août 2021
Carnets | août 2021
Inquiétude
Nous venions de faire l'amour et j'avais allumé une cigarette tout en examinant le papier peint de la chambre. Peu à peu je constatais la métamorphose des roses joufflues vers la flétrissure. C'était comme si le peintre Soutine était passé dans le quartier et qu'il avait pris plaisir à sagouiner le décor jusque dans le moindre détail. J'allais sur mes 30 ans à cette époque et je ne connaissais rien à la peinture. J'avais seulement amassé une somme considérable de savoir ce qui me donnait l'impression de compenser un manque originel. Parfois lorsque je cherchais à nommer ce manque je parlais d'affection, d'amour, et pour varier, ne pas fatiguer ma cervelle, pour me distraire un peu, j'évoquais mon manque d'argent. Mais tous ces mots, toutes ces images dans le fond provenait d'une inquiétude fondamentale que je cherchais à cerner maladroitement. Et avec les années il me semble que ce avec quoi je tentais de me l'expliquer ou de la masquer devenait de plus en plus important reléguant ainsi l'inquiétude en tant que sensation dans les couches profondes de mon inconscience. Je ne m'intéressais plus à la cause mais seulement aux effets dans une confusion sans doute nécessaire. La femme près de moi ne fumait pas. Mais la fumée ne la dérangeait pas avait t'elle ajouté lorsque je lui avais tendu le paquet de Lucky. Je n'arrivais pas à lui donner d'âge, juste une estimation entre 45 et 50. Elle n'était pas belle selon les canons de l'époque et je m'en moquais bien, l'émotion que ses rides et ses tâches avaient déclenchée en discutant à la terrasse du café- ce petit café au haut de la rue Saint-André des Arts- ne m'avait toujours pas quitté. Plus une lourdeur de la chair s'affaissant avec un je ne sais quoi de tendre. Plus que de sexe j'avais ce besoin de tendresse. Autant à donner qu'à recevoir. Mais je ne me rendais pas bien compte encore, juste par ci par là une intuition fugace qui passait comme ces aventures que j'enchainais. Elle peut-être n'en était plus là. elle regardait le plafond en me caressant doucement la main. On reprenait notre souffle en retardant le moment où il faudrait libérer la chambre. Il n'y avait plus rien à dire non plus. C'est à ce moment là que j'ai découvert que l'inquiétude était un mot comme de nombreux mots et que l'on utilise mécaniquement sans prendre la peine de se pencher dessus. La lumière de cet après-midi d'automne filtrait au travers des rideaux et les bruits de la rue devenaient presque palpables par la fenêtre entr'ouverte. On était là allongés tous les deux comme des naufragés sur une ile en plein milieu d'un couloir commercial. Et de mon coté je n'avais aucune envie d'être secouru. Juste se méfier de ne pas entrer en collision trop rapidement. La cigarette se consuma ainsi puis j'écrasais le mégot dans un cendrier Cinzano sur la table de nuit. J'ai faim pas toi ? Elle regarda sa montre bracelet et décida qu'elle n'avait pas le temps qu'il fallait qu'elle rentre. Nous nous sommes rhabillés en silence. Chaque pièce de vêtement supplémentaire avec laquelle nous recouvrions notre nudité était comme une distance que nous installions avec l'événement dont il fallait s'éloigner désormais. Se résigner à s'habiller. Se résigner à continuer. A la fin j'ai prétexté vouloir rester encore un peu dans la chambre je n'arrivais pas à me faire à l'idée d'arriver en bas et de nous dire au revoir ou adieu. Elle n'a rien dit juste un sourire fatigué une caresse sur les cheveux, un baiser dans le cou, puis la porte s'est refermée doucement. J'ai tenté de suivre son pas dans l'escalier puis le bruit de la rue a augmenter d'un coup comme si quelqu'un avait monté le son. Et j'ai su que je m'étais trouvé nu face à l'inquiétude pour la première fois de ma vie. L'inquiétude n'était pas si inquiétante que cela avais je noté. Et puis je suis sorti de la chambre à mon tour j'ai retrouvé illico tous les manques que je m'étais inventé depuis toujours. On ne se refait pas, c'est la vie.|couper{180}
Carnets | août 2021
Fleur bleue
