviendriez à reproduire le plus fidèlement cette copie sur quoi portera vraiment votre satisfaction ? Vous aurez réussi un challenge avec vous même ? Vous aurez acquis un peu plus de confiance en vous dans le domaine de la copie ou de la peinture Et vous vous direz certainement que vous serez capable de recommencer pour retrouver le même type de satisfaction par la suite. Même cette émotion deviendra une sorte de but en soi à peine conscient la plupart du temps. Partir sans savoir où l'on va. C'est ce que l'on ne fait jamais, on ne sait pas du tout ce qui risque de se produire, on a juste cette peur de ne pas savoir où aller et la plupart du temps elle nous gâche une belle partie du voyage ou du travail sur la toile. Souvent c'est parce l'on oublie l'énoncé. Il y a toujours un énoncé évidemment. Par exemple j'aime assez le thème du "Labyrinthe" en peinture qui permet d'explorer à la fois la transparence, la notion de plans, et évidemment pour bien enfoncer le clou je raconte toute l'histoire sans oublier cet homme à tête de taureau enfermé là quelque part. C'est même la raison pour laquelle le labyrinthe est crée. A la fois pour enfermer quelque chose de monstrueux, et pour tomber dessus lorsqu'on s'y engage. J'ai perdu quelques élèves à jamais en proposant cet exercice. Car la première chose avec laquelle il est difficile de trouver du confort est qu'il va falloir s'égarer dans les méandres de ce travail. Les premières couches de peinture acrylique sont assez ingrates car je demande qu'elles soient aquarellées, étalées en jus successifs. Cela finit par créer assez rapidement une surface boueuse sur laquelle tous les plans sont confondus. Il n'y a pas de profondeur, pas vraiment non plus de sens de lecture, pas d'indication d'issue. Voilà donc l'égarement dans lequel on tombe rapidement en réalisant cet exercice. Lorsqu'on s'égare on ne perd pas pour autant le choix. On a le choix pour empirer la situation ou pour s'en sortir sans trop de casse. C'est dans ce moment qu'on devrait être le plus attentif à la fois à la peinture et à soi-même. Dans cette indécision. Evidemment il ne faudrait pas qu'elle dure trop longtemps et je donne toujours quelques conseils à ce moment là. Mais la panique semble avoir aussi une sorte de vertu c'est qu'elle met en cause si je peux dire l'égo. Après tout ce n'est pas vraiment un secret, cet homme taureau peut aussi bien être une femme à tête de méduse. C'est l'égo qui n'est pas du tout content de ne pas pouvoir exercer son pouvoir de décision. Une bonne nouvelle qui récompense les plus tenaces. Ceux parmi les élèves qui confondent qui ils sont avec l'ego sont assez mal en point. c'est parmi eux que se situeront les déserteurs. Ceux qui claqueront la porte de l'atelier avec dépit. Pour ceux là je ne peux plus grand chose j'ai fini par l'admettre avec le temps et avec la culpabilité traversée de long en large à chaque fois. La culpabilité mon Minotaure personnel si on veut. Je ne courre plus après ces élèves pour les rattraper par la manche et tenter de les rassurer. Je considère que chacun est responsable de ses actes et de ses choix et intervenir dans ce cas en basant sur mon expérience n'apporte en général pas grand chose de bon. Ceux qui restent et qui gagnent ce combat avec leur propre ego découvre quelque chose qui se dissimule derrière le minotaure. C'est leur propre version d'eux même enfantine si j'ose dire ce qui n'est pas péjoratif bien au contraire. C'est en faisant retour vers cet enfant qu'il percevront la leçon qu'offre le labyrinthe et l'égarement qu'il leur a fallu traverser. Peu à peu les plans se précisent, la transparence apparaît, des chemins deviennent de plus en plus perceptibles de strate en strate et ma foi lorsqu'on ôte le ruban de masquage à la fin de cet exercice il est très rare que je n'aperçoive pas un contentement sur leurs visages.|couper{180}
Carnets | juin 2021
Frottement
