janvier 2024
Carnets | janvier 2024
20 janvier 2024
Qu’est-ce que la fin d’un voyage, d’une vie, ou même d’un simple article de blog ? Peut-être un recommencement, une exploration perpétuelle de ce que l’on quitte pour mieux retrouver, différemment. Avec une lucidité amère, l’auteur questionne ce besoin de mettre fin pour toujours redémarrer, d’effacer pour redessiner, sans jamais vraiment savoir.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
19 janvier 2024
L’idée du voyage dépasse souvent les simples déplacements physiques. Entre les souvenirs flous de lieux visités et les explorations mentales à travers la lecture, notre esprit parcourt plus de territoires qu’aucun corps ne pourrait atteindre. Ce texte explore les notions de vitesse, de pensée et de l’influence des récits qui, réels ou inventés, dessinent nos horizons intérieurs.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
18 janvier 2024
Il y a plusieurs façons de prendre les choses, et mon quotidien est un équilibre fragile entre le détachement et l’humour discret. Entre les dédoublements d’assoupissement et les dialogues improbables avec une intelligence artificielle, je m’interroge sur le sens de ces moments suspendus. Entre nostalgie et légèreté, je me perds dans des rêveries d’exploration, cherchant toujours quelque chose d’extraordinaire qui viendrait bouleverser l’ordinaire|couper{180}
Carnets | janvier 2024
17 janvier 2024
Je pourrais m’évanouir toujours de l’arbre. J’allais encore faire une longue phrase mais non. C’est que je lis mal les premiers mots de cette phrase écrite par C. : je pourrais m’émouvoir toujours de l’ombre d’un arbre […] . Rien à voir avec s’évanouir. Quoique. Un jour ça m’est arrivé. Avec un cerisier. Il faut que je retrouve cette vieille formule antigravitationnelle. Léviter de temps à autre — renforce, de toute évidence — l’agrément déjà offert par ces belles journées pluvieuses. Allons ne nous emballons pas, nous ne sommes pas le Pont Neuf. D’où tu sors ce nous ? Qu’ai-je appris hier ? Qu’un prêtre portugais, Bartolomeu de Gusmão, construit le premier avion, la Passarola, au 18ème siècle. Qu’à l’origine, associé aux anges dans la tradition judéo-chrétienne, l’égrégore a évolué pour désigner une force créée par la volonté ou les croyances collectives. Que René Guénon s’appelle aussi Shaykh Abdel Wahîd Yahyâ. Que Sous ce nom, il a vécu et travaillé en Égypte, contribuant significativement à la métaphysique, au soufisme et à d’autres domaines intellectuels. Que les impôts nous remboursent une somme assez rondelette. Que la boite à lettre n’est pas toujours l’adversaire. Que l’on a beau dire ou faire, le regard du coin de ma rue se bouche comme ça lui chante. Surtout s’il pleut. Que J. fonce sur sa thèse et qu’il a de grandes chances de l’achever dans les délais. Qu’un extrait de naissance avec mentions dans les marges doit dater de moins de trois mois pour créer son dossier de retraite. Que désormais on peut se filmer pendant deux minutes sur la plateforme vidéo générator Heygen pour créer des vidéos à gogo avec tous les scripts qui nous passent par l’esprit — ça promet. Que l’intelligence artificielle est paresseuse en décembre. Que Mixtral va probablement gagner le pompon. Que l’Amérique est résolument nihiliste et qu’elle cherche des poux au monde entier pour un oui pour un non. Que le protestantisme est à creuser pour comprendre à quel point la chute est douloureuse. Que les britanniques ne valent guère mieux que les Amériques sur le même point. Que la Russie n’a pas les moyens suffisants pour envahir l’Europe. Que d’appuyer sur le bouton rouge sera un recours défensif surtout. Que Super U a baissé le tarif du Gas oil. Que le mari de la fleuriste est mort. Que je devrais arrêter de lire C.S et m’entraîner à faire des phrases simples. Qu’il est d’une facilité déconcertante de créer un ebook et de le publier sur Kindle. Pas plus de trois par jour cependant. Que dessiner des petites choses est thérapeutique. Que tout ce qui me traverse comme tous les jours n’a ni queue ni tête. Que ça m’amuse. Que parfois j’éprouve un peu de culpabilité à m’en amuser. J’essaie de me souvenir. Mais non, on ne peut plus l’éviter. Perdu la formule. D’où tu sors ce on ? Elles sont deux hier sur les cinq prévues. La discussion porte sur les copines. Celle-ci attend une opération depuis trois mois dans cet hôpital. Que son médecin part en retraite et qu’elle découvre le désert médical. Je ne me mêle pas. J’ai pris un petit bout de papier et j’ai dessiné la lune heurtant la terre à l’époque des Géants. J’ai pris comme modèle une illustration fabriquée par une machine.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
16 janvier 2024
Ne repasse pas sur un trait, trace-le d’un geste, d’un seul, sans y revenir, sans doute. L’époque est au retrait et c’est bien car avant d’oser la trace juste beaucoup de ratages de brouillons, d’esquisses et d’esquives. On ne peut pas mettre la charrue devant les bœufs, ça les perturbe, en outre ils n’en deviennent pas plus efficaces. Efforce-toi de l’accepter, en premier lieu le trait ne sera pas juste. Il te faudra le retracer maintes fois et aussi en pensée et aussi dans ton sommeil et aussi à ces moments de vacuité dans lesquels on tombe dans de biologiques contingences. Retrace ton trait cent mille fois et recommence. J’ai tiré un trait définitif sur tel être ou telle chose maintes fois et avec quelle douleur bien souvent et aussi parfois avec joie, j’ai tiré des traits et aussi extirpé à la pelle des boyaux et des entrailles, pour m’en faire des cordes de violon, de vielle et à la fin cent mille fois m’y pendre. J’ai eu des nausées qui m’obligeaient au recul, à la fuite, à la course éperdue mais c’était brouillon esquisse esquive, je ne savais rien alors encore de ce que signifie le retrait. Car le retrait c’est être là dans l’entrelacs sans mot dire, sans maudire, sans rien dire, le geste, le regard, l’accueil s’effectue sur une nouvelle fréquence de l’être, on n’a pas besoin d’en parler de l’exhiber. On le fait et c’est tout, c’est ainsi que le trait dans le retrait est le plus juste.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