Bien sur je tiens absolument à conserver mon coté "fleur bleue" même si vous considérez que c'est ridicule, inconvenant, tout ce que vous voudrez. C'est pour l'entretenir d'ailleurs que je regarde certaines séries sur Netflix. La dernière en date une série espagnole dont la traduction doit ressembler à "si je ne t'avais pas rencontrée" C'est l'histoire d'un homme qui imagine que sa négligence est la cause d'un accident de voiture dans lequel il perd sa femme et ses deux enfants. Il décide d'en finir et au moment où il s'apprête à enjamber le parapet d'un pont pour se faire écrabouiller par un train, il rencontre une vieille femme étrange qui lui propose un deal, celui de voyager dans des univers parallèles. chaque décision dans notre vie crée des univers parallèles qui permettent d'explorer toutes les versions de celle-ci. C'est une idée à laquelle j'ai souvent pensé. Hormis le scénario, je découvre dans cette série une vision de la famille espagnole avec en filigrane la distribution des comportements suivant le genre de chaque actrice ou acteur. L'image de la mère prend une place considérable alors que le père est souvent relégué au rôle de figurant. Lutter contre la castration que provoque évidemment la disparition de la famille que le protagoniste principal a fondé masque à peine son combat pour tenter de s'émanciper du cocon familial. Les deux personnages féminins principaux représentent toute l'ambiguïté maternelle vis à vis de la sensibilité masculine qui ne peut s'épanouir que dans l'étreinte, celle subit et celle qu'il réclame. On peut aussi remarquer l'ambiguïté de la notion de famille à la fois rassurante et oppressante tout en même temps. Les personnages des pères quant à eux sont comme effacés ce qui étrangement les rend importants dans l'imaginaire familial ou totalement falot. A croire que le père doit être décédé pour retrouver un ersatz de virilité contrairement à celui qui bien vivant est quasiment insignifiant. Ce qui est diffusé est une information importante : la famille est tout et chacune de nos décisions est bonne ou mauvaise en fonction qu'elle maintient ou non la cohésion de celle-ci que ce soit la famille dont on vient ou celle que l'on crée. Je pensais à tout cela est aussi à la Sicile. A ma première compagne et à son point de vue sur sa propre famille dont il était hors de question que je puisse attenter à la cohésion imaginaire en laquelle elle croyait. Jusqu'à me planquer dans un placard dans notre petit appartement de la Bastille sitôt qu'on toquait à la porte de peur que nous nous rencontrions son père et moi. Ce qui advint au bout du compte et nous devînmes mêmes très amis sans jamais nous le dire, il était architecte et peignait dessinait à ses moments perdus. C'est d'ailleurs drôle ce genre d'expressions " ces moments perdus" comme des réalités parallèles à une réalité maitresse. Comme j'étais photographe à cette époque je lui ai proposé de faire des clichés de tous ses tableaux afin qu'il puisse oser présenter son travail à une ou deux galeries que je lui recommandais. Jusqu'au bout nous jouâmes le jeu "du je ne sais pas quelle relation véritable tu as avec ma fille." Et par respect même au pires moments de notre rupture puis de notre séparation je n'ai jamais vendu la mèche. Le profil du type que ma compagne s'était dégotté était apparemment totalement à l'opposé du mien. Un battant qui faisait des études de médecine et qui habitait quelque part en Uruguay ou au Brésil. Il s'en suivi des mois difficiles pour avaler le fait d'avoir été répudié ainsi par ma compagne mais aussi par cette famille sicilienne et tout l'imaginaire qui allait avec de mon coté. Je passais de longues journées d'errances dans les rues de Paris courant d'aventure en aventure sans autre but que de salir ce fichu coté "fleur bleue" que je pensais être le responsable de mon exil. A cette époque je ne m'intéressais déjà qu'à l'art, à la philo, à la littérature. Autant de choses qui ne servaient à rien véritablement c'est à dire qui assurerait une existence difficile, une vie de galère. Je peux dire aujourd'hui que cette fille a fait le bon choix et que je suis content qu'elle l'ai fait. Sans doute m'en serais je encore plus voulu de l'entrainer dans les conséquences de mon refus d'effectuer le moindre choix de carrière. Je crois aussi que je regarde cette série à cause de Mercedes Sampietro, quelle actrice magnifique à tous points de vue ! Aujourd'hui il va pleuvoir, pas la peine d'arroser, ce qui tombe bien cela me laisse plus de temps pour peindre et écrire. C'est l'eau du ciel qui arrose toutes les fleurs, qu'elles soient bleues ou pas.|couper{180}