Le frottement c’est la base de tout alors on l’évite évidemment. On rêve à des Everest. Et puis on redescend. Je me souviens de cette obstination à vouloir briquer le sol de lino d’une chambre. Un acharnement. Un plaisir aux frontières du malsain lorsque la douleur siffle dans les ultrasons. Frotter sur le vif à crû des couleurs du blanc pour apaiser quelque chose au dedans comme au dehors. Une érosion naturelle dans laquelle on glisse apaisé tout à coup Puis on plisse les yeux on traverse la surface on arrive au delà comme à un point de départ.|couper{180}
Carnets | juin 2021
Béances
Elle se tient devant lui, assise à cette table, et tout à coup elle rit. Lui a cette Impression saugrenue de voir les soucoupes et les tasses léviter d'une façon anarchique. Ce rire et la gravité dans laquelle il se maintient. Cette gravité à laquelle il s'accroche encore pour avoir l'air de quelqu'un ou quelque chose. Une béance, un infini de vide, hors de lui et en lui, dérange tous les possibles qu'il feuillète mentalement en quête d'horizon. Iront ils au restaurant ? Puis au cinéma ? puis chez elle ou chez lui ? Il tousse puis attrape la tasse en quête d'une solidité. Entre le pouce et l'index la rondeur de l'anse semble le rassurer un instant mais c'est sans compter sur le crescendo de ce rire qui s'envole vers les aigus. Il décroche de l'instant présent pour tenter de trouver la logique de cette rencontre. La mémoire pour contrer le vertige. Les premiers messages privés lui reviennent. Des propos raisonnables au début puis le premier écart quand soudain elle le charrie sur son humour. Quelle carapace ! Vous vous prenez pour un intellectuel ? Je déteste les intellectuels ce ne sont pas de bons coups en général. Pourquoi se défend t'il à cet instant précisément de ne pas en être un ? Et qu'est ce que ça peut bien vouloir dire "être un bon coup" ? Soudain il voit une file de silhouettes comme dans la chanson de Brel "Au suivant". Une nausée bienfaitrice à laquelle il s'agrippe désormais que le rire est à son apogée. Qu'est ce que je fous là se demande t'il. Elle s'arrête de rire instantanément comme si elle pouvait lire ses pensées. Son regard devient grave et elle dit Vous n'aimez pas mon rire. Il est désarçonné. Tente de balbutier quelque chose mais ça ne sort pas. Une gorgée de café dénouerait-t 'elle le nœud qui grossit au fond de la gorge ? Gagner un peu de temps... tout au plus. En même temps il s'obstine. Il ne veut pas la voir se lever et partir. Elle n'est pas laide, les fines pattes d'oie au coin des yeux l'émeuvent. Au fond de la voix, mise à part les artifices, une limpidité surnage. Comme une petite fille en train de se débattre au beau milieu d'un fleuve. Il a ressorti sa botte de Nevers. Transformer les femmes en petites filles pour se rassurer. Peut-être que ce rire est une sorte d'épreuve à passer comme dans les romans chevaleresques. Il a plutôt l'air d'un Don Quichotte fatigué, celui du second tome, quand le rêve laisse place à la réalité. Dulcinée de Tobosco se transforme en Peggy la cochonne d'un obscur Muppet Show. Vous reprenez quelque chose ? parvient il enfin à articuler . Et aussitôt il se sent fort, il bombe le torse légèrement et rectifie son axe, l'air de rien. Une menthe à l'eau. Il en pleurerait. Il fait signe au serveur une menthe à l'eau et un autre café. Puis il plante son regard dans son regard à elle à la recherche d'une trace d'humanité. Et si vous me racontiez... demande t'il d'une voix grave de vieux maitre zen. Désormais il s'en fiche, les buts se sont évaporés. C'est une belle fin de journée et il lui semble être un survivant. Elle se met à parler et sa voix change peu à peu tandis qu'il l'écoute. Et la béance est une sorte de lieu commun dans lequel ils pénètrent avec leur lot d'espoir et de déception passés.|couper{180}
Carnets | juin 2021
Hystérie