15 janvier 2024
A cause de la couleur cette année là— 1975— une couleur chaude entre l’orange la terre de Sienne l’ocre et toutes nuances, tons, valeurs se heurtant, s’épousant et se heurtant encore —au froid bleu du ciel, aux reflets de turquoise de la mer vineuse— mais qui ne sont pas plus désormais qu’ une photographie jaunie semblable à toutes ces autres photographies servant autrefois de lanceurs, de supports — provenant d’Estonie, mais dans lesquelles un petit bout d’étrangeté scintille sourd comme tout ce qu’on ne peut dire, qui est là et qu’on ne peut pas dire— mais qu’en reste t’il vraiment, à part ce que nous voyons encore dans le présent dans ce présent même où l’on se souvient de cette éternité vécue. Des gestes, des voix, des odeurs, des joues effleurées, des corps étreints, le goût des mets, l’impression laissée par les ambiances traversées, celles qui nous traversent que nous traversons. A cause de la couleur alors celle que peut prendre notre adolescence à ce moment-là et encore ici, bien après 1975, et cependant ne pas y sombrer, mais revenir dans la danse, spectateur et danseur, juste un instant, un petit moment pour être là, cette année là 1975, ce jeune type sur la photographie. À cause de la couleur des derniers rayons de soleil qui s’infiltrent entre les maisons et les ruelles de Meta di Sorrento pendant que le village s’habille de teintes d’or et de pourpre que les habitants comme animés par une force invisible se mêlent dans les rues que les voix s’élèvent que les rires des enfants rebondissent sur les murs de pierre que les vespa vrombissent dans les pentes et que les marchands annoncent leurs dernières offres du jour comme pour rire tandis que les odeurs de la mer, moules huitres, poissons et coquillages se mêlent à celle des citronniers se mêlent aux saveurs d’olive de basilic qu’en une trame soudain présente, enivrante mais qui tremble et s’évanouit doucement à mesure que l’ombre s’étend et que le soir s’abat sur le village —une autre scène se déploie dans les ruelles ici et là les jeunes se réunissent, devant les grilles de la grande bâtisse, une petite troupe joyeuse et insouciante qui soudain s’égaille leurs pas les portent si naturellement vers la boutique du fromager —ce lieu où elle nous mène, cette femme aux beaux yeux en amande, vers cette lumière dorée, ce point de ralliement, une escale après le lent et doux tumulte de la journée Que les gestes ici ressemblent comme deux gouttes d’eau aux gestes de là-bas, on ne le voit pas bien sûr, l’exotisme nous aveugle, l’excitation du nouveau nous embrume. A moins que ce ne soit encore qu’un principe de la vieillesse de ne plus s’attacher qu’aux ressemblances, au vraisemblable. Une sorte d’abdication dans le semblant ou le semblable. mais en attendant, observe tout cela et comment tes yeux s’attardent sur les gestes répétitifs des femmes des hommes autour de toi, la grand-mère dans sa cuisine équeutant les tomates cerises avec un savoir-faire antédiluvien tout comme celui de ces mères tressant les cheveux des filles sous les platanes et bien sûr le mouvement, oscillatoire, rappelant le vent dans les bambous celui de ces types jouant aux bocce sur la place du village —leurs gestes précis et rythmés par le jeu et leurs discussions animées autour d’un verre de limoncello ( clic clac cliché) Ne sont-ce pas les mêmes gestes que tu vois depuis toujours dans tous les lieux, entre tous les murs, sous tous les toits. Tout ce qui apparait faussement étrange à première vue avant de sombrer tôt ou tard dans l’Histoire et son horizon infranchissable de déjà vu. L’avantage sans doute de se tenir là, ce moment là , à la lisière de l’enfance et de l’âge adulte et d’observer ces rituels immuables, ces gestes qui tissent le quotidien, toutes ces actions si simples et pourtant si chargées de significations, de liens invisibles qui unissent les gens de Meta di Sorrento entre eux, mais pas seulement, à tout ce qui en toi peut encore peut porter le nom d’humanité. Te voici un vieux comme disent les jeunes, comme toi tu le disais aussi jadis quand tu étais l’un des ces jeunes — les vieux. dans la fromagerie peut-être à cause de lui, le fromager— un homme à la stature pas bien imposante, presque malingre, mais au regard noir et vif et cependant tellement bienveillant et dont les mains comme des oiseaux armées de plumes tranchantes découpe avec générosité des morceaux de fromage pour nous les offrir— il les présente au bout du couteau, il les offre comme on offre le plus précieux, sa candeur, mais sans démonstration comme si tout ça était naturel, normal — ce bout de fromage comme un drapeau, un hymne, dans la nuit tout autour, bien au delà de l’épicerie , la nuit dans laquelle on peut se retrouver quand on songe au passé, à tous nos morts, tout ça bizarrement rassemblé là dans un simple bout de fromage, dans une ambiance laiteuse et beurrée — sourires, émotions, partage— on en rit avec du fromage plein la bouche on en rigole, on pourrait bien en pleurer mais non on discute, le fromager raconte des histoires prenant comme prétexte chaque type de fromage, son origine, son appellation, sa fabrication, des histoires qui semblent faire partie intégrante de la culture du village et je pense au monde, à la planète Terre qui n’est plus si ronde, au