Carnets | août 2021
En écrivant j’oublie ce que je voulais dire
Je viens d'écrire un texte sur le renouveau et puis je m'aperçois que je suis totalement passé à coté de ce que je voulais dire au début. C'est quelque chose qui m'arrive tout le temps. Lorsque je peins c'est pareil. J'ai une idée et on dirait que je prends une sorte de plaisir particulier à éviter de la faire surgir. Comme si ce qui m'intéressait ce n'était pas tant l'idée que la galaxie souvent nébuleuse qui l'accompagne dans son sillage. Une histoire de synesthésie mentale en quelque sorte. Je voulais parler du renouvellement de mon abonnement à Wordpress au début. Cela fait plusieurs mails qu'ils m'envoient pour m'inciter à renouveler avant la date limite qui doit se situer à la mi septembre. Je m'interroge depuis quelques jours sur mon envie de renouveler le bail. Cela me rappelle ma jeunesse quand tout baignait dans l'huile, que les choses s'emboitaient l'une dans l'autre parfaitement. On renouvelle ton contrat d'intérim ? Pourquoi pas ... et puis peu de temps après cette sensation de regret d'avoir lâchement dit oui. Comme une lâcheté, comme si je prenais aussi un malin plaisir à passer à coté de ma soi disant "vraie vie" totalement imaginaire évidemment. Comme si c'était toujours les circonstances qui devraient l'emporter bien plus que ma décision. D'ailleurs chaque décision est une sorte d'accouchement. J'imagine que lorsqu'on devient mère on se sent quasiment obligé de renoncer à tout le reste. Lorsqu'on devient peintre c'est pareil, ou écrivain, ou champion de tir à l'arc, ou cuisinier, peu importe. La sagesse semble nous parvenir par un courant d'air glacial passant sous les portes. Si on fait le moindre écart on imagine la bourrasque nous emporter presque aussitôt. Mais dans la jeunesse je me battais contre moi-même, contre ma couardise. C'est pour cette raison que soudain de façon intempestive je disais merde à un patron, à une boite d'intérim, à une relation . C'était pour ne pas renouveler ce bail de ce que j'imaginais être l'ennui, la torpeur. Ce qui advenait par la suite était souvent terrible de solitude et d'incertitude mais j'y gagnais en fierté et curieusement aussi en confiance et en amour en moi. En haine aussi souvent. Ce refus du renouvellement n'est rien d'autre qu'une envie de faire pencher le fléau de la balance dans l'autre sens pour voir ce qui peut advenir. Et dans l'absolu l'ennui m'était certainement nécessaire pour me sentir vivre à rebours de tous ceux que je voyais s'agiter en vain. s'ennuyer et souffrir comme un chien de la solitude, je voyais en cela une sorte d'entrainement para militaire. Quelque chose qui aurait pour but de faire de moi un guerrier invincible, quasiment déjà un héros. Et puis ça m'est passé, avec le temps. Peut-être pas tant que ça si j'y pense vraiment. C'est un peu comme les effets des thérapies brèves, on se tire d'une phobie pour pénétrer aussitôt dans une autre sans même sans rendre compte. Rien ne vaudra une analyse véritable sur le long terme. Chose que j'ai soigneusement évité de réaliser bien entendu. Il aura fallu toute l'ironie du monde pour que la vie m'offre soudain tout ce groupe d'amis, psys pour la plupart y compris mon épouse. Et le pire ou le meilleur c'est lorsqu'ils me disent : tu aurais fait un excellent psy ! Ce que l'on refuse le plus est souvent ce que l'on désire le plus, c'est ce que j'aurais appris par des détours labyrinthiques. Alors cette histoire de renouvellement où donc en suis je ? Vais je accepter sans broncher le cours normal du monde ? vais je encore faire le malin rien que pour éprouver de nouveau cette petite poussée d'adrénaline provoquée par le refus, le plaisir de s'opposer sans raison ? A l'heure où j'écris ces lignes je n'en sais rien du tout. J'assumerai voilà tout c'est aussi ce que j'ai appris de tous les actes inconsidérés que j'ai effectués. Dans un certain sens ce que l'on pouvait considérer comme de l'immaturité à une certaine époque de la vie se renouvelle et devient le sens des responsabilités. Que celles ci n'aient d'intérêt que pour moi seul me permet aussi de ne pas regretter celles qui me paraissaient mécaniques et collectives enseignées par les mots d'ordre de la morale ou de l'éducation.|couper{180}
Carnets | août 2021
La difficulté de s’enraciner.
