juillet 2021

Carnets | juillet 2021

Oiseau momifié

On dirait des bandelettes mais il s’en fout L’oiseau momifié Il voyage dans l’immobile L’œil ouvert dans l’ombre brûlée par les étoiles|couper{180}

poésie du quotidien

Carnets | juillet 2021

Comment en venir aux mots.

C'était à l'automne de cette année 1976 peu après cet épisode de grande sécheresse qui avait débuté durant l'été 75 et que l'on venait de revivre que je fis une découverte extraordinaire. Nous étions harassés je crois. Mon père notamment n'en pouvait plus de se débattre dans son désœuvrement. Le chômage avait frappé notre famille peu après la crise de 74. Et il se rendait compte à quel point tout ce qu'il avait cru avoir bâti et dont il avait coutume de s'enorgueillir de vive voix ne valait plus tripette. Sans diplôme il devait serrer les dents pour passer des tests psychologiques à chaque nouvel entretien, lui le vendeur formidable, ce héros issu tout droit des divers faits d'armes de Corée , d'Algérie Du Sénégal ou de Trifouillis les oies, qu'il ne cessait de ressasser pour combler le vide de ses journées. L'épouvante que représentait la misère à venir il la manifestait par une mauvaise humeur chronique. S'agaçant d'un manque de sel, rugissant contre le soleil, la lune et les oiseaux qui, disait-t 'il, ne cessaient de faire du boucan dérangeant sa tristesse et son perpétuel apitoiement sur lui-même. Ce fut à l'heure du diner peu après une crise aigue où il s'était emparé des ciseaux de couturière de ma mère pour trancher net un épis que j'arborais et qui l'agaçait au plus haut point que nous en vînmes presque aux mains faute de mots. Une discussion politique qui tourne mal ça arrive. Ce genre de discussion d'autant plus dangereuse qu'elle charrie de nombreux ressentiments sans même que l'on en prenne conscience. Ainsi en allait-t'il de l'abolition de la peine de mort au Canada , de la dévaluation du peso de plus de 50% au Mexique, ou bien encore de cette interdiction qu'avait lancée Aparicio Mendez à 15000 dirigeants des partis traditionnels Uruguayens d'exercer une activité politique pour une durée de 15 années. Je crois qu'à cette époque je ne ménageais aucun effort pour m'insurger contre à peu près tout et n'importe quoi à partir du moment surtout où mon père tentait d'imposer son avis, et invariablement un avis contraire. C'était si l'on veut la fin d'une dictature, sa statue était déboulonnée et mise à bas depuis tous ces mois passés durant lesquels, horrifiés, nous avions découvert le gamin capricieux qui se dissimulait derrière une carrure de géant gonflé de fatuité. Ma mère faisait des aller-retours incessants depuis la cuisine vers la remise attenante pour s'enfiler du blanc directement au goulot. La télévision était allumée depuis des 5h du matin et ne s'éteignait pratiquement plus que durant quelques heures au creux des nuits. Et malgré tout cela on continuait encore à me faire espérer dans un avenir, dans ces règles totalement débiles qu'imposent l'école, le monde du travail, alors que désormais tout concordait pour prouver leur vacuité. Je crois que je souffrais de ces mensonges innombrables comme on peut souffrir de l'absence. Il me semblait que je les avais perdu définitivement, qu'ils n'étaient plus que des fantômes d'eux mêmes. Et que par ricochet il fallait que j'agisse de manière pressante pour ne pas en devenir un moi aussi. C'est peu après "la nuit des crayons" en Argentine ou quelques étudiants furent enlevés et certains probablement assassinés sous le prétexte fallacieux d'une manifestation pour les transports, vers la mi septembre, que je fis le parallèle à voix haute entre la dictature militaire et la façon de se comporter de mon père. Il y avait des flageolets dans un grand plat de terre je m'en