dernière nouvelle en forme de poire. Et tout ça à cause du gout de la poire mélangé à celui du parmigiano.. mais qui m’expulse soudain me fait éprouver encore de façon plus cruelle plus aigüe ma propre étrangeté au sein même de toute cette étrangeté méditerranéenne, sans me tromper sur la planque dont l’étrangeté se sert à travers des adjectifs. du regard suivre encore durant un instant fugace ce morceau de fromage de la pointe du couteau glissant dans l’air puis disparaitre, englouti entre les lèvres de cette femme qui nous conduit ici et en éprouver encore le même désir— à moins que ce ne soit âme défunte ce fantôme de désir – Mais plutôt et soudain vite—une issue pour s’enfuir. Le désir très semblable à ce moment-là à la poudre d’escampette. Prendere la polvere di scampo une confusion douce, et ce vieux sentiment retrouvé du nouveau du troublant, l’air s’est empli d’électricité, le bruit, le rythme des découpes du fromage le couteau heurtant la planche de bois , le bruit du papier froissé, des conversations animées, les effluves de fromage affiné se mêlent aux arômes du pain frais et du basilic. Ensuite nous marcherons longtemps dans les rues en pentes, le silence nous cueillera quand nos hanches se frôleront. A cause de la couleur sépia du souvenir, à cause du fromage qui ici à une texture semblable à celle de la pâte sablée sur la langue, et les odeurs d’iode de basilic…mais ça suffit.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
14 janvier 2024
Il faut aller puiser dans la réserve de bienveillance, l’imaginer comme une grande citerne sous la maison, un trésor de patience se trouvant dans une niche à côté ou dans les combles, sous le toit — Qu’un héros de l’enfance tombe et c’est une étoile qui tombe— c’est la nuit épaisse qui nous entoure. Peut-être que la nuit, son épaisseur vient seulement d’un manque de bienveillance, de patience, parce qu’on ne sait pas encore l’utilité de ces artéfacts, ils sont là depuis des millions d’années, il ne servent qu’à inspirer l’idée d’une réserve sous la maison, une étagère, une niche, un autel, un genre de crypte où serait conservé un trésor, une denrée précieuse, et il suffirait d’y songer seulement pour que la lumière soit, que l’on puisse s’extirper des filaments collants du sommeil, de l’obscurité magistrale. J’ai vu plusieurs fois les étoiles tomber. D’abord mon grand-père paternel s’emparant d’un couteau de cuisine menaçant ma grand-mère, puis quelques temps plus tard mon père battant ma mère —Ces éclats de violence dans ma propre vie m’ont amené à réfléchir sur notre monde, où de tels actes trouvent leurs échos dans le bruit assourdissant de notre époque. Ainsi, comme la bienveillance et la violence se côtoient dans nos maisons, elles se reflètent dans le miroir de notre société, transformée par des années de changement technologique et culturel Trop souvent, nous nous précipitons dans l’arène de la diatribe et du jugement avec une facilité déconcertante. Nos paroles, tranchantes comme des lames, se déploient dans un élan critique presque instinctif, éclipsant la douce lumière de la bienveillance. Cette propension à critiquer, à disséquer les actions d’autrui avec une rigueur impitoyable, semble presque enracinée dans notre nature. Pourtant, au cœur de cette tornade de jugements, une voix intérieure murmure, insufflant un sentiment de culpabilité. Elle nous rappelle que chaque mot acerbe lancé dans le tumulte du mépris pourrait être un pont brisé vers la compréhension, une opportunité manquée de cultiver l’empathie. Dans ces moments, nous réalisons combien il est aisé de se perdre dans le labyrinthe de la censure, et combien il est ardu, mais essentiel, de revenir sur le chemin de la compassion et de l’entente. Le monde d’avant, celui avant les années 2000 le passage à l’euro, la pandémie, ne fut pas meilleur que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Nous étions aussi prisonniers de nos pulsions, de notre candeur, de nos lucidités passagères que nous le sommes désormais des algorithmes, des slogans publicitaires, des mots d’ordre la pensée unique qui s’est étendue désormais sur l’ensemble de la planète. Les ombres du passé, avec ses tumultes et ses douleurs, se projettent dans notre présent, façonnant la manière dont nous percevons et exprimons nos émotions les plus profondes Nous regrettions jadis de ne pas puiser autant qu’il nous aurait plu de le faire dans la bienveillance, comme aujourd’hui nous nous mordons les lèvres d’être étouffé par celle-ci. Désormais nous vivons dans un monde aux valeurs inversées. Ce que nous conservons comme des trésors ce sont la colère, la haine, la violence. Il ne nous est plus permis de les afficher sous peine de perdre des points sur notre crédit social. Cependant nous les façonnons en secret, tentons d’en créer des œuvres d’art, nous les débarrassons avec la plus tenace des patiences de toute notion d’utilité, nous nous gardons bien de vouloir nous en servir, d’en tirer un quelconque profit, ce sont nos divinités toujours changeantes que nous y plaçons ici dans la plus grande profondeur de la cave, du gouffre, de l’antre, de la grotte avec les années. Puis nous nous reculons de quelques pas dans la pénombre pour mieux les admirer, admirer ce grand vide d’où nous extirpons les mots, les pensées, la bienveillance, comme la haine, le ressentiment, nous finissons par les transformer avec de la chance en statuettes d’argile, en témoins un peu grotesques de notre passage ici bas.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
13 janvier 2024