Tout commence par un agacement. Une gentille pagaille. L'arrivée des femmes. Des solitudes, chacune ostensiblement inouïe, qui s'agglutinent en bas des escaliers. Et presque aussitôt en estafette : les parfums lourds ou fruités qui les précèdent, suivi des gloussements, des chuchotements, du bruit des talons hauts et plats, des froissements d' étoffes... le mouvement d'une armée en marche s'accélérant dans l'assaut des marches et des paliers et enfin la marée déborde les portes de grande salle , l'envahit. Leurs voix putain leurs voix. C'est tellement impudique se dit-il , une exhibition d'ovaires en furie. L'homme assit à son bureau connait la musique. Il a prit soin de fermer la porte, de baisser les stores à mi fenêtre. Une bonne demie heure d'avance pour ne pas avoir à se mêler. Pour ne pas avoir à sourire ni à baisser la tête ni lâcher un bonjour, un comment allez-vous ? Cela fait des mois que ces rituels à petit feu le tuent, qu'il sert les dents à faire éclater la nacre et la faïence. Une érosion qui ronge les hautes falaises de craie d'une cote imaginaire. Une frontière qui se confond peu à peu avec cette hésitation, entre le solide et le mou, et qu'il tente de dissimuler sous un sourire bienveillant. Il écrit un mot sur la page de son agenda électronique : lundi hystérie normale 9h02. Depuis des semaines il note et cela semble lui redonner une consistance. Oh pas grand chose juste un petit acte de résistance se dit-il. Pour ne pas sombrer totalement dans la folie qui a envahit le monde ou l'entreprise. Cette sauvagerie se profilant sous le rouge à lèvres, cette bêtise affublée d'un décolletée trop ouvert , tout ce bazar d' émotions, cette sensiblerie drapée dans le coton le lin la soie le cuir des escarpins. Accroché à son agenda comme à un mat l'homme se tient bien calé sur son siège, dos bien droit. Dans son esprit des images flottent où se mêlent héros grecs, samouraïs nippons le tout sur un air wagnérien évidemment. La chevauchée des Walkyries, une magnification des puissances obscures de l'utérus. Lorsqu'il pense à toute cette journée qu'il lui faudra traverser comme un océan l'écœurement se lève. Il se lève et marche jusqu'à la machine à café. La sienne. Pour ne pas avoir surtout à se rendre à l'autre, collective. Le liquide noir dans la tasse blanche lui rappelle Talleyrand : Noir comme le diable Chaud comme l'enfer Pur comme un ange Doux comme l'amour. C'était marqué quelque part dans son enfance sur un pot, comme un message, une prophétie. Un dégout de le boire sans sucre auquel lentement le palais s'habitue pour au final décider d'un plaisir, d'une satisfaction. Peut-être que le café est un peu comme l'hystérie. Au début on a du mal et peut-être qu'à la fin on finira par y prendre gout. Il note café et hystérie 9h05. Puis l'homme s'enfonce encore un peu plus loin dans le travail. Désormais il s'acharne à créer des formules de plus en plus complexes sur son tableur pour -espère t'il - gagner encore plus chaque jour en efficacité.|couper{180}
Carnets | juin 2021
Solitude du voir
Il existe une confusion de l'œil dont on ne se rend pas compte, que l'on prend même pour de la clarté tant nous sommes installés à l'intérieur de celle-ci. Aveuglément nous croyons voir et nous croyons que tous nous voyons les mêmes choses. Il ne nous vient pas l'idée de nous interroger sur cette confusion tout simplement parce que nous n'en sommes pas conscients. Notre attention à tout ce qui nous entoure, si elle est personnelle au début de notre vie, se recouvre peu à peu de cette poussière crée par une sorte d'érosion naturelle. Une poussière produite par les clichés, un frottement -silex contre silex-qui peu à peu comme une pellicule, un nouveau cristallin recouvre l'original. On ne s'en rend pas compte tant l'obsession d'appartenir à un groupe prend le pas sur cette attention. Cette obsession de ressembler pour s'assembler produit sur la vision, lorsque nous tentons dans parler, une catastrophe silencieuse. On se heurte de nombreuses fois à un mur qui , au bout du compte