souviens encore très bien. Le coup de poing formidable que mon père décocha à la surface de la table fit léviter le tout comme au ralenti. Je vis la lèvre inférieure de ma mère trembler légèrement puis je fus trainé par une puissance inouïe vers la porte de la maison. Je fus éjecté ni plus ni moins presque sans un mot. Tout cela tombait à pic. Nous étions parvenu à un paroxysme. Il fallait bien qu'un orage enfin éclate. Néanmoins l'inconfort de me retrouver dehors pieds nus me fit ouvrir la porte et pénétrer à nouveau dans la maison. Je me hâtais d'aller chercher quelques affaires que je fourrais dans un sac tube, je pris soin de chausser aussi une paire de tennis . Et à cet instant où j'étais enfin paré pour l'aventure je les toisais tous les deux et le seul mot qui pu sortir de ma bouche fut "ciao !" C'était vraiment bizarre. Je refermais la porte soigneusement tout en me demandant où j'allais bien pouvoir aller et j'optais presque aussitôt pour la gare depuis laquelle je pourrai prendre un RER et me retrouver à la Capitale. Assis dans le wagon tout me paraissait tellement irréel. Je voyais le paysage défiler de chaque coté comme si je m'étais engagé dans un voyage intersidéral. Une sorte d'état d'apesanteur où je ne sentais plus du tout le poids de mon corps sauf la rage et la tristesse se mélangeant pour me donner une consistance sur laquelle m'appuyer un peu. Un peu mais pas beaucoup non plus. Je passerai rapidement sur les différentes astuces et expédients découverts pour survivre durant les quelques semaines qui suivirent. Et dont la plupart évidemment ne furent pas nobles. Il m'aura fallu voler, tricher, mentir, trahir, et je n'en ai pas conserver de mirifiques souvenirs. Cependant que parallèlement à la débine dans laquelle enfin je pénétrais pour de vrai et que j'allais explorer quasiment sans interruption durant des années je découvrais le refuge des bibliothèques. J'avais mis le doigt sur quelque chose qui me semblait plus gênant que la misère , c'était le manque de vocabulaire, l'impossibilité d'exprimer tout ce qui m'étouffait et la lecture fut à cet instant de ma vie aussi puissante que pour Bernadette Soubirou l'apparition de la Vierge. Je crois même que j'en fis une sorte de culte, une religion. Apprendre à lire cela n'était rien. Réapprendre à lire vraiment c'est à dire à développer sa propre pensée et le discernement fut comme un nouveau pallier. Quelques semaines plus tard je passais un coup de fil pour avoir malgré tout quelques nouvelles et tombais sur la voix de ma mère qui me dit ah c'est toi, ton père est à l'hôpital il vient de faire une crise cardiaque. J'ai dit j'arrive. Mais je ne suis pas allé à l'hôpital. J'en ai profité pour prendre quelques affaires que j'avais oubliées dans ma précipitation, notamment ma guitare. Chanter dans les rues et les cafés allait devenir bientôt mon gagne pain et c'est grâce à cette guitare sans doute que je n'ai pas sombrer totalement dans la délinquance. Je suis retourné presque aussitôt vers Paris. Tu es vraiment sans pitié avait lâché ma mère sur le seuil de la porte en me regardant partir à nouveau. Ce n'était pas un choix c'était la seule solution que j'avais trouvée à ce moment là pour ne pas m'empêtrer dans la compassion ou la pitié. Si j' avais succombé à ces sentiments m'étais je dis sans vraiment me le dire, les choses auraient repris leur cours exactement comme avant j'en étais persuadé. Si j'avais éprouvé compassion et pitié à cet instant de ma vie je n'aurais pas eu la même vie que celle-ci. Non pas que l'une puisse être plus intéressante qu'une autre, ni pire ni meilleure. Mais j'en avais tout simplement assez de cet amas de non dits, de ce mauvais silence entre nous tous. C'est ainsi que j'en suis venu aux mots.|couper{180}