Quatre ans après le début de la fin d’un monde En me levant, la fatigue pèse sur mes épaules et tout de suite, cette pensée me traverse : Je n’en peux déjà plus. C’est comme si je replongeais dans le même cauchemar, malgré tous mes efforts. Mes illusions semblent s’envoler, ne laissant derrière elles qu’une âpreté brutale, peut-être le seul véritable synonyme de ce phénomène que j’appelle vivre. Je réalise presque aussitôt que c’est exagéré, cette idée noire qui me vient dès le matin. Je peine à dissocier le narrateur de ce journal, celui que j’ai créé il y a quatre ans, de l’homme réel qui lui donne vie. Mes lectures, mon penchant pour le romantisme, ou plutôt le romanesque, semblent me dater, me rendre tristement obsolète. C’est un constat amer. Pourtant, au fond de moi, je sais qu’il y a une part de vérité dans ces mots, sinon pourquoi continuerais-je à écrire ? Cette obsession est là, omniprésente, et je dois composer avec elle : je suis fatigué de cette vie, fatigué des mensonges incessants. Je ne parviens plus à distinguer les miens de ceux qui, de plus en plus, semblent m’entourer, m’étouffer. Je ne peux plus ignorer cette accumulation de faux-semblants, elle me confronte chaque jour. Cette lutte intérieure, c’est ce qui m’a poussé à abandonner la peinture pour l’écriture il y a quatre ans. Dans ma fiction, je pensais pouvoir projeter mes angoisses, mes doutes, trouver une catharsis. Mais aujourd’hui, je me demande si en écrivant, je ne fais pas qu’ajouter des couches à mon propre labyrinthe de mensonges. Peut-être que la fiction n’est qu’une autre manière de me dissimuler, de fuir la réalité crue et désarmante. Peut-être que cette quête d’authenticité n’était qu’une illusion, une autre forme d’autotromperie. Pourquoi continuer à écrire, alors ? Peut-être parce que, malgré tout, il y a un fil d’authenticité dans cette entreprise. Dans les mots, je trouve parfois des éclats de vérité, des moments de clarté qui me donnent l’impression de toucher quelque chose de réel, même si ce n’est qu’éphémère. Peut-être que c’est dans cette quête incessante, cette lutte pour démêler le vrai du faux, que réside la véritable essence de la création, de mon existence. Mais à peine ai-je couché ces mots sur le papier, je les trouve ridicules, presque honteux. Je ressens une gêne profonde en me comparant à ceux qui se lèvent chaque jour pour des réalités plus concrètes : travailler, nourrir leurs enfants, faire face à des défis bien réels. Oui, la honte m’envahit, de me complaire dans ces pensées nombrilistes et de songer à les exposer, si jamais je devais publier ces lignes. Sont-ce vraiment mes pensées, celles du narrateur de ce journal, ou celles du personnage de ma fiction ? Je n’en sais plus rien. Ce flou entre moi et mes créations, entre la réalité et l’imaginaire, semble se densifier, me laissant dans un état de confusion. Ai-je perdu le contact avec le monde réel, m’enfermant dans un univers de mots et de réflexions introspectives qui, au final, ne résonnent qu’avec moi-même ? Cette interrogation me hante, me pousse à reconsidérer non seulement ma création, mais aussi ma place dans le monde. Il me suffit d’ouvrir un journal ou de regarder une émission de télévision pour sentir la vacuité de ces contenus. Une prise de conscience brutale me frappe : je me réveille plus seul et démuni que jamais. J’ai cette impression troublante que le mensonge est général, omniprésent. Peut-être que beaucoup le savent, mais choisissent de s’y accrocher, de le préserver. Ce mensonge est rassurant, moins effrayant que l’idée de changer, de bouleverser l’ordre établi. Cette révélation me pèse, m’isole encore plus dans mes pensées. Je suis pris dans un tourbillon de doutes où ma propre authenticité, celle de mon art, celle de mes mots, tout semble s’effondrer dans un abîme de questions sans réponses. Aller jusqu’au bout du tragique, c’est ce que notre époque semble refuser, fuir. Autrefois, la tragédie offrait quelque chose, une catharsis, une compréhension plus profonde de la condition humaine peut-être. Aujourd’hui, je sens que nous nous en éloignons, par peur ou par incompréhension. En écrivant ces mots, je réalise mon incapacité à saisir pleinement ce que l’issue tragique nous apportait jadis. C’est comme si, dans notre quête effrénée de bonheur et de confort, nous avions perdu la capacité d’affronter les abîmes, de regarder en face nos propres limites, nos propres fins. Dans mon art, dans mes écrits, je ressens cette tension. Y a-t-il encore de la place pour le tragique, pour l’exploration des sombres vérités de notre existence ? Ou avons-nous tellement peur de ce que la tragédie révèle sur nous-mêmes que nous préférons nous en détourner ? Chaque touche de pinceau, chaque mot que je pose semble porter cette question. Et pourtant, je n’ai pas de réponse. Peut-être que dans ce refus du tragique, dans cette peur, réside une tragédie en soi – celle de notre incapacité à accepter la totalité de notre condition humaine, dans toute sa complexité et sa finitude. Aller jusqu’au bout du tragique, c’est ce que notre époque semble refuser. Il y a une peur, une réticence à embrasser ce que la tragédie, dans toute son ampleur, nous offrait autrefois. Je le sens, palpable dans l’air, dans les œuvres d’art contemporaines, dans les conversations quotidiennes. Et pourtant, en cet instant, alors que j’écris ces mots, je suis incapable de nommer précisément ce que l’issue fatale nous apportait. Était-ce une forme de catharsis, une purification, ou quelque chose de plus profond et insondable ? Et maintenant, face à cette réflexion, que dois-je faire ? Quel courage faut-il pour continuer, pour affronter ces abîmes de pensée ? Parfois, je me sens être le plus faible des hommes, incapable de porter le fardeau de cette quête de vérité. Et puis, presque aussitôt, je ris de moi-même, de cette oscillation constante entre l’exigence d’élévation et