finit par se nommer limite. La limite est à peu près la même que celle d'un château, d'un village, d'un pays, la limite est aussi une identité qui nous permet à la fois d'identifier le semblable comme soi-même dans nos échanges quotidiens. Sans cette limite assimilée la vie serait inconfortable. Nous serions pensons nous étrangers les uns aux autres, voire pire étranger à nous-mêmes. Voilà une bien étonnante notion que celle du familier. Le familier c'est de l'étrangeté oubliée par l'habitude de regarder sans faire attention à ce que l'on voit. C'est à l'adolescence que cette notion de familier est remise en question par l'individu. Cependant qu'un phénomène extraordinaire accompagne cette remise en question. Nous rejetons un familier, celui que nous connaissons par la famille, par les limites imposées par celle-ci et qui nous attribue un rôle. Le rôle d'enfant. La peur et le désir entremêlés de pénétrer dans la communauté des adultes nous obligent à imaginer de nombreux comportements afin de nous différencier de cet état, de ce rôle attribués par la famille. Nous tentons de nous extirper de l'ennui, de cette relation figée avec le monde qui nous entoure. Que ce soit en adoptant de nouveaux codes vestimentaires, en recherchant des groupes musicaux particuliers, en utilisant un langage appartenant à la communauté à laquelle nous briguons d'appartenir parce que nous pensons qu'ainsi ce sera plus facile, en étant accompagné dans l'épreuve, dans une solidarité qui se bâtit par le "contre" de parvenir à un "pour" inédit. C'est la sempiternelle histoire des générations. C'est ainsi que nous pensons forger notre "personnalité", mais en réalité nous esquissons plutôt les prémisses d'un personnage que nous souhaiterions devenir. Ce que nous voyons ne devient plus que de l'utile, du nécessaire en accord avec la construction de ce personnage. Nous ne voulons pas voir autre chose. Et cet "autre chose" cette vision personnelle qui nous appartient depuis notre naissance s'enfonce doucement dans l'oubli. Elle ne disparait pas pour autant. Le narcissisme de l'adolescent en est une résurgence. Lorsque notre vision essentielle se confond soudain avec notre propre image à la surface des miroirs le risque est grand de se noyer dans celle-ci. Il est même nécessaire que nous nous y noyons juste ce qu'il faudra pour parvenir à toucher le fond et remonter à la surface transformés soudain par l'asphyxie. Heureux, apaisé de respirer à nouveau, prêt à délaisser cette mise en abîme du Moi pour continuer le chemin vers Soi c'est à dire aussi vers l'Autre. Ce sont la des rituels de passage très anciens mais dont la mise en scène n'est plus mise en valeur, en "vision" par notre société dite moderne qui les nomme archaïques, ou pire : ridicules. Ce narcissisme qui autrefois était représenté par un danger à surmonter dans une série d'épreuves plus ou moins manifestes et encadrées par la communauté ne l'est plus. Les limites de l'adolescence comme du narcissisme sont devenus d'autant plus floues que le système économique et politique dans lequel nous vivons semble avoir besoin de nous maintenir dans cet état infantile. Attirer notre attention, notre vision, en nous faisant briguer l'appartenance à des groupes factices et éphémères est devenu le mot d'ordre de la société de consommation et des publicitaires qui ne cessent de nous abreuver de clichés. Que peut donc faire l'individu emprisonné ainsi dans la solitude du consommateur ? Que peut donc faire l'individu qui a de l'argent et celui qui n'en n'a pas ? Y a t'il d'autre choix que de sombrer sans relâche dans cette belle image sans jamais devenir adulte ? Ou bien devenir un consommateur dans un groupe de consommateurs ? Ce ne sont pas des perspectives réjouissantes pour un adolescent et la révolte, l'envie de tout casser n'est pas très étonnante. Lorsque je veux me souvenir de cette période je retrouve presque aussitôt la chape de plomb