Carnets | juillet 2021

La conscience et le temps

Depuis plusieurs jours je ne cesse de penser à mille petites choses qui d'ordinaire me paraitraient insignifiantes. Lorsque je dis "penser" c'est un bien grand mot. Car à la vérité, elles se présentent à ma conscience sous forme de petits flashs, comme ces étoiles filantes dans le ciel nocturne de la mi aout. Il y a toujours un doute sur leur apparition et leur disparition. A un tel point que le spectateur lui-même pourrait , à ce moment là, douter de qui il est. Ce sont de petites choses comme par exemple le fait que très récemment quelqu'un sur le parking a éprouvé le besoin pressant de s'emparer des essuie-glace de mon vieux Kangoo. Ou encore le fait que mon attention se soit soudain fixé sur une anfractuosité du grand mur bordant la cour à l'Est. Cela m'arrive régulièrement d'examiner les murs, je pourrais presque parler de manie, ou d'habitude. Alors pourquoi est-ce que mon esprit rejoue régulièrement la scène de cet instant là particulièrement ? Comme s'il représentait une sorte de synthèse de toutes les anfractuosités déjà observées tout au long de ma vie. Comme si aussi ce vol d'essuie-glace n'était pas seulement un vol d'essuie-glace mais le symbole de nombreux larcins dont j'ai été la victime, et même le coupable finalement. C'est comme si ces micro évènements étaient des punaises qui à un moment donné épinglent la conscience dans un instant particulier, la focalisent sur celui-ci et que simultanément il n'existe plus que cette scénette, que tout le reste tout autour s'évanouisse mystérieusement. Cela forme une sorte de galaxie mais en fait je pourrais aussi bien parler d'un espace clos à l'instar d'un bocal dans lequel ma conscience aurait à peu de chose près la forme d'un poisson rouge. Et évidemment ce poisson se heurte perpétuellement aux parois de verre du bocal. Il ne peut avoir accès à l'au-delà de celui-ci. Ce qui me fait réfléchir sur l'attention que l'on porte à certains pans de notre existence, à certains pans de la réalité qui nous entoure, et pas à d'autres. N'est-ce pas cette attention seule qui crée ce que nous nommons la vie, la réalité, le monde, et je ne sais quoi d'autre encore ? Et nous faisons exactement là même chose avec la notion de temps. Nous attribuons de l'importance, de l'attention à certains instants et très peu à d'autres. C'est comme si nous vivions dans une large proportion de notre existence totalement inconscients et du temps et de la réalité. Aussi loin que je puisse me souvenir de qui je suis j'ai toujours été frappé par cette évidence : l'inconscience dans laquelle nous baignons tous et en même temps ce genre de folie d'attacher une attention souvent démesurée à ce que nous nommons "important". Peut-être que ma révolte à l'origine ne provient que d'une indignation profonde et qui concerne en grande partie cette indifférence que la plupart des gens entretiennent avec le monde et eux-mêmes. J'ai perdu si je peux dire un temps formidable, des années à m'insurger contre l'évidence. Mais dans le fond je ne suis pas si différent que tout à chacun. Je n'attribue pas non plus de l'importance à tout. Parfois même en ayant poussé jusqu'à l'extrême l'indignation je n'en ai plus attribué à rien. J'ai passé aussi un temps fou à me foutre royalement de tout et surtout de moi-même. Aujourd'hui j'ai exploré à peu près tout ce qui était en mon pouvoir en matière d'attention ou d'inattention et j'en reviens encore une fois à la position du milieu. En espérant qu'il soit juste. Juste pour ne faire pencher le fléau de la balance ni vers l'une ni vers l'autre. Parvenir à une équanimité quasi totale. Mais c'est une folie évidemment et pour m'en préserver à un moment donné j'ai du avoir l'intuition que je parviendrai à cette conclusion un jour ou un autre, et je me suis préparé un antidote. Le fait de me marier. C'est extraordinaire le mariage quand on y pense. A deux on se corrige perpétuellement en matière d'attention. Lorsque mon épouse par exemple me dit "tu ne fais attention à rien" j'entends tu ne fais pas assez attention à moi. Et vice versa évidemment. On a toujours de quoi corriger le tir. Par tâtonnement peut-on dire, on appréhende ce que peut être la paix du foyer, quand on est fatigué des guerres. Cette fatigue pour autant qu'on s'y intéresse, que l'on puisse aussi lui accorder de l'attention représente souvent ce que l'on nomme la fatigue du quotidien. C'est à dire toute cette attention que l'on porte à des habitudes comme aux parois du bocal. Ces habitudes qui créent le bocal dans lequel il n'y a plus seulement un poisson rouge mais deux. On se plaint parfois de cette fatigue, lorsqu'on lui porte une attention trop importante. C'est à dire que l'on ne voit pas les bénéfices qu'elle dissimule, qu'on ne veut pas les voir sans doute. Pourtant ces deux poissons rouges ne sont pas là par hasard autant qu'on puisse le croire. J'étais en train d'écrire ce texte lorsque soudain mon épouse m'appelle. Un problème avec son ordinateur à résoudre de façon urgente. La première chose qui me vient est bien sur l'agacement. Je déteste être interrompu pendant que j'écris. je maugrée, je râle plusieurs fois, je fais ça aussi par habitude. Mais je sais aussi qu'à un moment ou à un autre je vais me lever et me diriger vers son bureau, et examiner le problème. C'est toujours le même schéma mais j'éprouve cette nécessité de râler malgré tout, de m'attarder quelques instants pour m'apitoyer sur mon propre sort. Le genre "pourquoi moi ?" on connait tous plus ou moins cela n'est-ce pas. Cet instant, la conscience de cet instant où soudain on baisse les bras et où l'on se dit que ce qu'on est en train de faire n'a pas plus d'importance finalement que le vol d'une paire d'essuie-glace ou bien l'attention que l'on porte à un trou dans une paroi. On se lève et l'on plonge dans l'inconnu que représente cette nouvelle panne informatique et on ne se rend même pas compte que c'est une chance de traverser enfin la paroi d'un bocal où d'une relation que l'on a installée malgré nous ou à cause de nous. Que c'est une chance qui s'offre pour voir un peu plus loin que le bout de ses nageoires.|couper{180}