Il parait qu'il faut parler de soi en tant qu'artiste, parce que les gens sont curieux d'en savoir plus. Du coup je cherche une façon de réécrire encore ma biographie pour la placer sur mon site, et systématiquement toutes les tentatives se soldent par un échec. Cette répétition de l'échec ressemble à une volonté de ne pas vouloir s'enraciner. La question alors est de savoir dans quels buts ? les buts conscients mais surtout ceux qu'on a du mal à s'avouer. L'idée même d'ennuyer l'autre autant que je peux m'ennuyer tout seul à soliloquer est terrifiante. Cependant je vais prendre ça comme une sorte d'exercice et on verra bien où cela me mènera comme d'habitude. _______________________________________________________________________________________________________________________ Ma mère est née sur le sol français en 1936 de parents estoniens. Durant toute sa vie elle n’a jamais cessé de souffrir d’un déracinement dont elle n’était pas l’actrice principale. Je me souviens qu’elle m’a souvent parlé de la façon dont elle avait aussi souffert de l’image peu reluisante que les petites françaises et français qu’elle fréquentait lui renvoyaient. D’abord on l’avait traitée de russe, ce qui à l’époque valait encore moins que d’être italien, espagnol, portugais ou arabe. Les griefs dont on l’accusait alors c’était d’être étrangère tout simplement et pour bien marquer le coup on l’accusait d’être pauvre, d’être sale, d’être voleuse ou menteuse, c’est-à-dire d’incarner les défauts dont personne ne voulait ouvertement s’affubler et surtout de ne pas être tout à fait semblable à tous ces enfants qui l’entouraient alors. Sans aucun doute il lui aura fallu batailler beaucoup pour se fabriquer une estime d’elle-même afin de parvenir à camoufler cette faille que l’on n’avait pas cessé de lui indiquer. Au bout du compte une fois la cour d’école vide, il ne reste que des fantômes et toutes ces voix que l’on intériorise et qui n’ont de cesse de nous ramener à notre propre étrangeté. Son désir était d’avoir une fille mais ma naissance contraria ses projets. Ainsi j’allais devenir ce petit français qui presque naturellement allait s’intégrer sans trop d’effort en suivant le cursus « normal » c'est-à-dire une scolarité sans problème, des études et à la clef un travail une famille. Cette sensation d’être un pansement sur une blessure je crois qu’elle est venue très tôt dans ma vie. Un jour j’ai entendu quelqu’un me raconter une histoire d’oiseaux. Il parait qu’il y a toujours un oiseau qui ne mange pas en même temps que les autres. Qui se tient à la périphérie des festins pour surveiller les alentours et prévenir le groupe d’un danger éventuel. Le genre d’histoire que l’on retient parce qu’elle touche une partie profonde de qui l’on est. Mon père est né français, en 1935, à Paris. En retrouvant des photos de lui adolescent puis jeune homme je me suis dit que je n’aurais pas aimé le fréquenter. Belle gueule avec cette morgue dont je ne savais pas évidemment gamin qu’elle lui était nécessaire afin de dépasser de nombreux complexes qu’il s’était inventés. On ne choisit pas ses parents, mais on peut essayer de les comprendre avec le temps car cet effort n’est pas vain, il permet de s’expliquer les choses, même si de nombreux doutes persistent. Ma nature de buvard s’est imprégnée du sang des blessures parentales et certainement que la source de celles-ci provient de milles lieux et êtres que j’ignore et continuerai d’ignorer. Il s’agit d’une transmission, d’un héritage qui s’effectue sans papier, sans preuve, sans trace véritable et qui ne réside dans cette atmosphère dont on se trouve entouré peu à peu. Avec le temps on finit par savoir que c’est dans la lumière d’été ou la pluie d’automne que notre vrai patrimoine se cache. Chose totalement incompréhensible pour quiconque aura acquis la certitude d’être aimé, d’être légitime. Cette notion de légitimité ou bien comme on dit aujourd’hui ce complexe de l’imposteur ne réside donc pas uniquement dans la peinture mais dans une vie tout entière. Je l’ai rencontrée à chacune des