que l'ennui a posé sur mes épaules et qui dura de nombreuses années après ce qu'on peut imaginer l'âge légal du passage à l'adulte. Mon adolescence dura certainement jusqu'aux abords de la cinquantaine. Je crois que j'ai du explorer tous les abîmes et les abysses du narcissisme en sautant régulièrement dans ma propre image par dépit de ne rien pouvoir voir que celle-ci d'attrayant à regarder véritablement. Cette solitude du voir est comme un athanor d'alchimiste, elle n'est qu'un contenant dont le contenu sera chauffé à blanc par le désir, la curiosité, toutes les faims et toutes les soifs. Un cocon. C'est la découverte de l'art qui progressivement m'a permis de trouver un point d'appui pour m'extirper des gouffres et remonter peu à peu sur une terre plus ferme. Cela ne s'est pas fait en une seule fois. Parfois je croyais m'agripper mais la solidité se dissolvait soudain et je ne faisais que retomber encore plus bas. Mais appréhender ce mystère avait suffit pour me donner le besoin de recommencer inlassablement à m'agripper. Je suis allé ainsi d'échec en échec, d'aveuglement en éblouissement. et je me désespérais bien sur avec la même intensité que j'espérais aussi en contre partie. Je ne savais pas vraiment d'ailleurs pourquoi autant d'espoirs et de désespoirs passaient ainsi par qui j'étais. Je subissais tout cela dans un aveuglement presque total. Jusqu'à la cinquantaine où enfin je pu formuler cette question : Mais pourquoi est ce que cela ne fonctionne pas ? Comment puis me prendre autrement pour trouver l'apaisement enfin ? A partir de cet instant les choses s'enchainèrent sans que j'en sois conscient. Je tombais dans une grave dépression, je démissionnais de mon job et ne sachant pas ce que je pouvais faire de ma vie, j'ai fais le point sur ce que je voulais et ne voulais plus. Je voulais être heureux et libre c'était les deux mots qui vinrent tout de suite. alors je me suis mis à chercher les expériences auxquelles je pouvais associer ces deux mots et j'ai vu tout naturellement d'abord ma mère en train de peindre et moi enfant à ses cotés. Puis je me suis vu moi même en train de peindre lorsque j'étais gamin. Tout un monde que j'avais totalement oublié a ressurgit soudain. Et là je me suis frappé le front j'ai poussé un eurêka. Je vais donner des cours de peinture pour gagner ma vie, et je vais me mettre à peindre plus sérieusement que je ne l'ai jamais fait de ma vie. Tout cela me rendra heureux et libre ! Facile à dire, un peu moins facile à mettre en œuvre. Mais ce n'est pas grave le temps qu'il faut une fois qu'on sait ce que l'on veut. Ce que j'ai découvert encore après cette prise de conscience est d'une richesse incommensurable. Cette richesse ne sert pas à payer les factures pour autant. Cette richesse permet de voir est c'est une nourriture inépuisable en même temps qu'elle prodigue une solitude comme jamais je n'en ai eu conscience. Pour autant cette solitude n'est pas quelque chose de négatif comme souvent j'ai pu la considérer tant que je ne la comprenais pas. Ce n'est pas une solitude crée par le manque de reconnaissance, par le manque d'amour, par un manque quelconque d'ailleurs. C'est une solitude qui éclaire toute une vie, et qui me rend transparent si je puis dire. C'est à dire qui me permet de voir au delà des nombreux jugements, au delà des peurs et des espoirs, une réalité que je perçois telle qu'elle est, tout simplement, sur les carrés et les rectangles de papier ou de tissus sur lesquels mes élèves se penchent, sur lesquels l'homme que je suis se penche aussi. Bien sur il y a des maladresses, bien sur il y a aussi l'excellence. Mais dans cette vision, grâce à la solitude que m'offre cette vision la maladresse et l'excellence ne sont que des mots, je ne vois que la danse, que le mouvement, que la beauté des valeurs, des opposés , des contrastes et toute leur profondeur. Cette solitude n'enferme pas, tout au contraire elle rend heureux et libre.|couper{180}