Carnets | juillet 2021

De la sauvagerie au raffinement

"Pour PRG quelques éléments qui me sont venus suite à une question posée sur la notion d'auto-sabotage." De la pulsion à la pensée. Pour illustrer ce voyage de la pulsion à la pensée j’aimerais parler du refus. Un refus magistral tout d’abord qui se manifeste dans la révolte, dans un « non » catégorique et ce dès les premiers pas. Si le but premier, fut interprété par le simple fait de se tenir debout et d’appartenir ainsi à l’espèce, tous les efforts à produire pour tenter d’y parvenir me parurent absurdes presque immédiatement. Ces premiers échecs à répétition furent comme prémonitoires d’un avenir tiraillé entre l’envie de réussir quoique ce soit et celle de systématiquement tout rater. C'est-à-dire que dans mon for intérieur déjà pesait lourd le pour et le contre. J’avais beau me creuser la cervelle je ne comprenais pas grand-chose à ces idées de réussite qui ne m’appartenaient en rien et que je sentais impérieuses comme un héritage laissé en jachère dont j’avais en charge l’entretien et surtout l’injonction silencieuse d’une fructification. Il fallait faire mieux. C’était ce mot d’ordre certainement qui n’était jamais prononcé clairement qu’il fallait capter. Que j’ai capté comme un buvard boit l’encre. Faire mieux était un non-dit, un implicite et tout ce qui n’était que « bien » ne pesait pas bien lourd dans cette balance invisible. Je crois que mes tous premiers refus tirent leur origine de cette injonction invisible qui, par son importance, son omniprésence, était une béance trouant le monde tranquille que l’on me présentait sans relâche comme une réalité à accepter les yeux fermés. Aujourd’hui avec le recul les choses se sont complexifiées car les années et l’expérience m’auront contraint à apprécier ou détester la nuance. Évidemment que rien n’est noir ou blanc, qu’entre ces deux extrêmes s’étalent l’immense gamme des gris. Un marais boueux dans lequel on s’engage pour chercher quelque chose que l’on ne trouve jamais. Parce que tout bonnement l’important n’est pas de trouver mais de traverser. Toutes ces pensées semblables à des poupées russes dont l’ultime est si infime, si insignifiante qu’elle se confond à l’extrême avec l’incohérence. Comme si la cohérence naissait de la présence invisible elle aussi cette graine folle. Comme si la cohérence était la seule et unique nécessité que des générations passées nous avaient léguée comme on léguait la braise et la flamme pour permettre au groupe de s’éclairer dans l’obscur, de traverser la nuit, tout en se réchauffant à l’abri des vents glacials. La sauvagerie dont je parle remonte à une époque d’avant la découverte du feu, d’avant la découverte de cette cohérence. Cette sauvagerie animale prise au piège si l’on veut, dans les filets de la logique incompréhensible nécessitant de se lever, de marcher, de se tenir enfin debout comme tout le monde. Je ne me souviens pas de mes premiers pas. Je ne me souviens que de l’effroi provoqué par le fait de ne pas y parvenir, de cette désespérance apportant avec elle la colère, la haine, l’envie de me terrer à jamais sous terre, la preuve de ma faillite comme si quelqu’un ou quelque chose n’attendait que celle-ci. Cette attente indicible de la chute à venir comme une clause écrite en minuscules dans un contrat illisible. L’ambition ne pouvait provenir que d’un sentiment de revanche, du ressentiment. L’ambition était déjà souillée avant même qu’elle ne se présente comme but à atteindre comme un chemin sans embûche. Et je n’étais pas d’accord avec cette ambition-là, je n’ai jamais cessé de lutter contre sans même connaître le mot. Cette ambition était un fardeau qui amoindrissait l’être qui le recroquevillait sur lui-même, qui ne rendait rien heureux, mais au contraire posait sur un piédestal l’effort le difficile, la souffrance et le pénible comme des passages obligés dans le labyrinthe que représente toute idée de réussite. Au mieux j’éprouvais de la compassion au pire la sensation du ridicule qu’entrainait un tel postulat. Et je ne me décidais jamais à prendre parti pour l’une ou l’autre. La meilleure position que j’ai toujours choisie était de me tenir dans l’équidistance de ces deux extrêmes. Entre l’amour fou et la dérision la plus totale. Si je puis écrire tout cela aujourd’hui c’est que malgré