étapes de ma vie d’homme et j’en ai aussi certainement beaucoup souffert avant d’apprendre à en tirer parti. Je ne voulais cependant pas continuer à perpétrer cette injustice. Je me suis rebellé très tôt contre les circonstances. Sans doute la force m’est -elle venue du fait que je n’avais pas à souffrir d’être étranger d’une part, pas plus qu’issu d’un milieu modeste puisque mon père s’était donné quelques moyens tout de même pour s’élever dans l’échelle sociale. C’était sa seule priorité véritable d’ailleurs. Un faisceau d’actions diriger vers le seul but qu’il se sera fixé à savoir devenir un homme qui compte parmi les autres au travers d’une image calquée sur les caïds du cinématographe. Il y avait à la fois du Gabin, du Blier chez lui, c’est ce qu’il désirait afficher. Mais moi qui vivait à ses cotés je sentais bien qu’au fond il était tout le contraire. Un soir d’hiver il était venu me trouver alors que je faisais mes devoirs à mon petit bureau et comme j’avais à faire des dessins d’indiens il attrapa le crayon et m’épata. Un Indien plus vrai que nature surgit d’entre ses doigts sur la page à grands carreaux de mon cahier. Quelques années plus tard un vendredi soir il revint à la maison avec une boite de couleurs à l’huile, un chevalet gigantesque et de grandes toiles. Le samedi il esquissa au fusain directement sur la toile un immense bouquet de roses, puis plaça quelques couches de couleurs épaisses et s’arrêta là. Le tableau resta longtemps sur le chevalet dans un recoin de la cuisine, puis un jour on monta le tout au grenier et il passa à d’autres lubies comme par exemple bricoler, où aller pécher le brochet. Mon père voyait toujours les choses en grand, en très grand. Aussi se lançait il dans la moindre activité, il ne souffrait aucun retard, aucune hésitation, aucun obstacle. Impatient et colérique il envoyait tout promener à un moment ou un autre ce qui ne m’arrangea pas la vie évidemment tant que je me basais sur son exemple. Ce fut quelques années plus tard que ma mère redescendit la boite de couleurs, le chevalet et quelle se mit à peindre. Toute sa mélancolie, elle la déversait dans la peinture en reproduisant des tableaux de maitres flamands avec un habileté proche de la perfection. Comme si cette perfection était pour elle une sorte de baume, de remède. J’ignorais alors l’erreur dans laquelle elle allait sombrer de plus en plus. Car tout le monde sait que la perfection n’est pas de ce monde. Ne parvenant pas à l’atteindre elle se renferma de plus en plus sur elle, devint aigrie contre l’existence tout entière et termina son processus d’auto-destruction par un cancer du colon qui l’emporta en 2003. Ce que j’en ai compris intuitivement c’est que j’avais une sorte de mission qui m’était confiée silencieusement de la part de mes parents et de tous les êtres qui font partie de cette chaine inouïe d’existences pour parvenir jusqu’à moi. J’ai énormément cru à cette histoire de mission. Le seul problème est que je ne savais pas du tout comment j’allais m’y prendre, au travers de quelle activité humaine ? Sitôt que j’imaginais une voie, j’arrivais presque immédiatement au bout et ce bout me paraissait être une impasse. Je n’avais pas le discernement suffisant pour comprendre que je ne faisais que reproduire le même modèle chimérique de mon père et de ma mère c'est-à-dire atteindre à la réussite quelle qu’elle fut afin d’obtenir une sorte de rétribution cosmique. Ma seule chance fut je crois de faire confiance au hasard. De n’avoir à un moment de mon existence plus aucune idée de but qui ne soit pas volatile presque aussitôt fabriquée. Que ce soit la répétition des postures nécessaires pour fonder une famille, une carrière, j’échouais lamentablement à chaque étape, j’en éprouvais un dépit authentique toutefois puis, le temps passant je comprenais aussi peu à peu que j’en étais comme soulagé de ces échecs. Comme si quelque chose en moi avait tout mis en œuvre pour accélérer le temps, bruler les étapes afin de voir ce qu’il pouvait y avoir au-delà. Au-delà il y avait le vide, le