Carnets | juin 2021
L’œuvre et l’artiste
Hier je me rends chez le médecin pour un petit souci et la consultation ne dure que 5 minutes. Aux murs de son cabinet des toiles magnifiques. Il m'apprend que c'est lui qui peint, et sa joie quasi enfantine d'avoir vendu sa première toile. Lorsqu'il m'examinait quelques instants plus tôt j'avais été frappé par la fatigue que je lisais dans son regard, un œil voilé comme en ont les personnes malades du foie, les alcooliques. Et soudain nous parlons peinture et les traits de son visage se métamorphosent. Vraiment joyeux. J'attends la retraite et là je m'y mets à fond me dit-il. Il me dit qu'il a un compte Instagram et que ça ne marche pas bien fort, du coup je lui donne quelques conseils et le soir je repense à notre conversation je vais voir ce fameux compte. Il poste ses peintures avec quelques mots clefs et presque jamais de légende. Du coup je repense à cela ce matin et au texte que je viens d'écrire sur l'artiste-peintre Christophe Houllier, je m'interroge. Je crois que cela devient de plus en plus une évidence que le public ne peut se satisfaire uniquement de voir des œuvres. Il faut que l'artiste donne de lui-même. Qu'il parle de lui, de son travail, des hauts et des bas qu'il rencontre sur son trajet. En un mot qu'il communique afin de trouver son public. Il y a encore beaucoup d'artistes qui ne le font pas ou le font mal. Moi-même je ne peux pas vraiment dire que je sois un expert en la matière. D'un autre coté je ne souhaite pas non plus devenir cette sorte d'expert non plus. Je ne me formerais pas au copywriting afin d'acquérir tout un attirail de pèche pour hameçonner le chaland. Et ça me fait réfléchir aussi à la façon dont il est possible de communiquer sur son travail, sur la réflexion nécessaire à mener pour ce faire. Cela demande un sacré travail déjà pour mettre en place les outils basiques : un site internet, une page sur les réseaux sociaux mais avec un peu d'acharnement et beaucoup de tutoriels il est assez simple d'y parvenir. C'est autre chose de penser à son image, à cette image que l'on veut donner de soi à un public. Je crois qu'en art plus que dans n'importe quel domaine cette image ne doit absolument pas être factice, frelatée. Il y a eut des précédents où l'on voit qu'il s'agit plus d'un personnage inventé de toutes pièces par l'homme pour propulser l'artiste. Je pense à Gainsbourg, à Dali, Blaise Cendrars, Picasso. En créant un personnage ils posent une sorte de barrière sur laquelle bute l'attention et celle-ci finit par s'y focaliser la plupart du temps. Cela suffira à la plupart des gens pour se satisfaire et ainsi joindre les deux images, celle de l'œuvre et de l'artiste. C'est une sorte d'emballage, du packaging de haute volée parfois. D'un autre coté si l'on communique naïvement avec ses tripes et son cœur, le risque est grand d'être considéré comme naïf, sympathique et neuneu tout à la fois. C'est à dire que la sincérité que l'on croit importante pour dire est presque toujours transformée en autre chose. La plupart des gens se disant lucides ont peine à y croire. Et du coup au lieu d'être le maître de sa propre image comme dans la stratégie précédente, l'artiste est victime en quelque sorte d'une image que peu à peu construit son public. Oh lui c'est un artiste il est ravi. D'où parfois les cris les pleurs et les grincements de dents. Surtout si on attend quoique ce soit du public. La position la plus confortable est de ne rien attendre de personne mais de faire le job malgré tout. La priorité est de peindre et de faire tourner l'atelier pour les cours me concernant et j'ai presque instinctivement décliné les propositions de galeries, de salons, d'expositions un peu trop pompeuses afin d'échapper à la kyrielle d'ennuis principalement les mondanités qui s'y attachent dans mon esprit. J'ai choisi naïvement d'être "authentique" et ce blog participe très largement