de bassesse qui me taraude. Cette dualité, ce conflit interne, semble être le moteur même de ma créativité, et pourtant, elle est aussi ma plus grande source de tourment. Suis-je un artiste à la recherche d’une vérité insaisissable, ou simplement un homme perdu dans le labyrinthe de ses propres pensées ? Je viens d’écrire ces lignes, et presque aussitôt, je lève les yeux de mon écran pour regarder par la fenêtre. Le monde continue sa course, indifférent à mes doutes et à mes questionnements. Les gens s’affairent, pris dans le tumulte de leur quotidien, se dirigeant, peut-être, vers un abîme inévitable. Et je me dis que, dans le grand schéma des choses, mes pensées ne sont pas plus significatives que la chute d’une feuille morte d’un arbre. Cette idée m’amuse, d’une certaine manière. Elle me rappelle l’insignifiance de mes tourments face à l’immensité du monde. Fort de cette réflexion, je me lève, prêt à commencer ma journée comme d’habitude. Il y a quelque chose de libérateur à reconnaître sa propre petitesse, à accepter que nos luttes intérieures ne sont que des échos dans un univers bien plus vaste. Je décide de m’appuyer sur cette pensée, de l’utiliser comme un point d’ancrage pour affronter ce que la journée me réserve. Peut-être est-ce là la véritable force, la capacité de sourire face à l’insignifiance de notre propre existence et de continuer malgré tout Illustration : Détail d’une façade d’un bâtiment dans une cité antédiluvienne.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
12 janvier 2024
Revenir au début, échelle de gris, sept cases, du noir profond au blanc pur du papier. Puis en finir avec l’empirique. Hachures dans un sens, puis dans un autre, superposez. A la fin on se lance à nouveau dans des bouts de tableau du Caravage, des photographies déchirés de façon aléatoire, en noir et blanc toujours avec l’échelle de gris comme repère. Elles sont enchantées. L’importance des piqures de rappel. On répercute sur tous les ateliers. Janvier de ce coté là sera plus tranquille. Lecture des contrées du rêve, mélanger les impressions fournies par les dessins d’Hugo et les descriptions de HP Lovecraft, confectionner des lanceurs d’idées. « Une imagination débordante » . Aller de plus en plus loin dans l’imagination comme dans un récit lovecraftien. S’enfoncer dans l’imaginaire. En parallèle, la nécessité d’une vie rude. A se demander si on ne choisit pas cette vie difficile matériellement afin de parvenir à rêver de plus en plus loin, pour ne plus être parasité par les illusions de l’état de veille, les petits rêves tellement mesquins. Ecrire de plus en plus ici comme autrefois dans les carnets. Jeter des idées, du chaos, une sorte de cryptographie inaccessible aux touristes. Et de la journée se souvenir avec quelle parcimonie on ouvre le robinet du gaz pour aider la bonbonne à chauffer l’atelier. Sitôt que le groupe part j’éteins. La température plonge. Mais pas si froid qu’on veut nous le faire croire, que les gens finissent pas le croire. Et aussi celle-ci qui m’avertir déjà qu’elle ne pourra pas venir deux fois ce mois-ci, comme elle m’a déjà fait le coup en novembre, et que je te propose de te payer la moitié. Je crois que je vais lui dire de ne plus revenir. Si je n’avais pas besoin même de cette moitié je lui dirais bien. En ai-je tellement besoin ? Parfois entre le besoin et la sérénité… un choix drastique. Les touristes me sont de plus insupportables. Tiens, après pas loin de trois ans de silence, celle là se manifeste— Meilleurs vœux— tout le tralala. S. saute sur l’occasion pour l’inviter à dîner un soir. Franchement je m’en passerais. Et d’aller aussi chez les C. quelle barbe, lui ne pense qu’au pognon, il ne parle que de ça et elle depuis qu’elle est grand-mère nous saoule avec ses anecdotes et surtout les photos qu’elle présente sur son portable dernier cri. Pour les petits formats je peux m’aménager une place dans le bureau d’en haut. Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt. De même que pour être vraiment aimable à certain moment de ces journées il faut bien être parfaitement exécrable à d’autre. Trouver une sorte d’équilibre, par ces petits déséquilibres. R.D. à la culture, ben voyons, ça complète la bande de malfrats qui nous gouverne. Et l’andouille de C. qui bat des palmes et qui clame à tue tête on la vire du parti. Bouffon. C’est comme si la terre avait plongé dans une dimension différente. Une dimension où tout est devenu complètement con, absurde. Et cependant, tout semble continuer malgré tout comme avant. Je me frotte les yeux, l’impression ne disparait pas, elle persiste.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
10 janvier 2024
Ecrire avec la plus grande sincérité ce qui nous traverse, finira probablement en suicide mais ne sera jamais de la littérature. Qui pourrait bien dire ce genre d’effroyable sentence ? Il faudrait pencher la tête et regarder dans le puits. Sans oublier de placer les mains de chaque côté de la bouche en porte-voix. Et au bout du compte à force de pencher cette grosse tête, elle ferait —à ma plus grande joie je crois — basculer le corps entier vers l’abîme, on entendrait un petit ploc et ce serait la seule chose de véritablement, de sincèrement discret que ce gros con de P. commettrait —et la dernière— hélas pour les unes, celles qui ne l’ont jamais vraiment connu, tant mieux pour les autres qui l’on fréquenté et savent désormais à quoi s’en tenir. Sinon, je songe à décrire ce village dans lequel il a passé cette enfance si merveilleuse selon son dire , qu’il n’a jamais voulu lâcher son souvenir, s’y agrippant comme un taon à la croupe d’un poney toute sa vie. En tous cas, une chose est certaine, il faut que je retourne voir ce pays de