rien. C’est à partir de là que j’ai commencé à griffonner des textes comme pour meubler ce vide. A l’école depuis les plus petites classes autant que je puisse me souvenir j’ai toujours dessiné, et d’après l’admiration que me portaient mes camarades je crois que je dessinais plutôt bien. Mais j’aimais aussi attirer l’attention et pour ce faire je m’étais lancé dans la caricature ; Faire rire me permettait de passer pour un pitre, statut que je privilégiais car il m’évitait de partager mes déboires familiaux. Mon père dans ses colères ne se contrôlait pas plus que ma mère lorsqu’elle plongeait dans sa mélancolie. Leur façon de s’aimer était brodée d’insultes d’humiliations et de coups. C’était à la fois affreux pour mon frère cadet et moi-même autant que digne d’un spectacle de guignol. Nous nous en sortions ainsi en nous moquant pour ne pas hurler. Dans le fond des choses les parents servent aussi à cela, à montrer une figure de l’humanité à laquelle on ne veut pas ressembler car on se croit au-delà de ça. On se croit autrement, voire mieux ou meilleur. Encore une fois il n’y a que le temps qui permet d’obtenir suffisamment de discernement afin de remettre les pendules à l’heure et surtout de se libérer par le pardon, par cette part insupportable à supporter que l’on finit par déléguer à la Providence. La Providence, le hasard, l’inconscient, le soi, appelons cela comme on le voudra on se trompera toujours par le seul fait de vouloir la nommer cette invisibilité omniprésente, omnipotente, c'est-à-dire tenter de le contrôler. C’est par la peinture que j’ai fait mon éducation véritable. C’est la peinture qui m’aura tout appris de ce que je comprends de la vie. Elle aura été le catalyseur tout autant sans doute que l’écriture, avec un avantage sur cette dernière : le bavardage n’est pas obligatoire. Pourtant j’ai bavardé de tout mon saoul en peinture comme si le fait de me rendre compte de ce talent que je possède pouvait lui aussi rétribuer quelque chose de toile en toile comme dans une urgence. Me permettant aussi de rater à chaque fois cette cible imaginaire, la réussite, le chef d’œuvre comme il se doit. Pour enfin découvrir qu’aucun chef d’œuvre ne peut exister tant qu’on le cherche d’un point de vue extérieur. Au travers du regard des autres. Il faut fermer profondément les yeux pour voir. Avec obstination. S’enfoncer dans l’erreur complètement, ce que l’on a toujours cru être une erreur, une maladresse, un manque afin d’en découvrir tout à coup par hasard toute la richesse Il y a une phrase de Samuel Beckett qui m’a toujours hanté depuis que j’ai vu adolescent « En attendant Godot ». C’est le fameux quand est-ce qu’on va naitre ? Je crois que je considère la peinture un peu à la façon de ces clochards célestes se posant chaque jour cette question tout en réfutant systématiquement le confort d’une confortable pensée. Cette question c’est la même que Cervantes se pose au travers de Don Quichotte, que Van Gogh fait murmurer à ses tournesols et à ses cieux étoilés. Quand est ce qu’on va naitre ? La peinture et la vie n’ont besoin sans doute d’aucune autre question que celle-ci pour continuer à avancer. C’est peut-être une question que se pose l’univers tout entier à chaque instant, une question que se pose Dieu pour ceux qui y croient et surtout pour ceux qui n’y croient pas. Quand est ce qu’on va naitre, c’est aussi : quand est ce qu’on va enfin s’enraciner, réaliser enfin ce passage entre les énergies tectoniques et aériennes, devenir arbre, produire du fruit. Certains le peuvent facilement c’est comme si la simplicité leur était donnée de façon congénitale, d’autres rament une vie entière sans jamais pouvoir l’atteindre. Ce qui réunit les opposés c’est cette question de l’enracinement qu’importe l’arbre qu’importe le fruit. Le miracle est déjà dans la question. Parler de soi, se montrer j'ai toujours cette réticence à montrer ma figure sur les réseaux sociaux. Un crainte de l'obscène à dépasser aussi probablement. Du coup voilà ma photo !|couper{180}
Carnets | août 2021
Japonais sans le savoir.