tout j’ai effectué un chemin qui s’élance depuis la pulsion jusqu’à la pensée en passant sans doute par le kaléidoscope de toutes les émotions, de tous les sentiments. Je me suis éloigné du centre névralgique sans pour autant jamais le quitter du regard. A bien y réfléchir je ne suis pas peintre pour rien. Je ne peux voir un tableau comme une obsession qu’en prenant de la distance avec ceux-ci, en multipliant les points de vue. En me détachant des émotions des pulsions basiques comme des idées toutes faites. A bien y réfléchir aussi ce n’est pas ce qu’il y a sur le tableau qui m’intéresse le plus. C’est bien plus le cheminement pour parvenir à accepter qu’il y a quelque chose à voir, et que je suis en partie responsable de ce quelque chose. Que sans moi il n’y aurait qu’une toile vierge. Que sans moi il n’y aurait qu’une attente silencieuse s’étendant aux confins de l’univers comme une faim, une soif qui ne s’apaisent jamais. Peut-être que je peins aussi pour cela pour calmer la faim et la soif, pour leur donner une raison d’être si ce n’est une raison véritable, partageable, échangeable. Un être plus qu’un avoir, une possession, une propriété, un bien. La peinture est d’abord un médium. Un outil. Ce n’est jamais une fin en soi. Mais c’est l’outil que j’ai choisi pour cheminer entre la pulsion et la pensée. Ce qui est étonnant c’est la faculté que possède la peinture pour faire taire la pensée tout en la nourrissant de silence et de calme. Comme un enfant que calmerait une mère en lui donnant le sein pour qu’il s’arrête de brailler. Mes tableaux sont ils vraiment représentatifs de ce cheminement ? Et quand bien même en quoi cela intéresserait il les gens ? c’est ce que je me demande de plus en plus désormais. Lorsque je regarde l’ensemble je ne vois guère qu’un fouillis, un désordre. Des scories résultant du creusement d’un filon laissé à ciel ouvert par les mineurs. Il faut alors que je me pose la bonne question : Qu’est ce qui est vraiment important ? Est-ce la déception de ne pas avoir réalisé une œuvre digne de ce nom et rejoindre ainsi l’amertume familiale pour jouir enfin de tout mon saoul du leg ? Ou bien est-ce la reconnaissance de posséder un cœur vraiment contre toute attente. D’être parvenu finalement à trouver cette fameuse pierre philosophale capable de transmuter le plomb en or et de garantir une éternelle jeunesse ? Là encore je ne prendrais pas position. Je me dirais encore que la modestie vaut bien tous les trésors tous les legs du monde. L’entre-deux m’a toujours aidé finalement à ne pas sombrer dans la folie c'est-à-dire à revenir tout entier dans la pulsion ni à m’égarer à jamais dans la sublimation. C’est comme cela que j’ai compris qu’il fallait marcher au bout du compte, je ne suis pas fichu de dire si c’est la meilleure ou la pire façon de se tenir debout et d’appartenir à l’espèce. Mais c’est celle qui me convient et qui me mènera sans aucun doute à la destination finale le plus naïvement lucide que possible. Pour ça je crois que j'aurais fait de mon mieux comme on dit. A ne pas confondre je ne le crois plus avec du désespoir ou de l'auto-sabotage, il me semble que c'est tout le contraire. Sans doute que pour la plupart ce ne sera pas limpide mais je mettrais ma main au feu, c'est serein et joyeux me concernant. Le raffinement à venir. Peut-être faut il considérer le raffinement comme l’extraction d’une essence plutôt que de m’essayer à devenir dandy. Le laboratoire me convient mieux que n’importe quelle mondanité. Je suis bien, plus à l’aise, avec les alambics et les cornues qu’avec n’importe quel être humain qui exprimerait cette nécessité d’avoir à parler, à partager, à expliquer échanger, bref qui se donnerait une raison d’exister. Un autre moi insupportable plus encore que je m’insupporte moi-même. Le raffinement passe aussi par la solitude, celle de l’atelier, celle de la page de traitement de texte. Au bout du compte ce sont les seuls lieux où je me sens bien, où j’ai l’impression d’être totalement présent et de marcher sans produire trop d’effort. Mieux que de marcher même car c’est autre chose que simplement le corps qui est en mouvement. C’est la sauvagerie et la pensée enfin alliées pour une éternité d’instants, deux contraintes qui forment un pont une passerelle, une liberté.|couper{180}

réflexions sur l’art