cocagne, c’est à deux heures et demi de route d’ici. Peut-être une occasion en passant pour nettoyer la tombe de mes aïeux. Car nous venons P. et moi, bien sûr, du même village. Cependant ma version des lieux est bien plus lugubre. C’est comme si lui avait aspiré si j’ose dire tout le merveilleux que ces lieux autrefois pouvaient encore receler, et que moi il ne me restât plus par un étrange effet de vase communiquant qu’un pays austère et exsangue, la plupart du temps brumeux, pluvieux, neigeux, et enfin glacial et nimbé d’une incommensurable tristesse. Oui, ça me revient maintenant. J’avais envie de prendre quelques notes sur la nécessité d’écrire un journal, très tôt ce matin, à la sortie d’un rêve bizarre. Une exposition de peinture dans laquelle je jouais les seconds couteaux, il fallait traverser des ponts suspendus dans l’Himalaya à un moment pas d’autre choix que de balancer les toiles d’une rive à l’autre puis de plonger nu dans l’eau glacée. Les vêtements balancés aussi dans des sacs poubelles et suivant les mêmes trajectoires approximativement que les œuvres qui les précédaient. Puis enfin, au bout d’une longue marche sur des sentiers de chèvres nous parvenions à la galerie. Le peintre vedette avait produit des merdes spectaculaires si bien que le commissaire l’avait gentiment éconduit lui proposant gentiment de refaire tout le chemin du retour à l’envers d’un air léger. Quand à moi je me retrouvai à devoir accrocher dans une salle du fond je ne me souviens plus trop quoi. Ce que je retiens encore c’est que la salle principale, là où devait se situer le clou du spectacle était totalement vide, les murs étaient vides, et la porte d’entrée absolument close. Et donc, me réveillant un peu désarçonné, ma première phrase a été : mais quelle nécessité peux-tu encore trouver à écrire un journal. Et c’était un peu comme cette grande salle vide dans la pénombre dont on ne pouvait pas s’échapper puisque la porte d’entrée était fermée. Il n’y avait pas d’issue à moins de se rendre jusqu’à cette porte, de poser la main sur la poignée, l’ouvrir et s’en aller. Et que peut-on bien pu trouver au delà de cette porte, c’est peut-être là tout l’enjeu d’écrire ou non un journal, et plus j’y pense plus c’est limpide à présent. Je veux dire peu importe le paysage sur quoi je vais nécessairement tomber, il y aura un paysage et une ligne d’horizon, forcément. Puis l’angoisse de l’angoisse est revenue au galop , comme toujours. Et avec elle le dibbouk qui —détail intéressant— est assis à califourchon à l’envers sur une chèvre. Il me parle, c’est un murmure, des rafales de vent me fouettent le visage et m’aveuglent. — Tu as pensé à un paysage, mais de l’autre côté c’est la mort le néant mon pauvre vieux, ne te fais aucune sorte d’illusion. Donc l’intérêt d’écrire un journal est derechef tout trouvé, le but étant bien sur de rester dans la pièce vide, de ne pas aller poser la main sur cette fichue porte, de ne pas essayer de l’ouvrir. Encore qu’on finisse certainement par se lasser, que la lassitude prenne soudain l’ascendant sur la peur. Que par ennui on brave sa propre angoisse de l’angoisse, qu’on l’achève, qu’on lui flanque un point final en pleine figure. Image en avant : Pont en Suisse Idées sous la douche Un truc ne tourne pas rond. Un bruit mécanique bizarre. Le type démonte la voiture, ne trouve rien. Puis il se retourne et le Dibbouk lui demande si tout va bien avec un sourire goguenard. La seconde idée a filé le temps que j’écrive la première. Zut. Mais vite une autre arrive que je ne loupe pas. ( c’est comme au jeu du métro aux heures de pointe) Car vu aussi cette vidéo— un « short » qui date d’il y a deux mois où Attal se plaint d’avoir été harcelé par Juan Branco notamment ( plus c’est gros mieux ça passe) Un short sur YouTube , j’ai cliqué sans savoir pourquoi, mince. Est-il possible que ces deux là se vengent du harcèlement, que l’un nomme l’autre premier ministre juste pour emmerder J.B. Trop marrant comme idée. La politique se résumant à des vieux reflexes archaïques —ce qui me convient en l’espèce tout à fait. Mais quand même, personne ne dit rien, on avale tout ça sans broncher. Et de les voir ensuite ces deux là sur le perron de l’E , des clones… merde et si en fait tous les dirigeants n’étaient rien d’autre que des clones. Une entité extraterrestre nous fait croire qu’on est dirigés par des clowns, ça, pour le coup, c’est trop drôle, me fait bien rigoler. Puis le rire devient jaune évidemment.|couper{180}
Carnets | janvier 2024
09 janvier 2024
Et bien, à vrai dire, il faut que je te dise quelque chose. Si je savais quoi, cela m’arrangerait, mais voilà bien toute la difficulté, je n’en sais rien. Peut-être cela viendra t’il plus tard. En attendant que la chose se précise, je veux dire la raison pour laquelle j’ai voulu commencer cette lettre, il m’apparait important de te dire combien je m’estime chanceux d’avoir découvert – mais n’est-ce pas grâce à toi ? – le cercle littéraire des mangeurs d’épluchures de patates de Guernesey. Je ne m’en lasse pas. Ce qui me procure aussi, bien entendu, l’idée de le plagier presque aussitôt. Quelle tristesse de ne pas être en mesure d’effectuer l’effort nécessaire de le lire en anglais, qui est sa langue originale. Mais le fait est, qu’en ce moment, beaucoup d’ouvrages m’arrivent sous le manteau et que je ne peux pas vraiment les choisir comme je le voudrais. En outre ils sont gratuits il serait malséant de faire la fine bouche. Délicieux est l’adjectif qui flotte autour de cette lecture sitôt que j’ai le temps et l’envie d’ y plonger. J’en lis quelques pages puis je referme le livre pour mieux les savourer, et l’effet peut se prolonger parfois bien au delà d’une heure, ce qui, avec les