à cet effort d'authenticité. Cependant on peut se dire authentique, y croire et s'apercevoir au bout du compte qu'il ne s'agit que d'une fiction que l'on se raconte à soi-même. Toujours ce fameux phénomène de recul cher au peintre. C'est qu'il y a l'authenticité que l'on nous vend à tour de bras et puis l'autre dont on ne parle guère. Il faut traverser la fiction de la première pour découvrir avec stupeur la seconde. Et mesurer à nouveau la montagne qui se dresse devant soi. Une des solutions que j'ai trouvées pour pallier cette difficulté de l'authenticité c'est d'essayer de ne rien censurer sur ce blog par exemple partant du postulat que de toutes façons tout n'était que fiction, surtout la fameuse authenticité. Même si je mets tout mon cœur, toute mon âme comme on dit parfois à rédiger un texte je sais d'avance que je me leurre en bonne partie sur ces notions. Cependant je le fais malgré tout. Pour voir jusqu'où ça peut aller dans la folie, dans la bêtise, dans le subterfuge, dans l'artifice que je ne suis absolument pas en mesure de voir au moment même ou je m'y engage. Je crois qu'il y a autant d'efforts à faire pour écrire, pour communiquer, pour livrer cette fameuse image de soi au public qu'il en faut pour parvenir à devenir peintre. Les deux sont étroitement liés dans mon esprit aujourd'hui. Il se peut même que ces deux actions à mener de front se nourrissent l'une l'autre et permettent ainsi d'évoluer. Dans le fond cela pose à nouveau l'idée d'une limite raisonnable si je puis dire entre ce qui peut intéresser le public et ce qui intéresse l'artiste de livrer sur lui-même. Les trois quart des choses que l'on imagine importantes pour soi n'intéressent que très peu le public finalement mise à part les voyeurs, les critiques d'art éventuels, les chercheurs. Il faut faire des tests innombrables pour en être certain. Amis artistes j'ai testé pour vous ! Sur les centaines de textes écrits durant ces presque 3 ans de blogging je n'ai fédéré qu'une petite audience et chacun de mes textes ne dépasse que très rarement les 5 ou 6 likes. Mais ce n'était pas un but en soi d'avoir une foule de groupies, de fans de followers. Ce qui était important c'était de comprendre cette notion d'authenticité qui me bassine depuis des années. C'était de parvenir aussi à faire la part des choses entre ce qui m'intéresse moi et ce qui intéresse les autres dans le domaine de la peinture. En fait on ne retient que peu de choses de l' œuvre d'un artiste. Quelques pièces sur des milliers. C'est tout ce dont se rappellera le public. Ce n'est ni bien ni mal c'est comme ça. La satisfaction du peintre ne peut venir que de sa peinture et de ce qu'elle lui apprend sur lui, sur qui il est vraiment. c'est déjà un luxe inoui. ça ne résout pas cependant le problème du repas. Il faut vendre. Dans ce domaine on est souvent tenté de vouloir réinventer la roue. On se voudrait original, différent des autres, parfois méprisant lorsqu'on détecte les stratégies cousues de fil blanc, lorsqu'on se dit :il ou elle y va fort de se mettre presque à poil devant son tableau. C'est que 'l'idée d'avoir absolument à se démarquer est tellement forte qu'elle en devient une obsession. On en revient. Il est nécessaire d'en revenir pour passer au niveau d'après, retrouver des vies, et un bonus non négligeable qui est cette sérénité, ce calme face à toutes les observations que l'on pourrait nous faire sur l'œuvre, comme sur nous mêmes. Comprendre ce que les gens perçoivent de tout ça est fascinant. Ce sont tout autant des fictions qu'ils s'inventent que nous le faisons nous mêmes. Il y a une grande différence cependant entre la fiction et le mot que j'ai pris soin de garder pour la fin , le mensonge. La différence c'est que la fiction aide à mieux comprendre ce que l'on appelle la vérité en tant qu'absence autour de laquelle on tourne de plus en plus étroitement sans pour autant l'atteindre jamais.|couper{180}