Vous savez, parfois on pense inventer quelque chose, je veux dire que l'on pense être un pionnier dans un domaine, mais ce n'est rien d'autre que de la prétention, de l'ignorance, de l'orgueil et surement encore bien d'autres choses encore. Ainsi cela fait des années que je prône la maladresse comme source en dessin et en peinture et voici que je tombe sur ce mot japonais d'ETEGAMI. L'art de dessiner et peindre sans craindre d'être maladroit. Mon ego évidemment en a prit un coup derrière la carafe en premier lieu. Puis j'ai rigolé. De fait je suis plutôt spécialisé dans l'art de réinventer sans cesse la roue, voilà tout. Et en même temps n'est-ce pas rassurant de se dissoudre ainsi dans quelque chose de plus collectif, de quasiment universel ? Et puis à quoi servirait la fierté dans tout cela ? Ce serait évidemment se tromper encore une fois de plus sur ce qu'est véritablement l'art en général. L'art c'est de plus en plus pour moi une sorte de relais d'informations que l'on se transmet à travers des formes, des émotions, voire des concepts. Et évidemment il faut accepter de n'être seulement que le maillon d'une très longue chaîne, ce qui n'est pas évident lorsqu'on est jeune. L'âge a bien des défauts mais il possède aussi cette qualité d'apprécier la relativité de nos jugements, de nos engouements, de nos victoires comme de nos défaites. D'un autre coté il n'y a pas de fumée sans feu. Il m'est arrivé de nombreuses fois de penser que j'avais eu sans doute des vies innombrables, évidemment encore par vanité. Parmi celles ci revient souvent l'image d'un vieux moine zen au regard de gamin qui me sourit avant de léviter doucement et de disparaitre derrière les nuages. Dans le fond peu importe que ces vies antérieures existent ou pas me suis je dit puisque le but est bien moins de se survivre que de vivre et surtout de partager, de semer aux quatre vents tout ce qui me passe sans relâche par l'esprit. Non pas que je m'accorde une importance considérable mais je crois dans le hasard de plus en plus désormais, à l'ouverture vis à vis de ce que nous appelons le hasard. Tout m'est venu par le dessin et la peinture c'est ma seule éducation authentique. Les valeurs véritables que sont la justesse, la liberté, l'audace et le détachement. Par la maladresse acceptée j'ai fait comme les saumons, j'ai remonté les fleuves, les rivières, les ruisseaux. Je vois de plus en plus clairement la source sans toutefois avoir heureusement cette vanité de me confondre en elle. Il faut vivre sa vie, être ce que l'on est, c'est à dire suivre le cycle des éléments dans le bon ordre. Le plus difficile mais aussi le plus passionnant étant de trouver justement cet ordre.|couper{180}
Carnets | août 2021
Juste un petit pas de côté
Monsieur Williams ce jour là se fiche comme de l’an 40 de la 5ème avenue. La seule chose qui le préoccupe est de parvenir à effectuer cet infime déplacement qui lui permettrait-si tant est que cela soit possible- de se voir en face, en toute objectivité. Parvenir enfin à se détacher de sa propre image, sans trop d’effort, Enfin glisser juste un petit pas de côté. Cela fait quelques semaines qu’il s’entraîne, en vain. Et ça l’agace prodigieusement bien qu’il ne cesse d’afficher cette mine joviale, une sorte de posture qui a pour vocation de souligner l’empathie à la manière d’un choix depuis longtemps réfléchit. Cela fait des jours qu’il se surprend régulièrement à penser le contraire de ce qu’il dit. Bonjour chère madame la boulangère comment allez vous ce matin ? Comme votre boutique embaume ! Et ces croissants quel bonheur ! Mais vous n’auriez pas