années, est tout à fait exceptionnel — car cette lecture dispense un effet apaisant, c’est un peu comme un de ces vieux édredons sous lequel on se glisse en se bouchant les oreilles pour amortir tous les bruits extérieurs. « A vrai dire », cette expression m’amuse. Elle me surprend surtout au moment où elle surgit et où je me sens soudain poussé à l’écrire. Comme si cette croyance enfantine persistait encore qu’il suffit de prendre un crayon, ou en l’occurrence un clavier, pour se préparer à dire la vérité. N’est-ce pas une sorte de torture qu’on nous a infligée dès notre plus jeune âge que celle-ci : s’imposer d’écrire la vérité ou de la dire. Si je la disais de la façon la plus simple j’ai bien peur qu’elle apparaisse bien pauvre dans sa nudité et surtout qu’elle ne continue d’entretenir cette morosité dont nous aimerions bien nous débarrasser au moins le temps de lire ou d’écrire une lettre. Ne serait-ce que par égard ou politesse- y a t’il une différence, certainement, car je connais autour de moi bien des gens « polis » qui sont absolument dépourvus d’égards envers leurs semblables. Voici désormais presque dix minutes que j’ai commencé cette lettre et il me semble que cela fait un siècle- ou soyons modeste, un demi. un peu plus que mon temps sur cette terre à quelque chose près —Comme si cette lettre, j’avais voulu la commencer sur les bancs de l’école et que je l’avais laissée en plan, occupé tout à coup par je ne sais quoi. Peut-être que les divertissements ne servent qu’à cela finalement, à repousser le moment. Et vois-tu maintenant cela me revient, déjà à l’époque je ne savais pas quoi te dire, je savais seulement l’envie de t’écrire quelque chose, cet élan. Et j’observe avec attention comment il s’interrompt de nouveau de la même manière. Mon esprit bat la campagne, je saute du coq à l’âne, j’ai l’air de tourner autour du pot- le fameux pot aux roses j’imagine. Il me semble que c’est la même lettre qui reste inachevée depuis tant d’années. Comme pour me laisser une chance probablement de dire quelque chose d’authentique, de réel, à un moment ou l’autre, peut-être même par inadvertance. Je crois beaucoup à cette notion de hasard, de prétendue maladresse, mais surtout parce que j’en suis parvenu à un tel point de dégout concernant toute habileté. Tout le weekend je l’ai passé en compagnie de HPL, j’ai lu des quantités de pages innombrables sur lui, et puis à la fin, je me suis demandé ce qui me poussait à nourrir un tel engouement pour connaitre sa vie dans le menu. Cela m’a paru obscène. Et j’ai donc décidé de me replonger dans son œuvre uniquement, de ne plus jouer les voyeurs. Ceci afin d’en étudier chaque phrase le plus lentement qu’il m’est possible de le faire ( ce qui me connaissant est un petit exploit tu en conviendras). Nous sommes mardi et tout compte fait je me demande ce qu’il reste de cette lecture assidue sinon ce doute, ce questionnement sur ma volonté d’assiduité seulement. Il faudra sans doute que je t’écrive plus souvent ce genre de lettre qui débute par une envie sans raison à part celle peut-être de te faire signe. En attendant je m’arrête là pour aujourd’hui, cela aussi pourrait être un bon sujet de correspondance, quand ou pourquoi s’arrête t’on d’écrire une lettre. A mon sens très proche comme expérience du moment où l’on se sent prêt d’achever un tableau. Il me semble que le moment où l’on peut dire des choses importantes, essentielles semble plus précieux à proportion qu’on l’écourte. Quand à ce qui l’écourte c’est encore un mystère, on ne saurait en parler, pas plus que l’écrire. Je recopie ici, pour le rappeler à ton bon souvenir, ce passage qui explique la constitution du cercle littéraire des mangeurs d’épluchures de pomme de terre de Guernesey : […] Puis chacun a regagné son domicile et s’est mis à lire. Nous avons commencé à nous réunir à cause du commandant, c’est vrai, mais nous avons continué pour le plaisir. Aucun de nous n’ayant la moindre expérience en matière de cercle littéraire, nous avons inventé nos propres règles : chacun notre tour, nous parlions aux autres d’un livre que nous avions lu. Au début, nous tentions de garder notre calme et de demeurer objectifs, mais cela n’a guère duré ; rapidement, les orateurs n’ont plus eu pour ambition que de persuader leur auditoire de lire l’ouvrage en question. Et, quand deux membres avaient lu le même livre, ils en débattaient devant nous pour notre plus grand plaisir. A force de lire, de parler de livres et de nous disputer à cause d’eux, nous en sommes venus à nous lier étroitement les uns aux autres. D’autres insulaires ont voulu se joindre à nous et nos soirées se sont transformées en moments chaleureux et animés. À tel point que, de temps en temps, nous arrivions presque à oublier la noirceur du dehors. Nous nous réunissons toujours tous les quinze jours. […] Je me demandai s’il ne serait pas amusant d’introduire, dans la foulée, une réponse à cette lettre—, ce qui immédiatement soulève un problème de taille, car pour cela il faudrait que je parvienne à identifier clairement mon interlocuteur, ce qui, pour l’instant, n’est malheureusement pas le cas. Ou du moins que j’en isole une ou un car bien l’impression que tous se mélangent rien que de tenter d’imaginer. De plus, écrire pour une foule, passe encore— les écrivains ne se gênent pas de le faire bien que personnellement, et modestement, l’incongruité m’empêche raisonnablement de passer à l’acte ; mais qu’une foule réplique, ça ce serait vraiment le pompon. Image mise en avant : Portrait d’un fou regardant à travers ses doigts. Maitre 1537 ( selon Winkler appelé aussi : Maître de l’Ecce Homo d’Augsbourg)|couper{180}
Carnets | janvier 2024
08 janvier 2024
Des notes sur un personnage réel puis fictif évidemment. Quand la vie se retire de lui le voici il est mûr pour l’œuvre- il faut oublier cette première déception Il espérait- (l’espérait-il vraiment ?) que les choses se déroulent plus tôt- disons vers trente, mais ça n’arrive (hélas) qu’après soixante. Ce qui prouve ( pour ainsi dire ) qu’on ne met pas la charrette avant les bœufs ou encore que lorsqu’il faut y aller il faut y aller ou encore quand c’est l’heure c’est l’heure ou mieux avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure ou enfin, que les poules commencent à faire leurs dents et vice versa avec ces histoires de Pâques et de la Trinité. Le fait de protester silencieusement, sans jamais le montrer à personne, de protester intérieurement dans son coin, de ronger son frein en cherchant bien ses mots. Un fond raciste réactionnaire mais qui ne vient pas d’une fièvre politicienne , d’un emballement idéologique, il n’est pas un intellectuel non plus. sa protestation provient du dégout qu’il éprouve physiquement désormais au contact des rues de la ville. D’autant plus dégouté qu’à son arrivée il ne tarissait pas d’éloge pour celle-ci. ( ou comment du merveilleux on passe derechef à l’effroyable ) Comment ? celui qui appartient à la crème de la crème blanc bien éduqué poli ne trouve pas de travail malgré tous les efforts qu’il fournit ( un gentleman devrait-il fournir autant d’efforts pour se rendre utile et obtenir une rétribution- c’est à dire de l’argent ?) Comment gagner sa vie quand elle nous dégoute tellement. La peur nait quand il aperçoit cette engeance grouillante – les chimpanzés graisseux– dans les rues de la ville splendide-elle était splendide tant qu’il ne les avait pas vus, et qu’il mangeait à sa faim. Comme Lautréamont il va chercher dans des ouvrages de botanique, de paléontologie – Des livres de Science- le vocabulaire nécessaire à créer sa poétique. La latitude et la longitude deviennent des outils pour copier et transmuter cette réalité qu’il déteste comme autant de détails pris à l’anatomie, à la mathématique , à la physique quantique- Tout ce soi-disant progrès qui- il le sait- n’empêchera pas l’inéluctable d’arriver. Il voudrait ne jamais avoir à pratiquer le sexe ni le commerce, ne pas avoir à se vautrer dans les bas instincts de l’humain ni plus que ceux de l’animal. Pour lui seul le merveilleux et l’indicible valent l’effort qu’il fournit pour les écrire. Ce qui est sain c’est d’assumer sa réserve, de ne pas vouloir biaiser avec ce qu’il éprouve comme dégout, de ne pas faire semblant. Et malgré tout paradoxalement il est le plus charmant des hommes, toujours affable, ne s’énervant jamais, toujours prêt à aider qui le lui demande. Quand la vie le quitte- tout le décorum de ce que l’on nomme communément la vie – il peut enfin se concentrer sur le travail. Plus rien ne l’en empêche. La pauvreté n’est pas un obstacle, tout au contraire elle lui sert de guide, il ne se dispersera plus, il n’en n’aura plus l’occasion ni la possibilité. Ce qui reste quand on est sans un, ce sont les sens. Il peut les aiguiser à loisir en pratiquant de longues promenades à travers la ville, développer son odorat, classifier les odeurs leur qualité nauséabonde, méphitique, par catégorie de puanteur de la plus subtile à la plus infecte. Idem pour l’ouïe par laquelle il se rend compte que la musique n’est qu’au final une sorte de pansement qu’on place sur une plaie purulente creusée sans relâche par le bruit. Cette position , ce lieu, où l’orgueil devient de l’humilité et son contraire il en est parfaitement conscient et s’il assiste ( en spectateur ) à une sorte d’affrontement intérieur / parfois il le met sur le compte de l’espèce , de l’animal, il lui est possible de l’observer hors de son propre corps hors de sa ( petite ? ) personnalité. Il est au contact permanent de l’indicible ce qui lui rend toute vie impossible—il est en contact perpétuel avec le mythe qu’il invente peu à peu- un mythe malgré lui, un mythe qui nait de son néant personnel et qu’il ne cesse de vouloir creuser encore plus profondément chaque jour. Et cependant et malgré tout, il reste poli, sociable quand il le faut, toujours prêt à aider ses étudiants, c’est un enseignant, peut-être un universitaire,( l’idée d’une fonction qu’il n’aura jamais la chance d’atteindre dans la vraie vie ) ou comment à partir de la plus grande des frustrations on devient un Hitler ou un écrivain de fiction horrifique Et cependant il épouse une juive une divorcée . Il est pétri de contradictions et c’est justement ce qui le rend bien plus humain qu’on l’imagine de prime abord, ce qui le rend sympathique —c’est probablement la raison pour laquelle on découvre à sa mort tout un continent de lettres, toute une correspondance échangée aux quatre coins du monde. Dans les caves de cette université où ne sont pas encore cataloguées toutes les œuvres qu’il a écrites, le mystère reste intact. Sans doute de la même façon que l’histoire de Jésus de Nazareth et de Marie-Madeleine restent intactes ( pour l’instant) dans les caves du Vatican. Le mythe, la religion, nécessaire à chaque époque, des placébos pour ne pas regarder l’horreur qu’inspire le néant en face. Créer un mythe de façon personnelle, s’enfouir dedans, puis parvenir à y croire au final ? finalement, on se retrouve dans le pari de Pascal. Le risque moindre de croire plutôt que de ne pas. Et le gain qu’on en retire importe franchement peu. Concernant les traits du personnage il faudrait qu’il ressemble un peu à K. un peu à J. un peu à L. Quelque chose de longiligne, de sec, aux joues creuses aux yeux légèrement exorbités. Un autre détail surgit pendant que j’y pense, les manches de son veston, elles sont un peu trop courtes.|couper{180}