changé de coiffure ? Vous êtes radieuse ! ( quelle conne celle là avec son brushing années 50 …qu’est ce qu’elle veut donc prouver ? Se trouve t’elle vraiment appétissante ? Et cette blouse dans laquelle elle est engoncée comme… ce parfum… une véritable catastrophe…) Oh mais je sens que ma petite monnaie vous intéresse attendez voir, voici l’appoint ! Et votre mari va bien ? Et partirez vous en vacances et quand donc reviendrez vous, nous allons nous languir … etc etc ( regardez là se trémousser d’aise celle là décidément il en faut vraiment peu se dit Williams apercevant au delà du sourire commercial le petit endroit sensible où se niche l’orgueil féminin. Papillonnement infime des paupières, petit tremblement à la commissure des lèvres…redressement d’une buste pour faire saillir la poitrine avantageuse sous la blouse de nylon impeccable… c’est vraiment trop facile…) Une fois son petit tour effectué chez les commerçants du quartier monsieur Williams s’octroie un espresso chez Didine le bar de l’angle. Depuis 6 mois qu’il s’est installé ici le rituel est le même, un bonjour sobre, puis il se dirige vers la même table, le patron lui apporte son café sans dire le moindre mot en prenant soin de poser la note à côté, puis il repart derrière son comptoir. Monsieur Williams sirote son jus tout en observant la rue par les vitres poussiéreuses. Il a un don pour se raconter des histoires à partir d’un rien. Il reste ainsi une heure environ puis sort son porte-monnaie, choisit les pièces pour faire le compte juste, se lève puis ressort de l’établissement en adressant à Didine un bonne journée sonore auquel nul ne répond. Cette absence de réponse l’enchante secrètement et c’est certainement la raison principale qui le fait revenir ici invariablement. Et c’est aussi probablement ce lieu qui déclenche enfin la prise de conscience, cette volonté soudaine de parvenir à effectuer se détachement de sa propre image. En se trouvant tout à coup face à face à lui-meme ce jour précisément ou la table n’était pas libre et qu’il doit se rabattre dans l’arrière salle. Face à la grande glace dont on aperçoit le tain tant elle est piquée par endroit, monsieur Williams se voit enfin comme s’il était un autre. Presque un vieillard et comme il n’a pas à jouer la comédie il ne se trouve pas vraiment sympathique. Quelle sale gueule ! Si je rencontrais dans la rue je n’aurais sûrement pas envie de m’adresser la parole. Il esquissa une sorte de sourire bizarre pour tenter de modifier le cours ordinaire de sa vie, mais il n’y décela qu’une pauvre grimace, celle d’un pitre qui n’avait jamais eut de cesse de se réfugier dans le spectacle et il eut un haut le cœur. Cette vision lui fut tellement odieuse insupportable qu’il se leva et se dirigea vers la sortie en oubliant de payer sa consommation. C’est alors la voix du patron, Didine qui le réveilla de son étrange somnambulisme : Dis donc l’avorton tu aurais pas dans l’idée de partir sans payer des fois ? Monsieur Williams se confondit en excuses retrouvant comme par enchantement son sourire et sa fausse empathie, il sortit son porte-monnaie choisit avec soin l’appoint puis s’excusa encore un peu mais le patron avait déjà tourné les talons. Lorsqu’il rejoignit la rue les cris des enfants ressemblaient à des chants d’oiseaux et monsieur Williams se senti d’une légèreté prodigieuse. D’ailleurs au lieu de rentrer chez lui il rejoignit le fleuve et au bout d’un long moment qui pourrait ressembler à une méditation il regarda à gauche puis à droite, personne… il plongea et nul ne le revit jamais. https://youtu.be/HDH4K0Xw7ss|couper{180}